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L'ALIÉNATION COMME CONCEPT SOCIOLOGIQUE

Author(s): Claude Lefort


Source: Cahiers Internationaux de Sociologie , Juillet-Décembre 1996, NOUVELLE SÉRIE,
Vol. 101, LES COMMENCEMENTS DES CAHIERS UNE ANTHOLOGIE (Juillet-Décembre
1996), pp. 195-214
Published by: Presses Universitaires de France

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40690686

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L'ALIÉNATION
COMME CONCEPT SOCIOLOGIQUE*
par Claude Lefort

A l'image d'un Marx positiviste répond celle d'un Marx


métaphysicien. Ainsi, après beaucoup d'autres, M. Bigo dans un
ouvrage récent1 déclarait que l'économie politique marxiste était
inintelligible si l'on n'en reconnaissait d'abord l'inspiration philo-
sophique. « La clé de l'économie politique marxiste se trouve
dans la philosophie marxiste », écrit notre auteur et il précise que
les idées sur la valeur, la monnaie, le capital dérivent de la « prise
de conscience d'une contradiction entre la réalité empirique et la
réalité humaine et naturelle »2. Cette prise de conscience origi-
naire, M. Bigo précise encore qu'elle est celle de l'aliénation
humaine : voici, dit-il, le « centre de perspective » du marxisme :
« l'idée d'aliénation domine toute cette économie politique »3.
Faut-il faire grief à Marx d'être philosophe ? M. Bigo s'en garde
qui semble militer pour un humanisme chrétien ; mais il est clair
que cette appréciation lui permet de ruiner au moins par-
tiellement la critique de la réalité apportée par le marxisme. Or
c'est cette tendance que nous repérons chaque fois que les préten-
dus postulats philosophiques de Marx sont mis en évidence.
L'introduction de MM. Landshut et Mayer à la Critique de la phi-
losophie de VEtat de Hegel offre à cet égard un caractère exem-

* Cahiers internationaux de sociologie, XVIII, 1955.


1. Bigo, Marxisme et humanisme, puf, 1953.
2. Id., p. 25.
3. Id., p. 27.

Cahiers internationaux de sociologie, Vol. 101 [195-214], 1996

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plaire1. Les œuvres de jeun


sur le même terrain que H
travers des aliénations suc
écrivent ces commentateu
communiste pourrait avoir
est l'histoire de l'aliénation
que chez Hegel l'itinérair
assuré que parce que la Ra
moments particuliers, chez
au plus profond que la réa
les deux systèmes, si différ
tion de l'aliénation, se retr
processus d'aliénation et un
réflexion sur le terme d'ali
ment à cette conclusion
l'homme dans son travail o
elle-même, si l'on ne possè
de l'homme ? Appliquée à
visible de l'histoire des id
remettre sur ses pieds. Pen
décrire d'abord les contradict
titre de phénomène essenti
montrer enfin pour le pro
reconquérir le produit et la
sa démarche est inverse : c'
taine relation de l'homme à
vité humaine, que le travail
comme aliéné, qu'il peut ét
lisation du travail et le m
dénoncer un déchirement fatal entre le travail mort et le travail
vivant, qu'il peut enfin juger la constitution politique, le droit, la
religion ou d'autres sphères d'activité comme de simples expres-
sions de l'aliénation. « Sans la notion du vrai être de l'homme, la
critique de la réalité existante doit donc rester inintelligible et
n'est qu'un reproche vide de sens, une querelle de mécontents. »3
Certes un marxisme « scientifique » peut bien mettre en évidence
des discordances dans le fonctionnement de la société : ces discor-
dances peuvent être même jugées aussi menaçantes qu'on voudra
pour l'avenir du système actuel. Mais on ne saurait en induire
une disqualification de la réalité ou plus simplement découvrir au

1. Œuvres philosophiques, t. IV, Costes éd.


