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Sommaire

Liste des contributeurs


Le journalisme à l’étude : itinéraire parmi les métiers
et les savoirs pour s’orienter dans les mondes
de l’information
Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier

Partie I
Les études de journalisme : la constitution
d’un champ de recherche
Chapitre 1
Le journalisme comme champ d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration française
Chloë Salles

Chapitre 2
De Max Weber aux Journalism Studies : histoire et
contribution de la recherche sur le journalisme
Olivier Standaert

Chapitre 3
2000-2020 : âge critique du journalisme ? Les
transformations contemporaines de la profession
Simon Gadras
Questions à Arnaud Mercier
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie II
Les métiers du journalisme : formations, carrières,
marchés
Chapitre 1
Qui sont les journalistes français ? Portrait
sociodémographique de la profession
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier

Chapitre 2
Devenir journaliste : de la formation à l’insertion
dans les mondes de l’information
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier

Chapitre 3
Le journalisme sous contrainte économique
Gaël Stephan

Chapitre 4
Le glissement des rédactions de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande
Rémy Le Champion

Chapitre 5
L’intrication croissante des métiers du journalisme
et de la communication
Cégolène Frisque
Questions à Alexandre Joux
Entretien réalisé par Valérie Devillard

Partie III
L’éthique du journalisme en pratique
Chapitre 1
Des pratiques journalistiques éclatées
mais une éthique commune ?
Agnès Granchet

Chapitre 2
Le lanceur d’alerte et le journaliste
Camille Laville

Chapitre 3
Les évolutions des instances de régulation de l’information
Agnès Granchet

Chapitre 4
La bonne foi du journaliste poursuivi pour diffamation
Amal Benhamoud
Questions à Benoît Grevisse
Entretien réalisé par Agnès Granchet

Partie IV
Les genres et les formats journalistiques
Chapitre 1
La dépêche d’agence, immuable et changeante
Éric Lagneau

Chapitre 2
Le journal télévisé : un modèle canonique
Marie-France Chambat-Houillon

Chapitre 3
L’infodivertissement, les frontières floues
d’un genre télévisuel
Marie-France Chambat-Houillon

Chapitre 4
« Il faut être absolument contemporain ». Quels supports
médiatiques pour la diffusion de l’art contemporain
en France ?
Flore Di Sciullo

Chapitre 5
La critique d’art et ses contraintes : une instance
prescriptrice en danger ?
Flore Di Sciullo

Chapitre 6
Les mutations de la photographie de presse
dans les médias en ligne
Maxime Fabre
Questions à Roselyne Ringoot
Entretien réalisé par Lucie Alexis

Partie V
Les nouvelles écritures de l’information
Chapitre 1
Le journalisme de solutions, une méthode
pour améliorer les pratiques journalistiques et le rapport
aux publics
Pauline Amiel

Chapitre 2
Le journalisme participatif : genèse et évolutions récentes
Jérémie Nicey

Chapitre 3
Les nouveaux formats des « vieux » médias : repenser le
rapport à l’actualité
Lucie Alexis
Questions à Lucie Soullier et Clea Petrolesi
Entretien réalisé par Lucie Alexis

Partie VI
Le décryptage de l’information
Chapitre 1
Les journalistes et leurs sources
Loïc Ballarini et Camille Noûs

Chapitre 2
Données numériques, pratiques professionnelles et
organisation de la production journalistique
Vincent Bullich

Chapitre 3
Du journalisme d’information au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission aux plateformes
et quête de stratégie
Laurent Bigot

Chapitre 4
L’éducation aux médias et à l’information : une nouvelle
facette du métier de journaliste
Virginie Sassoon
Questions à Fabrice d’Almeida
Entretien réalisé par Inna Biei

Partie VII
Le journalisme international
Chapitre 1
L’« information internationale », une information jugée trop
spécialisée et coûteuse ?
Dominique Marchetti

Chapitre 2
Mourir en couvrant les conflits armés. Risques et
transformations du reportage de guerre
Olivier Koch

Chapitre 3
La fabrique de l’information européenne
Olivier Baisnée
Questions à Tristan Mattelart
Entretien réalisé par Valérie Devillard

Partie VIII
Guide pratique de l’étudiant en journalisme
Chapitre 1
Se préparer aux concours des écoles de journalisme
Julie Vayssière

Chapitre 2
Weborama : focus sur les acteurs de référence de
l’information en ligne
Lucie Alexis et Mathias Valex

Chapitre 3
Panorama des initiatives en EMI portées par des médias
et des journalistes
Virginie Sassoon
Liste des contributeurs

