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L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en 2016 par Chambers, une maison d’édition de

Hachette UK sur la base de documents précédemment édités dans l’ouvrage The Chambers
Book of Great Speeches, 2013

Copyright © Chambers Publishing Ltd 2016

© Armand Colin, 2019 pour l’édition française


ISBN : 978-2-200-62678-5

Maquette de couverture : Hokus Pokus Création


Illustration de couverture : Martin Luther King Jr
© Getty images, ph. Paul Schutzer

Avertissement de l’éditeur
Les discours de Jean Jaurès, Marie Curie, Léon Blum, Charles de Gaulle (« Appel du 18 juin
1940 »), Jean Monnet, l’abbé Pierre, André Malraux, Golda Meir, Simone Veil, Mère Teresa,
Robert Badinter, Dominique de Villepin et Angela Davis ont été ajoutés pour l’édition française.

Crédits illustrations :
Lénine, Édouard VIII, Charles de Gaulle, Albert Einstein, John F. Kennedy, Yasser Arafat,
Margaret Thatcher, Ronald Reagan, George W. Bush, Malala Yousafzai, ©Hodder &
Stoughton
Et pour la version française :
Marie Curie ; Simone Veil, © AFP
Sommaire
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Introduction
1 - Jean Jaurès
« L'Europe se débat comme dans un cauchemar » (25 juillet 1914)
2 - Vladimir Ilitch Lénine
« Tout pour les ouvriers ! Tout pour les travailleurs ! » (30 août
1918)
3 - Le Mahatma Gandhi
« Pourquoi voulons-nous proposer cette non-coopération ? » (12
août 1920)
4 - Marie Curie
« La découverte du radium est une belle histoire scientifique » (14
mai 1921)
5 - Benito Mussolini
« Nous devons parvenir à la paix » (25 juin 1923)
6 - Franklin D. Roosevelt
« La seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-même
» (4 mars 1934)
7 - Léon Blum
« Nous sommes un Gouvernement de Front populaire » (6 juin
1936)
8 - Édouard VIII
« Je me déleste de mon fardeau » (11 décembre 1936, Windsor)
9 - Neville Chamberlain
« Ce pays est maintenant en guerre avec l'Allemagne » (3
septembre 1939)
10 - Winston Churchill
« Nous nous battrons sur les plages » (4 juin 1940)
11 - Charles de Gaulle
« La flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne
s'éteindra pas » (18 juin 1940)
12 - Joseph Staline
« C'est une question de vie ou de mort pour l'État soviétique » (3
juin 1941)
13 - Heinrich Himmler
« Je parle […] de l'extermination du peuple juif » (4 octobre 1943)
14 - Charles de Gaulle
« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !
» (25 août 1944)
15 - Hô Chi Minh
« Le Vietnam a le droit d'être un pays libre et indépendant » (2
septembre 1945)
16 - David Ben Gourion
« Nous honorons aujourd'hui cette Route du Courage » (12
décembre 1948)
17 - Albert Einstein
« La sécurité par le biais de l'armement national est […] une
désolante utopie » (19 février 1950)
18 - Jean Monnet
« Nous ne sommes qu'au début de l'effort que l'Europe doit
accomplir pour connaître enfin l'unité, la prospérité et la paix »
(10 août 1952)
19 - L'abbé Pierre
« Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse :
l'âme commune de la France » (1er février 1954)
20 - Nikita Khrouchtchev
« Le culte de l'individu et ses conséquences préjudiciables » 25
février 1956, Moscou (Russie)
21 - Patrice Lumumba
« Un gouvernement honnête, loyal, fort et populaire » (23 juin
1960)
22 - Ernesto « Che » Guevara
« Pour être un révolutionnaire, il faut commencer par faire la
révolution » (19 août 1960)
23 - John F. Kennedy
« Ich bin ein Berliner » (26 juin 1963)
24 - Martin Luther King
« J'ai un rêve » (28 août 1963)
25 - Malcom X
« Le vote ou le fusil » (3 avril 1964)
26 - André Malraux
« Écoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le
chant du Malheur » (19 décembre 1964)
27 - Richard M. Nixon
« Il ne peut y avoir de blanchiment à la Maison-Blanche » (30 avril
1973)
28 - Golda Meir
« Ce qui distingue (…) Israël des autres pays, c'est le fait que nous
devons toujours (…) nous justifier aux yeux du monde » (1er
octobre 1973)
29 - Yasser Arafat
« Je suis venu avec dans une main un rameau d'olivier et dans
l'autre un fusil de combattant de la liberté » (13 novembre 1974)
30 - Simone Veil
« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement » (26
novembre 1974)
31 - Mère Teresa
« L'amour des autres nous rendra saints » (10 décembre 1979)
32 - Margaret Thatcher
« La dame ne fera pas demi-tour » (10 octobre 1980)
33 - Robert Badinter
« Cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de
hasard, nous la refusons » (17 septembre 1981)
34 - Ronald Reagan
« Les pulsions agressives de l'empire du mal » (8 mars 1983)
35 - Desmond Tutu
« La solution finale de l'apartheid » (11 décembre 1984)
36 - Ronald Reagan
« Abattez ce mur ! » (12 juin 1987)
37 - Václav Havel
« Nous vivons dans un environnement moral contaminé » (1er
janvier 1990)
38 - Nelson Mandela
« Aujourd'hui, jour de ma libération » (11 février 1990)
39 - Mary Fischer
« Le virus du SIDA n'est pas une invention politique » (19 août
1992)
40 - Benazir Bhutto
« La philosophie de l'islam repose sur l'égalité, l'égalité entre les
deux sexes » (4 septembre 1995)
41 - George W. Bush
« Aujourd'hui notre nation voit le mal » (11 septembre 2001)
42 - Dominique de Villepin
« La guerre est toujours la sanction d'un échec » (14 février 2003)
43 - Saddam Hussein
« L'Irak sortira victorieux » (20 mars 2003)
44 - Oussama ben Laden
« Nos actes sont une riposte à vos actes » (15 avril 2004)
45 - Steve Jobs
« On est déjà à nu. On n'a aucune raison de ne pas écouter ce que
nous dicte notre cœur » (12 juin 2005)
46 - Aung San Suu Kyi
« Mon pays, aujourd'hui, n'en est qu'au début du voyage » (21
juin 2012)
47 - Malala Yousafzai
« Ils pensaient que les balles allaient nous faire taire. Mais ils se
sont trompés » (12 juillet 2013)
48 - Christine Lagarde
« Réduire les inégalités excessives n'est pas simplement un
impératif moral et politique, c'est aussi une question de bon sens
économique » (17 juin 2015)
49 - Theresa May
« En quittant l'Union européenne, nous allons nous forger un rôle
à la fois neuf et ambitieux dans le monde » (13 juillet 2016)
50 - Angela Davis
« Nous sommes des acteurs collectifs de l'histoire » (21 janvier
2017)
Introduction
Lorsqu’on évoque le concept de « monde moderne », une multitude
d’idées nous viennent à l’esprit. La culture qui est la nôtre aujourd’hui
fait que nous avons parfois l’impression d’être entourés par des dizaines
d’écrans de télévisions branchés sur différentes chaînes qui, toutes, nous
bombardent de sons et d’images et requièrent notre attention.
Les progrès technologiques sont tels que rares sont ceux qui, parmi nous,
peuvent suivre la cadence et être au fait de toutes les possibilités qui
s’offrent à nous. A contrario, nombreuses sont les personnes qui
s’interrogent quant aux implications de cette évolution. Les clivages
religieux et politiques semblent s’accentuer et présenter un danger de
plus en plus imminent. La pauvreté s’aggrave tandis que d’énormes
richesses s’accumulent. Le climat change ; les systèmes financiers
s’effondrent ; les guerres perdurent. Et tout cela parvient jusqu’à nous qui
vivons dans un monde soumis au va-et-vient incessant des
divertissements, de la publicité et d’un « culte de la célébrité » effronté.
Mais, dans ce monde bruyant et où tout va vite, une des aptitudes de
l’être humain a su rester – et, a priori, le restera encore longtemps – aussi
essentielle qu’elle l’était dans la Grèce et la Rome antiques, je veux
parler de l’art oratoire, le don de la persuasion, qui permet à un homme
ou à une femme de captiver l’attention d’autres personnes pour défendre
une opinion. De nos jours, un auditoire peut compter plusieurs millions
d’individus. Mais s’il est brillant, un orateur saura exercer son art sur son
auditoire qu’il soit réduit ou large.
Ce livre n’entend pas retracer l’histoire de l’art oratoire ni même de
mettre en exergue tous les événements marquants de l’histoire. Il se veut
n’être que le condensé de 50 discours modernes d’orateurs et d’oratrices
ayant fait entendre leur voix dans des circonstances bien différentes.
Tous se sont illustrés d’une manière plus ou moins louable. Certains se
sont exprimés sur des sujets intemporels comme la guerre ou la paix, les
inégalités ou la justice, la répression ou la révolution. D’autres ont, quant
à eux, pris la parole sur des sujets typiques de notre ère moderne comme
le sida, la bombe atomique et le terrorisme. Tous avaient un message
unique à nous livrer et ils l’ont fait d’une manière originale et
convaincante.
Pour chacun de ces discours, nous avons replacé le lecteur dans un
contexte historique et lui avons, dès que cela était possible, fait partager
les réactions des auditoires auxquels ils étaient adressés. Une biographie
succincte de l’orateur(rice) et des notes lui permettent de mieux
comprendre des références qui auraient pu lui échapper. Dans certains
cas, nous avons coupé les discours pour nous concentrer sur ce qui, à nos
yeux, est essentiel.
Nous ne pouvons, si vous voulez en savoir plus, que vous encourager à
lire les discours d’origine et vous délecter de chacun des mots de ces
orateurs pour ce qu’ils ont de sublime.

Andrew Burnet
1
Jean Jaurès
Orateur et parlementaire socialiste
Jean Jaurès (1859-1914) est devenu en 1885 le plus jeune député de France. Ses idées socialistes
l’amènent à soutenir la grande grève des mineurs de Carmaux. Il prend la défense du capitaine
Dreyfus lors de l’Affaire et fonde le journal L’Humanité dont il devient directeur. Il participe
également à la fondation de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) qui contribue à
unifier le mouvement socialiste français. Connu pour ses positions pacifistes à la veille de la
Première Guerre mondiale, il est assassiné par Raoul Villain le 31 juillet 1914. Sa dépouille est
transférée au Panthéon dix ans plus tard.

« L’Europe se débat comme dans un cauchemar »


25 juillet 1914

C’est pour des motifs politiques que Jean Jaurès, député du Tarn, se rend à Lyon-Vaise le
25 juillet 1914, quelques jours avant son assassinat. Il vient soutenir la candidature de Marius
Moutet, avocat et conseiller municipal de Lyon mais également l’un des fondateurs de la
Ligue des droits de l’Homme.
Il prend la parole dans le café d’un quartier ouvrier, devant un auditoire de près de 2 000
personnes. Son déplacement à Vaise peut paraître incongru dans le contexte international. En
effet, l’Europe traverse une crise très grave. En effet, le 28 juin, l’archiduc François-
Ferdinand de Habsbourg, héritier du trône d’Autrich-Hongrie, a été assassiné à Sarajevo. Le
7 juillet, l’empereur François-Joseph d’Autriche déclarera la guerre à la Serbie et ce sera
l’escalade par le jeu des alliances qui conduira à la Première Guerre mondiale. Pour l’heure et
en ce jour du 25 juillet, les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues après
l’ultimatum envoyé à la Serbie deux jours auparavant.
Le tribun socialiste pressent les événements à venir et fait part aux personnes venues l’écouter
de son inquiétude. L’Europe court un grand danger et chacun doit endosser sa part de
responsabilité face à cette crise sans précédent. Jaurès en appelle à la classe prolétaire qui,
seule et en s’unissant, pourrait faire reculer le spectre d’une guerre mondiale.
Dans son intervention, il parle peu du candidat socialiste. On comprend que ce qui le
préoccupe, c’est la crise qui se prépare et son discours pacifiste lui vaudra d’être assassiné le
31 juillet au café du Croissant par Raoul Villain.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France.

Citoyens,
Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis
quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus
tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de
vous adresser la parole. Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs
sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont
nous avons eu la nouvelle il y a une demi-heure, entre l’Autriche et la
Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et
l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe, mais
je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des
hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il
faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité
suprême qu’ils pourront tenter.
Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de
menaces et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la
race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie
du monde slave et pour lesquels les Slaves de Russie éprouvent une
sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera
dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie,
l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie,
invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait
savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche. Et si le conflit ne restait pas
entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche verrait
l’Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais
alors, ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et
l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît
les clauses essentielles, qui lient la Russie et la France et la Russie dira à
la France :
« J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit
d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre
place à mes côtés. » À l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille
du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et
l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu,
c’est le monde en feu.
Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour
toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les
responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant
l’Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées ;
lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc,
c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous
a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci
de la France.
Voilà, hélas ! notre part de responsabilité, et elle se précise, si vous
voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est
l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français,
quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le
droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous
étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire
pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.
Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche :
« Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous
passiez le Maroc » et nous promenions nos offres de pénitence de
puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie :
« Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à
l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité. »
Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à
la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons
notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des
autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la
sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la
duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre
parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire « Mon cœur de
grand peuple slave ne supporte pas qu’on fasse violence au petit peuple
slave de Serbie. » « Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur ?
Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a
créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la
main sur elle, elle a dit à l’Autriche “Laisse-moi faire et je te confierai
l’administration de la Bosnie-Herzégovine.” » « L’administration, vous
comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où
l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’administrer la Bosnie-Herzégovine,
elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’administrer au mieux de ses
intérêts. »
Dans l’entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eue avec
le ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à
l’Autriche : « Je t’autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à
condition que tu me permettes d’établir un débouché sur la mer Noire, à
proximité de Constantinople. » M. d’Ærenthal a fait un signe que la
Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l’Autriche à prendre
la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée
dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : « C’est mon tour
pour la mer Noire. » « Quoi ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Rien du
tout ! », et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre
M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et
M. d’Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la
Russie avait été la complice de l’Autriche pour livrer les Slaves de
Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les
Slaves de Serbie.
C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est maintenant.
Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’administration de la
Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n’y aurait pas
aujourd’hui de difficultés en Europe ; mais la cléricale Autriche
tyrannisait la Bosnie-Herzégovine ; elle a voulu la convertir par force au
catholicisme ; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le
mécontentement de ces peuples.
La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et
la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses
horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.
Eh bien ! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude
profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer
aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même
de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière
minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à
frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui
pour les hommes une guerre européenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée presque entière a
succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une
armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans
la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les
lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent
mille.

« Je veux espérer encore que le crime ne sera pas


consommé »

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus,


comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais
quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre,
quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée de
l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le
crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous
socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du
crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste
quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons
d’efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos
camarades socialistes d’Allemagne s’élèvent avec indignation contre la
note de l’Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est
convoqué.
Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de
désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre
et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de
la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui
comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands,
Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de
s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible
cauchemar.
J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui
puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale,
si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le
droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas
négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti
socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule
promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix.
2
Vladimir Ilitch Lénine
Chef révolutionnaire russe
Perspicace, battant, suffisant et inflexible, l’activiste politique marxiste Vladimir Ilitch Oulianov, dit
Lénine (1870-1924) fut à la tête de la révolution d’Octobre de 1917 et instaura la « dictature du
prolétariat » qui, pendant plus de sept décennies, régna sur la Russie. Malgré l’ultime effondrement
du communisme soviétique, l’influence de Lénine se fait toujours sentir en Russie et au-delà des
frontières.

« Tout pour les ouvriers !


Tout pour les travailleurs ! »
30 août 1918, Moscou, Russie

Le discours ci-après fut prononcé par Lénine devant un parterre d’ouvriers rassemblé dans
l’atelier de l’usine Michelson (Moscou) où étaient fabriquées des grenades à main.
En Russie, beaucoup de choses ont changé depuis la révolution de Février (mars 1917, dans le
calendrier grégorien) qui contraignit le tsar Nicolas II à abdiquer pour laisser la place à un
gouvernement provisoire constitué de réformateurs modérés. Si Lénine – qui refusa de
compromettre les plans qu’il avait minutieusement élaborés pour réorganiser le gouvernement
et l’économie – n’a pas tiré parti des manifestations antigouvernementales de juillet 1917,
quelques mois plus tard, il fut celui qui mena la révolution d’Octobre lui donnant le pouvoir.
En novembre, Lénine autorise l’élection d’une Assemblée constituante qu’il dissout en
janvier 1918, le Parti socialiste révolutionnaire ayant remporté la majorité des sièges. En
mars 1918, la Russie se retire de la Première Guerre mondiale, cédant de vastes territoires et
une grande partie de ses ressources économiques à l’Allemagne avec la signature du traité de
Brest-Litovsk.
Le 15 août, Lénine met fin aux relations diplomatiques entre la Russie et les États-Unis et,
deux semaines plus tard, prononce le discours ci-après dans lequel il discrédite le
gouvernement provisoire modéré (mis en place après la révolution de Février) et décrie le
concept américain de la démocratie, donnant libre cours à sa colère quant à la manière dont la
guerre se déroule et dont les ouvriers dans les autres pays sont traités.
Alors qu’il quitte l’usine, Fanya Kaplan, membre du Parti socialiste révolutionnaire, court
vers Lénine et tire à bout portant. Lénine refuse de se rendre à l’hôpital où il craint que
d’autres fanatiques l’attendent pour l’assassiner. Soigné chez lui, il ne se remettra jamais
complètement de ses blessures.

Nous autres, bolcheviks, sommes en permanence accusés de bafouer les


slogans appelant à l’égalité et à la fraternité. Voyons ce qu’il en est dans
les faits.
Quel est le pouvoir qui prit la place du régime tsariste ?1 C’est le pouvoir
de Goutchkov2 et de Milioukov3 qui ont posé les jalons de l’Assemblée
constituante en Russie. Mais qu’en fut-il réellement de l’action menée
pour libérer le peuple du joug sous lequel il était depuis mille ans ? Eh
bien, Goutchkov et les autres responsables se sont tout simplement
contentés de réunir autour d’eux une kyrielle de capitalistes qui ne firent
que poursuivre leurs objectifs impérialistes.
Et lorsque Kerenski4, Tchernov5 et toute la clique prirent le pouvoir, le
nouveau gouvernement, indécis et sans aucun fondement sur lequel
s’appuyer, se lança dans la lutte uniquement pour protéger les intérêts
fondamentaux de la bourgeoisie devenue pour lui une alliée. C’est ainsi
que le pouvoir est passé aux mains des koulaks6, échappant totalement
aux travailleurs.
Nous avons assisté à ce même phénomène dans d’autres pays. Prenons
l’Amérique, le pays le plus libre et le plus civilisé du monde. L’Amérique
est une république démocratique. Résultat ? Nous avons un pays
gouverné par une clique éhontée non pas de millionnaires mais de
multimillionnaires et toute une nation réduite en esclavage et opprimée.
Si les usines et les ateliers, les banques et toutes les richesses de la nation
appartiennent aux capitalistes ; si à côté de la république démocratique,
nous constatons un asservissement constant de millions de travailleurs et
une incessante pauvreté, nous sommes en droit de nous demander où se
situent cette égalité et cette fraternité dont le pays se glorifie.
Loin de là ! Le principe de la démocratie s’accompagne ni plus ni moins
d’un banditisme féroce. Nous comprenons la véritable nature des
prétendues démocraties.
Les traités signés dans le plus grand secret par la République française,
l’Angleterre et les autres démocraties7 nous ont clairement signifié leur
vraie nature et révélé les faits sous-jacents de leurs agissements. Leurs
objectifs et leurs intérêts sont tout aussi voraces et criminels que ceux de
l’Allemagne. La guerre nous a ouvert les yeux. Désormais, nous savons
pertinemment que sous le masque du « défenseur de la patrie » se
dissimulent un bandit et un voleur. Et les attaques de ce bandit doivent
être contrées par une action révolutionnaire, une créativité
révolutionnaire.
Bien entendu, il est très difficile, à une période exceptionnelle telle que
celle que nous vivons aujourd’hui, de créer une union et rallier les
différents éléments révolutionnaires paysans. Mais nous avons foi en
l’énergie créatrice et l’enthousiasme social de l’avant-garde de la
révolution – le prolétariat des usines et des ateliers.
Les ouvriers ont fini par comprendre que, aussi longtemps qu’ils
permettront à leur esprit de se délecter des fantasmes d’une république
démocratique et d’une assemblée constituante, ils devront avancer
50 millions de roubles par jour à des fins militaires qui, au final les
détruiront, et pendant une durée telle qu’il leur sera impossible de trouver
une issue et sortir de l’oppression capitaliste.
Et une fois qu’ils ont eu compris cela, les ouvriers ont créé les Soviets8.
C’est la vie elle-même, la vraie, la véritable vie qui a permis aux ouvriers
de comprendre qu’aussi longtemps que les propriétaires terriens
resteraient retranchés dans des palais et de merveilleux châteaux, la
liberté de l’assemblée ne serait que pure fiction, voire ne pourrait
éventuellement être trouvée que dans l’autre monde. Promettre la liberté
aux ouvriers et, en même temps, laisser les châteaux, la terre, les usines
et toutes les ressources entre les mains des capitalistes et des propriétaires
terriens – n’a rien à voir avec la liberté et l’égalité.

« Nous n’avons qu’une devise : celui qui travaille a le droit


de profiter des bonnes choses de la vie »

Les paresseux, les parasites, ceux qui sucent le sang du peuple travailleur,
doivent être privés de ces bienfaits. Nous proclamons haut et fort : Tout
pour les ouvriers ! Tout pour les travailleurs !
Nous savons qu’arriver à nos fins sera difficile. Nous avons conscience
de la violence avec laquelle la bourgeoisie s’opposera à nous. Mais nous
croyons en la victoire finale du prolétariat. Une fois que le prolétariat se
sera libéré du terrible dilemme des menaces de l’impérialisme militaire et
une fois qu’il se sera érigé sur les ruines de la structure qu’il avait
renversée, la nouvelle structure de la république socialiste, le prolétariat
ne pourra que remporter la victoire.
Et, de fait, partout nous voyons des forces qui se rassemblent. Suite à
l’abolition de la propriété privée de la terre, nous assistons maintenant à
une fraternisation active entre le prolétariat des villes et le prolétariat des
campagnes. Chez les ouvriers, la conscience politique de classe n’a
jamais été aussi claire et aussi précise.
Idem en Occident. En Angleterre, en France, en Italie et dans bien
d’autres pays, les ouvriers répondent de plus en plus aux sollicitations et
aux exigences ce qui, en soi, est une première victoire de la cause
révolutionnaire internationale. Et notre devoir aujourd’hui est de
poursuivre notre travail révolutionnaire et passer outre l’hypocrisie, les
cris de rage et les sermons administrés par la bourgeoisie meurtrière.
Nous devons orienter nos efforts sur le front tchéco-slovaque9 afin de
disséminer sans attendre cette bande d’assassins sans merci qui se
cachent derrière des slogans prônant la liberté et l’égalité et abattent des
centaines et des milliers d’ouvriers et de paysans.
Notre ultime recours : vaincre ou mourir !
3
Le Mahatma Gandhi
Avocat et homme d’État indien
Chef de file du Congrès, mouvement nationaliste indien, Mohandas Karamchand Gandhi, connu sous
le nom de Mahatma (« Grande Âme ») (1869-1948) a mené, au cours des décennies qui suivirent la
Première Guerre mondiale, une campagne non violente pour l’indépendance de l’Inde qui se solda
par la partition de l’Empire des Indes en août 1947. Vénéré par beaucoup comme un homme qui
professe la morale, un réformateur et un patriote, il est considéré par ses détracteurs comme la
victime d’un aveuglement qui l’empêche de voir l’effusion de sang provoquée par ses soi-disant
campagnes non violentes. Gandhi est assassiné à Delhi par un extrémiste hindou le 30 janvier 1948.

« Pourquoi voulons-nous proposer cette non-coopération ? »


12 août 1920, Madras (aujourd’hui Chennai) (Inde)

Gandhi prononça le discours ci-après au tout début de ce qui sera pour lui un long combat.
Suite aux violentes campagnes menées au nom de l’indépendance de l’Inde, le Anarchical
and Revolutionary Crimes Act de 1919, communément connu sous le nom de lois Rowlatt,
pérennisa la restriction des libertés civiles promulguées pendant la Première Guerre mondiale,
une décision qui poussa Gandhi à organiser un mouvement de résistance pacifique et structuré
baptisé satyagraha (« étreinte de la vérité »). Or, la violence qui néanmoins accompagna ce
mouvement dans certains lieux, se traduisit par l’instauration de la loi martiale par les
Britanniques au Pendjab et au massacre d’Amritsar en avril 1919, les troupes britanniques
faisant feu sur la foule réunie lors d’une fête religieuse. On déplora 379 morts.
Les conditions de paix présentées à la Turquie par les Alliés à l’issue de la Première Guerre
mondiale dans le traité de Sèvres déchaînèrent la colère des musulmans du sous-continent
indien qui lancèrent le mouvement Califat en septembre 1919 afin de protéger le califat turc
et empêcher le démantèlement de l’Empire ottoman comme stipulé par les Britanniques et
leurs alliés. Soutenant le mouvement Califat Gandhi écrit, en juin 1920, au vice-roi pour lui
faire part de son intention de lancer un mouvement de non-coopération en réaction aux termes
du Traité. Dans sa lettre, Gandhi renvoie au droit pour un sujet « de refuser de soutenir un
dirigeant qui gouverne mal ». Les défenseurs du mouvement de non-coopération eurent pour
instruction de refuser d’occuper un poste gouvernemental, de retirer leurs enfants des écoles
et des universités gouvernementales et de créer des écoles et des universités nationales, de
boycotter les tribunaux britanniques et de mettre en place des tribunaux privés. Furent prônés
la vérité et la non-violence et ce, quelle que soit la situation, ainsi que le port de vêtements
traditionnels tissés en Inde.
Gandhi lança officiellement le mouvement de non-coopération le 1er août 1920. Quelques
jours plus tard, le Mahatma s’adressa à quelque 50 000 personnes réunies sur la plage de
Madras. Dans son discours, Gandhi explique pourquoi le mouvement Califat est important et
dévoile les principes du mouvement de non-violence.

Monsieur le Président, mes amis...


Je suis assis là devant vous pour vous poser l’une des questions les plus
importantes qui soient [...] Je suis venu vous demander – et cette question
s’adresse à chacun d’entre vous – si vous êtes prêts et disposés à donner
tout ce qui est en votre pouvoir pour votre pays, pour l’honneur et la
religion de votre pays […]
Mais qu’est-ce donc que cette non-coopération dont vous avez tant
entendu parler et pourquoi voulons-nous proposer cette non-
coopération ? Je souhaiterais dans un premier temps préciser les choses.
Il y a deux choses à prendre en compte. Tout d’abord la question du
Califat. Un point qui a déchiré le cœur des musulmans d’Inde1. Les
promesses des Britanniques faites après mûre réflexion, par le Premier
ministre anglais2 au nom de la nation anglaise, ont été traînées dans la
boue. Les promesses faites à l’Inde musulmane... n’ont pas été tenues et
la grande religion qu’est l’islam a été mise en danger.
Les musulmans maintiennent – et j’ose penser qu’ils le font à juste titre –
que tant que les promesses des Britanniques ne seront pas tenues, il leur
sera impossible de faire, de manière inconditionnelle, acte d’allégeance et
de loyauté au parent britannique. Et si un musulman dévot se doit de
choisir entre la loyauté envers le parent britannique ou la loyauté envers
les principes de sa religion et son Prophète, son choix sera immédiat – et
ce choix, les musulmans l’ont fait. Les musulmans ont dit d’une manière
franche, ouverte et honorable au monde entier que si les ministres
britanniques et la nation britannique ne respectaient pas les engagements
qu’ils ont pris envers eux [...] ils ne pourront aucunement compter sur la
loyauté islamique.
Le reste de la population indienne doit quant à elle se poser une autre
question à savoir si elle souhaite accomplir un devoir amical auprès de
ses concitoyens musulmans. Ils doivent saisir l’opportunité qui s’offre à
eux, une opportunité qui ne se représentera pas au cours des cent
prochaines années, à savoir montrer leur bonne volonté, leur soutien et
leur amitié et prouver par des faits ce qu’ils ont dit pendant de longues
années, à savoir que le musulman est le frère de l’hindou. Si l’hindou
considère que son union naturelle avec son frère musulman passe avant
son union avec la nation britannique, alors je ne peux que vous dire que
si vous trouvez juste la revendication musulmane […] vous n’aurez
d’autre choix que d’aider le musulman et ce, autant que vous le pouvez
[…]
Telles sont les conditions sans équivoque que les musulmans indiens ont
acceptées. C’est seulement lorsqu’ils ont vu qu’ils pouvaient accepter
l’aide offerte par les hindous, qu’ils pouvaient toujours justifier la cause
et les moyens face au monde entier, qu’ils ont décidé d’accepter la main
tendue par leurs frères.
Il appartient maintenant aux hindous et aux mahométans3 de présenter un
front uni à l’ensemble des puissances chrétiennes d’Europe et de leur dire
qu’aussi faible qu’elle soit, l’Inde a toujours la capacité de préserver sa
dignité […]
Voici en résumé ce qu’est le Califat. Mais il y a aussi la question du
Pendjab. Le Pendjab a blessé le cœur de l’Inde comme aucune autre
question au cours du siècle dernier. Et je ne mets évidemment pas de côté
la grande mutinerie de 1857. Aussi grandes furent les souffrances
endurées par l’Inde au cours de la révolte des cipayes, elles ne furent rien
comparées à l’affront qui fut fait à notre pays avec la mise en place des
lois Rowlatt et leurs conséquences […]
La Chambre des Communes, la Chambre des Lords, Monsieur Montagu4,
le vice-roi des Indes5, tous connaissent le sentiment de l’Inde quant à la
question du Califat et à celle du Pendjab […] mais ils ne sont pas
disposés à rendre la justice que l’Inde réclame et qui lui est due.
Ce que je veux dire par là c’est […] qu’à moins que les dirigeants
britanniques présents en Inde ne nous accordent cette dignité que nous
demandons, aucune relation, aucun rapport amical ne sera possible entre
eux et nous. C’est pourquoi j’ose proposer cette belle et irréfutable
méthode de non-coopération.
On m’a dit que la non-coopération n’était pas conforme à la Constitution.
Une affirmation que je réfute.
« Je maintiens que la non-coopération est une doctrine juste
et sacrée ; c’est le droit absolu de tout être humain […] »

En effet, la non-coopération est parfaitement conforme à la Constitution


[…] Je ne revendique aucune constitutionnalité pour une rébellion,
victorieuse ou non, dès lors que cette rébellion est conforme au sens
courant du terme, à savoir – parvenir à la justice par la violence. Au
contraire, je l’ai dit et répété à mes concitoyens, la violence – quelle
qu’en soit la finalité en Europe – ne nous servira jamais en Inde.
Mon frère et ami Shaukat Ali6 croit en l’usage de la violence […] mais le
soldat qu’il est reconnaît que la violence n’a pas sa place en Inde. C’est
pourquoi il s’est rallié à moi, acceptant mon aide modeste, et il m’a
donné sa parole que tant que je serai avec lui et tant qu’il croira en la
doctrine que je défends, il n’envisagera pas d’user de violence à
l’encontre d’un Anglais, voire d’un homme quel qu’il soit sur Terre […]
Dès que l’Inde acceptera la doctrine de l’épée, ma vie en tant qu’Indien
s’achèvera. Car je crois en cette mission spécifique que doit mener l’Inde
et je crois que les anciens et l’expérience acquise au fil des siècles ont
découvert que ce qui est vrai pour tout être humain sur Terre ce n’est pas
la justice qui repose sur la violence mais la justice qui repose sur le
sacrifice de soi, la justice qui repose sur les rituels Yagna et Kurbani 7. Je
m’accroche à cette doctrine et je m’y accrocherai toujours. C’est pour
cette raison que je vous dis qu’alors que mon ami croit aussi en la
doctrine de la violence et considère la doctrine de la non-violence comme
étant une arme du faible, je considère pour ma part que la doctrine de la
non-violence est une arme du plus fort […]
Je vous le dis : tant que vous aurez le sens de l’honneur et tant que vous
espérerez rester les descendants et les défenseurs des nobles traditions
qui vous ont été transmises génération après génération, vous trouverez
non conforme à la Constitution le fait de ne pas non-coopérer et de
coopérer avec un gouvernement qui est devenu aussi injuste que l’est
devenu notre gouvernement […]
Je ne suis pas contre les Anglais ; je ne suis pas contre les Britanniques ;
je ne suis pas contre les gouvernements ; mais je suis contre le mensonge,
contre les balivernes et contre l’injustice [...]
J’étais rempli d’espoir lorsqu’au congrès d’Amritsar8, je me suis mis à
genoux devant certains d’entre vous et ai imploré la non-coopération
avec le gouvernement. Croyez-moi. J’ai vraiment espéré que les
ministres britanniques – qui, en général, sont des personnes sensées –
apaiseraient l’émotion des musulmans, qu’ils sauraient rendre justice
suites aux atrocités menées au Pendjab. C’est pourquoi j’ai dit :
restituons la bonne volonté à la main amie qui s’est tendue vers nous,
cette main qui je l’ai cru nous a été tendue par le biais de la Proclamation
royale. C’est à ce titre que j’ai imploré la coopération.
Mais aujourd’hui que les agissements des ministres britanniques ont
détruit ce en quoi j’avais foi, je suis venu ici plaider non pas en faveur
d’une obstruction au conseil législatif mais en faveur d’une non-
coopération réelle et substantielle qui pourrait paralyser le plus puissant
des gouvernements sur Terre.
C’est pour cette raison que je me trouve ici devant vous. Tant que justice
ne sera pas rendue et tant que des mains circonspectes et des stylos
réticents ne nous auront rendu notre dignité, aucune coopération ne sera
possible […]
Je réfute l’idée d’être un visionnaire. Je n’accepte pas le costume de
sainteté que l’on me fait endosser. Je suis sur la Terre, je suis un terrien,
un homme normal comme la plupart d’entre vous, peut-être plus normal
encore que vous. Et je puis me laisser aller à la faiblesse tout autant que
vous […]
J’ai compris le secret de mon propre hindouisme sacré j’ai bien compris
que la non-coopération est le devoir non seulement du saint mais aussi le
devoir de tout citoyen ordinaire qui – sans trop en savoir, sans vouloir
trop en savoir – veut accomplir les tâches quotidiennes qui lui incombent
[…]
Je demande à mes concitoyens de ne suivre aucun autre évangile que
l’Évangile du sacrifice de soi qui précède toute bataille.
Que vous adhériez aux principes de la violence ou de la non-violence,
vous devrez quoi qu’il en soit traverser le feu du sacrifice et de la
discipline. Que Dieu vous accorde, que Dieu accorde à nos chefs, la
sagesse, le courage et la vraie connaissance nécessaires pour conduire la
nation jusqu’au but qui lui tient à cœur. Que Dieu montre au peuple
d’Inde la voie à suivre, qu’il lui permette de voir les choses telles qu’elles
sont, qu’il lui donne le pouvoir et le courage de suivre cette voie, difficile
et pourtant accessible, du sacrifice.
4
Marie Curie
Prix Nobel de physique (1903, 1911)
Marie Curie (1867-1934) est née à Varsovie, en Pologne. L’entrée des universités de son pays natal,
sous le contrôle de la Russie à cette époque, étant refusée aux femmes, elle se rend à Paris en 1891
pour faire des études scientifiques. En 1895, elle épouse Pierre Curie ; ensemble, ils poursuivent leurs
recherches sur les radiations. Leurs découvertes sont récompensées par le prix Nobel de Physique en
1903. En 1911, Marie Curie reçoit un second prix Nobel. En 1914, elle contribue à la fondation de
l’Institut du radium qui, à sa mort, devient l’Institut Curie. Elle préfère écrire des articles
scientifiques plutôt que de faire des discours. Elle meurt d’une leucémie à 67 ans, maladie contractée
du fait des expositions répétées à de fortes doses de radium.

« La découverte du radium est une belle histoire scientifique »


14 mai 1921

Maria Sklodowska naît le 7 novembre 1867 à Varsovie, en Pologne. Ses travaux de recherche
sur la radioactivité rendent célèbre celle qui sera la première femme à recevoir un prix Nobel.
Elle arrive en France en 1891 et étudie les mathématiques, la chimie et la physique à la
Sorbonne ; elle prend le nom de Marie. Elle rencontre Pierre Curie, professeur de physique,
qu’elle épouse en 1895. Durant des années, les deux époux travailleront ensemble sur les
substances radioactives.
Au cours de leurs recherches sur les sources de la radioactivité – mot inventé par Marie –, le
couple découvre deux éléments très radioactifs, le radium et le polonium (dénommé ainsi en
référence aux origines polonaises de Marie). En 1903, les deux époux reçoivent le prix Nobel
de physique qu’ils partagent avec Henri Becquerel pour ses découvertes sur la radioactivité
spontanée. Après la mort de Pierre en 1906, Marie accepte de lui succéder à la Sorbonne,
devenant la première femme enseignant dans cette université.
Elle reçoit un second prix Nobel en 1911 pour avoir isolé le radium et étudié ses propriétés
chimiques. Elle croit aux propriétés thérapeutiques du radium et à ses capacités à détruire les
cellules cancéreuses. Elle est également à l’initiative des premiers camions équipés de
dispositifs à rayons X, qui se rendent auprès des soldats blessés.
Si Marie Curie écrit régulièrement pour des revues scientifiques, elle ne s’est que rarement
exprimée oralement. Ce discours, prononcé en 1921, parle de l’histoire et de l’importance de
ses découvertes scientifiques et rend hommage à Pierre et à tous les chercheurs qui les ont
précédés.

Je pourrais vous parler des heures durant du radium et de la radioactivité


mais, comme le temps est compté, je me contenterai de faire le point sur
mes premiers travaux portant sur le radium. Le radium n’est pas une
nouveauté. En effet, la découverte de cet élément chimique remonte à
plus de vingt ans. Cette découverte s’étant produite dans des conditions
un peu particulières, il me semble intéressant de revenir en arrière et de
vous fournir quelques explications.
Tout a commencé en 1897. À cette époque, le professeur Pierre Curie et
moi-même travaillions dans le laboratoire de l’École de physique et de
chimie de Paris au sein de laquelle le professeur enseignait. Mes études
portaient sur le rayonnement de l’uranium découvert deux ans plus tôt
par le professeur Henri Becquerel.
Je cherchais comment mesurer précisément ce rayonnement et je voulais
savoir si d’autres éléments émettaient des rayonnements du même type.
J’ai donc entrepris d’étudier tous les éléments chimiques connus ainsi
que leurs composés. C’est ainsi que j’ai découvert qu’à la différence
d’autres éléments chimiques et de leurs composés, les composés de
l’uranium et du thorium sont actifs.
Lorsque j’ai commencé à mesurer le rayonnement des minéraux, j’ai
découvert que ceux qui contenaient de l’uranium ou du thorium, voire les
deux, étaient actifs. Mais l’activité n’avait rien à voir avec ce à quoi je
m’attendais car elle était nettement supérieure à l’activité enregistrée
pour les composés d’uranium ou du thorium, notamment les oxydes
presque entièrement composés de ces éléments.
Je me suis dit que dans les minéraux il devait y avoir un élément que
nous ne connaissions pas, élément qui devait avoir une radioactivité
supérieure à celle de l’uranium et du thorium. Je voulais absolument
découvrir et isoler cet élément, une entreprise dans laquelle le professeur
Curie et moi-même nous sommes lancés.
Nous pensions que cela ne nous prendrait que quelques semaines, voire
quelques mois, mais il nous fallut travailler d’arrache-pied des années
durant pour parvenir à nos fins. Et ce n’est pas un mais plusieurs
éléments que nous allions découvrir, le plus important étant le radium qui
pouvait être isolé à l’état pur.

« Le radium pourrait jouer un rôle primordial dans le


traitement du cancer »

Aujourd’hui, le radium présente un intérêt tout particulier car l’intensité


de son rayonnement est des millions de fois supérieure à celle du
rayonnement de l’uranium. C’est la puissance de ce rayonnement qui fait
du radium un élément chimique capital. D’un point de vue pratique, la
plus importante propriété de ce rayonnement est la production d’effets
physiologiques sur les cellules de l’organisme humain, ces effets pouvant
permettre de traiter nombre de maladies. Nous avons déjà obtenu des
résultats très probants. Le radium pourrait jouer un rôle primordial dans
le traitement du cancer. L’utilisation du radium dans le domaine médical
nécessite que cet élément soit produit en grande quantité. Deux usines
sont déjà opérationnelles, la première ayant ouvert ses portes en France et
la seconde en Amérique où de grandes quantités d’un minerai appelé
carnotite sont disponibles. L’Amérique produit chaque année plusieurs
grammes de radium mais la quantité de radium présente dans le minerai
est si faible que son prix est encore exorbitant. Le radium est cent mille
fois plus cher que l’or.
N’oublions pas que, lorsque l’on a découvert le radium, personne ne
savait qu’il pourrait être utilisé dans les hôpitaux. Les études étaient
purement scientifiques, ce qui prouve que le travail des chercheurs sert à
quelque chose. Il faut faire des recherches pour le plaisir de chercher,
pour ce que la science offre de beau, en gardant à l’esprit qu’une
découverte scientifique peut, comme le radium, servir l’humanité.
La découverte du radium est une belle histoire scientifique. Nous avons
étudié avec minutie son rayonnement. Nous savons que la vitesse à
laquelle des particules sont expulsées est proche de la vitesse de la
lumière. Nous savons que les atomes de radium sont détruits lors de
l’expulsion de ces particules, certaines particules étant des atomes
d’hélium, ce qui nous permet d’affirmer que les éléments radioactifs se
désintègrent constamment pour donner lieu au final à des éléments
ordinaires notamment de l’hélium et du plomb. Ce processus est, comme
vous le voyez, une théorie de transformation des atomes qui ne sont pas
stables. Si nous supposions que ce processus existait, ces changements
spontanés nous échappaient totalement […]
Il nous reste encore beaucoup de choses à étudier et j’espère que, dans les
prochaines années, nous ferons de belles découvertes. Mon désir le plus
cher est que vous poursuiviez notre travail et que votre ambition et votre
détermination soient d’apporter de façon permanente votre contribution à
la science.
5
Benito Mussolini
Dictateur italien
En 1919, Benito Almicare Andrea Mussolini (1883-1945) fonda le mouvement fasciste tirant profit
de la profonde désillusion ressentie par nombre d’Italiens après la Première Guerre mondiale pour
promouvoir un nationalisme démesuré. En 1922, le roi Victor-Emmanuel III demande à Mussolini de
former un gouvernement. En 1929, à force d’intimidation, de népotisme et de propagande, l’Italie est
transformée par Mussolini en un État totalitaire. Dans les années 1930, ayant pour ambition de bâtir
un empire au-delà des mers, Mussolini resserra les liens qui l’unissaient à l’Allemagne nazie. En
1939, l’Italie entre en guerre contre les Alliés. Suite au débarquement des troupes alliées en Sicile
(1943), le roi et le Grand conseil fasciste le désavouent. En 1945, Mussolini est arrêté et exécuté alors
qu’il tente de quitter l’Italie.

« Nous devons parvenir à la paix »


25 juin 1923, Rome (Italie)

Durant la première année de son mandat à la Présidence du Conseil (équivalent de Premier


ministre), Mussolini s’impose et prend de plus en plus de pouvoir. Il appelle au patriotisme et
lors d’un rassemblement pour célébrer le cinquième anniversaire de la bataille du Piave, il
prononce un discours grandiloquent en l’honneur de la victoire remportée par les troupes
italiennes.
L’Italie entre en guerre en 1915 aux côtés du Royaume-Uni et de la France, espérant ravir des
terres à l’Empire austro-hongrois et à l’Allemagne. Juin 1918 marque un tournant majeur
dans le conflit. En effet, les troupes italiennes repoussent l’armée austro-hongroise lors de la
bataille du Piave. Quatre mois plus tard, l’armée italienne remporte une victoire plus décisive
encore lors de la bataille de Vittorio Veneto. Mais les traités signés à l’issue de la guerre ne
répondent pas aux attentes de l’Italie et génèrent un ressentiment national qui permet à
Mussolini d’asseoir sa popularité.
Mussolini est un orateur charismatique qui sait faire entendre ses convictions au peuple. Ses
techniques oratoires – tout comme ses croyances politiques – sont un modèle pour Hitler qui
les reprendra, le moment venu, à son compte. Face à une foule impressionnante réunie devant
le Palazzio Venezia, après quelques hésitations feintes, Mussolini prononce un discours
enflammé qui séduit son public.
Bien qu’insistant sur la Marche sur Rome organisée par les chemises noires qui « ont enterré
le passé », Mussolini insiste sur l’héritage de la cité antique, puissance militaire invincible.
Mussolini a pour seul objectif de faire adhérer le peuple à la cause qu’il défend et d’endiguer
toute opposition. Dénonçant ceux qui pourraient « mutiler la victoire », il promet à la foule
qui l’acclame de faire de l’Italie une grande puissance « indestructible ». Discours traduit et
édité par Bernardo Quaranta di San Sevrino.

Compagnons d’armes : après vous avoir vu défiler en rangs disciplinés et


avec fière allure, devant sa majesté le Roi symbole indéfectible du pays ;
après la cérémonie sobre et solennelle qui s’est tenue dans un silence
absolu devant la tombe du soldat inconnu – après l’expression de cette
force sacrée, tous les mots sont superflus et je n’ai aucunement
l’intention de prononcer un discours. La marche d’aujourd’hui est lourde
de sens et doit être perçue comme une mise en garde. Tout un peuple en
armes s’est retrouvé aujourd’hui, en parfaite communion, dans la cité
éternelle1. C’est tout un peuple qui, au-delà des inéluctables différences
de partis, se retrouve uni par des liens puissants lorsque la sécurité de la
mère patrie est en jeu.
Lorsque l’Etna est entré en éruption2, on a vu se mettre en place une
merveilleuse solidarité nationale. Dans toutes les villes, tous les villages,
voire tous les hameaux, un élan fraternel a soufflé sur une région sinistrée
par un véritable fléau.
Aujourd’hui, les dizaines de milliers de soldats, les milliers d’étendards –
ces hommes venus de toutes parts, d’Italie, de colonies lointaines, de
pays étrangers jusqu’à Rome – sont la preuve tangible que l’unité de la
nation italienne est un fait établi et irrévocable.
Après sept mois à la tête du gouvernement, je vous avoue, à vous mes
compagnons de tranchée, qu’être là devant vous est pour moi le plus
grand des honneurs. Et je ne dis pas cela pour vous flatter ni pour vous
rendre un hommage qui, lors d’une occasion comme celle-ci, pourrait
sembler protocolaire. Je me réserve le droit d’interpréter les intentions de
ce rassemblement, dans le but d’écouter ce que j’ai à vous dire, comme
étant l’expression d’une solidarité avec le gouvernement national.
[Cris d’assentiment]
Aucun mot inutile et fantasque n’est de mise. Personne n’attaque la
liberté inaliénable du peuple italien. Mais je vous le demande : serait-ce
la liberté que de mutiler la victoire ?
[La foule crie : Non ! Non !]
Serait-ce la liberté que d’attaquer la nation ? Serait-ce la liberté que de
laisser certains renverser nos institutions nationales ?
[La foule crie : Non ! Non !]
Je répète ce que j’ai déjà dit explicitement. Je ne me sens pas infaillible,
je suis un homme comme vous. Je ne rejette – je ne le puis pas – et je ne
rejetterai jamais toute collaboration loyale et sincère.
Compagnons d’armes, la tâche qui pèse sur mes épaules, mais aussi sur
les vôtres, est tout simplement gigantesque, et nous devrons nous y
consacrer durant de nombreuses années.
Nous n’avons, par conséquent, pas le droit de dépenser notre énergie à
mauvais escient car nous en aurons besoin. Nous devons la garder
précieusement et l’utiliser pour le bien de notre pays.
Cinq années se sont écoulées depuis la bataille du Piave, qui fut pour
nous une victoire […] Il est nécessaire de proclamer, pour vous qui
m’écoutez mais aussi pour ceux qui lisent ce que je dis, que la victoire du
Piave fut un facteur décisif de la guerre. Sur le Piave, l’Empire austro-
hongrois fut démantelé, du Piave est partie la fuite du peuple en armes
sur les ailes blanches de la victoire.
Le gouvernement entend bien glorifier la force spirituelle générée par la
victoire d’un peuple en rébellion. Il n’entend pas disperser le peuple qui
représente la semence sacrée de l’avenir. Plus nous nous éloignerons de
ces journées-là, plus nous nous éloignerons de cette victoire mémorable,
plus elle nous semblera merveilleuse, plus cette victoire sera auréolée de
légende. Telle est cette victoire à laquelle tout le monde aurait espéré
contribuer !
Nous devons parvenir à la paix ! On a compris trop tardivement que

« […] lorsque le pays est en danger, chaque citoyen, qu’il


appartienne à la couche sociale la plus élevée ou à la couche
sociale la plus basse, a un devoir et un seul : battre, souffrir
et – si besoin est – mourir ! »
Nous avons gagné la guerre, nous avons démantelé un empire qui
menaçait nos frontières, qui depuis toujours nous étouffait et nous
emprisonnait sous la menace des armes. L’histoire est sans fin.
Camarades, l’histoire des peuples ne se compte pas en années mais en
dizaines d’années, en siècles. Le fait que vous soyez réunis est la preuve
d’une vitalité indéfectible du peuple italien. « Nous devons parvenir à la
paix » est une phrase lourde de sens, une phrase d’une grande vérité. La
paix se gagne à force d’entente, de travail et de discipline. Tel est le
nouvel évangile qui s’est ouvert sous les yeux de ces jeunes générations
qui sont sorties des tranchées. Un évangile simple et honnête qui prend
en compte tous les éléments, qui utilise toutes les énergies, qui ne se
prête pas aux tyrannies d’un sectarisme grotesque car il n’a qu’un seul et
unique but : la grandeur et le salut de la nation !
Compagnons d’armes, vous êtes venus à Rome et c’est normal – je dirais
même que vous ne pouviez faire autrement ! Vous êtes venus à Rome car
Rome est toujours et sera encore demain et pour les siècles à venir, le
cœur même de notre race ! Rome est le symbole éternel de notre vitalité
en tant que peuple. Celui qui tient Rome tient la nation.
Les chemises noires ont enterré le passé. Compagnons d’armes, je vous
le dis, mon gouvernement en dépit des difficultés flagrantes ou cachées,
tiendra ses promesses. Ce gouvernement est celui de Vittoria Veneto3.
Vous le sentez. Vous le savez et si vous n’y croyiez pas, vous ne seriez
pas réunis ici sur cette place.
Retournez dans vos villes, sur vos terres, dans vos maisons, lointaines
mais chères à mon cœur, et transmettez toute la force qui émane de ce
rassemblement. Ne laissez pas la flamme s’éteindre car ce qui n’a pas
été, sera peut-être, et si la victoire fut un jour mutilée, rien ne dit qu’elle
le sera une seconde fois !
[Des cris d’allégresse retentissent : Nous le jurons !]
Je n’oublierai pas le serment que vous venez de faire. Je compte sur vous
comme je compte sur tous les bons Italiens. Mais je compte par-dessus
tout sur vous, qui êtes de ma génération, car vous êtes issus de la crasse
rouge sang des tranchées, car vous avez vécu, combattu et affronté la
mort, car vous avez rempli votre devoir et vous avez le droit de faire
valoir ce qui vous est dû, non seulement sur le plan matériel mais aussi
moral.
Je vous le dis. Je vous le jure : il est loin le temps où les combattants s’en
revenaient des tranchées accablés de honte. Le temps où, du fait du
comportement menaçant des communistes, on conseillait lâchement aux
officiers de s’habiller en civil.
[La foule applaudit]
Soldats, compagnons d’armes, levons-nous devant notre grand camarade
inconnu dont le cri résume notre foi. Longue vie au roi ! Longue vie à
l’Italie, victorieuse, indestructible et immortelle !
[Acclamations de la foule qui agite des drapeaux italiens]
6
Franklin D. Roosevelt
Homme d’État américain
Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) accède au pouvoir et devient président des États-Unis durant
la Grande Dépression (1929-1939) à laquelle il met fin grâce à un programme innovateur connu sous
le nom de New Deal. Le succès des réformes mises en place lui vaudra d’être réélu avec une très
forte majorité en 1936 et lui assurera un troisième mandat en 1940 puis un quatrième en 1944. À la
fin des années 1930, Roosevelt s’efforce de tenir son pays en dehors du conflit européen qui se
profile à l’horizon mais lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il rompt la neutralité des États-
Unis et se range du côté des Alliés. L’attaque de la base navale américaine de Pearl Harbor par les
forces japonaises en décembre 1941, marquera l’entrée des États-Unis dans le conflit. Roosevelt
décède trois semaines avant la capitulation des nazis.

« La seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-


même »
4 mars 1934, Washington DC (États-Unis)

Le premier discours d’investiture prononcé par Franklin D. Roosevelt au cœur de la Grande


Dépression, délivre le message d’espoir que tous attendaient. Avec plus de la moitié de la
population active au chômage, le prix des denrées agricoles au plus haut et une industrie en
déroute, le pays tombe dans un véritable marasme. Lorsqu’il a accepté d’être le candidat du
parti démocrate pour l’élection présidentielle de 1932, Roosevelt avait promis « une nouvelle
donne pour le peuple américain » faisant entrer le terme New Deal1 dans l’histoire. Ce faisant,
il allait pouvoir mettre en place des politiques quasi révolutionnaires dans un pays très
méfiant à l’égard du socialisme.
Tout au long de la campagne présidentielle, Roosevelt est resté très vague quant à la manière
dont il envisageait de s’attaquer aux graves problèmes économiques auxquels la nation était
confrontée. Or c’est avec une grande clarté et beaucoup d’assurance qu’il s’adresse à la foule
réunie à la Maison-Blanche mais aussi aux millions d’hommes et de femmes qui écouteront le
discours d’investiture diffusé à la radio qui deviendra le moyen de communication préféré du
président américain.
Si le ton est solennel, les mots sont sans ambages et le peuple découvre le franc-parler qui
sera la marque de fabrique du nouveau chef de l’État. Tous les grands principes du New Deal
sont annoncés et présentés comme un quasi-engagement qui lie désormais le gouvernement et
le peuple. Le discours est d’un optimisme étonnant qui laisse entrevoir un futur prometteur et
atteste de l’esprit innovateur qui fit la légende américaine sans toutefois sous-estimer l’impact
de la Dépression sur les citoyens ordinaires.
Le résultat immédiat fut ce que l’on appela les Cent jours. Les membres du Congrès réunis
lors d’une session de crise, légiférèrent et décidèrent l’entrée en vigueur de plusieurs réformes
d’ordre économique et sociétal.

Je suis sûr que, suite à mon élection à la présidence, mes compatriotes


attendent que je m’adresse à eux avec la sincérité et le jugement que la
situation dans laquelle se trouve actuellement notre nation impose. Il est
avant tout indispensable de parler avec franchise, une franchise totale,
sans aucun sous-entendu. Pas question non plus que nous nous dérobions
et refusions d’affronter avec honnêteté la situation que connaît notre pays
aujourd’hui. Cette grande nation endurera comme elle a déjà enduré
nombre de difficultés et, une fois encore, elle saura renaître et prospérer.
Pour commencer, permettez-moi de vous faire part de l’une de mes plus
fermes convictions, à savoir que la seule chose que nous ayons à craindre
est la crainte elle-même – une terreur sans nom, non raisonnée et
injustifiée qui paralyse tous les efforts nécessaires pour ne plus reculer
mais avancer. Dans toutes les heures sombres de la vie de notre nation, le
fait de diriger en toute franchise et avec vigueur notre pays a permis à
nos prédecesseurs de trouver la compréhension et le soutien du peuple
lui-même, deux éléments essentiels pour parvenir à la victoire. Je suis
convaincu qu’en ces jours critiques, vous soutiendrez une fois encore vos
dirigeants.
Si vous et moi sommes dans ce même état d’esprit, nous pourrons
affronter les difficultés que nous partageons. Ces difficultes – que Dieu
en soit remercié – ne concernent que des choses materielles. Les biens
perdent peu à peu de leur valeur. Les taxes augmentent et nous avons de
plus en plus de mal à les acquitter. Le gouvernement quel qu’il soit est
confronté à une baisse importante des revenus, les moyens d’echange
sont gelés du fait des cours actuels, les feuilles flétries de l’industrie
gisent de tous côtés, les fermiers ne trouvent plus de debouchés pour
leurs produits et les économies amassées depuis des années par nombre
de familles ont disparu.
Plus important, une multitude de chômeurs ont du mal à vivre et un
nombre tout aussi important de citoyens travaillent dur sans parvenir à
s’en sortir. Seuls quelques rares optimistes inconscients peuvent nier la
dure réalité du moment.
Cependant notre désespoir ne résulte pas d’un manque de biens materiels.
Nous n’avons pas à affronter une invasion de sauterelles.
Comparativement aux dangers que nos ancêtres ont surmontés parce
qu’ils croyaient en ce qu’ils faisaient et parce qu’ils n’avaient pas peur,
nous n’avons pas à nous plaindre. La nature fait toujours preuve de
générosité, générosité que les hommes s’efforcent d’exploiter au mieux.
Il y a mille choses à portée de nos mains mais nous n’en faisons pas
toujours bon usage. Cela vient premièrement du fait que ceux qui gèrent
les échanges des biens n’ont pas su, à cause de leur obstination et de leur
incompétence, reconnaître leurs échecs et abdiquer. Les pratiques de
changeurs d’argent peu scrupuleux sont mises en accusation par l’opinion
publique, rejetées par le cœur et l’esprit des hommes.
Il est vrai qu’ils ont essayé mais leurs efforts ont été vains car répondant
à une tradition qui n’a plus lieu d’être. Face au manque de liquidités, ils
n’ont su que proposer de prêter de l’argent. Ne parvenant pas à attirer les
hommes et les femmes, ils ont dû avoir recours à des exhortations,
plaidant en pleurant pour que la situation se rétablisse. Ils ne connaissent
que les lois d’une génération d’égoïstes. Ils ont des œillères et un peuple
avec des œillères périt.
Les cambistes ont quitté les postes élevés qu’ils occupaient dans le
temple de notre civilisation2. Aujourd’hui, il est de notre devoir de
rétablir ce temple dans son ancienne vérité. De l’importance que nous
accordons aux valeurs sociales plus précieuses que le seul profit
monétaire dépend la portée de cette remise en état.
Le bonheur ne vient pas de l’argent que l’on possède. Le bonheur vient
de la joie de réussir, de l’excitation genérée par des efforts qui permettent
d’avancer. On ne doit plus oublier la joie et la stimulation morale du
travail dans la folle poursuite de bénéfices évanescents.
Ces jours sombres nous seront bénéfiques si nous en tirons des leçons et
si nous comprenons que notre destinée n’est pas d’attendre d’être
secourus mais de nous secourir nous-mêmes et de secourir nos
compatriotes.
« Reconnaître la fausseté des richesses matérielles comme
critère du succès va de pair avec la remise en question de la
croyance selon laquelle les fonctions officielles et les plus
hautes charges politiques se mesurent uniquement à la fierté
d’occuper un poste et du bénéfice personnel que l’on en
tire... »

Il faut mettre fin à ce comportement dans le monde des banques et des


affaires qui, trop souvent, a donné à une confiance sacrée l’apparence de
méfaits impitoyables et égoïstes. Il ne faut pas s’étonner que la confiance
s’amenuise car la confiance ne prospère que sur l’honnêteté, sur
l’honneur, sur le caractère sacré des obligations, sur la protection fidèle,
sur la réalisation altruiste. Sans cela, la confiance n’existe pas. Toutefois
la remise en état n’appelle pas uniquement des changements éthiques.
Cette nation demande de l’action, une action immédiate.
La première de toutes les tâches qui nous incombent est de mettre le
peuple au travail. Ce n’est pas un problème insoluble si nous y
réfléchissons et si nous nous y attaquons avec courage. Cela peut passer
par un recrutement direct par le gouvernement lui-même qui traiterait
cette question au même titre que l’imminence d’une guerre, mais,
parallèlement à la création d’emplois, nous devons accomplir de grands
projets pour stimuler et réorganiser l’utilisation des ressources nationales.
Main dans la main, nous devons admettre le déséquilibre entre la
population vivant dans les centres industriels et la population rurale, et
nous devons engager, à l’échelle nationale, une redistribution de la terre à
ceux qui sont les plus à même d’en faire bon usage. Cette tâche sera
facilitée si nous arrivons à valoriser les produits agricoles et à favoriser la
vente de la production des villes. Pour ce faire, il faut empêcher de
manière réaliste la tragédie des pertes grandissantes liées à la saisie des
petites structures et des fermes. Il faudrait insister pour que les
gouvernements fédéraux, nationaux et locaux agissent sur-le-champ et
que les coûts soient réduits de manière significative. Il faudrait que les
activités sociales soient unifiées alors qu’aujourd’hui elles sont
éparpillées, peu rentables et inégales. Il faudrait que toutes les formes de
transport, de communication et des autres services publics soient
planifiées et supervisées au niveau national avec pour objectif de
répondre aux besoins de la population. Il y aurait encore beaucoup
d’autres choses à dire quant à la manière d’améliorer la situation mais
rien ne sert de parler. Nous devons agir et agir vite.
Enfin, favoriser la reprise du travail ne peut passer que par un contrôle
strict de toutes les opérations bancaires, crédits et investissements, l’arrêt
de la spéculation avec l’argent des autres et la mise à disposition d’une
monnaie fiable et saine.
Telles sont les grandes lignes de notre plan d’attaque. J’inciterai le
nouveau Congrès lors d’une session spécifique à prendre des mesures
précisément définies afin d’atteindre nos objectifs et je m’adresserai à
plusieurs États afin qu’ils me prêtent main-forte.
Par ce programme d’actions, nous nous attaquons à la remise en ordre de
notre maison nationale et à l’équilibre de nos recettes et de nos dépenses.
Nos relations commerciales internationales, aussi importantes soient-
elles, passent en termes d’urgence et de nécessité après le rétablissement
d’une économie nationale saine. Je préconise, comme pratique politique,
de commencer par faire les choses importantes. Je ne ménagerai pas mes
efforts pour rétablir le commerce mondial qui impliquera des
réajustements internationaux mais l’urgence dans notre pays ne peut
attendre que ces réajustements soient faits.
L’idée maîtresse qui guide les mesures spécifiques de la reprise nationale
n’est pas strictement nationaliste. C’est l’insistance, préoccupation
première, sur l’interdépendance des différents éléments qui constituent
les États-Unis – une reconnaissance du vieil esprit pionnier américain qui
prime aujourd’hui encore. C’est le chemin qui mène à la reprise. C’est le
chemin qu’il nous faut suivre dès aujourd’hui. C’est la seule manière
d’être sûrs que la reprise sera pérenne.
Pour ce qui est de la politique internationale, je recommanderais à cette
nation d’opter pour une politique de bon voisinage – le voisin qui
résolument se respecte et, par là, respecte les droits d’autrui ; le voisin
qui respecte ses obligations et respecte le caractère sacré des
engagements qu’il a pris et le lient à tous ses voisins.
« Si je comprends comme il se doit l’état d’esprit de notre
peuple, nous réalisons aujourd’hui et plus que jamais que
nous dépendons les uns et des autres. Nous réalisons que
nous ne pouvons pas simplement prendre mais que nous
devons aussi donner... »

et que, si nous voulons aller de l’avant, nous devons avancer comme une
armée entraînée et loyale, prête à se sacrifier pour le bien d’une discipline
commune car sans cette discipline, il n’est pas possible d’aller de l’avant
et aucun commandement n’aura l’effet escompté. Nous sommes, je le
sais, prêts à donner nos vies et tout ce que nous possédons au nom de
cette discipline, car elle rend possible un commandement avec de plus
grands objectifs. C’est le sacrifice que je propose, et je vous promets que
les plus larges desseins nous uniront comme une obligation sacrée avec
une unité de devoir que nous n’avons jusqu’alors évoquée que lors d’un
conflit armé.
Une fois cet engagement pris, j’assume sans hésiter le commandement de
cette grande armée que constitue notre peuple et qui est prête à s’attaquer
avec discipline à nos problèmes communs.
L’action, dans cette optique et dans ce but, est possible sous la forme de
gouvernement que nous avons héritée de nos ancêtres. Notre
Constitution, simple et pratique, est ainsi faite qu’elle permet de toujours
répondre aux besoins les plus extraordinaires et ce, en changeant de cap
et en prenant de nouvelles dispositions sans toutefois perdre ce qu’elle a
d’essentiel. C’est ce qui explique pourquoi notre Constitution est
considérée comme le mécanisme politique le plus stable que le monde
moderne ait produit. C’est ce qui a permis à notre Constitution de gérer
les tensions liées aux extensions de territoire, aux guerres à l’étranger,
aux conflits internes acharnés, aux relations internationales.
Il nous reste à espérer que l’équilibre normal entre les pouvoirs exécutif
et législatif soit à la hauteur de la tâche qui désormais nous incombe.
Mais il se peut qu’une exigence sans précédent et un besoin d’action
immédiat nécessitent que l’on s’éloigne temporairement de cet équilibre
normal de la procédure publique.
Je suis préparé de par mon devoir constitutionnel à recommander les
mesures qu’une nation sinistrée dans un monde sinistré peut requérir.
Mais, dans l’éventualité où le Congrès viendrait à refuser l’une de ces
mesures, et dans l’éventualité où la nation devrait faire face à l’urgence,
je ne me déroberais pas au devoir qui m’incombe.
[…] Je demanderais au Congrès de prendre cette mesure afin de gérer la
crise [...] et au pouvoir exécutif dans son ensemble de lutter afin de
répondre à cet état d’urgence de la même manière que si nous étions
envahis par un ennemi étranger.
Du fait de la confiance qui m’est accordée, j’agirai avec le courage et la
dévotion qui conviennent à la situation. Je ne peux pas faire moins.
Nous affronterons les jours difficiles qui sont devant nous avec le juste
courage d’une unité nationale, en ayant clairement conscience de devoir
chercher des valeurs morales anciennes mais précieuses, avec la
satisfaction irréprochable qui découle de la rude performance du devoir
que l’on soit jeune ou vieux. Nous aspirons à l’assurance d’une vie
nationale équilibrée et durable.
Nous ne mettons pas en doute l’avenir de la démocratie fondamentale.

« Le peuple des États-Unis n’a pas échoué. Dans l’adversité,


il a exprimé son souhait de voir mener durant ce mandat une
action directe et énergique. Il a demandé à avoir des
dirigeants disciplines et directifs. Il a fait de moi un
instrument pour réaliser ses souhaits »

Et j’accepte cela comme un cadeau.


Face à cette consécration nationale, nous demandons humblement la
bénédiction de Dieu. Puisse-t-Il nous protéger individuellement et
collectivement ! Puisse-t-Il me guider au fil des jours à venir.
7
Léon Blum
Chef du gouvernement français
(1936-1937 et mars-avril 1938)
Léon Blum (1872-1950) est nommé au Conseil d’État comme auditeur en 1895, il y reste 25 ans
avant de s’engager en politique. Il participe avec Jean Jaurès à la fondation de L’Humanité à partir de
1904. Chef de cabinet auprès du ministre des Travaux publics Marcel Semblat entre 1914 et 1917
dans le cadre de l’Union sacrée, il devient député dès 1919 et prend la tête de la SFIO dès l’année
suivante. Les accords électoraux avec le PCF permettent la victoire du Front populaire en 1936.
Déporté à Buchenwald par le gouvernement de Vichy, il dirige brièvement le gouvernement
provisoire (décembre 1946 à janvier 1947) avant l’instauration de la IVe République. Jusqu’à sa mort
le 30 mars 1950, il reste directeur du Populaire, journal dans lequel il dénonce le danger que pourrait
représenter le RPF du général de Gaulle pour le régime parlementaire.

« Nous sommes un Gouvernement de Front populaire »


6 juin 1936

Léon Blum est né à Paris le 9 avril 1872. Il est issu de l’union d’Abraham Blum, qui tient un
commerce prospère de soierie, et d’Adèle Marie Alice Picart. Ses parents sont de confession
juive. Durant ses années d’études, il rencontre l’écrivain André Gide et se passionne pour la
littérature. Il est licencié en lettres en 1891 et en droit en 1894, l’année même où éclate
l’affaire Dreyfus, affaire qui le convainc d’entrer en politique.
Après sa rupture avec Maurice Barrès qu’il considérait comme son maître (Léon Blum est
encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs critiques littéraires de son temps), il
commence à militer à la SFIO. Après la fin de la Première Guerre mondiale, il siège à la
Chambre où ses discours remportent un grand succès qui lui vaut également de très viruleuses
attaques antisémites.
Au congrès de Tours de 1920, au moment de la scission avec les communistes, il prend la tête
de la SFIO, défend la IIe Internationale et est l’artisan du Cartel des gauches qui permet aux
socialistes et aux radicaux de remporter les élections de 1924.
Léon Blum n’exclut pas cependant une alliance avec les communistes. Suite aux accords
électoraux conclus avec ces derniers, le Front populaire emporte les élections en 1936 et en
1938. Cette victoire lui permet de mettre en place de très grandes avancées sociales comme
les congés payés, la semaine de 40 heures ou les conventions collectives.
Par ce discours, un mois après la victoire de la coalition du Front populaire, Léon Blum
annonce qu’il appliquera le programme d’une majorité de rassemblement qui n’est pas celle
du parti socialiste.

M. le président. La parole est à M. le Président du Conseil, pour une


communication du Gouvernement. (Vifs applaudissements à l’extrême
gauche et à gauche.)
M. Léon Blum, Président du Conseil. Messieurs, le Gouvernement se
présente devant vous au lendemain d’élections générales où la sentence
du suffrage universel, notre juge et notre maître à tous, s’est traduite avec
plus de puissance et de clarté qu’à aucun moment de l’histoire
républicaine.
Le peuple français a manifesté sa décision inébranlable de préserver
contre toutes les tentatives de la violence ou de la ruse les libertés
démocratiques qui ont été son œuvre et qui demeure son bien. (Vifs
applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Il a affirmé sa résolution de rechercher dans des voies nouvelles les
remèdes de la crise qui l’accable, le soulagement de souffrances et
d’angoisses que leur durée rend sans cesse plus cruelles, le retour à une
vie active, saine et confiante.
Enfin, il a proclamé la volonté de paix qui l’anime tout entier.
La tâche du Gouvernement qui se présente devant vous se trouve donc
définie dès la première heure de son existence.
Il n’a pas à chercher sa majorité, ou à appeler à lui une majorité. Sa
majorité est faite. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et
sur divers bancs.) Sa majorité est celle que le pays a voulue. Il est
l’expression de cette majorité rassemblée sous le signe du Front
populaire. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Il possède
d’avance sa confiance et l’unique problème qui se pose pour lui sera de la
mériter et de la conserver. (Applaudissements.)
Il n’a pas à formuler son programme. Son programme est le programme
commun souscrit par tous les partis qui composent la majorité, et
l’unique problème qui se pose pour lui sera de le résoudre en actes.
(Nouveaux applaudissements.)
Ces actes se succéderont à une cadence rapide, car c’est de la
convergence de leurs effets que le Gouvernement attend le changement
moral et matériel réclamé par le pays.
Dès le début de la semaine prochaine, nous déposerons sur le bureau de
la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous demanderons aux
deux assemblées d’assurer le vote avant leur séparation. (Très bien ! très
bien !)
Ces projets de loi concerneront :
– L’amnistie,
– La semaine de quarante heures,
– Les contrats collectifs,
– Les congés payés,
– Un plan de grands travaux (Applaudissements à l’extrême gauche et à
gauche), c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire,
scientifique, sportif et touristique (Très bien ! très bien !),
– La nationalisation de la fabrication des armes de guerre (Vifs
applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur plusieurs bancs au
centre),
– L’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres
denrées agricoles, comme le vin, la viande et le lait (Nouveaux
applaudissements sur les mêmes bancs),
– La prolongation de la scolarité (Très bien ! très bien !),
– Une réforme du statut de la Banque de France (Applaudissements à
l’extrême gauche et à gauche), garantissant dans sa gestion la
prépondérance des intérêts nationaux,
– Une première révision des décrets-lois en faveur des catégories les plus
sévèrement atteintes des agents des services publics et des services
concédés, ainsi que des anciens combattants (Nouveaux
applaudissements sur les mêmes bancs.)
Sitôt ces mesures votées, nous présenterons au Parlement une seconde
série de projets visant notamment le fonds national de chômage,
l’assurance contre les calamités agricoles, l’aménagement des dettes
agricoles (Applaudissements), un régime de retraites garantissant contre
la misère les vieux travailleurs des villes et des campagnes. (Vifs
applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au
centre.)
À bref délai, nous vous saisirons ensuite d’un large système de
simplification et de détente fiscale, soulageant la production et le
commerce, ne demandant de nouvelles ressources qu’à la contribution de
la richesse acquise, à la répression de la fraude, et surtout à la reprise de
l’activité générale. (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Tandis que nous nous efforcerons ainsi, en pleine collaboration avec
vous, de ranimer l’économie française, de résorber le chômage,
d’accroître la masse des revenus consommables, de fournir un peu de
bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable
richesse (Appaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs à
gauche), nous aurons à gouverner le pays.

« Nous assurerons l’ordre républicain »

Nous gouvernerons en républicains. Nous assurerons l’ordre républicain.


