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L'identité européenne dans l'OTAN

Maxime Lefebvre
Dans Politique américaine 2009/1 (N° 13), pages 53 à 64
Éditions L'Harmattan
ISSN 1771-8848
ISBN 9782916722573
DOI 10.3917/polam.013.0053
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L’identité européenne
dans l’OTAN
Maxime Lefebvre

L’OTAN est une organisation de la Guerre froide. Un


diplomate britannique qui fut son premier secrétaire général
a résumé sa raison d’être par l’adage : “keep the Americans in,
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the Russians out, and the Germans down”. L’effondrement
du bloc communiste a remis en question ce schéma trop
simple, mais pas entièrement. L’OTAN reste l’organisation
transatlantique par excellence, celle qui assure la présence
américaine en Europe et la garantie de sécurité des États-Unis
à ses membres. Elle reste une organisation occidentale : aussi
bien l’intervention de l’OTAN dans la crise du Kosovo, que
son élargissement aux pays de l’Est, ont créé des tensions avec
la Russie et ont éloigné les deux partenaires. Et l’affirmation
depuis une dizaine d’années de la politique européenne de
sécurité et de défense n’a pas véritablement affaibli le primat

Maxime Lefebvre est conseiller Europe orientale/Asie centrale à la


Représentation permanente de la France près l’Union européenne, et enseigne
les questions internationales à l’Institut d’études politiques de Paris. Les vues
présentées dans cet article le sont à titre personnel.

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54 Maxime Lefebvre

de l’OTAN comme organisation de défense européenne.


Peut-il alors se créer une véritable identité européenne dans
l’OTAN, un pilier européen de l’Alliance comme le président
Kennedy l’évoquait déjà en 1962, et à quelles conditions ?

L’OTAN, bras militaire de « l’Occident »


Malgré la disparition de la menace soviétique, l’OTAN
demeure une organisation à laquelle les Européens restent
fondamentalement attachés, car elle incarne le partenariat
transatlantique dans sa double dimension : les « valeurs
communes » et la sécurité. À lire le traité de Washington, ces
valeurs communes sont sans ambiguïté celles de la Charte de
l’ONU (la sécurité collective et aussi les droits de l’homme).
Mais dans la pratique, sous l’influence des États-Unis, elles
s’en sont en partie détachées pour devenir des « valeurs
démocratiques », en même temps que l’OTAN a eu tendance
à s’affranchir de l’ONU pour les défendre.
L’élargissement de l’OTAN aux nouvelles démocraties
d’Europe orientale, réalisé en plusieurs vagues (1999 pour la
Hongrie, la Pologne et la République tchèque ; 2004 pour
sept autres pays d’Europe orientale ; 2009 pour l’Albanie et
la Croatie) s’est inscrit dans une stratégie d’« élargissement
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de la communauté des démocraties de marché », comme on
disait sous la présidence Clinton. Le monde « occidental »
s’est élargi vers l’est, et les nouveaux pays membres de l’UE
et de l’OTAN sont devenus les meilleurs alliés de la puissance
américaine en Europe, comme l’a montré l’épisode de la guerre
en Irak, où tous se sont rangés sans hésiter (en même temps
qu’une partie des anciens membres) derrière les États-Unis.
L’OTAN a par ailleurs refondé sa raison d’être. L’article 5
du traité de Washington (la clause de défense collective) n’est
plus la préoccupation principale, en raison de la disparition
de la menace conventionnelle majeure venue de l’est. La
réactualisation du « concept stratégique » de l’Alliance a
commencé, dès 1991, avec un déplacement vers l’article 4
du traité de l’Atlantique Nord (les consultations sur les
problèmes de sécurité, sans limitations géographiques

