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Le Comité Audin 

: les intellectuels contre la


torture en Algérie
François-René Julliard dans mensuel 454
daté décembre 2018 - 1050 mots

La reconnaissance par Emmanuel Macron de la responsabilité de l'État dans la mort de


Maurice Audin durant la guerre d'Algérie doit beaucoup au combat militant du Comité Audin.

L'événement a trouvé un écho aussi politique qu'historique : le 13 septembre 2018, Emmanuel


Macron s'est rendu au domicile de Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, pour lui
remettre en mains propres une déclaration décisive dans laquelle il reconnaît l'implication de
l'État dans la mort de son mari en juin 1957, victime de torture. Alors âgé de 25 ans, ce jeune
assistant de mathématiques à la faculté d'Alger mettait la dernière main à sa thèse lorsqu'il a
été arrêté à son domicile par les parachutistes du 1er RCP (régiment de chasseurs
parachutistes) le 11 juin 1957, en pleine bataille d'Alger. Français d'Algérie favorable à
l'indépendance, membre du Parti communiste algérien (PCA) et demeuré en contact avec les
secrétaires du Parti entrés dans la clandestinité, Maurice Audin était a priori suspect aux yeux
des militaires. Sa femme et ses trois enfants ne devaient plus le revoir.

Dans la déclaration remise à Josette Audin, Emmanuel Macron reconnaît également


l'existence d'un « système » de la torture, pratiquée à une vaste échelle durant toute la guerre
d'indépendance algérienne - pas seulement, donc, durant la fameuse bataille d'Alger (janvier-
octobre 1957). Cet « acte historique fort » - la formule est de Pierre Audin, le fils aujourd'hui
retraité, âgé d'un mois lors de l'arrestation de son père - est le résultat d'un long combat
militant. Le Comité Maurice-Audin (1957-1963) y contribua de façon essentielle.

Ce comité est créé un soir de novembre 1957 à Paris. Les universitaires, qui y sont
majoritaires, se donnent pour tâche de faire toute la vérité sur ce qui est rapidement devenu
une « affaire ». Beaucoup ont été sollicités par Josette Audin, via les innombrables lettres
qu'elle a envoyées d'Alger. Parmi eux, les jeunes historiens Pierre Vidal-Naquet, Madeleine
Rebérioux et Marianne Debouzy, les biologistes Jacques Panijel et Luc Montagnier - futur
prix Nobel de médecine -, ou encore le spécialiste de Stendhal Michel Crouzet. Le mois
suivant, événement rarissime dans le monde académique, les mathématiciens René de Possel,
directeur de thèse d'Audin, et Laurent Schwartz, bientôt président du Comité, organisent la
soutenance de thèse in absentia du disparu. L'amphithéâtre de la Sorbonne est bondé.

Tué par les militaires

La première phase d'existence du comité s'achève avec la publication de L'Affaire Audin par
Pierre Vidal-Naquet (mai 1958). Avec l'aide de Jérôme Lindon, son éditeur chez Minuit, il
démonte minutieusement la version officiellement défendue par l'armée : Audin ne s'est pas
évadé lors d'un transfert de prisonniers. A fortiori, il n'a pas rejoint le maquis au côté des
fellagas. Il est mort de la main des militaires, bien que des zones d'ombre demeurent encore
aujourd'hui sur les circonstances exactes de cet homicide. Sur le plan judiciaire, le Comité
remporte à grand-peine une victoire : le transfert en métropole du procès contre X intenté par
Josette Audin. Le dossier échappe ainsi au tribunal civil d'Alger et au juge chargé de
l'instruction, ouvertement favorable à l'usage de la torture.
Après la parution du livre le 20 mai 1958, quelque peu éclipsée par l'insurrection d'Alger
survenue le 13 mai 1958, le Comité élargit son terrain d'enquête. Devenant l'un des centres
névralgiques du combat contre la torture, il documente et médiatise tous les cas dont il est
informé. Dans cette recherche, il entretient des relations ambivalentes avec son interlocutrice
officielle, la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels. Créée par le
gouvernement Mollet sous la pression de l'opinion publique, puis relancée par de Gaulle, la
Commission cherche à la fois à faire la lumière sur les exactions et à prévenir tout scandale
qui pourrait en découler. En cela, elle s'oppose à la stratégie de divulgation du Comité, qui en
retour ne se départira jamais de sa méfiance envers la Commission.

Demeurant actif après le retour du général de Gaulle au pouvoir, le Comité Audin s'affirme,
jusqu'à la fin de la guerre, comme un acteur important de l'anticolonialisme en métropole.
Disposant de moyens financiers modestes, il peut en revanche compter sur de nombreux
soutiens. Les éditions de Minuit et Maspero font paraître ses ouvrages. Le Monde,
L'Humanité ou encore Témoignages et documents publient les communiqués du Comité. Ils
relaient ses initiatives, prises seul ou avec d'autres associations : meetings d'information,
manifestations, sit-in. En mai 1960, le Comité se dote également de son propre journal semi-
clandestin, Vérité-Liberté, avec à sa tête Paul Thibaud, futur directeur de la revue Esprit.

Davantage que les saisies qui frappent régulièrement ses publications, c'est la difficulté à
traduire les tortionnaires devant la justice qui limite la portée du travail du Comité. Une
difficulté qui se mue en impossibilité légale lorsque le décret du 22 mars 1962 déclare
amnistiés « les faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées
contre l'insurrection algérienne ». En conséquence, le procès Audin alors en cours
d'instruction se solde par un non-lieu, verdict confirmé en 1966 par la Cour de cassation. Le
recours déposé par le Comité Audin contre le décret d'amnistie échoue également.

Le Comité cesse de se réunir à la fin de l'année 1963. La question de la torture militaire en


Algérie, mise sous le boisseau, demeure longtemps l'affaire des seuls historiens. Elle refait
surface dans le débat public en 2000 à la faveur du témoignage de Louisette Ighilahriz,
militante indépendantiste qui, dans un entretien au Monde, raconte qu'elle fut torturée dans les
locaux de la 10e division parachutiste (DP) du général Massu. C'est ensuite Paul Aussaresses,
membre de l'état-major de Massu pendant la bataille d'Alger, qui reconnaît avoir eu recours à
la torture. Le 31 octobre 2000, L'Humanité publie un « Appel des douze » à la condamnation
de la torture durant la guerre d'Algérie. Parmi les douze signataires, Josette Audin, Madeleine
Rebérioux, Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet. Un autre ancien membre du Comité, le
mathématicien Gérard Tronel - décédé en 2017 -, recrée une Association Maurice-Audin en
2004. Elle remet un prix Audin de mathématiques à deux chercheurs, l'un algérien et l'autre
français, et soutient Josette Audin dans son inlassable combat. Cédric Villani, membre du jury
du prix depuis 2011 et député La République en marche, appuie la demande de
reconnaissance auprès d'Emmanuel Macron, pour le résultat que l'on sait. Dans sa déclaration,
le chef de l'État a également annoncé l'ouverture de tous les fonds d'archives qui concernent la
torture, et lancé un appel à témoignages. De quoi, peut-être, apporter de nouvelles pierres à
l'édifice que commença de bâtir le Comité Maurice-Audin il y a plus de soixante ans.

((( Dans l’Appel de la Soummam, en août 1956, le Front de libération nationale (FLN) presse
la communauté juive de se prononcer contre la torture, relevant que si d’autres autorités
religieuses ont pris position, les autorités juives, elles, se sont tues : le « silence du Grand
Rabbin d’Alger contraste avec l’attitude réconfortante de l’Archevêque [Mgr Léon Étienne
Duval, archevêque d’Alger] se dressant courageusement et publiquement contre le courant et
condamnant l’injustice coloniale ». Bien que l’Église soit partagée sur la question de
l’indépendance de l’Algérie, des groupes catholiques et protestants ont officiellement rejeté la
torture comme moyen de lutte contre l’insurrection.

Invitant la communauté juive à soutenir sa cause, le FLN dit se garder, avec « l’immense
majorité des Algériens […] de considérer la communauté juive comme passée définitivement
dans le camp ennemi ». Il est désireux d’obtenir une déclaration publique d’un leader juif,
mais, approché dans ce but, le grand rabbin Jacob Kaplan aurait refusé. Deux mois environ
plus tard, Jacques Lazarus répond indirectement à ce plaidoyer en exhortant au contraire les
Juifs d’Algérie et de France à rester neutres et sourds aux pressions extérieures. Pour Lazarus
et le Comité juif algérien d’études sociales (CJAES), la neutralité est d’une importance
cruciale ; c’est une question de survie. À la question rhétorique, « Quelle devrait être notre
attitude ? » il répond donc : la collectivité juive française, que ce soit en métropole ou en
Algérie, est partie intégrante de « la communauté française ». « Nous sommes français, juifs,
républicains et libéraux ». Porte-parole officiel des Juifs d’Algérie, il a l’oreille, en dehors du
CJAES et des consistoires algériens, de plusieurs organisations juives : le Congrès juif
mondial, l’Alliance israélite universelle, l’ORT, l’American Joint Distribution Committee,
l’OSE, le Fonds social juif unifié et l’American Jewish Committee lui font toute confiance
pour indiquer aux Juifs d’Algérie la meilleure voie à suivre. Aussi, soutenant le judaïsme
algérien et, en conséquence, neutre sur la question de l’indépendance algérienne, aucune de
ces organisations ne se risque-t-elle à critiquer l’usage méthodique de la torture par l’armée
française.

