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Hachette UK sur la base de documents précédemment édités dans l’ouvrage The Chambers
Book of Great Speeches, 2013
Avertissement de l’éditeur
Les discours de Jean Jaurès, Marie Curie, Léon Blum, Charles de Gaulle (« Appel du 18 juin
1940 »), Jean Monnet, l’abbé Pierre, André Malraux, Golda Meir, Simone Veil, Mère Teresa,
Robert Badinter, Dominique de Villepin et Angela Davis ont été ajoutés pour l’édition française.
Crédits illustrations :
Lénine, Édouard VIII, Charles de Gaulle, Albert Einstein, John F. Kennedy, Yasser Arafat,
Margaret Thatcher, Ronald Reagan, George W. Bush, Malala Yousafzai, ©Hodder &
Stoughton
Et pour la version française :
Marie Curie ; Simone Veil, © AFP
Sommaire
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Introduction
1 - Jean Jaurès
« L'Europe se débat comme dans un cauchemar » (25 juillet 1914)
2 - Vladimir Ilitch Lénine
« Tout pour les ouvriers ! Tout pour les travailleurs ! » (30 août
1918)
3 - Le Mahatma Gandhi
« Pourquoi voulons-nous proposer cette non-coopération ? » (12
août 1920)
4 - Marie Curie
« La découverte du radium est une belle histoire scientifique » (14
mai 1921)
5 - Benito Mussolini
« Nous devons parvenir à la paix » (25 juin 1923)
6 - Franklin D. Roosevelt
« La seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-même
» (4 mars 1934)
7 - Léon Blum
« Nous sommes un Gouvernement de Front populaire » (6 juin
1936)
8 - Édouard VIII
« Je me déleste de mon fardeau » (11 décembre 1936, Windsor)
9 - Neville Chamberlain
« Ce pays est maintenant en guerre avec l'Allemagne » (3
septembre 1939)
10 - Winston Churchill
« Nous nous battrons sur les plages » (4 juin 1940)
11 - Charles de Gaulle
« La flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne
s'éteindra pas » (18 juin 1940)
12 - Joseph Staline
« C'est une question de vie ou de mort pour l'État soviétique » (3
juin 1941)
13 - Heinrich Himmler
« Je parle […] de l'extermination du peuple juif » (4 octobre 1943)
14 - Charles de Gaulle
« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !
» (25 août 1944)
15 - Hô Chi Minh
« Le Vietnam a le droit d'être un pays libre et indépendant » (2
septembre 1945)
16 - David Ben Gourion
« Nous honorons aujourd'hui cette Route du Courage » (12
décembre 1948)
17 - Albert Einstein
« La sécurité par le biais de l'armement national est […] une
désolante utopie » (19 février 1950)
18 - Jean Monnet
« Nous ne sommes qu'au début de l'effort que l'Europe doit
accomplir pour connaître enfin l'unité, la prospérité et la paix »
(10 août 1952)
19 - L'abbé Pierre
« Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse :
l'âme commune de la France » (1er février 1954)
20 - Nikita Khrouchtchev
« Le culte de l'individu et ses conséquences préjudiciables » 25
février 1956, Moscou (Russie)
21 - Patrice Lumumba
« Un gouvernement honnête, loyal, fort et populaire » (23 juin
1960)
22 - Ernesto « Che » Guevara
« Pour être un révolutionnaire, il faut commencer par faire la
révolution » (19 août 1960)
23 - John F. Kennedy
« Ich bin ein Berliner » (26 juin 1963)
24 - Martin Luther King
« J'ai un rêve » (28 août 1963)
25 - Malcom X
« Le vote ou le fusil » (3 avril 1964)
26 - André Malraux
« Écoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le
chant du Malheur » (19 décembre 1964)
27 - Richard M. Nixon
« Il ne peut y avoir de blanchiment à la Maison-Blanche » (30 avril
1973)
28 - Golda Meir
« Ce qui distingue (…) Israël des autres pays, c'est le fait que nous
devons toujours (…) nous justifier aux yeux du monde » (1er
octobre 1973)
29 - Yasser Arafat
« Je suis venu avec dans une main un rameau d'olivier et dans
l'autre un fusil de combattant de la liberté » (13 novembre 1974)
30 - Simone Veil
« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement » (26
novembre 1974)
31 - Mère Teresa
« L'amour des autres nous rendra saints » (10 décembre 1979)
32 - Margaret Thatcher
« La dame ne fera pas demi-tour » (10 octobre 1980)
33 - Robert Badinter
« Cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de
hasard, nous la refusons » (17 septembre 1981)
34 - Ronald Reagan
« Les pulsions agressives de l'empire du mal » (8 mars 1983)
35 - Desmond Tutu
« La solution finale de l'apartheid » (11 décembre 1984)
36 - Ronald Reagan
« Abattez ce mur ! » (12 juin 1987)
37 - Václav Havel
« Nous vivons dans un environnement moral contaminé » (1er
janvier 1990)
38 - Nelson Mandela
« Aujourd'hui, jour de ma libération » (11 février 1990)
39 - Mary Fischer
« Le virus du SIDA n'est pas une invention politique » (19 août
1992)
40 - Benazir Bhutto
« La philosophie de l'islam repose sur l'égalité, l'égalité entre les
deux sexes » (4 septembre 1995)
41 - George W. Bush
« Aujourd'hui notre nation voit le mal » (11 septembre 2001)
42 - Dominique de Villepin
« La guerre est toujours la sanction d'un échec » (14 février 2003)
43 - Saddam Hussein
« L'Irak sortira victorieux » (20 mars 2003)
44 - Oussama ben Laden
« Nos actes sont une riposte à vos actes » (15 avril 2004)
45 - Steve Jobs
« On est déjà à nu. On n'a aucune raison de ne pas écouter ce que
nous dicte notre cœur » (12 juin 2005)
46 - Aung San Suu Kyi
« Mon pays, aujourd'hui, n'en est qu'au début du voyage » (21
juin 2012)
47 - Malala Yousafzai
« Ils pensaient que les balles allaient nous faire taire. Mais ils se
sont trompés » (12 juillet 2013)
48 - Christine Lagarde
« Réduire les inégalités excessives n'est pas simplement un
impératif moral et politique, c'est aussi une question de bon sens
économique » (17 juin 2015)
49 - Theresa May
« En quittant l'Union européenne, nous allons nous forger un rôle
à la fois neuf et ambitieux dans le monde » (13 juillet 2016)
50 - Angela Davis
« Nous sommes des acteurs collectifs de l'histoire » (21 janvier
2017)
Introduction
Lorsqu’on évoque le concept de « monde moderne », une multitude
d’idées nous viennent à l’esprit. La culture qui est la nôtre aujourd’hui
fait que nous avons parfois l’impression d’être entourés par des dizaines
d’écrans de télévisions branchés sur différentes chaînes qui, toutes, nous
bombardent de sons et d’images et requièrent notre attention.
Les progrès technologiques sont tels que rares sont ceux qui, parmi nous,
peuvent suivre la cadence et être au fait de toutes les possibilités qui
s’offrent à nous. A contrario, nombreuses sont les personnes qui
s’interrogent quant aux implications de cette évolution. Les clivages
religieux et politiques semblent s’accentuer et présenter un danger de
plus en plus imminent. La pauvreté s’aggrave tandis que d’énormes
richesses s’accumulent. Le climat change ; les systèmes financiers
s’effondrent ; les guerres perdurent. Et tout cela parvient jusqu’à nous qui
vivons dans un monde soumis au va-et-vient incessant des
divertissements, de la publicité et d’un « culte de la célébrité » effronté.
Mais, dans ce monde bruyant et où tout va vite, une des aptitudes de
l’être humain a su rester – et, a priori, le restera encore longtemps – aussi
essentielle qu’elle l’était dans la Grèce et la Rome antiques, je veux
parler de l’art oratoire, le don de la persuasion, qui permet à un homme
ou à une femme de captiver l’attention d’autres personnes pour défendre
une opinion. De nos jours, un auditoire peut compter plusieurs millions
d’individus. Mais s’il est brillant, un orateur saura exercer son art sur son
auditoire qu’il soit réduit ou large.
Ce livre n’entend pas retracer l’histoire de l’art oratoire ni même de
mettre en exergue tous les événements marquants de l’histoire. Il se veut
n’être que le condensé de 50 discours modernes d’orateurs et d’oratrices
ayant fait entendre leur voix dans des circonstances bien différentes.
Tous se sont illustrés d’une manière plus ou moins louable. Certains se
sont exprimés sur des sujets intemporels comme la guerre ou la paix, les
inégalités ou la justice, la répression ou la révolution. D’autres ont, quant
à eux, pris la parole sur des sujets typiques de notre ère moderne comme
le sida, la bombe atomique et le terrorisme. Tous avaient un message
unique à nous livrer et ils l’ont fait d’une manière originale et
convaincante.
Pour chacun de ces discours, nous avons replacé le lecteur dans un
contexte historique et lui avons, dès que cela était possible, fait partager
les réactions des auditoires auxquels ils étaient adressés. Une biographie
succincte de l’orateur(rice) et des notes lui permettent de mieux
comprendre des références qui auraient pu lui échapper. Dans certains
cas, nous avons coupé les discours pour nous concentrer sur ce qui, à nos
yeux, est essentiel.
Nous ne pouvons, si vous voulez en savoir plus, que vous encourager à
lire les discours d’origine et vous délecter de chacun des mots de ces
orateurs pour ce qu’ils ont de sublime.
Andrew Burnet
1
Jean Jaurès
Orateur et parlementaire socialiste
Jean Jaurès (1859-1914) est devenu en 1885 le plus jeune député de France. Ses idées socialistes
l’amènent à soutenir la grande grève des mineurs de Carmaux. Il prend la défense du capitaine
Dreyfus lors de l’Affaire et fonde le journal L’Humanité dont il devient directeur. Il participe
également à la fondation de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) qui contribue à
unifier le mouvement socialiste français. Connu pour ses positions pacifistes à la veille de la
Première Guerre mondiale, il est assassiné par Raoul Villain le 31 juillet 1914. Sa dépouille est
transférée au Panthéon dix ans plus tard.
C’est pour des motifs politiques que Jean Jaurès, député du Tarn, se rend à Lyon-Vaise le
25 juillet 1914, quelques jours avant son assassinat. Il vient soutenir la candidature de Marius
Moutet, avocat et conseiller municipal de Lyon mais également l’un des fondateurs de la
Ligue des droits de l’Homme.
Il prend la parole dans le café d’un quartier ouvrier, devant un auditoire de près de 2 000
personnes. Son déplacement à Vaise peut paraître incongru dans le contexte international. En
effet, l’Europe traverse une crise très grave. En effet, le 28 juin, l’archiduc François-
Ferdinand de Habsbourg, héritier du trône d’Autrich-Hongrie, a été assassiné à Sarajevo. Le
7 juillet, l’empereur François-Joseph d’Autriche déclarera la guerre à la Serbie et ce sera
l’escalade par le jeu des alliances qui conduira à la Première Guerre mondiale. Pour l’heure et
en ce jour du 25 juillet, les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues après
l’ultimatum envoyé à la Serbie deux jours auparavant.
Le tribun socialiste pressent les événements à venir et fait part aux personnes venues l’écouter
de son inquiétude. L’Europe court un grand danger et chacun doit endosser sa part de
responsabilité face à cette crise sans précédent. Jaurès en appelle à la classe prolétaire qui,
seule et en s’unissant, pourrait faire reculer le spectre d’une guerre mondiale.
Dans son intervention, il parle peu du candidat socialiste. On comprend que ce qui le
préoccupe, c’est la crise qui se prépare et son discours pacifiste lui vaudra d’être assassiné le
31 juillet au café du Croissant par Raoul Villain.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France.
Citoyens,
Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis
quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus
tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de
vous adresser la parole. Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs
sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont
nous avons eu la nouvelle il y a une demi-heure, entre l’Autriche et la
Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et
l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe, mais
je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des
hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il
faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité
suprême qu’ils pourront tenter.
Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de
menaces et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la
race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie
du monde slave et pour lesquels les Slaves de Russie éprouvent une
sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera
dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie,
l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie,
invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait
savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche. Et si le conflit ne restait pas
entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche verrait
l’Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais
alors, ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et
l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît
les clauses essentielles, qui lient la Russie et la France et la Russie dira à
la France :
« J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit
d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre
place à mes côtés. » À l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille
du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et
l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu,
c’est le monde en feu.
Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour
toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les
responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant
l’Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées ;
lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc,
c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous
a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci
de la France.
Voilà, hélas ! notre part de responsabilité, et elle se précise, si vous
voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est
l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français,
quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le
droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous
étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire
pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.
Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche :
« Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous
passiez le Maroc » et nous promenions nos offres de pénitence de
puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie :
« Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à
l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité. »
Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à
la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons
notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des
autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la
sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la
duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre
parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire « Mon cœur de
grand peuple slave ne supporte pas qu’on fasse violence au petit peuple
slave de Serbie. » « Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur ?
Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a
créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la
main sur elle, elle a dit à l’Autriche “Laisse-moi faire et je te confierai
l’administration de la Bosnie-Herzégovine.” » « L’administration, vous
comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où
l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’administrer la Bosnie-Herzégovine,
elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’administrer au mieux de ses
intérêts. »
Dans l’entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eue avec
le ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à
l’Autriche : « Je t’autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à
condition que tu me permettes d’établir un débouché sur la mer Noire, à
proximité de Constantinople. » M. d’Ærenthal a fait un signe que la
Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l’Autriche à prendre
la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée
dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : « C’est mon tour
pour la mer Noire. » « Quoi ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Rien du
tout ! », et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre
M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et
M. d’Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la
Russie avait été la complice de l’Autriche pour livrer les Slaves de
Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les
Slaves de Serbie.
C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est maintenant.
Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’administration de la
Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n’y aurait pas
aujourd’hui de difficultés en Europe ; mais la cléricale Autriche
tyrannisait la Bosnie-Herzégovine ; elle a voulu la convertir par force au
catholicisme ; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le
mécontentement de ces peuples.
La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et
la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses
horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.
Eh bien ! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude
profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer
aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même
de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière
minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à
frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui
pour les hommes une guerre européenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée presque entière a
succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une
armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans
la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les
lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent
mille.
Le discours ci-après fut prononcé par Lénine devant un parterre d’ouvriers rassemblé dans
l’atelier de l’usine Michelson (Moscou) où étaient fabriquées des grenades à main.
En Russie, beaucoup de choses ont changé depuis la révolution de Février (mars 1917, dans le
calendrier grégorien) qui contraignit le tsar Nicolas II à abdiquer pour laisser la place à un
gouvernement provisoire constitué de réformateurs modérés. Si Lénine – qui refusa de
compromettre les plans qu’il avait minutieusement élaborés pour réorganiser le gouvernement
et l’économie – n’a pas tiré parti des manifestations antigouvernementales de juillet 1917,
quelques mois plus tard, il fut celui qui mena la révolution d’Octobre lui donnant le pouvoir.
En novembre, Lénine autorise l’élection d’une Assemblée constituante qu’il dissout en
janvier 1918, le Parti socialiste révolutionnaire ayant remporté la majorité des sièges. En
mars 1918, la Russie se retire de la Première Guerre mondiale, cédant de vastes territoires et
une grande partie de ses ressources économiques à l’Allemagne avec la signature du traité de
Brest-Litovsk.
Le 15 août, Lénine met fin aux relations diplomatiques entre la Russie et les États-Unis et,
deux semaines plus tard, prononce le discours ci-après dans lequel il discrédite le
gouvernement provisoire modéré (mis en place après la révolution de Février) et décrie le
concept américain de la démocratie, donnant libre cours à sa colère quant à la manière dont la
guerre se déroule et dont les ouvriers dans les autres pays sont traités.
Alors qu’il quitte l’usine, Fanya Kaplan, membre du Parti socialiste révolutionnaire, court
vers Lénine et tire à bout portant. Lénine refuse de se rendre à l’hôpital où il craint que
d’autres fanatiques l’attendent pour l’assassiner. Soigné chez lui, il ne se remettra jamais
complètement de ses blessures.
Les paresseux, les parasites, ceux qui sucent le sang du peuple travailleur,
doivent être privés de ces bienfaits. Nous proclamons haut et fort : Tout
pour les ouvriers ! Tout pour les travailleurs !
Nous savons qu’arriver à nos fins sera difficile. Nous avons conscience
de la violence avec laquelle la bourgeoisie s’opposera à nous. Mais nous
croyons en la victoire finale du prolétariat. Une fois que le prolétariat se
sera libéré du terrible dilemme des menaces de l’impérialisme militaire et
une fois qu’il se sera érigé sur les ruines de la structure qu’il avait
renversée, la nouvelle structure de la république socialiste, le prolétariat
ne pourra que remporter la victoire.
Et, de fait, partout nous voyons des forces qui se rassemblent. Suite à
l’abolition de la propriété privée de la terre, nous assistons maintenant à
une fraternisation active entre le prolétariat des villes et le prolétariat des
campagnes. Chez les ouvriers, la conscience politique de classe n’a
jamais été aussi claire et aussi précise.
Idem en Occident. En Angleterre, en France, en Italie et dans bien
d’autres pays, les ouvriers répondent de plus en plus aux sollicitations et
aux exigences ce qui, en soi, est une première victoire de la cause
révolutionnaire internationale. Et notre devoir aujourd’hui est de
poursuivre notre travail révolutionnaire et passer outre l’hypocrisie, les
cris de rage et les sermons administrés par la bourgeoisie meurtrière.
Nous devons orienter nos efforts sur le front tchéco-slovaque9 afin de
disséminer sans attendre cette bande d’assassins sans merci qui se
cachent derrière des slogans prônant la liberté et l’égalité et abattent des
centaines et des milliers d’ouvriers et de paysans.
Notre ultime recours : vaincre ou mourir !
3
Le Mahatma Gandhi
Avocat et homme d’État indien
Chef de file du Congrès, mouvement nationaliste indien, Mohandas Karamchand Gandhi, connu sous
le nom de Mahatma (« Grande Âme ») (1869-1948) a mené, au cours des décennies qui suivirent la
Première Guerre mondiale, une campagne non violente pour l’indépendance de l’Inde qui se solda
par la partition de l’Empire des Indes en août 1947. Vénéré par beaucoup comme un homme qui
professe la morale, un réformateur et un patriote, il est considéré par ses détracteurs comme la
victime d’un aveuglement qui l’empêche de voir l’effusion de sang provoquée par ses soi-disant
campagnes non violentes. Gandhi est assassiné à Delhi par un extrémiste hindou le 30 janvier 1948.
Gandhi prononça le discours ci-après au tout début de ce qui sera pour lui un long combat.
Suite aux violentes campagnes menées au nom de l’indépendance de l’Inde, le Anarchical
and Revolutionary Crimes Act de 1919, communément connu sous le nom de lois Rowlatt,
pérennisa la restriction des libertés civiles promulguées pendant la Première Guerre mondiale,
une décision qui poussa Gandhi à organiser un mouvement de résistance pacifique et structuré
baptisé satyagraha (« étreinte de la vérité »). Or, la violence qui néanmoins accompagna ce
mouvement dans certains lieux, se traduisit par l’instauration de la loi martiale par les
Britanniques au Pendjab et au massacre d’Amritsar en avril 1919, les troupes britanniques
faisant feu sur la foule réunie lors d’une fête religieuse. On déplora 379 morts.
Les conditions de paix présentées à la Turquie par les Alliés à l’issue de la Première Guerre
mondiale dans le traité de Sèvres déchaînèrent la colère des musulmans du sous-continent
indien qui lancèrent le mouvement Califat en septembre 1919 afin de protéger le califat turc
et empêcher le démantèlement de l’Empire ottoman comme stipulé par les Britanniques et
leurs alliés. Soutenant le mouvement Califat Gandhi écrit, en juin 1920, au vice-roi pour lui
faire part de son intention de lancer un mouvement de non-coopération en réaction aux termes
du Traité. Dans sa lettre, Gandhi renvoie au droit pour un sujet « de refuser de soutenir un
dirigeant qui gouverne mal ». Les défenseurs du mouvement de non-coopération eurent pour
instruction de refuser d’occuper un poste gouvernemental, de retirer leurs enfants des écoles
et des universités gouvernementales et de créer des écoles et des universités nationales, de
boycotter les tribunaux britanniques et de mettre en place des tribunaux privés. Furent prônés
la vérité et la non-violence et ce, quelle que soit la situation, ainsi que le port de vêtements
traditionnels tissés en Inde.
Gandhi lança officiellement le mouvement de non-coopération le 1er août 1920. Quelques
jours plus tard, le Mahatma s’adressa à quelque 50 000 personnes réunies sur la plage de
Madras. Dans son discours, Gandhi explique pourquoi le mouvement Califat est important et
dévoile les principes du mouvement de non-violence.
Maria Sklodowska naît le 7 novembre 1867 à Varsovie, en Pologne. Ses travaux de recherche
sur la radioactivité rendent célèbre celle qui sera la première femme à recevoir un prix Nobel.
Elle arrive en France en 1891 et étudie les mathématiques, la chimie et la physique à la
Sorbonne ; elle prend le nom de Marie. Elle rencontre Pierre Curie, professeur de physique,
qu’elle épouse en 1895. Durant des années, les deux époux travailleront ensemble sur les
substances radioactives.
Au cours de leurs recherches sur les sources de la radioactivité – mot inventé par Marie –, le
couple découvre deux éléments très radioactifs, le radium et le polonium (dénommé ainsi en
référence aux origines polonaises de Marie). En 1903, les deux époux reçoivent le prix Nobel
de physique qu’ils partagent avec Henri Becquerel pour ses découvertes sur la radioactivité
spontanée. Après la mort de Pierre en 1906, Marie accepte de lui succéder à la Sorbonne,
devenant la première femme enseignant dans cette université.