■ Lucie Alexis, maîtresse de conférences en sciences de


l’information et de la communication, chercheuse au
GRESEC, associée au CARISM, Université Grenoble Alpes.
■ Pauline Amiel, maîtresse de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheuse à l’IMSIC,
directrice adjointe de l’École de journalisme et de
communication d’Aix-Marseille.
■ Olivier Baisnée, maître de conférences en science politique,
Directeur de la recherche à l’IEP de Toulouse, responsable du
master journalisme à Sciences Po Toulouse.
■ Inna Biei, docteure en sciences de l’information et de la
communication, chercheuse au CARISM, Université Paris-
Panthéon-Assas.
■ Loïc Ballarini, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur à Arènes et
au CREM, IUT de journalisme de Lannion, Université de
Rennes 1.
■ Amal Benhamoud, avocate au Barreau de Paris.
■ Laurent Bigot, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, membre de l’unité de
recherche PRIM, directeur de l’École publique de journalisme
de Tours, Université de Tours.
■ Vincent Bullich, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur au GRESEC,
Université Grenoble Alpes.
■ Marie-France Chambat-Houillon, maîtresse de conférences
en sciences de l’information et de la communication, directrice
du laboratoire CIM, Université Sorbonne Nouvelle.
■ Fabrice d’Almeida, professeur d’histoire contemporaine,
directeur du master 2 Médias et mondialisation de l’Institut
français de presse, chercheur au CARISM, Université Paris-
Panthéon-Assas.
■ Valérie Devillard, professeure en sciences de l’information et
de la communication, présidente du département de sciences
de l’information et de la communication, directrice de l’Institut
français de presse, Université Paris-Panthéon-Assas.
■ Flore Di Sciullo, docteure en sciences de l’information et de
la communication, chercheuse au CARISM, Université Paris-
Panthéon-Assas.
■ Maxime Fabre, docteur en sciences de l’information et de la
communication, Université Bordeaux Montaigne, chercheur
associé au GRIPIC (Celsa), Sorbonne Université.
■ Cégolène Frisque, maîtresse de conférences en sociologie,
chercheuse à ARENES, Université de Nantes.
■ Simon Gadras, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur à ELICO,
Université Lumière Lyon 2.
■ Agnès Granchet, maîtresse de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheuse au CARISM,
directrice des études à l’Institut français de presse, Université
Paris-Panthéon-Assas.
■ Benoît Grevisse, professeur en communication, chercheur à
l’ORM, École de journalisme de Louvain, Université
catholique de Louvain (Belgique).
■ Alexandre Joux, Maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur à l’IMSIC,
directeur de l’École de journalisme et de communication
d’Aix-Marseille.
■ Olivier Koch, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur au centre
Thucydide, IUT de journalisme de Cannes, Université Nice.
■ Éric Lagneau, docteur de science politique, chercheur
associé au LIER à l’EHESS, journaliste à l’Agence France-
Presse.
■ Camille Laville, chercheuse en charge des questions
d’égalité et de diversité, Conseil supérieur de l’audiovisuel de
Belgique, maîtresse de conférences en sciences de
l’information et de la communication, Université de Nice,
associée à GERiiCO.
■ Rémy Le Champion, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur au CARISM,
codirecteur de l’École de journalisme de l’Institut français de
presse, Université Paris-Panthéon-Assas.
■ Guillaume Le Saulnier, maître de conférences en sciences
de l’information et de la communication, chercheur au
CÉREP, associé au CARISM, Université de Reims
Champagne Ardenne.
■ Dominique Marchetti, directeur de recherche en sociologie,
Centre européen de sociologie et de science politique
(CESSP), CNRS.
■ Tristan Mattelart, professeur en sciences de l’information et
de la communication, directeur adjoint du CARISM, Université
Paris-Panthéon-Assas.
■ Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et
de la communication, directeur de la licence information-
communication
de l’Institut français de presse, chercheur au CARISM,
Université Paris-Panthéon-Assas.
■ Jérémie Nicey, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, référent scientifique de
l’École publique de journalisme de Tours, membre de l’unité
de recherche PRIM, Université de Tours.
■ Camille Noûs, laboratoire Cogitamus.
■ Clea Petrolesi, comédienne, metteuse en scène, directrice de
la compagnie Amonine.
■ Roselyne Ringoot, professeure en sciences de l’information
et de la communication, codirectrice de l’École de journalisme
de Grenoble, chercheuse au GRESEC, Université Grenoble
Alpes.
■ Chloë Salles, maîtresse de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheuse au
GRESEC, directrice des études de l’École de journalisme de
Grenoble, Université Grenoble Alpes.
■ Virginie Sassoon, docteure en sciences de l’information et
de la communication, Directrice adjointe du Centre pour
l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI).
■ Lucie Soullier, journaliste au Monde au service investigation.
■ Olivier Standaert, chargé de cours en journalisme, chercheur
à l’ORM, directeur de l’École de journalisme de Louvain,
Université catholique de Louvain (Belgique).
■ Gaël Stephan, chargé de cours en sciences de l’information
et de la communication, chercheur au CARISM, Université
Paris-Panthéon-Assas.
■ Mathias Valex, maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication, chercheur à ELICO,
Université Lumière Lyon 2.
■ Julie Vayssière, agrégée d’anglais, journaliste, diplômée de
l’École supérieure de journalisme de Lille.
Introduction
Le journalisme à l’étude : itinéraire
parmi les métiers et les savoirs pour
s’orienter dans les mondes
de l’information

