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Annales Médico-Psychologiques 180 (2022) 450–453

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Communication

Le dévoiement de l’interaction thérapeutique dans l’emprise sectaire.


Éléments pour la formation à la prévention
The diversion of the therapeutic interaction in the sectarian influence. Elements for
prevention training
Alain Blanchet a,*, Jacques Arènes b
a
École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique de Paris, 23, rue du Montparnasse, 75006 Paris, France
b
Équipe « Vulnérabilité, Capabilité et Rétablissement » de l’E.A. 7403 « Religion, culture et société », France

I N F O A R T I C L E R É S U M É

Historique de l’article : Après un rappel du cadre historique et actuel de la pratique clinique, et avant d’aborder en conclusion la
Disponible sur Internet le 5 mars 2022 formation au diagnostic et à la prévention des dérives sectaires, il est souhaitable de souligner et
d’expliciter quel peut être l’apport de la psychologie sociale des interactions à la question. Plus
Mots clés : précisément, il s’agira de focaliser le propos sur l’interaction pathologique qui, sous couvert du soin,
Emprise asservit le patient à une personne, à un groupe et à une théorie illusoire. Or le psychologisme, c’est-à-dire
Interaction la tendance à interpréter abusivement des phénomènes, en alléguant la discipline psychologique, n’est
Guérison
pas hors champ dans ce domaine de l’emprise sectaire. Toute formation à la prévention des sectes auprès
Psychologie
Secte
des professionnels de santé doit examiner ce problème sous l’angle des interactions pathogènes à
l’origine de ces dérives.
C 2022 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

A B S T R A C T

After a reminder of the historical and current framework of clinical practice, and before concluding with
Keywords:
Influence a discussion of training in the diagnosis and prevention of sectarian aberrations, it is desirable to
Interaction emphasize and explain what the contribution of the social psychology of interactions can be to the
Healing question. More precisely, it will focus on the pathological interaction, which, under the guise of care,
Psychology enslaves the patient to a person, a group and an illusory theory. Psychologism, i.e. the tendency to
Sect misinterpret phenomena, by alleging psychological discipline, is not outside the scope of this field of
sectarian influence. Any training in the prevention of sects for health professionals must examine this
problem from the point of view of the pathogenic interactions at the origin of these aberrations.
C 2022 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Plus précisément, il s’agira de focaliser le propos sur l’inter-


action pathologique qui, sous couvert du soin, asservit le patient à
Après un rappel du cadre historique et actuel de la pratique une personne, à un groupe et à une théorie illusoire. Or le
clinique, et avant d’aborder en conclusion la formation au psychologisme, c’est-à-dire la tendance à interpréter abusivement
diagnostic et à la prévention des dérives sectaires, il est souhaitable des phénomènes, en alléguant la discipline psychologique, n’est
de souligner et d’expliciter quel peut être l’apport de la psychologie pas hors champ dans ce domaine de l’emprise sectaire. Toute
sociale des interactions à la question. formation à la prévention des sectes auprès des professionnels de
santé doit examiner ce problème sous l’angle des interactions
pathogènes à l’origine de ces dérives.
* Auteur correspondant. L’argument sera le suivant :
Adresse e-mail : alablanchet@gmail.com (A. Blanchet).

