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Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

Présence de Démocrite
dans l'astronomie lucrétienne1

Résumé

Dans les vers qu'il consacre à l'astronomie, Lucrèce mentionne une hypothèse -
nommément attribuée à Démocrite - pour expliquer le cours relatif du Soleil et de la
Lune (cf. De rerum natura V, 614-649). Or l'origine démocritéenne de cette théorie n'est
directement confirmée par aucune autre source. Il s'agit par conséquent d'expliciter
cette référence complexe en fonction de l'astronomie épicurienne et de montrer qu'elle
n'entre pas en contradiction avec la cosmologie démocritéenne. Mais, au-delà des
questions purement astronomiques, cette étude permet de préciser quelle fut l'attitude
de Lucrèce à l'égard du grand Démocrite, que les Anciens reprochaient souvent à
Epicure d'avoir plagié.

Resumo

Nos versos que dedica à astronomia, Lucrécio menciona uma hipótese -


designadamente atribuída a Demócrito - com a finalidade de explicar o curso relativo
do Sol e da Lua (Confere De rerum natura, V, 614 - 649). Ora, a origem democritiana
de tal teoria não está diretamente confirmada por nenhuma fonte outra. Trata-se
portanto aqui de explicitar esta complexa referência em função da astronomia
epicurista e de mostrar que ela não entra em contradição com a cosmologia do filósofo
atomista. Entretanto, para além das questões meramente astronômicas, o presente
estudo torna possível indicar com exatidão qual foi a atitude de Lucrécio em relação ao
grande Demócrito, o qual, segundo as frequentes críticas dos Antigos, Epicuro teria
plagiado2.

Mots-clés : Lucrèce, Démocrite, astronomie

Le De rerum natura comporte trois références explicites à Démocrite, qui est


d'abord mentionné à propos de la composition de l'âme (cf. III, 370 sqq.), puis cité à
titre d'exemple remarquable dans le catalogue des morts illustres (cf. III, 1039 sqq.). La
dernière mention, qui retiendra mon attention dans cette étude, figure au livre V (v. 614-
649) dans un passage d'astronomie consacré au cours des astres : Lucrèce reprend une
hypothèse qu'il attribue au grand philosophe atomiste pour expliquer la vitesse relative
du Soleil et de la Lune. Cette citation comporte un grand intérêt tant du point de vue de

1
Cette étude doit beaucoup à Béatrice Bakhouche, que je tiens à remercier pour son aide et ses précieuses
suggestions.
2
Que mon amie Christina Amalric, qui a eu la gentillesse de traduire ce résumé en portugais, veuille bien
trouver ici l’expression de ma gratitude.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

l'histoire des sciences que de celui de l'histoire littéraire. Elle constitue en effet un
élément important pour l'évaluation de la réception de Démocrite dans la culture latine
et fournit également de précieuses indications sur l'astronomie démocritéenne.
Cependant, une étude portant sur ces questions prendra nécessairement en compte
l'admiration professée par Lucrèce à l'égard d'Epicure et de sa doctrine ; elle devra être
envisagée en fonction du contexte philosophique et polémique du De rerum natura. On
sait en effet que les Anciens, et notamment Cicéron, voyaient en Démocrite le maître
d'Epicure et reprochaient à ce dernier, qui s'affirmait comme un autodidacte et reniait
toute influence3, d'avoir plagié et même gâté la philosophie de l'Abdéritain4. En tant
qu'épicurien romain, Lucrèce a été confronté à une situation délicate : il lui fallait
assurer la défense d'Epicure en butte aux accusations d'ingratitude et de plagiat.
Souligner la dette d'Epicure eût donné raison à ceux qui lui déniaient toute originalité5.
Inversement, revendiquer trop ouvertement son indépendance par rapport à l'atomisme
eût justifié le premier reproche. Dans ces conditions, il ne serait guère étonnant que la
citation du livre V comportât un intérêt stratégique, qu'il conviendra de mettre en
évidence et d'évaluer. De fait, Lucrèce présente l'hypothèse astronomique de Démocrite
au moyen d'une périphrase fort élogieuse (cf. V, 622 : Democriti quod sancta uiri
sententia ponit), qui sert également d'introduction à la critique de la psychologie
démocritéenne6. Or cette dernière est rejetée par Lucrèce dans un développement de
caractère polémique7 et j'ai essayé de montrer ailleurs qu'en réfutant la théorie
démocritéenne de l'âme, Lucrèce reconnaissait implicitement la dette d'Epicure à l'égard
des atomistes, mais parvenait stratégiquement à souligner l'insuffisance de leur physique
et de leur éthique8. Qu'en est-il de l'hypothèse astronomique de Démocrite, qui n'est pas
franchement invalidée, mais complétée par d'autres théories, selon la méthode
épicurienne des hypothèses multiples9 ? Afin de déterminer la portée de cette référence
dans le De rerum natura, il convient d'analyser précisément l'explication attribuée à
Démocrite et de vérifier qu'elle est conforme à ce que nous savons par ailleurs de son
astronomie. L'interprétation lucrétienne sera ensuite mise en relation avec la cosmologie
épicurienne et la théorie des hypothèses multiples.

***

L'interprétation lucrétienne du tourbillon démocritéen

3
Cf. Diogène Laërce, Vies, X 13.
4
Cf. Cicéron, De natura deorum, I, 26, 73 ; I, 43, 120 ; De finibus, I, 6, 17-21; Plutarque, Contre Colotès, 3,
1108 E ; Diogène Laërce, Vies, X 2.
5
Lucrèce souligne à plusieurs reprises l'originalité de son maître : cf. I, 66-67 ; III, 2 ; V, 54.
6
Sur ce point, voir P. BOYANCE, Lucrèce et l'épicurisme, Paris, 1963, p. 159-160 ; P.-M. MOREL,
Démocrite et la recherche des causes, Paris, 1996, p. 206 ; J. SALEM, Démocrite. Grains de poussière
dans un rayon de soleil, Paris, 1996, p. 195-196 et mon étude "Lucrèce et la psychologie démocritéenne",
Vita Latina 167, décembre 2002, p. 22-36.
7
Illud in his rebus nequaquam sumere possis / Democriti quod sancta uiri sententia ponit, / corporis
atque animi primordia singula priuis / adposita alternis uariare ac nectere membra. (III, 370-373)
8
Cf. "Lucrèce et la psychologie démocritéenne", art. cit.
9
Sur la pluralité des hypothèses, cf. Epicure, Lettre à Pythoclès, § 85-86.
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Après avoir démontré au chant III le caractère mortel de l'âme humaine, Lucrèce
procède au chant V à la même démonstration concernant notre monde (V, 91-415). Il y
évoque la naissance du monde (V, 416-508) avant de consacrer un important
développement au mouvement des astres (V, 509-770) et notamment au cours du Soleil
et de la Lune (V, 614-649). C. Bailey10, suivi par L. Robin11, considère que la
complexité de ce passage est due en partie à une confusion du poète, qui n'aurait pas
totalement compris la théorie qu'il rapportait. Le commentateur en déduit que Lucrèce
travaillait à partir d'un manuel épicurien et ne s'intéressait pas particulièrement à
l'astronomie. Il convient de vérifier la validité d'une telle interprétation afin de saisir la
valeur de la citation démocritéenne. Le poète commence par indiquer successivement
deux aspects spectaculaires de la trajectoire solaire :

• D'une part, il note que le circuit du Soleil ne se déroule pas dans le cercle de
l'équateur12, mais sur un plan incliné par rapport à celui-ci (v. 615-617).

