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Introduction

Le contact entre les turcs et arabes en général ne date pas d'aujourd'hui. Il


remonte bien à une époque très ancienne, et ce malgré la distance qui les séparait
géographiquement. Car, il faut bien noter qu'on parle souvent des origines centres
asiatiques et sibériennes des peuples turcs ou bien plus loin à l'Est de la région de
Mongolie centrale là où les stèles d'Orkhan ont été découvertes, tandis que les arabes
étaient loin à l'ouest dans l’Arabie. Depuis, Il y avait des hauts et des bas des relations
entre les deux.

Avant de commencer de traiter notre sujet, il est utile de signaler qu'aujourd'hui


l’expression « monde arabe » ne représente pas en réalité aucune entité politique
formelle ou autre type d’entité, même si elle est souvent utilisée pour désigner un
espace géographique1 qui regroupe certain nombre de pays ayant quelques points
communs2. Il s’agit en effet d’un ensemble vaste et hétérogène.

Malgré que les frontières relativement définitives qui séparent aujourd’hui ces
pays, ne datent que de la fin l’époque coloniale, des nuances culturelles et historiques
sont fortement visibles. On sent des différences notamment entre les populations
arabes arabisantes et ceux arabisées. Ces derniers gardent toujours dans la plupart des
cas au moins une partie de leurs identités originaires. En plus, ces populations n’ont
jamais été rassemblées sous le même étendard que pendant une courte durée qui a
commencé avec les Omeyyades jusqu’au les première du califat abbasside. Au même
temps, les premières contactes ont été établis entre des arabes et des populations
turcophones en l'Asie. Ces derniers ont adopté massivement la nouvelle religion et
leurs terres faisant ainsi une partie intégrante d'une terre de l'Islam unie sous l'autorité
d'un seul calife. Avant et après cette période, toutes ces populations arabes ou non,
dépendaient à des entités généralement rivales avec des frontières très instables à
cause des guerres qu’ils y avaient souvent entre eux.

Il fallait attendre le XVI siècle pour qu'une nouvelle puissance musulmane cette
fois turque et non arabe. Il s'agit de l'empire ottoman qui est arrivé à réunifier pour
certains moment presque tous les pays arabes à l'exception du Maroc.

Revenant à notre sujet et pour le traiter convenablement, il convient primo de le


contextualiser dans des périodes bien limitées et de distinguer secundo deux niveaux
d’analyse des points de vue celui des opinions publiques et celui des élites
gouvernantes, politiques et économiques.

1 Le monde arabe représente un espace allant du Golfe persique à l’Est à l’océan Atlantique à l’Ouest et couvrant les
pays de l’Arabie (Péninsule arabique), du l’Afrique du Nord et certains États du Proche-Orient.
2 Ils ont en général une majorité de population d’ethnique arabe ou ou arabisée, la langue arabe est la langue
nationale et officielle, l’Islam y est la religion dominante et ils font partie de la Ligue arabe.
Avant la naissance de la République Turque

Si on commence avec l'époque ottomane, on constate que malgré qu'il s'agit


d'une puissance musulmane, unificatrice, porteuse de la notion de califat et
protectrice d'un islam sunnite,etc, l'empire n'est pas en revanche très apprécié voire
même mal vue par la majorité des peuples arabes. Ce constat est dû principalement
aux contenues des manuelles officiels d'histoire3 :« Les programmes scolaires sont
très critiques vis‐à‐vis de cette période qui s’étend sur quatre siècles, jusqu’en 1923
avec la révolution kémaliste et l’abolition du califat (3 mars 1924). Sur ce sujet,
élites et opinions publiques partagent le même avis très défavorable »4.

Cette regard trouve une explication historique dans le fait que l'implantation
ottomane dans ces espace avait un objectif militaire plus que colonial : le contrôle les
routes maritimes méditerranéennes et les routes transsahariennes, les ottomans n'y
étaient pas nombreux mais ils occupaient les postes importants des pouvoirs locales,
et pour les simples citoyens notamment dans les régions intérieures la notion
ottomane n'était vue que comme un synonyme des impôts pas plus...etc.

Deux siècles après, la décadence précipitée de l'empire a engendré des pertes


progressives de ces territoires au profit des nouvelles puissances coloniales
européennes, puis à la chute définitive de l'empire après une lourde défaite à la fin de
la première guerre mondiale.

Les première années de la République

En 1923, la Turquie est née presque dans ses frontières actuelles5, et elle est
devenu un héritier légitime et unique de cet énorme empire. Il s'agit d'un basculement
brusque d'un régime impérial, théocrate, multiconfessionnelle, multiethnique... à un
État nation, à une république laïque moderne orientée complètement vers les pays
occidentaux, avec lesquels elle voulait s’identifier suite à une chaîne des réformes
radicales de son leader Mustapha Kemal : abolition du califat, instauration de la
laïcité, adoption de l’alphabet latin, supprimé la référence à l’islam comme religion
officielle dans la Constitution, etc. Depuis, la Turquie était très mal vue par les
opinions publiques arabes et même considérée comme un pays traître.

