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ESSEG-STATISTIQUE

Introduction à l’économie du développement

Pr. COUCHORO
Dr. EKPENTE

2022-2023

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Introduction
La faiblesse des revenus et la pauvreté qui caractérisent les pays en développement datent de
plusieurs siècles. Mais l’étude concernant la vie économique de ces pays reste un domaine
relativement récent. Les économistes attribuent le premier usage de l’expression économie du
développement à Paul Rosenstein-Rodan qui l’a utilisée pour la première fois en 1943. En
effet, c’est l’article de Rosenstein-Rodan, “ Problems of Industrialization of Eastern and
South-Eastern Europe” paru en 1943 dans l’Economic Journal qui a constitué le fer de lance
des publications consacrées à l’économie du développement.
Mais, si l’expression a été utilisée pour la première fois en 1943, ce n’est qu’après la
deuxième guerre mondiale qu’est apparue cette branche de l’économie appelée « économie du
développement ». La littérature antérieure qui remonte à Adam Smith et David Ricardo s’est
essentiellement penchée sur la croissance économique. L’originalité de l’article de
Rosenstein-Rodan réside dans le fait d’avoir mis l’accent sur les problèmes spécifiques posés
aux pays aujourd’hui appelés « pays en développement ».
W. Lewis (1984) définit l’économie du développement comme l’« analyse de l’économie des
pays les plus pauvres ». Cette définition a la limite de se réduire seulement à une partie du
monde. Un pays pauvre du point de vue de son revenu par tête peut ne pas présenter
l’essentiel des caractéristiques du sous-développement qui ne se limite pas seulement à la
pauvreté. L’économie du développement doit se référer à un caractère global et systémique et
peut être (selon Treillet, 2007) définie comme « l’étude des transformations structurelles sur
le long-terme des sociétés, en même temps que des blocages spécifiques qui entravent ces
transformations - ce qu’on appelle couramment le sous-développement ».
L’économie du développement, après avoir été sous le regard dominant de la théorie
classique, connait une nouvelle orientation à la faveur de la redécouverte, par les grandes
institutions internationales, du phénomène massif de la pauvreté et des mécanismes qui la
perpétuent. Aujourd’hui, le problème du sous-développement ou du développement va
prendre une signification nouvelle. Il ne s’agit plus, comme c’était le cas par le passé, d’aider
ou de faire démarrer la croissance. Il est remarquable que l’analyse du concept même de la
croissance, tel qu’il a été défini, utilisé théoriquement et formalisé pendant un long moment,
révèle son insuffisance pour fonder une politique économique à l’égard des pays en
développement. La croissance pour quoi ? en vue de quoi ? la croissance bienfaisante sous
quelles conditions, la croissance pour qui ? Il s’agit désormais de savoir comment sera
réorganisée la croissance afin que ses résultats puissent être mieux partagés. Le sous-

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développement est non seulement l’un des plus importants problèmes sociaux et économiques
de notre temps, mais également l’un des plus importants problèmes politiques de tous les
temps. « Il n’est pas question de le résoudre par la philanthropie ; aucune réponse
individuelle n’est valable, aucune campagne de lutte contre la faim qui se content d’émouvoir
le cœur des riches n’est efficace. Le sous-développement est un problème politique ; il ne peut
être résolu qu’au prix de profondes transformations dans les structures économiques, sociales
et mentales tant dans les pays en développement que dans les autres pays » (Alberini, 1967).
Ce cours a pour objectif de fournir l’état des lieux des économies et sociétés des pays en
développement en comparaison avec les autres, de montrer que le sous-développement reste
une réalité identifiable et de relever les traits significatifs du fonctionnement de ces
économies.

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Economie du développement et sa spécificité

Au moment où Paul Rosenstein-Rodan utilisait pour la première fois en 1943 l’expression


« économie du développement » dans son article un article “ Problems of Industrialization of
Eastern and South-Eastern Europe” paru en 1943 dans l’Economic Journal, nul ne pouvait
imaginer que ce papier jetait les premières bases d’une nouvelle discipline en économie.

I- Délimitation historique
L’économie du développement est donc apparue après la deuxième guerre mondiale à un
moment où un nombre important de pays encore colonisés, sur le continent africain et
asiatique, se lançaient dans une bataille acharnée pour leur indépendance et s’engageaient
ardemment dans une lutte de libération nationale. Cette période coïncide avec celle de la
constitution d’un sujet politique connu sous le nom de « Tiers-monde ».
« Nous parlons volontiers des deux mondes en présence, de leur guerre possible, de leur
coexistence, etc., oubliant trop souvent qu’il en existe un troisième, le plus important, et en
somme, le premier dans la chronologie. C’est l’ensemble de ce que l’on appelle, en style
Nations Unies, les pays sous-développés. […]. Ce qui importe à chacun de ces deux mondes,
c’est de conquérir le troisième ou du moins de l’avoir de son côté. […]. Les pays sous-
développés, le 3e monde, sont entrés dans une phase nouvelle » Alfred SAUVI (1952).
Au cours de cette période d’après-guerre, certaines techniques médicales se diffusent assez
vite parce que revenant relativement moins chères et ont permis d’augmenter l’espérance de
vie. Pendant que la natalité reste inchangée, le taux de natalité recule entrainant sur certains
points une amélioration économique : moins de mortalité des jeunes et plus de productivité
des adultes. Parallèlement, l’accroissement démographique entraine une augmentation de la
demande sociale qui impose des investissements vitaux qui eux revenaient plus cher que ce
qu’avait couté la diffusion des nouvelles technologies en médecine. Le manque de ces
investissements ouvre la voie à un cycle de misère.
L’économie du développement a fait l’objet au début des années 1980 d’une remise en cause
qui est née de la crise de la dette et des ruptures qui ont conduit aux stratégies d’ajustement
structurel.
En effet, la finance mondiale, débarrassée des entraves nationales, a connu une évolution dans
les années 60 et s’est accélérée avec des politiques monétaires des USA.

