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Cahiers d'outre-mer

L'habitat rural au Congo : reflet du milieu naturel, expression


culturelle
Bonaventure, Maurice Mengho

Abstract
Rural dwelling in Congo : natural milieu reflection, cultural expression. Rural dwelling in Congo as well as in any tropical areas
still appear in their traditional form. A hut is made of wood materials taken out from forest or savannah. However, the present-
day villagers a rule no longer looks like the one in the past, as well the morphology as the socio-professional structure and
équipement. Although the building materials are found locally, they have been very much transformed. All that indicates a
certain evolution in rural dwelling.

Résumé
L'habitat rural, au Congo, comme dans d'autres pays du monde tropical, se présente encore sous sa forme traditionnelle. La
case est faite de matériaux tirés de la forêt ou de la savane. Mais, de façon générale, le village actuel ne ressemble plus à celui
d'antan, aussi bien dans sa morphologie, sa structure socioprofessionnelle que sur le plan de l'équipement. Les matériaux, bien
qu'ils soient trouvés sur place, ont subi d'importantes transformations. Tout ceci dénote une certaine évolution de l'habitat rural.

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Mengho Bonaventure, Maurice. L'habitat rural au Congo : reflet du milieu naturel, expression culturelle. In: Cahiers d'outre-mer.
N° 129 - 33e année, Janvier-mars 1980. pp. 65-86;

doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1980.2927

https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1980_num_33_129_2927

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L'habitat rural au Congo :

reflet du milieu naturel,

expression culturelle

par Bonaventure,Maurice MENGHO*

Résumé. - L'habitat rural, au Congo, comme dans d'autres pays du monde


tropical, se présente encore sous sa forme traditionnelle. La case est faite de maté¬
riaux tirés de la forêt ou de la savane. Mais, de façon générale, le village actuel ne
ressemble plus à celui d'antan, aussi bien dans sa morphologie, sa structure socio¬
professionnelle que sur le plan de l'équipement. Les matériaux, bien qu'ils soient
trouvés sur
certaine évolution
place, de
ontl'habitat
subi d'importantes
rural. transformations. Tout ceci dénote une

Summary. — Rural dwelling in Congo : natural milieu reflection, cultural


expression.
in their traditional
Rural dwelling
form. Ainhut
Congo
is made
as well
of wood
as inmaterials
any tropical
takenareas
out from
still appear
forest
or savannah. However, the present-day villagers a rule no longer looks like the
one in the past, as well the morphology as the socio-professional structure and
équipement. Although the building materials are found locally, they have been
very much transformed. All that indicates a certain evolution in rural dwelling.

Comme partout en Afrique, l'habitat rural au Congo se présente


encore sous sa forme traditionnelle. Les matériaux utilisés sont en
grande partie tirés du milieu naturel environnant. Malgré tout, cet
habitat a beaucoup évolué ; il s'est transformé sous l'influence de
plusieurs facteurs.
Au demeurant, il importe de noter que l'habitat rural est lié au
milieu physique, au degré de développement économique et social.
Il peut être imposé par le genre de vie des populations. Par ailleurs,
il est aussi un fait de l'histoire et se modifie au fil des siècles ; il reflète
une
la société
certaine
quiforme
l'a créé
. et modelé. Les structures sociales lui imposent

* Maftre-Assistant de Géographie à l'Université de Brazzaville.


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Ainsi, tous les facteurs - milieu physique, histoire et civilisation,


structures sociales, mode ou genre de vie, influence des villes, etc. . . _
expliquent les divers aspects de l'habitat rural au Congo.
De cette étude est exclu le «centre urbain secondaire», bien qu'il
soit situé en plein milieu rural. Mais il est important de noter que
ce centre urbain secondaire, comme le nom l'indique, n'est pas encore
une ville : les constructions, dans la majorité, ne diffèrent pas de
celles que l'on rencontre dans les villages aussi bien dans leur aspect
que par la nature des matériaux utilisés. La différence réside tout
simplement dans la présence des structures administratives et politi¬
ques, caractéristiques des centres urbains et absentes des villages.
Avant d'aborder l'étude proprement dite, il importe de définir
le type d'habitat que l'on trouve dans telle ou telle région. Au demeu¬
rant, la tendance générale est à la dispersion ou au fractionnement
de l'habitat, même s'il existe de grands villages ou des hameaux accolés
formant un tout. On peut néanmoins distinguer l'habitat dispersé de
l'habitat groupé.
L'habitat dispersé, ou mieux l'habitat fractionné, se rencontre
partout au Congo, aussi bien dans les régions forestières que dans les
régions de savane, dans le nord que dans le sud. Les gens vivent en
cellules familiales (il n'est pas rare de trouver parfois un couple isolé
dans la forêt) ou encore dans des hameaux de moins d'une dizaine de
cases. Ce type d'habitat est très caractéristique du genre de vie des
pêcheurs ; le long des principales rivières, la Sangha, l'Oubangui et le
Congo par exemple, s'étend un chapelet de hameaux, permanents
ou temporaires ; entre Ouesso et Pikounda, il en existe plus d'une
soixantaine sur un peu plus de 100 km.
Il est intéressant de noter aussi que dans la plupart des cas, des
hameaux, dont la formation s'explique par plusieurs facteurs qui
seront analysés plus loin, sont des entités autonomes sur le plan admi¬
nistratif, alors que sur le plan spatial plusieurs d'entre eux constituent
souvent un seul et même village. Tel est le cas de Garabinzam par
exemple, à l'extrême nord-ouest du pays, formé par un ensemble de
hameaux qui s'égrènent sur environ 6 km ; chaque hameau garde sa
personnalité sur le plan administratif par son nom, alors qu'il n'est
séparé des autres que par un petit espace libre d'une cinquantaine
de mètres. De façon générale, il s'agit souvent d'une dispersion secon¬
raisons.
daire, résultant de l'éclatement de l'habitat groupé, pour diverses

Quant à l'habitat groupé, il est caractérisé par la présence des


villages. Est considéré comme village ici, à la différence du village
européen, tout groupement de plus de 10 ou 15 cases, donc de plus
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de 50 habitants (s'il est admis que chaque famille peut abriter en


moyenne 5 personnes). Ainsi, pour nuancer la chose, nous distinguerons
les gros villages, de plus de 100 habitants, des petits villages.