Est-ce la raison pour laquelle la majorité des Juifs qui se sont dressés contre la torture sont des
laïcs – des athées même – vivant en métropole ? De fait, nombreux sont les Juifs
« déjudaïsés » métropolitains qui voient dans le conflit algérien un juste combat. Vivant en
sécurité en Europe, sûrs de leur qualité de Français et sans crainte de la perdre, ils fondent sur
des critères moraux leur réprobation à l’égard des procédés brutaux de l’armée française, sans
tenir compte de la sécurité des Juifs du lieu, tandis que ces derniers non seulement redoutent
la dénaturalisation, mais vivent dans une Algérie bouleversée par la guerre et sentent la
violence monter autour d’eux.

Ainsi les organisations juives choisissent-elles la neutralité alors que des Juifs français
refusent de se taire et vont jusqu’à risquer leur vie pour s’opposer à la torture. Ils jouent un
rôle de premier plan dans la divulgation auprès de l’opinion des actes de violence révoltants
commis par l’État français contre les insurgés et figurent, aux côtés de chrétiens, de
musulmans et de libres penseurs, en tête du mouvement contre la torture en France. Cet article
explore leurs arguments, leurs motivations et la façon dont ils lient leur protestation à leur
vision de la France et à leur propre judéité. )))

L’impact de la torture sur l’opinion


publique
Dans les premiers temps, les Français de métropole n’ont pas compris, pour la plupart, le
cycle de violence – terrorisme et torture – qui caractérisait cette guerre. La grande majorité ne
qualifie d’ailleurs pas encore les « évènements » épisodiques d’Algérie de « guerre ». C’est
l’usage de la torture par l’armée contre les Algériens qui a fait naître la controverse en France.
À la suite des visites effectuées par la Croix-Rouge internationale dans différentes prisons à la
fin de 1956, des rapports condamnant les dérives de l’armée sont parvenus à la presse, au
Monde entre autres, qui les publie en janvier 1960. La révélation des actes de torture
scandalise l’opinion française, poussant une large partie d’entre elle à s’identifier ouvertement
à la cause des insurgés, sinon à faire totalement sienne la cause de l’indépendance algérienne.
Selon l’historien Michel Winock, le nombre d’intellectuels impliqués dans le débat contre la
torture est comparable à celui des intellectuels engagés dans la Résistance pendant la Seconde
Guerre mondiale.

Or, des récits et des opinions sur l’usage de la torture par l’armée ont filtré d’Algérie en
France métropolitaine, et finalement dans le monde entier, avant même la publication des
rapports de la Croix-Rouge. Dès avant ces révélations, des soldats, des avocats et des
journalistes ont témoigné des horribles conditions de détention des prisonniers musulmans.
Rapidement, les appelés qui avaient été les spectateurs – et même les acteurs – d’actes de
torture se sont mis à en parler en métropole, à leur famille surtout, parfois publiquement, et
ces informations ont été relayées ensuite par des journalistes.

Un mouvement hostile à la torture s’est ainsi développé dans le pays. Jean-Jacques Servan-
Schreiber en fut l’un des pionniers. Appelé à servir en Algérie en 1956, après avoir mené
campagne contre la guerre dans son hebdomadaire, L’Express, il témoigne de sa propre
expérience de soldat à son retour, en 1957. Bien qu’il n’ait jamais été le témoin direct d’actes
de torture, il décrit le quotidien des soldats – et comment, placés hors de l’état de droit, ils
sont faciles à manipuler. Dégoûté par la ségrégation et le racisme omniprésents en Algérie,
Servan-Schreiber sympathise avec les musulmans, destinés à devenir tous rapidement des
suspects. Il compare la position de l’armée française avec celle de la Wehrmacht pendant la
Seconde Guerre mondiale. Il s’interroge finalement sur le bien-fondé de cette guerre, et même
sur celui de la colonisation.

Ses propos ouvrent la voie aux intellectuels qui entreprennent dès lors de monter des réseaux
et de diffuser des publications favorables à l’indépendance de l’Algérie en France. Le réseau
de Francis et Colette Jeanson est en contact direct avec le FLN, et les membres du mouvement
des « 121 » proclament qu’ils désobéiront s’ils sont appelés à combattre en Algérie. L’usage
par l’armée française d’une violence arbitraire et raciste contre les civils algériens s’avère
être, de loin, l’argument le plus efficace contre le régime colonial. Quelle que soit la manière
dont beaucoup de partisans de l’Algérie française célèbrent la France porteuse de modernité et
de démocratie, la pratique de la torture démontre clairement que la France – en tout cas la
France qui règne en Algérie – n’est ni démocratique ni humanitaire. « La torture me remettait
en question. Ce bouleversement dépassait la raison morale ou politique », écrit Gisèle Halimi.
Pour Vidal-Naquet, la torture est « le cancer de la démocratie ».

La pratique de la torture en Algérie


La raison d’être de la torture, selon ceux qui la pratiquent, est tout simplement d’obtenir des
suspects des informations utiles à la lutte anti-terroriste menée contre des meurtriers de civils.
Du point de vue des militaires, un réseau complexe et clandestin de combattants du FLN se
cache derrière chaque bombe qui explose, de sa fabrication à sa livraison et, finalement, à son
placement. Le secret est, aux yeux des services spéciaux français, l’arme la plus dangereuse
du FLN. Aussi une unité parachutiste spéciale torture-t-elle, régulièrement et
méthodiquement, les suspects pour leur extirper leurs secrets et obtenir leurs aveux. La
méthode d’Aussaresses n’a pas varié : d’abord les coups, puis l’électricité et finalement
« l’eau », terme par lequel il désigne le fait de noyer sous un jet d’eau le visage de la victime.
L’important était d’en terminer le plus rapidement possible avec la torture, « l’eau » n’étant
utilisée qu’en dernier ressort, pour faire parler les victimes au plus vite – « dans l’heure ».

Aussaresses comme d’autres thuriféraires de la torture vantent la « propreté » et l’innocuité de


la méthode, censée tourmenter les prisonniers, mais non leur causer de préjudice définitif. En
réalité, les pratiques des parachutistes en matière de torture marquent les prisonniers à vie.
Maurice Audin a été tué par ses persécuteurs, étouffé à mort au cours d’un « interrogatoire »
musclé. Pierre Vidal-Naquet et le mathématicien Laurent Schwartz ont réagi en créant, en
1957, le Comité Maurice Audin afin d’alerter l’opinion sur les actes de torture perpétrés par
l’armée française sur les prisonniers en Algérie. Sa campagne, particulièrement efficace, avec
celles d’autres groupes, a poussé le nouveau gouvernement de De Gaulle, parvenu au pouvoir
en France à la faveur de la crise de mai 1958, à dire vouloir mettre un terme à ces pratiques.
Quelques années plus tard, en 1960, le cas de Djamila Boupacha prouve non seulement que la
torture est toujours une « arme » utilisée dans la guerre d’Algérie, mais qu’elle a atteint un
niveau pire qu’auparavant, puisque la victime a été sexuellement agressée par ses
tortionnaires.

Les campagnes centrées sur la torture des comités Audin et Boupacha de Paris eurent, parmi
toutes les forces opposées à la guerre d’Algérie, un impact particulièrement durable sur
l’opinion publique française. « Ce ne sont ni ces « amis » de la France ni ces « ennemis » –
pour reprendre la terminologie officielle – ni ces « collaborateurs » ni ces « résistants » – pour
parler comme les tracts du FLN – qui gênent le plus les autorités françaises, observe
l’historienne Raphaëlle Branche, mais des dossiers constitués avec beaucoup plus de soin et
de précisions que les autres : ceux qui sont soutenus par un comité de métropole ». Ces
comités d’intellectuels sapent l’autorité de l’État en révélant ses secrets à l’opinion publique,
laquelle devient, dès lors, une arme dans le combat pour l’indépendance. Et une arme
efficace. Aussaresses présume que l’objectif du FLN était de pousser l’armée à torturer
davantage encore pour mieux influencer l’opinion publique. « Plus il y aurait de sang, écrit-il,
plus on en parlerait ».
Le Comité Audin : les dreyfusards du XXe
siècle
« Dans ce début d’activisme, je me focalisai sur la torture […] ; il y avait pour moi une
réponse d’abord personnelle, explique Pierre Vidal-Naquet : mon père Lucien avait été torturé
par la Gestapo à Marseille en mai 1944. L’idée que ces mêmes techniques étaient, après
l’Indochine, Madagascar, la Tunisie, le Maroc, utilisées en Algérie par des Français, policiers
et militaires, me faisait proprement horreur. C’est la question de la France, “ma patrie”,
comme disait Marrou ». Sa réaction contre la torture a donc été viscérale à l’origine, avant
qu’il n’engage une campagne systématique et rationnelle contre les mensonges de l’armée
française. Avant de croiser le chemin de Maurice Audin, l’existence de Vidal-Naquet, jeune
spécialiste de la Grèce ancienne, se déroulait paisiblement, entre sa vocation d’helléniste et sa
famille, relativement loin de la politique. C’est un télégramme désespéré de la femme de
Maurice Audin qui l’a poussé à l’action, sous l’aiguillon de la tradition rationaliste du
judaïsme français dont l’Holocauste et l’affaire Dreyfus constituent des événements-clés.

