Vous êtes sur la page 1sur 10

See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.

net/publication/281724456

L'économie de la connaissance.

Article · January 2009

CITATIONS READS

0 809

2 authors:

Agnès Festré Nathalie Lazaric


University of Nice Sophia Antipolis French National Centre for Scientific Research
60 PUBLICATIONS   401 CITATIONS    101 PUBLICATIONS   2,123 CITATIONS   

SEE PROFILE SEE PROFILE

Some of the authors of this publication are also working on these related projects:

Emotions and network structure on individual exploration/exploitation behavior View project

The Ecology of Organizational Routines View project

All content following this page was uploaded by Agnès Festré on 14 February 2022.

The user has requested enhancement of the downloaded file.


Titre : L’économie de la connaissance

Chapeau de présentation : Quelles sont les caractéristiques des économies fondées sur la
connaissance ? Quels en sont les enjeux théoriques et empiriques ? L’économie de la
connaissance apporte un éclairage spécifique sur les questions relatives à la création,
l’utilisation et la diffusion des connaissances dans nos sociétés.

Auteurs : Agnès Festré* et Nathalie Lazaric**

L’expression « économie de la connaissance » s’est diffusée depuis une décennie au sein de la


littérature économique et a pénétré la plupart des champs de la discipline, des théories
microéconomiques des prix, de la décision, de l’information, de la firme et des organisations
ou de la finance à la théorie macroéconomique de la croissance.
Le développement du concept d’économie de la connaissance revêt néanmoins une spécificité
présente dès son origine, qui tient à sa dimension à la fois historique et disciplinaire.
En effet, d’un côté, l’économie de la connaissance fait référence aux « économies fondées sur
le savoir » ou « knowledge-based economies1 » qui désignent une réalité historique issue de la
rencontre entre deux phénomènes ou faits stylisés : une tendance longue caractérisée par une
intensification des dépenses consacrées à la production et à la transmission des connaissances
(R&D, éducation, formation) ; un événement technologique majeur, à savoir, l’avènement des
nouvelles technologies de l’information et de la communication ou TIC (Internet,
infrastructures à haut débit). Selon Boyer (2001), la diffusion des TIC a été rendue possible
par deux innovations majeures récentes : la numérisation de l’information et la redondance
des réseaux de communications. La conjonction de ces deux faits stylisés conduit certains
économistes à parler de nouveau paradigme économique ou de révolution technologique que
la terminologie de « Nouvelle Economie » suggère.
D’un autre côté, l’économie de la connaissance désigne une nouveauté scientifique dans le
champ de l’économie, jusqu’à parfois constituer une sous-discipline à part entière, dont
l’objet d’étude, la connaissance, pose des problèmes originaux à la fois théoriques et
empiriques (cf. Foray 2000). Par ailleurs, cette thématique est au cœur des préoccupations
politiques des pays développés, comme en témoignent les événements internationaux qui ont
émaillé la dernière décennie. Pour ne citer qu’un seul exemple, le Sommet économique et
social de Lisbonne de 2001 s’est donné pour objectif stratégique pour la première décennie du
millénaire de faire de l’Union européenne « L’économie de la connaissance la plus
compétitive et la plus dynamique, capable d’une croissance économique durable,
accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande
cohésion sociale ».

Fort de ce constat et au-delà de la forte résonnance médiatique de l’économie de la


connaissance, l’objectif de cet article est de présenter de manière la plus complète possible les
concepts et théories de l’économie de la connaissance et de les appliquer à la compréhension
de nos économies contemporaines et de leurs enjeux.

