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L'ALENA Fête Ses 20 Ans: Fondement de L'intégration Économique Nord-Américaine Ou Victime Du Repli National ?
L'ALENA Fête Ses 20 Ans: Fondement de L'intégration Économique Nord-Américaine Ou Victime Du Repli National ?
Earl Fry1*
autrement dit, une hausse de 400 % en dollars nominaux. Les flux d’IDE
(Investissements Directs à l’Étranger), permettant à un investisseur d’obtenir
une participation de contrôle dans une entreprise étrangère et facilitant la créa-
tion ainsi que l’expansion de chaînes d’approvisionnement transfrontalières,
ont quintuplé entre les trois pays, passant du niveau historique de 128 milliards
en 1993 à 697 milliards de dollars en 2012. Les IDE étatsuniens au Canada sont
passés de 70 à 351 milliards de dollars tandis que les IDE canadiens aux États-
Unis ont augmenté encore plus, passant de 40 à 225 milliards de dollars3. Les
investissements étatsuniens au Mexique ont été multipliés par sept, passant de
15 à 101 milliards de dollars, et les investissements mexicains aux États-Unis
sont passés d’un milliard de dollars à la somme nettement plus conséquente
de 15 milliards de dollars4. Pour les États-Unis, le commerce bilatéral avec le
Canada a augmenté de 200 % entre 1993 et 2013, avec le Mexique de 522 % et
avec le reste du monde de 279 %5. Les échanges de biens entre le Canada et le
Mexique étaient certes très bas à l’origine, mais ils ont tout de même augmenté
de 800 % sur la même période6.
De nombreuses filiales peu rentables, qui avaient été créées sur la base des
barrières tarifaires et non tarifaires datant de la période pré-ALE et pré-ALE-
NA, furent démantelées et remplacées par des chaînes d’approvisionnement et
des mandats de production mondiaux bien plus compétitifs. En 2011, plus d’un
million de travailleurs mexicains et canadiens étaient employés par des filiales
à participation majoritaire étatsunienne et 547 000 travailleurs sur le sol état-
sunien étaient employés par des filiales à participation majoritaire canadienne7.
On estime que 8 millions d’emplois seraient liés directement ou indirectement
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(GAO) a récemment conclu que moins d’1 % de la frontière peut être considéré
comme raisonnablement sûre14.
Pour protéger leurs 3154 kilomètres de frontière avec le Mexique, les États-
Unis emploient environ 20 000 personnes au sein du Service de douanes et de
protection des frontières (U.S. Customs and Border Protection), soit plus du
double de 200515. Un projet de loi proposé par le Sénat en 2013, mais qui n’a
heureusement pas été adopté, envisageait de dédier 46 milliards de dollars de
plus à la protection de la frontière et de multiplier une nouvelle fois par deux
le nombre d’agents frontaliers16. Le gouvernement étatsunien est également en
train de construire une réplique miniature de la Grande Muraille de Chine, en
bâtissant un haut mur qui s’étend de l’océan Pacifique à l’ouest jusqu’au golfe
du Mexique, délimitant ainsi la frontière terrestre entre le Texas et le Mexique17.
Avant le 11 septembre 2001, plus de la moitié des postes de surveillance de
la frontière avec le Canada fermaient la nuit, et de simples signaux lumineux,
des cônes orange le long de la route, indiquaient à un voyageur qu’il traver-
sait la frontière18. Il n’était pas nécessaire pour les Américains, les Canadiens,
les Mexicains et la plupart des citoyens des Caraïbes de posséder un passeport
pour entrer ou sortir des États-Unis. Cependant, avec la mise en application
de l’Initiative relative aux voyages dans l’hémisphère occidental (Western
Hemisphere Travel Initiative) en décembre 2004, tout changea. À partir de 2008,
tous les Américains devaient avoir un passeport biométrique ou un permis de
conduire amélioré pour retourner aux États-Unis après un séjour au Canada ou
au Mexique. En 2013, seulement 37 % des Américains possédaient un passeport
biométrique, ce qui explique en partie pourquoi les Américains ne voyagent
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19 Beyond the Border Executive Steering Committee, Canada-United States Beyond the
Border Action Plan Implementation Report, December 2013 (Ottawa: Government
of Canada, 2013).
biens et des services canadiens exportés vers les États-Unis a elle aussi chuté,
passant de plus de 80 % à 70 % entre 2000 et 201220.