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Tout a commencé en 1958 avec la « saga » des eurodollars. Les choses s’accélèrent en 1966
avec la politique monétaire américaine visant à maîtriser l’inflation. Comme corollaire, les
banques voient les déposants les fuir alors que le trésor trouve un financement aisé. Il est
évident que ce mouvement allait permettre le financement simple pour les dépenses militaires
que le président Johnson engageait alors au Vietnam et pour lesquelles il souhaitait ne pas
avoir à consulter le congrès. En réaction, les banques américaines, privées de liquidité, vont
avoir recours aux eurodollars qui voient leurs taux d’intérêt grimper vite du fait de sa forte
demande. En 1970, la suppression de la politique monétaire restrictive américaine amène les
banques américaines à se replier sur le marché interne. Mais le marché des eurodollars n’a pas
connu un repli. Il reste vivant sous l’influence, cette fois-ci, des firmes multinationales
américaines et du besoin croissant de financement de certains PVD.
En effet, les firmes multinationales américaines, confrontées depuis 1965 à un impôt qui
taxait les revenus des prêts consentis par des résidents américains à des non-résidents, ce qui
rendait très coûteux leurs emprunts destinés aux implantations transnationales, se mettaient à
emprunter massivement sur le marché euro.
Les eurodollars vont également constituer le véhicule de l’endettement international des PVD
auprès des banques. En effet, les eurodollars vont se transformer en eurocrédits, un processus
qui sera dopé ensuite par les pétrodollars. A travers ces crédits, les PVD, les banquiers et les
firmes des pays développés trouvaient une convergence d’intérêt. Les PVD qui connaissaient,
du fait de la montée des prix du pétrole, un déficit courant important, empruntent
naturellement des eurocrédits auprès des eurobanques à l’époque sur-liquidées. Dans le même
temps les pays développés tentaient de pallier leur propre crise en créant des débauchés pour
leurs firmes, poussant ainsi leurs exportations vers les PVD.
Le marché des eurodollars a permis la résolution des grands déséquilibres des années 1970 et
a littéralement assuré la continuité des paiements internationaux. Mais sa souplesse
d’utilisation et le manque de supervision qui l’ont caractérisé explique en partie le
surendettement des PVD et d’autres conséquences liées à l’utilisation des eurodollars. La
hausse du taux d’intérêt américain a renchéri progressivement le service de la dette (intérêt +
principal) de tous ses pays qui se sont endettés sous forme rollover, crédit renouvelable avec
révision du taux d’intérêt en fonction du marché. Le taux révisable à six mois de ces crédits
passe en moyenne de 8 à 15% environ. Plusieurs pays latino-américains se retrouvent en quasi
cessation de pays et le Mexique est le premier, en 1982, à annoncer son impossibilité de
respecter ses échéances.

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Au Togo, la période d’avant 1980 a connu beaucoup des projets de développement
dont la plupart, financés par des emprunts internationaux, se sont révélés, à long terme,
inadéquats et non profitables tant sur le plan économique que social. A la fin de 1982,
désorienté, le Togo accepta les conditions des experts du FMI, le Programme d’Ajustement
Structurel.

Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) appliqués par les autorités depuis les années
80 ont entraîné le désengagement total de l’Etat de beaucoup de secteurs y compris la santé et
l’éducation. Il s’en est suivi l’arrêt de subventions dont le corollaire est l’augmentation de prix
dans le domaine de la consommation, la fermeture de nombreuses entreprises, synonyme de
chômage, l’arrêt de l’embauche dans la fonction publique, la baisse de la demande globale
etc. Certes, « les PAS ont eu le mérite d’éviter de courir tout droit dans le mur et de permettre
la transition démographique amorcée par le pays. C’est pour cela qu’il paraît tout à fait
indiqué de dire qu’ils ont été un mal nécessaire ». Mais ils ont aussi accentué la pauvreté, et
son impact réel sur le bien-être de la population n’a été réellement pris en considération qu’à
partir de 1994 à travers ce qui a été appelé : « la dimension sociale de l’ajustement
structurel ».

Après sa remise en cause à partir de la décennie 1980, l’économie du développement a trouvé


une réhabilitation à la faveur de la redécouverte par les grandes institutions internationales du
phénomène massif de la pauvreté et des mécanismes qui la perpétuent.

II- Délimitation théorique

2.1- Lien avec la croissance

Après la deuxième guerre mondiale, période de l’émergence de la discipline « économie du


développement », la préoccupation centrale des pays industrialisés était essentiellement axée
sur la croissance du PIB qui atteint à l’époque des rythmes sans précédent (une moyenne de
5%). Est-ce à dire que pour ces pays en question, le développement est synonyme de la
croissance économique ? Pour ce qui concerne la notion de développement telle qu’elle se
construit à la même période, elle s’élabore en se démarquant de la notion de croissance sans
perdre de vue le fait que la croissance constitue un préalable, certes non suffisant, mais
indispensable au développement.
Les nations ont considéré pendant longtemps, la croissance économique comme un objectif
économique à atteindre. Par croissance on entend une élévation du revenu par tête ainsi que
de la production. Un pays qui augmente sa production de biens et services, par quelque moyen

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que ce soit, en l’accompagnant d’une élévation du revenu moyen, à mis à son actif « une
croissance économique ». Une véritable interrogation sur le contenu et l’orientation de la
croissance met en lumière la possibilité qu’elle peut aggraver la situation des pays en
développement.
Il est remarquable que l’analyse du concept même de la croissance tel qu’il a été défini, utilisé
théoriquement sur une longue période avant les années 1980, révèle son insuffisance radicale
pour fonder une politique économique à l’égard des pays en développement. Toute une
question se pose autour du concept de croissance : « la croissance pour quoi » ? « en vue de
quoi »?, pour quoi ? L’on ne doit pas perde de vue le fait que la croissance peut être
appauvrissante, reposant sur la destruction ou la détérioration des ressources naturelles.
On peut donc sans aucun doute dire que le développement comporte davantage
d’implications. Un pays qui élève son revenu, mais sans assurer aussi une augmentation de
l’espérance de vie, une réduction de la mortalité et un accroissement des taux
d’alphabétisation échoue dans des aspects importants du développement.
Très souvent, le développement s’accompagne aussi des mutations de la structure
économique. Ainsi, une croissance économique sans développement est celle qui se fait sans
évolution qualitative et structurelle et constitue un signe de la concentration de nouveaux
revenus dans les mains d’une petite minorité. On peut citer à cet effet l’exemple de la
découverte et de l’exploitation récente de vastes gisements de pétrole au large de la côte de la
Guinée équatoriale. La conséquence immédiate est l’accroissement du revenu par tête passé
de 700$ à plus de 3700$ entre 1990 et 2003. Malgré cette accession soudaine à ce niveau
élevé de revenu individuel, la plupart des équato-guinéens n’ont guère vu de transformation
des faibles niveaux de leur éducation, de leur santé ou de leurs activités économiques.
Les évolutions structurelles constatées dans le processus du développement sont : la part
croissante de l’industrie dans le produit national, parallèlement à la baisse de celle de
l’agriculture et le pourcentage croissant des gens qui vivent en ville plutôt qu’à la campagne.
Aussi, constate-on une phase d’accélération, puis de ralentissement de la croissance
démographique, période au cours de laquelle la structure par âge de la population connaît un
changement spectaculaire. Les schémas de consommation également évoluent car les gens ne
sont plus obligés d’affecter la totalité de leur revenu à l’achat des biens indispensables, mais
s’orientent vers des biens de consommation durables et, enfin, vers des produits et des
services associés à des temps de loisirs. La croissance économique qui ne bénéficie qu’à une
minorité riche, du pays ou étrangère, ne constitue pas un développement.