Cependant, on peut trouver une explication logique au raisonnement de


Mustapha Kémal si on le mis dans son contexte historique. D'un part, en plus des

3 L'Algérie fait probablement l'exception car l'époque de la présence ottomane dans le pays allant de 1516 à 1830, est
cité comme un âge d'or. Rappelons bien que cette présence est venu suite aux appels des citoyens d'Alger vers 1516,
aux frères Barberousse pour stopper les attaques et l'expansion des espagnols sur le littoral du pays.
4 Hicham MOURAD, « La Turquie vue du monde arabe : entre attraction et méfiance», compte-rendu du séminaire
de Janvier 2013 de l'Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique de l'IRIS.
5 A l'exception de la province Hatay (ex Sandjak d'Alexandrette ) rattachée à la Turquie en 23 juillet 1939 après
qu'elle faisait partie des territoires de la République syrienne sous mandat français.
dettes extérieurs, le territoire hérité était très sous développé dans tous les domaines.
Pour commencer la reconstruction et rattraper le retard, il fallait suivre « un modèle
réussi » et à l'époque ce dernier ne se trouvait nulle part qu'en occident. En plus en
1923 et dans les quelques années suivantes, la situation dans le monde arabe était plus
grave. Il n'existe pas un seul pays arabe indépendant. Tous les futurs États arabes
étaient sous l'occupation ou le protectorat d'une puissance coloniale européenne.

Mais la Turquie a continué à suivre cette orientation complète vers l'occident un


bon moment même après l'indépendance des pays arabes. Elle est même devenue
pendant la guerre froide, une pièce majeure du dispositif d’endiguement de l’Union
Soviétique contrairement à la majorité de ces pays.

En fait, l’adhésion au Conseil de l’Europe en 1949 et à l’OTAN en 1952, la


participation à la guerre de Corée (1950-1951), la signature du Pacte de Bagdad en
1955, la démarcation du mouvement des non-alignés, l’opposition aux mouvements
de libération nationale et anti-coloniaux et l’établissement des relations avec l’État
d’Israël, tout ses facteurs et autres n’ont autre effet que de nourrir une animosité
arabe6 vers une Turquie perçue comme un pays qui a trahi l’islam 7. « Mais si ces
contentieux étaient prégnants au Moyen-Orient, ils étaient moins perceptibles au
Maghreb, où, malgré les liens avec l’Empire, les relations avec celui-ci étaient moins
étroites, où la colonisation européenne a quelque peu effacé dans les mémoires la
présence ottomane du XVIe au XIXe siècle, et où une profonde méconnaissance a
régi le peu de rapports qui ont existé depuis l’instauration de la République de
Turquie. »8

En grosso modo, on peut dire que la politique suivie pendant cette période était
une obligation dictée par les circonstances de l'époque et le pouvoir turc était penché
beaucoup plus sur la construction d'un pays moderne. Cette période est marqué aussi
par la disparition d'Atatürk en 1938 et le déclenchement de deuxième guerre
mondiale pendant laquelle la Turquie a gardé une neutralité jusqu'à ses deux mois
derniers. Peu après le pays plonge dans une grave crise économique (1955), liée à la
faible industrialisation du pays et à la fin des crédits américains (Plan Marshall). Le
gouvernement Menderes engage une politique de rigueur budgétaire, couplée à une
remise en cause des libertés fondamentales. Par conséquence, la livre turque est
dévaluée de 300 % en 1958.

Dans des telles circonstances et des situations qui n'étaient pas meilleurs dans les
pays arabes, la priorité est donnée aux affaires intérieures plus que celles extérieurs
et la politique étrangère dans les deux côtés était secondaire par rapport aux
difficultés internes.

6 On parle ici beaucoup plus sur les pays arabes du Moyen-Orient parce que à cette époque ceux du Maghreb étaient
encore sous l’occupation.
7 Didier Billion, « Laïcité, islam politique et démocratie conservatrice en Turquie », Confluences Médi-terranée, n°
76, hiver 2010-2011, p. 37-49.
8 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013
Depuis les années 1960-1970

Des séries de changements sur les plans interne et externe ont poussé Ankara à
modifier à partir des années 1960, les axes de sa politique extérieure et à adopter une
politique multi-vectorielle en multipliant les partenaires dans le but de défendre ses
intérêts nationaux d'un part et de jouer un rôle régional et international de plus en
plus important de l'autre part. Par conséquence, elle commence à retourner vers
l’orient vers le monde musulman pour retisser des liens longtemps négligés et
presque rompus depuis l’abolition de la Califat, mais cela sans nuire à ses rapports
avec l’occident qu’elle continue à les développer9.

Parmi ces changements, on peut citer sur le plan interne de l'ouverture


démocratique et le multipartisme juste après la fin de la seconde guerre mondiale.
Cette ouverture a permis l'arrivée au pouvoir de nouvelles générations de décideurs
autres que ceux attachés à la vision kémaliste. Il ne faut pas oublier les conséquences
des coups d'états ayant secoué le pays depuis les années 1960. Sur le plan extérieur,
en plus de l'indépendance progressive des pays arabes, la guerre froide, la Turquie a
été choquée par les résultats de cette alignement inconditionnel dans le camps
d’occident, qui n’étaient pas à la hauteur des espérances. Ankara a été lâché à maintes
reprises par ses proches allies occidentaux comme témoigne par exemple la réaction
des États-Unis dans l'affaire chypriote. En fait, un embargo militaire américain est
mis en place contre la Turquie suite à son intervention militaire à Chypre10.

Cette nouvelle orientation est devenue plus visible particulièrement avec le


ralliement en 1969 de la Turquie à l'Organisation de la coopération islamique 11 et le
changement de position concernant la question palestinienne 12 avec la reconnaissance
en 1975 de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’adhésion à
l’Organisation de la Conférence islamique...etc.