https://doi.org/10.1016/j.amp.2022.02.013
0003-4487/ C 2022 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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 le psychologisme s’intègre dans une épistémè contemporaine Ainsi, à travers les approches alternatives, marginales et
par laquelle un type de demande de guérison, plus holistique et foisonnantes, le sujet souffrant cherche à retrouver une parole à
parareligieuse, a émergé, en relation avec les évolutions la première personne. La sécularisation, au sens où l’entend le
historiques de l’anthropologie de la maladie, demande marquée philosophe Charles Taylor (2011), renvoie au contexte global dans
par une méfiance vis-à-vis du discours scientifique considéré lequel, en notre univers contemporain, surtout occidental,
comme « officiel » par ses contempteurs ; s’inscrivent l’expérience et la quête morales, spirituelles ou
 le psychologisme idéologique, qui sous-tend la démarche de religieuses, marquées par l’idée d’une recherche individuelle de
nombreuses dérives sectaires, conduit à des pratiques pseudo- sens, multiple et émiettée au cœur de l’immanence. Cet « âge
psychothérapeutiques qu’il est parfois difficile de distinguer des séculier » serait aussi caractérisé par l’expansion sans précédent
psychothérapies authentiques ; des techniques touchant la vie elle-même, ouvrant l’éventail des
 la formation universitaire à la détection et à la prévention des possibles, en termes médicaux notamment. Cette expansion est
dérives sectaires doit permettre aux professionnels de compren- paradoxalement corrélative de ce que Charles Taylor appelle « le
dre et déjouer les manipulations psychologiques qui les malaise de l’immanence », c’est-à-dire de la restriction de la
engendrent confiance individuelle et collective envers les systèmes de sens
supposés apporter un soutien en cas de souffrance ou d’épreuve.
D’où une grande difficulté à inscrire sa propre trajectoire de soin
dans une tradition médicale, philosophique, ou religieuse. Ulrich
2. Psychologisme et anthropologie de la maladie Beck [4] décrivait la tension habitant notre culture dans laquelle
l’exposition aux menaces s’effectue en une forme d’émancipation
La maladie est couramment pensée comme une situation vis-à-vis des institutions et même une méfiance vis-à-vis d’elles, et
polémique : l’organisme ou le sujet luttent contre un agent donc avec une grande incertitude pesant sur les choix individuels.
extérieur ou ils sont eux-mêmes le lieu d’une confrontation entre Dans cette administration complexe du risque, le politique entre en
différentes forces intérieures. Le conflit peut donc être interne, interaction avec des instances de légitimation issues du monde
comme c’est le cas de la lutte contre les passions dans le cadre des scientifique. La société du risque est donc très ambivalente : le fait
maladies « de l’âme », décrites par les stoı̈ciens. Il peut aussi être en scientifique prend de plus en plus d’importance, et devient la
lien avec un agent externe comme c’est le cas pour un événement référence individuelle et collective, tout en faisant l’objet d’une
traumatique ou un agent infectieux [2]. suspicion de la part du public.
Par ailleurs, la conception de la maladie peut être soit Le triomphe apparent de la rationalité, dans une culture
ontologique — la maladie se définit alors en termes de manque marquée par le « désenchantement » [11] ne supprime pas, pour
par rapport à la normalité —, soit dynamique, l’être malade se autant, les effets de croyance : l’époque se cherche des « experts »
repérant comme un dysfonctionnement de l’état de santé faisant figure de prophètes. Les controverses autour des soins
(maladies à préfixe dys) [9]. Ce second type de conception de la concernant la Covid en sont un indice. La démarche de demande de
maladie, spécifique à la médecine hippocratique, institue l’idée que type « psychothérapique » dans un contexte de groupes autarci-
le trouble résulte d’un effort pour trouver un nouvel équilibre. ques, voire sectaires, se situe paradoxalement dans une attente de
L’anthropologie antique de la maladie intègre également une caractère scientiste, mais d’une pseudoscience alternative et
étude et une distinction entre les maladies du corps et celles de globalisante.
« l’âme ». Le terme de « maladie de l’âme » existe depuis l’Antiquité, En effet, la science médicale est en mouvement. Elle ne se saisit
dans l’univers philosophique, notamment stoı̈cien [14]. L’âme pas de la réalité comme un tout. Ses objets sont délimités selon les
concerne la philosophie lorsque le corps concerne la médecine. Le contours de ce que la culture considère comme acceptable, et n’est
propre des maladies de l’âme, par opposition aux maladies du pas exempte de « valeurs » [10]. Ses jugements sont divers, parfois
corps, est en effet que l’on ne peut pas faire appel à une médecine contradictoires, tant que le rapport au réel n’est pas stabilisé, sans
« du dehors ». La maladie de l’âme est alors sous la responsabilité du évidemment l’être jamais complètement. La figure du « savant » ne
sujet. Et donc, « le seul médecin possible c’est soi-même » [14] doit pas, selon Max Weber, être instituée comme soutenant des
(p. 538). La maladie de l’âme insiste sur le thème de la « valeurs » [19]. La réalité contemporaine est plus complexe :
responsabilité que l’univers stoı̈cien soutient avec le travail sur l’incertitude inhérente à la prise de risque en termes de santé, et à
les passions. Cependant, le « traitement » de ce type de maladie l’administration des soins, entraı̂ne une contre-attitude particu-
suppose une alliance avec un conseil. Selon Cicéron, il suffit que lière vis-à-vis des « savants », dont on attend qu’ils indiquent des
l’âme désire la guérison, et le sage stoı̈cien accompagne le souffrant directions claires et protectrices, voire rassurantes, concernant la
dans son consentement à guérir. Cette pédagogie peut être santé, et qu’ils constituent ainsi des figures de « salut ».
autoritaire (selon Sénèque), mais il arrive aussi qu’elle déploie
une approche plus pédagogique [3].
4. De nouvelles demandes, paradigmes de guérison et emprise
sectaire
3. Une méfiance vis-à-vis du fait scientifique
Il s’agit donc de prendre en considération les mouvements
C’est dans ce cadre général de l’histoire de la médecine et de la profonds dans la culture en relation avec des pratiques, remontant
psychothérapie que réapparaissent aujourd’hui de nouvelles au XVIIIe siècle dont le terme souvent employé est « spiritual
demandes vis-à-vis de certaines « médecines alternatives » healing » dans le monde anglo-saxon. De nouveaux groupes
incluant une dimension spirituelle ou religieuse, dont une partie surgissent, dont certains sont habités par une logique sectaire. Ces
peut être qualifiée de sectaire. groupes de petites tailles, à mi-chemin entre religion, médecine et
L’intelligibilité d’un tel phénomène nécessite d’analyser cette psychologie, sont définis par la marginalité, l’émiettement
protestation existentielle du souffrant désorienté par la multi- spirituel, dans un caractère éruptif « passionnel, nomade,
plicité des pratiques. Dans la même perspective, le discours éphémère et fragmenté » [5] (p. 15). Cette demande de guérison,
médical et les modalités de compréhension de certaines maladies où la demande holistique, faisant place à certaines spiritualités, est
tendent à se complexifier, et sont moins intégrables dans une donc à prendre au sérieux, comme lutte contre la pensée
conception holistique de l’individu. instrumentale ou comme « symptôme ». Symptôme de quoi ?

