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LA FÉMINISATION
Comparaison des documents officiels concernant la
féminisation et des réactions qu’ils ont provoquées en France,
en Belgique et au Québec
Nous avons effectué ce travail dans une optique particulière, celle de voir où nous en
étions en tant que belges francophones par rapport à d’autres pays francophones sur la
question de langue. Avons-nous encore des raisons de nous sentir inférieurs à notre voisine la
France ou avons-nous dépassé notre sempiternelle réputation de suiveurs ?
Mais au XXe siècle, en particulier après la seconde guerre mondiale, les femmes
accèdent à des postes jusque-là réservés aux hommes et revendiquent une dénomination
adéquate à leurs nouvelles responsabilités.
Le débat se lance : faut-il garder l’appellation masculine initiale afin de conserver une
égalité entre les sexes ou faut-il revendiquer des désignations conformes au nouveau statut des
femmes dans la société ?
C’est alors que les états francophones décident de prendre part au débat. Mais le
feront-ils de manière similaire ? Abordons successivement le cas du Québec, de la France et
de la Belgique afin de comparer leurs démarches.
1. Le Québec
Les trois pays francophones qui vont retenir notre attention, nous pouvons considérer
le Québec comme le pionnier en matière de féminisation des noms de métiers, grades et titres.
En effet, c’est là-bas que seront effectuées les premières démarches officielles.
Dans ce premier avis officiel québécois, l’Office recommande l’utilisation des formes
féminines, qu’elles soient usuelles ou non et dans tous les cas l’accord du déterminant au
féminin.
Quatre solutions sont proposées pour féminiser les noms de métiers : l’utilisation
d’une forme déjà en vigueur dans la langue (une avocate), l’utilisation d’un déterminant
féminin devant les termes épicènes (une architecte), la création spontanée de formes
féminines selon les règles morphologiques2 (une chirurgienne) et l’adjonction du mot femme
aux termes masculins (une femme-ingénieur).
Notons que la dernière méthode a été assez vite abandonnée par les québécois en
raison de la connotation péjorative qu’elle contenait.
1
L’office est un organisme gouvernemental qui, depuis 1977, a pour mission d’appliquer la Charte de la langue
française, c’est-à-dire d’officialiser le français au Québec. Voir à ce propos l’annexe b.
2
C’est-à-dire tenir compte du redoublement des consonnes et des ajouts d’accents.
C’est ainsi qu’en 1984, le Comité rédige La féminisation des titres d’emploi, un premier
rapport qui rassemble plus de deux cents cas douteux de féminins à traiter.
Après avoir approfondi ses recherches, l’Office publie le 4 avril 1986 un guide3,
Titres et fonctions au féminin : essai d’orientation de l’usage, et qui met à la disposition de
tous des méthodes de féminisation de noms de métiers.
Cet essai présente une série de propositions de formes féminines aux usagers
francophones québécois tout en leur permettant de faire leur propre choix parmi les formes
féminines. Une particularité intéressante de l’ouvrage est qu’il reste très ouvert aux
néologismes et rejette les modes de formation traditionnels.
La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres a été bien reçue dans
ce pays francophone. Une enquête a révélé en 1985 que 75% de la population était favorable à
cette féminisation des noms de métier4. La féminisation linguistique semble donc s’être bien
implantée au Québec, même si certains ministères et organismes minoritaires n’y adhèrent
toujours pas.
En note, cet avis présente des procédés stylistiques tels que le recours au pluriel ou le
recours à des formulations impersonnelles qu’il est préférable d’utiliser pour détourner le
problème de la lourdeur qui pourrait être occasionnée par le respect des règles précédentes.
3
Office de la langue française, Titres et fonctions : essai d’orientation de l’usage, Québec, Les publications du
Québec, 1986, 70 p.
4
Martin André & Dupuis Henriette, La féminisation des titres et les leaders d’opinion: une étude exploratoire,
[Québec], Office de la langue française, 1985, 107 (Collection Langues et sociétés), p.17
Les recherches de l’Office sur la féminisation des textes vont également donner lieu à
d’autres publications dont la plus importante qui date de 1991 : Au féminin : guide de
féminisation des titres de fonctions et des textes (annexe d).