Comparer la torture en Algérie et l’affaire Dreyfus fait sens pour lui parce que l’Affaire a, en
son temps, poussé les intellectuels à remettre en question l’autorité, la sincérité et l’esprit de
justice de l’armée française. Accusé à tort d’espionnage au bénéfice de l’Allemagne en 1894
et condamné à la déportation, l’officier juif Alfred Dreyfus a été amnistié puis innocenté grâce
aux intellectuels français qui réussirent à faire d’une machination de l’armée une cause
célèbre qui divisa la nation et faillit provoquer la chute du gouvernement. L’important dans
l’affaire Dreyfus, aux yeux de Vidal-Naquet, est qu’elle représente un moment crucial où les
intellectuels ont maintenu la République dans la voie de la morale. La leçon à en retenir ?
C’est qu’une mobilisation citoyenne peut maintenir un gouvernement dans le respect de ses
propres valeurs.

Le sort de Maurice Audin a été scellé dans la nuit du mardi 11 juin 1957, quand un escadron
de parachutistes fait irruption chez lui à Alger, où il vit avec sa femme et ses trois jeunes
enfants – le plus jeune a tout juste un mois. Âgé de 25 ans, doctorant en mathématiques,
Audin est membre du Parti communiste, illégal en Algérie depuis le milieu de 1955. Son
crime est d’avoir caché quelques-uns de ses amis à son domicile. Une fois arrêté, il est
conduit à El Biar, dans une sorte de prison encore en travaux, pour y être interrogé. On le
force à s’allonger par terre et l’on verse de l’eau sur son visage, au point pratiquement de le
noyer. Les interrogateurs ont attaché des électrodes à ses parties génitales ; ils le battent de
façon répétée, et finalement le font suffoquer à mort – peut-être accidentellement. Un autre
prisonnier a entendu ses cris étouffés jusqu’au petit matin. On se débarrasse de son corps. Les
autorités militaires françaises prétendent qu’il a disparu – une évasion.

Pierre Vidal-Naquet, Laurent Schwartz et Jacques-Fernand Cahen fondent le Comité Maurice


Audin. Aux yeux du premier, le traitement infligé à Audin symbolise la déchéance de la
République française qui torture des milliers de suspects en Algérie, en majorité des
« indigènes ». Audin, bien qu’Européen, devient le visage de ces victimes. Si son meurtre a eu
cet écho en France, c’est précisément parce qu’il n’est pas un musulman, mais un Français
ordinaire – un intellectuel européen. « La guerre d’Algérie a entraîné avec elle des milliers et
des milliers d’affaires Audin. » écrit Vidal-Naquet. Laurent Schwartz, autre Juif fondateur du
Comité, fait la même comparaison en 1957 : « Ceux qui ont protesté pour Audin n’ont pas
entendu dissocier son cas des autres, faire de lui un martyr privilégié. Ils ont voulu en faire un
symbole, […] Dreyfus aussi a été un symbole ; dans tous les cas, c’est au nom de la même
raison d’État qu’on cherche à éviter la lumière. » Le Comité a pris l’affaire Dreyfus pour
modèle : le cas du capitaine avait mobilisé des intellectuels venant de tous les horizons
politiques. Vidal-Naquet et Schwartz veulent faire de même, mais pour dénoncer la torture en
général et non pas seulement la torture en Algérie, dans l’intention de convaincre l’opinion de
passer dans le camp de l’indépendance algérienne.

La réaction de Theodor Herzl à l’affaire Dreyfus avait été de fonder le sionisme moderne,
conçu comme le moyen d’échapper à l’injustice de l’antisémitisme présent dans toute
l’Europe. Mais le républicanisme laïc est un autre des héritages de l’Affaire. Pierre Vidal-
Naquet décrit ainsi ses sentiments personnels vis-à-vis de la France et d’Israël : « Pour nous,
le sionisme était naturellement un concept totalement étranger. Le patriotisme, l’idée que la
France était le plus beau et le plus noble des pays au monde était une part de notre héritage ».
Comme Laurent Schwartz, il considère l’affaire Dreyfus comme une grande victoire pour les
Juifs de France, mais les deux hommes se proclament personnellement athées. L’athéisme
permet à Vidal-Naquet de se sentir libre de choisir ses combats, ses convictions spirituelles et
ses affinités, libre de sortir des limites d’une perspective juive singulière dictée uniquement
par ses « origines ». Il connaît, constate-t-il, beaucoup d’athées d’origine juive qui sont
parfaitement heureux en tant qu’athées, tout court. Des années plus tard, en 1966, Vidal-
Naquet s’est pris à réfléchir davantage au sens à donner à son judaïsme. Mais, même à cette
époque, alors que parler de l’impact de l’Holocauste sur les Juifs le met moins mal à l’aise, il
reste néanmoins ferme sur son athéisme. « Pendant la guerre d’Algérie, ai-je agi en tant que
Juif ? se demande-t-il finalement. En tant qu’héritier de la tradition dreyfusarde plutôt, même
s’il m’arrivait de penser avec sympathie aux prophètes d’Israël et à leur exigence de justice, à
temps et à contretemps ».

Pour Pierre Vidal-Naquet, le militantisme dreyfusard est une tradition familiale – son oncle,
né en 1900 avait été dénommé Georges, Émile, Alfred en hommage à Georges Picquart,
l’officier qui découvrit le véritable traitre, à Émile Zola, dont le J’accuse accusa les officiers
de l’état-major de forfaiture, et à Alfred Dreyfus lui-même. Le 16 septembre 1958, le comité
compose un pamphlet intitulé « Nous accusons » en référence à Zola. Quelques années après
l’indépendance de l’Algérie, en 1966, alors que Vidal-Naquet commence à s’admettre comme
Juif, il se prend à interpréter le nationalisme algérien comme une lutte profondément
personnelle (et non pas tant universelle). Les musulmans d’Algérie, sous la conduite du FLN,
auraient redécouvert un héritage ethnique et religieux que le colonialisme français avait
effacé. Se souvenant du triomphe de l’indépendance en 1962, il estime que les Algériens ont
alors célébré une renaissance musulmane, ce qui, en retour, le conduit à attribuer un rôle dans
son propre comportement à l’Holocauste et à son identité juive. Mais, dans les premières
années de la guerre d’Algérie, c’est son attachement à la tradition juive française, et non sa
judéité, qui le pousse à prendre la défense des victimes de l’armée.

Laurent Schwartz lie lui aussi la défense de Dreyfus à une forme spécifique de patriotisme
français. La France à laquelle il adhère est une France universaliste qui défend certains
principes éthiques, et non la nation de type raciste prônée alors par le courant poujadiste.
Schwartz – qui était le directeur de recherche de Maurice Audin – vient d’une famille juive
sécularisée. À la différence des chrétiens qui placent leur protestation contre la torture sur un
plan biblique et moral, sa protestation n’a rien de théologique. Mais il représente, subtilement,
la tradition dreyfusarde, laquelle, dit-il, s’est réveillée en lui pendant l’Holocauste. Il a
compris pour la première fois le fait, pendant la Seconde Guerre mondiale, que tous les
Français n’étaient pas semblables – et que ses différences le rendaient singulier. Il évoque
ainsi, dans ses mémoires, l’évolution de sa position quant à ses origines juives : « Mes parents
étaient athées, je l’étais aussi. Je ne me suis jamais vraiment senti juif. Il est bien évident que
l’on peut trouver dans mon caractère toute une série d’aspects de la tradition juive. Mais je ne
me sentais et je ne me sens toujours pas juif. […] Toutefois, nous le sommes tous devenus un
peu depuis la Shoah. Nous sommes évidemment solidaires de tous les juifs qui en ont été les
victimes, et nous avons bien senti, pendant la guerre et après la Shoah, que nous appartenions
à une même communauté qui supportait les mêmes épreuves ». Il est donc sorti de la guerre
avec une conception moins vague de son identité juive, fondée sur une conception du
judaïsme comme un courage ethnico-moral plutôt qu’une religion. D’où sa protestation contre
la torture dans la guerre d’Algérie : c’est l’intellectuel chez lui qui s’est dressé – comme
naguère Zola – pour défendre les droits de l’Homme dans la République.

Vidal-Naquet a mal vécu l’issue de l’affaire Audin. Au moins a-t-il, avec ses amis, révélé le
problème de la torture au grand public, même si cela n’a pas débouché sur une réparation
comme l’avait été naguère l’acquittement de Dreyfus. Entre les défis relevés par son groupe et
ceux de leurs prédécesseurs du siècle précédent, il fait ce parallèle amer : « Léon Blum
raconte dans ses Souvenirs sur l’Affaire que lorsque le petit groupe des premiers dreyfusards
eut entre ses mains non seulement les preuves de l’innocence de Dreyfus mais le nom du
véritable coupable, ils crurent que le problème se règlerait facilement. La vérité vaincrait
rapidement. Toutes proportions gardées, je commis une erreur analogue. J’étais persuadé que
ce texte fort [son ouvrage, L’Affaire Audin] déclencherait inévitablement des débats et des
combats. Mais il n’en fut rien. » De fait, la lutte contre la torture dura encore des années après
la disparition d’Audin.