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On peut illustrer ces cas en comparant l’évolution de la Corée du Sud, depuis 1960, à celle de
la Libye. Le premier a connu un processus totalement différent de celui du second dont le
changement repose sur la découverte du pétrole. Les deux pays ont enregistré une forte hausse
des revenus individuels. En Libye, cette hausse a été le fait de firmes étrangères, au personnel
constitué en majorité de techniciens expatriés. Malgré les ressources importantes qu’ils ont
tirées du pétrole, le pouvoir public et le peuple libyen n’ont guère participé à la production de
ce revenu. La croissance pétrolière a eu, dans une large mesure, un effet équivalent à celui
qu’aurait provoqué la décision d’un pays riche d’accorder à la Libye, sous forme de don, une
aide importante.

2.2- Dépassement des approches linéaires

L’économie du développement s’est donc construite en faisant un dépassement des courants


de pensée d’inspiration libérale, notamment la théorie des étapes de croissance dont W. W.
Rostow constitue l’un des chefs de fil. Rostow, dans son ouvrage, Les Etapes de la croissance
économique, un manifeste non communiste (1961), recense cinq étapes du développement par
lequel toute société doit passer à un moment donné de son histoire. Il s’agit de :
- La société traditionnelle ;
- Les étapes préalables au décollage ;
- Le décollage (take-off) ;
- La marche vers la maturité ;
- L’ère de la consommation de masse.
La société traditionnelle se caractérise essentiellement par l’agriculture qui la domine ; le
progrès technique est inexistant ; la croissance est quasiment nulle et les mentalités
n’envisagent aucun changement.
Les étapes préalables au décollage, dont la description s’articule autour de ce qu’avaient vécu
les sociétés européennes du 15 au 18e siècle, se caractérisent par le changement des mentalités
qui commence par rompre avec la fatalité, l’amorce des échanges et des techniques, une
augmentation des épargnes.
A l’étape du décollage ou le take-off, la société s’affranchit de tout obstacle qui freine la
croissance. Cette étape se caractérise par l’augmentation significative des taux d’épargne et
d’investissement et le passage à une croissance cumulative. Les niveaux de vie s'améliorent.
Le processus de croissance est auto-suffisant. Grâce à de nouvelles configurations socio-

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politiques, ce qui n'est qu'une simple accélération économique peut être transformé en un
processus d'accumulation générale, qui in fine produit un accroissement du revenu individuel.
A la quatrième étape, marche vers la maturité, le progrès technique se diffuse à l’ensemble
des activités et l'accélération économique s'étend à d'autres secteurs économiques qui
jusqu'alors n'avaient pas décollé. Lorsque la part de l'investissement commence à décliner, un
plus grand nombre de ressources est allouée à la consommation et la cinquième étape est
atteinte.
A la cinquième étape, la dernière, la croissance mène à l'étape ultime de la société de la
« consommation de masse » et le pouvoir d'achat y est largement mieux réparti.

Cette approche linéaire n’est pas à l’abri de nombreuses critiques. Bien que dans le contexte
actuel du tiers-monde, on retrouve quelques éléments semblables à ce qu’avaient connu les
économies précapitalistes de l’Europe, on ne peut pas pour plusieurs raisons assimiler
l’économie des pays en voies de développement à celle des sociétés précapitalistes
européennes. En effet, l’étape du décollage semble reproduire les scénarii de la révolution
agricole puis celle industrielle en Grande Bretagne. Or, bien avant que les pays en
développement n’atteignent cette étape, la structure de leur économie a été radicalement
modifiée de façon irréversible par la colonisation. En outre, la nouvelle donne de l’économie
planétaire, caractérisée par une intensification des mouvements internationaux de capitaux,
globalisation financière et la mondialisation, n’offre pas la possibilité à ses pays de franchir
l’étape de l’industrialisation dans les mêmes conditions que les pays aujourd’hui
industrialisés.
Par ailleurs, rien n’indique que les étapes à franchir doivent être partout les mêmes quelles
que soit la société.

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Caractéristiques des pays sous-développés

Introduction
De nombreux termes différents sont utilisés pour caractériser les pays en développement. Ces
termes visent à opposer l’état de ces pays ou leur rythme d’évolution à ceux des pays
modernes, avancés et développés. Avant de faire l’état des lieux caractéristique des pays en
développement, il semble important d’abord de définir le développement. Pour définir le
développement, on se réfère souvent à la définition devenue classique proposée par
l’économiste français François Perroux en 1961 : c’est « la combinaison des changements
mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et
durablement son produit réel et global ». Cette définition implique deux faits principaux : si la
croissance peut se réaliser sans forcément entraîner le développement (partage très inégalitaire
des richesses, captation des fruits de la croissance par une élite au détriment du reste de la
population), il y a tout de même une forte interdépendance entre croissance et développement
(le développement est source de croissance et nécessite une accumulation initiale). Enfin, le
développement est un processus de long terme, qui a des effets durables. Une période brève
de croissance économique ne peut ainsi être assimilée au développement. Comme nous
l’avons montré dans le chapitre précédent, le développement englobe des bouleversements
plus grands (valeurs et normes sociales, structure sociale, etc.) que le simple processus de
croissance économique : le développement est par nature un phénomène qualitatif de
transformation sociétale (éducation, santé, libertés civiles et politiques…) alors que la
croissance économique est seulement un phénomène quantitatif d’accumulation de richesses.
Partant de cette définition, que peut-on comprendre à travers la notion du sous-
développement ?

I- Terminologies du sous-développement
La notion de « pays sous-développé » est utilisée pour la première fois par le président
américain Harry Truman en 1949, lors de son discours sur l’état de l’Union (« point IV »). Il y
justifie l’aide que doivent apporter les pays riches aux pays pauvres afin d’endiguer la montée
du communisme. C’est donc dans un contexte de guerre froide que se forge le débat sur les
appellations des pays les plus pauvres. Par la suite, plusieurs dénominations vont se succéder
pour désigner les pays concernés.