I. — Le village, expression du milieu physique et social

1. Les conditions d'implantation et le site du village.

a) La localisation actuelle de l'habitat. De façon générale, l'habitat


actuel est localisé le long des voies de communication : routes, chemins
de fer et rivières. Dans le nord du pays, les villages sont le long des
routes et des rivières, en particulier dans la Cuvette Congolaise, alors
que dans le sud du pays, ce sont plutôt les voies ferrées (CFCO et
COMILOG)et les routes qui ont attiré les populations.
Deux facteurs essentiels expliquent la concentration actuelle des
populations le long des axes de communication : c'est d'abord l'action de
l'Administration coloniale, qui avait déplacé beaucoup de villages pour
les placer sur les nouvelles routes, rendant ainsi leur accès et leur
contrôle plus faciles. Mais ces déplacements ne se faisaient pas toujours
sans heurts entre l'Administration et les villageois qui souvent ne
comprenaient pas le bien-fondé des décisions ; c'est ensuite, après la
construction des routes, du CFCO et récemment de la COMILOG, la
nécessité pour les populations de se déplacer facilement et surtout de
vendre aux voyageurs divers produits vivriers : manioc, bananes, légu¬
mes, viande, poisson, etc. . . Ce facteur a beaucoup joué dans la crois¬
sance démographique de la plupart des villages-gares du CFCO, qui
sont, à l'heure actuelle, de véritables marchés.
Malgré tout, il existe encore de nombreux villages hors des axes
routiers, particulièrement dans les régions enclavées. Leur accès n'est
possible que par des pistes piétonnes.
b) Les principaux sites de villages. Les populations sont guidées par
plusieurs considérations dans le choix du site. D'abord il faut trouver
de bonnes terres agricoles, riches en matières organiques. Ensuite les
populations doivent satisfaire leurs besoins en eau potable, mais tout
en s'éloignant autant que possible des zones très humides, foyers de
moustiques et de trypanosomiase. Mais dans bien des régions certains
villages sont mal approvisionnés en eau potable, surtout en saison
sèche
et l'eau; est
surune
les denrée
plateaux
trèsBatéké
recherchée.
par exemple, le problème est crucial

Dans certaines régions, voire dans tout le pays, les facteurs socio¬
logiques ou religieux jouent encore un rôle très important : attache¬
ment à une terre léguée par les grands-parents ; attachement à un
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cimetière ancestral ; attachement à un bosquet où se déroulait le culte


des ancêtres (en pays Batéké par exemple); tout cela explique le fait
que les gens ne s'éloignent guère de l'emplacement primitif du village.
autre Quant
au relief.
aux sites, ils sont très variés, liés d'une manière ou d'une

Le site de colline est le plus recherché • pour diverses raisons. Au


temps où les guerres tribales ou claniques étaient fréquentes, le site
élevé permettait de guetter l'ennemi. De nos jours, ce n'est plus telle¬
ment par nécessité de se défendre contre une agression quelconque
que les gens construisent sur une hauteur, mais plutôt pour éviter
les inondations et les moustiques, et aussi, ce qui n'est pas rare, pour
avoir une vue panoramique sur le paysage environnant. Le village de
Mbéa-Mbéa (belle vue) dans le district de Sembé en est un bel exemple :
en effet, de ce village situé sur le revers d'une cuesta, on contemple à
l'horizon le Mont Nabemba (1100 m) dominant une vaste dépression
marécageuse. De nombreux villages sont également construits sur un
plateau, où il n'y a aucun risque d'inondation.
Le site de fond de vallée est assez rare. Souvent il s'agit d'une
vallée sèche : les gens sont attirés par la fertilité des sols ou par la
proximité d'un cours d'eau. Le site de terrasse est rare aussi. Le village
de Kimpombo dans la vallée du Niari, sur la route de Mouyondzi, en
est cependant un exemple. Le site de pied de colline est très peu répandu.
Dans les zones de marécages, l'habitat occupe les flots de terre
ferme, s'ils ne sont pas menacés par les inondations.

2. Le plan, la forme et la structure sociale du village

On note une grande diversité de formes et de plans de villages.


Cette diversité
milieu social. est à la fois une expression du milieu physique et du

Le village rectangulaire est la forme la plus caractéristique, qui se


rencontre dans toutes les régions. On en distingue deux types. Le pre¬
mier est le village à deux alignements de cases, les deux petits côtés
du rectangle étant ouverts (fig. 1A). Le deuxième type présente aussi
deux alignements de cases, mais le troisième côté du rectangle est
généralement fermé par la case du chef, alors que le quatrième côté
est ouvert et donne sur la route. Ce type de village se rencontre en
pays Batéké (fig. IB).
Dans le village en quartiers, les quartiers sont bien individu alisés,
et séparés généralement par des espaces verts. Plus souvent le village
a une forme très complexe, liée soit à la structure sociale, soit au
milieu naturel. Dans le premier cas, les gens vivent par groupes qui
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•■.11 _ *J 2 _Yj 3 |4
Fig. 1 . — Différents types de plans de villages au Congo
A et B. Deux exemples de village rectangulaire. C. Dongo III : un exemple de village à plan
complexe. - D. Oka : un exemple de village avec rue. - 1. Herbe rase ou sol nu. - 2. Broussail¬
les. - 3. Bananiers et canne à sucre. - 4. Bloc ou plaque de latérite.

sont de véritables entités sociologiques ayant comme unité de base le


clan, le lignage ou la famille stricto sensu. Chaque groupe a sa case à
palabres qui est le noyau du quartier. Moussanda et Madoungou II,
près de Mouyondzi sont un exemple de villages «polynucléaires»
divisés en plusieurs quartiers plus ou moins bien individualisés, séparés
par de la végétation. Dougo III, à 5 km de Souanbé est un autre exem¬
ple de village polynucléaire, mais dont la formation des quartiers est liée
aussi bien à la structure sociale qu'au milieu physique. En effet, dans ce
village, la cour est parsemée de plaques de cuirasse latéritique, plus ou
moins étendues. Il est certain qu'au moment de leur installation, les
gens ont dû éviter les espaces latéri tiques pour construire les cases.
De plus, il y a dans ce village trois clans dont l'un est subdivisé en trois
lignages. Finalement, tout en évitant les obstacles, les habitants se sont
retrouvés sciemment ou inconsciemment par groupes claniques ou ligna-
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gers. Tout cela a, au bout du compte, influencé la forme du village dont


les quartiers sont séparés aussi bien par des espaces non bâtis que par
des blocs de latérite (fig. 1C).
Le village en hémicycle ou semi-circulaire est un cas très rare. La
forme est dictée par la topographie. Il s'agit en fait d'un village de
site de colline.
Le village en longueur, à un seul alignement de cases est un cas
très répandu. Les cases sont construites sur un seul côté de la route.
Le village à trois rangées de cases est un autre type ; celui d'Oka,
à 5 km d'Ewo, peut être pris en exemple. Il est intéressant de noter
ici la présence d'une rue, ce qui est rare dans les villages congolais
(fig.lD).Toutes
se trouve de faitles
bien
concessions
délimitée. étant entourées par une barrière, la rue