Elle reçoit un second prix Nobel en 1911 pour avoir isolé le radium et étudié ses propriétés
chimiques. Elle croit aux propriétés thérapeutiques du radium et à ses capacités à détruire les
cellules cancéreuses. Elle est également à l’initiative des premiers camions équipés de
dispositifs à rayons X, qui se rendent auprès des soldats blessés.
Si Marie Curie écrit régulièrement pour des revues scientifiques, elle ne s’est que rarement
exprimée oralement. Ce discours, prononcé en 1921, parle de l’histoire et de l’importance de
ses découvertes scientifiques et rend hommage à Pierre et à tous les chercheurs qui les ont
précédés.
et que, si nous voulons aller de l’avant, nous devons avancer comme une
armée entraînée et loyale, prête à se sacrifier pour le bien d’une discipline
commune car sans cette discipline, il n’est pas possible d’aller de l’avant
et aucun commandement n’aura l’effet escompté. Nous sommes, je le
sais, prêts à donner nos vies et tout ce que nous possédons au nom de
cette discipline, car elle rend possible un commandement avec de plus
grands objectifs. C’est le sacrifice que je propose, et je vous promets que
les plus larges desseins nous uniront comme une obligation sacrée avec
une unité de devoir que nous n’avons jusqu’alors évoquée que lors d’un
conflit armé.
Une fois cet engagement pris, j’assume sans hésiter le commandement de
cette grande armée que constitue notre peuple et qui est prête à s’attaquer
avec discipline à nos problèmes communs.
L’action, dans cette optique et dans ce but, est possible sous la forme de
gouvernement que nous avons héritée de nos ancêtres. Notre
Constitution, simple et pratique, est ainsi faite qu’elle permet de toujours
répondre aux besoins les plus extraordinaires et ce, en changeant de cap
et en prenant de nouvelles dispositions sans toutefois perdre ce qu’elle a
d’essentiel. C’est ce qui explique pourquoi notre Constitution est
considérée comme le mécanisme politique le plus stable que le monde
moderne ait produit. C’est ce qui a permis à notre Constitution de gérer
les tensions liées aux extensions de territoire, aux guerres à l’étranger,
aux conflits internes acharnés, aux relations internationales.
Il nous reste à espérer que l’équilibre normal entre les pouvoirs exécutif
et législatif soit à la hauteur de la tâche qui désormais nous incombe.
Mais il se peut qu’une exigence sans précédent et un besoin d’action
immédiat nécessitent que l’on s’éloigne temporairement de cet équilibre
normal de la procédure publique.
Je suis préparé de par mon devoir constitutionnel à recommander les
mesures qu’une nation sinistrée dans un monde sinistré peut requérir.
Mais, dans l’éventualité où le Congrès viendrait à refuser l’une de ces
mesures, et dans l’éventualité où la nation devrait faire face à l’urgence,
je ne me déroberais pas au devoir qui m’incombe.
[…] Je demanderais au Congrès de prendre cette mesure afin de gérer la
crise [...] et au pouvoir exécutif dans son ensemble de lutter afin de
répondre à cet état d’urgence de la même manière que si nous étions
envahis par un ennemi étranger.
Du fait de la confiance qui m’est accordée, j’agirai avec le courage et la
dévotion qui conviennent à la situation. Je ne peux pas faire moins.
Nous affronterons les jours difficiles qui sont devant nous avec le juste
courage d’une unité nationale, en ayant clairement conscience de devoir
chercher des valeurs morales anciennes mais précieuses, avec la
satisfaction irréprochable qui découle de la rude performance du devoir
que l’on soit jeune ou vieux. Nous aspirons à l’assurance d’une vie
nationale équilibrée et durable.
Nous ne mettons pas en doute l’avenir de la démocratie fondamentale.
Léon Blum est né à Paris le 9 avril 1872. Il est issu de l’union d’Abraham Blum, qui tient un
commerce prospère de soierie, et d’Adèle Marie Alice Picart. Ses parents sont de confession
juive. Durant ses années d’études, il rencontre l’écrivain André Gide et se passionne pour la
littérature. Il est licencié en lettres en 1891 et en droit en 1894, l’année même où éclate
l’affaire Dreyfus, affaire qui le convainc d’entrer en politique.
Après sa rupture avec Maurice Barrès qu’il considérait comme son maître (Léon Blum est
encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs critiques littéraires de son temps), il
commence à militer à la SFIO. Après la fin de la Première Guerre mondiale, il siège à la
Chambre où ses discours remportent un grand succès qui lui vaut également de très viruleuses
attaques antisémites.
Au congrès de Tours de 1920, au moment de la scission avec les communistes, il prend la tête
de la SFIO, défend la IIe Internationale et est l’artisan du Cartel des gauches qui permet aux
socialistes et aux radicaux de remporter les élections de 1924.
Léon Blum n’exclut pas cependant une alliance avec les communistes. Suite aux accords
électoraux conclus avec ces derniers, le Front populaire emporte les élections en 1936 et en
1938. Cette victoire lui permet de mettre en place de très grandes avancées sociales comme
les congés payés, la semaine de 40 heures ou les conventions collectives.
Par ce discours, un mois après la victoire de la coalition du Front populaire, Léon Blum
annonce qu’il appliquera le programme d’une majorité de rassemblement qui n’est pas celle
du parti socialiste.
Dans les années 1920 et 1930, Édouard est un Prince de Galles très populaire qui séduit par
son charme et sa décontraction. Peu respectueux de la tradition et du protocole, il entend bien
moderniser la monarchie britannique. En 1914, il déclare à la Reine Alexandra sa grand-mère,
qu’il n’épousera qu’une femme dont il est amoureux. Or si dans les années qui suivirent la
Première Guerre mondiale, on lui connaît nombre de conquêtes, aucune ne semble digne
d’épouser celui qui est appelé à monter sur le trône. En 1930, il fait la connaissance de Wallis
Simpson – une Américaine divorcée qui vient de convoler en secondes noces – dont il
s’éprend. Si la presse américaine se fait l’écho de cette romance, les journaux britanniques
n’en disent mot.
Lorsqu’Édouard monte sur le trône le 20 janvier 1936, son entourage lui enjoint d’adopter un
comportement conforme à ses nouvelles fonctions. Pensant que le peuple britannique
commence à se faire à l’idée qu’une personne divorcée puisse se remarier, Édouard projette
d’épouser Mme Simpson une fois son divorce prononcé en octobre 1936. Or pour Stanley
Baldwin qui occupait alors les fonctions de Premier ministre et les chefs de l’Église
anglicane, l’idée qu’une femme divorcée puisse devenir l’épouse et, par-delà, la reine consort
du monarque à la tête de l’Église d’Angleterre, est totalement inconcevable. Édouard se
trouve alors confronté à un dilemme : rester roi et renoncer à épouser Mme Simpson ou
abdiquer et épouser la femme qu’il aime. Il choisit la seconde option et annonce son
abdication sur les ondes radio à une nation estomaquée qui, jusqu’alors, n’a jamais eu vent de
la situation.
Si, à l’époque, Winston Churchill apporta tout son soutien à Édouard, il dira plus tard que
cette abdication était ce qui pouvait arriver de mieux à la Grande-Bretagne, le frère cadet
É
d’Édouard qui monta sur le trône sous le nom de George VI étant un monarque idéal et sa
femme, la reine Elizabeth, étant quant à elle la reine consort rêvée.
En 1934, Adolf Hitler a signé un pacte de non-agression de dix ans avec la Pologne, ce qui ne
l’empêche pas au début de l’année 1939 de commencer à convoiter le « Couloir de Dantzig »
ou « Corridor de Dantzig », bande de terre séparant l’Allemagne de la Prusse orientale avec
pour accès à la Baltique le port de Gdánsk (Dantzig). La Pologne qui refuse de concéder ce
territoire à l’Allemagne est assurée du soutien de la France et de la Grande-Bretagne. Début
avril, Hitler met au point un plan pour envahir la Pologne et, à la fin du mois, rompt le pacte
de non-agression germano-polonais. Pendant ce temps, les accords diplomatiques entre la
Pologne, la France et l’Allemagne se confirment et donnent lieu à des alliances militaires. Le
23 août, Chamberlain adresse un ultimatum à Hitler réaffirmant que la Grande-Bretagne
soutient la Pologne même si les accords entre les deux pays ne seront signés que le 25 août.
Pendant ce temps, les nazis officialisent leur alliance avec la Russie en signant le traité de
Molotov-Ribbentrop qu’ils violeront quelques mois plus tard.
Lorsque l’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre, le peuple britannique n’a aucune
envie d’entrer en guerre mais Chamberlain ne voit pas d’alternative. Le désir de conquête
d’Hitler ne fait aucun doute et les politiques défendues par les nazis font planer un danger de
plus en plus présent sur l’Europe.
La Grande-Bretagne ainsi que la France sont contraintes de déclarer la guerre à l’Allemagne.
Dans son allocution diffusée sur les ondes radio, le Premier ministre expose à la population
britannique les raisons qui l’ont poussé à déclarer la guerre à l’Allemagne.
« Ce matin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin a adressé au
gouvernement allemand un ultimatum stipulant qu’à défaut d’être
informée au plus tard à 11 h 00 qu’il était prêt à retirer ses troupes de
Pologne, l’Angleterre serait en état de guerre avec l’Allemagne.
Je dois maintenant vous dire que nous n’avons reçu aucun engagement
du gouvernement allemand en ce sens et que, par conséquent, notre pays
est en guerre contre l’Allemagne.
Vous pouvez imaginer quel terrible choc c’est pour moi que de voir que
le long combat que j’ai mené pour parvenir à la paix a échoué. Je ne puis
croire cependant que j’aurais pu faire quelque chose de plus ou quelque
chose d’autre qui aurait eu plus de chance de réussir.
Jusqu’à la dernière minute il eut été possible de trouver un accord
pacifique et honorable pour l’Allemagne et la Pologne mais Hitler n’a
rien voulu savoir. Tout laisse à penser qu’il était déterminé à attaquer la
Pologne et même si aujourd’hui, il dit avoir fait des propositions
raisonnables qui ont été refusées par les Polonais, il n’en est rien. Aucune
proposition n’a été faite ni aux Polonais ni à nous autres Britanniques. Et
même si ces propositions ont été annoncées sur les ondes de la radio
allemande jeudi soir, Hitler, sans attendre notre réaction, a ordonné à ses
troupes de franchir la frontière entre l’Allemagne et la Pologne dès le
vendredi matin ce qui montre bien qu’il est inutile d’espérer de cet
homme qu’il renonce à recourir à la force pour atteindre ses buts.
Et seule la force pourra l’arrêter.
Aujourd’hui, la Grande-Bretagne et la France, eu égard aux engagements
qui les lient à la Pologne, prêteront assistance à ce pays qui, avec
bravoure, résiste à l’attaque pernicieuse et injustifiée lancée contre son
peuple. Nous n’avons rien à nous reprocher. Nous avons fait tout ce
qu’un pays est en mesure de faire pour instaurer la paix. Ne pouvoir
accorder aucun crédit aux paroles prononcées par le dirigeant allemand et
le fait qu’aucun peuple, qu’aucun pays puissent se sentir en sécurité est
devenu intolérable. Maintenant que nous sommes déterminés à mettre fin
à cette situation, je sais que vous ferez tous votre devoir, avec sang-froid
et courage.
Une fois ce discours terminé, un certain nombre de déclarations détaillées
seront faites au nom du gouvernement et je vous demande d’y accorder la
plus grande attention. Le gouvernement a défini un programme qui
permettra de poursuivre la tâche de la nation au cours des jours pénibles
et rudes à venir. Mais pour ce faire, nous avons besoin de votre aide soit
dans les forces armées soit comme volontaires dans l’une ou l’autre des
branches de la défense civile. Vous devrez alors assumer vos fonctions en
respectant les instructions qui vous auront été données. Il se peut que
vous ayez un rôle essentiel à jouer dans la poursuite de la guerre ou pour
assurer la survie du peuple – dans les entreprises, dans les transports,
dans les services publics, ou tout autre domaine. Vous l’aurez compris, il
est capital que vous continuiez à travailler.
Et maintenant que Dieu vous bénisse tous. Qu’Il défende le bien.
C’est contre le mal que nous allons combattre – la force brutale, la
mauvaise foi, l’injustice, l’oppression et la persécution – et je suis sûr
que le bien l’emportera. »
10
Winston Churchill
Homme d’État et historien britannique
Winston Leonard Spencer Churchill (1874-1965), aristocrate membre du Parti conservateur, occupera
plusieurs fonctions gouvernementales au cours de sa carrière notamment celles de ministre de
l’Intérieur et ministre de l’Armement. Au milieu des années 1930, il n’a de cesse que de mettre en
garde contre la menace grandissante du nazisme. En 1940, Neville Chamberlain démissionne et cède
sa place de Premier ministre à Winston Churchill qui voit en la Seconde Guerre mondiale l’une des
périodes les plus importantes de l’histoire de la Grande-Bretagne. Très vite le peuple britannique
affiche sa loyauté à l’égard de Churchill auquel les Alliés accordent toute leur confiance. Orateur
hors pair, il réussit à convaincre son auditoire que la Grande-Bretagne finira par l’emporter et ce,
même dans les moments les plus sombres.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes attaquèrent l’Europe du Nord. Depuis l’entrée en
guerre de la Grande-Bretagne et la France le 3 septembre 1939, cette attaque était prévisible
et, durant neuf mois, les chefs des troupes alliées avaient mis au point des tactiques
défensives et offensives. Très rapidement, les divisions blindées allemandes envahirent le
Luxembourg, l’est de la Belgique, les Pays-Bas puis le nord de la France. Dépassées, les
forces alliées n’eurent d’autre choix que de battre en retraite suite à la capitulation de l’armée
belge. Dans un dernier combat, les forces britanniques et françaises gagnèrent Dunkerque.
Coupées de leurs arrières, elles finirent par s’avouer vaincues après seulement deux semaines
de combat. Churchill se prépara alors à prononcer un discours à la Chambre des communes
afin d’expliquer les conséquences de la défaite.
Mais, entre le 26 mai et le 2 juin, plus de 330 000 soldats alliés furent évacués des plages
françaises, un épisode qui prendra le nom évocateur de « Miracle de Dunkerque ». Et, même
si les troupes furent contraintes d’abandonner sur place une grande partie de leurs
équipements, le fait de pouvoir regagner saines et sauves le sol britannique fit dire qu’une
catastrophe majeure avait été évitée et parvint à redonner de la joie à la population
britannique.
Dans le discours ci-après, Churchill décrit les efforts héroïques que la Royal Navy et des
centaines de bateaux de la marine marchande ont fournis pour évacuer les Alliés ainsi que le
rôle de la Royal Air Force sans laquelle cette évacuation n’aurait jamais été possible. Le
discours véhicule également un message lourd de sens et prépare son auditoire à affronter des
jours difficiles pour la Grande-Bretagne. Le combat à mener pour venir à bout de l’agression
allemande sera rude mais, Churchill en est sûr, le pays a la capacité de l’emporter. Nombreux
sont ceux, qui en écoutant ce discours, seront – à l’instar de l’orateur lui-même – émus
jusqu’aux larmes.
« […] nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons
sur les lieux du débarquement, nous nous battrons dans les
champs et dans les rues, nous nous battrons sur les collines.
Jamais nous ne capitulerons […] »
Et même si – je n’y crois pas un seul instant – cette île ou une grande
partie de cette île était asservie et affamée, notre Empire au-delà des
mers, armé et protégé par la flotte britannique, continuera la lutte jusqu’à
ce que – selon la volonté de Dieu – le Nouveau Monde avec toute sa
force et sa puissance, vienne à la rescousse et libère l’Ancien.
11
Charles de Gaulle
Homme militaire et chef de la France libre (1940-1943)
Charles de Gaulle (1890-1970), né à Lille, est un militaire, résistant, homme d’État et écrivain
français. Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale en tant qu’officier, il est blessé et fait
prisonnier par les Allemands. Il est libéré le 11 novembre 1918, jour de l’Armistice. Il poursuit sa
carrière militaire sous la protection du maréchal Pétain. En 1935, il approuve le pacte franco-
soviétique signé par Laval et Staline. Lorsque la guerre éclate, il est colonel et prend le
commandement de la 4e DCR le 11 mai 1940. Récusant l’armistice et la constitution d’un nouveau
gouvernement sous l’égide du maréchal Pétain, il part à Londres pour exhorter les Français à résister.
Après la Libération, il devient président du Gouvernement provisoire (1944-1946) puis président de
la République (1959-1969). Il s’éteint à Colombey-les-Deux-Églises le 9 novembre 1970.
L’URSS n’est pas préparée à faire face à l’invasion allemande de juin 1941 dont le nom de
code « Opération Barbarossa » fait référence à l’empereur du Saint-Empire romain
germanique du XIIe siècle. Bien qu’ayant signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne
en 1939 – incluant entre autres le partage, entre les deux signataires, des pays d’Europe de
l’Est –, Staline avait envisagé la possibilité d’une agression allemande toutefois, il ne
s’attendait pas à ce qu’elle fût aussi rapide.
L’Armée rouge de l’URSS est puissante avec des effectifs et un armement conséquents – d’où
un sentiment de supériorité – mais les troupes sont mal entraînées et les moyens de
communication font défaut. Qui plus est, nombre d’officiers et de stratèges expérimentés ont
été tués ou faits prisonniers durant les purges idéologiques de Staline entre 1936 et 1938.
Ceux qui ont la chance d’être encore en poste ont, quant à eux, pris le parti de dire à Staline
ce qu’il veut s’entendre dire. De leur côté, les Allemands sont de redoutables adversaires
parfaitement entraînés qui, après avoir conquis une grande partie de l’Europe, ne doutent de
rien. La Luftwaffe – bien mieux équipée que les forces aériennes soviétiques – et les Panzer
(chars d’assaut allemands) eurent tôt fait de décimer les positions soviétiques.
Le discours ci-après sera diffusé sur les ondes moins de deux semaines après l’invasion
allemande. Grâce à des phrases chocs du style « En avant vers la victoire ! » et un verbe
éloquent, Staline remonte le moral des troupes soviétiques, encourage la population civile à
entrer en lice et ravive un sentiment de haine à l’égard des envahisseurs.
Mais cela ne suffira pas à arrêter la progression rapide des forces allemandes qui, en
août 1941, atteignent les faubourgs de Leningrad et mettent en place un siège qui durera 900
jours. Les Allemands seront finalement stoppés en novembre avant d’avoir pu s’emparer de
Moscou. Un long et rude combat s’ensuivit avec, de part et d’autre, de lourdes pertes tant
parmi les militaires que les civils.
Cet effroyable discours fait la lumière sur le génocide programmé par les nazis. La
persécution officiellement clamée des juifs allemands – ainsi que la mise en place des camps
de concentration dans lesquels sont parqués les « ennemis de l’État » – a commencé peu après
la nomination d’Hitler au poste de chancelier en 1933. En 1934, Hitler fait éliminer ses
opposants au sein même du Parti nazi alors que les lois de Nuremberg adoptées par le
parlement en septembre 1935, privent de la citoyenneté allemande les juifs et les individus
« non-aryens ». Lors de la Nuit de Cristal (novembre 1938), les commerces juifs sont
dévastés, pillés et brûlés. Les camps de concentration deviennent des centres d’extermination
suite à la conférence de Wannsee qui s’est déroulée en janvier 1942, au cours de laquelle les
hauts responsables du Parti nazi programmèrent la destruction des juifs d’Europe ou
« solution finale de la question juive ».
Cette programmation est terrifiante tant sur le plan pratique que moral. Dans un discours de
trois heures prononcé devant un parterre d’officiers nazis en poste dans la Pologne occupée,
Himmler exige qu’aucune place ne soit laissée à la clémence et la pitié et souligne l’absolue
nécessité d’agir avec discipline et dans le plus grand secret, impliquant de ce fait les officiers
nazis dans ce crime qu’est l’Holocauste. Néanmoins, bien qu’ayant organisé cette rencontre
dans la plus grande clandestinité, Himmler voulut que ce discours soit enregistré n’hésitant
pas à plusieurs reprises à s’interrompre afin de vérifier le bon enregistrement. Les bandes
tomberont plus tard entre les mains des militaires américains et compteront parmi les preuves
des crimes de guerre nazis. Ci-après un court extrait de ce discours.
Lorsque de Gaulle fait son retour triomphal à Paris, la France est sous le contrôle des
Allemands depuis plus de quatre ans.
Après s’être enfui et avoir trouvé refuge à Londres en 1940, de Gaulle fut condamné à mort
pour trahison par le gouvernement de Vichy qui n’était ni plus ni moins que la marionnette
des nazis. Dès son arrivée sur le sol anglais, de Gaulle s’impose comme le chef des Forces
françaises libres. En 1943, il installe son quartier général en Algérie, colonie française libérée
du joug allemand.
Au cours de l’été 1944, les forces alliées débarquent en France (dans le Nord en juin et dans
le Sud en août) et repoussent l’occupant allemand. Alors que les troupes américaines se
rapprochent de la capitale, les habitants se mettent en grève et organisent des échauffourées à
l’encontre des Allemands. Les forces américaines sous le commandement du général Dwight
D. Eisenhower se montrent hésitantes, conscientes que Adolf Hitler a ordonné à ses troupes
de détruire Paris plutôt que de capituler. Craignant un massacre – et anticipant une prise de
contrôle de la capitale par les forces américaines – de Gaulle donne l’ordre aux FFL d’entrer
dans Paris. Le 24 août 1944, les Allemands rendent les armes. La capitulation allemande est
une victoire triomphale pour de Gaulle qui est rentré d’Alger notamment parce que le
président américain Franklin D. Roosevelt ne lui fait pas confiance et a, dans un premier
temps, légitimé le gouvernement de Vichy.
Le lendemain de son retour dans la capitale, de Gaulle prend la parole à l’Hôtel de Ville
devant une foule pleine d’espoir. Il annonce la libération de la ville et ravive le sentiment de
fierté nationale. Dans son discours, il exploite avec succès le patriotisme de la foule réunie,
faisant de Paris une survivante héroïque, « sanglante, mais bien résolue ».
Le 28 août, le gouvernement provisoire s’installe à Paris.