• D'autre part, le Soleil semble accomplir en un an un circuit complet d'ouest en est,


circuit que la Lune accomplit en un mois (v. 618-619).

Après avoir précisé que ces faits ne peuvent s'expliquer par une cause
simple (v. 620), il présente l'hypothèse de Démocrite :

Nam fieri uel cum primis id posse uidetur


Democriti quod sancta uiri sententia ponit,
quanto quaeque magis sint terram sidera propter,
tanto posse minus cum caeli turbine ferri. (v. 621-624)
"Il se peut tout d'abord que les choses se passent
comme la parole sacrée du grand Démocrite l'affirme :
plus les astres se trouvent proches de la terre,
moins ils sont entraînés par le tourbillon du ciel"13.

Cette première explication ne concerne qu'un des aspects, à savoir la différence


de vitesse entre les trajectoires du Soleil, de la Lune et des autres astres. Démocrite
semblait considérer, d'après la théorie qui lui est attribuée par Lucrèce, que le
mouvement des astres était d'autant plus rapide qu'ils se trouvaient plus éloignés de la
terre. Ainsi, dans la perspective géocentrique qui était celle des Anciens, les signes du
zodiaque, les planètes, le Soleil et la Lune sont-ils entraînés en une course dont la
vitesse est proportionnelle à leur éloignement par rapport à la terre. L'origine
démocritéenne de cette théorie n'est directement confirmée par aucune autre source.
Aétius indique seulement que :

"Démocrite pense que les solstices sont produits par le tourbillon qui
meut circulairement le Soleil"14.
10
Cf. C. BAILEY, Edition, traduction anglaise et commentaire du De rerum natura, Oxford, 1947, tome
III, p. 1416 sqq.
11
Op. cit., tome III, p. 78 sqq.
12
Ce terme est bien entendu à prendre au sens astronomique de sphère céleste.
13
Sauf indication contraire, les traductions du De rerum natura qui sont citées dans cette étude, sont
celles de J. KANY-TURPIN, Paris, Aubier, 1993.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

Si ce témoignage établit un rapport entre le tourbillon des atomistes et le cours


du Soleil, il ne fait pas état de la vitesse relative des différents astres. Nous en sommes
donc réduits à vérifier la cohérence de cette théorie par rapport à la cosmologie des
premiers atomistes, au sujet de laquelle les témoignages sont plus nombreux. Diogène
Laërce en propose notamment un précieux résumé dans la notice consacrée à
Leucippe15. Selon la théorie cosmogonique attribuée à ce philosophe, "la génération des
mondes se produit ainsi : … de multiples corps de formes diverses se trouvent
transportés de l'illimité dans un grand vide" et forment un tourbillon, au sein duquel, par
un effet de criblage, le semblable s'unit au semblable. A propos de cette étape, le point
de vue de J. Salem16 est tout à fait justifié : il n'est pas nécessaire de supposer, comme le
fait J. Bollack17, que la loi de regroupement s'applique aux agrégats, issus des micro-
tourbillons dans lesquels les atomes s'entremêlent. Ce sont les atomes eux-mêmes qui
sont triés par la rotation et se rassemblent en fonction de leur forme et de leur taille.
C'est à ce stade que peut logiquement intervenir la formation des quatre composés
élémentaires, qui est évoquée dans la notice de Diogène Laërce sur Démocrite18. Les
corps les plus légers sont alors projetés vers la périphérie tandis que les plus lourds
restent au centre du tourbillon. Se forme ensuite "un premier système sphérique", que
l'on peut comparer à une membrane enveloppant les corps qui tourbillonnent à la
périphérie. Puis, la terre se constitue "par le rassemblement des corps portés vers le
centre". L'enveloppe extérieure s'accroît également grâce à l'affluence des corps qui lui
sont tangents. Certains de ces corps, entraînés par la vitesse du tourbillon, s'embrasent et
forment ainsi la substance des astres :

"Toutes les étoiles sont embrasées du fait de la vitesse de leur


mouvement"19.

J. Bollack, commentant cette dernière étape, en déduit que "l'enveloppe tourne


plus vite que les cercles intérieurs" étant donné que l'incandescence y est la plus forte20.
Il est vrai que la différence des vitesses n'est pas explicitement indiquée, mais on peut
légitimement la supposer. Aétius précise en effet que, selon Démocrite, la terre, qui a la

14
Cf. D.-K 68 A 89 [= Aetius, Opinions, II, XXIII, 7], traduction J. P. DUMONT, Les écoles présocratiques,
Paris, 1989.
15
Cf. D.-K. 67 A 1 [= Diogène Laërce, Vies, IX, 31-33]. Selon J. BOLLACK ("La cosmogonie des anciens
atomistes", Democrito e l'atomismo antico, op. cit., p. 11-60), ce résumé doxographique, transcrit dans la
biographie de Leucippe, provient probablement du Grand Système du monde. Or, d'après le témoignage
de Diogène Laërce, cet ouvrage, dont la paternité avait été attribuée à Leucippe par l'école de
Théophraste, figure cependant parmi les œuvres de Démocrite dans le catalogue établi par Thrasylle. Cf.
D.-K. 68 A 33 [= Diogène Laërce, Vies, IX, 46]. Pour une étude détaillée de la cosmogonie atomiste,
brièvement résumée ici, voir J. BOLLACK, art. cit. et J. SALEM, Démocrite…, op. cit., p. 97-128.
16
Op. cit., p. 103.
17
Art. cit., p. 24.
18
Cf. D.-K. 68 A 1 [= Diogène Laërce, Vies, IX, 44] : "Les atomes sont illimités en grandeur et en
nombre, et animés d'un mouvement tourbillonnaire dans l'univers, ce qui a pour effet d'engendrer tous les
composés : feu, eau, air et terre, qui sont justement des compositions de certains atomes, eux-mêmes
exempts de pâtir et d'altération du fait de leur solidité".
19
Cf. D.-K 67 A 1, § 33.
20
Art. cit., p. 39.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

forme d'un disque concave en son milieu, est immobile21. Du mouvement très rapide
entraînant les étoiles à l'immobilité de la terre, on peut donc supputer que la vitesse des
planètes intermédiaires décroît peu à peu, l'augmentation de la densité corpusculaire
entraînant un ralentissement du mouvement tourbillonnaire. Il apparaît donc que la
théorie attribuée à Démocrite par Lucrèce n'entre pas en contradiction avec l'ensemble
de la cosmologie atomiste. Le témoignage de Vitruve, qui dit par ailleurs s'inspirer de
l'astronomie démocritéenne (cf. De architectura IX, 5, 4 et Praef. 14), permet-il de
confirmer l'origine atomiste de cette hypothèse ?