(Applaudissements.) Nous appliquerons avec une tranquille fermeté les
lois de défense républicaine. (Applaudissements à l’extrême gauche et à
gauche.) Nous montrerons que nous entendons animer toutes les
administrations et tous les services publics de l’esprit républicain. (Vifs
applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au
centre.) Si les institutions démocratiques étaient attaquées, nous en
assurerions le respect inviolable avec une vigueur proportionnée aux
menaces ou aux résistances. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes
bancs. – Interruptions à droite.)
[…]
M. le Président du Conseil. Je sais très bien que, pour nos amis radicaux,
le but n’est pas la transformation du régime social actuel, je sais très bien
que c’est à l’intérieur de ce régime et sans penser à en briser jamais les
cadres qu’ils cherchent à amender et à améliorer progressivement la
condition humaine.
En un sens, ce qui est pour nous un moyen est pour eux un but, ce qui est
pour nous une étape est pour eux un terme, mais cela n’empêche pas que
nous n’ayons un bout de chemin et peut-être un long bout de chemin à
parcourir ensemble ! (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.
– Interruptions à droite.)
M. Pierre Dignac. Vous les essoufflerez ! (Sourires.)
M. le Président du Conseil. Vous êtes, messieurs, des esprits vétilleux et
rigoureux que cette alliance a l’air de choquer. (Dénégations à droite.)
Si elle vous choquait – et je suis ravi qu’il n’en soit rien – je vous
rappellerais qu’elle est aussi ancienne que la République en France, je
vous rappellerais que les origines de la République en France ont été trois
fois de suite des origines populaires et révolutionnaires.
(Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Je vous rappellerais que, chaque fois que la République a été menacée,
elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple
républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans.
(Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche. – Interruptions à
droite.)
Cette alliance s’est manifestée sous bien des formes. Cela s’est appelé
« le soutien », cela s’est appelé « le cartel », cela s’est appelé « la
discipline républicaine », c’est-à-dire cette règle acceptée indistinctement
par les uns et par les autres et qui fait que, depuis plus de cinquante ans,
au second tour de scrutin, le Front s’est formé contre la réaction.
(Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche. – Interruptions à
droite.)
Après les élections de 1924 et surtout après celles de 1932, on a
amicalement raillé notre impuissance à constituer ensemble un
gouvernement. Eh bien ! messieurs, réjouissez-vous. Ce que vous avez
tant souhaité est fait aujourd’hui. (Applaudissements à l’extrême gauche
et à gauche. – Exclamations à droite.)
[…]
M. Le président du Conseil. Nous sommes des socialistes, mais le pays
n’a pas donné la majorité au parti socialiste. Il n’a même pas donné la
majorité à l’ensemble des partis prolétariens. Il a donné la majorité au
Front populaire.
Nous sommes un Gouvernement de Front populaire, et non pas un
Gouvernement socialiste. Notre but n’est pas de transformer le régime
social, ce n’est même pas d’appliquer le programme spécifique du parti
socialiste, c’est d’exécuter le programme du Front populaire.
(Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Je dis cela aussi clairement et aussi nettement devant vous que je l’ai dit
devant le congrès de notre propre parti.
Nous sommes au pouvoir en vertu du pacte constitutionnel et des
institutions légales. Nous n’en abuserons pas.
Nous restons fidèles à l’engagement que nous contractons en entrant dans
le Gouvernement et en demandant aux chambres leur confiance.
Nous demandons que personne ne songe à en abuser conre nous.
Nous demandons qu’on n’abuse pas de ce pacte constitutionnel et de ces
garanties légales que nous acceptons, qui restent notre loi, pour refuser
aux masses populaires du pays, à la majorité du pays, les satisfactions
nécessaires et qu’il espère et qu’il attend. (Applaudissements à l’extrême
gauche et à gauche.)
8
Édouard VIII
Monarque britannique
Édouard VIII (1894-1972), qui après son abdication reçut le titre de Son Altesse Royale Duc de
Windsor, est le fils aîné de George V (1865-1936) auquel il succéda en 1936. Moins de onze mois
plus tard, il se voit contraint d’abdiquer après avoir demandé en mariage une femme divorcée, Wallis
Simpson, ce qui souleva une désapprobation générale et déclencha une crise constitutionnelle.

« Je me déleste de mon fardeau »


11 décembre 1936, Windsor (Angleterre)

Dans les années 1920 et 1930, Édouard est un Prince de Galles très populaire qui séduit par
son charme et sa décontraction. Peu respectueux de la tradition et du protocole, il entend bien
moderniser la monarchie britannique. En 1914, il déclare à la Reine Alexandra sa grand-mère,
qu’il n’épousera qu’une femme dont il est amoureux. Or si dans les années qui suivirent la
Première Guerre mondiale, on lui connaît nombre de conquêtes, aucune ne semble digne
d’épouser celui qui est appelé à monter sur le trône. En 1930, il fait la connaissance de Wallis
Simpson – une Américaine divorcée qui vient de convoler en secondes noces – dont il
s’éprend. Si la presse américaine se fait l’écho de cette romance, les journaux britanniques
n’en disent mot.
Lorsqu’Édouard monte sur le trône le 20 janvier 1936, son entourage lui enjoint d’adopter un
comportement conforme à ses nouvelles fonctions. Pensant que le peuple britannique
commence à se faire à l’idée qu’une personne divorcée puisse se remarier, Édouard projette
d’épouser Mme Simpson une fois son divorce prononcé en octobre 1936. Or pour Stanley
Baldwin qui occupait alors les fonctions de Premier ministre et les chefs de l’Église
anglicane, l’idée qu’une femme divorcée puisse devenir l’épouse et, par-delà, la reine consort
du monarque à la tête de l’Église d’Angleterre, est totalement inconcevable. Édouard se
trouve alors confronté à un dilemme : rester roi et renoncer à épouser Mme Simpson ou
abdiquer et épouser la femme qu’il aime. Il choisit la seconde option et annonce son
abdication sur les ondes radio à une nation estomaquée qui, jusqu’alors, n’a jamais eu vent de
la situation.
Si, à l’époque, Winston Churchill apporta tout son soutien à Édouard, il dira plus tard que
cette abdication était ce qui pouvait arriver de mieux à la Grande-Bretagne, le frère cadet

É
d’Édouard qui monta sur le trône sous le nom de George VI étant un monarque idéal et sa
femme, la reine Elizabeth, étant quant à elle la reine consort rêvée.

« Je peux enfin m’exprimer en mon nom propre. Je n’ai jamais voulu


cacher quoi que ce soit mais jusqu’à maintenant, la Constitution
m’interdisait de parler.
Il y a quelques heures, j’ai renoncé à mes fonctions de roi et d’empereur
et alors que mon frère le duc de York1 vient de prendre ma succession,
mes premiers mots sont pour lui prêter allégeance. Ce que je fais avec
tout mon cœur.
Vous connaissez tous les raisons qui m’ont poussé à renoncer au Trône.
Mais je veux que vous compreniez que lorsque j’ai pris cette décision, je
n’ai pas oublié le pays ou l’empire que je me suis efforcé, en tant que
Prince de Galles et plus récemment en tant que roi, de servir pendant
25 ans.
Mais vous devez me croire lorsque je vous dis que j’ai estimé impossible
d’assumer mes lourdes responsabilités et d’accomplir comme je le
voulais mes devoirs de roi sans l’aide et le soutien de la femme que
j’aime.
Je veux que vous sachiez que la décision que j’ai prise m’appartient à
moi et à moi seul. J’ai été seul juge en la matière. L’autre personne
concernée au plus haut point a tout tenté pour me convaincre de faire un
autre choix. Mais j’ai pris la décision la plus importante de toute ma vie
uniquement parce que je pense qu’au final c’est la meilleure qui soit pour
tous.
Ce qui m’a aidé à prendre cette décision c’est que je suis sûr que mon
frère, avec sa connaissance des affaires publiques de ce pays et toutes les
qualités qui sont les siennes, sera capable de me remplacer sur-le-champ,
sans que la vie et la marche de l’Empire n’aient à souffrir d’une rupture
ou n’en pâtissent d’une quelconque manière. Qui plus est, mon frère a
une chance incommensurable, que nombre d’entre vous partagent mais
qui ne m’a pas été accordée, à savoir avoir un foyer heureux avec une
épouse et des enfants.
Au cours de ces derniers jours, ô combien, difficiles, j’ai été conforté
dans mes choix par Sa Majesté, ma mère, et par ma famille. Les ministres
de la couronne, et tout particulièrement, le Premier Ministre M. Baldwin
ont toujours fait preuve du plus grand respect à mon égard. Jamais il n’y
a eu la moindre différence constitutionnelle entre moi et eux et entre moi
et le Parlement. Élevé dans la tradition constitutionnelle par mon père, je
n’aurais jamais permis que cela se produise.
Depuis que j’ai été fait Prince de Galles et, plus tard, lorsque je suis
monté sur le Trône, j’ai été traité avec la plus grande gentillesse qui soit
par toutes les classes de la population, et ce dans toutes les régions de
l’Empire où j’ai vécu ou voyagé. Et de cela, je vous suis infiniment
reconnaissant.
Je me retire maintenant des affaires publiques et je me déleste de mon
fardeau.
Il se peut qu’un certain temps s’écoule avant que je retourne dans mon
pays natal mais je continuerai toujours à me préoccuper du sort des
Britanniques et de l’Empire et si, dans le futur, je puis à un moment ou
un autre servir Sa Majesté à quelque poste que ce soit, je n’y manquerai
pas.
Nous avons maintenant un nouveau roi. Je lui souhaite et vous souhaite
de tout mon cœur à vous tous, son peuple, bonheur et prospérité. Que
Dieu vous bénisse. God Save the King. »
9
Neville Chamberlain
Homme d’État britannique
Arthur Neville Chamberlain (1869-1940) devient le Premier ministre de la Grande-Bretagne en 1937.
Pour préserver la paix et parce que le pays n’est pas préparé à entrer en guerre, Chamberlain signe en
septembre 1938, les accords de Munich avec le chancelier allemand Adolf Hitler, affirmant alors :
« notre époque connaîtra la paix ». Ayant entre-temps poursuivi le réarmement des troupes, le pays
entre en guerre en 1939. Les critiques quant à sa manière de mener le conflit couplées aux défaites
militaires des premiers mois, obligeront Chamberlain à céder sa place de Premier ministre à Winston
Churchill en 1940.

« Ce pays est maintenant en guerre avec l’Allemagne »


3 septembre 1939, discours diffusé par la radio londonienne (Angleterre)

En 1934, Adolf Hitler a signé un pacte de non-agression de dix ans avec la Pologne, ce qui ne
l’empêche pas au début de l’année 1939 de commencer à convoiter le « Couloir de Dantzig »
ou « Corridor de Dantzig », bande de terre séparant l’Allemagne de la Prusse orientale avec
pour accès à la Baltique le port de Gdánsk (Dantzig). La Pologne qui refuse de concéder ce
territoire à l’Allemagne est assurée du soutien de la France et de la Grande-Bretagne. Début
avril, Hitler met au point un plan pour envahir la Pologne et, à la fin du mois, rompt le pacte
de non-agression germano-polonais. Pendant ce temps, les accords diplomatiques entre la
Pologne, la France et l’Allemagne se confirment et donnent lieu à des alliances militaires. Le
23 août, Chamberlain adresse un ultimatum à Hitler réaffirmant que la Grande-Bretagne
soutient la Pologne même si les accords entre les deux pays ne seront signés que le 25 août.
Pendant ce temps, les nazis officialisent leur alliance avec la Russie en signant le traité de
Molotov-Ribbentrop qu’ils violeront quelques mois plus tard.
Lorsque l’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre, le peuple britannique n’a aucune
envie d’entrer en guerre mais Chamberlain ne voit pas d’alternative. Le désir de conquête
d’Hitler ne fait aucun doute et les politiques défendues par les nazis font planer un danger de
plus en plus présent sur l’Europe.
La Grande-Bretagne ainsi que la France sont contraintes de déclarer la guerre à l’Allemagne.
Dans son allocution diffusée sur les ondes radio, le Premier ministre expose à la population
britannique les raisons qui l’ont poussé à déclarer la guerre à l’Allemagne.
« Ce matin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin a adressé au
gouvernement allemand un ultimatum stipulant qu’à défaut d’être
informée au plus tard à 11 h 00 qu’il était prêt à retirer ses troupes de
Pologne, l’Angleterre serait en état de guerre avec l’Allemagne.
Je dois maintenant vous dire que nous n’avons reçu aucun engagement
du gouvernement allemand en ce sens et que, par conséquent, notre pays
est en guerre contre l’Allemagne.
Vous pouvez imaginer quel terrible choc c’est pour moi que de voir que
le long combat que j’ai mené pour parvenir à la paix a échoué. Je ne puis
croire cependant que j’aurais pu faire quelque chose de plus ou quelque
chose d’autre qui aurait eu plus de chance de réussir.
Jusqu’à la dernière minute il eut été possible de trouver un accord
pacifique et honorable pour l’Allemagne et la Pologne mais Hitler n’a
rien voulu savoir. Tout laisse à penser qu’il était déterminé à attaquer la
Pologne et même si aujourd’hui, il dit avoir fait des propositions
raisonnables qui ont été refusées par les Polonais, il n’en est rien. Aucune
proposition n’a été faite ni aux Polonais ni à nous autres Britanniques. Et
même si ces propositions ont été annoncées sur les ondes de la radio
allemande jeudi soir, Hitler, sans attendre notre réaction, a ordonné à ses
troupes de franchir la frontière entre l’Allemagne et la Pologne dès le
vendredi matin ce qui montre bien qu’il est inutile d’espérer de cet
homme qu’il renonce à recourir à la force pour atteindre ses buts.
Et seule la force pourra l’arrêter.
Aujourd’hui, la Grande-Bretagne et la France, eu égard aux engagements
qui les lient à la Pologne, prêteront assistance à ce pays qui, avec
bravoure, résiste à l’attaque pernicieuse et injustifiée lancée contre son
peuple. Nous n’avons rien à nous reprocher. Nous avons fait tout ce
qu’un pays est en mesure de faire pour instaurer la paix. Ne pouvoir
accorder aucun crédit aux paroles prononcées par le dirigeant allemand et
le fait qu’aucun peuple, qu’aucun pays puissent se sentir en sécurité est
devenu intolérable. Maintenant que nous sommes déterminés à mettre fin
à cette situation, je sais que vous ferez tous votre devoir, avec sang-froid
et courage.
Une fois ce discours terminé, un certain nombre de déclarations détaillées
seront faites au nom du gouvernement et je vous demande d’y accorder la
plus grande attention. Le gouvernement a défini un programme qui
permettra de poursuivre la tâche de la nation au cours des jours pénibles
et rudes à venir. Mais pour ce faire, nous avons besoin de votre aide soit
dans les forces armées soit comme volontaires dans l’une ou l’autre des
branches de la défense civile. Vous devrez alors assumer vos fonctions en
respectant les instructions qui vous auront été données. Il se peut que
vous ayez un rôle essentiel à jouer dans la poursuite de la guerre ou pour
assurer la survie du peuple – dans les entreprises, dans les transports,
dans les services publics, ou tout autre domaine. Vous l’aurez compris, il
est capital que vous continuiez à travailler.
Et maintenant que Dieu vous bénisse tous. Qu’Il défende le bien.
C’est contre le mal que nous allons combattre – la force brutale, la
mauvaise foi, l’injustice, l’oppression et la persécution – et je suis sûr
que le bien l’emportera. »
10
Winston Churchill
Homme d’État et historien britannique
Winston Leonard Spencer Churchill (1874-1965), aristocrate membre du Parti conservateur, occupera
plusieurs fonctions gouvernementales au cours de sa carrière notamment celles de ministre de
l’Intérieur et ministre de l’Armement. Au milieu des années 1930, il n’a de cesse que de mettre en
garde contre la menace grandissante du nazisme. En 1940, Neville Chamberlain démissionne et cède
sa place de Premier ministre à Winston Churchill qui voit en la Seconde Guerre mondiale l’une des
périodes les plus importantes de l’histoire de la Grande-Bretagne. Très vite le peuple britannique
affiche sa loyauté à l’égard de Churchill auquel les Alliés accordent toute leur confiance. Orateur
hors pair, il réussit à convaincre son auditoire que la Grande-Bretagne finira par l’emporter et ce,
même dans les moments les plus sombres.

« Nous nous battrons sur les plages »


4 juin 1940, Londres (Angleterre)

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes attaquèrent l’Europe du Nord. Depuis l’entrée en
guerre de la Grande-Bretagne et la France le 3 septembre 1939, cette attaque était prévisible
et, durant neuf mois, les chefs des troupes alliées avaient mis au point des tactiques
défensives et offensives. Très rapidement, les divisions blindées allemandes envahirent le
Luxembourg, l’est de la Belgique, les Pays-Bas puis le nord de la France. Dépassées, les
forces alliées n’eurent d’autre choix que de battre en retraite suite à la capitulation de l’armée
belge. Dans un dernier combat, les forces britanniques et françaises gagnèrent Dunkerque.
Coupées de leurs arrières, elles finirent par s’avouer vaincues après seulement deux semaines
de combat. Churchill se prépara alors à prononcer un discours à la Chambre des communes
afin d’expliquer les conséquences de la défaite.
Mais, entre le 26 mai et le 2 juin, plus de 330 000 soldats alliés furent évacués des plages
françaises, un épisode qui prendra le nom évocateur de « Miracle de Dunkerque ». Et, même
si les troupes furent contraintes d’abandonner sur place une grande partie de leurs
équipements, le fait de pouvoir regagner saines et sauves le sol britannique fit dire qu’une
catastrophe majeure avait été évitée et parvint à redonner de la joie à la population
britannique.
Dans le discours ci-après, Churchill décrit les efforts héroïques que la Royal Navy et des
centaines de bateaux de la marine marchande ont fournis pour évacuer les Alliés ainsi que le
rôle de la Royal Air Force sans laquelle cette évacuation n’aurait jamais été possible. Le
discours véhicule également un message lourd de sens et prépare son auditoire à affronter des
jours difficiles pour la Grande-Bretagne. Le combat à mener pour venir à bout de l’agression
allemande sera rude mais, Churchill en est sûr, le pays a la capacité de l’emporter. Nombreux
sont ceux, qui en écoutant ce discours, seront – à l’instar de l’orateur lui-même – émus
jusqu’aux larmes.

Il y a tout juste une semaine, lorsque j’ai demandé à la Chambre des


communes de réserver cet après-midi à une déclaration que je souhaitais
faire, j’ai craint d’avoir la lourde tâche de vous annoncer le plus grand
désastre militaire de notre longue histoire […] L’essence, le cœur et le
cerveau de l’armée britannique – sur lesquels et autour desquels nous
avons voulu bâtir et avons bâti les grandes armées britanniques au cours
des dernières années de la guerre – semblaient sur le point de périr sur le
champ de bataille ou d’être voués à une captivité ignominieuse et
famélique.
Telle était la perspective il y a une semaine. Mais un autre coup qui aurait
pu nous être fatal, est tombé sur nous […]
La capitulation de l’armée belge a contraint les Britanniques à couvrir,
dans un laps de temps particulièrement court, une bande sur le littoral de
près de 50 km de long […] Nul n’aurait pensé que les troupes alliées
puissent atteindre la côte.
L’ennemi a attaqué de tous les côtés avec une vigueur et une férocité
extrêmes, et sa force principale à savoir ses avions militaires en
surnombre, a été lancée dans la bataille ou, sinon, convergea vers
Dunkerque et ses plages. Progressant par l’est et par l’ouest, l’ennemi a
commencé à tirer avec ses canons sur les plages que seuls les navires
pouvaient approcher ou quitter. Les Allemands ont semé des mines
magnétiques dans les canaux et dans les mers. Nous avons vu déferler
des avions hostiles, parfois plus de cent par formation, et larguer des
bombes sur le seul quai épargné ainsi que sur les dunes scrutées par les
troupes en quête d’un abri.
Les sous-marins, dont un fut coulé, et les embarcations à moteur se sont
lancés dans la bataille faisant de véritables ravages. Pendant quatre ou
cinq jours, un combat sans merci fut livré. Toutes les divisions blindées
allemandes – ou ce qu’il en restait – avec, à leurs côtés, les bataillons
d’infanterie et d’artillerie, se sont lancées en vain sur l’appendice de plus
en plus étroit et de plus en plus restreint à l’intérieur duquel les armées
britanniques et françaises combattaient.
Pendant ce temps, la Royal Navy avec l’aide d’innombrables marins
marchands, s’évertuait à embarquer les troupes britanniques et alliées.
220 petits navires de guerre et 650 embarcations privées prirent part à
l’opération et manœuvrèrent le long d’une côte périlleuse, souvent dans
des conditions météorologiques défavorables, sous une pluie incessante
de bombes et de feux d’artillerie nourris. Pas même les mers, comme je
l’ai déjà dit, n’avaient été épargnées par les mines et les torpilles.
C’est dans les conditions que je viens de vous dépeindre que nos hommes
s’accordant un peu, voire aucun repos, ont des jours et des nuits durant
enchaîné les traversées dans des eaux dangereuses, emmenant avec eux
les hommes qu’ils avaient secourus. Le nombre d’hommes ramenés sur
nos terres est à la hauteur de leur dévouement et de leur courage. Les
bateaux-hôpitaux qui ont transporté des milliers de Britanniques et de
Français blessés, étaient clairement identifiés et, par conséquent, faisaient
une cible parfaite pour les bombes nazies. Mais les hommes et les
femmes à bord n’ont jamais failli à leur devoir.
Pendant ce temps, la Royal Air Force, qui avait déjà pris part au combat
dans la limite de son champ d’action depuis les bases aériennes, a utilisé
une partie des avions de combats londoniens et frappé les bombardiers
allemands et les nombreux avions de chasse qui les protégeaient. La lutte
fut longue et acharnée.
Soudain, le champ de bataille fut libre, le fracas et le tonnerre se sont un
instant – mais un instant seulement – tus.

« Le miracle de la délivrance, rendu possible grâce à la


bravoure, la persévérance, la discipline absolue, le service
indéfectible, les moyens déployés, les aptitudes de chacun, la
fidélité invincible, nous est apparu à tous comme une
évidence […] »

Nous devons toutefois nous montrer prudents et ne pas décerner à cette


délivrance les attributs d’une victoire. On ne gagne pas les guerres en
battant en retraite. Mais dans cette délivrance, il y a toutefois une victoire
qui mérite d’être soulignée […]
Ce fut une grande épreuve de force entre les troupes aéroportées
britanniques et allemandes.
Pouvez-vous concevoir un plus grand objectif pour les Allemands dans
les airs que de rendre l’évacuation à partir de ces plages impossible et de
couler tous ces bateaux réunis par milliers ? Pouvait-il y avoir un objectif
militaire plus important et plus significatif dans cette guerre que celui-
ci ? Ils ont fait leur maximum mais ils furent repoussés d’où une amère
frustration.
Nous avons fait partir l’armée ennemie et les Allemands ont payé au
quadruple pour les pertes qu’ils avaient infligées. De très grandes
formations d’avions allemands – et nous connaissons leur bravoure – se
sont détournés à plusieurs reprises pour échapper aux attaques des avions
de la Royal Air Force quatre fois moins nombreux, et se sont dispersés
dans les airs. Douze avions allemands ont été pris en chasse par deux de
nos avions. L’un des avions ennemis s’est abîmé en mer après avoir été
abattu par un avion britannique pratiquement à court de munitions. Tous
nos avions – Hurricane, Spitfire et les nouveaux Défiant – et tous nos
pilotes ont prouvé leur supériorité sur les avions et les pilotes qu’ils
avaient en face d’eux […]
Je pense que dans le monde, dans toute l’histoire de la guerre, jamais une
telle chance de s’illustrer ne fut donnée à nos jeunes soldats. Les
chevaliers de la Table ronde, les croisés, tous sont retombés dans le
passé : un passé lointain et prosaïque. Tous ces jeunes hommes qui,
chaque matin veillent sur leur terre natale et tout ce qu’elle représente
pour nous, tenant dans leurs mains ces instruments d’une puissance
colossale et fracassante [...] méritent notre gratitude, tout comme tous ces
hommes valeureux qui, de nombreuses façons et à maintes occasions,
sont et seront toujours prêts à donner leur vie pour le pays qui les a vus
naître […]
Mais revenons à l’armée. Au cours de cette longue série de batailles
impitoyables, tantôt sur un front, tantôt sur un autre, tantôt sur trois fronts
à la fois [...] nous avons déploré la perte de plus de 30 000 hommes,
morts pour les uns, blessés et disparus pour les autres. Je profite de ce
discours pour exprimer toute la compassion de la Chambre des
communes à tous ceux et toutes celles qui sont endeuillés ou qui vivent,
aujourd’hui encore, dans l’angoisse […] Laissez-moi vous dire ceci à
propos des personnes disparues : un grand nombre de blessés sont rentrés
au pays où ils sont désormais en sécurité et je voudrais ajouter que parmi
toutes les personnes qui manquent à l’appel, un grand nombre rentreront
à la maison, un jour, et d’une manière ou d’une autre […]
À ces pertes humaines qui dépassent les 30 000 hommes, nous pouvons
opposer des pertes plus importantes encore du côté de l’ennemi.
Nos pertes matérielles sont, quant à elles, considérables […] Nous avons
donné tout ce que nous avions de mieux au Corps expéditionnaire
britannique et même s’ils n’ont pas eu le nombre de chars escomptés et
certains équipements désirés, ces hommes ont constitué une bonne armée
aussi bien équipée que possible. Ils ont bénéficié des premiers fruits que
notre industrie a produits mais tout a disparu. Et tout est à reconstruire.
Combien de temps cela prendra-t-il, combien de temps nous faudra-t-il ?
Tout dépend des efforts que nous sommes prêts à fournir sur cette île.
Au cours de notre histoire, jamais un effort de cette ampleur n’a été
fourni. Partout, chacun s’adonne à sa tâche sans relâche, jour et nuit,
dimanches et jours fériés compris. Financiers et ouvriers ont mis de côté
leurs intérêts, leurs droits et leurs habitudes afin d’œuvrer dans le même
sens. L’approvisionnement en munitions a déjà fait un bond en avant. Et
il n’y a aucune raison pour que, d’ici quelques mois, nous n’ayons pas
réussi à rattraper les pertes soudaines et brutales que nous venons de
subir et ce, sans que notre programme général soit retardé.
Néanmoins […] l’armée française a été affaiblie, l’armée belge est en
déroute, un grand nombre de lignes fortifiées sur lesquelles reposaient
nos espoirs ont été détruites, nombre de sites miniers et d’usines sont
passés aux mains de l’ennemi tout comme l’ensemble des ports de la
Manche avec toutes les conséquences tragiques que cela implique et nous
devons nous attendre à ce qu’un nouveau coup s’abatte très
prochainement sur nous ou sur la France. On dit que Herr Hitler projette
d’envahir les îles britanniques […]
Pour le moment, nous avons sur cette île, des forces militaires qui n’ont
jamais été aussi puissantes non seulement au cours de cette guerre mais
également au cours de la précédente. Mais cela ne saurait perdurer. Nous
ne pouvons nous contenter de mener une guerre défensive. Nous avons
des obligations envers nos Alliés1. Nous devons reconstituer et
reconstruire le Corps expéditionnaire britannique sous les ordres de son
vaillant commandant en chef Lord Gort. Tout ceci est en bonne voie mais
en attendant que cela soit fait nous devons organiser nos défenses sur
cette île de telle sorte qu’un minimum d’hommes assurent notre sécurité
et que le plus grand nombre fournissent un effort offensif.
C’est ce à quoi nous nous employons actuellement […]
Revenons, mais cette fois d’une manière plus générale, à la question de
l’invasion. Je me rends compte qu’il n’y a jamais eu une période au cours
des longs siècles dont nous sommes si fiers, durant laquelle nous avons
pu donner à notre peuple la garantie absolue qu’il serait épargné par une
invasion ou tout au moins des raids sévères […]
Il y a toujours eu ce risque [d’invasion] et c’est ce risque qui a suscité et
trompé l’imagination de nombre de tyrans sur le continent.
On nous raconte souvent des balivernes. On nous promet que de
nouvelles méthodes seront adoptées mais quand nous voyons l’originalité
de la malveillance, l’ingéniosité de l’agression déployées par notre
ennemi, il ne nous reste qu’à nous tenir prêts à faire front à tout nouveau
stratagème et toute ruse brutale et perfide. Je pense qu’aucune idée n’est
assez farfelue pour ne pas être considérée d’un œil inquisiteur – mais
aussi, je l’espère, avec circonspection.
Nous ne devons jamais oublier de quoi sont capables les forces navales et
aériennes.
Je suis intimement convaincu que si chacun de nous fait son devoir […]
nous prouverons une fois de plus que nous sommes capables de défendre
notre île natale, de nous sortir de la tempête de la guerre et de survivre à
la menace de la tyrannie, si nécessaire pendant des années, si nécessaire
seuls. En tout cas c’est ce que nous allons essayer de faire. Car telle est la
décision du gouvernement de Sa Majesté – de chaque homme qui
constitue ce gouvernement. Car telle est la volonté du Parlement et de la
nation […]
Même si de vastes étendues en Europe et nombre d’anciens et célèbres
États sont tombés ou risquent de tomber sous l’emprise de la Gestapo2 et
toutes les autres instrumentalisations du gouvernement nazi, nous ne
faiblirons pas et ne faillirons pas à notre devoir.
Nous irons jusqu’au bout. Nous nous battrons en France, nous nous
battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec une assurance
croissante et une force grandissante dans les airs, nous défendrons notre
île et ce, quel qu’en soit le prix à payer,

« […] nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons
sur les lieux du débarquement, nous nous battrons dans les
champs et dans les rues, nous nous battrons sur les collines.
Jamais nous ne capitulerons […] »

Et même si – je n’y crois pas un seul instant – cette île ou une grande
partie de cette île était asservie et affamée, notre Empire au-delà des
mers, armé et protégé par la flotte britannique, continuera la lutte jusqu’à
ce que – selon la volonté de Dieu – le Nouveau Monde avec toute sa
force et sa puissance, vienne à la rescousse et libère l’Ancien.
11
Charles de Gaulle
Homme militaire et chef de la France libre (1940-1943)
Charles de Gaulle (1890-1970), né à Lille, est un militaire, résistant, homme d’État et écrivain
français. Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale en tant qu’officier, il est blessé et fait
prisonnier par les Allemands. Il est libéré le 11 novembre 1918, jour de l’Armistice. Il poursuit sa
carrière militaire sous la protection du maréchal Pétain. En 1935, il approuve le pacte franco-
soviétique signé par Laval et Staline. Lorsque la guerre éclate, il est colonel et prend le
commandement de la 4e DCR le 11 mai 1940. Récusant l’armistice et la constitution d’un nouveau
gouvernement sous l’égide du maréchal Pétain, il part à Londres pour exhorter les Français à résister.
Après la Libération, il devient président du Gouvernement provisoire (1944-1946) puis président de
la République (1959-1969). Il s’éteint à Colombey-les-Deux-Églises le 9 novembre 1970.

« La flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne


s’éteindra pas »
18 juin 1940

Le 17 juin 1940 à 12 heures 30, le maréchal Pétain, président du Conseil, prononce un


discours radiophonique. Il demande aux Français de cesser le combat et leur annonce qu’il va
demander la signature d’un armistice ; il annonce également qu’il assume désormais la
direction du gouvernement de la France.
Ce même jour, le général de Gaulle prend l’avion pour Londres. Churchill et lui ont décidé
qu’il s’exprimerait sur les ondes de la BBC pour réagir à la déroute française et à la demande
d’armistice du maréchal Pétain. Son discours exhorte le peuple français à poursuivre la lutte
et à résister à l’ennemi. Il prédit également que le conflit sera mondial. Le mardi 18 juin 1940,
de Gaulle lit le texte qu’il a rédigé sur les antennes de la BBC à Broadcasting House à
18 heures (heure locale). Ce texte est communiqué par la radio à la presse britannique du
lendemain et est publié par The Times le 19 juin 1940 et par le Daily Express. Il est repris par
quelques journaux français dont Le Petit Provençal, à la une de son édition marseillaise du
mercredi 19 juin 1940. Il constitue l’événement fondateur de la France Libre.
« Les Chefs qui, depuis de nombreuses années sont à la tête des armées
françaises, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport
avec l’ennemi pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique
terrestre et aérienne de l’ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique
des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la
tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener
là où ils en sont aujourd’hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La
défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que
rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus
peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule !
Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire
britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme
l’Angleterre, utiliser sans limite l’immense industrie des États-Unis.
Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays.
Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est
une guerre mondiale.
Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas
qu’il y a dans l’univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour
nos ennemis.
Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre
dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est
là.
Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et
les soldats franais, qui se trouvent en territoire britannique ou qui
viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite
les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui
se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se
mettre en rapport avec moi.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance ne doit pas s’éteindre et ne
s’éteindra pas.
Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »
12
Joseph Staline
Révolutionnaire et leader russe
Après la Révolution d’octobre (1917), Joseph Staline (1879-1953) est nommé au poste de
commissaire des Nationalités et membre du Politburo. En 1922, nommé au poste de secrétaire
général du Comité central, Staline commence à s’approprier le pouvoir. À la mort de Lénine en 1924,
il prend le contrôle du pays et entreprend de réorganiser les ressources de l’URSS avec une série de
programmes qui s’étalent sur cinq années. Staline prend des mesures afin de « discipliner » ceux qui
s’opposent à sa volonté. Entre 1932 et 1933, quelque dix millions de paysans sont exécutés ou
meurent de faim. Après avoir été tenu à l’écart de la conférence de Munich (1938), Staline signe un
pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie ce qui lui laisse un peu de temps avant que son pays
ne soit envahi par les troupes allemandes en 1941. Au terme d’une guerre d’usure, les Allemands
doivent s’avouer vaincus. Une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, Staline instaure la « guerre
froide » contre tous les pays non communistes tout en continuant à réprimer avec violence toute
opposition sur le sol national, politique connue sous le nom évocateur de Grandes Purges. Staline
décède dans de mystérieuses conditions en 1953.

« C’est une question de vie ou de mort pour l’État soviétique »


3 juin 1941, discours radiodiffusé, prononcé à Moscou (Russie)

L’URSS n’est pas préparée à faire face à l’invasion allemande de juin 1941 dont le nom de
code « Opération Barbarossa » fait référence à l’empereur du Saint-Empire romain
germanique du XIIe siècle. Bien qu’ayant signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne
en 1939 – incluant entre autres le partage, entre les deux signataires, des pays d’Europe de
l’Est –, Staline avait envisagé la possibilité d’une agression allemande toutefois, il ne
s’attendait pas à ce qu’elle fût aussi rapide.
L’Armée rouge de l’URSS est puissante avec des effectifs et un armement conséquents – d’où
un sentiment de supériorité – mais les troupes sont mal entraînées et les moyens de
communication font défaut. Qui plus est, nombre d’officiers et de stratèges expérimentés ont
été tués ou faits prisonniers durant les purges idéologiques de Staline entre 1936 et 1938.
Ceux qui ont la chance d’être encore en poste ont, quant à eux, pris le parti de dire à Staline
ce qu’il veut s’entendre dire. De leur côté, les Allemands sont de redoutables adversaires
parfaitement entraînés qui, après avoir conquis une grande partie de l’Europe, ne doutent de
rien. La Luftwaffe – bien mieux équipée que les forces aériennes soviétiques – et les Panzer
(chars d’assaut allemands) eurent tôt fait de décimer les positions soviétiques.
Le discours ci-après sera diffusé sur les ondes moins de deux semaines après l’invasion
allemande. Grâce à des phrases chocs du style « En avant vers la victoire ! » et un verbe
éloquent, Staline remonte le moral des troupes soviétiques, encourage la population civile à
entrer en lice et ravive un sentiment de haine à l’égard des envahisseurs.
Mais cela ne suffira pas à arrêter la progression rapide des forces allemandes qui, en
août 1941, atteignent les faubourgs de Leningrad et mettent en place un siège qui durera 900
jours. Les Allemands seront finalement stoppés en novembre avant d’avoir pu s’emparer de
Moscou. Un long et rude combat s’ensuivit avec, de part et d’autre, de lourdes pertes tant
parmi les militaires que les civils.

Camarades, citoyens, frères et sœurs, soldats de notre armée et de notre


flotte : mes paroles s’adressent à vous, chers amis !
L’attaque perfide de notre mère patrie par l’Allemagne hitlérienne,
commencée le 22 juin se poursuit.
En dépit de la résistance héroïque de l’Armée rouge, et bien que les
meilleures divisions et les meilleures forces aériennes de l’ennemi aient
été écrasées et aient connu une cuisante défaite sur le champ de bataille,
l’ennemi continue à avancer, propageant sur le front des forces nouvelles.
[…]
Comment expliquer que notre glorieuse Armée rouge ait pu laisser
certaines de nos villes et de nos régions aux mains des armées fascistes ?
Est-il vrai que les troupes fascistes allemandes sont invincibles, comme
ne cessent de le claironner les propagandistes fascistes ô combien
vantards ?
Bien sûr que non ! L’histoire montre qu’il n’existe pas d’armées
invincibles, qu’il n’y en a jamais eues. On disait l’armée de Napoléon
invincible or elle fut successivement battue par les armées russes,
anglaises et allemandes. L’armée du Kaiser Guillaume durant la première
guerre impérialiste passait, elle aussi, pour être invincible ce qui ne
l’empêcha pas d’être plusieurs fois vaincue par les troupes russes et
anglo-françaises avant d’être finalement écrasée par les forces anglo-
françaises. Aujourd’hui, on peut en dire tout autant de l’armée fasciste
allemande d’Hitler.
Cette armée n’avait encore jamais rencontré une véritable résistance sur
le continent européen. C’est seulement sur notre territoire qu’elle fut
confrontée à une résistance sérieuse. Et si cette résistance s’est soldée par
la défaite de meilleures divisions de l’armée fasciste allemande d’Hitler
face à l’Armée rouge, cela veut bien dire qu’elle peut être écrasée et
qu’elle le sera, comme le furent les armées de Napoléon et de Guillaume.
[…]
On peut se demander comment le gouvernement soviétique a pu accepter
de conclure un pacte de non-agression avec des hommes aussi perfides
que ces deux monstres que sont Hitler et Ribbentrop1.
En signant ce pacte, le gouvernement soviétique n’a-t-il pas commis une
erreur ? Bien sûr que non !
Un pacte de non-agression est un pacte de paix entre deux pays. Et c’est
ce type de pacte que nous a proposé de signer l’Allemagne en 1939. Le
gouvernement soviétique pouvait-il refuser une telle proposition ? Je
pense qu’aucun pays pacifique ne pouvait refuser de signer un traité de
paix avec un État voisin et ce, même si cet État a à sa tête des monstres et
des cannibales de la trempe d’Hitler et de Ribbentrop. Mais il aurait dû le
faire, bien entendu, à la seule condition que le traité de paix ne mette pas
en danger, directement ou indirectement, l’intégrité territoriale,
l’indépendance et l’honneur de l’État pacifique ce que fit, comme on le
sait, le pacte de non-agression signé entre l’Allemagne et l’URSS. […]
Qu’a gagné et qu’a perdu l’Allemagne fasciste en mettant fin de manière
perfide au pacte de non-agression et en attaquant l’URSS ? Elle a certes
permis à ses troupes d’avoir pendant une courte période, une position
avantageuse mais, sur le plan politique, elle est devenue pour le monde
entier un agresseur sanguinaire. Il ne fait aucun doute que cet avantage
militaire de courte durée n’est pour l’Allemagne qu’un facteur éphémère
alors que l’immense avantage politique qu’en a tiré l’URSS est un facteur
crucial et durable qui servira de fondement aux succès militaires
exceptionnels remportés par l’Armée rouge dans la guerre qui l’oppose à
l’Allemagne fasciste.
C’est pourquoi toute notre valeureuse Armée rouge, toute notre vaillante
flotte militaire, tous les chasseurs Falcon, tous les peuples de notre pays,
tous les meilleurs hommes et toutes les meilleures femmes d’Europe,
d’Amérique et d’Asie mais aussi tous les meilleurs hommes et toutes les
meilleures femmes d’Allemagne dénoncent les actes déloyaux des
fascistes allemands, éprouvent de la compassion pour le gouvernement
soviétique dont ils approuvent la conduite, comprennent que notre cause
est juste, que l’ennemi sera vaincu et que nous finirons par l’emporter.
[…]
L’ennemi est cruel et impitoyable.
Il cherche à s’emparer de nos terres, arrosées de la sueur de nos fronts. Il
cherche à s’emparer de notre blé et de notre pétrole, fruits de notre
labeur. Il cherche à redonner le pouvoir aux propriétaires fonciers, à
redonner vie au tsarisme, à détruire la culture et mettre fin à la destinée
nationale des Russes, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Lituaniens,
des Lettons, des Estoniens, des Ouzbeks, des Tatars, des Moldaves, des
Géorgiens, des Arméniens, des Azerbaïdjanais et autres peuples libres
d’Union soviétique, afin de les germaniser, d’en faire les esclaves des
princes et des barons allemands.
C’est une question de vie ou de mort pour l’État soviétique, de vie ou de
mort pour les peuples d’URSS.

« […] la question est de savoir si les peuples d’Union


soviétique seront libres ou réduits en esclavage »

Le peuple soviétique doit en être conscient et agir en conséquence. Les


Soviétiques doivent se mobiliser et réorganiser leur travail sur un mode
nouveau, un mode de temps de guerre sans aucune merci pour l’ennemi
[…]
Tout notre travail doit être, sans plus attendre, réorganisé en tenant
compte de la guerre. Tout doit être subordonné aux intérêts du front et à
l’anéantissement de l’ennemi. […]
Les peuples d’Union soviétique voient maintenant que le fascisme nazi
ne peut être dompté, si grandes sont sa violence, sa sauvagerie et sa haine
vis-à-vis de notre patrie qui a permis à toute la population active de
travailler en toute liberté et de prospérer. Les peuples d’Union soviétique
doivent se révolter contre l’ennemi et défendre leurs droits et leurs terres.
L’Armée rouge, la Flotte rouge et tous les citoyens d’Union soviétique
doivent défendre chaque centimètre carré du sol soviétique. Ils doivent se
battre et donner jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour nos villes et
nos villages. Ils doivent faire preuve d’audace, d’initiative et de vivacité
d’esprit, qualités inhérentes à notre peuple. […]
Dans les régions occupées par l’ennemi, des troupes de partisans, à pied
ou à cheval, doivent se former. Des groupes de résistance doivent
s’organiser pour combattre les unités ennemies, pour fomenter la guérilla
en tout lieu, faire sauter les ponts et faire exploser les routes,
endommager les lignes téléphoniques et télégraphiques, incendier les
forêts, les entrepôts et les convois. Dans les régions occupées, tout doit
être fait pour rendre la vie insupportable à l’ennemi et ses complices qui,
sans relâche, seront poursuivis et anéantis et verront leurs tentatives
échouer.
On ne peut considérer la guerre contre l’Allemagne fasciste comme une
guerre ordinaire.
Car ce n’est pas qu’une guerre entre deux ennemis, c’est aussi une grande
guerre entre le peuple soviétique tout entier et l’armée fasciste allemande.
Le but de cette guerre menée par tout un peuple qui défend sa patrie
contre les oppresseurs fascistes n’est pas seulement d’éliminer le danger
qui plane sur notre pays mais aussi de venir en aide à tous les peuples
d’Europe qui gémissent sous le joug du fascisme allemand. [….]
Camarades, nos forces sont illimitées. Et, bientôt, notre ennemi aussi
outrecuidant soit-il, le découvrira à ses dépens. Aux côtés de l’Armée
rouge, des milliers d’ouvriers, de kolkhoziens et d’intellectuels se
dressent pour combattre notre agresseur. Nous assisterons à la levée en
masse de notre peuple. Les ouvriers de Moscou et de Leningrad ont déjà
commencé à constituer une milice populaire pour venir en soutien à
l’Armée rouge. Que dans toutes les villes susceptibles d’être envahies par
l’ennemi, des milices populaires se mettent en place.
[…] Poussons tous les travailleurs à défendre jusqu’à leur dernier souffle
leur liberté, leur honneur et leur pays dans cette guerre patriotique contre
le fascisme allemand.
Afin de mobiliser rapidement toutes les forces des peuples d’URSS et
repousser l’ennemi qui, perfidement, a attaqué notre pays, un Comité
d’État à la Défense a été constitué et se voit désormais investi de toute
l’autorité de notre pays. Ce Comité a déjà pris ses fonctions et appelle
tout le peuple à rallier le parti de Lénine et de Staline, soutenir le
gouvernement soviétique et prêter inexorablement main-forte à l’Armée
rouge et à la Flotte rouge afin d’exterminer l’ennemi et s’assurer de la
victoire.
Rassemblons toutes nos forces pour soutenir notre héroïque Armée rouge
et notre glorieuse Flotte rouge ! Rassemblons toutes les forces du peuple
pour anéantir l’ennemi ! En avant vers la victoire !
13
Heinrich Himmler
Homme politique allemand et chef des polices
Heinrich Luitpold Himmler (1900-1945) rejoint le Parti nazi en 1925. En 1929, Adolf Hitler le
nomme à la tête de la Schutzstaffel. Initialement créé pour assurer la garde rapprochée d’Hitler, cet
escadron de protection, plus connu sous le sigle SS est, au fil du temps, devenu une arme puissante
du Parti nazi. Sur le territoire national et, plus tard, dans tous les pays occupés par les nazis, Himmler
étend les pouvoirs de la Gestapo acronyme de Geheime Staatspolizei (Police secrète d’État), une
organisation impitoyable qu’il utilisera pour déchaîner une terreur sans pareille parmi les opposants
politiques et la communauté juive, des mises en détention systématiques, des déportations de masse,
des tortures, des exécutions et des massacres. En juillet 1944, Himmler est nommé commandant en
chef de l’armée de terre. En avril 1945, il propose que l’Allemagne capitule face aux Alliés ce qui lui
vaut d’être immédiatement destitué par Hitler qui ordonne son arrestation. Himmler s’enfuit avant
d’être capturé par les Britanniques près de Brême. Pour ne pas être jugé pour le rôle majeur qu’il joua
dans l’extermination de plus de sept millions d’individus, il se suicide en avalant une ampoule de
cyanure.

« Je parle […] de l’extermination du peuple juif »


4 octobre 1943, Poznań (Pologne)

Cet effroyable discours fait la lumière sur le génocide programmé par les nazis. La
persécution officiellement clamée des juifs allemands – ainsi que la mise en place des camps
de concentration dans lesquels sont parqués les « ennemis de l’État » – a commencé peu après
la nomination d’Hitler au poste de chancelier en 1933. En 1934, Hitler fait éliminer ses
opposants au sein même du Parti nazi alors que les lois de Nuremberg adoptées par le
parlement en septembre 1935, privent de la citoyenneté allemande les juifs et les individus
« non-aryens ». Lors de la Nuit de Cristal (novembre 1938), les commerces juifs sont
dévastés, pillés et brûlés. Les camps de concentration deviennent des centres d’extermination
suite à la conférence de Wannsee qui s’est déroulée en janvier 1942, au cours de laquelle les
hauts responsables du Parti nazi programmèrent la destruction des juifs d’Europe ou
« solution finale de la question juive ».
Cette programmation est terrifiante tant sur le plan pratique que moral. Dans un discours de
trois heures prononcé devant un parterre d’officiers nazis en poste dans la Pologne occupée,
Himmler exige qu’aucune place ne soit laissée à la clémence et la pitié et souligne l’absolue
nécessité d’agir avec discipline et dans le plus grand secret, impliquant de ce fait les officiers
nazis dans ce crime qu’est l’Holocauste. Néanmoins, bien qu’ayant organisé cette rencontre
dans la plus grande clandestinité, Himmler voulut que ce discours soit enregistré n’hésitant
pas à plusieurs reprises à s’interrompre afin de vérifier le bon enregistrement. Les bandes
tomberont plus tard entre les mains des militaires américains et compteront parmi les preuves
des crimes de guerre nazis. Ci-après un court extrait de ce discours.

Je voudrais aborder un sujet très délicat et ce, en toute franchise. Nous


débattrons de ce sujet entre nous mais jamais nous ne devrons l’évoquer
en public pas plus que nous n’avons parlé et ne parlerons jamais de cette
journée de juin1 où nous n’avons pas hésité à faire, comme on nous
l’avait ordonné, notre devoir et à mettre dos au mur et exécuter ceux de
nos camarades qui avaient failli. Si, Dieu soit loué, nous n’en avons
jamais discuté entre nous, si nous n’en avons jamais parlé, c’est par pure
délicatesse. Chacun frémit et pourtant pour chacun il était clair qu’il
ferait exactement la même chose si cela était nécessaire et si on le lui
ordonnait.
Je vous parle, vous l’avez compris, de l’évacuation des juifs, de
l’extermination du peuple juif.
C’est une des choses dont on parle aisément. « Nous sommes en train
d’exterminer le peuple juif » vous diront tous les membres du Parti. « Il
n’y a aucune ambiguïté. L’élimination des juifs, l’extermination des juifs
fait partie de notre programme, ce n’est qu’un point parmi d’autres. »
Et c’est alors qu’on voit rappliquer 80 millions de vertueux Allemands
qui tous connaissent un brave juif. À les entendre, tous les autres juifs
sont des salauds mais leur juif à eux est un juif exceptionnel. [Des rires
fusent.] Mais aucun de ces vertueux Allemands n’a vu ce que nous avons
vu, aucun d’eux n’a enduré ce que nous avons enduré. La plupart d’entre
vous savent ce que représentent 100 corps, 500 corps, voire 1 000 corps
empilés les uns sur les autres.

« Avoir vu cela et – sauf par faiblesse humaine – l’avoir tu


nous a endurcis. C’est un épisode de gloire dont nous
n’avons jamais parlé et dont nous ne parlerons jamais »
Car nous savons à quel point il serait difficile aujourd’hui – dans les
villes, sous les bombardements, alors que nous supportons le poids de la
guerre et souffrons de privations – d’avoir des juifs jouant dans le plus
grand secret le rôle de saboteurs, d’agitateurs et d’instigateurs.
Nous serions probablement au même stade qu’en 1916-1917 si les juifs
comptaient encore parmi le peuple allemand.
Nous avons pris les richesses qu’ils possédaient et j’ai donné un ordre
formel que l’Obergruppenfürher Pohl2 a exécuté à savoir que toutes ces
richesses soient remises au Reich, à l’État. Nous n’avons rien gardé pour
nous. Ceux – ils sont peu nombreux – qui ont passé outre cet ordre seront
[jugés]3 en conséquence. Celui qui a pris ne serait-ce qu’un Mark, est un
homme mort.
Un certain nombre de SS n’ont pas respecté cet ordre. Ces hommes – ils
ne sont qu’une poignée – périront par les armes. Nous n’aurons aucune
pitié pour eux !

« Nous avons le droit moral, nous avions le devoir envers


notre peuple de faire ce que nous avons fait, de tuer ce
peuple qui nous aurait tués »

Nous n’avons, toutefois, pas le droit de nous enrichir ne serait-ce qu’en


emportant une fourrure, un Mark, une cigarette, une montre ou que sais-
je encore.
Car au final, nous ne voulons pas mourir après avoir été contaminés par
ce même bacille que nous avons exterminé.
Je refuse que la moindre pourriture soit en contact avec nous et prenne
racine en nous. Qu’elle essaie simplement et nous la détruirons. Qu’on le
dise, tous ensemble : nous avons mené à bien la tâche la plus difficile qui
nous a été confiée et ce, par amour pour notre peuple. Et nous en sommes
sortis indemnes dans notre âme, dans notre caractère.
14
Charles de Gaulle
Militaire et homme politique français
Lorsque l’armée allemande envahit la France en 1940, Charles André Joseph Marie de Gaulle (1890-
1970) est général et sous-secrétaire d’État à la guerre. Alors que la France est sur le point de signer
un armistice avec l’envahisseur, de Gaulle se réfugie en Angleterre où il fonde les Forces françaises
libres (FFL). Bien que Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt n’accordent aucun crédit à ses
actions, de Gaulle sera le catalyseur de la résistance et ce, jusqu’à la fin de la guerre. 1944 marque
son retour à Paris à la tête des Forces françaises libres. Il s’impose alors comme le premier chef du
gouvernement de l’après-guerre. Pour nombre d’hommes politiques britanniques et américains,
de Gaulle incarne l’opiniâtreté et l’individualisme gaulois. Mais si de Gaulle ne put rivaliser avec le
génie de Churchill en temps de guerre, tous reconnaissent sa supériorité et son efficacité en tant que
dirigeant national en temps de paix.

« Paris outragé ! Paris brisé !


Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! »
25 août 1944, Paris (France)

Lorsque de Gaulle fait son retour triomphal à Paris, la France est sous le contrôle des
Allemands depuis plus de quatre ans.
Après s’être enfui et avoir trouvé refuge à Londres en 1940, de Gaulle fut condamné à mort
pour trahison par le gouvernement de Vichy qui n’était ni plus ni moins que la marionnette
des nazis. Dès son arrivée sur le sol anglais, de Gaulle s’impose comme le chef des Forces
françaises libres. En 1943, il installe son quartier général en Algérie, colonie française libérée
du joug allemand.
Au cours de l’été 1944, les forces alliées débarquent en France (dans le Nord en juin et dans
le Sud en août) et repoussent l’occupant allemand. Alors que les troupes américaines se
rapprochent de la capitale, les habitants se mettent en grève et organisent des échauffourées à
l’encontre des Allemands. Les forces américaines sous le commandement du général Dwight
D. Eisenhower se montrent hésitantes, conscientes que Adolf Hitler a ordonné à ses troupes
de détruire Paris plutôt que de capituler. Craignant un massacre – et anticipant une prise de
contrôle de la capitale par les forces américaines – de Gaulle donne l’ordre aux FFL d’entrer
dans Paris. Le 24 août 1944, les Allemands rendent les armes. La capitulation allemande est
une victoire triomphale pour de Gaulle qui est rentré d’Alger notamment parce que le
président américain Franklin D. Roosevelt ne lui fait pas confiance et a, dans un premier
temps, légitimé le gouvernement de Vichy.
Le lendemain de son retour dans la capitale, de Gaulle prend la parole à l’Hôtel de Ville
devant une foule pleine d’espoir. Il annonce la libération de la ville et ravive le sentiment de
fierté nationale. Dans son discours, il exploite avec succès le patriotisme de la foule réunie,
faisant de Paris une survivante héroïque, « sanglante, mais bien résolue ».
Le 28 août, le gouvernement provisoire s’installe à Paris.

Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint


tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout
pour se libérer et qui a su le faire de ses mains ?
Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a
là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies.
Paris ! Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré !
Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées
de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière,

« de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie


France, de la France éternelle »

Eh bien ! Puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la
France rentre à Paris, chez elle.
Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par
l’immense leçon, mais plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses
droits.
Je dis d’abord de ses devoirs, et je les résumerai tous en disant que, pour
le moment, il s’agit de devoirs de guerre. L’ennemi chancelle mais il
n’est pas encore battu. Il reste sur notre sol. Il ne suffira même pas que
nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé
de chez nous pour que nous nous tenions pour satisfaits après ce qui s’est
passé. Nous voulons entrer sur son territoire comme il se doit, en
vainqueurs.
C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris à coups de
canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué
dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela
que nos braves et chères forces de l’intérieur vont s’armer d’armes
modernes. C’est pour cette revanche, cette vengeance, et cette justice que
nous continuerons de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de
la victoire totale et complète.
Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous
entendent en France savent qu’il exige l’unité nationale. Nous autres, qui
aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n’avons pas à
vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la
France. Vive la France !
15
Hô Chi Minh
Homme d’État vietnamien
Hô Chi Minh (1890-1969) fonde, en 1941, la Ligue pour l’indépendance du Vietnam ou Viêt Minh et
prend la direction des opérations militaires qui se verront couronnées de succès, dans un premier
temps contre les occupants japonais puis contre les colonisateurs français. Après avoir proclamé
l’indépendance du Vietnam en 1945, il mène lors de la guerre d’Indochine (1946-1954), une lutte
armée contre les troupes françaises qui connaîtront la défaite. Après la partition du Vietnam en 1954,
Hô Chi Minh devient le Premier ministre du Nord Vietnam, État communiste, dont il sera le président
de 1954 à 1969. Après sa réélection en 1960, Hô Chi Minh s’assure du soutien de la Chine dans le
conflit qui oppose le Nord et le Sud Vietnam. Dans les années 1960, Hô Chi Minh sera un acteur
prépondérant du conflit dans lequel entreront d’autres pays notamment les États-Unis. Malgré
l’arrivée en force des troupes américaines en soutien au Sud Vietnam (1965-1973), le front de
libération Viêt Cong (forces de guérilla alliées des communistes agissant dans le Sud Vietnam) prend
le dessus et oblige à un cessez-le-feu en 1973 soit quatre ans après le décès de Hô Chi Minh.

« Le Vietnam a le droit d’être un pays libre et indépendant »


2 septembre 1945, Hanoï (Vietnam)

La déclaration d’indépendance du Vietnam faite par Hô Chi Minh fut la conséquence directe
de la Seconde Guerre mondiale. Le Vietnam qui, avec d’autres pays, constitue l’Indochine a,
depuis 1868, toujours été considéré comme l’une des colonies françaises qui rapportent le
plus de richesses à la France. Lorsque le Japon envahit le Vietnam en 1940, la France se voit
contrainte de reconnaître l’autorité nippone, le Japon s’engageant quant à lui à respecter la
souveraineté française.
Avec le soutien des troupes américaines, la Ligue pour l’indépendance du Vietnam ou Viêt
Minh fondée par Hô Chi Minh mène une guérilla contre l’occupant japonais. En mars 1945,
craignant une invasion américaine, les Japonais évincent les dirigeants français pour mettre en
place l’empereur vietnamien Bao Dai (1913-1997) qui ne sera ni plus ni moins qu’un
dirigeant fantoche à leurs ordres. Cinq mois plus tard, le Japon capitule, Bao Dai abdique et le
Viêt Minh reprend la main sur la plus grande partie du Vietnam.
Le 2 septembre 1945, le Japon signe l’acte de capitulation qui met fin à la Seconde Guerre
mondiale. Hô Chi Minh saisit cette opportunité pour proclamer l’indépendance du Vietnam
qu’il rend publique dans un discours prononcé place Ba Dinh à Hanoï.
É
Les premiers mots de son discours sont tirés de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis
dont une copie lui a été remise par les alliés qu’il compte au sein du service des
renseignements militaires américains. Après avoir dénoncé l’asservissement économique du
Vietnam par la France, Hô Chi Minh proclame la création de la République démocratique du
Vietnam.

Tous les hommes naissent égaux. Ils sont investis par le Créateur de
certains droits inaliénables parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche
du bonheur.
Ces paroles indéfectibles furent prononcées lors de la Déclaration
d’Indépendance des États-Unis en 1776. Au sens le plus large, ces mots
signifient que tous les peuples sur Terre naissent égaux, que tous les
peuples ont le droit de vivre, d’être heureux et libres.
De même, il est écrit dans la déclaration de la Révolution française de
1791 que : tous les hommes naissent libres et égaux en droits et doivent
toujours rester libres et égaux en droits1. Ce sont là des vérités
indéniables.
Néanmoins, pendant plus de quatre-vingts ans, les impérialistes français,
bafouant leur devise Liberté, égalité, fraternité n’ont pas respecté notre
patrie et ont opprimé nos compatriotes. Ils ont agi en complète
contradiction avec les idéaux d’humanité et de justice.
Dans le domaine de la politique, ils ont privé notre peuple de toute liberté
démocratique. […]
Dans le domaine économique, ils nous ont usés jusqu’à la moelle,
réduisant notre peuple à la misère et dévastant nos terres. […]
À l’automne 1940, lorsque les fascistes japonais ont envahi l’Indochine
pour y établir de nouvelles bases en vue de mener leur combat contre les
Alliés, les impérialistes français se sont mis à genoux et leur ont livré
notre pays.
Depuis lors, notre peuple ploie sous le double joug japonais et français.
La souffrance et la détresse de notre peuple ne cessent de croître. Entre la
fin de l’année dernière et le début de cette année, de la province de
Quang Tri au nord du Vietnam, plus de deux millions de nos
compatriotes sont morts de faim.
Le 9 mars [1945], les troupes françaises ont rendu les armes face à
l’armée japonaise. Les colonisateurs français ont fui ou capitulé,
montrant ainsi que non seulement ils étaient incapables de nous
« protéger » mais également qu’en l’espace de cinq ans, ils ont par deux
fois vendu notre pays aux Japonais.
À plusieurs occasions, avant le 9 mars, la Ligue Viêt Minh a insisté pour
que les Français s’allient à elle dans sa lutte contre les Japonais. Mais au
lieu d’accepter, les colonisateurs français n’ont fait que renforcer leurs
actions terroristes à l’encontre des membres de la Ligue, et avant de fuir,
ont massacré un grand nombre de prisonniers détenus à Yên Bái et Cao
Bang.
Malgré tout cela, nos compatriotes ont toujours fait preuve de tolérance
et d’humanité à l’égard des Français. Et même après le putsch de
mars 1945, la Ligue Viêt Minh a aidé nombre de Français à passer la
frontière, à s’évader des prisons nippones et a protégé la vie et les biens
des Français.
À l’automne 1940, notre pays a en fait cessé d’être une colonie française
pour devenir une possession japonaise.
Après la capitulation des Japonais devant les Alliés, notre peuple tout
entier s’est levé pour reconquérir sa souveraineté nationale et fonder la
République démocratique du Vietnam. La vérité est que nous avons
réussi à reprendre notre indépendance aux Japonais mais pas aux
Français.
Les Français ont fui, les Japonais ont capitulé, l’empereur Bao Dai a
abdiqué. Notre peuple a brisé les chaînes qui, depuis près d’un siècle,
l’entravaient et gagné l’indépendance de notre patrie. À cette même
époque, notre peuple a renversé le régime monarchique en place depuis
des dizaines de siècles pour fonder l’actuelle république démocratique.
Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire,
représentants de tout le peuple vietnamien, déclarons qu’à partir
d’aujourd’hui nous rompons toutes les relations colonialistes avec la
France. Nous abrogeons toutes les obligations internationales que la
France a souscrites au nom du Vietnam et nous abolissons tous les droits
que les Français se sont arrogés en toute illégalité dans notre mère patrie.
Tout le peuple vietnamien, dans un même but, est déterminé à combattre
jusqu’au dernier souffle et annihiler toute tentative de reconquête de la
part des colonisateurs français. Nous sommes convaincus que les Alliés
qui, à Téhéran2 et à San Francisco3, ont reconnu les principes
d’autodétermination et d’égalité entre les nations, ne manqueront pas de
reconnaître l’indépendance du Vietnam.
Car un peuple qui, avec courage, s’est opposé à la domination française
pendant plus de quatre-vingts ans, un peuple qui a combattu aux côtés
des Alliés contre les fascistes tout au long de ces dernières années, ce
peuple doit être libre et indépendant.
Pour ces raisons,

« […] nous, membres du gouvernement provisoire de la


République démocratique du Vietnam, déclarons
solennellement au monde entier, que le Vietnam a le droit
d’être un pays libre et indépendant […] »

ce qu’il est déjà. Tout le peuple vietnamien est déterminé à mobiliser


toutes les forces physiques et mentales de chacun, à sacrifier la vie et les
biens de chacun afin de préserver son indépendance et sa liberté.
16
David Ben Gourion
Homme d’État israélien
D’origine polonaise, David Ben Gourion né David Grün (1886-1973) immigre en Palestine en 1906.
Fervent sioniste, David Ben Gourion fut à la tête du Mapaï (Parti travailliste) dès sa création en 1930.
Après la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël en 1948, il devient Premier ministre, poste
qu’il occupera jusqu’en 1953. Durant ces cinq années, il encourage l’arrivée massive de réfugiés juifs
venus d’Europe et des pays arabes. Il occupera pour la seconde fois les fonctions de Premier ministre
de 1955 à 1963. En 1970, il se retire définitivement de la scène politique et s’établit dans un kibboutz
où il passera les trois dernières années de sa vie.

« Nous honorons aujourd’hui cette Route du Courage »


12 décembre 1948, Ayalon (Israël)

Pour comprendre le sens profond de ce discours, il faut revenir plusieurs siècles en arrière.
Selon le peuple juif, Dieu promit aux Hébreux qui venaient de fuir d’Égypte, de leur donner
le pays de Canaan (ou Palestine, terre située entre le Jourdain et la Méditerranée). Après
l’Exode, les Hébreux s’imposèrent dans cette région jusqu’à l’époque romaine qui marqua la
dispersion de leur peuple. La Palestine fut ensuite conquise par les Arabes. Après la Première
Guerre mondiale, la Grande-Bretagne administra la Palestine dans le cadre d’un mandat des
Nations unies (1922-1947). C’est en Palestine que nombre de juifs se réfugièrent afin
d’échapper à la persécution des Nazis. Arabes et juifs cohabitèrent jusqu’à ce qu’un conflit
éclate suite à la revendication par les Juifs d’un foyer national, revendication rejetée par la
majorité de la population arabe.
En novembre 1947, les Nations unies adoptèrent le plan de partage de la Palestine entre un
État juif et un État arabe, chaque État comprenant des zones reliées par des routes
extraterritoriales. Les Arabes refusèrent le plan de partage et la guerre éclata. Les routes
reliant les colonies juives traversaient des zones sous le contrôle des Arabes qui, de ce fait,
pouvaient contrôler les accès.
L’objectif de l’opération Nahshon qui débuta en avril 1948 était de désenclaver la ville de
Jérusalem. Si, dans un premier temps, les Juifs l’emportèrent, la ville fut de nouveau assiégée.
Le 14 mai, David Ben Gourion proclama l’indépendance de l’État d’Israël. Le lendemain, le
mandat britannique prit fin et l’État d’Israël fut envahi par ses voisins arabes. Le 9 juin, une
voie à travers les montagnes permit de rejoindre Jérusalem et suite à plusieurs victoires
remportées par les soldats israéliens, les frontières du pays furent en grande partie sécurisées
à la fin du mois d’octobre.
Le 11 décembre, la Résolution de l’assemblée générale des Nations unies 194 proposa la
création d’une Commission de conciliation pour la Palestine. Le 12 décembre, Ben Gourion
prononça un discours exaltant honorant la voie menant à Jérusalem et célébrant la libération
de la ville par les troupes israéliennes.

« Sur la voie que nous ouvrons aujourd’hui, est posée la


couronne de notre combat pour notre patrie et notre liberté »

Sa réalisation porte l’héroïsme le plus tragique et la magnificence ultime


de ce combat mené depuis le jour où nous avons été appelés à faire face à
nos nombreux ennemis et sauver Jérusalem.
Elle porte le cœur et l’âme de la guerre d’Indépendance qui se propage
dans tout le pays depuis maintenant plus d’un an. Ce fut, c’est encore, un
combat dans la cité éternelle1 et aux alentours de la ville comme ce fut un
combat pour la route qui y mène. De la maîtrise de cette route dépend la
destinée de la ville.
Notre Troisième retour2 en Israël prit une voie opposée aux premier et
deuxième retours.
Nous sommes allés non pas de l’est vers l’ouest mais de l’Occident vers
l’est, non pas du désert vers la mer mais de la mer vers le désert. Parmi
les trois régions du territoire – les montagnes, la plaine et la vallée –, la
première que nous avons possédée fut la vallée. Ce n’est que plus tard
que nous nous sommes emparés d’une petite partie des plaines. Dans les
montagnes, nous n’avions presque rien mis à part Jérusalem qui, de
génération en génération, a attiré les Juifs.
Au cours du siècle dernier, cette fascination pour Jérusalem a fait de la
ville une métropole juive, peuplée majoritairement de Juifs dont le
nombre ne cesse d’augmenter. Mais cette attirance a également coupé
Jérusalem des principales colonies juives implantées dans les zones
rurales et urbaines, situées principalement sur la ceinture littorale et les
vallées de Jezreel et du Jourdain, au nord et au sud du lac de Tibériade.
En temps normal, la menace qui pesait sur Jérusalem passait inaperçue.
Voyager une heure pour gagner Tel-Aviv semblait anodin du moment que
la voie était sûre.
Mais rapidement le danger est apparu. Le danger s’est fait sentir dès lors
que les État arabes ont cherché à nous enclaver. Nombreuses et profondes
furent les blessures endurées par nos colonies lors de cette guerre
d’Indépendance : le supplice de Jérusalem était au septuple. Notre
ennemi savait quel coup fatal nous asséner. Il savait qu’il lui suffisait de
s’emparer et de détruire cette ville qui est la nôtre, cette ville à l’écart des
zones où étaient concentrées les forces juives et de l’encercler avec une
population arabe dense, compacte et téméraire regroupée dans des villes
et des villages d’où partaient des routes menant toutes à Jérusalem.
Les Juifs n’en avaient qu’une qui, sur pratiquement toute sa longueur,
traversait les zones arabes, montant les collines et redescendant vers la
vallée, de Abou Kabir non loin de Tel-Aviv à Lifta aux portes de
Jérusalem.
Faisant preuve d’une grande intelligence stratégique, l’ennemi a déployé
sa force dès le départ mettant tout en œuvre pour couper Jérusalem de
Tel-Aviv et de la zone des plaines et ainsi empêcher les Juifs de se rendre
à Jérusalem et ce, en dépit du mandat des Nations unies datant de
décembre 1947. Mandat qui, entre autres, garantissait la liberté de
mouvement sur la route. Or ces garanties ne furent pas tenues et, alors
que les troupes britanniques étaient en garnison en Palestine, la faim et
l’épée menaçaient la capitale juive.
L’État était encore lointain lorsque nous avons réalisé, qu’à moins de
bénéficier d’une aide extérieure pour nous frayer un chemin jusqu’à
Jérusalem et occuper suffisamment d’espace de chaque côté de ce
couloir, la ville était condamnée et toute la campagne serait perdue.
Avec l’ingérence de l’armée régulière arabe suite à la Proclamation de
l’État d’Israël3, l’ennemi a déversé toute sa colère sur Jérusalem comme
cela avait été fait à l’époque du prophète Ézéchiel : car le roi de
Babylone se tient à l’embranchement des deux chemins, pour faire des
prédictions : il secoue les flèches, il interroge les théraphim, il examine le
foie. Dans sa main droite se trouve le sort qui désigne Jérusalem : on
devra y placer des machines de guerre, commander la tuerie et pousser
des cris de guerre ; on positionnera des machines de guerre contre les
portes, on mettra en place des remblais, on construira des
retranchements4.
Le roi de Babylone5 fut rejoint par le roi des fils d’Ammon6 mais l’armée
et les champions d’Israël, ses bâtisseurs et ses ingénieurs, ses guerriers et
ses travailleurs, n’ont tenu aucun compte des projets de Babylone et
d’Ammon. Ils allèrent à droite et à gauche, ils repoussèrent les
envahisseurs et les dispersèrent. Jérusalem fut libérée et sécurisée.
Puis, dès les premiers jours d’avril, notre guerre d’Indépendance passa
soudain de la défensive à l’offensive. L’opération Nahshon, pour libérer
la route, fut lancée avec la prise des villages palestiniens de Hulda, non
loin de l’endroit où nous nous trouvons aujourd’hui, et de Deir
Mouhszin. Le conflit culmina avec la prise de Qastel le sommet fortifié à
l’ouest de Jérusalem où Abdel Kader al-Husseini7, qui fut peut-être le
seul vrai chef parmi les Arabes de Palestine, périt.
Jérusalem pouvait de nouveau respirer librement mais cela n’allait pas
durer. Des renforts affluèrent d’autres États arabes et la ville fut cernée
pour la seconde fois. L’ennemi fit pleuvoir sur la ville ses coups les plus
féroces, sans discernement, avec brutalité, nuit et jour, sans aucun répit.
Les fusils britanniques amorcés par l’artillerie britannique bombardèrent
la ville. Notre armée de réserve fut sous les ordres d’un Juif américain,
véritable héros qui mérite tous les honneurs, le colonel David Michael
Marcus8.
Hélas ! Le colonel Marcus connaîtra un bien triste sort. Alors qu’il
s’apprêtait à entrer dans Jérusalem qu’il était venu libérer, la veille de la
première trêve, il perdit la vie dans les contreforts montagneux de Judée.
C’est ici, dans la vallée d’Ayalon9, que l’armée défensive israélienne à
peine constituée, lança son premier assaut sur les lignes arabes à Latroun.
Dans le fourgon, la 7e Brigade qui venait d’être mobilisée, était
constituée principalement d’hommes arrivés quelques jours plus tôt des
camps de détention de Chypre10. L’unité dans un acte de bravoure, entra
dans le village et l’incendia avant d’être repoussée par l’artillerie lourde.
Une brigade du Palmach11, avec un courage hors du commun, renouvela
l’assaut avant de devoir elle aussi battre en retraite, non sans dommages.
La Légion arabe détenait encore la clef de Shaar HaGaï12, la porte de la
vallée, et Jérusalem était prise dans les rets.
On pourrait penser que nous avons eu le dessous à Latroun mais dans les
faits nous avons sauvé Jérusalem et ce, avant même que la première trêve
nous offre un bref moment de répit, en contraignant l’ennemi à déplacer
une grande partie de ses forces armées de la ville vers la vallée. Les tirs
d’artillerie furent plus que sporadiques et on demanda aux habitants de
tenir bon. De plus, la bataille nous donna un nouvel accès nous
permettant à partir de la côte de rejoindre Jérusalem après avoir traversé
les contreforts.
Fin mai, la 11e Brigade prit Beit Jiz13 et Beit Sousin14 alors que le
Palmach entrait dans Zar’a15, lieu de naissance de Samson16, permettant
ainsi d’aménager une voie reliant la côte à Jérusalem afin de libérer et
sauver la ville. Plus tard le tracé de la Route de Birmanie17, comme on
l’appelle, sera redéfini de manière à ce que cette voie qui devait répondre
à une situation d’urgence devienne une liaison pérenne desservant une
multitude de colonies qui finiront par s’unir pour former un pont vivant
d’hommes et de bétail entre les principales zones occupées par les Juifs
et asseoir la puissance de Jérusalem, ville éternelle.

« Alors que nous honorons aujourd’hui cette Route du


Courage, ce chemin de délivrance, souvenons-nous des
soldats et des ouvriers qui, par milliers, ont contribué à sa
construction et rendons-leur grâce […] »

les bataillons d’infanterie et les voitures blindées, l’artillerie et les


ingénieurs qui ont trouvé les moyens de la réaliser, les hommes qui ont
posé le pipeline, les hommes de Solel-Boneh18, venus de Jérusalem et de
Tel-Aviv, les vaillants chauffeurs.
Ils ont contribué à cet exploit en combattant et en construisant cette route,
et ils peuvent en être fiers car cet exploit restera gravé à tout jamais dans
les annales de Sion témoignant de la prouesse réalisée par les Juifs en
armes et au travail, laissez-passer, maintenant et pour toujours, vers la
victoire.
17
Albert Einstein
Scientifique helvético-américain d’origine allemande
Albert Einstein (1879-1955) doit sa renommée internationale à ses théories sur la relativité restreinte
(1905) et la relativité générale (1915) ainsi qu’au Prix Nobel de physique qu’il se vit décerner en
1921. Einstein compte avec Galilée et Isaac Newton, parmi les figures qui ont le plus contribué à la
compréhension de l’univers. C’est en 1930 qu’il achève ses recherches sur le sujet. Après la prise du
pouvoir par Adolf Hitler, Einstein quitte l’Allemagne et part s’installer à Princeton (États-Unis) en
1934 avant de prendre en 1940 la nationalité américaine et d’accepter un poste de professeur à
l’université de Princeton. En 1939, il adresse une lettre au Président américain Franklin Delano
Roosevelt, l’alertant sur les avancées scientifiques allemandes pouvant déboucher sur la fabrication
de la bombe atomique et la nécessité pour l’Administration américaine d’encourager les recherches
en ce sens. Après la Seconde Guerre mondiale, Einstein réclamera à cor et à cri un contrôle
international des armes atomiques.