S 'agissant de la structure interne du village, c'est-à-dire de l'agence¬


ment des cases dans l'espace villageois, nous notons un désordre très
caractérisé. Les cases sont disposées de façon anarchique, car les cons¬
tructeurs ne suivent pas toujours un plan préétabli. En effet, si une
vue globale du village montre que les maisons sont alignées, dans le
cas d'un village-rue par exemple, dans les détails, il en est tout autre¬
ment. En réalité elles sont en désordre, les unes face à la route, les
autres un peu en retrait, d'autres contre la brousse. Entre les deux
rangées, au milieu de l'espace libre se trouve la case à palabres. En
pays Bembé, il est fréquent de trouver dans un village des cases dont
la faqade ouverte correspond à l'un des pignons ; cette façade ne
donne pas souvent sur la route. Le village de Soulou, à 27 km de
Mouyondzi, est un cas assez typique d'anarchie notoire. Les maisons
ne sont pas alignées et le désordre est tel que certaines sont très rap¬
prochées ; d'autres se font face, délimitant une petite cour commune ;
d'autres encore ne donnent ni sur la route, ni sur une cour commune.
Faire le plan d'un tel village ou en compter toutes les cases est un travail
peu commode.
L'anarchie dans la construction peut s'expliquer. En effet, tout le
monde n'arrive pas dans le village en même temps pour décider d'un
commun accord de l'emplacement ou de la disposition générale des
cases ; chacun s'établit librement sur un terrain de son choix ; la
disposition de la case importe peu, et celle-ci peut donner ou non sur la
route ; elle peut ne pas tenir compte de la direction générale des autres
cases, pourvu que l'occupant ne gêne pas le voisin.

la structure
La disposition
sociale. etLes
l'agencement
membres d'un
des maisons
même clan
s'expliquent
ou d'uneaussi
même
par
famille ont souvent tendance à se regrouper. Malgré l'absence des cases
à palabres dans le village de Soulou par exemple, le tassement des
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maisons presque les unes contre les autres ne peut pas ne pas être inter¬
prété comme étant la projection sur le terrain de la solidarité familiale.
Enfin, une autre raison importante est le fait qu'au moment de l'installa¬
tion, les gens évitent autant que faire se peut certains obstacles :
souches de grands arbres, termitières, blocs de latérite, etc. . .
Derrière les maisons, à deux ou trois mètres, on trouve dans cer¬
tains villages des poulaillers, faits de matériaux divers. Dans des villages
cacaoyers de la Sangha, on trouve des «séchoirs-autobus», derrière ,
devant ou entre les habitations. Dans d'autres villages, notamment dans
la région de la Bouenza où la brique cuite est d'usage courant, on a
plutôt des fours à briques. Toutes ces constructions secondaires - pou¬
laillers, séchoirs, fours à briques ou à pain, étables - contribuent à la
disposition anarchique interne du village. La présence d'arbres fruitiers
(avocatiers, mandariniers, safou tiers, papayers, palmiers, cocotiers, etc.)
et parfois d'une ceinture de bananiers, fait que certains villages ont
l'aspect d'un véritable champ complanté. Le village de Matoko par
exemple, à 5 km d'Epéna (dans le nord du pays), vu d'avion ressemble
à un véritable bosquet troué de clairières .
Sur le plan de la structure sociale, le village est resté toujours une
expression de l'organisation sociale. Pendant longtemps, il a été habité
exclusivement par les éléments d'un même clan ou d'un même lignage.
Chez les Bakouélé de la Sangha par exemple, l'homogénéité clanique
ou lignagère était considérée comme un facteur déterminant de la
mobilisation des guerriers en cas d'agression ; non seulement c'était le
village qui était attaqué, mais aussi et surtout le clan ; les risques de
trahison étaient réduits, du fait de la composition monolithique du
village. De plus, le chef du village était le chef-fondateur, en l'occurrence
le patriarche de la famille. A sa mort, son cadet ou son fils aîné deve¬
nait de droit chef du village et chef de famille. Le patriarche était aussi
le prêtre du culte des ancêtres dont il incarnait le pouvoir. En d'autres
termes, le chef de famille exerçait un pouvoir à la fois religieux et
politique.
Actuellement les guerres tribales ayant disparu, la structure sociale
du village se caractérise par le brassage clanique, c'est-à-dire qu'il n'y a
plus ségrégation et que les habitants relèvent de plusieurs clans ou
lignages. Certains vieux affirment que le système actuel est plus intéres¬
sant. D'abord parce que le brassage oblige chaque individu à avoir un
comportement exemplaire afin de ne pas déshonorer le groupe qu'il est
censé représenter. Ensuite parce que le risque d'ensorcellement est
réduit ; car il semble que, dans la plupart des cas, le sorcier opère rare¬
ment en dehors de la famille ; si la victime est d'une autre famille, il
faut nécessairement la complicité d'un élément de cette famille. D'après
les vieux, le sorcier n'a intérêt à envoûter qu'un parent, afin d'hériter
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de ses biens, car il ne gagne rien lorsque le défunt est d'une autre
famille. C'est donc pour cette raison que les gens se sentent mieux dans
un milieu hétérogène, polyclanique.
Sur le plan politique, l'organisation du village a connu d'impor¬
tants changements. A l'origine, tel que nous l'avons dit déjà, le village
était dirigé par le chef-fondateur. Le chef était toujours choisi parmi
les membres du clan fondateur ou parmi les membres du clan guerrier
et vainqueur dans une guerre. A sa mort, son successeur était choisi
parmi les membres du même clan (si l'on y trouvait un élément dyna¬
mique) ; dans le cas contraire, on le choisissait dans un clan allié.
A l'époque coloniale, le chef du village était nommé par le chef de
région sur proposition du chef de district ; le choix, fait à la base par
les chefs de cantons portait sur un élément d'une famille influente ou
guerrière. Généralement c'était le chef-fondateur du village. Il réglait
les litiges et recouvrait les impôts. A sa mort, il était remplacé par son
fils aîné ou par son frère cadet. Cette organisation a subsisté après
l'indépendance jusqu'en 1973. Depuis, le village est administré par un
Conseil
assisté d'un
appelé
Vice-Président
Comité de village
et d'undirigé
Secrétaire.
par un Les
Président.
membresCe du
dernier
Comité
est
sont élus parmi et par les habitants du village pour une durée indéter¬
minée. Ils sont chaînés d'abord de l'encadrement politique et idéologi¬
que des villageois, de répercuter les mots d'ordre du Parti et de l'Etat,
et ensuite de régler tous les litiges dans le village ; ils sont chargés aussi
d'enregistrer tous les décès et naissances survenus dans le village ; le
registre est ensuite
l'établissement des documents
envoyé au officiels.
centre d'Etat Civil principal en vue de