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Symptôme de l’existence de « héros » de l’exclusion qui L’auto-guérison implique une participation active du patient,
cherchent dans ces traitements un sens à leur vie, et une une confiance totale dans son thérapeute, un mode de commu-
restauration de leur dignité [5]. Ces personnes s’engagent dans nication hors du commun. C’est le propre des dispositifs de soin par
un chemin qui n’est jamais terminé, dans le but de devenir sujet de la parole. Mais c’est également cette configuration sur laquelle se
leur histoire, au prix d’un certain bricolage ou d’une soumission à greffe parfois la relation pernicieuse de l’emprise. En fait, ce type
des idéologies asservissantes. On trouve aussi, dans ce type de d’emprise thérapeutique est d’autant plus « efficace » qu’elle mime
démarche, des personnes tout à fait arrivées socialement qui ne la collaboration et une forme d’alliance thérapeutique, dans
paraissent pas satisfaites par le déficit rituel des religions lesquelles le thérapeute « pédagogue » accompagne le patient
constituées, ou par le vocabulaire technique et, selon eux, dans la découverte et la résolution de ses conflits qui seraient à
déshumanisé d’une certaine médecine [1]. l’origine de toutes ses difficultés. Cette dimension autoritaire
La guérison, dans cette acception anthropologique, au demeu- implicite (déjà présente dans l’Antiquité) est bien loin de ce que
rant assez ancienne, ne suppose pas une disparition de la maladie, Platon évoquait comme la médecine « des hommes libres »
mais une restauration de la personne en tant que sujet psychique, accompagnant le sujet dans son chemin de restauration et le
social et relationnel. Ces approches contemporaines du guérir sont disposant au fait de désirer guérir.
complexes : on y décèle, d’une part, une dimension illusoire de
guérison ad integrum, et, d’autre part, une protestation, un vœu de
restauration de la dignité du sujet souffrant, intégrant sa 5. Un modèle coopératif et institué
problématique désirante jusque dans ce destin somatique ou
psychique qui lui est donné de vivre. Ce type de recherche traverse Le principe d’auto-guérison présuppose que le thérapeute
beaucoup de demandes psychothérapiques : elles peuvent dériver donne en quelque sorte la main, au sens du jeu de cartes, au sujet-
vers l’emprise lorsqu’elles s’éloignent des processus de légitima- patient, ce qui d’ailleurs le place en position de sujet-actant. Ce
tion institutionnelle. processus est assez bien défini dans les dispositifs psychothéra-
Le travail remarquable, mille fois mentionné, de la Miviludes, peutiques. Le sujet étant considéré comme le seul à avoir un accès
documente magistralement cette question dans ces aspects possible à son histoire de vie, le dispositif l’amène à découvrir lui-
juridiques, sociaux et idéologiques. On y mentionne en particulier même les pièces du puzzle qui lui manquaient pour comprendre
que la psychothérapie constitue un mode privilégié d’entrée dans son problème.
une secte. Les méthodes « psychologisantes » sont ainsi très Pour atteindre ce but, la coopération du sujet est essentielle et
représentées dans les sectes et, mieux encore, le psychologisme ceci présuppose une alliance assez vite ressentie par les deux
semble faire bon ménage avec les théories sectaires. Ainsi, le parties dans la relation. Cette alliance s’accompagne de l’émer-
rapport de 2010 insiste sur un paradigme psychologique dominant gence d’affects et de représentations spécifiques. Ce sont
qui inspire ces pratiques pernicieuses, paradigme selon lequel principalement :
« toute maladie somatique est la résultante d’un choc psycholo-
gique intense et d’un conflit intérieur non résolu ». Nous nous  l’élection affective du thérapeute par le patient avec lequel il
situons bien ici dans le cadre moniste décrit plus haut, dans lequel partage une certaine intimité ;