Durant la période du 1960 à 198013, l'institution militaire turque a toujours été


l’ossature, la colonne vertébrale du régime et le gouvernement n’est pas assez
solide ni assez légitime. En novembre 1982, une nouvelle constitution est adoptée par
référendum et elle a préparé le chemin vers un retour au régime civil. En décembre
1983, l'Anavatan Partisi gagne les élections législatives et Turgut Özel, un
économiste libéral, est nommé premier ministre. Ce dernier est un partisan de la
conception « eurasiste » de la Turquie basée sur une ouverture à la fois vers l'Europe
et vers l'Asie. En 1991 alors président de la république, Özal a soutenu la coalition
9 En 1959, la Turquie pose sa candidature pour devenir membre associé de la Communauté économique européenne
(CEE) et en 1963, un accord d'association est signé entre les deux.
10 Le 20 juillet 1974 s'appuyant sur la traité de garantie, la Turquie a lancé l'opération Attila soldée par l'occupation du
nord chypriote et cela suite d'un coup d'État des nationalistes grecs contre le gouvernement chypriote en place
visant à rattacher l'île à la Grèce.
11 Rappelons nous que la Turquie avait quitté sous l'impulsion de Mustapha Kemal, la conférence de la Mecque en
1926, estimant que sa participation à une conférence islamique était contraire à son esprit laïque.
12 La Turquie avait été le premier pays musulman à reconnaître en 1949.
13 Il y avait trois coups d'état militaires durant cette période, le premier en mai 1960, le deuxième en mai 1960 et le
dernier en septembre 1980.
contre l'Irak pendant la deuxième guerre du golfe. Cette date marque la première
implication de la Turquie dans une guerre directe contre un pays arabe. Même s'il y a
même des pays arabes et musulmans ayant également participé dans cette coalition, la
position de l'opinion publique dans le monde arabe à ce sujet était très controversé.
On peut dire même d'un bon pourcentage était pour la cause irakienne et voyait d'un
mauvais œil la participation de la Turquie dans cette coalition. Cette participation
confirme selon eux l'alignement de ce pays dans le camps occidental.

En réalité, ce n'est pas la proximité entre la Turquie et le monde occidental,


qui pose de problèmes en soi mais plutôt l'ingérence dans les affaires intérieures. La
preuve est que pas mal de pays arabes comme l’Égypte et l'Arabie Saoudite par
exemple, adoptent des politique pro-occidentaux sans que cela pose problème aux
opinions publiques arabes.

Sous le pouvoir de l'AKP


Face à la situation de blocage des négociations de l’adhésion de la Turquie
à l’Union européenne, le pays opte pour plus de la normalisation de ses relations
avec le monde arabe. Pour le faire, une reconquête économique et idéologique de cet
espace a été mise en marche bien avant l’arrivée au pouvoir du Parti de la Justice et
du Développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP). Mais c'est bien avec ce
dernier que cette reconquête est passée au vitesse maximal pour devenir un axe
majeur de la politique étrangère de Davutoğlu basée principalement sur les doctrines
de « profondeur stratégique » et de « zéro problème avec les voisins » c'est-à-dire
la neutralisation des problèmes avec le voisinage. L'objectif est de faire de la Turquie
la puissance régionale la plus importante.

En effet, cette politique a eu un succès dans toute la région et elle a commencé


rapidement à donner ses fruits. La Turquie est devenue pour le monde arabe un
‘’modèle’’ politique et économique à suivre, avec à la fois une démocratie à l’identité
musulmane assumée et une économie en plein essor. L’expansion à tous azimuts de la
Turquie a même poussé certains analystes d’aller un peu loin, en qualifiant sa
nouvelle doctrine politique comme étant une doctrine « néo‐ottomanisme »14.

Cependant, il faut bien voir que la Turquie n'a pas une politique globale dans ses
relations avec tous les pays du monde arabe. Sa diplomatie turque a bien compris la
situation et elle a pris en considération la particularité de chaque pays de cette espace.
On distingue en grosso modo une claire différence entre un engagement plus large
dans tous les domaines même politique avec les pays arabes de l'Asie contrairement à
sa politique principalement économique avec les pays du nord d'Afrique,
géographiquement plus loin.

14 Selon Didier Billion, ce terme n’explique finalement pas grand‐chose vue la profonde différence qui existe entre
l’Empire ottoman et la République de Turquie, soit sur le plan politique, religieux, géographique,
démographique, etc.
En fait, cette espace géographique15 - une large porte de l’Afrique- représente
depuis seulement quelques années un double enjeu pour Ankara à cause de
l’abondance des matières premières dans la région notamment ceux de caractère
énergétique (Gaz, pétrole...), alors une opportunité de satisfaire les besoins croissants
de cette économie émergente et de limiter sa dépendance aux autres fournisseurs, ceci
d’un côté et de l’autre, il est considéré avec ses près de 100 millions d’habitants
comme un grand marché des produits turcs et une terrain prometteuse pour les
entreprises turque.