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1.1- Sous-développement, économie sous-développée :
Ces termes qui véhiculent l’idée de retard à combler pour ces pays, et l’objectif à atteindre est
de rattraper la situation des économies industrialisées. Celles-ci sont considérées comme la
norme à atteindre à travers un long processus linéaire et standardisé suivant une vision
Rostowienne. Une question se pose alors : ce que nous entendons par développement n’est-il
qu’une certaine conception de ce que doit être le progrès humain et propre au monde
occidental ? Derrière la notion de développement se cacherait le modèle économique de
production capitaliste. Ainsi, le souhait de voir se développer les pays pauvres participerait
d’un projet de normalisation capitaliste et libérale du monde. C’est la thèse défendue par un
courant de pensée anti-développement, proche du mouvement de la décroissance, et
représenté en France par Serge Latouche ou Gilbert Rist. Ce dernier assimile même le
développement à une religion, une croyance imposée à tous et encadrée par des rites (mode de
production capitaliste, rapports marchands, discours mettant en avant la notion de progrès et
de modernité sans les définir, etc.). Cette conception critique du développement s’appuie sur
les travaux qui soutiennent la thèse que les sociétés primitives, sous-développées au sens
occidental, ne connaissent pas la pénurie mais l’abondance du fait du peu de besoins à
satisfaire. On voit alors émerger la critique du capitalisme : c’est le fait que le système
capitaliste crée de nouveaux besoins qui crée alors le sous-développement. Une vie heureuse
et accomplie serait donc possible en dehors du développement.

1.2- Pays en voie de développement, ou pays en développement


C’est la terminologie, jugée moins péjorative, la plus utilisée de nos jours. Elle laisse supposer
que la situation des pays concernée s’améliore effectivement de façon continue sur le long
terme.
1.3- Nord-Sud :
Cette terminologie met en évidence un clivage persistant entre les économies industrialisées et
les autres. Elle renvoie à une conception géographique, les économies du « Sud » étant
majoritairement situés sous le tropique du Cancer et leurs conditions climatiques (climat
tropical, nature ingrate, catastrophes naturelles) les empêche de se développer ; mais cette
explication est de nos jours invalidée. En effet, on trouve des économies riches au sud :
Australie, Nouvelle-Zélande avec un climat tropical ; du désert aux USA ; des catastrophes
naturelles au Japon. On remarque que les conséquences des catastrophes naturelles dépendent
du niveau de développement des pays concernés.

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1.4- Pays pauvres :
Ce terme décrit la situation de la majorité de la population de ses pays en ignorant la forte
inégalité et l’existence d’une catégorie sociale extrêmement riche. Cette terminologie suppose
en outre que la situation de ces pays est due à un manque global de ressource sans mettre en
cause l’éventualité d’une mauvaise utilisation/affectation ou répartition de ces ressources.
Rappelons que la notion de pauvreté elle-même n’est pas univoque et renvoie à plusieurs
critères possibles.

1.5- Périphérie :
Ce terme, forgé par les économistes structuralistes dans les années 1950, renvoie à un centre
et souligne le fait qu’on a affaire à deux pôles de l’économie mondiale dont les structures sont
différentes et dont l’un domine l’autre sur le plan mondial.

1.6- Tiers-monde
En 1952, le démographe et économiste français Alfred Sauvy utilise la notion de « tiers-
monde » pour qualifier les pays sous-développés. En faisant référence au tiers état de l’Ancien
Régime, il entend dénoncer la marginalité dans laquelle se trouve ce troisième monde à côté
des deux blocs en conflit et annoncer son émergence imminente en force politique mondiale :
« Car enfin ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi,
quelque chose. » C’est l’époque où les pays pauvres s’allient dans un but commun : dénoncer
la logique des blocs et revendiquer leur voix dans le concert mondial des nations. Ainsi, en
1955, la conférence de Bandoeng voit naître le tiers-monde comme mouvement politique :
c’est le début du mouvement des « non-alignés », voie médiane entre les deux blocs américain
et russe, qui revendique un « Nouvel Ordre Economique International » (NOEI).,
II- Qu’est ce qui caractérise les pays sous-développés ?
2.1- Des structures économiques et sociales désarticulées
Les PED se caractérisent par une structure économique et sociale qui constitue un obstacle à
leur développement (économie agraire, État faible, structure sociale très inégalitaire…). Le
courant tiers-mondiste, en particulier, met en accusation le passé colonial des PED pour
l’expliquer. En effet, la majorité des PED sont d’anciennes colonies. Ils ont donc hérité d’une
structure économique et sociale désarticulée du fait que les pays colonisateurs ont orienté leur
production en fonction de leurs propres besoins, provoquant un démantèlement des économies
locales. Par exemple, dès le XIXe siècle, la Grande-Bretagne a imposé à l’Inde de se
spécialiser dans la production et l’exportation de coton brut vendu aux entreprises anglo-

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saxonnes et l’importation de cotonnade (produit transformé), alors même que l’Inde disposait
d’un tissu productif de cotonnade performant. Cette spécialisation forcée a provoqué
l’effondrement de l’artisanat indien du coton. Ainsi près de la totalité des exportations des
colonies étaient à destination des pays colonisateurs. Les PED ont une structure économique
déséquilibrée reposant sur un très fort secteur primaire peu productif et une très faible
industrialisation. Leur production est peu diversifiée et, du fait de la faiblesse du marché
intérieur, leurs exportations sont fort dépendantes de l’évolution des cours mondiaux. Ainsi la
colonisation a empêché le processus de révolution industrielle dans les colonies en leur
assignant la spécialisation dans une économie agraire. De plus, la colonisation a aussi
provoqué la déstructuration de l’organisation sociale. Les pertes humaines ont été très lourdes
(entre 40 et 100 millions d’hommes perdus pour l’Afrique du fait de la traite des esclaves), ce
qui a enrayé tout processus de développement économique. L’imposition violente de normes
économiques et sociales occidentales (utilisation de la monnaie pour les échanges,
remplacement des terres communautaires par des propriétés privées) a déstructuré
l’organisation sociale et économique traditionnelle des pays africains et asiatiques, ainsi que
la cohésion sociale de ces régions. La colonisation a aussi redéfini les frontières, en particulier
en Afrique, rendant parfois impossible l’émergence d’États-nations viables.
Il ne faut cependant pas faire retomber toute la responsabilité du sous-développement sur la
colonisation. Par exemple, certains PED n’ont jamais été colonisés (l’Éthiopie) et certains
pays développés l’ont été (Canada, Australie). De plus, le pillage des ressources naturelles des
colonies par les colonisateurs a été remis en cause par des travaux empiriques (Paul Bairoch)
qui ont montré que les matières premières ont peu joué dans la révolution industrielle des pays
développés. Le poids de la colonisation dans le sous-développement des ex-colonies dépend
donc surtout de la situation initiale du pays avant qu’il soit colonisé (type de production,
structure sociale…).
2.2- Forte démographie
Les PED se caractérisent par une forte croissance démographique du fait que leur transition
démographique (passage d’un régime démographique à forte natalité et mortalité à un régime
démographique à faible natalité et mortalité par l’intermédiaire d’un régime d’expansion
élevée de la population) n’est pas achevée. Ainsi, ils représentaient 1,7 milliard d’habitants en
1950, près de 5 milliards en 2000, et devraient peser entre 8 et 12 milliards en 2050 selon les
prévisions de l’ONU. La fécondité y est forte (plus de 3 enfants par femme en moyenne en
2000), même si elle diminue depuis les années 1960, période du plus fort accroissement
démographique (la population augmentait de 2,5 % par an en moyenne). La mortalité y est