En dépit de cette nouvelle organisation, il subsiste encore dans


certains villages quelques vestiges du passé qui sont bien souvent à
l'origine de nombreux conflits et de luttes d'influence entre les anciens
chefs traditionnels et les nouveaux responsables élus. A N'Kilatari-
Moundzanga par exemple, à 27 km de Mouyondzi, prévaut une situa¬
tion de ce genre. En effet, il s'agit en fait de deux villages qui ont été
fusionnés par l'administration coloniale, N'Kila et Moundzanga. Mound-
zanga a été le premier à avoir occupé l'emplacement actuel ; il a été
ensuite rejoint par N'Kila vers 1949. De ce fait, les habitants de Mound¬
zanga se disent les vrais originaires du village qui devraient en principe
porter le nom de Moundzanga. En revanche, pour montrer et préserver
leur autonomie ou leur personnalité vis-à-vis des voisins, les gens de
N'Kilatari n'entendent pas adopter le nom de Moundzanga. Finalemènt,
on est en face d'une situation de conflit, et l'administration actuelle
est incapable de trouver une solution. Les deux villages sont séparés par
une haie vive et les habitants eux-mêmes savent qu'ils sont de tel village.
Sur le plan administratif, on est parvenu à un consensus quant à la
L'HABITAT RURAL AU CONGO 73

dénomination du village : N'Kilatari-Moundzanga. Dans le cadre de l'or¬


ganisation politique actuelle des villages, on a pu mettre en place un
Comité de village ; là encore, il y a consensus, car le Président est de
N'Kilatari, le Vice-Président de Moundzanga . Mais sur le plan de la
tradition, les habitants de Moundzanga ont beaucoup plus de considé¬
ration pour le Vice-Président qui, pour eux, est le chef traditionnel
authentique du clan Mibouandza, majoritaire dans le village. Il est
évident que cet état de choses rend très tendus les rapports entre
villageois et difficile la tâche du Comité de village, notamment celle
de son Président.

3 .La position du village par rapport à la route et au finage


Avant la pénétration européenne les routes étaient inexistantes et
les villages étaient desservis par un réseau de pistes plus ou moins
nombreuses suivant la densité de la population dans la contrée. Dans de
nombreuses régions, la création des routes date de moins d'un demi-
siècle. Cependant, dans certaines régions, notamment dans la Cuvette
Congolaise, les routes sont inexistantes à cause de la présence de
vastes étendues marécageuses.
Par rapport à la route, le village occupe diverses positions :
Le village à cheval sur la route : il s'agit d'un village à double
alignement de cases, traversé par la route dans le sens de la longueur.
C'est le cas le plus général, et il se rencontre dans toutes les régions.
Dans cette catégorie, nous avons aussi le village à un seul alignement
de cases construites sur un seul côté de la route. Mais il est de rares
villages qui, bien qu'à cheval sur la route, sont plutôt traversés par cette
dernière dans le sens de la largeur. Le village d'Andzion (fig. 2A), à
1 5 km de Gamboma en est un exemple.
Le village à l'écart de la route : il est relié à celle-ci par une piste
d'accès, 50 à 100 m. On a de nombreux exemples dans la région des
plateaux, et cela semble une caractéristique du village Batéké. Mais il
n'en demeure pas moins qu'ailleurs il existe aussi des villages situés à
l'écart de la route. Plus souvent, le village est isolé de la grande voie par
un espace verdoyant, généralement un rideau de hautes herbes (fig. 2B).
S'agissant maintenant de la position du village par rapport au
finage, il y a lieu de préciser d'abord que vie rurale et agriculture sont
solidaires au Congo. En d'autres termes, l'habitat rural est lié aux activi¬
tés agricoles. Dans bien des cas, l'espace villageois, c'est-à-dire l'espace
effectivement habité est indissociable de l'espace agricole ou de l'espace
cultivé. Donc l'espace cultivé s'insère tout entier dans le finage. Cepen¬
dant, on peut distinguer quelques cas :
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Fig. 2. — Plans de villages congolais


A. Le village d'Andzion. - B. Un exemple de village situé à l'écart de la route
L'HABITAT RURAL AU CONGO 75

Le village peut être inséré tout entier dans l'espace cultivé (espace
en culture et espace en jachère). Du village partent alors les sentiers qui
desservent les zones de champs. Ainsi, vu d'avion ou sur photographie
aérienne, le terrain apparaît parfois comme une figure à éléments
rayonnants. L'établissement et le maintien des pistes n'ont jamais exigé
d'efforts particuliers ; les va-et-vient quotidiens des cultivateurs suffi¬
sent à rendre plus net le réseau dont la densité dépend de l'importance
de la population. Un fait est à noter, c'est que les sentiers s'estompent
ou disparaissent totalement une fois les cultures épuisées dans un
secteur donné ; toutefois le sentier principal subsiste toujours.
Le village peut être juxtaposé à la zone cultivée. Ce cas s'observe
surtout dans les régions marécageuses où seuls les îlots de terre ferme
sont habités et cultivés. Là les cultivateurs prennent appui sur le marais
ou sur la rivière et progressent avec leurs champs vers le terrain (les
terres cultivables) réservé à la culture.

4 . Les fonctions et la composition socio-professionnelle du village


Il convient de noter d'abord que le village congolais ne ressemble
en rien au village européen. Ce dernier abrite à la fois des agriculteurs,
des retraités, des petits fonctionnaires, des membres du clergé, etc. . .
Il s'agit là d'un village vraiment hétérogène quant à la structure socio¬
professionnelle. Par contre au Congo, le village est surtout peuplé de
gens vivant essentiellement, sinon exclusivement du travail de la terre.
Le petit commerçant détaillant ou le retraité travaillent aussi la terre.
Donc, du point de vue socio-professionnel, le village est homogène. En
clair, le village congolais n'a qu'une fonction agricole. S'il existe dans
certaines zones des villages spécifiquement de pêcheurs (dans la Cuvette
Congolaise) ou de chasseurs (tel le village de Douma, non loin de
Makabana), il n'en demeure pas moins que les gens pratiquent tempo¬
rairement quelques cultures, notamment celles du manioc, de la banane
et des légumes. De façon générale, le village congolais est peuplé d'agri¬
culteurs pour lesquels les autres activités , chasse, pêche, cueillette,
ramassage, sont secondaires.
Les activités étant les mêmes dans les villages, il est évident que le
revenu reste pour tous identique. Par conséquent, dans un village, les
habitants ont le même niveau de vie. Cependant, il importe de nuancer
la chose. En effet, dans le sud du pays par exemple, où l'élevage bovin
paysan est présent un peu partout, notamment dans la vallée du Niari,
le revenu des éléveurs est nettement plus important que celui des
cultivateurs ; dans la plupart des cas, les éleveurs sont aussi cultivateurs.
Dans la Sangha, la principale région cacaoyère du pays, le revenu des
gros planteurs est plus important que celui des petits planteurs ou des
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non-planteurs. Le niveau de vie des premiers est évidemment plus élevé :


maison en dur parfois, ou encore une case dont le toit est recouvert de
tôle, fusil calibre 12, carabine 14 mm , bicyclette, machine à coudre,
poste-radio, etc. . . C'est la seule différence que l'on peut relever entre
habitants dans certains villages. Mais l'écart n'est pas criant.