1. Définitions, production et codification de la connaissance

*
Maître de Conférences, Université de Nice – Sophia Antipolis / GREDEG / CNRS, UMR 6227.
E-mail : festre@gredeg.cnrs.fr. Page web : http://hp.gredeg.cnrs.fr/festre/index.htm.
**
Chargée de Recherche CNRS, Université de Nice – Sophia Antipolis / GREDEG / CNRS, UMR 6227.
E-mail : lazaric@gredeg.cnrs.fr. Page web : http://hp.gredeg.cnrs.fr/lazaric/acc.php.
1
Cf. rapport de l’OCDE (1996)
1.1. Economie de l’information vs. économie de la connaissance

On distingue généralement l’économie de la connaissance de l’économie de l’information en


général, qui consiste en l’étude des décisions économiques et leur nature selon le contexte
informationnel défini (information parfaite ou imparfaite, complète ou incomplète symétrique
ou asymétrique, certaine ou incertaine). Cette catégorisation permet de mettre en évidence la
spécificité de l’économie de la connaissance en tant que champ disciplinaire s’attachant à
l’étude des propriétés économiques de la connaissance et à leurs conséquences en termes
d’organisation, d’innovation ou de croissance.
Dans cette perspective, la connaissance se définit comme étant d’abord une capacité
d’apprentissage et une capacité cognitive en ce sens qu’elle renvoie à la possibilité que donne
la connaissance à engendrer, extrapoler et inférer de nouvelles connaissances et informations.
La connaissance se distingue alors de l’information qui reste un ensemble de données
formatées et structurées, d’une certaine façon inertes ou inactives, ne possédant pas cette
qualité. Plus particulièrement, la reproduction de la connaissance et la reproduction de
l’information sont des phénomènes différents : quand l’une se fait par apprentissage
individuel et collectif et nécessite la mobilisation d’une ressource cognitive, l’autre s’effectue
simplement par duplication, à l’image d’une simple photocopieuse reproduisant une
information à l’identique.
Il en résulte que l’économie de la connaissance s’intéresse plus spécifiquement au problème
de la reproduction des connaissances et aux phénomènes d’apprentissage qui y sont associés.
En outre, elle se situe dans un champ plus riche (mais moins étendu) des comportements
économiques superposant les dimensions individuelles et collectives des actes économiques
traditionnels (production, consommation, distribution…).

1.2. La production de connaissance

La connaissance a ceci de particulier qu’à l’inverse de la plupart des activités économiques


qui ne peuvent être effectuées que de façon intentionnelle, elle peut être un produit-joint, non
délibéré, des activités de production et de consommation. Lorsque sa production procède d’un
acte délibéré, on emploie plus précisément la notion de recherche et développement (R&D).
L’économie de la connaissance permet de dépasser la distinction traditionnelle entre
recherche fondamentale et recherche appliquée ou entre science et technologie en mettant
l’accent sur les processus d’apprentissage à l’œuvre dans les activités d’innovation cherchant
à intégrer la recherche de base sans intention pratique a priori ou la recherche a priori
orientée vers un certain domaine d’application. Au-delà de l’apprentissage routinier
dépendant de la répétition de l’action et générateur d’économies d’échelle, l’apprentissage
peut consister en la réalisation d’expériences au cours de l’activité de production de biens et
services qui sont source d’économies de variété. Il est communément admis que ce deuxième
type d’apprentissage n’est pas le fait d’individus isolés mais procède généralement de groupes
d’acteurs organisés en réseaux. D’autre part, la généralisation des TIC a montré que les
usagers ont une position privilégiée en matière de production de connaissance. Confrontés à
des situations locales, nouvelles et inattendues, ils doivent résoudre des problèmes que les
concepteurs n’avaient pas prévus et sont alors en capacité d’apprendre et d’informer ceux qui
conçoivent les systèmes.
1.3. Production de connaissances et formes « d’invention collective »