Gisèle Halimi ou le droit au secours des


hors-la-loi
Tandis que le Comité Audin entreprend de mobiliser l’opinion contre la torture, livrant
bataille aux autorités françaises dans la presse, un autre combat se déroule dans les prétoires.
La protestation de Gisèle Halimi précède le moment où les intellectuels, en France, ont appris
que les militaires se rendent coupables d’actes de torture en Algérie. Avocate, elle ne peut
accorder, d’une façon générale, aucune valeur à des aveux obtenus de cette façon. Française,
confrontée au système juridique français, elle refuse toute validité juridique aux témoignages
obtenus sous la torture. Ce genre d’aveux, pense-t-elle, pervertit le système judiciaire,
exprime un racisme manifeste et illustre une dérive des « pouvoirs spéciaux », institués par
une loi de mars 1956. Enfin, féministe et écrivain, elle fonde un comité de soutien à sa cliente,
Djamila Boupacha pour mieux révéler les abus de l’armée au grand public.

À la différence de Laurent Schwartz et de Pierre Vidal-Naquet, Gisèle Halimi est issue d’une
famille religieuse. Tunisienne naturalisée française, elle parle couramment le judéo-arabe.
C’est cette enfance tunisienne qui la pousse à défendre contre les mauvais traitements les
nationalistes algériens incarcérés. Enfant, Gisèle Halimi a vu comment les femmes étaient
opprimées dans son foyer orthodoxe. D’un côté, il leur faut, par le strict respect des mitzvot,
honorer Dieu, qui commandait à tout ; de l’autre, il est interdit aux filles et aux femmes de
participer activement au culte communautaire. Dans sa jeunesse, elle s’est rebellée contre sa
famille et l’autorité communautaire. Elle devient une ardente féministe, « liant ce désir
d’existence autonome d’une fille à la nécessité de peser, en général, sur notre monde, de
l’orienter ».
Afin d’éviter un mariage arrangé, elle vient faire son droit à Paris à dix-huit ans, s’imaginant
échapper ainsi à son sort de femme, de Tunisienne et de Juive. Comme les Juifs d’Algérie,
elle idéalise la République française – universelle et censée lui donner toutes ses chances.
Dans sa France chaque individu est un citoyen de la République, libre, jugé selon ses seuls
mérites et ses seuls actes, une vision de la France qu’elle conserva, envers et contre tout, tout
au long de sa carrière au Barreau. Mais, à son arrivée en France en 1949, il s’avère que l’idéal
est loin de la réalité. Bien qu’elle ait déjà rejeté Dieu, être juif en France est plus compliqué
qu’elle ne l’avait cru, réalise-t-elle. Un jour, sa propre voisine, une femme âgée, lui montre un
numéro d’un journal antisémite des années trente, Je suis partout, dont elle a cerné d’un trait
rouge les caricatures. « Regardez ces nez et ces doigts crochus …pour faire main basse sur le
pays… Une vermine, à écraser… ». Écœurée et honteuse, la jeune femme ne lui dit rien de ses
origines, mais elle comprend qu’il y a loin de la France réelle à l’image qu’elle s’en était faite.

C’est son combat féministe contre l’oppression exercée sur les femmes par le judaïsme
tunisien qui l’a conduite, dès les débuts de la guerre, à s’identifier aux révolutionnaires
algériens. Sa foi dans la République laïque et universelle nourrit son militantisme. Alors
qu’elle soutient devant Robert Lacoste, gouverneur général de l’Algérie de février 1956 à juin
1957, que les parachutistes français se comportent comme des officiers SS et que la cause du
FLN est juste, celui-ci se récrie : « Regardez, regardez… C’est comme une vermine, regardez
ce que j’en ferai… je les écraserai, comme ça, de mon talon, oui, de mon talon ! » Pour sa
part, ce mot « vermine » suggère surtout à Gisèle Halimi un parallèle entre sa voisine pour qui
les Juifs sont des insectes à écraser et Lacoste qui use du même langage à propos des
nationalistes algériens. À ses yeux, le racisme et la torture offensent les Droits de l’homme et
la civilisation, mais elle proteste moins en fait contre le racisme à l’encontre des musulmans
qu’elle ne défend les suspects contraints d’avouer sous la torture.
Venue plaider à Philippeville en 1958, elle est la seule femme et le seul avocat de la capitale à
oser pénétrer dans la zone de guerre. Elle a entendu parler pour la première fois des atrocités
commises en 1955 à El Halia, aux environs de la ville, par la lettre d’un mineur musulman,
suspecté d’avoir participé au massacre des Européens du lieu. Celui-ci avait été arrêté bien
après les meurtres puis maintenu au secret pendant presqu’un an. Avec plusieurs autres
prisonniers, il avait été torturé à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il ait signé des aveux
complets. La tactique adoptée alors par Gisèle Halimi devant le Tribunal militaire est
d’insister « sur l’existence juridique des aveux, puisque extorqués par la violence ». Elle
entend d’abord défendre le droit des prisonniers à un procès équitable. Elle perd en première
instance, mais ses clients sont relaxés en appel – elle et son collègue, Léo Matarasso, ayant
souligné que les aveux avaient été extorqués par la force.

L’allégeance de Gisèle Halimi à la France en sort ébranlée. Au cours du procès, elle prend le
juge à partie : « Aussi mes plaidoyers contre la torture devinrent-ils tout naturellement une
succession de questions, presque des cris. J’interpellais les tribunaux. “Qu’est la France ? Le
siècle des Lumières, les droits de l’Homme ou cette barbarie ? Qui êtes-vous, messieurs les
juges” ? ». Ce faisant, elle met la France en accusation, demandant au juge quelle France il
choisit. Des années plus tôt, elle s’était posé ces questions à elle-même et en était venue à ces
conclusions : elle était française ; elle avait choisi la France des Droits de l’homme. En
défendant les victimes de la torture, elle estime qu’elle restaure l’image de la France et la
rapproche de celle qu’elle s’en était faite dans son enfance.

Le Comité Djamila Boupacha


Une nuit de février 1960, une escouade parachutiste fait irruption chez les Boupacha à Alger.
Toute la famille est arrêtée : le père septuagénaire, la mère cinquantenaire, leur fille enceinte,
son mari et leurs deux enfants, et leur autre fille prénommée Djamila.

Les forces de l’ordre recherchaient deux hommes, El Mourad et El Djamil, et pensaient que
Djamila savait où les trouver. Le premier jour, elle subit un interrogatoire de plusieurs heures,
ponctué de gifles, de coups de pied et de coups de poing au visage. Elle déclare avoir fourni
des secours médicaux à deux combattants du FLN, mais ignorer où ces suspects se trouvent
désormais. Le troisième jour d’incarcération, on lui administre ce qu’on appelle le supplice de
la baignoire : les soldats lui tiennent la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’elle avoue avoir déposé
une bombe dans la cafétéria de l’université. Comme ses persécuteurs continuent de la torturer,
elle confesse d’autres crimes – elle acquiesce simplement à tout, ce qui a pour effet
d’exaspérer plus encore ses tortionnaires. Ils l’emmènent alors dans une autre pièce, la
ligotent, nue, sur un fauteuil de dentiste et la bâillonnent. Puis ils crachent de la bière sur sa
poitrine et tentent de fixer des électrodes sur sa peau mouillée, la retournent enfin sur le ventre
et enfoncent une brosse à dent et des bouteilles de bière vides dans son vagin. Elle s’évanouit
dans une mare de sang.

Sollicitée par Djamila Boupacha, Gisèle Halimi accepte de l’assister dans un procès contre les
soldats français. Le viol n’étant pas considéré comme un crime à l’époque, la condamnation
des parachutistes est problématique. Les experts médicaux qui ont examiné la victime ont
menti sur son état et, en raison du tabou qui entoure le viol et la sexualité, les médecins
renâclent à spécifier la nature exacte du délit. L’expert médical, trop embarrassé pour
examiner les parties génitales de Djamila, déclare seulement qu’elle souffre de « troubles
menstruels ».
Parce que ce cas de torture inclut le viol, Djamila, comme bien d’autres Algériennes qui en
ont été elles aussi victimes, se confient à Gisèle Halimi. Pouvoir lui parler ouvertement de la
perte de leur virginité, un tabou dans la société musulmane, soulage ces jeunes femmes
humiliées. À Djamila qui lui dit : « Et tu crois qu’un homme voudra de moi si la bouteille m’a
abîmée ? Chez nous c’est différent de chez vous… La jeune fille, il faut qu’elle soit vierge »,
Gisèle Halimi fait observer qu’elle est une héroïne du FLN, une militante nationaliste qui, à la
faveur d’une « lutte politique l’avait amputée, d’une certain manière : elle aurait pu perdre
une jambe ou un bras… ». Mais si l’avocate s’emploie à minimiser l’impact du crime sexuel
pour réconforter la victime, elle sait qu’il est crucial, si elle veut obtenir la qualification des
exactions militaires en crime, de faire savoir ce qui est arrivé à Djamila Boupacha dans les
murs de la prison d’Alger.