2. Id., p. XLII.
3. Id., p. XLI.

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niveau de la simp
sociale en tant qu
solution.
Au moins pourrait-on penser que Marx a eu le mérite d'inau-
gurer une philosophie de la réalité. Son interprétation de la société
serait-elle dépendante de sa conception du monde, celle-ci aurait
l'avantage sur la philosophie hégélienne de penser l'homme dans
ses rapports avec le milieu social et naturel au lieu de construire une
dialectique de conscience. Mais c'est qu'on n'aurait pas compris
qu'avec l'idée d'aliénation - comme celle de vérité qui en est
rigoureusement solidaire - l'histoire se trouve déterminée absolu-
ment ; en sorte qu'on n'a pas une réflexion philosophique sur l'his-
toire mais une philosophie mise en forme d'histoire.
MM. Landshut et Mayer se sentent donc autorisés à écrire :
« Derrière toute cette construction monumentale de l'histoire
considérée comme l'aliénation sans cesse croissante de l'histoire de
l'homme, il y a la croyance idéaliste tout aussi monumentale que
c'est néanmoins l'œuvre de l'histoire d'établir la vérité de la vie
présente. »* Et, de fait, si l'on acceptait leur interprétation du phé-
nomène d'aliénation, on devrait leur accorder que le marxisme est
un idéalisme ; celui-ci, au plus profond, se définissant non comme
une théorie qui prétend expliquer le réel par les idées mais comme
volonté d'identifier complètement le réel et le rationnel. Interprété
en ce sens, le « prétendu réalisme » de Marx, par un curieux para-
doxe que signale M. Hyppolite comme nos commentateurs, vien-
drait alimenter un idéalisme beaucoup plus rigoureux que celui de
Hegel. « Le philosophe Hegel, nous disent ces derniers, n'était nul-
lement assez extravagant pour regarder comme rationnel ce que
Marx regardait comme la réalité. »2 Sans doute oublient-ils certaine
« déduction » du monarque héréditaire dans la philosophie du
Droit, qui va assez loin dans l'identification du rationnel et du réel.
M. Hyppolite note beaucoup plus profondément qu'il y a une
mystique logique dans la théorie hégélienne du droit et une mysti-
fication dans la transposition de cette logique sur le terrain de la
réalité empirique et reconnaît le bien-fondé de certaines critiques
de Marx3. Mais il aboutit à cette conclusion que si Hegel maintient
dans la réalité empirique les tensions que Marx veut abolir, s'il ne
veut les résoudre qu'en pensée, conservant ainsi le phénomène au
sein de l'idée, ni son idéalisme, ni son conservatisme politique ne
suffisent à nous l'expliquer. Après avoir connu la « tentation »

1. Id., p. XLIII.
2. Ibid.
ò. Cahiers internationaux de sociologie, vol. 11.

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d'une réconciliation effect


aurait tiré de sa réflexion
temps cette conclusion que
mais qu'elle ne peut être abso
délibérément à tirer de so
Devrions-nous donc noter c
prudence n'a pas de statut p
et que l'extravagance de
prendre l'histoire totalement
« la logique de la chose à la
pas moins en convenir que
radicale échoue radicalemen
qu'elle vise le réel en tant qu
Le langage algébrique de la
alors pas plus fidèle que le pr
Il reste, en dépit des regr
n'a pas écrit : toute l'histo
propre de l'homme. Il reste
par Marx avec des acceptio
demander s'il est juste de n
l'apparente à la pensée hégé
qu'on construit un Marx su
yeux fixés sur leur débat, qu
concepts. Au moins pourra
par lequel se constituent les t
l'autre une fonction oppo
l'aliénation dans la philosop
lectique du maître, de l'esclav
la Phénoménologie se présent
à un développement logiqu
quels l'homme cherche à la
problème qui est celui de sa
mort. C'est, pour reprendr
ler la vision pan-tragique
moment à la volonté de formalisation absolue. La réflexion sur la
dialectique marxiste n'est pas pour rien dans cette attention accor-
dée à certains textes de jeunesse de Hegel et à leur réalisme1. Le
paradoxe c'est qu'en revanche la réflexion sur Hegel ne se retourne
vers Marx que pour lui imposer le carcan de la logique idéaliste.
Existentiel, quand il est repéré chez Hegel, le thème de l'aliénation
ne serait chez Marx que l'illustration d'une distinction rigide entre

1. Les leçons de M. Kojève consacrées à Hegel portent en exergue une phrase


de Marx et, de fait, toute l'interprétation se développe sous le signe du marxisme.

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le vrai être de l'h


formes phénomén
authentique à venir
En fait il ne manq
nation de l'homme
continu d'extérior
corps social se trou
vives, et au terme d
tuer une réintégra
qui font paraître
A s'y arrêter cepen
marxisme : on ne p
le présenter comm
en vertu même de
société d'aliénation
sier l'Histoire ou la
buer des tâches, leu
d'une pensée aliéné
pensée bourgeoise
privée qu'elle est d'u
et historique. On
toute l'histoire pass
clair qu'une telle p
dépasser le niveau
Marx ne serait pas
de fait l' Introductio
la marche de l'hum
préface du Capita
naturelles, ce qui d
nité ou d'une sociét
conclusion que cell
tème, rappeler l'au
contenter d'interpr
métaphysique (idéa
puisse l'utiliser pou
rée ; c'est ne pas v
conscrit les conditions de la connaissance et de l'action et fait de la
révolution en même temps qu'une exigence une entreprise sans
garantie absolue. En fondant dans le réel la dialectique de l'aliéna-
tion, Marx aurait, dit-on, effectué l'identification complète du
rationnel et du réel qu'il reprochait à Hegel. C'est en ceci au
contraire qu'il peut rompre avec lui car si l'aliénation est réelle le
rationnel ne saurait être rétabli dans ses pleins droits par un tour de
prestidigitation hégélien : les conditions sociales présentes, le type