Eh bien ! Puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la
France rentre à Paris, chez elle.
Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par
l’immense leçon, mais plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses
droits.
Je dis d’abord de ses devoirs, et je les résumerai tous en disant que, pour
le moment, il s’agit de devoirs de guerre. L’ennemi chancelle mais il
n’est pas encore battu. Il reste sur notre sol. Il ne suffira même pas que
nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé
de chez nous pour que nous nous tenions pour satisfaits après ce qui s’est
passé. Nous voulons entrer sur son territoire comme il se doit, en
vainqueurs.
C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris à coups de
canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué
dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela
que nos braves et chères forces de l’intérieur vont s’armer d’armes
modernes. C’est pour cette revanche, cette vengeance, et cette justice que
nous continuerons de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de
la victoire totale et complète.
Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous
entendent en France savent qu’il exige l’unité nationale. Nous autres, qui
aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n’avons pas à
vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la
France. Vive la France !
15
Hô Chi Minh
Homme d’État vietnamien
Hô Chi Minh (1890-1969) fonde, en 1941, la Ligue pour l’indépendance du Vietnam ou Viêt Minh et
prend la direction des opérations militaires qui se verront couronnées de succès, dans un premier
temps contre les occupants japonais puis contre les colonisateurs français. Après avoir proclamé
l’indépendance du Vietnam en 1945, il mène lors de la guerre d’Indochine (1946-1954), une lutte
armée contre les troupes françaises qui connaîtront la défaite. Après la partition du Vietnam en 1954,
Hô Chi Minh devient le Premier ministre du Nord Vietnam, État communiste, dont il sera le président
de 1954 à 1969. Après sa réélection en 1960, Hô Chi Minh s’assure du soutien de la Chine dans le
conflit qui oppose le Nord et le Sud Vietnam. Dans les années 1960, Hô Chi Minh sera un acteur
prépondérant du conflit dans lequel entreront d’autres pays notamment les États-Unis. Malgré
l’arrivée en force des troupes américaines en soutien au Sud Vietnam (1965-1973), le front de
libération Viêt Cong (forces de guérilla alliées des communistes agissant dans le Sud Vietnam) prend
le dessus et oblige à un cessez-le-feu en 1973 soit quatre ans après le décès de Hô Chi Minh.
La déclaration d’indépendance du Vietnam faite par Hô Chi Minh fut la conséquence directe
de la Seconde Guerre mondiale. Le Vietnam qui, avec d’autres pays, constitue l’Indochine a,
depuis 1868, toujours été considéré comme l’une des colonies françaises qui rapportent le
plus de richesses à la France. Lorsque le Japon envahit le Vietnam en 1940, la France se voit
contrainte de reconnaître l’autorité nippone, le Japon s’engageant quant à lui à respecter la
souveraineté française.
Avec le soutien des troupes américaines, la Ligue pour l’indépendance du Vietnam ou Viêt
Minh fondée par Hô Chi Minh mène une guérilla contre l’occupant japonais. En mars 1945,
craignant une invasion américaine, les Japonais évincent les dirigeants français pour mettre en
place l’empereur vietnamien Bao Dai (1913-1997) qui ne sera ni plus ni moins qu’un
dirigeant fantoche à leurs ordres. Cinq mois plus tard, le Japon capitule, Bao Dai abdique et le
Viêt Minh reprend la main sur la plus grande partie du Vietnam.
Le 2 septembre 1945, le Japon signe l’acte de capitulation qui met fin à la Seconde Guerre
mondiale. Hô Chi Minh saisit cette opportunité pour proclamer l’indépendance du Vietnam
qu’il rend publique dans un discours prononcé place Ba Dinh à Hanoï.
É
Les premiers mots de son discours sont tirés de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis
dont une copie lui a été remise par les alliés qu’il compte au sein du service des
renseignements militaires américains. Après avoir dénoncé l’asservissement économique du
Vietnam par la France, Hô Chi Minh proclame la création de la République démocratique du
Vietnam.
Tous les hommes naissent égaux. Ils sont investis par le Créateur de
certains droits inaliénables parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche
du bonheur.
Ces paroles indéfectibles furent prononcées lors de la Déclaration
d’Indépendance des États-Unis en 1776. Au sens le plus large, ces mots
signifient que tous les peuples sur Terre naissent égaux, que tous les
peuples ont le droit de vivre, d’être heureux et libres.
De même, il est écrit dans la déclaration de la Révolution française de
1791 que : tous les hommes naissent libres et égaux en droits et doivent
toujours rester libres et égaux en droits1. Ce sont là des vérités
indéniables.
Néanmoins, pendant plus de quatre-vingts ans, les impérialistes français,
bafouant leur devise Liberté, égalité, fraternité n’ont pas respecté notre
patrie et ont opprimé nos compatriotes. Ils ont agi en complète
contradiction avec les idéaux d’humanité et de justice.
Dans le domaine de la politique, ils ont privé notre peuple de toute liberté
démocratique. […]
Dans le domaine économique, ils nous ont usés jusqu’à la moelle,
réduisant notre peuple à la misère et dévastant nos terres. […]
À l’automne 1940, lorsque les fascistes japonais ont envahi l’Indochine
pour y établir de nouvelles bases en vue de mener leur combat contre les
Alliés, les impérialistes français se sont mis à genoux et leur ont livré
notre pays.
Depuis lors, notre peuple ploie sous le double joug japonais et français.
La souffrance et la détresse de notre peuple ne cessent de croître. Entre la
fin de l’année dernière et le début de cette année, de la province de
Quang Tri au nord du Vietnam, plus de deux millions de nos
compatriotes sont morts de faim.
Le 9 mars [1945], les troupes françaises ont rendu les armes face à
l’armée japonaise. Les colonisateurs français ont fui ou capitulé,
montrant ainsi que non seulement ils étaient incapables de nous
« protéger » mais également qu’en l’espace de cinq ans, ils ont par deux
fois vendu notre pays aux Japonais.
À plusieurs occasions, avant le 9 mars, la Ligue Viêt Minh a insisté pour
que les Français s’allient à elle dans sa lutte contre les Japonais. Mais au
lieu d’accepter, les colonisateurs français n’ont fait que renforcer leurs
actions terroristes à l’encontre des membres de la Ligue, et avant de fuir,
ont massacré un grand nombre de prisonniers détenus à Yên Bái et Cao
Bang.
Malgré tout cela, nos compatriotes ont toujours fait preuve de tolérance
et d’humanité à l’égard des Français. Et même après le putsch de
mars 1945, la Ligue Viêt Minh a aidé nombre de Français à passer la
frontière, à s’évader des prisons nippones et a protégé la vie et les biens
des Français.
À l’automne 1940, notre pays a en fait cessé d’être une colonie française
pour devenir une possession japonaise.
Après la capitulation des Japonais devant les Alliés, notre peuple tout
entier s’est levé pour reconquérir sa souveraineté nationale et fonder la
République démocratique du Vietnam. La vérité est que nous avons
réussi à reprendre notre indépendance aux Japonais mais pas aux
Français.
Les Français ont fui, les Japonais ont capitulé, l’empereur Bao Dai a
abdiqué. Notre peuple a brisé les chaînes qui, depuis près d’un siècle,
l’entravaient et gagné l’indépendance de notre patrie. À cette même
époque, notre peuple a renversé le régime monarchique en place depuis
des dizaines de siècles pour fonder l’actuelle république démocratique.
Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire,
représentants de tout le peuple vietnamien, déclarons qu’à partir
d’aujourd’hui nous rompons toutes les relations colonialistes avec la
France. Nous abrogeons toutes les obligations internationales que la
France a souscrites au nom du Vietnam et nous abolissons tous les droits
que les Français se sont arrogés en toute illégalité dans notre mère patrie.
Tout le peuple vietnamien, dans un même but, est déterminé à combattre
jusqu’au dernier souffle et annihiler toute tentative de reconquête de la
part des colonisateurs français. Nous sommes convaincus que les Alliés
qui, à Téhéran2 et à San Francisco3, ont reconnu les principes
d’autodétermination et d’égalité entre les nations, ne manqueront pas de
reconnaître l’indépendance du Vietnam.
Car un peuple qui, avec courage, s’est opposé à la domination française
pendant plus de quatre-vingts ans, un peuple qui a combattu aux côtés
des Alliés contre les fascistes tout au long de ces dernières années, ce
peuple doit être libre et indépendant.
Pour ces raisons,
Pour comprendre le sens profond de ce discours, il faut revenir plusieurs siècles en arrière.
Selon le peuple juif, Dieu promit aux Hébreux qui venaient de fuir d’Égypte, de leur donner
le pays de Canaan (ou Palestine, terre située entre le Jourdain et la Méditerranée). Après
l’Exode, les Hébreux s’imposèrent dans cette région jusqu’à l’époque romaine qui marqua la
dispersion de leur peuple. La Palestine fut ensuite conquise par les Arabes. Après la Première
Guerre mondiale, la Grande-Bretagne administra la Palestine dans le cadre d’un mandat des
Nations unies (1922-1947). C’est en Palestine que nombre de juifs se réfugièrent afin
d’échapper à la persécution des Nazis. Arabes et juifs cohabitèrent jusqu’à ce qu’un conflit
éclate suite à la revendication par les Juifs d’un foyer national, revendication rejetée par la
majorité de la population arabe.
En novembre 1947, les Nations unies adoptèrent le plan de partage de la Palestine entre un
État juif et un État arabe, chaque État comprenant des zones reliées par des routes
extraterritoriales. Les Arabes refusèrent le plan de partage et la guerre éclata. Les routes
reliant les colonies juives traversaient des zones sous le contrôle des Arabes qui, de ce fait,
pouvaient contrôler les accès.
L’objectif de l’opération Nahshon qui débuta en avril 1948 était de désenclaver la ville de
Jérusalem. Si, dans un premier temps, les Juifs l’emportèrent, la ville fut de nouveau assiégée.
Le 14 mai, David Ben Gourion proclama l’indépendance de l’État d’Israël. Le lendemain, le
mandat britannique prit fin et l’État d’Israël fut envahi par ses voisins arabes. Le 9 juin, une
voie à travers les montagnes permit de rejoindre Jérusalem et suite à plusieurs victoires
remportées par les soldats israéliens, les frontières du pays furent en grande partie sécurisées
à la fin du mois d’octobre.
Le 11 décembre, la Résolution de l’assemblée générale des Nations unies 194 proposa la
création d’une Commission de conciliation pour la Palestine. Le 12 décembre, Ben Gourion
prononça un discours exaltant honorant la voie menant à Jérusalem et célébrant la libération
de la ville par les troupes israéliennes.
Messieurs,
Je déclare ouverte la première séance de la Haute Autorité de la
Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier.
En cet instant, qui marque l’accomplissement d’une œuvre poursuivie
tenacement depuis plus de deux ans, je dois d’abord rendre hommage aux
hommes d’État de nos six pays dont la clairvoyance et la volonté l’ont
rendu possible. Je veux aussi exprimer les remerciements qui sont dus à
tous ceux qui ont contribué à l’élaboration du Traité qui constitue notre
Charte. Et surtout, au moment où l’établissement de la Communauté
transforme en une réalité vivante ce que le monde, à juste titre, appelle le
« Plan Schuman », permettez-moi d’évoquer la gratitude que l’Europe ne
cessera de témoigner au Président Robert Schuman qui, en lançant
l’appel du 9 mai 1950, a pris l’initiative et la responsabilité d’engager
notre continent dans la voie de son unité.
En procédant à l’installation de la Haute Autorité de la Communauté
Européenne du Charbon et de l’Acier, nous accomplissons un acte
solennel. Nous prenons possession de la charge qui nous a été confiée par
nos six pays.
Chacun de nous a été désigné, non par l’un ou l’autre de nos
Gouvernements, mais d’un commun accord des six Gouvernements.
Ainsi, nous sommes tous ensemble les mandataires communs de nos six
pays : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, et
chacun comprendra, j’en suis sûr, que je souligne en particulier ce grand
signe d’espoir : nous nous retrouvons ici, Français et Allemands,
membres d’une même communauté ; des intérêts vitaux de l’Allemagne et
de la France relèvent d’une Autorité qui n’est plus ni allemande ni
française, mais européenne.
Engagement solennel des membres de la Haute Autorité
En votre nom à tous, je renouvelle publiquement l’engagement que
chacun de nous a pris en acceptant sa nomination :
Nous exercerons nos fonctions en pleine indépendance dans l’intérêt
général de la Communauté.
Dans l’accomplissement de nos devoirs, nous ne solliciterons ni
n’accepterons d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucun
organisme et nous nous abstiendrons de tout acte incompatible avec le
caractère supranational de nos fonctions.
Nous prenons acte de l’engagement des États membres de respecter ce
caractère supranational et de ne pas chercher à nous influencer dans
l’exécution de nos tâches.
Caractère supranational des institutions
Pour la première fois, les relations traditionnelles entre les États sont
transformées. Selon les méthodes du passé, même lorsque les États
européens sont convaincus de la nécessité d’une action commune, même
lorsqu’ils mettent sur pied une organisation internationale, ils réservent
leur pleine souveraineté. Aussi, l’organisation internationale ne peut ni
décider, ni exécuter, mais seulement adresser des recommandations aux
États. Ces méthodes sont incapables d’éliminer nos antagonismes
nationaux qui s’accusent inévitablement tant que les souverainetés
nationales elles-mêmes ne sont pas surmontées.
Aujourd’hui au contraire, six Parlements ont décidé, après mûre
délibération et à des majorités massives, de créer la première
Communauté Européenne qui fusionne une partie des souverainetés
nationales et les soumet à l’intérêt commun.
Dans les limites de la compétence qui lui est conférée par le Traité, la
Haute Autorité a reçu des six États le mandat de prendre en toute
indépendance des décisions qui deviennent immédiatement exécutoires
dans l’ensemble de leur territoire. Elle est en relations directes avec
toutes les entreprises. Elle obtient des ressources financières, non de
contributions des États, mais de prélèvements directement établis sur les
productions dont elle a la charge.
Elle est responsable, non devant les États, mais devant une Assemblée
européenne. L’Assemblée a été élue par les Parlements nationaux ; il est
déjà prévu qu’elle pourra être élue directement par les peuples. Les
membres de l’Assemblée ne sont liés par aucun mandat national ; ils
votent librement et par tête et non par nation. Chacun d’eux ne représente
pas son pays, mais la Communauté entière. L’Assemblée contrôle notre
action. Elle a le pouvoir de nous retirer sa confiance. Elle est la première
Assemblée européenne dotée de pouvoirs souverains. Les actes de la
Haute Autorité sont susceptibles de recours en justice. Ce n’est pas
devant des tribunaux nationaux que de tels recours seront portés, mais
devant un tribunal européen, la Cour de Justice.
Toutes ces institutions pourront être modifiées et améliorées à
l’expérience. Ce qui ne sera pas remis en question, c’est qu’elles sont des
institutions supranationales et, disons le mot, fédérales. Ce sont des
institutions qui, dans la limite de leur compétence, sont souveraines,
c’est-à-dire dotées du droit de décider et d’exécuter.
Le charbon et l’acier ne sont toutefois qu’une partie de la vie
économique. C’est pourquoi une liaison constante doit être assurée entre
la Haute Autorité et les Gouvernements qui demeurent responsables de la
politique économique d’ensemble de leurs États. Le Conseil des
Ministres a été créé, non pour exercer un contrôle ou une tutelle, mais
pour établir cette liaison et assurer l’harmonie entre la politique de la
Haute Autorité et celle des États membres.
Création du Marché unique européen du Charbon et de l’Acier
La tâche qui nous est confiée par le Traité est lourde. Nous devons établir
et maintenir un marché unique du charbon et de l’acier sur tout le
territoire de la Communauté. Dans quelques mois, toutes les entraves
douanières, toutes les restrictions quantitatives, toutes les discriminations
seront éliminées. Le charbon et l’acier ne connaîtront plus de frontières à
l’intérieur de la Communauté ; ils seront à la disposition de tout acheteur
dans les mêmes conditions.
Le Traité, qui est la première loi anti-trust de l’Europe, nous donne
mandat de dissoudre les cartels, d’interdire les pratiques restrictives,
d’empêcher toute concentration excessive de pouvoirs économiques.
Ainsi, dans un régime de saine concurrence, la production du charbon et
de l’acier sera véritablement au service des consommateurs.
Le Traité nous prescrit d’intervenir, s’il est nécessaire, pour atténuer les
effets des fluctuations économiques, pour faciliter le développement et la
modernisation de ces industries. Dans le grand effort de développement
économique qui va être poursuivi, nous aurons particulièrement à l’esprit
la préoccupation de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et
de travail de la main-d’œuvre, permettant leur égalisation dans le
progrès.
Que signifiera dans la vie quotidienne des citoyens de nos six pays ce
marché unique du charbon et de l’acier pour 155 millions de
consommateurs ? On dira sans doute que peu d’entre eux achètent du
charbon et de l’acier en quantité importante. Mais le charbon et l’acier
interviennent dans la fabrication de tout ce dont l’homme moderne a
besoin : le gaz, l’électricité, les outils, les machines, les automobiles. Par
la charrue et le tracteur, par l’équipement textile ou la machine à coudre,
par l’armature du béton, par l’échafaudage ou la charpente métallique, ils
ont leur part essentielle jusque dans nos maisons, nos vêtements, et notre
nourriture. Le charbon et l’acier plus abondants, de meilleure qualité, à
un prix plus bas, c’est la possibilité pour chacun d’acheter davantage, et
pour chaque famille d’obtenir un niveau de vie plus élevé. C’est
l’ampleur et la liberté du marché unique qui permettront de développer
une production de masse, seul moyen d’obtenir la diminution des prix de
revient, le développement des débouchés et l’expansion de la production.
Mais ce marché unique qui englobe les territoires de nos six pays a
encore une autre signification. Comment ne pas être frappé, en
considérant les activités soumises à la Communauté, par cette
extraordinaire concentration de fer et de charbon, par la densité de ces
ressources minières et de ces installations industrielles qui, dans un
espace aussi limité, constituent sans doute un ensemble unique au monde.
Voyez comme le bassin du nord de la France se prolonge vers la
Belgique, comme les charbonnages belges se raccordent aux
charbonnages d’Aix et de la Ruhr, regardez la Campine partagée entre la
Belgique et les Pays-Bas, et ce même charbon réparti entre la Sarre et la
Lorraine, ce même minerai de fer entre la Lorraine et le Luxembourg !
Ces ressources dont la nature a fait l’actif industriel essentiel de l’Europe,
ont été l’enjeu des luttes entre États et des entreprises de domination. En
effaçant les divisions que les hommes ont arbitrairement introduites, il
s’agit aujourd’hui de recréer ce bassin naturel dont ils ont morcelé l’unité
et limité le développement.
Ce discours de l’abbé Pierre est plutôt un appel. Un appel au secours qu’il lance sur les ondes
de Radio-Luxembourg (future RTL) et qui fera de lui une personnalité incontournable de la
société française. Il est vrai que cet hiver 1954 a été particulièrement rigoureux. L’abbé Pierre
alerte la population française sur le fait que les sans-abri meurent gelés dans les rues de Paris.
Son appel très émouvant sera entendu par les auditeurs qui enverront des dons à hauteur de
500 millions de francs, somme considérable pour l’époque et totalement inattendue. Des dons
en nature seront également envoyés de partout. N’en restant pas là, l’abbé Pierre propose au
Sénat un projet de cités d’urgence pour les sans-abri. Son cri d’alarme est devenu si célèbre
qu’il a donné lieu à un long-métrage (Hiver 54, l’abbé Pierre, 1989).
Tard dans la nuit, devant une assemblée réunie à huis clos pour la première fois depuis la mort
de Staline (1953) lors du XXe congrès du Parti communiste, Khrouchtchev dénonce la
politique et la personnalité de son prédécesseur.
Au cours de l’année précédente, la commission Chvernik dirigée par Nikolaï Chvernik, chef
nominal de l’État sous Staline, a été mise en place, avec comme mission d’enquêter sur la
répression organisée du temps de Staline notamment la Grande Purge de 1937-1938 qui se
solda par l’arrestation de pas moins d’1,5 million de membres du Parti. Nombreux furent
torturés et quelque 680 000 furent exécutés.
Si les rapports n’ont pas été rendus publics, Khrouchtchev s’inspire largement des
conclusions pour bâtir son discours se polarisant notamment sur les points suivants : le non-
respect des principes marxistes-léninistes par Staline, sa confiance absolue en un état policier
aux pratiques terrifiantes et sa vanité. Le « culte de la personnalité » deviendra un
euphémisme utilisé pour parler des crimes commis sous les ordres de Staline.
Le discours prononcé à huis clos dont sont tirés les extraits les plus emblématiques ci-après,
dura plus de trois heures. Le discours ne sera pas gardé secret et rapidement les pays du bloc
de l’Est en prendront connaissance, ouvrant la voie de la réconciliation avec Josip Tito, plus
communément appelé, Maréchal Tito et les communistes de Yougoslavie.
Puis ce fut au tour des pays occidentaux de découvrir la teneur du discours –
vraisemblablement avec l’accord tacite des autorités soviétiques –, notamment grâce à une
publication dans un journal américain quelques mois plus tard. Il faudra, toutefois, attendre
1989 pour que le discours soit officiellement publié en Russie. Les relations des pays de
l’ouest avec Khrouchtchev furent souvent tourmentées mais le discours est maintenant perçu
comme un tournant dans la libéralisation de l’Europe de l’Est.
« Même les tsars n’ont pas créé de prix portant leur nom »
Le discours ci-après est une lueur d’optimisme dans l’histoire tumultueuse de la politique
congolaise. Patrice Lumumba prononça cette allocution pleine d’enthousiasme devant la
Chambre congolaise, une semaine avant la déclaration officielle de l’indépendance du pays.
La prise de parole fut précédée par l’annonce des membres du Conseil des ministres,
Lumumba ayant été nommé aux postes de Premier ministre et de ministre de la Défense
nationale.