2. La France
Si une pétition avait déjà été adressée en 1891 par Louise Gagneur à l’Académie
française pour réclamer la féminisation linguistique ou encore si en 1932 l’Académie accepte
l’usage de néologismes tels que artisane, candidate ou factrice, trop peu de formes féminines
restent attestées publiquement.
Ce n’est que le 3 mars 1984 que la féminisation effectue un tournant significatif dans
son évolution lorsque le Journal Officiel publie le premier document à caractère officiel5. Il
s’agit d’un décret rédigé le 29 février de la même année, ayant pour but d’établir le rôle et les
objectifs de la Commission de terminologie6. Cette Commission, composée en grande partie
de journalistes, de membres du Haut Comité de la langue française, de représentants de divers
ministères, de linguistes reconnus dont André Martinel, Nina Catach ou Josette Rey-Debove
et présidée par l’écrivain7 Benoîte Groult, était, comme le mentionne le décret, « chargée
d’étudier la féminisation des titres et des fonctions et, d’une manière générale, le vocabulaire
concernant les activités des femmes » afin « d’apporter une légitimation des fonctions sociales
et des professions exercées par les femmes8 ».
5
Document manquant
6
Créée à l’initiative d’Yvette Roudy, à l’époque ministre des droits de la femme.
7
Ou plutôt écrivainE
8
voir le décret du 29 février 1984
professeurs George Dumézil et Claude Lévi-Strauss avancent que le masculin est le seul genre
qui permettrait de ne pas faire une ségrégation entre les hommes et les femmes dans le
domaine professionnel.
Leur raisonnement repose sur les arguments suivants. D’une part, le genre
grammatical n’a pas d’équivalence avec le genre naturel et la seule définition acceptable des
genres repose sur le principe du genre marqué. Alors que le féminin révèle une ségrégation
d’un ensemble, le masculin quant à lui désigne une collectivité tant féminine que masculine.
Dès lors, pour instaurer une égalité politique et économique entre les hommes et les femmes,
il est nécessaire, en ce qui concerne les dénominations professionnelles, de favoriser le
masculin, seul genre « non marqué » et collectif.
D’autre part, pour appuyer leur position, ils font appel à l’usage qui est selon eux seul
maître en la matière. Il ne s’y est d’ailleurs pas trompé lorsque les seuls noms de métiers
féminins qui ont été créés artificiellement ont été rapidement imprégnés d’une nuance
péjorative (cheffesse, poétesse,…)
Néanmoins, la Commission de Terminologie n’en reste pas là. Elle poursuit ses
recherches sur la féminisation et ses travaux sont concrétisés le 11 mars 1986 par une
circulaire de Laurent Fabius (annexe f) dans laquelle il prône l’utilisation des termes féminins
dans tous les textes administratifs et officiels. Les règles de féminisation sont attachées en
annexe et se répartissent en deux points :
1. l’emploi du déterminant féminin dans tous les cas
2. l’adjonction du suffixe –e pour tous les noms masculins terminés par une voyelle autre
que e muet9 (un délégué / une déléguée) ou par une consonne (dans ce cas certaines
modifications orthographiques peuvent avoir lieu, par exemple : un mécanicien / une
mécanicienne). Font exception à ce dernier point : les noms masculins terminés par –
teur qui forment un féminin en –teuse si le verbe de base est identifiable (un acheteur /
une acheteuse) ou en –trice s’il n’y a pas de verbe dans le substantif (un animateur /
une animatrice)10 ; les noms masculins terminés par –eur qui forment un féminin en –
euse si on peut reconnaître dans le substantif un verbe (un vendeur / une vendeuse) ou
9
À ce propos, Houbedine dira dans ses remarques que les mots terminés par -o restent inchangés.