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encore élevée, ce qui explique une espérance de vie à la naissance très faible par rapport aux
pays développés (62,9 ans contre 74,9 ans en 2000).
2.3- Une faible insertion dans le commerce international
Les PED occupent une place minoritaire dans les échanges internationaux. Ils sont à l’origine
de 37 % des exportations de marchandises mondiales en 2005, une part identique à celle de
1948 même si elle est en progression depuis les années 1970. Cette part est d’autant plus
faible que ces pays regroupent 80 % de la population mondiale.
De plus, le commerce intra-zone des PED est très faible. En effet, une très grande part de
leurs exportations est à destination des pays riches : seulement 17,4 % des échanges totaux
pour l’Amérique latine, 10,6 % pour le Moyen-Orient et 9,4 % pour l’Afrique sont des
échanges intra-zone (données 2005). Les relations commerciales Sud-Sud sont donc
marginales.
Cette faible place dans le commerce international est due à plusieurs facteurs : une
spécialisation dans les produits primaires défavorable, des prix internationaux peu avantageux
depuis les années 1980, des obstacles au commerce international mis en place par les pays du
Nord (barrières non tarifaires, quotas comme pour le textile et l’habillement…) et aussi des
facteurs structurels internes aux PED (distance géographique, culturelle – langue, religion… –
par rapport aux grands foyers géographiques d’échange).
III- Mesure du sous-développement

3.1- La mesure par le revenu/habitant

La Banque mondiale mesure le niveau de développement par un indicateur de richesse, le


revenu moyen de la population. Cela lui permet de classer les pays en trois catégories selon
leur niveau de richesse (les données sont de 2006) :
• 53 pays à revenu faible (moins de 905 $/habitant) : on y retrouve en majorité des
pays pauvres africains et asiatiques comme le Mali, le Kenya, le Libéria, la
Mauritanie, le Bangladesh, le Cambodge, le Népal… mais aussi l’Inde ;
• 96 pays à revenu intermédiaire (entre 906 et 11 115 $/habitant) : devant la trop
grande hétérogénéité de cette catégorie, la Banque mondiale la structure en deux sous-
catégories depuis 1989 :
– 55 pays à revenu intermédiaire tranche inférieure (entre 906 et 3 595
$/habitant) : on y retrouve d’autres PED d’Afrique et d’Asie comme l’Algérie,
le Sri Lanka et surtout la Chine, mais aussi des PED d’Amérique latine comme

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Cuba ou la Colombie et des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en
transition comme l’Albanie, la Moldavie ou l’Ukraine ;
– 41 pays à revenu intermédiaire tranche supérieure (entre 3 596 et 11 115
$/habitant) : on y retrouve encore des PED comme les grands pays d’Amérique
latine que sont le Brésil ou l’Argentine, et la majorité des PECO comme la
Hongrie ou la Pologne et surtout la Russie ;
• 60 pays à revenu élevé (plus de 11 116 $/habitant) : ce sont les PD mais aussi
certains pays du Moyen-Orient comme le Qatar, les Émirats arabes unis ou le Koweït,
et des pays asiatiques comme la Corée du Sud, Hong Kong ou Singapour.
Cette classification rencontre des limites comme l’illustre le fait que les PED sont
représentés dans toutes les catégories. En effet, cette classification ne tient pas compte
par exemple de la répartition et de l’utilisation des revenus, et n’est donc pas affectée
par les inégalités internes des pays. De plus, elle réduit le développement à la seule
variable du niveau de vie.

3.2- La mesure par les indicateurs de développement


Le niveau de développement d’un pays ne se limite pas à son niveau de richesse économique,
le développement ne se réduisant pas à la croissance économique. C’est pourquoi d’autres
indicateurs sont souvent utilisés. Ainsi, le taux de mortalité infantile est l’un des plus
pertinents puisqu’il est affecté par le niveau d’éducation des femmes d’un pays, le niveau
d’exposition aux maladies de la population et le niveau du système de santé (hôpitaux…). On
considère qu’un pays ayant un taux de mortalité infantile supérieur à 5 % est en sous-
développement. Mais cet indicateur est encore trop limité, car il ne prend pas en compte
suffisamment de facteurs de développement. Le PNUD a donc créé en 1990 un indicateur
synthétique, l’indicateur de développement humain (IDH). Considérant que le
développement traduit l’extension des possibilités humaines, celle-ci nécessite trois
conditions : la possibilité de vivre longtemps et en bonne santé, la possibilité de s’instruire, et
enfin les possibilités d’accès aux ressources permettant de vivre convenablement. Pour
représenter ces trois dimensions du développement (santé, éducation, niveau de vie), l’IDH
synthétise trois indicateurs mesurés de 0 à 1 (plus il est élevé, plus le pays est développé) :
• un indicateur de longévité et de santé mesuré par l’espérance de vie à la naissance ;
• un indicateur d’instruction mesuré pour deux tiers par le taux d’alphabétisation des
adultes et pour un tiers par le taux de scolarisation ;

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• un indicateur de niveau de vie mesuré par le PIB/habitant en PPA (parité de pouvoir
d’achat).
L’IDH donc est un indice composite qui mesure l’évolution d’un pays selon trois critères de
base du développement humain : Santé et longévité (mesurée par l’espérance de vie à la
naissance), savoir (mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes et le taux brut de
scolarisation combiné du primaire, du secondaire et du supérieur), et un niveau de vie décent
(mesuré par le PIB par habitant respectant la parité de pouvoir d’achat en dollar US). Lorsque
le développement est élevé, l’IDH tend vers 1 (un), et lorsqu’il est faible alors l’IDH prend
une valeur voisine de 0 (zéro).