Dans ce discours, Lumumba fait l’éloge du gouvernement à la Chambre et exprime son désir
d’établir l’ordre public. Il essaie également d’asseoir la position du Congo en tant que pays
véritablement indépendant qui ne se range ni du côté des États-Unis ni du côté de l’URSS et,
par-delà, reconnaît la nécessité de bénéficier du soutien du gouvernement belge.
Les politiques répressives et les combats économiques qui marquèrent les longues années de
gouvernance de Fidel Castro ont porté atteinte au statut de héros du dirigeant cubain ce qui ne
fut pas le cas de son bras droit. En effet, Che Guevara du fait de son physique et de sa mort
prématurée (il fut exécuté à l’âge de 39 ans), est aujourd’hui encore considéré comme une
figure iconique.
Mais le Che – Che étant une interjection argentine utilisée pour interpeller une personne – est
bien plus qu’un bellâtre devenu une icône. Alors qu’il poursuit ses études de médecine,
Ernesto Guevara se passionne pour la politique, l’économie et l’idéologie marxiste, ce qui lui
vaudra de devenir, quelques années plus tard, un fin stratège guérillero. Le philosophe Jean-
Paul Sartre ira jusqu’à dire de lui : « Il fut l’être humain le plus complet de notre époque. »
Durant la révolution cubaine menée par Fidel Castro, Guevara vécut deux ans dans la Sierra
Maestra, le plus grand massif montagneux de Cuba. Il conduisit avec d’autres
révolutionnaires, une armée majoritairement constituée de paysans à la victoire et au
renversement du régime despotique du général Fulgencio Batista. Après la nomination de
Fidel Castro au poste de Premier ministre, Cuba connaît un développement socio-économique
fulgurant. Le pays fait alors alliance avec l’URSS au mépris des sanctions prises par les États-
Unis. Guevara met alors en place des réformes révolutionnaires, devient un exemple pour le
peuple cubain qui se prend d’affection pour lui.
Le discours ci-après s’adresse à des professionnels de la santé réunis lors de la Confédération
des travailleurs cubains. Guevara évoque ses racines professionnelles et établit un lien entre la
médecine et la mise en place des principes égalitaires.
Invariablement vêtu d’un treillis vert et d’un béret noir – même lorsqu’il prend la parole aux
Nations unies en 1964 –, fumant cigare sur cigare malgré un asthme sévère, le Che est décrit
comme un orateur impétueux, dont les discours sont, comme en témoignent ses
contemporains, empreints de « charisme » et de « sens moral ». Même si les relations qu’il
entretenait avec Castro s’envenimèrent au fil du temps, à Cuba le Che est, aujourd’hui encore,
considéré comme un héros national.
En juin 1963, le président Kennedy quitte le sol américain pour se rendre en Europe de
l’Ouest. C’est avec enthousiasme qu’il décide que le premier des cinq pays qu’il entend
visiter sera l’Allemagne de l’Ouest et plus précisément Berlin. Enclavée en Allemagne de
l’Est, la ville est divisée en deux : Berlin-Ouest et Berlin-Est – la frontière étant matérialisée
par un mur érigé en août 1961 afin d’empêcher les ouvriers qualifiés de fuir et passer en
Allemagne de l’Ouest, mettant ainsi en danger l’économie de l’Allemagne de l’Est.
Le mur est une structure en béton, avec des miradors, des postes de mitrailleuses, des mines,
haute de 3,60 m (4,50 m par endroits) et longue de 155 km.
Quelque 120 000 Berlinois viendront acclamer le président des États-Unis lors de son
discours prononcé sur les marches de l’hôtel de ville, Schöneberger Rathaus, à proximité du
mur. Si après coup, sa déclaration Ich bin ein Berliner (Je suis un Berlinois) fera railler ses
détracteurs, un Berliner étant un beignet, le discours de Kennedy ne fait absolument pas rire
la foule qui reçoit ses paroles comme un encouragement et un défi lancé aux voisins
communistes.
« Je suis fier d’être venu dans cette ville en tant qu’invité de votre
distingué maire2 qui a symbolisé dans le monde entier l’esprit combattif
de Berlin-Ouest. Je suis fier d’avoir visité la République fédérale
d’Allemagne [l’Allemagne de l’Ouest] avec votre éminent chancelier3
qui, durant de si nombreuses années, a œuvré pour la démocratie, la
liberté et le progrès en Allemagne. Je suis fier d’être ici en compagnie du
général Clay4 qui était présent dans cette ville au plus profond de la crise
et qui reviendra si jamais cela s’avère nécessaire.
Il y a 2 000 ans, les hommes s’enorgueillissaient de pouvoir dire civis
Romanus sum [Je suis un citoyen romain]. Aujourd’hui, dans le monde
de la liberté, on doit s’enorgueillir de dire Ich bin ein Berliner.
[…] Dans le monde, nombre d’individus ne comprennent pas ou
prétendent ne pas comprendre ce qui oppose le monde libre et le
communisme. Qu’ils viennent donc à Berlin. Certains disent que le
communisme est la voie de l’avenir. Qu’ils viennent à Berlin. D’autres
disent qu’en Europe et ailleurs, nous pouvons travailler avec les
communistes. Qu’ils viennent à Berlin. Il y en a même qui disent que
c’est vrai que le communisme est mauvais en soi mais qu’il nous permet
de faire progresser l’économie.
Lass’ sie nach Berlin kommen. Qu’ils viennent à Berlin.
La liberté passe par nombre de difficultés à surmonter et la démocratie
n’est pas parfaite. Mais nous n’avons jamais eu à édifier un mur pour
enfermer notre peuple – pour l’empêcher de nous quitter. Je veux dire, au
nom de mes concitoyens qui vivent à des milliers de kilomètres de l’autre
côté de l’Atlantique, à ces hommes et à ces femmes qui sont si loin de
vous, que nous sommes fiers d’avoir pu partager avec vous, malgré la
distance, l’histoire de ces dix-huit dernières années.
Je ne connais aucune ville – grande ou petite – qui, bien qu’ayant été
assiégée pendant dix-huit ans, a survécu et affiche la vitalité, la force,
l’espoir et la détermination qui caractérisent Berlin-Ouest.
Alors que le mur est la plus évidente et la plus flagrante preuve de la
défaillance du système communiste – ce que le monde entier peut voir –,
nous ne tirons aucune satisfaction de cette construction car le mur est,
comme votre maire l’a dit, une offense non seulement à l’histoire mais
aussi une offense à l’humanité, séparant des familles, divisant des maris
et des femmes, des frères et des sœurs, et divisant un peuple qui ne
demande qu’à être uni.
Ce qui est vrai pour cette ville est également vrai pour l’Allemagne :
« J’ai un rêve »
28 août 1963, Washington DC (États-Unis)
Ci-après l’un des discours les plus émouvants, stimulants et célèbres du XXe siècle prononcé
par Martin Luther King lors de la Marche vers Washington pour l’emploi et la liberté.
Organisée par le militant noir Philip Randolph (1889-1979), la Marche vers Washington est
née de la coopération entre les défenseurs des droits civiques dont la National Association for
the Advancement of Colored People, le Congress of Racial Equality et la Conférence des
chrétiens dirigeants du Sud fondée par Martin Luther King. Les organisateurs de la marche
espéraient, par ce moyen, que le décret sur les droits civiques de John F. Kennedy serait plus
rapidement approuvé par le Congrès.
Martin Luther King prononça le discours ci-après – discours qui fut retransmis à la télévision
et publié dans la presse – sur les marches du Lincoln Memorial devant quelque 250 000
personnes dont environ 50 000 individus de race blanche. La première moitié du discours, sur
laquelle il travailla jusqu’à 4 h 00 du matin, s’appuie sur des textes bibliques et politiques,
notamment la Proclamation d’émancipation de Lincoln et la Déclaration de l’indépendance
des États-Unis – pour revendiquer le droit à la liberté et à l’égalité des Afro-Américains. La
seconde partie, aussi incroyable que cela puisse paraître, fut totalement improvisée, Martin
Luther King étant convaincu qu’exprimer la vision qui était la sienne de l’harmonie entre les
races aurait une résonance profonde et serait entendue par la foule venue l’acclamer.
Je n’oublie pas que certains d’entre vous sont venus ici après avoir été
jugés et avoir subi moult souffrances. Certains d’entre vous viennent tout
juste de quitter une cellule de prison étroite. Certains d’entre vous
viennent de lieux où la quête de liberté les a exposés aux tempêtes des
persécutions et aux brutalités policières. Vous êtes les vétérans de la
souffrance créative. Continuez à œuvrer avec la conviction que la
souffrance non méritée est rédemptrice.
Retournez dans le Mississippi. Retournez en Alabama. Retournez en
Caroline du Sud. Retournez en Géorgie. Retournez en Louisiane.
Retournez dans les bidonvilles et les ghettos des villes du Nord
convaincus que, d’une manière ou d’une autre, cette situation peut
changer et changera. Ne nous embourbons pas dans la vallée du
désespoir, je vous le dis aujourd’hui mes amis [acclamations et
applaudissements]. Et même si nous sommes confrontés aux difficultés
d’aujourd’hui et de demain, je garde en moi un rêve. Et ce rêve est
profondément enraciné dans le rêve américain.
J’ai un rêve qu’un jour cette nation se relèvera et verra se réaliser son
credo : “Nous tenons ces vérités comme allant de soi, que tous les
hommes naissent égaux en droits.”
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des
premiers esclaves et les fils des premiers maîtres seront capables de
s’asseoir côte à côte à la table de la fraternité. J’ai un rêve qu’un jour
même l’État du Mississippi, un État étouffé par la chaleur de l’injustice,
étouffé par la chaleur de l’oppression, deviendra une oasis de liberté et de
justice. J’ai un rêve qu’un jour mes quatre jeunes enfants vivront dans
une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau mais
pour ce qu’ils sont. J’ai un rêve aujourd’hui.
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour, en Alabama, État connu pour ses racistes
haineux, son gouverneur qui n’a sur les lèvres que les mots interposition
et invalidation3, qu’un jour en Alabama, les petits garçons noirs et les
petites filles noires donneront la main à des petits garçons blancs et des
petites filles blanches comme s’ils étaient frères et sœurs. J’ai un rêve
aujourd’hui.
[Acclamations et applaudissements]
J’ai un rêve qu’un jour toues les vallées seront élevées, toutes les collines
et les montagnes seront nivelées, tous les lieux rugueux seront lissés et
tous les endroits tortueux seront redressés. Et que la gloire du Seigneur
sera révélée et que tous les hommes la verront ensemble4.
Tel est notre espoir.
Telle est la foi que je veux ramener avec moi dans le Sud. Avec cette foi,
nous serons capables de tailler dans la montagne du désespoir un bloc
d’espoir. Avec cette foi, nous serons capables de transformer les
dissensions fracassantes de notre nation en une belle symphonie de
fraternité. Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de
prier ensemble, de combattre ensemble, d’être emprisonnés ensemble,
d’œuvrer ensemble pour la liberté en sachant qu’un jour nous serons
libres.
[Applaudissements]
Et quand ce jour arrivera, tous les enfants de Dieu pourront chanter :
“Mon pays c’est toi, doux pays de liberté que je chante. Pays où mes
pères sont morts, pays dont les pèlerins sont fiers, sur tous les versants
des montagnes, qu retentisse la liberté !”5
Et si l’Amérique veut être une grande nation, ce jour doit arriver. Et que
la liberté retentisse de tous les sommets des collines prodigieuses du New
Hampshire. Que la liberté retentisse des montagnes toutes-puissantes de
New York. Que la liberté retentisse des hauteurs des Alleghanys en
Pennsylvanie. Que la liberté retentisse des sommets enneigés des
montagnes Rocheuses du Colorado. Que la liberté retentisse des pentes
douces de Californie. Mais pas seulement. Que la liberté retentisse de
Stone Mountain en Géorgie. Que la liberté retentisse de Lookout
Mountain au Tennessee. Que la liberté retentisse de toutes les collines et
de toutes les montagnes du Mississippi
[Acclamations et applaudissements]
Et quand cela se produira, quand nous laisserons cette liberté retentir,
quand cette liberté retentira de tous les villages et de tous les hameaux,
de tous les États et de toutes les villes, nous pourrons précipiter la venue
de ce jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et
les Gentils, les protestants et les catholiques pourront se donner la main
et entonner les paroles du vieux negro spiritual : “Enfin libres. Merci
Dieu Tout-Puissant, nous sommes enfin libres”. »
[Acclamations et applaudissements chaleureux]
25
Malcom X
Défenseur des droits civiques américain
Âgé d’une petite vingtaine d’années, Malcolm X (1925-1965), de son vrai nom Malcolm Little, est
incarcéré suite à un cambriolage. C’est en prison qu’il tombe sous l’influence d’Elijah Muhammad
(1897-1975), dirigeant de l’organisation Nation of Islam (NOI). Malcolm se convertit à l’islam et
prend le nom d’el-Hajj Malek el-Shabazz. À sa sortie de prison en 1952, il devient l’un des
principaux disciples d’Elijah Muhammad. Grâce à lui, la NOI qui ne comptait que quelques
partisans, prend de l’ampleur, Malcolm devenant l’un des meilleurs porte-parole du Black Power,
mouvement de lutte contre la ségrégation raciale. En 1964, il quitte officiellement la NOI et fonde
l’Organisation pour l’unité afro-américaine destinée à rassembler tous les individus n’étant pas de
race blanche. Si les positions et l’éloquence de Malcolm séduisent la plupart des Noirs qui vivent
dans les ghettos des villes des États du Nord, les dirigeants des mouvements de défense des droits
civiques modérés, quant à eux, n’adhèrent pas à son idéologie. En février 1965, Malcolm est abattu
de 15 balles alors qu’il prononce un discours dans la salle de bal Audubon à Harlem (New York).
« Le vote ou le fusil »
3 avril 1964, Cleveland (État de l’Ohio)
Le discours ci-après est une réponse véhémente aux événements majeurs de l’époque.
Comme le dit alors Malcolm X, « 1964 risque d’être l’année la plus explosive que l’Amérique
ait jamais connue ». Dans la course aux présidentielles de novembre, la population afro-
américaine veut croire en l’élection de Lyndon B. Johnson en faveur du projet de loi sur la
défense des droits civiques présenté par John F. Kennedy avant son assassinat, souhait qu’ils
expriment en refusant massivement le programme basé sur le militantisme prônant la non-
violence défendue par Martin Luther King.
La même année, Malcolm quitte le mouvement Nation of Islam et change de position,
affirmant que le combat pour l’égalité qui, autrefois, n’était que politique, se joue désormais
aussi dans la sphère économique.
Malcolm encourage la revendication au détriment du compromis. Alors que Martin Luther
King rêve d’une harmonie multi-raciale, Malcolm parle du « cauchemar » que sont la
discrimination raciale et les mauvais traitements infligés aux non-Blancs, la solution se
trouvant pour lui dans l’unité des Noirs et l’action des Noirs. Malcolm emprunte l’expression
« le vote ou le fusil » à l’abolitionniste du XIXe siècle Frederik Douglass mais les racines de
cette phrase sont ancrées dans l’histoire de l’Amérique et la guerre anti-colonialiste qui mit
fin à la suprématie anglaise outre-Atlantique.
Parler ainsi ce soir ne veut pas dire que nous sommes anti-Blancs mais
que nous sommes contre l’exploitation, contre la dégradation et contre
l’oppression. Et si l’homme blanc ne veut pas que nous soyons contre lui,
il doit cesser de nous opprimer, de nous exploiter et de nous
dégrader. […]
Si nous avons des divergences, parlons-en entre nous. Lorsque nous
descendons dans la rue, que rien ne nous oppose tant que nous n’avons
pas fini de discuter avec cet homme. Le président Kennedy aujourd’hui
disparu, a su trouver un accord avec Khrouchtchev et échanger du blé2
avec lui or nous avons certainement plus de choses en commun que n’en
avaient ces deux hommes.
Si nous ne faisons pas rapidement quelque chose de concret, je pense que
vous serez d’accord avec moi pour dire que nous serons obligés d’avoir
recours soit au vote soit au fusil. En 1964, ce sera l’un ou l’autre. Ce
n’est pas que le temps passe – c’est que le temps est déjà derrière nous !
Mille neuf cent soixante-quatre risque d’être l’année la plus explosive
que l’Amérique ait connue.
L’année la plus explosive. Pourquoi ? C’est une année politique. C’est
l’année où tous les politiciens blancs sont de retour dans la communauté
dite nègre et nous baratinent vous et moi pour gagner quelques voix.
C’est l’année où tous les escrocs blancs du monde politique vont arriver
dans notre communauté, à vous et à moi, avec des promesses
fallacieuses, faisant naître l’espoir pour ensuite nous décevoir, avec leurs
supercheries et leurs traîtrises, leurs fausses promesses qu’ils n’ont
nullement l’intention de tenir. Nourrir les rancœurs ne peut mener qu’à
une seule chose, une explosion et maintenant sur la scène américaine se
tient un type d’homme noir – désolé Frère Lomax – qui n’a absolument
pas l’intention de tendre l’autre joue. [...]
Je ne suis pas un politicien, je ne suis pas un étudiant en sciences
politiques, je n’étudie rien. Je ne suis pas démocrate. Je ne suis pas
républicain. Je ne me considère même pas comme un Américain. Si nous
étions américains, vous et moi, il n’y aurait pas de problème. Ces sales
Blancs3 qui viennent juste de débarquer, eux sont déjà américains. Les
Polaques4 sont déjà américains. Les réfugiés italiens sont déjà américains.
Tout ce qui arrive d’Europe, tout ce qui a les yeux bleus est déjà
américain. Alors que vous et moi qui sommes ici depuis de longues
années, nous ne sommes toujours pas américains.
Je ne suis pas de ceux qui se bercent d’illusions. Je ne vais pas m’asseoir
à votre table et vous regarder manger, alors que mon assiette est vide, et
dire que je dîne. Vivre ici en Amérique ne fait pas de vous un Américain.
Être né sur le sol américain ne fait pas de vous un Américain. Si être né
sur le territoire américain faisait de vous un Américain, vous n’auriez pas
besoin de loi. Vous n’auriez pas besoin d’amendement à la Constitution.
Vous ne seriez pas confrontés à l’obstruction parlementaire qui sévit
actuellement à Washington DC. Ils n’ont pas besoin de légiférer sur les
droits civiques pour qu’un Polaque devienne américain.
L’un des 22 millions de Noirs qui sont les victimes de la démocratie, qui
n’est rien d’autre qu’une hypocrisie dissimulée. […]
Ces 22 millions de Noirs sont en train de se réveiller. Leurs yeux sont en
train de s’ouvrir. Ils commencent à voir ce qu’ils se contentaient
jusqu’alors de regarder. Ils commencent à comprendre ce qui se passe sur
le plan politique. [...]
[…] Lorsque Kennedy et Nixon menaient campagne pour les
présidentielles, leurs scores étaient si proches qu’il a fallu compter et
recompter les voix5. Qu’est-ce que cela signifie d’après vous ? Eh bien
que lorsque les Blancs sont à égalité et que les Noirs votent en force,
c’est à eux qu’il revient de décider qui va siéger à la Maison-Blanche et
qui va retourner à la maison.
C’est le vote de l’homme noir qui a mis en place l’actuelle administration
à Washington DC. Votre vote, votre vote stupide, votre vote ignorant,
votre vote dilapidé qui a mis l’administration en place à Washington DC,
cette administration qui a fait voter toutes les lois inimaginables, vous
gardant pour la fin et qui, au final, a opté pour l’obstruction
parlementaire.
Et ceux qui nous dirigent, vous et moi, ont le toupet de courir dans tous
les sens en frappant dans leurs mains et en évoquant tous les progrès que
nous sommes en train de faire. En soulignant quel bon président nous
avons. Mais s’il n’a pas été bon au Texas comment peut-il être bon à
Washington DC6. [...]
Et ces dirigeants noirs ont le toupet d’aller boire un café à la Maison-
Blanche avec un pauvre blanc texan, un pauvre blanc du Sud – car c’est
tout ce qu’il est – et à la sortie ils osent nous dire, à vous et à moi, qu’il
est ce qu’il y a de mieux pour nous car c’est un gars du Sud qui sait
comment traiter avec les sudistes. Quelle logique y a-t-il dans tous ça ?
Dans ce cas, pourquoi ne pas élire Eastland7 comme président ? Après
tout lui aussi est du Sud et il y a fort à parier qu’il saura mieux s’y
prendre avec les Sudistes que Johnson.
Sous l’actuelle administration, la Chambre des représentants compte 257
démocrates contre seulement 177 républicains. Les démocrates ont les
deux tiers des voix à la Chambre. Pourquoi ne votent-ils pas des lois qui
pourraient nous venir en aide, à vous et à moi ? Le Sénat compte 67
sénateurs membres du Parti démocrate. Seuls 33 sénateurs sont
républicains. Pourquoi les démocrates ont-ils tout le pouvoir ? Parce que
vous le leur avez donné.
Et que vous ont-ils donné en retour ? Ce n’est qu’après quatre années aux
commandes qu’ils envisagent de légiférer pour la défense des droits
civiques […] Ils voulaient les voix des nègres, ils les ont obtenues mais
les nègres n’ont rien eu en échange. Lorsqu’ils sont arrivés à Washington,
ils ont mis quelques nègres influents à des postes importants. Mais ces
nègres-là n’avaient pas besoin de ces postes car ils avaient déjà un
boulot. Ce n’est qu’une mise en scène, une duperie, une traîtrise, du pur
étalage. […]
Ne vous en prenez pas à votre patron, c’est le gouvernement seul, le
gouvernement américain qui est responsable de l’oppression, de
l’exploitation et de la dégradation du peuple noir dans ce pays. Et il faut
le lui jeter à la figure. Le gouvernement a manqué à tous ses devoirs vis-
à-vis des nègres. Cette soi-disant démocratie n’a pas joué son rôle vis-à-
vis des nègres. Tous ces libéraux blancs ont laissé tomber les nègres. […]
Regardons les gens qui se trouvent ici aujourd’hui. Ils sont pauvres. Pris
individuellement, nous sommes tous pauvres. Pris individuellement, nos
salaires hebdomadaires ne représentent rien. Mais si vous prenez le
salaire de toutes les personnes ici réunies, il y a de quoi remplir des sacs
entiers. Ces salaires représentent pas mal d’argent. Si vous gagniez ce
que gagnent en un an toutes les personnes réunies ici, vous seriez riche.