Elle contacte Simone de Beauvoir, et toutes deux – avec le soutien du Comité Audin et de
plusieurs autres intellectuelles parisiennes – forment le Comité Djamila Boupacha et mènent
campagne auprès de l’opinion. Après des années consacrées à réunir des informations et à
intervenir après de personnalités officielles, ces femmes savent qu’il leur reste l’action directe
en dernier ressort. Comme Audin, Boupacha est également un symbole – le cas d’une jeune
femme torturée soulignant la sauvagerie de ses tortionnaires. En attirant l’attention en
particulier sur le crime du viol, Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir donnent une dimension
supplémentaire aux brutalités de l’armée. Quoiqu’il en soit, le comité rencontre le même
genre de dérobades à Paris et à Alger. Approché par le Comité, le président du Comité de
sauvegarde des droits et libertés individuels lui répond : « Ah bon ! Il ne s’agit donc pas du
véritable supplice, comme en Indochine, savez-vous ? Voilà comment ça s’est fait, en
Indochine : on assoit l’individu sur une bouteille… c’est très violent… les intestins éclatent…
d’ailleurs, on en meurt, en général ». Le Comité Boupacha commence à réaliser qu’il est
confronté à un crime qui n’est pas qualifié juridiquement comme tel. Même Le Monde du 3
juin 1960 traite par euphémisme le traumatisme subi par la victime : la mention de la bouteille
« enfoncée dans le vagin » est remplacée, dans un article de Simone de Beauvoir, par une
version selon laquelle ses interrogateurs lui auraient « pressé le col d’une bouteille sur le
ventre ». Contribuant à animer – cette fois au milieu des années 1970 – la campagne qui va
faire du viol un crime aux yeux de la loi française, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi ont
compris l’importance de donner aux femmes le rôle d’accusatrices plutôt que celui de
victimes privées de parole. Le cas Boupacha a préparé cette importante avancée juridique.

En 1962, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi publient un ouvrage exhaustif sur l’affaire
Boupacha. Dans ses premières pages, Beauvoir tourne en dérision « les malheurs anciens –
Anne Frank ou le ghetto de Varsovie. » « Vous consentez paisiblement au martyre que
subissent, en votre nom, presque sous vos yeux des milliers de Djamila et d’Ahmed ». Propos
qui veulent souligner que c’est la Casbah d’Alger qui se soulève désormais et non pas le
ghetto de Varsovie, qu’il y a toujours des jeunes femmes victimes, mais qu’on peut aider à
présent Djamila Boupacha et non Anne Frank. Elle cherche bien entendu ainsi à choquer et à
faire réagir.

Établir un parallèle avec le génocide juif survenu quinze ans plus tôt est chose fréquente à
l’époque. À Gisèle Halimi, la propre mère de Djamila déclare que les Français de métropole
peuvent comprendre le combat des Algériens pour leur indépendance et éprouver plus
facilement de l’empathie pour les Algériens torturés parce que les Français de France avaient
enduré le sadisme de la Gestapo. En fait, cette allégation est une idéalisation reposant sur le
mythe résistancialiste. Après la parution de l’article de Simone de Beauvoir, Le Monde a reçu
de nombreuses lettres de soutien qui multiplient les parallèles avec l’Allemagne nazie. Parmi
elles, celle d’un avocat qui estime que si les Allemands ordinaires ont essayé de se disculper
des crimes nazis en 1945 en déclarant qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de camps
de concentration, la situation est différente en ce qui concerne la guerre en Algérie, car « la
vérité vous attaque partout ».

C’est sous l’empire de leurs souvenirs de résistance de la Seconde Guerre mondiale, parce
qu’ils considèrent les nationalistes algériens comme des résistants d’un nouveau type, que les
membres du Comité Boupacha sympathisent avec les insurgés. À un officier français qui
déclare, méprisant, au Comité : « Elle se prend pour Jeanne d’Arc. Elle veut l’indépendance
de l’Algérie ! », Anise Postel-Vinay, une ancienne résistante déportée à Ravensbrück,
réplique : « Toutes, à vingt ans, nous nous sommes en peu prises pour Jeanne d’Arc, en
1943 ».

Gisèle Halimi s’est expliquée plus tard sur les motifs premiers de son radicalisme : « La
France de mes dix-huit ans, je l’ai dit, me contraignit à quelques révisions déchirantes. Ma
sotte idéalisation, à partir de Molière ou des humanistes, m’avait caché les lois d’airain du
pouvoir, de la discrimination. Je me sentais divisée, depuis mes déboires antisémites ». Elle
cherche à créer sa France afin de surmonter son malaise. Son combat pour Djamila Boupacha
trouve sa source dans sa foi dans la justice et sa conviction d’être en mesure de restaurer les
valeurs d’une France déchue, motivation qu’elle partage avec Laurent Schwartz et Pierre
Vidal-Naquet.

Les leaders des comités contre la torture ne sont pas les seuls Juifs français à s’engager ainsi.
Janine Cahen, par exemple, a passé huit mois en prison pour avoir collaboré avec le FLN. De
son judaïsme, elle parle non pas en termes religieux mais comme la conscience d’une histoire
qui lui impose un certain impératif moral : « Pour moi, être juive […] signifie qu’après tant de
souffrances dans le passé, on a une obligation, d’un point de vue historique, à l’égard des
autres peuples opprimés, ou, dans toutes les circonstances créant un devoir, de n’épargner
aucun effort, si possible, pour défendre la justice. C’est fondamental ». Comme Pierre Vidal-
Naquet, elle se réfère donc à l’expérience passée particulière mais émotionnellement
cohérente des Juifs français, qui les pousse à la résistance – une sorte de « personnalité
juive », pour reprendre les termes de Laurent Schwartz.

C’est plus tard seulement dans la guerre que des organisations juives et des rabbins ont
condamné publiquement les violences de l’armée. Ils ne peuvent plus se taire après que, le 17
octobre 1961, la police française a tué des centaines de manifestants musulmans à Paris. Cinq
jours après la manifestation, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) exprime ainsi sa
consternation devant les actes racistes de la police : « Nous ne pouvons rester insensibles à
ces persécutions, comme l’ont fait certains à l’époque, quand on nous imposa le port de
l’étoile jaune. C’est pourquoi nous, les victimes classiques du racisme, nous exprimons notre
solidarité aux persécutés et nous demandons qu’aucune mesure de répression collective soit
appliquée envers la population nord-africaine. » Évoquant le drame devant des membres du
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le rabbin René-
Samuel Sirat déclare à son tour : « Les mauvais traitements subis par les Algériens m’ont
touché personnellement. Je ne puis que me souvenir d’il y a vingt ans, lorsque tout Juif
pouvait être emmené dans ces hauts lieux de la civilisation que sont le Vel d’Hiv et Drancy. Il
faut faire quelque chose pour que cela ne recommence pas. Ce que nous faisons risque d’être
tragiquement insuffisant. » Établir des comparaisons avec des violences subies par les Juifs
dans le passé coule tellement de source que pour Jean-Paul Sartre, ce 17 octobre, le premier
véritable « pogrom » vient d’avoir lieu sur le sol français.
Les activistes de l’OAS ont menacé de mort Sartre, Laurent Schwartz et Gisèle Halimi après
l’indépendance de l’Algérie. Les étudiants activistes de l’UEJF montent la garde 24 heures
sur 24 au domicile du philosophe. « Je connaissais bien ces membres [de l’UEJF], raconte
Schwartz ; nous avons eu beaucoup de conversations intéressantes. Leurs idées étaient très
avancées, et leurs opinions sur la guerre étaient proches des miennes. Je leur étais très
reconnaissant de proposer de garder mon appartement. Toute la journée, deux de leurs
membres armés de gourdins s’installaient dans les escaliers ou sur le palier entre notre étage
et celui du dessous. »

Tous les Juifs français engagés dans la lutte ont donc eu le même objectif : reconstruire une
France qui ressemble à l’image qu’ils en avaient. Leur expérience particulariste est la source
de leurs efforts pour obtenir une révision de la conduite de l’État et plaider auprès des
politiciens la cause des victimes ; les épreuves traversées dans leur jeunesse leur donnent
l’énergie de s’atteler à la reconstruction de la France.

Dans son étude sur ce qu’il appelle la « Résistance algérienne », Martin Evans soutient que les
Français qui ont protesté contre la guerre d’Algérie ont, en quelque sorte, revécu la résistance
antifasciste de la Seconde Guerre mondiale. « Maintes fois, écrit-il, les personnes
interviewées qui se remémoraient leur horreur et leur incrédulité devant son impensable
réédition en Algérie établirent un parallèle avec le nazisme. […] Le nazisme, soulignaient-ils
sans cesse, n’était pas un phénomène seulement allemand. Il pouvait ressurgir n’importe où,
et il ressurgissait alors en Algérie. » Nous l’avons vu, les Juifs comme les non-Juifs
comparent la torture et la violence de rue dirigées contre les Algériens à la violence déchaînée
contre les Juifs pendant l’Holocauste. Selon le professeur Michaël Rothberg, la prise de
conscience par le grand public que l’État avait patronné la barbarie raciste contre les Juifs
pendant la guerre a coïncidé avec le constat que la guerre d’Algérie présentait un cas similaire
de violence étatique à l’encontre les musulmans. Cet auteur évoque une « mémoire
multidirectionnelle » : l’opinion française aurait rapproché les deux sortes de racisme.