Deux formes « d’invention collective » sont généralement distinguées dans la littérature : les
formes spontanées et les formes collusives.
Les premières prennent naissance dans un cadre professionnel (réseau d’échange de
connaissance entre ingénieurs et firmes rivales ou entre producteurs et utilisateurs) ou dans un
cadre territorial (district industriel, parc scientifique). Leur activité concerne plutôt des
innovations de type incrémental fondées sur la diffusion et la réutilisation de connaissances
déjà existantes mais localisées et repose sur la libre participation (non encadrée) spontanée
des membres de la communauté.
Le secteur de la sidérurgie est un exemple célèbre « d’invention collective » de ce type qui a
eu lieu avant la grande période de concentration industrielle du 20ième siècle (Lazaric,
Mangolte, Massue 2002). En effet, au 19ième siècle et tout au début de la production de
l’acier, les firmes anglaises ont travaillé de concert pour faire avancer l’état de l’art. On a
assisté à une véritable « invention collective » car les firmes échangeaient librement des
informations et des connaissances pour que le bénéfice de la collectivité (échanges de
pratiques de tour de mains, discussion sur les phénomènes nouveaux liés à la fonte et sur la
construction des hauts fourneaux…). Il n’y avait pas « d’appropriabilité » de ces
connaissances vers un producteur en particulier mais la mise en place d’un principe d’entraide
et de réciprocité. Cette période fut propice à de nombreuses inventions techniques liées aux
échanges spontanés entre ingénieurs et inventeurs.

Les formes collusives au contraire créent le cadre institutionnel permettant le partage des
connaissances ou renforcent un cadre existant pour faire émerger des contextes de
socialisation des connaissances et d’apprentissage collectif, de manière concertée, ainsi que
pour contrôler des externalités engendrées par les activités d’innovation. L’objectif visé
consiste davantage en la production de nouvelles connaissances qui requiert des mécanismes
de coordination explicites ainsi que la formalisation d’accords, tant sur la division du travail
que sur l’attribution des résultats. C’est le cas des « districts italiens » conçus comme des
espaces localisés d’échanges intenses entre producteurs à des fins d’innovation et
d’amélioration des connaissances et plus récemment des logiciels libres avec l’exemple
illustre de « Linux ». Dans ce dernier exemple, la connaissance est produite au sein d’une
myriade de concepteurs (« la communauté Linux ») qui régulent les améliorations des
logiciels, l’accès à la communauté, et les modalités de diffusion (accès libre, sous forme de
licence …). La connaissance est à la fois dispersée selon les circuits relationnels et s’enrichit
selon les contacts plus ou moins formels entre ces participants. Les formes d'organisation et
de coordination de ces projets reposent alors sur la modularité, une certaine division du travail
et un contrôle sélectif et hiérarchisé des différentes contributions. Ils s'inscrivent dans un
schéma où le libre partage et usage du code permet la production et l'évolution incrémentale
des programmes.
Dans le cas Linux, on assiste à une forme organisée d’ « invention collective », ce qui n’était
pas le cas dans la sidérurgie. Ces deux exemples, distants dans le temps, soulignent donc que
le lieu où est produite la connaissance reste crucial, ainsi que ses modalités d’organisation et
ses supports de diffusion. Ils mettent en évidence également le caractère vulnérable de la
connaissance lorsque celle-ci est dispersée. La recherche de stratégies de protection de ces
connaissances sous des formes institutionnelles, technologiques ou organisationnelles s’en
trouve justifiée. Dans cette perspective, la codification peut être conçue comme une forme
alternative de régulation et de gestion des connaissances.
1.4. La codification de la connaissance

La codification de la connaissance revêt un caractère stratégique dans le processus de


croissance économique. Or, à la différence de l’information, la connaissance n’est pas
aisément et directement reproductible. Avec Michael Polanyi (1967), on admet que la
connaissance a une dimension tacite qui rend les opérations de recherche et accès, transport,
stockage, échange et transaction difficiles, parfois même impossible à réaliser. Par définition,
les connaissances tacites sont des connaissances non-verbalisables, intuitives et non-
articulables, à la différence des connaissances dites explicites qui sont supposées codifiables.
Les connaissances tacites sont aussi dites personnelles, c'est-à-dire rattachées à un jugement
ou à des valeurs profondes. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas toujours les articuler
au sens linguistique de ce terme. En effet, si on a acquis une expérience sur le fonctionnement
d’une machine en fonction du bruit qu’elle génère, on peut avoir des difficultés à transmettre
de façon articulée et langagière cette forme de connaissance. Cette dernière peut néanmoins
faire l’objet de transfert interpersonnel, à l’instar de la relation traditionnelle de formation
entre un maitre et un apprenti. On partagera la connaissance tacite en faisant ensemble et en
apprenant sur le tas les savoirs qui ne sont pas inscrits de façon livresque dans les ouvrages de
la profession. La connaissance tacite n’est néanmoins pas réduite à cette seule dimension
résidant notamment dans les pratiques du travail. Il peut s’agir par exemple de jugement
hautement abstrait (par exemple l’intuition d’un mathématicien sur un théorème). Cette
connaissance est dite tacite car elle n’a pas encore été formulée de façon explicite mais elle
peut être partagée par la dialogue (de façon informelle ou par une communication plus
formelle.
La connaissance devient articulée dès que l’on peut et que l’on veut l’écrire et l’extraire de
son support pour éventuellement la codifier (manuel ou programme informatique).
En d’autres termes, la connaissance tacite demeure tacite par sa nature, soit elle peut être
transformée en connaissance articulée mais sa transformation effective dépend de façon
cruciale de la volonté de son détenteur de la partager ou pas. L’exemple du secret de
fabrication illustre le cas d’une connaissance tacite articulable mais qui demeure inarticulée
en raison de la non-volonté de son détenteur de la partager.

