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Tradition néo-platonicienne et hermétique au XVIe et

XVIIe siècles

Eugenia VARELA*

Le passage du Moyen Âge à la révolution scientifique ne s'est pas réalisé sans conséquences.
Frances A. Yates1 le signale dans ses travaux sur Copernic et Newton. Cette recherche offre à
l'étude de la démarche de la science un regard très éclairant qui perce encore plus les
semblants qui soutiennent les dérives scientistes au XXIe siècle.

Copernic dessine un diagramme qui représente le soleil au centre avec la terre et d’autres
astres en révolution autour de lui. Nous pouvons lire au-dessus de son diagramme les mots
suivants2:"Au centre de tout réside le soleil. Qui, en effet, dans ce temple splendide (l’univers)
pourrait placer ce grand luminaire en un lieu autre ou meilleur que celui d’où il peut tout
illuminer à la fois ? Ainsi, ce n’est pas improprement que certains l'appellent la lampe du
monde, d’autres son esprit, d’autres son recteur. Trismégiste l’appelle dieu visible ..."3

Copernic est émerveillé. Il regarde l’univers comme un temple et un Dieu visible. D’où vient
cette autorité ? Et qui est cette autorité citée par Copernic ? Hermès Trismégiste est l'auteur
supposé des écrits nommés les Hermética qui ont eu à la Renaissance une influence
considérable4. Les textes sont datés du IIe ou IIIe siècle. Les érudits de la Renaissance, Ficin
et les Pères de l’Église considèrent qu’ils provenaient d’Hermès Trismégiste, un prêtre qui
devrait être considéré comme un prophète annonciateur du christianisme, de l’époque de
Moise. Selon l’histoire, Hermès aurait révélé quelques énigmes de la philosophie et de la
religion de l’Ancienne Égypte et aurait eu une influence importante sur Platon. Les
manuscrits de Platon sont rapportés à Florence au XVe siècle, en même temps que le Codex
contenant les écrits hermétiques.

Le vieux Cosme de Médicis mourant ordonne à Marsile Ficin de les traduire tous du Latin,
avant la traduction de Platon. Des écrits hermétiques découle "une atmosphère profondément
1
Yates Francis A. "Copernic", Science et Tradition Hermétique, Éditions Allia, 2009.p.53.
2
Francis A Yates. Op.cit. p.54.
3
Francis A Yates. "Copernic, Des Révolutions des Sphères Célestes", Nuremberg, J.Petrium, 1543.p.10.
Les références sont ajoutées par le traducteur, le texte de Yates était une conférence faite pour la BBC.
4
Yates Frances A. "Copernic, Corpus Hermeticum ", Science et Tradition Hermétique, par Ficin et d'autres
essais dans les notes N°3. Éditions Allia, Paris, 2009. p.75.

1
religieuse, mystique et magique". Ils enseignent une sorte de religion cosmique où le soleil est
envisagé comme une révélation divine. Frances A. Yates, montre comment les écrits
hermétiques avaient eu une grande influence et un profond respect au XVe siècle. Elle même
se dit bien impressionnée en les lisant aujourd’hui, comme Copernic a dû les lire, en les
considérant comme les écrits d'un sage égyptien de la plus haute antiquité.

Copernic prend une citation d’un traité hermétique intitulé l’Asclépios 5, c'est un dialogue
entre Hermès et un disciple, où Hermès dit:

"... le soleil lui-même, s’il illumine le reste des étoiles, ce n’est pas tant par la puissance de sa
lumière que par sa divinité et sa sainteté. Et c’est bien lui que tu dois tenir pour second dieu,
Asclépios, lui qui gouverne toutes choses, qui répand sa lumière sur tous les vivants de la
terre, ceux qui ont une âme et ceux qui n’en ont pas"6 Copernic prenait cette conception
mystique où le soleil est la religion du monde comme un second dieu qui rapproche le cosmos
à la divinité. C'est aussi le trait caractéristique des traités Hermétiques et des néo-Platoniciens
de la Renaissance qui concilie le platonisme et le christianisme. Le soleil illumine par sa
sainteté et par sa divinité, c'est un second Dieu.