10
Deux remarques cependant: dans le cas d’un éditeur, le féminin est une éditrice malgré qu’on peut reconnaître
le verbe et dans le cas d’un auteur où le féminin auteuse n’est pas reconnu dans l’usage
qui restent tels quels si le verbe de base n’est pas reconnaissable (un proviseur / une
proviseur, un ingénieur / une ingénieur).
Remarquons sur ce dernier point que la circulaire ne tient pas compte de deux
propositions présentées par la Commission de terminologie : les propositions de
masculinisation de termes de métiers féminins et la féminisation des noms masculins en –eur
dont le verbe n’est pas reconnaissable (professeur, censeur), proposition qui est pourtant
d’actualité au Québec.
Malgré les efforts fournis, les résultats escomptés n’ont pas été à la hauteur de
l’espérance. L’usage stagne et même dix ans plus tard, on préfère parler de directeur plutôt
que directrice.
Ensuite, l’Académie invoque une fois de plus la notion d’usage : il ne faut pas imposer
des formes artificielles qui ne sont pas encore dans la langue puisque les usagers ont du mal à
assimiler des notions purement théoriques.
Afin de clore ce débat de plus en plus médiatisé, Lionel Jospin introduit une circulaire
datée du 6 mars 1998 et publiée deux jours plus tard par le Journal Officiel (annexe g).
Pour terminer, il invite les ministres et les secrétaires d’Etat à « recourir aux
appellations féminines pour les noms de métier, fonction, grade ou titre dès lors qu’il s’agit de
terme dont le féminin est par ailleurs d’usage courant (par exemple, la secrétaire, la directrice,
la conseillère) » sans attendre. Remarquons au passage que cette circulaire présente un
caractère beaucoup plus timoré que la circulaire de 1986.
11
Commission générale de terminologie et de néologie, Rapport sur la féminisation des noms de métier,
fonction, grade ou titre, France, 1998, p. 3
12
Le statut juridique de la langue est repris dans les articles 2 de la Constitution et 11 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen.
Concernant la France, elle insiste principalement sur certains points défavorables comme
l’insuccès de la circulaire de 1986.
Le guide de l’INaLF (annexe i), connu sous le titre Femme, j’écris ton nom et dont la
direction était assurée par Bernard Cerquiglini, a pour but de montrer que d’un point de vue
linguistique, rien ne s’oppose à la féminisation des noms de métier. En effet, le français
possède un large éventail de possibilités morphosyntaxiques qui permettent de féminiser
n’importe quel terme masculin.
Ce guide tient compte des guides déjà parus au Québec14 et en Belgique15 et surtout, il
reprend intégralement les recommandations en annexe à la circulaire de Laurent Fabius
(annexe f). Tout en témoignant ne pas être exhaustif, ce guide établit une liste indicative de
2200 termes masculins et féminins. Les noms masculins sont présentés dans l’ordre
alphabétique avec leur correspondant féminin en regard et un nombre entre parenthèse
indique la règle morphologique à laquelle il a fallu recourir pour la formation de ces féminins.
3. La Belgique
13
Ibid., p. 3
14
Office de la langue française, Titres et fonctions : essai d’orientation de l’usage, Québec, 1986, 70 p.
15
Conseil supérieur de la langue française & Communauté française de Belgique, Mettre au féminin, Guide de
féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Bruxelles, 1994, 75 p.
Le premier document à caractère officiel de la Belgique en matière de féminisation des
noms de métier, grade, fonction et titre arrive bien plus tard que celui des deux pays
francophones précédents.
Le troisième et dernier article précise que ces règles doivent également être en
application dans les demandes et offres d’emploi pour désigner les femmes considérées dans
l’exercice de leur profession ou de leur fonction.
16
Organe consultatif chargé de conseiller le ministre ayant la langue dans ses attributions et présidé par Jean-
Marie Klinkenberg
17
Selon lui, faut laisser une certaine liberté à l’usage et en parallèle obliger la féminisation dans les documents
administratifs
18
Le Conseil recommande dans ce cas d’utiliser l’équivalent français et de le féminiser
Les recommandations quant à elles, proposent d’écrire systématiquement le féminin en
toutes lettres à côté du terme féminin dans les demandes et offres d’emploi, d’éviter de
recourir trop souvent au masculin générique et de ne pas abuser des termes féminins qui n’ont
pas encore de correspondant à l’oral.