La comparaison des exposés astronomiques de Lucrèce et de Vitruve est de ce


point de vue assez surprenante. Lucrèce tente de mettre la théorie de la dinê en relation
avec les mouvements planétaires, qui produisent une impression tout à fait opposée à ce
qu'elle devrait être. La Lune, bien qu'elle soit plus proche de la terre (v. 629-630),
semble en effet beaucoup plus véloce que le Soleil, puisqu'elle parcourt en un mois une
trajectoire que le Soleil accomplit en un an. Mais il s'agit d'une apparence22 : les étoiles
(signes du zodiaque : feruida signa, v. 628) sont dites "fixes" car elles occupent toujours
les mêmes positions dans le ciel, à la différence des planètes. Le mouvement de ce que
l'on appelle "le ciel des étoiles fixes" est en fait beaucoup plus rapide que celui des
autres corps célestes. Par rapport à ce fond d'apparence immobile, le Soleil semble, au
cours de l'année, se déplacer en un mouvement inverse - soit d'ouest en est - à celui qu'il
exécute en réalité - c'est-à-dire d'est en ouest -, tandis que la Lune semble se déplacer
dans le même sens que lui, mais plus rapidement23 :

Flaccidiore etenim quanto iam turbine fertur


inferior quam ad sol, tanto magis omnia signa
hanc adipiscuntur circum praeterque feruntur.
Propterea fit ut haec ad signum quodque reuerti
Mobilius uideatur, ad hanc quia signa reuisunt. (V, 632-636)
"Plus est languissant le tourbillon qui l'(scil. la Lune) emporte, étant
donnée sa place au-dessous du soleil, plus les signes (du zodiaque) qui
l'entourent peuvent l'atteindre et la dépasser. Voilà comment il se fait
qu'en apparence elle revient plus rapidement vers chacun des signes : ce
sont les signes qui viennent la retrouver"24

La théorie selon laquelle la vitesse des différents astres est inversement


proportionnelle à leur proximité par rapport à la terre repose elle-même sur un postulat
non explicite, à savoir que tous les corps célestes accomplissent une seule et même
rotation dans le sens est/ouest25. Or ces éléments théoriques ne figurent pas dans
l'exposé astronomique du De architectura de Vitruve. Cette absence est d'autant plus

21
Cf. D.-K. 68 A 94 [= Aetius, Opinions, III, x, 5) et 68 A 95 [=Aetius, Opinions, III, XIII, 4].
22
Il faut noter que le raisonnement est très elliptique : Lucrèce se contente de faire allusion (cf. uideatur,
v. 636) à un phénomène précédemment analysé et explicité par l'exemple des corps célestes (cf. IV, 387-
396).
23
Voir à ce propos le schéma et les explications très éclairantes de C. BAILEY, op. cit., tome III, p. 1418.
24
Pour faciliter l'interprétation du passage, nous adoptons une traduction plus littérale que celle de J.
Kany-Turpin.
25
Cela est confirmé par le témoignage d'Aétius (Opinions, III, II, 9).
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marquante que, de toute évidence, Vitruve avait lu le De rerum natura et n'ignorait pas
que Démocrite avait servi de référence au philosophe épicurien dans son exposé
d'astronomie. A cet égard, A. Novara26 met à juste titre la référence élogieuse à
Démocrite qui apparaît dans la préface du livre IX en relation avec l'admiration que
Vitruve exprime pour Lucrèce à la fin de la même préface (§ 17). L'auteur du De
architectura propose une ingénieuse comparaison pour figurer la vitesse relative des
différents astres et rendre compte du phénomène constaté par Lucrèce. Il suggère de
creuser sept canaux concentriques dans une roue de potier et de forcer sept fourmis à
cheminer en sens inverse du mouvement de ladite roue :

…necesse erit eas contra rotae uersationem nihilominus aduersus itinera


perficere, et quae proximum centrum habuerit celerius peruagari, quaeque
extremum orbem rotae peragat, etiamsi aeque celeriter ambulet, propter
magnitudinem circinationis multo tardius perficere cursum. (De Architectura
IX, 1, 15)
"… On constatera fatalement que la rotation contraire de la roue ne les empêche
nullement d'accomplir leur course contre elle, et que celle qui sera la plus proche
du centre avance plus rapidement, alors que celle qui parcourt le cercle extérieur
de la roue, même si elle marche aussi vite, met beaucoup plus de temps à
achever sa course, à cause de la longueur de sa circonférence"27.

Le mouvement de la roue figure la rotation quotidienne du ciel qui ralentit, en la


soumettant à des mouvements rétrogrades, la révolution annuelle des planètes, elle-
même représentée par la marche des fourmis28. Selon cette interprétation, les
mouvements apparents des astres résulteraient donc de la somme algébrique de deux
mouvements de sens contraire. Si l'explication de Vitruve rappelle celle de Lucrèce, elle
s'en distingue cependant sur des points importants. Tout d'abord, comme le fait
remarquer J. Soubiran29, Vitruve laisse entendre, même s'il ne le dit pas explicitement,
que :

• D'une part, toutes les planètes se meuvent à la même vitesse (cf. etiamsi aeque
celeriter ambulet).

• D'autre part, seule la différence de longueur de leurs orbites explique la différence


de durée de leur révolution.

J. Soubiran précise que telle était l'opinio communis des Anciens, illustrée
notamment par le témoignage de Macrobe30. De plus, l'exposé de Vitruve est fondé sur
une opposition entre deux mouvements effectifs : celui du ciel et celui des astres (cf.
26
Cf. A. NOVARA, "Démocrite dans le De architectura de Vitruve", Helmantica, L, 151-153, décembre
1999, Salamanque, p. 603.
27
Traduction J. SOUBIRAN, CUF, Paris, 1969.
28
Sur le topos que constitue cette comparaison qui apparaît dans de nombreux manuels, voir J.
SOUBIRAN, op. cit., p. 111, note 64.
29
Op. cit., p. 110, note 63.
30
Cf. Somn. Scip. I, 21, 6 : Constat enim nullas inter eas (scil. errantes stellas) celerius ceteris tardiusue
procedere; sed cum sit omnibus idem modus meandi, tantum eis diuersitatem temporis sola spatiorum
diuersitas facit.
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contra rotae uersationem et aduersus itinera). Or, parmi les deux mouvements opposés
évoqués par Lucrèce, la rotation de l'occident vers l'orient n'est qu'un mouvement
apparent. En outre, Lucrèce n'explique pas la différence de vitesse des planètes par une
somme de mouvements inverses, mais par un ralentissement du tourbillon :

Euanescere enim rapidas illius et acris


imminui supter uiris… (V, 625-626)
"Car celui-ci (scil. le tourbillon) se ralentit et perd de sa violence
impétueuse à mesure qu'il s'abaisse…"31.

