Vous êtes sur la page 1sur 2

Médée, un personnage des plus ambivalents

Médée ne serait-elle qu’un monstre à volonté diabolique, ou une héroïne féministe ? Le


personnage mythologique de Médée, une guérisseuse énigmatique, a eu son rôle adapté
plusieurs fois par les grands de la littérature. Quelques-unes des versions les plus marquantes
de l’histoire de ce personnage est celle d’Euripide écrite 2000 ans avant J.C., celle de Pierre
Corneille sortie en 1635, et celle de Christa Wolf parue en 1996.
Médée, la fille du roi de Colchide, sous le charme d’Héros, tombe éperdument amoureuse de
Jason, un guerrier recherchant la Toison d’Or. Contre les règles imposées par son père,
Médée aide Jason à la retrouver grâce à des artéfacts magiques. Puis ils fuient à Corinthe et
ont des enfants. La vraie terreur viendra quand, horrifiée par la nouvelle que Jason la trompe,
Médée tue ses enfants, sans pitié, on pourrait croire.

Médée, un monstre plein d’assurance ?


La fille du diable serait-elle Médée ? Peut-être, jugerait ainsi quelqu’un ayant lu le mythe de
Médée d’Euripide, dramaturge grec du Ve siècle et grand écrivain tragique. Est-il vraiment
nécessaire de commettre un infanticide pour un chagrin d’amour ? C’est ce que Médée fit
dans ladite adaptation. Cette inhumanité qu’elle montre, cette indifférence à la vie qu’a cette
guérisseuse nous remplit de mépris.
C’est en lisant l’adaptation de Pierre Corneille, dramaturge et poète français du XVIIe siècle
et maitre de la tragi-comédie, que l’on peut voir – et sentir – sa noirceur, son insanité. En
effet, dans cette version de l’histoire, le dramaturge trace le portrait d’une sorcière
dangereuse. Trompée par Jason, qui lui tombe amoureux de Créuse, elle s’abandonne dans la
fureur. Dans son long monologue délibératif de l’acte V dans ladite réécriture, elle est face à
un véritable dilemme : doit-elle tuer ses enfants, ou laisser son infidèle époux impuni ? Dans
le monologue de 32 lignes, elle change d’avis constamment : dans un vers elle éprouve son
affection pour ses enfants, trois vers après elle décide de les tuer, puis le doute lui revient, et
ainsi de suite. Elle décide finalement de le faire, ses derniers mots étant : « Il (Jason) ne vous
(ses enfants) verra plus, Créon sort tout en rage ; allons à son trépas joindre ce triste ouvrage ».
Mais sa vengeance ne se termine pas là. La jeune Créuse meurt aussi, brulée par une certaine
robe magique lui étant offerte par Médée.
Dans ses nombreuses adaptations sur scène, comme dans celle de Paulo Correia créée en
2011, elle y est jouée comme sorcière maléfique. Elle y porte une robe noire grandiose avec
des piques qui a l’air autant gothique que royale. Elle y parle avec fierté et violence. Elle n’y
a pas peur de rebeller contre la volonté des hommes. Dans cette poignante merveille
théâtrale, ce personnage infâme est présenté plutôt comme sorcière diabolique sans pitié
sortant d’un conte de fées, que de jeune guérisseuse tragique et trahie.

Médée incarne-t-elle le point de vue de la société au temps de ses


écritures ?
Quelle horrible mégère ! Mais ne serait-elle pas que la victime de l’imagination d’Euripide et
Corneille ? C’est ce que Christa Wolf veut prouver dans son interprétation, nommée Médée :
voix (parue en Allemand originellement). Cette autrice contemporaine d’origine allemande
aurait-elle découvert une autre facette de la personnalité ambivalente de Médée ?
Certes, cette interprétation met en évidence un véritable contraste avec celles d’Euripide et de
Corneille. En effet selon les récits de ces derniers, Médée c’est la femme sanguinaire qui n’a
pas hésité à tuer ses enfants et à trahir son père, tout ça pour tomber dans les bras de
l’étranger Jason.
Mais Médée est vue autrement dans Médée : voix. Juste après s’être mariée avec Jason, ils
fuient à Corinthe où elle est étrangère, a un air hautain ; elle n’est pas comme les autres
Corinthiennes. Elle semble incomprise. Ici ce sont les Corinthiens qui tuent ses enfants et non
elle. Pour Christa Wolf Médée est la victime de nos haines, elle, l’étrangère, celle qui ne
ressemble pas aux autres. On doit la détester, on doit la maltraiter.

Cette réécriture devient une tragédie moderne dont l’abréaction ne servira pas à purifier le
drame que nous vivons aujourd’hui : “Elle ne me ressemble pas ! Je dois la haïr, je dois
l’exclure...”

Cela montre une autre chose : Médée incarne un personnage éternellement modulable aux
points de vue de nos sociétés, quelle que soit l’époque : elle révèle de la Grèce Antique une
indifférence aux sentiments des femmes et à leur manière de penser. De l’Epoque Moderne
elle montre les traits fantastiques et absurdes que les hommes les attribuaient, et du XXe
siècle elle dévoile la jalousie puérile qu’avait les gens envers les femmes hors-du-commun,
intelligentes : elle révèle qu’ils feraient tout jusqu’à assassiner pour amoindrir celles-ci.

Médée : une figure féministe

Dans le monde patriarcal dans lequel vit Médée, les femmes n’ont pas le droit à la puissance,
ni à la fierté. Elle est pourtant une femme visiblement puissante, savante au sein d’un monde
grec qui n’associait aux femmes aucune intelligence ou pouvoir. Elle casse les normes de la
société, met à mal tous les stéréotypes féminins de la mère idéale en tuant ses enfants, de la
femme convenable, de l’humble princesse en trahissant son père, etc.
Dans les adaptations d’Euripide et Corneille, la relation entre Médée et les hommes contredit
le fait que les femmes « doivent  » être inférieures à ceux-ci : elle les parle avec autorité, elle
a également tué et trahi son père, a laissé son époux tomber dans la folie. Dans les trois
réécritures, elle est également une chercheuse du pouvoir : elle, une femme, après le mal que
lui a causé la société, a la volonté d’éliminer les rois, et d’en rebâtir une plus juste, loin du
monde patriarcal dans lequel elle reste coincée.

Ainsi, Médée est une vraie pionnière qui ne veut que l’égalité. Elle désire d’éliminer toute
injustice sexiste qui trouble sa vie. Elle réussit à se rebeller contre ses hommes, et à ainsi se
libérer des nombreux fardeaux de la société pour en créer une plus juste, où chaque femme
peut profiter de la fidélité de son époux et de la bonté des autres.

Vous aimerez peut-être aussi