Lucie Alexis, Valérie Devillard,

Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier

L
e journalisme est au cœur du débat démocratique. Comme
tel, il donne matière à des débats passionnés, se pare de
toute une mythologie, et essuie des critiques parfois
virulentes, nourries par le traitement de l’actualité et les
« emballements » médiatiques successifs. Le journalisme
contemporain se transforme et se réinvente au gré de ces tumultes,
et sous l’effet de changements à la fois technologiques, culturels,
économiques et organisationnels. Ces transformations concernent
aussi bien l’offre de formations et les marchés du travail
journalistique, que les méthodes de management et les conditions
d’emploi au sein des entreprises de presse, ou encore les pratiques
de production, de diffusion, de circulation et de consommation de
l’information. Plus spécifiquement, de nouveaux acteurs et formats,
de nouvelles pratiques et écritures émergent, à la faveur de la
transition numérique opérée ces dernières décennies.
Pareils bouleversements peuvent susciter bien des
interrogations parmi celles et ceux qui se destinent aux métiers du
journalisme. Pour y répondre, ce manuel d’études en journalisme se
donne une double vocation. Il propose d’abord un état des savoirs
autour des mondes de l’information. Il entend ensuite guider et
conseiller les étudiants désireux de préparer les concours des
écoles de journalisme. Il offre ainsi un panorama des recherches
actuelles en journalisme, où se côtoient les sciences de l’information
et de la communication, la sociologie et la science politique, ainsi
que des ressources pratiques s’agissant des formations et des
métiers.
Par son contenu et sa vocation, l’ouvrage s’adresse en priorité
aux étudiants qui entreprennent des études supérieures (de niveau
bachelor, licence ou master) dans le journalisme, les médias ou
l’information-
communication. Il associe les connaissances et l’expérience de
chercheurs, de formateurs et de professionnels, pour couvrir un
large spectre de questions :
■ Comment devient-on journaliste ? Quelles sont les « voies
royales » d’accès à la profession ? Quelles formations choisir
et comment s’y préparer ? Quelles sont les étapes et les
embuches de l’insertion professionnelle dans les métiers du
journalisme ? Comment l’économie des médias d’information
se structure et évolue-t-elle ?
■ Quelles sont les normes déontologiques et les instances de
régulation qui orientent l’activité des journalistes ? Que
peuvent le « fact-checking » et l’éducation aux médias face à
la propagation des rumeurs et aux manipulations en tout
genre ?
■ Mais aussi : quels standards organisent-ils l’écriture de
l’information ? Comment le numérique redessine-t-il les
pratiques professionnelles ? Quels sont les formats et les
écritures innovants ? Qu’entend-on par
« infodivertissement », « journalisme de solutions »,
« journalisme participatif », ou encore « datajournalisme » ?
■ Le questionnement concerne également le journalisme
international, du travail des correspondants auprès des
institutions européennes à celui des rédactions et des
reporters pour couvrir les guerres.
Pour orienter le lecteur dans le foisonnement des formations,
des métiers, des pratiques et des recompositions du journalisme, le
volume se structure en huit chapitres thématiques. Chacun se
compose d’une série de contributions et d’un entretien auprès d’un
spécialiste du domaine. À défaut d’exhaustivité, ce manuel d’études
en journalisme entend proposer un itinéraire aussi complet et
pédagogique que possible.
La première partie retrace les études pionnières sur le
journalisme dans le monde francophone, largement inspirées de
l’exemple nord-américain qui, dès les années trente à l’Université de
Chicago puis dans les années soixante à Columbia (New York), a
contribué à façonner ce nouveau champ d’études (Chloë Salles,
Olivier Standaert). Il présente la structuration et les orientations de la
recherche actuelle, et éclaire les nouveaux défis auxquels doit faire
face la profession (Simon Gadras). Un entretien avec le politiste
Arnaud Mercier, spécialiste des médias, se concentre plus
spécifiquement sur les transformations des pratiques
professionnelles consécutives à la transition numérique.
La question de la formation et des carrières est développée
dans la deuxième partie, en lien étroit avec les réalités et les
difficultés des marchés de l’emploi journalistique, et avec les
rouages complexes de l’économie des médias. Les étapes cruciales
de la formation et de l’insertion professionnelle sont décrites du point
de vue des candidats à la profession, pour établir les conditions, les
modalités et conjointement les difficultés d’entrée dans les métiers
du journalisme (Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier). Les
parcours d’insertion prennent place dans un secteur d’activité dont
les logiques et les contraintes économiques, de plus en plus
prégnantes, sont méthodiquement analysées (Gaël Stephan, Rémy
Le Champion). Face à la précarisation croissante des emplois
journalistiques, les carrières se construisent de plus en plus souvent
dans un va-et-vient entre les métiers du journalisme et ceux de la
communication, en raison de la proximité et même de la « porosité »
entre ces deux univers socioprofessionnels (Cégolène Frisque).
Alexandre Joux, chercheur en sciences de l’information et de la
communication et directeur de l’École de journalisme et de
communication d’Aix-Marseille, explicite en entretien les logiques de
recrutement au sein des formations spécialisées et des entreprises
de presse.
La troisième partie interroge l’éthique du journalisme, ses défis
pratiques, ses normes et ses valeurs, ainsi que les instances veillant
à leur application et, par là même, leur contribution à la construction
de l’identité professionnelle des journalistes. La diversité des
fonctions et des pratiques journalistiques, et l’éclatement des
normes déontologiques entre une multitude de codes et de chartes
posent d’abord la question de l’existence de principes fondamentaux
et de valeurs partagées, constitutifs d’une éthique professionnelle
commune (Agnès Granchet). L’apparition des « lanceurs d’alerte » et
leur multiplication conduisent ensuite à s’interroger sur leur définition
et, en particulier, sur ce qui les différencie des journalistes
professionnels, sur les modalités de leur protection juridique, sur
leurs relations avec les journalistes et les adaptations d’ordre
éthique qui en découlent (Camille Laville). L’évolution des instances
de régulation de l’information montre, malgré la persistance d’un
contrôle public émanant du juge et du régulateur de l’audiovisuel,
une relative progression de l’autorégulation professionnelle (Agnès
Granchet). Un focus sur la bonne foi du journaliste poursuivi pour
diffamation illustre, plus particulièrement, le rôle du juge dans
l’appréciation du respect de l’éthique journalistique
(AmalBenhamoud). Un entretien avec Benoît Grevisse, professeur à
l’Université catholique et directeur de l’École de journalisme de
