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AUTORITES INTERIMAIRES : LE STATUT

AUTONOME DE L’AZAWAD SE MET EN PLACE


  
En décrétant la mise en œuvre de l’Entente du 19 juin 2016, le
retentissant Conseil des ministres extraordinaire du vendredi 14
octobre dernier marque, incontestablement, un grand pas en avant
vers la partition du Mali, d’autant qu’il y a, indéniablement, « une
connivence manifeste entre l’Entente et le statut particulier des
régions du Nord qu’elle consacre de facto ».

Telle est la conviction du Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours à Université des


Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (Usjp), pour qui « l’Entente met en
place un nouveau cadre juridique et institutionnel dans les régions du Nord dont
chacun perçoit clairement qu’il n’aura rien de temporaire ou provisoire ». Ce hold-up
juridico-institutionnel étant consommé, Dr Fomba annonce que le statut autonome de
l’Azawad se met en place. Et, il le démontre !

Juridiquement parlant, cela ressemble fort à du grand n’importe au Mali avec un


gouvernement qui, décidément, se moque éperdument de la Constitution et des lois
de la République. Jamais auparavant, un Exécutif de l’ère démocratique n’avait
autant piétiné l’obligation l’article 37 de la Constitution relatif au serment que le
Président de la République prête avant d'entrer en fonction : « Je jure devant Dieu et
le peuple malien de …… de respecter et de faire respecter la Constitution et la Loi,
…… de garantir l'unité nationale, l'indépendance de la patrie et l'intégrité du territoire
national... ». 

Eu égard à cette obligation constitutionnelle, les décrets de mise en œuvre de


l’Entente du 19 juin 2016 adoptés par le Conseil des ministres extraordinaire du
vendredi 14 octobre 2016 ne représentent qu’une imposture juridique de plus,
s’ajoutant à la liste déjà trop longue des actes de piétinement de la Constitution et
des lois de la République par le gouvernement actuel ; actes que la crise traversée
actuellement par le pays ne saurait aucunement justifier.
 
Il s’agit de décrets relatifs à la nomination des membres des autorités intérimaires
des régions de Tombouctou, Gao et Kidal, du Collège transitoire des régions de
Taoudénit et de Ménaka ainsi que des conseillers spéciaux auprès du représentant
de l’Etat dans les régions de Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka.

Se référant à l’Accord d’Alger qui prévoit la mise en place d’autorités chargées de


l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période
intérimaire, le gouvernement précise dans le communiqué du Conseil des ministres
que c’est dans ce cadre que le Code des collectivités territoriales a été modifié par la
Loi n°2016-013 du 10 mai 2016, suivie du Décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016
qui détermine les modalités de mise en place des autorités intérimaires.

Naturellement comme à son habitude, le gouvernement, décidément rompu dans


l’art de la dissimulation, n’a évoqué l’Entente que par rapport aux fameux collèges
transitoires et conseillers spéciaux auprès des représentants de l’Etat dans la
Région, comme si l’Entente n’empiétait pas également sur les domaines de la loi
n°2016-013 et du décret n°2016-0332/P-RM.

Evidemment, ce discours ne relève que de la propagande officielle dont on est si


habitué, pour ne pas dire de la pure mystification. Il est d’autant plus choquant que
c’est ce même gouvernement qui, contre toute attente, a substitué à la Loi n°2016-
013 du 10 mai 2016 et au Décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016, l’Entente sur la
mise en place des autorités intérimaires signée avec la Plateforme et la CMA le 19
juin 2016.

Du jamais vu dans un Etat républicain ! 

En aucune façon, les deux décrets ne peuvent se justifier en se référant à la fois à la


Constitution, à l’Accord d’Alger, à la Loi n°2016-013 du 10 mai 2016 portant
modification du Code des collectivités territoriales, au Décret n°2016-0332/P-RM du
18 mai 2016 et à l’Entente signée le 19 juin 2016. Il existe entre ces textes, tellement
d’incohérences et de contradictions flagrantes qu’un tel exercice acrobatique ne peut
relever que de l’imposture juridique.
LES DECRETS DU 14 OCTOBRE 2016 SONT LA NEGATION DE LA LOI N°2016-
013 DU 10 MAI 2016 ET DU DECRET N°2016-0332/P-RM DU 18 MAI 2016

La Loi n°2016-013 du 10 mai 2016 portant modification du Code des Collectivités


Territoriales avait institué à la place des Délégations Spéciales, des Autorités
intérimaires en vue de gérer provisoirement -le temps de l’organisation de nouvelles
élections-les collectivités territoriales en cas de dissolution de leurs conseils, de
démission de tous leurs membres, d’annulation définitive de l’élection de tous leurs
membres, d’impossibilité de les constituer ou en cas de non fonctionnalité.
Cette loi avait été complétée par le Décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016 fixant
les modalités de mise en place des autorités intérimaires dans les collectivités
territoriales.