le sujet est le principal porteur de la résolution de sa maladie, quel  l’émergence d’une image idéalisée du thérapeute qui a un mode
que soit le degré de complexité de son étiologie. de communication à part ;
Ce postulat frappé au coin du bon sens, propagé par une presse  l’acte « d’adoption » qui rend compte de la fonction parentale des
ignorante et mercantile, est redoutable, car il apparaı̂t comme la praticiens et qui développe chez les patients un sentiment
solution à la question lancinante de l’origine de la maladie : d’attachement.
« Pourquoi c’est tombé sur moi ? »
Que certaines maladies somatiques soient statistiquement Dans cette configuration dialogique, la parole thérapeutique
occasionnées par des comportements nocifs eux-mêmes corrélés « dit » en lieu et place du patient, elle ne répète pas ce que le patient
à des états psychopathologiques ou des malheurs sociaux formule, mais exprime ce qu’il dit à travers son énoncé. Cette
n’implique nullement que toute maladie soit nécessairement particularité est fondamentale, on la retrouve également dans les
causée par un état mental. Le psychologisme constitue donc une thérapies traditionnelles et les dispositifs thérapeutiques antiques.
généralisation abusive et dangereuse dans le domaine de la santé. Comme le note l’anthropologue Zempléni [20] : « [Les devins et
En rendant exclusivement responsable le patient malade ou son guérisseurs] parlent en virtuose le même langage que leurs clients
environnement social et familial, il le culpabilise et réduit sa et se réfèrent aux mêmes foyers persécutifs. »
capacité à faire face, tout en maintenant chez lui l’illusion qu’il peut Le but de cette procédure énonciative est donc de rendre le
reprendre la main par lui-même sur son destin. patient sensible à cette partie de lui-même qu’il doit conquérir
Comme le note ce rapport de la Miviludes [13], ce postulat pour échapper à ses tourments. C’est pour autant que le patient
erroné de causalité psychique a conduit certains thérapeutes à reconnaı̂tra cette parole prononcée par le thérapeute comme étant
inventer des faits et en persuader leurs patients. Ils auraient subi en dernière instance la sienne, qu’il pourra surmonter les « idées
des maltraitances dans leur enfance qui seraient à l’origine de leur fixes », pour reprendre le terme de Pierre Janet [12], qui freinent sa
pathologie. Ainsi, aux États-Unis, dans les années 1985–1990, des guérison.
dizaines de milliers de patients ont été amenés à imaginer des À ce stade, apparaı̂t le rôle essentiel de la crédivité. La crédivité
traumatismes pour expliquer leur syndrome de « personnalité est différente de la croyance : la croyance porte sur quelque chose
multiple ». Les conséquences délétères, juridiques, sociales et hors de soi tandis que la crédivité porte sur sa relation à autrui.
familiales furent très impressionnantes [17]. Comme dit précédemment, l’acte thérapeutique psychologique,
Mais ce postulat conduit à une seconde conséquence logique : le pour être satisfait, doit rencontrer l’adhésion du patient. Or cette
patient est non seulement la cause psychologique de sa maladie, adhésion dépend de ce que Bernheim [6] au début du XXe siècle
mais de ce fait, le seul qui puisse se guérir. Il s’agit là d’un principe nommait donc « crédivité ». Ce néologisme a été créé pour rendre
qui touche de nombreuses thérapies complémentaires compte de l’état d’abandon du sujet dans l’expérience hypnotique.
et alternatives : le principe d’auto-guérison. Ce principe n’est Cette crédivité est intimement liée à l’attente anxieuse de guérir,
pas directement impliqué dans le processus d’emprise sectaire, mais pas seulement, elle suppose que le patient ressente comme
mais sous certaines conditions, il peut l’être. venant de lui-même voire de « l’intérieur de lui-même », les