Compte tenu de ces notables différences par rapport au De rerum natura, le texte
du De architectura contribue malheureusement assez peu à éclairer l'opacité de la
référence lucrétienne à Démocrite. Il convient d'ajouter que l'explication proposée par
Vitruve n'est pas attribuée nommément à Démocrite. Il semble même que l'auteur
s'abstienne volontairement de faire référence à la théorie de Démocrite, du moins telle
qu'elle apparaît chez Lucrèce, pour expliquer le cours des planètes. Il est fort possible
que Vitruve, bien qu'il vît en Démocrite l'un des fondateurs de l'astronomie32, ait
considéré comme erronée ou dépassée son explication des orbites planétaires. On peut
voir une confirmation de cette hypothèse dans le fait qu'il se réfère à l'autorité de
Démocrite uniquement pour exposer le principe de base de l'astronomie antique et
décrire : quae figurata conformataque sunt siderum in mundo simulacra33. Le
témoignage de Vitruve, s'il n'infirme nullement l'origine démocritéenne de la théorie
exposée par Lucrèce, souligne la déficience théorique suggérée par cette référence et
renvoie aux faiblesses de l'astronomie épicurienne en général. Il convient par
conséquent d'étudier la validité de l'hypothèse en question par rapport à la cosmologie
épicurienne telle qu'elle est exposée par Lucrèce.

Le caeli turbo dans la cosmologie lucrétienne

Le poète ne fournit pour sa part aucune justification du ralentissement


intervenant au sein du tourbillon général et il est difficile de savoir si Démocrite, à qui
Thrasylle attribue un traité Sur les planètes34, avait jugé utile de préciser cette question.
M. L. Silvestre considère que Lucrèce se fonde sur une interprétation strictement
littérale de la notion et confère de ce fait à la dinê une fonction différente de celle que
lui attribuait Démocrite35. Selon cet auteur, c'est à tort que Lucrèce ferait dépendre du
turbo les différences de vitesse et de position entre les corps célestes ainsi que la
séparation des atomes selon leurs qualités. Démocrite aurait expliqué ces phénomènes
31
Traduction A. ERNOUT, Paris, CUF, 1985.
32
Cf. D.-K. 68 B 14 1 [=De architectura IX, 6, 3]. Démocrite est cité après Thalès de Milet, Anaxagore
de Clazomène, Pythagore de Samos et Xénophane de Colophon. Vitruve loue collectivement ces
philosophes, dont il ne distingue pas les différentes découvertes. Il leur attribue de manière générale "des
considérations savantes permettant de calculer la manière dont la nature gouverne les phénomènes
naturels et la manière dont leurs effets se produisent" (trad. J. P. Dumont).
33
Cf. D.-K. 68 B 14 1 [=De architectura IX, 5, 4] : "quelles sont la figure et la conformation des
simulacres des astres dans le monde" (trad. J. P. Dumont).
34
Cf. D.-K. 68 A 33 [= Diogène Laërce, Vies, IX, 46].
35
Cf. M. L SILVESTRE, Democrito e Epicuro, il senso di una polemica, Napoli, 1986, p. 183.
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uniquement par les caractéristiques différentielles des atomes36. Ainsi la vélocité des
astres résulterait-elle intrinsèquement de la nature des atomes qui les composent37.
Pourraient ainsi être considérées comme démocritéennes les affirmations selon
lesquelles les astres possèdent une plus grande rapidité et sont plus éloignés de la terre
que les autres corps célestes. En revanche, le rôle attribué à la dinê, qui n'est rien d'autre
que la somme des mouvements atomiques dans l'univers, résulterait d'une déduction
abusive de Lucrèce. Si l'explicitation de la cosmologie démocritéenne proposée par
M.L. Silvestre est très éclairante, son interprétation du texte lucrétien est en revanche
contestable. Une telle lecture, pour être, elle aussi, trop littérale, ne rend pas justice à
l'exposé cosmologique de Lucrèce. Celui-ci complète en effet la référence à la théorie
démocritéenne par les vers suivants :

…ideoque relinqui
paulatim solem cum posterioribu' signis,
inferior multo quod sit quam feruida signa. (V, 626-628)
"… le soleil est peu à peu
relégué en arrière avec les derniers astres
parce qu'il est bien plus bas que les signes de feu".

Il est indéniable que Lucrèce présente le caeli turbo comme une force agissante
(cf. rapidas… et acris… uiris, v.625-626) qui entraîne (cf. turbine ferri, v. 624 et caeli
turbine fertur, v. 632) les corps célestes. Mais cette formulation, quelle que soit la
nature exacte du phénomène qu'elle décrit, apparaît également dans les autres
témoignages concernant les Abdéritains. Diogène Laërce indique notamment que
l'enveloppe entourant le monde est soumise au mouvement du tourbillon et que certains
corps tangents à l'enveloppe sont emportés circulairement dans le tourbillon général et
forment ensuite les étoiles38. Même si Diogène Laërce a pu être tributaire de
l'interprétation épicurienne, un texte issu d'une tradition différente, comporte le même
type de référence à la force motrice du tourbillon. Ainsi Simplicius cite Démocrite, qui
définit ainsi le premier moment cosmogonique :

"Un tourbillon de toutes sortes de formes qui s'est séparé du tout"39.

Enfin, dans un extrait de la Physique, tenu par H. Diels pour un témoignage sur
la cosmologie abdéritaine, Aristote évoque au sujet du hasard "le tourbillon et le

36
Cf. D.-K. 67 A 6 [= Aristote, Métaphysique, A, IV, 985 b 4) : "Leucippe et Démocrite soutiennent que
les différences sont les causes des autres choses. Ces différences, disent-ils, sont à vrai dire au nombre de
trois: la figure, l'ordre, la position".
37
M. L. Silvestre insiste sur le lien nécessaire entre les atomes qui composent les astres et la rapidité de
ceux-ci : "plus les atomes qui constituent un corps sont rapides, plus le corps s'éloigne de la terre; plus le
corps est rapide, plus son orbite sera longue, plus longue est l'orbite, plus longue est la distance de la
terre. (…) Les atomes les plus rapides ne sont-ils pas les plus petits ? Les plus petits ne sont-ils pas les
atomes de feu ? Et les astres ne sont-ils pas de feu" (op. cit., p. 183).
38
Cf. D.-K. 67 A 1 § 33 : "car l'enveloppe, se trouvant soumise au tourbillon, s'approprie les corps qui lui
sont tangents. Certains de ces corps, en se rassemblant, produisent un système, d'abord humide et boueux
; puis ils s'assèchent, sont emportés circulairement dans le tourbillon général, et finissent par s'embraser et
former la substance des étoiles".
39
Cf. D.-K. 68 A 67 [Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 327, 24].
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