5. L 'éclatement et la mobilité des villages

Nous avons vu plus haut que bien des villages sont constitués d'une
succession de hameaux qui, sur le plan administratif, sont distincts les
uns des autres. Dans la plupart des cas, ces hameaux (ou des cellules
familiales) sont nés de l'éclatement d'un gros village.
L'important ici est d'analyser les facteurs de la dislocation. Ils
sont variés et complexes. Des querelles trop fréquentes, des cas de sor¬
cellerie, la jalousie, parfois l'égoisme, peuvent amener les gens à quitter
le village. On assiste alors à des départs échelonnés, et chaque famille va
s'établir sur un terrain de son choix, souvent non loin du village d'ori¬
gine. La perte de prestige par les anciens chefs traditionnels est aussi un
facteur de dislocation des villages. Du fait de l'introduction de nouvelles
structures politiques et administratives (au moment de la colonisation
et après la Révolution d'Août 1963), ces chefs ont perdu leur autorité
et de
ne terre.
peuvent plus s'imposer. Il n'y a plus de chefs de village, de canton

Généralement chaque hameau qui se crée conserve le nom du vil¬


lage de départ, mais avec un numéro d'ordre , I, II, III ; ou encore il
s'attribue un nouveau nom. Dans le district de Souanké par exemple,
l'éclatement du village de Golmélène a entraîné la formation de 4 ha¬
meaux ; l'éclatement du village de Gol a donné Gol I et Gol II. Dans
le district de Mouyondzi, on a Pandi I, Pandi II,Pandi III,Pandi IV (en
voie de devenir Kimpongui) et même Pandi V (Pandimamba) ; Pandi I,
Pandi III et Moussanda se touchent pourtant. Dans le PCA (1) de
Tsiaki,dans
isolés Tsiaki
la forêt
III, est
et distants
curieusement
les unsconstitué
des autres
de de
5 noyaux
1 à 2 km.
(hameaux)
A l'ori¬
gine, on avait un seul et même village de Tsiaki III au terminus de la
route, né du regroupement des villages isolés dans la forêt et qui avaient
été ramenés sur la grande voie par l'Administration coloniale. Malheu¬
reusement, pour des raisons évoquées déjà plus haut (querelles, bagarres,
ensorcellements), ce grand village s'est disloqué pour donner naissance
à 5 hameaux bien distincts, mais portant le même nom de Tsiaki III
(61 cases pour l'ensemble).
Si dans les pages précédentes nous avons vu que l'éclatement d'un
village entraîne autour du noyau oriental la formation de hameaux
1. P.C.A. - Poste de Contrôle Administratif.
L'HABITAT RURAL AU CONGO 77

satellites, il n'en demeure pas moins que dans certains cas, ceci aboutit
souvent à la disparition totale du village. D'où la mobilité de l'habitat.
Les causes de la mobilité sont les mêmes que celles qui occasion¬
nent la dislocation du village. A ces causes qui sont surtout d'ordre
sociologique s'ajoutent des motifs d'ordre agricole. En effet, lorsque les
terres s'épuisent et ne donnent plus que des récoltes très maigres, la
meilleure solution est de déplacer le village. Le plus souvent, on ne
s'éloigne guère de l'emplacement primitif, si bien qu'il n'est pas impos¬
sible qu'un village revienne sur son ancien site au bout de nombreuses
années. Partout, en région forestière comme en région de savane, on
trouve de nombreux emplacements de villages abandonnés, reconnais-
sables souvent à la présence d'arbres fruitiers (palmiers, manguiers,
safoutiers, etc. . .) ou d'une petite forêt anthropique. Les plus anciens
mouvements de villages, notamment ceux qui se firent pendant la
colonisation, eurent deux causes fondamentales : ou bien des villages
ont été déplacés par l'Administration coloniale pour être ramenés sur
les routes, ou bien ils ont été décimés par des épidémies, particulière¬
ment de malaria et de maladie du sommeil surtout.
Quant à la périodicité des déplacements, il est difficile de dire
exactement après combien d'années un village est abandonné. Elle est
variable et tout dépend de l'importance des mobiles. Un village peut
être abandonné après dix ans d'existence et même davantage, parfois
moins. Quant aux hameaux, leur instabilité est telle qu'ils caractérisent
un type d'habitat éphémère, cela pour des raisons parfois complexes.
Un autre élément intéressant à noter est l'amplitude de tous ces
déplacements. Dans tous les cas, celle-ci est très faible, au point que
l'on peut être amené à parler d'une mobilité dans l'immobilité. En
fait, la distance entre l'ancien village et le nouvel emplacement varie
généralement de la centaine de mètres à un kilomètre. Le village de
Sanfil par exemple, dans le district de Souanké, ne s'est déplacé que
de quelque 300 m. Golmélène et ses hameaux ne sont jamais sortis
de leur aire depuis plus d'un demi-siècle, les déplacements s'effectuant
toujours dans un rayon de moins de 5 km. Les déplacements successifs
du village de N'Zabi, dans le district de Mouyondzi, se sont faits dans
un rayon de 2 km environ. Le village de Lébiha, dans le district de
Mayoko, s'est déplacé 4 fois dans un rayon d'environ 5 km avant
d'occuper le site actuel. Les exemples peuvent être multipliés.
Comment expliquer alors cette faiblesse de l'amplitude ? En tout
état de cause la permanence de l'habitat dans certaines zones et la fai¬
blesse de l'amplitude des déplacements dans d'autres s'expliquent
aisément. Dans la Sangha par exemple, la culture du cacaoyer.plan-
te pérenne, est actuellement un élément fixateur de l'habitat : les
78 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

gens n'entendent pas abandonner leurs plantations, car en créer de


nouvelles et attendre leur maturité exige une longue période de dur
labeur. Dans les régions où l'habitat rural s'est modifié fondamentale¬
ment par l'usage de la tôle et de la brique (brique cuite, brique par¬
paing), le village est devenu quasi-permanent. De plus, il faut ajouter à
cela des motifs d'ordre sociologique. En effet, partout les paysans
restent encore attachés à leur terre. Cette terre qui les a vus naître et
qui porte leurs cultures, leurs maisons, les tombes des grands-parents,
est considérée comme un legs, un héritage des ancêtres. Dans certaines
régions (dans le sud du pays par exemple), le respect pour le mort
(la croyance aux mânes) est tel que la plupart des tombes sont sous
abri, et le cimetière du village ressemble parfois à un hameau (au bout
du village). Il est évident qu'ici les habitants du village sont liés non
seulement à la terre, mais aussi aux ancêtres considérés comme toujours
vivants, responsables de l'ordre ou du désordre de l'univers, selon qu'ils
ont été vénérés ou offensés.