Le néo-Platonisme de la Renaissance et son culte pour les textes hermétiques était la


philosophie qui dominait cette époque, en se substituant à la scolastique médiévale. Copernic
fait sa découverte par une démarche scientifique, car il était un grand mathématicien et il
inscrit sa découverte dans un cadre religieux. Alexandre Koyré signale l’importance mystique
et religieuse que le soleil revêtait pour Copernic. Il évoque l’influence de néo-Platoniciens de
la Renaissance et du néo-Pythagorisme, ainsi que son rapprochement de Ficin 7. Il reconnaît
l’importance scientifique de l’astronomie Copernicienne en ce qui concerne la rupture d'avec
l’ordre cosmique de l’Antiquité et de sa structure hiérarchique d'oppositions, entre le monde
sublunaire de corruption et un cosmos dont l’être est immuable. Cependant, en très bon
lecteur, Koyré nous fait part des traits hiérarchiques dans la conception de Copernic et de son
cosmos fini8: une conception de l’espace et de la grandeur des planètes l’amène à son dessin
des cieux qui sont en mouvement, "ce qui contient et situe c’est le firmament" Mais aussi,

5
Frances A Yates. "Copernic", Science et Tradition Hermétique Éditions Allia.2009, Paris.p.58.
6
Festugière A.-J. "Corpus Hermeticum", t. II, Paris, Les Belles Lettres, 1945-1954, Paris.p.336-337.
7
Koyré Alexander. La Révolution Astronomique Copernic, Kepler, Borelli, Hermann, 1961.p.63.
8
Koyré Alexander. "Astronomie et Métaphysique", Du monde Clos au monde infini, Éditions Tel
Gallimard.1973, Paris.p.49.

2
c’est à cause de sa grande perfection, source de lumière et de vie, que la place centrale est
assignée au soleil.

L’infinitude du monde est pour Copernic un problème philosophique, car le monde des
sphères fixes tend "vers le haut" Il croyait dans une sphère des étoiles fixes qui contient tout et
soi-même. Cette Stellarum fixarum sphaera immobilis, est-ce une imaginarisation du réel par
Copernic ? Une représentation de l’Un ? Vers le cosmos non mesurable ?

Copernic a fixé le cosmos à un contenant circulaire qui, pour lui, est la présence du divin qui
régit toutes les choses. Koyré nous recommande de ne pas trop exiger de ce savant qui a
donné du mouvement à la terre et qui a élargi le monde jusqu’à nous le rendre immensum.
Donc, Copernic réduit le firmament au signifiant de ce qui est incommensurable, un réel qui
s'écrit " Stellarum fixarum sphaera immobilis". L'invention de ce point dans l'infini lui rend
visible le mouvement des astres et les positions de ceux-ci par rapport à la terre et au soleil.
Copernic réduit le grand Autre de l'Univers à ce tracé qu'il nous a montré dans
l’extraordinaire diagramme de son ouvrage Des révolutions des sphères célestes. (De
revolutionibus orbium coelestium)

Frances A Yates montre un autre angle sous lequel on peut envisager la relation que la
tradition hermétique de la Renaissance a entretenue avec la Science 9. Elle voit dans l'esprit
hermétique du néo-Platonisme un nouvel état d’esprit face au soleil -un second dieu, une
lumière qui rend visible, dieu visible- selon les lectures de Copernic qu'elle nous a transmises.
Les travaux de Copernic ont favorisé l'étude et le calcul des étoiles et du Soleil. Frances A.
Yates insiste sur le fait qu'on n'a pas tenu compte dans l'histoire de la pensée, qu'une
impulsion affective et un désir ont amené Copernic à faire des calculs à partir de cette
hypothèse que le soleil était au centre de l'Univers. Copernic est parvenu à sa découverte
selon Frances A. Yates non par la magie et l'hermétisme mais par la science mathématique.
L'impulsion affective de faire répondre la Nature aux calculs et aux observations de l'Univers
des savants-magiciens crée un Autre lieu du savoir qui n'est plus établit par les vérités de la
théologie et de l'autorité de l'Ecclésia.

9
Yates Frances A. "La Tradition Hermétique dans la Science de la Renaissance" Science et Tradition
Hermétique, Éditions Allia.2009, Paris.p.45.

3
L'opération de rendre visible l'invisible, par les calculs et la supposition d'un savoir dans la
nature, modifie à la base le rapport au savoir qui est transmissible et sujet aux vérifications par
ses successeurs Galilée, Newton et Descartes, dans la science expérimentale où il y a les
calculs par le biais de l'abstraction et les démonstrations selon les lois de la mécanique, de
l'optique et de la physique. La tradition néo-Platonicienne et hermétique a lutté contre la
rhétorique au XVIe siècle. L'esprit des savants-magiciens se fondait sur les mathématiques et
pas seulement sur la magie. Nous, nous trouvons dans un monde où les semblants bougent,
s'écroulent et s'organisent autrement.