Il est vrai, comme je l’ai montré, que les arguments contre la torture sont saturés de références
de toutes sortes aux persécutions juives de la décennie précédente, pour mieux pousser les
indifférents à l’action. Ces analogies sont le fait tant des Juifs que des chrétiens et des
musulmans. Dans l’Appel de la Soummam, par exemple, le FLN rappelle les actions du
« racisme colonial » contre les Juifs. Une décennie plus tôt, est-il précisé dans le texte, les
Français ont tourné le dos aux Juifs ; à présent les Algériens musulmans sont leurs premières
victimes. D’autres comparent les escouades parachutistes à la Gestapo. Paul Teitgen, un
chrétien, démissionne de ses fonctions de secrétaire général de la préfecture d’Alger, parce
qu’il « a reconnu en Algérie des traces profondes […] de la torture dont il avait
personnellement souffert quatorze ans plutôt dans les caves de la Gestapo à Nancy. » Le
révolutionnaire algérien exilé Messali Hadj insère des photographies de cadavres de la
répression à Philippeville dans un pamphlet qu’il adresse en 1958 au président Eisenhower et
qui contient cette question provocante : « S’agit-il de cadavres de Juifs dans l’Allemagne
nazie ou de patriotes hongrois dans la Russie communiste, Non. Ce sont des Algériens dans la
France démocratique. » Il y réclame également un procès de Nuremberg algérien. Témoignant
de sa propre torture, Henri Alleg se souvient d’un officier qui hurlait : « Ici c’est la Gestapo
ici ! Tu connais la Gestapo ? » Citons encore ces mots d’un officier anonyme appartenant à un
régiment d’infanterie en juin 1956 : « Je suis plus dégoûté que jamais. Les Allemands avec
leurs méthodes étaient des petits garçons comparés à nous. »
Dans les années 1950, c’est l’effet d’écho entre la guerre d’Algérie et l’Holocauste qui pousse
certains Juifs à s’engager, à titre individuel, dans des causes humanitaires. À la fin des années
1970, alors que l’on commence à percevoir l’Holocauste comme un événement juif, les Juifs
s’insurgent contre ce genre de parallèles. Quand Jacques Vergès, en particulier, défend
l’ancien nazi Klaus Barbie en comparant les tortures perpétrées par les parachutistes français
pendant la guerre d’Algérie aux actes commis par Barbie quand il était le tristement célèbre
« Boucher de Lyon », nombreux sont les Juifs à réagir au nom de la singularité de
l’Holocauste. Il y a « des degrés entre les crimes », déclare Pierre Vidal-Naquet. Comme s’il
discutait avec une version plus jeune de lui-même, il poursuit : « S’il est clair que la France a
commis des crimes en Algérie, elle n’a pas commis le plus grave de ces crimes, le crime de
génocide. Personne ne voulait faire disparaître le peuple algérien alors qu’Hitler et Himmler
avaient voulu anéantir les Juifs et les Tziganes. » Laurent Schwartz qui, lui-aussi, revient sur
cette comparaison entre la guerre d’Algérie et l’Holocauste dans ses mémoires rédigés au
milieu des années 1990, admet l’existence de différents degrés de souffrance entre les
victimes.

Laurent Schwartz, Gisèle Halimi et Pierre Vidal-Naquet, des Juifs athées, se prévalent d’être
des Français neutres pour qui la République française est morale et juste. Leur République est
universelle, un lieu où un procès équitable est, à tout le moins, garanti aux suspects. Se battant
exclusivement contre la torture, ils ont cherché ainsi à montrer ce qui ne va pas en France – et
leurs arguments portent lorsqu’ils comparent les persécuteurs en Algérie aux nazis. Des
années plus tard cependant, bien après que les accords d’Évian ont accordé l’amnistie à tous
les responsables militaires français, ces mêmes activistes regretteront de s’être livrés à ces
comparaisons.

Les héritages : corrections et regrets


Les Juifs de France pensent-ils au sort de leurs frères d’Algérie ? Vivant dans la zone de
guerre, les Juifs algériens sont vulnérables à un point inimaginable pour les Juifs de
métropole. Des leaders comme Lazarus ressentent la nécessité d’expliquer leur situation aux
Juifs français dans l’espoir qu’ils leur accordent leur soutien.

Certes, ils ont trouvé un certain degré de solidarité chez les responsables juifs de France.
Comme pour répondre finalement à l’Appel de la Soummam, le grand rabbin de France Jacob
Kaplan rencontre confidentiellement les rédacteurs du New York Times et obtient d’eux la
promesse, au début de 1957, que l’article « soutiendrait la ligne française » lors des prochains
débats sur la question algérienne à l’ONU. Et de fait, comparé aux autres périodiques
d’Amérique, le New York Times adopte un profil bas sur les brutalités françaises en Algérie.
Mais les organisations établies, les intellectuels et les activistes qui dénoncent la torture ne
prêtent aucune attention à la précarité de la situation des Juifs algériens. « Les Israélites
métropolitains, à peu d’exceptions près, écrit Jacques Soustelle en 1959, ont complètement
failli à observer un minimum de solidarité envers leurs 130 000 coreligionnaires d’Algérie.

C’est plus tard seulement que la gauche française a exprimé des regrets à ce propos, en
particulier lorsque, dans les années 1990, les fondamentalistes musulmans ont cherché à
dominer l’Algérie indépendante. Comme pour répondre, avec des décennies de retard, au
plaidoyer de Lazarus pour une solidarité juive, Laurent Schwartz a évoqué par exemple
l’espoir, qui était le sien à l’époque, de l’avènement d’un État multinational en Algérie « où
les Français d’Algérie auraient trouvé leur place. Il y avait notamment beaucoup de Juifs
parmi les Français d’Algérie, et une cohabitation entre Juifs et musulmans semblait possible.
Nous avons, je conviens, fait preuve de très peu de perspicacité sur ces questions auxquelles
nous n’avions pas suffisamment réfléchi. Il ne nous était pas venu à l’esprit que la victoire
créerait un problème immense et pratiquement insoluble ». Au fond l’État multinational qu’il
appelait de ses vœux n’était pas si différent du rêve du CJAES d’une Algérie française
multiculturelle, dans laquelle chacun aurait les mêmes privilèges. Le seul problème était que
la guerre ne pouvait avoir que deux issues : soit une Algérie indépendante dominée par une
majorité musulmane écrasante, soit une Algérie française ; Les Juifs d’Algérie voulaient, ou
croyaient ne pouvoir se passer de l’Algérie française pour conserver leurs emplois, leurs
moyens d’existence et leur culture.

Après 1958, les divisions entre Juifs d’Algérie et de métropole se font plus explicites encore.
Pour ceux qui vivent en Algérie, critiquer l’armée française revient à choisir de collaborer
avec le FLN. Il n’y a pas de milieu possible. Les Juifs se trouvent pris en tenaille entre deux
positions radicales auxquelles ils refusent d’adhérer pour la plupart : d’un côté, les pro-
Algérie française, de l’autre ceux qui soutiennent le FLN. Jacques Lazarus incarne jusqu’au
bout le point de vue des « libéraux », qui entrevoient de plus en plus clairement que la
décolonisation sera inéluctable et condamnent la violence de part et d’autre. Il faut cependant
noter que dès la création de l’OAS en février 1961, « plusieurs dizaines » d’entre eux
rejoignent les rangs de cette organisation parce qu’ils s’estiment abandonnés par la France.
Redoutant quotidiennement des attentats, ils ont le sentiment que le FLN livre une guerre
antijuive. Ayant espéré en vain que les Juifs de métropole s’inquiètent de leur sort, ils se
sentent abandonnés par leurs frères du continent comme les colons se sentent trahis par de
Gaulle. Sans guère d’autre recours, beaucoup d’entre eux, lorsqu’ils n’ont pas rallié l’OAS,
ont intégré le groupe des Pieds noirs. Plutôt que d’adopter les vues des Juifs de métropole, ils
se sont fondus dans la masse des Européens d’Algérie.

La guerre d’Algérie fut un tournant majeur de la vie politique et intellectuelle française. Pour la
première fois dans l’histoire de l’Algérie coloniale, la plupart des intellectuels français se positionnent
pour ou contre la colonisation et la guerre d’Algérie. Les controverses sont aussi passionnées que
violentes. Qu’en est-il après 1962, quand de Gaulle orchestre l’amnésie puis l’amnistie des «
événements d’Algérie », finalement reconnus comme « guerre » par le Parlement en 1999 ? L’Algérie
retombe dans le silence. Certes, des controverses se poursuivent, notamment sur la torture en
Algérie, mais le sujet est français. Qu’en est-il de l’Algérie et des Algériens ? Ce pays bénéficie de
soutiens indéfectibles dans certains secteurs de l’opinion, notamment parmi les intellectuels
marxistes et catholiques qui dominent le champ intellectuel. Dans d’autres, il n’est plus question d’en
parler, et un report d’affection porte de nombreux connaisseurs de ce pays vers le Maroc, et dans une
moindre mesure vers la Tunisie. Il faut attendre le « printemps algérien » des années 1989-1991, et
surtout la guerre civile algérienne après 1992, pour que l’Algérie redevienne, de manière tout aussi
passionnée, l’objet de controverses intellectuelles.

La guerre d’Algérie : Camus contre Sartre

La guerre d’Algérie est l’occasion d’un des plus grands moments de clivage de la scène intellectuelle
française. En réalité, les années les plus violemment polémiques sont les dernières (1960-1963). La
montée de l’opposition politique au conflit en France se cristallise en 1960, avec la perspective de
l’indépendance, l’entrée en scène des communistes, et les violences politiques croissantes, qui
obligent les intellectuels à prendre position. Certes, dès 1955-1956, des religieux et intellectuels
catholiques, ainsi que des militants des droits de l’homme, ont protesté contre l’usage de la torture
par l’armée française, mais la contagion est lente.