Louvain, met enfin en lumière les principaux aspects de l’évolution
récente de la déontologie journalistique, tant en termes d’enjeux
pratiques que de principes normatifs et de légitimité.
La quatrième partie s’intéresse aux genres et aux formats
médiatiques. Deux contributions se concentrent sur les formats les
mieux établis, à savoir la dépêche d’agence et le journal télévisé
(Éric Lagneau, Marie-France Chambat-Houillon). Ces « modèles
canoniques », aussi stabilisés soient-ils, recouvrent toute une
gamme de variations, et intègrent progressivement de nouvelles
manières de structurer, d’écrire ou de donner à voir l’actualité. Pour
sa part, l’essor de l’infodivertissement à la télévision bouscule les
frontières entre deux genres a priori distincts, et consacre des
formes hybrides où s’opère un dosage variable entre information et
amusement (Marie-France Chambat-Houillon). Dans un registre
encore différent, le journalisme culturel est examiné au prisme de la
presse et de la critique d’art contemporain, pour en établir la
généalogie et les spécificités, mais aussi les fragilités et les
adaptations au gré des contextes socioculturels (Flore Di Sciullo). Le
photojournalisme est ensuite étudié à l’aune des profondes
transformations engendrées par le numérique, ses dispositifs et ses
usages, au point de bousculer la valeur même des photographies de
presse (Maxime Fabre). Roselyne Ringoot, professeure en sciences
de l’information et de la communication et codirectrice de l’École de
journalisme de Grenoble, revient en entretien sur le concept de
« genre », afin d’en établir les spécificités et la pertinence pour
l’étude des discours et (indissociablement) des pratiques
journalistiques.
La partie suivante esquisse les nouvelles écritures de
l’information. C’est-à-dire un ensemble de pratiques qui, loin de se
réduire à des innovations formelles, sont autant de tentatives pour
couvrir et construire différemment l’actualité, et, partant, pour fédérer
et mobiliser les publics. Ces innovations font émerger des manières
singulières d’exercer et d’incarner la médiation journalistique, et de
comprendre la nécessaire interdépendance entre les journalistes et
leurs publics. Dans cette perspective, une première contribution
décrit le journalisme de solutions, tandis qu’une deuxième
s’intéresse au journalisme participatif, pour en sonder les origines,
les modalités, les potentialités, mais aussi les écueils et les critiques
(Pauline Amiel, Jérémie Nicey). Il s’agit ensuite de montrer comment
les nouveaux formats (formes brèves audiovisuelles, podcasts, etc.)
expérimentés par les médias traditionnels invitent à repenser le
rapport à l’actualité (Lucie Alexis). Enfin, un entretien croisé entre
Lucie Soullier, journaliste au service investigation du Monde, et Clea
Petrolesi, metteuse en scène et directrice de la compagnie Amonine,
évoque la rencontre entre journalisme et théâtre.
La sixième partie esquisse les formes contemporaines et les
enjeux du décryptage de l’information. Une première contribution
insiste sur le rôle crucial et souvent méconnu des « sources » dans
la fabrication de l’information, et sur les rapports complexes qui se
nouent entre les journalistes et leurs informateurs (Loïc Ballarini et
Camille Noûs). Si des méthodes nouvelles de diversification des
sources se constituent via l’internet, c’est toute la chaîne de
production de l’information qui se transforme avec l’extension des
données numériques et de leurs usages professionnels, au risque
de dénaturer le travail journalistique et d’accentuer la
marchandisation de l’information (Vincent Bullich). Par ailleurs, face
à la propagation virale des rumeurs et des fake news sur le web et
les réseaux sociaux, les rédactions se réapproprient le fact-checking
et multiplient les rubriques et les initiatives, de plus en plus souvent
en association avec les géants de l’internet, dont la position apparaît
ambiguë (Laurent Bigot). Pareil contexte rend d’autant plus
nécessaire l’éducation aux médias et à l’information (EMI) auprès
des plus jeunes, laquelle peut constituer un débouché professionnel
pour les journalistes (Virginie Sassoon). En complément, les formes
modernes de propagande et de manipulation informationnelle sont
au cœur de l’entretien réalisé auprès de Fabrice d’Almeida, historien
des médias.
Exercer comme correspondant à l’étranger ou comme « grand
reporter », débattre des enjeux internationaux ou couvrir les conflits
armés : autant de facettes du métier de journaliste, qui ont
longtemps fait ses lettres de noblesse. Loin des clichés attachés à
ces figures emblématiques, la septième partie examine d’abord la
relative dépréciation de l’information internationale et de ses
contenus, sous l’effet de contraintes économiques et de
changements organisationnels au sein des rédactions (Dominique
Marchetti). De même, les correspondants européens à Bruxelles, qui
couvrent une actualité institutionnelle pointue, se confrontent eux
aussi à des conditions d’exercice moins favorables et à la
concurrence de nouveaux acteurs et canaux d’information (Olivier
Baisnée). Dans un tout autre domaine, l’on découvre au plus près
les risques encourus par les journalistes qui se rendent dans les
zones de guerre, et les mesures de sécurité davantage exigeantes
prises par les rédactions, face à des conflits de plus en plus
meurtriers (Olivier Koch). Enfin, Tristan Mattelart, spécialiste de la
géopolitique des médias, montre le rôle et la place de l’internet dans
la globalisation de l’information, ainsi que les usages stratégiques de
l’information comme soft power au sein de l’échiquier mondial.
La dernière partie assume une vocation résolument pratique. La
journaliste Julie Vayssière, diplômée de l’École supérieure de
journalisme de Lille, donne au lecteur toutes les clés pour s’orienter
parmi les écoles « reconnues » par la profession (au nombre de
quatorze) et se préparer aux épreuves d’admission. Elle commence
par décrire l’histoire et l’identité des différentes formations, les
diplômes et les débouchés qu’elles proposent, ainsi que leurs
modalités d’admission. Elle développe ensuite le contenu et les
attendus des dossiers de candidature, ainsi que les épreuves de
sélection et les critères de réussite. Le lecteur trouvera ainsi dans ce
chapitre une présentation complète et actualisée des formations
labellisées, enrichie de nombreux conseils pour se préparer aux
épreuves et tenter d’intégrer l’une ou l’autre de ces écoles, aussi
sélectives que convoitées.
Le manuel se clôt sur une ouverture vers d’autres lectures,
référencées au sein d’une « boîte à outils » documentaire. Le lecteur
y découvrira, d’une part, un weborama décrivant les acteurs de
référence de l’information en ligne (Lucie Alexis et Mathias Valex),
et, d’autre part, un ensemble de ressources autour de l’éducation
aux médias et à l’information (Virginie Sassoon).
PARTIE I
LES ÉTUDES
DE JOURNALISME : LA
CONSTITUTION D’UN CHAMP
DE RECHERCHE
Chapitre 1
1 Le journalisme comme champ
d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration
française