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particulières). L’OTAN est intervenue militairement dans le


conflit en Bosnie (1993-1995) puis elle y a garanti le retour à
la paix jusqu’en 2004. Elle est intervenue militairement pour
arracher le Kosovo à l’emprise serbe en 1999, et y est encore
présente aujourd’hui. Elle a garanti un accord de paix en
Macédoine entre 2001 et 2003. Et surtout elle est intervenue
au-delà de sa zone traditionnelle « euro-atlantique », d’abord
en Afghanistan à partir de 2003, puis en lançant sa propre
opération de surveillance navale contre les pirates au large de
la Somalie, en 2009.
Par ailleurs, la relation avec la Russie ne s’est pas améliorée,
comme on aurait pu l’espérer à la fin de la Guerre froide.
L’OTAN aurait pu se confondre avec l’OSCE (Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe), devenir une
organisation de sécurité collective régionale au service de
l’ONU. En fait, elle est restée le bras militaire de l’Occident
et de ses valeurs, qui se veulent universelles mais qui ne sont
pas partagées universellement. L’acte fondateur OTAN-Russie
de 1997 a été suivi d’une brouille provoquée par la crise du
Kosovo, dans laquelle les Occidentaux ont imposé par la force
leur point de vue (le refus de la répression serbe, l’intervention
humanitaire, l’autonomie et finalement l’indépendance du
Kosovo garantie par la présence militaire de l’OTAN) malgré
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une couverture juridique pour le moins lacunaire de la part
du Conseil de sécurité de l’ONU. Puis la réconciliation de
2002 (lancement du Conseil OTAN-Russie) a été suivie
par l’épisode de la guerre en Géorgie en 2008, dans lequel
les promesses inconsidérées d’élargissement à l’Ukraine et
à la Géorgie (sommet de Bucarest) ont pu jouer un rôle de
causalité.
Ainsi, malgré la disparition du contexte historiquement
daté de la Guerre froide (une OTAN protégeant l’Europe
occidentale contre la menace militaire soviétique), la logique
qui a sous-tendu la création de l’OTAN n’a nullement disparu.
Il s’agit toujours de défendre les valeurs démocratiques
occidentales contre des « menaces communes », telles que
les tentatives de génocide ou d’épuration ethnique dans les
Balkans, ou le radicalisme d’Al-Qaïda et des talibans afghans,

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ou la prolifération nucléaire en Iran, ou même la résurgence


de la puissance russe, particulièrement sensible pour certains
nouveaux États membres de l’Est. Le champ des menaces
couvertes, le champ d’action géographique de l’OTAN se
sont élargis. Mais c’est l’idée d’un « Occident leader » qui
s’est imposée, plutôt que d’une refondation du monde par la
sécurité collective (ONU et OSCE, forcément paralysées, du
point de vue des Occidentaux, par le veto de pays comme
la Russie ou la Chine). Et l’Europe a suivi l’administration
américaine sur cette voie depuis la fin de la Guerre froide, en
dépit de la crise provoquée par l’affaire irakienne en 2003.
Ce en quoi « l’Europe » reste bien un projet américain, une
composante du monde occidental, on dit parfois du « monde
libre », emmenée par la puissance américaine.

Le déséquilibre Europe/États-Unis
La faiblesse de l’Alliance atlantique est dans son déséquilibre :
trop grande faiblesse de l’Europe, trop grande puissance des
États-Unis. Au temps de la Guerre froide, la situation était
simple. L’Europe ne pouvait pas assurer seule sa sécurité, et la
présence à la fois conventionnelle et nucléaire des États-Unis,
dans le cadre de l’OTAN, lui a assuré une protection efficace.
Tout l’enjeu alors était d’éviter le « découplage » entre la
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sécurité de l’Europe et celle des États-Unis, notamment
sous l’angle de la dissuasion nucléaire : ce fut le sens de la
doctrine de la « riposte graduée » (adoptée en 1962 par les
États-Unis, puis en 1967 par l’OTAN) et, à partir de 1979,
du déploiement des euromissiles Pershing face aux SS-20 qui
menaçaient l’Europe occidentale.
Tout a été bouleversé avec la fin de la Guerre froide. La
fonction « défense collective » de l’OTAN s’est atténuée,
même s’il subsiste encore sur le territoire européen 200 têtes
nucléaires et 100 000 soldats américains. Le parapluie nucléaire
américain continue de protéger les pays européens dépourvus
de force de dissuasion. La fonction principale de l’Alliance
est néanmoins devenue une fonction de projection pour la
gestion de crises. Or c’est là que le déséquilibre Europe/États-
Unis est devenu un problème difficilement surmontable : d’un