De nombreuses industries ont procédé à des vastes programmes de codification des


connaissances pour éviter que ces dernières ne dépendent uniquement de leurs détenteurs
humains. Le nucléaire (par le biais du CEA), la sidérurgie et de nombreux secteurs ont connu
de vastes programmes de codification. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces
expériences. Tout d’abord, la codification n’est pas synonyme de connaissance publique, le
meilleur exemple étant fourni par le code de la bombe atomique, connaissance parfaitement
codifiée mais qui reste - fort heureusement – peu diffusée et relevant du domaine du secret
militaire. D’autre part, les connaissances codifiées ne se substituent pas aux connaissances
tacites, ces deux formes de connaissance étant davantage complémentaires que substituables,
comme l’illustre l’exemple suivant.
Dans le secteur de la sidérurgie (ex firme USINOR aujourd’hui ARCELOR), un vaste
programme de codification des connaissances a vu le jour en 1997 avec notamment la mise
en place du programme SACCHEM (Système d’Aide à la Conduite des Hauts Fourneaux). Ce
système expert a eu pour tâche :

1) de recueillir l’expertise des hauts fournistes (extraction de la connaissance tacite),


2) de rédiger un manuel de la conduite d’un haut fourneau en collectant l’expérience des
divers sites qui n’était pas toujours identique (constitution de la connaissance articulée),

3) de réaliser un guide sélectionnant des pratiques génériques et partagées et d’inscrire cette


expérience sous forme informatique.

Ce travail de codification sur plus de huit années a suscité des investissements considérables
du groupe Usinor ; investissements motivés essentiellement par le vieillissement de la
population d’experts, dont la connaissance tacite, pouvait s’éteindre si elle ne trouvait pas de
nouveaux supports de mémorisation. Ce programme a aussi montré les limites de la démarche
de codification. En effet, la connaissance codifiée est inerte et peu utile si on ignore comment
le processus de codification a vu le jour. Les connaissances tacites, loin d’être écartées, ont
donc suivi en permanence les connaissances codifiées pour donner du sens à ces dernières et
comprendre leurs limites. Par ce biais SACHEM, a été mis à jour et redéployé dans de
nouveaux contextes organisationnels notamment dans le nouveau groupe ACERLOR.

Par ailleurs, un brevet à portée internationale a été déposé pour protéger la méthodologie
SACHEM. On comprend bien ici que l’ère de « l’invention collective » qui prévalait
auparavant, est belle est bien finie car avec SACHEM, la connaissance est devenue du capital,
au sens d’un actif qui peut rapporter à son propriétaire. Le programme de codification est
donc à la fois un processus d’extraction et de reformulation des connaissances mais aussi une
valorisation sous forme marchande. En effet, le coût engendré implique un retour sur
investissement pour éviter que la connaissance sorte des frontières de son lieu initial de
production. La codification n’est donc pas forcément synonyme de divulgation des
connaissances mais peut impliquer aussi une meilleure protection de ces dernières en
circonscrivant les lieux de diffusion et d’émission.