« La sécurité par le biais de l’armement national est […] une


désolante utopie »
19 février 1950, discours télédiffusé, prononcé àPrinceton (État du New Jersey)

Entre 1941 et 1962, Eleanor Roosevelt anime de nombreuses émissions de radio et de


télévision dont une qui permit à Albert Einstein alors âgé de 71 ans, de s’exprimer sur la
question de la sécurité nucléaire.
En août 1939, Albert Einstein a adressé au président des États-Unis, le défunt mari de
Mme Roosevelt, une lettre qui allait faire date. « Certains travaux, explique-t-il alors, réalisés
par des chercheurs en France et en Amérique, ont montré qu’il est possible de déclencher des
réactions en chaîne avec de grandes quantités d’uranium. Grâce à elle, une grande quantité
d’énergie […] pourrait être produite. » Et Einstein de poursuivre : « Ce nouveau phénomène
pourrait permettre la fabrication de bombes. » Dans son courrier, Einstein recommande à
l’Administration américaine d’avoir un contact permanent avec l’équipe de physiciens
travaillant sur les réactions en chaîne aux États-Unis et de débloquer des fonds afin de
financer ses recherches tout en insistant sur l’imminence de la mise au point de la bombe
atomique par les scientifiques allemands.
La lettre eut l’effet escompté puisque le président Roosevelt alloua aux chercheurs un budget
pour financer un programme de recherches – nom de code Projet Manhattan – qui allait
permettre de fabriquer les bombes qui seront larguées sur le Japon en août 1945. Un
événement qui consterna Einstein et lui vaudra ces mots : « Je pourrais me brûler les doigts
d’avoir écrit cette lettre à Roosevelt. » Einstein militera durant les dix années qui suivront
pour un contrôle international des armes nucléaires.
Même si Einstein fut un chercheur reconnu par tous et apprécié pour son côté espiègle, ses
valeurs pacifiques et socialistes – ces dernières seront dévoilées dans un essai datant de
1949 – lui vaudront de faire l’objet d’une enquête menée par le Federal Bureau of
Investigations (FBI), ce qui n’empêcha pas Mme Roosevelt, connue pour ses idées libérales,
de lui donner la parole.

« Je vous remercie de me donner l’opportunité d’exprimer mes


convictions sur cette question politique de la plus grande importance.
L’idée d’assurer la sécurité d’un pays par le biais de l’armement national
est, dans l’état actuel des techniques militaires, une désolante utopie.
Pour ce qui est des États-Unis, cette utopie a été nourrie par le fait que ce
pays a réussi à produire la première bombe atomique.
Tout portait à croire que le pays aurait, de ce fait, une réelle supériorité
militaire.
Tout opposant éventuel serait alors intimidé et la sécurité, cette sécurité
que nous espérons tous si ardemment, nous serait offerte à nous ainsi
qu’à toute l’humanité. Le précepte qui fut le nôtre tout au long de ces
cinq dernières années peut être résumé par ces mots : “la sécurité par le
biais d’une puissance militaire supérieure et ce quel qu’en soit le prix.”
Cette attitude mécanique, technico-militaire a eu des conséquences
inévitables. Toutes les questions ayant trait à la politique extérieure ne
sont abordées que sous un seul angle : comment devons nous agir afin
d’asseoir notre supériorité sur l’adversaire en cas de guerre ? En
installant des bases militaires sur tous les points du globe ayant une
importance stratégique. En armant et en apportant notre soutien
économique à nos alliés potentiels.
Et pour ce qui est de la politique intérieure, en concentrant
l’extraordinaire puissance financière entre les mains des militaires, en
enrôlant la jeunesse, en veillant scrupuleusement à la loyauté des
citoyens – en particulier celle des fonctionnaires – surveillance exercée
par les forces de police chaque jour de plus en plus puissantes. En
intimidant les personnes avec des convictions politiques différentes1. En
utilisant la radio, la presse et l’école pour endoctriner la population. En
limitant les informations livrées à la population sous le couvert du secret
militaire.
La course à l’armement entre les États-Unis et l’URSS, supposée à
l’origine être pour ces deux pays une mesure préventive, tient de
l’hystérie.

« Des deux côtés, les moyens en vue d’une destruction


massive ont été perfectionnés avec une hâte fébrile et dans le
plus grand secret »

La bombe H2 a été présentée comme étant un objectif réalisable. Le


président3 a solennellement déclaré qu’il souhaitait voir s’accélérer la
mise au point de cette arme.
Si le projet est mené à bien, l’empoisonnement radioactif de l’atmosphère
et par-delà l’anéantissement de toute vie sur terre devront être considérés
comme techniquement possibles. La nature fantomatique de ce projet
réside dans son effet cascade, chaque étape étant a priori la conséquence
inévitable de l’étape précédente avec, au final, ce qui apparaît de plus en
plus clairement comme étant l’anéantissement général.
Y a-t-il un moyen de sortir de cette impasse créée par l’homme lui-
même ? Nous tous, et plus particulièrement ceux qui sont responsables
des agissements des USA et de l’URSS, devrions prendre conscience que
nous avons peut-être vaincu un ennemi venu d’ailleurs4 mais que nous
sommes incapables de nous défaire de cette mentalité créée de toutes
pièces par la guerre.
Nous ne pourrons jamais parvenir à la paix tant que chacune de nos
actions s’accompagnera d’un possible conflit en perspective. L’idée qui
devrait gouverner toute action politique devrait être celle-ci : que faisons-
nous pour rendre possible une coexistence pacifique, voire une
coopération loyale entre les nations ?
Pour y parvenir, la première chose à faire est de supprimer la peur et la
méfiance que les nations éprouvent les unes envers les autres.
Renoncer solennellement à la violence (non seulement pour ce qui est des
moyens de destruction massive) est, on s’en doute, nécessaire.
Une telle renonciation ne peut, toutefois, se produire que si au même
moment une entité supra-nationale législative et exécutive est mise en
place et se voit attribuer le pouvoir de prendre des décisions dès lors que
la sécurité d’une nation est remise en question. Le simple fait que les
nations déclarent vouloir collaborer en toute loyauté afin de créer un
“gouvernement mondial restreint” de ce type, diminuerait
considérablement l’imminence d’une guerre.
Pour finir, toute coopération pacifique entre les hommes repose
premièrement sur la confiance mutuelle et, deuxièmement, sur les
institutions telles que les tribunaux et la police. Et ce qui vaut pour les
nations vaut également pour les individus. La confiance repose sur un
compromis loyal. »
18
Jean Monnet
Le « père de l’Europe »
Jean Monnet (1888-1955), né à Cognac, est un fonctionnaire international français, promoteur de
l’atlantisme et du libre-échange. Dès 1940, il envisage un projet d’Union franco-britannique. Après
l’Armistice, il entre au service du gouvernement britannique. En 1950, il travaille sur un projet de
mise en commun du charbon et de l’acier. La Haute Autorité est créée par le traité de Paris de 1951,
instance qui préfigure la Fédération européenne. Jean Monnet est Président de la Haute Autorité de la
CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) installée à Luxembourg, entre 1952 et
1955. Considéré comme le « père de l’Europe », il a également été l’un des principaux fondateurs de
la Communauté économique européenne (traité de Rome, 1957) et plus tard du Marché commun
européen (1968), ancêtres de l’Union européenne. En 1975, il prend sa retraite et se retire dans sa
maison d’Houjarray pour écrire ses Mémoires. Il meurt le 16 mars 1979, à 90 ans. Ses cendres sont
transférées au Panthéon le 9 novembre 1988.

« Nous ne sommes qu’au début de l’effort que l’Europe doit


accomplir pour connaître enfin l’unité, la prospérité et la paix »
10 août 1952

Le rôle de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier est de favoriser l’ouverture


des marchés et de contrôler les prix de vente pour lutter contre l’inflation. Elle participe
également à la lutte contre les cartels et surveille pour ce faire les investissements. Elle
permet aussi d’améliorer le bien-être de la classe ouvrière en lançant un programme de
construction de logements notamment pour les mineurs et de créer des emplois.
Ce discours est prononcé par Jean Monnet à l’Hôtel de Ville lors de la séance d’inauguration
de la Haute Autorité de la CECA à Luxembourg. Il est le premier président de l’institution. Il
fait état des différences entre les institutions supranationales de la CECA et celles des autres
organisations européennes. Créée en 1952 pour une durée de cinquante ans, la CECA n’existe
plus depuis le 22 juillet 2002.

Messieurs,
Je déclare ouverte la première séance de la Haute Autorité de la
Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier.
En cet instant, qui marque l’accomplissement d’une œuvre poursuivie
tenacement depuis plus de deux ans, je dois d’abord rendre hommage aux
hommes d’État de nos six pays dont la clairvoyance et la volonté l’ont
rendu possible. Je veux aussi exprimer les remerciements qui sont dus à
tous ceux qui ont contribué à l’élaboration du Traité qui constitue notre
Charte. Et surtout, au moment où l’établissement de la Communauté
transforme en une réalité vivante ce que le monde, à juste titre, appelle le
« Plan Schuman », permettez-moi d’évoquer la gratitude que l’Europe ne
cessera de témoigner au Président Robert Schuman qui, en lançant
l’appel du 9 mai 1950, a pris l’initiative et la responsabilité d’engager
notre continent dans la voie de son unité.
En procédant à l’installation de la Haute Autorité de la Communauté
Européenne du Charbon et de l’Acier, nous accomplissons un acte
solennel. Nous prenons possession de la charge qui nous a été confiée par
nos six pays.
Chacun de nous a été désigné, non par l’un ou l’autre de nos
Gouvernements, mais d’un commun accord des six Gouvernements.
Ainsi, nous sommes tous ensemble les mandataires communs de nos six
pays : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, et
chacun comprendra, j’en suis sûr, que je souligne en particulier ce grand
signe d’espoir : nous nous retrouvons ici, Français et Allemands,
membres d’une même communauté ; des intérêts vitaux de l’Allemagne et
de la France relèvent d’une Autorité qui n’est plus ni allemande ni
française, mais européenne.
Engagement solennel des membres de la Haute Autorité
En votre nom à tous, je renouvelle publiquement l’engagement que
chacun de nous a pris en acceptant sa nomination :
Nous exercerons nos fonctions en pleine indépendance dans l’intérêt
général de la Communauté.
Dans l’accomplissement de nos devoirs, nous ne solliciterons ni
n’accepterons d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucun
organisme et nous nous abstiendrons de tout acte incompatible avec le
caractère supranational de nos fonctions.
Nous prenons acte de l’engagement des États membres de respecter ce
caractère supranational et de ne pas chercher à nous influencer dans
l’exécution de nos tâches.
Caractère supranational des institutions
Pour la première fois, les relations traditionnelles entre les États sont
transformées. Selon les méthodes du passé, même lorsque les États
européens sont convaincus de la nécessité d’une action commune, même
lorsqu’ils mettent sur pied une organisation internationale, ils réservent
leur pleine souveraineté. Aussi, l’organisation internationale ne peut ni
décider, ni exécuter, mais seulement adresser des recommandations aux
États. Ces méthodes sont incapables d’éliminer nos antagonismes
nationaux qui s’accusent inévitablement tant que les souverainetés
nationales elles-mêmes ne sont pas surmontées.
Aujourd’hui au contraire, six Parlements ont décidé, après mûre
délibération et à des majorités massives, de créer la première
Communauté Européenne qui fusionne une partie des souverainetés
nationales et les soumet à l’intérêt commun.
Dans les limites de la compétence qui lui est conférée par le Traité, la
Haute Autorité a reçu des six États le mandat de prendre en toute
indépendance des décisions qui deviennent immédiatement exécutoires
dans l’ensemble de leur territoire. Elle est en relations directes avec
toutes les entreprises. Elle obtient des ressources financières, non de
contributions des États, mais de prélèvements directement établis sur les
productions dont elle a la charge.
Elle est responsable, non devant les États, mais devant une Assemblée
européenne. L’Assemblée a été élue par les Parlements nationaux ; il est
déjà prévu qu’elle pourra être élue directement par les peuples. Les
membres de l’Assemblée ne sont liés par aucun mandat national ; ils
votent librement et par tête et non par nation. Chacun d’eux ne représente
pas son pays, mais la Communauté entière. L’Assemblée contrôle notre
action. Elle a le pouvoir de nous retirer sa confiance. Elle est la première
Assemblée européenne dotée de pouvoirs souverains. Les actes de la
Haute Autorité sont susceptibles de recours en justice. Ce n’est pas
devant des tribunaux nationaux que de tels recours seront portés, mais
devant un tribunal européen, la Cour de Justice.
Toutes ces institutions pourront être modifiées et améliorées à
l’expérience. Ce qui ne sera pas remis en question, c’est qu’elles sont des
institutions supranationales et, disons le mot, fédérales. Ce sont des
institutions qui, dans la limite de leur compétence, sont souveraines,
c’est-à-dire dotées du droit de décider et d’exécuter.
Le charbon et l’acier ne sont toutefois qu’une partie de la vie
économique. C’est pourquoi une liaison constante doit être assurée entre
la Haute Autorité et les Gouvernements qui demeurent responsables de la
politique économique d’ensemble de leurs États. Le Conseil des
Ministres a été créé, non pour exercer un contrôle ou une tutelle, mais
pour établir cette liaison et assurer l’harmonie entre la politique de la
Haute Autorité et celle des États membres.
Création du Marché unique européen du Charbon et de l’Acier
La tâche qui nous est confiée par le Traité est lourde. Nous devons établir
et maintenir un marché unique du charbon et de l’acier sur tout le
territoire de la Communauté. Dans quelques mois, toutes les entraves
douanières, toutes les restrictions quantitatives, toutes les discriminations
seront éliminées. Le charbon et l’acier ne connaîtront plus de frontières à
l’intérieur de la Communauté ; ils seront à la disposition de tout acheteur
dans les mêmes conditions.
Le Traité, qui est la première loi anti-trust de l’Europe, nous donne
mandat de dissoudre les cartels, d’interdire les pratiques restrictives,
d’empêcher toute concentration excessive de pouvoirs économiques.
Ainsi, dans un régime de saine concurrence, la production du charbon et
de l’acier sera véritablement au service des consommateurs.
Le Traité nous prescrit d’intervenir, s’il est nécessaire, pour atténuer les
effets des fluctuations économiques, pour faciliter le développement et la
modernisation de ces industries. Dans le grand effort de développement
économique qui va être poursuivi, nous aurons particulièrement à l’esprit
la préoccupation de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et
de travail de la main-d’œuvre, permettant leur égalisation dans le
progrès.
Que signifiera dans la vie quotidienne des citoyens de nos six pays ce
marché unique du charbon et de l’acier pour 155 millions de
consommateurs ? On dira sans doute que peu d’entre eux achètent du
charbon et de l’acier en quantité importante. Mais le charbon et l’acier
interviennent dans la fabrication de tout ce dont l’homme moderne a
besoin : le gaz, l’électricité, les outils, les machines, les automobiles. Par
la charrue et le tracteur, par l’équipement textile ou la machine à coudre,
par l’armature du béton, par l’échafaudage ou la charpente métallique, ils
ont leur part essentielle jusque dans nos maisons, nos vêtements, et notre
nourriture. Le charbon et l’acier plus abondants, de meilleure qualité, à
un prix plus bas, c’est la possibilité pour chacun d’acheter davantage, et
pour chaque famille d’obtenir un niveau de vie plus élevé. C’est
l’ampleur et la liberté du marché unique qui permettront de développer
une production de masse, seul moyen d’obtenir la diminution des prix de
revient, le développement des débouchés et l’expansion de la production.
Mais ce marché unique qui englobe les territoires de nos six pays a
encore une autre signification. Comment ne pas être frappé, en
considérant les activités soumises à la Communauté, par cette
extraordinaire concentration de fer et de charbon, par la densité de ces
ressources minières et de ces installations industrielles qui, dans un
espace aussi limité, constituent sans doute un ensemble unique au monde.
Voyez comme le bassin du nord de la France se prolonge vers la
Belgique, comme les charbonnages belges se raccordent aux
charbonnages d’Aix et de la Ruhr, regardez la Campine partagée entre la
Belgique et les Pays-Bas, et ce même charbon réparti entre la Sarre et la
Lorraine, ce même minerai de fer entre la Lorraine et le Luxembourg !
Ces ressources dont la nature a fait l’actif industriel essentiel de l’Europe,
ont été l’enjeu des luttes entre États et des entreprises de domination. En
effaçant les divisions que les hommes ont arbitrairement introduites, il
s’agit aujourd’hui de recréer ce bassin naturel dont ils ont morcelé l’unité
et limité le développement.

« […] nous remplirons le mandat qui nous est confié avec


détermination et prudence »

Pour atteindre ces objectifs, le Traité et la Convention ont prévu des


étapes. Pleinement conscients des adaptations nécessaires, nous
remplirons le mandat qui nous est confié avec détermination et prudence.
Coopération de la Haute Autorité avec les gouvernements, les
producteurs, les travailleurs et les consommateurs
Il ne nous appartient pas de diriger la production du charbon et de l’acier,
c’est là le rôle des entreprises. Notre tâche est d’établir et de maintenir
les conditions dans lesquelles la production se développera au mieux de
l’avantage commun. Nous allons immédiatement établir les liaisons avec
les Gouvernements, avec les producteurs, avec les travailleurs, avec les
utilisateurs et les négociants, avec les associations qu’ils ont constituées.
Nous placerons ainsi, dès le début, le fonctionnement de la Communauté
sur une base de consultation constante. Nous établirons entre tous une
vue commune et une connaissance mutuelle. Ainsi se dégagera une
connaissance d’ensemble de la situation de la Communauté et des
problèmes qu’elle comporte ; ainsi pourra être préparée la forme concrète
des mesures qui devront être prises pour y faire face. Nous soumettrons
le bilan ainsi dressé à l’Assemblée Commune au cours de la deuxième
réunion qu’elle doit tenir dans 5 mois. Dans les toutes prochaines
semaines, nous réunirons le Comité Consultatif, composé de chefs
d’entreprise, de travailleurs, d’utilisateurs et de négociants.
Dans tous les cas prévus par le Traité, nous soumettrons nos décisions à
l’épreuve de la discussion et nous en rendrons publics les motifs.
Rapports internationaux de la Communauté
La prospérité de notre Communauté Européenne est indissolublement
liée au développement des échanges internationaux. Notre Communauté
contribuera à régler les problèmes d’échanges qui se posent dans le
monde.
Nous sommes déterminés à rechercher sans délai, dans des conversations
directes, les moyens de mettre en œuvre l’intention déclarée du
Gouvernement britannique d’établir l’association la plus étroite avec la
Communauté.
Nous sommes convaincus que, dans l’exécution du mandat qui nous a été
confié par les Parlements de nos six pays, nous pouvons envisager une
collaboration étroite et fructueuse avec les États-Unis qui, depuis la
proposition faite par M. Schuman le 9 mai 1950, nous ont donné des
preuves répétées de leur sympathie active.
Nous assurerons toutes liaisons utiles avec les Nations unies et
l’organisation européenne de coopération économique. Nous
développerons avec le Conseil de l’Europe toutes les formes de
collaboration et d’assistance mutuelle prévues par le Traité.
Nous ne sommes qu’au début de l’effort que l’Europe doit accomplir
pour connaître enfin l’unité, la prospérité et la paix.
Les obligations qui nous sont assignées nous imposent de nous mettre au
travail sans délai. Nous avons à la fois des responsabilités immédiates et
celles de préparer des transformations si importantes qu’aucun temps ne
doit être perdu pour les mettre en œuvre.
La construction de l’Europe ne tolère plus de retard.
19
L’abbé Pierre
Homme d’Église fondateur du mouvement Emmaüs
Henri Grouès, dit l’abbé Pierre (1912-2007) est un prêtre catholique français. Il a été résistant
pendant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir député de Meurthe-et-Moselle entre 1945 et
1951. Il est surtout connu du grand public pour avoir créé le mouvement Emmaüs dès 1949. Emmaüs
est une organisation laïque qui existe encore aujourd’hui et s’est implantée dans une trentaine de pays
de par le monde. Il meurt le 22 janvier 2007 à l’âge de 94 ans.

« Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse :


l’âme commune de la France »
1er février 1954, discours radiodiffusé, Radio-Luxembourg

Ce discours de l’abbé Pierre est plutôt un appel. Un appel au secours qu’il lance sur les ondes
de Radio-Luxembourg (future RTL) et qui fera de lui une personnalité incontournable de la
société française. Il est vrai que cet hiver 1954 a été particulièrement rigoureux. L’abbé Pierre
alerte la population française sur le fait que les sans-abri meurent gelés dans les rues de Paris.
Son appel très émouvant sera entendu par les auditeurs qui enverront des dons à hauteur de
500 millions de francs, somme considérable pour l’époque et totalement inattendue. Des dons
en nature seront également envoyés de partout. N’en restant pas là, l’abbé Pierre propose au
Sénat un projet de cités d’urgence pour les sans-abri. Son cri d’alarme est devenu si célèbre
qu’il a donné lieu à un long-métrage (Hiver 54, l’abbé Pierre, 1989).

« Mes amis, au secours… »

Mes amis, au secours…


Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du
boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on
l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous
le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les
cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi ! En trois heures, deux premiers centres de dépannage
viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la
Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il
faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de
France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous
une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille,
soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces
simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange,
reprends espoir, ici on t’aime. »
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que
ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule
opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que
cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela.
Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme
commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux
sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : 5 000
couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de La Boétie ! Rendez-vous
des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures,
devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur
l’asphalte ou sur les quais de Paris.
20
Nikita Khrouchtchev
Homme politique russe
Après avoir été berger puis apprenti ajusteur, Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev (1894-1971) rejoint
le parti bolchevique en 1918. Rapidement, il grimpe les échelons de l’organisation et accède au plus
haut poste du parti. À la mort de Joseph Staline en 1953, il est élu au poste de Premier secrétaire du
Parti par les membres du Comité central. Parmi les événements qui marquèrent sa gouvernance, le
soulèvement de Poznán (juin 1956) qu’il réprima, l’insurrection de Budapest (octobre-
novembre 1956) qu’il écrasa et les missiles installés à Cuba qu’il retira (1962). Khrouchtchev fit
beaucoup afin d’asseoir les ambitions et affirmer le statut de l’URSS à l’étranger ce qui n’empêcha
pas sa destitution en 1964.

« Le culte de l’individu et ses conséquences préjudiciables »


25 février 1956, Moscou (Russie)

Tard dans la nuit, devant une assemblée réunie à huis clos pour la première fois depuis la mort
de Staline (1953) lors du XXe congrès du Parti communiste, Khrouchtchev dénonce la
politique et la personnalité de son prédécesseur.
Au cours de l’année précédente, la commission Chvernik dirigée par Nikolaï Chvernik, chef
nominal de l’État sous Staline, a été mise en place, avec comme mission d’enquêter sur la
répression organisée du temps de Staline notamment la Grande Purge de 1937-1938 qui se
solda par l’arrestation de pas moins d’1,5 million de membres du Parti. Nombreux furent
torturés et quelque 680 000 furent exécutés.
Si les rapports n’ont pas été rendus publics, Khrouchtchev s’inspire largement des
conclusions pour bâtir son discours se polarisant notamment sur les points suivants : le non-
respect des principes marxistes-léninistes par Staline, sa confiance absolue en un état policier
aux pratiques terrifiantes et sa vanité. Le « culte de la personnalité » deviendra un
euphémisme utilisé pour parler des crimes commis sous les ordres de Staline.
Le discours prononcé à huis clos dont sont tirés les extraits les plus emblématiques ci-après,
dura plus de trois heures. Le discours ne sera pas gardé secret et rapidement les pays du bloc
de l’Est en prendront connaissance, ouvrant la voie de la réconciliation avec Josip Tito, plus
communément appelé, Maréchal Tito et les communistes de Yougoslavie.
Puis ce fut au tour des pays occidentaux de découvrir la teneur du discours –
vraisemblablement avec l’accord tacite des autorités soviétiques –, notamment grâce à une
publication dans un journal américain quelques mois plus tard. Il faudra, toutefois, attendre
1989 pour que le discours soit officiellement publié en Russie. Les relations des pays de
l’ouest avec Khrouchtchev furent souvent tourmentées mais le discours est maintenant perçu
comme un tournant dans la libéralisation de l’Europe de l’Est.

« Camarades ! […] beaucoup de choses ont été dites sur le culte de


l’individu et sur ses conséquences préjudiciables.
Après la mort de Staline, le Comité central a commencé à mettre en place
une politique afin d’expliquer d’une manière concise et précise qu’il est
inacceptable et étranger à l’esprit du marxisme-léninisme1 d’élever un
individu au-dessus des autres, de le transformer en un surhomme doté de
qualités surnaturelles semblables à celles que l’on attribue d’ordinaire à
un dieu. Un tel homme est supposé tout savoir, tout voir, penser pour tout
le monde, être capable de tout faire et ne jamais se tromper.
Cette croyance à l’égard d’un homme, et plus précisément à l’égard de
Staline, s’est imposée à nous des années durant. […]
Toutes les conséquences pratiques résultant du culte de l’individu n’ont
pas encore été identifiées mais, face au danger découlant de la violation
du principe de la direction collective du Parti et de l’accumulation d’un
pouvoir immense et sans limites entre les mains d’une seule personne, le
Comité central considère qu’il est indispensable de remettre en question
ce dossier lors du XXe congrès du Parti communiste de l’Union
soviétique […]
Ayant peur pour le devenir du Parti et de la nation soviétique, Vladimir
Ilitch Lénine a parfaitement campé le personnage de Staline. Il a souligné
qu’il était nécessaire d’envisager de déchoir Staline de son poste de
secrétaire général du fait de sa grossièreté extrême, de son attitude
déplacée envers ses camarades mais aussi de ses caprices et de la manière
dont il abusait de son pouvoir […]
Staline a agi non pas en faisant preuve de persuation, en expliquant et en
coopérant patiemment avec le peuple mais en lui imposant ses idées et en
exigeant qu’il se conforme totalement à ses opinions. Celui qui osait
s’opposer à ses idées, qui essayait d’imposer son point de vue ou de
prouver qu’il avait raison était exclu de l’équipe dirigeante et annihilé
tant moralement que physiquement […]
C’est à Staline que l’on doit le concept d’« ennemi du peuple ». Il
suffisait d’utiliser cette appellation pour ne plus avoir à prouver les
erreurs idéologiques d’un homme ou d’un groupe d’hommes auquel il
était opposé, pour avoir recours à la plus cruelle des répressions et violer
toutes les normes imposées par la légalité révolutionnaire face à
quiconque était ou semblait être en désaccord avec Staline ou jouissait
d’une mauvaise réputation. Le concept d’« ennemi du peuple » élimine
littéralement toute possibilité de combat idéologique, voire d’expression
de son point de vue sur telle ou telle question […]. Dans l’ensemble, la
seule preuve de culpabilité réellement utilisée contre toutes les normes de
la légalité était la « confession » de l’accusé. Comme il le sera prouvé
plus tard, nombre de « confessions » ont été obtenues suite à des
pressions physiques sur les accusés. […]
Peut-on dire que Lénine ne décida pas d’employer les moyens même les
plus sévères contre les ennemis de la Révolution lorsque cela fut
vraiment nécessaire ? Non, personne ne peut le dire. Vladimir Ilitch
exigeait une attitude intransigeante envers les ennemis de la Révolution
et de la classe laborieuse, et lorsque cela fut nécessaire, il eut recours à la
manière forte.
Souvenez-vous de la manière dont Lénine combattit les organisateurs
socialistes révolutionnaires de l’insurrection antisoviétique2, les koulaks
contre-révolutionnaires en 1918 et les autres. Souvenez-vous lorsque
Lénine employa sans hésitation les méthodes les plus extrêmes contre les
ennemis. […]
Staline réfute la méthode à laquelle Lénine a recours pour convaincre et
éduquer. Il renonce au combat idéologique au profit de la violence
administrative, de la répression de masse et de la terreur. Il agit par le
biais d’organes punitifs qui prennent de plus en plus d’ampleur et sont de
plus en plus déterminés et qui, parallèlement, violent souvent toutes les
lois de la moralité et passent outre la législation soviétique.
Le comportement arbitraire d’une personne encourage et cautionne un
comportement tout aussi arbitraire chez d’autres individus. Les
arrestations de masse, la déportation de milliers de personnes, les
exécutions sans procès et sans enquêtes préalables font que nul ne se sent
en sécurité et vit dans la terreur, voire le désespoir. […]
Camarades ! Le culte de l’individu a pris cette monstrueuse ampleur
principalement parce que Staline lui-même, en utilisant toutes les
méthodes imaginables, a su glorifier sa propre personne comme le
montrent de nombreux faits. L’un des exemples les plus flagrants de
l’autoglorification de Staline et de son manque de modestie notoire est la
publication de sa biographie en 19483.
[…] Dans les premières épreuves de cette biographie, on pouvait lire la
phrase suivante : “Staline est le Lénine d’aujourd’hui.” Cette phrase
sembla trop faible à Staline, aussi, de sa propre main, la changea-t-il en :
“Staline est le digne continuateur de l’œuvre de Lénine, ou, comme on le
dit dans notre Parti, Staline est le Lénine d’aujourd’hui.” Voyez comme
cela est bien dit, non par la nation mais par Staline lui-même. […]
Et, parlons maintenant du prix Staline4.
[Mouvements dans la salle.]

« Même les tsars n’ont pas créé de prix portant leur nom »

Staline reconnut comme étant le meilleur, un texte de l’hymne national


de l’Union soviétique qui ne dit pas un mot sur le Parti communiste mais
qui, par contre, fait un éloge sans précédent de Staline.
Dans les vers de l’hymne, toute l’activité du grand parti léniniste dans les
domaines de l’éducation, de l’administration et de l’émulation est
attribuée à Staline ce qui est, bien entendu, une évidente déviation du
marxisme-léninisme, un avilissement et une dépréciation manifestes du
rôle du Parti. Il me faut ajouter pour votre information que le Présidium
du Comité central a déjà adopté une résolution concernant la rédaction
d’un nouveau texte pour l’hymne national, qui sera le reflet du rôle du
peuple et du rôle du Parti5.
[Applaudissements forts et prolongés.]
Est-ce à l’insu de Staline que nombre des plus grandes entreprises et
villes de ce pays portent son nom ? Est-ce à son insu que des monuments
en son honneur ont été érigés dans tout le pays – « monuments
commémoratifs édifiés pour un vivant » ? […]
« Camarades ! Nous devons abolir définitivement le culte de
l’individu […] »
21
Patrice Lumumba
Homme politique congolais
Patrice Émery Lumumba (1925-1961) contribua à la création du Mouvement National Congolais
(MNC) en 1958 en réaction contre le gouvernement belge. En 1960, le Congo devient une république
indépendante et Lumumba est nommé au poste de Premier ministre. Plaidant pour un Congo uni, il
s’oppose à la sécession de la province du Katanga organisée par Moïse Tshombé. Moins de trois mois
après avoir pris le pouvoir, Lumumba est arrêté par sa propre armée, livré aux responsables
katangais, torturé et fusillé en janvier 1961. Son nom restera intimement lié au nationalisme africain
et à la lutte contre la balkanisation orchestrée par les ex-colonisateurs et leurs alliés.

« Un gouvernement honnête, loyal, fort et populaire »


23 juin 1960,
Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) (Congo)

Le discours ci-après est une lueur d’optimisme dans l’histoire tumultueuse de la politique
congolaise. Patrice Lumumba prononça cette allocution pleine d’enthousiasme devant la
Chambre congolaise, une semaine avant la déclaration officielle de l’indépendance du pays.
La prise de parole fut précédée par l’annonce des membres du Conseil des ministres,
Lumumba ayant été nommé aux postes de Premier ministre et de ministre de la Défense
nationale.
Dans ce discours, Lumumba fait l’éloge du gouvernement à la Chambre et exprime son désir
d’établir l’ordre public. Il essaie également d’asseoir la position du Congo en tant que pays
véritablement indépendant qui ne se range ni du côté des États-Unis ni du côté de l’URSS et,
par-delà, reconnaît la nécessité de bénéficier du soutien du gouvernement belge.

Monsieur le Président, chers collègues, Mesdames et Messieurs,


La crise qui semblait devoir mettre en péril l’avenir de notre jeune nation
a, fort heureusement, été solutionnée grâce à la sagesse congolaise dont
ont fait preuve tous les représentants élus, confrontés au danger. Vous
avez été les premiers à montrer à tout le monde qu’il est de notre devoir
d’œuvrer en faveur de l’union et de la solidarité. […]
Aujourd’hui, à l’heure de la victoire et de la consécration, nous sommes
toujours unis et unanimes et la nation dans son ensemble s’en réjouit.
Messieurs, le gouvernement que vous êtes sur le point d’élire est un
gouvernement honnête, loyal, fort et populaire qui représente toute la
nation, qui a été choisi par vous pour servir les intérêts de notre patrie.
Tous les membres de mon équipe et moi-même promettons
solennellement que ce gouvernement restera un gouvernement du peuple,
par le peuple et pour le peuple1.
Puisant sa force dans le soutien populaire, ce gouvernement s’efforcera
de préserver le territoire de la nation, de garder intacte son unité et de le
protéger contre toute attaque et ce, d’où qu’elle vienne.
L’immensité du territoire et sa grande diversité font que nous ne pouvons
toutefois passer outre certaines étapes. Le gouvernement a pleinement
conscience de cette situation. Nous devons être capables de modifier les
divisions administratives de l’ancien régime en ayant recours à des
moyens légaux afin que tout citoyen puisse vivre heureux avec ses
compatriotes.
Ce gouvernement s’efforcera de mettre en place un état de droit et
d’ordre publics partout dans le pays, et ce sans la moindre hésitation.
Mais pour ce faire, il lui faudra toujours respecter ces biens sacrés que
sont les droits inaliénables de l’homme et du citoyen.
Ce gouvernement considérera que le premier de ses devoirs est de guider
les masses populaires sur la voie menant à la justice sociale, au bien-être
et au progrès tout en évitant soigneusement les aventures qui pourraient
mener aux catastrophes dont nous espérons pouvoir protéger notre
peuple. Nous ne voulons rien avoir à faire avec de nouvelles formes de
dictature.
Ce gouvernement s’efforcera d’entretenir des relations amicales avec
tous les pays étrangers mais il ne succombera pas – comme il serait si
facile de le faire – à la tentation de rejoindre l’un ou l’autre des deux
blocs qui, désormais, divisent le monde. Il n’hésitera pas non plus à
embrasser une cause noble et juste sur le plan international et, plus
particulièrement, en Afrique.
Messieurs, au nom du gouvernement du Congo, au nom du peuple
congolais et aussi avec la certitude que je parle au nom de tous les
membres de ce parlement, je m’adresse maintenant plus particulièrement
à nos amis belges. Car je veux leur dire ceci : au cours des 75 dernières
années, vous avez fait un travail formidable dans ce pays et même s’il est
vrai que la critique ne vous a pas toujours épargnés, maintenant que les
actes de violence perpétrés durant les élections sont terminés, nous
devons reconnaître que vous avez mis en place les fondations
inébranlables sur lesquelles nous pourrons bâtir ensemble notre
nation. [...]
Plus que jamais, nous allons avoir besoin de l’aide des Belges et de tous
les hommes de bonne volonté. Nous ferons tout notre possible pour nous
assurer que la coopération qui se mettra en place dès demain sera
profitable à chacun de nous. Nous ferons en sorte que les Missions
religieuses puissent poursuivre leur apostolat conformément à la liberté
d’opinion et la liberté de culte garanties par notre constitution. Les
membres de l’ex-administration coloniale ont transféré leurs pouvoirs
aux Congolais mais leur conseil et leur expérience resteront pour nous la
garantie la plus sûre d’avoir un gouvernement solide.
Enfin, vous comprendrez que je souhaite conclure ce discours en
exprimant toute l’émotion qui m’envahit. Les membres du premier
gouvernement du Congo sont confrontés à une lourde tâche et ils savent
combien cette tâche est complexe. Nous nous trouvons face à face avec
un pays immense avec un potentiel extraordinaire. Nous avons à nos
côtés un peuple jeune, déterminé, intelligent et capable d’être l’égal
d’autres nations.
Nous avons le privilège d’entamer une vie nationale en même temps que
d’autres pays d’Afrique.

« Cet immense continent s’éveille et regarde devant vers un


avenir meilleur »

Le peuple congolais mènera à bien sa destinée à travers l’unité et la


solidarité.
Messieurs, que cette destinée soit ou non heureuse et digne de notre
peuple dépend de chacun de nous, de notre travail au quotidien. Je suis
fier de voir que le Congo, notre patrie, prend sa place parmi les peuples
libres.
Puis-je vous demander, mes chers frères, en ce jour solennel où le Congo
parvient à sa totale indépendance, où un gouvernement démocratique
prend le pouvoir, où la justice est mise en place, où chacun de nous peut
désormais jouir d’une totale liberté personnelle, où le soleil vient
soudainement éclairer ce pays mettant fin à cette longue obscurité
imposée par le régime colonialiste, de clamer avec moi :
Longue vie au Congo indépendant !
Longue vie au Congo uni !
Longue vie à la liberté !
22
Ernesto « Che » Guevara
Chef révolutionnaire argentin
Après avoir obtenu son diplôme de médecine à l’université de Buenos Aires en 1953, Ernesto
Guevara de la Serna, surnommé le Che (1928-1967) part à la découverte de l’Amérique du Sud. En
1955, lors de son séjour à Mexico (Mexique), il rejoint le mouvement révolutionnaire de Fidel
Castro. Entre 1956 et 1959, il joue un rôle crucial dans la révolution cubaine. Après avoir obtenu la
naturalisation cubaine en 1959, il est nommé à différents postes dans le gouvernement de Castro.
Activiste révolutionnaire, il contribuera à la guérilla dans nombre de pays y compris en Afrique. En
1965, il quitte Cuba et s’impose comme chef guérillero en Amérique du Sud. Alors qu’il fomente une
révolte en Bolivie, il est capturé par l’armée puis exécuté. Dans les années 1960, le Che est une icône
pour la jeunesse de gauche.

« Pour être un révolutionnaire, il faut commencer par faire la


révolution »
19 août 1960, La Havane (Cuba)

Les politiques répressives et les combats économiques qui marquèrent les longues années de
gouvernance de Fidel Castro ont porté atteinte au statut de héros du dirigeant cubain ce qui ne
fut pas le cas de son bras droit. En effet, Che Guevara du fait de son physique et de sa mort
prématurée (il fut exécuté à l’âge de 39 ans), est aujourd’hui encore considéré comme une
figure iconique.
Mais le Che – Che étant une interjection argentine utilisée pour interpeller une personne – est
bien plus qu’un bellâtre devenu une icône. Alors qu’il poursuit ses études de médecine,
Ernesto Guevara se passionne pour la politique, l’économie et l’idéologie marxiste, ce qui lui
vaudra de devenir, quelques années plus tard, un fin stratège guérillero. Le philosophe Jean-
Paul Sartre ira jusqu’à dire de lui : « Il fut l’être humain le plus complet de notre époque. »
Durant la révolution cubaine menée par Fidel Castro, Guevara vécut deux ans dans la Sierra
Maestra, le plus grand massif montagneux de Cuba. Il conduisit avec d’autres
révolutionnaires, une armée majoritairement constituée de paysans à la victoire et au
renversement du régime despotique du général Fulgencio Batista. Après la nomination de
Fidel Castro au poste de Premier ministre, Cuba connaît un développement socio-économique
fulgurant. Le pays fait alors alliance avec l’URSS au mépris des sanctions prises par les États-
Unis. Guevara met alors en place des réformes révolutionnaires, devient un exemple pour le
peuple cubain qui se prend d’affection pour lui.
Le discours ci-après s’adresse à des professionnels de la santé réunis lors de la Confédération
des travailleurs cubains. Guevara évoque ses racines professionnelles et établit un lien entre la
médecine et la mise en place des principes égalitaires.
Invariablement vêtu d’un treillis vert et d’un béret noir – même lorsqu’il prend la parole aux
Nations unies en 1964 –, fumant cigare sur cigare malgré un asthme sévère, le Che est décrit
comme un orateur impétueux, dont les discours sont, comme en témoignent ses
contemporains, empreints de « charisme » et de « sens moral ». Même si les relations qu’il
entretenait avec Castro s’envenimèrent au fil du temps, à Cuba le Che est, aujourd’hui encore,
considéré comme un héros national.

« Presque tout le monde sait que, il y a quelques années de cela, j’ai


commencé ma carrière comme médecin. Lorsque j’ai commencé la
médecine, lorsque j’ai commencé à étudier cette discipline, la plupart des
idées que j’ai aujourd’hui, idées révolutionnaires s’entend, ne faisaient
pas partie de mes idéaux. […]
Après l’obtention de mon diplôme […] j’ai commencé à voyager à
travers toute l’Amérique1, je suis allé dans tous les pays […]
J’ai vu de près ce qu’étaient la pauvreté, la faim, la maladie. J’ai vu ce
qu’était de ne pas pouvoir soigner un enfant faute de moyens. J’ai vu la
stupeur due à la faim et aux châtiments perpétuels. […] Et j’ai commencé
à réaliser qu’il y avait des choses qui, pour moi, comptaient presque
autant que de devenir un scientifique célèbre ou de contribuer de manière
significative à la médecine : je voulais aider les gens. […]
[…] J’ai pris conscience de quelque chose de fondamental à savoir que
pour être un médecin révolutionnaire ou tout simplement un
révolutionnaire, il faut avant tout qu’il y ait une révolution. Un
engagement individuel isolé, pour des idéaux aussi purs soient-ils, ne sert
à rien et le désir de sacrifier toute une vie à la plus noble des idées est
vain si on mène seul, de manière isolée, dans un coin de l’Amérique, son
combat contre des gouvernements hostiles et des conditions sociales
défavorables qui empêchent tout progrès.

« Pour faire une révolution, il faut avoir ce que l’on a à


Cuba – la mobilisation de tout un peuple […] »
qui apprend par l’utilisation des armes et l’exercice d’une unité militante
à comprendre la valeur des armes et la valeur de cette unité.
Et nous voilà au cœur du problème auquel nous sommes désormais
confrontés. Aujourd’hui on a enfin le droit, voire le devoir d’être, avant
tout, un médecin révolutionnaire c’est-à-dire un homme qui met la
connaissance technique liée à sa profession au service de la révolution et
du peuple. Mais des questions d’autrefois resurgissent alors : comment
mener à bien sa tâche en termes de bien-être social ? Comment faire le
lien entre l’engagement d’un individu et les besoins de la société ?
[…] À Cuba, un nouveau type d’homme est en train de voir le jour2 et si
nous avons encore du mal à le voir ici dans la capitale, on peut le trouver
n’importe où sur l’île. Ceux d’entre vous qui sont allés dans la Sierra
Maestra le 26 juillet3 ont certainement vu deux choses jusqu’alors
totalement inconnues. Premièrement, une armée avec des binettes et des
pioches, une armée dont la plus grande fierté est de défiler lors des fêtes
patriotiques dans la province d’Oriente4, des hommes brandissant des
binettes et des pioches alors que leurs camarades militaires, quant à eux,
défilent avec leurs fusils.
Mais vous avez dû voir quelque chose de plus important encore. Vous
devez dû voir des enfants qui paraissaient n’avoir guère plus de huit ou
neuf ans alors qu’en fait tous avaient treize ou quatorze ans. [...]
À Cuba, cette île minuscule, avec ses quatre ou cinq chaînes de
télévision, ses centaines de stations de radio et tous les progrès réalisés
dans le domaine des sciences modernes, lorsque ces enfants sont arrivés à
l’école de nuit et qu’ils ont vu pour la première fois les ampoules
électriques s’allumer, ils se sont exclamés : les étoiles sont très basses
cette nuit. Et ces enfants – vous avez dû en voir certains – apprennent à
lire dans les écoles collectives. Ils y apprennent un métier mais aussi la
très difficile discipline pour devenir un révolutionnaire.
Ces enfants sont les nouveaux êtres humains qui naissent aujourd’hui à
Cuba. Ils naissent dans des régions reculées de la Sierra Maestra mais
aussi dans les coopératives et les centres de travail.
Et cela nous ramène au sujet que nous abordons aujourd’hui à savoir
l’intégration du médecin traitant ou de tout autre soignant, dans le
mouvement révolutionnaire. […] Le principe sur lequel la lutte contre la
maladie doit reposer est la création d’un corps robuste. Pas un corps
robuste qui serait le fruit du travail artistique d’un médecin sur un
organisme faible mais un corps robuste qui serait le résultat du travail de
toute la collectivité sur l’ensemble de la collectivité sociale.
Un jour, la médecine devra devenir une science qui prévient les maladies,
qui guide le peuple afin qu’il s’acquitte de ses fonctions médicales, la
médecine ne devant alors intervenir que dans les cas d’urgence extrême,
pour accomplir des actes chirurgicaux et tout ce qui ne fait pas partie des
compétences du peuple de la nouvelle société que nous sommes en train
de bâtir. […]
Mais pour ce travail d’organisation, comme pour toutes les tâches
révolutionnaires, nous avons fondamentalement besoin de l’individu. [...]
Nous sommes à la fin d’une ère, et pas seulement ici à Cuba. Quoiqu’on
espère ou quoiqu’on dise le contraire, la forme de capitalisme que nous
avons connue, dans laquelle nous avons été élevés et sous laquelle nous
avons souffert, est en train d’être rejetée dans le monde entier. […] Un
changement social de cette ampleur requiert des changements radicaux
dans la structure mentale du peuple. […]
Une manière d’aller au cœur de la question médicale est non seulement
de rendre visite et de faire la connaissance des représentants des
coopératives et des centres de travail mais aussi de trouver les maladies
dont ils souffrent, d’évaluer leur souffrance et la misère chronique dans
laquelle ils sont depuis des années, et les conséquences de plusieurs
siècles de répression et de soumission totale. Le médecin et toute
personne travaillant dans le domaine médical doivent aller au cœur de
leur nouveau travail, de l’homme parmi tous les hommes, de l’homme au
sein de la collectivité.
Toujours et ce, quoi qu’il se passe dans le monde, le médecin est
extrêmement proche de son patient et il connaît les profondeurs les plus
intimes de son psychisme. Parce qu’il est celui qui s’attaque à la douleur
et l’atténue, il effectue un travail d’une valeur inestimable et a une grande
responsabilité dans notre société.
Il y a quelques mois, ici même à La Havane, plusieurs médecins
fraîchement diplômés n’ont pas voulu se rendre dans les zones rurales du
pays et ont dit qu’ils n’iraient que s’ils étaient rémunérés. Si on remonte
quelques années en arrière, la réaction de ces médecins semble tout à fait
logique, en tout cas à mon avis et je la comprends. Cette situation me
rappelle qui j’étais et ce que je pensais il y a quelques années... je revois
le gladiateur que j’étais, qui se rebellait, le combattant solitaire qui
voulait s’assurer d’un avenir meilleur, de conditions meilleures et du
besoin que les autres avaient de lui.
Mais que se serait-il passé si c’étaient des jeunes hommes moins fortunés
qui s’étaient trouvés à la place de ces garçons dont les familles ont en
général les moyens de financer les études ? […]
Ce qui se serait passé, c’est tout simplement que nous aurions vu ces
paysans courir, sans hésiter et avec un enthousiasme sans réserve, aider
leurs frères.
Ils auraient demandé à ce qu’on leur confie les missions les plus
difficiles, avec le plus de responsabilités, afin de prouver que toutes ces
années d’études dont ils avaient bénéficié n’avaient pas été vaines. Ce
qui se serait passé c’est ce qui se passera dans six ou sept ans, lorsque les
nouveaux étudiants, les enfants des ouvriers et des paysans, obtiendront
leur diplôme dans quelque discipline que ce soit. [...]
Aucun d’entre nous – aucun de ceux appartenant au premier groupe
arrivé sur le Granma1, qui se sont installés dans la Sierra Maestra et ont
appris à respecter le paysan et l’ouvrier avec lesquels ils vivaient –
n’avait des origines paysannes ou ouvrières. Naturellement ce sont eux
qui ont dû travailler, eux qui avaient connu des privations durant leur
enfance. Mais nul n’avait connu la faim, la vraie faim. Mais cette faim
nous l’avons connue nous aussi au cours des deux ans passés dans la
Sierra Maestra. Et c’est alors que certaines choses sont devenues claires
pour nous. […]

« Nous avons parfaitement compris que la vie de tout être


humain vaut un million de fois plus que tous les biens de
l’homme le plus riche de la terre »

C’est ce que nous avons appris, nous qui ne venons ni de la classe


ouvrière ni de la classe paysanne. Et allons-nous maintenant crier aux
quatre vents, nous qui faisions partie des privilégiés, que c’est quelque
chose que le reste de la population de Cuba ne peut pas également
l’entendre ?
Je vous le dis. La population peut l’entendre. Aujourd’hui la révolution
l’impose et exige que l’on comprenne bien que la fierté d’être au service
de son voisin est de loin beaucoup plus importante que d’être bien
rémunéré. Que la gratitude de tout un peuple est inébranlable et plus
pérenne que tout l’or que l’on peut amasser. Et que tous les médecins, en
exerçant leur activité, peuvent et doivent amasser ce trésor inestimable
qu’est la gratitude de toute une population. […]
Nous verrons que les maladies ne nécessitent pas toujours les traitements
qui sont prodigués dans les hôpitaux des grandes villes. Nous verrons que
le médecin doit être un agriculteur qui plante et sème de nouvelles
graines, par exemple, le désir de consommer de nouveaux aliments, de
diversifier la structure nutritionnelle cubaine qui est on ne peut plus
limitée et pauvre pour qu’elle soit l’une des plus riches du monde sur le
plan agricole et qu’elle ait un immense potentiel. La première chose que
nous aurons à faire n’est pas d’aller vers le peuple pour lui faire don de
notre sagesse.
La première chose à faire est de montrer au peuple que nous allons
apprendre avec lui et qu’ensemble nous mènerons la plus grande et la
plus belle des expériences : la construction d’un nouveau Cuba. […]
Je vous ai dit que pour être un révolutionnaire, il faut commencer par
faire la révolution. Nous avons déjà la révolution. Il ne nous reste plus
qu’à connaître le peuple avec lequel nous allons œuvrer. [...]
[…] Les nouvelles armées qui sont en train de se former pour défendre le
pays doivent être des armées qui auront chacune leur propre tactique. Le
médecin aura un rôle capital à jouer dans ces armées. Il devra continuer à
être médecin, l’un des plus beaux métiers ici et l’un des plus importants
en période de guerre. […] Face au danger, les médecins devront
immédiatement résoudre les problèmes des pauvres de Cuba. Mais les
milices nous offrent aussi l’opportunité de vivre ensemble, d’être unis et
égaux grâce à l’uniforme et ce quelle que soit notre classe sociale.
Si nous autres médecins – et permettez-moi d’utiliser une fois encore ce
titre que j’avais laissé de côté depuis bien longtemps – réussissons, si
nous utilisons cette nouvelle arme qu’est la solidarité, si nous définissons
nos objectifs, si nous identifions notre ennemi et si nous savons quel
chemin nous allons suivre, eh bien tout ce qui nous restera à faire c’est de
savoir le chemin que nous aurons à parcourir jour après jour. Et ça nul ne
peut nous le dire. C’est à chacun de le découvrir. Maintenant que nous
avons tous les éléments qui nous permettront d’avancer vers l’avenir.
Rappelons-nous les paroles de Martí : “La meilleure façon de dire est
d’agir.”
Alors marchons vers l’avenir de Cuba ! »
23
John F. Kennedy
Homme d’État américain
John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), élu démocrate à la 11e circonscription du Massachusetts, fait
son entrée à la Chambre des représentants en 1946 avant d’obtenir un siège au Sénat en 1952. En
1953, il épouse Jacqueline Bouvier (1929-1994). En 1960, après avoir remporté les élections
primaires, il devient le candidat du Parti démocrate aux élections présidentielles. Il remporte les
élections et devient à l’âge de 43 ans, le plus jeune mais aussi le premier président catholique des
États-Unis. Son programme législatif « nouvelle frontière » qui vise à étendre les droits civiques à
tous les citoyens américains et à débloquer des fonds pour l’éducation, la santé des personnes âgées
mais aussi la recherche spatiale est loin de faire l’unanimité au sein du Congrès. Kennedy doit gérer
plusieurs crises liées à la politique étrangère y compris l’invasion de Cuba sous le régime de Fidel
Castro, qui se soldera par la défaite des Américains dans la baie des Cochons (avril 1961), la
construction du mur de Berlin (août 1961) et la crise des missiles de Cuba (octobre 1962). Le
22 novembre 1963, le président Kennedy est assassiné par balles alors qu’il parcourt la ville de
Dallas (Texas) dans une voiture décapotée. Même si les contributions de son bref mandat présidentiel
furent modestes, son destin tragique permit à son successeur Lyndon B. Johnson, vice-président de
l’administration Kennedy de 1961 à 1963, de présenter les réformes sociales de la Grande société
fixant les grandes lignes de sa politique intérieure, comme étant l’héritage direct de son prédécesseur.

« Ich bin ein Berliner »


26 juin 1963, Berlin-Ouest (Allemagne de l’Ouest)

En juin 1963, le président Kennedy quitte le sol américain pour se rendre en Europe de
l’Ouest. C’est avec enthousiasme qu’il décide que le premier des cinq pays qu’il entend
visiter sera l’Allemagne de l’Ouest et plus précisément Berlin. Enclavée en Allemagne de
l’Est, la ville est divisée en deux : Berlin-Ouest et Berlin-Est – la frontière étant matérialisée
par un mur érigé en août 1961 afin d’empêcher les ouvriers qualifiés de fuir et passer en
Allemagne de l’Ouest, mettant ainsi en danger l’économie de l’Allemagne de l’Est.
Le mur est une structure en béton, avec des miradors, des postes de mitrailleuses, des mines,
haute de 3,60 m (4,50 m par endroits) et longue de 155 km.
Quelque 120 000 Berlinois viendront acclamer le président des États-Unis lors de son
discours prononcé sur les marches de l’hôtel de ville, Schöneberger Rathaus, à proximité du
mur. Si après coup, sa déclaration Ich bin ein Berliner (Je suis un Berlinois) fera railler ses
détracteurs, un Berliner étant un beignet, le discours de Kennedy ne fait absolument pas rire
la foule qui reçoit ses paroles comme un encouragement et un défi lancé aux voisins
communistes.

« Je suis fier d’être venu dans cette ville en tant qu’invité de votre
distingué maire2 qui a symbolisé dans le monde entier l’esprit combattif
de Berlin-Ouest. Je suis fier d’avoir visité la République fédérale
d’Allemagne [l’Allemagne de l’Ouest] avec votre éminent chancelier3
qui, durant de si nombreuses années, a œuvré pour la démocratie, la
liberté et le progrès en Allemagne. Je suis fier d’être ici en compagnie du
général Clay4 qui était présent dans cette ville au plus profond de la crise
et qui reviendra si jamais cela s’avère nécessaire.
Il y a 2 000 ans, les hommes s’enorgueillissaient de pouvoir dire civis
Romanus sum [Je suis un citoyen romain]. Aujourd’hui, dans le monde
de la liberté, on doit s’enorgueillir de dire Ich bin ein Berliner.
[…] Dans le monde, nombre d’individus ne comprennent pas ou
prétendent ne pas comprendre ce qui oppose le monde libre et le
communisme. Qu’ils viennent donc à Berlin. Certains disent que le
communisme est la voie de l’avenir. Qu’ils viennent à Berlin. D’autres
disent qu’en Europe et ailleurs, nous pouvons travailler avec les
communistes. Qu’ils viennent à Berlin. Il y en a même qui disent que
c’est vrai que le communisme est mauvais en soi mais qu’il nous permet
de faire progresser l’économie.
Lass’ sie nach Berlin kommen. Qu’ils viennent à Berlin.
La liberté passe par nombre de difficultés à surmonter et la démocratie
n’est pas parfaite. Mais nous n’avons jamais eu à édifier un mur pour
enfermer notre peuple – pour l’empêcher de nous quitter. Je veux dire, au
nom de mes concitoyens qui vivent à des milliers de kilomètres de l’autre
côté de l’Atlantique, à ces hommes et à ces femmes qui sont si loin de
vous, que nous sommes fiers d’avoir pu partager avec vous, malgré la
distance, l’histoire de ces dix-huit dernières années.
Je ne connais aucune ville – grande ou petite – qui, bien qu’ayant été
assiégée pendant dix-huit ans, a survécu et affiche la vitalité, la force,
l’espoir et la détermination qui caractérisent Berlin-Ouest.
Alors que le mur est la plus évidente et la plus flagrante preuve de la
défaillance du système communiste – ce que le monde entier peut voir –,
nous ne tirons aucune satisfaction de cette construction car le mur est,
comme votre maire l’a dit, une offense non seulement à l’histoire mais
aussi une offense à l’humanité, séparant des familles, divisant des maris
et des femmes, des frères et des sœurs, et divisant un peuple qui ne
demande qu’à être uni.
Ce qui est vrai pour cette ville est également vrai pour l’Allemagne :

« … une paix véritable et durable en Europe ne sera jamais


assurée tant qu’un Allemand sur quatre se verra privé de
son droit élémentaire d’homme libre, à savoir pouvoir
choisir librement »

En dix-huit ans de paix et de bonne foi, cette génération d’Allemands a


gagné le droit d’être libre, le droit de voir les familles réunies et le droit
que la nation vive en paix durablement selon la volonté de chacun. Vous
vivez sur une île où la liberté est défendue mais votre vie fait partie du
continent.
Alors permettez-moi, pour finir, de vous demander de lever les yeux et de
regarder, au-delà des dangers d’aujourd’hui, vers les espoirs de demain.
De regarder, au-delà de la liberté réservée à cette ville de Berlin ou à
votre pays, vers une liberté universelle. De regarder, au-delà du mur vers
un monde de paix et de justice. De regarder, au-delà de vous-mêmes et de
nous-mêmes, vers l’humanité tout entière.
La liberté est indivisible et, lorsqu’un homme est fait esclave, aucun
homme n’est libre. Lorsque nous serons tous libres, nous pourrons
regarder devant nous en direction de ce jour où cette ville ne fera plus
qu’une et où ce pays et ce grand continent qu’est l’Europe formeront un
tout où régneront la paix et l’espoir. Lorsque ce jour arrivera, car il finira
par arriver, le peuple de Berlin-Ouest pourra éprouver de la satisfaction à
avoir été en première ligne durant près de deux décennies.
« Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont des Berlinois »
et c’est pourquoi, en tant qu’homme libre, je suis fier de prononcer ces
mots : Ich bin ein Berliner.
24
Martin Luther King
Pasteur et défenseur des droits civiques américain
Alors que Martin Luther King, Jr (1929-1968) vient d’être nommé pasteur de l’église baptiste de
l’avenue Dexter à Montgomery dans l’État de l’Alabama, Rosa Parks (1913-2005) est arrêtée pour
avoir refusé de céder sa place dans un bus à un passager de race blanche. Ce refus catégorique
donnera lieu au boycott des bus de Montgomery (1955-1956) dont Martin Luther King, pour son
éloquence et son courage, deviendra la figure emblématique. En 1957, Martin Luther King fonde la
Conférence des chrétiens dirigeants du Sud, association militante pour la défense des droits civiques.
Brillant orateur, King donne toute son impulsion au mouvement. En 1963, il est à la tête des partisans
de la Marche vers Washington et prononce à cette occasion le discours « J’ai un rêve » qui restera à
jamais gravé dans les mémoires. Inspiré par le Mahatma Gandhi, Martin Luther King prône la non-
violence et la résistance passive. Ses actions militantes seront fondamentales et déboucheront sur le
vote de la loi sur les droits civiques (Civil Rights Act) de 1964 et de la loi sur les droits de vote
national (National Voting Rights Act) de 1965. Martin Luther King est assassiné à Memphis
(Tennessee) alors qu’il milite pour le respect des droits civiques.

« J’ai un rêve »
28 août 1963, Washington DC (États-Unis)

Ci-après l’un des discours les plus émouvants, stimulants et célèbres du XXe siècle prononcé
par Martin Luther King lors de la Marche vers Washington pour l’emploi et la liberté.
Organisée par le militant noir Philip Randolph (1889-1979), la Marche vers Washington est
née de la coopération entre les défenseurs des droits civiques dont la National Association for
the Advancement of Colored People, le Congress of Racial Equality et la Conférence des
chrétiens dirigeants du Sud fondée par Martin Luther King. Les organisateurs de la marche
espéraient, par ce moyen, que le décret sur les droits civiques de John F. Kennedy serait plus
rapidement approuvé par le Congrès.
Martin Luther King prononça le discours ci-après – discours qui fut retransmis à la télévision
et publié dans la presse – sur les marches du Lincoln Memorial devant quelque 250 000
personnes dont environ 50 000 individus de race blanche. La première moitié du discours, sur
laquelle il travailla jusqu’à 4 h 00 du matin, s’appuie sur des textes bibliques et politiques,
notamment la Proclamation d’émancipation de Lincoln et la Déclaration de l’indépendance
des États-Unis – pour revendiquer le droit à la liberté et à l’égalité des Afro-Américains. La
seconde partie, aussi incroyable que cela puisse paraître, fut totalement improvisée, Martin
Luther King étant convaincu qu’exprimer la vision qui était la sienne de l’harmonie entre les
races aurait une résonance profonde et serait entendue par la foule venue l’acclamer.

« Je suis heureux de participier avec vous aujourd’hui à ce qui restera


dans l’histoire comme la plus grande manifestation de liberté de l’histoire
de notre pays.
[Acclamations et applaudissements]
Il y a cinq fois vingt ans, un grand Américain, qui aujourd’hui encore
nous inonde de son ombre symbolique1, a signé la Proclamation
d’émancipation. Ce décret d’une importance capitale est devenu une
lueur d’espoir pour des millions d’esclaves noirs marqués au fer rougi à
la flamme d’une injustice avilissante. Ce décret fut perçu comme l’aube
empreinte de joie annonçant la fin d’une longue nuit de captivité.
Mais un siècle plus tard, les Noirs ne sont toujours pas libres.
Un siècle plus tard, la vie des Noirs est toujours cruellement entravée par
la ségrégation et les chaînes de la discrimination. Un siècle plus tard, les
Noirs vivent sur un îlot de pauvreté perdu au milieu d’un vaste océan de
prospérité matérielle.
[Applaudissements]
Un siècle plus tard, les Noirs dépérissent toujours en marge de la société
américaine et sont des exilés sur leur propre terre. Si nous sommes ici
aujourd’hui, c’est pour dénoncer une condition honteuse.
Nous venons en quelque sorte à la capitale pour encaisser un chèque.
Lorsque les architectes de notre république ont écrit les mots magiques
de la Constitution et de la Déclaration d’indépendance, ils ont signé un
chèque plein de promesses dont chaque Américain est devenu l’héritier.
Ce chèque a été la promesse faite à tous les hommes, qu’ils soient noirs
ou blancs, de jouir des droits inaliénables de la vie, de la liberté et de la
quête du bonheur.
Aujourd’hui, tout montre que l’Amérique n’a pas tenu sa promesse, tout
au moins en ce qui concerne les citoyens de couleur. Au lieu de faire
honneur à son obligation sacrée, l’Amérique a remis au peuple noir un
chèque en bois, un chèque qui revient marqué de ces mots : “sans
provision”.
[Acclamations et applaudissements]
Mais nous refusons de croire que la banque de la justice a fait faillite.
Nous refusons de croire qu’il n’y a pas les fonds nécessaires dans les
grands coffres de l’opportunité de la nation. Et c’est pourquoi nous
venons encaisser notre chèque et exigeons le versement des richesses de
la liberté et la garantie de justice.
[Acclamations et applaudissements]
Nous sommes également venus dans ce lieu sacré pour rappeler à
l’Amérique l’urgence absolue du moment présent.
L’heure est passée de s’accorder le luxe de calmer les esprits ou de se
laisser endormir par la théorie évolutive du gradualisme. Il est temps de
s’engager réellement et de créer une démocratie. Il est temps de sortir de
la vallée obscure et désertée de la ségrégation et d’emprunter la voie
éclairée par les rayons du soleil de la justice raciale. Il est temps pour
notre nation d’échapper aux sables mouvants de l’injustice raciale et de
s’agripper au solide rocher de la fraternité. Il est temps, maintenant, que
la justice devienne une réalité pour chacun des enfants de Dieu.
Il serait fatal pour la nation de passer outre l’urgence du moment présent.
Cet été étouffant marqué par le mécontentement légitime des Noirs ne
prendra fin qu’avec l’arrivée d’un automne vivifiant qui véhiculera la
liberté et l’égalité. L’année 1963 n’est pas une fin mais un
commencement. Celles et ceux qui espèrent que les Noirs se contenteront
d’exprimer leur colère auront un dur réveil si la nation revient, comme si
de rien n’était, à ses affaires.
[Acclamations et applaudissements]
L’Amérique ne connaîtra ni le repos ni la tranquillité tant que les Noirs
ne jouiront pas de leurs droits civiques. Les tumultes de la révolte
continueront à ébranler les fondations de notre nation jusqu’au jour où la
lumière de la justice brillera enfin.
Mais je tiens à dire quelque chose à mon peuple prêt à franchir le seuil du
palais de justice. En voulant accéder à la place qui nous revient, nous ne
devons pas nous rendre coupables d’actes frauduleux. N’étanchons pas
notre soif de liberté en buvant à la coupe de l’amertume et de la haine.
[Acclamations et applaudissements]
Menons notre combat avec dignité et discipline. Ne laissons pas notre
revendication créative dégénérer en violence physique. Encore et encore,
élevons-nous vers les hauteurs majestueuses en veillant à ce que la force
de l’âme l’emporte sur la force physique.
Ce nouveau militantisme merveilleux dans lequel s’engouffre la
communauté noire ne doit pas nous conduire à la méfiance envers le
peuple blanc car nombre de nos frères blancs – comme le prouve leur
présence aujourd’hui – ont compris que leur destinée est intimement liée
à la nôtre. Ils doivent maintenant comprendre que leur liberté est
inextricablement liée à la nôtre. Nous ne pouvons pas faire route seuls.
Et alors que nous marchons, nous devons nous engager à toujours aller de
l’avant. À ne jamais faire demi-tour. Il y a ceux qui demandent aux
partisans des droits civiques : “Quand serez-vous satisfaits ?” Nous ne
serons pas satisfaits tant que les Noirs seront les victimes des horreurs
indescriptibles dues à la brutalité de la police. Nous ne serons pas
satisfaits tant que nos corps, pliant sous le poids de la fatigue du voyage,
ne pourront pas se reposer dans les motels au bord des routes ou dans les
hôtels en centre-ville.
[Acclamations et applaudissements]
Nous ne serons pas satisfaits tant qu’un Noir du Mississippi n’aura pas le
droit de vote et tant qu’un Noir à New York ne verra pas ce pour quoi il
peut voter. Non, non, nous ne sommes pas satisfaits et

[…] nous ne serons satisfaits que le jour où la justice se


déchaînera comme les eaux, et que la rectitude sera comme
un fleuve puissant2

Je n’oublie pas que certains d’entre vous sont venus ici après avoir été
jugés et avoir subi moult souffrances. Certains d’entre vous viennent tout
juste de quitter une cellule de prison étroite. Certains d’entre vous
viennent de lieux où la quête de liberté les a exposés aux tempêtes des
persécutions et aux brutalités policières. Vous êtes les vétérans de la
souffrance créative. Continuez à œuvrer avec la conviction que la
souffrance non méritée est rédemptrice.
Retournez dans le Mississippi. Retournez en Alabama. Retournez en
Caroline du Sud. Retournez en Géorgie. Retournez en Louisiane.
Retournez dans les bidonvilles et les ghettos des villes du Nord
convaincus que, d’une manière ou d’une autre, cette situation peut
changer et changera. Ne nous embourbons pas dans la vallée du
désespoir, je vous le dis aujourd’hui mes amis [acclamations et
applaudissements]. Et même si nous sommes confrontés aux difficultés
d’aujourd’hui et de demain, je garde en moi un rêve. Et ce rêve est
profondément enraciné dans le rêve américain.
J’ai un rêve qu’un jour cette nation se relèvera et verra se réaliser son
credo : “Nous tenons ces vérités comme allant de soi, que tous les
hommes naissent égaux en droits.”
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des
premiers esclaves et les fils des premiers maîtres seront capables de
s’asseoir côte à côte à la table de la fraternité. J’ai un rêve qu’un jour
même l’État du Mississippi, un État étouffé par la chaleur de l’injustice,
étouffé par la chaleur de l’oppression, deviendra une oasis de liberté et de
justice. J’ai un rêve qu’un jour mes quatre jeunes enfants vivront dans
une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau mais
pour ce qu’ils sont. J’ai un rêve aujourd’hui.
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour, en Alabama, État connu pour ses racistes
haineux, son gouverneur qui n’a sur les lèvres que les mots interposition
et invalidation3, qu’un jour en Alabama, les petits garçons noirs et les
petites filles noires donneront la main à des petits garçons blancs et des
petites filles blanches comme s’ils étaient frères et sœurs. J’ai un rêve
aujourd’hui.
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour toues les vallées seront élevées, toutes les collines
et les montagnes seront nivelées, tous les lieux rugueux seront lissés et
tous les endroits tortueux seront redressés. Et que la gloire du Seigneur
sera révélée et que tous les hommes la verront ensemble4.
Tel est notre espoir.
Telle est la foi que je veux ramener avec moi dans le Sud. Avec cette foi,
nous serons capables de tailler dans la montagne du désespoir un bloc
d’espoir. Avec cette foi, nous serons capables de transformer les
dissensions fracassantes de notre nation en une belle symphonie de
fraternité. Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de
prier ensemble, de combattre ensemble, d’être emprisonnés ensemble,
d’œuvrer ensemble pour la liberté en sachant qu’un jour nous serons
libres.
[Applaudissements]
Et quand ce jour arrivera, tous les enfants de Dieu pourront chanter :
“Mon pays c’est toi, doux pays de liberté que je chante. Pays où mes
pères sont morts, pays dont les pèlerins sont fiers, sur tous les versants
des montagnes, qu retentisse la liberté !”5
Et si l’Amérique veut être une grande nation, ce jour doit arriver. Et que
la liberté retentisse de tous les sommets des collines prodigieuses du New
Hampshire. Que la liberté retentisse des montagnes toutes-puissantes de
New York. Que la liberté retentisse des hauteurs des Alleghanys en
Pennsylvanie. Que la liberté retentisse des sommets enneigés des
montagnes Rocheuses du Colorado. Que la liberté retentisse des pentes
douces de Californie. Mais pas seulement. Que la liberté retentisse de
Stone Mountain en Géorgie. Que la liberté retentisse de Lookout
Mountain au Tennessee. Que la liberté retentisse de toutes les collines et
de toutes les montagnes du Mississippi

de tous les versants des montagnes, que la liberté retentisse.

[Acclamations et applaudissements]
Et quand cela se produira, quand nous laisserons cette liberté retentir,
quand cette liberté retentira de tous les villages et de tous les hameaux,
de tous les États et de toutes les villes, nous pourrons précipiter la venue
de ce jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et
les Gentils, les protestants et les catholiques pourront se donner la main
et entonner les paroles du vieux negro spiritual : “Enfin libres. Merci
Dieu Tout-Puissant, nous sommes enfin libres”. »
[Acclamations et applaudissements chaleureux]
25
Malcom X
Défenseur des droits civiques américain
Âgé d’une petite vingtaine d’années, Malcolm X (1925-1965), de son vrai nom Malcolm Little, est
incarcéré suite à un cambriolage. C’est en prison qu’il tombe sous l’influence d’Elijah Muhammad
(1897-1975), dirigeant de l’organisation Nation of Islam (NOI). Malcolm se convertit à l’islam et
prend le nom d’el-Hajj Malek el-Shabazz. À sa sortie de prison en 1952, il devient l’un des
principaux disciples d’Elijah Muhammad. Grâce à lui, la NOI qui ne comptait que quelques
partisans, prend de l’ampleur, Malcolm devenant l’un des meilleurs porte-parole du Black Power,
mouvement de lutte contre la ségrégation raciale. En 1964, il quitte officiellement la NOI et fonde
l’Organisation pour l’unité afro-américaine destinée à rassembler tous les individus n’étant pas de
race blanche. Si les positions et l’éloquence de Malcolm séduisent la plupart des Noirs qui vivent
dans les ghettos des villes des États du Nord, les dirigeants des mouvements de défense des droits
civiques modérés, quant à eux, n’adhèrent pas à son idéologie. En février 1965, Malcolm est abattu
de 15 balles alors qu’il prononce un discours dans la salle de bal Audubon à Harlem (New York).

« Le vote ou le fusil »
3 avril 1964, Cleveland (État de l’Ohio)

Le discours ci-après est une réponse véhémente aux événements majeurs de l’époque.
Comme le dit alors Malcolm X, « 1964 risque d’être l’année la plus explosive que l’Amérique
ait jamais connue ». Dans la course aux présidentielles de novembre, la population afro-
américaine veut croire en l’élection de Lyndon B. Johnson en faveur du projet de loi sur la
défense des droits civiques présenté par John F. Kennedy avant son assassinat, souhait qu’ils
expriment en refusant massivement le programme basé sur le militantisme prônant la non-
violence défendue par Martin Luther King.
La même année, Malcolm quitte le mouvement Nation of Islam et change de position,
affirmant que le combat pour l’égalité qui, autrefois, n’était que politique, se joue désormais
aussi dans la sphère économique.
Malcolm encourage la revendication au détriment du compromis. Alors que Martin Luther
King rêve d’une harmonie multi-raciale, Malcolm parle du « cauchemar » que sont la
discrimination raciale et les mauvais traitements infligés aux non-Blancs, la solution se
trouvant pour lui dans l’unité des Noirs et l’action des Noirs. Malcolm emprunte l’expression
« le vote ou le fusil » à l’abolitionniste du XIXe siècle Frederik Douglass mais les racines de
cette phrase sont ancrées dans l’histoire de l’Amérique et la guerre anti-colonialiste qui mit
fin à la suprématie anglaise outre-Atlantique.