mouvement qui a dissocié et composé l'univers dans cet ordre-ci"40. Au regard de ces
différents textes, il apparaît donc que l'interprétation lucrétienne du dinon n'est pas
isolée. De plus, il faut également tenir compte des choix poétiques de Lucrèce, qui
enrichit par la force évocatrice de l'image la sécheresse de l'exposé scientifique. Par
conséquent, la puissance motrice du tourbillon est une image destinée à suggérer le
mouvement général des corps composés au sein de notre monde. L'objectif de Lucrèce
est d'expliquer le cours du Soleil et de la Lune ; il n'envisage pas le monde du point de
vue de sa genèse, mais de son fonctionnement actuel. Dans cette perspective, l'image du
caeli turbo est celle qui correspond le mieux au modèle démocritéen, dont Lucrèce veut
rendre compte41. La lecture lucrétienne de la cosmogonie démocritéenne ne doit donc
pas être déduite de cet exposé dédié à l'astronomie. En outre, Lucrèce n'y affirme
nullement que le tourbillon est une force extrinsèque, sans relation avec les
caractéristiques des atomes, ce qui du reste serait en contradiction avec la théorie
exposée dans la Lettre à Pythoclès. Selon Epicure en effet, ce sont les germes
appropriés, qui, après avoir afflué, "produisent peu à peu des adjonctions, des
articulations et des déplacements"42. L'analyse des vers lucrétiens consacrés à la
naissance du monde permettra de confirmer cette interprétation.

De fait, la référence à la théorie astronomique de Démocrite est à mettre en


relation avec le récit cosmogonique de Lucrèce, qui reprend dans ses grandes lignes le
modèle des anciens atomistes. Il est vrai qu'Epicure n'a pas manqué de réfuter celui-ci
sur certains points : ainsi critique-t-il dans la Lettre à Pythoclès (§ 89) l'idée que le
monde se forme "dans un vaste lieu pur et vide"43. Il suffit en effet que le lieu soit en
grande partie vide. Toutefois, en précisant que le grand vide initial n'est pas un vide
absolu, mais correspond à "une absence locale et relative de corps"44, Epicure cherche
avant tout à clarifier la cosmologie abdéritaine. L'objet principal de la critique est autre :
Epicure conteste surtout le fait (ibidem, § 90) qu'un rassemblement d'atomes
quelconques et un tourbillon dans le vide suffisent à créer un monde sous l'effet de la
nécessité45. Il faut que convergent des semences appropriées (§ 89). Epicure fait donc
intervenir un principe étiologique supplémentaire par rapport à Démocrite : "la présence

40
Cf. D.-K. 68 A 69 [= Aristote, Physique, II, IV, 196 a 24].
41
Le même type d'image apparaît dans le livre V à propos du temps, qui se voit métaphoriquement
attribué par Lucrèce une puissance de création et de destruction (cf. V, 314-317 ; 828-831; 834-836). Or
cette valeur semble en opposition avec la conception épicurienne du temps présentée dans le livre I (v.
459 sqq.). A. Gigandet ("Histoire et mortalité du monde chez Lucrèce", conférence faite dans le cadre du
séminaire de philosophie hellénistique et romaine de l'Université Paris XII - Val de Marne) a bien montré
que ce passage de l'exégèse littérale au sens métaphorique avait une justification pédagogique et
s'expliquait par une différence de perspective. Quand il s'agit d'observer le fonctionnement de la nature, la
réalité d'accompagnement qui caractérise le temps acquiert force de loi du fait de la régularité des
phénomènes. Mutatis mutandis, on peut proposer le même type d'explication pour l'attribution d'une force
motrice au turbo caeli : le passage de la cosmologie à l'astronomie entraîne une métaphore qu'on ne
saurait réduire à une interprétation trop littérale.
42
Cf. Lettre à Pythoclès, § 89, dans Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes illustres, traduction
française sous la direction de M. O. GOULET-CAZE, Paris, 1999, traduction J.-F. BALAUDE pour la vie
d'Epicure, livre X).
43
Cf. D. -K. 67 A 1 (trad. J.-F. Balaudé)
44
Cf. P.-M. MOREL, Démocrite et la recherche des causes, Paris, 1996 , p. 269.
45
Cf. D.-K. 68 A 39 [= Pseudo-Plutarque, Stromates, 7].
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

d'une somme déterminée et non indifférenciée de formes atomiques"46. Or cette


controverse n'apparaît pas chez Lucrèce, qui semble plus soucieux de réfuter la
conception stoïcienne de l'anima mundi présidant à l'acte de création47. Le philosophe
latin insiste surtout sur le fait que les rassemblements d'atomes sont dus non à une
volonté organisatrice, mais au hasard de rencontres intervenues dans la durée infinie (V,
422-431). Globalement, Lucrèce reprend donc à son compte les principes de l'atomisme
ancien. Il en est ainsi du chaos atomique initial, la noua tempestas (V, 436-440), à
laquelle succède, lorsque les atomes semblables s'unissent entre eux, un accord de leurs
mouvements (V, 443-445). Les éléments de terre, en raison de leur pesanteur, se
concentrent vers le bas qui est aussi le milieu (V, 449-451). Du fait de leur
rassemblement, ils sécrètent ensuite les atomes plus légers, qui vont former l'éther (V,
445-449) et les moenia mundi (V, 119)48. Enfin sont formés le Soleil et la Lune, qui
occupent une place intermédiaire (V, 471-477). Deux autres points communs méritent
également d'être mentionnés : la forme aplatie de la terre et son immobilité (V, 534).

Cependant, la question essentielle demeure celle du tourbillon : contrairement à


l'opinion de W. Lück49, suivi par P. Boyancé50, il n'est pas absolument évident que
l'expression noua tempestas (V, 436) désigne le tourbillon des atomistes. Les
mouvements désordonnés et discordants décrits par Lucrèce précèdent en effet le début
d'ordre qui sera instauré par la dinê :

Sed noua tempestas quaedam molesque coorta


omnigenis e principiis, discordia quorum
interualla, uias, conexus, pondera, plagas,
concursus, motus turbabat proelia miscens (V, 436-439)
"C’était une tempête nouvelle, une masse inouïe
d’atomes de toutes sortes dont la discorde confondait
les distances, trajets, liaisons, poids et chocs,
mouvements et rencontres en une mêlée guerrière".