Insérer schéma (source : Lazaric, Mangolte et Massué 2003)

2. Les propriétés économiques de la connaissance

Aujourd’hui, l’analyse microéconomique définit la connaissance comme un bien économique


particulier, possédant des propriétés sensiblement différentes de celles qui caractérisent les
biens de nature tangibles. Ces propriétés sont ambivalentes. D’un côté, les activités de
production de connaissances ont un rendement social très élevé : elles génèrent des
rendements croissants qui alimentent la croissance économique. De l’autre, elles posent de
redoutables problèmes d’allocation, de coordination et de gouvernance qui freinent la
diffusion des connaissances. Cette ambivalence peut s’expliquer à l’aide des quatre propriétés
suivantes de la connaissance :
1. La connaissance est un bien partiellement exclusif source d’externalités positives, à
l’instar des biens publics : des connaissances produites par une entité économique
peuvent en permanence lui échapper et profiter à d’autres, sans que des transactions
marchandes volontaires ne garantissent la transparence et l’efficacité de la
coordination marchande. Plus simplement, on définit un bien partiellement exclusif
par le fait qu’il n’est pas toujours possible, pour un propriétaire, de faire payer
l’utilisateur de ce bien.
2. La connaissance est un bien non rival : d’un côté, un agent peut recourir à une même
connaissance une infinité de fois, sans qu’il ne lui en coûte, pour reproduire une
action ; de l’autre, une infinité d’agents peuvent utiliser la même connaissance sans
que personne n’en soit privé.
3. La connaissance est un bien cumulatif : toute connaissance peut être la source
principale de la production de nouvelles connaissances. Autrement dit, la connaissance
est non seulement un bien de consommation mais aussi un bien de production,
susceptible d’engendrer de nouveaux biens eux-mêmes infiniment utilisables.
4. La connaissance est un bien d’expérience : il est difficile à un utilisateur d’en évaluer
l’intérêt avant de l’avoir utilisée.

Ces propriétés conduisent à ce qu’il est convenu d’appeler le ‘dilemme de la connaissance’ :


puisque le coût marginal d’usage de la connaissance est nul, l’efficience maximale dans son
utilisation implique qu’il n’y ait pas de restriction d’accès et que le prix d’usage soit égal à
zéro. Or du point de vue de la production, la connaissance est coûteuse. Par conséquent,
l’efficience maximale dans l’usage des ressources pour créer une nouvelle connaissance exige
que les coûts de toutes les ressources nécessaires puissent être couverts par la valeur
économique de la connaissance nouvellement créée, cette condition étant difficile à remplir du
fait de la présence d’externalités. Il s’agit là du cas typique de défaut d’incitation et du
problème du bien public, qui conduit à un niveau d’investissement privé insuffisant du point
de vue de la société. Il illustre également l’impossibilité de gérer la production de
connaissance selon l’idéal de concurrence pure et parfaite, ce qui met au premier plan la
question du maintien de la concurrence et de l’acceptation de pouvoirs olipolistiques partiels.

Néanmoins, ce problème de bien public doit être atténué en raison de la dimension tacite de la
connaissance. En effet, les externalités sont d’autant plus fortes et le dilemme de la
connaissance d’autant plus saillant que l’on se situe dans un cas limite où la connaissance peut
être facilement exprimée sous une forme propice à sa diffusion (logiciels informatiques,
image numérique…). Or l’ensemble de la connaissance ne se réduit pas à la connaissance
codifiée. Elle est aussi composée de connaissances tacites (savoir-faire, savoirs pratiques …)
qui sont plus aisément contrôlables. Il y a donc une forme d’excluabilité naturelle conférée à
la connaissance par sa dimension tacite. Celle-ci est source de capital humain et de croissance
et génère des rentes transitoires pour les agents qui détiennent ces savoir-faire.
D’autre part, l’existence de coûts liés à la transmission et à l’acquisition de la connaissance
permet également de relativiser le problème de bien public Le fait que la valeur d’usage de la
connaissance soit nulle n’implique pas l’absence de coûts (coûts de mise en forme, coûts
d’acquisition, coûts d’accès). Si la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de
la communication peut permettre la diminution des coûts de transmission de la connaissance,
ce sont l’éducation et la formation qui peuvent limiter les coûts qu’implique son acquisition.

