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Chapitre IV________ PHILOSOPHIE AFRICAINE

Introduction

L’existence d’une philosophie africaine a suscité, pendant longtemps, beaucoup


de débats. L’occident a souvent rejeté l’idée d’une philosophie africaine en
s’appuyant sur des raisons dont les principales sont liées à l’absence d’écriture.
Une conception sans auteur identifiable et qui n’est conservée que par une
tradition orale ne présentant aucune garantie d’authenticité, peut-elle être
considérée comme de la philosophie ? Si les Africains disposent, comme ils le
prétendent, d’une philosophie véritable, qu’est-ce qui les empêche de la mettre
au jour par la production d’œuvres philosophiques ? L'essentiel pour les
Africains est-il de revendiquer la production par leurs ancêtres d'une philosophie
ou de produire eux-mêmes un discours ? La pensée africaine peut-elle être
qualifiée de philosophique ? En bref, existe-t-il une philosophie africaine?

I- Origine et nature du problème

Les explorateurs occidentaux et, après eux, les colons qui envahirent le
continent africain, considéraient à peine le nègre comme un homme. Et c’est
cette même logique qui les amena à refuser au Noir toute civilisation et toute
culture. De sorte que la colonisation se fixait comme objectif de civiliser un Noir
à peine sorti de l’animalité, par conséquent dépourvu de tout ce dont un homme
civilisé doit disposer. Mais ce n’est là qu’un européocentrisme qui veut que tout
soit jugé à partir de l’Europe et de ses valeurs.
Dans cette prétendue entreprise de civilisation des Noirs, on aura tout entendu
sur le Nègre de la part des occidentaux, notamment de penseurs
européocentristes comme Hegel, David Hume, Lucien Levy Bruhl, Martin
Heidegger etc. Hegel par exemple ne rougit pas de parler de l'homme à l'état
brut. Il affirme : « Pour tout le temps pendant lequel il nous a été donné
d'observer l'homme africain, nous le voyons dans l'état de sauvagerie et de
barbarie. Le Nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son
absence de discipline ». David Hume renforce ce racisme en disant : « Je
suspecte les nègres et, en général, les autres espèces humaines d’être
naturellement inférieures à la race blanche. Il n’y a jamais eu de nation civilisée
d’une autre couleur que la couleur blanche (…). Sans faire mention de nos
colonies, il y a des nègres esclaves dispersés à travers l’Europe ; on n’a jamais
découvert chez eux le moindre signe d’intelligence ». On retrouve la même idée
chez le sociologue François Lucien Lévy Bruhl qui refuse à la pensée africaine
le statut de philosophie parce que, dit-il, elle est primitive et prélogique. Quant à
Heidegger, il dit que « la philosophie est grecque », c'est-à-dire que la pensée
est occidentale.

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Pour ces penseurs, les Noirs sont des hommes inférieurs aux Blancs. Face à
autant de mépris, l’Afrique a réagi en cherchant, dans son histoire, sa culture et
ses traditions, tout ce qui est susceptible de la réhabiliter, de lui restituer sa
dignité. C’est dans cette optique qu’elle a tenté de se prévaloir d’une
« philosophie enfouie » dont l’exhumation lui permettrait de rivaliser avec
l’occident, en vue de prouver que la sagesse et la raison ne sont pas le monopole
du Blanc. Cette entreprise de réhabilitation a eu pour pionnier le Révérend Père
Placide Tempels, un Belge qui tente de démontrer dans son œuvre Philosophie
Bantou publiée en 1945 qu’il existe bel et bien une philosophie en Afrique et
qu’elle a connu son développement bien avant l’arrivée du colonisateur. Le
Révérend Père a étudié les Bantou (un peuple du Congo) et il dit qu’ils ont une
philosophie car les Bantou estiment que toute chose est dotée d’âme donc de vie,
d’où une philosophie vitaliste. Léon Frobenius s’inscrit dans le même cadre
que Tempels et affirme dans Histoire de la civilisation africaine que « l’idée du
‘‘nègre barbare’’ est une invention européenne ». Il précise que « les Noirs
étaient civilisés jusqu à la moelle des os ». C’est précisément à partir de cet
ouvrage de Tempels qu’un débat s’est engagé, opposant les penseurs africains en
deux camps : les défenseurs d’une philosophie africaine dits ethnophilosophes et
les détracteurs dits européocentrismes.