Dès lors, on pourrait en déduire que, dans son exposé cosmogonique, Lucrèce
s'abstient de mentionner, explicitement du moins, le tourbillon qui est, selon les
atomistes, à l'origine du monde. Pourtant, ce silence serait d'autant plus étonnant
qu'Epicure y fait référence dans la Lettre à Hérodote (§ 90) et une lecture attentive
permet de déceler la présence de ce principe chez son disciple. Après avoir évoqué
longuement la formation du relief terrestre (V, 480-499), celui-ci dépeint la séparation de
l'air et de l'éther, corps plus léger qui coule au-dessus des airs (V, 500-502) :

nec liquidum corpus turbantibus aeris auris


commiscet ; sinit haec uiolentis omnia uerti
turbinibus, sinit incertis turbare procellis; (V, 502-504)

46
P.-M. MOREL, op. cit., p. 273.
47
Cf. De rerum natura V, 416-420 et C. BAILEY, Comm. ad loc., tome III, p. 1380.
48
Il faut signaler ici une différence entre les deux conceptions puisque, selon les premiers atomistes, la
terre avait été formée dans un deuxième temps, après la membrane périphérique.
49
Cf. W. LÜCK, Die Quellenfrage im 5, und 6. Buch des Lucrez, diss. Breslau, 1932.
50
Op. cit., p. 223.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

"… sans mêler son corps fluide aux souffles agités de l'air.
Il laisse les autres aux tourbillons violents,
il les laisse troubler par d’inconstants orages…"51.

Les orages agités, d'où se détache l'éther du fait de sa moindre gravité, sont à la
fois lieu de trouble (turbantibus, turbare) et de tourbillon (turbinibus). M. Serres a très
élégamment explicité la différence fondamentale entre ces deux types de mouvement52 :
si turba désigne la foule, la confusion et le tumulte, turbo évoque le mouvement d'une
toupie ou d'une spirale, qui n'est déjà plus désordonné. Ce passage entre turba et turbo
marque un commencement d'ordre car le mouvement de la toupie offre une synthèse de
tous les autres, de sorte qu'elle "peut passer pour un petit modèle du monde, pour un
planétaire naïf, simple et local. Elle vibre en repos, elle s'avance, tournoyante comme le
ciel, comme les astres". Cette interprétation permet de confirmer la présence de la dinê
dans le modèle cosmologique lucrétien. Le turbo lucrétien, qui n'est pas d'emblée un
mouvement unitaire, correspond parfaitement au tourbillon tel qu'il apparaît dans la
notice consacrée à Leucippe53. Selon l'analyse de J. Bollack en effet, la dinê de Leucippe
résulte elle-même "du mouvement de la matière et s'organise peu à peu à partir des
impulsions que les corps se communiquent dans la masse"54. Et, c'est le mouvement
tourbillonnaire global que l'on retrouve à l'œuvre sous la forme du caeli turbo qui
entraîne les astres (V, 624). Par conséquent, il apparaît de nouveau que le processus
d'organisation évoqué par Lucrèce au moyen des substantifs tempestas, turba et turbo est
dans ses grandes lignes conforme au modèle cosmologique issu des atomistes. La
référence à l'astronomie démocritéenne est donc riche de sens puisqu'elle permet à
Lucrèce de reconnaître implicitement la dette des épicuriens envers le système
démocritéen. Cependant, la théorie du philosophe d'Abdère est, dans l'exposé lucrétien,
complétée, voire concurrencée, par une autre hypothèse. Ce procédé, qui prévaut par
ailleurs dans l'astronomie épicurienne, contribue-t-il dans le cas présent à modifier le
statut prépondérant attribué à l'astronomie de Démocrite ?

L'astronomie démocriténne face à la pluralité des


hypothèses

B. Bakhouche a souligné que la faiblesse de l'astronomie épicurienne trouvait sa


source dans le principe des hypothèses multiples, qui conduisait à juxtaposer des
hypothèses "vraisemblables et vérifiées"55 et des hypothèses "obsolètes et peu
crédibles"56. Et l'auteur cite en particulier la théorie de Démocrite comme un exemple
"d'hypothèse tombée en désuétude". Pour rendre justice à Lucrèce, ajoutons toutefois

51
Traduction J. Kany-Turpin légèrement modifiée.
52
Cf. M. SERRES, La naissance de la physique dans le texte de Lucrèce, Paris, 1977, p. 37-42.
53
Cf. D.-K. 67 A 1.
54
Cf. J. BOLLACK, art. cit., p. 20.
55
Parmi les hypothèses agréées par les milieux scientifiques contemporains de Lucrèce, figurent la
première explication lucrétienne portant sur l'inégalité des jours et des nuits (cf. V, 680-695) ainsi que la
première théorie qu'il propose pour rendre compte des phases lunaires (cf. V, 705-713).
56
Cf. B. BAKHOUCHE, Les textes latins d'astronomie, un maillon dans la chaîne du savoir, Paris, 1996, en
particulier p. 309-312 : "L'astronomie épicurienne : les raisons d'un isolement".
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

que l'explication de Vitruve n'est pas plus exacte que la sienne puisqu'elle ne rend pas
directement compte des stations et rétrogradations des planètes57. De plus, l'exposé du
De architectura révèle également une totale ignorance de certaines hypothèses déjà
anciennes. Ainsi l'astronomie des excentriques et des épicycles, pourtant connue
d'Apollonius de Perge, qui vivait à Alexandrie à la fin du troisième siècle avant notre
ère, n'est-elle pas mentionnée par Vitruve, ni à plus forte raison le mouvement de
précession des équinoxes, découvert par Hipparque quelques décennies plus tard58.
Mais ni Vitruve ni Lucrèce ne constituent de ce point de vue des exceptions et il semble
que la plupart des écrivains latins du dernier siècle de la république ait ignoré ces
théories59.

L'hypothèse cinématique de Démocrite, telle qu'elle est présentée par Lucrèce,


ne permet pas d'expliquer les inégalités de la révolution solaire. Elle rend uniquement
compte de la différence entre les durées de révolution. C'est pourquoi Lucrèce adjoint
une explication de nature différente, qu'il n'attribue plus explicitement à Démocrite.
Mais cette seconde hypothèse, qui relève de la physique, suscite de nouvelles difficultés
d'interprétation car Lucrèce ne précise pas si elle est destinée à justifier l'inclinaison de
l'écliptique par rapport à l'équateur, les différentes durées de révolution ou encore ces
deux phénomènes conjointement. La nouvelle explication fait intervenir des courants
d'air transversaux poussant alternativement le Soleil du sud au nord et du nord au sud :

Fit quoque ut e mundi transuersis partibus aer


alternis certo fluere alter tempore possit,
qui queat aestiuis solem detrudere signis
brumalis usque ad flexus gelidumque rigorem,
et qui reiciat gelidis a frigoris umbris
aestiferas usque in partis et feruida signa. (V, 637-642)
"Il se produit en outre que des régions opposées du monde peuvent
souffler en alternance et à des moments déterminés deux flux d'air, l'un
capable de pousser le Soleil des signes d'été à son tropique hivernal et
aux rigueurs glaciales, l'autre le rejetant des ombres gelées du froid
jusqu'aux régions estivales et leur signes de feu"60.