Conclusion
Les PED, quelle que soit la terminologie associée, ont en commun des réalités. On peut de ce
fait dire, en reprenant Sylvie Brunel, que le sous-développement se manifeste par plusieurs
critères au nombre desquels on peut citer : une pauvreté de masse ; de fortes inégalités par
rapport aux pays développés mais aussi à l’intérieur du pays lui-même hommes/femmes,
urbains/ruraux…) ; l’exclusion du pays du commerce international, des connaissances
scientifiques mondiales… mais aussi d’une partie de la population au sein même du pays
(femmes, populations rurales…) ; l’insécurité, qu’elle soit environnementale, sanitaire ou
encore politique, dans laquelle vit la majorité de la population

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Les causes du sous-développement

On distingue les causes proprement économiques, de toutes les autres : historiques,


géographiques, socioculturelles.

1 - Les explications économiques du sous-développement

Il existe plusieurs théories économiques qui tentent d’expliquer les causes du sous-
développement.

1.1- La théorie des cercles vicieux : La pauvreté auto-entretenue

Ragnar Nurkse (1953) est à l’origine de cette représentation des cercles vicieux de la pauvreté
et de la stagnation. Le sous-développement s’entretient de lui-même car les pays pauvres ne
peuvent pas sortir d’une série de cercles vicieux, qu’on peut schématiser de la façon suivante :

1- Pauvreté  Faibles revenus  faible épargnes  faible investissement  peu de


capital  faible productivité  faibles revenus, etc.
2- Faibles revenus  alimentation insuffisantes  faible productivité  Faibles
revenus etc.
3- Faibles revenus  demande faibles  marché étroits manques de débouché 
faibles investissements  basse productivité, etc.

La rupture de ces cercles vicieux peut être provoquée, selon Nurkse, par un apport de
ressources extérieures qui va permettre d’accroître le stock de capital et donc la productivité,
les revenus et la demande, et par là l’investissement interne, engageant ainsi les pays sur la
voie du développement économique.

Cependant, cette analyse qui justifie le sous-développement des pays dans la pauvreté de ces
derniers parait moins pertinente pour expliquer le sous-développement. Bien au contraire,
cette analyse explique mieux les difficultés du démarrage dans le contexte des pays les plus
pauvres. Et même pour ces sociétés, l’absence d’épargne, à l’origine du premier cercle
vicieux a été mise en doute. Par ailleurs, l’existence de ces cercles vicieux n’a pas empêché le
développement économique des premiers pays qui se sont industrialisés aux XVIIIe-XIXe
siècles, partis avec peu de capital et sans aide extérieure.

1.2- Les théories de la domination : le sous-développement, conséquence des


échanges et de l’impérialisme.

Deux thèses qualifiées de tiers-mondistes seront présentées. L’une plus modérée qui insiste
sur le rôle du commerce international tel qu’elle a été présentée entre autres par Gunnar
Myrdal et qu’on peut rattacher au courant structuraliste, et l’autre plus radicale : la thèse
néomarxiste du rôle néfaste de l’impérialisme, depuis Lénine.

1.3- Le rôle du commerce international


17
Cette thèse qui va à l’encontre du crédo libéral soutient que les échanges commerciaux ont
encouragé le processus de développement de certains pays au détriment des autres en
entrainant. Pour Myrdal le « commerce international ne conduit pas au développement. Il tend
plutôt à avoir des effets retardataires (backsetting) et renforce la stagnation ou la régression ».
Ceci s’explique par le fait que le libre-échange favorise les pays avancés, ruines les activités
anciennes des pays pauvres, les confine dans des spécialisations primaires désavantageuses.
Ces derniers sont également victimes de la détérioration des termes de l’échange et des
pratiques malveillantes des firmes multinationales. Ainsi doivent-ils pratiquer une politique
protectionniste pour faciliter leur développement par la création d’un marché interne, une
politique tournée vers l’intérieur, basé sur la formation d’industries nationales grâce à une
planification et des contrôles strictes accompagnés de formes sociales pour réduire des
inégalités.

1.4- L’impérialisme : l’exploitation coloniale et le néocolonialisme

La thèse néomarxiste partagée par les différents courants tiers-mondistes et les écoles de la
dépendance en Amériques latine est que cet impérialisme a empêché le développement des
pays du sud tout en stimulant le développement des pays du nord. L’exploitation coloniale a
entrainé un transfert de richesse des pays pauvres vers les pays riches. Ce transfert a pris de
différentes formes : le commerce triangulaires, l’exploitation coloniale des richesses
minérales et agricoles des pays assujettis, la désarticulation des économies colonisés, les bas
prix des matières premières, la dégradation des termes de l’échange, les salaires de misères
payés au sud, les transferts de profits des firmes multinationales, la fuite des cerveaux etc.

A l’origine de cette conception on trouve l’idée d’une opposition d’intérêt irréversible entre
les pays développés et les pays du tiers monde. Comme le disait Paul Baran (1967), un
marxiste américain « le développement économique des pays sous-développés est
profondément hostile aux intérêts dominants dans les pays capitalistes avancés ». Le
capitalisme entraine ainsi, un blocage du développement et la seule voie passe alors par une
rupture politique, une déconnexion selon l’expression de Samir Amin.

1.5- Le sous-développement, retard de développement ?

Pour cette école, au lieu de se poser la question pourquoi le sous-développement, on devrait


s’interroger sur le processus de développement lui-même. On peut néanmoins avancer que
cette transformation sans précédent résulte de la conjonction de différents facteurs comme les
progrès techniques et les inventions, d’abord dans le secteur agricole (dès 1720 en Angleterre)
puis industriel ; ensuite des changements institutionnels favorables, la création d’Etat de droit,
le règne de la loi, la sécurité, la paix civile, enfin la libération de l’économie des contraintes
opposées par les églises et les autorités publiques, le passage à l’économie de marché, la
liberté d’entreprise, bref la dynamique du capitalisme.

Le développement s’est ensuite progressivement diffusé à partir de l’Angleterre, aux pays


voisins d’Europe puis à ceux ayant la même culture (USA, Canada, Australie) et petit à petit
au reste du monde (Amérique latine, extrême orient) par un phénomène de tâche d’huile.