Chloë Salles

L
es processus ayant participé à la constitution d’un champ
d’étude spécifique au journalisme en France et aux États-Unis
sont indissociables de l’histoire de l’activité journalistique et
des étapes qui ont participé à légitimer celle-ci sans cesse depuis
près d’un siècle et demi. Le journalisme, tel qu’il l’est aujourd’hui,
sous les feux de vives critiques, a toujours eu « mauvaise presse »
(Lemieux, 2000). L’historien Raymond Manévy en décrivait la
réputation à l’époque de la Révolution française comme
« exécrable » (1958) : « Un observateur en 1785 : “À Paris, on traite
absolument comme des filles de joie ces écrivains qui font les
nouvelles. On les tolère et de temps à autre, on en envoie une
colonie dans les prisons.” » Cette mauvaise réputation n’était pas
spécifique au contexte français, elle précédait l’activité journalistique
dans d’autres pays aussi. Comme le souligne Carey à propos des
journalistes aux États-Unis (2000 :16) : « Les journalistes n’étaient
pas des individus éduqués, et ils n’étaient assurément pas des gens
de lettres. Ils formaient une collection improbable de scribouillards
itinérants, aspirants romanciers ou écrivains ratés. » Qu’il s’agisse
du contexte états-unien ou français, parmi les stratégies de
valorisation de la profession ayant été mises en œuvre (Ruellan,
2010 ; Rieffel, 1984)1, il y a eu l’inscription du journalisme à
l’université comme objet de formation et de réflexion. Les acteurs à
l’œuvre ont été divers, évoluant entre les contextes académique,
professionnel, institutionnel, et guidés chacun d’entre eux, par la
recherche de reconnaissance du journalisme en société et auprès
de l’université et des élites politiques.
Afin de situer les prémices d’une structuration de la recherche
française sur le journalisme dans les années soixante-dix/quatre-
vingt, cette contribution prend en compte la situation des journalistes
aux États-Unis au début du XIXe siècle. Il est développé en quatre
parties selon l’ordre chronologique des recherches devenues des
références et en fonction des approches privilégiées. La chronologie
traduit de manière imparfaite la cartographie complexe de
l’émergence de recherches dispersées au sein de disciplines et de
courants scientifiques variés, mais elle a le mérite de permettre une
esquisse de la structuration des contours du champ des études sur
le journalisme.

Des années vingt aux années quarante :