3. Connaissance, organisations et marchés

Les propriétés spécifiques de la connaissance conduisent tout naturellement à une réflexion


sur les régimes d’incitation à privilégier pour permettre la meilleure diffusion possible de la
connaissance.

3.1. Marché privé vs. organisation publique

La première étape de cette réflexion consiste à envisager les deux formes traditionnelles
alternatives d’allocation des ressources que sont le marché privé et l’organisation publique. Le
premier système de coordination et d’incitation qui corrige à la source le problème de bien
public revient à créer un marché pour restaurer l’initiative privée. Il s’agit fondamentalement
de restreindre l’accès à la connaissance, en accordant des droits exclusifs temporaires sur la
nouvelle connaissance, ce qui permet à l’inventeur de fixer un prix pour l’usage de celle-ci.
Le brevet et le droit d’auteur sont les principaux droits de propriété intellectuelle qui
permettent d’assurer une certaine exclusivité sur la connaissance. Le plus souvent, on
combine la création et l’usage de droits de propriété intellectuelle avec des dispositifs de
subventions publiques destinés à couvrir les coûts de l’innovation. L’ensemble de ces
dispositifs caractérise notamment l’activité de R&D privée menée au sein des laboratoires de
recherche des firmes.
Le second système consiste à substituer une initiative publique à l’initiative privée. La
collectivité se voit ainsi conférer le soin de couvrir les coûts des ressources nécessaires à la
production de connaissance. Mais ceci implique que les firmes privées renoncent à leurs
droits exclusifs. Ce dispositif dit de savoir ouvert caractérise les activités de recherche
publiques menées dans les institutions publiques (CNRS, Université) où la plupart des
connaissances ne peuvent être rendues exclusives et où les salaires et équipements sont payés
sur fonds publics.
Ces deux grandes formes d’organisation de la production et de distribution des connaissances
déterminent des logiques de comportement différentes car les objectifs ne sont pas les mêmes.
Alors que dans le secteur privé, c’est la maximisation des rentes de l’innovation qui est visée,
dans le secteur public, l’objectif est d’accroître le stock de connaissance au niveau des espaces
de solidarité, que ces derniers soient régionaux, nationaux, européens, etc.

3.2. Une illustration

Dans l’industrie de la défense de nombreux programmes de capitalisation des connaissances


ont vu le jour dans les institutions publiques (ONERA, CEA DGA) et dans les firmes privées
( EADS, Thales) ( étude OED dirigée par Lazaric 2005). Il est intéressant de souligner que si
les motifs sont similaires - notamment la restructuration du secteur et le vieillissement des
effectifs - les finalités sont très différentes. En effet, pour les institutions publiques, il s’agit
de consolider une expertise et de préserver les connaissances tacites. Dans le secteur nucléaire
face à l’arrêt des tirs, il a fallu trouver de nouvelles modalités pour préserver les
connaissances existantes et les faire évoluer. On assiste donc plus à une politique de
préservation de l’héritage existant et de mise à jour de ce dernier, alors que dans les firmes
les programmes dits de Knowledge Management (KM) ou de codification visent la
valorisation des compétences internes et le dialogue des experts. Il existe, du côté des
institutions publiques, une logique de long terme de préservation des compétences qui touche
le cœur du métier alors que dans les firmes privées, les finalités sont tournées vers le marché
et s’inscrivent à plus court terme : elles visent à accroître la portée des investissements en
R&D et de l’innovation en favorisant le dialogue entre divers détenteurs de connaissances au
sein des frontières de la firme.