Néanmoins, cette nouvelle politique extérieure de la Turquie vers le monde


arabe en général, n’a pas durée très longtemps. Le début des événements du
Printemps arabe en 2011 a bouleversé toute la donne géostratégique en redistribuant
les cartes dans la région. Au bout de quelques mois, la politique étrangère turque
s’est « écroulée 16» et toutes ses positions au Moyen-Orient (Syrie, Égypte, Irak) se
sont fragilisées ; des liens longuement tissés après des réconciliations se sont défaits
(Syrie et Iran) ; d’anciennes et de nouvelles rivalités se sont ravivées (Iran, Arabie
Saoudite, Égypte)17 et ses intérêts au Maghreb sont dorénavant menacés (Notamment
en Libye et en Tunisie)18. Pour cela, on préfère détailler la politique extérieure du
gouvernement de l'AKP avec ces pays, avant et après le déclenchement de ces
événements.

Avant le début du Printemps arabe

Les mutations et les changements qui ont eu lieu d’un part en Turquie - avec
l’arrivée et le maintient de l’AKP au pouvoir depuis 2002, c’est-à-dire une stabilité
politique en plus de la croissance économique19-, et de l’autre part dans la scène
régionale et internationale, ont favorisé relativement la monté en puissance de ce pays
comme force régionale et la mise en avant son modèle comme un modèle à suivre.
Car en parallèle, le Moyen-Orient a subi une série des événements majeurs 20 ayant
participé à sa déstabilisation et à l’affaiblissement des pays de cet air géographique,
tout en accélérant une chaîne des démarches vers un probable redécoupage de cette
partie du monde, vers un grand Moyen-Orient21.

15 Une superficie totale d'environ 5,7 millions de kilomètres carrés, http://www.universalis.fr/encyclopedie/maghreb-


geographie/#
16 Patrick Seale, « The Collapse of Turkey’s Middle East Policy », Middle East Online,
5 septembre 2012.
17 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013
18 Avec les pays de l’espace occidental et géographiquement plus éloigné du monde arabe, la Turquie n’avait presque
que des rapports purement économique et elle avait essayé de garder toujours des relations cordiales avec leurs
dirigeants au moins jusqu’au début des révolutions arabes en 2011.
19 Entre 2003 et 2013, la Turquie a enregistré une croissance d'environ 7 % chaque année, une augmentation du PIB
($799.5 billion en 2014) et un doublement du PIB par habita, contre une réduction de la dette publique.
http://www.worldbank.org/en/country/turkey
20 Les guerres du Golf 1 et 2, l’invasion de l’Irak, le retrait américain et les révolutions arabes « le printemps arabe »...
21 Un projet américain rendu publique par l’administration de G. Bush en marge de la sommet de G8 à Sea Island en
juin 2004. Ce projet se base sur l’idée de « Diviser pour régner » dans un objectif de balkaniser le Monde Arabo-
musulman.
Il certainement claire que les tentatives de blanchir l’image de la Turquie et de
pacifier leur rapports avec les voisins, remontent à une date antérieure, mais ce n’est
qu’avec un gouvernement d’AKP, selon certains spécialistes, que ce pays a
commencé plus au moins à construire des relations fortes avec ces derniers, à se
démarquer de l’occident22 et à voir plutôt ses propres intérêts 23. On voit bien ce
changement de politique extérieur dans la décision prise à l’occasion24 et après de
l’invasion de l’Irak en 200325.

« Cette décision prise en tenant compte d’une opinion publique méfiante à


l’égard des projets de l’Administration Bush dans la région et qui avait clairement
exprimé son opposition à l’offensive américaine contre l’Irak, a constitué un
véritable tournant de la politique étrangère turque, reflétant les postures et les
orientations des nouveaux dirigeants de la Turquie –l’AKP était arrivé au pouvoir un
an auparavant – qui s’apprêtaient à jouer un plus grand rôle dans les affaires
régionales. Ce tournant par lequel la Turquie a affirmé sa souveraineté nationale et
son émancipation sur la scène internationale a ouvert la voie au déploiement d’une
diplomatie proactive au Moyen-Orient ; celle-ci se traduira notamment par le
réchauffement des relations de la Turquie avec la Syrie et par son rapprochement
avec l’Iran »26.

En réalité, l’ouverture et le rapprochement avec les voisins orientaux


s’accéléraient avec le temps grâce notamment à une diplomatie très active. Dans ce
cadre de multiples accords et traités ont été signés « La Turquie et la Syrie ont établi
le Conseil de haut niveau de coopération stratégique, le 16 septembre 2009, à la
suite de quoi elles ont déclaré le retrait des visas pour des séjours touristiques d’une
durée inférieure à 90 jours. Un an plus tard, Ankara a signé le même accord de
coopération stratégique avec le Liban. En juin 2010, à Istanbul, la Turquie, la Syrie,
la Jordanie et le Liban ont décidé de fonder une zone de libre circulation des biens et
des personnes, nommée le ‘’Quatuor du Levant’’, dont les statuts sont établis à
Beyrouth le 18 octobre 2011. Mais les derniers événements en Syrie ont gelé le
projet 27».
22 Certains spécialistes de l’IRIS soulignent qu’il ne s’agit que d’une prétendue prise de distance de la Turquie
vis‐à‐vis des États‐Unis et de l’Occident, soulignant que « Ankara et Washington ne se distancient absolument
pas. Tout au contraire, leurs points de vue convergents sur un certain nombre de dossiers, la Syrie en est
un très bon exemple. Les initiatives américaines et turques sont complémentaires et elles ont peu ou prou
les mêmes objectifs et les mêmes buts. Il n’y a donc pas d’éloignement diplomatique entre les États ‐Unis et la
Turquie ». (IRIS, LA TURQUIE VUE DU MONDE ARABE / COMPTE‐RENDU SEMINAIRE – JANVIER 2013)
23 Pour les intérêts, on parle ici à la fois de ceux la Turquie en tant que pays et ceux du parti au pouvoir l’AKP. À part
la question kurde, la position prise à l’occasion de l’invasion de l’Irak peut entre dans une politique de populisme
de ce parti au moment où l’opinion publique turque était massivement opposée à cette guerre.
24 Le 1er mars 2003, la Grande Assemblée nationale turque refuse le passage et le stationnement en Turquie de 62 000
militaires américains en route vers l’Irak....les États-Unis agitent des menaces de rétorsion financière....Les Turcs
accusent les Américains de soutenir le PKK et mènent des opérations au Kurdistan irakien pour y traquer la
guérilla, tandis que les Américains soupçonnent les Turcs de faciliter le passage d’Al-Qaida.
http://www.diploweb.com/La-Turquie-alliee-de-toujours-des le 14/12/2015.
25 Ibrahim Tabet, « Histoire de la Turquie, de l'Altaï à l'Europe », l’Archipel, 2007.