Vous seriez même plus que riche. Et si vous allez plus loin encore dans
ce raisonnement, imaginez à combien se monte la richesse de l’Oncle
Sam qui ne se contente pas de ce que gagne une poignée de Noirs mais
de ce que gagnent des millions de Noirs. Votre mère, votre père, ma
mère, mon père qui ne travaillaient pas huit heures par jour mais qui
étaient à pied d’œuvre avant le lever du soleil jusque tard dans la nuit,
travaillaient pour rien si ce n’est pour enrichir l’homme blanc, pour
enrichir l’Oncle Sam. Tel fut notre investissement. Telle fut notre
contribution. C’est notre sang que nous avons donné.
Car comme si travailler gratuitement ne suffisait pas, nous avons donné
notre sang. À chaque appel aux armes, nous avons été les premiers à
prendre l’uniforme. Nous avons perdu des vies sur le champ de bataille
des Blancs. Nous avons fait plus de sacrifices pour l’Amérique que
quiconque. C’est nous qui avons le plus donné et c’est nous qui avons
reçu le moins. [...]
Je souhaiterais m’attarder sur un point. Lorsque vous réclamez quelque
chose qui vous appartient, celui qui veut vous priver du droit d’avoir
cette chose est un criminel. Vous devez le comprendre. Lorsque vous
réclamez quelque chose qui est à vous, vous êtes dans votre droit et vous
pouvez le revendiquer. Celui qui s’efforce de vous dépouiller de ce qui
vous appartient enfreint la loi et est un criminel. C’est ce qui ressort de la
décision de la Cour suprême. La ségrégation est une infraction à la loi.
Autrement dit, la ségrégation est contraire à la loi.
Autrement dit, un ségrégationniste enfreint la loi. Un ségrégationniste est
un criminel. On ne peut le qualifier différemment. Et lorsque vous
manifestez contre la ségrégation, la loi est de votre côté. La Cour
suprême est de votre côté.
Mais qui vous empêche de faire appliquer la loi ? Les services de police
eux-mêmes. Avec leurs chiens et leurs matraques. Lorsque vous
manifestez contre la ségrégation, que ce soit en matière d’éducation, de
logement ou tout autre domaine, la loi est de votre côté et celui qui vous
barre la route ne fait plus respecter cette loi. Il enfreint la loi. Il n’est plus
digne de faire appliquer la loi.
À chaque fois que vous manifestez contre la ségrégation et qu’un homme
a l’audace de jeter un chien policier contre vous, tuez le chien, je vous le
dis, tuez-le. Je vous le dis et même s’ils me mettent en prison demain, je
vous le redis, tuez ce chien. C’est la seule manière d’en finir avec ces
pratiques. Maintenant si les Blancs qui sont ici ne veulent pas assister à
ce genre de situation, qu’ils aillent voir le maire et qu’ils lui demandent
de dire aux forces de l’ordre de tenir leurs chiens. C’est tout ce que vous
avez à faire. Si vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre le fera.
Si vous ne prenez pas ce genre de mesures, vos enfants en grandissant
auront honte de vous lorsqu’ils vous regarderont. Si vous ne vous
positionnez pas catégoriquement, je ne dis pas descendre dans la rue et
vous livrer à des actes de violence. Soyez non-violents si on se comporte
de manière non-violente envers vous. Je suis non-violent envers tous
ceux qui sont non-violents envers moi. Mais si vous faites preuve de
violence à mon égard alors je deviens fou et je ne réponds plus de mes
actes. Et c’est comme cela que devraient se comporter tous les nègres.
À chaque fois que vous savez que vous agissez en toute légalité, dans le
respect des droits civiques, des droits moraux et en accord avec la justice,
vous pouvez mourir pour défendre vos convictions. Mais ne soyez pas le
seul à mourir. Ce qui vaut pour vous, vaut aussi pour l’autre.
Car c’est cela l’égalité. Car nous sommes tous logés à la même
enseigne. [...]
Il est le plus grand hypocrite qui soit sur Terre. Il a l’audace – oui, il l’a –
de se voir dans la peau du dirigeant du monde libre. Le monde libre ! Et
vous ici réunis, vous chantez We Shall Overcome 8. Faites que la lutte
pour les droits civiques devienne la lutte pour les droits de l’Homme.
Défendez cette cause devant les Nations unies où nos frères africains
peuvent nous soutenir, où nos frères asiatiques peuvent nous soutenir, où
nos frères latino-américains peuvent nous soutenir, où 800 millions de
Chinois attendent et sont prêts à nous soutenir.
Que le monde sache que l’Oncle Sam a les mains couvertes de sang. Que
le monde soit au courant de toute cette hypocrisie qui nous gouverne.
Qu’il sache que ce sera le vote ou le fusil. Que l’Oncle Sam sache que ce
sera le vote ou le fusil. »
26
André Malraux
Écrivain et homme politique français
André Malraux (1901-1976), né à Paris, est un aventurier avant de devenir écrivain. Il a notamment
été emprisonné dans les années 1920 pour vol et recel d’antiquités sacrées khmères. Il obtient le prix
Goncourt en 1933 avec son roman La Condition humaine qui sera le premier livre à paraître dans la
collecion « Folio » en 1972 (il porte le numéro 1). Il rejoint les rangs de la Résistance en 1944. Le
général de Gaulle lui confie le portefeuille de la Culture entre 1959 et 1969. Il poursuit sa carrière
d’écrivain et s’éteint le 23 novembre 1976. Vingt ans après sa disparition, ses cendres sont
transférées au Panthéon.
Alors qu’il est ministre d’État chargé des Affaires culturelles, André Malraux prononce cette
oraison funèbre restée célèbre à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au
Panthéon, le 19 décembre 1964 en présence du général de Gaulle à qui, selon le protocole, le
discours est adressé. Jean Moulin, figure légendaire de la Résistance, a créé le Conseil
national de la Résistance (CNR). Arrêté le 21 juin 1943 à Caluire-et-Curie, il est interné à la
prison Monluc, à Lyon et torturé par Klaus Barbie. Les circonstances de sa mort en
juillet 1943 restent obscures. Son corps – il reste une incertitude sur son identité – est incinéré
et ses cendres sont déposées au cimetière du Père-Lachaise. L’urne est transférée au Panthéon
en 1964.
Le scandale du Watergate éclate le 17 juin 1972 lorsque la police arrête cinq hommes qui
viennent de s’introduire dans les bureaux du Parti démocrate situés dans l’immeuble du
Watergate à Washington DC. Rapidement, un lien est établi entre les cambrioleurs et le Parti
républicain et plus précisément le comité pour la réélection du président Nixon.
Si Nixon n’a probablement pas eu connaissance de ce qui se préparait – les malfaiteurs se
sont introduits trois semaines plus tôt dans l’immeuble pour installer un système d’écoute –, il
prend rapidement conscience que cette affaire risque de compromettre sa réélection. Il donne
alors l’ordre au FBI (Federal Bureau of Investigation) de stopper l’enquête, achète le silence
des cinq cambrioleurs et ordonne à son conseiller juridique John Dean d’éliminer toute trace
d’implication du gouvernement.
Au début de l’année 1973, les tractations sont révélées au grand jour. Le Washington Post
s’est déjà emparé du sujet et, en février, un comité de sénateurs est créé spécifiquement pour
enquêter sur l’affaire. Lors d’une audience publique diffusée à la télévision, John Dean accuse
Nixon d’avoir tenté de dissimuler les faits. La réponse de Nixon ne se fait pas attendre. Il
démet Dean de ses fonctions. Dans la foulée, trois autres collaborateurs du Président
démissionnent.
Dans le discours ci-après, prononcé depuis le bureau ovale de la Maison-Blanche à 9 h 00 du
matin, le président Nixon rend publiques les démissions des membres de son gouvernement et
clame son innocence. Nixon essaie de sauver la face en prétendant avoir commis des erreurs
mais pas à des fins personnelles. Il affirme vouloir préserver l’intégrité de la Maison-Blanche,
faire que l’Amérique soit un monde d’opportunité, un monde de paix et demande que soit
créé un climat de bienséance et de civilité. Le scandale du Watergate le rattrapera, l’obligeant
à démissionner quelques mois plus tard.
« Bonsoir,
Je veux, du fond du cœur, vous parler aujourd’hui d’un sujet qui inquiète
profondément tous les Américains.
Au cours de ces derniers mois, des membres de mon Administration et
des officiels faisant partie du Comité pour la réélection du préseident – y
compris certains de mes plus proches amis et de mes conseillers les plus
fidèles – ont été accusés d’être impliqués dans ce que tous appellent
aujourd’hui l’affaire du Watergate. Parmi les charges retenues, une
activité illicite durant et avant l’élection présidentielle de 1972 et la
dissimulation par des hauts responsables de cette activité illicite.
Inévitablement, ces accusations ont eu pour conséquence de faire naître
de sérieux soupçons quat à l’intégrité de la Maison-Blanche elle-même.
Ce soir, je tiens à lever ces soupçons.
Le 17 juin dernier, alors que je prenais quelques jours de repos en Floride
après ma visite à Moscou1, j’ai appris par le biais des médias que des
malfaiteurs s’étaient introduits dans le bâtiment du Watergate. J’ai été
consterné par cet acte insensé et illégal et choqué d’apprendre que les
employés du Comité pour la réélection du président faisaient a priori
partie des coupables. J’ai immédiatement ordonné qu’une enquête soit
faite par les autorités gouvernementales compétentes. Le 15 septembre,
comme vous vous en souvenez certainement, sept mises en accusation
ont été prononcées.
Alors que les recherches avançaient, j’ai demandé à plusieurs reprises
aux enquêteurs s’il y avait une quelconque raison de croire que des
membres de mon Administration pussent d’une manière ou d’une autre
être impliqués. À chaque fois, ils m’ont assuré que non. […]
Jusqu’en mars de cette année, j’ai toujours eu la conviction que les
démentis étaient vrais et que les accusations à l’encontre de certains
membres du personnel de la Maison-Blanche étaient fausses. Les
commentaires que j’ai faits alors et les commentaires que le porte-parole
de la Maison-Blanche a faits en mon nom étaient fondés sur les
renseignements qui nous parvenaient à cette époque. Cependant, de
nouvelles informations m’ont persuadé qu’il y avait de bonnes raisons de
croire que certaines accusations pussent être vraies et que de nombreux
efforts avaient été faits afin de dissimuler la vérité à la population, à vous
et à moi.
Résultat, le 21 mars, j’ai pris personnellement la responsabilité de
coordonner de nouvelles enquêtes et j’ai personnellement ordonné aux
enquêteurs de réunir tous les faits et de m’aviser directement de
l’avancée du dossier ici même dans ce bureau d’où je vous parle.
J’ai à nouveau ordonné que les personnes faisant partie du gouvernement
ou du Comité pour la réélection coopèrent entièrement avec le FBI, les
procureurs et le grand jury. J’ai également ordonné que toute personne
refusant de coopérer et de dire la vérité soit priée de démissionner de ses
fonctions. Enfin, en adoptant des règles fondamentales pour préserver la
séparation, constitution réelle des pouvoirs entre le Congrès et la
présidence, j’ai ordonné que les membres du personnel de la Maison-
Blanche témoignent sous serment devant le comité sénatorial chargé de
l’enquête sur le Watergate.
J’étais déterminé à ce que nous allions au fond de ce dossier et que la
vérité soit établie – et ce, quelles que soient les personnes
impliquées. […]
Parallèlement, j’étais décidé à ne pas précipiter les choses et à éviter, si
possible, que certains faits rejaillissent sur des innocents. Je voulais être
juste. Mais je savais qu’au bout du compte, l’intégrité de ce bureau – et la
croyance de la population en l’intégrité de ce bureau – aurait le dessus
sur toutes les autres considérations personelles.
Lorsqu’on reprend l’historique de cette affaire, deux questions se posent.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Qui sont les responsables ?
Les journalistes politiques ont, à juste titre, fait remarquer qu’au cours
des 27 années que j’ai consacrées à la politique, j’ai toujours insisté sur le
fait que jusqu’à ce jour j’ai toujours mené mes propres campagnes
électorales.
Mais 1972 n’a pas été une année comme une autre. Tant en politique
intérieure qu’en politique extérieure, 1972 fut une année marquée par des
décisions de la plus grande importance, des négociations ardues, des
nouvelles orientations fondamentales pour atteindre le but qui fut ma
préoccupation majeure tout au long de ma carrière politique à savoir
instaurer la paix en Amérique, la paix dans le monde.
C’est pourquoi j’ai décidé, alors que la campagne de 1972 approchait,
que la présidence devait l’emporter sur la politique. Dans la mesure du
possible, j’ai donc cherché à déléguer tout le côté opérationnel de la
campagne et à faire en sorte que les décisions au jour le jour soient
traitées à l’extérieur du bureau présidentiel et même de la Maison-
Blanche. J’ai également, comme vous devez vous en souvenir,
drastiquement limité le nombre de mes apparitions publiques à des fins
électorales.
Qui, par conséquent, est responsable de ce qui est arrivé ?
Pour ce qui est des actes criminels spécifiques commis par des individus
identifiés, ceux qui ont commis ces actes doivent, bien entendu, en
endosser la responsabilité et être punis.
Pour ce qui est des actes présumés inadéquats qui se seraient déroulés au
sein de la Maison-Blanche ou au sein de l’organisation en charge de ma
campagne, le plus simple serait pour moi de faire endosser la
responsabilité de ce qui s’est passé aux personnes auxquelles j’ai délégué
la responsabilité de mener ma campagne. Mais ce serait faire preuve de
lâcheté.
Je ne ferai pas endosser la responsabilité à mes subordonnés – à des
personnes dont le zèle a dépassé le jugement et qui, peut-être ont mal agi
alors qu’elles pensaient sincèrement faire ce qu’il fallait.
Dans n’importe quelle entreprise, l’homme qui est à la tête est celui qui
doit endosser toute responsabilité. Cette responsabilité, par conséquent,
appartient à celui qui siège dans ce bureau et je l’accepte. Ce soir, je vous
promets, ici même dans ce bureau, que je ferai tout ce qui est en mon
pouvoir pour que les coupables soient livrés à la justice et que toutes
malversations soient éliminées de notre fonctionnement politique dans
les années à venir, alors que j’aurai quitté ce bureau depuis bien
longtemps.
Certaines personnes, horrifiées à juste titre par les actes qui ont été
commis, diront que le Watergate est la preuve de l’effondrement du
système politique américain. Or, je pense sincèrement que c’est tout le
contraire.
[…] Le Watergate est le reflet d’actes illégaux et de mauvais jugements
commis par quelques individus. C’est le système qui a fait la lumière sur
ces faits et qui va mener les coupables devant la justice – un système qui,
dans cette affaire, est constitué d’un grand jury déterminé, de procureurs
honnêtes, d’un juge courageux John Sirica2, et d’une presse libre
résolue3.
Il est, maintenant, primordial que nous fassions de nouveau confiance à
ce système – notamment au système judiciaire. Il est primordial que nous
laissions le système judiciaire avancer dans le respect de ces garanties qui
ont été mises en place pour protéger les innocents mais aussi condamner
les coupables. Il est primordial qu’en réagissant aux excès des autres,
nous ne tombions pas nous-mêmes dans l’excès. Il est également
primordial que nous ne laissions pas notre attention être détournée par
des événements comme celui-ci à un point tel que nous négligions le
travail que nous devons faire pour la nation, pour l’Amérique à une
époque cruciale pour l’Amérique et le monde.
Depuis le mois de mars soit depuis que je sais que l’affaire du Watergate
est en fait être beaucoup plus grave que je ne le croyais, j’ai consacré
beaucoup de mon temps et de mon attention à ce dossier. Quelles que
soient les suites qui y seront données, quelles que soient les décisions du
grand jury, quel que soit le verdict des procès qui pourraient avoir lieu, je
dois maintenant me remettre au travail – et je vais le faire. Je le dois. Je
le dois à ce grand bureau que j’occupe et je vous le dois à vous – à mon
pays... Nous avons fort à faire pour maintenir la paix dans le monde – le
travail ne peut pas attendre, le travail doit être fait...
Lorsque je pense à ce bureau – et à ce qu’il signifie – je pense à toutes
ces choses que je veux accomplir pour la nation, à toutes ces choses que
je veux accomplir pour vous.
Le 24 décembre, alors que j’ai dû prendre cette terrible décision de
bombarder une nouvelle fois le Nord-Viêt Nam4, qui après douze années
de guerre a finalement accepté que l’Amérique apporte la paix sans que
son honneur ne soit perdu, je me suis assis juste avant que les douze
coups de minuit retentissent. J’ai noté sur une feuille de papier les
objectifs que je me fixais pour mon second mandat de Président. Laissez-
moi vous lire ce que j’ai écrit :
“Faire que nos enfants et les enfants de nos enfants vivent dans un monde
de paix.
Faire que ce pays soit plus que jamais un monde d’opportunité – une
même et entière opportunité pour tous les Américains.
Faire que toutes celles et tous ceux qui peuvent travailler aient un emploi
et aider généreusement celles et ceux qui ne peuvent pas travailler.
Créer un climat de bienséance et de civilité où chacun respecte les
sentiments et la dignité de son voisin ainsi que les droits que Dieu lui a
donnés.
Faire de ce pays un monde où chacun puisse rêver et réaliser ses rêves –
pas dans la peur mais dans l’espoir – en étant fier de sa communauté,
fier de son pays, fier de ce que l’Amérique représente pour lui et pour le
monde.”
Je vous l’accorde, ces objectifs sont ambitieux. Je crois que nous
pouvons, nous devons travailler pour les atteindre. Mais nous n’y
parviendrons pas si nous nous concentrons sur un autre objectif.
Nous devons maintenir l’intégrité de la Maison-Blanche et cette intégrité
doit être une réalité et non une illusion. Il ne peut y avoir de blanchiment
à la Maison-Blanche.
Nous devons réformer notre processus politique, le débarrasser non
seulement des infractions à la loi mais aussi de cette horrible violence
collective et autres tactiques de campagnes inexcusables qui ont été trop
souvent pratiquées et trop facilement acceptées dans le passé, y compris
celles qui, peut-être, étaient une réponse de la part des uns aux excès
avérés ou prévisibles des autres. Il n’y a pas deux poids deux mesures.
Je suis dans la vie publique depuis plus d’un quart de siècle. Comme
dans toute chose, il y a dans la politique du bon et du mauvais. Et laissez-
moi vous dire que la grande majorité de ceux qui sont dans la politique –
au Congrès, au gouvernement fédéral, au gouvernement national – sont
des gens bien. Je sais combien il peut être facile, sous de fortes pressions
électoralistes, même pour une personne bien intentionnée de tomber dans
des tactiques frauduleuses et de l’expliquer en disant que ce qui est en jeu
est d’une telle importance pour la nation que la fin justifie les moyens. Et
l’un comme l’autre, nos deux partis, ont été coupables de tels faits dans le
passé.
Au cours de ces dernières années, cependant, les excès durant les
campagnes électorales qu’on a pu observer de part et d’autre ont été la
preuve que cette fausse doctrine peut nous mener loin, ce qui laisse à
réfléchir.
J’invite instamment les chefs des deux partis politiques, j’exhorte les
citoyens, tous les citoyens où qu’ils soient, à travailler ensemble pour
mettre en place de nouvelles normes, de nouvelles règles et procédures
afin qu’à l’avenir les élections soient à l’abri de toute malversation. Tel
est mon objectif. Je vous demande de vous joindre à moi pour faire que
cet objectif devienne l’objectif de l’Amérique. »
28
Golda Meir
Premier ministre d’Israël
(1969-1974)
Golda Meir (1898-1978), née Golda Mabovitch à Kiev, en Ukraine, est une femme d’État. Fuyant les
pogroms, sa famille s’installe aux États-Unis, dans le Wisconsin. Elle devient militante de la cause
sioniste socialiste à l’âge de 18 ans. En 1921, avec son mari et sa sœur, elle émigre vers la Palestine,
alors sous mandat britannique. Très vite, elle est amenée à jouer un rôle politique d’importance,
notamment à partir de 1930, date à laquelle elle fonde avec David Ben Gourion le parti Mapaï. En
1948, elle est l’une des personnalités à signer la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël. Elle
rejoint la Knesset en 1949 – elle y siégera jusqu’en 1974 – et occupe le poste de ministre du Travail
(1949-1956), puis celui de ministre des Affaires étrangères. Elle quitte le gouvernement en 1965 mais
est appelée en 1969 pour devenir Premier ministre après le décès de Levi Eshkol. Elle est liée à la
victoire de la guerre des Six Jours de 1967 mais est contrainte de démissionner après la guerre du
Kippour (1973). Elle meurt en décembre 1978, à l’âge de 80 ans et est inhumée dans le carré des
« Grands de la nation » sur le mont Herzl, à Jérusalem.
« Ce qui distingue (…) Israël des autres pays, c’est le fait que nous
devons toujours (…) nous justifier aux yeux du monde »
1er octobre 1973, Assemblée parlementaire de Vienne (Autriche)
Le 29 septembre 1973, un commando palestinien prend les voyageurs d’un train en otage
parmi lesquels trois Juifs et un Autrichien. À la suite de cette prise d’otages, le chancelier
Kreisky a décidé de fermer le camp de transit de Schoenau par lequel sont passés environ
100 000 Juifs en provenance des pays de l’Est, acceptant ainsi les exigences des terroristes.
Golda Meir, dans son discours devant l’Assemblée parlementaire, demande au gouvernement
de Vienne de revenir sur sa décision afin que les « Juifs russes désireux de se rendre en
Israël » puissent continuer à traverser l’Autriche.