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de division du travail, sont


toute connaissance ; la scien
de l'aliénation : il n'y a plus
construire un Marx sur le m
le contenu positiviste de so
tout ses enfants), c'est qu'on
dans sa séparation de Hege
blème : quel sens radicalem
elle ou tend-elle à prendre
son cadre hégélien ? Dans
capitaliste, Marx ne donne-t-
logique qui devrait lui inte
métaphysique ?
Nous raisonnerons d'abor
nous n'emprunterons l'ana
Nuaires, peuple africain, a
M. Evans-Pritchard, a cons
choisissons délibérément une
pourvue d'une culture maté
ment dépendante du milieu
aurait quelque sens d'un poi
née. Les Nuaires sont un pe
vie entière se trouve centré
vage est l'activité la plus ap
rait être exactement estimé.
Nuaires ont pu vivre exclu
que cette activité était la pl
nées. Le certain est qu'à pré
des épidémies, ne saurait s
culture du millet apporte u
elle seule elle ne saurait non p
en raison de la pauvreté des
vité accessoire, assez importa
assurer la soudure entre
disette, ou même qu'elle fass
semaines des groupes dépou
culture comme la pêche ou
par les Nuaires. Bien qu'ils
plaisir à pêcher, et fassent de
ils méprisent les peuples qu
exemple, leurs voisins. En gé

1. The Nuer, Oxford University P

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L'aliénation 201

vie leur confère un


leur mentalité est
voit dans la culture
prééminence. Notr
des objets confect
cornes, de l'urine
courants et les plus
ornements de tou
pour sens de nous
elle nous révèle qu
lité des objets qu'i
qu'il connaît mani
plus que la machin
société nuaire ne sa
dividu une sorte d
toute démarche de
tement ou explicite
ficacité et garanti
Pritchard, l'entreti
sociale. L'alterna
implique la transh
ment fréquent de
villages, construis
dresser un camp a
reviennent à leur
détermine tous les
lement source de r
seur son rang, son
ment raison du no
que des critères e
droits du chef de f
de ses fils, au mom
strictement déterm
exogamiques, impl
bétail dont bénéfici
que les liens de par
en référence aux b
chard, qu'une géné
d'un kraal2. Mais
pedigree et de l'hi

1. Id., p. 28.
2. Id., p. 18.

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les Kens de parenté et de d


fait, les hommes connaissen
leur troupeau et de celles d
leur progéniture ; certains d
qu'à cinq générations. On n
Marx, que le système des re
système de dépendance anim
duits en obligations et celles-
simulation de l'homme sous la bête se révèle au mieux d'ailleurs
dans l'usage de porter le nom de son bœuf ou de sa vache favoris.
Il suffit de se souvenir des remarques profondes de Mauss sur le
rôle du nom comme du masque dans la socialisation de l'individu
pour comprendre que le Nuaire se constitue comme membre de
son clan en empruntant le nom d'un animal, ou, ce qui revient au
même, devient effectivement bœuf ou vache par le nom qu'il se
donne ou qu'il reçoit d'autrui. C'est trop peu de dire que « l'iden-
tification linguistique d'un homme avec son bœuf ne peut man-
quer d'affecter son attitude envers l'homme », elle manifeste la
volonté d'une représentation du rapport social par la relation
homme-animal, l'individu étant reconnu par autrui par le fait qu'il
s'objective dans la vache et reconnaissant autrui en l'objectivant
pareillement. A vrai dire une telle objectivation est à la limite
impossible ; nous reviendrons sur ce point, l'humain ne peut deve-
nir l'animal et celui-ci demeure un médium social. C'est souvent -
non pas toujours - que l'homme prend à sa naissance ou au
moment de son initiation le nom d'un animal. Au surplus, l'em-
prunt de noms d'animaux est un jeu, parmi les enfants, nous dit
l'ethnologue : rien n'enseigne mieux que le symbole n'abolit pas la
distance entre le symbolisant et le symbolisé. Il n'en reste pas moins
que la vache est perçue comme l'être véritable auquel sont subor-
données toutes les activités humaines et comme modèle qui dicte à
chacun son rôle social. Ce modèle, l'enfant le reproduit de mille
manières dans ses jeux, l'homme le contemple, en apprécie les
moindres particularités, l'enrichit de multiples ornements, en fait le
thème de toutes ses productions artistiques, communique enfin à
travers lui, grâce à des rites précis, avec les ancêtres ou les esprits
des morts qui ont possédé l'animal ou l'un de ses ascendants. Mauss
aurait dit à bon droit que la vache est un fait social total ; Evans-
Pritchard affirme pour sa part qu'elle est une « fin culturelle » en
soi1. Ce qui signifie, qu'en elle, valeurs économique, esthétique
mystique, sociale sont confondues, que les relations des hommes et