Conclusion

L’économie de la connaissance, ses concepts et ses analyses, sont au centre des


transformations actuelles de nos économies, à tel point que Nouvelle Economie et Economie
de la connaissance semblent finalement se superposer, avec une dimension spécifique
particulière pour l’économie de la connaissance.
Ces transformations récentes, nous l’avons souligné, concernent la structure des coûts de
production et de distribution des connaissances, fortement modifiée par le déclin des coûts
marginaux de codification et de transmission de la connaissance. L’enjeu macroéconomique
de cette évolution consiste naturellement à étendre le champ des domaines dans lesquels le
coût marginal de reproduction de la connaissance est très faible. D’autre part, les travaux
menés dans le cadre de la théorie de la croissance endogène (Lucas, Aghion) ont montré que
la présence d’externalités positives issues des activités de production de connaissance
conjuguée à celle d’externalité de réseaux (le fait que plus le nombre d’utilisateurs d’une
technologie croît, plus cette dernière devient efficace et moins coûteuse au fur et à mesure de
son adoption – exemple des infrastructures à haut débit) sont source de croissance soutenue et
cumulative (hypothèse de rendements croissants de la production).
Or, ces deux types d’externalités contribuent à de meilleures performances dans les pays
développés en raison des externalités générées par le système d’éducation et de recherche et
de leur avantage comparatif la plus forte attractivité de ces pays dotés d’infrastructures en
réseaux plus développées au détriment des pays en développement. Il en résulte une absence
de convergence et un risque de fracture géographique avec l’émergence d’une géographie de
la connaissance.
Les effets de l’économie fondée sur la connaissance se propagent dans de nombreuses
activités économiques (science, industrie, services, éducation, santé, administration publique)
à travers des modalités diverses (codification, création de nouvelles activités, élaboration de
nouveaux modèles organisationnels). Ils appellent une réflexion renouvelée et spécifique au
plan empirique, au plan théorique, voire, comme le suggère Simon, au plan méthodologique :
« La connaissance n’est pas simplement un objet d’étude pouvant être traité à l’aide des outils
économiques théoriques traditionnels ; elle est au cœur de l’élaboration de ces outils eux-
mêmes. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une théorie de la connaissance, et du processus de
création des connaissances comme fondement de notre théorie économique – rien de moins
qu’une théorie intégrée de la cognition, des motivations humaines et de l’interaction sociale. »
(Simon 1999 : 24)

Références

Boyer, R. (2001), « La ‘nouvelle économie’ au futur antérieur : histoire, théories,


géographies » (consultable sur http://ideas.repec.org/p/cpm/cepmap/0113.html).

Commissariat Général au Plan (2001), séminaire économie de la connaissance (consultable


sur http://www.plan.gouv.fr).

Foray, D. (2000), L’économie de la connaissance, Paris : La découverte (Repères).

Lazaric, N., Mangolte, P-A. et Massue M-L. (2002), ‘Capitalisation des connaissances et
transformation de la routine organisationnelle : le cas SACHEM’, Revue d’Economie
Industrielle 101(4) : 65-86.

Polanyi, M. (1967), The tacit dimension, New York: Anchor Books.

Simon, H.A (1999), ‘The many shapes of knowledge’, Revue d’Economie Industrielle 89(2):
23-41.

Rapport OCDE (1996), L’économie fondée sur le savoir, Paris (consultable sur
www.oecd.org/dataoecd/51/48/1913029.pdf).

Rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel : la croissance de demain (2006),


Ministère de l’Economie des Finances et de l’Industrie (consultable sur
http://www.minefi.gouv.fr/directions_services/sircom/technologies_info/immateriel/immateri
el.pdf)

Revue d’Economie Industrielle (1999), numéro spécial sur l’Economie de la connaissance,


n° 89.

PROCESSUS SACHEM
Adaptation de la méthode KADS (Knowledge Acquisition and Documentation System)

LE MODELE CONCEPTUEL LE MODELE FONCTIONNEL


d’EXPERTISE articulé Système à Base de
(Eléments de base de l’expertise Connaissances (SBCs)
+ liens unifiants ces éléments)
+

(relations  non programmables) (fonctions programmables)


Niveau d’Abstraction

Le modèle de connaissance Le modèle conceptuel


littéral ou articulable ou codifié
-

Knowledge Data Base


Expert Know -How System

Monde de la Connaissance Monde de l’automatisation

View publication stats

Vous aimerez peut-être aussi