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Dans cette optique, le sous-développement est simplement la conséquence du fait que cette
diffusion du progrès économique et de la révolution industrielle n’a pas encore eu le temps de
se réaliser partout. Le développement est un phénomène lent et progressif, se fait en plusieurs
années et peut prendre des décennies et même des siècles.

2- Les explications non économiques du sous-développement


2.1- Les facteurs historiques et géographiques, à l’origine du sous-
développement

La multiplication des échanges depuis la plus haute antiquité autour du croissant fertile au
Moyen-Orient, vers la méditerranée et l’Europe d’une part, l’Inde et la Chine d’autre part,
contraste avec l’isolement de continents entiers (Afrique au sud du Sahara, Amérique,
Océanie) qui permet d’expliquer leur retard. L’expansion européenne commence au XVe
siècle pour se terminer avec la colonisation en Afrique et en Asie. L’Afrique noire a été isolée
des grands foyers de civilisation par des océans, et le Sahara au nord, si bien que selon les
historiens, à la fin du XIXe siècle, « la majeure partie du continent s’attardait encore dans de
genres de vie néolithiques ». Seuls les grands empires de l’Afrique occidentale avaient une
organisation politique élaborée et des échanges commerciaux et culturels avec les Arabes.

Face à cette situation, il est difficile de croire que le contact avec les occidentaux et la
colonisation soient responsables du sous-développement. Durant près de 5 millénaires, les
progrès techniques se sont accumulés de façon discontinue en occident et les sociétés
traditionnelles d’Afrique, d’Océanie ou d’Amérique resté à l’état stationnaire auraient, sans
aucun doute connu peu d’évolution sans le contact avec l’occident. Par ailleurs, les Européens
ont bénéficié des connaissances et des avancées techniques (papier, boussole, médecine,
mathématique, imprimerie) de grandes civilisations du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique du
nord au Moyen-Age qui ont constitué le soubassement de leur éclosion. Cependant, l’entrée
en phases de déclin des grands empires au courant du XVe siècle (ottoman, dynasties Ming et
Manchoue en Chine, Empire Moghol en Inde) explique le décalage croissant en faveur de
l’Europe et le sous-développement de ces régions face à l’occident, à partir du XIXe siècle.

Des facteurs géographiques peuvent aussi expliquer le sous-développement : l’aspect massif


du continent africain, le caractère peu propice à la navigation de côtes rectilignes empêchant
l’échange, à la différence des conditions favorables trouvées en Méditerranée, en Europe et
dans l’Atlantique expliquent la fantastique expansion maritime des peuples de la
Méditerranée, de l’Europe du nordique et de l’Europe Atlantique, à l’origine de la
multiplication des échanges et du développement économique. L’hostilité du milieu naturel
maritime, les conditions difficiles liées aux sols et aux climats en Afrique noire sont en
revanche, à l’origine de l’enclavement des régions et des peuples, de la faible extension du
commerce, et finalement du retard économique.

2.2- Les facteurs culturels

Une thèse couramment évoquée est que les mentalités, les systèmes de valeurs, voire les
religions et les doctrines philosophiques, s’opposeraient au développement économique dans
le tiers monde. Ainsi, le développement industriel requiert « l’existence d’échange

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monétarisé, de besoins illimités et l’organisation de la production sur une grande échelle ».
Or, certaines populations ont des besoins limités, les petits producteurs et les artisans
dominent, ils ne sont pas orientés vers l’épargne, le commerce, n’ont pas la volonté
d’accumuler, d’investir, d’accroitre leur taille. « La production est organiser par la
communauté restreinte, et l’échange se réduit au troc entre les voisins » (Elkan, 1976) cette
communauté exerce en outre une pression sociale sur ceux qui voudraient opérer des
changements. Ainsi, l’organisation totalitaire de ces sociétés basée sur la suprématie du chef,
les stéréotypes culturels, la religion peuvent renforcer les différences économiques entre les
groupes.

Les valeurs et les comportements dans les pays pauvres seraient donc incompatibles avec
l’introduction des techniques et méthodes modernes de production. Les agents économiques
ne réagiraient pas de façon rationnelle aux variations des prix et aux incitation monétaires :
Ainsi une hausse des prix ne stimule pas forcément un accroissement de la production, pour
maximiser le profit, si le producteur estime que la hausse des prix lui permet de réduire au
contraire sa production en maintenant son niveau de revenu… Leur comportement serait donc
antiéconomique ou a-économique.

2.3- Les Facteurs politiques, juridiques éducatifs et institutionnels

Le développement des échanges et la spécialisation, conditions de la croissance économique,


requièrent un milieu favorable dont on peut retenir les éléments suivants. :

 Un ordre juridique rationnel, des droits de propriété assurées, la protection des contrats. Il
faut donc un système légal solide qui assure les droits de propriété et qui garantisse que
les contrats seront bien spécifiés et appliqués.
 La sécurité des échanges : Le développement du brigandage des guérillas, peut paralyser
la production et entrainé le recul des pays des décennies en arrières.
 La stabilité politique et sociale : La répétition des coups d’Etats, les changements de
régime, les troubles intérieurs, les conflits sont autant de facteurs nuisant au
développement économique. Il est nécessaire que l’Etat s’engage de façon crédible dans la
garantie des droits individuels et la protection des citoyens pour que les comportements
favorables au développement se mettent en place.
 La transparence : La corruption, la bureaucratie, le népotisme, le clientélisme, les
détournements de fonds, l’utilisation d’un pouvoir public à des fins et des gains privés,
sont des caractéristiques fréquentes des pays du sud qui nuisent à leur développement.
 La liberté et la mobilité du travail : le statut héréditaire de l’emploi, la persistance du
système des castes en Afrique et en Inde, les privilèges dues à la naissance, la pratique de
l’esclavage sont autant d’obstacles au développement.
 Le rôle de l’unité national et de l’Etat central : un pays déchiré en ethnies rivales, comme
c’est souvent en Afrique, un Etat insuffisamment fort et respecté, l’inexistence d’un
service public efficace, honnête et compétent, créeront évidemment des difficultés
majeures pour les politiques de développement.

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 Le rôle de l’éducation : Il est théoriquement montré le rôle et la spécificité du capital
humain, l’importance de la formation pour expliquer les revenus des individus et
l’éducation comme moteur de la croissance économique. Le Développement de
l’éducation de masse est lié à la croissance économique par le biais essentiellement de
l’aptitude à maitriser et à adopter les processus techniques.