Peu de temps après, une Commission de féminisation est formée par le Conseil
supérieur. Cette commission, composée de cinq membres dont deux parlementaires, Henri
Simons et Antoinette Spaak, et trois linguistes, Michèle Lenoble-Pinson, Marie-Louise
Moreau et Marc Wilmet, se voit confier l’objectif de réaliser un guide d’aide à la féminisation
des noms de métier pour les usagers. Ainsi le 2 février 1994, Mettre au féminin19 voit le jour
et cet ouvrage reprend les règles énoncées dans l’arrêté (annexe l).
Mettre au féminin a rencontré un énorme succès. Plus de 4200 exemplaires ont été
distribués, ce qui montre un engouement important des usagers belges pour leur langue. Il a
d’ailleurs soulevé un débat très animé en Belgique et n’a jamais été totalement accepté ni
totalement refusé.
Cela étant, une deuxième édition enrichie d’une centaine de noms a été publiée en
2005 et nous permet d’avancer que, même si les avis restent partagés, l’usage des noms de
métier et de fonction au féminin a nettement progressé.
19
Conseil supérieur de la langue française & Communauté française de Belgique, Mettre au féminin, Guide de
féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Bruxelles, Ministère de la Communauté française de
Belgique, 1994, 75 p.
Conclusion
Bien que ces trois pays partagent officiellement la même langue, leur manière
respective d’aborder un problème linguistique tel que la féminisation n’est pas similaire en
tout point.
Le Québec est celui qui a réagit le plus tôt avec le décret de 1979. La proposition a été
bien reçue et les travaux de l’Office ont débouché sur la publication d’un guide six ans plus
tard, en 1986, alors que la France n’en était qu’à la publication de la circulaire du premier
ministre et que la Belgique n’avait encore rien tenté. Ce guide a été lui aussi bien reçu par les
citoyens qui l’appliquent sans hésiter.
La France, malgré sa démarche moins tardive que la Belgique, en 1984, arrive bonne
dernière. Les travaux de la Commission ont abouti en 1986 à la publication d’une circulaire
ministérielle qui n’a donné aucune suite notamment en raison des protestations de l’Académie
française. Dix ans plus tard, lors du Conseil des ministres, le gouvernement tente de relancer
le débat qui s’avèrera violent mais toujours sans succès. En 1998, le ministre Jospin charge la
Commission de rendre un rapport et le guide paraîtra enfin en 1999, cinq ans après la
Belgique. Toutefois, la France dont la langue est bridée par l’Académie reste sceptique vis-à-
vis de cette féminisation linguistique.
Bibliographie
Martin André & Dupuis Henriette, La féminisation des titres et les leaders d’opinion: une
étude exploratoire, [Québec], Office de la langue française, 1985, 107 (Collection Langues et
sociétés), p. 17
Bibliographie Québec
Office de la langue française, Au féminin, guide de féminisation des titres de fonction et des
textes, Québec, Les publications du Québec,1991, 34 p.
Office de la langue française, À propos de l’Office : mission et rôle,mis à jour le17 décembre
2007, http://www.oqlf.gouv.qc.ca/office/mission.html, consulté le 17 décembre à 11h09
Office de la langue française, Titres et fonctions : essai d’orientation de l’usage, Québec, Les
publications du Québec, 1986, 70 p.
Bibliographie France
Commission générale de terminologie et de néologie, Rapport sur la féminisation des noms de
métier, fonction, grade ou titre, France, 1998, 56 p.
Institut national de la langue française, Femme, j’écris ton nom : Guide d’aide à la
féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, Paris, La documentation
française, 1999, 126 p.
Bibliographie Belgique
Conseil supérieur de la langue française & communauté française de Belgique, Mettre au
féminin, Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, Bruxelles,
Ministère de la Communauté française de Belgique, 1994, 75 p.