Cette théorie, déjà évoquée par Epicure dans la Lettre à Pythoclès (§ 93),
remonte probablement à Anaxagore, qui considérait que "les solstices se produisent

57
Cf. W. et H. GUNDEL, "Planeten", R. E. XX, I, p. 2052 sqq., cité par J. SOUBIRAN, op. cit., p. 111, note
64.
58
Sur ces théories, voir P. DUHEM, Le système du monde, tome I, p. 427 sqq. : "Apollonius de Perge et les
géomètres de son temps savaient donc que l'on peut sauver de deux manières différentes et équivalentes
les anomalies du Soleil et des cinq planètes soit qu'on leur fasse parcourir un cercle épicycle dont le
centre décrit un cercle déférent concentrique du monde, soit qu'on les lance sur un excentrique, fixe pour
le Soleil et mobile pour les cinq planètes" (p. 433).
59
Cf. B. BAKHOUCHE, op. cit., p. 177 sqq. Cicéron propose, dans le De re publica (VI, 17), le même
modèle cosmologique que Vitruve : "Tu peux contempler les neuf cercles, ou plutôt les neufs sphères, qui
forment la contexture de l'univers; l'une d'elles est la sphère céleste, la sphère extérieure qui enveloppe
toutes les autres (…). C'est en elle que sont fixées les étoiles, qui dans une course éternelle, accomplissent
une révolution circulaire. Au-dessous d'elle se trouvent sept autres sphères qui tournent d'un mouvement
rétrograde, dans un sens contraire à celui du ciel" (traduction E. BREGUET, Paris, 1994).
60
Traduction J. Kany-Turpin légèrement modifiée.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

lorsque le Soleil est repoussé par l'air"61. Mais la comparaison avec la Lettre à Pythoclès
montre que Lucrèce réduit considérablement le nombre des hypothèses proposées par
Epicure. Celui-ci expliquait en effet les mouvements apparents irréguliers du Soleil soit
par une inclinaison du ciel, soit par une opposition de courants d'air, soit par un défaut
de matière, soit par un tourbillon donnant au mouvement de ces astres la forme d'une
spirale62. Mais l'abondance des hypothèses juxtaposées révèle chez Epicure une certaine
indifférence aux phénomènes célestes, dont la connaissance n'a d'autre fin que
l'ataraxie63. Le philosophe grec distingue en effet l'astronomie des autres branches de la
physique, dans lesquelles les choses n'ont qu'une seule manière de s'accorder avec les
phénomènes. Selon les termes de J. Bayet, qui oppose à juste titre l'indifférence
d'Epicure à la méthode plus scientifique de Lucrèce, Epicure préférait "proposer sur le
même fait plusieurs hypothèses également possibles comme un arsenal plus riche contre
la superstition et la crainte des caprices divins ; surtout quand il s'agissait des
phénomènes célestes qui, hors de l'expérience de nos sens et d'aspect souvent
redoutable, troublaient les consciences ou appuyaient le déterminisme providentialiste
de ses adversaires stoïciens"64. Il faut bien reconnaître que cette doctrine maintes fois
revendiquée dans la Lettre à Pythoclès (§ 93-95, 96-98, 102, 104) est la négation même
de l'esprit scientifique. Concernant le cours du Soleil, la juxtaposition désordonnée des
hypothèses ne permet pas de prendre en compte la complexité du phénomène.

La démarche de Lucrèce apparaît de ce point de vue quelque peu différente. Le


fait de proposer plusieurs causes n'est pas une marque d'indifférence à la science, mais
un aveu d'ignorance :
…, plurisque sequor disponere causas
motibus astrorum quae possint esse per omne;
e quibus una tamen siet hic quoque causa necessest
quae uegeat motum signis ; sed quae sit earum
praecipere haud quaquamst pedetemptim progredientis. (V, 529-533)
"…Je m'attache à ordonner les causes nombreuses
qui parmi l'univers peuvent mouvoir les astres.
Entre toutes, il n'en est qu'une, en notre monde aussi,
qui les mette en mouvement, mais quelle est-elle ?
Nul ne peut l'enseigner, qui pas à pas progresse"65.

La conscience aiguë de ses propres limites révèle chez Lucrèce un réel intérêt
pour la science, qui contraste avec le souverain détachement d'Epicure. Même s'il
affirme reprendre fidèlement la doctrine des hypothèses multiples (cf. IV, 500-511 ; V,
729-730 ; VI, 703-711), il tend davantage à simplifier, ordonner, voire à concilier les

61
Cf. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, I, 8, 9 [= Anaxagore A 42], traduction J.P. Dumont.
Voir aussi Anaxagore A 72. Sur les théories cosmologiques d'Anaxagore, cf. T. H. MARTIN, Mémoire sur
les hypothèses astronomiques des plus anciens philosophes de la Grèce, New York, 1976, repris dans
Mémoires de l'Institut National de France (1813-1884), Académie des inscriptions et belles-lettres, vol.
29 et 30, p. 189 sqq.
62
Epicure, Lettre à Pythoclès, § 93. Cette hypothèse semble correspondre à celle de Démocrite.
63
Cf. Lettre à Pythoclès, § 85-86.
64
Cf. J. BAYET, "Etudes Lucrétiennes", dans Mélanges de littérature latine, Rome, 1967, p. 45.
65
Trad. J. Kany-Turpin légèrement modifiée.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

différentes explications66. Pourtant, l'esprit scientifique de Lucrèce se heurte à la


question de la révolution solaire et l'ambiguïté qui a été soulignée à propos de la
seconde hypothèse constitue en quelque sorte un aveu d'impuissance. Il est vrai que la
confusion du passage ne témoigne pas en faveur de Lucrèce. C'est pourquoi L. Robin
considère que le poète a confondu les deux causes et "les a présentées comme deux
explications possibles d'un phénomène simple"67. Pourtant, rien ne s'oppose
formellement à ce que l'expression quoque fit ut (V, 635), par laquelle est introduite la
seconde cause, ne signifie "il se produit encore que". Cette interprétation est suggérée
par C. Bailey, qui considère qu'elle introduit une explication à la fois alternative et
complémentaire68. Celle-ci permettrait ainsi à Lucrèce de compléter la théorie de
Démocrite, annoncée d'abord par la formule fieri uel cum primis id posse uidetur (V,
621). On pourra objecter que la particule uel a une valeur disjonctive. Cependant, elle se
situe en début d'énumération et n'est pas reprise dans les vers suivants69. De plus, on sait
que son sens est plus nuancé que celui de la conjonction aut : elle peut prendre plusieurs
acceptions comme "même" ou "par exemple" en rapport avec la racine de uolo70. Il
suffira d'ajouter qu'elle comporte ce dernier sens dans un autre passage du livre V71.

Après avoir tenté de combiner les deux hypothèses pour rendre compte de la
révolution solaire, Lucrèce applique la seconde aux autres astres. Mais il faut admettre
que cette étape du raisonnement n'est pas, elle non plus, dépourvue d'ambiguïté et qu'il
est difficile, faute d'indication de l'auteur, de déterminer si les vents suffisent à justifier
le cours des planètes ou s'il faut au contraire maintenir comme base explicative
l'hypothèse attribuée à Démocrite :

Et ratione pari lunam stellasque putandumst,


quae uoluunt magnos in magnis orbibus annos,
aeribus posse alternis e partibus ire. (V, 643-645)
"De même on peut expliquer que la Lune et les étoiles
qui roulent les grandes années en leurs grandes orbites,
alternent leur course suivant les flots de l'air".