une impulsion en sociologie provenant de
journalistes
À la différence de la France qui a vécu un développement
certes lent du journalisme à l’université, mais soutenu
institutionnellement (Pélissier, 2008 : 49)2, le contexte états-unien a
connu une émergence plus précoce de l’étude du journalisme, mais
aussi plus dispersée sur son territoire et moins institutionnalisée.
Comme le décrit Carey (2000), une tradition de formation au
journalisme se développait bon gré mal gré dans les établissements
du supérieur du Midwest au début du XIXe siècle : « Des motifs flous
et peu flatteurs ont introduit le journalisme dans les programmes de
ces universités. Il s’agissait assez typiquement des clubs de la
presse fédéraux, constitués de quotidiens de tailles petites et
moyennes, plutôt que de grands titres urbains, qui faisaient du
lobbying pour la création d’écoles et de départements indépendants
dédiés au journalisme » (Carey, 2008 : 18 – traduit par l’autrice). Ces
formations étaient très hétérogènes et consistaient le plus souvent
en des cours isolés émanant des départements de Lettres, avec
pour objectif l’enseignement de compétences d’écriture et
d’éléments d’histoire des médias (Zelizer, 2004). Cependant, dans
certains cas moins nombreux, ce sont des programmes de formation
entièrement dévolus au journalisme qui ont été développés, et ce,
dès l’entre-deux-guerres. L’école de journalisme de la Columbia à
New York en est l’exemple le plus ancien, elle a été créée par
l’industriel de la presse Joseph Pulitzer en 1912. Les universités de
l’Iowa, et du Wisconsin, menées respectivement par les historiens
Franck Luther Mott et Willard Bleyer, ont également été les berceaux
d’une formation du journalisme au début des années vingt (Zelizer,
2004 : 16). Enfin, l’université de Chicago, qui n’avait pas de
formation en journalisme, a également joué un rôle important dans
l’émergence de travaux en sciences sociales sur le journalisme,
guidés notamment par les sociologues Robert Park et Léo Rosten.
Ces centres de formation et de réflexion sur le journalisme, émanant
des départements de Lettres et d’Histoire, puis des sciences
sociales, et tous dirigés par d’anciens journalistes, ont impulsé une
approche réflexive du travail dans les salles de rédaction, des
acteurs concernés, et de leurs pratiques.
Dès l’entre-deux-guerres, Willard Bleyer, historien et ancien
journaliste, déclare être ni convaincu par le caractère « vocationnel »
du journalisme dont l’enseignement à l’université devait, selon lui,
conditionner une approche scientifique, ni par le fait que l’histoire,
« trop descriptive », peut permettre d’approfondir l’analyse de la
profession (Zelizer, 2004 : 16). C’est ainsi qu’il s’est investi dans le
développement de formations adossées aux sciences sociales, et ce
jusqu’au niveau doctoral (Singer, 2008 ; Weaver, 2008 : 146)3. Il a
également participé à la création, dès 1912, de l’Association For
Education In Journalism and Mass Communication dont il fut le
premier directeur4. De cette association, a émané en 1924 la
première revue scientifique portant sur la recherche en journalisme
(puis élargie plus tard à la communication) : Journalism Bulletin,
devenu ensuite Journalism Quarterly, puis Journalism and Mass
Communication Quaterly5. Dans cette revue, sont parus plusieurs
des travaux devenus par la suite des références à l’échelle
internationale.
À Chicago, c’est Robert Park, rattaché au département de
sociologie, qui entreprend des recherches ethnographiques sur la
population journalistique (Pélissier, 2008 : 55). Ce dernier promeut la
sociologie comme un prolongement des pratiques journalistiques. En
effet, la connaissance et la compréhension détaillées que permet
l’analyse ethnographique d’une ville, de ses populations, des milieux
socio-économiques et culturels, s’apparenteraient à l’écriture et aux
compétences journalistiques (Park et al., 1925). En outre, Robert
Park crée un journal quotidien scientifique, Thought News, avec la
participation de John Dewey et George Herbert Mead (Carey, 2000 :
7). Les travaux ayant à l’époque émané de l’École de Chicago ont
eu un rôle déterminant dans l’inscription du journalisme à l’université
dans le prolongement de la sociologie (Bastin, 2016). De cette
même école est issue une dizaine d’années plus tard une enquête
du sociologue et journaliste Léo Rosten (1937), de l’université de
Chicago, sur les correspondants à Washington. Alors qu’il n’existe à
l’époque que peu de connaissances sur la profession journalistique,
le fruit de ce travail reposant sur des entretiens menés auprès de
127 journalistes basés à Washington vient combler un vide et poser
un jalon supplémentaire dans la constitution d’un champ d’étude.