La révolution scientifique commence donc à cette période de la tradition néo-Platonicienne et


hermétique des magiciens-savants de la Renaissance dont "la véritable nature a été une force
inductrice qui a incité les hommes à s'engager dans l'investigation du monde" 10. Frances A.
Yates se demande si le XVIIe siècle n’a pas écarté des idées issues de la tradition qu’il a
supplantée et qui seraient en réalité plus proches de la conception de l’Univers révélée par la
science d’aujourd’hui. Donc, une piste est ouverte pour établir le lien qui existe entre l'une et
l'autre, s'il y en a un. La science moderne a fait son émergence en deux phases. Une première
est la phase hermétique ou magique de la Renaissance, qui repose sur une philosophie
animiste. La seconde est la période classique de la science moderne du XVIIe siècle. On
pourrait étudier dans la science moderne des rémanents de cette première phase, on trouve
chez Newton cette chose bien présente, et même chez Galilée.

Newton, auteur de ces Principia de Philosophiae Naturalis Principia Mathematica


(Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687) formule les lois du mouvement à
la base de la mécanique classique. Il décrit également la gravitation universelle et les lois de
l’optique (1704), dans ce traité sur la réflexion, la réfraction, la diffraction et les couleurs de la
lumière. Tous ces travaux nous dépeignent un personnage qui est une des figures les plus
importantes de la révolution scientifique au XVIIe siècle.

Ils ont induit un profond bouleversement au sujet de la conception et de l’infinitisation de


l’Univers, questionné la nature de l’espace, de la matière et la fonction de la causalité.

10
Yates Frances A. op.cit. . p.62.

4
Les travaux sur ses manuscrits inédits publiés en 1966 11 montrent une autre face des
recherches newtoniennes que celles sur la loi de la gravitation universelle et du système du
monde qui lui est corrélatif. Newton croyait débusquer une vérité ancienne déjà connue de
Pythagore et cachée dans le mythe d’Apollon et de la lyre à sept cordes. La foi dans la vérité
recelée par les mythes est très propagée parmi les savants -magiciens de la Renaissance 12. Le
travail de Newton postule un objet cause enrobé du mythe d'Apollon et de la lyre à sept
cordes. Le mythe raconte qu’Orphée reçut d'Apollon la lyre à sept cordes qui le dote d'un
pouvoir d'harmonie qui agit sur le vivant et attire l'espèce humaine comme l'espèce animale.
Par le son de sa Lyre, Orphée enchantait les êtres terrestres et surnaturels, domptait les
animaux qui s'assemblaient autour de lui comme aimantés par sa personne, par la grâce de sa
musique. Orphée libère son âme du corps terrestre pour descendre aux enfers à la recherche
d'Eurydice. La lyre à sept cordes lui rend possible le lien entre les trois mondes, grâce à la
magie des sons qu'elle profère. Ainsi il sut neutraliser cerbère, tout comme Hadès, suspendre
la douleur des damnés, avant de repasser le Tartare avec sa femme pour la perdre à nouveau
pour s'être retourné trop tôt. L'espèce animale, sensible aux ondes, lui est acquise. Le culte
d'Orphée reconnaît entre l'âme et la musique une influence réciproque et une essence
commune."13

Newton était aussi un philosophe hermétique. Sa recherche investit davantage le champ de


l’hermétique. Ses enquêtes sur les mythes d’alchimie à la recherche des secrets de la
mathématique, les expérimentations dans des fourneaux des recettes qu’il prélevait dans le
langage mystérieux des alchimistes, donnent le portrait d’un savant à l’esprit religieux qui
cherchait à découvrir l'ordonnance divine dans la matière 14. Il s’est aussi attaché à d’autres
domaines de recherche, par exemple la reconstruction exacte du plan et des proportions du
temple de Salomon. Le plan du temple que Dieu même avait tracé devait refléter le plan divin
de l’Univers.

Il y a une conjonction d'intérêts chez les savants de son époque qui va de la mathématique à
l'alchimie, en passant par les prophéties et l'annonce de l’apocalypse.

11
Mc Guire J.E et Rattansi P.M. "Newton and the Pipes of Pan", Notes and Records of the Royal Society, XXI,
1966.p.108-143.
12
Yates Frances. Newton, Science et Tradition Hermétique, Éditions Allia.p.68.
13
La Lyre d’Orphée. http:/www.aquarellus.com/article-2323117.html, 17 mai 2012
14
Dobbs B.J.T. The Foundation of Newton’s Alchemy, Cambridge, 1975.

5
Le mouvement politico-religieux au XVIIe siècle est fondée dans la magie astrale et la
Kabale, la traduction des livres classiques de l'Antiquité et du monde latin, en même temps
ces savants s'occupaient des recherches mathématiques, des sciences appliquées et de
médecine paracelsienne. La matière et le réel ne seront plus identifiés par la science naturelle
qui vient de l'Antiquité et du Moyen Âge. Dans l’Art, le regard de Dieu n'organise plus
l'espace, ni la vie politique et religieuse du pouvoir. Il y a des luttes religieuses et politiques à
caractère hérétique. Les prophéties et les luttes contre la Papauté sont aussi une condition de
la lutte des Princes contre l’Empereur pour l'instauration d'une Union des Républiques où le
Prince est soumis lui-même à la loi.