« M. le Président, Frère Lomax1, mes frères et mes sœurs, mes amis et


mes ennemis : je ne peux croire que toutes les personnes ici présentes
soient des amies mais je ne veux exclure personne. Si je comprends bien,
la question qui se pose ce soir est la suivante : “La révolte des nègres et
ce que nous ferons à partir de là ?” ou autrement dit “Et après ?” À mon
humble avis, si je me fie à ce que je sais, nous nous dirigeons soit vers le
vote soit vers le fusil. […]
[…] Je ne suis pas ici ce soir pour vous parler de ma religion. Je ne suis
pas ici pour essayer de vous faire changer de religion. Je ne suis pas ici
pour argumenter ou discuter de nos divergences car il est temps que nous
passions outre nos différences et que nous comprenions que ce que nous
nous avons de mieux à faire c’est de réaliser que nous sommes tous
confrontés au même problème, à un problème commun, un problème qui
fait que vous allez tous en baver et ce que vous soyez baptistes,
méthodistes, musulmans ou nationalistes. Que vous ayez fait des études
ou que vous soyez illettrés, que vous habitiez sur un boulevard ou dans
une ruelle. Vous allez en baver tout comme je vais en baver car nous
sommes tous dans le même bateau et c’est le même homme qui va nous
en faire voir. Et l’homme en question est un homme blanc. […]

Nous avons tous souffert ici, dans ce pays, de l’oppression


politique exercée par l’homme blanc […]

Parler ainsi ce soir ne veut pas dire que nous sommes anti-Blancs mais
que nous sommes contre l’exploitation, contre la dégradation et contre
l’oppression. Et si l’homme blanc ne veut pas que nous soyons contre lui,
il doit cesser de nous opprimer, de nous exploiter et de nous
dégrader. […]
Si nous avons des divergences, parlons-en entre nous. Lorsque nous
descendons dans la rue, que rien ne nous oppose tant que nous n’avons
pas fini de discuter avec cet homme. Le président Kennedy aujourd’hui
disparu, a su trouver un accord avec Khrouchtchev et échanger du blé2
avec lui or nous avons certainement plus de choses en commun que n’en
avaient ces deux hommes.
Si nous ne faisons pas rapidement quelque chose de concret, je pense que
vous serez d’accord avec moi pour dire que nous serons obligés d’avoir
recours soit au vote soit au fusil. En 1964, ce sera l’un ou l’autre. Ce
n’est pas que le temps passe – c’est que le temps est déjà derrière nous !
Mille neuf cent soixante-quatre risque d’être l’année la plus explosive
que l’Amérique ait connue.
L’année la plus explosive. Pourquoi ? C’est une année politique. C’est
l’année où tous les politiciens blancs sont de retour dans la communauté
dite nègre et nous baratinent vous et moi pour gagner quelques voix.
C’est l’année où tous les escrocs blancs du monde politique vont arriver
dans notre communauté, à vous et à moi, avec des promesses
fallacieuses, faisant naître l’espoir pour ensuite nous décevoir, avec leurs
supercheries et leurs traîtrises, leurs fausses promesses qu’ils n’ont
nullement l’intention de tenir. Nourrir les rancœurs ne peut mener qu’à
une seule chose, une explosion et maintenant sur la scène américaine se
tient un type d’homme noir – désolé Frère Lomax – qui n’a absolument
pas l’intention de tendre l’autre joue. [...]
Je ne suis pas un politicien, je ne suis pas un étudiant en sciences
politiques, je n’étudie rien. Je ne suis pas démocrate. Je ne suis pas
républicain. Je ne me considère même pas comme un Américain. Si nous
étions américains, vous et moi, il n’y aurait pas de problème. Ces sales
Blancs3 qui viennent juste de débarquer, eux sont déjà américains. Les
Polaques4 sont déjà américains. Les réfugiés italiens sont déjà américains.
Tout ce qui arrive d’Europe, tout ce qui a les yeux bleus est déjà
américain. Alors que vous et moi qui sommes ici depuis de longues
années, nous ne sommes toujours pas américains.
Je ne suis pas de ceux qui se bercent d’illusions. Je ne vais pas m’asseoir
à votre table et vous regarder manger, alors que mon assiette est vide, et
dire que je dîne. Vivre ici en Amérique ne fait pas de vous un Américain.
Être né sur le sol américain ne fait pas de vous un Américain. Si être né
sur le territoire américain faisait de vous un Américain, vous n’auriez pas
besoin de loi. Vous n’auriez pas besoin d’amendement à la Constitution.
Vous ne seriez pas confrontés à l’obstruction parlementaire qui sévit
actuellement à Washington DC. Ils n’ont pas besoin de légiférer sur les
droits civiques pour qu’un Polaque devienne américain.

Non, je ne suis pas américain. Je suis l’un des 22 millions de


Noirs qui sont les victimes de l’américanisme.

L’un des 22 millions de Noirs qui sont les victimes de la démocratie, qui
n’est rien d’autre qu’une hypocrisie dissimulée. […]
Ces 22 millions de Noirs sont en train de se réveiller. Leurs yeux sont en
train de s’ouvrir. Ils commencent à voir ce qu’ils se contentaient
jusqu’alors de regarder. Ils commencent à comprendre ce qui se passe sur
le plan politique. [...]
[…] Lorsque Kennedy et Nixon menaient campagne pour les
présidentielles, leurs scores étaient si proches qu’il a fallu compter et
recompter les voix5. Qu’est-ce que cela signifie d’après vous ? Eh bien
que lorsque les Blancs sont à égalité et que les Noirs votent en force,
c’est à eux qu’il revient de décider qui va siéger à la Maison-Blanche et
qui va retourner à la maison.
C’est le vote de l’homme noir qui a mis en place l’actuelle administration
à Washington DC. Votre vote, votre vote stupide, votre vote ignorant,
votre vote dilapidé qui a mis l’administration en place à Washington DC,
cette administration qui a fait voter toutes les lois inimaginables, vous
gardant pour la fin et qui, au final, a opté pour l’obstruction
parlementaire.
Et ceux qui nous dirigent, vous et moi, ont le toupet de courir dans tous
les sens en frappant dans leurs mains et en évoquant tous les progrès que
nous sommes en train de faire. En soulignant quel bon président nous
avons. Mais s’il n’a pas été bon au Texas comment peut-il être bon à
Washington DC6. [...]
Et ces dirigeants noirs ont le toupet d’aller boire un café à la Maison-
Blanche avec un pauvre blanc texan, un pauvre blanc du Sud – car c’est
tout ce qu’il est – et à la sortie ils osent nous dire, à vous et à moi, qu’il
est ce qu’il y a de mieux pour nous car c’est un gars du Sud qui sait
comment traiter avec les sudistes. Quelle logique y a-t-il dans tous ça ?
Dans ce cas, pourquoi ne pas élire Eastland7 comme président ? Après
tout lui aussi est du Sud et il y a fort à parier qu’il saura mieux s’y
prendre avec les Sudistes que Johnson.
Sous l’actuelle administration, la Chambre des représentants compte 257
démocrates contre seulement 177 républicains. Les démocrates ont les
deux tiers des voix à la Chambre. Pourquoi ne votent-ils pas des lois qui
pourraient nous venir en aide, à vous et à moi ? Le Sénat compte 67
sénateurs membres du Parti démocrate. Seuls 33 sénateurs sont
républicains. Pourquoi les démocrates ont-ils tout le pouvoir ? Parce que
vous le leur avez donné.
Et que vous ont-ils donné en retour ? Ce n’est qu’après quatre années aux
commandes qu’ils envisagent de légiférer pour la défense des droits
civiques […] Ils voulaient les voix des nègres, ils les ont obtenues mais
les nègres n’ont rien eu en échange. Lorsqu’ils sont arrivés à Washington,
ils ont mis quelques nègres influents à des postes importants. Mais ces
nègres-là n’avaient pas besoin de ces postes car ils avaient déjà un
boulot. Ce n’est qu’une mise en scène, une duperie, une traîtrise, du pur
étalage. […]
Ne vous en prenez pas à votre patron, c’est le gouvernement seul, le
gouvernement américain qui est responsable de l’oppression, de
l’exploitation et de la dégradation du peuple noir dans ce pays. Et il faut
le lui jeter à la figure. Le gouvernement a manqué à tous ses devoirs vis-
à-vis des nègres. Cette soi-disant démocratie n’a pas joué son rôle vis-à-
vis des nègres. Tous ces libéraux blancs ont laissé tomber les nègres. […]
Regardons les gens qui se trouvent ici aujourd’hui. Ils sont pauvres. Pris
individuellement, nous sommes tous pauvres. Pris individuellement, nos
salaires hebdomadaires ne représentent rien. Mais si vous prenez le
salaire de toutes les personnes ici réunies, il y a de quoi remplir des sacs
entiers. Ces salaires représentent pas mal d’argent. Si vous gagniez ce
que gagnent en un an toutes les personnes réunies ici, vous seriez riche.
Vous seriez même plus que riche. Et si vous allez plus loin encore dans
ce raisonnement, imaginez à combien se monte la richesse de l’Oncle
Sam qui ne se contente pas de ce que gagne une poignée de Noirs mais
de ce que gagnent des millions de Noirs. Votre mère, votre père, ma
mère, mon père qui ne travaillaient pas huit heures par jour mais qui
étaient à pied d’œuvre avant le lever du soleil jusque tard dans la nuit,
travaillaient pour rien si ce n’est pour enrichir l’homme blanc, pour
enrichir l’Oncle Sam. Tel fut notre investissement. Telle fut notre
contribution. C’est notre sang que nous avons donné.
Car comme si travailler gratuitement ne suffisait pas, nous avons donné
notre sang. À chaque appel aux armes, nous avons été les premiers à
prendre l’uniforme. Nous avons perdu des vies sur le champ de bataille
des Blancs. Nous avons fait plus de sacrifices pour l’Amérique que
quiconque. C’est nous qui avons le plus donné et c’est nous qui avons
reçu le moins. [...]
Je souhaiterais m’attarder sur un point. Lorsque vous réclamez quelque
chose qui vous appartient, celui qui veut vous priver du droit d’avoir
cette chose est un criminel. Vous devez le comprendre. Lorsque vous
réclamez quelque chose qui est à vous, vous êtes dans votre droit et vous
pouvez le revendiquer. Celui qui s’efforce de vous dépouiller de ce qui
vous appartient enfreint la loi et est un criminel. C’est ce qui ressort de la
décision de la Cour suprême. La ségrégation est une infraction à la loi.
Autrement dit, la ségrégation est contraire à la loi.
Autrement dit, un ségrégationniste enfreint la loi. Un ségrégationniste est
un criminel. On ne peut le qualifier différemment. Et lorsque vous
manifestez contre la ségrégation, la loi est de votre côté. La Cour
suprême est de votre côté.
Mais qui vous empêche de faire appliquer la loi ? Les services de police
eux-mêmes. Avec leurs chiens et leurs matraques. Lorsque vous
manifestez contre la ségrégation, que ce soit en matière d’éducation, de
logement ou tout autre domaine, la loi est de votre côté et celui qui vous
barre la route ne fait plus respecter cette loi. Il enfreint la loi. Il n’est plus
digne de faire appliquer la loi.
À chaque fois que vous manifestez contre la ségrégation et qu’un homme
a l’audace de jeter un chien policier contre vous, tuez le chien, je vous le
dis, tuez-le. Je vous le dis et même s’ils me mettent en prison demain, je
vous le redis, tuez ce chien. C’est la seule manière d’en finir avec ces
pratiques. Maintenant si les Blancs qui sont ici ne veulent pas assister à
ce genre de situation, qu’ils aillent voir le maire et qu’ils lui demandent
de dire aux forces de l’ordre de tenir leurs chiens. C’est tout ce que vous
avez à faire. Si vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre le fera.
Si vous ne prenez pas ce genre de mesures, vos enfants en grandissant
auront honte de vous lorsqu’ils vous regarderont. Si vous ne vous
positionnez pas catégoriquement, je ne dis pas descendre dans la rue et
vous livrer à des actes de violence. Soyez non-violents si on se comporte
de manière non-violente envers vous. Je suis non-violent envers tous
ceux qui sont non-violents envers moi. Mais si vous faites preuve de
violence à mon égard alors je deviens fou et je ne réponds plus de mes
actes. Et c’est comme cela que devraient se comporter tous les nègres.
À chaque fois que vous savez que vous agissez en toute légalité, dans le
respect des droits civiques, des droits moraux et en accord avec la justice,
vous pouvez mourir pour défendre vos convictions. Mais ne soyez pas le
seul à mourir. Ce qui vaut pour vous, vaut aussi pour l’autre.
Car c’est cela l’égalité. Car nous sommes tous logés à la même
enseigne. [...]

Sur les mains de l’Oncle Sam coule du sang, le sang de


l’homme noir de ce pays.

Il est le plus grand hypocrite qui soit sur Terre. Il a l’audace – oui, il l’a –
de se voir dans la peau du dirigeant du monde libre. Le monde libre ! Et
vous ici réunis, vous chantez We Shall Overcome 8. Faites que la lutte
pour les droits civiques devienne la lutte pour les droits de l’Homme.
Défendez cette cause devant les Nations unies où nos frères africains
peuvent nous soutenir, où nos frères asiatiques peuvent nous soutenir, où
nos frères latino-américains peuvent nous soutenir, où 800 millions de
Chinois attendent et sont prêts à nous soutenir.
Que le monde sache que l’Oncle Sam a les mains couvertes de sang. Que
le monde soit au courant de toute cette hypocrisie qui nous gouverne.
Qu’il sache que ce sera le vote ou le fusil. Que l’Oncle Sam sache que ce
sera le vote ou le fusil. »
26
André Malraux
Écrivain et homme politique français
André Malraux (1901-1976), né à Paris, est un aventurier avant de devenir écrivain. Il a notamment
été emprisonné dans les années 1920 pour vol et recel d’antiquités sacrées khmères. Il obtient le prix
Goncourt en 1933 avec son roman La Condition humaine qui sera le premier livre à paraître dans la
collecion « Folio » en 1972 (il porte le numéro 1). Il rejoint les rangs de la Résistance en 1944. Le
général de Gaulle lui confie le portefeuille de la Culture entre 1959 et 1969. Il poursuit sa carrière
d’écrivain et s’éteint le 23 novembre 1976. Vingt ans après sa disparition, ses cendres sont
transférées au Panthéon.

« Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le


chant du Malheur »
19 décembre 1964, Panthéon (Paris)

Alors qu’il est ministre d’État chargé des Affaires culturelles, André Malraux prononce cette
oraison funèbre restée célèbre à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au
Panthéon, le 19 décembre 1964 en présence du général de Gaulle à qui, selon le protocole, le
discours est adressé. Jean Moulin, figure légendaire de la Résistance, a créé le Conseil
national de la Résistance (CNR). Arrêté le 21 juin 1943 à Caluire-et-Curie, il est interné à la
prison Monluc, à Lyon et torturé par Klaus Barbie. Les circonstances de sa mort en
juillet 1943 restent obscures. Son corps – il reste une incertitude sur son identité – est incinéré
et ses cendres sont déposées au cimetière du Père-Lachaise. L’urne est transférée au Panthéon
en 1964.

« Monsieur le Président de la République,


Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de
décembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachuté sur la terre
de Provence, et devenir le chef d’un peuple de la nuit. Sans cette
cérémonie, combien d’enfants de France sauraient son nom ? Il ne le
retrouva lui-même que pour être tué ; et depuis, sont nés seize millions
d’enfants… Puissent les commémorations des deux guerres s’achever
aujourd’hui par la résurrection du peuple d’ombres que cet homme
anima, qu’il symbolise, et qu’il fait entrer ici comme une humble garde
solennelle autour de son corps de mort.
Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la
légende se mêle à l’organisation. Le sentiment profond, organique,
millénaire, qui a pris depuis son accent légendaire, voici comment je l’ai
rencontré. Dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des
combattants du maquis, et donné ordre au maire de les faire enterrer en
secret, à l’aube. Il est d’usage dans cette région que chaque femme
assiste aux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe
de sa propre famille. Nul ne connaissait ces morts, qui étaient des
Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans
sous la garde menaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se
retirait comme la mer laissa paraître les femmes noires de Corrèze,
immobiles du haut en bas de la montagne, et attendant en silence,
chacune sur la tombe des siens, l’ensevelissement des morts français. Ce
sentiment qui appelle la légende, sans lequel la Résistance n’eût jamais
existé – et qui nous réunit aujourd’hui – c’est peut-être simplement
l’accent invincible de la fraternité.
Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? On sait ce
que Jean Moulin pensait de la Résistance, au moment où il partit pour
Londres : “Il serait fou et criminel de ne pas utiliser, dit-il, en cas
d’action alliée sur le continent, ces troupes prêtes aux sacrifices les plus
grands, éparses et anarchiques aujourd’hui, mais pouvant constituer
demain une armée cohérente de parachutistes déjà en place, connaissant
les lieux, ayant choisi leur adversaire et déterminé leur objectif.” C’était
bien l’opinion du général de Gaulle. Néanmoins, lorsque le 1er janvier 42
Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n’était encore qu’un
désordre de courage : une presse clandestine, une source d’informations,
une conspiration pour rassembler ces troupes qui n’existaient pas encore.
Or, ces informations étaient destinées à tel ou tel allié ; ces troupes se
lèveraient lorsque les alliés débarqueraient. Certes, les résistants étaient
les combattants fidèles aux Alliés, mais ils voulaient cesser d’être des
Français résistants, et devenir la Résistance française.
C’est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres. Pas seulement parce que
s’y trouvaient des combattants français – qui eussent pu n’être qu’une
légion –, pas seulement parce qu’une partie de l’empire avait rallié la
France Libre. S’il venait demander au général de Gaulle de l’argent et
des armes, il venait aussi lui demander – je cite – “une approbation
morale, des liaisons fréquentes, rapides et sûres avec lui”. Le Général
assumait alors le Non du premier jour ; le maintien du combat quel qu’en
fût le lieu, quelle qu’en fût la forme. Enfin, le destin de la France… La
force des appels de juin tenait moins aux forces immenses qui n’avaient
pas encore donné, qu’à “Il faut que la France soit présente à la victoire.
Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur”. La France, et non telle
légion de combattants français. C’était par la France libre que les
résistants de Bir Hakeim se conjuguaient, formaient une France
combattante restée au combat. Chaque groupe de résistants pouvait se
légitimer par l’allié qui l’armait et le soutenait, voire par son seul
courage. Le général de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de
Résistance à l’union entre eux et avec tous les autres combats, car c’était
à travers lui seul que la France livrait un seul combat. C’est pourquoi –
même lorsque le président Roosevelt croira assister à une rivalité de
généraux ou de partis – l’armée d’Afrique, depuis la Provence jusqu’aux
Vosges, combattra au nom du gaullisme, comme feront les troupes du
parti communiste. C’est pourquoi Jean Moulin avait emporté, dans le
double fond d’une boîte d’allumettes, la microphoto du très simple ordre
suivant : “M. Moulin a pour mission de réaliser, dans la zone non
directement occupée de la métropole, l’unité d’action de tous les
éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs.”
Inépuisablement, il montre aux chefs des groupements le danger
qu’entraînerait le déchirement de la Résistance entre des tuteurs
différents. Chaque événement capital – entrée en guerre de la Russie,
puis des États-Unis ; débarquement en Afrique du Nord – renforce sa
position. À partir du débarquement, il devient évident que la France va
redevenir un théâtre d’opérations. Mais la presse clandestine, les
renseignements – même enrichis par l’action du Noyautage des
administrations publiques – sont à l’échelle de l’occupation, non de la
guerre. Si la Résistance sait qu’elle ne délivrera pas la France sans les
Alliés, elle n’ignore plus l’aide militaire que son unité pourrait leur
apporter. Elle a peu à peu appris que s’il est relativement facile de faire
sauter un pont, il n’est pas moins facile de le réparer. Alors que s’il est
facile à la Résistance de faire sauter deux cents ponts, il est difficile aux
Allemands de les réparer à la fois. En un mot, elle sait qu’une aide
efficace aux armées de débarquement est inséparable d’un plan
d’ensemble : il faut que sur toutes les routes, sur toutes les voies ferrées
de France, les combattants clandestins désorganisent méthodiquement la
concentration des divisions cuirassées allemandes. Et un tel plan
d’ensemble ne peut être conçu et exécuté que par l’unité de la Résistance.
C’est à quoi Jean Moulin s’emploie jour après jour, peine après peine, un
mouvement de résistants après l’autre.
Et maintenant, essayons de calmer les colères d’en face… Il y a
inévitablement des problèmes de personnes, et bien davantage la misère
de la France combattante, l’exaspérante certitude pour chaque maquis ou
chaque groupe franc d’être spolié au bénéfice d’un autre maquis ou d’un
autre groupe, qu’indignent au même moment les mêmes illusions… Qui
donc sait encore ce qu’il fallut d’acharnement pour parler le même
langage à des instituteurs radicaux ou réactionnaires, des officiers
réactionnaires ou libéraux, des trotskistes ou communistes retour-de-
Moscou, tous promis à la même délivrance ou à la même prison. Ce qu’il
fallut de rigueur à un ami de la République espagnole, à un ancien préfet
radical chassé par Vichy, pour exiger d’accueillir dans le combat
commun tel rescapé de la Cagoule !
Jean Moulin n’a nul besoin d’une gloire usurpée. Ce n’est pas lui qui a
créé Combat, Libération, Franc-Tireur : c’est Frenay, d’Astier, Jean-
Pierre Lévy. Ce n’est pas lui qui a créé les nombreux mouvements de la
zone Nord, dont l’histoire recueillera tous les noms. Ce n’est pas lui qui a
fait les régiments, mais c’est lui qui a fait l’armée : il a été le Carnot de la
Résistance !
Attribuer peu d’importance aux opinions dites politiques lorsque la
nation est en péril de mort – la nation : non pas un nationalisme alors
écrasé sous les chars hitlériens, mais la donnée invincible et mystérieuse
qui allait emplir le siècle –, penser qu’elle dominerait bientôt les
doctrines totalitaires dont retentissait l’Europe, voir dans l’unité de la
Résistance le moyen capital du combat pour l’unité de la Nation, c’était
peut-être affirmer ce qu’on a, depuis, appelé le gaullisme. C’était
certainement proclamer la survie de la France.
En février, ce laïc passionné avait rétabli sa liaison par radio avec
Londres dans le grenier d’un presbytère. En avril, le Service
d’information et de propagande, puis le Comité général d’études étaient
formés ; en septembre, le NAP. Enfin, le Général de Gaulle décidait la
création d’un Comité de coordination que présiderait Jean Moulin, assisté
du chef de l’Armée secrète unifiée. La préhistoire avait pris fin.
Coordonnateur de la Résistance en zone Sud, Jean Moulin en devenait le
chef. En janvier 1943, le Comité directeur des Mouvements unis de la
Résistance était créé sous sa présidence. En février, il repartait pour
Londres avec le général Delestraint, chef de l’Armée secrète, et Jacques
Dalsace.
De ce séjour, le témoignage le plus émouvant a été donné par le colonel
Passy. “Je revois Moulin, blême, saisi par l’émotion qui nous étreignait
tous, se tenant à quelques pas devant le Général et celui-ci disant,
presque à voix basse : ‘Mettez-vous au garde-à-vous’, puis ‘Nous vous
reconnaissons comme notre compagnon, pour la Libération de la France,
dans l’honneur et par la victoire.’ Et, pendant que de Gaulle lui donnait
l’accolade, une larme lourde de reconnaissance, de fierté, de farouche
volonté coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade
Moulin. Comme il avait la tête levée, nous pouvions voir encore, au
travers de sa gorge, les traces du coup de rasoir qu’il s’était donné en 40,
pour éviter de céder sous les tortures de l’ennemi.” Les tortures de
l’ennemi…
En mars, chargé de constituer et de présider le Conseil national de la
Résistance, Jean Moulin monte dans l’avion qui va le parachuter au nord
de Roanne. Ce Conseil national de la Résistance, qui groupe les
mouvements, les partis et les syndicats de toute la France, c’est l’unité
précairement conquise, mais aussi la certitude qu’au jour du
débarquement, l’armée en haillons de la Résistance attendra les divisions
blindées de la Libération.
Jean Moulin retrouve les membres qu’il rassemblera si difficilement. Il
retrouve aussi une Résistance tragiquement transformée. Celle-là, elle
avait combattu comme une armée, en face de la victoire, de la mort ou de
la captivité. Elle commence à découvrir l’univers concentrationnaire, la
certitude de la torture. Désormais, elle va combattre en face de l’enfer.
Ayant reçu un rapport sur les camps de concentration, il dit : “J’espère
qu’ils nous fusilleront avant.” Ils ne devaient pas avoir besoin de le
fusiller…
La Résistance grandit, les réfractaires du Travail Obligatoire vont bientôt
emplir les maquis ; la Gestapo grandit aussi ; la milice est partout. C’est
le temps où, dans la campagne, nous interrogeons les aboiements des
chiens au fond de la nuit ; le temps où les parachutes multicolores,
chargés d’armes et de cigarettes, tombent du ciel dans la lueur des feux
des clairières ou des causses ; c’est le temps des caves et de ces cris
désespérés que poussent les torturés avec des voix d’enfants… La grande
lutte des ténèbres a commencé.
Le 27 mai a lieu à Paris, rue du Four, la première réunion du CNR. Jean
Moulin rappelle les buts de la France libre : “Faire la guerre ; rendre la
parole au peuple français ; rétablir les libertés républicaines ; travailler
avec les Alliés à l’établissement d’une collaboration internationale.”
Puis, il donne lecture d’un message du général de Gaulle qui fixe pour
premier but au premier Conseil de la Résistance le maintien de l’unité de
cette Résistance qu’il représente, au péril quotidien de la vie de chacun
de ses membres.
Le 9 juin, le général Delestraint, chef de l’armée secrète enfin unifiée, est
pris à Paris. Aucun successeur ne s’impose, ce qui est fréquent dans la
clandestinité. Jean Moulin aura dit maintes fois avant l’arrivée de
Serreules : “Si j’étais pris, je n’aurais pas même eu le temps de mettre un
adjoint au courant…” Il veut donc désigner ce successeur avec l’accord
des mouvements, notamment de ceux de la zone sud. Il rencontrera leurs
délégués le 21, à Caluire. Ils l’y attendent, en effet ; la Gestapo aussi…
La trahison joue son rôle et le destin, qui veut qu’aux trois quarts d’heure
de retard de Jean Moulin, presque toujours ponctuel, corresponde un long
retard de la police allemande. Assez vite, celle-ci apprend qu’elle tient le
chef de la Résistance. En vain.
Le jour où, au Fort Montluc à Lyon, après l’avoir fait torturer, l’agent de
la Gestapo lui tend de quoi écrire puisqu’il ne peut plus parler, Jean
Moulin dessine la caricature de son bourreau. Pour la terrible suite,
écoutons seulement les mots si simples de sa sœur : “Son rôle est joué, et
son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les
organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais
trahir un seul secret, lui qui les savait tous.” Comprenons bien que
pendant les quelques jours où il pourrait encore parler ou écrire, le destin
de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit
Mademoiselle Moulin, il savait tout !
Georges Bidault prendra sa succession. Mais voici la victoire de ce
silence atrocement payé : le destin bascule. Chef de la Résistance
martyrisé dans des caves hideuses, regarde de tes yeux disparus toutes
ces femmes noires qui veillent nos compagnons : elles portent le deuil de
la France et le tien. Regarde glisser sous les chênes nains du Quercy, avec
un drapeau fait de mousselines nouées, les maquis que la Gestapo ne
trouvera jamais parce qu’elle ne croit qu’aux grands arbres. Regarde le
prisonnier qui entre dans une villa luxueuse et se demande pourquoi on
lui donne une salle de bains – il n’a pas encore entendu parler de la
baignoire…
Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever
dans la nuit de juin constellée de tortures. Voici le fracas des chars
allemands qui remontent vers la Normandie à travers les longues plaintes
des bestiaux réveillés. Grâce à toi, les chars n’arriveront pas à temps. Et
quand la trouée des Alliés commence, regarde, préfet, surgir dans toutes
les villes de France les Commissaires de la République, sauf lorsqu’on
les a tués. Tu as envié, comme nous, les clochards épiques de Leclerc :
regarde, combattant, tes clochards sortir à quatre pattes de leurs maquis
de chênes, et arrêter avec leurs mains paysannes formées aux bazookas,
l’une des premières divisions cuirassées de l’empire hitlérien : la division
“Das Reich”.
Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le
soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec
ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi – et
même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés
et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps
trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les
crosses. Avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des
bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné
asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec
elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit…
Commémorant l’anniversaire de la Libération de Paris, je disais : “Écoute
ce soir, jeunesse de mon pays, les cloches d’anniversaire qui sonneront
comme celles d’il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre :
elles vont sonner pour toi.”
L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever
maintenant, ce Chant des Partisans que j’ai entendu murmurer comme un
chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les
bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les
bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Runstedt
lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd’hui, jeunesse de
France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre
des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de
l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès
veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres
défigurées.
Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais
approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses
lèvres qui n’avaient pas parlé. Ce jour-là, elle était le visage de la France.
27
Richard M. Nixon
Homme politique américain
Après avoir exercé durant quelques années la profession d’avocat, Richard Milhous Nixon (1913-
1994) s’engage dans la Marine (1942-1946) avant d’être élu à la Chambre des représentants pour la
Californie. Membre du Parti républicain, Nixon se fait remarquer pour son franc-parler et ses
compétences stratégiques qui le propulsent dans la sphère politique et font de lui l’un des membres
les plus éminents de la Commission parlementaire sur les activités anti-américaines. En 1960, il
gagne les primaires et se lance dans la course à la présidentielle qu’il perdra de quelques voix
seulement contre John F. Kennedy. En 1968, il devient le président des États-Unis, l’emportant de
peu sur son adversaire Hubert Humphrey. En 1972, il brigue un second mandat qu’il gagne haut la
main. En juin 1972, un cambriolage a lieu dans les bureaux du Parti démocrate situés dans
l’immeuble du Watergate à Washington. Rapidement, les soupçons se portent sur l’équipe de Nixon
en pleine campagne électorale. Au cours de l’enquête, Nixon perd de sa crédibilité. Le 9 août 1974,
alors que l’implication dans l’affaire du Watergate de plusieurs membres haut placés du
gouvernement a été prouvée, le président Nixon démissionne de ses fonctions après avoir lui-même
été mis en accusation.

« Il ne peut y avoir de blanchiment à la Maison-Blanche »


30 avril 1973, discours prononcé à Washington DC, retransmis sur les ondes radio

Le scandale du Watergate éclate le 17 juin 1972 lorsque la police arrête cinq hommes qui
viennent de s’introduire dans les bureaux du Parti démocrate situés dans l’immeuble du
Watergate à Washington DC. Rapidement, un lien est établi entre les cambrioleurs et le Parti
républicain et plus précisément le comité pour la réélection du président Nixon.
Si Nixon n’a probablement pas eu connaissance de ce qui se préparait – les malfaiteurs se
sont introduits trois semaines plus tôt dans l’immeuble pour installer un système d’écoute –, il
prend rapidement conscience que cette affaire risque de compromettre sa réélection. Il donne
alors l’ordre au FBI (Federal Bureau of Investigation) de stopper l’enquête, achète le silence
des cinq cambrioleurs et ordonne à son conseiller juridique John Dean d’éliminer toute trace
d’implication du gouvernement.
Au début de l’année 1973, les tractations sont révélées au grand jour. Le Washington Post
s’est déjà emparé du sujet et, en février, un comité de sénateurs est créé spécifiquement pour
enquêter sur l’affaire. Lors d’une audience publique diffusée à la télévision, John Dean accuse
Nixon d’avoir tenté de dissimuler les faits. La réponse de Nixon ne se fait pas attendre. Il
démet Dean de ses fonctions. Dans la foulée, trois autres collaborateurs du Président
démissionnent.
Dans le discours ci-après, prononcé depuis le bureau ovale de la Maison-Blanche à 9 h 00 du
matin, le président Nixon rend publiques les démissions des membres de son gouvernement et
clame son innocence. Nixon essaie de sauver la face en prétendant avoir commis des erreurs
mais pas à des fins personnelles. Il affirme vouloir préserver l’intégrité de la Maison-Blanche,
faire que l’Amérique soit un monde d’opportunité, un monde de paix et demande que soit
créé un climat de bienséance et de civilité. Le scandale du Watergate le rattrapera, l’obligeant
à démissionner quelques mois plus tard.

« Bonsoir,
Je veux, du fond du cœur, vous parler aujourd’hui d’un sujet qui inquiète
profondément tous les Américains.
Au cours de ces derniers mois, des membres de mon Administration et
des officiels faisant partie du Comité pour la réélection du préseident – y
compris certains de mes plus proches amis et de mes conseillers les plus
fidèles – ont été accusés d’être impliqués dans ce que tous appellent
aujourd’hui l’affaire du Watergate. Parmi les charges retenues, une
activité illicite durant et avant l’élection présidentielle de 1972 et la
dissimulation par des hauts responsables de cette activité illicite.
Inévitablement, ces accusations ont eu pour conséquence de faire naître
de sérieux soupçons quat à l’intégrité de la Maison-Blanche elle-même.
Ce soir, je tiens à lever ces soupçons.
Le 17 juin dernier, alors que je prenais quelques jours de repos en Floride
après ma visite à Moscou1, j’ai appris par le biais des médias que des
malfaiteurs s’étaient introduits dans le bâtiment du Watergate. J’ai été
consterné par cet acte insensé et illégal et choqué d’apprendre que les
employés du Comité pour la réélection du président faisaient a priori
partie des coupables. J’ai immédiatement ordonné qu’une enquête soit
faite par les autorités gouvernementales compétentes. Le 15 septembre,
comme vous vous en souvenez certainement, sept mises en accusation
ont été prononcées.
Alors que les recherches avançaient, j’ai demandé à plusieurs reprises
aux enquêteurs s’il y avait une quelconque raison de croire que des
membres de mon Administration pussent d’une manière ou d’une autre
être impliqués. À chaque fois, ils m’ont assuré que non. […]
Jusqu’en mars de cette année, j’ai toujours eu la conviction que les
démentis étaient vrais et que les accusations à l’encontre de certains
membres du personnel de la Maison-Blanche étaient fausses. Les
commentaires que j’ai faits alors et les commentaires que le porte-parole
de la Maison-Blanche a faits en mon nom étaient fondés sur les
renseignements qui nous parvenaient à cette époque. Cependant, de
nouvelles informations m’ont persuadé qu’il y avait de bonnes raisons de
croire que certaines accusations pussent être vraies et que de nombreux
efforts avaient été faits afin de dissimuler la vérité à la population, à vous
et à moi.
Résultat, le 21 mars, j’ai pris personnellement la responsabilité de
coordonner de nouvelles enquêtes et j’ai personnellement ordonné aux
enquêteurs de réunir tous les faits et de m’aviser directement de
l’avancée du dossier ici même dans ce bureau d’où je vous parle.
J’ai à nouveau ordonné que les personnes faisant partie du gouvernement
ou du Comité pour la réélection coopèrent entièrement avec le FBI, les
procureurs et le grand jury. J’ai également ordonné que toute personne
refusant de coopérer et de dire la vérité soit priée de démissionner de ses
fonctions. Enfin, en adoptant des règles fondamentales pour préserver la
séparation, constitution réelle des pouvoirs entre le Congrès et la
présidence, j’ai ordonné que les membres du personnel de la Maison-
Blanche témoignent sous serment devant le comité sénatorial chargé de
l’enquête sur le Watergate.
J’étais déterminé à ce que nous allions au fond de ce dossier et que la
vérité soit établie – et ce, quelles que soient les personnes
impliquées. […]
Parallèlement, j’étais décidé à ne pas précipiter les choses et à éviter, si
possible, que certains faits rejaillissent sur des innocents. Je voulais être
juste. Mais je savais qu’au bout du compte, l’intégrité de ce bureau – et la
croyance de la population en l’intégrité de ce bureau – aurait le dessus
sur toutes les autres considérations personelles.
Lorsqu’on reprend l’historique de cette affaire, deux questions se posent.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Qui sont les responsables ?
Les journalistes politiques ont, à juste titre, fait remarquer qu’au cours
des 27 années que j’ai consacrées à la politique, j’ai toujours insisté sur le
fait que jusqu’à ce jour j’ai toujours mené mes propres campagnes
électorales.
Mais 1972 n’a pas été une année comme une autre. Tant en politique
intérieure qu’en politique extérieure, 1972 fut une année marquée par des
décisions de la plus grande importance, des négociations ardues, des
nouvelles orientations fondamentales pour atteindre le but qui fut ma
préoccupation majeure tout au long de ma carrière politique à savoir
instaurer la paix en Amérique, la paix dans le monde.
C’est pourquoi j’ai décidé, alors que la campagne de 1972 approchait,
que la présidence devait l’emporter sur la politique. Dans la mesure du
possible, j’ai donc cherché à déléguer tout le côté opérationnel de la
campagne et à faire en sorte que les décisions au jour le jour soient
traitées à l’extérieur du bureau présidentiel et même de la Maison-
Blanche. J’ai également, comme vous devez vous en souvenir,
drastiquement limité le nombre de mes apparitions publiques à des fins
électorales.
Qui, par conséquent, est responsable de ce qui est arrivé ?
Pour ce qui est des actes criminels spécifiques commis par des individus
identifiés, ceux qui ont commis ces actes doivent, bien entendu, en
endosser la responsabilité et être punis.
Pour ce qui est des actes présumés inadéquats qui se seraient déroulés au
sein de la Maison-Blanche ou au sein de l’organisation en charge de ma
campagne, le plus simple serait pour moi de faire endosser la
responsabilité de ce qui s’est passé aux personnes auxquelles j’ai délégué
la responsabilité de mener ma campagne. Mais ce serait faire preuve de
lâcheté.
Je ne ferai pas endosser la responsabilité à mes subordonnés – à des
personnes dont le zèle a dépassé le jugement et qui, peut-être ont mal agi
alors qu’elles pensaient sincèrement faire ce qu’il fallait.
Dans n’importe quelle entreprise, l’homme qui est à la tête est celui qui
doit endosser toute responsabilité. Cette responsabilité, par conséquent,
appartient à celui qui siège dans ce bureau et je l’accepte. Ce soir, je vous
promets, ici même dans ce bureau, que je ferai tout ce qui est en mon
pouvoir pour que les coupables soient livrés à la justice et que toutes
malversations soient éliminées de notre fonctionnement politique dans
les années à venir, alors que j’aurai quitté ce bureau depuis bien
longtemps.
Certaines personnes, horrifiées à juste titre par les actes qui ont été
commis, diront que le Watergate est la preuve de l’effondrement du
système politique américain. Or, je pense sincèrement que c’est tout le
contraire.
[…] Le Watergate est le reflet d’actes illégaux et de mauvais jugements
commis par quelques individus. C’est le système qui a fait la lumière sur
ces faits et qui va mener les coupables devant la justice – un système qui,
dans cette affaire, est constitué d’un grand jury déterminé, de procureurs
honnêtes, d’un juge courageux John Sirica2, et d’une presse libre
résolue3.
Il est, maintenant, primordial que nous fassions de nouveau confiance à
ce système – notamment au système judiciaire. Il est primordial que nous
laissions le système judiciaire avancer dans le respect de ces garanties qui
ont été mises en place pour protéger les innocents mais aussi condamner
les coupables. Il est primordial qu’en réagissant aux excès des autres,
nous ne tombions pas nous-mêmes dans l’excès. Il est également
primordial que nous ne laissions pas notre attention être détournée par
des événements comme celui-ci à un point tel que nous négligions le
travail que nous devons faire pour la nation, pour l’Amérique à une
époque cruciale pour l’Amérique et le monde.
Depuis le mois de mars soit depuis que je sais que l’affaire du Watergate
est en fait être beaucoup plus grave que je ne le croyais, j’ai consacré
beaucoup de mon temps et de mon attention à ce dossier. Quelles que
soient les suites qui y seront données, quelles que soient les décisions du
grand jury, quel que soit le verdict des procès qui pourraient avoir lieu, je
dois maintenant me remettre au travail – et je vais le faire. Je le dois. Je
le dois à ce grand bureau que j’occupe et je vous le dois à vous – à mon
pays... Nous avons fort à faire pour maintenir la paix dans le monde – le
travail ne peut pas attendre, le travail doit être fait...
Lorsque je pense à ce bureau – et à ce qu’il signifie – je pense à toutes
ces choses que je veux accomplir pour la nation, à toutes ces choses que
je veux accomplir pour vous.
Le 24 décembre, alors que j’ai dû prendre cette terrible décision de
bombarder une nouvelle fois le Nord-Viêt Nam4, qui après douze années
de guerre a finalement accepté que l’Amérique apporte la paix sans que
son honneur ne soit perdu, je me suis assis juste avant que les douze
coups de minuit retentissent. J’ai noté sur une feuille de papier les
objectifs que je me fixais pour mon second mandat de Président. Laissez-
moi vous lire ce que j’ai écrit :
“Faire que nos enfants et les enfants de nos enfants vivent dans un monde
de paix.
Faire que ce pays soit plus que jamais un monde d’opportunité – une
même et entière opportunité pour tous les Américains.
Faire que toutes celles et tous ceux qui peuvent travailler aient un emploi
et aider généreusement celles et ceux qui ne peuvent pas travailler.
Créer un climat de bienséance et de civilité où chacun respecte les
sentiments et la dignité de son voisin ainsi que les droits que Dieu lui a
donnés.
Faire de ce pays un monde où chacun puisse rêver et réaliser ses rêves –
pas dans la peur mais dans l’espoir – en étant fier de sa communauté,
fier de son pays, fier de ce que l’Amérique représente pour lui et pour le
monde.”
Je vous l’accorde, ces objectifs sont ambitieux. Je crois que nous
pouvons, nous devons travailler pour les atteindre. Mais nous n’y
parviendrons pas si nous nous concentrons sur un autre objectif.
Nous devons maintenir l’intégrité de la Maison-Blanche et cette intégrité
doit être une réalité et non une illusion. Il ne peut y avoir de blanchiment
à la Maison-Blanche.
Nous devons réformer notre processus politique, le débarrasser non
seulement des infractions à la loi mais aussi de cette horrible violence
collective et autres tactiques de campagnes inexcusables qui ont été trop
souvent pratiquées et trop facilement acceptées dans le passé, y compris
celles qui, peut-être, étaient une réponse de la part des uns aux excès
avérés ou prévisibles des autres. Il n’y a pas deux poids deux mesures.
Je suis dans la vie publique depuis plus d’un quart de siècle. Comme
dans toute chose, il y a dans la politique du bon et du mauvais. Et laissez-
moi vous dire que la grande majorité de ceux qui sont dans la politique –
au Congrès, au gouvernement fédéral, au gouvernement national – sont
des gens bien. Je sais combien il peut être facile, sous de fortes pressions
électoralistes, même pour une personne bien intentionnée de tomber dans
des tactiques frauduleuses et de l’expliquer en disant que ce qui est en jeu
est d’une telle importance pour la nation que la fin justifie les moyens. Et
l’un comme l’autre, nos deux partis, ont été coupables de tels faits dans le
passé.
Au cours de ces dernières années, cependant, les excès durant les
campagnes électorales qu’on a pu observer de part et d’autre ont été la
preuve que cette fausse doctrine peut nous mener loin, ce qui laisse à
réfléchir.

La leçon est on ne peut plus claire : l’Amérique, dans ses


campagnes politiques, ne doit pas une fois de plus tomber
dans le piège de laisser la fin, aussi grande soit-elle, justifier
les moyens.

J’invite instamment les chefs des deux partis politiques, j’exhorte les
citoyens, tous les citoyens où qu’ils soient, à travailler ensemble pour
mettre en place de nouvelles normes, de nouvelles règles et procédures
afin qu’à l’avenir les élections soient à l’abri de toute malversation. Tel
est mon objectif. Je vous demande de vous joindre à moi pour faire que
cet objectif devienne l’objectif de l’Amérique. »
28
Golda Meir
Premier ministre d’Israël
(1969-1974)
Golda Meir (1898-1978), née Golda Mabovitch à Kiev, en Ukraine, est une femme d’État. Fuyant les
pogroms, sa famille s’installe aux États-Unis, dans le Wisconsin. Elle devient militante de la cause
sioniste socialiste à l’âge de 18 ans. En 1921, avec son mari et sa sœur, elle émigre vers la Palestine,
alors sous mandat britannique. Très vite, elle est amenée à jouer un rôle politique d’importance,
notamment à partir de 1930, date à laquelle elle fonde avec David Ben Gourion le parti Mapaï. En
1948, elle est l’une des personnalités à signer la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël. Elle
rejoint la Knesset en 1949 – elle y siégera jusqu’en 1974 – et occupe le poste de ministre du Travail
(1949-1956), puis celui de ministre des Affaires étrangères. Elle quitte le gouvernement en 1965 mais
est appelée en 1969 pour devenir Premier ministre après le décès de Levi Eshkol. Elle est liée à la
victoire de la guerre des Six Jours de 1967 mais est contrainte de démissionner après la guerre du
Kippour (1973). Elle meurt en décembre 1978, à l’âge de 80 ans et est inhumée dans le carré des
« Grands de la nation » sur le mont Herzl, à Jérusalem.

« Ce qui distingue (…) Israël des autres pays, c’est le fait que nous
devons toujours (…) nous justifier aux yeux du monde »
1er octobre 1973, Assemblée parlementaire de Vienne (Autriche)

Le 29 septembre 1973, un commando palestinien prend les voyageurs d’un train en otage
parmi lesquels trois Juifs et un Autrichien. À la suite de cette prise d’otages, le chancelier
Kreisky a décidé de fermer le camp de transit de Schoenau par lequel sont passés environ
100 000 Juifs en provenance des pays de l’Est, acceptant ainsi les exigences des terroristes.
Golda Meir, dans son discours devant l’Assemblée parlementaire, demande au gouvernement
de Vienne de revenir sur sa décision afin que les « Juifs russes désireux de se rendre en
Israël » puissent continuer à traverser l’Autriche.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie très


sincèrement des paroles que vous avez prononcées ce matin, ainsi que de
votre invitation à prendre la parole devant le Conseil de l’Europe. Nous
ne faisons pas partie de l’Europe – j’allais dire « à mon grand regret » –
mais il y a si longtemps que nous n’en faisons pas partie que rien ne peut
modifier ce fait géographique ; mais comme nous n’avons pas encore pu
– bien que ce soit un de nos vœux les plus chers – créer dans notre région
un conseil semblable au vôtre, réunissant tous les pays et les peuples de
la région, nous restons très intimement liés à l’Europe, à chacun des pays
d’Europe et, en général, à votre Conseil.
C’est un privilège pour nous d’avoir depuis longtemps des observateurs
au Conseil, et nous apprécions la coopération étroite et les nombreuses
possibilités de participation qui leur sont offertes. Nous avons toujours
été sensibles à la profonde compréhension de nos problèmes dont votre
Conseil a fait preuve. Faut-il s’étonner qu’il en soit ainsi ? L’histoire de
l’Europe et celle du peuple juif s’entremêlent. Ensemble nous avons
souvent connu l’affliction et la détresse, et nous n’oublierons jamais,
nous autres Juifs, que c’est sur votre continent que pour la première fois
nous avons été admis à jouir de l’égalité, de la liberté et d’une vie
normale et libre.
La plupart d’entre nous se souviennent – peut-être certains sont-ils trop
jeunes pour l’avoir connue – de la dernière – et de la plus grave – de
toutes les calamités qui se sont abattues sur l’Europe et dont mes
coreligionnaires ont été les premières victimes ; tous les habitants de tous
vos pays ont enduré les mêmes souffrances. Dans l’éducation de notre
jeune génération, nous cherchons à maintenir l’équilibre. Nous voulons
que notre jeune génération ne grandisse pas dans le sentiment qu’à un
moment donné de notre histoire assez tragique, tous étaient contre nous.
Nous essayons toujours de lui faire comprendre qu’en toute période
sombre de la vie du peuple juif, aussi terrible qu’elle soit, nous trouvions
toujours – parfois en grand nombre, parfois plus rares – des partisans qui
nous soutenaient au mépris même de leur vie.
« S’il existe bien une famille des nations, chaque membre de cette famille
a le droit de vivre, d’exister, de circuler librement dans le monde entier et
de recevoir qui bon lui semble. »
Comme l’exige sans doute la procédure normale, je me suis efforcée de
suivre l’exemple des orateurs qui se succèdent devant vous, et j’ai
préparé un discours. Je pense qu’il vous a été distribué. Mais, au dernier
moment, j’ai décidé de ne pas intercaler entre vous et moi les feuillets de
ce discours, étant donné surtout les événements des deux ou trois derniers
jours et leurs causes.
Vous avez bien voulu, Monsieur le Président, évoquer ce qui s’est passé à
Vienne il y a quelques jours. Je suis parvenue à la conclusion que ces
événements constituent l’ensemble du problème que je désirais vous
soumettre. Ces événements jettent une vive lumière sur tous les éléments
de ce problème, et je ne crois pas utile d’exposer dans le détail ce qu’ont
déjà exprimé les décisions prises à Vienne.
De quoi s’agit-il ? L’État d’Israël a vingt-cinq ans. Depuis vingt-cinq ans,
l’État d’Israël n’a pas connu une seule année de paix complète. Les pays
d’Europe ont connu la guerre. Certains d’entre eux plus d’une fois. Il est
presque inconcevable qu’un pays d’Europe puisse penser que l’un de ses
voisins qui l’a déjà attaqué l’attaquera encore. Nous croyons, vous
croyez, en quelque sorte, que nous avons tous appris que la guerre ne
résout aucun problème, que ses résultats sont plus ou moins les mêmes
pour les deux camps. Quiconque a gagné une guerre ne l’a jamais gagnée
sans souffrances, sans perte de vies, sans destruction. La victoire, elle
aussi, se paie. Il faut payer le prix de la défaite, mais tous ceux qui ont
gagné une guerre en ont payé le prix.
Nous avons gagné toutes nos guerres. Nous en avons payé le prix. Des
milliers de nos fils et de nos filles seraient encore en vie, devraient
encore être en vie et participer à la construction de leur pays. De l’autre
côté, dans les pays arabes, des milliers d’enfants devraient encore être en
vie afin de participer à la construction de leur pays, et leurs peuples s’en
trouveraient beaucoup mieux aujourd’hui.
C’est peut-être un rêve d’espérer que le temps viendra où dans notre
région prévaudra le type de relations que les Européens ont réussi à
instaurer sur leur continent. Mais nombreux sont nos rêves qui se sont
réalisés. Quoi qu’il en soit, seules les personnes ou les pays qui ont le
courage de rêver ont aussi celui de réaliser leurs espoirs et leurs rêves.
Nous rêvons et nous espérons que le temps viendra où notre région suivra
l’exemple de l’Europe, où nous discuterons ensemble de nos problèmes
et où, ce qui importe encore plus, nous édifierons ensemble une seule
région en coopération, sachant qu’aucun peuple de notre région ne pourra
être heureux dans son isolement si un autre peuple est détruit. Le bonheur
de tous les peuples de toute la région exige que nous y vivions tous dans
la paix et la coopération.
J’ai dit que l’État d’Israël a vingt-cinq ans. Ce qui distingue sans doute le
plus nettement Israël des autres pays, c’est le fait que nous devons
toujours, en quelque sorte, nous justifier aux yeux du monde, de chacun
des pays auxquels nous sommes associés et du monde dans son
ensemble. Si nous considérons que les Nations unies sont une famille de
nations, dans cette famille dont nous faisons partie, chaque année depuis
vingt-cinq ans, nous sommes mis en accusation et nous devons nous
justifier.
Les événements de Vienne mettent en lumière le problème du peuple juif
et la position d’Israël au milieu de ses voisins. L’holocauste a fait périr le
tiers du peuple juif. La grande majorité des survivants résident aux États-
Unis, en Union Soviétique ou en Israël. La population d’Israël est passée
de 650 000 habitants en 1948 à près de 3 millions aujourd’hui.
L’État d’Iraël n’a été créé, et c’est sa seule raison d’être, que pour qu’il
devienne le pays dans lequel tous les Juifs ont le droit de venir, qu’ils
soient contraints de quitter le pays où ils vivent ou qu’ils choisissent
librement de vivre en Israël. L’une des premières lois que nous avons
adoptées a été la loi du retour : Israël n’appartient pas aux 650 000
habitants de 1948 ; pas plus qu’aux quelque 3 millions de ses habitants
actuels. Il appartient à tous les Juifs du monde qui veulent y venir et y
vivre ; il appartient à tous les Juifs du monde qui n’ont pas d’autre refuge
et qui veulent y vivre, aux vieux comme aux jeunes et comme aux
malades.
Les Juifs sont venus à nous de diverses parties du monde, de pays en voie
de développement et de pays très développés. Nous avons cherché – et, je
crois, avec un certain succès – à nous amalgamer en un seul peuple.
Les Juifs du monde occidental peuvent venir à nous à n’importe quel
moment. Mais il y a le problème des quelque 3 millions de Juifs de
l’Union Soviétique. Certains disent qu’ils sont 3 millions et demi,
d’autres qu’ils sont 4 millions. D’après le recensement officiel en Russie,
ils sont plus de 2 millions et demi et il est de notoriété publique qu’en
Russie un grand nombre de Juifs ne se sont pas fait inscrire comme tels
parce qu’ils pensaient que leur vie serait ainsi plus facile. Nous croyons
qu’un grand nombre de ces Juifs veulent venir en Israël. Ils ne disent
même pas qu’ils désirent quitter l’Union Soviétique à cause de son
régime ou de son idéologie. Ils ne font que répéter : « Nous sommes des
Juifs. Tous les peuples ont leur propre pays. Nous voulons aller dans le
pays de notre peuple. Nous voulons contribuer à la création de ce pays.
Nous voulons être aux côtés de notre peuple dans l’État juif. »
Je n’ai pas besoin d’insister sur les difficultés que présente pour eux cette
entreprise. Si le nombre de ceux qui partent est en augmentation, je suis
heureuse de dire que c’est probablement dans une large mesure grâce à
l’attitude que le Conseil a prise sur cette question.
Nous n’avons pas de frontière commune avec l’Union Soviétique. Les
Juifs de ce pays qui veulent se rendre en Israël doivent, pour la plupart,
traverser d’autres États. Nous pensions et nous pensons toujours que tout
pays qui croit à la liberté et à la dignité de l’individu reconnaît à tous les
peuples, sans exception, le droit de vivre. Ce droit de vivre n’existe que
si chaque nation a le droit de se défendre, en espérant qu’elle n’aura pas à
le faire. Mais, devant le danger, le droit à l’autodéfense est une nécessité.
Ce principe doit s’appliquer à tous les peuples, y compris les Juifs.
Je comprends très bien qu’un problème se pose à tous les pays qui
autorisent les Juifs à traverser leur territoire pour se rendre en Israël.
Mais le problème n’est pas le fait des Juifs. Il est créé par ceux qui
cherchent à les détruire, à les anéantir. Il ne faut pas confondre celui qui
braque son fusil sur un individu et celui qui essaie d’esquiver le coup. Il
est à ce propos un dicton très commode : « Maudites soient vos deux
maisons ! » Il traduit probablement la plus grave injustice que l’on puisse
commettre ; il épargne tout au plus la difficulté et l’anxiété d’avoir à
prendre une décision. Il évite de choisir entre celui des deux qui doit être
maudit et celui qui ne doit pas l’être. Il est tellement plus facile de dire :
« Tout ceci ne me regarde pas. Vous avez un fusil, nous aussi. Maudites
soient vos deux maisons ! Allez-vous en tous les deux ! » Mais cette
description même ne correspond pas à la réalité. En fait, les choses ne se
passent pas ainsi et l’un des deux protagonistes déclare : « Je ne partirai
que si vous imposez mes conditions à mon adversaire. » Trop souvent,
ces conditions sont acceptées.
En évoquant les événements de Vienne, mon intention n’est pas
d’exposer à cette tribune l’action du Gouvernement autrichien. Je parle
du problème en soi. Quelles sont les leçons à tirer de ces événements ? À
quoi nous exposons-nous si nous acceptons une telle situation ?
La guerre de 1967 a été la troisième à se dérouler dans cette région. Je
signale à l’attention de l’Assemblée qu’Israël – ce pays inflexible et
obstiné – a accepté la résolution adoptée par les Nations unies en 1947.
Nos voisins l’ont réduite à néant. Nous avons promis de respecter
l’accord d’armistice. Nos frontières ont été violées à maintes reprises. Il
est vrai qu’Israël a été condamné plusieurs fois par le Conseil de Sécurité
– mais il l’a été pour des actes de représailles. Cela signifie que quelque
chose est arrivé et que nous avons réagi.
Je ne prétends pas parler au nom d’une nation d’anges. Nous essayons
simplement de nous comporter en êtres humains normaux. Nous ne
pouvons promettre que nous accepterons un accord qui nous obligerait à
être des anges. Nous ne sommes finalement qu’un peuple comme les
autres.
En 1967, nous avons cru honnêtement et sincèrement que cette guerre
était la dernière. Mon prédécesseur, M. Eshkol, a immédiatement déclaré
aux pays arabes, au nom du Gouvernement israélien : « Asseyons-nous à
la même table et négocions sur un pied d’égalité – et non pas en
vainqueurs et en vaincus. Établissons un traité de paix une fois pour
toutes. Travaillons ensemble. »
On nous a répondu : « Pas de négociations, pas de reconnaissance
d’Israël, pas de paix. »
Après cet échec des pays arabes sur le champ de bataille, des activités
terroristes ont commencé en Israël même, dans les territoires occupés et
aux frontières. Elles ont échoué également. Je vous rappelle que nous
avons en Israël une communauté arabe d’environ 400 000 personnes, de
confessions musulmane, chrétienne et juive. Toutes sont traitées sur un
pied d’égalité avec les citoyens israéliens. Je suis heureuse de pouvoir
dire qu’elles sont prospères et ont atteint un bon niveau de
développement. Un village arabe en Israël aujourd’hui n’a d’équivalent
dans aucun pays arabe. Je suis heureuse de pouvoir dire que les actes de
terrorisme ont cessé dans les territoires occupés dans le secteur
occidental et dans la zone de Gaza. Les routes et les ponts sont ouverts.
Les gens circulent d’un bout à l’autre du pays. Ils vont en Jordanie et
dans d’autres États voisins pour y faire des études et y passer des
vacances. Des milliers d’entre eux le font. Il y a un afflux constant
d’Arabes en provenance des pays ennemis.
Ayant échoué en Israël, les organisations palestiniennes, aidées par les
gouvernements arabes qui leur fournissent des armes et les entraînent, ont
entrepris de porter la terreur en Europe et dans toutes les parties du
monde.
Je comprends fort bien les sentiments du Premier ministre ou d’un
membre du gouvernement d’un pays qui déclare : « Nous n’avons rien à
voir avec tout cela. Pourquoi notre territoire a-t-il été choisi pour de telles
activités ? » Je comprends tout à fait ces sentiments. Je comprends que
l’on finisse par conclure que le seul moyen de se débarrasser de ce casse-
tête est d’interdire le pays aux Juifs et surtout aux Israéliens – ou aux
terroristes. Tout gouvernement est amené à faire ce choix.
Je sais ce qui se passe lorsqu’un avion est détourné. J’ai connu de telles
situations. Je me suis trouvée devant un terrible dilemme lorsque des
Israéliens, hommes et femmes, ont été faits prisonniers en Thaïlande et
maintenus au sol, pieds et poings liés, pendant plus de vingt heures. Nous
avons dû répéter alors inlassablement que nous ne céderions pas aux
exigences des terroristes. Je ne crois pas devoir expliquer que je n’ai pas
dit cela de gaieté de cœur. Pourtant, les parents de deux des otages, un
jeune homme et une jeune femme, m’ont téléphoné pour me dire : « Ne
cédez pas. » Cet homme et cette femme se sont d’ailleurs mariés depuis,
si vous me permettez cette digression. Pourquoi ces parents nous ont-ils
dit : « Ne cédez pas », et pourquoi ne l’avons-nous pas fait ? Est-ce parce
que nous n’avons pas de cœur ? Ces parents n’ont-ils pas de cœur ? Le
Premier ministre et les membres du Gouvernement d’Israël n’ont-ils pas
de cœur ?
Mes amis, nous avons appris une dure leçon. Il arrive qu’en voulant
sauver une vie immédiatement, on en sacrifie plusieurs autres. Nous
devons venir à bout du terrorisme. On ne saurait faire de compromis avec
les terroristes. Que dire des terribles événements de Vienne ? S’agit-il
d’un marché ? Je ne vois pas d’autre terme. Ou disons qu’il y a eu un
arrangement, un accord. Je suis prête à user d’un langage très modéré si
cela peut modifier la situation. Il a été décidé que les terroristes
libéreraient les trois Juifs et un Autrichien et qu’en retour on n’aidera pas
les Juifs russes désireux de se rendre en Israël à traverser l’Autriche,
après toutes les difficultés affrontées au cours de leur lutte. Ou plutôt,
comme on nous l’a précisé depuis lors, ils ne recevront plus la même aide
que dans le passé. Les organisations terroristes et les radios des États
arabes crient victoire – à juste titre, de leur point de vue. C’est la
première fois qu’un gouvernement accepte un accord comme celui-là.
Jusqu’ici, la pire des mesures prises, que nous avions d’ailleurs critiquée,
a été la libération des terroristes qui ont commis des crimes comme ceux
des Jeux Olympiques de Munich et qui se trouvent maintenant à même
d’entreprendre de nouvelles opérations. Les terroristes ont obtenu cette
fois bien davantage. Un principe fondamental, celui de la liberté de
circulation des personnes, a été remis en cause, du moins en ce qui
concerne les Juifs, et il s’agit pour nos adversaires d’une grande victoire.
Je sais, je suis convaincue, que les vies des quatre otages étaient très
importantes. Ils sont libres, ils sont vivants, mais je suis persuadée aussi –
bien que telle n’ait certainement pas été l’intention du Gouvernement ou
du Premier ministre d’Autriche – que rien ne pouvait mieux encourager
la terreur dans le monde entier que les événements de Vienne.
Mes amis, le premier acte de piraterie aérienne a été le détournement sur
Alger d’un appareil d’El Al et de tous ses passagers. L’Algérie a donné
asile aux pirates et le monde est resté silencieux, si l’on excepte un article
ou un discours çà et là. Or voyez où en est à présent la circulation
aérienne mondiale : nul ne peut s’embarquer dans un avion avec la
certitude d’arriver à bon port surtout si un Israélien se trouve à bord ce
qu’à Dieu ne plaise ! Faut-il pour autant qu’aucun Israélien ne prenne
l’avion ? Il est très difficile d’établir la différence entre un Juif et un
Israélien. Nous sommes dans les années 1970 du vingtième siècle.
L’interdiction de transiter par l’Autriche en provenance d’Union
Soviétique ne s’applique-telle qu’aux Juifs ?
Croyez-moi, nous sommes extrêmement reconnaissants de tout ce que le
Gouvernement autrichien a fait pour les dizaines de milliers de Juifs qui
sont passés par l’Autriche en quittant la Pologne, la Roumanie et l’Union
Soviétique. Nous sommes extrêmement reconnaissants pour tout ce que
les autorités autrichiennes ont fait pour ces Juifs d’URSS qui devaient
rester au camp de Schoenau parfois quelques heures, parfois vingt-
quatre heures. Nous ne tenons pas à ce qu’ils restent en Autriche et nos
avions vont les y chercher le plus vite possible. Nous n’ignorons pas que
les services de sécurité autrichiens ont affecté beaucoup d’hommes à la
surveillance de Schoenau, non pas à cause des Juifs qui s’y trouvent,
mais parce que – nous le savons et le Gouvernement autrichien le sait
aussi – les Arabes ont cherché plus d’une fois à faire sauter le camp.
Dorénavant, il n’y aura plus de Juifs à Schoenau, donc plus rien à y faire
sauter.
Je l’affirme à nouveau, si on n’est pas décidé à en finir avec les
terroristes et si on les laisse en liberté – bien qu’ils aient commis un acte
de terrorisme ou qu’ils aient été pris les armes à la main en avouant avoir
bel et bien voulu faire sauter Schoenau –, que font-ils lorsqu’on les
relâche sous prétexte qu’ils n’ont finalement rien commis de
répréhensible ? Ils retournent à Beyrouth, en Libye ou en Égypte pour s’y
organiser et recommencer. Voilà donc la solution, vous fermez Schoenau
aux Juifs, et vous n’avez plus de terroristes.
À seule fin de vous prouver que ce dilemme n’est pas nouveau depuis
que l’État d’Israël a été créé, je citerai un poète juif de la Russie tsariste.
Vous savez qu’il est une fête juive, dont la date approche, au cours de
laquelle on dresse dans les cours un tabernacle, sorte de tente, afin de
voir le ciel. L’une des règles qui préside à l’installation de ce petit abri
temporaire veut qu’il ne soit pas posé à même le sol, mais qu’un espace
l’en sépare. Le poète juif en question écrivait qu’un animal s’étant glissé
sous le tabernacle et l’ayant renversé, toute la question était de savoir si
la faute en incombait à l’animal lui-même. Bien entendu, il fut établi que
si ce rite n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu de tabernacle donc rien à
renverser, et que l’animal n’était pas coupable. Cela se passait en Russie
tsariste, sous un régime contre lequel s’est dressé en armes tout ce que le
monde comptait de forces du bien.
Nous sommes en 1973. L’État d’Israël a été créé juste après l’holocauste.
Les 6 millions de Juifs d’Europe centrale et orientale constituaient un
foyer culturel et religieux, un bastion de l’hébreu et de la fidélité aux
traditions juives. Ils ont été exterminés, et parmi eux un million d’enfants
et en plus d’eux toutes les générations auxquelles ils auraient dû donner
le jour.
L’État d’Israël a été accepté parce qu’en 1947, la famille des nations, y
compris l’Union Soviétique et la Pologne, a reconnu qu’en toute justice,
les Juifs devaient pouvoir, eux aussi, exercer leur souveraineté sur cette
petite parcelle de terre qui est leur patrie.
Pendant ces vingt-cinq années, nous avons fait du chemin ; nous avons
rencontré l’amitié et la compréhension de nombreuses nations, mais nous
nous sommes heurtés aussi à beaucoup d’incompréhension.
Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir invitée à m’exprimer
ici, et je vous remercie, mes amis, de me prêter attention. Je vous
soumets un problème ; il vous est loisible de dire que ce n’est pas le
vôtre. Mais qu’il me soit permis de souligner que dans ce monde, les
difficultés d’un peuple ne concernent plus exclusivement ce peuple-là.
S’il existe bien une famille des nations, chaque membre de cette famille a
le droit de vivre, d’exister, de circuler librement dans le monde entier et
de recevoir qui bon lui semble.
Ces terroristes, dont deux étaient armés, auront au moins posé la question
de savoir si un pays doit se voir interdire de laisser transiter les Juifs – et
des Juifs seulement – sur son territoire.
J’espère sincèrement que la décision du Gouvernement autrichien n’est
pas irrévocable et qu’il y a eu quelque part un malentendu. Nous ne
recherchons de victoire sur aucun gouvernement. Nous sommes
seulement anxieux de voir cette question éclaircie. C’est pur hasard si je
me trouve ici juste après ce week-end mouvementé, et j’estime qu’il eût
été malhonnête de ma part de ne pas attirer votre attention sur la manière
dont nous autres, peuple d’Israël et Gouvernement d’Israël, considérons
ce qui s’est passé. Pourquoi l’Autriche serait-elle seule à prétendre que
pour protéger des citoyens soviétiques se rendant en Israël, il faut leur
interdire le passage sur son territoire ? Pourquoi d’autres pays
n’adopteraient-ils pas la même attitude ?
Je terminerai sur un seul mais amer souvenir. Ce n’est un secret pour
personne, je suppose, que l’on me présente partout comme une vieille
femme qui a bien des complexes et de nombreux souvenirs. Dans la
longue histoire de mon peuple, on trouve la diaspora, les pogroms de la
Russie tsariste – mon premier souvenir –, l’holocauste des camps nazis et
le terrorisme arabe. Je n’ai rien oublié de tout cela, et je ne suis pas la
seule. Je me rappelle aussi qu’en 1938, l’un des plus grands présidents
qu’aient eu les États-Unis a convoqué une conférence à Évian. Au nom
de bien des pays représentés, il y fut prononcé de beaux et sincères
discours qui exprimaient beaucoup de sympathie pour les réfugiés juifs
courant le monde afin de fuir l’Allemagne et tout pays que les nazis
avaient mis sous leur botte. Chacun y condamna le fascisme et se déclara
hautement solidaire des réfugiés juifs, non sans ajouter aussitôt : « Mais
mon pays ne peut les recevoir. » Les représentants d’un pays allèrent
même jusqu’à dire : « Il n’y a jamais eu de problème juif chez nous.
Nous ne voulons donc pas en créer un en laissant entrer ces réfugiés. »
Mes amis, je vous remercie encore vivement de m’avoir prêté attention.
Pardonnez-moi de vous avoir présenté une fois de plus quelques-uns des
problèmes auxquels doit faire face l’État d’Israël.
(Applaudissements. À de nombreux bancs, Mme et MM. les
Représentants se lèvent.)
29
Yasser Arafat
Chef de la résistance et homme politique palestinien
En 1956, Yasser Arafat de son vrai nom Mohammed Abed Raouf (1929-2004) fonde avec d’autres
dirigeants de groupements de résistance palestinienne le mouvement de libération nationale Al Fatah.
En 1969, le Fatah devient l’une des principales composantes de l’Organisation de Libération de la
Palestine (OLP) créée en 1964. Arafat devient alors le chef du mouvement (sans toutefois être très
apprécié par les dirigeants du reste du monde). L’OLP sera officiellement reconnue par les Nations
unies en 1974. L’objectif premier de l’OLP qui était de créer un état laïc sur l’ensemble du territoire
de la Palestine se voit modifier sous Arafat qui veut faire de la Palestine un État totalement
indépendant. En 1993, Arafat et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin négocient à Washington
(États-Unis) un accord de paix. Signé au Caire en 1994, l’accord de paix porte notamment sur le
retrait des Israéliens de Jéricho et de la bande de Gaza.
En 1994, Arafat devient le chef d’État de la Palestine. En 1995, il négocie le retrait des troupes
israéliennes de Cisjordanie. La paix, cependant, est on ne peut plus fragile et, en 2003, l’incapacité
d’Arafat à contrôler le militantisme arabe est une évidence pour le reste du monde. En octobre 2004,
Yasser Arafat tombe malade. Il décède en novembre. Les causes de son décès sont encore
controversées.

« Je suis venu avec dans une main un rameau d’olivier et dans


l’autre un fusil de combattant de la liberté »
13 novembre 1974, New York (États-Unis)

Yasser Arafat fut le premier représentant d’une organisation non-gouvernementale à être


invité à s’exprimer lors de l’Assemblée générale des Nations unies. Il se présente au siège de
l’organisation à New York, un keffieh sur la tête et une ceinture de pistolet autour de la taille.
Même s’il est peu probable qu’il y ait eu une arme dans l’étui, l’arrivée du Palestinien n’est
pas sans rappeler ce qui s’est passé deux ans plus tôt lorsque l’organisation Septembre noir –
supposée avoir des liens avec l’OLP – a assassiné onze athlètes israéliens lors des Jeux
olympiques d’été de Munich.
Dans son discours, Arafat rejette la responsabilité des troubles au Moyen-Orient sur
l’impérialisme et le sionisme qui, dit-il, ont contribué au morcellement de la Palestine suite à
la Déclaration Balfour (1917), lettre ouverte dans laquelle le ministre des Affaires étrangères
britannique Arthur Balfour déclara que la Grande-Bretagne était en faveur de l’établissement
d’un foyer national juif en Palestine. Arafat cherche à légitimer l’OLP en tant qu’organisation
de combattants pour la paix luttant pour une cause juste. Il rappelle que la majorité des
personnes auxquelles il s’adresse, ont gagné l’indépendance de leur pays en ayant recours à
des guerres colonialistes. La répétition du mot « exil » retentit à la fin du discours et laisse
planer la menace d’une violence ce qui n’empêcha pas Arafat d’être ovationné par la majorité
de l’assemblée.
Un an après, la Résolution 3237 de l’Assemblée générale de l’ONU accorde à l’OLP le statut
d’observateur aux Nations unies. C’est la première fois qu’une organisation non-
gouvernementale obtient ce statut.

Monsieur le Président, je vous remercie d’avoir invité l’Organisation


pour la Libération de la Palestine à participer à la séance plénière de
l’Assemblée générale des Nations unies. C’est une occasion
particulièrement importante qui nous est donnée. […]
Notre monde aspire à la paix, à la justice, à l’égalité et à la liberté. Il
souhaite que les nations opprimées, qui aujourd’hui plient sous le poids
de l’impérialisme, puissent obtenir leur liberté et leur droit à l’auto-
détermination. Il espère que les relations qui lient les nations reposent sur
l’égalité, la coexistence pacifique, le respect mutuel en termes de
politique intérieure, l’inviolabilité de la souveraineté nationale,
l’indépendance et l’unité territoriale sur la base de la justice et du profit
mutuel […]
Un grand nombre de peuples, y compris les peuples du Zimbabwe, de la
Namibie, de l’Afrique du Sud et de la Palestine, pour ne citer qu’eux,
sont toujours victimes de l’oppression et de la violence. [...] Il est
impératif que la communauté internationale soutienne ces peuples dans
leur combat, dans la poursuite de leurs causes légitimes, dans
l’acquisition de leur droit à l’auto-détermination. [...]
[Mais] en dépit des crises mondiales permanentes, en dépit même des
réticences sinistres et des injustices désastreuses, nous vivons une époque
de changement merveilleux.