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nouvelles pensées qu’il acquiert dans sa thérapie [7]. De ce fait, conventionnelles, ou encore thérapeute pratiquant l’une ou l’autre
l’hypnose, mère de toutes les psychothérapies contemporaines, des médecines complémentaires ou alternatives.
conditionne l’adhésion du patient aux contenus qu’il endosse, Un enseignement universitaire permettant de sensibiliser et
fussent-ils suggérés, et qu’il perçoit comme une conquête de lui- d’informer ces différents professionnels sur les risques de dérives
même. sectaires, par exemple sous la forme d’un D.U. ou de certificats de
formation, bénéficierait de la présence conjointe de stagiaires
6. Une exigence éthique et une formation nécessaire appartenant à ces trois groupes professionnels. En effet, dans ce
domaine souvent mentionné, rarement problématisé et inégale-
Entre une saine crédivité — respectueuse du patient — et une ment expérimenté, la rencontre dans le groupe de formation des
dérive manipulatrice du positionnement thérapeutique, la dis- uns et des autres favoriserait un processus d’élaboration réunis-
tance est difficile à évaluer et suppose une exigence du thérapeute sant les réflexions de tous et assurant leur compétence dans ce
et des institutions qui le légitiment. Le rôle fondamental de domaine.
l’éthique thérapeutique est ici crucial. La suspension du jugement Pour mettre en place ces enseignements, nous pourrions nous
du clinicien, son abstinence physique et mentale et l’effacement de inspirer des formations à la prévention du suicide initiées au
son modèle thérapeutique derrière la réalité vivante de la relation Québec par Séguin [16] et en France par Terra [8,18] qui ont montré
garantissent l’efficacité de la thérapie. L’éthique permet au sujet de leur efficacité. Elles supposent l’intervention d’enseignants
conquérir une certaine « vérité de soi ». Cette vérité a souvent été compétents dans l’animation des groupes et d’enseignements
comprise comme un élargissement des capacités du moi, une magistraux sur les aspects juridiques, sociologiques et psycholo-
victoire sur ce qui sous-tend ses fonctions. C’est-à-dire débouche gique en jeu. Mais surtout ces formations ont d’abord consisté à
sur un état mental qui est l’exact contraire de ce que réalisent les former des formateurs qui ont ensuite organisé et animé des
dérives sectaires. formations du même type et permis d’accroı̂tre exponentiellement
C’est ce type de relation thérapeutique, orientée vers l’auto- les personnes formées dans le secteur de la santé et de l’éducation.
nomie du patient, éminemment positive et reconstituante, qui se
trouve détournée de son but et utilisée pour son unique intérêt par  Colloque « Lutter contre les dérives en santé », Agence des
l’instigateur et le manipulateur de cette situation intersubjective. médecines complémentaires et alternatives (A-MCA).
Dans ce cas, s’établit un processus d’influence qui détruit, qui  École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique de Paris
utilisera cette élaboration conceptuelle du patient pour l’installer  Equipe « Vulnérabilité, Capabilité et Rétablissement » de l’U.R.
dans une croyance extérieure à lui-même, croyance qu’il endosse « Religion, culture et société »
pourtant et qu’il ressent comme venant de lui-même.
On perçoit maintenant que l’imposteur-thérapeute pratique ce
que les zoologues nomment le mimétisme agressif, en comparant Déclaration de liens d’intérêts
cette stratégie à « un loup déguisé en mouton ». Dans cette relation
intense, vécue dans la confiance, l’affectivité et le sentiment de Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
protection, l’imposteur copie le processus thérapeutique pour
mieux établir sa domination sur le patient fragilisé. Par cette Références
stratégie mimétique, le porteur du système sectaire apparaı̂t à sa
victime comme susceptible de la soigner et de l’aider en imitant les [1] Arènes J. La quête spirituelle hier et aujourd’hui. Un point de vue psychana-