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L’identité européenne dans l’OTAN 57

côté une volonté unique, de l’autre une pluralité de points de


vue ; d’un côté une force militaire prodigieuse qui peut agir
seule partout sur la planète, de l’autre des forces militaires
fractionnées qui affichent encore de beaux restes (par exemple
les forces de projection de la France et du Royaume-Uni) mais
qui ne peuvent prétendre au niveau d’ambition stratégique
des États-Unis. Les dépenses de défense des États-Unis sont
presque le triple de leurs partenaires européens de l’OTAN
réunis, et leur rendement, en termes de capacités militaires,
est doublé ou triplé par les économies d’échelle.
Inévitablement, l’Alliance atlantique devient un outil
stratégique de la politique américaine. Dans les crises des
Balkans et notamment celle du Kosovo, la diplomatie
américaine a accepté de se prêter à un jeu collectif dans le
cadre du « groupe de contact 1 », mais ce sont les États-Unis
qui, détenant le pouvoir ultime du recours à la force, ont joué
un rôle clé dans la décision d’intervention. L’armée américaine
a assuré 70 % des frappes, et une grande partie d’entre elles a
été planifiée à titre national, c’est-à-dire de façon autonome par
rapport à la structure de planification de l’OTAN. Néanmoins,
le commandement américain a mal supporté d’être soumis au
contrôle politique des instances de l’Alliance, par exemple dans
le choix de certaines cibles « politiques », ce qui a alimenté
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la réaction unilatéraliste des premières années Bush. Malgré
l’invocation de l’article 5 du traité de Washington, pour la
première fois dans l’histoire de l’Alliance, au lendemain des
attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont préféré se
passer de l’OTAN pour intervenir en Afghanistan contre le
régime taliban et les terroristes d’Al-Qaïda. Ils ont constitué,
dans la guerre d’Afghanistan comme dans la guerre d’Irak,
des « coalitions de volontaires », suivant l’adage proclamé par
le Secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, et son adjoint
Paul Wolfowitz : “not the coalition makes the mission, the
mission makes the coalition”. Puis lorsque les États-Unis
consentirent à engager l’OTAN en Afghanistan, à partir de
2003, ils continuèrent d’entretenir deux opérations parallèles
1. Avec l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et (jusqu’à un certain
point) la Russie.

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sur le terrain : une pour leurs alliés dans le cadre de l’OTAN,


et une pour eux-mêmes dans un cadre national.
L’OTAN est donc un outil, mais de moins en moins
important, dans la panoplie stratégique américaine, et cette
évolution est renforcée par le fait que les nouvelles menaces ne
sont plus localisées dans la zone euro-atlantique, mais dans des
zones plus lointaines (Moyen-Orient au premier chef). Peut-
être l’OTAN pourrait-elle retrouver un poids plus important
en devenant une « alliance globale des démocraties », comme
l’envisagent certains esprits à Washington. Mais ce choix
stratégique aurait pour conséquence de diluer l’identité
européenne dans l’OTAN. Alors que, précisément, la
préservation du caractère transatlantique de l’Alliance permet
à Washington de maintenir, moyennant la mobilisation de
quelques ressources qui sont loin d’épuiser toutes les capacités
de l’appareil de défense américain, un contrôle véritable sur
l’Europe de la défense. C’est d’autant plus opportun pour la
politique américaine que le projet européen empiète désormais
sur les compétences de l’OTAN dans la gestion des crises.