1. Id., p. 40.

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L'aliénation 203

des vaches sont tiss


sorte qu'il serait ar
donnée de fonctio
humaines. Cependa
caractère obsession
ou, ce qui revient a
à un type de rappo
dent à définir to
sociales en termes
idiome social est u
amoureuses, paren
stereotyper - et e
jours par rapport
vie quotidienne :
conversation avec
on l'aborde, on en v
avec pénétration
sion nuaire ; mais
vocabulaire. L'inf
manquer de faire
dans la société indu
miner les particula
n'est pas, nous préc
un vocabulaire cou
subordination de
un thème dominant.
A partir de ces dernières remarques, il ne serait pas exagéré de
conclure qu'il existe pour le Nuaire un univers vaccai, comme il
existe pour d'autres un univers machiniste, en ce sens précis que
l'homme tendrait à s'abolir ici devant la vache comme il tend à
s'abolir ailleurs devant la machine. Certaines expressions d'Evans-
Pritchard autoriseraient même expressément cette conclusion.
Après avoir signalé que le Nuaire vit comme un parasite sur la
vache, tel le bédouin sur le chameau, il rectifie : « On pourrait tout
autant dire que la vache est un parasite nuaire. »4 Certes il n'est pas
incompatible que la vache soit au service de l'homme et l'homme
au service de la vache. Le bénéfice de leur relation n'est-il pas réci-
proque ? Mais la seconde proposition va au-delà de cette idée, elle
défait la première. Celle-ci n'a qu'une portée limitée : l'homme

1. Id., p. 19.
2. Ibid.
3. Id., p. 41 et s.
4. Id., p. 36.

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204 Claude Lefort

tire de la vache les produits


là, un sens absolu : le mond
des vaches. On ne saurait en
en les situant sur un même
le cadre strict de l'ethnogr
vaches). Le renversement d
ment fictif : qu'il considère
vache, il ne parle évidem
l'homme traite la vache c
comme fin. Qu'est-ce à dir
fin : on ne conçoit pas en
moyen et fin. On peut bie
besoins, il ne saurait perdre
d'être un absolu. Et, de fait,
ce que nous dit l'ethnologu
enveloppées dans des signif
isoler - c'est par la valeur nu
mais à condition de limite
Considérée dans sa totalité,
part, ou pour reprendre la
palier de la réalité se renco
Vache-ustensile separable
valeur, etc., mais elles ne s
modes de la Vache sociale t
d'elle ; par exemple le lait n
recherché pour cette fonct
sens de ce terme. L'élevage
qu'on voudra parmi d'autre
précisément si l'on se réfè
donne toute sa portée à l'a
vache est une fin culturelle e
pas une « irréalisation » nu
ferait des vaches la réalité
conscience de sa propre exist
Cette question se pose avec
l'objet de constantes discorde
les Nuaires, soit entre ceux
que les familles elles-mêmes
bétail est en jeu, que les relat
sées. Au surplus les raids c
sont hautement appréciés et
ciée à leur capacité de défend
la violence. L'amour que l'h
raison directe de son hostilité contre l'homme. L'obsession du