Des années cinquante aux


années soixante : la profession
journalistique au prisme
des communications de masse
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est attribué de
plus en plus d’importance aux médias et au journalisme pour éclairer
les citoyens en démocratie. Aux États-Unis comme ailleurs, la
recherche bénéficie de soutiens institutionnels importants pour
interroger la géopolitique des « communications de masse »6 et les
effets des médias. Les travaux financés et menés sur le long terme
par le sociologue Paul Lazarsfeld à l’université de Columbia
tempèrent l’hypothèse d’un modèle selon lequel « les masses »
seraient abreuvées sans esprit critique ni libre arbitre par les
discours des médias livrés sous forme de « seringue
hypodermique » (Neveu, 2004 : 82). La question initiale des effets
des médias s’en retrouve renversée pour interroger ce que les
publics font des médias.
Dans une perspective empirico-fonctionnaliste, le successeur de
Franck Luther Mott à l’université du Wisconsin, Wilbur Schramm
(1959), annonce une sociologie des médias dans laquelle le
journaliste est considéré comme partie prenante des processus de
communication de masse (Pélissier, 2008 : 55). Dans son sillon,
David Manning White de l’université de Boston analyse les pratiques
de sélection et de hiérarchisation de l’information opérées au sein
des salles de rédaction. Le chercheur mobilise l’expression de
gatekeeping dans un article publié en 1950, dont la théorie franchit
les frontières états-uniennes pour devenir fondatrice d’une lignée de
recherches encore vive aujourd’hui. Si l’article de David Manning
White éclaire sur la mobilisation de pratiques empreintes de
subjectivité au sein d’une profession qui se dit mue par l’objectivité,
des travaux qui vont suivre, menés par Warren Breed (1955) de
l’université de Columbia et Walter Gieber (1956) de l’université de
Californie, démontrent à leur tour les mécanismes de contrôle social
qui sont aussi à l’œuvre au sein des rédactions : le journaliste ne
décide pas de son propre chef de ce qui est ou non « fit to print7 ».
George Gerbner (1964), à son tour, analyse et interroge la
prégnance d’idéologies dans les choix qui sont opérés au sein de la
rédaction. À partir d’un corpus de journaux français, le directeur de
l’Annenberg School of Communication à l’université de Pennsylvanie
souligne la manière dont les journaux « grand public » s’alignent sur
une idéologie de droite, qui est aussi celle qui favorise
l’industrialisation de la presse. Cet article est annonciateur de la
couleur critique que prendront par la suite certaines recherches sur
le journalisme.
La structuration des travaux états-uniens sur le journalisme
gagne en visibilité par le biais des revues scientifiques nationales,
comme Journalism Quarterly, et étrangères comme Les Cahiers de
la Presse, édités par l’Institut spécialisé de presse depuis l’entre-
deux-guerres (l’ancêtre de l’Institut français de presse), et composé
au moins pour moitié de contributions scientifiques nord-américaines
ou allemandes (Pélissier, 2008 : 29). L’avance de ces travaux sur la
recherche française est particulièrement explicite lors de la
publication de Sociologie de l’information, textes fondamentaux
(1973) dont la majorité des contenus sont anglo-saxons (Pélissier,
2008 : 57).
Cependant, en rupture avec l’approche positiviste du
journalisme qui avait dominé en France jusqu’alors, c’est une
recherche de tradition empirico-fonctionnaliste qui émerge au milieu
des années soixante et au début des années soixante-dix, avec les
thèses de doctorat de troisième cycle de Francis Balle et de Josiane
Jouët, menées sous la direction, pour l’une, du philosophe Raymond
Aron et, pour l’autre, du sociologue Jean Cazeneuve. Il s’agit des
premiers travaux sociologiques français portant sur la profession
journalistique. Francis Balle soutient sa thèse sur Le problème de la
dépolitisation des grands quotidiens parisiens de 1946 à 1964
en 1965, tandis que Josiane Jouët soutient La fonction de journaliste
en 1972, où elle mobilise la recherche anglo-saxonne d’inspiration
ethnographique pour interroger le news gathering et le gatekeeping
(Pélissier, 2008 : 59), et ce, dans un contexte considéré comme
socialement contraint au sein des rédactions du Monde et de
France Soir. La thèse d’État ès Lettres de Francis Balle, commencée
en 1969 sous la direction de Raymond Aron, est soutenue en 1978.
Les journaux quotidiens et les journalistes français : sociologie d’un
marché et d’une profession est l’application d’un cadre théorique
d’inspiration états-unienne au contexte français. N’ayant pas été
publiés, ces travaux ne marquent que peu le développement du
journalisme comme champ d’étude en France.

Des années soixante-dix aux


années quatre-vingt : tournant critique
dans l’analyse des rédactions
Au cours des années soixante-dix, la « démystification des
salles de rédaction » se poursuit dans un contexte international
marqué par les luttes des mouvements sociaux. Les recherches
s’affirment comme progressivement plus critiques dans la
déconstruction des normes et des rituels selon lesquels s’exerce la
profession journalistique.
En 1972, une sociologue de l’université d’État de New York,
Gaye Tuchman, publie un article qui dévoile tout l’intérêt stratégique
de la « sacro-sainte » règle de l’objectivité journalistique, qui servirait
d’abord à éviter aux journalistes d’être tenus pour responsables des
conséquences de leur production. Les chercheurs de l’université de
Californie à Santa Barbara, Harvey Molotch et Marilyn Lester,
s’attaquent aux intentions qui guident la production de l’information.
Celles-ci seraient normées selon les « typologies » d’un titre (soit sa
ligne éditoriale), découlant elles-mêmes des attentes d’une certaine
classe de lecteurs dont les intérêts seraient ainsi protégés, voire
entretenus (Zelizer, 2004 : 60). Parmi les pratiques de routines
interrogées par la recherche, se trouve aussi la sélection et mise à
l’agenda des actualités dans la rédaction : l’« agenda-setting ». La
théorie développée par Maxwell McCombs et Donald Shaw en 1972
devient une référence aux États-Unis et à l’étranger, et demeure
encore très mobilisée de nos jours (McCombs et Shaw, 1993 ;
McCombs, 2005).
Dans le prolongement des travaux ayant mis l’accent sur le
contrôle social (1973) qui s’exerce au sein des rédactions, le politiste
de l’université de Harvard, Edward Epstein favorise une approche
organisationnelle de la production de l’information. Il « insiste sur les
tensions sociales internes comme déterminants essentiels de la
production de nouvelles » (Pélissier, 2008 : 56), et indique la
manière dont les routines de la production de l’information
participent à des « biais » dans la couverture de l’actualité (Zelizer,
2004 : 64).
Enfin, inspirés par les premiers travaux de l’école de Chicago
sur la profession des journalistes, certains chercheurs renouvellent
l’approche ethnographique des rédactions afin d’identifier les
processus décisionnaires qui s’y exercent. C’est notamment le cas
de Gaye Tuchman (1978), qui passe une dizaine d’années à
analyser les stratégies de production à l’œuvre au sein de
rédactions, dont la vérification et la classification de l’information
(selon des rubriques, par exemple). Herbert Gans (1979) publie
également un travail issu de dix années d’observation au sein de
quatre rédactions et montre comment sont mobilisées, par les
journalistes, des valeurs dans la sélection des actualités (Zelizer,
2004 : 66). Enfin, Mark Fischman (1980) met en œuvre des
méthodes ethnographiques pour interroger la couverture médiatique
d’une dite « vague criminelle » en Californie, à laquelle les
journalistes n’adhèrent pas (Zelizer, 2004 : 67). Son observation
révèle la forte dépendance des journalistes à leurs sources
d’information institutionnelles, et donc l’autorité de ces dernières
dans la reproduction de leurs discours.