L’affirmation de l’Union européenne


dans les questions de sécurité
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Là aussi, la situation de la Guerre froide était simple et
confortable. L’Europe avait échoué, après la tentative du
Conseil de l’Europe et l’échec de la communauté européenne
de défense, à se construire dans sa dimension politique :
les communautés européennes ont eu, jusqu’à la fin de la
Guerre froide, un caractère essentiellement économique. Les
choses ont changé avec la chute du mur de Berlin. L’Union
européenne s’est dotée avec le traité de Maastricht d’une
« politique étrangère et de sécurité commune », prolongement
de la coopération politique lancée dans les années 1970, puis
a développé à partir de 1999 une « politique européenne de
sécurité et de défense ». La rationalisation et la mutualisation
des outils et des moyens de la politique extérieure européenne
devraient encore progresser avec le traité de Lisbonne, qui
créera un haut représentant à double casquette (vice-président
de la Commission européenne, et disposant donc des leviers

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L’identité européenne dans l’OTAN 59

communautaires, tout en étant chargé de la coordination de la


politique étrangère au titre de la PESC). Ce haut représentant
s’appuiera sur un service d’action extérieure fusionnant les
moyens de la commission, du conseil et ceux apportés par les
États membres.
L’Union européenne se trouve ainsi dotée de tous les moyens
de gestion d’une crise : assistance humanitaire, aide à la
reconstruction, contribution à l’état de droit (police, justice),
et même moyens militaires. D’une certaine façon, l’UE a un
avantage comparatif majeur par rapport à l’OTAN ou l’ONU,
car elle peut jouer sur toute l’étendue du clavier et dispose
de toutes les ressources nécessaires. Au niveau mondial, c’est
l’organisation internationale qui dispose de loin du budget
le plus important (130 milliards d’euros par an, contre
2 milliards pour l’OTAN ou l’ONU).
L’Union européenne reste néanmoins en position d’infériorité
par rapport à l’OTAN pour deux raisons. La première relève
de la spécialisation militaire. L’OTAN garde une structure
militaire lourde héritée de la Guerre froide, alors que la
structuration militaire de l’Union européenne est encore
embryonnaire. Au nom de la « non-duplication », l’UE ne
s’est pas dotée d’une authentique structure de planification des
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opérations militaires. Il a été décidé au Conseil atlantique de
Berlin, en 1996, que l’UEO (Union de l’Europe occidentale,
qui se voulait à l’époque le « bras militaire » de l’UE) pouvait
recourir à la structure de commandement de l’OTAN pour ses
propres opérations militaires. Ces arrangements ont été repris
à son compte par l’UE en 2003, après qu’elle ait, en pratique,
absorbé l’UEO.
De ce fait, une spécialisation s’est établie entre l’OTAN,
chargée des missions de haute intensité, et l’UE, chargée des
missions moins stratégiques, et qui demeure dans une relation
de dépendance par rapport à l’OTAN. L’OTAN accomplit
les missions de combat (Bosnie, Kosovo, Afghanistan) et les
opérations de maintien de la paix les plus lourdes (Bosnie après
Dayton, Kosovo, Macédoine après l’accord de 2001). L’UE
prend le relais de l’OTAN quand l’intensité de l’engagement

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60 Maxime Lefebvre

décroît : Macédoine en 2003-2004, Bosnie à partir de 2004.


Et encore l’UE doit-elle alors continuer à s’appuyer sur la
structure de commandement de l’OTAN. Les opérations
militaires « autonomes » de l’Union européenne sont rares et
ponctuelles : par exemple dans la République démocratique
du Congo en 2003 puis 2006, ou au Tchad en 2008-2009.
Mais dans ce cas l’UE n’a pas les moyens de planifier elle-
même les opérations : elle doit s’appuyer sur la structure de
commandement d’un État membre. À part ces cinq opérations
militaires (deux appuyées sur l’OTAN, trois autonomes
appuyées sur des États membres), toutes les missions de la
PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) ont été
des missions civiles (missions de police, d’état de droit, ou
d’observation).
On peut voir les choses positivement en notant que l’UE
est partie de rien, qu’elle a progressivement développé une
capacité de réponses aux crises y compris par des moyens
militaires, qu’elle a su déployer ses premières opérations de
façon autonome, et qu’elle continue à se fixer des objectifs
ambitieux en matière de capacités militaires (cf. l’avion de
transport A400M, l’objectif d’une opération importante de
maintien de la paix, la capacité à mener plusieurs opérations
au niveau d’un “battle group” de 1 500 hommes, ou des
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opérations d’évacuation de ressortissants ou d’assistance
humanitaire). Mais il faut noter aussi que l’OTAN est restée
l’organisation dominante sur le plan militaire et qu’elle
demeure spécialisée dans les missions les plus lourdes, pour
ne pas dire les plus nobles. Et on ne peut s’empêcher de penser
que les faits donnent quelque peu raison au néoconservateur
Robert Kagan quand il disait en 2002 : « Les Américains font
la cuisine et les Européens font la vaisselle. »
La deuxième raison qui explique l’infériorité de l’UE par
rapport à l’OTAN relève de la géométrie stratégique. Il y a un
triangle États-Unis-UE-OTAN, mais qui s’articule mal. Le
dialogue UE-états-Unis porte principalement sur la politique
étrangère et les questions économiques. L’OTAN se concentre
sur les questions militaires et de sécurité. Les contacts entre
UE et OTAN sont réduits et de nature surtout opérationnelle,