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L'aliénation 205

bétail paraît bien


serait une juste app
un mystère de leur
leuse. Le plus rema
un certain sentiment de cette domination fatale du bétail sur
l'homme. Nous ne nous risquerons pas à interpréter certains rites
qui pourraient témoigner d'une hostilité contre la vache, tel celui
de la consommation de la viande d'une vache fertile à l'occasion
d'une mort ; seule une analyse de la personnalité nuaire telle que la
pratiquerait un Kardiner serait susceptible de dire s'il s'agit ou non
d'un phénomène de compensation. Ce qui, en revanche, est fort
clair, c'est le sens d'un mythe rapporté par l'ethnologue, qui pré-
sente la vache comme l'ennemi de l'homme, semant délibérément
la discorde et décidée à accomplir sa vengeance par l'anéantisse-
ment total des Nuaires1. Avec ce mythe, dont il ne serait que trop
facile de trouver des équivalents dans la société capitaliste, transpa-
raît une critique interne du système. Il indique que les hommes ne
s'identifient pas avec le bétail puisqu'ils se demandent si celui-ci ne
fait pas leur malheur. Serait-il alors permis non seulement de parler
d'aliénation mais d'évoquer une conscience - si confuse soit-elle -
de cette aliénation ? A cet égard, la portée du mythe pourrait déjà
être contestée. S'il traduit une hostilité envers le bétail et une capa-
cité de l'homme de prendre une certaine distance par rapport à
celui-ci, cette distance est encore toute relative. L'histoire spécifie
que la vache se venge de l'homme parce qu'il a tué sa mère et que,
lorsque l'humanité périra le bétail disparaîtra avec elle, car ils ne
peuvent se passer l'un de l'autre ; elle pré-suppose donc en quelque
sorte le rapport homme-vache, ce rapport même qui fait l'essence
de la vie sociale actuelle. Au demeurant - et il serait absurde de
fonder une interprétation de caractère général sur un cas aussi par-
ticulier et mal connu de nous - la véritable question est de savoir si
toutes les discordances repérées par l'observateur et les conflits
conscients développés parmi les Nuaires suffisent à fonder une dis-
sociation entre le rapport social et sa projection dans le bétail, entre
un univers humain nuaire et sa forme phénoménale vaccaie. Mul-
tiplierait-on les exemples prouvant l'obsession du bétail et la
dépendance de fait des hommes, pourrait-on en induire une irréali-
sation nuaire ? Rien n'autorise une semblable conclusion. L'intérêt
exceptionnel de l'analyse de M. Pritchard c'est qu'à la fois elle
insiste sur les discordances, décrit le pluralisme inhérent à la vie
sociale, se garde d'établir une identification entre les hommes et

1. Id., p. 49.

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206 Claude Lefort

leur bétail et dévoile une inte


hommes, leurs croyances, leu
aux animaux qu'il n'y a auc
nuaire est ce qu'elle est : so
met de faire surgir l'existe
singulière se détachant sur le
En d'autres termes, toutes le
prises dans une seule trame
degré le thème total : c'est
société peut être aussi peu ha
question. La consubstantiali
tout autant se repérer dans l
par exemple l'auteur écrit
une « relation symbiotique
hommes ne peuvent voir d
même quelquefois la haïr. M
la relation à la vache. De m
nous rapportions, d'idiome b
sation de cet idiome : on peu
dies ; le jeu quel qu'il soit s
seulement si l'on se place hor
étranger, Evans-Pritchard,
le bétail une obsession, et d
ce jugement est-il impossible
derait-il bien de le dévelop
société nuaire absolument, il
les éléments apparemment d
ce sens que ce sont eux qui
référence permanent. La po
cription, puisque aux yeux
interdit l'objectivation pui
qu'en circonscrivant un uni
sein duquel elles se fondent
l'intérieur ni de l'extérieur l
dit qu'il faut savoir « séjourn
est le pouvoir magique qui co
tion sans doute de ne point s
ses arrêts. En dehors du ci
l'histoire, une autre magie es
l'être.
On peut juger étrange l
avant de nous interroger su
tion appliqué à la société c
nous de comparer deux fo

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L'aliénation 207

quelles conditions
de démêler ce qui
ce terme peut être
qui donne accès à
parce qu'il est un
qu'on rencontre n
l'absolu d'une for
société, envisagé
humaine aliénée. C
logique qu'on doit
encore c'est en se
découvrir le phén
A cet égard, cert
retenues comme l
tion seraient les plu
une sociologie du c
On peut prendre p
de nous fournir le
vie sociale1, serait i
tration vise à dissocier une réalité d'une irréalité : la réalité de la
socialisation du travail, l'irréalité de la forme marchandise. « Les
travaux et les produits, écrit Marx, ont besoin de revêtir une forme
différente de leur réalité. »2 Si l'on y fait attention, Marx ne prouve
cependant que deux choses : d'une part que les producteurs privés
ont une grande difficulté à comprendre le mécanisme de la valeur,
et par suite les vicissitudes du marché ; d'autre part que les hommes
se sentent dominés par leur rapport social qui prend à leurs yeux la
forme fantasmagorique d'un rapport entre objets. Ces deux affir-
mations sont moins liées qu'on ne le pense ordinairement, et n'ont
pas la portée qu'on leur prête. Qu'il y ait un mystère social ne
signifie nullement qu'il y ait une sphère d'irréalité separable du
réel. Au reste ce mystère n'affecte pas la structure de la réalité,
puisque celle-ci demeure inchangée quand il est dissipé par la
science3. Quant à la seconde affirmation, elle est en partie insoute-