Les projets de décret adoptés au Conseil des ministres du 14 octobre 2016 n’ont
absolument rien à voir ni avec la Loi n°2016-013 du 10 mai 2016 portant modification
du Code des collectivités territoriales, ni avec son décret d’application. Il ne s’agit en
réalité de décrets d’application de l’Entente du gouvernement avec la Plateforme et
la CMA. Une simple comparaison suffit largement à l’attester, rien qu’en se fondant
seulement sur les trois points qui suivant.
 
Les raisons pouvant motiver la mise en place d’une autorité intérimaire : Selon
la loi, la mise en place des autorités intérimaires est soumise à certaines conditions
qui doivent être préalablement remplies. L’Entente au contraire institue d’office les
autorités intérimaires. Par ailleurs selon la loi, les autorités intérimaires peuvent être
instituées partout sur le territoire national alors que l’Entente ne prévoit les autorités
intérimaires que pour les cinq régions du Nord (Gao, Tombouctou, Kidal, Taoudénit
et Menaka).

La constatation de l’impossibilité de constitution d’un conseil ou de sa non


fonctionnalité : Aux termes de la loi et du décret, la procédure d’instruction de la
constatation de l’impossibilité de constitution ou de la non fonctionnalité d’un conseil
est fonction de son statut communal, de cercle ou régional. Cette procédure implique
le Gouverneur en ce qui concerne le Conseil communal et le Conseil de cercle et le
ministre chargé des Collectivités Territoriales s’agissant du Conseil régional. 
Quant à l’Entente, elle ne prévoit aucune formalité de constatation d’impossibilité de
constitution ou de non fonctionnalité ni pour le Conseil de cercle ni pour le Conseil
régional. En revanche en ce qui concerne le Conseil communal, elle ne retient que la
seule hypothèse de la non fonctionnalité dont le constat relève du Gouvernement, de
la Plateforme et de la CMA.

La désignation des membres des autorités intérimaires : Contrairement à la loi et au


décret aux termes desquels les membres des autorités intérimaires des Communes
et des Conseils de cercle sont désignés par le ministre en charge des Collectivités
Territoriales et ceux des Conseils régionaux par décret pris en Conseil des ministres,
l’Entente prévoit au contraire un mode de désignation consensuelle des membres
par le Gouvernement, la Plateforme et la CMA. S’agissant de la désignation des
autorités intérimaires, l’Entente ne prévoit guère au point de vue formel, la
nomination par un quelconque décret comme c’est le cas pour les Conseillers
spéciaux où elle précise qu’ils sont « nommés par le gouvernement ».

L’Entente insiste plutôt sur « la désignation de façon consensuelle par le


gouvernement, la Plateforme et la Coordination ». Ce qui paraît tout à fait logique,
étant donné que l’Entente est un corps étranger dans l’ordonnancement juridique
national.
C’est pourquoi, il est anachronique de gérer les autorités intérimaires en étant assis
comme le gouvernement sur plusieurs « chaises » juridiques. 

Alors qu’il a choisi de s’en remettre à l’Entente qu’il applique en contradiction


évidente avec la loi n°2016-013 du 10 mai 2016 et le décret n°2016-0332/P-RM du
18 mai 2016, il n’est pas gêné de papillonner, de sautiller comme un cabri, entre ces
textes au gré de ses desseins.

Par ailleurs si l’Entente, la loi et le décret prévoient de les choisir parmi les agents
des services déconcentrés de l’Etat, la société civile et les conseillers sortants, il
existe une spécificité en ce qui concerne l’Entente qui, contrairement à la loi et
décret, n’exclut pas de manière expresse les conseillers sortants des conseils
dissout ou démissionnaires.
Les compétences des autorités intérimaires : Alors que dans la loi, les compétences
des autorités intérimaires ne vont pas au-delà et sont même ne deçà de celles
qu’exercent habituellement les organes statutaires élus, l’Entente attribue toute une
gamme de compétences nouvelles de portée significative aux autorités intérimaires.

En application de la loi n°2016-013 du 10 mai 2016, les modalités de mise en place


des autorités intérimaires sont déterminées par le décret n°2016-0332/P-RM du 18
mai 2016. Il est vrai que ce décret, désormais désuet de façon prématurée, n’a
jamais été un modèle de légalité. Il s’agit d’un décret dont la nature imposait une
délibération en Conseil des ministres qui, de toute évidence, ne semble jamais avoir
lieu.
On ne retrouve pas sa trace dans les Communiqués officiels habituels des sessions
du Conseil des ministres. Il est comme tombé du ciel pour fixer-en catimini- les
modalités de mise en œuvre des autorités intérimaires dans les collectivités
territoriales. Il se permet de mentionner de manière ostensible dans ses visas
l’Accord d’Alger qu’aucun acte juridique de niveau supérieur n’a jusque-là
valablement intégré dans l’ordonnancement juridique national du Mali.