II- Débats autour du livre de Tempels

1- Les défenseurs de la philosophie africaine

A l’issue du second congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Londres, les
défenseurs de la philosophie africaine ont suivi le mot d’ordre donné qui « invite
la philosophie africaine à se mettre à l'école des traditions, contes, mythes,
proverbes pour parvenir à en tirer les lois d'une vraie sagesse complémentaire
des autres sagesses humaines ». Ces défenseurs ont pour noms Alexis Kagamé,
Alassane Ndao, Assane Sylla, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop
etc. Ces derniers se sont battus pour la réhabilitation de la dignité de l’homme
noir en faisant appel à la religion, à l’histoire et à la culture ; bref, à tous les
aspects de la civilisation du continent. Cheikh Anta Diop démontre que la
philosophie africaine a pris naissance bien avant celle de l’occident. Selon lui,
c’est en Egypte que les Grecs ont appris à philosopher. « La Grèce n’a fait
souvent que prendre pour son compte la philosophie égyptienne, des Noirs de la
vallée du Nil », a-t-il dit dans une communication présentée lors du séminaire
international sur la « Problématique de la philosophie africaine », organisé par
l’université d’Adis Abéba, du 1er au 3 décembre 1976.

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2- Les détracteurs de la philosophie africaine

Contrairement aux défenseurs de la philosophie africaine, d'autres intellectuels


africains ont sévèrement critiqué la philosophie africaine. Il s’agit de du
Camerounais Marcien Towa et du Béninois Paulin Hountondji. Pour eux, ce
que les Africains disent être de la philosophie est une weltanschauung c'est-à-
dire une vision du monde. A leur avis, la philosophie obéit à des critères ; il faut
que le discours soit rationnel, universel, qu’il ait un auteur identifié et qu’il
se prête à la critique. Or, les sagesses africaines n’ont pas d’auteurs identifiés
et ne sont ni rationnelles ni universelles, encore moins critiquables. Pour n’avoir
pas obéi à ces critères, la philosophie africaine a été systématiquement rejetée
par les européocentristes Towa et Hountondji. A la place de philosophie, ils
parlent d’ethnophilosophie c'est à dire une confusion entre l'ethnologie et la
philosophie.
Pour Hountondji, la philosophie africaine n’existe que dans la tête des penseurs
africains. Il estime qu’aucun de ces penseurs ne peut critiquer sa culture et les
traditions de son peuple. Se dérober à cette exigence de la critique reviendrait
pour la philosophie africaine à réduire toute chance d’être prise pour une
philosophie. Voilà pourquoi il est difficile de qualifier l’ethnophilosophie de
philosophie véritable, car elle ne répond pas aux exigences de la philosophie. La
philosophie se veut critique et considère que tout est discutable, alors que
l’ethnophilosophie n’accepte pas la remise en cause des paroles sagesse
proférées par les sages africains comme les 4 sentences orales de Kocc Barma.
A ce sujet, Hountondji affirme que l’oralité constitue un handicap à une
philosophie africaine parce que, soutient-il, il ne peut y avoir de philosophie
sans écriture.
Towa revient sur la critique pour montrer que la philosophie débute lorsqu’on
soumet la tradition à la critique. Il écrit : « La philosophie ne commence qu’avec
la décision de soumettre l’héritage philosophique et culturelle à une critique
sans complaisance ». S’adressant aux défenseurs de la philosophie africaine,
Towa dit : « Leur façon de procéder n’est ni purement philosophique, ni
purement ethnologique, mais ethno philosophique ». Or pour lui, l’ethnologie
est une trahison de la philosophie et il conclut que « déterrer une philosophie, ce
n’est pas encore philosopher ».
Hountondji et Towa rejettent l'idée d'une philosophie africaine parce que,
affirment-ils, la philosophie dans son sens rigoureux ne convient pas aux
doctrines africaines. Ils critiquent l'ethnophilosophie qui constitue à leurs yeux
le danger de fixer l'Afrique dans son passé.

Sujet

* L’idée d’une philosophie locale ne vous semble-t-elle pas paradoxale ?

* Existe-t-il une philosophie africaine ?


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Texte : La philosophie est-elle exclusivement occidentale ?

L'occident, cet univers issu de la rencontre entre la culture gréco-romaine et


l'héritage judéo-chrétien, n'est pas le seul à avoir inventé la philosophie: il a
certes, apporté une contribution originale à la philosophie universelle, mais
d'autres civilisations en ont fait autant, chacune à sa manière.
Reste à prouver, sans doute, qu'il existe bien quelque chose comme "la
philosophie universelle". Que ranger sous ce terme? A titre provisoire, je
répondrai: tout discours rationnel visant à réfléchir, expliquer ou interpréter
les principaux aspects de la condition humaine. Deux mots d'explication:
par "condition humaine", j'entends aussi bien les rapports de l'homme avec
la nature que les rapports des hommes entre eux.
Aujourd’hui même, les pensées extra-européennes deviennent de mieux en
mieux connues: or, plus nous les connaissons, plus nous nous rendons
compte qu'il serait absurde de vouloir à tout prix leur refuser le nom de
philosophies
Christian Delacampagne, La philosophie ailleurs.

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