1. M. Lefebvre notamment identifie les concepts de fétichisme et d'aliénation.


Selon lui le phénomène essentiel est le fétichisme de l'échange ; le fétichisme du
capital en est la suite, et de là dérivent toutes les aliénations, dans l'idée, dans la loi,
dans les rites sociaux, etc.
2. Le Capital, t. I, p. 63, Costes éd.
3. Id., p. 59 : « Quand la science découvre plus tard qu'en tant que valeurs les
produits du travail ne sont que l'expression matérielle du travail humain nécessité
par leur production, cela marque une époque dans l'histoire du développement de
l'humanité, mais ne fait nullement disparaître l'apparence matérielle des formes
sociales du travail. »

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208 Claude Lefort

nable si l'on demeure au n


rapport social ne revêt aucun
de fétichisme. L'existence
rielle » est aussi réelle que le
au travail total ». C'est si clai
tôt après avoir défini le féti
producteurs) les rapports so
sent donc ce qu'ils sont en ré
sociaux immédiats des pers
bien plutôt des rapports c
sociaux des choses1. » Mais cette constatation reste isolée dans un
ensemble où le thème de la marchandise-mystère, de l'argent-
voile, et du réel « caché » prédomine. C'est que Marx cède en ce cas
à une interprétation naturaliste du travail, qui vicie sa description
du travail social. Cette interprétation se trahit au moins à deux
reprises ; d'une part quand il fonde la détermination de la valeur
sur la dépense du cerveau humain2, d'autre part quand il confond
la forme particulière du travail et sa forme naturelle3 : dans cette
perspective, le mode de travail capitaliste ne peut en effet que mas-
quer le réel ou apparaître comme « surnaturel »4. Cependant il n'y
a aucun sens à définir un travail naturel en soi, ou à considérer que
la particularité est plus naturelle que la généralité. Toute l'analyse
de Marx tend à montrer par ailleurs que le système capitaliste mar-
chand est lui-même naturel, naturel en tant précisément qu'il est
social, et que le travail abstrait et quantifiable qui lui est associé se
constitue comme tel à travers l'échange universel des marchan-
dises ; c'est l'échange, nous dit-il, « qui développe la permutation
du travail humain »5 ; c'est lui qui fait dépendre de la production
même le rapport quantitatif de valeur des produits6. Certes,
l'échange, pas plus que la production, ne peut être considéré
comme un facteur déterminant ; c'est contemporainement que
l'échange universel et la production universelle s'instituent, comme

1. Id., p. 57.
2. Id., p. 55, « ... si variés que puissent être les travaux utiles ou les activités
productrices, la vérité physiologique affirme que ce sont des fonctions de l'orga-
nisme humain et que chacune de ces fonctions, quels qu'en soient le fond et la
forme, constitue en dernière analyse une dépense du cerveau, des nerfs, des mus-
cles, des sens de l'homme. »
3. Id., p. 64. Dans le système féodal « le travail a comme torme sociale imme-
diate sa particularité, sa forme naturelle, et non pas comme dans le système de mar-
chandises sa généralité ».
4. Id., p. 35. Marx se plaît à désigner « l'élément purement social » que repré-
sente la valeur comme « propriété surnaturelle ».
5. Id., p. 112.
6. Id., p. 79.

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L'aliénation 209

le dit YIdéologie al
que l'égalité des tr
système-marchan
l'établit ou la réalise d'une certaine manière.
On a vu que la critique de Marx dans ce chapitre ne s'arrête pas
là ; ce qui lui paraît décisif c'est que « le propre mouvement social
(des hommes) revête la forme d'un mouvement des choses qu'ils
ne contrôlent pas mais dont ils subissent le contrôle »*. Mais cette
choséification du rapport social, par le fait qu'elle est présentée
comme identique au processus de socialisation des hommes dans le
cadre considéré, n'est qu'une pseudo-choséification : ce ne sont pas
les marchandises qui se « reconnaissent », comme dit Marx par plai-
santerie, ce sont les hommes, et les marchandises sont une média-
tion. Et ce n'est pas le mouvement des marchandises qui domine
l'Homme, ce sont les relations sociales qui dominent les individus.
Ce n'est donc pas la considération d'un travail abstrait, d'un sys-
tème de dépendance matérielle, ou d'un écrasement des individus
par l'ensemble social, qui, à soi seul, peut conduire à parler d'une
activité humaine aliénée.
Il est frappant que l'analyse du capitalisme industriel ouvre une
tout autre perspective ; la division du réel et de l'irréel perd de son
importance et du même coup le thème du mystère. Toutes les
comparaisons entre la manufacture et l'industrie montrent qu'avec
cette dernière on entre dans une époque historique radicalement
nouvelle (qui « dépasse de cent coudées toutes les ères antérieures »),
où les relations sociales se constituent dans une forme jusque-là
inconnue. Le principe subjectif de la division disparaît2 : la produc-
tion industrielle se subordonne toutes les activités particulières, les
intègre dans un procès total, qui a sa logique propre. Certes, la
production manufacturière impliquait déjà et annonçait une unité
de toutes les activités, mais elle ne la réalisait pas, elle avait pour
principe « l'isolement des procès particuliers »3 ; sa division du tra-
vail était de fait, elle « se heurtait partout aux limites pesonnelles »4,
elle ne faisait que subordonner le travail à l'ouvrier, elle ne trans-
formait qu'accidentellement l'ouvrier individuel en ouvrier collec-
tif, elle tendait à donner à chaque branche particulière de produc-
tion la forme technique qui lui convenait et à la cristalliser5. La
grande industrie, en revanche, « révolutionne constamment la divi-