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L’identité européenne dans l’OTAN 61

quand il s’agit de mettre en musique les opérations de l’UE


ayant recours aux moyens de l’OTAN, et butent sur le
problème de la participation à la PESD des alliés européens
non-membres de l’UE, tels que la Turquie. Enfin, Washington
maintient ses propres contacts avec les différentes capitales
européennes, et il existe certains formats restreints (tels que
le « quad », incluant l’Allemagne, la France et le Royaume-
Uni) qui permettent une concertation transatlantique plus
efficace ou plus confidentielle pour gérer les grands dossiers
internationaux.
C’est dire que l’architecture institutionnelle actuelle est
imparfaite et ne permet pas aux Européens de peser de façon
unie au sein de l’OTAN, face à la politique américaine. Toute
l’UE n’est pas représentée à l’OTAN, puisque six de ses
membres sont neutres. Tous les pays européens de l’OTAN
ne sont pas membres de l’UE (cf. la Norvège, l’Islande, la
Turquie, la Croatie, l’Albanie) et l’adhésion de la Turquie,
même si elle est poussée par les États-Unis, pose un problème
particulier aux Européens. Il est, de fait, dans l’histoire de
l’élargissement, que l’entrée dans l’OTAN a toujours précédé
l’entrée dans l’UE (sauf dans le cas de certains pays neutres
qui n’ont pas voulu adhérer à l’Alliance). Cela reflète le fait
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que l’UE, pas plus que l’OTAN, n’est un organisme autonome
qui produit sa propre volonté. L’UE comme l’OTAN sont des
organisations, certes à nature plus fédérale et plus intégrée
dans le cas de la première, mais qui dépendent de la volonté
des États. Et, de même que la puissance américaine a veillé
à maintenir un certain partage des rôles entre l’UE et
l’OTAN pour la gestion des crises, il est indéniable qu’elle a
considérablement pesé (et continuera sans doute de peser) sur
la fixation des frontières de l’Union européenne (on vient de
le voir à nouveau avec les pressions du président Obama pour
l’adhésion de la Turquie). Ce n’est pas un hasard non plus que
ce soit un secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, qui
soit devenu en 1999 haut représentant de l’Union européenne
pour la politique étrangère et de sécurité commune, et il
est bien possible que ce scénario se reproduise pour le haut
représentant « lisbonnisé ».

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62 Maxime Lefebvre

Conclusion : une identité européenne dans l’OTAN


est-elle possible ?