26 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013.
www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/noteifriocpnakesbi.pdf
27 Artık Özge , « La Turquie : retour au Moyen-Orient », Herodote n° 148 , La Découverte, 1er trimestre 2013, p35.
Sur le volet diplomatique, Ankara a joué à mainte reprises un rôle de médiation
très important entre ses partenaires régionaux. On peut citer à titre d’exemple la
médiation entre la Syrie et Israël sur le Golan entre 2004 et 2008, entre les factions
palestiniennes et dans les crises gouvernementales libanaise ou irakienne.

Profitant des changements opérés au sommet du pouvoir en États-Unis suite à


l’élection en 2009 du candidat du parti démocrate Barack Obama et de son nouveau
discours concernant la politique américaine en Moyen-Orient, Ankara réaffirme son
soutient à la cause palestinienne et commence à changer son langage envers Israël28,
réhabilitant ainsi son image dans le monde arabe et musulman.

En effet grâce à ces plusieurs sorties médiatiques dans lesquelles il n’a pas hésité
à critiquer pleinement l’État hébreu, Erdoğan est devenu un grand héros et un vrai
leader aux yeux des arabes et musulmans en général. On peut citer sa qualification
« de terrorisme d’État » l’assassinat du Cheikh Yassine en 2004 ; sa geste en marge
du forum de Davos en janvier 2009, lors qu’il a apostrophé le président israélien
Shimon Peres pour dénoncer l’opération « Plomb durci » à Gaza ; ainsi que ses
déclarations relatives à l’affaire de « Mavi Marmara »29.

La Turquie n’a pas attendu longtemps pour commencer à avoir les premiers
fruits de sa nouvelle politique. « Sur la décennie 2002-2012, les échanges
commerciaux de la Turquie avec les pays arabes du Moyen-Orient ont été multipliés
par 9, passant d’un montant approchant 4,7 milliards de dollars à 46,3 milliards de
dollars, et la part des pays arabes dans les échanges commerciaux de la Turquie est
passée de 5 à 12 % »30. En plus sur le plan d’investissement étranger, la Turquie a
continué, vu les nombreux atouts qu’elle dispose, à attirer beaucoup de capitaux et
d’investisseurs arabes en particulier des pays du Golfe. Mais malgré que le volume de
ce dernier a été quadruplé à l’espace de 10 ans (1998-2008), il reste très loin de celui
des européens31 .

Depuis le début du Printemps arabe

En décembre 2010, de vives contestations populaires ont commencé en Tunisie


provocant le départ du président Ben Ali avant de se propager dans la plupart des
pays arabes pour demander de même le départ des gens au pouvoir. L'ensemble de
ces mouvements est appelé depuis les révolutions arabes ou les « Printemps arabes ».
Les bouleversements engendrés par ces événements ont affecté aussi l’ensemble des
28 Cette nouvelle position de la Turquie reste toujours au niveau des discours politiques sans arriver à porter atteinte à
la coopération économique et militaire avancée entre Ankara et Tel-Aviv. Par exemple : « Durant la période 2003-
2011 , les exportations vers Israël sont passées de 1 milliard à 2,4 milliards ».
29 C’est le nom de la flottille turque partie pour Gaza avec à son bord des militants pacifistes pro- palestiniens qui fut
stoppée par l’intervention de l’armée israélienne, qui fit neuf morts parmi les militants.
30 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013.
www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/noteifriocpnakesbi.pdf
31 L’UE est le premier investisseur en Turquie avec près de 80 % des investissements étrangers.
acteurs régionaux dont la Turquie. Cette dernière a été obligée désormais à revoir sa
doctrine et sa stratégie.

En fait, cette crise a annulé les bénéfices d’un long processus d’intégration
économique dans la région. Plusieurs accords dont ceux susmentionnés, ont été
annulés ou dans le meilleur des cas gelés. « L’accord de libre-échange avec la Syrie
a été suspendu en décembre 2011, celui avec le Liban n’a pas pu devenir
opérationnel, les relations de la Turquie avec le gouvernement de Nouri al-Maliki en
Irak se sont détériorées, notamment en raison de la question kurde, le Premier
ministre irakien considérant que la Turquie est devenue un « état hostile » – au point
de se retrouver dans une impasse – et le commerce de transit de la Turquie vers les
pays du Golfe via l’Irak a été de plus en plus entravé alors que la détérioration de la
situation sécuritaire en Syrie rendait impossible tout transport routier à destination
de la Syrie ou via la Syrie »32.