« Un ordre du monde ancien est en train de s’effondrer sous


nos yeux, impérialisme, colonialisme, néo-colonialisme et
racisme, dont la forme principale est le sionisme, se meurent
inéluctablement. »
Nous avons le privilège de pouvoir être les témoins d’un grand remous
historique qui projette les populations dans ce monde nouveau qu’elles
ont créé. Dans ce monde, les justes causes triompheront. De cela nous
sommes sûrs.
La question de la Palestine fait partie de cette naissance et de ce combat
qui se profile à l’horizon. [...] En cet instant précis, parmi nous, il y a
ceux qui, alors qu’ils occupent nos maisons, ceux dont le bétail broute
dans nos pâtures, ceux qui cueillent de leurs mains les fruits sur nos
arbres, prétendent qu’ils sont des esprits désincarnés, des mythes sans
présence, sans traditions et sans avenir. [...]
Tout comme il y en a parmi vous – et en disant cela, je fais allusion aux
États-Unis d’Amérique et autres nations – qui fournissez gratuitement à
nos ennemis des avions, des bombes et autres types d’armes mortelles. Ils
prennent parti contre nous, déformant volontairement l’essence même du
problème. Tout cela est fait non seulement à nos dépens mais aussi aux
dépens du peuple américain et de l’amitié qui, nous continuons à
l’espérer, peut être scellée entre nous et ce grand peuple que nous
honorons et saluons pour avoir combattu au nom de la liberté.
Je ne peux maintenant renoncer à cette occasion qui m’est offerte à cette
tribune, de lancer directement un appel au peuple américain, de lui
demander de soutenir notre peuple héroïque et combattant. Je demande
au peuple américain de reconnaître le droit et la justice, de se souvenir de
George Washington1, ce héros qui s’est battu pour la liberté et
l’indépendance de sa nation ; d’Abraham Lincoln2, qui a combattu pour
les pauvres et les miséreux ; de Woodrow Wilson3, pour son programme
de quatorze points auquel notre peuple souscrit et que notre peuple
vénère. [...]
La question de la Palestine a pour origine des faits historiques, et nous
croyons que toutes les interrogations qui, aujourd’hui, suscitent
l’inquiétude du monde doivent être considérées de manière radicale et ce,
au sens propre du terme, si tant est qu’une solution puisse réellement être
trouvée. [...] L’origine de la question de la Palestine remonte aux toutes
dernières années du XIXe siècle ou autrement dit à la période que nous
appelons colonialisme et colonisation. Cette période correspond
précisément à la période qui a vu naître le sionisme, l’objectif étant la
conquête de la Palestine par les immigrants européens sur le modèle de la
conquête, de l’invasion, de la plupart des pays africains par les
colonisateurs. [...]
À l’image du colonialisme et de ses démagogues qui justifiaient leurs
conquêtes, leurs pillages et leurs attaques répétées contre les autochtones
africains comme étant la mission qu’ils se devaient de remplir pour
« civiliser et apporter de la modernité » aux populations, les immigrants
sionistes ont, de la même manière, dissimulé leurs véritables motivations
de conquête de la Palestine. [...]
La théologie sioniste fut utilisée contre le peuple palestinien : le but des
sionistes n’était pas seulement de mettre en place une colonisation
occidentale mais également de priver les Juifs de leurs terres natales et de
les éloigner de leurs nations. Le sionisme est une idéologie impérialiste,
colonialiste et raciste ; une idéologie profondément réactionnaire et
discriminatoire ; une idéologie qui, du fait de ses principes rétrogrades,
présente de nombreux points communs avec l’antisémitisme et qui,
lorsqu’on a tout dit et tout fait, est l’autre face du décor. Et lorsqu’on
propose que les adeptes de la foi hébraïque, quel que soit le lieu où ils
vivent, ne devraient ni être inféodés à leur pays de résidence ni vivre sur
un pied d’égalité avec les citoyens non juifs – lorsqu’on entend cela on
entend des propos antisémites.
Le mouvement sioniste, avec l’invasion de notre territoire, s’apparente
franchement au colonialisme mondial. Et pour illustrer ce point,
permettez-moi de vous présenter certaines vérités historiques.
L’invasion de la Palestine par les Juifs a commencé en 1881. Avant
l’arrivée de la première grande vague d’immigrants, la Palestine comptait
un demi-million d’habitants, pour la plupart des musulmans et des
chrétiens, puisque seuls 20 000 d’entre eux étaient juifs. La tolérance
religieuse qui caractérisait notre civilisation était omniprésente. La
Palestine était une terre verdoyante, majoritairement peuplée d’Arabes
qui construisaient leur vie et œuvraient pour un enrichissement de la
culture indigène.
Entre 1882 et 1917, le mouvement sioniste fit qu’environ 50 000 Juifs
européens vinrent s’installer sur notre terre natale. En ayant recours à la
ruse et à la tromperie, ils s’implantèrent parmi nous. Ils réussirent même
à ce que la Grande-Bretagne rédige la Déclaration Balfour4 prouvant une
fois de plus l’alliance entre le sionisme et l’impérialisme. De plus, en
promettant au mouvement sioniste des choses qui ne lui appartenaient
pas, la Grande-Bretagne montra à quel point l’impérialisme est
opprimant.
Ce fut fait d’une telle manière que la Ligue des Nations abandonna notre
peuple arabe alors que les engagements et les promesses de Wilson
n’aboutissaient à rien. Sous couvert d’un mandat, l’impérialisme
britannique nous fut cruellement et directement imposé et ce, afin de
permettre aux envahisseurs sionistes de renforcer leurs acquis dans notre
mère patrie. [...]
En 1947, le nombre de Juifs était passé à 600 000. Les Juifs possédaient
environ 6 % des terres arables de la Palestine. Ces chiffres doivent être
comparés à la population totale de la Palestine qui était alors de
1 250 000 individus.
Conséquence directe de la collusion entre la puissance mandataire et le
mouvement sioniste avec le soutien d’un certain nombre de pays,
l’Assemblée générale des Nations unies qui n’en était qu’au début de son
histoire, approuva une recommandation portant sur le démantèlement de
la Palestine notre mère patrie. [...] Lorsque nous avons refusé cette
décision, nous avons réagi comme la mère biologique qui refusa que le
roi Salomon coupe son fils en deux alors que la femme qui prétendait être
la mère de l’enfant acceptait qu’il soit démembré.
De plus, même si la résolution du démantèlement accordait aux
colonisateurs 54 % de la terre de Palestine, ils ne furent pas satisfaits de
cette décision et se lancèrent dans une guerre faisant régner la terreur
parmi la population civile arabe. [...] Ils construisirent leurs villages et
leurs colonies sur les ruines de nos fermes et de nos vergers.
C’est là que se trouve l’origine de la question de la Palestine. Les causes
n’ont rien à voir avec un éventuel conflit entre deux religions ou deux
nationalismes. La question de la Palestine n’a rien à voir non plus avec
un problème de frontière entre deux États voisins. La raison au cœur du
problème est qu’un peuple a été privé de sa terre natale, dispersé,
déraciné et s’est vu contraint à l’exil et obligé de vivre dans des camps de
réfugiés.
Avec le soutien des Puissances impérialistes et colonisatrices, [Israël] a
réussi à se faire accepter comme membre des Nations unies. Puis, Israël a
réussi à faire que la question de la Palestine soit retirée du programme
des Nations unies et à duper l’opinion publique dans le monde entier en
présentant notre cause comme étant un problème de réfugiés ayant besoin
de la charité des bien-pensants ou la colonisation d’une terre ne leur
appartenant pas.
Non satisfaite de tout cela, l’entité raciste, fondée sur le concept
impérialiste-colonialiste, s’est transformée en une base d’impérialisme et
un arsenal d’armes.
Cela permit à cette entité d’assumer son rôle à savoir assujettir le peuple
arabe et commettre des agressions contre lui afin de satisfaire ses
ambitions visant à prendre possession d’autres parties de la Palestine et
d’autres pays arabes. En plus des nombreux exemples d’agressions
perpétrées par cette entité contre les États arabes, Israël a mené deux
guerres de grande ampleur en 1956 et en 1967 mettant ainsi en danger la
paix et la sécurité dans le monde.
Suite à l’agression sioniste en juin 1967, l’ennemi a occupé le Sinaï
égyptien jusqu’au canal de Suez. L’ennemi a occupé le plateau du Golan
en Syrie en plus des terres palestiniennes à l’ouest de la Jordanie. Tous
ces événements ont conduit à la création dans notre région de ce qui est
désormais connu sous le nom de « problème du Moyen-Orient ». La
situation a empiré, l’ennemi ayant décidé de continuer à occuper de
manière illégale notre territoire et d’aller plus loin encore en mettant en
place une tête de pont pour accentuer l’impérialisme mondial contre
notre nation arabe. [...]
Le quatrième conflit éclata en octobre 1973, faisant comprendre à
l’ennemi sioniste l’échec de sa politique d’occupation, d’expansion et de
sa dépendance du concept de puissance militaire. Malgré tout cela, les
dirigeants de l’entité sioniste sont loin d’avoir tiré toutes les leçons de
cette expérience. Ils se préparent actuellement pour un cinquième conflit
en recourant, une fois de plus, au nom de la supériorité militaire, de
l’agression, du terrorisme, de l’asservissement et, au final, toujours de la
guerre dans leurs transactions avec les Arabes. [...]
En tant que fils de Jérusalem, je garde précieusement, pour moi et pour
mon peuple, des beaux souvenirs et des images saisissantes de la
fraternité religieuse qui était l’estampille de notre ville sainte avant
qu’elle ne succombe à la catastrophe. [...] Notre révolution n’a pas été
motivée par des facteurs raciaux ou religieux. Notre révolution n’a jamais
eu pour cible le Juif en tant que personne mais le sionisme raciste et
l’agression non dissimulée. C’est en cela que notre révolution est aussi
une révolution pour le Juif en tant qu’être humain. Nous combattons afin
que les juifs, les chrétiens et les musulmans puissent être égaux, qu’ils
jouissent des mêmes droits et qu’ils aient les mêmes devoirs, sans la
moindre discrimination raciale ou religieuse.
Nous faisons le distinguo entre le judaïsme et le sionisme. Alors que nous
continuons à nous opposer au mouvement sioniste colonialiste, nous
respectons la foi des Juifs. Aujourd’hui, presque un siècle après la
montée du mouvement sioniste, nous souhaitons mettre en garde contre
le danger qui menace de plus en plus les Juifs dans le monde, notre
peuple arabe ainsi que la paix et la sécurité dans le monde. [...]
Ceux qui nous traitent de terroristes souhaitent empêcher que l’opinion
publique partout dans le monde, apprenne la vérité sur nous et voie la
justice sur nos visages. [...]
Ce qui différencie le révolutionnaire du terroriste, c’est la raison pour
laquelle l’un et l’autre se battent.
[…] Celui, quel qu’il soit, qui défend une juste cause et se bat pour la
liberté, qui combat pour faire partir de son pays les envahisseurs, les
colonisateurs et les colonialistes ne peut absolument pas être qualifié de
terroriste. [...]
Notre combat est un combat juste et honnête, au sens où l’entendent la
Charte des Nations unies et la Déclaration des droits de l’Homme. Et
ceux qui se battent contre des causes justes, ceux qui font la guerre pour
occuper d’autres pays, coloniser et opprimer d’autres peuples, eux sont
des terroristes. [...]
Leur terrorisme se nourrit de la haine et cette haine fut même dirigée,
dans mon pays, contre l’olivier qui est un fier symbole et qui rappelle les
peuples indigènes de notre terre, qui nous rappelle que notre terre est
palestinienne – cette terre qu’ils cherchent à détruire. [...] Leur terrorisme
a même atteint des lieux sacrés dans la Jérusalem que nous aimons et où
régnait la paix. Ils ont entrepris de dé-arabiser Jérusalem et de lui faire
perdre son identité musulmane et chrétienne en chassant les habitants et
en l’annexant. [...]
Faut-il rappeler à cette assemblée les nombreuses résolutions adoptées
par elle qui condamnent les agressions israéliennes à l’encontre des pays
arabes, les violations par les Israéliens des droits de l’Homme ; les
articles des conventions de Genève tout comme les résolutions ayant trait
à l’annexion de la ville de Jérusalem et son retour à son ancien statut ? La
seule manière de décrire ces actes est de dire que ce sont des actes de
barbarie et de terrorisme.
Et pourtant, les racistes et les colonialistes sionistes osent encore dire du
juste combat que mène notre peuple que c’est un acte terroriste. Est-il
possible de déformer plus la vérité que cela ?
[…] Je suis un rebelle et la liberté est la cause que je défends. Je sais bien
que parmi ceux qui sont présents ici aujourd’hui, nombreux sont ceux
qui, dans le passé, ont affiché la même résistance que celle que j’affiche
aujourd’hui et qui me pousse à me battre. Un jour vous avez transformé,
grâce à votre lutte, vos rêves en réalité. […] Alors pourquoi n’aurais-je
pas le droit de rêver et d’espérer ? Travaillons ensemble afin que mes
rêves se concrétisent, que mon peuple revienne d’exil, que l’on vive ici
en Palestine avec ce combattant pour la paix juif et ses partenaires, avec
son prêtre arabe et ses frères, dans un État démocratique où les chrétiens,
les juifs et les musulmans vivent dans un monde où règnent la justice,
l’égalité, la fraternité et le progrès. N’est-ce pas un rêve louable ? [...] En
ma qualité de Président de l’Organisation de Libération de la Palestine et
chef de la révolution palestinienne, je vous demande d’accompagner
notre peuple dans son combat dans sa quête d’auto-détermination. [...]
Je suis venu avec dans une main un rameau d’olivier et dans l’autre un
fusil de combattant de la liberté.
Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. Je le répète : ne
laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main.
30
Simone Veil
Femme politique, ministre de la Santé (1974-1979)
Simone Veil (1927-2017), née Simone Annie Jacob à Nice, est déportée à Auschwitz à l’âge de
16 ans. Ses deux parents ainsi que son frère ne reviendront pas des camps. Après la guerre, elle
épouse Antoine Veil. Elle entame une carrière dans la magistrature. En mai 1974, alors ministre de la
Santé, elle fait adopter la « Loi Veil » qui autorise l’avortement en France. Cette loi est promulguée le
17 janvier 1975. De 1979 à 1982, elle est la première femme à présider le Parlement européen. En
mars 1993, elle est nommée ministre d’État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville
dans le gouvernement d’Édouard Balladur. De 1998 à 2007, elle est membre du Conseil
constitutionnel. Le 1er janvier 2009, elle est promue directement à la distinction de grand officier de
la Légion d’honneur. Simone Veil occupe le treizième fauteuil à l’Académie française. Elle publie le
31 octobre 2007 son autobiographie intitulée Une vie, ouvrage traduit en une quinzaine de langues et
vendu, en France, à plus de 550 000 exemplaires. Elle disparaît le 30 juin 2017 et fait son entrée au
Panthéon avec son époux le 1er juillet 2018.

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement »


26 novembre 1974, Assemblée nationale, Paris (France)

Nommée ministre de la Santé dans le gouvernement de Jacques Chirac après l’élection de


Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, Simone Veil est le maître d’œuvre
de l’adoption par le Parlement du projt de loi sur l’interruption volontaire de grossesse qui
vise à dépénaliser l’avortement. Ce texte entra en vigueur le 17 juin 1975.
Ministre depuis à peine six mois, encore inconnue des Français, Simone Veil vient défendre la
cause des femmes face à une assemblée d’hommes majoritairement hostiles. Pendant trois
jours et deux nuits, elle affronte 74 orateurs et subit des accusations scandaleuses. Elle tient
cependant tête et au petit matin du 29 novembre, après vingt-cinq heures de débat tumultueux,
la loi est adoptée par 284 voix contre 189.

Monsieur le président, mesdames, messieurs,


Si j’interviens aujourd’hui à cette tribune, ministre de la Santé, femme et
non parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde
modification de la législation sur l’avortement, croyez bien que c’est
avec un profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème,
comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus intime de
chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la
gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble.
Mais c’est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet
longuement réfléchi et délibéré par l’ensemble du Gouvernement, un
projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour
objet de « mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et
d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus
difficiles de notre temps ».
Si le Gouvernement peut aujourd’hui vous présenter un tel projet, c’est
grâce à tous ceux d’entre vous – et ils sont nombreux et de tous
horizons – qui, depuis plusieurs années, se sont efforcés de proposer une
nouvelle législation, mieux adaptée au consensus social et à la situation
de fait que connaît notre pays.
C’est aussi parce que le gouvernement de M. Messmer avait pris la
responsabilité de vous soumettre un projet novateur et courageux.
Chacun d’entre nous garde en mémoire la très remarquable et émouvante
présentation qu’en avait faite M. Jean Taittinger.
C’est enfin parce que, au sein d’une commission spéciale présidée par
M. Berger, nombreux sont les députés qui ont entendu, pendant de
longues heures, les représentants de toutes les familles d’esprit, ainsi que
les principales personnalités compétentes en la matière.
Pourtant, d’aucuns s’interrogent encore : une nouvelle loi est-elle
vraiment nécessaire ? Pour quelques-uns, les choses sont simples : il
existe une loi répressive, il n’y a qu’à l’appliquer. D’autres se demandent
pourquoi le Parlement devrait trancher maintenant ces problèmes : nul
n’ignore que depuis l’origine, et particulièrement depuis le début du
siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu’elle n’a été que peu
appliquée.
En quoi les choses ont-elles donc changé, qui obligent à intervenir ?
Pourquoi ne pas maintenir le principe et continuer à ne l’appliquer qu’à
titre exceptionnel ? Pourquoi consacrer une pratique délictueuse et, ainsi,
risquer de l’encourager ? Pourquoi légiférer et couvrir ainsi le laxisme de
notre société, favoriser les égoïsmes individuels au lieu de faire revivre
une morale de civisme et de rigueur ? Pourquoi risquer d’aggraver un
mouvement de dénatalité dangereusement amorcé au lieu de promouvoir
une politique familiale généreuse et constructive qui permette à toutes les
mères de mettre au monde et d’élever les enfants qu’elles ont conçus ?
Parce que tout nous montre que la question ne se pose pas en ces termes.
Croyez-vous que ce gouvernement et celui qui l’a précédé se seraient
résolus à élaborer un texte et à vous le proposer s’ils avaient pensé
qu’une autre solution était encore possible ?
Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics
ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études
et les travaux menés depuis plusieurs années, les auditions de votre
commission, l’expérience des autres pays européens. Et la plupart d’entre
vous le sentent, qui savent qu’on ne peut empêcher les avortements
clandestins et qu’on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les
femmes qui seraient passibles de ses rigueurs.
Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation
actuelle est mauvaise. Je dirai même qu’elle est déplorable et dramatique.
Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même,
ridiculisée. Lorsque l’écart entre les infractions commises et celles qui
sont poursuivies est tel qu’il n’y a plus à proprement parler de répression,
c’est le respect des citoyens pour la loi, et donc l’autorité de l’État, qui
sont mis en cause.
Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font
connaîre publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont
invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des
services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en
détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de
grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même
par charter des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans
une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer.
Mais, me direz-vous, pourquoi avoir laissé la situation se dégrader ainsi
et pourquoi la tolérer ? Pourquoi ne pas faire respecter la loi ?
Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain
nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c’est bien qu’ils
s’y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions
personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu’ils ne
peuvent méconnaître. Parce qu’en face d’une femme décidée à
interrompre sa grossesse, ils savent qu’en refusant leur conseil et leur
soutien, ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse d’un acte perpétré
dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils
savent que la même femme, si elle a de l’argent, si elle sait s’informer, se
rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et
pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa
grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus
immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année.
Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la
plupart du temps la détresse et les drames.
C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il
convient de faire cesser. Mais comment y parvenir ?
Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception,
l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer
sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse
l’encourager.
Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme –
je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement
composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à
l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes.
C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.
C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la
situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de
grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la
femme.
[…] Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse,
qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la
honte, la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des
poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent elles ne trouvent
personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une
protection.
Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la
loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces
femmes dans leur détresse ? Combien sont-ils ceux qui, au-delà de ce
qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères
célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient grand
besoin ?
[…] Ainsi, conscient d’une situation intolérable pour l’État et injuste aux
yeux de la plupart, le Gouvernement a renoncé à la voie de la facilité,
celle qui aurait consisté à ne pas intervenir. C’eût été cela le laxisme.
Assumant ses responsabilités, il vous soumet un projet de loi propre à
apporter à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et
juste. […]
31
Mère Teresa
Religieuse catholique albanaise canonisée (2016)
Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, plus connue sous son nom de religieuse mère Teresa (1910-1997), est née
à Üsküb dans l’Empire ottoman (la ville est actuellement dénommée Skopje, en Macédoine). Elle a
fondé une congrégation religieuse, les Missionnaires de la Charité, en 1950, qui s’occupe des plus
démunis à Calcutta. Elle voue sa vie pendant 40 ans aux plus démunis, aux laissés-pour-compte,
malades, mourants atteints de la lèpre ou du sida. Son œuvre est reconnue dans le monde entier et en
1979, elle reçoit le prix Nobel de la paix qu’elle accepte « au nom des pauvres ». Disparue le
5 septembre 1997, elle est béatifiée le 19 octobre 2003 à Rome par le pape Jean-Paul II et sera
canonisée, donc reconnue sainte, le 4 septembre 2016 par le pape François.

« L’amour des autres nous rendra saints »


10 décembre 1979, Oslo (Norvège)

Contrairement à la tradition qui veut que seules les personnalités politiques soient distinguées
par le prix Nobel de la paix, le comité a décidé en 1979 de l’attribuer à Mère Teresa. Elle est
la sixième femme à recevoir ce prix depuis sa création en 1901. Ce choix incontesté est
annoncé en ces termes : « [elle est récompensée parce que] cette année, le monde a tourné son
attention vers le sort des enfants et des réfugiés, et c’est précisément les catégories pour
lesquelles Mère Teresa travaille si généreusement depuis tant d’années ». En réponse, la
lauréate, qui a déjà reçu nombre de distinctions internationales, répond qu’elle l’accepte
« pour a plus grande gloire de Dieu et le bien de notre peuple, le plus pauvre parmi les
pauvres […] ». Dans son discours de réception à Oslo, le 10 décembre 1979 (elle a alors
69 ans), elle revient avec humilité sur sa vocation à aider les laissés-pour-compte de la
société. Elle évoque également des sujets de société tels que l’avortement qu’elle réprouve et
l’importance du don et du partage. Lors de la remise de son prix, un banquet était organisé en
son honneur. Elle a demandé à ce que l’argent qui devait être utilisé pour cette réception soit
reversé aux pauvres. Elle a donc reçu trois chèques : un premier de 192 000 dollars, un
second du montant du banquet supprimé, soit 7 000 dollars, et un troisième correspondant à
une souscription du peuple norvégien de 70 000 dollars. Toutes ces sommes ont bien entendu
été reversées à ceux dont Mère Teresa a choisi d’aider et de réconforter.
Remercions Dieu pour cette merveilleuse circonstance grâce à laquelle
nous pouvons, tous ensemble, proclamer la joie de répandre la paix, la
joie de nous aimer les uns les autres et la joie de savoir que les plus
pauvres des pauvres sont tous nos frères et sœurs.
Comme nous sommes réunis ici pour remercier Dieu de ce don de paix,
je vous ai fait remettre la « Prière de la paix » que saint François d’Assise
a dite il y a de nombreuses années. Je me demande s’il n’a pas ressenti,
alors, exactement ce que nous ressentons aujourd’hui, ce pourquoi nous
prions.
Je pense que vous avez tous un texte. Nous allons dire ensemble :
« Seigneur, faites de moi un instrument de votre paix.
Afin que là où il y a de la haine, je puisse apporter l’amour ;
là où règne le mal, je puisse apporter l’esprit de pardon ;
là où est la discorde, je puisse apporter l’harmonie ;
là où est l’erreur, je puisse apporter la vérité ;
là où il y a le doute, je puisse apporter la foi ;
là où il y a le désespoir, je puisse apporter l’espérance ;
là où il y a les ténèbres, je puisse apporter la lumière ;
là où règne la tristesse, je puisse apporter la joie ;
Seigneur, faites que je cherche plutôt à réconforter qu’à être réconforté ;
à comprendre qu’à être compris ;
à aimer qu’à être aimé ;
car c’est en s’oubliant soi-même que l’on trouve ;
en pardonnant qu’on est pardonné ;
en mourant qu’on s’éveille à la vie éternelle. Amen ! »
L’amour des autres nous rendra saints
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils. Et il l’a donné à une
Vierge, la Sainte Vierge Marie. Et elle, dès l’instant où il vint au monde,
s’empressa de le donner aux autres. Et que fit-elle alors ? Elle travailla
pour les malheureux ; elle répandit simplement cette joie d’aimer en
prodiguant des bienfaits.
Et Jésus-Christ vous a aimés et m’a aimée et il a donné sa vie pour nous.
Et comme si ce n’était pas encore assez, il n’a cessé de dire : « Aimez
comme je vous ai aimés, comme je vous aime maintenant. » Et il nous a
dit comment nous devons aimer en donnant. Car il a donné sa vie pour
nous et il continue de la donner. Et il continue de la donner ici même et
partout, dans nos propres vies et dans la vie des autres.
Ce ne fut pas assez, pour lui, de mourir pour nous. Il a voulu que nous
nous aimions les uns les autres, que nous le reconnaissions dans tous nos
prochains. C’est la raison pour laquelle il a dit : « Heureux les cœurs purs
car ils verront Dieu. » Et pour être sûr que nous comprenions sa pensée,
il a dit que, à l’heure de notre mort, nous serons jugés sur ce que nous
aurons été pour les pauvres, les affamés, les nus, les sans-logis. Et il se
fait lui-même cet affamé, ce nu, ce sans-logis. Pas seulement affamé de
pain, mais affamé d’amour ; pas seulement dénué d’un morceau de tissu,
mais dénué de dignité humaine ; pas seulement sans-logis par manque
d’un lieu où vivre, mais sans-logis pour avoir été oublié, mal aimé, mal
soigné, pour n’avoir été personne pour personne, pour avoir oublié ce
qu’est l’amour humain, le contact humain, ce que c’est que d’être aimé
par quelqu’un.
Et il a dit encore : « Ce que vous avez fait pour le plus petit de mes
frères, vous l’avez fait pour moi. »
C’est si merveilleux, pour nous, de devenir saints par cet amour ! [...]
Je suis heureuse de recevoir le prix Nobel au nom des pauvres
Et aujourd’hui, lorsque j’ai reçu ce prix – dont, personnellement, je suis
indigne –, et ayant approché la pauvreté d’assez près pour être à même de
comprendre les pauvres, je choisis la pauvreté de nos pauvres gens. Mais
je suis reconnaissante, je suis très heureuse de le recevoir au nom des
affamés, des nus, des sans-logis, des infirmes, des aveugles, des lépreux,
de tous ces gens qui ne se sentent pas voulus, pas aimés, pas soignés,
rejetés par ta société, ces gens qui sont devenus un fardeau pour la
société et qui sont humiliés par tout le monde.
C’est en leur nom que j’accepte ce prix. Et je suis sûre que ce prix va
susciter un amour compréhensif entre les riches et les pauvres. Et c’est
là-dessus que Jésus a tellement insisté. C’est la raison pour laquelle Jésus
est venu sur la terre pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Et
par ce prix, et à travers notre présence ici, nous voulons tous annoncer la
Bonne Nouvelle aux pauvres : que Dieu les aime, que nous les aimons,
qu’ils sont quelqu’un pour nous, que, eux aussi, ont été créés par la
même main amoureuse de Dieu pour aimer et pour être aimés.
Nos pauvres gens, nos splendides gens, sont des gens tout à fait dignes
d’amour. Ils n’ont pas besoin de notre pitié ni de notre sympathie. Ils ont
besoin de notre amour compréhensif, ils ont besoin de notre respect, ils
ont besoin que nous les traitions avec dignité. Et je pense que nous
faisons là l’expérience de la plus grande pauvreté ; nous la faisons devant
eux, eux qui risquent de mourir pour un morceau de pain. Mais ils
meurent avec une telle dignité !
Je n’oublierai jamais l’homme que j’ai ramassé un jour dans la rue. Il
était couvert de vermine, son visage était la seule chose propre. Et
cependant cet homme, lorsque nous l’avons amené à notre mouroir, a dit
cette phrase : « J’ai vécu comme une bête dans la rue, mais je vais mourir
comme un ange, aimé et soigné. » [...] C’est parce qu’il avait éprouvé cet
amour, parce qu’il avait eu le sentiment d’être désiré, d’être aimé, d’être
quelqu’un pour quelqu’un, que, dans ses derniers instants, il a ressenti
cette joie dans sa vie.
L’avortement
Et je ressens quelque chose que je voudrais partager avec vous. Le plus
grand destructeur de la paix, aujourd’hui, est le crime commis contre
l’innocent enfant à naître. Si une mère peut tuer son propre enfant, dans
son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à vous et à moi, de nous
entretuer les uns les autres ? L’Écriture déclare elle-même : « Même si
une mère peut oublier son enfant, moi, je ne vous oublierai pas. Je vous
ai gardés dans la paume de ma main. » Même si une mère pouvait
oublier... Mais aujourd’hui on tue des millions d’enfants à naître. Et nous
ne disons rien. On lit dans les journaux le nombre de ceux-ci ou de ceux-
là qui sont tués, de tout ce qui est détruit, mais personne ne parle des
millions de petits êtres qui ont été conçus avec la même vie que vous et
moi, avec la vie de Dieu. Et nous ne disons rien. Nous l’admettons pour
nous conformer aux vues des pays qui ont légalisé l’avortement. Ces
nations sont les plus pauvres. Elles ont peur des petits, elles ont peur de
l’enfant à naître et cet enfant doit mourir ; parce qu’elles ne veulent pas
nourrir un enfant de plus, élever un enfant de plus, l’enfant doit mourir.
Et ici, je vous demande, au nom de ces petits... car ce fut un enfant à
naître qui reconnut la présence de Jésus lorsque Marie vint rendre visite à
Élisabeth, sa cousine. Comme nous pouvons le lire dans l’Évangile, à
l’instant où Marie pénétra dans la maison, le petit qui était alors dans le
ventre de sa mère tressaillit de joie en reconnaissant le Prince de la Paix.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous invite à prendre ici cette forte
résolution : nous allons sauver tous les petits enfants, tous les enfants à
naître, nous allons leur donner une chance de naître. Et que ferons-nous
pour cela ? Nous lutterons contre l’avortement par l’adoption. Le Bon
Dieu a déjà si merveilleusement béni le travail que nous avons fait, que
nous avons pu sauver des milliers d’enfants. Et des milliers d’enfants ont
trouvé un foyer où ils sont aimés. Nous avons apporté tant de joie dans
les maisons où il n’y avait pas d’enfant !
C’est pourquoi, aujourd’hui, en présence de Sa Majesté et devant vous
tous qui venez de pays différents, je vous le demande : prions tous
d’avoir le courage de défendre l’enfant à naître et de donner à l’enfant la
possibilité d’aimer et d’être aimé. Et je pense qu’ainsi – avec la grâce de
Dieu – nous pourrons apporter la paix dans le monde. Nous en avons la
possibilité. Ici, en Norvège, vous êtes – avec la bénédiction de Dieu –
vous êtes assez à l’aise. Mais je suis sûre que dans les familles, dans
beaucoup de nos maisons, peut-être que nous n’avons pas faim pour un
morceau de pain, mais peut-être qu’il y a quelqu’un dans la famille qui
n’est pas désiré, qui n’est pas aimé, qui n’est pas soigné, qui est oublié. Il
y a l’amour. L’amour commence à la maison. Un amour, pour être vrai,
doit faire mal.
Aimer les autres jusqu’à en avoir mal
Je n’oublierai jamais le petit enfant qui m’a donné une merveilleuse
leçon. Les enfants avaient entendu dire, à Calcutta, que la Mère Teresa
n’avait pas de sucre pour les enfants. Or un petit garçon hindou, de 4 ans,
rentra à la maison et dit à ses parents : « Je ne veux pas manger de sucre
pendant trois jours. Je veux donner mon sucre à Mère Teresa. » Combien
un petit enfant peut-il manger ? Après trois jours, ses parents l’amenèrent
chez moi et je vis ce petit. Il pouvait à peine prononcer mon nom. Il
aimait d’un grand amour ; il aimait à en avoir mal.
Et voici ce que je vous propose : nous aimer les uns les autres jusqu’à en
avoir mal. Mais n’oubliez pas qu’il y a beaucoup d’enfants, beaucoup
d’enfants, beaucoup d’hommes et de femmes qui n’ont pas ce que vous
avez. Souvenez-vous de les aimer jusqu’à en avoir mal.
Il y a quelque temps – cela peut vous sembler très étrange – j’ai recueilli
une petite fille dans la rue. Je pus voir sur son visage que cette enfant
avait faim. Dieu sait depuis combien de jours elle n’avait pas mangé ? Je
lui ai donné un morceau de pain. Et la petite fille se mit à manger ce pain
miette par miette. Et comme je lui disais : « Mange ce pain », elle me
regarda et dit : « J’ai peur de manger ce pain parce que j’ai peur d’avoir
de nouveau faim quand il sera fini. » Telle est la réalité.
Le partage dans l’amour
Et puis il y a encore cette grandeur des pauvres. Un soir, un monsieur
vint chez nous pour nous dire : « Il y a une famille hindoue de huit
enfants qui n’a pas eu à manger depuis longtemps. Faites quelque chose
pour eux. » J’ai pris du riz et je m’y suis rendue immédiatement. Et j’ai
trouvé là cette mère et ces visages de petits enfants, leurs yeux brillants
de réelle faim. Elle me prit le riz des mains, le divisa en deux parts et
sortit. Lorsqu’elle revint, je lui demandai : « Où êtes-vous allée ?
Qu’avez-vous fait ? » Et l’une des réponses qu’elle me fit fut : « Ils ont
aussi faim. » Elle savait que ses voisins, une famille musulmane, étaient
affamés. Qu’est-ce qui m’a le plus surpris ? Non pas qu’elle ait donné le
riz, mais ce qui m’a le plus étonnée c’est que, dans sa souffrance, dans sa
faim, elle savait que quelqu’un d’autre avait faim. Et elle avait le courage
de partager ; et elle avait l’amour de partager.
Et c’est cela que je vous souhaite : aimer les pauvres. Et ne jamais
tourner le dos aux pauvres. Car, en tournant le dos aux pauvres, vous
vous détournez du Christ. [...]
Si je restais ici toute la journée et toute la nuit, vous seriez étonnés par les
merveilles que font les gens pour partager la joie de donner. C’est
pourquoi je prie Dieu pour vous, afin qu’il apporte la prière dans vos
foyers et que le fruit de cette prière soit, en vous, la conviction que, dans
les pauvres, se trouve le Christ. Et, alors, vous croirez vraiment, vous
commencerez d’aimer ; puis vous aimerez tout naturellement et vous
essayerez de faire quelque chose. Tout d’abord dans votre propre maison,
puis chez votre voisin, dans le pays où vous vivez et dans le monde
entier.
Et maintenant, unissons-nous tous dans cette prière : « Seigneur, donnez-
nous le courage de protéger l’enfant à naître ! »
Car l’enfant est le plus beau présent de Dieu à une famille, à un pays et
au monde entier. Dieu vous bénisse !
32
Margaret Thatcher
Femme politique britannique
Margaret Hilda Thatcher née Roberts (1925-2013), baronne depuis 1992, est élue à la Chambre des
communes pour la circonscription de Finchley en 1959 puis membre du Shadow cabinet1 en 1967.
Dans le gouvernement de Edward Heath, elle est nommée secrétaire d’État à l’éducation et aux
sciences, poste qu’elle occupera de 1970 à 1974. Élue à la tête du Parti conservateur en 1975, elle
devient Premier ministre en mai 1979. Au cours de son premier mandat, l’inflation baisse alors que le
chômage augmente. La reprise des îles Malouines envahies par la junte argentine en 1982 contribue à
la rendre populaire aux yeux des Britanniques et lui vaut d’être réélue en 1983. L’économie de
marché sera le point central de son deuxième mandat. Si elle parvient à redresser l’économie
britannique, son inflexibilité nuit à son image ce qui, toutefois, ne l’empêchera pas de briguer un
troisième mandat et d’être réélue en 1987. Sur la scène internationale, Margaret Thatcher tisse des
liens d’amitié avec le président des États-Unis Ronald Reagan et gagne l’admiration du président
soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Elle jouera un rôle déterminant dans les négociations qui mettront fin
à la guerre froide. Dès 1989, ses détracteurs au sein même de son parti affirment de plus en plus leurs
positions et l’obligent à démissionner en novembre 1990. La majorité des mesures économiques
mises en place sous le gouvernement Thatcher seront reprises par les différents partis politiques
britanniques notamment par Tony Blair nommé à la tête du Parti travailliste en 1994.

« La dame ne fera pas demi-tour »


10 octobre 1980, Brighton (Angleterre)

L’idée maîtresse du discours de Margaret Thatcher prononcé lors de la conférence du Parti


conservateur de 1980, dont vous trouverez ci-après la partie centrale, est une déclaration
galvanisante contre les critiques émises à l’intérieur et à l’extérieur du Parti, contre les
politiques anti-inflationnistes du gouvernement Thatcher considérées comme responsables de
la hausse du chômage. Alors qu’elle reconnaît la « tragédie humaine » que vivent les deux
millions de chômeurs sur le sol britannique, Margaret Thatcher maintient que seule une faible
inflation permet d’espérer de retrouver une prospérité durable. Elle fait allusion aux mesures
complémentaires qui ont fait baisser les dépenses inconsidérées des collectivités locales et des
services publics – mesures qui seront appliquées durant les onze années qu’elle passera à la
tête du gouvernement l’objectif étant, d’une part, de limiter le pouvoir des collectivités
locales et d’autre part, de privatiser les sociétés publiques.
L’une des plus célèbres phrases de ce discours – qui compte parmi les déclarations qui ont le
plus marqué sa carrière – est une riposte directe aux journalistes qui laissaient entendre que
Margaret Thatcher sera obligée de faire « demi-tour » et revenir sur sa politique économique
comme le fit le gouvernement de Edward Heath en 1972. Toutefois, ce qui en dit long
également – aussi bien sur le climat national que sur la force de caractère du Premier
ministre – est l’altercation qui eut lieu dès la prise de paroles de Margaret Thatcher lorsque
des détracteurs pénétrèrent en force dans la salle hurlant : « Les conservateurs, dehors ! Nous
voulons du travail ! » La réponse du Premier ministre fut on ne peut plus cinglante :
« Laissez-les, il pleut dehors. Je m’attendais à ce qu’ils veuillent rentrer. On ne peut pas le
leur reprocher après tout, il fait toujours meilleur là où sont les conservateurs. » Une
déclaration qui fut acclamée par toute la salle.

« Le taux de chômage enregistré aujourd’hui dans notre pays est une


tragédie humaine. Que les choses soient claires : la question du chômage
me préoccupe énormément. La dignité et le respect de soi sont ébranlés
lorsqu’on est contraint à l’oisiveté. Voir les ressources les plus précieuses
du pays – à savoir les compétences et l’énergie de son peuple – gâchées
doit pousser le gouvernement à accomplir son devoir et chercher un
remède efficace et durable.
Si je pouvais appuyer sur un bouton et solutionner une fois pour toutes le
problème du chômage, croyez-vous que je n’appuierais pas
immédiatement sur ce bouton ?
Est-ce que quelqu’un irait jusqu’à penser que laisser la crise du chômage
perdurer puisse avoir le moindre effet bénéfique du point de vue politique
ou bien qu’il existe une mystérieuse religion économique qui exige que le
chômage fasse partie du rituel ? Le gouvernement mène la seule politique
qui permet d’espérer que chacun retrouve un vrai travail qui ne soit pas
précaire mais pérenne. [...]
Je sais qu’un autre point inquiète bon nombre de Britanniques.
Car même s’ils reconnaissent que les mesures que nous prenons sont
justes, ils ont le sentiment que l’impact de leur mise en œuvre sera plus
lourd à porter pour le secteur privé que pour le secteur public. Ils disent
que le secteur public profite de nombre d’avantages alors que le secteur
privé reçoit des coups et, qu’en même temps, les personnes du secteur
public ont de meilleurs salaires et de meilleures retraites que celles du
privé.
Je dois avouer que je partage l’inquiétude des Britanniques et que je
comprends leur rancœur. C’est pourquoi avec mes collègues, nous
voulons vous dire qu’augmenter les dépenses publiques prive l’industrie
de l’argent et des ressources dont elle a besoin pour se stabiliser, voire
progresser. Augmenter les dépenses publiques, non seulement ne
permettra pas de régler la question du chômage, mais au contraire
favorisera la perte d’emplois et la faillite de nombreuses entreprises.
C’est pourquoi nous tirons la sonnette d’alarme et disons aux
collectivités locales que dans la mesure où les impôts locaux sont
généralement les taxes les plus fortes pour les industries, les augmenter
ne peut que paralyser les entreprises locales. Par conséquent, les
collectivités doivent, tout comme les sociétés, se résoudre à réduire les
coûts2.
C’est pourquoi j’insiste sur un point : si les personnes du service public
s’accordent des augmentations de salaires conséquentes, c’est au
détriment du financement d’équipements et de nouveaux bâtiments ce
qui, par ricochet, fait baisser les commandes qui pourraient être passées
aux entreprises du secteur privé notamment les industries des régions les
plus fortement touchées par la crise. Les personnes du secteur public ont
un devoir envers celles du secteur privé à savoir ne pas s’allouer des
salaires trop élevés sous peine de mettre d’autres personnes au chômage.
C’est pourquoi nous insistons sur le fait qu’à chaque fois que des accords
salariaux dans les sociétés publiques qui ont le monopole conduisent à
une augmentation des charges fixes – téléphone, électricité, chauffage et
eau –, cela peut pousser des entreprises à mettre la clef sous la porte et
licencier leur personnel.
Si dépenser sans compter était la réponse à tous les problèmes auxquels
notre pays est confronté, nous n’aurions plus aucun problème. Car s’il est
une nation qui a dépensé, dépensé, dépensé et encore dépensé, c’est bien
la nôtre. Aujourd’hui, nous devons arrêter de rêver. Tout cet argent
dépensé ne nous a conduits nulle part mais il doit nous ramener quelque
part.
Ceux qui nous poussent ardemment à faire preuve de plus de tolérance, à
dépenser aveuglément encore plus d’argent en croyant que ce faisant ils
viendront en aide aux chômeurs et aux chefs des petites entreprises, ne
sont en fait ni gentils ni compatissants ni même bienveillants. Ce ne sont
pas les amis des chômeurs ou des petites entreprises. Ils nous demandent
ni plus ni moins de reproduire ce qui est à l’origine même du problème.
Ce que nous avons déjà fait à plusieurs reprises.
On me reproche de donner des leçons et de prêcher en faveur de la
réduction des dépenses du secteur public. J’imagine que c’est une
manière de dire : “Eh bien, nous savons que vous avez raison mais il faut
bien que nous trouvions à y redire.” Je me fiche de ces critiques. Mais je
ne me fiche pas de l’avenir des entreprises libérales, des emplois qu’elles
créent, des marchandises qu’elles exportent, de l’indépendance qu’elles
offrent à notre peuple. Indépendance ? Oui, c’est ce que j’ai dit mais
voyons ce que nous entendons par “indépendance”. L’indépendance ne
veut pas dire ne plus avoir de relations avec les autres. Une nation peut
être libre mais elle ne le restera pas longtemps si elle n’a ni amis ni alliés.
Qui plus est, elle ne restera pas libre si elle n’est pas capable d’apporter
sa contribution financière au reste du monde. De même, tout individu a
besoin de faire partie d’une communauté et de sentir qu’il appartient à
cette communauté. Il ne suffit pas d’avoir les moyens de gagner de quoi
subvenir à ses propres besoins et aux besoins de sa famille même si, bien
entendu, c’est essentiel.
Bien évidemment, notre vision et nos objectifs sortent d’un cadre
économique complexe mais tant que notre économie ne sera pas remise
sur pied, les Britanniques ne seront pas en mesure de partager notre
vision et de voir au-delà des horizons restreints imposés par la nécessité
économique.
Il est impossible d’avoir une société en bonne santé sans avoir une
économie saine et sans une société en bonne santé l’économie ne pourra
pas rester saine bien longtemps.
Mais ce n’est pas l’État qui fait qu’une société est en bonne santé.
Lorsque l’État devient trop puissant, le peuple a l’impression d’être de
moins en moins pris en considération.
L’État ponctionne la société, il lui prend non seulement ses richesses
mais il l’empêche aussi de prendre des initiatives, il pompe son énergie,
amoindrit sa volonté de progresser et d’innover mais aussi de protéger ce
qui est le mieux pour elle.
Notre objectif est de faire que le peuple ait le sentiment d’être de plus en
plus pris en considération. Si nous ne pouvons pas nous fier aux instincts
les plus profonds de notre peuple nous ne devons pas faire de politique.
Certains aspects de la société qui est la nôtre aujourd’hui vont à
l’encontre de ces instincts.
Les individus respectables veulent exercer le métier qui leur sied. Ils ne
veulent pas être freinés ou n’entendre parler que d’argent. Pour eux,
l’honnêteté doit être respectée et non bafouée. Ils considèrent la
criminalité et la violence comme une menace, pas seulement pour la
société mais également pour leur mode de vie bien rangé. Ils veulent
avoir le droit d’élever leurs enfants dans le respect de ces valeurs, sans
craindre de voir leurs efforts contrecarrés au quotidien au nom du progrès
ou de la libre expression. En effet, c’est cela qui compte dans la vie d’une
famille.
Il n’y a pas de conflit de générations dans une famille heureuse et unie.
Les individus aspirent à pouvoir croire à certaines normes communément
admises. Sans ces normes, il n’y a pas de société possible, il ne peut y
avoir qu’une anarchie vide de sens. Ce n’est pas non plus ses institutions
qui font qu’une société est en bonne santé. Ce ne sont pas les grandes
écoles et les universités qui font d’une nation une grande nation. Ce ne
sont pas non plus les grandes armées. Seule une grande nation peut créer
et faire participer les grandes institutions – dans les domaines de
l’éducation, de la santé et des sciences.
C’est la volonté du peuple qui fait d’une nation une grande nation – le
peuple composé d’hommes et de femmes fiers d’eux-mêmes car ils
savent ce qu’ils peuvent donner à une communauté dont ils pourront à
leur tour être fiers.
Si notre peuple a le sentiment d’appartenir à une grande nation et s’il est
prêt à tout mettre en œuvre pour faire que la nation reste grande, la nation
sera grande et le restera. Alors qu’est-ce qui nous empêche de faire que
notre nation soit une grande nation ? Qu’est-ce qui nous barre la route ?
La perspective d’un autre hiver de mécontentement ?3 C’est possible.
Mais je préfère croire que nous pouvons tirer profit de notre expérience
et que nous nous dirigeons certes lentement et dans la douleur, vers un
automne de compréhension. J’espère qu’ensuite viendra un hiver de bon
sens. C’est pourquoi nous devons suivre notre trajectoire.
À ceux qui attendent avec une impatience fébrile le “demi-tour” dont
parlent et reparlent les médias, je n’ai qu’une chose à dire : “Faites demi-
tour si vous voulez. La dame, elle, ne fera pas demi-tour.”4 »
33
Robert Badinter
Garde des Sceaux, ministre de la Justice (1981-1986)
Robert Badinter (né le 30 mars 1928 à Paris), est un avocat, universitaire, essayiste et homme
politique français. Il se bat en faveur de la réinsertion des détenus et contre la peine de mort. Le
30 septembre 1981, en chage du ministère de la Justice, il obtient l’abolition de la peine de mort. Il
participe en 1985 à la rédaction d’un nouveau code pénal. De 1986 à 1995, il est président du Conseil
constitutionnel. Depuis 1995, il est président de la Cour européenne de conciliation et d’arbitrage de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Réélu en 2004 pour un deuxième mandat
au poste de sénateur des Hauts-de-Seine, il a notamment publié en 2006 un ouvrage intitulé Contre la
peine de mort, rassemblant divers écrits et documents relatifs à la peine de mort en France. En 2015,
il publie Le Travail et la Loi avec le juriste Antoine Lyon-Caen. La même année, Manuel Valls,
Premier ministre, lui confie pour mission de fixer en deux mois les grands principes de ce nouveau
« Code du travail » qui devait entrer en vigueur en 2018.

« Cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de


hasard, nous la refusons »
17 septembre 1981, Assemblée nationale, Paris (France)

Lorsque, le 9 octobre 1981, est abolie la peine de mort, c’est tout un combat de deux siècles
qui s’achève, marqué par de nombreuses tentatives sans lendemain. Robert Badinter, garde
des Sceaux et ministre de la Justice du gouvernement de Pierre Mauroy, est fidèle à la
promesse faite par François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de mai 1981. Il n’a pas
oublié le procès de Roger Bontems dont il était l’avocat (1972) et qui, malgré le fait que la
Cour n’avait retenu contre son client que la complicité dans l’affaire du meurtre d’une
infirmière et d’un gardien de la centrale de Clairvaux, avait tout de même été condamné à
mort. Son discours pour l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale a donné lieu à
un débat très vif. L’abolition fut votée par la totalité des députés de gauche, par un tiers des
députés de l’Union pour la démocratie française (UDF), et par un quart de ceux du
Rassemblement pour la République (RPR), dont Jacques Chirac. Même le Sénat, hostile au
gouvernement de la gauche, vota le texte dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés,


J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander
à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France.
En cet instant, dont chacun d’entre vous mesure la portée qu’il revêt pour
notre justice et pour nous, je veux d’abord remercier la commission des
lois parce qu’elle a compris l’esprit du projet qui lui était présenté et, plus
particulièrement, son rapporteur, M. Raymond Forni, non seulement
parce qu’il est un homme de cœur et de talent mais parce qu’il a lutté
dans les années écoulées pour l’abolition. Au-delà de sa personne et,
comme lui, je tiens à remercier tous ceux, quelle que soit leur
appartenance politique, qui, au cours des années passées, notamment au
sein des commissions des lois précédentes, ont également œuvré pour
que l’abolition soit décidée, avant même que n’intervienne le
changement politique majeur que nous connaissons.

« Le débat qui est ouvert aujourd’hui devant vous est


d’abord un débat de conscience »

Cette communion d’esprit, cette communauté de pensée à travers les


clivages politiques montrent bien que le débat qui est ouvert aujourd’hui
devant vous est d’abord un débat de conscience et le choix auquel chacun
d’entre vous procédera l’engagera personnellement.
Raymond Forni a eu raison de souligner qu’une longue marche s’achève
aujourd’hui. Près de deux siècles se sont écoulés depuis que dans la
première assemblée parlementaire qu’ait connue la France, Le Pelletier
de Saint-Fargeau demandait l’abolition de la peine capitale. C’était en
1791.
Je regarde la marche de la France.
La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa
puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont
emporté aux moments privilégiés de son histoire.
La France est grande parce qu’elle a été la première en Europe à abolir la
torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s’exclamaient
à l’époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que,
sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats.
La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage,
ce crime qui déshonore encore l’humanité.
C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la
situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de
grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la
femme.
Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux,
l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le
dire – en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle,
à abolir la peine de mort.

« Pourquoi ce retard ?
Voilà la première question qui se pose à nous. »

Pourquoi ce retard ? Voila la première question qui se pose à nous. Ce


n’est pas la faute du génie national. C’est de France, c’est de cette
enceinte, souvent, que se sont levées les plus grandes voix, celles qui ont
résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui
ont soutenu, avec le plus d’éloquence, la cause de l’abolition. Vous avez,
fort justement, M. Forni, rappelé Victor Hugo, j’y ajouterai, parmi les
écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à
Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés.
Tous ont soutenu la cause de l’abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il
persisté et pourquoi n’avons-nous pas aboli ?
Je ne pense pas non plus que ce soit à cause du tempérament national.
Les Français ne sont certes pas plus répressifs, moins humains que les
autres peuples. Je le sais par expérience. Juges et jurés français savent
être aussi généreux que les autres. La réponse n’est donc pas là. Il faut la
chercher ailleurs.
Pour ma part j’y vois une explication qui est d’ordre politique.
Pourquoi ?
L’abolition, je l’ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des
hommes de toutes les classes politiques et, bien au-delà, de toutes les
couches de la nation.
Mais, si l’on considère l’histoire de notre pays, on remarquera que
l’abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la
gauche française. Quand je dis gauche, comprenez-moi, j’entends forces
de changement, forces de progrès, parfois forces de révolution, celles qui,
en tout cas, font avancer l’histoire. (Applaudissements sur les bancs des
socialistes, sur de nombreux bancs des communistes et sur quelques
bancs de l’Union pour la démocratie française).
Examinez simplement ce qui est la vérité. Regardez-la.
J’ai rappelé 1791, la première Constituante, la grande Constituante.
Certes elle n’a pas aboli, mais elle a posé la question, audace prodigieuse
en Europe à cette époque. Elle a réduit le champ de la peine de mort plus
que partout ailleurs en Europe.
La première assemblée républicaine que la France ait connue, la grande
Convention, le 4 brumaire an IV de la République, a proclamé que la
peine de mort était abolie en France à dater de l’instant où la paix
générale serait rétablie.
[…] C’est seulement après ces épreuves historiques qu’en vérité pouvait
être soumise à votre assemblée la grande question de l’abolition.
Je n’irai pas plus loin dans l’interrogation – M. Forni l’a fait – mais
pourquoi, au cours de la dernière législature, les gouvernements n’ont-ils
pas voulu que votre assemblée soit saisie de l’abolition alors que la
commission des lois et tant d’entre vous, avec courage, réclamaient ce
débat ? Certains membres du gouvernement – et non des moindres –
s’étaient déclarés, à titre personnel, partisans de l’abolition mais on avait
le sentiment à entendre ceux qui avaient la responsabilité de la proposer,
que, dans ce domaine, il était, là encore, urgent d’attendre.
Attendre, après deux cents ans !
Attendre, comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit qu’on
devrait laisser mûrir avant de le cueillir !
Attendre ? Nous savons bien en vérité que la cause était la crainte de
l’opinion publique. D’ailleurs, certains vous diront, mesdames, messieurs
les députés, qu’en votant l’abolition vous méconnaîtriez les règles de la
démocratie parce que vous ignoreriez l’opinion publique. Il n’en est rien.
Nul plus que vous, à l’instant du vote sur l’abolition, ne respectera la loi
fondamentale de la démocratie.
Je me réfère non pas seulement à cette conception selon laquelle le
Parlement est, suivant l’image employée par un grand Anglais, un phare
qui ouvre la voie de l’ombre pour le pays, mais simplement à la loi
fondamentale de la démocratie qui est la volonté du suffrage universel et,
pour les élus, le respect du suffrage universel.
Or, à deux reprises, la question a été directement – j’y insiste – posée
devant l’opinon publique.
Le Président de la République a fait connaître à tous, non seulement son
sentiment personnel, son aversion pour la peine de mort, mais aussi, très
clairement, sa volonté de demander au Gouvernement de saisir le
Parlement d’une demande d’abolition, s’il était élu. Le pays lui a
répondu : oui.
Il y a eu ensuite des élections législatives. Au cours de la campagne
électorale, il n’est pas un des partis de gauche qui n’ait fait figurer
publiquement dans son programme l’abolition de la peine de mort.
[…] Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix
fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux
qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double
conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire
des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir
une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut
vivre et que celui-là doit mourir.
À cet âge de ma vie, l’une et autre affirmations me paraissent également
erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point
d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour
toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi
mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la
justice demeure humaine, donc faillible.
Et je ne parle pas seulement de l’erreur judiciaire absolue, quand, après
une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le
condamné à mort était innocent et qu’une société entière – c’est-à-dire
nous tous – au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi
collectivement coupable puisque sa justice rend possible l’injustice
suprême. Je parle aussi de l’incertitude et de la contradiction des
décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une
première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont
de nouveau jugés et, bien qu’il s’agisse des mêmes faits, échappent, cette
fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d’un homme se jouait au
hasard d’une erreur de plume d’un greffier. Ou bien tels condamnés, pour
des crimes moindres, seront exécutés, alors que d’autres, plus coupables,
sauveront leur tête à la faveur de la passion de l’audience, du climat ou
de l’emportement de tel ou tel.
Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu’on éprouve à
prononcer ce mot quand il y va de la vie d’une femme ou d’un homme,
est intolérable. Le plus haut magistrat de France, M. Aydalot, au terme
d’une longue carrière tout entière consacrée à la justice et, pour la plupart
de son activité, au parquet, disait qu’à la mesure de son hasardeuse
application, la peine de mort lui était devenue, à lui magistrat,
insupportable. Parce qu’aucun homme n’est totalement responsable,
parce qu’aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de
mort est moralement inacceptable.
Pour ceux d’entre nous qui croient en Dieu, lui seul a le pouvoir de
choisir l’heure de notre mort. Pour tous les abolitionnistes, il est
impossible de reconnaître à la justice des hommes ce pouvoir de mort
parce qu’ils savent qu’elle est faillible.
Le choix qui s’offre à vos consciences est donc clair : ou notre société
refuse une justice qui tue et accepte de l’assumer, au nom de ses valeurs
fondamentales – celles qui l’ont faite grande et respectée entre toutes – la
vie de ceux qui font horreur, déments ou criminels ou les deux à la fois,
et c’est le choix de l’abolition ; ou cette société croit, en dépit de
l’expérience des siècles, faire disparaître le crime avec le criminel, et
c’est l’élimination.

« Cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de


mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. »

Cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée


avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu’elle
est pour nous l’anti-justice, parce qu’elle est la passion et la peur
triomphant de la raison et de l’humanité.
34
Ronald Reagan
Homme politique américain
Acteur hollywoodien à succès, Ronald Wilson Reagan (1911-2004) fait son entrée dans le monde
politique en acceptant de présider le syndicat des acteurs de cinéma, Screen Actor Guild, poste qu’il
occupera de 1947 à 1952. Dans un premier temps démocrate, il adhère progressivement aux valeurs
républicaines notamment après son mariage en 1952 avec l’actrice Nancy Davis (1921-2016). En
1962, il rejoint le Parti républicain et est élu gouverneur de Californie (1966-1972). En 1980, après
deux tentatives infructueuses, il remporte les primaires et devient le candidat républicain pour
l’élection présidentielle qu’il gagnera haut la main contre Jimmy Carter (1924-). En 1981, il échappe
à une tentative d’assassinat et remporte l’élection présidentielle de 1984 avec le score le plus élevé de
l’histoire des États-Unis. Son programme basé sur la baisse des impôts et le financement de la dette
se solde par la reprise de l’économie américaine entre 1983 et 1986. Sur la scène internationale,
Reagan joue un rôle majeur dans la politique de détente allant jusqu’à organiser quatre sommets avec
Mikhaïl Gorbatchev et signer le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire1. Celui que l’on
surnommera « le grand communicateur » excelle dans l’art de jouer avec les médias. Aucun président
ne sera aussi apprécié par la classe moyenne américaine que Ronald Reagan, une popularité qu’il
gardera même après son départ de la présidence.

« Les pulsions agressives de l’empire du mal »


8 mars 1983, Orlando (Floride) (États-Unis)

Lorsqu’il arrive au pouvoir, l’une des priorités de Ronald Reagan est de rétablir la suprématie
militaire et morale des États-Unis. Pour ce faire, le président Reagan n’hésite pas à augmenter
le budget de la défense et à poursuivre un programme social conservateur.
Le discours ci-après prononcé lors de la convention annuelle des associations évangéliques
nationales, reflète parfaitement bien les principaux objectifs de Ronald Reagan. La première
moitié du discours (non retranscrite) met l’accent sur l’importance du christianisme dans la
société américaine, de la moralité sexuelle et de l’avortement. Dans la seconde partie de son
discours, Reagan réfute les demandes adressées au gouvernement par nombre d’Américains
en faveur du gel de l’arsenal nucléaire et qualifie l’Union soviétique « d’empire du mal », des
mots qui resteront gravés dans les mémoires.
Le discours et ce qualificatif en particulier, diviseront l’opinion sur la scène internationale.
Furieuses, les autorités soviétiques répondirent officiellement à l’attaque en stipulant que
l’administration Reagan « pensait uniquement en termes de confrontation et d’anti-
communisme belliqueux et dément ». D’autres nations, quant à elles, estimèrent qu’en
introduisant la notion de « mal » dans la guerre froide, Reagan avait affirmé la supériorité
morale des États-Unis et favorisé un regain de confiance dans le pays.
Des années plus tard, Reagan dira à propos de ce discours : « on l’a présenté comme étant une
sorte de déclaration vide de sens et ultra-conservatrice […] mais le régime soviétique a
délibérément affamé, assassiné et maltraité son propre peuple. […] Un régime qui se conduit
ainsi n’est-il pas l’incarnation même du mal ?

« Lors de ma première conférence de presse en tant que président des


États-Unis, en réponse à une question qui m’était directement adressée,
j’ai souligné qu’en bons marxistes-léninistes qu’ils sont, les dirigeants
soviétiques ont ouvertement et publiquement déclaré que la seule
moralité qu’ils reconnaissent est celle qui servira leur cause, la révolution
mondiale. Je pense que j’aurais dû préciser que je ne faisais que citer
Lénine, leur chef spirituel, qui en 1920, disait qu’ils refusaient de
respecter toute moralité fondée sur des idées surnaturelles – leur manière
à eux de nommer la religion – ou toutes autres idées ne correspondant pas
à la conception de classes sociales qui est la leur. La moralité est
entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte des classes. Et tout ce
qui peut permettre d’annihiler le passé, tirer profit de l’ordre public et
unir le prolétariat, est moral.
Eh bien, je pense que le fait que nombre de personnes influentes refusent
d’accepter cette caractéristique fondamentale de la doctrine soviétique
illustre parfaitement la réticence historique que l’on a de considérer les
puissances totalitaires pour ce qu’elles sont. Nous avons vu ce
phénomène dans les années 1930 et nous le voyons trop souvent
aujourd’hui encore.
Cela ne veut aucunement dire que nous devons nous isoler et refuser de
chercher une entente avec les puissances totalitaires. J’ai bien l’intention
de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour les persuader que nos
intentions sont pacifiques, de leur rappeler que c’est l’Occident qui,
d’une part, a refusé dans les années 1940 et 1950 d’user de son monopole
nucléaire pour étendre son territoire et, d’autre part, propose aujourd’hui
de réduire de moitié ses missiles balistiques stratégiques et d’éliminer
toute une catégorie de missiles nucléaires à portée intermédiaire
terrestres.
Toutefois, nous devons parallèlement leur faire comprendre que nous ne
mettrons jamais en danger nos principes et nos critères moraux.

[...] Nous ne renoncerons jamais à notre liberté. Nous ne


renierons jamais notre croyance en Dieu.

Et nous ne cesserons jamais de rechercher une paix qui soit bien réelle.
Mais les solutions proposées par certains à savoir le gel nucléaire ne nous
permettront pas de garantir aucune des valeurs que l’Amérique défend.
La vérité est qu’opter pour un gel nucléaire aujourd’hui serait un leurre
très dangereux, une simple illusion de paix. La réalité est tout autre et
nous devons parvenir à la paix par la force.
Je n’accepterai un gel nucléaire que si nous arrivons à geler les désirs de
conquête du monde des Soviétiques. Un gel ne ferait que supprimer
l’envie que les Soviétiques pourraient avoir de venir à Genève2 pour
négocier sérieusement et mettrait un point final à toutes les chances de
parvenir à la réduction d’armement massive que nous avons proposée. En
effet, les Soviétiques verraient dans le gel la possibilité d’atteindre leurs
objectifs. […]
Il y a un certain nombre d’années, lors d’un rassemblement très
important en Californie, j’ai entendu les propos tenus par un jeune père
de famille, un homme jeune, très influent dans le monde du spectacle.
Nous étions en pleine guerre froide et le communisme tout comme le
mode de vie américain étaient présents dans tous les esprits. C’est de cela
dont il parlait dans son discours. Et soudain je l’ai entendu dire “J’aime
mes petites filles plus que tout au monde.”
Je me suis dit “Oh non, pas ça – tu ne peux pas, tu ne dois pas dire ça.” À
ce moment-là, j’ai sous-estimé cet homme.
En effet, il poursuivit et dit : “Je préférerais voir mes petites filles mourir
aujourd’hui, alors qu’elles croient en Dieu, que les voir grandir sous un
régime communiste et mourir alors qu’elles ne croient plus en Dieu.”
Des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes étaient présents. Ils
se sont levés et ont crié de joie. Ils ont immédiatement perçu la vérité
profonde dans ce qui venait d’être dit et ont compris ce qui était
véritablement important.
Alors, prions pour le salut de tous ceux qui vivent dans les ténèbres
totalitaires – prions pour qu’ils découvrent la joie de connaître Dieu.
Mais en attendant que cela se produise, ayons conscience qu’alors qu’ils
prêchent la suprématie de l’État, qu’ils déclarent sa toute-puissance sur
l’homme en tant qu’individu et annoncent qu’il finira par dominer tous
les peuples sur Terre, ils incarnent le mal du monde moderne.
C’est C. S. Lewis3 qui dans son ouvrage intitulé Tactique du diable,
écrivait : “Le plus grand mal ne se trouve pas aujourd’hui dans les
‘tanières des criminels’ que Dickens aimait décrire. Il ne se trouve pas
non plus dans les camps de concentration ou les camps de travail qui ne
sont que l’ultime conséquence du mal. Il est élaboré et ordonné (proposé,
confirmé, véhiculé et enregistré) dans des bureaux bien rangés,
moquettés, chauffés et bien éclairés, par des hommes tranquilles qui ont
des chemises blanches et les ongles faits, qui sont rasés de près et qui
n’ont jamais besoin d’élever la voix.”
Eh bien parce que ces “hommes tranquilles n’élèvent jamais la voix”,
parce qu’ils parlent parfois sur un ton apaisant de fraternité et de paix,
parce que, comme d’autres dictateurs avant eux, ils finissent toujours par
exiger un territoire, certains voudraient que nous accordions du crédit à
ce qu’ils disent et que nous supportions leurs pulsions agressives. Mais si
l’Histoire nous a appris une chose c’est que prendre nos désirs pour des
réalités et vouloir naïvement parvenir à une conciliation avec nos
adversaires n’est que pure folie car cela revient ni plus ni moins à trahir
notre passé et à renoncer à notre liberté.
C’est pourquoi, je vous exhorte à vous élever contre ceux qui
chercheraient à mettre les États-Unis en position d’infériorité militaire et
morale. Vous savez j’ai toujours cru que Screwtape s’attaquait
principalement à ceux qui parmi vous vont à l’église. Et, lorsque vous
parlez de gel nucléaire, je vous invite à ne pas pécher par orgueil – ne pas
céder à la tentation et déclarer allègrement que vous êtes au-dessus de
tout, décider que les deux camps sont également coupables, ignorer les
faits de l’histoire et les pulsions agressives de l’Empire du mal, vous
contenter de dire que la course aux armements n’est qu’un vaste
malentendu et par-delà vous soustraire au combat entre le vrai et le faux,
le bien et le mal.
Je vous demande de résister à ceux qui font en sorte que vous arrêtiez de
nous soutenir, de soutenir les efforts que fait le gouvernement, pour que
l’Amérique reste forte et libre, alors que nous négocions pour réduire
réellement et de manière quantifiable l’arsenal nucléaire dans le monde et
un jour, avec l’aide de Dieu, éliminer totalement cet arsenal.
Alors que la force militaire de l’Amérique est importante, laissez-moi
ajouter que j’ai toujours affirmé que le combat qui a lieu aujourd’hui
pour le monde ne se réglera jamais par les bombes ou les fusées, par les
armées ou la force militaire. La vraie crise à laquelle nous sommes
confrontés aujourd’hui est une guerre spirituelle. C’est au fond, une crise
faite pour tester notre volonté morale et notre foi.
Whittaker Chambers, l’homme dont la conversion religieuse a fait de lui
le témoin de l’un des terribles traumatismes de notre temps à savoir
l’affaire Hiss-Chambers4, écrivit que la crise du monde occidental existe
car l’Occident est indifférent à Dieu, l’Occident soutient le communisme
dans sa tentative de faire que l’homme soit seul, sans Dieu. Et Chambers
d’ajouter que le marxisme-léninisme est, en vérité, la seconde plus
ancienne religion, la première proclamée dans le Jardin d’Éden avec les
mots de la tentation : “Vous serez comme des dieux”5 [...]
Je crois que nous relèverons le défi. Je crois que le communisme est un
chapitre supplémentaire, triste et bizarre, de l’histoire de l’humanité dont
les pages sont en train de s’écrire sous nos yeux. Je le crois car la source
de notre force dans la quête de la liberté n’est pas matérielle mais
spirituelle. Et parce qu’elle ne connaît pas de limite, elle doit terrifier et
finir par l’emporter sur ceux qui voudraient faire de leurs semblables des
esclaves.
C’est en notre pouvoir de refaire le monde.
Car dans les paroles d’Ésaïe : “Il donne de la force à celui qui est fatigué
et il augmente la vigueur de celui qui tombe en défaillance. […] Mais
ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces
nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se
lasser, ils marchent sans se fatiguer”.6 […]
Oui, changez le monde qui est le vôtre. L’un des Pères fondateurs,
Thomas Paine, disait : “C’est en notre pouvoir de refaire le monde.”7
Nous pouvons le faire en faisant ensemble ce qu’aucune église ne
pourrait faire seule.
Que Dieu vous bénisse. Merci à vous tous. »
35
Desmond Tutu
Homme d’Église sud-africain
Après avoir enseigné durant quatre années, Desmond Mpilo Tutu (1931-) entreprend des études de
théologie. Il est ordonné prêtre en 1961. Rapidement, il grimpe les échelons au sein de l’Église
anglicane et est nommé évêque de Lesotho (1976-1978) puis secrétaire général du Conseil
œcuménique d’Afrique du Sud (1978-1985) avant de devenir le premier évêque noir de Johannesburg
(1985-1986) puis l’archevêque du Cap (1986-1996). Farouche opposant à l’apartheid, il échappe
plusieurs fois de peu à l’emprisonnement pour avoir défendu les sanctions punitives décrétées par les
autres pays contre l’Afrique du Sud et ce, alors qu’il répugne à la violence. En 1984, il se voit
décerner le prix Nobel de la paix. En 1988, il est nommé chancelier de l’université du Cap occidental
puis président de la Commission de la vérité et de la réconciliation (1995-1999).

« La solution finale de l’apartheid »


11 décembre 1984, Oslo (Norvège)

Fervent opposant à l’apartheid bien connu pour ne pas mâcher ses mots, Desmond Tutu reçoit
le prix Nobel de la paix en 1984. Lors de la remise des prix, il profite de sa prise de parole
pour condamner le « rêve raciste » de l’Afrique du Sud et rejeter les concessions octroyées
par la constitution entrée en vigueur l’année précédente.
Nelson Mandela (qui recevra à son tour le prix Nobel de la paix en 1993) dira de celui qui fut
son allié : « Parfois véhémente, souvent tendre, jamais effrayée et rarement dénuée d’humour,
la voix de Desmond Tutu sera toujours la voix de ceux qui ne s’expriment pas. »
Lorsqu’il lui remet son prix, le président du comité Nobel norvégien Egil Aarwik, souligne la
détermination de Desmond Tutu pour voir la paix l’emporter sur la violence. Il rappelle à
l’assistance la réaction de l’homme d’Église lors d’un reportage télévisé suite à un massacre
qui venait d’avoir lieu à Johannesburg. « Alors que les voitures de police emmenaient les
prisonniers, Desmond Tutu, debout, s’est adressé à l’assemblée effrayée et amère : ne laissons
pas de place à la haine, a-t-il dit. Choisissons la voie de la paix pour accéder à la liberté. »
Desmond Tutu est, néanmoins, un orateur convaincant. Dans le discours ci-après, il décrit des
cas individuels et leurs conséquences tragiques à la fois pour les Noirs et les Blancs d’Afrique
du Sud, puis il fait preuve de lyrisme avant de décortiquer les iniquités de l’apartheid.
« Je viens d’une belle terre, richement dotée par Dieu de
merveilleuses ressources naturelles, de vastes étendues
sauvages, de chaînes montagneuses, d’oiseaux qui chantent,
d’étoiles qui scintillent dans le bleu du ciel. […]

avec un soleil radieux, un soleil doré. Il y a suffisamment de choses qui


nous viennent de la bonté divine, il y a suffisamment de choses pour tout
le monde, mais l’apartheid a conforté certains individus dans leur
égoïsme et, du fait de leur pouvoir, ils se sont emparés avec avidité d’une
part disproportionnée de ce don de Dieu, la part du lion.
Ils ont pris 87 % de la terre alors qu’ils ne représentent que 20 % de la
population et le reste de la population a dû se contenter des 13 % de terre
restants. L’apartheid1 a décrété la politique d’exclusion. 73 % de la
population sont exclus de toute participation significative dans les
processus politiques décisionnels sur la terre qui les a vus naître.
La nouvelle constitution2 […] est entérinée par la loi et ne déroge pas aux
règles imposées par la minorité blanche. Les Noirs sont censés donner
libre cours à leurs ambitions politiques dans les bantoustans3 dont
personne ne veut, miséreux et arides, des ghettos de la misère, réservoirs
inépuisables d’une main-d’œuvre noire bon marché, les bantoustans dans
lesquels l’Afrique du Sud est en train de se balkaniser.
Les Noirs sont systématiquement privés de leur citoyenneté et deviennent
des étrangers sur la terre où ils sont nés.
C’est la solution finale de l’apartheid, tout comme il y eut la solution
finale du nazisme pour les juifs dans la folie aryenne d’Hitler. Le
gouvernement sud-africain est malin. Les étrangers peuvent revendiquer
des droits mais en très petit nombre, tout au moins en termes de droits
politiques.
Du fait du rêve raciste idéologique de l’apartheid, plus de trois millions
d’enfants de Dieu ont été déracinés de leurs foyers qui furent démolis
alors qu’eux-mêmes étaient jetés dans les camps des bantoustans. Je dis
« jetés » sciemment : on jette des objets ou des déchets, pas des êtres
humains. L’apartheid a, toutefois, veillé à ce que les enfants de Dieu,
juste parce qu’ils sont noirs, soient traités comme de vulgaires objets et
non comme des êtres d’une valeur incommensurable créés à l’image de
Dieu.
Ces décharges sont loin des lieux où on peut facilement trouver du travail
et se procurer de la nourriture. Les enfants sont privés de nourriture et
souffrent des conséquences irréversibles liées à la malnutrition – ce qui
n’est pas le fruit du hasard mais une volonté délibérée du gouvernement.
Ils meurent de faim dans une région qui pourrait être le grenier de
l’Afrique, une terre qui normalement exporte ses denrées.
Les pères quittent leur famille contrainte de mener une existence
miséreuse dans le bantoustan pendant qu’eux, s’ils ont de la chance,
partent pour la ville dite des hommes blancs tels des migrants, pour y
mener durant onze mois de l’année, une vie contre nature dans un foyer
réservé aux hommes où règnent la prostitution, l’ivrognerie, voire pire.
La politique de travail migratoire qui est déclarée politique
gouvernementale, a été condamnée […] tel un cancer dans notre société.