lytique. Paris: Le Cerf; 2011.
procédures thérapeutiques efficientes reconnues. La contagion de [2] Arènes J. Guérison. In: Gaziaux E, Lemoine L, Muller D, editors. Dictionnaire
ses théories fantaisistes et dangereuses condamne le sujet à croire encyclopédique d’Éthique chrétienne. Paris: Le Cerf; 2013. p. 1030–4.
en un monde qui le coupe de sa réalité et qu’il endosse comme la [3] Arènes J. Historique du concept d’alliance : du philosophe au
psychothérapeute. In: Brennstuhl M-J, Marteau-Chasserieau F, editors. L’alli-
seule forme de pensée qui explique sa détresse et justifie son
ance thérapeutique en 66 notions. Paris: Dunod; 2021. p. 7–11.
asservissement à la domination d’un autre. [4] Beck U. La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Paris: Aubier;
Pour finir, il reste un point important à aborder : celui qui 2001.
[5] Bergé C. Héros de la guérison. Thérapies alternatives aux États-Unis. Les
concerne les aspects psychologiques des auteurs de ces dérives
Empêcheurs de penser en rond; 2005.
sectaires. Faute d’avoir intégré les principes éthiques consubstan- [6] Bernheim H. Hypnotisme et suggestion. Paris: Octave Doin & Fils; 1910.
tiels à la thérapie, que poursuivent-ils ? Quel est leur projet ? Ces [7] Blanchet A. Les psychothérapies sont-elle rationnelles ? Dire, faire dire et
personnes visent l’instauration d’une relation d’emprise. L’emprise guérir.. Presses universitaires de Grenoble; 2016.
[8] Brunet A, Séguin M, LeBlanc L. Intervention en situation de crise et en contexte
consiste à neutraliser le désir d’autrui, à ramener l’autre à la traumatique. Montrouge: G. Morin; 2012.
fonction et au statut d’un objet entièrement assimilable, objet qui, [9] Canguilhem G. Le normal et le pathologique (1943), 10e éd., Paris: PUF
comme le note Schneider [15], ne dirait plus que ceci : « Il pense « Quadrige »; 2005.
[10] Daston L. L’économie morale des sciences. Paris: La Découverte; 2014.
donc je suis. » [11] Gauchet M. Le désenchantement du monde. Paris: Gallimard; 1983.
Ajoutons que cet acte de domination et de dépossession [12] Janet P. Névroses et idées fixes (1898). Société Pierre Janet; 1990.
s’accompagne du projet de laisser une empreinte sur l’autre pour y [13] MIVILUDES. Rapport annuel d’activité; 2010.
[14] Pigeaud J. La maladie de l’âme. Étude sur la relation de l’âme et du corps dans la
dessiner sa propre figure. Qu’il s’agisse de personnalités avec des tradition médico-philosophique antique. Paris: Les Belles Lettres; 2006.
traits pervers jouissant de la néantisation du désir d’autrui ou des [15] Schneider M. Il pense, donc je suis [« L’emprise »]. Nouv Rev Psychanal
traits obsessionnels recherchant la destruction et le pouvoir sur 1981;24:187205.
[16] Seguin M. Le suicide : comment prévenir, comment intervenir. Logiques; 1999.
autrui, ces pratiques dangereuses nécessitent d’établir des [17] Spanos NP, Gottschalk M. Faux souvenirs et désordre de la personnalité
barrières solides contre elles dans le champ de la santé. multiple : une perspective sociocognitive. Bruxelles: De Boeck Université;
Un des meilleurs moyens de lutter contre ces pratiques dans le 1998.
[18] Terra JL. Comment intervenir auprès d’une personne en cas de crise
champ de la santé consiste à développer des dispositifs de
suicidaire ? In: Courtet P, editor. Suicides et tentatives de suicide. Paris:
formation de formateur s’engageant à animer eux-mêmes des Lavoisier; 2010. p. 2837.
formations. [19] Weber M. La profession et la vocation de savant. In: Le savant et le politique.
Dans ce champ de la santé, cette question du risque de dérive Paris: La Découverte; 2003. p. 61–110 [1959].
[20] Zempléni A. Anciens et nouveaux usages sociaux de la maladie en Afrique/Old
sectaire se pose d’une manière différente selon que l’on est and New Social Usages of Sickness in Africa. Arch Sci Soc Religions 1982;519
médecin ou associé, avec ou sans connaissance des thérapies non [Persée http://www.persee.fr].

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