Il semble toutefois, comme l'indique C. Bailey, que Lucrèce propose dans ces
vers une explication totalement différente de la théorie démocritéenne. Constatant que
les mouvements des étoiles et des planètes72 ne comportent pas la même durée, Lucrèce
66
Cf. J. BAYET, op. cit., p. 47 : le procédé qui semble avoir les préférences de Lucrèce est "celui de la
coordination des explications diverses proposées pour un même phénomène, et considérées par lui non
pas comme s'excluant l'une l'autre (ou comme combinaisons rationnelles isolées), mais comme variantes
d'une même hypothèse, qui, par la cohérence de ces nuances mêmes, acquiert une vraisemblance
particulière".
67
Op. cit., tome III, p. 79.
68
Op. cit., p. 1422. Mais le commentateur se demande si Lucrèce est conscient d'une telle ambiguïté.
69
Lorsque Lucrèce veut insister sur la multiplicité des hypothèses possibles, il répète la particule (cf. I,
435; II, 435-436; V, 963, 964, 965). Mais la plupart du temps la disjonction marquée par uel n'est pas
exclusive (cf. IV, 50, V, 766).
70
Cf. A. ERNOUT et F. THOMAS, Syntaxe latine, Paris, 1984, p. 146.
71
Cf. III, 383.
72
Comme le pense C. BAILEY (op. cit., p. 1423), stellae désigne probablement les astres en général, y
compris les planètes.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

suppose que, poussées par des courants contraires, eux-mêmes situés à différents
niveaux du ciel, elles suivent à certains moments des trajectoires opposées. L'exemple
des nuages, qui sont parfois poussés par des vents contraires dans des directions
opposées, permet de montrer que cette hypothèse n'est pas invalidée par les phénomènes
(V, 646-649). Il est vrai que cette explication est d'un point de vue théorique encore plus
faible que la précédente car, du fait de leur densité, les courants d'air ne peuvent
atteindre l'éther dans lequel se meuvent les astres73. Mais l'exemple des nuages relève de
la méthode analogique adoptée par les épicuriens, qui inféraient les phénomènes
célestes à partir de leurs observations terrestres74. De plus, grâce à cette comparaison,
Lucrèce reprend à son compte la polémique de son maître contre la tradition
aristotélicienne, elle-même issue du pythagorisme. Celle-là opposait à la région
sublunaire, domaine du changement et du mortel, la région supralunaire, où règnent le
divin et l'éternel75. Lucrèce choisit donc de revenir à Démocrite et à Anaxagore, ces
physici qui s'opposaient à toute théologie astrale, pour contester la dualité du monde.
Bien qu'Anaxagore ne soit pas explicitement cité, le rapprochement de ces deux
philosophes à travers leurs théories n'est guère surprenant car, en matière d'astronomie
et de météorologie, Démocrite avait fait de nombreux emprunts à son aîné de sorte qu'ils
avaient en commun plusieurs théories76. L'explication supplémentaire, empruntée à
Anaxagore, montre que Lucrèce cherche à renforcer en la précisant l'hypothèse
démocritéenne. Cette méthode combinatoire suggère la préférence du poète pour la
conception du grand Démocrite, mais elle implique par la même occasion son
insuffisance.

***

L'hypothèse initiale de cette étude se trouve donc confirmée et la référence à


Démocrite, malgré son caractère fortement technique, participe de la stratégie
lucrétienne en matière de polémique philosophique. En se référant à l'astronomie de
Démocrite, le poète reconnaît de manière indirecte, et par l'intermédiaire d'un point
particulier, la dette d'Epicure à l'égard de la cosmologie atomiste. La question de la
révolution solaire introduit incidemment la notion fondamentale de tourbillon, qui est,
pour Démocrite comme pour Epicure, à l'origine du monde. Lucrèce mentionne en effet
la dinê dans les vers consacrés à la formation du monde : le substantif turbo, dont il se
sert pour désigner le tourbillon du ciel, évoquait déjà la naissance du monde (cf. V,
504). Cet écho ne peut être dû au hasard. Pourtant, le poète s'était abstenu de citer dans
le premier passage le nom de Démocrite. Ce silence peut assez aisément s'expliquer :
73
Cf. B. BAKHOUCHE, Les textes latins d'astronomie, op. cit., p. 309-312. L'auteur montre en se fondant
sur cet exemple que "l'astronomie épicurienne s'est trouvée marginalisée par sa faiblesse théorique".
74
Cf. Epicure, Lettre à Pythoclès, § 87 : "Ce sont certaines choses qui apparaissent près de nous, qui
fournissent des signes de ce qui s'accomplit dans les régions célestes, car on les observe comme elles
sont, et non pas celles qui apparaissent dans les régions célestes" (trad. J.-F. Balaudé).
75
Cf. P. BOYANCE, op. cit., p. 225.
76
Sur les points communs entre Anaxagore et Démocrite en matière de cosmologie et de météorologie,
voir J. SALEM, Démocrite. Grains de poussière dans un rayon de soleil, op. cit., p. 97-128. En soulignant
les emprunts faits à Anaxagore, J. Salem démontre que, contrairement aux thèses de W. K. C. GUTHRIE
(A History of Greek Philosophy, Cambridge, 1969, tome II, p. 426) et Th. GOMPERZ (Griechische Denker,
tome I, p. 47, 262), Démocrite n'est pas seulement le continuateur d'Anaximandre et d'Anaximène, qui ont
vécu plus d'un siècle avant lui. Ses théories astronomiques ne sont donc pas aussi archaïques et
anachroniques qu'on l'a suggéré.
Sabine Luciani, « Présence de Démocrite dans l’astronomie lucrétienne », Euphrosyne 31, 2003, p. 83-98.

même si l'on sait qu'Epicure avait corrigé la théorie cosmogonique de Démocrite et


limité le rôle de la dinê, assimilée à la nécessité, la formation du monde exposée par
Lucrèce est fortement influencée par la physique des premiers atomistes. Par
conséquent, c'eût été une erreur stratégique que de citer Démocrite à ce propos. En
revanche, Lucrèce ne courait aucun danger sur la question de l'astronomie, qui était
visiblement accessoire pour Epicure. De plus, l'association de deux hypothèses lui
permet de démontrer implicitement l'insuffisance de la théorie démocritéenne, tout en la
plaçant au premier plan : "la parole sacrée du grand Démocrite" est quelque peu
discréditée puisqu'une autre possibilité est envisagée et explicitée. La citation comporte
donc une part de critique implicite. Enfin, le caractère erroné et obsolète de la théorie
empruntée à Démocrite ne doit pas masquer les efforts de Lucrèce, qui cherche à rendre
compte des phénomènes en combinant plusieurs hypothèses, quand Epicure s'était
contenté de les juxtaposer pêle-mêle.

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