Ce cancer, qui ronge les entrailles de la vie des familles


noires, est une politique gouvernementale délibérée.
C’est une partie du prix de l’apartheid à payer, un prix
exorbitant en termes de souffrance humaine.

L’apartheid est à l’origine de l’éducation discriminatoire et plus


précisément de l’éducation bantoue, éducation pour les Noirs dans des
conditions de servage. Le gouvernement dépense chaque année pour un
enfant noir un dixième de ce qu’il dépense pour un enfant blanc. C’est
une éducation résolument ségréguée et inégalitaire. Il s’agit d’un gâchis
aucunement justifié des ressources humaines dans la mesure où un
nombre considérable d’enfants de Dieu n’ont pas le droit, du fait d’une
politique gouvernementale délibérée, d’exploiter et développer au mieux
leurs capacités. […]
L’apartheid est un ensemble de lois injustes, telle que le Population
Registration Act, décrétant que tous les Sud-Africains soient classés
selon leur ethnie et dûment enregistrés selon leurs caractéristiques
raciales. C’est ainsi que nombre de fois, on a vu dans une même famille,
un enfant mis dans la catégorie des Blancs alors qu’un autre, légèrement
plus foncé de peau, était quant à lui mis dans la catégorie des Noirs, avec
toutes les horribles conséquences pour ce dernier que l’on peut imaginer
notamment le fait d’être exclu d’une caste bénéficiant de grands
privilèges. Cette manière de faire explique le suicide de plusieurs de ces
enfants.
Le prix à payer pour la pureté de la race est trop élevé et nous sommes en
droit de douter au final du bien-fondé de telles mesures. Il y a des lois
comme le Prohibition of Mixed Mariages qui considère comme illégal
tout mariage entre une personne de race blanche et une personne d’une
autre race. La race est désormais un obstacle à la validité d’un mariage.
Deux personnes qui s’aiment n’ont pas le droit, quand elles sont de races
différentes, de consommer leur amour par les liens du mariage. Ce qui est
beau à la base devient sordide et laid. [...]
Il y a les lois qui permettent de placer en détention pour des durées
indéterminées des personnes qui, aux yeux du ministre de la Justice, sont
une menace pour l’État. Elles sont emprisonnées selon son bon plaisir,
mises à l’isolement, sans pouvoir avoir le moindre contact avec leur
famille, leur médecin ou un avocat. La peine peut être sévère lorsque la
déposition sur laquelle s’appuie le Ministre n’a pas été validée lors d’une
audience publique – déposition qui sera ou non minutieusement étudiée ;
ce que l’on ne sait jamais.
Ce dispositif est ô combien pratique pour un régime répressif et il faut un
ministre hors du commun pour ne pas succomber à la tentation de
détourner cet étrange processus à savoir examiner la déposition lors
d’une audience publique. C’est pourquoi souvent il abuse des
prérogatives que lui confère la loi en étant à la fois juge et procureur. De
nombreux – trop – de prisonniers sont mystérieusement morts en
détention. En termes de vies humaines, le coût à payer est trop élevé.
Le ministre a également le pouvoir de faire appliquer des mesures
d’exclusion sans être soumis aux freins et contrepoids d’une procédure
bien définie. Une personne frappée d’exclusion pendant trois ou cinq ans
perd son statut de personne durant toute la période d’exclusion.
Elle ne peut participer à aucun rassemblement et qui dit rassemblement
dit plus de deux personnes ensemble. Deux personnes qui parlent à une
personne frappée d’exclusion est un rassemblement ! Elle ne peut assister
à aucun mariage, à aucunes funérailles y compris de son propre enfant
sans une autorisation spéciale. Elle doit rester chez elle de 18 h 00 à
6 h 00 du matin du lundi au vendredi y compris les jours fériés et du
vendredi soir 18 h 00 jusqu’au lundi matin 6 h 00 pendant toute la
période d’exclusion. Elle ne peut pas aller en vacances en dehors du
périmètre défini par le tribunal. Elle ne peut ni aller au cinéma ni faire un
pique-nique.
C’est une sentence sévère, infligée sans que la personne incriminée
puisse faire une déposition et sans l’avis éclairé du tribunal. C’est la
destitution et la violation des rares droits humains fondamentaux qui
restent aux Noirs sur la terre qui les a vus naître puisqu’ils n’ont plus la
liberté de se déplacer et de se réunir. Ils n’ont plus la sécurité de l’emploi,
le droit de participer à la prise de décisions qui affectent leur vie. En
résumé, sur cette terre dotée de richesses si variées, la justice fait
cruellement défaut.
On raconte qu’un jour, un Zambien et un Sud-Africain parlaient
ensemble. Le Zambien faisait les louanges du ministre de la Marine de
son pays. Le Sud-Africain lui demanda alors : “Dans la mesure où vous
n’avez pas de marine nationale et aucune frontière maritime, comment se
fait-il que vous ayez un ministre de la Marine ?” Le Zambien rétorqua :
“Et pourquoi n’aurions-nous pas un ministre de la Marine, en Afrique du
Sud vous avez bien un ministre de la Justice, n’est-ce pas ?”
C’est contre ce régime que notre peuple s’élève pacifiquement depuis
1912 – si ce n’est avant – soit depuis la fondation du Congrès national
sud-africain4. Il a eu recours aux méthodes conventionnelles pour
protester pacifiquement – pétitions, manifestations, délégations et même
une campagne de résistance passive. L’hommage rendu à l’engagement
de notre peuple pour faire changer les choses sans user de la violence est
particulièrement fort puisque les deux seuls Sud-Africains qui se sont vus
décerner le prix Nobel de la paix sont tous les deux noirs5.
Notre peuple est pacifique à l’excès. La réponse des autorités a été une
montée en puissance d’intransigeance et de violence, la violence des
chiens policiers, des gaz lacrymogènes, des détentions sans procès, des
exils, voire des exécutions. Notre peuple a pacifiquement protesté contre
les Pass Laws6 de 1960 et 69 personnes de race noire furent tuées le
21 mars 1960 à Sharpeville, pour la plupart d’une balle dans le dos alors
qu’elles tentaient de s’enfuir7.
Nos enfants s’élèvent contre une éducation de moins bonne qualité que
celle donnée aux Blancs en chantant des chansons, en brandissant des
pancartes et en défilant pacifiquement. En 1976 et plus précisément le
16 juin, nombre d’entre eux ont été tués ou emprisonnés8.
Plus de 500 individus sont morts lors de ce soulèvement. Nombre
d’enfants furent envoyés en exil. Même leurs parents ne savent pas où ils
se trouvent. […]
En Occident, rares sont ceux qui ont réagi ou se sont indignés devant
cette destruction gratuite de la vie humaine. Entre parenthèses, s’il vous
plaît est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer quelque chose qui
m’intrigue profondément ? En Occident, lorsqu’un prêtre disparaît et
qu’on retrouve ensuite son corps, les médias relatent largement ce fait
divers9. Et je me réjouis de voir que la mort d’une personne suscite autant
d’intérêt.
Or la même semaine, la police sud-africaine a tué 24 personnes noires qui
avaient manifesté et 6 000 autres ont perdu leur emploi pour la même
raison. Devant le nombre élevé des victimes, les médias ne pouvaient se
taire.
Est-ce qu’on essaierait de nous dire quelque chose que je refuse de croire
– à savoir que les Noirs sont des êtres dont on peut se passer, que la voix
du sang est la plus forte, que dans une situation critique, on ne peut pas
faire confiance aux Blancs, qu’ils s’allient contre nous ? Je refuse de
croire que c’est le message que l’on veut nous faire passer.
Quoi qu’il en soit, nous avons devant nous une terre dépourvue de justice
et, par conséquent, une terre où ne règnent ni la paix ni la sécurité. Le
désordre est endémique et perdurera en Afrique du Sud tant que
l’apartheid, qui est à l’origine de tous les troubles, ne sera pas anéanti.
Actuellement, l’armée surveille la population civile. Une guerre civile est
en train de se mettre en place. Les Sud-Africains sont pour les uns ou
pour les autres. Lorsque le Congrès national africain et le Congrès
panafricain10 furent mis hors la loi en 1960, ils déclarèrent qu’ils
n’avaient qu’une option à savoir mener un combat armé. Nous autres
membres du Conseil œcuménique d’Afrique du Sud avons affirmé que
nous étions opposés à toute forme de violence – qu’elle soit perpétrée par
un régime répressif et injuste ou par ceux qui cherchent à renverser ce
régime. Toutefois, nous avons ajouté que nous comprenons ceux qui
disent qu’ils auront recours à la violence s’ils n’ont plus que cette
solution. […]
J’ai beaucoup parlé de l’Afrique du Sud, premièrement parce que c’est le
pays que je connais le mieux mais aussi parce que c’est un microcosme
du monde et un exemple de ce que l’on peut trouver dans d’autres pays à
différents niveaux. […] Du fait de l’insécurité qui règne partout dans le
monde, les nations se sont lancées dans une course folle à l’armement et
gaspillent des milliards de dollars dans des instruments de destruction
alors que des millions d’individus meurent de faim. Une infime partie de
cette somme dépensée de manière indécente pour la défense permettrait
de remplir le ventre des enfants de Dieu, de les éduquer et de leur donner
une chance d’avoir une vie épanouie et heureuse. Nous avons de quoi
tous nous nourrir mais, chaque jour, nous sommes hantés par la lie de la
société, des individus décharnés qui font des queues interminables,
attendant un bol à la main de recevoir ce que la charité du monde veut
bien leur donner même si c’est trop peu et trop tard.

Quand allons-nous tirer les enseignements de tout cela ?


Quand dans le monde, les populations vont-elles se réveiller
et dire “ça suffit !”

Dieu nous a créés pour que nous formions une communauté. Dieu nous a
créés pour que nous formions une famille humaine, que nous vivions
ensemble car nous sommes complémentaires. Nous ne sommes pas faits
pour vivre en autarcie mais pour vivre les uns avec les autres et pourtant
nous enfreignons cette loi et ce, à nos risques et périls. […]
À moins d’œuvrer pour que tous les enfants de Dieu, nos frères et nos
sœurs, les membres de cette famille humaine, jouissent des droits de
l’homme fondamentaux, le droit d’avoir une vie épanouie, le droit de
pouvoir se déplacer librement, de travailler, d’avoir la liberté de vivre
pleinement en tant qu’êtres humains, avec une humanité évaluée par rien
de moins que l’humanité de Jésus-Christ Lui-même, nous nous dirigeons
inexorablement vers l’auto-destruction. Nous ne sommes pas loin d’un
suicide mondial – alors que les choses pourraient être totalement
différentes.
Quand allons-nous comprendre que les êtres humains ont une valeur
inestimable car ils ont été créés à l’image de Dieu, que les traiter comme
s’ils étaient moins que rien est un blasphème et que nous devons ouvrir
les yeux de ceux qui agissent ainsi ? Quand vont-ils comprendre qu’en
déshumanisant les autres, ils se déshumanisent eux-mêmes ? Il se
pourrait même que l’oppression déshumanise plus encore celui qui
opprime que celui qui est opprimé. L’un comme l’autre ont besoin d’être
vraiment libres, d’être de véritables êtres humains. [...]
Soyons les artisans de la paix, œuvrons pour la réconciliation. Si nous
voulons la paix, nous savons, que nous devons faire régner la justice.

Ils forgeront leurs épées en socs de charrue11.

Dieu nous invite à œuvrer avec Lui, afin d’étendre son royaume de
shalom12, de justice, de bonté, de compassion, d’empathie, de partage, de
rire, de joie et de réconciliation afin que les royaumes de ce monde
deviennent le Royaume de notre Dieu et du Christ sur lesquels il régnera
pour les siècles des siècles. Amen. »
36
Ronald Reagan
Homme politique américain
« Abattez ce mur ! »
12 juin 1987, Berlin-Ouest, (Allemagne de l’Ouest)

Le jour du 750e anniversaire de la fondation de Berlin, Ronald Reagan prononce le discours


ci-après face à la porte de Brandebourg. Un discours qui, comme le dit explicitement le
président américain, fait écho au discours prononcé 24 ans plus tôt par John F. Kennedy (voir
supra).
Comme en 1963, l’Est et l’Ouest sont séparés par le mur de Berlin mais les circonstances ont
changé. Le Premier ministre soviétique Mikhaïl Gorbatchev (1931-) vient de lancer une
nouvelle politique connue sous le nom de glasnost. Reconnaissant cette politique d’ouverture
progressiste, Reagan lance un défi à Gorbatchev en prononçant les mots qui seront peut-être
les plus célèbres de sa présidence : « Abattez ce mur ! » Deux ans plus tard, le mur sera
effectivement détruit.
Comme par ironie, cette injonction fut dans un premier temps retirée du texte initial, plusieurs
des conseillers du président américain y voyant une provocation et craignant qu’elle ne fasse
naître de faux espoirs. Mais Reagan tint bon. Le matin de son discours, il dira à l’un de ses
assistants : « Les gars vont me tuer mais abattre ce mur est ce qu’il faut faire. »

« Monsieur le Chancelier Kohl1, Monsieur le bourgmestre-gouverneur


Diepgen2, Mesdames et Messieurs : il y a vingt-quatre ans, le président
John Fitzgerald Kennedy, en visite à Berlin, s’est adressé, face au mur de
Berlin, aux citoyens de cette ville mais aussi à tous les citoyens du
monde.
Après lui, deux autres présidents américains sont venus tour à tour à
Berlin. Et pour ma part, je viens ici pour la seconde fois.
Nous venons à Berlin, nous présidents américains, parce qu’il est de
notre devoir de parler, en ces lieu et place, de liberté.
Mais je dois avouer que d’autres choses nous amènent ici : l’histoire de
cette ville qui a 500 ans de plus que notre nation, la beauté de Grunewald
et de Tiergarten, mais surtout votre courage et votre détermination, à
vous habitants de Berlin. Le compositeur allemand Paul Lincke a peut-
être compris quelque chose au sujet des présidents américains. Vous
voyez, comme de nombreux présidents avant moi, je viens ici
aujourd’hui car où que j’aille, quoi que je fasse, ich habe noch einen
Koffer in Berlin, « j’ai toujours une valise à Berlin ».
Le rassemblement d’aujourd’hui est retransmis sur toutes les chaînes
télévisées et les ondes radio d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord.
J’ai compris qu’on pourra également le voir et entendre ce qui sera dit
dans les pays de l’Est. À vous qui nous écoutez en Europe de l’Est, je
vous adresse au nom du peuple américain, mes plus chaleureuses
salutations et toute ma bienveillance. Je tiens à dire à celles et ceux qui
nous écoutent à Berlin-Est ceci : même si je ne peux pas être avec vous,
je partage avec vous mes réflexions tout comme je les partage avec les
hommes et les femmes qui sont ici avec moi. Je me joins à vous tout
comme je me joins à tous vos compatriotes qui vivent à l’Ouest,
convaincu pour toujours d’une chose à savoir es gibt nur ein Berlin.3
Derrière moi est érigé un mur qui encercle les zones libres de la ville. Ce
mur fait partie de toutes ces barrières qui divisent l’ensemble du
continent européen.
De la Baltique au sud, l’Allemagne est défigurée par des fils de fer
barbelés, des blocs de béton, des chemins surveillés par des chiens, des
miradors. Plus au sud encore, parfois il n’y a pas de mur visible, pas
d’édifice, mais les gardes armés et les postes de contrôle existent bel et
bien, limitant les déplacements et faisant peser sur les hommes et les
femmes ordinaires la volonté d’un État totalitaire.
Mais ici, à Berlin, le mur se dresse et coupe votre ville en deux. C’est ici
à Berlin que les photos publiées dans les journaux et montrées sur les
écrans de télévision ont gravé la division brutale de tout un continent
dans les esprits du monde entier.
Debout devant la porte de Brandebourg, chaque homme est
un Allemand séparé de ses compatriotes. Chaque homme est
un Allemand forcé de regarder cette cicatrice.

Le président von Weizsäcker4 a dit : “La question de l’Allemagne sera


ouverte tant que la Porte de Brandebourg sera fermée.” Aujourd’hui, je
vous le dis : “Tant que la porte sera fermée, tant que cette cicatrice qu’est
le mur sera visible, ce n’est pas seulement la question de l’Allemagne qui
sera ouverte mais la question de la liberté pour toute l’humanité.” [...]
Là où il y a quatre décennies, il n’y avait que des décombres, on trouve
aujourd’hui à Berlin-Ouest la plus grande effervescence industrielle de
toutes les villes d’Allemagne – des immeubles où les employés
s’activent, des maisons et des appartements de toute beauté, des avenues
majestueuses et les immenses étendues d’herbe des jardins publics. Là où
on pensait que la culture avait été détruite, aujourd’hui on trouve deux
grandes universités, des orchestres et un opéra ainsi qu’une multitude de
théâtres et de musées. Là où il y avait pénurie, on trouve aujourd’hui
l’opulence – nourriture, vêtements, automobiles – des produits
merveilleux dans les magasins du Ku’damm5. Alors que tout était
dévasté, qu’il n’y avait plus que des ruines, vous, Berlinois, avez en toute
liberté reconstruit une ville qui compte à nouveau parmi les plus grandes
cités du monde. […]
Dans les années 1950, Nikita Khrouchtchev6 menaçait : “Nous vous
enterrerons.” Mais aujourd’hui, à l’Ouest, nous voyons un monde libre
qui est parvenu à un niveau de prospérité et de bien-être jamais atteint
dans l’histoire de l’humanité. Dans le monde communiste, la vision est
plus sombre : échecs, retard dans le domaine de la technologie,
problèmes de santé et pénurie de biens les plus basiques – ne serait-ce
que la nourriture. Même aujourd’hui, l’Union soviétique n’arrive pas à se
nourrir. Après ces quatre décennies, on ne peut que conclure devant le
monde que la liberté conduit à la prospérité. La liberté remplace les
haines anciennes entre les nations par la courtoisie et la paix. La liberté
l’emporte sur tout.
Et aujourd’hui, les Soviétiques eux-mêmes devraient venir ici pour
comprendre à quel point la liberté est importante. Moscou nous parle
beaucoup de ses nouvelles réformes et de son ouverture. Certains
prisonniers politiques ont été libérés. Certaines diffusions d’informations
provenant de l’étranger ne sont plus censurées. Certaines activités
économiques bénéficient d’une plus grande liberté et échappent au
contrôle de l’État. […]
Il y a un signe que les Soviétiques peuvent faire, un signe qui ne passerait
pas inaperçu et qui ferait considérablement avancer la cause de la liberté
et de la paix. M. le secrétaire général Gorbatchev7, si vous recherchez la
paix, si vous recherchez la prospérité pour l’Union soviétique et l’Europe
de l’Est, si vous recherchez la libéralisation : venez ici à cette porte !
M. Gorbatchev, ouvrez cette porte ! M. Gorbatchev, abattez ce mur !
[…] Il y a dix ans de cela, les Soviétiques ont remis en cause l’alliance
occidentale avec une terrible menace, des centaines de nouveaux missiles
nucléaires SS-20 plus mortels encore que les précédents, capables de
frapper toutes les capitales d’Europe8.
[…] Alors que je m’adresse à vous, les ministres de l’OTAN qui êtes
réunis en Islande9 afin de passer en revue nos propositions quant à
l’élimination des armes. Comme lors des discussions de Genève10, nous
avons également proposé de diminuer considérablement le nombre
d’armes offensives stratégiques. [...]
Tandis que nous poursuivons ces réductions d’armements, je vous fais le
serment que nous continuerons à contrecarrer les agressions soviétiques
et ce à quelque niveau que ce soit. Et, en coopération avec nombre de
leurs alliés, les États-Unis poursuivront leur programme Initiative de
défense stratégique11 – recherche pour une dissuasion basée non pas sur
la menace de représailles offensives mais sur des défenses qui défendent
réellement ; sur des systèmes qui en un mot, ne cibleront pas les
populations mais les protégeront. Ce faisant, nous cherchons à accroître
la sécurité en Europe et dans le monde entier.
Au cours de ces quatre décennies, comme je l’ai dit, vous autres
Berlinois, avez bâti une grande ville. Vous l’avez fait malgré les menaces
qui pesaient sur vous – les velléités des Soviétiques pour imposer la
marque de l’Est, le blocus12. [...]
Aujourd’hui, la ville prospère en dépit des défis à relever du fait de la
présence même du mur. Qu’est-ce qui vous fait rester, vous, Berlinois ?
Bien sûr, il y a votre force d’âme, votre immense courage. Mais je crois
qu’il y a quelque chose de plus profond encore, quelque chose qui tient
compte de la ville elle-même, de ce que l’on ressent et de ce que l’on vit
dans cette ville. Personne ne pourrait vivre bien longtemps à Berlin sans
perdre ses illusions. Or il y a quelque chose qui fait que, même si on sait
combien il est difficile de vivre à Berlin, on accepte d’y rester. Quelque
chose qui pousse à reconstruire cette ville pour qu’elle soit belle et fière
et qu’elle contraste avec le totalitarisme environnant. […] Quelque chose
qui parle d’une voix forte et qui dit “oui” à la ville, “oui” à l’avenir, “oui”
à la liberé. En un mot, je dirais que ce qui vous fait rester à Berlin, c’est
l’amour – un amour à la fois profond et éternel.
Cela conduit peut-être au fond du problème, à la distinction fondamentale
qui existe entre l’Est et l’Ouest.
Le monde totalitaire ne fait pas avancer car il fait violence à l’esprit,
refrène l’impulsion des hommes nécessaire pour créer, profiter et vénérer.
Pour le monde totalitaire, les symboles de l’amour et du culte sont une
offense.
Il y a bien des années, bien avant que les Allemands de l’Est ne
commencent à reconstruire des églises, ils édifiaient des structures
profanes : la tour de la télévision sur l’Alexanderplatz en est l’exemple
parfait. Pratiquement dès que la tour a été construite, les autorités se sont
empressées de modifier ce qu’ils avaient sous les yeux en peignant et
recouvrant avec des substances chimiques la sphère en verre au sommet
de la tour. Mais, malgré tous leurs efforts, lorsque les rayons du soleil
illuminent la sphère – cette sphère qui surplombe tout Berlin –, la lumière
dessine le signe de la croix. Ici, à Berlin, tout comme la ville elle-même,
les symboles de l’amour, les symboles du culte ne peuvent être
supprimés.
Il y a quelque temps, alors que je regardais le mur d’une fenêtre du
Reichstag, ce bâtiment qui symbolise l’unité allemande, j’ai remarqué
des mots peints à la va-vite sur le mur – probablement par un jeune
Berlinois – qui disaient : “Ce mur tombera. Les croyances deviendront
réalité.”

Oui, dans toute l’Europe, ce mur tombera. Car il ne peut


résister à l’espoir. Il ne peut résister à la vérité. Ce mur ne
peut pas résister à la liberté.
[…]
Merci et que Dieu vous bénisse. »
37
Václav Havel
Auteur et homme d’État tchèque
En 1977, l’écrivain et dramaturge Václav Havel (1936-2011) participe activement à la rédaction de la
Charte 77 qui dénonce la violation des droits de l’homme et du citoyen par le régime communiste en
place en Tchécoslovaquie. Considéré comme dissident, il est arrêté plusieurs fois avant d’être
emprisonné en 1979. Il purgera une peine de quatre ans et demi. En février 1989, il est de nouveau
incarcéré. Il sera libéré trois mois plus tard. En décembre 1989, après la chute du Parti communiste
tchèque lors de la révolution de velours comme on l’appelle, Václav Havel est élu président au
suffrage direct. En 1992, dans un climat pacifique, il supervise la division de la Tchécoslovaquie en
deux États tchèque et slovaque. En 1993, Václav Havel devient le premier président de la République
tchèque. Il sera réélu en 1998 et se retirera de la présidence à la fin de son mandat en 2003.

« Nous vivons dans un environnement moral contaminé »


er
1 janvier 1990, discours diffusé sur les ondes radio et télévisées, prononcé à Prague
(Tchécoslovaquie)

En novembre 1989, lorsqu’après quarante et une années de pouvoir incontesté en


Tchécoslovaquie, le Parti communiste s’effondre, le dramaturge dissident Václav Havel a ses
mots : « L’histoire évolue trop vite dans ce pays. » Un mois plus tard, les faits lui donneront
raison. En effet, alors dirigeant du Forum civique, mouvement contestataire, Havel est élu
démocratiquement président de la République tchèque. Deux ans plus tard, il s’adresse à ses
compatriotes lors d’un discours diffusé à la radio et à la télévision pour annoncer un
changement radical non seulement en termes de gouvernance mais aussi de climat national.
Václav Havel fait brièvement référence à la contamination environnementale en
Tchécoslovaquie – comme dans les autres pays du bloc de l’Est – due à des pratiques
industrielles irréfléchies. Mais son inquiétude majeure porte sur la contamination morale
résultant du communisme : corruption, privilèges et propagation mensongère délibérée.
En cela, il fait écho aux propos tenus par Jan Hus (env. 1369-1415), martyr dont la statue
domine la place de la Vielle ville à Prague. Théologien réformateur influent, Jan Hus est
surtout connu pour sa prière : « Cherche la vérité/Écoute la vérité/Enseigne la vérité/Aime la
vérité/Soutiens la vérité/Défends la vérité/Jusqu’à la mort ». Václav Havel incite ses auditeurs
à non pas s’enfermer dans le déni mais à considérer la contamination de la Tchécoslovaquie
comme « un péché que nous avons commis pour nous faire du tort à nous-mêmes. »
Ces inquiétudes sont typiques d’un écrivain soucieux des déformations par idéologie de la
vérité et de la réalité. Si les œuvres de Václav Havel sont abstraites et intellectuelles, son
discours inaugural est direct et à la portée de tout un peuple qui, pour la première fois, goûte à
la liberté.

« Mes chers concitoyens, depuis quarante ans, le premier jour de l’année,


mes prédécesseurs prononcent toujours le même discours avec, certes,
quelques variantes. Ils vous disent combien notre pays s’est épanoui,
combien de millions de tonnes d’acier nous avons produites, combien
nous sommes tous heureux, à quel point nous devons faire confiance à
notre gouvernement et quelles belles perspectives s’offrent à nous.
J’imagine que vous ne m’avez pas proposé ce poste pour qu’à mon tour,
je vous mente.
Notre pays ne s’épanouit pas. L’immense potentiel créatif et spirituel de
nos nations1 n’est pas utilisé à sa juste valeur. Des branches entières de
l’industrie produisent des biens qui n’intéressent personne alors que les
choses dont nous avons besoin nous font toujours défaut. [...]

Le régime précédent – fort de son idéologie arrogante et


intolérante – a fait de l’homme une simple force de
production et de la nature un simple outil de production.

En cela, il s’est attaqué à l’essence même de l’homme et de la nature et à


la relation qui les lie l’un à l’autre. Il a réduit un peuple doué et
autonome, ayant les capacités de travailler pour son pays, à n’être que les
composantes insignifiantes d’une énorme machine bruyante et
nauséabonde, dont la raison d’être n’est claire pour personne. Une
machine dont chacune des pièces ne peut qu’être détruite certes
lentement mais inexorablement.
Lorsque je parle d’une atmosphère moralement contaminée, je ne parle
pas seulement de ces messieurs qui mangent des légumes biologiques et
qui regardent par le hublot des avions. Je parle de nous tous. Nous nous
sommes tous habitués à un régime totalitaire et nous l’avons accepté
comme un fait établi et, de ce fait, nous avons contribué à le voir
perdurer. Autrement dit, nous sommes tous – bien entendu à des degrés
différents – responsables du fonctionnement de cette machinerie
totalitaire. Personne n’est que la victime de ce système. Nous avons tous
participé à sa mise en place.
Pourquoi est-ce que je dis cela ? Il serait très raisonnable de considérer le
triste héritage de ces quarante dernières années comme étant quelque
chose d’étranger qu’un parent éloigné nous aurait légué. Or nous avons
accepté cet héritage comme un péché que nous avons commis pour nous
faire du tort à nous-mêmes. Si nous acceptons cette réalité, nous
comprendrons que nous et nous seuls pouvons agir. Nous ne pouvons pas
rendre les précédents dirigeants responsables de tout, non seulement
parce qu’ils ne le sont pas, mais également parce que cela reviendrait à
taire ce que chacun d’entre nous a le devoir de faire aujourd’hui –
l’obligation qu’il a d’agir indépendamment, librement, raisonnablement
et rapidement. […]
Ce serait également une erreur d’attendre d’eux qu’ils trouvent un
remède à tous les maux de la société. Qui dit liberté et démocratie sous-
entend que chacun de nous participe et, par conséquent, se sente
responsable à part entière.
Si nous prenons conscience de cela, toutes les horreurs dont la nouvelle
République tchèque a hérité sembleront d’un seul coup moins terribles.
Si nous prenons conscience de cela, nos cœurs se rempliront à nouveau
d’espoir.
[…] Pour conclure, je voudrais vous dire que je veux être un président
qui parle peu mais agit beaucoup.
Je veux être un président qui ne se contente pas de regarder par le hublot
de son avion mais qui, en tout premier lieu, sera toujours présent aux
côtés de ses compatriotes, un président qui sera toujours à leur écoute.
Vous vous demandez peut-être de quel type de république je rêve.
Laissez-moi vous répondre : je rêve d’une république indépendante, libre
et démocratique. Je rêve d’une république qui prospère sur le plan
économique et qui est juste sur le plan social. En un mot, je rêve d’une
république bienveillante au service de l’individu et convaincue qu’en
retour, l’individu la servira. Je rêve d’une république dans laquelle les
hommes vivent en harmonie car, sans cela, il est impossible de résoudre
les problèmes, et ce, quels qu’ils soient : humains, économiques,
écologiques, sociaux ou politiques.
Le plus brillant de mes prédécesseurs a commencé son premier discours
en faisant référence à Comenius2. Permettez-moi de terminer mon
discours en paraphrasant à mon tour ce grand pédagogue tchèque et en
disant :

C’est à toi, peuple de Tchécoslovaquie, que revient le pouvoir


de gouverner. »
38
Nelson Mandela
Avocat et homme d’État sud-africain
Nelson Rolihlahla Mandela (1918-2013) rejoint le Congrès national africain (ANC pour African
National Congress) en 1944. Durant les vingt années qui suivront, Mandela mènera une campagne de
contestation contre le gouvernement sud-africain et sa politique ségrégationniste, l’apartheid. En
1964, il est condamné à la prison à perpétuité, entre autres, pour sabotage et trahison. De sa cellule, il
devient un symbole de résistance pour le monde entier. Les mesures de libéralisation de Frederik
Willem de Klerk (1936-) président de l’État de la République d’Afrique du Sud de 1989 à 1994
marquent le début du processus de démantèlement de l’apartheid. De Klerk rend visite à Mandela en
prison, légalise l’ANC, lève les restrictions qui pèsent sur les groupes politiques et ordonne la
libération de Mandela en février 1990. En 1991, Nelson Mandela est élu président de l’ANC.
Commencent alors les pourparlers avec le président De Klerk quant au devenir du pays. En 1993,
Mandela et De Klerk reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix. Afin de rallier les pays à sa
cause, Mandela parcourt le monde, son objectif étant l’abolition de l’apartheid. Le 10 mai 1994, lors
des premières élections non ségrégationnistes, il devient le premier président noir de la République
d’Afrique du Sud, poste qu’il occupera jusqu’en 1999.

« Aujourd’hui, jour de ma libération »


11 février 1990, Le Cap (Afrique du Sud)

Condamné à la prison à perpétuité en 1964, Nelson Mandela refusa de disparaître de la scène


internationale et, par ses actions menées de sa cellule, devint l’élément central du mouvement
anti-apartheid qui se mit en place dans de nombreux pays. Le slogan « Libérez Mandela »
retentit lors de nombreuses manifestations dans les années 1970 et 1980 – et devint en 1984,
le refrain d’une chanson du groupe de musique ska, The Specials, qui connut un énorme
succès.
Mais bien que désapprouvé dans de nombreux pays, l’apartheid perdura sur le sol sud-africain
donnant lieu à des débordements d’une rare violence dans les townships1, notamment Soweto
dans la banlieue de Johannesburg. Au début des années 1980, le Premier ministre Pieter
Willem Botha (qui deviendra Président en 1984) reconnut qu’il était impératif que les choses
changent et déclara que les Blancs devaient « s’adapter ou mourir ». Si certaines lois
ségrégationnistes furent abolies, le combat n’était pas encore terminé, loin de là. En 1985,
Mandela refusa de renoncer à la lutte armée en contrepartie d’une liberté conditionnelle.
Le 10 février 1990, le successeur de P. W. Botha, Frederik Willem De Klerk, donna l’ordre de
libérer Nelson Mandela. Le jour suivant, le monde entier avait les yeux rivés sur cet homme
digne, au port altier qui quittait sa cellule après vingt-six longues années. Quelques heures
plus tard, Mandela prit la parole devant la foule réunie au Cap. Dans son discours, il remercia
dans un premier temps tous ceux qui l’avaient soutenu tout au long de son incarcération et qui
avaient continué à lutter contre l’apartheid puis il insista sur la nécessité de voir naître une
Afrique du Sud démocratique et sans aucune discrimination raciale.

« Mes amis, mes camarades et mes chers compatriotes : je vous salue au


nom de la paix, de la démocratie et de la liberté pour tous.

Je suis ici devant vous non pas comme un prophète mais


comme votre humble serviteur, vous peuple sud-africain.

C’est grâce à vos sacrifices indéfectibles et héroïques que je suis ici


aujourd’hui. Je mets donc les années qui me restent à vivre entre vos
mains.
Aujourd’hui, jour de ma libération, j’adresse ma sincère et ma plus
chaleureuse gratitude aux millions de compatriotes et aux personnes qui,
aux quatre coins du monde ont, inlassablement, fait campagne pour que
je sois libéré.
Je remercie tout particulièrement la population du Cap, cette ville qui fut
la mienne durant trois décennies. Les manifestations auxquelles vous
avez été nombreux à participer et toutes les autres formes du combat qui
est le vôtre, ont toujours été une source dans laquelle tous les prisonniers
politiques ont pu puiser leur force.
Je tiens à rendre hommage au Congrès national africain qui a su répondre
à notre attente et jouer son rôle à savoir mener la grande marche vers la
liberté.
Je tiens à rendre hommage à notre président, le camarade Oliver Tambo2
pour avoir dirigé l’ANC et ce, même dans les circonstances les plus
difficiles.
Je tiens à saluer tous les membres – quel que soit le poste qu’ils
occupent – de l’ANC. Vous avez sacrifié vos vies dans le seul but de
poursuivre la noble cause de notre combat.
Je tiens à louer le courage des combattants de Umkhonto we Sizwe3,
notamment Solomon Mahlangu et Ashley Kriel qui ont payé le prix le
plus fort au nom de la liberté de tous les Sud-Africains.
Je tiens à remercier le Parti communiste sud-africain d’avoir participé de
manière remarquable au combat que nous menons pour la démocratie.
Vous avez survécu à plus de quarante années de persécutions incessantes.
Que les générations à venir honorent la mémoire des grands noms du
communisme – Moses Kotane, Yusuf Dadoo, Bram Fischer et Moses
Mabhida.
Je tiens à saluer le travail du Secrétaire général Joe Slovo4, l’un de nos
plus fervents patriotes. Nous sommes sûrs que l’alliance que nous avons
passée avec le Parti sera toujours aussi forte qu’elle l’a été dans le passé.
Je tiens à remercier le Front démocratique uni5, la Cellule de crise de
l’éducation nationale6, le Congrès sud-africain de la jeunesse, les Congrès
des indigènes du Transvaal et du Natal, le Congrès des syndicats sud-
africains7 ainsi que toutes les branches du Mouvement démocratique de
masse.
Je tiens aussi à saluer les Black Sash8 (littéralement « écharpes noires »)
et le Syndicat des étudiants sud-africains. Nous notons avec fierté que
vous avez agi comme si vous étiez la conscience de l’Afrique du Sud
blanche. Même pendant les heures les plus sombres de l’histoire de notre
combat, vous avez brandi le drapeau de la liberté. Les fortes
mobilisations de ces vingt dernières années sont l’un des facteurs qui ont
joué un rôle déterminant dans l’écriture du dernier chapitre de la lutte que
nous menons.
Je veux aussi adresser tous mes remerciements à la classe ouvrière de
notre pays. Votre force et votre organisation font la fierté du mouvement.
Aujourd’hui encore, vous êtes la force sur laquelle nous comptons pour
mener à bien notre lutte et mettre fin à l’exploitation et l’oppression.
Je rends hommage aux nombreuses communautés religieuses qui ont fait
entendre la voix de la justice lorsque les représentants du peuple restaient
silencieux.
Je salue les chefs indigènes de notre pays. Nombre d’entre vous
continuent à marcher sur les traces des grands héros de notre histoire
comme Hintsa9 et Sekhukune10.
Je rends hommage à l’héroïsme incommensurable de la jeunesse sud-
africaine, vous, les jeunes lions. Vous, les jeunes lions, avez insufflé un
regain d’énergie au combat que nous menons.
Je rends hommage aux mères, aux femmes et aux sœurs de notre nation.
Vous êtes le socle inébranlable sur lequel repose notre combat.
L’apartheid vous a infligé plus de douleurs qu’à n’importe qui d’autre.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier la communauté
internationale qui a largement participé à notre combat anti-
ségrégationniste. Sans votre soutien, ce combat n’aurait pu prendre
l’ampleur qui est la sienne aujourd’hui. Le sacrifice des États qui sont en
première ligne restera à tout jamais gravé dans la mémoire des Sud-
Africains.
Je ne veux pas manquer d’exprimer ma gratitude la plus sincère à ma
femme bien aimée et à ma famille que je chéris. Merci de m’avoir donné
la force nécessaire pour supporter ma vie en prison, seul, durant toutes
ces longues années. Je suis persuadé que votre douleur et vos souffrances
furent plus grandes encore que les miennes. […]
Aujourd’hui, la majorité des Sud-Africains, les Noirs comme les Blancs,
reconnaissent que l’apartheid n’a aucun avenir. Ce régime doit, sous
l’action que nous menons collectivement, être aboli afin que nous
puissions instaurer la paix et la sécurité. La contestation massive et toutes
les autres actions menées par notre organisation et notre peuple
n’atteindront leur paroxysme qu’avec le rétablissement de la démocratie.
Nul ne peut évaluer la destruction causée par l’apartheid dans le sous-
continent africain. Le tissu familial de millions de Sud-Africains a été
détruit. Des millions d’individus n’ont ni logement ni emploi. Notre
économie est détruite et notre peuple est en proie à un conflit politique.
La lutte armée à laquelle nous avons eu recours dans les années 1960,
avec la formation de la branche militaire de l’ANC, Umkhonto we Sizwe,
était une action purement défensive contre la violence de l’apartheid. Les
éléments qui nous ont obligés à nous lancer dans cette lutte armée sont
toujours présents aujourd’hui. C’est pourquoi nous n’avons d’autre
option que de poursuivre notre combat. Nous avons toutefois l’espoir de
parvenir à un climat propice à la négociation et de ne plus avoir besoin de
recourir à la lutte armée.
En tant que membre dévoué et discipliné du Congrès national africain, je
suis en parfait accord avec tous les objectifs, toutes les stratégies et toutes
les tactiques proposées.
La tâche qui nous incombe à savoir la nécessité de parvenir à l’union de
notre peuple est aujourd’hui aussi importante qu’elle le fut dans le passé.
Aucun chef ne peut, seul, mener à bien une mission d’une telle ampleur.
C’est à nous, les chefs des différents mouvements, de présenter les idées
sur lesquelles les structures démocratiques devront se prononcer. Pour ce
qui est des pratiques démocratiques, je me dois de préciser que le chef
d’un mouvement est une personne qui a été élue démocratiquement lors
d’une conférence nationale. C’est un principe qui ne doit jamais être
remis en question.
Aujourd’hui, je tiens à vous dire que les discussions que j’ai eues avec le
gouvernement visaient à la normalisation de la situation politique dans
notre pays. Nous n’avons pas encore évoqué les revendications sur
lesquelles repose notre combat. Je tiens à préciser que, personnellement,
je ne me suis à aucun moment engagé dans un processus de négociation
quant à l’avenir de notre pays. Je ne suis contenté d’insister sur la
nécessité d’organiser une rencontre entre les membres de l’ANC et le
gouvernement.
Aucun président nationaliste n’est allé aussi loin que Monsieur De Klerk
et si des mesures tangibles ont été prises afin de normaliser la situation, il
reste encore beaucoup à faire, comme le stipule la Déclaration de
Harare11, avant que ne commencent les négociations concernant les
revendications de notre peuple. Je réitère, inter alia, notre demande,
d’une part, de l’arrêt rapide de l’état d’urgence et, d’autre part, de la
libération de tous – et pas seulement de quelques-uns – les prisonniers
politiques. Seule une situation normalisée permettant à chacun de jouer
un rôle politique, rendra possible la consultation de notre peuple en vue
d’obtenir un mandat.
Notre peuple doit être impérativement consulté afin qu’il choisisse la
personne qui négociera mais aussi qu’il définisse le contenu des
négociations. Les négociations ne pourront pas être menées sans que
notre peuple en soit avisé. Nous sommes convaincus que l’avenir de
notre pays ne peut être défini que par une entité élue démocratiquement
et ce, sans aucune restriction raciale. Les négociations portant sur
l’abolition de l’apartheid devront aller dans le sens des revendications de
notre peuple à savoir parvenir à une Afrique du Sud démocratique, sans
discrimination raciale et unitaire. Nous devons mettre fin au monopole
politique des Blancs et restructurer entièrement nos systèmes politique et
économique, afin que toutes les inégalités dues à la politique
ségrégationniste soient abolies et que dans notre société règne la
démocratie.
Ajoutons que Monsieur De Klerk est un homme intègre qui est
pleinement conscient des dangers que représente une personnalité
publique qui ne respecte pas ses engagements. Mais, en tant
qu’organisation, nous basons notre politique et nos stratégies sur la dure
réalité à laquelle nous sommes confrontés. Et cette réalité est que nous
souffrons aujourd’hui encore de la politique menée par le gouvernement
nationaliste.

Notre combat est arrivé à un moment décisif. Nous invitons


notre peuple à saisir l’opportunité qui lui est donnée afin
que le processus qui mènera à la démocratie soit rapide et
ininterrompu.

Nous attendons d’être libres depuis trop longtemps. Nous ne pouvons


plus attendre davantage. Il est temps pour nous d’intensifier notre combat
sur tous les fronts. Relâcher maintenant nos efforts serait une erreur que
les générations futures ne nous pardonneraient pas. La liberté, qui pointe
à l’horizon, devrait tous nous encourager à redoubler nos efforts.

Ce n’est qu’une action de masse parfaitement organisée qui


nous permettra de gagner notre combat.

Nous invitons nos compatriotes de race blanche à se joindre à nous afin


de construire la nouvelle Afrique du Sud. Le mouvement en faveur de la
liberté est une mesure politique pour vous aussi. Nous invitons la
communauté internationale à continuer son combat afin de mettre le
régime ségrégationniste à l’écart. Lever les sanctions aujourd’hui nous
ferait courir le risque de voir avorter le processus menant à l’éradication
totale de l’apartheid.

Notre marche vers la liberté est irréversible. Nous ne


pouvons laisser la peur se mettre en travers de notre chemin.

Le suffrage universel dans une Afrique du Sud démocratique, unie et sans


discrimination raciale est notre seule voie pour parvenir à la paix et à
l’harmonie raciale entre les peuples.
Pour conclure, je souhaiterais redire les mots que j’ai prononcés lors de
mon procès en 1964 car aujourd’hui comme hier, ils ont tout leur sens :
Je me suis battu contre la domination des Blancs et j’ai combattu contre
la domination des Noirs. J’ai pour idéal une société démocratique et libre
dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et
avec la même égalité de chances. Je veux vivre pour que cet idéal
devienne réalité. Mais s’il le faut, je suis prêt à mourir pour cet idéal. »
39
Mary Fischer
Artiste, auteure et militante en faveur de la lutte contre le SIDA
Depuis 1992, Mary Fisher (1948-) dont le mari Brian Campbell décéda de complications liées au
SIDA en 1993, a fait de la lutte contre le VIH/SIDA son cheval de bataille en Amérique, en Europe
et en Afrique. En 1992, elle fonde l’association Family AIDS Network afin de mettre en contact des
familles de patients souffrant du sida. En 2000, l’association prend le nom de Mary Fisher Center for
AIDS Research and Education (CARE) Fund à l’université d’Alabama à Birmingham. Fréquemment,
elle décrit devant les membres du Congrès américain la situation des personnes séropositives. Deux
fois, elle sera nommée présidente de commissions ad hoc. Mary Fisher est une artiste reconnue dont
les œuvres – sculpture, peinture et tissus – sont prisées des collectionneurs tant publics que privés. En
2006, Mary Fisher devient représentante du programme ONUSIDA mis en place par les Nations
unies. À ce titre, elle parcourt le monde.

« Le virus du SIDA n’est pas une invention politique »


19 août 1992, Houston (Texas)

Au cours de l’été 1991, la productrice d’émissions télévisées Mary Fisher apprend qu’elle est
porteuse du VIH, le virus à l’origine du SIDA. Après plusieurs mois de réflexion et
d’échanges avec son entourage – période durant laquelle elle lutte contre la maladie avec
désespoir et en s’adonnant à la boisson – elle décide de rendre la nouvelle publique et de
consacrer sa vie au sida : recherche, traitement et non-stigmatisation des personnes
séropositives ou souffrant du sida.
Peu après sa prise de décision, elle a l’opportunité de s’exprimer lors de la convention
nationale du Parti républicain dont elle est très proche. Son père fut l’un des principaux
conseillers du Parti républicain alors qu’elle-même a travaillé pour le président Gerald Ford.
Sans s’appuyer sur un texte écrit, elle prononce son discours avec une dignité et un sang-froid
remarquables. Avec des mots clairs et pudiques, elle appelle à une prise de conscience, à
l’empathie et à la mise en place d’actions tout en précisant qu’elle s’identifie – elle qui est
une mère de famille de race blanche, aisée et hétérosexuelle – aux individus qui sont exclus
de la société du fait de leur maladie. Elle met également en garde contre le silence reprenant
la citation du pasteur Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien
dit car je n’étais pas juif. » Le discours sans ambages de Mary Fisher fut entendu et acclamé
par tous les membres de la convention annuelle. Très vite, il fut rendu public et marqua une
étape cruciale dans l’engagement de Mary Fisher pour la lutte contre le SIDA.

« Merci. Merci. Il y a moins de trois mois de cela, lors d’une prise de


parole à Salt Lake City, j’ai demandé au Parti républicain1 de lever le
voile du silence sur la question du VIH et du sida. Et si je suis ici ce soir
devant vous c’est pour mettre fin à ce silence. Je suis venue pour délivrer
un message, pas pour nourrir un sentiment d’auto-satisfaction. Je suis
venue chercher votre attention, pas vos applaudissements.
Je n’ai jamais demandé à être séropositive et je pense que rien n’arrive
jamais au hasard mais pour une raison bien définie. C’est pourquoi, je
suis heureuse d’être là devant vous et devant la nation. Le SIDA est une
réalité qui frappe brutalement. Deux cent mille Américains sont morts ou
sont en train de mourir. Un million d’individus ont été infectés par le
virus. Dans les années à venir, on comptera 40 millions, 60 millions,
voire 100 millions de personnes contaminées aux quatre coins du monde.
Or malgré la science et la recherche, les réunions à la Maison-Blanche et
les séances de travail au Congrès ; malgré les bonnes intentions et les
initiatives courageuses ; les slogans de campagnes et les promesses
pleines d’espoir ; malgré tout cela, c’est l’épidémie qui ce soir est la
gagnante.
Cette année est une année électorale et c’est dans ce contexte politique
que je vous demande, à vous qui êtes réunis ici dans cette grande salle et
à vous qui m’écoutez bien tranquillement chez vous, de reconnaître que
le SIDA n’est pas une invention politique. Le SIDA se moque que vous
soyez démocrate ou républicain. Peu importe que vous soyez noir ou
blanc, que vous soyez un homme ou une femme, que vous soyez
homosexuel ou hétérosexuel, que vous soyez jeune ou vieux. Ce soir, je
représente une communauté dont les membres ont été, sans qu’ils aient
leur mot à dire, pris dans toutes les couches de la société américaine. [...]
Le SIDA n’est pas une menace lointaine mais un danger imminent.
C’est chez les femmes et les enfants que le taux des personnes infectées
par le virus augmente le plus vite. Pratiquement inconnu il y a encore une
décennie, le SIDA est aujourd’hui la troisième principale cause de décès
chez les jeunes adultes américains. Mais il ne restera pas longtemps à
cette troisième place car, à la différence d’autres maladies, le SIDA
voyage. Les adolescents ne se transmettent pas le cancer ou une maladie
cardiaque parce qu’ils croient qu’ils sont amoureux or pour le VIH la
réalité est tout autre. Et nous y sommes pour quelque chose.

Nous nous tuons les uns les autres du fait de notre


ignorance, de nos préjugés et de notre silence.

Nous nous sommes réfugiés derrière des stéréotypes mais, bientôt, ce ne


sera plus possible car le VIH ne pose qu’une question à celles et ceux
qu’il attaque : “Êtes-vous humain ?” Et cette question n’est pas anodine.
“Êtes-vous humain ?”. En effet, les personnes touchées par le VIH
n’entrent pas de facto dans la catégorie des extraterrestres. Ce sont des
humains. Ils n’ont rien fait qui mérite une telle cruauté, une telle
méchanceté. Être isolés et traités comme des parias ne leur rapporte
rien. […]
Ce que je vous demande, à vous membres du Parti auquel j’appartiens,
est de prendre position, et de faire preuve de la même compassion que le
Président et Mme Bush2. Ils nous ont acceptés moi et ma famille d’une
manière que nous n’oublierons jamais. Au lieu de nous juger, ils nous ont
donné leur affection. Dans les moments difficiles, ils nous ont redonné
courage. Dans les heures les plus sombres, je les ai vus venir vers moi
mais également aller vers mes parents, forts de ce chagrin stupéfiant et de
cette grâce unique ressentis seulement par ces parents qui se sont tenus
trop longtemps au chevet d’un enfant agonisant.
Sous la houlette du président, de bonnes choses ont été faites. La plupart
de ces bonnes choses sont méconnues, et comme l’a souligné le
président, il reste encore beaucoup à faire. Mais nous ne servons pas la
cause du président si nous mettons en valeur la famille américaine sans
nous préoccuper du virus qui la détruit. [...]
Mon père a consacré une grande partie de sa vie à mettre en garde contre
un autre holocauste. Il fait partie de cette génération qui a entendu le
pasteur Niemöller dire alors qu’il sortait d’un camp de la mort nazi :
“Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit car je n’étais pas
juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes et je n’ai rien dit car
je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques
romains, je n’ai rien dit car je n’étais pas un catholique romain. Quand ils
sont venus me chercher, personne n’a rien dit.”3
[Applaudissements dans la salle]
L’enseignement que l’on peut tirer de l’histoire est celui-ci : si vous
croyez que vous êtes en sécurité, vous courez un risque. Si vous ne voyez
pas ce tueur qui traque vos enfants, cherchez-le bien. Il n’y a aucune
famille ou communauté, aucune race ou religion, aucun lieu en Amérique
qui soient sûrs. Tant que nous ne comprendrons pas vraiment la portée de
ce message, nous serons une nation en danger. [...]
L’une de ces familles est la mienne. S’il est vrai que le VIH devient
inévitablement SIDA, alors mes enfants deviendront inévitablement
orphelins.
Ma famille a été le socle sur lequel j’ai pu prendre appui. Mon père qui,
aujourd’hui, a 84 ans n’aurait pas accepté l’idée de ne pas pouvoir
soigner sa fille, lui qui a passé sa vie à panser les maux des nations. Ma
mère a refusé de se laisser abattre. Elle continue à me téléphoner au
milieu de la nuit pour me raconter des blagues qui me font rire. Mes
sœurs et mes amis, sans oublier mon frère Philip dont c’est l’anniversaire
aujourd’hui, m’ont aidée à me rendre dans les lieux les plus
inaccessibles. Je suis bénie. J’ai une chance inouïe d’avoir une telle
famille.
[Applaudissements et acclamations dans la salle]
Mais tout le monde n’a pas cette chance.

Vous êtes séropositif mais vous n’osez pas le dire. Vous avez
perdu ceux que vous aimez mais vous n’osez pas prononcer
le mot sida. Vous pleurez en silence. Vous êtes seul avec votre
chagrin.

J’ai un message pour vous. Ce n’est pas vous qui devez avoir honte.
C’est nous.
Nous qui tolérons l’ignorance et laissons vie aux préjudices. Nous qui
vous avons appris à avoir peur.
Nous devons lever le voile du silence afin que vous puissiez recevoir
l’empathie dont vous avez besoin. C’est notre devoir de mettre nos
enfants à l’abri, pas avec un déni profondément enfoui mais avec de
vraies actions.
Un jour nos enfants seront des adultes. Mon fils Max qui a quatre ans
comprendra qui était sa mère. Mon fils Zachary qui a deux ans fera le tri
dans ses souvenirs. Je ne serai peut-être plus là pour entendre ce qu’ils
diront mais je sais déjà ce que j’aimerais qu’ils disent. Je veux que mes
enfants sachent que leur mère n’était pas une victime mais un messager.
Je ne veux pas qu’ils pensent, comme je l’ai pensé un jour, que le
courage est le manque de peur. Je veux qu’ils sachent que le courage est
la force d’agir avec sagesse au moment où l’on a le plus peur.
Je veux qu’ils aient le courage d’avancer lorsque leur pays ou le Parti
auquel ils appartiendront les appellera et qu’ils s’investissent et ce, quel
qu’en soit le prix à payer […] Mes enfants, je vous fais une promesse : je
n’abandonnerai jamais, Zachary, car c’est en toi que je puise mon
courage. Tes ricanements stupides me donnent espoir. Tes douces prières
me donnent la force. Et toi, mon fils, tu es la raison qui me fait dire à
l’Amérique : “Tu cours un risque.” Max, je ne me reposerai pas tant que
je n’aurai pas fait tout ce qui est en mon pouvoir pour bâtir un monde sûr.
Je chercherai un lieu où l’intimité n’est pas un prélude à la souffrance. Je
ne suis pas pressée de vous quitter mes enfants mais lorsque le moment
sera venu, je prierai pour que vous n’ayez pas honte à cause de moi.
À tous ceux qui entendent le son de ma voix, je lance un appel. Tirez
comme moi les enseignements de l’histoire afin que mes enfants n’aient
pas peur de prononcer le mot “SIDA” lorsque je ne serai plus là. Afin que
vos enfants et mes enfants n’aient plus besoin de chuchoter. Que Dieu
bénisse les enfants. Que Dieu nous bénisse tous.
Bonsoir.
[L’auditoire se lève et applaudit] »
40
Benazir Bhutto
Femme politique pakistanaise
Après le putsch militaire orchestré par le général Muhammad Zia-ul-Haq – au cours duquel son père,
l’ancien Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto fut exécuté (1979) – Benazir Bhutto (1953-2007) fut, à
plusieurs reprises, assignée à résidence jusqu’en 1984. En 1988, elle est élue au poste de Premier
ministre suite à la mort de Zia dans de mystérieuses circonstances, devenant ainsi la première femme
des temps modernes à diriger un pays musulman. Au cours des neuf années qui suivirent, non
soutenue par les militaires et accusée de corruption, elle perdit puis reprit successivement le pouvoir.
Après avoir été battue lors des élections de 1997, elle est condamnée à cinq ans d’emprisonnement
pour corruption. Inéligible, elle est envoyée en exil. Après avoir conclu un accord avec le président
Pervez Musharraf, elle put regagner son pays natal en octobre 2007. Devenue chef de l’opposition,
elle vise les élections de 2008 mais sera assassinée deux mois plus tard soit le 27 décembre après
avoir participé à une réunion du Parti du peuple pakistanais à Rawalpindi.

« La philosophie de l’islam repose sur l’égalité, l’égalité entre les


deux sexes »
4 septembre 1995, Pékin (Chine)

La lutte pour « l’égalité, le développement et la paix » est le thème de la quatrième


conférence internationale pour les femmes organisée par les Nations unies à Pékin entre le 4
et le 15 septembre 1995. Toutefois, un désaccord quant au rôle de la famille et à la sexualité
des femmes oppose des groupes de féministes en majorité occidentales et une coalition de
chrétiens fondamentaliste, d’islamistes et de catholiques traditionnels. La mésentente entre les
opposants perturba les réunions visant à ouvrir la voie au « Programme d’actions », document
sur lequel les participants étaient censés débattre durant la conférence.
La cérémonie d’ouverture de la conférence eut lieu dans le Palais de l’assemblée du peuple
sur la place Tiananmen. Des représentants de 189 pays prirent place au milieu de spectacles
de danse et de musique, des défilés de mode et des manifestations sportives qui, pour un
grand nombre de participants, étaient plus appropriés à la cérémonie d’ouverture des Jeux
olympiques qu’à celle d’une conférence portant sur la place des femmes dans la société.
Après les festivités et les discours officiels, Benazir Bhutto prit la parole lors de la première
réunion plénière. Elle s’exprima avec une éloquence acquise lorsqu’elle présidait l’Oxford
Union Society. Dans son discours, elle défendit l’islam et condamna le fondamentalisme.
Toutefois, même si elle se conforma aux principes de l’Islam et se couvrit la tête pour
apparaître en public, durant toute son allocution, son foulard glissa laissant voir ses cheveux.
En tant que cheffe d’une nation islamique ayant suivi un cursus universitaire en Occident,
Benazir Bhutto fut une parfaite illustration de la tension qui opposa les deux tendances qui
s’affrontèrent lors de la conférence. Le discours de Benazir Bhutto suivit une ligne prudente à
mi-chemin entre ces deux extrêmes.

En tant que première femme élue à la tête d’une nation islamique, j’ai le
sentiment d’avoir une responsabilité toute particulière quant aux
questions ayant trait à la femme.

En répondant aux nouvelles exigences de ce nouveau siècle, nous devons


traduire la religion dynamique en une réalité pouvant être vécue.

Nous devons vivre dans le respect du véritable esprit de


l’islam, pas seulement dans le respect de ses rituels.

Et que ceux d’entre vous qui ne savent pas ce qu’est véritablement


l’islam, se débarrassent de l’idée préconçue qu’ils se font du rôle de la
femme dans notre religion. Contrairement à ce que nombre d’entre vous
croient, l’islam est un ensemble de traditions politiques, sociales et
culturelles. La philosophie de l’islam repose sur la tolérance, le dialogue
et la démocratie.
Comme dans la chrétienté et le judaïsme, nous devons toujours être sur
nos gardes vis-à-vis de ceux qui exploitent et cherchent à faire dire ce
qu’ils veulent au Livre saint1 pour servir des fins politiques personnelles,
qui détournent l’essence même du pluralisme et de la tolérance pour les
inclure dans des programmes extrémistes.
À ceux qui prétendent parler au nom de l’islam mais qui refusent que les
femmes aient une place dans la société, je dis :
La philosophie de l’islam repose sur l’égalité, l’égalité entre les sexes. Il
n’y a pas de religion sur terre qui, dans ses écrits et ses enseignements, ne
soit plus respectueuse du rôle de la femme dans la société que l’islam.
Ma présence ici, en tant que femme élue au poste de Premier ministre
dans un grand pays musulman, est la preuve incontestable de la place que
l’islam accorde aux femmes dans la société.
C’est ce fondement de l’islam qui m’a permis d’assumer la tâche qui
m’incombe, qui m’a donné la force et le courage. C’est cet héritage qui
m’a aidée à surmonter les moments les plus difficiles de ma vie car
l’islam condamne l’injustice ; l’injustice envers le peuple, envers les
nations, envers les femmes. L’islam dénonce l’inégalité qui, à ses yeux,
est la forme d’injustice la plus grave. L’islam encourage ses fidèles à
combattre l’oppression et la tyrannie. L’islam prône la piété comme seul
critère de jugement envers l’humanité. L’islam refuse que la race, la
couleur de peau et le sexe soient ce qui différencie fondamentalement les
êtres humains.

Lorsque l’esprit humain était plongé dans les ténèbres du


Moyen-Âge, l’islam proclamait l’égalité entre les hommes et
les femmes.

Lorsque les femmes étaient considérées comme des membres de la


famille humaine de condition inférieure, l’islam leur a donné le respect et
la dignité. Lorsque les femmes étaient traitées comme des biens
appartenant aux hommes, le prophète de l’islam (paix à son âme) accepta
qu’elles deviennent des partenaires en tout point égales aux hommes.

L’islam a codifié les droits des femmes. Le Coran a élevé le


statut des femmes afin qu’il soit au même niveau que celui
des hommes. Il est le garant des droits civiques, économiques
et politiques des femmes. Il reconnaît le rôle participatif des
femmes dans la construction de la nation.

Malheureusement les principes islamiques concernant les femmes ont


rapidement été bafoués. Dans la société islamique, comme dans d’autres
parties du monde, les droits des femmes cessèrent d’être reconnus. Les
femmes furent maltraitées, furent victimes de discrimination, de violence
et d’oppression. Elles furent blessées dans leur dignité alors qu’on leur
refusait de jouer un rôle dans la société.
Les femmes sont devenues les victimes de la culture de l’exclusion et de
la domination des hommes. Aujourd’hui, les femmes souffrent plus de la
pauvreté, de la privation et de la discrimination que les hommes.
Cinq cents millions de femmes sont analphabètes. 70 % des enfants
auxquels on refuse l’accès à l’école élémentaire sont des filles.
Les difficultés que rencontrent les femmes dans les pays en voie de
développement sont indescriptibles. La faim, la maladie et le labeur sont
leur lot quotidien. Elles subissent plus sérieusement et plus directement
les conséquences d’une faible croissance économique et pâtissent plus
durement de services sociaux inadéquats. Ce sont les premières victimes
des processus d’ajustement structurel qui passent par une réduction des
sommes allouées à la santé, l’éducation, la couverture médicale et la
nutrition. Or diminuer le financement de ces postes vitaux a un impact
particulièrement important sur les groupes vulnérables, notamment les
femmes et les enfants.
Cette situation, Madame la Présidente, est inacceptable. C’est une offense
à ma religion. C’est une offense à ma conception de la justice et de
l’équité. Et par-dessus tout c’est une offense au bon sens.
C’est pourquoi le Pakistan, les femmes du Pakistan, et moi-même en tant
que femme, nous sommes pleinement engagés auprès de la communauté
internationale afin de faire respecter les droits des femmes. La
Déclaration universelle des droits de l’Homme impose la suppression de
toute discrimination à l’égard des femmes.
La résolution des Nations unies sur la mise en œuvre des Stratégies
prospectives d’action de Nairobi pour la promotion de la femme2 est un
document qui donne un cadre précis quant aux droits des femmes dans le
monde. Mais en termes d’égalité, de promotion et de paix nous sommes
encore loin du but.
Les efforts sporadiques en la matière ont échoué. Nous sommes heureux
que le Programme d’actions de Pékin3 inclut une approche globale de
l’émancipation des femmes. Cette approche est la bonne et doit être
pleinement soutenue.
On ne doit pas attendre des femmes qu’elles se battent seules contre les
violences qui leur sont faites en termes de discrimination et
d’exploitation. Laissez-moi citer Dante : Les places les plus chaudes en
enfer sont réservées à ceux qui, en période de crises morales, restent
neutres4.
Dans le monde d’aujourd’hui, dans le combat pour la libération de la
femme, il ne peut y avoir aucune neutralité.
Mon âme porte encore les stigmates de la bataille que j’ai menée seule
contre la dictature et la tyrannie. J’ai été témoin, alors que j’étais encore
très jeune, du renversement de la démocratie, de l’assassinat d’un
Premier ministre qui avait été élu5, et de la remise en question
systématique des fondements mêmes d’une société libre.
Mais notre foi en la démocratie est intacte. Le grand poète et philosophe
pakistanais Dr Allam Iqbal6 écrivait : “La tyrannie ne peut durer
éternellement.” Et elle n’a pas duré. La volonté de notre peuple l’a
emporté sur les forces dictatoriales.
Mais, mes chères sœurs, nous avons appris que la démocratie seule ne
suffit pas. Avoir seulement la liberté de choisir ne garantit pas la justice.
Ce ne sont pas que des valeurs politiques qui définissent l’égalité des
droits. La justice sociale est une triade de liberté, une équation de liberté.
La justice est la liberté politique. La justice est l’indépendance
économique. La justice est l’égalité sociale.
Mesdames les déléguées, mes sœurs, l’enfant qui meurt de faim est privé
de ses droits fondamentaux. La petite fille analphabète n’a aucun avenir.
La femme qui n’a aucun regard sur sa vie, sa famille, sa carrière est
fondamentalement une femme privée de liberté.
Je suis bien décidée à changer le sort des femmes dans mon pays. Plus de
60 millions de femmes pakistanaises sont délibérément mises sur la
touche. C’est une tragédie personnelle pour chacune d’entre elles. C’est
une catastrophe naturelle pour la nation qui est la mienne. Je suis
déterminée à utiliser au mieux le potentiel de ces femmes afin de mener à
bien cette tâche gigantesque qui nous incombe à savoir construire notre
nation.
Je rêve d’un Pakistan dans lequel chaque femme aura la place qui lui est
due.
Je suis consciente du combat que nous allons devoir mener mais avec
l’aide de chacune d’entre vous nous ne baisserons pas les bras. Inch Allah
7
, nous réussirons.
41
George W. Bush
Homme d’État américain
George Walker Bush (1946-) est le fils de George Herbert Walker Bush, 41e président des États-Unis.
Élu gouverneur du Texas en 1994, George W. Bush atteignit des records de popularité lors de son
premier mandat ce qui lui valut d’être réélu quatre ans plus tard. En 2000, il remporte les primaires et
devient ainsi le candidat républicain à l’élection présidentielle face au démocrate Al Gore. Si Bush
l’emporte, jamais en plus de cent ans, un score n’a été aussi serré. À la différence de la politique de
gauche menée par son prédécesseur Bill Clinton, Bush met en place une politique de droite et se
rapproche du mouvement néo-conservateur et de la droite chrétienne. En septembre 2001, suite aux
attentats terroristes à New York et Washington, Bush est précipité dans l’arène internationale et
s’engage, au Moyen-Orient, dans une intervention militaire contre les individus considérés comme
les ennemis des États-Unis. En 2004, George W. Bush est réélu à la présidence. La manière dont il
gère certains événements notamment la guerre en Irak, la catastrophe due à l’ouragan Katrina (2005)
et la crise économique ou « Grande récession » comme on l’appelle, à la fin de l’année 2007 lui
valent des critiques acérées des classes populaires. Il quitte la présidence en 2009.

« Aujourd’hui notre nation voit le mal »


11 septembre 2001, discours prononcé à Washington DC et retransmis sur les chaînes télévisées

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 furent, incontestablement, un tournant décisif


dans l’histoire, même si durant plusieurs années, la portée de ces événements put ne pas être
parfaitement comprise. Les attentats du 11 septembre conduisirent à la guerre en Afghanistan
et à un ensemble de mesures de sécurité et de lois réunies sous le terme générique de « Guerre
contre le terrorisme ». Ils servirent également à justifier l’invasion de l’Irak par les troupes
américaines en 2003.
Bush était dans une salle de classe de l’école élémentaire Emma Booker en Floride lorsqu’il
fut informé des attentats perpétrés à New York. Les photographies et les prises de vues
capturèrent la détresse qui se lisait sur son visage alors qu’il s’emparait du livre My Pet Goat.
Avant de quitter l’école, le président américain fit une brève déclaration devant les caméras. Il
s’envola ensuite pour la Louisiane où il s’exprima de nouveau. Les deux tours du World
Trade Center s’étaient effondrées. Deux autres avions avaient été détournés et s’étaient
écrasés, l’un d’eux ayant en partie détruit le Pentagone à Washington.
Bush retourna à la Maison-blanche et à 20 h 30, il s’adressa à la nation. Le discours prononcé
dans le bureau ovale sera retransmis sur toutes les chaînes télévisées du pays. Visiblement
choqué et butant sur certains mots, sa déclaration fut néanmoins à la hauteur de ses
responsabilités. D’une certaine manière, cette tragédie fut pour lui une aubaine. Sa réponse
qui ne laissait place à aucune pitié envers les terroristes a propulsé ce président qui
jusqu’alors ne semblait concerné que par les affaires nationales dans l’arène internationale.

« Bonsoir,
Aujourd’hui, mes chers compatriotes, notre mode de vie, notre liberté
même sont menacés par une série d’actes terroristes délibérés et mortels.
Les victimes étaient dans des avions ou dans leur bureau : des secrétaires,
des hommes et des femmes d’affaires, des militaires et des
fonctionnaires, des mères et des pères, des amis et des voisins. Des
milliers de vies se sont soudain éteintes, frappées par des actes de terreur
ignobles et abjects.
Les images de ces avions percutant les tours, de ces bâtiments en feu et
de ces immenses structures s’effondrant nous ont remplis d’incrédulité,
d’une tristesse incommensurable et d’une colère muette et inapaisable.
Ces actes de tuerie avaient pour objectif de terrifier notre nation en
semant la confusion et en nous obligeant à battre en retraite. Mais ils ont
échoué ; notre pays est fort.
Un grand peuple s’est mobilisé pour défendre une grande nation.

Les attentats peuvent faire bouger les fondations de nos plus


grands bâtiments mais ils ne peuvent ébranler les fondations
de l’Amérique. Ces actes brisent l’acier mais ils ne peuvent
entamer la détermination américaine.

L’Amérique a été prise pour cible car ce pays est l’emblème de la liberté
et de l’égalité des chances dans le monde. Mais personne ne pourra
jamais aller contre cela.
Aujourd’hui, notre nation voit le mal – ce qu’il y a de pire dans la nature
humaine – et, face à ce mal, nous réagissons avec ce que l’Amérique a de
mieux. Avec la hardiesse des équipes de secours, avec la bienveillance
d’inconnus et de voisins venus donner leur sang et faire tout ce qui est en
leur pouvoir pour venir en aide aux victimes.
Immédiatement après le premier attentat, j’ai mis en place des plans
d’urgence. Notre armée est puissante et prête à agir. Nos équipes de
secours travaillent à New York et à Washington aux côtés des équipes
locales. Notre priorité numéro un est d’apporter notre aide à celles et
ceux qui ont été blessés et de prendre toutes les précautions nécessaires
afin de protéger nos compatriotes, ici même dans ce pays mais aussi dans
les autres régions du monde, contre d’éventuelles attaques terroristes.
Notre gouvernement continue à assumer ses fonctions. À Washington, les
agences fédérales qui ont dû être évacuées aujourd’hui rouvriront pour la
plupart ce soir et tout le monde sera à pied d’œuvre demain. Nos
institutions financières restent fortes et l’économie américaine est prête à
reprendre son cours.
Nous avons lancé une enquête afin de découvrir qui se cache derrière ces
actes maléfiques. J’ai ordonné à tous les membres des services secrets et
à toutes les personnes ayant des pouvoirs de police de trouver les
responsables et de les traîner devant la justice. Nous ne ferons aucune
distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes et ceux qui les
ont couverts.
Je suis très reconnaissant aux membres du Congrès qui se sont joints à
moi pour condamner ces attentats.
Et, au nom du peuple américain, je remercie les nombreux dirigeants qui
nous ont présenté leurs condoléances et nous ont proposé leur aide.
L’Amérique, nos amis et nos alliés se joignent à toutes celles et tous ceux
qui veulent la paix et la sécurité dans le monde et nous nous tenons
debout côte à côte pour gagner la guerre contre le terrorisme. Ce soir, je
vous demande de prier pour celle et ceux qui sont dans le malheur, pour
les enfants dont le monde vient de se briser, pour toutes celles et tous
ceux qui ne se sentent plus en sécurité mais menacés. Je prie pour eux et
j’espère qu’ils trouveront du réconfort dans ce verset du psaume 23 :
“Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains
aucun mal car Tu es avec moi.”

Aujourd’hui, que tous les Américains s’unissent et marchent


ensemble pour que justice soit faite et que la paix arrive.
L’Amérique a déjà dans le passé anéanti des ennemis et elle le fera
encore cette fois. Aucun de nous n’oubliera ce jour, même si nous
continuons à avancer pour défendre la liberté et tout ce qui est bon et
juste dans notre monde.
Merci. Bonsoir et que Dieu bénisse l’Amérique. »
42
Dominique de Villepin
Ministre des Affaires étrangères (2002-2004)
Dominique de Villepin, né le 14 novembre 1953 à Rabat (Maroc), est issu d’une famille de la haute
bourgeoisie. Après avoir passé une partie de son enfance à l’étranger, il rentre en France, obtient son
bac à l’âge de 16 ans, puis intègre l’Institut d’études politiques de Paris. En 1977, sa sensibilité
gaulliste le fait adhérer au Rassemblement pour la République (RPR). Diplômé de l’ENA en 1980, il
rejoint la Direction des affaires africaines et malgache en tant que secrétaire chargé de la corne de
l’Afrique. En 1993, son parti sort vainqueur des législatives. Alain Juppé, ministre des Affaires
étrangères, le nomme directeur de cabinet. Lorsque Jacques Chirac devient président de la
République, en 1995, il le choisit comme secrétaire général de la présidence de la République. Après
la dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles législatives aboutissant à une période de
cohabitation avec les socialistes, etre 1997 et 2002, Jacques Chirac est réélu et le nomme ministre des
Affaires étrangères, poste qu’il occupe de 2002 à 2004. Il remplace ensuite Jean-Pierre Raffarin à
Matignon entre 2005 et 2007. Retiré de la vie politique, il devient avocat en 2008 avant de
démissionner du barreau de Paris en 2015, année où il crée sa propre entreprise, Villepin
International, une société aux multiples activités de conseil, audits ou réalisations d’études.