Le rôle des institutions

L’économie institutionnelle s’est également intéressée à l’explication du sous-


développement. North, une figure de la nouvelle économie institutionnelle, critique
l’analyse néoclassique comme ayant ignoré les institutions, le rôle des idées et des
idéologies, le processus politique… Il définit les institutions comme des « contraintes
établies par les hommes pour structurer les interactions humaines. Elles se composent de
contraintes formelles (comme les règles, les lois, les constitutions) et des contraintes
informelles (normes de comportement, des conventions, des codes de conduites) et les
caractéristiques de leur application.
Il introduit la théorie des droits de propriété et considère en outre que le droit de propriété
(droit au revenu, l’aliénabilité des actifs) constitue le cœur des institutions informelles.
Pour North, on obtient des institutions efficaces par un système de politique qui incorpore
des incitations à créer et faire respecter des droits de propriété efficaces. Les sociétés qui
conduisent à des droits de propriétés sûrs et clairement définis ont été à la source de la
prospérité, le cas des pays occidentaux.
North a en outre étudié la trajectoire divergente en termes de développement de la France
et de l’Espagne, d’un côté, et la Grande Bretagne et la Hollande de l’autre. Il montre que
le besoin permanant de revenu pour l’Etat dans les deux premiers pays a conduit à
instaurer des institutions qui ont conféré des monopoles à des compagnies et à empiéter
sur les droits de propriété privés, ce qui conduit à la stagnation économique de la France et
de l’Espagne. En revanche, en Grande Bretagne et en Hollande, l’intérêt des classes
marchandes a conduit à la mise en place d’institutions qui ont créée des incitations
favorables à des échanges efficaces, grâce à la protection des droits de propriété.
Chacun de ces pays a transmis sa forme d’institution à leurs colonies. Si les colonies
espagnoles, portugaises et françaises se sont bloquées dans la trajectoire médiocre de
développement, les colonies anglaises ont connu une croissance durable.
Acemuglo, quant à lui, fonde son analyse sur les institutions extractives et les institutions
inclusives. Pour celui-ci, la mortalité des colons à l’origine peut être utilisée comme une

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substitution de la qualité des institutions dans l’explication de la trajectoire économique
divergente de diverses nations autrefois colonisées. Il explique que les européens ont
établi des colonies de peuplement en raison des conditions sanitaires et de vie favorables.
Ils ont mis en place des institutions inclusives dans le cas des colonies de peuplement qui
sont favorables au droit de propriété et donc à la croissance (le cas de la Grande Bretagne
essentiellement). Au contraire là où prévalent les maladies (malaria, fièvre jaune…)
comme en Afrique centrale, les européens (surtout la France) ont introduit des institutions
extractives.
Le Problème de l’engagement

Les institutions sont endogènes pour les institutionnalistes, c’est-à-dire qu’elles sont
déterminées par la société, plus précisément par le pouvoir politique au sens large, par les
choix collectifs dans le groupe. Comme elles déterminent la répartition des ressources et donc
les revenus, des conflits d’intérêt entre les bénéficiaires sont inévitables. On a la séquence
suivante :

Pouvoir politique  institution  institutions économiques  distribution des ressources et


performance économiques

Une des grandes causes du sous-développement réside dans le fait que des leaders politiques
sont amenés à choisir des politiques qui mènent à la stagnation, parce c’est leur intérêt et celui
de leur groupe.

Le problème de l’engagement (commitment problem) ou dilemme de Weingast : Un Etat doit


garantir les droits de propriété pour assurer le développement économique, et donc ses
propres recettes, alors qu’en même temps, s’il est assez puissant pour le faire respecter, il est
tenté de confisquer les richesses au bénéfice de quelques-uns. S’il le fait, il ruine la croissance
économique et maintient le sous-développement.

Si les institutions diffèrent entre les pays, la raison principale réside dans les conflits pour la
répartition des biens de la production nationale. Des institutions équitables comme des droits
de propriété bien établis pour tous facilitent la croissance, mais elles peuvent léser des
groupes déjà privilégiés. A l’inverse, d’autres institutions entrainent la stagnation, mais elles
peuvent néanmoins enrichir certains. Tout dépend de qui détient le pouvoir et est donc en
mesure de mettre en place telles ou telles institutions.

En définitive, le changement majeur requis dans les pays pauvres est la transition vers des
institutions qui rendent les dirigeants responsables devant les résultats économiques, qui
remplacent par des objectifs de la croissance ou d’améliorations sociales la simple recherche
d’intérêts privés.

Les couts de transactions

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Les coûts de transaction sont les coûts qui accompagnent l’échange, qui résultent de la gestion
et de la coordination du système économique dans son ensemble en non de la fabrication
physique des biens. Ce concept a été utilisé par North pour comprendre le rôle des
institutions.

Des coûts de transactions élevés constituent un obstacle à la croissance parce qu’il freine les
échanges. Le rôle des institutions est justement de réduire ces coûts. Le développement
s’accompagne d’un accroissement des coûts de transaction, au fur et à mesure que la société
devient plus complexe, et d’une réduction des coûts de production, au fur et à mesure que le
capital s’accumule et que la société se spécialise. Seules les institutions peuvent limiter ou
non l’accroissement des coûts de transaction. Voici la liste non exhaustives des institutions
capables de limiter les coûts de transaction : La garantie des droits de propriété, un statut
diversifié ; le bon fonctionnement des mécanismes du marché ; la liberté d’entreprendre,
d’initiative, de création ; un système fiscal transparent ; prévisible et équitable ; la mobilité
des facteurs de production ; la sécurité des échanges, le respect du droit ; un système légal
fiable, une justice impartiale ; l’autorité de l’Etat, l’intégrité des administrations ; les
mécanismes de représentation populaires, ; la protection des investisseurs ; la mise en place de
marchés des denrées, des titres et des devises (bourse) ; l’abolition des privilèges, des
monopoles, des corporatismes ; les comportements civiques ; le degré de confiance, la
valorisation du travail, l’éthique.

Conclusion
L’économie du développement, dont les premières bases ont été lancées dans les années 1950,
après la deuxième guerre mondiale, en se démarquant des courants de pensée orthodoxe, se
fonde sur le principe fondamental qui s’articule autour de l’idée selon laquelle, le sous-
développement n’est pas un retard de croissance, mais la résultante de plusieurs facteurs en
correspondance qui sont à la fois historique, externes et internes à ces sociétés.

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