De toute évidence, l’ALENA vient de vivre une décennie perdue, surtout en
comparaison avec ce qui avait été réalisé par le Canada et les États-Unis après
la création de l’ALE en 1989, ou encore avec la collaboration des trois pays pen-
dant les neuf années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994.
L’ALENA souffre d’une paralysie alors qu’aucune négociation ne semble pré-
vue pour résoudre les problèmes qu’il rencontre, ni même pour renforcer ou
étendre les liens économiques entre les pays membres. La dernière partie de
ce texte présente des mesures qui permettraient à l’ALENA de retrouver son
dynamisme et de repenser complètement les relations économiques et commer-
ciales en Amérique du Nord.
22 Earl H. Fry, « Seven Ways to Solve U.S. Border Problems », Canadian Defence and
Foreign Affairs Institute Occasional Paper, janvier 2014, p. 1-4.
23 Steve Chase, « Canada Could Foot the Bill for U.S. Customs Plaza », Globe and Mail, 6 mai 2014.
Disponible à: http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/canada-could-foot-the-bill-
for-us-customs-plaza/article18476264/ (consulté en février 2015).
l’Amérique du Nord, ils préférèrent les ignorer31. Cela fait désormais plusieurs
années que l’ALENA est entré en vigueur et pourtant aucune discussion offi-
cielle bilatérale ou trilatérale n’a évoqué la création éventuelle d’une union doua-
nière ou même plus modestement d’une intégration renforcée en un « ALENA-
Plus ». Dans la capitale étatsunienne, les priorités officieuses sont « pas d’autre
11 septembre tant que je suis aux manettes » et « l’ALENA et les affaires après
la sécurité ». La pérennisation de ces attitudes ne peut mener qu’au déclin et
à une position franchement anachronique dans un environnement régional et
mondial qui est toujours plus complexe, plus compétitif et plus interdépendant.
Le problème est de taille : la part des États-Unis dans le PIB mondial a baissé
de 28 % entre 2000 et 2013. De plus, lorsque l’on se base sur la parité de pou-
voir d’achat, elle est à son plus bas niveau dans l’économie mondiale depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale, ayant dégringolé à 16,5 % fin 201332. Au
niveau national, de nombreuses réformes peuvent être lancées pour doper la
performance économique et politique des États-Unis, mais il reste beaucoup à
faire au sein de l’ALENA pour retrouver la prospérité du début du 21e siècle. Le
Council on Foreign Relations Task Force on North America l’a d’ailleurs noté :
« Aujourd’hui, l’Amérique du Nord regroupe 500 millions d’habitants répar-
tis dans trois démocraties dynamiques. Si ces trois pays d’Amérique du Nord
renforcent leur intégration et leur coopération, ils ont le potentiel de redéfinir
l’échiquier économique mondial pour les générations à venir »33.
Après vingt ans de pratique concrète au sein de l’ALE et de l’ALENA, Ottawa
et Mexico ne craignent désormais plus de perdre leur souveraineté nationale
s’ils signent un nouvel accord régional avec les États-Unis. Le Canada est écono-
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35 Ces évolutions majeures sont évoquées plus en détails, dans l’ouvrage d’Earl H. Fry,
Revitalizing Governance, Restoring Prosperity, and Restructuring Foreign Affairs: The
Pathway to Renaissance America (Lanham, MD: Lexington Books, 2014), chapitre 6.
36 Robert A. Pastor, The North American Idea: A Vision of a Continental Future (New
York: Oxford University Press, 2011), et Robert A. Pastor, Toward A North American
Community: Lessons from the Old World for the New (Washington, D.C.: Institute for
International Economics, 2001).
37 Dans un important sondage réalisé en 2013, 81% des Américains déclaraient avoir une opinion
favorable du Canada, hissant donc celui-ci en tête de tous les pays présents dans le sondage.
Voir Michael Dimock et al., Public Sees U.S. Power Declining as Support for Global Engagement
Slips : America’s Place in the World 2013 (New York: Pew Research Center and the Council on
Foreign Relations, 2013), 35.
38 Les opinions favorables envers le Mexique dans le sondage mentionné précédemment ne
s’élevaient qu’à 39 %. Voir ibid., ainsi qu’Ana Gonzalez-Barrera et Mark Hugo Lopez, « A
Demographic Portrait of Mexican-Origin Hispanics in the United States », Pew Research Hispanic
Trends Project, 1er mai 2013. Les estimations démographiques prises en compte étaient celles de
2012.