« La guerre est toujours la sanction d’un échec »


14 février 2003, discours prononcé à l’ONU

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush, président des États-Unis, est
parti en croisade contre le terrorisme. Son discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002
dénonce l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord comme formant l’« axe du mal » contre lequel il
promet de lutter. Tony Blair, Premier ministre britannique, lui emboîte le pas le 7 avril en
parlant d’un « renversement » souhaitable par la force de tout régime qui menacerait la
sécurité mondiale. Dès lors, pour George W. Bush, Saddam Hussein doit quitter le pouvoir et
il promet de s’y employer par tous les moyens. Début août, l’Irak propose à Hans Blix, le chef
de la Commission de surveillance, de vérification et d’inspection des Nations unies, une
éventuelle reprise des inspections de la commission chargée de surveiller le désarmement de
l’Irak. Entre le 12 septembre et le 8 novembre, un bras de fer s’engage entre l’ONU et le
gouvernement américain représenté par Colin Powell, lequel souhaite une nouvelle résolution
propre à faire respecter les engagements de désarmement de Bagdad. Les pourparlers
aboutissent au vote de la résolution 1441 par le Conseil de sécurité. Cette résolution somme
Bagdad de se conformer aux obligations de son désarmement sous huitaine. Après que l’Irak
a donné son accord, des experts de l’UNMOVIC (Commission de contrôle, de vérification et
d’inspection des Nations unies) et de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique)
se rendent à Bagdad pour vérifier et renforcer les inspections sur son sol. Malgré les garanties
apportées par Saddam Hussein, la Grande-Bretagne et les États-Unis soutiennent que les sites
irakiens abritent des armes de destruction massive. Hans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU,
demande des preuves de ces assertions. Côté français, Jacques Chirac s’oppose publiquement
à une intervention armée. Il s’en explique début janvier 2003 lors de ses vœux à la presse. Le
chancelier allemand Gerhard Schroeder lui emboîte le pas et demande le vote d’une deuxième
résolution des Nations unies avant d’envisager le recours aux forces armées.
Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, se prononce également contre
l’action militaire et pour une continuation des inspections sur place à l’issue d’une réunion du
Conseil de sécurité sur le terrorisme. Il soutient dans son allocution que contrairement à ce
que les États prônant l’intervention armée affirment, Al-Qaida n’a pas de liens avec le régime
de Bagdad. En revanche, le déclenchement d’une guerre pourrait faire naître le terrorisme sur
les cendres de celle-ci. Son discours a été longuement applaudi, événement rare dans
l’enceinte de l’ONU. Malgré cette intervention remarquée et sans l’aval des Nations unies, la
guerre est déclenchée par la coalition Grande-Bretagne/États-Unis le 20 mars. Elle durera
jusqu’en 2011.

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Je remercie MM. Blix et El Baradei pour les indications qu’ils viennent
de nous fournir sur la poursuite des inspections en Iraq. Je tiens à
nouveau à leur exprimer la confiance et le plein soutien de la France dans
leur mission.
Vous savez le prix que la France attache, depuis l’origine de la crise
iraquienne, à l’unité du Conseil de Sécurité. Cette unité repose
aujourd’hui sur deux éléments essentiels :
Nous poursuivons ensemble l’objectif d’un désarmement effectif de
l’Iraq. Nous avons en ce domaine une obligation de résultat. Ne mettons
pas en doute notre engagement commun en ce sens. Nous assumons
collectivement cette lourde responsabilité qui ne doit laisser place ni aux
arrière-pensées, ni aux procès d’intention. Soyons clairs : aucun d’entre
nous n’éprouve la moindre complaisance à l’égard de Saddam Hussein et
du régime iraquien.
En adoptant à l’unanimité la résolution 1441, nous avons collectivement
marqué notre accord avec la démarche en deux temps proposée par la
France : le choix du désarmement par la voie des inspections et, en cas
d’échec de cette stratégie, l’examen par le Conseil de Sécurité de toutes
les options, y compris celle du recours à la force. C’est bien dans ce
scénario d’échec des inspections, et dans ce cas seulement, que pourrait
se justifier une seconde résolution.
La question qui se pose aujourd’hui est simple : considérons-nous en
conscience que le désarmement par les missions d’inspection est
désormais une voie sans issue ? Ou bien, estimons-nous que les
possibilités en matière d’inspection offertes par la résolution 1441 n’ont
pas encore été toutes explorées ?
En réponse à cette question, la France a deux convictions :
la première, c’est que l’option des inspections n’a pas été conduite
jusqu’à son terme et peut apporter une réponse efficace à l’impératif du
désarmement de l’Iraq ; la deuxième, c’est qu’un usage de la force serait
si lourd de conséquences pour les hommes, pour la région et pour la
stabilité internationale qu’il ne saurait être envisagé qu’en dernière
extrémité.
Or, que venons-nous d’entendre, à travers le rapport de MM. Blix et El
Baradei ? Nous venons d’entendre que les inspections donnent des
résultats. Bien sûr, chacun d’entre nous veut davantage et nous
continuerons ensemble à faire pression sur Bagdad pour obtenir plus.
Mais les inspections donnent des résultats.
Lors de leurs précédentes interventions au Conseil de sécurité, le
27 janvier, le Président exécutif de la CCVINU et le Directeur général de
l’AIEA avaient identifié précisément les domaines dans lesquels des
progrès étaient attendus. Sur plusieurs de ces points, des avancées
significatives ont été obtenues :
Dans les domaines chimique et biologique, les Iraquiens ont remis de
nouveaux documents aux inspecteurs. Ils ont aussi annoncé la création de
commissions d’investigation, dirigées par les anciens responsables des
programmes d’armements, conformément aux demandes de M. Blix ;
Dans le domaine balistique, les informations fournies par
l’Iraq ont permis aux inspecteurs de progresser également.
Nous détenons avec précision les capacités réelles du missile
Al-Samoud. Maintenant, il convient de procéder au
démantèlement des programmes non autorisés,
conformément aux conclusions de M. Blix ;

Dans le domaine nucléaire, des informations utiles ont été transmises à


l’AIEA sur les points importants évoqués par M. El Baradei le 27 janvier
dernier : l’acquisition d’aimants susceptibles de servir à l’enrichissement
d’uranium et la liste des contacts entre l’Iraq et le pays susceptible de lui
avoir fourni de l’uranium.
Nous sommes là au cœur de la logique de la résolution 1441, qui doit
assurer l’efficacité des inspections grâce à une identification précise des
programmes prohibés, puis à leur élimination.
Nous sommes tous conscients que le succès des inspections suppose que
nous aboutissions à une coopération pleine et entière de l’Iraq. La France
n’a cessé de l’exiger. Des progrès réels commencent à apparaître :
L’Iraq a accepté le survol de son territoire par des appareils de
reconnaissance aérienne ; il a permis que des scientifiques iraquiens
soient interrogés sans témoins par les inspecteurs ; un projet de loi
prohibant toutes les activités liées aux programmes d’armes de
destruction massive est en cours d’adoption, conformément à une
demande ancienne des inspecteurs. L’Iraq doit fournir une liste détaillée
des experts ayant assisté en 1991 aux destructions des programmes
militaires.
La France attend bien entendu que ces engagements soient durablement
vérifiés. Au-delà, nous devons maintenir une forte pression sur l’Iraq
pour qu’il aille plus loin dans la voie de la coopération.
Ces progrès nous confortent dans la conviction que la voie des
inspections peut être efficace. Mais nous ne devons pas nous dissimuler
l’ampleur du travail restant à accomplir : des questions doivent être
encore élucidées, des vérifications doivent être conduites, des
installations ou des matériels doivent sans doute encore être détruits.
Pour ce faire, nous devons donner aux inspections toutes les chances de
réussir.
J’ai fait des propositions le 5 février devant le Conseil. Depuis lors, nous
les avons précisées dans un document de travail adressé à MM. Blix et El
Baradei et communiquées aux membres du Conseil.
Quel est leur esprit ? Il s’agit de propositions pratiques et concrètes, qui
peuvent être mises en œuvre rapidement et qui sont destinées à renforcer
l’efficacité des opérations d’inspection. Elles s’inscrivent dans le cadre
de la résolution 1441 et ne nécessitent par conséquent aucune nouvelle
résolution du Conseil. Elles doivent venir à l’appui des efforts menés par
MM. Blix et El Baradei. Ils sont naturellement les mieux à même de nous
dire celles d’entre elles qu’ils souhaitent retenir pour assurer la meilleure
efficacité de leurs travaux. Dans leur rapport, ils nous ont fait des
commentaires utiles et opérationnels.
La France a déjà annoncé qu’elle tenait des moyens supplémentaires à la
disposition de MM. Blix et El Baradei, à commencer par ses appareils de
surveillance aérienne Mirage IV.
Alors oui j’entends bien les critiques :
Il y a ceux qui pensent que dans leur principe, les inspections ne peuvent
avoir aucune efficacité. Mais je rappelle que c’est le fondement même de
la résolution 1441 et que les inspections donnent des résultats. On peut
les juger insuffisantes mais elles sont là.
Il y a ceux qui croient que la poursuite du processus d’inspection serait
une sorte de manœuvre de retardement visant à empêcher une
intervention militaire. Cela pose naturellement la question du temps
imparti à l’Iraq. Nous sommes là au centre des débats. Il y va de notre
crédibilité et de notre esprit de responsabilité. Ayons le courage de mettre
les choses à plat.
Il y a deux options :
L’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais
n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix.
Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra
préserver l’unité de l’Iraq, rétablir de manière durable la stabilité dans un
pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force. Face à de
telles perspectives, il y a l’alternative offerte par les inspections, qui
permet d’avancer de jour en jour dans la voie d’un désarmement efficace
et pacifique de l’Iraq. Au bout du compte, ce choix-là n’est-il pas le plus
sûr et le plus rapide ?
Personne ne peut donc affirmer aujourd’hui que le chemin de la guerre
sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut affirmer non
plus qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus
stable. Car la guerre est toujours la sanction d’un échec. Serait-ce notre
seul recours face aux nombreux défis actuels ? Donnons par conséquent
aux inspecteurs des Nations Unies le temps nécessaire à la réussite de
leur mission. Mais soyons ensemble vigilants et demandons à MM. Blix
et El Baradei de faire régulièrement rapport au Conseil. La France, pour
sa part, propose un nouveau rendez-vous le 14 mars au niveau
ministériel, pour évaluer la situation. Nous pourrons alors juger des
progrès effectués et de ceux restant à accomplir.
Dans ce contexte, l’usage de la force ne se justifie pas aujourd’hui. Il y a
une alternative à la guerre : désarmer l’Iraq par les inspections. De plus,
un recours prématuré à l’option militaire serait lourd de conséquences.
L’autorité de notre action repose aujourd’hui sur l’unité de la
communauté internationale. Une intervention militaire prématurée
remettrait en cause cette unité, ce qui lui enlèverait sa légitimité et, dans
la durée, son efficacité.

Une telle intervention pourrait avoir des conséquences


incalculables pour la stabilité de cette région meurtrie et
fragile. Elle renforcerait le sentiment d’injustice, aggraverait
les tensions et risquerait d’ouvrir la voie à d’autres conflits.

Nous partageons tous une même priorité, celle de combattre sans merci le
terrorisme. Ce combat exige une détermination totale. C’est, depuis la
tragédie du 11 Septembre, l’une de nos responsabilités premières devant
nos peuples. Et la France, qui a été durement touchée à plusieurs reprises
par ce terrible fléau, est entièrement mobilisée dans cette lutte qui nous
concerne tous et que nous devons mener ensemble. C’est le sens de la
réunion du Conseil de Sécurité qui s’est tenue le 20 janvier, à l’initiative
de la France.
Il y a dix jours, le Secrétaire d’État américain, M. Powell, a évoqué des
liens supposés entre Al-Qaida et le régime de Bagdad. En l’état actuel de
nos recherches et informations menées en liaison avec nos alliés, rien ne
nous permet d’établir de tels liens. En revanche, nous devons prendre la
mesure de l’impact qu’aurait sur ce plan une action militaire contestée
actuellement. Une telle intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver les
fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures
dont se nourrit le terrorisme ?
La France l’a toujours dit : nous n’excluons pas la possibilité qu’un jour
il faille recourir à la force, si les rapports des inspecteurs concluaient à
l’impossibilité pour les inspections de se poursuivre. Le Conseil devrait
alors se prononcer et ses membres auraient à prendre toutes leurs
responsabilités. Et, dans une telle hypothèse, je veux rappeler ici les
questions que j’avais soulignées lors de notre dernier débat le 4 février et
auxquelles nous devrons bien répondre :
En quoi la nature et l’ampleur de la menace justifient-elles le recours
immédiat à la force ?
Comment faire en sorte que les risques considérables d’une telle
intervention puissent être réellement maîtrisés ?
En tout état de cause, dans une telle éventualité, c’est bien l’unité de la
communauté internationale qui serait la garantie de son efficacité. De
même, ce sont bien les Nations Unies qui resteront demain, quoi qu’il
arrive, au cœur de la paix à construire.
Monsieur le Président, à ceux qui se demandent avec angoisse quand et
comment nous allons céder à la guerre, je voudrais dire que rien, à aucun
moment, au sein de ce Conseil de Sécurité, ne sera le fait de la
précipitation, de l’incompréhension, de la suspicion ou de la peur.
Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d’un idéal,
nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et
l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la
priorité au désarmement dans la paix.
Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien,
l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres,
l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il
doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui
pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les
hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les
membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à
construire ensemble un monde meilleur.
Je vous remercie.
43
Saddam Hussein
Dictateur irakien
Membre du Ba’ath ou Parti socialiste de la résurrection arabe depuis 1957, Saddam Hussein (1937-
2006) joua un rôle prépondérant dans la révolution irakienne de 1968. Il mit en place le Conseil de
commandement révolutionnaire dont il sera le vice-président puis le président. En 1979, il devient
président de la République d’Irak. Durant huit ans (1980-1988), il livre une guerre acharnée contre
son voisin l’Iran et réprime sévèrement les rebellions kurdes. En juillet 1990, il ordonne l’invasion du
Koweït ce qui lui vaudra de lourdes sanctions de la part des Nations unies et sera l’élément
déclencheur de la guerre du Golfe, conflit qui opposera l’Irak aux forces de maintien de la paix des
Nations unies constituées de soldats américains, européens et arabes. Si l’armée de Saddam Hussein
capitule en février 1991, les tensions entre l’Irak et l’Occident perdurent. Suite aux attentats
terroristes perpétrés contre les États-Unis en 2001, le président américain George W. Bush identifie
l’Irak comme étant un membre de l’axe du mal et exige un renversement du régime irakien. En
mars 2003, alors que la légitimité de la guerre est controversée, une alliance de 35 pays dirigée par
les États-Unis envahit l’Irak. En trois semaines, l’alliance l’emporte sans toutefois mettre fin à
l’insurrection. Saddam s’enfuit et disparaît avant d’être fait prisonnier en décembre 2003. En
juillet 2004, commence son procès pour crimes contre l’humanité. La sentence tombe en
novembre 2006. Saddam Hussein sera exécuté par pendaison deux mois plus tard.

« L’Irak sortira victorieux »


20 mars 2003, Bagdad (Irak)

Suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés aux États-Unis, les craintes des
Américains face aux menaces venant de l’étranger, atteignent leur paroxysme et la rhétorique
anti-américaine de Saddam Hussein ne fait que renforcer l’idée que se font les Américains du
régime irakien à savoir l’instigateur du terrorisme international. Durant des années, Saddam
Hussein s’oppose au travail des équipes des Nations unies chargées de contrôler le
démantèlement et la destruction des missiles et des armes chimiques et bactériologiques ce
qui pousse nombre de pays à demander au président George W. Bush de « terminer le travail
commencé par son père ». Début 2003, les forces alliées se déploient le long des frontières
irakiennes et, le 20 mars, les bombardiers américains larguent leurs premières bombes sur
Bagdad.
Deux heures après cette première « exécution », Saddam apparaît à la télévision irakienne et
annonce le début de la guerre que tous pressentaient. Vêtu d’un uniforme militaire, Saddam –
qui précise le jour de l’attaque de Bagdad afin de prouver que son discours n’a pas été pré-
enregistré et qu’il contrôle parfaitement la situation – n’envisage pas un seul instant la défaite
même si la situation n’est pas favorable à l’Irak.
La force des mots à l’encontre des États-Unis, le discours teinté de piété et aux nombreuses
références religieuses et les humiliations promises à l’adversaire attestent du talent de ce
brillant orateur.

« Au nom de Dieu, le miséricordieux, le compatissant […] Ceux qui sont


opprimés ont le droit de combattre et Dieu est capable de faire qu’ils
sortent victorieux. Dieu est le plus grand.
Au merveilleux peuple d’Irak, à nos valeureux combattants, à nos
hommes dans nos forces armées héroïques, à notre glorieuse nation : à
l’heure de la prière du matin, en ce 20 mars 2003, le petit Bush
imprudent et criminel et sa clique ont perpétré ce crime qu’ils menaçaient
depuis longtemps de commettre contre l’Irak et l’humanité. Il a exécuté
cet acte criminel avec ses alliés ne faisant qu’ajouter à la liste des crimes
honteux déjà commis contre l’Irak et l’humanité.

Aux Irakiens et au beau peuple de notre nation : votre pays,


votre glorieuse nation et vos convictions méritent que vous
sacrifiiez votre vie, votre âme, votre famille et vos fils.

Dans ce contexte, je n’ai pas besoin de vous redire ce que chacun d’entre
vous doit faire, ce que nous attendons de lui, pour défendre notre
précieuse nation, nos croyances et nos valeurs sacrées. Je dis à chacun
des membres des familles irakiennes, patient et fidèle, qui est opprimé
par l’ennemi maléfique de se souvenir et ne jamais oublier tout ce qu’il a
dit et promis. Les jours que nous sommes en train de vivre, selon la
volonté de Dieu, s’ajouteront à l’histoire éternelle de notre glorieuse
nation.
Vous, les hommes et les femmes d’Irak dont on sait le courage : vous
méritez la victoire et la gloire et tout ce qui rehausse le statut des fidèles
devant leur Dieu, détruit les infidèles, les ennemis de Dieu et de
l’humanité en général. Vous, les Irakiens, serez victorieux avec les fils de
la nation. Vous êtes déjà victorieux avec l’aide de Dieu. Vos ennemis
tomberont en disgrâce et succomberont à la honte. [...]
À vous mes amis qui combattez le mal dans le monde, que la paix soit
avec vous maintenant que vous avez vu la façon dont l’imprudent Bush
déprécie vos convictions et vos points de vue contre la guerre et votre
appel ô combien sincère pour la paix et la manière dont il a commis
aujourd’hui ce crime odieux. [...]
Ils perdront car tel est le souhait des êtres bons et fidèles qui aiment la
paix et l’humanité. L’Irak sortira victorieux car telle est la volonté de
Dieu et avec l’Irak notre nation, l’humanité sortira victorieuse et les
méchants seront terrassés de manière à ne plus pouvoir perpétrer leurs
crimes comme ils – la coalition américaine et sioniste – l’avaient prévu
contre les nations et les peuples et notamment notre glorieuse nation
arabe.
Dieu est le plus grand. Longue vie à l’Irak et à la Palestine. Dieu est le
plus grand. Longue vie à notre glorieuse nation ; longue vie à nos frères ;
longue vie à ceux qui veulent vivre en paix et en sécurité et à ceux qui
veulent que le peuple ait le droit de vivre en liberté et que règne la
justice. Dieu est le plus grand. Longue vie à l’Irak ; longue vie au djihad1
et longue vie à la Palestine. Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand.
Dieu est le plus grand. »
44
Oussama ben Laden
Terroriste saoudien
Fils d’un milliardaire saoudien d’origine yéménite ayant fait fortune dans le bâtiment et les travaux
publics, Oussama ben Mohammed ben Laden (1957-2011) fonde le réseau terroriste Al-Qaida en
1988 afin d’apporter un soutien aux mouvements d’opposition islamistes dans le monde entier. En
1998, Oussama ben Laden qui appelle les musulmans de tous les pays à perpétrer des actes terroristes
contre les Américains et les intérêts américains, est fortement soupçonné d’être impliqué dans un
grand nombre d’attentats commis en Occident. Le 11 septembre 2001, Oussama ben Laden est
propulsé sur le devant de la scène internationale. Quatre avions de ligne américains transportant des
passagers sont détournés par des terroristes. Deux d’entre eux percutent et détruisent les tours nord et
sud du World Trade Center à New York. Au total, près de 3 000 personnes perdent la vie.
Rapidement, Oussama ben Laden est identifié comme étant le commanditaire de ce massacre. Le
président américain George W. Bush annonce que la « guerre au terrorisme » est déclarée dans le
monde entier et ordonne que les quartiers généraux islamistes en Afghanistan soient pris d’assaut.
Parallèlement, des attaques sont lancées contre le régime taliban accusé de protéger et de cacher ben
Laden. Considéré comme le criminel le plus recherché dans le monde, ben Laden réussira pendant
dix ans à échapper à tous les réseaux à sa recherche. Le 2 mai 2011, il est éliminé lors d’une
opération militaire controversée ordonnée par le président américain Barack Obama dans une
résidence ultra-sécurisée d’Abbottabad (Pakistan) dans laquelle, a priori, il vivait depuis très
longtemps.

« Nos actes sont une riposte à vos actes »


15 avril 2004, discours enregistré

Après les attentats de 2001, Oussama ben Laden provoque et défie ses ennemis via des
messages enregistrés sur des cassettes audio et vidéo qu’il transmet aux médias pour
diffusion. En avril 2004, un enregistrement – la voix est identifiée comme étant celle de ben
Laden – est rendu public par la chaîne d’information saoudienne Al-Arabiya et la chaîne de
télévision satellitaire Al-Jazeera.
Sur cette cassette, ben Laden se focalise sur la sécurité dans le monde. Il affirme que ses
fidèles ont fait de l’Occident leur cible car les pays occidentaux ont nui aux intérêts
musulmans, leur refusant le pouvoir et la sécurité. Ce qui, suggère-t-il, équivaut moralement
aux actes de terrorisme perpétrés par Al-Qaida – « le retour de vos biens ».
Il souligne tout particulièrement la souffrance endurée par les Palestiniens chassés de leurs
terres et dépossédés de leurs biens par Israël et ce, avec le soutien des États-Unis. Les
Occidentaux qui souhaitent la paix, dit-il, devraient défendre la cause des Palestiniens et de
tous les autres peuples musulmans opprimés. Par ses mots, Oussama ben Laden fait planer
une menace sur l’Occident : « Cessez l’effusion de notre sang pour en préserver le vôtre. »
Cette « proposition de paix » fut interprétée par la plupart des journalistes occidentaux
comme étant une ruse dans le seul but de séduire les intellectuels occidentaux. L’objectif ?
Qu’ils réussissent à convaincre les gouvernements de limiter leur soutien à Israël et de retirer
leurs troupes d’Irak.

Louange au Dieu tout-Puissant. Que la paix soit avec le prophète


Mahomet, sa famille et ses fidèles. Prions pour eux. Ce message que
j’adresse à tous nos voisins au nord de la Méditerranée, est une initiative
de réconciliation en réponse aux réactions positives qu’ils ont eues.
Louange à Dieu. Louange à Dieu. Louange à Dieu, créateur du Ciel et de
la Terre où règne la justice, Dieu qui permet aux opprimés de punir
l’oppresseur en lui faisant endurer ce qu’il leur a fait endurer.
Que la paix soit avec ceux qui suivent le droit chemin. Je veux vous
délivrer un message afin de vous rappeler que la justice est un devoir
envers ceux que vous aimez et ceux que vous n’aimez pas. Et les droits
des peuples ne seront pas violés si l’ennemi en parle ouvertement.
La première règle en termes de sécurité est la justice, mettre fin à
l’injustice et aux agressions. On l’a dit : l’oppression tue les oppresseurs
et l’injustice naît du mal. La situation dans les territoires occupés de
Palestine en est l’exemple parfait. Les événements qui se sont déroulés le
11 septembre et le 11 mars1 ne sont que le retour de vos biens.
On sait que la sécurité est une nécessité impérieuse pour toute
l’humanité. Nous n’acceptons pas que la sécurité soit votre monopole. De
même, les personnes vigilantes n’autorisent pas leurs politiques à
contrefaire la sécurité.
Cela étant dit, nous aimerions vous faire savoir que nous qualifier de
terroristes et qualifier nos actes de terrorisme vaut également pour vous
et les actions que vous menez. La réaction est du même acabit que
l’action qui la déclenche. Nos actions sont notre manière de réagir et de
répondre à vos propres actions telles que la destruction et les assassinats
de nos frères en Afghanistan, en Irak et en Palestine. L’acte qui a horrifié
le monde – je veux parler de l’assassinat d’un homme âgé et malade, le
Cheikh Ahmed Yassine2, que Dieu ait pitié de lui – en est la preuve.
Nous jurons devant Dieu que nous punirons l’Amérique en son nom car
telle est Sa volonté.
Quelle religion considère que la vie de nos innocents assassinés vaut
moins que la vie de vos innocents ? Et selon quel principe peut-on dire
que votre sang est du sang pur et que notre sang n’est que de l’eau ? La
réciprocité de traitement est juste et le premier qui se montre injuste est
celui qui porte la plus grande part de responsabilité.
En ce qui concerne vos politiques et ceux qui ont suivi leurs traces, qui
persistent à ignorer le véritable problème à savoir l’occupation de toute la
Palestine et qui grossissent les mensonges et falsifient les faits dès lors
qu’il s’agit de notre droit à nous défendre et à résister : ils n’ont aucun
respect pour eux-mêmes. Ils n’éprouvent que du mépris pour le sang et
l’esprit des peuples. Et leur comportement favorise l’effusion de sang au
lieu de le préserver.
De plus, lorsqu’on regarde de plus près les mesures qui ont été prises –
en termes d’assassinats dans nos pays et dans vos pays – on s’aperçoit
que l’injustice nous est imposée à nous mais aussi à vous par vos
politiques qui envoient vos fils – même si vous y êtes opposés – dans nos
pays pour tuer et se faire tuer.
Par conséquent, il est de votre intérêt et de notre intérêt de réfréner les
plans de ceux qui répandent le sang des peuples à de piètres fins
personnelles et par asservissement à la clique de la Maison-Blanche.
Le lobby sioniste est l’un des plus dangereux et l’une des entités les plus
ardues du groupe.
Nous sommes déterminés à les combattre car telle est la volonté de Dieu.
Nous devons tenir compte du fait que cette guerre rapporte des milliards
de dollars de bénéfices aux plus grandes sociétés qu’il s’agisse
d’entreprises qui fabriquent des armes ou qui participent à la
reconstruction comme la Halliburton Company3 et toutes les sociétés
sœurs et filiales du groupe.
Cette situation montre clairement qui a intérêt à ce que la guerre soit
déclarée et que coule le sang. Ce sont les chefs militaires, les vampires
qui, derrière le rideau, tirent les ficelles de la politique mondiale.
Idem pour le président Bush : les dirigeants qui gravitent autour de lui,
les grandes sociétés de médias et les Nations unies qui font les lois qui
contrôlent les relations entre les maîtres du veto4 et les esclaves de
l’Assemblée générale – ne sont que des outils utilisés pour duper et
exploiter les peuples. Toutes ces mesures font planer une menace de mort
sur le monde entier.
À partir de ces éléments, et afin de ne pas donner leur chance aux
marchands auxquels profite la guerre – et en réponse à l’interaction
positive montrée par les récents événements et les sondages d’opinion
qui montrent que la plupart des peuples européens veulent la paix – je
demande aux gens honnêtes [...] de constituer un comité permanent pour
éclairer les peuples européens quant à la justice des causes que nous
défendons notamment en ce qui concerne la Palestine. Qu’ils se servent
pour cela de ce potentiel énorme que sont les médias.
La porte de la réconciliation sera ouverte pendant trois mois à partir de la
date à laquelle cette déclaration sera rendue publique. Je présente
également une initiative de réconciliation dont les fondements sont notre
engagement à cesser des opérations contre tous les pays, s’ils promettent
de ne pas attaquer les musulmans et de ne plus intervenir dans leurs
affaires – y compris le complot américain fomenté contre le grand monde
musulman. […]
La réconciliation commencera dès que le dernier soldat aura quitté notre
pays.
La porte de la réconciliation sera ouverte pendant trois mois à partir de la
date à laquelle cette déclaration sera rendue publique. Que ceux qui
refusent la réconciliation et qui veulent la guerre sachent que nous
sommes prêts. […]
Cessez l’effusion de notre sang pour préserver le vôtre. Cette décision à
la fois simple mais difficile à prendre vous appartient. Vous savez que la
situation ne fera que s’étendre et empirer si vous retardez les choses. Si
nous devions en arriver là, il ne faudra pas vous en prendre à nous. Vous
seuls serez responsables. Une personne raisonnable ne peut renoncer à sa
sécurité, à son argent et à ses enfants pour faire plaisir au menteur de la
Maison-Blanche. [….]
On dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Une personne heureuse est
une personne qui sait tirer les enseignements des expériences des autres.
Mieux vaut parvenir à la vérité que persister dans l’erreur.
Que la paix soit avec ceux qui agiront en conséquence.
45
Steve Jobs
Entrepreneur et inventeur américain
En 1976, Steven Paul Jobs (1955-2011) crée avec son ami Steve Wozniak, ingénieur en électronique,
la société Apple Computers. Grâce notamment au dynamisme et au charisme qui le caractérisent,
Steve Jobs fera d’Apple l’une des plus grandes marques dans le domaine de la technologie de
l’information et du matériel destiné au grand public. En 1985, Steve Jobs quitte Apple et fonde une
nouvelle société d’informatique qui prendra le nom de NeXT. En 1986, il participe à la création de
Pixar spécialisée dans le graphisme par ordinateur notamment pour la conception de films
d’animation. Apple rachète NeXT en 1997. Nommé directeur général de la société, Steve Jobs redore
le blason de la marque. Il supervise le développement et le lancement de nouveaux appareils
numériques et de services tels que l’iMac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad, l’iTunes et le système
d’exploitation Mac OS X. En 2003, les médecins diagnostiquent un cancer du pancréas. Steve Jobs
décédera des suites de sa maladie en 2011.

« On est déjà à nu.


On n’a aucune raison de ne pas écouter ce que nous dicte notre
cœur »
12 juin 2005, université de Stanford (Californie, États-Unis)

Le développement du PC (Personal Computer, littéralement Ordinateur personnel) a


révolutionné pratiquement tous les secteurs de la vie des hommes – et comme il le souligne
dans son discours, Steve Jobs a joué un rôle crucial dans cette évolution. Il fait également
figure de pionnier dans le domaine de la culture en général avec l’apparition du smart phone,
le développement des téléchargements de chansons et de musiques et les films d’animation en
images de synthèse.
Le discours ci-après fut prononcé lors de l’ouverture de la cérémonie de remise des diplômes
à l’université Stanford en Californie là même où celle qui allait devenir sa femme Laurene
Powell, étudiait au moment de leur rencontre. La cérémonie eut lieu dans le stade devant une
foule majoritairement constituée d’étudiants portant la traditionnelle coiffe mortar board dont
nombreux se servirent pour ne pas être éblouis par le soleil.
Lors des conférences TED1 qu’il donna au fil des ans, Steve Jobs a toujours montré qu’il était
un véritable homme de scène ce que confirma le discours prononcé à Stanford. Steve Jobs
rédigea lui-même son discours qu’il prononça avec assurance. Bien que teinté d’humour, le
message délivré est lourd de sens. Debout et immobile, Steve Jobs s’adressa durant une
quinzaine de minutes à son auditoire et ayant fréquemment recours à ses fiches. Plus tard,
Laurene dira que son mari s’était entraîné plusieurs fois à lire son discours devant sa femme
et ses enfants ce qui ne l’avait pas empêché d’avoir le trac le matin du jour « J ».

« C’est un honneur pour moi d’être aujourd’hui parmi vous pour


prononcer le discours de la cérémonie d’ouverture d’une des meilleures
universités du monde. [Applaudissements] Pour être franc avec vous, je
dois avouer que je n’ai jamais obtenu le moindre diplôme universitaire
[Rires] et que c’est la première fois que je vois d’aussi près une remise
de diplômes. [Rires] Aujourd’hui, je veux vous raconter trois histoires
qui illustrent parfaitement ma vie. Trois histoires. Pas plus. Juste trois
histoires.
La première histoire parle de toutes ces petites choses qu’il faut
assembler pour comprendre une vie.
J’ai arrêté de suivre les cours à Reed College2 au bout du premier
semestre. Pendant environ dix-huit mois, j’ai continué à être sur la liste
des effectifs jusqu’au jour où j’ai réellement tout plaqué. Mais qu’est-ce
qui a fait que j’ai tout laissé tomber ? [Bruits et rires]
Tout a commencé avant même que je sois né. Ma mère biologique était
une jeune femme célibataire, fraîchement diplômée. Elle a décidé de me
faire adopter. Elle voulait absolument que je sois adopté par des
personnes ayant un diplôme universitaire et donc tout a été fait pour que
je sois adopté à la naissance par un avocat et son épouse. Sauf que quand
je suis arrivé, ils ont décrété à la dernière minute qu’ils ne voulaient pas
un garçon mais une fille. C’est ainsi que mes parents, qui étaient sur liste
d’attente, ont été appelés en pleine nuit par une personne qui leur a dit
“On vient d’avoir un petit garçon. C’était pas prévu mais si vous le
voulez, il est à vous.”
La réponse fut : “Bien sûr”.
Mais ma mère biologique a découvert que ma mère n’était jamais allée à
l’université et que mon père n’avait pas passé son bac. Elle a donc refusé
de signer les papiers d’adoption définitifs. Elle est revenue sur sa
décision quelques mois plus tard lorsque mes parents lui ont juré que
j’irais à l’université. C’est ainsi que ma vie a commencé.
Comme prévu, 17 ans plus tard, je suis bel et bien allé à l’université.
Mais naïvement, j’avais choisi un établissement qui était presque aussi
cher que Stanford [fous rires] et toutes les économies de mes parents qui
appartenaient à la classe ouvrière, sont passées dans mes frais de
scolarité. Au bout de six mois, je ne voyais toujours pas le bien-fondé
d’être là. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie et je
ne voyais absolument pas comment l’université allait pouvoir m’aider à
trouver ma voie. J’étais là à dépenser tout l’argent que mes parents
avaient mis de côté pendant toute leur vie.
J’ai donc décidé de laisser tomber les études en me persuadant que je
finirais bien par m’en sortir. C’est sûr qu’à l’époque ça me faisait un peu
peur mais quand j’y repense je me dis que c’est l’une des meilleures
décisions que j’ai prises au cours de ma vie. [Rires] [...]
J’ai adoré [quitter la fac] et toutes les choses que j’ai découvertes à cette
époque-là en donnant libre cours à ma curiosité et en suivant mon
intuition, se sont avérées des atouts inestimables par la suite.
Je vais vous donner un exemple. À l’époque, le Reed College proposait
ce qu’il y avait probablement de mieux dans tout le pays en termes de
cours de calligraphie. Partout sur le campus, toutes les affiches, toutes les
étiquettes sur les tiroirs étaient superbement calligraphiées à la main.
Comme j’avais laissé tomber les cours et que je ne suivais aucun cursus
en particulier, j’ai décidé de suivre un cours de calligraphie. [...] J’ai
découvert des choses magnifiques, remontant aux temps anciens, d’une
subtilité artistique qui échappait totalement à la science et ça m’a fasciné.
A priori, cela n’allait me servir à rien dans la vie. Or dix ans plus tard,
alors que nous étions en train de concevoir le premier ordinateur
Macintosh, tout ce que j’avais appris a resurgi. Et nous nous sommes
servis de mes connaissances pour réaliser le Mac qui fut le premier
ordinateur avec une belle typographie. Si je n’avais pas assisté, par le
plus grand des hasards, à ce cours-là à l’université, le Mac n’aurait
jamais eu des caractères différents ou des polices proportionnellement
espacées.
Et comme on sait que Windows3 n’a fait que copier le Mac [rires et
applaudissements] il est probable qu’aucun ordinateur n’aurait eu des
polices et des caractères aussi élaborés. Si je n’avais pas abandonné mes
études, je n’aurais jamais assisté à ce cours de calligraphie et les PC
n’auraient probablement pas les merveilleuses typographies qu’on leur
connaît aujourd’hui. Bien sûr, lorsque j’étais à l’université, il m’était
impossible d’assembler les maillons de la chaîne et ce n’est que dix ans
plus tard avec le recul que tout est devenu très très clair.
Je le répète, il est impossible d’établir un lien entre les différents
éléments qui font notre vie lorsqu’on regarde vers le futur, ce n’est
possible que lorsqu’on regarde derrière soi.
Vous devez garder à l’esprit qu’à un moment ou un autre les maillons de
la chaîne finissent toujours par s’assembler. Vous devez aussi croire en
quelque chose – vos tripes, le destin, la vie, le karma, peu importe. Car
être convaincus que les maillons vont finir par s’assembler vous donne la
confiance en soi dont chacun de vous a besoin pour suivre son cœur
même si cela vous mène hors des chemins battus et c’est ça qui fait toute
la différence.
[Pause]
Ma deuxième histoire parle d’amour et de perte.
J’ai eu de la chance car j’ai trouvé ce que j’aimais faire assez tôt. Woz4 et
moi avons créé Apple dans le garage de mes parents. À l’époque j’avais
20 ans. On a travaillé dur et, en dix ans, Apple cette petite société ayant
élu domicile dans un garage avec en tout et pour tout deux employés est
devenue une entreprise de 2 milliards de dollars avec plus de 4 000
salariés. Un an plus tôt, on avait sorti notre plus belle création, le
Macintosh. Je venais juste d’avoir 30 ans. Et puis je me suis fait virer.
Comment peut-on se faire virer de l’entreprise que l’on a créée de toutes
pièces ?
[Rires] Eh bien, comme Apple ne cessait de grandir, nous avons engagé
quelqu’un qui m’a paru avoir toutes les qualités requises pour diriger
l’entreprise avec moi5. Grosso modo, la première année tout s’est bien
passé. Et puis nous avons commencé à avoir une perception différente de
l’avenir et on a fini par se fâcher. Quand ça s’est passé, le conseil
d’administration s’est rangé de son côté et c’est comme ça qu’à 30 ans, je
me suis fait virer. Tout le monde l’a su. Tout ce autour de quoi ma vie
d’adulte tournait, s’est effondré. D’un coup. Ce fut épouvantable. […]
Même si, sur le moment, je ne pouvais pas le savoir, m’être fait licencier
de chez Apple est ce qui pouvait m’arriver de mieux. Le poids du succès
a fait place au vide et à la nécessité de tout recommencer, en étant plus
sûr de rien. Ce licenciement m’a permis d’entrer dans la période la plus
créative de toute ma vie.
Pendant les cinq années qui ont suivi, je me suis consacré à la création
d’une société appelée NeXT6 puis d’une autre du nom de Pixar et je suis
tombé amoureux d’une femme étonnante qui allait devenir mon épouse.
Pixar a alors sorti Toy Story le premier film d’animation en images de
synthèse. Aujourd’hui Pixar est la plus grande société de production de
film en images de synthèse dans le monde. [Acclamations et
applaudissements]
Contre toute attente, Apple a racheté NeXT et c’est ainsi que je suis
retourné chez Apple. La technologie que nous avons développée chez
NeXT est au cœur de la renaissance qu’Apple connaît aujourd’hui. Et
Laurene et moi avons fondé une merveilleuse famille7.
Je suis presque sûr que rien de tout ça ne serait arrivé si je n’avais pas été
viré de chez Apple. La pilule a été difficile à avaler mais j’imagine que
ce fut un mal pour un bien. Il arrive que la vie vous assène un grand coup
sur la tête. Mais il ne faut jamais perdre espoir. Je suis convaincu que si
j’ai réussi à m’en sortir c’est parce que j’aimais ce que je faisais. Il faut
que vous trouviez ce que vous aimez. Et ce qui vaut pour le travail vaut
aussi pour l’amour. Le travail va occuper une grande place dans votre vie
et pour que vous y trouviez votre compte, il est impératif que vous ayez
le sentiment que ce que vous faites est important. Et pour faire quelque
chose d’important, il faut absolument que vous aimiez ce que vous faites.
Si vous n’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. Ne baissez pas
les bras. En amour, c’est pareil. Vous saurez quand vous aurez trouvé
l’amour de votre vie. Et, comme pour toutes les belles relations, l’amour
grandit et se renforce au fil des ans. Alors continuez à chercher jusqu’à
ce que vous trouviez. Ne baissez pas les bras.
[Applaudissements]
Ma troisième histoire parle de la mort.
Quand j’avais 17 ans, j’ai lu une citation qui disait à peu près : “Vivez
chaque jour comme si c’était le dernier jour de votre vie. Un jour vous
aurez raison.” [Rires] Cette phrase m’a profondément marqué et depuis
ce jour-là, soit depuis 33 ans, tous les matins je me regarde dans le miroir
et je me pose la question suivante : “Si aujourd’hui était le dernier jour de
ma vie, est-ce que j’aurais envie de faire ce que je m’apprête à faire ?” À
chaque fois que la réponse est “non” plusieurs jours d’affilée, je me dis
qu’il faut que quelque chose change.
Avoir en tête que je vais bientôt mourir est le meilleur outil que j’ai
jamais eu en ma possession dès lors qu’il s’agit de faire des choix
importants dans ma vie.
En effet, presque tout – tout ce qu’on espère et qu’on attend, la fierté, la
peur des ennuis ou de l’échec – toutes ces choses s’effacent devant la
mort pour laisser place uniquement à ce qui a une réelle importance. Se
dire qu’on va bientôt mourir est le meilleur moyen que je connaisse pour
ne pas tomber dans le piège qui est de penser qu’on a quelque chose à
perdre. On est déjà à nu. On a aucune raison de ne pas écouter ce que
nous dicte notre cœur.
Il y a environ un an, on m’a diagnostiqué un cancer. On m’a fait passer
un scanner à 7 h 30 du matin qui a montré très clairement que j’avais une
tumeur sur le pancréas. Je ne savais même pas ce qu’était le pancréas.
Les médecins m’ont dit qu’il y avait de gros risques pour que ce soit un
type de cancer incurable et que je ne devais pas espérer vivre plus de
trois à six mois. [...]
L’annonce de ce diagnostic ne m’a pas quitté de toute la journée. Dans la
soirée, j’ai eu une biopsie. On a fait descendre un endoscope dans ma
gorge, dans mon estomac et mes intestins, puis on a planté une aiguille
dans mon pancréas pour prélever quelques cellules de la tumeur. J’étais
endormi, mais ma femme, qui était là, m’a dit que quand ils ont vu les
cellules au microscope, les médecins ont commencé à crier parce qu’en
réalité il s’agissait d’un type de cancer du pancréas très rare qu’on
pouvait soigner grâce à la chirurgie. J’ai donc été opéré et aujourd’hui je
vais bien.
[Applaudissements]
Je n’avais jamais vu la mort d’aussi près et j’espère qu’au cours des
prochaines décennies, ça ne se reproduira pas. Grâce à ce que j’ai vécu,
je peux vous dire avec un peu plus de certitude que lorsque la mort
n’était pour moi qu’un concept purement intellectuel, la chose suivante :
Personne ne veut mourir. Même les personnes qui veulent aller au paradis
ne veulent pas mourir pour s’y retrouver.
[Fous rires]
Et pourtant la mort est une destination qui nous est commune à tous.
Personne n’y échappe. Et c’est très bien ainsi parce que la Mort est
probablement la meilleure invention de la Vie. C’est l’agent du
changement de la Vie. Elle balaye ce qui est vieux pour laisser place à ce
qui est nouveau.
Là, à cet instant précis, le nouveau c’est vous mais un jour, en fait dans
un laps de temps pas si long que ça, vous allez peu à peu devenir le vieux
et vous serez, à votre tour, balayés. Désolé d’être aussi direct mais c’est
la vérité.
Votre temps est compté donc ne le perdez pas en vivant la vie de
quelqu’un d’autre.
Ne vous enfermez pas dans un dogme qui serait de vivre selon les
résultats que d’autres attendent de vous. Ne laissez pas les opinions
exprimées par les autres couvrir votre voix intérieure. Et, plus important
encore, ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Car votre
cœur et votre intuition savent déjà, d’une certaine manière, ce que vous
voulez réellement devenir. Tout le reste est secondaire.
[Applaudissements]
Quand j’étais jeune, il y avait un magazine qui s’appelait The Whole
Earth Catalog (Le catalogue de la terre entière). Cette revue fut une
véritable bible pour les personnes de ma génération. Elle fut créée par un
type appelé Stewart Brand8, pas très loin d’ici, à Menlo Park9, qui lui
donna vie avec une touche poétique toute personnelle. [...] C’était en
quelque sorte le Google d’aujourd’hui mais en format livres de poche,
35 ans avant que Google ne voie le jour. C’était idéaliste avec une
multitude de super outils et de notions géniales.
Stewart et son équipe ont publié plusieurs numéros du Whole Earth
Catalog et quand ils sont arrivés au terme de l’aventure, ils ont sorti le
dernier numéro. C’était au milieu des années 1970. J’avais votre âge. Sur
la quatrième de couverture de cet ultime numéro, il y avait la photo d’une
route de campagne au petit matin, le genre de route sur laquelle on
pouvait faire du stop quand on était un peu aventureux.
En dessous, la légende disait : “Ne soyez jamais rassasiés, soyez fous.”
C’était leur message d’adieu. Ne soyez jamais rassasiés. Soyez fous.
C’est ainsi que j’ai toujours souhaité être. Et c’est ce que je souhaite à
chacun d’entre vous qui avez maintenant votre diplôme en poche et qui
allez prendre un nouveau départ.
Ne soyez jamais rassasiés, soyez fous.
À tous, un grand merci. »
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Aung San Suu Kyi
Femme d’État birmane
Aung San Suu Kyi (1945-) est la fille du général Aung San (1915-1947) qui mena le combat pour
l’indépendance de la Birmanie sous tutelle britannique. Le héros nationaliste sera assassiné quelques
mois avant la déclaration de l’indépendance. Aung San Suu Kyi suit un cursus universitaire à Oxford
où elle s’installe ensuite avec son époux Michael Aris (1946-1999). En 1988, elle retourne dans son
pays natal en proie à des troubles politiques émanant de groupuscules pro-démocratiques opposés à la
junte militaire. Elle participe à la création d’un nouveau parti, la Ligue nationale pour la démocratie
(LND) dont elle devient la secrétaire générale. Au cours des vingt années qui suivront, Aung San Suu
Kyi qui bénéficie du soutien d’une grande partie de la population en Birmanie mais aussi à l’étranger,
est à plusieurs reprises assignée à résidence pour de longues périodes. Elle sera finalement libérée le
13 novembre 2010. La LND entre en lice pour les élections législatives de 2012. Aung Sang Suu Kyi
obtient un siège de députée à la chambre basse du Parlement birman et devient la cheffe de file de
l’opposition. La même année, elle annonce sa candidature aux élections présidentielles de 2015. Si la
LND remporte une large victoire, Aung San Suu Kyi, ne peut conformément à la Constitution de
2008 être élue à la tête du pays, étant la veuve d’un homme et la mère d’enfants de nationalité
étrangère. Elle prend successivement la tête de plusieurs ministères avant d’être nommée par le chef
de l’État birman Htin Kyaw au poste de ministre de la Présidence – équivalent de Premier ministre.

« Mon pays, aujourd’hui, n’en est qu’au début du voyage »


21 juin 2012, Parlement britannique (Londres)

En juin 2012, Aung San Suu Kyi quitte pour la première fois depuis de longues années le sol
birman. Elle se rend au Royaume-Uni et dans quatre autres pays européens dont la France.
Celle qui depuis 1988 a été à la tête de la Ligue nationale pour la démocratie, vient d’obtenir
un siège de députée. Le 21 juin devant un parterre de parlementaires de la Chambre des
communes et de la Chambre des lords à Westminster Hall, Aung San Suu Kyi implore la
Grande-Bretagne de venir en aide à son pays dans son combat pour redevenir une démocratie
parlementaire.
Son discours est centré sur la comparaison entre la jeune démocratie durement gagnée en
Birmanie et le régime parlementaire de la Grande-Bretagne sur lequel elle a pris modèle,
« peut-être, pour les peuples opprimés, le symbole prépondérant de la liberté de parole ».
Alors qu’elle réclame soutien et assistance, elle met en garde contre la présomption et laisse
entendre qu’en Occident, nombre de pays sont convaincus que la démocratie ne pourra jamais
être remise en question sur leur territoire.
Avec calme et sans laisser transparaître la moindre émotion, Aung San Suu Kyi s’en tient à
ses notes tout au long du discours, ne s’autorisant quelques mouvements de la main – son
discours n’en est pas moins agrémenté d’anecdotes et teinté d’humour. Plus que par son
charisme et son éloquence, elle veut être entendue et compte pour cela sur la simplicité et le
bon sens des impératifs au cœur de son discours et l’autorité que lui reconnaît la majorité des
pays.

« Monsieur le Président de la Chambre des lords, Monsieur le Président,


Monsieur le Premier ministre1, Messieurs les parlementaires de la
Chambre des lords et de la Chambre des communes, merci de m’avoir
invitée à prendre la parole devant vous dans cette salle magnifique. J’ai
pleinement conscience de l’honneur qui m’est fait. […]
Je reviens juste de Downing Street2. Et bien que je n’y sois jamais allée
auparavant, les lieux m’ont paru familiers – pas simplement grâce à des
reportages télévisés mais du fait de ma propre histoire familiale. Comme
certains d’entre vous le savent probablement, la photographie la plus
connue de mon père, Aung San, a été prise quelque temps avant son
assassinat en 1947, à Downing Street. Sur cette photographie, il est
debout aux côtés de Clement Attlee3 et d’autres personnes avec lesquelles
il s’était entretenu de la période de transition qui devait conduire à
l’indépendance de la Birmanie. […]
Il y a deux heures, j’ai été photographiée avec le Premier ministre David
Cameron exactement au même endroit où mon père avait été
photographié. Il pleuvait. Ce qui n’a rien d’étonnant en Grande-
Bretagne ! [Rires]
Mon père fut l’un des fondateurs de l’Armée pour l’indépendance
birmane4 pendant la Seconde Guerre mondiale. Il endossa cette
responsabilité animé par le désir de voir la démocratie s’imposer dans
son pays natal. Pour lui, la démocratie était le seul régime politique digne
d’une nation indépendante. C’est, bien entendu, une conviction que je
partage avec lui depuis bien longtemps.
Le général Slim5 commandant de la 14e armée, qui a mené la campagne
de Birmanie à la tête des Alliés, évoque sa première rencontre avec mon
père dans ses mémoires Defeat into Victory. La rencontre eut lieu vers la
fin de la guerre, peu après que mon père ait décidé que l’Armée pour
l’indépendance de la Birmanie, devait rejoindre les forces Alliées. Le
général Slim a dit à mon père : “Vous venez vers nous uniquement parce
que nous sommes en train de gagner.” Ce à quoi mon père a répliqué :
“Venir vous voir n’aurait servi à rien s’il en avait été autrement !” Le
général Slim a alors compris que mon père était un homme pragmatique
avec lequel il pourrait traiter. Soixante ans plus tard, je m’efforce d’être
aussi pragmatique que l’était mon père.
Et c’est, en partie, la raison pour laquelle je suis ici : pour vous demander
une aide pragmatique. Aidez-nous en tant qu’ami et qu’égal. Soutenez les
réformes qui peuvent offrir une vie meilleure et de plus grandes
opportunités au peuple de Birmanie qui, depuis trop longtemps, est déchu
de ses droits et n’a pas sa place dans le monde.
Comme je l’ai dit hier à Oxford6, mon pays, aujourd’hui, n’en est qu’au
début du voyage qui le mènera vers un avenir meilleur. Il reste encore
beaucoup de collines à escalader, de gouffres à franchir, d’obstacles à
surmonter.
La détermination qui est la nôtre peut nous mener loin mais le soutien du
peuple de Grande-Bretagne et des peuples d’autres pays du monde
peuvent nous mener plus loin encore.
Pour parler de changements et de réformes, Westminster Hall est un lieu
on ne peut plus approprié, car l’instauration d’une institution
parlementaire solide dans mon pays est au cœur du processus. Le
Parlement britannique est peut-être, pour les peuples opprimés, le
symbole prépondérant de la liberté de parole. J’imagine que pour
certaines personnes ici présentes, il est inconcevable que cette liberté
puisse être remise en question.
Nous autres en Birmanie, nous avons dû mener une lutte longue et
acharnée pour ce que vous considérez comme acquis à tout jamais.
Nombre de personnes en Birmanie ont dû renoncer à beaucoup de
choses, ont dû renoncer à tout, dans cette lutte continue pour la
démocratie et c’est seulement aujourd’hui que nous commençons à
récolter les fruits de notre combat.
Westminster a longtemps été l’exemple parfait montrant que le désir d’un
peuple pour compter dans le processus législatif de son pays pouvait se
réaliser. En Birmanie, notre Parlement n’en est qu’à ses balbutiements
puisqu’il a été créé en 2011. Comme pour toute nouvelle institution,
quelle qu’elle soit, notamment une institution qui s’oppose à 49 ans d’un
régime militaire absolu, il lui faudra du temps pour prendre ses marques.
Nos nouvelles procédures législatives qui, sans aucun doute, sont une
amélioration par rapport à ce qui existait précédemment, ne sont pas
aussi limpides qu’elles devraient l’être. J’aimerais que nous tirions des
enseignements des exemples de démocraties parlementaires en place
dans d’autres pays afin que nous puissions, au fil du temps, revoir et
approfondir nos critères démocratiques.

Le moment le plus critique quand il s’agit d’établir la


crédibilité d’une procédure parlementaire est, peut-être,
avant l’ouverture même du parlement – autrement dit la
participation du peuple dans un processus électoral libre,
juste et ouvert à tous.

Il y a quelques mois, j’ai personnellement pris part à ma première


élection en tant que candidate. Or, à ce jour, je n’ai pas encore eu
l’occasion de voter en toute liberté lors d’une élection quelle qu’elle soit.
En 1990, j’ai été autorisée à voter par anticipation, étant assignée à
résidence.
Mais, on m’a empêchée de me présenter comme la candidate de mon
parti, la Ligue nationale pour la démocratie. J’ai été exclue sous le
prétexte que j’avais bénéficié d’aides venues de l’étranger. En fait, il
s’agissait d’émissions diffusées par la BBC que les autorités [birmanes]
ont considérées comme n’étant pas objectives mais en ma faveur. Ce qui
m’a le plus frappée avant les élections législatives de cette année, c’est la
rapidité avec laquelle les personnes dans toutes les circonscriptions de
Birmanie ont réalisé à quel point il était important de participer à ce
processus politique. Elles ont immédiatement compris que le droit de
vote n’était pas donné à tous. Elles ont compris qu’elles devraient en
profiter dès que l’occasion se présenterait car elles ont compris ce que ne
pas avoir cette possibilité signifiait. […]
Moins de cent jours s’étaient écoulés depuis qu’avec d’autres membres
de la Ligue nationale pour la démocratie, nous nous étions portés
candidats et que nous faisions campagne dans toute la Birmanie. Les
élections législatives ont eu lieu le 1er avril et je savais pertinemment que
ces élections pouvaient ressembler à une véritable mascarade mais en fait
elles furent une bouffée d’espoir.
Le passage aux urnes fut libre et juste et je tiens à rendre hommage au
Président Thein7 pour avoir tenu ses engagements et pour avoir respecté
jusqu’au bout les procédures issues des réformes.
Comme je le dis depuis longtemps, c’est grâce au dialogue et à la
coopération que l’on peut trouver une solution aux divergences politiques
et mon engagement pour y parvenir n’a jamais fléchi.
Les élections qui ont lieu en Birmanie sont très différentes des élections
organisées dans les démocraties instaurées de longue date comme au
Royaume-Uni.
Le désintérêt, notamment chez les jeunes, n’est certainement pas en
cause.
Pour moi, l’aspect le plus encourageant et le plus gratifiant en ce qui
concerne les élections en Birmanie, c’est la participation de jeunes qui,
pleins d’enthousiasme, sont venus voter en nombre. Le plus compliqué
durant notre campagne a été de contenir les foules, des étudiants, des
écoliers, des bambins qui agitaient des drapeaux sur notre passage,
bloquant la circulation sur les routes qui traversent les villes. [...]
La passion de cet électorat était une passion née d’un appétit trop
longtemps ignoré.
Suite à l’indépendance de la Birmanie en 1948, notre régime
parlementaire fut, bien entendu, basé sur celui du Royaume-Uni. Dans la
langue birmane, on parla pour la première fois de Période parlementaire,
une appellation qui, du fait même de son application, annonce les
fâcheux changements qui allaient suivre.
Si on ne peut pas dire que cette période parlementaire qui dura plus ou
moins jusqu’en 1962, fut parfaite, elle fut certainement, jusqu’à ce jour,
la période la plus progressiste et prometteuse dans la courte histoire de la
Birmanie indépendante. Ce fut à cette période que la Birmanie fut
considérée comme la nation ayant les plus grandes chances de réussite en
Asie du Sud-Est. Cependant, les choses ne se sont pas passées
exactement comme prévu ni en Birmanie ni dans le reste du monde.
Aujourd’hui, nous avons une nouvelle fois la possibilité de rétablir une
vraie démocratie en Birmanie ce que nous attendions depuis plusieurs
décennies. Si nous ne saisissons pas cette opportunité, si cette fois, nous
ne faisons pas les choses comme il faut, nous devrons attendre plusieurs
décennies avant qu’une telle occasion se représente.
Et c’est pour cette raison que je voudrais demander à la Grande-
Bretagne, l’une des plus anciennes démocraties parlementaires, de
considérer ce que nous pouvons faire pour mettre en place des
institutions saines sur lesquelles pourrait reposer notre démocratie
parlementaire naissante.
Les réformes mises en place, sous l’égide du président Thein Sein, seront
les bienvenues. Mais il ne peut s’agir d’un processus reposant sur une
personnalité. Sans la présence d’institutions solides, ce processus ne peut
être viable. Notre corps législatif a beaucoup à apprendre du processus de
démocratisation et j’espère que la Grande-Bretagne ainsi que d’autres
démocraties nous viendront en aide en nous faisant profiter de leur
expérience. [...]
[…] Le plus important est de donner le pouvoir au peuple, élément au
cœur même de la démocratie. La Grande-Bretagne est la preuve vivante
qu’une constitution devrait être acceptée par le peuple, que le peuple
devrait avoir le sentiment que la constitution lui appartient, que ce n’est
pas un document qu’on lui impose.
L’un des objectifs clairement formulés par mon Parti, la Ligue nationale
pour la démocratie, est la réforme constitutionnelle. La première
constitution de la Grande-Bretagne8 fut rédigée suite à la rencontre entre
mon père Aung San et Clement Attlee ici-même à Londres en 1947.
Cette constitution ne fut peut-être pas irréprochable mais,
fondamentalement, elle montrait que ce que le peuple attendait avait été
compris et respecté.
La constitution en vigueur, rédigée de toutes pièces par le gouvernement
militaire en place en 2008, doit être amendée afin de prendre en compte
les droits fondamentaux et les attentes des groupes ethniques de
Birmanie. Depuis que la Birmanie est indépendante soit depuis plus de
60 ans, jamais la paix n’a régné sur l’ensemble du pays. [...]
Il nous faut résoudre les problèmes qui sont à l’origine même du conflit.
Il nous faut mettre en place une culture de règlement politique par la
négociation et il nous faut promouvoir l’état de droit afin que tous ceux
qui vivent en Birmanie jouissent des bienfaits de la liberté et de la
sécurité.
Dans l’immédiat, une aide humanitaire doit être apportée à nombre de
peuples dans le nord et à l’ouest du pays, principalement des femmes et
des enfants, qui ont été obligés de partir de chez eux.

Comme le montre clairement la longue histoire du


Royaume-Uni, les populations ont toujours ce besoin de
conserver leur identité nationale ou ethnique. C’est quelque
chose qui va bien au-delà, qui supplante, le développement
économique.

Et c’est pourquoi j’espère qu’en œuvrant pour la réconciliation nationale


en Birmanie, la communauté internationale reconnaîtra que ce sont le
dialogue politique et l’entente politique qui doivent l’emporter sur le
développement économique à court terme.
Si les différences persistent, si les aspirations fondamentales ne sont pas
satisfaites, il ne peut y avoir de base solide à un développement –
économique, social ou politique – durable.
La Grande-Bretagne a, pendant longtemps, sous des gouvernements
successifs – y compris la coalition Conservateurs/Libéraux-Démocrates
actuelle et le précédent gouvernement travailliste – soutenu d’une
manière honnête et absolue les efforts faits pour venir en aide à la
Birmanie. J’espère que vous pourrez continuer à venir en aide à notre
pays par le biais d’une assistance ciblée et coordonnée.
La Grande-Bretagne a été jusqu’aujourd’hui le plus grand donateur pour
la Birmanie. C’est dans le domaine de l’éducation que j’espère que la
Grande-Bretagne jouera un rôle majeur. […]
La formation professionnelle et la création d’emplois pour lutter contre le
chômage chronique des jeunes en Birmanie sont des éléments
particulièrement importants. Sur le plus long terme, le système éducatif
en Birmanie qui est désespérément affaibli doit être réformé. La réforme
ne doit pas seulement porter sur les écoles, le cursus et la formation des
enseignants mais aussi sur la conception que nous avons de l’éducation
qui, actuellement, est trop restrictive et rigide.
J’espère aussi que les entreprises britanniques s’impliqueront et
soutiendront le processus de réformes démocratiques par le biais de ce
que j’ai appelé l’investissement amical en faveur de la démocratie ou
autrement dit un investissement avec comme priorités la transparence, la
responsabilité financière, les droits des travailleurs et la pérennité
environnementale. Un investissement tout particulièrement dans les
secteurs employant une forte main-d’œuvre qui, s’il est fait de manière
responsable et avec une intention positive, pourra être réellement
bénéfique pour notre peuple.
Il s’agira ensuite de s’assurer que les nouveaux acteurs bénéficient de cet
investissement. La Grande-Bretagne a joué un rôle important en rendant
possible la visite, le mois prochain, du secrétariat de l’Initiative pour la
Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)9. J’espère que cela
sera le début d’une longue série d’initiatives pour les mois à venir.
C’est en découvrant – au cours de mes études universitaire à Oxford –
deux grands hommes d’État britanniques, Gladstone10 et Disraeli11, que
j’ai pour la première fois compris ce qu’était une démocratie
parlementaire.
J’ai découvert les fondements de la démocratie : que l’on accepte la
décision des électeurs ; que le pouvoir dirigeant est acquis et abandonné
selon les souhaits de l’électorat, que c’est un régime qui perdure et qu’au
bout du compte tout le monde a une seconde chance.
Ici, en Grande-Bretagne, vous êtes convaincus que certaines choses sont
acquises à tout jamais mais en 1990, en Birmanie, celui qui avait
remporté les élections n’a jamais été autorisé à réunir les membres du
Parlement. J’espère que nous pourrons laisser ces temps-là derrière nous
et que lorsque nous regarderons vers l’avenir, ce sera la volonté du
peuple qui se reflétera fidèlement dans le nouveau paysage politique de la
Birmanie.
Le voyage qui m’a menée hors de la Birmanie n’a pas été un pèlerinage
sentimental sur les traces du passé mais une étude des nouvelles
opportunités qui s’offrent au peuple de Birmanie. J’ai été frappée de voir
tout au long de ce périple combien le monde était chaleureux et ouvert à
notre égard.
Faire cette expérience alors que j’avais été pendant si longtemps
physiquement séparée du monde, a été pour moi particulièrement
émouvant.
Les pays qui, géographiquement, sont loin de la Birmanie ont montré
combien ils étaient proches de ce pays dans ce qui est essentiel : ils sont
proches du peuple de Birmanie et de ce à quoi il aspire. […]
Durant toutes ces années où j’ai été assignée à résidence, ce n’est pas
seulement la BBC et les autres stations de radio qui m’ont permis de
rester en contact avec le reste du monde, ce fut aussi la musique de
Mozart et de Ravi Shankar et les biographies d’hommes et de femmes de
races et de religions différentes qui m’ont convaincue que je ne serai
jamais seule dans mon combat. Les prix et les distinctions honorifiques
que j’ai reçus n’ont pas tant été un hommage personnel qu’une
reconnaissance de ce qu’a d’essentiel l’humanité qui unit une personne
exclue au reste du monde.
Durant les jours sombres que nous avons traversés dans les années 1990,
un ami m’a envoyé un poème écrit par Arthur Hugh Clough12 qui
commence par ces mots […] Say not the struggle nought availeth. Je
comprends pourquoi Winston Churchill, l’un des plus grands
parlementaires du monde, a appris et a fait de ce poème un plaidoyer
pour convaincre les États-Unis de prendre part à la guerre contre
l’Allemagne nazie.
Aujourd’hui, je veux par cette phrase vous dire autre chose : que nous
pouvons œuvrer ensemble, unir la sagesse de l’Orient et la sagesse de
l’Occident pour faire découvrir les valeurs de la démocratie à toutes les
populations de Birmanie et d’ailleurs. [...]
Je voudrais, pour conclure, insister sur le fait que jamais une époque n’a
été plus importante pour la Birmanie, que jamais nous n’avons eu plus
besoin de vous qu’aujourd’hui. Et c’est pour cela que je voudrais vous
demander à vous, amis du peuple birman, ici en Grande-Bretagne mais
aussi ailleurs, de contribuer et de soutenir les efforts de la Birmanie pour
que soient mises en place une vraie démocratie et une société juste.
Merci de m’avoir donné la possibilité de m’adresser aux membres de
l’une des plus anciennes institutions démocratiques du monde. Merci de
m’avoir permis d’être parmi vous. Mon pays ne compte pas encore parmi
les sociétés véritablement démocratiques mais je sais que ce jour-là
viendra, grâce à votre aide. Merci. »
47
Malala Yousafzai
Militante pakistanaise
Malala Yousafzai (1997-) est née à Mingora dans la vallée de Swat au Pakistan. Ses parents, qui
enseignent dans des écoles de la région, sont de confession sunnite et d’origine pachtoune. Depuis
son jeune âge, elle se lance dans la lutte pour les droits de l’homme, en particulier pour les droits des
filles à l’éducation. À l’âge de 11 ans, elle commence à tenir un blog publié par la BBC sur ce qu’est
la vie dans la région entre les mains des talibans, un mouvement sunnite militant qui utilise la
violence pour imposer une interprétation très dure de la loi islamique, y compris le refus de
l’éducation des filles. En 2010, elle raconte son histoire et celle des Pakistanaises de sa génération
dans Class Dismissed. Ce documentaire du New York Times la fait connaître dans le monde entier et
marque le début d’une longue série d’interviews. En octobre 2012, un taliban armé est monté dans
son bus scolaire et lui a tiré dans la tête. Bien que grièvement blessée, elle s’est complètement
rétablie après avoir été traitée à Birmingham, au Royaume-Uni, où elle est revenue plus tard pour ses
études. Le 12 juillet 2013, jour de son seizième anniversaire, elle est l’intervenante principale lors
d’une « assemblée de la jeunesse » organisée par les Nations unies à New York. En 2014, Malala
reçoit le prix Nobel de la paix avec l’Indien Kailash Satyarthi et devient ainsi la plus jeune lauréate
de ce prix.

« Ils pensaient que les balles allaient nous faire taire. Mais ils se
sont trompés »
12 juillet 2013, New York (États-Unis)

Le monde connaissait déjà le courage et la détermination hors du commun de Malala


Yousafzai bien avant sa prise de parole devant l’Assemblée de la jeunesse au sein de
l’Organisation des Nations unies à New York. Mais rares étaient ceux qui auraient pu
imaginer qu’elle puisse prononcer un discours avec un tel sang-froid et une telle précision
neuf mois seulement après une blessure qui aurait pu lui être fatale. Debout, pratiquement
immobile, elle s’adresse au monde avec aplomb et dignité. Dans une allocution passionnée –
qui va pleinement dans le sens du programme Education First (littéralement L’éducation
avant tout) des Nations unies –, elle revendique le droit à l’éducation pour tous sans
exception.
Si au début de son discours, elle s’exprime en tant que fervente musulmane, elle fait ensuite
référence à Jésus-Christ et Bouddha ainsi qu’aux personnages laïcs qui ont opté pour un
activisme non violent. L’Islam, souligne-t-elle est une religion pacifique qui prône l’éducation
pour chacun de ses enfants. Elle assure n’éprouver aucune haine envers l’homme qui,
lâchement, aurait pu l’assassiner et implore les talibans d’octroyer à leurs enfants le droit à
l’éducation.

« Au nom de Dieu, le plus clément et le plus miséricordieux1.


Honorable Secrétaire général des Nations unies Monsieur Ban Ki-moon2,
Respecté Président de l’Assemblée générale Vuk Jeremić3,
Honorable émissaire des Nations unies pour l’éducation mondiale
Monsieur Gordon Brown4,
Aînés respectés et mes chers frères et sœurs ;
As-salamu alaykum5. [repris par certains membres de l’assistance]
Aujourd’hui, c’est pour moi un honneur que de pouvoir prendre de
nouveau la parole après si longtemps6. Être ici aux côtés de personnes
aussi honorables est un grand moment dans ma vie. C’est un honneur
pour moi d’être là aujourd’hui parmi vous portant le châle de notre
Shaheed Benazir Bhutto7.
Je ne sais pas par quoi commencer mon discours. Je ne sais pas ce que les
gens attendent de moi.
Quoi qu’il en soit, avant toute chose, je tiens à remercier Dieu devant
lequel nous sommes tous égaux et à remercier toutes les personnes qui
ont prié pour que je me rétablisse vite et que pour moi commence une vie
nouvelle. Je n’arrive toujours pas à croire que vous ayez été aussi
nombreux à me manifester autant d’amour.
Je voudrais remercier les infirmières, les médecins, le personnel des
hôpitaux au Pakistan et au Royaume-Uni ainsi que le gouvernement des
Émirats arabes unis8, qui m’ont aidée à aller mieux et recouvrer ma force.
Je soutiens pleinement Monsieur Ban Ki-moon le Secrétaire général,
dans son programme Education First ainsi que le travail de l’envoyé
spécial de l’ONU Monsieur Gordon Brown et du respecté Président de
l’Assemblée générale Vuk Jeremić. Je les remercie tous pour les
directives qu’ils continuent à nous donner. Ils sont pour nous la source
d’inspiration qui nous pousse à agir.
Chers frères et sœurs, je voudrais que vous vous souveniez
d’une chose : la Journée de Malala n’est pas ma journée à
moi. C’est la journée de toutes les femmes, de tous les
garçons, de toutes les filles qui font entendre leur voix pour
défendre leurs droits.

Des centaines de militants et des centaines de travailleurs sociaux


prennent la parole pour défendre les droits de l’Homme et luttent pour
que tous aient droit à l’éducation, vivent dans la paix et soient égaux. Des
milliers d’individus ont été tués par des terroristes et des millions de
personnes ont été blessées. Je suis l’une de ces personnes, ni plus ni
moins.
C’est pourquoi je me tiens ici devant vous… une fille parmi tant d’autres.
Je parle non pas en mon nom mais au nom de toutes les filles et de tous
les garçons.
Je fais entendre ma voix – pas pour montrer que je peux crier mais pour
que ceux qui n’ont pas la parole soient entendus.
Ceux qui se battent pour leurs droits :
Leur droit de vivre en paix. Leur droit d’être traités avec dignité. Leur
droit à l’égalité des chances. Leur droit à l’éducation.
Chers amis, le 9 octobre 2012, les talibans m’ont tiré une balle dans le
côté gauche de la tête. Ils ont tiré sur mes amies. Ils pensaient que leurs
balles allaient nous faire taire. Mais ils ont échoué car au lieu de se taire,
des milliers de personnes ont fait entendre leur voix.

Les terroristes pensaient qu’ils arriveraient à nous détourner


de nos objectifs et à mettre fin à nos ambitions mais rien n’a
changé dns ma vie si ce n’est la faiblesse, la peur et le
désespoir qui sont morts pour faire place à la force, à la
puissance et au courage.

[Applaudissements prolongés et acclamations] Je suis la même Malala.


Mes ambitions sont les mêmes. Mes espoirs sont les mêmes. Mes rêves
sont les mêmes.
Chères sœurs et chers frères, je ne suis contre personne. Je ne suis pas ici
pour prendre ma revanche sur les talibans ou tout autre groupe terroriste.
Je suis ici pour parler du droit à l’éducation pour tous les enfants.
[Applaudissements] Je revendique le droit à l’éducation pour les fils et
les filles de tous les extrémistes et tout particulièrement les enfants des
talibans.
Je ne ressens aucune haine envers le taliban qui m’a tiré une balle dans la
tête. Si j’avais un pistolet entre les mains et s’il se tenait devant moi, je
ne lui tirerais pas dessus. Mahomet le Prophète de la Miséricorde, Jésus-
Christ et Bouddha m’ont enseigné la compassion. Martin Luther King,
Nelson Mandela et Muhammad Ali Jinnah9 m’ont donné le courage de
faire changer les choses. [Le discours est interrompu par des
applaudissements] Gandhiji10, Bacha Khan11 et Mère Teresa12 m’ont
enseigné la philosophie de la non-violence. [Applaudissements] Ma mère
et mon père m’ont appris à pardonner. Et mon âme me dit : sois pacifiste
et aime autrui.
Chères sœurs et chers frères, c’est lorsque nous sommes dans l’obscurité
que nous réalisons combien la lumière est importante. C’est lorsque nous
sommes contraints au silence que nous réalisons l’importance de faire
entendre notre voix. Et c’est en voyant les armes à feu lorsque nous
étions dans la vallée de Swat13 au nord du Pakistan que nous avons pris
conscience de l’importance des stylos et des livres.
L’adage qui dit “la plume est plus puissante que l’épée”14 est on ne peut
plus vrai. Les extrémistes ont peur des livres et des stylos.
Le pouvoir de la voix des femmes les effraie. C’est pour cette raison
qu’ils ont tué quatorze étudiantes en médecine, des innocentes, lors d’un
attentat à Quetta15. C’est pour cette raison qu’ils ont tué de nombreuses
femmes enseignantes et des employés d’un centre de santé qui
vaccinaient conre la poliomyélite dans la province du Khyber
Pukhtoonkhwa et les régions tribales ou FATA. Et c’est pour cette raison
que chaque jour, ils font exploser des écoles.
[…] Honorable Secrétaire général, la paix est nécessaire à l’éducation.
Dans de nombreuses régions du monde, en particulier au Pakistan et en
Afghanistan, le terrorisme, les guerres et les conflits empêchent les
enfants d’aller à l’école. Nous sommes vraiment las de ces guerres. De
diverses manières, des femmes et des enfants souffrent dans toutes les
régions du monde. En Inde, des enfants innocents et pauvres sont
victimes du travail des enfants. De nombreuses écoles ont été détruites au
Nigeria16. En Afghanistan, depuis des décennies, les hommes et les
femmes voient leur vie bouleversée par les extrémistes. Les filles sont
contraintes d’exécuter des tâches domestiques et sont mariées dès leur
plus jeune âge. La pauvreté, l’ignorance, l’injustice, le racisme et la
suppression des droits fondamentaux sont les principaux problèmes
auxquels sont confrontés les hommes et les femmes.
[…] Chères sœurs et chers frères, le moment est venu de faire entendre
notre voix.
C’est pourquoi nous demandons aujourd’hui aux dirigeants du monde de
changer leurs politiques stratégiques en faveur de la paix et de la
prospérité.
Nous demandons aux dirigeants du monde que tous les accords de paix
garantissent les droits des femmes et des enfants. Tout accord à
l’encontre de la dignité des femmes et de leurs droits est inacceptable.
Nous demandons à tous les gouvernements de lutter contre le terrorisme
et la violence, de protéger les enfants contre toute forme de brutalité et
tout danger.
Nous demandons aux pays développés de soutenir le droit à l’éducation
des filles dans les pays en voie de développement.
Nous demandons aux communautés de faire preuve de tolérance – de
rejeter tous les préjugés reposant sur les castes, les croyances, les sectes,
les religions et le genre. De garantir la liberté et l’égalité des femmes afin
qu’elles s’épanouissent. Nous ne pouvons pas réussir si la moitié d’entre
elles est brimée.