Le « pilier européen » de l’Alliance, défendu par Kennedy


en 1962, n’a pas vu le jour. L’OTAN reste une organisation
américaine, occidentale, dominée par la prodigieuse machine
de guerre américaine. Pour diverses raisons, et notamment du
fait qu’il n’est pas d’engagement militaire d’envergure qui
soit possible sans la puissance américaine, les pays européens
souhaitent le maintien de ce partenariat transatlantique
privilégié, et pratiquement aucun d’entre eux n’est disposé à
renforcer l’autonomie de l’Union européenne au détriment de
ce partenariat, qui assure à la fois l’unité de vues politiques
de la communauté occidentale et l’interopérabilité de ses
moyens. La création d’un « caucus européen » au sein de
l’OTAN, qui parlerait d’égal à égal avec les États-Unis, est
aussi peu probable que souhaitable aux yeux des Américains
comme des Européens.
Dans ces conditions, la question de l’équilibre des
responsabilités entre Européens et Américains à l’OTAN
est quelque peu secondaire. La France en avait fait un enjeu
majeur de sa réintégration dans la structure militaire intégrée,
en 1995-1997, en se focalisant sur le « commandement sud »
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à Naples. Mais en pratique la France a participé à toutes les
opérations militaires de l’Alliance et sa réintégration a été
rampante (retour au comité militaire à partir de 1992, envoi
d’une centaine d’officiers et sous-officiers à l’état-major en
2003). La réintégration complète, accomplie en 2009, relevait
surtout de l’ordre symbolique. En pratique, la France a obtenu
des postes importants dans la structure (un commandement
stratégique à Norfolk, chargé de la « transformation » des
forces militaires, et un commandement opérationnel à
Lisbonne, chargé de la force de réaction rapide) mais restera
par exemple absente du groupe des plans nucléaires, pour
préserver l’autonomie de sa dissuasion. Les États-Unis sont
le premier contributeur militaire et financier à l’organisation,
mais même si leur part est réduite (moins de 20 %), cela ne
change pas grand-chose au fait que, sur le plan strictement
militaire, ils dominent l’OTAN et l’OTAN domine l’UE.

, N° 13, Printemps-été 2009


L’identité européenne dans l’OTAN 63

Il n’empêche que l’Union européenne va continuer de


s’affirmer dans les affaires de sécurité, du fait que la sécurité
peut de moins en moins être appréhendée en termes purement
militaires, mais englobe des aspects de plus en plus larges
où l’UE bénéficie d’un avantage comparatif inestimable
(réchauffement climatique, sécurité énergétique, lutte contre le
terrorisme et contrôle du mouvement des personnes, observation
électorale, soutien à l’état de droit, à la police, à la justice, à la
lutte contre la corruption et le crime organisé, etc.). Certaines
questions d’importance stratégique n’ont pas encore reçu de
réponse définitive, comme par exemple les frontières définitives
de l’Union européenne, ou l’avenir de l’OTAN (une alliance
militaire des démocraties, ou un partenariat transatlantique
élargi aux aspects civils ?). La réponse à ces questions influencera
l’articulation du système multilatéral mondial, et déterminera
les relations qui s’établiront entre l’UE, l’OTAN, l’OSCE,
l’ONU, les organisations multilatérales économiques, et
d’autres organisations régionales. D’ici là, il serait plus naturel
et opportun d’appuyer l’identité européenne de sécurité et de
défense sur l’Union européenne elle-même, et de renforcer –
comme le propose par exemple le professeur Jolyon Howorth 2
– le maillon faible du partenariat transatlantique, c’est-à-dire
le dialogue institutionnel entre les États-Unis et l’Union
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européenne.

Références indicatives
Allin, Dana, et alii, Repairing the Damage: Possibilities and Limits of
Transatlantic Consensus, Oxford, Oxford University Press, 2007.
Anderson, Jeffrey, G. John Ikenberry & Thomas Risse, dir., The End
of the West? Crisis and Change in the Atlantic Order, Ithaca, Cornell
University Press, 2008
Andrews David M., dir., The Atlantic Alliance Under Stress: US-European
Relations After Iraq, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
Asmus, Ronald D., “New Purposes, New Plumbing. Rebuilding the
Atlantic Alliance”, The American Interest, November/December,
2008.

2. “A new Institutional Architecture for the Transatlantic Relationship?”,


Ifri, juin 2009, http://www.ifri.org/files/Europe_visions/EuropeVisions5_
Howorthen.pdf

, N° 13, Printemps-été 2009


64 Maxime Lefebvre

Brimmer, Esther, dir., The EU’s Search for a Strategic Role: ESDP and
its Implications for Transatlantic Relations, Washington DC: Center for
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, N° 13, Printemps-été 2009

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