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ET textes vierges énerg P de chag Jan 23

EXTRAIT 1 : Le réalisme – peinture de la


haute société (p 291-292 de notre édition-Classico-lycée)
Ce petit monde obéissait, sans le savoir peut-être, à la grande loi qui régit la haute
société, dont Raphaël acheva de comprendre la morale implacable. Un regard
rétrograde lui en montra le type complet en Fœdora. Il ne devait pas rencontrer plus
de sympathie pour ses maux chez celle-ci, que, pour ses misères de cœur, chez celle-
là. Le beau monde bannit de son sein les malheureux, comme un homme de santé
vigoureuse expulse de son corps un principe morbifique. Le monde abhorre les
douleurs et les infortunes, il les redoute à l’égal des contagions, il n’hésite jamais entre
elles et les vices : le vice est un luxe. Quelque majestueux que soit un malheur, la
société sait l’amoindrir, le ridiculiser par une épigramme ; elle dessine des caricatures
pour jeter à la tête des rois déchus les affronts qu’elle croit avoir reçus d’eux ;
semblable aux jeunes Romaines du Cirque, elle ne fait jamais grâce au gladiateur qui
tombe ; elle vit d’or et de moquerie ; Mort aux faibles ! est le vœu de cette espèce
d’ordre équestre institué chez toutes les nations de la terre, car il s’élève partout des
riches, et cette sentence est écrite au fond des cœurs pétris par l’opulence ou nourris
par l’aristocratie. Rassemblez-vous des enfants dans un collège ? Cette image en
raccourci de la société, mais image d’autant plus vraie qu’elle est plus naïve et plus
franche, vous offre toujours de pauvres ilotes, créatures de souffrance et de douleur,
incessamment placées entre le mépris et la pitié : l’Évangile leur promet le ciel.
Descendez-vous plus bas sur l’échelle des êtres organisés ? Si quelque volatile est
endolori parmi ceux d’une basse-cour, les autres le poursuivent à coups de bec, le
plument et l’assassinent. Fidèle à cette charte de l’égoïsme, le monde prodigue ses
rigueurs aux misères assez hardies pour venir affronter ses fêtes, pour chagriner ses
plaisirs.

EXTRAIT 2 : Le fantastique - portrait du vieil


antiquaire (p 44-45)
La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir
d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui
ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en
l’air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait
paru suspendu dans les airs. Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de
cet être bizarre, et lui donnait l’apparence de ces têtes judaïques qui servent de types
aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si
décolorées, si minces, qu’il fallait une attention particulière pour deviner la ligne tracée
par la bouche dans son blanc visage. Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses,
la rigueur implacable de ses petits yeux verts, dénués de cils et de sourcils, pouvaient
faire croire à l’inconnu que le Peseur d’or de Gérard Dow était sorti de son cadre. Une
finesse d’inquisiteur, trahie par les sinuosités de ses rides et par les plis circulaires
dessinés sur ses tempes, accusait une science profonde des choses de la vie. Il était
impossible de tromper cet homme qui semblait avoir le don de surprendre les pensées
au fond des cœurs les plus discrets. Les mœurs de toutes les nations du globe et leurs
sagesses se résumaient sur sa face froide, comme les productions du monde entier
se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux ; vous y auriez lu la tranquillité
lucide d’un Dieu qui voit tout, ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu. Un
peintre aurait, avec deux expressions différentes et en deux coups de pinceau, fait de
cette figure une belle image du Père Éternel ou le masque ricaneur du Méphistophélès,
car il se trouvait tout ensemble une suprême puissance dans le front et de sinistres
railleries sur la bouche.

EXTRAIT 3 : La mansarde et la vie monacale


de Raphaël (p 126-127)
Si d’abord cette vue me parut monotone, j’y découvris bientôt de singulières beautés :
tantôt le soir des raies lumineuses, parties des volets mal fermés, nuançaient et
animaient les noires profondeurs de ce pays original ; tantôt les lueurs pâles des
réverbères projetaient d’en bas des reflets jaunâtres à travers le brouillard, et
accusaient faiblement dans les rues les ondulations de ces toits pressés, océan de
vagues immobiles ; parfois de rares figures apparaissaient au milieu de ce morne
désert. Parmi les fleurs de quelque jardin aérien, j’entrevoyais le profil anguleux et
crochu d’une vieille femme arrosant des capucines, ou dans le cadre d’une lucarne
pourrie quelque jeune fille faisant sa toilette, se croyant seule, et dont je ne pouvais
apercevoir que le beau front et les longs cheveux élevés en l’air par un joli bras blanc.
J’admirais dans les gouttières quelques végétations éphémères, pauvres herbes
bientôt emportées par un orage ! J’étudiais les mousses, leurs couleurs ravivées par
la pluie, et qui sous le soleil se changeaient en un velours sec et brun à reflets
capricieux. Enfin les poétiques et fugitifs effets du jour, les tristesses du brouillard, les
soudains pétillements du soleil, le silence et les magies de la nuit, les mystères de
l’aurore, les fumées de chaque cheminée, tous les accidents de cette singulière nature
m’étaient devenus familiers et me divertissaient. J’aimais ma prison, elle était
volontaire. Ces savanes de Paris formées par des toits nivelés comme une plaine,
mais qui couvraient des abîmes peuplés, allaient à mon âme et s’harmoniaient avec
mes pensées. Il est fatigant de retrouver brusquement le monde quand nous
descendons des hauteurs célestes où nous entraînent les méditations scientifiques.
Aussi ai-je alors parfaitement conçu la nudité des monastères.

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