L'imprimerie connaît son essor à Florence, Venise, Milan, Paris et Lyon, pour ne nommer que
quelques villes importantes. Elle se répand très vite au XVIe siècle au milieu des savants qui
pratiquent les Arts du discours et de la poésie, en cherchant la précision littéraire des
classiques latins et grecs. L'Art de l'imprimerie et de la typographie est un fait majeur dans la
liberté d'interprétation des textes et de leur désacralisation. Les livres publiés au XVIe siècle
à Florence sont traduits des éditions latines et grecques et sont publiés comme le
"Commentaire de la fête d'amour de Platon", de Marsile Ficin avec une dédicace de Cosimo
Bartoli curateur de l'œuvre pour Cosme de Médicis ; L’Architettura de Leon Battista Alberti
est traduit dans la langue Florentine par Cosimo Bartoli pour Cosme de Médicis; Les
Tragédies de Sophocle, publiées en grec. Et Plutarque, Vies Illustres, également en grec ; De
Machiavelli Niccolo, son Histoire de Florence dédiée au pape Clément VII; De Cellini
Benvenuto, L'autre en matière de l'Arte de la Sculpture ; D’Ariosto Ludovico, Satiras; De
Aligheiri Dante, La Divina Commedia et d'autres aussi importants qui viennent de
l'Antiquité, via les mathématiciens et savants arabes et du monde latin.

Les bibliothèques du Moyen Âge sont monastiques, épiscopales, académiques et de très


difficile accès. Un marchand de Florence qui appartenait à la classe la plus alphabétisée de
l'Europe humaniste avant la Renaissance et de la Renaissance, avait surtout des livres
religieux et pieux et pas plus de quatre ou au maximum dix dans sa bibliothèque.
L'acquisition était très difficile et rare jusqu'à l'essor de l'imprimerie et de l'estampe qui
commence au XVe siècle, siècle des navigateurs et des imprimeurs. De humani corporis
fabrica di Andrea Vesalio imprimé à Basilea en 1543 avec les figures gravées par un élève
de Tiziano, Stefano Calcar, signe le début de l'anatomie moderne. Cette ouvrage, traduit en
l'allemand et dans la langue vulgaire pour les éditions économiques, est à l'usage des

6
médecins militaires ayant soigné les blessés des guerres qui ont traversé l'Europe au XVIe
siècle. L'anatomie du Moyen âge était dépourvu d'une signification ou d'un savoir à
transmettre parce qu'elle était fondée sur l'autorité d'un savoir répétitif et incontesté15.

Les papes Innocence VII en 1488 et Alexandre VI en 1501 ont répandu dans toute la
chrétienté la censure des livres qui ne traitaient pas de questions théologiques. Des Oeuvres
comme le Decameron de Boccaccio sont proscrites par les moralistes espagnols comme des
livres qui seraient "les sermons de Satan". Les livres d'Ariosto et de Boccace sont considérés
néfastes et produits d'inspiration diabolique 16 Frances A. Yates, dans sa lecture du Journal
l'Observer le 26 septembre 1965, nous fait part de la nouvelle Aurore qu'elle trouve: "Cinq
cent savants les mieux payés au monde étaient réunis à Oxford, palpitants d’émotion et
d’espérance parce qu’ils pensent que la physique des hautes énergies, qui pénètre toujours
plus avant au cœur de la matière, était peut-être sur le point de leur donner accès à "un niveau
de réalité tout à fait nouveau”.

A ce moment-là, il lui sembla reconnaître quelque chose de familier. "Dans le manifeste


rosicrucien publié en Allemagne en 1614, il est annoncé qu’une grande aurore ne va pas
tarder à poindre et qu’à sa lumière l’homme va bientôt comprendre la noblesse et la
magnificence qui sont les siennes, sa condition de microcosme, et la profondeur de son art
dans la pénétration de la nature". Le Journal annonce une nouvelle aurore pour les savants
réunis à Oxford, qu’elle compare à la vision de la nature que John Dee, savant-magicien, se
faisait de la nature comme un réseau de forces magiques sur lesquelles les mathématiques
donnent prise au XVIe siècle17
*Psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne (ECF) et de l’Association
Mondiale de psychanalyse, à Paris.

Paris, été, 2012 

15
La Passioni d'aver libri, una collezione privata in Valdichiana. Prefazione Luisa Secchi Tarugi, Presidente
Istituto F.Petrarca, con el patrocinio di, Amministrazioni Provinciale di Siena, Editions Gli Ori Storia, 2002.p.13.
16
La Passioni d'aver libri, una collezione privata in Valdichiana, op.cit..p.14.
17
Yates A. Frances. op.cit.p.51.

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