II. — La maison rurale : élément du milieu physique et social

La maison rurale est construite à des fins diverses, agricoles et non


agricoles. Elle s'intègre entièrement dans le milieu. De façon générale,
la maison est à la fois un produit du milieu naturel, de la société et de la
civilisation, c'est-à-dire un fait culturel.
Les milieux humains et physiques étant différents d'une région
à l'autre, la case présente quelques variations d'aspect.

1 . La maison rurale, un produit du milieu naturel


La maison rurale, au Congo comme ailleurs, se caractérise avant
tout par la diversité des matériaux utilisés dans sa construction. La plus
grande partie de ces matériaux est choisie sur place ; ils sont donc un
produit de la nature, du milieu environnant. D'autres, du fait du moder¬
nisme, sont plutôt étrangers au monde rural et fournis par la ville.
Dans la présente étude, seule la première catégorie nous intéressera.
Les principaux matériaux tirés du milieu environnant sont les suivants :
- en zone de savane : bois ou abrisseau, paille, liane en zone de forêt :
bois, écorce, feuille, liane, tronc de palmier-raphia, feuille de palmier-
raphia ; dans la région côtière (Pointe-Noire), le papyrus est un matériau
supplémentaire.
De plus en plus et partout, on utilise la brique (brique cuite et
brique crue, ou brique adobe). L'apport extérieur concerne essentielle¬
ment la tôle et le ciment (pour la brique-parpaing). La fréquence
d'utilisation de chaque matériau dépend du milieu, humain et physique.
L'HABITAT RURAL AU CONGO 79

En zone forestière par exemple, le bois est le plus utilisé, aussi


bien pour les poteaux que pour la charpente. La liane, bien qu'utilisée
aussi pour la charpente et même pour le clayonnage des murs, sert
beaucoup plus pour l'assemblage. Du palmier-raphia on tire deux
matériaux : le tronc, qui sert tant dans le clayonnage des murs (le tronc
est fendu en lattes utilisées comme traverses) que dans la charpente, et
les feuilles, qui sont employées telles quelles ou surtout tressées (les
«tuiles de bambou») pour recouvrir la toiture.
En zone de savane, la paille est le matériau de base ; elle est
utilisée à la fois pour le toit et pour confectionner le mur. Le bois ici
est utilisé dans une proportion très faible. Le palmier-raphia (tronc
ou feuilles tressées) est presque inconnu. Dans certaines régions, on
utilise plutôt la feuille d'une plante, Thauma to coccus danielli, pour le
toit.

Comment se présente alors la case ? Quel est son aspect d'ensem¬


ble? En zone de savane, les murs sont en torchis (mélange de boue et
de paille ou de feuilles de palmier) et le toit est recouvert de paille ou
parfois de tuiles végétales. En pays Batéké, au nord de Brazzaville par
exemple, certaines cases sont entièrement en paille ; les murs sont
faits d'éléments démontables (paille tressée en plaques). En région
forestière, les murs sont généralement en pisé (boue appliquée sur des
lattes assemblées en clayonnage) et le toit est recouvert de tuiles de
bambou. Mais dans certaines zones du sud du pays (Mayombe, Niari
forestier) les murs des maisons sont en planches éclatées. Ailleurs, le
toit est recouvert de feuilles d'une espèce de palmier-raphia bien agen¬
cées (dzua dans le Pool, au nord de Kinkala ; mo 'on dans les villages
d'Akombo et Ontchouono, dans le district de Kellé ; sessé dans le
village de Motaba, au nord de Dongou ; les Bembé de savane utilisent
le «matsouangui » que les Téké-Laalé appellent «manga »).
Tout ceci est l'aspect traditionnel, qui disparaît de plus en plus. En
effet, dans bien des régions actuellement, les murs des maisons sont de
plus en plus en briques cuites (dans le district de Mouyondzi par exem¬
ple) et en briques crues. Mais le toit est toujours recouvert de paille ou
de tuiles végétales ; la tôle, dont l'usage s'est généralisé dans le sud du
pays, est un signe de relative aisance matérielle en milieu rural (tableau I).
Ainsi, la maison rurale est entièrement un produit du milieu
physique, bien que l'usage de la tôle soit devenu courant dans de nom¬
breuses régions.
80 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Toit Feuilles de Proportion


Tôle Paille matsouangui Total (pour 100)
Murs

Briques cuites 62 6 11 79 38,7

Briques crues 3 1 - 4 2

Paille - 4 3 7 3,4
i

Paille + palmier
raphia — 21 6 27 13,2

Pisé à l'inté¬
rieur + bambou - 2 — 2 1
à l'extérieur

Pisé à l'exté¬
rieur + bambou — 1 3 4 2
à l'intérieur

Entièrement
en pisé 34 14 48 23,5

Planches éclatées 2 5 5 12 5,9

Torchis 1 10 6 17 8,3

Feuilles de
matsouangui — 2 2 4 2

TOTAL 68 86 50 204 100

Pourcentage 33,3 42,2 24,5 — 100

Tableau I .—La proportion des matériaux utilisés à Soulou


(27 km de Mouyondzi)
L'HABITAT RURAL AU CONGO 81

Toit Tuiles de Proportion


Tôle bambou Total (pour 100)
Murs

Pisé - 15 15 31,2

Briques crues 3 — 3 6,2

.
Planches éclatées — 38 8 16,7

Feuilles de "manga"
+ bambou — 21 21 43,8

Feuilles de Thaumatococcus — 1 1 2,1

TOTAL 3 45 48 100

Pourcentage 6,2 93,8 - 100

Tableau II. — La proportion des matériaux utilisés à Tsiaki III


(Noyaux 1 et 3) dans le PCA de Tsiaki

Il s'agit ici d'un village de forêt. Les toits sont en tuiles de bambou
(tableau II).
Pour les 291 cases dénombrées dans les villages (Soulou, Tsiaki III,
Kinangui), les matériaux utilisés pour le toit se présentent dans les pro¬
portions suivantes : (tableaux III )