1. Id., p. 60.
2. Le Capital, t. III, p. 20.
3. Id., p. 21.
4. Id., p. 25.
5. Id., p. 172.

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210 Claude Lefort

sion du travail au sein de la s


les activités en fonction de
total, elle ne permet à aucun
puisqu'aucune branche n'ex
lière, elle « ne traite donc jam
d'un procès de production
« travail directement social
tique le mystère de l'écono
teurs comme nécessairemen
montre que le mode de pro
vrai jour. Alors que le cloiso
de la manufacture transfor
n'y participent pas et inter
l'interdépendance rigoureu
propre à l'industrie moder
grande industrie déchire l
propre mode social de prod
tache à décrire la réalité ind
évidence, selon nous, le proce
que le mouvement propre d
de tous les actes productifs -
temps le mouvement par lequ
séparées : « Elle (l'industrie m
division du travail au sein d
forme capitaliste, reprodui
particularités pétrifiées. »4
dans toute sa rigueur. Dan
Marx on peut déceler une c
duction privés et le travail q
produits. Mais cette contra
car, dans la réalité, le travail
les travaux indépendants. Dan
lité qui porte la contradiction
donnée avec la multiplicité
rapporter à cette unité que s
En d'autres termes, la scissi
les moyens de production
scientifique et l'exécution m
en même temps qu'elle man

1. Id., p. 174.
2. Id., p. 173.
3. Ibid.
4. Id., p. 174.

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L'aliénation 211

la forme technique
en un moment do
une particularisatio
registres. On en d
d'un ouvrier travail
stérile, l'enferme
particularisation r
est bien le mode d
une universalité du
versalisation et la
rience du particuli
comme privation d
dégénère en parti
comparer, avec M
l'artisan du Moyen
que celui-ci reste s
détail, il tend à s'
quelque nature qu'e
pour son bonheur
l'ouvrier de la gran
lié à un travail pro
qu'elle le relie l'arra
cialise. En un sens
humain à une activ
tique plus sévère e
exigences contrad
comparaison que f
et celle de la grand
autres modes anté
naire2. Mais il fau
essence du travail
cadre de la société
l'unité et le morce
l'autre - empêchen
ment effectif de l'i
deur que la formu
de sagesse des artisa
la sagesse, elle est
prendre comment
système. Mais on ne

1. Id., p. 169.
2. Id., p. 173.
3. Id., p. 176.

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212 Claude Lefort

par exemple trouver en


humaine ; l'aliénation n'exis
ment sur le mode de l'aliénat
contradiction ; lorsque le p
moins réel. L'enracinement d
est inévitable mais il est dev
en irréalité, c'est-à-dire aussi
le problème de la réalité en t
Dans cette perspective on n
dans la technique, dans l'ar
homme aliéné, comme s'il é
de l'homme de devenir Aut
le processus dans lequel se m
sphères indépendantes en
toutes à un seul scheme p
société d'aliénation comme d'un homme d'aliénation en entendant
par là l'homme écartelé, voué à se fixer pour se réaliser mais inca-
pable de trouver l'universel dans le particulier.
Ce processus d'aliénation que nous apercevons dans la des-
cription du capitalisme industriel ne saurait cependant se réduire
à un aspect si important soit-il de la réalité sociale. Il suffit de se
reporter à ce que Marx dit au sujet de la science pour se persua-
der que la dialectique d'aliénation enveloppe la dialectique éco-
nomique. Le développement de la science comme activité auto-
nome est activé sans doute par la grande industrie, mais il la rend
possible, il transforme la division accidentelle du capital et du tra-
vail en une division essentielle, il est le plus puissant agent d'alié-
nation en établissant à tous les niveaux du social une scission
décisive entre activités intellectuelles et activités manuelles.
Cependant la dialectique d'aliénation enveloppe aussi celle de la
science ; Marx dit que celle-ci complète l'aliénation de l'homme1
mais en même temps précise qu'elle se développe elle-même sous
une forme aliénée2, qu'elle reçoit ses buts et ses matériaux du
commerce et de l'industrie3 ; dans certains textes il la présente sur
le même plan que les autres idéologies et insiste sur sa dépen-
dance à l'égard d'une réalité sociale qu'il décrit par ailleurs
comme contradictoire. Il n'y a donc pas de clé de l'aliénation,
elle est le phénomène par excellence qui rend manifeste la struc-
ture déchirée de la société et qu'on repère à tous les étages et
dans tous les secteurs de la réalité.