Nous demandons à nos sœurs dans toutes les régions du


monde de faire preuve de bravoure – de puiser la force qui
est en elle et de prendre conscience du potentiel qui est le
leur.
Chers frères et sœurs, nous voulons des écoles et que chaque enfant soit
éduqué pour avoir un bel avenir.
[…] Et si nous voulons atteindre notre objectif, nous devons en passer
par la connaissance car il n’y a pas plus grande arme que le savoir. Nous
devons nous protéger en nous unissant et en ne faisant qu’un.
Chers frères et sœurs, n’oublions jamais que des millions d’individus
souffrent de la pauvreté, de l’injustice et de l’ignorance. N’oublions
jamais que des millions d’enfants ne vont pas à l’école. N’oublions
jamais que nos sœurs et que nos frères sont en quête d’un avenir
pacifique et radieux.
Alors laissez-nous mener dans le monde entier notre combat contre
l’illettrisme, la pauvreté et le terrorisme. Prenons nos livres et nos stylos.
Ce sont les armes les plus puissantes que nous possédions.
[En levant le doigt]
Un enfant, un enseignant, un stylo et un livre peuvent changer le monde.
L’éducation est la seule solution. L’éducation avant tout.
Merci.
[Acclamations et standing ovation prolongée]
48
Christine Lagarde
Avocate, femme politique et économiste française
Christine Lagarde (1956-) a fait des études de sciences politiques à Aix-en-Provence, d’anglais et de
droit à Paris. Après avoir exercé au barreau de Paris, elle est embauchée par un cabinet d’avocats
d’affaires américain installé dans la capitale qui, en 1981, lui propose un poste à Chicago qu’elle
accepte. Elle gravit un à un tous les échelons jusqu’au sommet de la hiérarchie. En 1999, Christine
Lagarde devient ainsi la présidente de l’un des plus grands cabinets d’avocats du monde. En 2005,
elle est nommée ministre déléguée au Commerce extérieur puis ministre de l’Économie, des Finances
et de l’Emploi en 2007. Christine Lagarde sera la première femme à occuper ce poste en France.
Depuis juillet 2011, elle est à la tête du Fonds monétaire international (FMI) dont les objectifs sont de
« favoriser la coopération monétaire internationale ; garantir la stabilité financière ; promouvoir le
commerce international, le plein-emploi et une croissance économique durable ; réduire la pauvreté
dans le monde ». En 2014, Christine Lagarde arrive à la cinquième place du classement Forbes des
femmes les plus influentes dans le monde. La même année, elle est mise en examen pour le motif de
« négligence » dans l’affaire opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais concernant la vente
d’Adidas alors qu’elle était ministre des Finances. En effet, suite à un arbitrage, l’État doit verser
403 millions d’euros à l’homme d’affaires. Christine Lagarde encourt un an de prison et une amende
de 15 000 euros. Le 19 décembre 2016, la Cour de Justice de la République la déclare « coupable de
négligence » mais la dispense de peine. La condamnation ne figurera pas sur son casier judiciaire.

« Réduire les inégalités excessives n’est pas simplement un


impératif moral et politique, c’est aussi une question de bon sens
économique »
17 juin 2015, Bruxelles (Belgique)

Le discours ci-après fut prononcé lors des Grandes Conférences Catholiques. Créées en 1931,
les GCG comme on les appelle, se veulent – tant que faire se peut – être le reflet de
l’évolution du monde dans les domaines politique, social, économique et institutionnel. La
tribune des Grandes Conférences Catholiques est animée par un esprit d’ouverture, de
curiosité et de liberté de pensée. En sa qualité de Présidente du FMI, Christine Lagarde fut
conviée à donner une conférence traitant d’économie. Elle choisit pour thème les inégalités
économiques : les causes, les effets néfastes et les éventuelles solutions.
On reprocha parfois au FMI de privilégier les intérêts des pays développés plutôt que ceux
des pays les plus démunis mais dans son discours, Christine Lagarde aborde résolument la
question sur le plan mondial en donnant à plusieurs reprises comme exemples les pays en
voie de développement. Cependant, le point qui, à ses yeux, est primordial est l’inégalité qui
existe non pas entre les nations mais au sein même d’une nation.
Christine Lagarde est une oratrice extrêmement brillante qui sait capter son auditoire et est
capable de véhiculer des idées complexes avec délicatesse mais persuasion. Dans son
discours, elle va même jusqu’à faire preuve de cynisme – certes sur le ton de la plaisanterie –
en évoquant les yachts luxueux appartenant aux banquiers de Wall Street qu’elle oppose aux
« petites embarcations », métaphore pour parler « des moyens de subsistance et les aspirations
économiques des pauvres et de la classe moyenne ».

« Bonsoir ! Je suis ravie de participer de nouveau à cette prestigieuse


conférence et je tiens à remercier mon collègue et ami, le Vice Premier
ministre Didier Reynders1 de son aimable introduction.
Le 6 mai dernier, au matin, j’ai presque avalé mon yaourt de travers en
lisant la une d’un grand quotidien économique. Il s’agissait du
classement des gestionnaires2 de fonds spéculatifs les mieux rémunérés.
La personne classée en tête avait gagné 1,3 milliard de dollars en 2014.
1,3 milliard de dollars pour un seul homme !
Les 25 gestionnaires de fonds spéculatifs les mieux payés ont gagné
12 milliards de dollars l’an passé, alors même que les investissements du
secteur affichaient des résultats très médiocres.
Ceci m’a rappelé une anecdote célèbre à Wall Street – celle d’un visiteur
à New York qui admire les magnifiques yachts des banquiers et des
courtiers les plus riches. Après les avoir contemplés longuement et
pensivement, il demande d’un ton ironique : “Et où sont les yachts des
clients ?”
Pourquoi cette anecdote est-elle d’actualité ? Parce que la question de
l’aggravation et de l’ampleur des inégalités ne fait pas seulement la une
des journaux ; c’est aussi désormais un problème pour la croissance et le
développement économiques et je voudrais aborder ce sujet sous l’angle
économique avec vous ce soir. Je ne m’étendrai pas sur les magnifiques
embarcations des super-riches, qui sont devenus l’emblème du nouvel
âge d’or. La réussite financière n’est pas en soi immorale.
Mais je voudrais plutôt évoquer ce soir ce que j’appellerais les “petites
embarcations”, c’est-à-dire les moyens de subsistance et les aspirations
économiques des pauvres et de la classe moyenne.
Dans de trop nombreux pays, la marée montante de la croissance
économique n’a entraîné vers le large que les grosses embarcations,
laissant les petites au sec.
Bien trop souvent, les ménages pauvres et des classes moyennes font
l’amer constat que, souvent, le travail et la détermination ne sont plus
suffisants pour garder la tête hors de l’eau […]
Mon principal message ce soir est le suivant : réduire les inégalités
excessives – en laissant la marée montante porter aussi les “petites
embarcations” – n’est pas simplement un impératif moral et politique,
c’est aussi une question de bon sens économique.
Nul besoin d’être altruiste ou alternatif pour soutenir des politiques qui
rehausseront les revenus des pauvres et des classes moyennes. Tout le
monde y gagne, car ces politiques sont indispensables pour rendre
possible une croissance économique plus vigoureuse, plus solidaire et
plus soutenable.
Autrement dit, pour parvenir à une croissance plus durable, il faut assurer
une croissance plus équitable. En partant de ce principe, mes remarques
porteront sur trois thèmes :
1. Les perspectives économiques mondiales.
2. Les causes et les conséquences de l’inégalité excessive.
3. Les politiques à mener pour assurer une croissance économique plus
vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable.
Tout d’abord, voyons ce que réserve, à notre avis, la météo économique
mondiale. Le FMI prévoit une croissance de 3,5 % de l’économie
mondiale cette année, c’est-à-dire à peu près autant que l’année dernière,
et de 3,8 % en 2016.
Les économies avancées affichent des résultats légèrement meilleurs que
l’année dernière. Aux États-Unis, nous prévoyons une reprise solide, la
faiblesse du premier trimestre n’ayant été qu’un incident de parcours
temporaire. Les perspectives de la zone euro s’améliorent, en partie grâce
à la politique d’assouplissement monétaire de la Banque centrale
européenne. Le Japon semble enfin récolter les premiers résultats d’une
stratégie de reprise aux trois “flèches” (monétaire, budgétaire et
structurelle).
Pour la plupart des pays émergents et en développement, les prévisions
sont un peu moins bonnes que l’année dernière, principalement parce que
les pays exportateurs de matières premières sont pénalisés par la baisse
des cours, en particulier ceux du pétrole. Mais les tendances varient
énormément d’un pays à l’autre : on assiste ainsi à une croissance
vigoureuse en Inde, mais à une récession au Brésil et en Russie.
La bonne nouvelle est donc que la reprise mondiale se poursuit ; la moins
bonne nouvelle, c’est que cette reprise demeure modérée et inégale.
Que se passera-t-il après 2016 ? Là encore, les nouvelles sont peu
réjouissantes. Au FMI, nous pensons que le potentiel de croissance des
pays avancés comme des pays émergents sera vraisemblablement plus
faible au cours des années à venir. Cela tient en partie à l’évolution
démographique et à la baisse de la productivité. Nous craignons que cela
n’entraîne des difficultés accrues sur les marchés du travail, un
affaiblissement des finances publiques et une amélioration plus lente des
conditions de vie des populations.
C’est la “nouvelle médiocrité” contre laquelle j’ai déjà mis en garde.
Pour les “petites embarcations”, cela signifie que le vent de la croissance
commence à souffler, mais qu’il n’est pas assez fort pour faire baisser le
chômage, pour rehausser les revenus des classes moyennes et faire
reculer la pauvreté.
Mais alors, que faire ? Devons-nous nous résigner face à une météo
défavorable ? N’y a-t-il aucun espoir pour les capitaines des “petites
embarcations” ?
Je pense que si. Il y a des raisons d’espérer, mais pour comprendre cette
espérance, essayons de prendre du recul et de regarder ensemble la
situation avant de se focaliser sur des solutions propres à chaque pays.
Imaginez que l’on aligne toute la population mondiale, du plus pauvre au
plus riche, chacun se trouvant en face d’une pile d’argent représentant
son revenu annuel.
Vous constaterez que l’inégalité règne à l’échelle mondiale. Il y a certes
un gouffre immense entre la personne la plus riche et la plus pauvre, mais
si l’on observe l’évolution de cet alignement dans le temps, on remarque
que l’inégalité de revenu au niveau mondial – c’est-à-dire l’inégalité
entre les pays – a en fait régulièrement diminué au cours de ces dernières
décennies.
Pourquoi ? Parce que les revenus moyens des pays émergents comme la
Chine et l’Inde ont progressé bien plus vite que ceux des pays plus
riches, grâce au pouvoir transformateur du commerce et de
l’investissement internationaux. Les flux mondiaux considérables de
produits, de services, de personnes, de savoirs et d’idées ont contribué à
réduire l’inégalité de revenu au niveau mondial – et cela doit continuer
afin de réduire encore plus le fossé qui sépare les nations.
Mais – et c’est un gros “mais” – nous observons aussi une accentuation
des inégalités de revenu à l’intérieur de la plupart des pays.
[…] Dans les économies avancées, par exemple, les 1 % les plus riches
de la population perçoivent à peu près 10 % du revenu global. Et l’écart
entre les riches et les pauvres est même plus large en ce qui concerne le
patrimoine, comme s’est employé à le démontrer Picketty. Oxfam3
calcule que le patrimoine cumulé en 2016 des 1 % les plus riches du
monde dépassera l’an prochain celui des autres 99 % de la population.
[…] Ce tableau d’ensemble fait donc ressortir une divergence frappante
entre une tendance mondiale positive et des tendances essentiellement
négatives à l’intérieur de chaque pays.
La Chine, par exemple, se situe aux deux extrémités. En faisant sortir
plus de 600 millions de personnes de la pauvreté au cours des trois
décennies écoulées, la Chine a contribué de façon remarquable à une plus
grande égalité de revenu au niveau mondial. Mais dans le même temps,
elle est devenue l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde – parce
qu’un grand nombre de zones rurales sont restées pauvres et que le
revenu et la richesse ont fortement augmenté dans les villes et aux
échelons supérieurs de la société chinoise.
Ainsi, les pays comme la Chine et l’Inde semblent valider parfaitement
l’idée traditionnelle selon laquelle l’inégalité extrême est le prix
acceptable de la croissance économique. […]
[…] Mais un nouveau consensus commence à émerger, selon lequel les
pays n’ont pas à accepter ce pacte faustien. Par exemple, l’analyse de
mes collègues du FMI montre que l’inégalité excessive de revenu a pour
effet de tirer vers le bas les taux de croissance économique et de rendre la
croissance moins durable.
Cette semaine, nous avons publié la dernière analyse du FMI4, qui
confirme, chiffres à l’appui, mon principal message. Il faut permettre aux
“petites embarcations” de naviguer pour produire une croissance plus
vigoureuse et plus durable.
D’après les études du FMI, une augmentation de 1 point de PIB du
revenu des pauvres et des classes moyennes se traduit par une
progression pouvant aller jusqu’à 0,38 point de PIB sur cinq ans. En
revanche, une augmentation de 1 point de PIB du revenu des riches se
traduit par une baisse de 0,08 point de PIB. Une explication possible est
que les riches dépensent une proportion moindre de leurs revenus, ce qui
pourrait réduire la demande globale et saper la croissance économique.

En d’autres termes, nos études montrent que –


contrairement aux idées reçues – les bienfaits d’une hausse
du revenu viennent d’en bas et non d’en haut.

Cela met en évidence que ce sont bien les pauvres et les classes
moyennes qui sont les principaux moteurs de la croissance.
Malheureusement, ces moteurs calent de plus en plus. […]
Les conséquences de l’excessive inégalité de revenu apparaissent de plus
en plus clairement – mais qu’en est-il de ses causes ?
Les facteurs les plus importants sont bien connus – le progrès
technologique et la mondialisation financière. […]
Un autre facteur est la place démesurée de la finance dans les grandes
économies comme les États-Unis et le Japon. En effet, si la finance – en
particulier le crédit – est indispensable à la prospérité d’une société, il
apparaît de plus en plus nettement, notamment dans les recherches du
FMI5, que trop de finance peut fausser la distribution du revenu, pervertir
le processus politique et menacer la stabilité et la croissance
économiques.
Dans les pays émergents et en développement, l’inégalité de revenu
extrême résulte en grande partie de l’inégalité d’accès – à l’éducation,
aux soins de santé et aux services financiers. […]
À cause de ces désavantages – de cette inégalité des chances – des
millions de personnes n’ont pratiquement pas l’occasion d’accroître leur
revenu et de constituer un patrimoine. C’est la définition même de ce que
le pape François a appelé “l’économie de l’exclusion”6.
Et pourtant, par ces politiques ciblées, les dirigeants peuvent, à notre
avis, créer un courant favorable aux “petites embarcations”. Des
solutions existent, qui permettent de réaliser une croissance plus
vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable dans tous les pays.
La priorité absolue doit être la stabilité macroéconomique. Sans bonnes
politiques monétaires, sans discipline budgétaire et sans maîtrise de la
dette publique, il est inévitable que la croissance ralentisse, que les
inégalités se creusent et que l’instabilité économique et financière
augmente. […]
La seconde priorité doit être la prudence. Nous savons tous qu’il convient
de s’employer à réduire les inégalités excessives. Mais nous savons aussi
qu’un certain niveau d’inégalité est stimulant et utile. Il encourage la
concurrence, l’innovation, ou l’investissement et permet de saisir les
occasions qui se présentent. […]
La priorité suivante doit être d’ajuster les politiques pour qu’elles
tiennent compte des facteurs d’inégalité propres à chaque pays, y compris
les paramètres politiques, culturels et institutionnels. Pas de mesures
indifférenciées s’appliquant à tous, mais bien des politiques intelligentes,
qui peuvent contribuer à inverser la tendance à la hausse des inégalités.
À l’aune de ces trois priorités, stabilité, mesure, spécificité, examinons
quelques exemples de politique budgétaire et de réformes structurelles.
Une politique budgétaire intelligente peut opérer des transformations des
impôts et orienter les dépenses publiques qui favorisent au maximum la
reprise du travail, l’épargne et l’investissement L’objectif doit être de
promouvoir à la fois une plus grande égalité et une plus grande efficacité.
Il s’agit par exemple d’élargir l’assiette des recettes fiscales (par
exemple, en combattant la fraude fiscale), de diminuer les dépenses
fiscales (par exemple, les déductions au titre des intérêts d’emprunts, qui
bénéficient le plus aux plus fortunés), et de réduire ou d’éliminer les
allégements fiscaux sur les plus-values sur valeurs mobilières.
Dans beaucoup de pays européens, il convient aussi de diminuer la
taxation du travail, qui est élevée, notamment en abaissant les cotisations
des employeurs à la sécurité sociale7. Cela encouragerait la création
d’emplois et de postes à temps plein, et freinerait la vague d’emplois à
temps partiel et temporaires qui a contribué à accroître les inégalités de
revenu.
Sur le plan des dépenses, il s’agit d’élargir l’accès à l’éducation et aux
soins de santé. Dans beaucoup de pays émergents et de pays en
développement, ce sont notamment les subventions énergétiques,
coûteuses et contreproductives qui doivent être réduites. Les ressources
ainsi dégagées pourraient être utilisées pour améliorer l’éducation, la
formation professionnelle et l’augmentation des ressources pour les plus
démunis. […]
Pour promouvoir une plus grande égalité et une plus grande efficacité, il
s’agit aussi de recourir davantage à ce que l’on appelle les transferts
monétaires conditionnels. Ces transferts sont des instruments
particulièrement efficaces de lutte contre la pauvreté, et qui ont contribué
à réduire notablement les inégalités de revenu dans des pays tels que le
Brésil, le Chili et le Mexique.
Lors de ma visite récente au Brésil8, j’ai vu les résultats du programme
Bolsa Familia dans les favelas9. Ce programme vient en aide aux familles
pauvres, souvent monoparentales, sous forme de cartes de débit
prépayées, remises aux mères à condition que leurs enfants aillent à
l’école et participent à des programmes publics de vaccination.
Bolsa Familia10 s’avère à la fois utile et rentable : pour des dépenses
équivalant à 0,5 % du PIB par an, 50 millions de personnes reçoivent une
aide, soit un Brésilien sur quatre.
Outre ces politiques budgétaires intelligentes, des réformes intelligentes
dans des domaines vitaux tels que l’éducation, la santé, le marché du
travail, les infrastructures et l’inclusion financière pourraient également
changer la donne. Ces réformes structurelles sont essentielles pour
améliorer la croissance économique potentielle et relever les revenus et
les niveaux de vie à moyen terme.
Si je devais choisir les trois instruments structurels les plus
importants pour réduire les inégalités excessives de revenu,
ce serait l’éducation, l’éducation et encore
l’éducation11. […]

Pour que les revenus augmentent, il faut développer le capital humain et


adopter des politiques qui réunissent davantage d’enseignants et
d’étudiants dans les salles de classe du XXIe siècle, avec un meilleur
matériel pédagogique et un meilleur accès aux ressources en ligne. Les
pays émergents et les pays en développement doivent promouvoir un
accès plus égal à l’éducation de base, tandis que nombre de pays
développés doivent mettre davantage l’accent sur la qualité et l’accès
pour tous à l’enseignement universitaire. […]
Les réformes du marché du travail constituent un autre outil important. Je
veux parler ici d’un niveau adapté de salaire minimum, de réformes qui
soutiennent la recherche d’emploi et l’adéquation des compétences. Je
pense également aux mesures qui protègent les personnes plutôt que les
emplois. […]
Les réformes du marché du travail sont importantes aussi sur le plan de
l’égalité entre les sexes. Dans le monde entier, les femmes sont
triplement désavantagées. Elles ont moins de chances que les hommes
d’avoir un emploi rémunéré, surtout au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord. Si elles trouvent un emploi rémunéré, il y a de fortes chances que
ce soit dans le secteur informel. Et si elles parviennent néanmoins à
trouver un travail dans le secteur formel, elles ne reçoivent en moyenne
que les trois quarts du salaire d’un homme, à même niveau d’éducation et
de compétences, et pour le même emploi.
Des pays tels que le Chili et les Pays-Bas ont montré qu’il est possible
d’accroître nettement le taux d’activité des femmes en menant des
politiques intelligentes qui rendent abordables les services de garde des
enfants, le congé de maternité et les horaires flexibles. Il convient aussi
d’éliminer les barrières juridiques et la discrimination fiscale qui
continuent de faire obstacle à l’emploi des femmes dans beaucoup de
pays.
Il y a dans le monde environ 865 millions de femmes qui pourraient
contribuer davantage à l’économie.

Le message est donc clair : donner plus de pouvoir


économique aux femmes ne peut que favoriser la prospérité
pour tous.

Il convient enfin de favoriser une plus grande inclusion financière,


surtout, mais pas seulement, dans les pays en développement. Avec par
exemple des initiatives de microcrédit qui transforment les pauvres,
principalement les femmes, en micro-entrepreneurs à succès, comme j’ai
pu m’en rendre compte récemment au Pérou12. Avec des initiatives qui
permettent d’établir des historiques de crédit pour les gens qui n’ont pas
de compte bancaire. Ou encore, avec le pouvoir de transformation de la
banque mobile, surtout en Afrique subsaharienne.
Si les familles pauvres dans les pays en développement ont davantage
accès aux services financiers de base, elles peuvent investir davantage
dans la santé et l’éducation, ce qui entraîne une augmentation de la
productivité et du revenu potentiel. […]
Pour réduire les inégalités excessives de revenu dans les pays en
développement, il faut développer l’inclusion financière.
J’espère sincèrement que, d’ici la fin de l’année, nous pourrons faire le
bilan et dire “we did it… nous y sommes arrivés”. “Nous avons
redynamisé la croissance économique mondiale.” “Nous avons conclu un
accord historique sur le changement climatique.” “Et nous avons engagé
un programme de développement totalement nouveau, assorti d’objectifs
ambitieux et d’un financement solide.”
Dans tous ces domaines, j’estime que le FMI a un rôle important à jouer.
Notre mission principale est de promouvoir la stabilité économique et
financière mondiale. C’est pourquoi nous nous intéressons de près aux
questions de développement, en aidant nos 188 États membres à
concevoir et à exécuter des politiques économiques, et en accordant des
prêts aux pays qui sont en difficulté afin qu’ils puissent se remettre sur
pied. […]
Et je ne peux terminer sans évoquer ces tragédies presque quotidiennes
en Méditerranée13 et en Asie du Sud-est14. Ces bateaux bondés de
migrants représentent les pays et les communautés les plus fragiles. Ils
sont les plus petits des “petites embarcations”, souvent de fortune – un
rappel brutal des inégalités de richesse et de revenu les plus extrêmes. À
travers eux, l’économie de l’exclusion nous regarde droit dans les yeux.
On dit souvent que nous devrions mesurer la santé de notre société non
pas à son sommet, mais bien à sa base. En faisant naviguer les “petites
embarcations”, celles des pauvres et de la classe moyenne, nous pouvons
construire une société plus juste et une économie plus solide. Ensemble,
nous pouvons créer une prospérité plus durable et mieux partagée.
Je vous remercie. »
49
Theresa May
Femme politique britannique
Theresa May (1956-) est née à Eastbourne dans le comté du Sussex en Angleterre. Après des études
universitaires à Oxford et un premier emploi à la Banque d’Angleterre, elle fait son entrée dans le
monde de la politique comme conseillère du borough1 londonien de Merton, poste qu’elle occupera
de 1986 à 1994. Membre du Parti conservateur, elle est élue députée de la circonscription de
Maidenhead en 1997 avant de devenir en 2002 la première femme à la tête du Parti. En 1999, elle
devient secrétaire du Cabinet fantôme qu’elle quittera en 2010 suite à sa nomination au poste de
Secrétaire d’État à l’Intérieur. En 2016, suite au référendum en faveur d’une sortie du Royaume-Uni
de l’Union européenne, le Premier ministre David Cameron démissionne. Theresa May remporte les
élections au sein de Parti conservateur et est nommée au poste de Premier ministre le 13 juillet 2016
devenant ainsi la deuxième femme à diriger le Royaume-Uni.

« En quittant l’Union européenne, nous allons nous forger un rôle


à la fois neuf et ambitieux dans le monde »
13 juillet 2016, Londres (Angleterre)

Le 23 juin 2016, lors d’un référendum national, les électeurs du Royaume-Uni se sont
prononcés en faveur d’une sortie de leur pays de l’Union européenne dont il était membre
depuis 42 ans. Si le vote en faveur du « Brexit » fait suite à un désaccord de plus en plus
marqué avec Bruxelles les résultats – 51,9 % pour quitter l’Union contre 48,9 % pour rester –
sont un véritable choc pour l’ensemble des pays membres. La campagne qui précéda le vote
fut à la fois ardue et controversée et tourna autour de trois axes majeurs à savoir l’économie,
l’immigration et la souveraineté nationale.
Le lendemain du vote, David Cameron démissionne laissant une place très convoitée au sein
du Parti conservateur à la fois par les partisans du Remain (rester) et ceux du Leave (partir).
Parmi eux, la Secrétaire d’État à l’Intérieur Theresa May. Celle qui fit campagne pour que le
Royaume-Uni reste dans l’Union européenne et fut durant de longues années membre du
Cabinet Cameron, reçut le soutien des backbenchers2 et devint ainsi la deuxième femme
Premier ministre du Royaume-Uni.
Theresa May prononça son premier discours en tant que Premier ministre devant le 10
Downing Street. Elle y dévoile la manière dont elle entend gouverner la Grande-Bretagne.
Dans un premier temps, elle appelle à l’union entre les pays qui forment le Royaume-Uni
mais aussi à une union entre tous les citoyens. Après un hommage rendu à son prédécesseur,
elle dresse un portrait de la société britannique, énumère les différents défis auxquels la
population doit faire face au quotidien et insiste sur la mission qui est la sienne à savoir
augmenter les chances pour toutes les personnes vivant au Royaume-Uni de connaître une vie
meilleure. Les principes d’intégration qui lui sont chers sont essentiellement ceux de la
démocratie Tory défendue par David Disraeli Premier ministre sous l’ère victorienne à savoir
le One-Nation ou unité nationale.

« Il y a quelques minutes encore j’étais au Palais de Buckingham où Sa


Majesté la Reine m’a demandé de former un nouveau gouvernement, ce
que j’ai accepté.
En la personne de David Cameron, je succède à un grand Premier
ministre, à un Premier ministre moderne. Sous la conduite de David, le
gouvernement a stabilisé l’économie, réduit le déficit budgétaire et a
aidé, mieux que tous les gouvernements qui l’ont précédé, un grand
nombre de Britanniques à retrouver un travail.
Mais le véritable legs de David n’est pas tant dans le domaine
économique que dans la justice sociale. Du mariage pour tous3 à la
suppression complète de l’impôt sur le revenu pour les bas salaires, le
gouvernement de David Cameron a mené une politique visant à l’unité de
la nation et c’est dans cet esprit que j’entends, moi-même, diriger notre
pays.
Car certains ne le savent peut-être pas mais le nom complet du parti
politique auquel j’appartiens est Parti conservateur et unioniste et ce mot,
“unioniste” est capital à mes yeux.
Car cela signifie que nous croyons en l’Union : ce lien ô combien
précieux qui unit l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du
Nord4. Mais cela veut dire quelque chose d’autre tout aussi important ;
cela veut dire que nous croyons en une union non seulement des nations
qui composent le Royaume-Uni mais aussi en une union qui rassemble
l’ensemble de nos citoyens quels qu’ils soient et quelles que soient leurs
origines.
Cela signifie que nous devons combattre l’injustice dévorante qui fait que
si vous naissez pauvre, vous vivrez en moyenne neuf ans de moins que le
reste de la population.
Que si vous êtes noir, vous êtes traité plus sévèrement par le système
judiciaire pénal que si vous êtes blanc.
Que si vous êtes un jeune blanc de la classe ouvrière, vous avez moins de
chances que les autres en Grande-Bretagne d’aller à l’université.
Que si vous fréquentez une école publique, vous aurez moins de chances
d’accéder aux professions les plus prestigieuses que si vous fréquentez
une école privée.
Que si vous êtes une femme, vous gagnerez moins qu’un homme.
Que si vous souffrez d’une maladie mentale, vous ne bénéficierez pas de
toutes les aides dont vous avez besoin.
Que si vous êtes jeune, vous aurez plus de mal encore que les générations
qui vous ont précédé à devenir propriétaire de votre logement.
Mais la mission qui consiste à faire de la Grande-Bretagne un pays qui
œuvre pour le bien de tous va bien au-delà de la lutte contre ces
injustices. Si vous êtes né dans une famille ordinaire de la classe
ouvrière, votre vie est beaucoup plus dure que l’imaginent les députés de
Westminster. Vous avez un travail mais vous n’avez pas toujours la
sécurité de l’emploi. Vous possédez votre propre logement mais vous
craignez toujours de ne pas pouvoir rembourser votre prêt immobilier. Si
vous y arrivez, le coût de la vie et savoir si vos enfants pourront
fréquenter une bonne école sont pour vous des préoccupations majeures.
Si vous êtes l’une de ces familles, si vous arrivez tout juste à vous en
sortir, je veux m’adresser directement à vous.
Je sais que vous travaillez du matin au soir, je sais que vous faites de
votre mieux et je sais que la vie peut parfois être un véritable combat
pour vous. La politique du gouvernement que je dirige sera dictée par les
intérêts non de quelques rares privilégiés mais par vos intérêts à vous.
Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que vous repreniez le
contrôle de votre vie. Lorsque nous aurons à faire des choix
déterminants, nous penserons non aux puissants mais à vous. Lorsque
nous voterons de nouvelles lois, nous n’écouterons pas ceux qui ont du
pouvoir mais nous vous écouterons, vous. Pour ce qui est de fiscalité,
notre priorité ne sera pas les plus fortunés mais vous. En termes d’égalité
des chances, nous ne conforterons pas ceux qui en ont déjà tant. Nous
ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous venir en aide à vous
tous et ce quelles que soient vos origines afin que vous alliez aussi loin
que vous le permettent vos aptitudes.

Nous traversons une période importante de l’histoire de


notre pays. Suite au référendum, nous nous trouvons
confrontés à une période de mutation majeure pour notre
pays.

Et je sais, parce que nous sommes la Grande-Bretagne, que nous


réussirons à relever ce défi. En quittant l’Union européenne, nous allons
nous forger un rôle à la fois neuf et ambitieux dans le monde et nous
ferons de la Grande-Bretagne un pays qui fonctionne bien non pour
quelques rares privilégiés mais pour chacun d’entre nous.
Telle sera la mission du gouvernement que je dirige et, ensemble, nous
bâtirons une Grande-Bretagne meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui. »
50
Angela Davis
Militante des droits civiques aux États-Unis
Angela Yvonne Davis est née en janvier 1944 dans l’Alabama. Militante des droits civiques et
membre des Black Panthers, elle connut la prison durant près de deux ans à la suite d’une tentative
d’évasion de trois prisonniers au cours de laquelle un juge californien fut tué (1970). Finalement
acquittée, elle rejoint l’université de Californie au poste de directrice du département d’études
féministes. En 1980 et 1984, elle est candidate à la vice-présidence des États-Unis pour le parti
communiste américain avec Gus Hall. Aujourd’hui, elle est professeure d’« histoire de la prise de
conscience » à l’université de Californie et lutte contre la peine de mort aux États-Unis et dans le
monde.

« Nous sommes des acteurs collectifs de l’histoire »


21 janvier 2017

Le 21 janvier 2017 s’est déroulée à Washington une « marche des femmes » contre Donald
Trump. Au cours de cette manifestation, Angela Davis, toujours considérée comme l’icône
des droits civiques, du féminisme, de l’antiracisme et de la résistance sociale a pris la parole
devant deux à trois millions de manifestants. Son discours appelant à la résistance face à la
politique du président Donald Trump, fut très largement applaudi.

En ce moment de défi dans notre histoire, rappelons que nous, les


centaines de milliers, les millions de femmes, de transgenre, d’hommes et
de jeunes qui sommes ici à la Marche des Femmes, nous représentons les
puissantes forces du changement, qui sont déterminées à empêcher les
cultures agonisantes du racisme et de l’hétéro-patriarcat de se relever.
Nous affirmons que nous sommes des acteurs collectifs de l’histoire, et
que celle-ci ne peut être supprimée comme une page web. Nous savons
que nous nous rassemblons aujourd’hui en territoire indigène, et nous
suivons l’exemple des premiers habitants qui, malgré une violence
génocidaire, n’ont jamais abandonné la lutte pour la terre, l’eau, la
culture, leur peuple. Nous rendons spécialement hommage aux Sioux de
Standing Rock.
Les luttes des Noirs pour la liberté ont façonné le caractère de l’histoire
de ce pays, et ne peuvent être balayées d’un revers de main. On ne nous
fera pas oublier que les vies noires comptent. Ce pays est bâti sur
l’esclavage et le colonialisme, ce qui signifie que l’histoire des États-
Unis est une histoire d’immigration et d’esclavage. Diffuser la
xénophobie, lancer des accusations de meurtre ou de viol, ou encore
construire un mur n’effacera pas cette histoire.
Aucun être humain n’est illégal.
La lutte pour sauver la planète, pour mettre fin au changement
climatique, pour garantir l’accès à l’eau sur les terres des Sioux de
Standing Rock, à Flint, dans le Michigan et en Cisjordanie et à Gaza. La
lutte pour sauver notre flore et notre faune, pour l’air… Voilà la base de
la lutte pour la justice sociale.
Ceci est une marche des femmes, et cette marche représente l’espoir du
féminisme contre la domination vicieuse de la violence d’État. Un
féminisme inclusif et intersectionnel qui incite chacun d’entre nous à
rejoindre la résistance au racisme, à l’islamophobie, à l’antisémitisme, à
la misogynie, à l’expression capitaliste.
Oui, nous rendons hommage à la lutte pour les 15 [mouvement de
revendication d’un salaire horaire minimum de 15 dollars]. Nous nous
impliquons dans la résistance collective. La résistance aux milliardaires
qui profitent des hypothèques et aux gentrifieurs. La résistance aux
privatiseurs des soins de santé. La résistance aux attaques contre les
musulmans et les immigrés. La résistance aux attaques contre les
personnes handicapées. La résistance à la violence d’État perpétrée par la
police et à travers le complexe industriel carcéral. La résistance à la
violence de genre institutionnelle et intime, particulièrement celle faite
aux femmes transsexuelles de couleur.
Les droits des femmes sont des droits humains partout sur la planète, et
c’est pourquoi nous demandons liberté et justice pour la Palestine. Nous
nous réjouissons de la libération imminente de Chelsea Manning. Et
d’Oscar Lopez Rivera. Mais nous demandons aussi la liberté pour
Leonard Peltier. Liberté pout Mumia Abu-Jamal. Liberté pour Assata
Shakur.
Dans les mois et années à venir, nous allons être appelés à intensifier nos
demandes pour la justice sociale, à renforcer notre engagement en
défense des plus vulnérables. Ceux qui continuent de défendre la
suprématie de l’hétéro-patriarcat blanc feraient bien de se méfier.
Les prochains 1 459 jours sous l’administration de Trump seront 1 459
jours de résistance. Résistance sur le terrain, dans les salles de classe, sur
le lieu de travail, dans notre art et dans notre musique.
Ce n’est que le début et, pour citer l’inimitable Ella Baker : « Nous qui
croyons en la liberté ne pouvons nous reposer tant qu’elle n’est pas là. »
Merci beaucoup.
1. La dynastie des Romanov régna sur la Russie à partir de 1613. Des réformes constitutionnelles furent mises en place en
1905 mais après la révolution de Février, le tsar abdiqua, mettant ainsi fin à un gouvernement impérial. Un gouvernement
provisoire fut constitué pour diriger le pays jusqu’à ce que soient élus les membres d’une Assemblée constituante.
2. Homme politique russe, Alexandre Goutchkov (1862-1936) fut ministre de la Guerre et de la Marine du premier
gouvernement provisoire. Favorable à la poursuite de la guerre et opposé à une réforme du territoire de grande ampleur, il
démissionna de son poste de ministre en mai 1917.
3. Homme politique russe, Pavel Milioukov (1859-1943) fut ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement
provisoire. Jusqu’en mai 1917, date à laquelle il démissionna, il afficha sa volonté de poursuivre la guerre.
4. Homme politique socialiste russe, Alexandre Kerenski (1881-1970) fut nommé ministre de la Guerre du gouvernement
provisoire en mai 1917 puis Premier ministre en juillet 1917. Face à la pression bolchevique, il s’enfuit et quitta la Russie
quelques mois plus tard.
5. Homme politique russe, Viktor Tchernov (1873-1952) participa à la fondation du Parti socialiste révolutionnaire en 1901.
Il fut nommé au poste de ministre de l’Agriculture du gouvernement provisoire. Le PSR ayant remporté les élections, il devint
le président de l’Assemblée constituante avant qu’elle ne soit dissoute par Lénine.
6. Terme péjoratif désignant les paysans possédant des terres acquises suite à l’émancipation des serfs en 1905. Les koulaks
se sont opposés à la réforme agraire de Lénine.
7. L’enchaînement rapide des événements qui conduisit à la Première Guerre mondiale fut, en grande partie, dû à toute une
série de traités et de pactes négociés (souvent dans le plus grand secret) entre les différentes puissances européennes.
8. Conseils d’ouvriers et de soldats élus par le peuple.
9. Suite au succès de la révolution d’Octobre, le nouveau régime fut attaqué par différentes factions anti-bolcheviques au
cours d’une guerre civile qui opposa les communistes « les rouges » et une coalition de conservateurs, monarchistes et libéraux
appelés « les blancs » dont faisait partie la légion tchécoslovaque postée en Sibérie.
1. Gandhi utilise le mot musulmans plus archaïque que le terme muslims qui désigne aujourd’hui les membres de la
communauté islamique.
2. David Lloyd George (1863-1945) fut le Premier ministre du Royaume-Uni de 1916 à 1922.
3. Autre terme pour désigner celles et ceux qui professent la religion de Mahomet.
4. Homme politique anglais, Edwin Montagu (1879-1924) occupa le poste de Sous-secrétaire d’État à l’Inde de 1910 à 1914
puis celui de Secrétaire d’État à l’Inde de 1917 à 1922. Entre 1917 et 1918, il étudia les réformes de la Constitution indienne et
remit un rapport aux autorités britanniques qui servit de base au Government of India Act de 1919 conférant aux Indiens le
droit de s’impliquer, dans une certaine mesure, dans le gouvernement.
5. Administrateur colonial, Frederic Thesiger, 3e baron Chelmsford puis 1er vicomte de Chelmsford (1868-1933). Il occupa
le poste de vice-roi des Indes de 1916 à 1921.
6. Nationaliste musulman indien, Shaukat Ali (1873-1938) fut à l’origine du mouvement Califat avec son frère Muhammad
(1878-1931).
7. Rituels sacrificiels védiques pour honorer les divinités.
8. La réunion annuelle du Congrès national indien eut lieu à Amritsar en décembre 1919.
1. Rome.
2. Quelques semaines plus tôt, le volcan sicilien entra en éruption donnant lieu à d’énormes coulées de lave.
3. Mussolini fait référence à celle que l’on appela aussi Troisième bataille du Piave qui opposa les forces italiennes et austro-
hongroises en octobre et novembre 1918 et se solda par la victoire de l’Italie et le démantèlement de l’Empire austro-hongrois.
1. New deal signifiant nouvelle donne (NdT).
2. Roosevelt fait référence à l’expulsion par Jésus des marchands et des acheteurs du Temple de Jérusalem décrite dans les
quatre évangiles du Nouveau Testament notamment l’Évangile selon Saint-Marc 11:15-18.
1. Le monarque britannique George VI (1895-1952), frère cadet d’Édouard, régna de 1936 à 1952.
1. Churchill fait référence à la France, qui tente toujours de repousser l’invasion allemande et qui capitulera trois semaines
plus tard.
2. Acronyme de Geheime Staatspolizei (Police secrète d’État) connue pour ses méthodes violentes.
1. Joachim von Ribbentrop (1893-1946), homme politique nazi, a occupé les fonctions de ministre des Affaires étrangères
de 1938 à 1945. Le 23 août 1939, à Moscou, il signa un pacte de non-agression avec le ministre soviétique des Affaires
étrangères Viacheslav Molotov (1890-1986). Le pacte sera rompu le 22 juin 1941 avec l’Opération Barbarossa commandée par
Hitler.
1. Entre le 30 juin et le 1er juillet 1934, plus de 70 hauts responsables nazis furent assassinés par leurs pairs, un épisode
connu sous le nom de « Nuit des longs couteaux ».
2. L’officier de marine Oswald Pohl (1892-1952) fut l’un des hauts responsables du Parti nazi qui joua un rôle majeur dans
l’Holocauste. Après avoir survécu à la guerre, il fut jugé pour crimes de guerre et tué par pendaison. Au cours de son procès, il
affirma que c’était la première fois qu’on lui disait officiellement que ce que l’on entendait par Solution finale était
l’extermination des juifs.
3. Le mot ne fut pas prononcé mais seulement sous-entendu.
1. Hô Chi Minh fait a priori référence à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen approuvée par l’Assemblée
nationale le 26 août 1789 qui sera reprise dans la Constitution du 3 septembre 1791.
2. Lors de la conférence de Téhéran (novembre-décembre 1943), les trois dirigeants des principaux pays Alliés à savoir
Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline ont débattu, entre eux, de la mise en place d’une organisation
internationale d’après guerre.
3. La conférence de San Francisco ou conférence des Nations unies sur l’organisation internationale (avril-juin 1945) qui
réunit 50 États déboucha sur la création de l’Organisation des nations unies.
1. Jérusalem.
2. Dans la tradition juive, le Premier retour suivit la période de captivité des Juifs en Égypte (1300 avant notre ère), le
Deuxième retour correspond à la fin de l’exil du peuple juifs à Babylone (538 avant notre ère) et le Troisième retour fait suite à
la dispersion du peuple juif par les Romains (an 135 de notre ère).
3. La Proclamation d’indépendance de l’État d’Israël faite par Ben Gourion le 14 mai 1948.
4. Ézéchiel 21:21-2.
5. Ancienne cité de Mésopotamie au sud de Bagdad.
6. Très apparentés aux Juifs dont ils sont, par tradition, l’ennemi.
7. Abdel Kader al-Husseini, nationaliste palestinien, fut mortellement blessé lors d’un combat l’opposant aux forces
israéliennes dans Jérusalem en avril 1948. Suite à son décès, les forces arabes battirent en retraite.
8. Le général David Michael Marcus est un militaire juif américain qui combattit pour Israël. Il supervisa la construction de
la voie (connue sous le nom de Route de Birmanie) qui traverse les montagnes jusqu’à Jérusalem. Il fut tué accidentellement
par une sentinelle israélienne non loin de Jérusalem seulement quelques heures avant le cessez-le-feu décrété le 11 juin 1948.
9. Une zone israélienne importante sur le plan stratégique (lieu où se déroula le combat de David contre Goliath parmi de
nombreuses autres batailles) entre Bet Guvrin et Latroun.
10. Les autorités britanniques contrôlant la Palestine avaient emmené des immigrants juifs dans des camps de détention à
Chypre.
11. Le premier régiment mobilisé de la Haganah – milice clandestine juive.
12. La Porte de la vallée conduisant à Jérusalem.
13. Village arabe.
14. Hameau arabe.
15. Ville à l’ouest de Jérusalem, connue également sous le nom de Zora.
16. Samson, juge et guerrier hébreu qui fut livré aux Philistins par son amant Delila. Voir le Livre des juges – chapitre 16.
17. La route construite à travers les contreforts montagneux qui permit de désenclaver la ville assiégée de Jérusalem le
9 juin 1948 fut nommée Route de Birmanie en mémoire de la route construite par les prisonniers des Alliés durant la Seconde
Guerre mondiale.
18. Entreprise de construction et de génie civil membre de la Histradrout, principal syndicat de travailleurs israéliens.
1. Einstein fait référence à l’éviction des communistes présumés de la vie publique et des institutions américaines au début
des années 1950, décidée et organisée par le sénateur Joseph McCarthy (1908-1957).
2. La bombe à hydrogène mise au point au début des années 1950 fut une arme nucléaire sophistiquée et dévastatrice,
l’énergie provenant de la fusion nucléaire.
3. Harry S. Truman.
4. Einstein fait référence aux puissances de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale notamment l’Allemagne, le Japon et
l’Italie.
1. Philosophie politique socialiste fondée sur les travaux de Karl Marx et de Vladimir Ilitch Lénine.
2. En juillet 1918, les membres du Parti socialiste révolutionnaire organisèrent un coup d’État à Moscou qui sera connu sous
le nom d’insurrection antisoviétique. À peu près à la même époque, Lénine introduisit des mesures répressives contre les
propriétaires terriens (koulaks) qui luttaient contre la redistribution de leurs richesses et de leurs propriétés.
3. La première biographie parue en 1927 est attribuée à Ivan Tovstukha (1889-1935) qui fut le secrétaire de Staline. Une
seconde biographie révisée et plus complète fut publiée en 1948.
4. Créé en 1939, le prix Staline se voulait être l’équivalent des prix Nobel.
5. En 1944, Alexander V. Alexandrov composa la musique et Sergei V. Mikhalkov écrivit les paroles de l’hymne national de
l’URSS qui fut remplacé en 1991 par l’hymne national de la Russie.
1. Lumumba reprend les termes du discours prononcé par Abraham Lincoln le 19 novembre 1863 à Gettysburg.
1. Guevara parle de l’Amérique latine qu’il a, en grande partie, découverte à moto avec son ami Alberto Granado (1922-
2011).
2. La naissance de l’homme nouveau est au cœur de la philosophie politique de Guevara. El Hombre Nuevo est un
communiste cubain animé par l’esprit du collectivisme en quête de morale et non de récompenses matérielles. Une vie d’ascète
que Guevara s’efforce de mettre en pratique dans sa manière de vivre.
3. Fidel Castro essaie, une première fois, de renverser Fulgencio Batista le 26 juillet 1953. Le 26 juillet 1959, Castro est
nommé au poste de Premier ministre, forçant le président Manuel Urrutia à démissionner six mois après sa prise de fonction.
Le 26 juillet est un jour de fête nationale à Cuba.
4. Jusqu’en 1976, province à l’est de Cuba où s’élève la chaîne montagneuse, la Sierra Maestra.
1. Petit bateau sur lequel Castro, Guevara et 80 autres hommes ont embarqué au Mexique le 25 novembre 1956 pour aller
faire la révolution à Cuba.
2. L’homme d’État allemand Willy Brandt (1913-1992) fut le maire de Berlin de 1957 à 1966 puis chancelier de la
République fédérale d’Allemagne de 1969 à 1974.
3. L’homme d’État allemand Konrad Adenauer (1976-1967) sera chancelier de la République fédérale d’Allemagne de 1949
à 1963.
4. Le général des armées Lucius D. Clay fut le gouverneur militaire de la zone d’occupation américaine en Allemagne après
la Seconde Guerre mondiale.
1. Martin Luther King fait référence à Abraham Lincoln.
2. Le livre d’Amos 5:24.
3. John M. Patterson, homme politique américain, fut le gouverneur de l’État de l’Alabama de 1958 à 1963. Il est
principalement connu pour s’être, durant ce mandat, opposé au Mouvement des droits civiques.
4. Le livre d’Isaiah 40:4-5.
5. Chant patriotique My Country, ‘Tis of Thee, chanté sur l’air de l’hymne anglais God Save the Queen.
1. Louis Lomax (1922-1970), journaliste et auteur américain.
2. En juin 1963, le président Kennedy passe un contrat avec l’Union soviétique pour lui vendre son surplus de blé pour
250 millions de dollars et éviter ainsi la pénurie alimentaire.
3. Terme péjoratif pour désigner les personnes de race blanche.
4. Terme péjoratif pour désigner les immigrants venus de Pologne.
5. Lors de l’élection présidentielle de 1960, Richard Nixon bien qu’ayant remporté la majorité des États doit s’incliner
devant John F. Kennedy qui compte un nombre de voix légèrement supérieur. Les voix furent recomptées dans 11 États.
6. Suite à l’assassinat de John F. Kennedy, le vice-président Lyndon B. Johnson assure la présidence. Ce Texan d’origine
met en place des réformes afin de lutter contre la pauvreté. Il est le premier à faire entrer une secrétaire afro-américain à la
Maison-Blanche, Gerri Whittington (1931-1993) qui, du fait de ses fonctions, deviendra célèbre dans tout le pays.
7. James O. Eastland, homme politique américain (1904-1986) fut sénateur du Mississippi en 1941 puis de 1943 à 1978.
Membre du Parti démocrate, il fut notoirement connu pour son racisme, son antisémitisme et son opposition au Mouvement de
défense des droits civiques.
8. Hymne du mouvement de défense des droits civiques. [NdT]
1. En mai 1972, Nixon se rend à Moscou pour signer un traité sur la limitation des armes avec l’URSS.
2. Le juge américain John Sirica (1904-1992) présida le tribunal du District de Columbia lors du procès des cambrioleurs. Il
demanda à Richard Nixon de lui remettre les enregistrements des conversations ayant eu lieu au sein de la Maison-Blanche.
3. Nixon fait allusion aux journalistes d’investigation du Washington Post Bob Woodward (1943-) et Carl Bernstein (1944-)
qui grâce à un informateur connu sous le pseudonyme Deep Throat (gorge profonde), sont mis au courant du cambriolage dans
les bureaux du Parti démocrate. En 2005, l’identité de l’informateur est révélée. Il s’agit de W. Mark Felt (1913-2008), l’un des
agents les plus haut placés du FBI.
4. Le 18 décembre 1972, Nixon ordonne une campagne de bombardements contre le Nord-Vietnam, sous le nom de code
Operation Linebacker Two. Les raids aériens dureront 12 jours faisant plus de 1 600 morts chez les Nord-Vietnamiens et 90
morts parmi les pilotes américains.
1. George Washington (1732-1799) fut le premier président des États-Unis. Il occupa cette fonction de 1789 à 1797.
2. Abraham Lincoln (1809-1865) fut le seizième président des États-Unis. Il occupa cette fonction de 1861 à 1865. Il
compte parmi les présidents américains qui ont œuvré pour l’abolition de l’esclavage et le renforcement de l’union fédérale.
3. Woodrow Wilson (1856-1924) fut le vingt-huitième président des États-Unis. Il occupa cette fonction de 1913 à 1921. En
janvier 1918, il présente son programme en quatorze points pour rétablir la paix dans le monde.
4. La Déclaration d’Arthur Balfour est une lettre ouverte datant de 1917 dans laquelle le ministre des Affaires étrangères
britannique affirme que : « Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer
national pour les Juifs. »
1. Littéralement « cabinet fantôme » constitué de députés de l’opposition dont le rôle est de contrôler l’action d’un ministre
du gouvernement. (NdT)
2. Le « plafonnement des impôts » qui limite le droit des collectivités locales à prélever les taxes foncières fut l’un des
points les plus litigieux du premier mandat de Premier ministre de Margaret Thatcher.
3. Au cours de l’hiver 1978-1979, le gouvernement travailliste de James Callaghan dut faire face à toute une série de grèves
dans le secteur public qui laissèrent le pays dépourvu d’un certain nombre de services : distribution du courrier, pompiers,
collecte des ordures. Cette période qui valut au Parti travailliste de perdre les élections de 1979, fut connue sous le nom
d’« hiver du mécontentement », premier vers de la tragédie de William Shakespeare intitulée Richard III.
4. Phrase inspirée du titre d’une pièce écrite en vers en 1949 par le dramaturge britannique Christopher Fry (1907-2005), La
dame ne brûlera pas.
1. Traité visant le démantèlement par les États-Unis et l’URSS d’une catégorie de missiles emportant des charges nucléaires
ou conventionnelles. (NdT)
2. En 1983, des négociations entre l’URSS et les États-Unis en vue de la réduction des armes nucléaires à portée
intermédiaire eurent lieu à Genève (Suisse). Les Soviétiques quittèrent la table des négociations le 23 novembre de la même
année.
3. Clive Staples Lewis (1898-1963), dit C. S. Lewis, écrivain et universitaire anglo-irlandais. Dans un récit épistolaire
intitulé Tactique du diable, l’auteur donne la parole au diable, Screwtape, qui tente par tous les moyens d’ébranler la foi
catholique de son jeune neveu, Wormwood. Dans un premier temps, publiée sous la forme de feuilleton dans le journal The
Guardian, Tactique du diable paraît sous la forme d’un livre en 1942.
4. En 1948, le journaliste américain Whittaker Chambers (1901-1961) après avoir renoncé au communisme accuse Alger
Hiss, ex-fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères américain, d’être un espion communiste.
5. Genèse 3:5.
6. Livre d’Ésaïe 40:29 et 31.
7. Ronald Reagan reprend une citation du pamphlet intitulé Le sens commun écrit par le philosophe anglais Thomas Paine
(1737-1809) dans lequel il se fait le défenseur de l’indépendance des États-Unis. Thomas Paine prendra la nationalité
américaine en 1795.
1. L’apartheid vit le jour en Afrique du Sud en 1948 faisant de la ségrégation raciale une constante de la loi sud-africaine.
Les individus n’étant pas de race blanche (y compris les personnes d’origine asiatique, les métisses et les autochtones) virent
leur liberté et leurs droits en termes de déplacements, de choix de résidence et d’éducation considérablement diminués. Ils se
virent privés de leurs droits politiques, civiques et juridiques.
2. La Constitution sud-africaine fut révisée en 1983 afin de permettre aux citoyens asiatiques et « de couleur » (mixité
raciale) de participer dans certaines limites à un parlement tricaméral : une chambre pour les Blancs, une chambre pour les
personnes « de couleur » et une chambre pour les autochtones, aucune chambre n’ayant été prévue pour les Noirs considérés
comme citoyens de « régions indépendantes », les bantoustans.
3. Bantous est un terme générique désignant plus de 400 groupes ethniques de la partie méridionale du continent africain.
Du temps de l’apartheid, le terme bantoustans était le nom attribué aux « régions » dont les Sud-Africains de race noire étaient
les citoyens.
4. Le Congrès national africain (ANC pour African National Congress) fut créé en 1912 sous le nom de Congrès national
indigène sud-africain pour défendre les droits de la majorité noire.
5. Albert Lutuli (env. 1898-1967), président du Congrès national africain de 1952 à 1967 reçut le prix Nobel de la paix en
1960.
6. Les Pass Laws imposaient aux citoyens de race noire de toujours avoir sur eux leurs papiers d’identité.
7. Le 21 mars 1960, la foule se réunit dans la ville de Sharpeville pour manifester contre les Pass Laws. Selon les différentes
sources, les manifestants étaient entre 300 et 20 000. Lorsqu’ils encerclèrent en chantant le commissariat de police, les
policiers firent feu tuant 69 personnes et faisant 186 blessés. On prête au colonel J. Pienaar qui commanda l’assaut, les mots
suivants : « Puisqu’ils sont capables de faire ça, on va le leur faire payer au prix fort. »
8. En avril 1976, des élèves de Soweto (abréviation de South-Western Townships) dans la banlieue de Johannesburg, firent
grève et refusèrent d’aller en classe. Le 16 juin lors d’un rassemblement de grande ampleur, les enfants jetèrent des pierres sur
les policiers qui ripostèrent en tirant des coups de feu. 566 enfants perdirent la vie.
9. En octobre 1984, un prêtre polonais le père Jerzy Popieluszko (1947-1984) fut kidnappé et assassiné par la police. Une
bavure qui souleva l’indignation dans le monde entier.
10. Faction dissidente du Congrès national africain désireuse de voir se mettre en place un gouvernement « africain, fait par
les Africains, pour les Africains ». Le Congrès panafricain et le Congrès national africain ont été décrétés hors la loi suite au
massacre de Sharpeville.
11. Livre d’Isaïe 2:4.
12. Mot hébraïque signifiant « paix ».
1. Helmut Kohl (1930-2017), homme d’État allemand qui occupa les fonctions de chancelier de l’Allemagne de l’Ouest puis
de l’Allemagne de 1982 à 1998.
2. Eberhard Diepgen (1941-), homme politique allemand qui occupa les fonctions de bourgmestre-gouverneur de Berlin de
1984 à 1989 puis de 1991 à 2001.
3. « Il n’y a qu’un Berlin. »
4. Le baron Richard Weizsäcker (1920-2015), homme politique allemand qui occupa les fonctions de président de
l’Allemagne de l’Ouest puis de l’Allemagne (1984-1994).
5. Abréviation de Kurfürstendamm, prestigieuse avenue de Berlin bordée de magasins.
6. En 1956, lors d’une réception à Moscou, le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l’Union
soviétique Nikita Khrouchtchev s’adressa aux ambassadeurs des pays occidentaux en ces termes : « Que cela vous plaise ou
non, l’histoire est de notre côté. Nous vous enterrerons ! »
7. Mikhaïl Gorbatchev (1931-) occupa les fonctions de Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique de
1985 à 1991, puis de président de l’Union soviétique de 1990 à 1991.
8. À partir de la fin des années 1970, l’Union soviétique commença à remplacer son arsenal de têtes nucléaires par des
missiles SS-20, chaque missile étant doté de trois têtes nucléaires et capable d’atteindre avec précision sa cible partout en
Europe de l’Ouest en moins de dix minutes.
9. La réunion de l’OTAN à Reykjavík (Islande) fit suite à la rencontre entre Reagan et Gorbatchev en octobre 1986 au sujet
du contrôle des armes nucléaires.
10. Les pourparlers entre les États-Unis et l’Union soviétique qui eurent lieu pour la première fois à Genève en 1982,
débouchèrent sur plusieurs traités d’armements. Ces pourparlers furent également au cœur de la première rencontre entre
Reagan et Gorbatchev en novembre 1985.
11. Le programme Initiative de défense stratégique (IDS) auquel les médias donnèrent le surnom de « Guerre des étoiles »
visait à protéger les États -Unis des attaques nucléaires en interceptant dans l’espace les missiles lancés sur le pays.
12. Reagan fait référence à la crise de 1948-1949 durant laquelle l’Union soviétique tenta de faire partir les Alliés
occidentaux de Berlin en leur imposant une monnaie propre à l’Allemagne de l’Est et en bloquant les moyens de
communication et les transports entre Berlin et les pays de l’Ouest.
1. Havel utilise sciemment le pluriel reconnaissant ainsi l’existence des nations tchèque et slovaque en passe d’émerger suite
à la scission de la Tchécoslovaquie qui s’effectuera dans un climat pacifique.
2. Jan Amos Komenský dit Comencius (1592-1670), philosophe et grammairien d’origine morave.
1. Quartiers pauvres réservés aux non-Blancs. (NdT)
2. Oliver Tambo (1917-1993), homme politique sud-africain, devint président par intérim de l’ANC en 1967, président en
1977 puis président national en 1991.
3. Branche militaire de l’ANC fondée en 1961.
4. Joe Slovo (1926-1995) homme politique sud-africain d’origine lituanienne. Après 1963, en exil, il travailla pour l’ANC et
le Pari communiste sud-africain. Nommé chef d’État-major de Umkhonto we Sizwe en 1985, il joua un rôle crucial dans les
négociations avec le gouvernement sud-africain après 1990.
5. Coalition de groupements anti-apartheid formée en 1983, dirigée par Allan Boesak et Desmond Tutu.
6. Fondée en 1986.
7. Le Congrès des syndicats sud-africains vit le jour en 1985.
8. Organisation constituée de femmes de race blanche, fondée en 1955, prônant une résistante non violente à l’encontre de
l’apartheid.
9. Hintsa (1789-1835), chef de clan xhosa à partir de 1804. Au début du XIXe siècle, il combattit l’armée britannique. Il sera
mutilé puis assassiné par les soldats britanniques.
10. Sekhukune (1814-1882), roi du peuple marota dans le Transvaal occidental à partir de 1861. Il fonda l’Empire marota et
tenta de s’unir avec d’autres peuples afin de défendre la terre des indigènes face aux colons britanniques.
11. Adoptée par l’Organisation de l’unité africaine en août 1989, la Déclaration de Harare ouvrit les portes à la négociation
en vue de l’abolition de l’apartheid. La Déclaration de Harare servit de fondement à la Déclaration sur l’apartheid et ses
conséquences destructrices en Afrique du Sud adoptée par les Nations unies en décembre 1989.
1. Le Parti républicain, sous le président George H. W. Bush, est au pouvoir.
2. La première dame, Barbara Bush (1925-2018) était, à l’époque, déjà très engagée dans de nombreux programmes sociaux
liés d’une manière ou d’une autre, au SIDA.
3. Enregistrement sonore datant du 14 octobre 1968, archives du Congrès.
1. Le Coran.
2. Les Stratégies prospectives d’action de Nairobi pour la promotion de la femme sont une résolution des Nations unies
adoptée suite à la conférence mondiale sur les femmes de Nairobi (Kenya) en juillet 1985.
3. Document signé par 189 gouvernements en 1995 qui analysa et définit une priorité pour les questions et les stratégies
ayant trait aux droits des femmes.
4. Le poète florentin Durance degli Alighieri ou Dante (1265-1321) est principalement connu pour son œuvre intitulée La
divine comédie. Benazir Bhutto fait référence à la damnation, thème central de la première partie de la trilogie, l’Enfer.
5. Benazir Bhutto fait référence à son père.
6. Le poète et philosophe Allam Iqbal (1877-1938) né au Pendjab compte parmi les personnages emblématiques de la
culture musulmane en Inde. Bien que décédé avant que le Pakistan soit un État indépendant, Allam Iqbal est l’un des premiers
Indiens à avoir demandé la partition des Indes.
7. Littéralement « Si Allah le veut ». [NdT]
1. Guerre sainte menée par les musulmans au nom de leurs croyances religieuses.
1. Le 11 mars 2004, dix bombes explosent dans des trains de banlieue à Madrid (Espagne) faisant 191 morts et plus de
1 800 blessés. L’Espagne comptait parmi les membres de la coalition sous le commandement des États-Unis qui envahit l’Irak
en 2003. Dans un message diffusé en octobre 2003, Oussama ben Laden avait clairement indiqué que l’Espagne était l’une des
cibles du mouvement islamistes.
2. L’activiste palestinien Ahmed Yassine (vers 1937-2004) fut le fondateur et le chef spirituel du Hamas, le mouvement de
résistance islamique palestinien. Il fut assassiné par les forces de sécurité israéliennes le 22 mars 2004.
3. La Halliburton Company présidée de 1995 à 2000 par Dick Cheney (vice-président des États-Unis de 2001 à 2009) se vit
attribuer des contrats pour des travaux de reconstruction en Irak après l’invasion du pays en 2003 sans aucune mise en
concurrence. En 2004, une enquête fut diligentée par le gouvernement américain.
4. Le Conseil de sécurité des Nations unies est composé de 15 membres qui ont accordé un droit de veto aux cinq membres
permanents (la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis) qui leur permet de bloquer toute résolution
quelle que soit la décision majoritaire. Si l’Assemblée générale peut adopter une résolution, c’est la décision du Conseil de
sécurité qui a force d’obligation au niveau international sauf cas de force majeure.
1. Organisation à but non lucratif créée en 1984 à l’occasion d’une conférence où convergeaient la technologie, le
divertissement et le design. (NdT)
2. Université d’arts libéraux située à Portland dans l’État de l’Oregon.
3. Pendant plusieurs années, Microsoft Windows fut le principal concurrent du système d’exploitation Apple.
4. Steve Wozniak (1950-) surnommé « Woz » fonda en 1976 Apple Computers – qui deviendra plus tard Apple, Inc. – avec
Steve Jobs et Ronald Wayne. La même année, le premier Mac voyait le jour.
5. John Sculley (1939-) quitta son poste de président de la société Pepsi-Cola en 1983 pour devenir le président directeur
général d’Apple, Inc. En 1985, sa relation avec Steve Jobs se dégrade considérablement et aboutit au licenciement de ce
dernier. John Sculley niera toujours avoir demandé le départ du fondateur d’Apple.
6. NeXT, Inc. est une société d’informatique créée en 1985 par Steve Jobs qui, dans un premier temps, fut spécialisée dans
les postes de travail informatiques.
7. Steve et Lorene Jobs ont eu trois enfants : Reed né en 1991, Erin née en 1995 et Eve née en 1998. Steve Jobs est père
d’une fille, Lisa, née en 1978 d’une autre liaison.
8. Stewart Brand (1938-) est un auteur et un éditeur installé en Californie. Figure emblématique de la contre-culture hippie,
il a beaucoup écrit sur les questions économiques et écologiques.
9. Ville située au nord de la Californie.
1. David Cameron (1966-) fut le Premier ministre de la Grande-Bretagne de 2010 à 2016. En avril 2012, il fut le premier
chef du gouvernement britannique à se rendre en Birmanie et le premier chef de l’une des grandes puissances internationales à
rencontrer Aung San Suu Kyi. La dernière visite d’un Premier ministre britannique sur le sol birman datait des années 1950.
2. Le 10 Downing Street dans le quartier de Westminster est, depuis 1733, la résidence officielle du Premier ministre
britannique.
3. Clement Attlee (1883-1967) qui sera fait comte par la Reine, occupa le poste de Premier ministre de 1945 à 1951.
4. L’Armée pour l’indépendance de la Birmanie fut créée en 1941. Dans un premier temps, elle combattit aux côtés des
Japonais pour mettre fin au régime colonialiste britannique en Birmanie avant qu’un grand nombre de partisans se joignent aux
Alliés pour combattre les Japonais.
5. William Slim (1891-1970) fait vicomte par la Reine, commanda entre 1943 et 1945, la 14e Armée constituée de forces
provenant des différents pays faisant partie du Commonwealth.
6. La veille, Aung San Suu Kyi prononça un discours dans l’université où elle avait fait ses études supérieures. Elle reçut le
titre de docteur honoris causa.
7. Thein Sein (1945-) est un homme politique birman et un ancien commandant qui fut Premier ministre de 2007 à 2011 et
Président de 2011 et 2016. Nombre de personnes le considèrent comme un modéré qui a ouvert la voie aux réformes mises en
place après la chute du régime de la junte militaire.
8. Si on replace les choses dans leur contexte, il va de soi que Aung Sang Suu Kyi voulait parler de la Birmanie et non de la
Grande-Bretagne.
9. L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) dont le secrétariat est basé à Oslo (Norvège) vise à
promouvoir la transparence pour ce qui est de l’exploitation du pétrole, du gaz et des ressources minérales des pays. La
Birmanie possède d’importantes ressources de gaz et de pétrole et est le plus grand producteur de rubis dans le monde.
10. William Ewart Gladstone (1809-1898) occupa le poste de Premier ministre de 1853 à 1855, 1859 à 1866, 1873 à 1874 et
1880 à 1882.
11. Benjamin Disraeli, 1er comte de Beaconfield (1804-1881) fut Premier ministre de 1874 à 1880.
12. Arthur Hugh Clough (1819-1861) est un poète de l’époque victorienne. Aung San Suu Kyi cite la quatrième strophe de
Say Not the Struggle Nought Availeth [littéralement Ne dites pas que rien ne sert de lutter] – un vibrant appel aux soldats
épuisés afin qu’ils continuent à combattre.
1. Formule désignée en langue arabe par le mot bismillah que les musulmans prononcent durant la prière mais aussi dans
des contextes autres que religieux.
2. Ban Ki-moon (1944-) est un homme d’État sud-coréen qui fut le Secrétaire général des Nations unies de 2007 à 2016.
3. Vuk Jeremić (1975-) est un homme politique et un journaliste serbe qui présida la 67e session de l’Assemblée générale de
l’ONU de 2012 à 2013.
4. Gordon Brown (1951-) est un homme politique écossais influent qui fut chef du Parti travailliste puis Premier ministre du
Royaume-Uni de 2007 à 2010. En 2012, il fut nommé par Ban Ki-Moon envoyé spécial des Nations unies pour l’éducation
mondiale.
5. Formule de politesse arabe signifiant : « Que la paix soit avec vous. »
6. C’est la première apparition de Malala Yousafzai depuis l’attaque des talibans.
7. Benazir Bhutto (1953-2007), femme d’État pakistanaise qui occupa le poste de Premier ministre de 1988 à 1990 puis de
1993 à 1996. Elle fut assassinée en 2007. Le mot Shaheed est un terme honorifique arabe signifiant « martyr(e) ».
8. L’avion qui emmena Malala Yousafzai au Royaume-Uni afin d’y être soignée atterrit pour faire le plein de kérosène à
Abu Dhabi aux Émirats arabes unis.
9. Muhammad Ali Jinnah (1876-1948) fut un avocat et un homme politique qui joua un rôle majeur dans l’indépendance du
Pakistan en 1947. Il fut le premier gouverneur général du pays, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en 1948.
10. Surnom donné par le peuple à Mohandas Karamchand Gandhi.
11. Bacha Khan (officiellement Kahn Abdul Ghaffar Khan) (1890-1988), chef politique et spirituel pachtoune qui dirigea le
mouvement d’opposition non-violente contre la domination britannique en Inde.
12. Mère Teresa (de son vrai nom Anjezë Gonxhe Bojaxhiu) (1910-1997) est une religieuse albanaise connue pour son
travail de missionnaire auprès des pauvres et des malades de Calcutta (Inde).
13. Swat est un district administratif au nord du Pakistan qui doit son nom à la rivière et à la vallée éponymes. La famille de
Malala Yousafzai fut obligée de quitter la région en proie aux combats en 2009.
14. Cette phrase serait extraite de la pièce intitulée Richelieu, ou la conspiration écrite en 1839 par le dramaturge anglais
Edward Bulwer-Lytton (1803-1873).
15. Quetta est une ville à l’ouest du Pakistan. Le 15 juin 2013, une bombe explose dans un bus tuant 14 étudiantes d’une
université pour femmes.
16. L’organisation extrémiste islamiste Boko Haram est basée dans le nord-est du Nigeria. Depuis 2009, les terroristes
membres de l’organisation ont attaqué et kidnappé plusieurs centaines de lycéennes vivant dans la région.
1. Didier Reynders (1958-) homme politique belge qui fut à la tête du Parti réformateur libéral de 2004 à 2011. Vice-
Premier ministre en 2004, il fut également ministre des Finances de 2008 à 2011 puis ministre des Affaires étrangères en 2011.
2. Les gestionnaires de fonds spéculatifs définissent des plans d’investissements à hauts risques mais également à très forte
rentabilité pour une clientèle d’investisseurs très fortunés.
3. Créée à Oxford en 1942, l’Oxfam est une confédération internationale constituée d’organisations dont le but est de lutter
contre la pauvreté et l’injustice.
4. Rapport intitulé « Causes et conséquences de l’inégalité de revenus : une perspective globale » publié par le FMI le
15 juin 2015.
5. Rapport intitulé « Rethinking Financial Deepening : Stability and Growth in Emerging Markets » (Littéralement,
Repenser les circuits financiers : stabilité et croissance dans les marchés émergents) publié par le FMI en mai 2015 qui montre
que le développement financier excessif peut potentiellement nuire à la croissance.
6. Une « exhortation apostolique » adressée par le pape François le 24 novembre 2013 qui reprend l’un des dix
commandements : « Tu ne tueras point » et définit une limite précise de manière à préserver la valeur de la vie humaine.
Aujourd’hui, nous disons aussi « Tu ne pratiqueras point » une économie reposant sur l’exclusion et les inégalités sociales.
7. Près de la moitié des gouvernements des pays développés permettent aux personnes ayant souscrit un emprunt immobilier
de déduire les intérêts d’emprunts de leurs revenus imposables.
8. Christine Lagarde s’est rendue au Brésil en mai 2015.
9. Un terme portugais utilisé au Brésil pour désigner un bidonville.
10. Terme portugais signifiant « bourse familiale ».
11. Phrase prononcée par Tony Blair, chef du Parti travailliste lors d’un discours en novembre 1997 soit quelques mois
avant sa nomination au poste de Premier ministre.
12. Christine Lagarde s’est rendue au Pérou en novembre 2014.
13. En 2015, le nombre d’immigrants tentant d’entrer en Europe a grimpé en flèche. Fuyant leur pays pour des raisons
politiques et/ou économiques, ils n’hésitent pas à monter à bord d’embarcations de fortune après avoir payé des sommes
exorbitantes à des passeurs-trafiquants. Nombreux périrent en mer.
14. L’Asie du Sud-Est connut une catastrophe similaire avec des migrants originaires du Bangladesh et de Birmanie tentant
désespérément de traverser l’océan Indien pour entrer en Indonésie, en Thaïlande ou en Malaisie.
1. Circonscription du Grand Londres. (NdT).
2. Députés d’arrière-ban ou autrement dit les députés ne faisant ni partie du Cabinet ni du Cabinet fantôme. (NdT).
3. La loi Same-Sex Couples Act votée le 13 mars 2013 autorise les mariages pour tous en Angleterre et au Pays de Galles.
4. L’union des nations a été une question au cœur de la politique depuis le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en
2014 qui se solda par la victoire du « Non ». Le Parti national écossais demanda un second référendum suite au résultat du
référendum quant à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’Écosse ayant voté « Pour » à 62 % et « Contre » à
38 %.

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