Matériaux Nombre de cases Proportion (pour 1 00)

Paille 88 30,2
Tôle 81 27,8
"Matsouangui" 63 21,7
Tuiles de Bambou 47 16,2
"Mangoungo" 12 4,1

TOTAL 291 100

Tableau III. — La proportion des matériaux utilisés pour le toit


82 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Matériaux Nombres de cases Proportion (pour 1 00)

Pisé + torchis 89 30,6

Briques cuites 87 29,9

Briques adobe 7 2,4

Planches éclatées 48 16,5

Végétaux divers 60 20,6

TOTAL 291 100

Tableau IV. — La proportion des matériaux utilisés pour les murs

L'utilisation de tel matériau plutôt que de tel autre relève aussi


bien de ce que peut fournir le milieu naturel que de la société
(tableau IV). Pour des milieux physiques identiques, les populations
n'utilisent pas toujours les mêmes matériaux. Dans le nord du pays,
entièrement couvert par la forêt dense, l'usage de la planche éclatée
est inconnu ; alors que dans le Mayombe et dans le Niari forestier, ce
matériau est d'usage assez courant . Dans le district de Mouyondzi ou
dans la région de la Bouenza en général, les cases sont presque toutes
en briques cuites dans la majorité des villages, alors qu'ailleurs, notam¬
ment dans le nord, la brique cuite est totalement inconnue. A Makoua,
c'est plutôt la brique crue qui est utilisée .

2. Le plan, la forme et la taille de la maison


Le plan et la forme de la maison constituent le fait culturel le
plus expressif.
Il existe deux types de plans :1e plan rectangulaire et le plan carré.
Mais le rectangle domine partout. Le carré convient surtout aux cases
de petite taille que l'on rencontre particulièrement sur les plateaux
Batéké.

La taille de la maison est variable. Quatre facteurs essentiels sem¬


blent l'influencer : la taille de la famille, les capacités financières du
constructeur à acheter certains matériaux, sa capacité physique à tirer
de la forêt par exemple une quantité suffisante de matériaux (poteaux,
troncs et feuilles de palmier-raphia, planches éclatées), la nature des
matériaux. A cela s'ajoute l'aspect culturel. S'agissant par exemple de
la nature des matériaux, il est évident que la paille et les arbrisseaux
L'HABITAT RURAL AU CONGO 83

utilisés en zone de savane, par rapport aux autres matériaux, notamment


le bois, la liane et le bambou, sont loin de permettre la construction de
grandes maisons. L'existence donc des cases de petite taille semble liée
beaucoup plus à la nature des matériaux qu'à la structure sociale.
Le toit peut se présenter sous trois formes différentes : le toit
cônique, le toit à deux versants (pans ou pentes) symétriques ; le toit
à 4 pentes (2 correspondant aux pignons, 2 correspondant aux façades).
Selon les villages et même les régions (pourquoi pas l'individu ?) l'une
ou l'autre forme peut primer. Dans la Sangha, les toits des cases-cuisines
sont souvent à 2 pentes, et ceux des maisons des hommes à 4 pentes.
Le toit de forme cônique, très rare, recouvre généralement des cases
carrées de très petite taille.
La hauteur de la case est variable, et elle dépend surtout de la
hauteur de la poutre faîtière et des murs ; ces derniers dépassent rare¬
ment 2 m pour atteindre 2,50 m. Sur les plateaux Batéké par exemple,
le mur n'atteint pas cette hauteur, à peine 1,50 m ; par conséquent, les
cases sont petites.
Le plan, la forme de la toiture, la hauteur des murs, la nature des
matériaux utilisés, tout cela donne une certaine forme générale à la
maison rurale. Il est évident que les grandes cases sont de forme massive.
La case Mondjombo par exemple, dans le PCA de Bétou, est très massi¬
ve, cela s'explique. D'abord, le mur atteint à peine 1,50 m ou 2 m,
ensuite la faîtière n'est pas longue, par rapport à la longueur totale de
la case ; les deux versants du toit correspondant aux pignons ne se
distinguent pas nettement ; si bien que vu de loin, le toit paraît coni¬
que, débordant largement les murs qui paraissent alors très bas.
L'habitation Pygmée est une hutte faite entièrement de feuilles
et de branchages. De forme hémisphérique, elle atteint à peine 1,50 m
et la porte est très basse.
Bien que vivant dans un même milieu physique, la forêt dense,
Pygmées et Bantou n'ont pas adopté le même type d'habitat, ou la
même habitation. Celle-ci est certes entièrement un produit de la forêt.
Mais les différences fondamentales qu'elle présente, aussi bien dans la
forme, le plan, que dans l'aspect général, sont plutôt liées aux différen¬
ces de civilisation des deux peuples. La hutte Pygmée est un bel exem¬
ple de l'influence de la culture.
La case N'Gangoulou traditionnelle, aux environs de Gamboma,
est faite entièrement de végétaux. C'est une longue case dont les murs
sont en nervures de tronc du palmier-raphia tressées en nattes, le toit
en tuiles végétales. Elle comporte généralement une véranda à l'un des
pignons, deux pièces dont l'une fait fonction de cuisine et de salle de
séjour, l'autre étant la chambre à coucher. La hauteur du faîte
84 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

n'excède pas 2,50 - 3 m et les murs sont bas, lm à 1,50 m. Cette case
est très différente de la case Mondjombo décrite plus haut. Cette
dernière, très massive, très haute, ne ressemble en rien à la case
Bakouélé traditionnelle, bien que les matériaux utilisés soient les
mêmes. La case Bakouélé est moins haute ; la poutre faîtière excède
rarement 3,50 m et les murs sont hauts d'environ 2 m ; c'est une
case rectangulaire dont le toit comporte 2 ou 4 pentes.
Bien que faite partout de matériaux tirés de la forêt ou de la
savane, la maison rurale présente de nombreux aspects (aussi bien
dans le plan, la forme, que dans l'allure générale) souvent liés à la
société en place et au revenu.

3 .Les types de maisons et leurs fonctions respectives


La maison rurale est adaptée au mode de vie des populations et
elle est liée de fait à la fonction agricole.
D'une manière ou d'une autre, il existe trois types d'habitations :
la maison dite des hommes, la case-cuisine des femmes, et la case à pala¬
bres.