Des années de guerre, on retient toutefois l’opposition centrale incarnée par les deux plus grandes
figures de la scène intellectuelle et littéraire française de ce temps, Albert Camus et Jean-Paul Sartre.
Le premier, qui est Algérois, s’est élevé de longue date contre la « clochardisation » des paysans
algériens, réclamant de profonds changements dès avant la guerre. Mais on relève cette phrase, que
Sartre, fort de son ascendant sur la gauche marxiste et anticolonialiste, voue aux gémonies : « En ce
moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces
tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère » (couramment transformée en : « Entre la
justice et ma mère, je choisis ma mère »). Face à cette pensée trop humaine, la violence paroxystique
de Sartre se lit dans la préface de l’ouvrage du psychiatre antillais Frantz Fanon, publié en 1961 :

« [Car] en le premier temps de la révolte, il faut tuer: abattre un Européen, c’est faire d’une pierre
deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un
homme libre; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. (1) »

La guerre intellectuelle est aussi impitoyable que la guerre par balles et par égorgement.

La guerre d’Algérie recompose le paysage politique et intellectuel français

En 1960, les jeunes activistes structurent deux forces politiques nouvelles dans la gauche française,
en rupture avec l’esprit de Guy Mollet : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et le
Parti communiste français (PCF). La première est liée à la naissance du Parti socialiste unifié (PSU) en
avril, qui devait nourrir le terreau intellectuel, politique et syndical des décennies suivantes, à travers
la « deuxième gauche ». La seconde se niche au sein de l’Union nationale des étudiants de France
(Unef), union alors transpartisane demeurée à l’écart des controverses sur l’Algérie : de jeunes
militants catholiques de gauche, les « minoritaires » la font basculer en faveur de «
l’autodétermination en Algérie ». Puis ils prennent en main la manifestation intersyndicale du 13
octobre 1960 qui infléchit clairement la position des syndicats. Dans l’intervalle, le 6 septembre 1960,
a surgi le Manifeste des 121 – « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » –,
publié en France dans Vérité-Liberté, sous le patronage de l’écrivain Maurice Blanchot (2). Cet appel
fédère plusieurs composantes des gauches intellectuelles hostiles à la guerre d’Algérie.
L’universalisation de la cause algérienne est proclamée sans fard : « La cause du peuple algérien, qui
contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. »
Tous les métiers, générations et tendances se croisent : l’historienne communiste membre de la Ligue
des droits de l’homme Madeleine Rebérioux, les cinéastes Alain Resnais et François Truffaut, les
historiens Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, les résistants Vercors et Jean-François Revel, le
catholique André Mandouze, les écrivains Nathalie Sarraute, Françoise Sagan et Simone de Beauvoir,
Jean-Paul Sartre, le philosophe François Châtelet, etc. Presque tout le personnel intellectuel
ultérieurement légitimé à s’exprimer dans l’espace public jusqu’à la fin du siècle est là.

Et déjà pointe la repentance post-coloniale, ici formulée dans son épure : « On ne réclamait plus
seulement le droit du peuple à ne plus être opprimé, mais le droit du peuple à ne plus opprimer lui-
même. » Le peuple français, qui fut le concepteur du droit à la lutte contre l’oppression, voit
retourner à son encontre les armes qu’il a forgées. Que la colonisation ait été décidée et conduite au
profit des seules élites politiques et économiques françaises depuis le XIXe siècle ne change rien à
l’affaire. Le peuple français est un oppresseur.

L’assistance et la révérence envers la révolution et le régime algérien


La révolution algérienne et son régime républicain, socialiste et dictatorial, imposent en France une
allégeance sans faille des élites intellectuelles, si l’on excepte les anciens milieux Algérie française. La
légitimité du régime et sa libre conduite des affaires intérieures ne sont presque jamais critiquées ni
remises en cause, même quand des actes criminels sont commis. Il s’agit en tout état de cause d’aider
la jeune République confondue avec son peuple.

Dès l’été 1962, des milliers de jeunes Français se mettent au service du peuple et de la révolution
d’Algérie. Catholiques, marxistes, tiers-mondistes, etc. deviennent les « pieds-rouges ». Nombre de
ces jeunes intellectuels sont par la suite appelés à de brillantes carrières. Mais lorsqu’ils découvrent
sur le terrain la réalité de ce régime qu’ils dérangent plus qu’ils ne l’aident, ils rentrent
silencieusement en France dès le milieu des années 1960 (3). Leurs paroles ne seront connues que
des décennies plus tard. L’Algérie n’en attire pas moins des dizaines de milliers de coopérants et de
conseillers. Certains pèsent plus lourd que d’autres.

Dans un numéro spécial de la revue Tiers-Monde de 1962, « L’Algérie de demain », le professeur


d’économie au Collège de France François Perroux adresse un appel fraternel aux Algériens :

« Puissions-nous contribuer à mûrir une paix profonde et sincère, à construire les institutions
originales d’un développement réciproque et à former des hommes capables de comprendre les
devoirs pressants et les chances heureuses de leur siècle. (4) »

Le concepteur des « pôles de croissance » influence fortement son héritier, Gérard Destanne de
Bernis, professeur à Tunis, qui forge le concept d’« industrie industrialisante », que Boumediene
applique scrupuleusement après 1974. Mort en décembre 1978, ce dernier n’eut pas le temps
d’assister aux conséquences désastreuses de cette utopie économique.

Pour mesurer le poids de l’allégeance intellectuelle, évoquons un incident peu connu. Six ans après le
« printemps berbère » d’avril 1980, en plein contre-choc pétrolier qui ruine l’Algérie, en décembre
1986, le professeur de berbère Salem Chaker, au nom de ses camarades qui sont en pleine lutte dans
le pays, tente de faire accréditer la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH, 1985) auprès de
la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) en congrès à Valladolid. Il
contacte pour ce faire le président de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du
citoyen (LFDH) Yves Jouffa, qui fut un soutien inconditionnel du Front de libération nationale (FLN) en
guerre. Refusant d’intercéder, celui-ci lui déclare : « Ces gens que j’ai défendus dans leur combat pour
la libération de l’Algérie ne peuvent pas être devenus les fascistes et les tortionnaires que vous
décrivez! » Les Tunisiens de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), meilleurs connaisseurs
des agissements dictatoriaux de leurs régimes, obtiennent l’affiliation réclamée.

Le soutien indéfectible des intellectuels catholiques et marxistes à l’Algérie

Les deux groupes d’intellectuels qui dominent le paysage français des années soixante aux années
quatre-vingt-dix, les intellectuels catholiques avec leurs réseaux, et les marxistes, très présents à
l’université, offrent une loyauté totale envers le régime et le peuple algériens, même si la
connaissance de ce peuple leur est de plus en plus distante.

Les journaux et revues catholiques (La Croix, Témoignage chrétien, Esprit, Études…), les ordres
religieux (jésuites, cisterciens…), les évêques et le clergé, les intellectuels catholiques (Jean-Marie
Domenach, Paul Thibaud, André Mandouze…) apportent un soutien indéfectible au peuple algérien,
dont le régime est regardé comme une émanation révolutionnaire et libératrice. La théologie de la
libération n’est pas loin. Les religieux français comme le père Peyriguère (au Maroc), qui ont décrété
la « France coloniale en état de péché mortel », ont continué de s’intéresser à l’Algérie, mais dans une
perspective proche de la repentance. Le dialogue interreligieux et le respect de l’islam que les
théologiens français ont imposés à Vatican II sont nés en Algérie.

Sur l’autre rive, le soutien à la révolution et au régime algériens est encore bien plus affirmé : il en va
de la solidarité révolutionnaire avec un parti frère pour les communistes, et avec les militants
révolutionnaires pour les trotskistes. En dépit des brutalités du régime contre des militants
révolutionnaires et l’interdiction du Parti communiste algérien (PCA), le FLN cultive l’amitié et la
reconnaissance envers ses anciens soutiens. La place du militant indépendantiste Maurice Audin
trône au centre d’Alger (5). L’historien Pierre Vidal-Naquet est bien plus préoccupé d’établir la
responsabilité de la torture au sein de la République française pendant la guerre d’Algérie qu’à
analyser les violences du régime algérien (6). En France, le PCF, L’Humanité et les journaux
communistes travaillent indéfectiblement avec journalistes et médias algériens d’État. L’université de
Vincennes (Paris 8), créée après mai 1968, est construite par des dizaines d’universitaires issus ou
passés par l’Algérie, où ils sont nés (Hélène Cixous), où ils ont enseigné sous la France (Jean-François
Lyotard, Yves Lacoste), où ils ont été militaires appelés (Pierre Bourdieu) ou coopérants (René
Gallissot, Monique Gadant). Certes, un soutien incontestable est apporté aux victimes du régime,
qu’il s’agisse des berbéristes, puisqu’un groupe d’études berbères presque unique y est créé, ou de
l’intellectuel Mohammed Harbi en exil, qui trouve refuge à Paris 8. Mais aucune critique de la
révolution algérienne n’est audible, certains intellectuels comme René Gallissot allant jusqu’à dénier
très tardivement l’existence même des massacres de harkis à l’indépendance.