Contrairement à la tradition qui veut que seules les personnalités politiques soient distinguées
par le prix Nobel de la paix, le comité a décidé en 1979 de l’attribuer à Mère Teresa. Elle est
la sixième femme à recevoir ce prix depuis sa création en 1901. Ce choix incontesté est
annoncé en ces termes : « [elle est récompensée parce que] cette année, le monde a tourné son
attention vers le sort des enfants et des réfugiés, et c’est précisément les catégories pour
lesquelles Mère Teresa travaille si généreusement depuis tant d’années ». En réponse, la
lauréate, qui a déjà reçu nombre de distinctions internationales, répond qu’elle l’accepte
« pour a plus grande gloire de Dieu et le bien de notre peuple, le plus pauvre parmi les
pauvres […] ». Dans son discours de réception à Oslo, le 10 décembre 1979 (elle a alors
69 ans), elle revient avec humilité sur sa vocation à aider les laissés-pour-compte de la
société. Elle évoque également des sujets de société tels que l’avortement qu’elle réprouve et
l’importance du don et du partage. Lors de la remise de son prix, un banquet était organisé en
son honneur. Elle a demandé à ce que l’argent qui devait être utilisé pour cette réception soit
reversé aux pauvres. Elle a donc reçu trois chèques : un premier de 192 000 dollars, un
second du montant du banquet supprimé, soit 7 000 dollars, et un troisième correspondant à
une souscription du peuple norvégien de 70 000 dollars. Toutes ces sommes ont bien entendu
été reversées à ceux dont Mère Teresa a choisi d’aider et de réconforter.
Remercions Dieu pour cette merveilleuse circonstance grâce à laquelle
nous pouvons, tous ensemble, proclamer la joie de répandre la paix, la
joie de nous aimer les uns les autres et la joie de savoir que les plus
pauvres des pauvres sont tous nos frères et sœurs.
Comme nous sommes réunis ici pour remercier Dieu de ce don de paix,
je vous ai fait remettre la « Prière de la paix » que saint François d’Assise
a dite il y a de nombreuses années. Je me demande s’il n’a pas ressenti,
alors, exactement ce que nous ressentons aujourd’hui, ce pourquoi nous
prions.
Je pense que vous avez tous un texte. Nous allons dire ensemble :
« Seigneur, faites de moi un instrument de votre paix.
Afin que là où il y a de la haine, je puisse apporter l’amour ;
là où règne le mal, je puisse apporter l’esprit de pardon ;
là où est la discorde, je puisse apporter l’harmonie ;
là où est l’erreur, je puisse apporter la vérité ;
là où il y a le doute, je puisse apporter la foi ;
là où il y a le désespoir, je puisse apporter l’espérance ;
là où il y a les ténèbres, je puisse apporter la lumière ;
là où règne la tristesse, je puisse apporter la joie ;
Seigneur, faites que je cherche plutôt à réconforter qu’à être réconforté ;
à comprendre qu’à être compris ;
à aimer qu’à être aimé ;
car c’est en s’oubliant soi-même que l’on trouve ;
en pardonnant qu’on est pardonné ;
en mourant qu’on s’éveille à la vie éternelle. Amen ! »
L’amour des autres nous rendra saints
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils. Et il l’a donné à une
Vierge, la Sainte Vierge Marie. Et elle, dès l’instant où il vint au monde,
s’empressa de le donner aux autres. Et que fit-elle alors ? Elle travailla
pour les malheureux ; elle répandit simplement cette joie d’aimer en
prodiguant des bienfaits.
Et Jésus-Christ vous a aimés et m’a aimée et il a donné sa vie pour nous.
Et comme si ce n’était pas encore assez, il n’a cessé de dire : « Aimez
comme je vous ai aimés, comme je vous aime maintenant. » Et il nous a
dit comment nous devons aimer en donnant. Car il a donné sa vie pour
nous et il continue de la donner. Et il continue de la donner ici même et
partout, dans nos propres vies et dans la vie des autres.
Ce ne fut pas assez, pour lui, de mourir pour nous. Il a voulu que nous
nous aimions les uns les autres, que nous le reconnaissions dans tous nos
prochains. C’est la raison pour laquelle il a dit : « Heureux les cœurs purs
car ils verront Dieu. » Et pour être sûr que nous comprenions sa pensée,
il a dit que, à l’heure de notre mort, nous serons jugés sur ce que nous
aurons été pour les pauvres, les affamés, les nus, les sans-logis. Et il se
fait lui-même cet affamé, ce nu, ce sans-logis. Pas seulement affamé de
pain, mais affamé d’amour ; pas seulement dénué d’un morceau de tissu,
mais dénué de dignité humaine ; pas seulement sans-logis par manque
d’un lieu où vivre, mais sans-logis pour avoir été oublié, mal aimé, mal
soigné, pour n’avoir été personne pour personne, pour avoir oublié ce
qu’est l’amour humain, le contact humain, ce que c’est que d’être aimé
par quelqu’un.
Et il a dit encore : « Ce que vous avez fait pour le plus petit de mes
frères, vous l’avez fait pour moi. »
C’est si merveilleux, pour nous, de devenir saints par cet amour ! [...]
Je suis heureuse de recevoir le prix Nobel au nom des pauvres
Et aujourd’hui, lorsque j’ai reçu ce prix – dont, personnellement, je suis
indigne –, et ayant approché la pauvreté d’assez près pour être à même de
comprendre les pauvres, je choisis la pauvreté de nos pauvres gens. Mais
je suis reconnaissante, je suis très heureuse de le recevoir au nom des
affamés, des nus, des sans-logis, des infirmes, des aveugles, des lépreux,
de tous ces gens qui ne se sentent pas voulus, pas aimés, pas soignés,
rejetés par ta société, ces gens qui sont devenus un fardeau pour la
société et qui sont humiliés par tout le monde.
C’est en leur nom que j’accepte ce prix. Et je suis sûre que ce prix va
susciter un amour compréhensif entre les riches et les pauvres. Et c’est
là-dessus que Jésus a tellement insisté. C’est la raison pour laquelle Jésus
est venu sur la terre pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Et
par ce prix, et à travers notre présence ici, nous voulons tous annoncer la
Bonne Nouvelle aux pauvres : que Dieu les aime, que nous les aimons,
qu’ils sont quelqu’un pour nous, que, eux aussi, ont été créés par la
même main amoureuse de Dieu pour aimer et pour être aimés.
Nos pauvres gens, nos splendides gens, sont des gens tout à fait dignes
d’amour. Ils n’ont pas besoin de notre pitié ni de notre sympathie. Ils ont
besoin de notre amour compréhensif, ils ont besoin de notre respect, ils
ont besoin que nous les traitions avec dignité. Et je pense que nous
faisons là l’expérience de la plus grande pauvreté ; nous la faisons devant
eux, eux qui risquent de mourir pour un morceau de pain. Mais ils
meurent avec une telle dignité !
Je n’oublierai jamais l’homme que j’ai ramassé un jour dans la rue. Il
était couvert de vermine, son visage était la seule chose propre. Et
cependant cet homme, lorsque nous l’avons amené à notre mouroir, a dit
cette phrase : « J’ai vécu comme une bête dans la rue, mais je vais mourir
comme un ange, aimé et soigné. » [...] C’est parce qu’il avait éprouvé cet
amour, parce qu’il avait eu le sentiment d’être désiré, d’être aimé, d’être
quelqu’un pour quelqu’un, que, dans ses derniers instants, il a ressenti
cette joie dans sa vie.
L’avortement
Et je ressens quelque chose que je voudrais partager avec vous. Le plus
grand destructeur de la paix, aujourd’hui, est le crime commis contre
l’innocent enfant à naître. Si une mère peut tuer son propre enfant, dans
son propre sein, qu’est-ce qui nous empêche, à vous et à moi, de nous
entretuer les uns les autres ? L’Écriture déclare elle-même : « Même si
une mère peut oublier son enfant, moi, je ne vous oublierai pas. Je vous
ai gardés dans la paume de ma main. » Même si une mère pouvait
oublier... Mais aujourd’hui on tue des millions d’enfants à naître. Et nous
ne disons rien. On lit dans les journaux le nombre de ceux-ci ou de ceux-
là qui sont tués, de tout ce qui est détruit, mais personne ne parle des
millions de petits êtres qui ont été conçus avec la même vie que vous et
moi, avec la vie de Dieu. Et nous ne disons rien. Nous l’admettons pour
nous conformer aux vues des pays qui ont légalisé l’avortement. Ces
nations sont les plus pauvres. Elles ont peur des petits, elles ont peur de
l’enfant à naître et cet enfant doit mourir ; parce qu’elles ne veulent pas
nourrir un enfant de plus, élever un enfant de plus, l’enfant doit mourir.
Et ici, je vous demande, au nom de ces petits... car ce fut un enfant à
naître qui reconnut la présence de Jésus lorsque Marie vint rendre visite à
Élisabeth, sa cousine. Comme nous pouvons le lire dans l’Évangile, à
l’instant où Marie pénétra dans la maison, le petit qui était alors dans le
ventre de sa mère tressaillit de joie en reconnaissant le Prince de la Paix.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous invite à prendre ici cette forte
résolution : nous allons sauver tous les petits enfants, tous les enfants à
naître, nous allons leur donner une chance de naître. Et que ferons-nous
pour cela ? Nous lutterons contre l’avortement par l’adoption. Le Bon
Dieu a déjà si merveilleusement béni le travail que nous avons fait, que
nous avons pu sauver des milliers d’enfants. Et des milliers d’enfants ont
trouvé un foyer où ils sont aimés. Nous avons apporté tant de joie dans
les maisons où il n’y avait pas d’enfant !
C’est pourquoi, aujourd’hui, en présence de Sa Majesté et devant vous
tous qui venez de pays différents, je vous le demande : prions tous
d’avoir le courage de défendre l’enfant à naître et de donner à l’enfant la
possibilité d’aimer et d’être aimé. Et je pense qu’ainsi – avec la grâce de
Dieu – nous pourrons apporter la paix dans le monde. Nous en avons la
possibilité. Ici, en Norvège, vous êtes – avec la bénédiction de Dieu –
vous êtes assez à l’aise. Mais je suis sûre que dans les familles, dans
beaucoup de nos maisons, peut-être que nous n’avons pas faim pour un
morceau de pain, mais peut-être qu’il y a quelqu’un dans la famille qui
n’est pas désiré, qui n’est pas aimé, qui n’est pas soigné, qui est oublié. Il
y a l’amour. L’amour commence à la maison. Un amour, pour être vrai,
doit faire mal.
Aimer les autres jusqu’à en avoir mal
Je n’oublierai jamais le petit enfant qui m’a donné une merveilleuse
leçon. Les enfants avaient entendu dire, à Calcutta, que la Mère Teresa
n’avait pas de sucre pour les enfants. Or un petit garçon hindou, de 4 ans,
rentra à la maison et dit à ses parents : « Je ne veux pas manger de sucre
pendant trois jours. Je veux donner mon sucre à Mère Teresa. » Combien
un petit enfant peut-il manger ? Après trois jours, ses parents l’amenèrent
chez moi et je vis ce petit. Il pouvait à peine prononcer mon nom. Il
aimait d’un grand amour ; il aimait à en avoir mal.
Et voici ce que je vous propose : nous aimer les uns les autres jusqu’à en
avoir mal. Mais n’oubliez pas qu’il y a beaucoup d’enfants, beaucoup
d’enfants, beaucoup d’hommes et de femmes qui n’ont pas ce que vous
avez. Souvenez-vous de les aimer jusqu’à en avoir mal.
Il y a quelque temps – cela peut vous sembler très étrange – j’ai recueilli
une petite fille dans la rue. Je pus voir sur son visage que cette enfant
avait faim. Dieu sait depuis combien de jours elle n’avait pas mangé ? Je
lui ai donné un morceau de pain. Et la petite fille se mit à manger ce pain
miette par miette. Et comme je lui disais : « Mange ce pain », elle me
regarda et dit : « J’ai peur de manger ce pain parce que j’ai peur d’avoir
de nouveau faim quand il sera fini. » Telle est la réalité.
Le partage dans l’amour
Et puis il y a encore cette grandeur des pauvres. Un soir, un monsieur
vint chez nous pour nous dire : « Il y a une famille hindoue de huit
enfants qui n’a pas eu à manger depuis longtemps. Faites quelque chose
pour eux. » J’ai pris du riz et je m’y suis rendue immédiatement. Et j’ai
trouvé là cette mère et ces visages de petits enfants, leurs yeux brillants
de réelle faim. Elle me prit le riz des mains, le divisa en deux parts et
sortit. Lorsqu’elle revint, je lui demandai : « Où êtes-vous allée ?
Qu’avez-vous fait ? » Et l’une des réponses qu’elle me fit fut : « Ils ont
aussi faim. » Elle savait que ses voisins, une famille musulmane, étaient
affamés. Qu’est-ce qui m’a le plus surpris ? Non pas qu’elle ait donné le
riz, mais ce qui m’a le plus étonnée c’est que, dans sa souffrance, dans sa
faim, elle savait que quelqu’un d’autre avait faim. Et elle avait le courage
de partager ; et elle avait l’amour de partager.
Et c’est cela que je vous souhaite : aimer les pauvres. Et ne jamais
tourner le dos aux pauvres. Car, en tournant le dos aux pauvres, vous
vous détournez du Christ. [...]
Si je restais ici toute la journée et toute la nuit, vous seriez étonnés par les
merveilles que font les gens pour partager la joie de donner. C’est
pourquoi je prie Dieu pour vous, afin qu’il apporte la prière dans vos
foyers et que le fruit de cette prière soit, en vous, la conviction que, dans
les pauvres, se trouve le Christ. Et, alors, vous croirez vraiment, vous
commencerez d’aimer ; puis vous aimerez tout naturellement et vous
essayerez de faire quelque chose. Tout d’abord dans votre propre maison,
puis chez votre voisin, dans le pays où vous vivez et dans le monde
entier.
Et maintenant, unissons-nous tous dans cette prière : « Seigneur, donnez-
nous le courage de protéger l’enfant à naître ! »
Car l’enfant est le plus beau présent de Dieu à une famille, à un pays et
au monde entier. Dieu vous bénisse !
32
Margaret Thatcher
Femme politique britannique
Margaret Hilda Thatcher née Roberts (1925-2013), baronne depuis 1992, est élue à la Chambre des
communes pour la circonscription de Finchley en 1959 puis membre du Shadow cabinet1 en 1967.
Dans le gouvernement de Edward Heath, elle est nommée secrétaire d’État à l’éducation et aux
sciences, poste qu’elle occupera de 1970 à 1974. Élue à la tête du Parti conservateur en 1975, elle
devient Premier ministre en mai 1979. Au cours de son premier mandat, l’inflation baisse alors que le
chômage augmente. La reprise des îles Malouines envahies par la junte argentine en 1982 contribue à
la rendre populaire aux yeux des Britanniques et lui vaut d’être réélue en 1983. L’économie de
marché sera le point central de son deuxième mandat. Si elle parvient à redresser l’économie
britannique, son inflexibilité nuit à son image ce qui, toutefois, ne l’empêchera pas de briguer un
troisième mandat et d’être réélue en 1987. Sur la scène internationale, Margaret Thatcher tisse des
liens d’amitié avec le président des États-Unis Ronald Reagan et gagne l’admiration du président
soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Elle jouera un rôle déterminant dans les négociations qui mettront fin
à la guerre froide. Dès 1989, ses détracteurs au sein même de son parti affirment de plus en plus leurs
positions et l’obligent à démissionner en novembre 1990. La majorité des mesures économiques
mises en place sous le gouvernement Thatcher seront reprises par les différents partis politiques
britanniques notamment par Tony Blair nommé à la tête du Parti travailliste en 1994.
Lorsque, le 9 octobre 1981, est abolie la peine de mort, c’est tout un combat de deux siècles
qui s’achève, marqué par de nombreuses tentatives sans lendemain. Robert Badinter, garde
des Sceaux et ministre de la Justice du gouvernement de Pierre Mauroy, est fidèle à la
promesse faite par François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de mai 1981. Il n’a pas
oublié le procès de Roger Bontems dont il était l’avocat (1972) et qui, malgré le fait que la
Cour n’avait retenu contre son client que la complicité dans l’affaire du meurtre d’une
infirmière et d’un gardien de la centrale de Clairvaux, avait tout de même été condamné à
mort. Son discours pour l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale a donné lieu à
un débat très vif. L’abolition fut votée par la totalité des députés de gauche, par un tiers des
députés de l’Union pour la démocratie française (UDF), et par un quart de ceux du
Rassemblement pour la République (RPR), dont Jacques Chirac. Même le Sénat, hostile au
gouvernement de la gauche, vota le texte dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.
« Pourquoi ce retard ?
Voilà la première question qui se pose à nous. »
Lorsqu’il arrive au pouvoir, l’une des priorités de Ronald Reagan est de rétablir la suprématie
militaire et morale des États-Unis. Pour ce faire, le président Reagan n’hésite pas à augmenter
le budget de la défense et à poursuivre un programme social conservateur.
Le discours ci-après prononcé lors de la convention annuelle des associations évangéliques
nationales, reflète parfaitement bien les principaux objectifs de Ronald Reagan. La première
moitié du discours (non retranscrite) met l’accent sur l’importance du christianisme dans la
société américaine, de la moralité sexuelle et de l’avortement. Dans la seconde partie de son
discours, Reagan réfute les demandes adressées au gouvernement par nombre d’Américains
en faveur du gel de l’arsenal nucléaire et qualifie l’Union soviétique « d’empire du mal », des
mots qui resteront gravés dans les mémoires.
Le discours et ce qualificatif en particulier, diviseront l’opinion sur la scène internationale.
Furieuses, les autorités soviétiques répondirent officiellement à l’attaque en stipulant que
l’administration Reagan « pensait uniquement en termes de confrontation et d’anti-
communisme belliqueux et dément ». D’autres nations, quant à elles, estimèrent qu’en
introduisant la notion de « mal » dans la guerre froide, Reagan avait affirmé la supériorité
morale des États-Unis et favorisé un regain de confiance dans le pays.
Des années plus tard, Reagan dira à propos de ce discours : « on l’a présenté comme étant une
sorte de déclaration vide de sens et ultra-conservatrice […] mais le régime soviétique a
délibérément affamé, assassiné et maltraité son propre peuple. […] Un régime qui se conduit
ainsi n’est-il pas l’incarnation même du mal ?
Et nous ne cesserons jamais de rechercher une paix qui soit bien réelle.
Mais les solutions proposées par certains à savoir le gel nucléaire ne nous
permettront pas de garantir aucune des valeurs que l’Amérique défend.
La vérité est qu’opter pour un gel nucléaire aujourd’hui serait un leurre
très dangereux, une simple illusion de paix. La réalité est tout autre et
nous devons parvenir à la paix par la force.
Je n’accepterai un gel nucléaire que si nous arrivons à geler les désirs de
conquête du monde des Soviétiques. Un gel ne ferait que supprimer
l’envie que les Soviétiques pourraient avoir de venir à Genève2 pour
négocier sérieusement et mettrait un point final à toutes les chances de
parvenir à la réduction d’armement massive que nous avons proposée. En
effet, les Soviétiques verraient dans le gel la possibilité d’atteindre leurs
objectifs. […]
Il y a un certain nombre d’années, lors d’un rassemblement très
important en Californie, j’ai entendu les propos tenus par un jeune père
de famille, un homme jeune, très influent dans le monde du spectacle.
Nous étions en pleine guerre froide et le communisme tout comme le
mode de vie américain étaient présents dans tous les esprits. C’est de cela
dont il parlait dans son discours. Et soudain je l’ai entendu dire “J’aime
mes petites filles plus que tout au monde.”
Je me suis dit “Oh non, pas ça – tu ne peux pas, tu ne dois pas dire ça.” À
ce moment-là, j’ai sous-estimé cet homme.
En effet, il poursuivit et dit : “Je préférerais voir mes petites filles mourir
aujourd’hui, alors qu’elles croient en Dieu, que les voir grandir sous un
régime communiste et mourir alors qu’elles ne croient plus en Dieu.”
Des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes étaient présents. Ils
se sont levés et ont crié de joie. Ils ont immédiatement perçu la vérité
profonde dans ce qui venait d’être dit et ont compris ce qui était
véritablement important.
Alors, prions pour le salut de tous ceux qui vivent dans les ténèbres
totalitaires – prions pour qu’ils découvrent la joie de connaître Dieu.
Mais en attendant que cela se produise, ayons conscience qu’alors qu’ils
prêchent la suprématie de l’État, qu’ils déclarent sa toute-puissance sur
l’homme en tant qu’individu et annoncent qu’il finira par dominer tous
les peuples sur Terre, ils incarnent le mal du monde moderne.
C’est C. S. Lewis3 qui dans son ouvrage intitulé Tactique du diable,
écrivait : “Le plus grand mal ne se trouve pas aujourd’hui dans les
‘tanières des criminels’ que Dickens aimait décrire. Il ne se trouve pas
non plus dans les camps de concentration ou les camps de travail qui ne
sont que l’ultime conséquence du mal. Il est élaboré et ordonné (proposé,
confirmé, véhiculé et enregistré) dans des bureaux bien rangés,
moquettés, chauffés et bien éclairés, par des hommes tranquilles qui ont
des chemises blanches et les ongles faits, qui sont rasés de près et qui
n’ont jamais besoin d’élever la voix.”
Eh bien parce que ces “hommes tranquilles n’élèvent jamais la voix”,
parce qu’ils parlent parfois sur un ton apaisant de fraternité et de paix,
parce que, comme d’autres dictateurs avant eux, ils finissent toujours par
exiger un territoire, certains voudraient que nous accordions du crédit à
ce qu’ils disent et que nous supportions leurs pulsions agressives. Mais si
l’Histoire nous a appris une chose c’est que prendre nos désirs pour des
réalités et vouloir naïvement parvenir à une conciliation avec nos
adversaires n’est que pure folie car cela revient ni plus ni moins à trahir
notre passé et à renoncer à notre liberté.