1. Économie politique et philosophie, Œuvres philosophiques, t. VI, p. 35.


2. Id., p. 36.
3. Idéologie allemande, p. 163.

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L'aliénation 213

Ce
caractère irrédu
certains textes de L'
dissociation entre l
sent qu'à mettre en
à enraciner définit
contradiction. Marx
dessous, mais en mê
vie réelle - « langu
religion, de la métap
réalité apparaît comm
maléfice de la cons
songe sont possible
et qu'aucune expres
de le répéter : ce s
d'activité borné qu
idéalisation de condi
particulier en univer
nomisation des acti
général), moraliste
dans une classe, aut
travail ; chacun con
autonomisation n'es
lité l'activité bornée met l'individu en relation avec l'universalité
de la production : « Chacun réclame qu'on respecte sa marchan-
dise, vu que son occupation le met en relation avec l'universalité. »
Le processus même d'idéalisation est donc inscrit dans la réalité ;
c'est chaque activité qui est à la fois particulière et universelle et la
conscience ne fait qu'exprimer et commenter le conflit social par
excellence ; disons mieux, qu'elle est un aspect de la réalité sociale,
un moment du système de contradiction.
La dialectique des idéologies éclaire donc celle de l'aliénation,
elle révèle le paradoxe de toute activité qui ne peut être ni univer-
selle ni particulière et qui cependant ne peut que tendre à l'univer-
sel en développant sa particularité. Ainsi est-ce le propre de la pen-
sée politique, économique ou philosophique de se développer
comme une logique fermée prétendant restituer la totalité des
significations humaines, de se dégrader dans le particulier dans son
processus même d'universalisation. A l'inverse il apparaît que l'en-
racinement dans le particulier, la constitution d'un système du
monde clos ne saurait être considérée comme simple erreur ou éva-
sion hors du réel, puisque ainsi s'accomplit la tentative pour appré-

1. Id., p. 156.
2. Id., p. 250.

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214 Claude Lefort

hender l'universel. Marx n


idée, il l'annonce cependan
frontières absolues entre la s
alors l'institution d'une vérit
tion d'une sphère autonom
d'une logique « fermée » (la p
tion quantitative des phéno
les autres expressions idéol
que chaque domaine tend à
municabilité avec les autres
écrit-il dans Économie polit
applique une norme différe
nation est une aliénation d
s'aliène vis-à-vis de l'autr
conduire à l'idée d'une série
tuant les unes par rapport
autres, en définitive incom
contradiction sociale.
Nous ne dissimulons pas que Marx pensait aussi que sa propre
théorie pouvait atteindre la structure objective de la société, don-
ner l'explication de l'aliénation. Toutefois si l'on interprète rigou-
reusement certains de ses textes, si l'on développe une tendance de
sa pensée, il nous paraît clair que le marxisme ne saurait se mettre
à l'écart de l'aliénation, il est lui-même moment d'une société
d'aliénation, il est pensée d'aliénation. On n'en saurait tirer aucune
conclusion irrationaliste. La société, avons-nous dit, n'est pas irréa-
lité, elle est processus d'auto-unification et d'auto-morcellement,
elle existe à la fois comme pluralité et comme unité et c'est ce qui
fait que s'opère une constante dissociation en elle entre l'irréel et le
réel ou que naît en elle un problème de la vérité. Le marxisme pose
explicitement ce problème et le formule en termes radicaux en
l'appliquant à la situation même qui l'engendre, c'est-à-dire en se
plaçant sur le terrain de la société ou de l'histoire. Tel que nous le
comprenons il s'engage dans une critique, sans cesse à reprendre, de
la réalité ; il s'installe au cœur des contradictions et cherche à arti-
culer un sens de l'histoire sans autre garantie que celle que lui
confère l'exigence de la totalité. Sa sociologie n'a une portée méta-
physique que dans l'exacte mesure ou la société qu'elle décrit s'in-
terroge sur l'être de la société ou du travail humain.
Si l'idée d'aliénation appelle finalement celle de la vérité, c'est à
condition de trouver son contenu proprement sociologique.

Faculté des Lettres,


Université de Paris.

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