La politique d’Ankara au sujet du conflit syrien et la prise de position contre le


régime alaouite de Bechar al-Assad, n’ont pas passé sans conséquences sur les
relations avec les pouvoirs chiites de la région. En fait, ils ont eu même comme
conséquence des pertes considérables pour ses entrepreneurs sur les marchés irakiens,
iranien et libanais33.

Cependant malgré les perturbations causées par d’une telle situation d’instabilité
croissante dans la région, Ankara a prouvé quand même, une forte capacité
d’adaptation en arrivant malgré tout à continuer son avancement. Par exemple
économiquement parlant, elle a pu renforcer globalement ses exportations vers le
monde arabe34. La valeur de ces dernières est passée de 22.836 à 35.743 durant la
période du 2010 à 2012 soit avec une augmentation de 57 %35. On parle ici d’une
réussite même si ce taux est fortement plus bas avec les pays consumés par ses
événements36 avec seulement 8%37.

L'explication de ces chiffres peut être trouvée dans le fait que ce sinistre n’a pas
les mêmes effets catastrophiques sur les relations de la Turquie avec les pays de
Maghreb. Dans cet espace occidental du monde arabe, on constate une continuité de
32 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013.
www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/noteifriocpnakesbi.pdf
33 Ibid.
34 En avril 2015, le ministre turc de l'économie a déclaré que le montant global des échanges commerciaux entre la
Turquie et les pays arabes a atteint 53 milliards de dollars à la fin de 2014, et devrait atteindre les 70 milliards de
dollars au premier trimestre de 2017.
35 Kemal Kirişci, Improvising Turkish Tade Policy in a Turbulent Post Arab Spring Stategic Context », in Riaux, La
Turquie au Moyen Orient, page 20, Etude de l’IRSEM N°28 - 2013.
www.defense.gouv.fr/content/download/229756/2561307/file/Etude%20Turquie%2028%20modifi%C3%A9e
%20janvier%202014.pdf
36 Tunisie, Libye, Égypte, Syrie, Yémen et Bahreïn

37 Kemal Kirişci, Improvising Turkish Tade Policy in a Turbulent Post Arab Spring Stategic Context », in Riaux, La
Turquie au Moyen Orient, page 20, Etude de l’IRSEM N°28 - 2013.
www.defense.gouv.fr/content/download/229756/2561307/file/Etude%20Turquie%2028%20modifi%C3%A9e
%20janvier%202014.pdf
la présence turque notamment dans les domaine économique. Au Maghreb, la Turquie
« a multiplié ses relations économiques avec chacun des pays – avec des volumes des
échanges en croissance constante et une présence des entreprises turques de plus en
plus importante – et déployé avec succès un soft power qui la fait rayonner dans
toute la région »38.

Mais ce rayonnement est lié principalement à une ignorance de la majorité des


maghrébins et des autres arabes à la réalité de la Turquie et de sa politique. En
réalité, à partir de 2011, on voit l’émergence de partis politiques adoptant une
islamique modérée et une politique générale plus au moins proche à celle des frère
musulmans dans plusieurs pays de cet espace comme en Tunisie et au Maroc.
Profitant de la nouvelle image braillante de la Turquie 39, ces derniers font souvent
référence au « modèle turc » pour souligner le succès des islamistes au pouvoir, tout
en fermant les yeux sur le principe de la laïcité et en oubliant les spécificités
historiques, géographique, économique et autres de ce pays. Parce que si on entre
dans les détails et si on énumère les différences entre la Turquie et chaque pays de
l’Afrique du nord, on constate facilement que ce modèle est intransmissible au moins
dans un futur proche.

Pour le moment la notion de laïcité pose beaucoup de problème au niveau de


l’opinion publique dans tout les pays arabe sans exception 40, même si les pouvoirs
dans la majorité de ses pays sont fondés comme en occident sur des bas laïques. Ils
l’adoptent presque sans oser à la nommer avec son nom. L’islam est souvent
mentionné dans leurs constitution, soit comme être la religion de l’État ou autre, mais
il est loin d’être la première source de législation sauf pour les quelques lois qui
réglementent les affaires de la famille et de l’héritage. A ce sujet Mansouria Mokhef
a souligné que « la laïcité pose problème dans les pays arabo-musulmans : au
Maghreb, comme dans l’ensemble des pays arabes, si 75 % de la population
regardent avec bienveillance le « modèle turc », du fait d’une profonde
méconnaissance des institutions turques, 25 % le rejettent, ce rejet provenant « en
partie d’une mauvaise compréhension du fonctionnement d’un régime laïc, dans un
pays musulman où l’immense majorité de la population est musulmane.41 »

Ce refus catégorique de laïcité est clairement constaté à l'occasion de la visite de


R. T. Erdoğan à l’Égypte en septembre 2011 suite à l'arrivée des frères musulmans au
pouvoir. En arrivant au Caire, il a été accueilli chaleureusement par une foule
nombreuse mais l'évocation de la laïcité comme principe constitutionnel
incontournable pour assurer le respect de toutes les religieux en marge d’une
interview télévisée42 au terme de sa visite, a bouleversé la situation. Il est désormais
38 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013
39 Son émergence économique principalement et son nouveau discours politique.
40 La laïcité fait l’objet d’un rejet complet par les opinions publiques arabes qui la considèrent comme une
négation du fait religieux, donc une sorte d’athéisme.
41 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013.
www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/noteifriocpnakesbi.pdf
42 Il a dit : « A présent, pour l’Égypte de la période transitoire et post‐transitoire, je suis convaincu que ce sujet
sera évalué de manière sérieuse. Et en ce qui concerne la démocratie et le parcours démocratique surtout,
hué, conspué et accusé d’ingérence43.