C’est pourquoi, je vous exhorte à vous élever contre ceux qui
chercheraient à mettre les États-Unis en position d’infériorité militaire et
morale. Vous savez j’ai toujours cru que Screwtape s’attaquait
principalement à ceux qui parmi vous vont à l’église. Et, lorsque vous
parlez de gel nucléaire, je vous invite à ne pas pécher par orgueil – ne pas
céder à la tentation et déclarer allègrement que vous êtes au-dessus de
tout, décider que les deux camps sont également coupables, ignorer les
faits de l’histoire et les pulsions agressives de l’Empire du mal, vous
contenter de dire que la course aux armements n’est qu’un vaste
malentendu et par-delà vous soustraire au combat entre le vrai et le faux,
le bien et le mal.
Je vous demande de résister à ceux qui font en sorte que vous arrêtiez de
nous soutenir, de soutenir les efforts que fait le gouvernement, pour que
l’Amérique reste forte et libre, alors que nous négocions pour réduire
réellement et de manière quantifiable l’arsenal nucléaire dans le monde et
un jour, avec l’aide de Dieu, éliminer totalement cet arsenal.
Alors que la force militaire de l’Amérique est importante, laissez-moi
ajouter que j’ai toujours affirmé que le combat qui a lieu aujourd’hui
pour le monde ne se réglera jamais par les bombes ou les fusées, par les
armées ou la force militaire. La vraie crise à laquelle nous sommes
confrontés aujourd’hui est une guerre spirituelle. C’est au fond, une crise
faite pour tester notre volonté morale et notre foi.
Whittaker Chambers, l’homme dont la conversion religieuse a fait de lui
le témoin de l’un des terribles traumatismes de notre temps à savoir
l’affaire Hiss-Chambers4, écrivit que la crise du monde occidental existe
car l’Occident est indifférent à Dieu, l’Occident soutient le communisme
dans sa tentative de faire que l’homme soit seul, sans Dieu. Et Chambers
d’ajouter que le marxisme-léninisme est, en vérité, la seconde plus
ancienne religion, la première proclamée dans le Jardin d’Éden avec les
mots de la tentation : “Vous serez comme des dieux”5 [...]
Je crois que nous relèverons le défi. Je crois que le communisme est un
chapitre supplémentaire, triste et bizarre, de l’histoire de l’humanité dont
les pages sont en train de s’écrire sous nos yeux. Je le crois car la source
de notre force dans la quête de la liberté n’est pas matérielle mais
spirituelle. Et parce qu’elle ne connaît pas de limite, elle doit terrifier et
finir par l’emporter sur ceux qui voudraient faire de leurs semblables des
esclaves.
C’est en notre pouvoir de refaire le monde.
Car dans les paroles d’Ésaïe : “Il donne de la force à celui qui est fatigué
et il augmente la vigueur de celui qui tombe en défaillance. […] Mais
ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces
nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se
lasser, ils marchent sans se fatiguer”.6 […]
Oui, changez le monde qui est le vôtre. L’un des Pères fondateurs,
Thomas Paine, disait : “C’est en notre pouvoir de refaire le monde.”7
Nous pouvons le faire en faisant ensemble ce qu’aucune église ne
pourrait faire seule.
Que Dieu vous bénisse. Merci à vous tous. »
35
Desmond Tutu
Homme d’Église sud-africain
Après avoir enseigné durant quatre années, Desmond Mpilo Tutu (1931-) entreprend des études de
théologie. Il est ordonné prêtre en 1961. Rapidement, il grimpe les échelons au sein de l’Église
anglicane et est nommé évêque de Lesotho (1976-1978) puis secrétaire général du Conseil
œcuménique d’Afrique du Sud (1978-1985) avant de devenir le premier évêque noir de Johannesburg
(1985-1986) puis l’archevêque du Cap (1986-1996). Farouche opposant à l’apartheid, il échappe
plusieurs fois de peu à l’emprisonnement pour avoir défendu les sanctions punitives décrétées par les
autres pays contre l’Afrique du Sud et ce, alors qu’il répugne à la violence. En 1984, il se voit
décerner le prix Nobel de la paix. En 1988, il est nommé chancelier de l’université du Cap occidental
puis président de la Commission de la vérité et de la réconciliation (1995-1999).
Fervent opposant à l’apartheid bien connu pour ne pas mâcher ses mots, Desmond Tutu reçoit
le prix Nobel de la paix en 1984. Lors de la remise des prix, il profite de sa prise de parole
pour condamner le « rêve raciste » de l’Afrique du Sud et rejeter les concessions octroyées
par la constitution entrée en vigueur l’année précédente.
Nelson Mandela (qui recevra à son tour le prix Nobel de la paix en 1993) dira de celui qui fut
son allié : « Parfois véhémente, souvent tendre, jamais effrayée et rarement dénuée d’humour,
la voix de Desmond Tutu sera toujours la voix de ceux qui ne s’expriment pas. »
Lorsqu’il lui remet son prix, le président du comité Nobel norvégien Egil Aarwik, souligne la
détermination de Desmond Tutu pour voir la paix l’emporter sur la violence. Il rappelle à
l’assistance la réaction de l’homme d’Église lors d’un reportage télévisé suite à un massacre
qui venait d’avoir lieu à Johannesburg. « Alors que les voitures de police emmenaient les
prisonniers, Desmond Tutu, debout, s’est adressé à l’assemblée effrayée et amère : ne laissons
pas de place à la haine, a-t-il dit. Choisissons la voie de la paix pour accéder à la liberté. »
Desmond Tutu est, néanmoins, un orateur convaincant. Dans le discours ci-après, il décrit des
cas individuels et leurs conséquences tragiques à la fois pour les Noirs et les Blancs d’Afrique
du Sud, puis il fait preuve de lyrisme avant de décortiquer les iniquités de l’apartheid.
« Je viens d’une belle terre, richement dotée par Dieu de
merveilleuses ressources naturelles, de vastes étendues
sauvages, de chaînes montagneuses, d’oiseaux qui chantent,
d’étoiles qui scintillent dans le bleu du ciel. […]
Dieu nous a créés pour que nous formions une communauté. Dieu nous a
créés pour que nous formions une famille humaine, que nous vivions
ensemble car nous sommes complémentaires. Nous ne sommes pas faits
pour vivre en autarcie mais pour vivre les uns avec les autres et pourtant
nous enfreignons cette loi et ce, à nos risques et périls. […]
À moins d’œuvrer pour que tous les enfants de Dieu, nos frères et nos
sœurs, les membres de cette famille humaine, jouissent des droits de
l’homme fondamentaux, le droit d’avoir une vie épanouie, le droit de
pouvoir se déplacer librement, de travailler, d’avoir la liberté de vivre
pleinement en tant qu’êtres humains, avec une humanité évaluée par rien
de moins que l’humanité de Jésus-Christ Lui-même, nous nous dirigeons
inexorablement vers l’auto-destruction. Nous ne sommes pas loin d’un
suicide mondial – alors que les choses pourraient être totalement
différentes.
Quand allons-nous comprendre que les êtres humains ont une valeur
inestimable car ils ont été créés à l’image de Dieu, que les traiter comme
s’ils étaient moins que rien est un blasphème et que nous devons ouvrir
les yeux de ceux qui agissent ainsi ? Quand vont-ils comprendre qu’en
déshumanisant les autres, ils se déshumanisent eux-mêmes ? Il se
pourrait même que l’oppression déshumanise plus encore celui qui
opprime que celui qui est opprimé. L’un comme l’autre ont besoin d’être
vraiment libres, d’être de véritables êtres humains. [...]
Soyons les artisans de la paix, œuvrons pour la réconciliation. Si nous
voulons la paix, nous savons, que nous devons faire régner la justice.
Dieu nous invite à œuvrer avec Lui, afin d’étendre son royaume de
shalom12, de justice, de bonté, de compassion, d’empathie, de partage, de
rire, de joie et de réconciliation afin que les royaumes de ce monde
deviennent le Royaume de notre Dieu et du Christ sur lesquels il régnera
pour les siècles des siècles. Amen. »
36
Ronald Reagan
Homme politique américain
« Abattez ce mur ! »
12 juin 1987, Berlin-Ouest, (Allemagne de l’Ouest)
Au cours de l’été 1991, la productrice d’émissions télévisées Mary Fisher apprend qu’elle est
porteuse du VIH, le virus à l’origine du SIDA. Après plusieurs mois de réflexion et
d’échanges avec son entourage – période durant laquelle elle lutte contre la maladie avec
désespoir et en s’adonnant à la boisson – elle décide de rendre la nouvelle publique et de
consacrer sa vie au sida : recherche, traitement et non-stigmatisation des personnes
séropositives ou souffrant du sida.
Peu après sa prise de décision, elle a l’opportunité de s’exprimer lors de la convention
nationale du Parti républicain dont elle est très proche. Son père fut l’un des principaux
conseillers du Parti républicain alors qu’elle-même a travaillé pour le président Gerald Ford.
Sans s’appuyer sur un texte écrit, elle prononce son discours avec une dignité et un sang-froid
remarquables. Avec des mots clairs et pudiques, elle appelle à une prise de conscience, à
l’empathie et à la mise en place d’actions tout en précisant qu’elle s’identifie – elle qui est
une mère de famille de race blanche, aisée et hétérosexuelle – aux individus qui sont exclus
de la société du fait de leur maladie. Elle met également en garde contre le silence reprenant
la citation du pasteur Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien
dit car je n’étais pas juif. » Le discours sans ambages de Mary Fisher fut entendu et acclamé
par tous les membres de la convention annuelle. Très vite, il fut rendu public et marqua une
étape cruciale dans l’engagement de Mary Fisher pour la lutte contre le SIDA.
Vous êtes séropositif mais vous n’osez pas le dire. Vous avez
perdu ceux que vous aimez mais vous n’osez pas prononcer
le mot sida. Vous pleurez en silence. Vous êtes seul avec votre
chagrin.
J’ai un message pour vous. Ce n’est pas vous qui devez avoir honte.
C’est nous.
Nous qui tolérons l’ignorance et laissons vie aux préjudices. Nous qui
vous avons appris à avoir peur.
Nous devons lever le voile du silence afin que vous puissiez recevoir
l’empathie dont vous avez besoin. C’est notre devoir de mettre nos
enfants à l’abri, pas avec un déni profondément enfoui mais avec de
vraies actions.
Un jour nos enfants seront des adultes. Mon fils Max qui a quatre ans
comprendra qui était sa mère. Mon fils Zachary qui a deux ans fera le tri
dans ses souvenirs. Je ne serai peut-être plus là pour entendre ce qu’ils
diront mais je sais déjà ce que j’aimerais qu’ils disent. Je veux que mes
enfants sachent que leur mère n’était pas une victime mais un messager.
Je ne veux pas qu’ils pensent, comme je l’ai pensé un jour, que le
courage est le manque de peur. Je veux qu’ils sachent que le courage est
la force d’agir avec sagesse au moment où l’on a le plus peur.
Je veux qu’ils aient le courage d’avancer lorsque leur pays ou le Parti
auquel ils appartiendront les appellera et qu’ils s’investissent et ce, quel
qu’en soit le prix à payer […] Mes enfants, je vous fais une promesse : je
n’abandonnerai jamais, Zachary, car c’est en toi que je puise mon
courage. Tes ricanements stupides me donnent espoir. Tes douces prières
me donnent la force. Et toi, mon fils, tu es la raison qui me fait dire à
l’Amérique : “Tu cours un risque.” Max, je ne me reposerai pas tant que
je n’aurai pas fait tout ce qui est en mon pouvoir pour bâtir un monde sûr.
Je chercherai un lieu où l’intimité n’est pas un prélude à la souffrance. Je
ne suis pas pressée de vous quitter mes enfants mais lorsque le moment
sera venu, je prierai pour que vous n’ayez pas honte à cause de moi.
À tous ceux qui entendent le son de ma voix, je lance un appel. Tirez
comme moi les enseignements de l’histoire afin que mes enfants n’aient
pas peur de prononcer le mot “SIDA” lorsque je ne serai plus là. Afin que
vos enfants et mes enfants n’aient plus besoin de chuchoter. Que Dieu
bénisse les enfants. Que Dieu nous bénisse tous.
Bonsoir.
[L’auditoire se lève et applaudit] »
40
Benazir Bhutto
Femme politique pakistanaise
Après le putsch militaire orchestré par le général Muhammad Zia-ul-Haq – au cours duquel son père,
l’ancien Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto fut exécuté (1979) – Benazir Bhutto (1953-2007) fut, à
plusieurs reprises, assignée à résidence jusqu’en 1984. En 1988, elle est élue au poste de Premier
ministre suite à la mort de Zia dans de mystérieuses circonstances, devenant ainsi la première femme
des temps modernes à diriger un pays musulman. Au cours des neuf années qui suivirent, non
soutenue par les militaires et accusée de corruption, elle perdit puis reprit successivement le pouvoir.
Après avoir été battue lors des élections de 1997, elle est condamnée à cinq ans d’emprisonnement
pour corruption. Inéligible, elle est envoyée en exil. Après avoir conclu un accord avec le président
Pervez Musharraf, elle put regagner son pays natal en octobre 2007. Devenue chef de l’opposition,
elle vise les élections de 2008 mais sera assassinée deux mois plus tard soit le 27 décembre après
avoir participé à une réunion du Parti du peuple pakistanais à Rawalpindi.
En tant que première femme élue à la tête d’une nation islamique, j’ai le
sentiment d’avoir une responsabilité toute particulière quant aux
questions ayant trait à la femme.
« Bonsoir,
Aujourd’hui, mes chers compatriotes, notre mode de vie, notre liberté
même sont menacés par une série d’actes terroristes délibérés et mortels.
Les victimes étaient dans des avions ou dans leur bureau : des secrétaires,
des hommes et des femmes d’affaires, des militaires et des
fonctionnaires, des mères et des pères, des amis et des voisins. Des
milliers de vies se sont soudain éteintes, frappées par des actes de terreur
ignobles et abjects.
Les images de ces avions percutant les tours, de ces bâtiments en feu et
de ces immenses structures s’effondrant nous ont remplis d’incrédulité,
d’une tristesse incommensurable et d’une colère muette et inapaisable.
Ces actes de tuerie avaient pour objectif de terrifier notre nation en
semant la confusion et en nous obligeant à battre en retraite. Mais ils ont
échoué ; notre pays est fort.
Un grand peuple s’est mobilisé pour défendre une grande nation.
L’Amérique a été prise pour cible car ce pays est l’emblème de la liberté
et de l’égalité des chances dans le monde. Mais personne ne pourra
jamais aller contre cela.
Aujourd’hui, notre nation voit le mal – ce qu’il y a de pire dans la nature
humaine – et, face à ce mal, nous réagissons avec ce que l’Amérique a de
mieux. Avec la hardiesse des équipes de secours, avec la bienveillance
d’inconnus et de voisins venus donner leur sang et faire tout ce qui est en
leur pouvoir pour venir en aide aux victimes.
Immédiatement après le premier attentat, j’ai mis en place des plans
d’urgence. Notre armée est puissante et prête à agir. Nos équipes de
secours travaillent à New York et à Washington aux côtés des équipes
locales. Notre priorité numéro un est d’apporter notre aide à celles et
ceux qui ont été blessés et de prendre toutes les précautions nécessaires
afin de protéger nos compatriotes, ici même dans ce pays mais aussi dans
les autres régions du monde, contre d’éventuelles attaques terroristes.
Notre gouvernement continue à assumer ses fonctions. À Washington, les
agences fédérales qui ont dû être évacuées aujourd’hui rouvriront pour la
plupart ce soir et tout le monde sera à pied d’œuvre demain. Nos
institutions financières restent fortes et l’économie américaine est prête à
reprendre son cours.
Nous avons lancé une enquête afin de découvrir qui se cache derrière ces
actes maléfiques. J’ai ordonné à tous les membres des services secrets et
à toutes les personnes ayant des pouvoirs de police de trouver les
responsables et de les traîner devant la justice. Nous ne ferons aucune
distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes et ceux qui les
ont couverts.
Je suis très reconnaissant aux membres du Congrès qui se sont joints à
moi pour condamner ces attentats.
Et, au nom du peuple américain, je remercie les nombreux dirigeants qui
nous ont présenté leurs condoléances et nous ont proposé leur aide.
L’Amérique, nos amis et nos alliés se joignent à toutes celles et tous ceux
qui veulent la paix et la sécurité dans le monde et nous nous tenons
debout côte à côte pour gagner la guerre contre le terrorisme. Ce soir, je
vous demande de prier pour celle et ceux qui sont dans le malheur, pour
les enfants dont le monde vient de se briser, pour toutes celles et tous
ceux qui ne se sentent plus en sécurité mais menacés. Je prie pour eux et
j’espère qu’ils trouveront du réconfort dans ce verset du psaume 23 :
“Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains
aucun mal car Tu es avec moi.”
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush, président des États-Unis, est
parti en croisade contre le terrorisme. Son discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002
dénonce l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord comme formant l’« axe du mal » contre lequel il
promet de lutter. Tony Blair, Premier ministre britannique, lui emboîte le pas le 7 avril en
parlant d’un « renversement » souhaitable par la force de tout régime qui menacerait la
sécurité mondiale. Dès lors, pour George W. Bush, Saddam Hussein doit quitter le pouvoir et
il promet de s’y employer par tous les moyens. Début août, l’Irak propose à Hans Blix, le chef
de la Commission de surveillance, de vérification et d’inspection des Nations unies, une
éventuelle reprise des inspections de la commission chargée de surveiller le désarmement de
l’Irak. Entre le 12 septembre et le 8 novembre, un bras de fer s’engage entre l’ONU et le
gouvernement américain représenté par Colin Powell, lequel souhaite une nouvelle résolution
propre à faire respecter les engagements de désarmement de Bagdad. Les pourparlers
aboutissent au vote de la résolution 1441 par le Conseil de sécurité. Cette résolution somme
Bagdad de se conformer aux obligations de son désarmement sous huitaine. Après que l’Irak
a donné son accord, des experts de l’UNMOVIC (Commission de contrôle, de vérification et
d’inspection des Nations unies) et de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique)
se rendent à Bagdad pour vérifier et renforcer les inspections sur son sol. Malgré les garanties
apportées par Saddam Hussein, la Grande-Bretagne et les États-Unis soutiennent que les sites
irakiens abritent des armes de destruction massive. Hans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU,
demande des preuves de ces assertions. Côté français, Jacques Chirac s’oppose publiquement
à une intervention armée. Il s’en explique début janvier 2003 lors de ses vœux à la presse. Le
chancelier allemand Gerhard Schroeder lui emboîte le pas et demande le vote d’une deuxième
résolution des Nations unies avant d’envisager le recours aux forces armées.
Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, se prononce également contre
l’action militaire et pour une continuation des inspections sur place à l’issue d’une réunion du
Conseil de sécurité sur le terrorisme. Il soutient dans son allocution que contrairement à ce
que les États prônant l’intervention armée affirment, Al-Qaida n’a pas de liens avec le régime
de Bagdad. En revanche, le déclenchement d’une guerre pourrait faire naître le terrorisme sur
les cendres de celle-ci. Son discours a été longuement applaudi, événement rare dans
l’enceinte de l’ONU. Malgré cette intervention remarquée et sans l’aval des Nations unies, la
guerre est déclenchée par la coalition Grande-Bretagne/États-Unis le 20 mars. Elle durera
jusqu’en 2011.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Je remercie MM. Blix et El Baradei pour les indications qu’ils viennent
de nous fournir sur la poursuite des inspections en Iraq. Je tiens à
nouveau à leur exprimer la confiance et le plein soutien de la France dans
leur mission.
Vous savez le prix que la France attache, depuis l’origine de la crise
iraquienne, à l’unité du Conseil de Sécurité. Cette unité repose
aujourd’hui sur deux éléments essentiels :
Nous poursuivons ensemble l’objectif d’un désarmement effectif de
l’Iraq. Nous avons en ce domaine une obligation de résultat. Ne mettons
pas en doute notre engagement commun en ce sens. Nous assumons
collectivement cette lourde responsabilité qui ne doit laisser place ni aux
arrière-pensées, ni aux procès d’intention. Soyons clairs : aucun d’entre
nous n’éprouve la moindre complaisance à l’égard de Saddam Hussein et
du régime iraquien.
En adoptant à l’unanimité la résolution 1441, nous avons collectivement
marqué notre accord avec la démarche en deux temps proposée par la
France : le choix du désarmement par la voie des inspections et, en cas
d’échec de cette stratégie, l’examen par le Conseil de Sécurité de toutes
les options, y compris celle du recours à la force. C’est bien dans ce
scénario d’échec des inspections, et dans ce cas seulement, que pourrait
se justifier une seconde résolution.
La question qui se pose aujourd’hui est simple : considérons-nous en
conscience que le désarmement par les missions d’inspection est
désormais une voie sans issue ? Ou bien, estimons-nous que les
possibilités en matière d’inspection offertes par la résolution 1441 n’ont
pas encore été toutes explorées ?
En réponse à cette question, la France a deux convictions :
la première, c’est que l’option des inspections n’a pas été conduite
jusqu’à son terme et peut apporter une réponse efficace à l’impératif du
désarmement de l’Iraq ; la deuxième, c’est qu’un usage de la force serait
si lourd de conséquences pour les hommes, pour la région et pour la
stabilité internationale qu’il ne saurait être envisagé qu’en dernière
extrémité.
Or, que venons-nous d’entendre, à travers le rapport de MM. Blix et El
Baradei ? Nous venons d’entendre que les inspections donnent des
résultats. Bien sûr, chacun d’entre nous veut davantage et nous
continuerons ensemble à faire pression sur Bagdad pour obtenir plus.
Mais les inspections donnent des résultats.
Lors de leurs précédentes interventions au Conseil de sécurité, le
27 janvier, le Président exécutif de la CCVINU et le Directeur général de
l’AIEA avaient identifié précisément les domaines dans lesquels des
progrès étaient attendus. Sur plusieurs de ces points, des avancées
significatives ont été obtenues :
Dans les domaines chimique et biologique, les Iraquiens ont remis de
nouveaux documents aux inspecteurs. Ils ont aussi annoncé la création de
commissions d’investigation, dirigées par les anciens responsables des
programmes d’armements, conformément aux demandes de M. Blix ;
Dans le domaine balistique, les informations fournies par
l’Iraq ont permis aux inspecteurs de progresser également.