La critique des marges en soutien aux dissidents d’Algérie

Dans ce contexte intellectuel et idéologique, il est très difficile de concevoir une critique des
événements opaques, et même des crimes les plus durs du régime algérien (action répressive de la
Sécurité militaire, coups d’État de juillet 1962 et juin 1965, assassinat et exil des opposants, etc.).
Seuls quelques intellectuels juifs algériens peuvent s’y risquer, à la fois parce qu’ils sont algériens
d’origine – indigènes devenus citoyens français –, et parce que, en tant que juifs, ils sont à la
confluence des deux tragédies modernes de la société française, Vichy et la guerre d’Algérie. Il n’est
ainsi pas fortuit que Jean Daniel Bensaïd, dit Jean Daniel, qui a refondé, avec l’aile gauche de
L’Express quittée en 1963, France-Observateur, témoin et commentateur privilégié de l’histoire de
l’Algérie indépendante, distille quelques vérités sur la nature du régime algérien. En 1965,
commentant le coup d’État de Boumediene contre Ben Bella, il écrit :

« Un incident qui m’est personnellement arrivé fait craindre l’installation d’une police politique
employant les méthodes habituelles de “l’interrogatoire poussé”. J’ai été pris pour un autre
journaliste, conduit les yeux bandés en voiture dans une villa “aménagée”, et le spectacle de cette
villa m’a conduit à me féliciter de ce que mes hôtes se soient aimablement rendu compte de leur
erreur “avant” plutôt qu’“après”. Grâce à l’admirable Germaine Tillion, la Constitution algérienne est
la seule au monde qui condamne expressément la torture : ni sous Ben Bella ni, je le crains, après Ben
Bella, cette clause de la Constitution n’est appliquée.

Le danger de la dictature militaire ne peut être surmonté que dans la mesure où les ralliements
seront moins inconditionnels, et où certaines exigences seront mieux formulées maintenant et non
plus tard. (7) » En dehors de ces quelques remarques liminaires, aucune critique n’est portée en
France sur ce militaire « doté d’un bon sens paysan » (Mohammed Harbi), déterminé et bien décidé à
prendre sa revanche sur l’ancienne puissance coloniale dont il ruine les intérêts (les accords d’Évian,
la vigne, le pétrole, la langue française, etc.). La seule biographie publiée en France (en 1976) par le
journaliste Jean-Pierre Séréni et Ania Francos, l’épouse d’un ancien directeur général de la Sûreté
nationale algérienne, est une hagiographie (8). Dans ces conditions, le soutien apporté par les
intellectuels français aux opposants du régime algérien est très timide. Pierre Bourdieu, qui a travaillé
à la contreinsurrection en Kabylie durant son service militaire, ne critique jamais le régime, mais aide
discrètement Mouloud Mammeri chassé d’Algérie à mettre un pied à l’École des hautes études en
sciences sociales (EHESS) en 1982 (Bourdieu est alors professeur au Collège de France).

Mais c’est dans un silence quelque peu lugubre que sort en France en 1984 l’ouvrage de Ferhat
Abbas, L’Indépendance confisquée, publié à la veille de sa mort (9). Le premier président du
gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et le premier président de l’Assemblée
nationale algérienne, exilé en France, nourrit une grande rancœur envers l’armée des frontières de
Boumediene qui a capturé l’État algérien au détriment de ceux qui ont combattu le colonialisme les
armes à la main (les maquis) et par la diplomatie (le GPRA), tous exclus du pouvoir à l’été 1962. Les
brèves critiques publiées dans les revues académiques sont assassines, y compris de la part de
l’historien Charles-Robert Ageron, pourtant marginalisé par les historiens marxistes dominant alors le
champ de ces études. Même Jean Lacouture, qui fut le premier biographe de Ferhat Abbas en 1961
(10), n’a jamais pu se montrer critique vis-à-vis de la révolution et du régime algériens, auxquels il a
consacré parmi ses livres les moins critiques.

L’émergence des jeunes intellectuels d’origine juive algérienne

Au tournant des années quatre-vingt, une nouvelle catégorie de jeunes intellectuels émerge sur la
scène publique française. Souvent nés en Algérie, puis scolarisés et intellectuellement formés en
France, ces juifs algériens parviennent sur le devant de la scène publique. D’autres se livrent à des
activités politiques, souvent classées à l’extrême gauche – généralement trotskistes puis socialistes –,
mais aussi au titre du personnel politique sélectionné par l’ENA. À cette époque, les jeunes pieds-
noirs d’origine européenne ne fréquentent pas encore la scène publique et politique, sauf à cacher
leur ascendance. Quant à la « deuxième génération » de musulmans en France qui peuvent faire des
études supérieures au terme d’une scolarité locale, elle n’en est qu’à ses balbutiements.

La jeune génération antitotalitaire porte ainsi la figure de Bernard Henri Lévy, qui n’est pas très allant
sur les questions algériennes. Son combat antitotalitaire cible principalement les pays communistes,
et ses rapports avec le Maghreb sont désormais focalisés sur le Maroc, où il réside régulièrement. Il
faut attendre 1998 pour qu’il se rende en Algérie sous escorte militaire pour déplorer les exactions
des islamistes, et apporter sa caution au régime.

Une autre figure émerge sur la scène publique, à travers son premier livre consacré à Messali Hadj
(11) : Benjamin Stora. Après une longue carrière politique à l’Organisation de la coopération
islamique (OCI, mouvement trotskiste), il poursuit ses études d’histoire à l’université. Celui-ci est
soucieux de réhabiliter la figure occultée du créateur du nationalisme politique algérien, Messali
Hadj, qui n’a jamais masqué ses amitiés trotskistes, notamment à l’époque de la lutte acharnée du
FLN contre le Mouvement national algérien (MNA) et l’Union syndicale des travailleurs algériens
(USTA). Cette guerre civile algéro-algérienne dans la guerre d’Algérie a causé plus de 10000 morts
algériens. L’historien creuse le sillon du nationalisme algérien, et devient, au début des années
quatre-vingt-dix, quand pointe la guerre civile en Algérie, l’historien référent en France pour parler et
écrire sur ce qui se déroule dans ce pays. La publication de son principal ouvrage, La Gangrène et
l’Oubli, en 1991, établit un parallèle dans la manière dont l’histoire de l’Algérie et de sa guerre
d’indépendance ont été occultées en France, tandis qu’elle faisait l’objet d’une histoire officielle en
Algérie aux mains de l’armée et de son État.

La guerre civile décennale érige Benjamin Stora en médiateur intellectuel et médiatique entre les
deux pays, notamment grâce aux médias et éditeurs français, mais de plus en plus avec le soutien de
l’État algérien, qui réhabilite Messali Hadj, étant très soucieux de rassembler autour de lui toutes les
familles du nationalisme et de l’indépendantisme algérien contre la menace jugée mortelle des
islamistes du Front islamique du salut (FIS).

Vers les premières remises en cause

« Le colonialisme fut le péché majeur de l’Occident. Toutefois, dans le rapport de la vitalité et de la


pluralité des cultures, je ne vois pas qu’avec sa disparition on ait fait un grand bond en avant »,
affirme Claude Lévi-Strauss dans De près et de loin en 1988. Cette pensée iconoclaste, qui ne se
rapporte pas à l’Algérie, survient au moment où les yeux commencent à se dessiller sur les États du
tiers-monde, et leur double échec démocratique et relatif au développement. En octobre 1988 à
Alger, pour la première fois, l’armée tire sur la jeunesse algéroise pour écraser une émeute, faisant de
500 à 1000 morts. C’est la fin du parti unique en Algérie, puis l’amorce d’un processus de transition
démocratique qui sombre à partir de 1992 dans une véritable guerre civile livrée aux islamistes. Cela
pousse à des remises en cause douloureuses.

Pierre Vidal-Naquet écrit en janvier 1995 dans Esprit : « C’est seulement après 1988, après l’octobre
algérien, qu’on a commencé à réaliser ce qui se passait et à saisir le rôle de l’islam. » Cette phrase est
emblématique de l’aveuglement des élites intellectuelles françaises qui n’ont jamais voulu
questionner les fondements religieux et islamiques très puissants de ce régime, en dépit de son
affichage révolutionnaire et socialiste. Car c’est bien ce régime qui a « réislamisé » le peuple algérien
à la manière des Frères musulmans, et provoqué la dérive incontrôlable vers la salafisation qui
débouche sur la guerre civile et ses suites. Au lieu de quoi, en pleine guerre civile algérienne (1992-
2002), allait se rejouer à Paris une nouvelle guerre civile froide au sein des milieux politiques et
intellectuels, qui semble rouvrir les lignes de faille de la guerre d’Algérie, cette fois entre le régime et
ses nombreux soutiens (allant du Parti communiste à Charles Pasqua), en opposition à toute une
nébuleuse franco-algérienne qui se range de fait dans le camp islamiste par haine du régime des
généraux (12).

Dans un contexte radicalement nouveau, le philosophe Paul Thibaud, ancien directeur d’Esprit,
déclare à l’occasion du cinquantenaire de la révolution algérienne, en 2012, qu’il n’y a jamais eu de «
révolution algérienne » (selon la terminologie officielle de l’Algérie), seulement une guerre, car « le
terme révolution sous-entend une participation active du peuple », chose qui n’a pas été le cas,
puisqu’il « n’y a pas eu de manifestations de masse. La seule, celle à Alger en 1960, était autorisée
par le pouvoir gaulliste ». Une autocritique jusqu’alors impensable, avivée un an plus tôt par la
survenue des « printemps arabes » …

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