Avec les Printemps arabes et face à la nouvelle donne, la Turquie était obligée de
remodeler sa politique extérieure en s’engageant de plus en plus politiquement pour
au moins garder ses intérêts dans immédiats et avoir plus dans le futur. Cependant,
elle a échoué politiquement dans la plupart des cas et elle n’a fait que nourrie de
nouveau des hostilités. En Syrie, Ankara a pris position au côté de l’opposition
islamiste dans sa guerre contre le régime d’al-Assad, soutenu par les kurdes syriens
qui sont très proche du PKK. En Égypte, elle a soutenu farouchement les Frères
musulmans avec leur président Morsi même après sa destitution perdant ainsi la
confiance du nouveau régime militaire. En Tunisie, les islamistes d’Ennahdha
soutenus pas la Turquie, n’ont pas pu arriver au pouvoir, ils n’ont obtenu que 69 du
217 sièges du parlement, aucun représentant au niveau de gouvernement et un
président de la république issue du parti rival Nedaa. De même en Algérie, ladite
« Alliance de l'Algérie verte » regroupant plusieurs formations islamistes à partir de
mars 2012, juste avant les élections législative de la même année, n’a pas eu un
grand succès ni dans ces élections, ni dans les présidentielles 44. Au Maroc, même si
les islamistes du parti de la justice et du développent (PJD) 45 sont eux qui ont rempoté
les élections législatives de novembre 2011 et c’est leur leader Abdelilah Benkirane
qui dirige le gouvernement depuis, le pouvoir de ce dernier reste bien minime par
rapport à celui du roi. En Libye malgré les bons rapports qu’elle avait avec le régime
du Kadhafi46, Ankara a pu garde relativement le même genre de rapports avec le
nouveau gouvernement jusqu’à une date proche47.

Néanmoins ni ces tentions ni mêmes ceux ayant secoué la scène intérieure


turque48, n’ont un vrai impact sur les rapports économiques avec le Maghreb - grâce à
on verra que l’État laïc ne propage pas l’irréligieux, la laïcité étant le respect de toutes les religions et la
garantie pour chacun de vivre librement sa religion. [...] Ceux qui auront à préparer la Constitution en
Égypte devront dire que l’État respecte toutes les communautés religieuses et se tient à égale distance de ces
communautés »
43 Hicham MOURAD, « La Turquie vue du monde arabe : entre attraction et méfiance», compte-rendu du séminaire
de Janvier 2013 de l'Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique de l'IRIS.
44 La revanche du pouvoir algérien à une éventuelle ingérence turque des ses affaires intérieurs, était indirecte mais
violente. À la suite des accusations d’Erdogan à l’égard de la France d’avoir perpétré un génocide en Algérie juste
après le vote en France d'un texte de loi réprimant la négation du génocide arménien, l’ex-premier ministre algérien
et le chef de l’un des deux parti au pouvoir, Ahmed Ouyahia a fait un allusion à Erdogan en déclarant le 09 janvier
2012 à la presse, qu’il a dénié à quiconque le droit de faire «du sang des Algériens un fonds de commerce».
45 Ce parti politique marocain porte le même nomme que l’AKP « Parti de la justice et du développent ». En mai
2011, la jeunesse du PJD avait signé un accord de coopération avec la jeunesse de l’AKP en Turquie, en présence
d’Erdogan, Premier ministre à l’époque.
46 « Avant la révolution de 2011, les entrepreneurs turcs ont été impliqués dans plus de 500 projets en Libye, pour un
montant global supérieur à 10 milliards d’euros ». Olivier Caslin, « BTP : l’Afrique dans l’oeil des tigres
d’Anatolie », revue Jeune Afrique 11 mai 2012, http://www.jeuneafrique.com/141702/archives-thematique/btp-l-
afrique-dans-l-oeil-des-tigres-d-anatolie/, consulter le 21/12/2015.
47 A partir de 2014, le pays sombre dans une nouvelle guerre civile tandis que deux gouvernements se disputent la
légitimité. « Le Premier ministre libyen Abdallah al Thinni, dont le gouvernement est seul reconnu par la
communauté internationale, accuse la Turquie d'armer ses rivaux de l'"Aube libyenne" qui contrôlent la capitale
Tripoli depuis août dernier ». (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/02/27/97001-20150227FILWWW00261-
lybie-la-turquie-accusee-d-armer-les-islamistes.php)

48 Les événements Gezi Park, le problème des kurdes et la reprise de guerre contre le PKK, la multiplication des
attentats terroristes (Ankara, Suruç...), le durcissement du pouvoir, les questions de respect des droits de l’homme et
toute une classe d’entrepreneurs turcs très active et soutenue par le gouvernement- ou
sur l’opinion publique dans chaque pays. En effet, « la majorité de la population au
Maghreb reste indifférente aux déboires intérieurs d’Erdoğan et sensible à l’image
du leader régional qu’il a réussi à imposer »49.