Nous détenons avec précision les capacités réelles du missile
Al-Samoud. Maintenant, il convient de procéder au
démantèlement des programmes non autorisés,
conformément aux conclusions de M. Blix ;
Nous partageons tous une même priorité, celle de combattre sans merci le
terrorisme. Ce combat exige une détermination totale. C’est, depuis la
tragédie du 11 Septembre, l’une de nos responsabilités premières devant
nos peuples. Et la France, qui a été durement touchée à plusieurs reprises
par ce terrible fléau, est entièrement mobilisée dans cette lutte qui nous
concerne tous et que nous devons mener ensemble. C’est le sens de la
réunion du Conseil de Sécurité qui s’est tenue le 20 janvier, à l’initiative
de la France.
Il y a dix jours, le Secrétaire d’État américain, M. Powell, a évoqué des
liens supposés entre Al-Qaida et le régime de Bagdad. En l’état actuel de
nos recherches et informations menées en liaison avec nos alliés, rien ne
nous permet d’établir de tels liens. En revanche, nous devons prendre la
mesure de l’impact qu’aurait sur ce plan une action militaire contestée
actuellement. Une telle intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver les
fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures
dont se nourrit le terrorisme ?
La France l’a toujours dit : nous n’excluons pas la possibilité qu’un jour
il faille recourir à la force, si les rapports des inspecteurs concluaient à
l’impossibilité pour les inspections de se poursuivre. Le Conseil devrait
alors se prononcer et ses membres auraient à prendre toutes leurs
responsabilités. Et, dans une telle hypothèse, je veux rappeler ici les
questions que j’avais soulignées lors de notre dernier débat le 4 février et
auxquelles nous devrons bien répondre :
En quoi la nature et l’ampleur de la menace justifient-elles le recours
immédiat à la force ?
Comment faire en sorte que les risques considérables d’une telle
intervention puissent être réellement maîtrisés ?
En tout état de cause, dans une telle éventualité, c’est bien l’unité de la
communauté internationale qui serait la garantie de son efficacité. De
même, ce sont bien les Nations Unies qui resteront demain, quoi qu’il
arrive, au cœur de la paix à construire.
Monsieur le Président, à ceux qui se demandent avec angoisse quand et
comment nous allons céder à la guerre, je voudrais dire que rien, à aucun
moment, au sein de ce Conseil de Sécurité, ne sera le fait de la
précipitation, de l’incompréhension, de la suspicion ou de la peur.
Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d’un idéal,
nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et
l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la
priorité au désarmement dans la paix.
Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien,
l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres,
l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il
doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui
pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les
hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les
membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à
construire ensemble un monde meilleur.
Je vous remercie.
43
Saddam Hussein
Dictateur irakien
Membre du Ba’ath ou Parti socialiste de la résurrection arabe depuis 1957, Saddam Hussein (1937-
2006) joua un rôle prépondérant dans la révolution irakienne de 1968. Il mit en place le Conseil de
commandement révolutionnaire dont il sera le vice-président puis le président. En 1979, il devient
président de la République d’Irak. Durant huit ans (1980-1988), il livre une guerre acharnée contre
son voisin l’Iran et réprime sévèrement les rebellions kurdes. En juillet 1990, il ordonne l’invasion du
Koweït ce qui lui vaudra de lourdes sanctions de la part des Nations unies et sera l’élément
déclencheur de la guerre du Golfe, conflit qui opposera l’Irak aux forces de maintien de la paix des
Nations unies constituées de soldats américains, européens et arabes. Si l’armée de Saddam Hussein
capitule en février 1991, les tensions entre l’Irak et l’Occident perdurent. Suite aux attentats
terroristes perpétrés contre les États-Unis en 2001, le président américain George W. Bush identifie
l’Irak comme étant un membre de l’axe du mal et exige un renversement du régime irakien. En
mars 2003, alors que la légitimité de la guerre est controversée, une alliance de 35 pays dirigée par
les États-Unis envahit l’Irak. En trois semaines, l’alliance l’emporte sans toutefois mettre fin à
l’insurrection. Saddam s’enfuit et disparaît avant d’être fait prisonnier en décembre 2003. En
juillet 2004, commence son procès pour crimes contre l’humanité. La sentence tombe en
novembre 2006. Saddam Hussein sera exécuté par pendaison deux mois plus tard.
Suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés aux États-Unis, les craintes des
Américains face aux menaces venant de l’étranger, atteignent leur paroxysme et la rhétorique
anti-américaine de Saddam Hussein ne fait que renforcer l’idée que se font les Américains du
régime irakien à savoir l’instigateur du terrorisme international. Durant des années, Saddam
Hussein s’oppose au travail des équipes des Nations unies chargées de contrôler le
démantèlement et la destruction des missiles et des armes chimiques et bactériologiques ce
qui pousse nombre de pays à demander au président George W. Bush de « terminer le travail
commencé par son père ». Début 2003, les forces alliées se déploient le long des frontières
irakiennes et, le 20 mars, les bombardiers américains larguent leurs premières bombes sur
Bagdad.
Deux heures après cette première « exécution », Saddam apparaît à la télévision irakienne et
annonce le début de la guerre que tous pressentaient. Vêtu d’un uniforme militaire, Saddam –
qui précise le jour de l’attaque de Bagdad afin de prouver que son discours n’a pas été pré-
enregistré et qu’il contrôle parfaitement la situation – n’envisage pas un seul instant la défaite
même si la situation n’est pas favorable à l’Irak.
La force des mots à l’encontre des États-Unis, le discours teinté de piété et aux nombreuses
références religieuses et les humiliations promises à l’adversaire attestent du talent de ce
brillant orateur.
Dans ce contexte, je n’ai pas besoin de vous redire ce que chacun d’entre
vous doit faire, ce que nous attendons de lui, pour défendre notre
précieuse nation, nos croyances et nos valeurs sacrées. Je dis à chacun
des membres des familles irakiennes, patient et fidèle, qui est opprimé
par l’ennemi maléfique de se souvenir et ne jamais oublier tout ce qu’il a
dit et promis. Les jours que nous sommes en train de vivre, selon la
volonté de Dieu, s’ajouteront à l’histoire éternelle de notre glorieuse
nation.
Vous, les hommes et les femmes d’Irak dont on sait le courage : vous
méritez la victoire et la gloire et tout ce qui rehausse le statut des fidèles
devant leur Dieu, détruit les infidèles, les ennemis de Dieu et de
l’humanité en général. Vous, les Irakiens, serez victorieux avec les fils de
la nation. Vous êtes déjà victorieux avec l’aide de Dieu. Vos ennemis
tomberont en disgrâce et succomberont à la honte. [...]
À vous mes amis qui combattez le mal dans le monde, que la paix soit
avec vous maintenant que vous avez vu la façon dont l’imprudent Bush
déprécie vos convictions et vos points de vue contre la guerre et votre
appel ô combien sincère pour la paix et la manière dont il a commis
aujourd’hui ce crime odieux. [...]
Ils perdront car tel est le souhait des êtres bons et fidèles qui aiment la
paix et l’humanité. L’Irak sortira victorieux car telle est la volonté de
Dieu et avec l’Irak notre nation, l’humanité sortira victorieuse et les
méchants seront terrassés de manière à ne plus pouvoir perpétrer leurs
crimes comme ils – la coalition américaine et sioniste – l’avaient prévu
contre les nations et les peuples et notamment notre glorieuse nation
arabe.
Dieu est le plus grand. Longue vie à l’Irak et à la Palestine. Dieu est le
plus grand. Longue vie à notre glorieuse nation ; longue vie à nos frères ;
longue vie à ceux qui veulent vivre en paix et en sécurité et à ceux qui
veulent que le peuple ait le droit de vivre en liberté et que règne la
justice. Dieu est le plus grand. Longue vie à l’Irak ; longue vie au djihad1
et longue vie à la Palestine. Dieu est le plus grand. Dieu est le plus grand.
Dieu est le plus grand. »
44
Oussama ben Laden
Terroriste saoudien
Fils d’un milliardaire saoudien d’origine yéménite ayant fait fortune dans le bâtiment et les travaux
publics, Oussama ben Mohammed ben Laden (1957-2011) fonde le réseau terroriste Al-Qaida en
1988 afin d’apporter un soutien aux mouvements d’opposition islamistes dans le monde entier. En
1998, Oussama ben Laden qui appelle les musulmans de tous les pays à perpétrer des actes terroristes
contre les Américains et les intérêts américains, est fortement soupçonné d’être impliqué dans un
grand nombre d’attentats commis en Occident. Le 11 septembre 2001, Oussama ben Laden est
propulsé sur le devant de la scène internationale. Quatre avions de ligne américains transportant des
passagers sont détournés par des terroristes. Deux d’entre eux percutent et détruisent les tours nord et
sud du World Trade Center à New York. Au total, près de 3 000 personnes perdent la vie.
Rapidement, Oussama ben Laden est identifié comme étant le commanditaire de ce massacre. Le
président américain George W. Bush annonce que la « guerre au terrorisme » est déclarée dans le
monde entier et ordonne que les quartiers généraux islamistes en Afghanistan soient pris d’assaut.
Parallèlement, des attaques sont lancées contre le régime taliban accusé de protéger et de cacher ben
Laden. Considéré comme le criminel le plus recherché dans le monde, ben Laden réussira pendant
dix ans à échapper à tous les réseaux à sa recherche. Le 2 mai 2011, il est éliminé lors d’une
opération militaire controversée ordonnée par le président américain Barack Obama dans une
résidence ultra-sécurisée d’Abbottabad (Pakistan) dans laquelle, a priori, il vivait depuis très
longtemps.
Après les attentats de 2001, Oussama ben Laden provoque et défie ses ennemis via des
messages enregistrés sur des cassettes audio et vidéo qu’il transmet aux médias pour
diffusion. En avril 2004, un enregistrement – la voix est identifiée comme étant celle de ben
Laden – est rendu public par la chaîne d’information saoudienne Al-Arabiya et la chaîne de
télévision satellitaire Al-Jazeera.
Sur cette cassette, ben Laden se focalise sur la sécurité dans le monde. Il affirme que ses
fidèles ont fait de l’Occident leur cible car les pays occidentaux ont nui aux intérêts
musulmans, leur refusant le pouvoir et la sécurité. Ce qui, suggère-t-il, équivaut moralement
aux actes de terrorisme perpétrés par Al-Qaida – « le retour de vos biens ».
Il souligne tout particulièrement la souffrance endurée par les Palestiniens chassés de leurs
terres et dépossédés de leurs biens par Israël et ce, avec le soutien des États-Unis. Les
Occidentaux qui souhaitent la paix, dit-il, devraient défendre la cause des Palestiniens et de
tous les autres peuples musulmans opprimés. Par ses mots, Oussama ben Laden fait planer
une menace sur l’Occident : « Cessez l’effusion de notre sang pour en préserver le vôtre. »
Cette « proposition de paix » fut interprétée par la plupart des journalistes occidentaux
comme étant une ruse dans le seul but de séduire les intellectuels occidentaux. L’objectif ?
Qu’ils réussissent à convaincre les gouvernements de limiter leur soutien à Israël et de retirer
leurs troupes d’Irak.
En juin 2012, Aung San Suu Kyi quitte pour la première fois depuis de longues années le sol
birman. Elle se rend au Royaume-Uni et dans quatre autres pays européens dont la France.
Celle qui depuis 1988 a été à la tête de la Ligue nationale pour la démocratie, vient d’obtenir
un siège de députée. Le 21 juin devant un parterre de parlementaires de la Chambre des
communes et de la Chambre des lords à Westminster Hall, Aung San Suu Kyi implore la
Grande-Bretagne de venir en aide à son pays dans son combat pour redevenir une démocratie
parlementaire.
Son discours est centré sur la comparaison entre la jeune démocratie durement gagnée en
Birmanie et le régime parlementaire de la Grande-Bretagne sur lequel elle a pris modèle,
« peut-être, pour les peuples opprimés, le symbole prépondérant de la liberté de parole ».
Alors qu’elle réclame soutien et assistance, elle met en garde contre la présomption et laisse
entendre qu’en Occident, nombre de pays sont convaincus que la démocratie ne pourra jamais
être remise en question sur leur territoire.
Avec calme et sans laisser transparaître la moindre émotion, Aung San Suu Kyi s’en tient à
ses notes tout au long du discours, ne s’autorisant quelques mouvements de la main – son
discours n’en est pas moins agrémenté d’anecdotes et teinté d’humour. Plus que par son
charisme et son éloquence, elle veut être entendue et compte pour cela sur la simplicité et le
bon sens des impératifs au cœur de son discours et l’autorité que lui reconnaît la majorité des
pays.
« Ils pensaient que les balles allaient nous faire taire. Mais ils se
sont trompés »
12 juillet 2013, New York (États-Unis)
Le discours ci-après fut prononcé lors des Grandes Conférences Catholiques. Créées en 1931,
les GCG comme on les appelle, se veulent – tant que faire se peut – être le reflet de
l’évolution du monde dans les domaines politique, social, économique et institutionnel. La
tribune des Grandes Conférences Catholiques est animée par un esprit d’ouverture, de
curiosité et de liberté de pensée. En sa qualité de Présidente du FMI, Christine Lagarde fut
conviée à donner une conférence traitant d’économie. Elle choisit pour thème les inégalités
économiques : les causes, les effets néfastes et les éventuelles solutions.
On reprocha parfois au FMI de privilégier les intérêts des pays développés plutôt que ceux
des pays les plus démunis mais dans son discours, Christine Lagarde aborde résolument la
question sur le plan mondial en donnant à plusieurs reprises comme exemples les pays en
voie de développement. Cependant, le point qui, à ses yeux, est primordial est l’inégalité qui
existe non pas entre les nations mais au sein même d’une nation.
Christine Lagarde est une oratrice extrêmement brillante qui sait capter son auditoire et est
capable de véhiculer des idées complexes avec délicatesse mais persuasion. Dans son
discours, elle va même jusqu’à faire preuve de cynisme – certes sur le ton de la plaisanterie –
en évoquant les yachts luxueux appartenant aux banquiers de Wall Street qu’elle oppose aux
« petites embarcations », métaphore pour parler « des moyens de subsistance et les aspirations
économiques des pauvres et de la classe moyenne ».
Cela met en évidence que ce sont bien les pauvres et les classes
moyennes qui sont les principaux moteurs de la croissance.
Malheureusement, ces moteurs calent de plus en plus. […]
Les conséquences de l’excessive inégalité de revenu apparaissent de plus
en plus clairement – mais qu’en est-il de ses causes ?
Les facteurs les plus importants sont bien connus – le progrès
technologique et la mondialisation financière. […]
Un autre facteur est la place démesurée de la finance dans les grandes
économies comme les États-Unis et le Japon. En effet, si la finance – en
particulier le crédit – est indispensable à la prospérité d’une société, il
apparaît de plus en plus nettement, notamment dans les recherches du
FMI5, que trop de finance peut fausser la distribution du revenu, pervertir
le processus politique et menacer la stabilité et la croissance
économiques.
Dans les pays émergents et en développement, l’inégalité de revenu
extrême résulte en grande partie de l’inégalité d’accès – à l’éducation,
aux soins de santé et aux services financiers. […]
À cause de ces désavantages – de cette inégalité des chances – des
millions de personnes n’ont pratiquement pas l’occasion d’accroître leur
revenu et de constituer un patrimoine. C’est la définition même de ce que
le pape François a appelé “l’économie de l’exclusion”6.
Et pourtant, par ces politiques ciblées, les dirigeants peuvent, à notre
avis, créer un courant favorable aux “petites embarcations”. Des
solutions existent, qui permettent de réaliser une croissance plus
vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable dans tous les pays.
La priorité absolue doit être la stabilité macroéconomique. Sans bonnes
politiques monétaires, sans discipline budgétaire et sans maîtrise de la
dette publique, il est inévitable que la croissance ralentisse, que les
inégalités se creusent et que l’instabilité économique et financière
augmente. […]
La seconde priorité doit être la prudence. Nous savons tous qu’il convient
de s’employer à réduire les inégalités excessives. Mais nous savons aussi
qu’un certain niveau d’inégalité est stimulant et utile. Il encourage la
concurrence, l’innovation, ou l’investissement et permet de saisir les
occasions qui se présentent. […]
La priorité suivante doit être d’ajuster les politiques pour qu’elles
tiennent compte des facteurs d’inégalité propres à chaque pays, y compris
les paramètres politiques, culturels et institutionnels. Pas de mesures
indifférenciées s’appliquant à tous, mais bien des politiques intelligentes,
qui peuvent contribuer à inverser la tendance à la hausse des inégalités.
À l’aune de ces trois priorités, stabilité, mesure, spécificité, examinons
quelques exemples de politique budgétaire et de réformes structurelles.
Une politique budgétaire intelligente peut opérer des transformations des
impôts et orienter les dépenses publiques qui favorisent au maximum la
reprise du travail, l’épargne et l’investissement L’objectif doit être de
promouvoir à la fois une plus grande égalité et une plus grande efficacité.
Il s’agit par exemple d’élargir l’assiette des recettes fiscales (par
exemple, en combattant la fraude fiscale), de diminuer les dépenses
fiscales (par exemple, les déductions au titre des intérêts d’emprunts, qui
bénéficient le plus aux plus fortunés), et de réduire ou d’éliminer les
allégements fiscaux sur les plus-values sur valeurs mobilières.
Dans beaucoup de pays européens, il convient aussi de diminuer la
taxation du travail, qui est élevée, notamment en abaissant les cotisations
des employeurs à la sécurité sociale7. Cela encouragerait la création
d’emplois et de postes à temps plein, et freinerait la vague d’emplois à
temps partiel et temporaires qui a contribué à accroître les inégalités de
revenu.
Sur le plan des dépenses, il s’agit d’élargir l’accès à l’éducation et aux
soins de santé. Dans beaucoup de pays émergents et de pays en
développement, ce sont notamment les subventions énergétiques,
coûteuses et contreproductives qui doivent être réduites. Les ressources
ainsi dégagées pourraient être utilisées pour améliorer l’éducation, la
formation professionnelle et l’augmentation des ressources pour les plus
démunis. […]
Pour promouvoir une plus grande égalité et une plus grande efficacité, il
s’agit aussi de recourir davantage à ce que l’on appelle les transferts
monétaires conditionnels. Ces transferts sont des instruments
particulièrement efficaces de lutte contre la pauvreté, et qui ont contribué
à réduire notablement les inégalités de revenu dans des pays tels que le
Brésil, le Chili et le Mexique.
Lors de ma visite récente au Brésil8, j’ai vu les résultats du programme
Bolsa Familia dans les favelas9. Ce programme vient en aide aux familles
pauvres, souvent monoparentales, sous forme de cartes de débit
prépayées, remises aux mères à condition que leurs enfants aillent à
l’école et participent à des programmes publics de vaccination.
Bolsa Familia10 s’avère à la fois utile et rentable : pour des dépenses
équivalant à 0,5 % du PIB par an, 50 millions de personnes reçoivent une
aide, soit un Brésilien sur quatre.
Outre ces politiques budgétaires intelligentes, des réformes intelligentes
dans des domaines vitaux tels que l’éducation, la santé, le marché du
travail, les infrastructures et l’inclusion financière pourraient également
changer la donne. Ces réformes structurelles sont essentielles pour
améliorer la croissance économique potentielle et relever les revenus et
les niveaux de vie à moyen terme.
Si je devais choisir les trois instruments structurels les plus
importants pour réduire les inégalités excessives de revenu,
ce serait l’éducation, l’éducation et encore
l’éducation11. […]
Le 23 juin 2016, lors d’un référendum national, les électeurs du Royaume-Uni se sont
prononcés en faveur d’une sortie de leur pays de l’Union européenne dont il était membre
depuis 42 ans. Si le vote en faveur du « Brexit » fait suite à un désaccord de plus en plus
marqué avec Bruxelles les résultats – 51,9 % pour quitter l’Union contre 48,9 % pour rester –
sont un véritable choc pour l’ensemble des pays membres. La campagne qui précéda le vote
fut à la fois ardue et controversée et tourna autour de trois axes majeurs à savoir l’économie,
l’immigration et la souveraineté nationale.
Le lendemain du vote, David Cameron démissionne laissant une place très convoitée au sein
du Parti conservateur à la fois par les partisans du Remain (rester) et ceux du Leave (partir).
Parmi eux, la Secrétaire d’État à l’Intérieur Theresa May. Celle qui fit campagne pour que le
Royaume-Uni reste dans l’Union européenne et fut durant de longues années membre du
Cabinet Cameron, reçut le soutien des backbenchers2 et devint ainsi la deuxième femme
Premier ministre du Royaume-Uni.
Theresa May prononça son premier discours en tant que Premier ministre devant le 10
Downing Street. Elle y dévoile la manière dont elle entend gouverner la Grande-Bretagne.
Dans un premier temps, elle appelle à l’union entre les pays qui forment le Royaume-Uni
mais aussi à une union entre tous les citoyens. Après un hommage rendu à son prédécesseur,
elle dresse un portrait de la société britannique, énumère les différents défis auxquels la
population doit faire face au quotidien et insiste sur la mission qui est la sienne à savoir
augmenter les chances pour toutes les personnes vivant au Royaume-Uni de connaître une vie
meilleure. Les principes d’intégration qui lui sont chers sont essentiellement ceux de la
démocratie Tory défendue par David Disraeli Premier ministre sous l’ère victorienne à savoir
le One-Nation ou unité nationale.
Le 21 janvier 2017 s’est déroulée à Washington une « marche des femmes » contre Donald
Trump. Au cours de cette manifestation, Angela Davis, toujours considérée comme l’icône
des droits civiques, du féminisme, de l’antiracisme et de la résistance sociale a pris la parole
devant deux à trois millions de manifestants. Son discours appelant à la résistance face à la
politique du président Donald Trump, fut très largement applaudi.