L’on sait parfaitement que l’Accord d’Alger, par rapport notamment à ses dispositions
contraires à la Constitution du Mali comme celles relatives aux autorités intérimaires
qu’elle prévoit uniquement pour les régions du Nord, n’est pas reconnu par
l’ordonnancement juridique national du Mali.

Même l’Arrêt n°2016-05/CC du 5 mai 2016 de la Cour constitutionnelle n’a pas osé
directement franchir ce pas, comme on peut le constater à travers l’énumération
pléthorique de la vingtaine de textes juridiques et autres documents qu’elle vise où il
n’y a aucune référence à l’Accord d’Alger.

En tout état de cause, le décret n°2016-0332/P-RM du 18 mai 2016 a été jeté à la


poubelle par le gouvernement, au même titre que la loi n°2016-013 du 10 mai 2016.
L’Entente est passée par là !
« ENTENTE » SUR LE STATUT PARTICULIER AUTONOME DU NORD

Il y a une connivence manifeste entre l’Entente et le statut particulier des régions du


Nord qu’elle consacre de facto. L’Entente a été un acte irrégulier de substitution aux
autorités constitutionnelles et légales compétentes, d’autorités de fait constitués
notamment de deux groupes armés qui défient la République. Cette dérive qui
caractérise l’Entente a ainsi eu comme conséquence la mise en échec de la loi
n°2016-013 du 10 mai 2016 sur les autorités intérimaires ainsi que du décret n°2016-
0332/P-RM du 18 mai 2016 fixant ses modalités d’application en vue de l’instauration
d’un statut dérogatoire au profit des seules régions du Nord.

Ce recours anticonstitutionnel à une législation parallèle pour les régions du Nord qui
est dérogatoire au droit commun est organisé par une sorte de parlement de facto
constitué du Gouvernement, de la CMA et de la Plateforme, engagé dans un vaste
programme de modification-tripatouillage de la législation nationale du Mali, portant
notamment sur le Code des collectivités territoriales, la Loi sur la libre administration
des collectivités territoriales et la Loi portant principes fondamentaux de
l’organisation administrative du territoire. 

L’Entente met en place un nouveau cadre juridique et institutionnel dans les régions
du Nord dont chacun perçoit clairement qu’il n’aura rien de temporaire ou provisoire.
Ce hold-up juridico-institutionnel étant consommé, le statut autonome de l’Azawad se
met en place.

Le tripatouillage juridique permet à des autorités de fait (CMA et Plateforme),


irrégulièrement hissées au même niveau que l’autorité légitime du gouvernement
dans une cogestion de l’Etat qui ne dit pas son nom, de désigner de façon
consensuelle les membres des autorités intérimaires.

Il attribue des compétences illégales aux autorités intérimaires comme la


participation à la révision des listes électorales et à la préparation et l’organisation
des opérations électorales et référendaires. Dans les circonscriptions
administratives, le tripatouillage invente de toute pièce des postes de « conseillers
spéciaux » de la Plateforme et de la CMA auprès des représentants de l’Etat dans
les Régions, Cercles et Arrondissements, à raison de deux auprès du Gouverneur et
d’un auprès du Préfet et du Sous-préfet. Le projet adopté au Conseil des ministres
du 14 octobre 2016 vient de le matérialiser.

Ces « conseillers spéciaux » doivent entre autres participer à la préparation et à


l’organisation des élections. Le tripatouillage va plus loin et plus fort : il instaure une
nouvelle forme de tutelle se traduisant par le caractère exécutoire des délibérations
des autorités intérimaires dès leur publication et leur transmission aux représentant
de l’Etat qui ne peuvent exercer à l’égard des actes administratifs des collectivités
territoriales du Nord qu’un contrôle de légalité a posteriori. 

On n’arrêtera pas de le souligner : la Constitution du Mali en l’état (sauf révision


éventuelle) qui ne reconnaît pas de statut autonome ou particulier, s’oppose à
l’aménagement de tout dispositif institutionnel ou juridique spécifique même
transitoire sur une partie du territoire national y compris dans les régions du Nord.
Elle ne contient pas non plus de dispositions autorisant un partage de l’exercice de la
souveraineté, du pouvoir d’Etat, entre le gouvernement légitime de la République du
Mali et des autorités de fait que sont les groupes armés.

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako


(USJP)
Source: L'Aube

Les Voleurs et l'Âne.

Pour un Âne enlevé deux Voleurs se battaient : 


L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre. 
Tandis que coups de poing trottaient, 
Et que nos champions songeaient à se défendre, 
Arrive un troisième Larron 
Qui saisit Maître Aliboron.

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