1) La maison des hommes. De toutes les constructions, c'est la


plus confortable. Elle est présente un peu partout. Les murs sont en
briques cuites ou crues, en poto-poto, selon les régions ; le toit est en
paille, en tuile ou en tôles. Les murs sont parfois blanchis à la chaux,
portant des motifs décoratifs (dessins représentant des hommes, des
animaux, des poissons ou des végétaux) ; les ouvertures sont parfois
larges, fermées par de bons volets. Le plancher est en terre battue ; le
plafond, lorsqu'il existe, est fait de nattes ou de bambou. L'intérieur
est compartimenté en chambres dont le nombre varie entre 1 et 4 ; le
contenu
chacun. est plus ou moins moderne, selon les possibilités financières de

2) La case-cuisine. C'est à proprement parler l'habitation des


femmes ; c'est là qu'évolue la femme et c'est là que se déroulent
tous les travaux ménagers. Dans les régions où cette case est inexistan¬
te, la cuisine est faite dehors ou sous la véranda de la case principale,
ou alors il y a une construction de fortune, très sommaire. Dans la
Sangha par exemple, cette case-cuisine est très confortable et elle a des
fonctions multiples ; elle sert de cuisine : là s'effectuent tous les travaux
du ménage, se trouvent la vaisselle, les cuvettes et les dames-jeannes
d'eau, etc .....; elle sert de magasin : c'est là qu'est conservée toute la
récolte (dans un grenier) ; elle est aussi un entrepôt où sont gardés tous
les outils de travail agricole, de chasse et de pêche, divers objets, le bois
de chauffage ; dans la plupart des cas, elle sert d'abri pour la volaille
(qui passe la nuit sous les lits ou dans une encoignure) ; en cas de force
L'HABITAT RURAL AU CONGO 85

majeure, elle peut servir de dortoir et c'est pourquoi elle contient par¬
fois des lits.
Au total, la case-cuisine est la maison rurale typique, répondant
aux multiples besoins du paysan et adaptée à son mode de vie.
3) La case à palabres. C'est une construction souvent très sommai¬
re. Elle est faite de quelques poteaux (deux plus longs pour le pignon)
soutenant un toit recouvert de tuiles de palmier-raphia ou de paille
selon les régions. Certaines cases à palabres sont très confortables, bien
aménagées : les murs sont alors en pisé, à mi-hauteur ; d'autres sont
hermétiquement closes, et seules quelques meurtrières permettent de
voir à l'extérieur. C'est dans la case à palabres que tous les hommes se
retrouvent, surtout le soir, pour discuter, prendre le repas en commun,
régler les problèmes, etc...
Nous venons de voir qu'il existe trois types d'habitations en
milieu rural. Mais tous les trois peuvent ne pas exister dans une région,
dans un village où au sein d'un groupe ethnique. La case à palabres
par exemple est inconnue dans la Likouala, chez les Mondjombo ; les
gens discutent dehors, à l'ombre des arbres fruitiers, sous la véranda ou
dans les maisons. Il est évident que l'absence de la case à palabres dans
certains villages peut être liée à la structure sociale (chez les Mondjom¬
bo) qui impose un certain individualisme. A Soul ou par exemple, dans
le district de Mouyondzi, il a existé des cases à palabres jusqu'à une
date très récente ; mais elles ont été abandonnées à cause des querelles
et des bagarres trop fréquentes, conséquences d'un brassage permanent
d'individus sous un même toit ; depuis, la vie de groupe a fait place à
l'individualisme et les gens ne se retrouvent que quand il s'agit de
régler un problème ou à l'occasion d'un événement quelconque.
Ailleurs, l'existence de la case à palabres (même si elle ne rassemble le
plusviesouvent
de communautaire.
que les éléments d'une même famille) est un bel exemple

L'habitat rural, au Congo comme ailleurs, est un reflet du milieu


physique, culturel et économique. Ainsi, la maison traditionnelle est
construite avec des matériaux tirés essentiellement de la forêt (le bois)
ou de la savane (la paille). Les nombreuses différences qu'elle présente
relèvent bien souvent de la tradition de chaque groupe ethnique, et
aussi du degré de pénétration d'une zone par l'économie monétaire.
Dans un même milieu physique, les mêmes matériaux ne sont pas
toujours utilisés de façon identique : Bantou et Pygmées de la forêt
n'ont pas fait du bois le même usage ; si la planche éclatée est d'usage
courant dans le Niari forestier ou dans le Mayombe, elle est inconnue
dans les régions forestières du nord du pays.
86 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Le village Batéké est caractéristique ; il est situé généralement


à l'écart de la route à laquelle il est relié par une piste d'accès ; mais le
village M'Bochi lui ressemble par la présence, à l'une des extrémités ,
de la case du Chef. Le village Bakouélé, avec ses constructions - cases à
palabres, séchoirs - autobus, parfois poulaillers et enclos - présente un
aspect particulier, notamment avec l'existence des cacaoyers derrière
les habitations. Le village, dans la Bouenza, frappe le visiteur par la
couleur rouge des briques cuites.
Mais il est intéressant de noter aussi que l'habitat actuel ne ressem¬
ble plus à celui d'antan, aussi bien dans sa morphologie que dans sa
structure sociale. S 'agissant du second aspect, l'homogénéité clanique
du village a fait place depuis fort longtemps au brassage. Sur le plan
de la morphologie, le village et la case se sont transformés, grâce au
jeu de plusieurs facteurs extérieurs au monde rural traditionnel.
Les villages-rue sont nés avec la construction des routes par
l'Administration coloniale. L'aspect de verger que présente le village
actuel résulte de l'introduction des arbres fruitiers, manguiers, avoca¬
tiers, papayers, orangers, mandariniers, etc... La présence des fours
à briques ou à pain dans certains villages du sud du pays et des séchoirs-
autobus dans les villages cacaoyers de la Sangha est un fait récent.
La transformation de la case a été profonde, aussi bien dans la
forme, la nature des matériaux, que du point de vue fonctionnel.
En effet, si jusqu'à ce jour les végétaux occupent encore une
place importante dans la construction, il n'en demeure pas moins que
la case actuelle est une case «moderne». Certes, les matériaux, excepté
le ciment et la tôle, sont trouvés sur place ; mais les techniques de trans¬
formation et de modelage ont été apportées de l'extérieur (utilisation
de la planche éclatée, fabrication de la brique cuite ou crue à partir
de la terre prise sur place, usage du pisé, etc. . .).
Sur le plan fonctionnel, il existe actuellement deux constructions
principales dans le village : la case-cuisine (pour les travaux ménagers)
et la maison des hommes qui est un dortoir, comportant des chambres,
alors que la case rurale d'antan remplissait toutes les fonctions.
Enfin, le contenu mobilier de la maison s'est beaucoup transfor¬
mé et modernisé : table, chaises, fauteuils parfois. Certains équipements
tels que machines à coudre, fusils, bicyclettes, tourne-disques, etc...
caractérisent aussi cet aspect moderne de l'habitat rural ; ceci résulte
de l'introduction de l'économie monétaire en milieu rural.

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