Cette indifférence preuve qu’il y a bien autres facteurs qui influencent plus les
peuples arabes en général. Depuis quelques années, la Turquie fait partie de la vie
quotidien des simples citoyens. Elle y est omniprésente grâce à ces produits qu’ils les
utilisent et les consomment50 chaque jours et aux infrastructures dont des entreprises
turques participent dans leurs réalisations51.

En effet, les entreprises turques du BTP sont présentes sur tous les gros
chantiers, du Maroc à la Libye en passant par l’Algérie et la Tunisie. Selon un article
publié en mai 2012, la croissance de l’investissement turc au nord africain est lié
principalement à la proximité géographique et culturelle entre les deux espace 52, tout
en soulignant que « l’Afrique du Nord concentre 90 % des contrats signés sur le
continent, à commencer par la Libye, tête de pont historique où les entrepreneurs
turcs ont été impliqués dans plus de 500 projets, pour un montant global supérieur à
10 milliards d’euros, jusqu’à la révolution de l’an dernier (2011). C’est encore dans
cette région qu’ils signent leurs plus beaux contrats, à l’image de Demtas Group, qui
s’est vu attribuer début mars la réalisation du futur « port financier » de Tunis,
estimé à près de 4 milliards d’euros »53.

A tous ces facteurs, il ne faut pas oublier les télé-feuilletons turcs, qui ont envahi
ces dernières années le monde arabe et devenant ainsi le « soft power » de la
diplomatie turque. Ils participent à la promotion de l’image de la Turquie qui est
devenu par conséquence une destination touristique favorite pour des millions gens54
55
.

Le Professeur de sciences politiques à l'université du Caire, Hicham MOURAD


a confirmé ce soft power de la Turquie en soulignant que « L’art et la culture turcs,

de la liberté d’expression (arrestations de journalistes et fermetures des chaînes de télévision), le mouvement Gülen
et les scandales politico-financiers...
49 Mansouria Mokhefi, Le Maghreb face aux nouveaux enjeux mondiaux, Décembre 2013.
www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/noteifriocpnakesbi.pdf
50 Les produits turcs généralement manufacturés (électroménagers, textiles de maison, habillement, fournitures
domestiques, biens alimentaires) ont pu concurrencer ceux des pays européens ou des États-Unis et parfois même
ceux de la Chine et autres pays asiatiques, grâce à un bon rapport qualité / prix.
51 « Depuis le rejet européen de 1997, l’expansion économique du pays est devenue une priorité, et l’Afrique une cible
privilégiée. Et le secteur turc de la construction n’a pas tardé à prendre pied sur le continent ».
(http://www.jeuneafrique.com/141702/archives-thematique/btp-l-afrique-dans-l-oeil-des-tigres-d-anatolie/)
52 Par rapport aux autres concurrents : Chine, États-Unis, EU, Inde...etc.
53 Olivier Caslin, « BTP : l’Afrique dans l’oeil des tigres d’Anatolie », revue Jeune Afrique 11 mai 2012,
http://www.jeuneafrique.com/141702/archives-thematique/btp-l-afrique-dans-l-oeil-des-tigres-d-anatolie/,
consulter le 21/12/2015.
54 Mohammed Réda BRAIM, « Les télé-feuilletons, le "soft power" de la diplomatie turque », la nouvelle tribune
13/12/2013, http://lnt.ma/les-tele-feuilletons-le-soft-power-de-la-diplomatie-turque/

55 Par exemple, le nombre de touristes égyptiens qui ont choisi la Turquie en 2011, a augmenté de 400%.
dont les fameux soap‐opera, sont diffusés dans les pays arabes, et sont très
massivement suivis : près de 80 millions de téléspectateurs, soit le double de
l’audience de la très populaire Al Jazeera. Cette diffusion permet de créer les
conditions d’une proximité, d’une familiarité entre la Turquie et le monde
arabe, qui participe graduellement, mais efficacement, à l’amélioration des
représentations que se font de la Turquie les populations des pays arabes »56.

Conclusion

En conclusion, on peut dire que la politique extérieure de la Turquie envers le


monde arabe est très variable. Il s'agit généralement d'une politique à court terme
dictée par les circonstances temporelles et des intérêts immédiats.

Depuis l'arrivé de l'AKP au pouvoir même ses les relations avec les pays arabes
restent toujours secondaire par rapport à celles avec l'occident, Ankara n'a pas cessé à
tenter -pour des raisons stratégiques et économique- d’améliorer progressivement ses
relations avec ce monde mais ces dernières.

Mais c'est sur le plan économique que la Turquie peut être un modèle attractif.
Sa réussite dans ce stade continue à faire l'unanimité de tout le monde en suscitant de
plus en plus de l'admiration contrairement au plan politique soit interne ou externe.
Car même si le discours politique des chefs de l'AKP est très apprécié par l'opinion
publique arabe, il est considéré comme le fait de jeter de la poudre dans les yeux pour
les élites dans le tout monde arabe.

Les printemps arabes étaient le premier teste réal de la Turquie en tant qu'une
puissance régionale et sa diplomatie a enregistré de sérieux revers notamment au
Moyen-Orient. Mais les dégâts subis dans l'est sont relativement rattrapés au
Maghreb qui a été envahi économiquement et culturellement grâce notamment aux
engagements massifs des entrepreneurs turcs et au fait de soft power.

56 Hicham MOURAD, « La Turquie vue du monde arabe : entre attraction et méfiance», compte-rendu du séminaire
de Janvier 2013 de l'Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique de l'IRIS.

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