Affirmation française de l’étude du


journalisme comme profession
et distanciation critique
En 1976, parait l’article « Système d’interaction et rhétoriques
journalistiques » de Jean-Gustave Padioleau. Il s’agit, selon Érik
Neveu (2003 : 73), d’un article fondateur de la sociologie du
journalisme en France. Selon une perspective interactionniste
pragmatique et systémique de la production de l’information, Jean-
Gustave Padioleau mobilise une approche ethnographique pour
interroger l’écriture journalistique et les conditions organisationnelles
de sa production (Pélissier, 2008 : 62). L’enquête porte sur les
pratiques des journalistes spécialisés de la rubrique Éducation, et
l’analyse met en évidence les logiques et mécanismes d’un système
qui « empêche » les médias d’exprimer une réelle critique de ceux
qu’ils couvrent. Des travaux français sur le journalisme (Francis
Balle et Josiane Jouët) sont mobilisés dans ce dernier article,
complétés de nombreuses références anglo-saxonnes. Parmi elles,
se trouvent le britannique Jérémy Tunstall (1970, 1971) – lui-même
étant inspiré par le travail systémique de Léo Rosten –, George
Gerbner (1965), et Edward Epstein (1974), Harvey Molotch et
Marylin Lester (1974) ainsi que Gaye Tuchman (1972). Si l’article fait
appel à des travaux issus du courant fonctionnaliste anglo-saxon, il
exprime toutefois une critique de la conception libérale des médias
venue des États-Unis. Cette dernière est annonciatrice de
publications à venir qui seront en rupture avec l’approche
fonctionnaliste, tout en reposant sur des éléments de la recherche
pionnière états-unienne. Armand Mattelart (1980, 1985), Yves de
La Haye (1983) et Paul Beaud (1984) en sont quelques-uns des
auteurs.
Enfin, selon Nicolas Pélissier, la revue Médiapouvoirs créée
en 1985 par des journalistes et des professionnels de la
communication, est la revue ayant « suscité les efforts de
structuration les plus manifestes » (2008 : 102). Portant sur les
politiques, l’économie et les stratégies des médias, elle accueille à
partir de 1987 des rubriques dévolues aux articles scientifiques, dont
les traductions de certaines références anglo-saxonnes (Pélissier :
2008 : 103). À partir de 1990, le jeune sociologue Jean-Marie
Charon, diplômé d’une thèse à l’Université Paris V en 1977, en
devient le directeur de publication. Ce dernier privilégie les contenus
portant sur le journalisme tout en renforçant la dimension scientifique
de la revue, avec des travaux issus notamment des sciences de
l’information et de la communication.
En définitive, ce sont les contours d’une histoire enchevêtrée
dans d’autres histoires que dessine cette contribution. En effet, les
élans professionnels, puis institutionnels ayant favorisé une
inscription du journalisme à l’université ne sont que survolés.
Pourtant, ils constituent des histoires denses et décisives pour la
structuration du journalisme comme objet d’étude, aux États-Unis
comme en France, mais dans des contextes culturels spécifiques.
Les réflexions d’ordre géopolitique, particulièrement actives depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale, et également empreintes
d’une part institutionnelle importante, se présentent aussi comme un
facteur essentiel dans l’émergence de la recherche sur le
journalisme.
Enfin, la période abordée de manière synthétique, bien que
longue de plus d’un demi-siècle, ne met pas non plus en valeur les
sérieux balbutiements dans les disciplines du droit et de l’histoire qui
ont précédé de près de cent ans l’intensification de la recherche sur
le journalisme en sociologie. Ni cette contribution ne permet-elle
d’entrer dans les détails de la dispersion disciplinaire ayant fleuri en
France et à l’échelle internationale à partir des années quatre-vingt,
avec des approches ayant émergé en sciences politiques, en
sciences du langage, en économie, et en sciences de l’information et
de la communication, dont de nombreux travaux sont devenus des
références contemporaines. Cette dispersion a fait l’objet
d’interrogations épistémologiques fondamentales à l’aube des
années 2000 (Zelizer, 2000), suggérant notamment l’existence des
Journalism Studies. Le développement important de la recherche sur
le journalisme, quant à lui, a été analysé comme ne résolvant pas
l’« incomplétude » des relations entre journalisme et université
(Miège, 2006). Des relations à géométrie variable dont des élans de
distanciation se manifesteront dès les années quatre-vingt-dix
(Pierre Bourdieu, 1996), à l’issue de la mission réussie de
légitimation du journalisme dans les universités depuis près
d’un siècle.

Bibliographie
• Bastin G., « Le journalisme et les sciences sociales. Trouble ou
problème ? », Sur le journalisme, About journalism, Sobre
jornalismo [en ligne], vol 5, n° 2, 2016.
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France. Genèse et essor d’un objet scientifique, 1945-1972.
Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la
communication, Université de Lorraine, 2014.
• Cabedoche B., « Le rapport McBride, conférence du consensus
avant l’heure : L’expérimentation refoulée d’une médiation
politique originale, porteuse d’un espace public sociétal et des
valeurs fondatrices de l’Unesco », Les Enjeux de l’information et
de la communication, 1 (1), 201, p. 69-82.
• Carey J. W., « Some personal notes on US journalism
education », Journalism, vol. 1, no 1, 2000, p. 12-23.
• Lemieux C., Mauvaise Presse, Paris, Anne-Marie Métailié, 2000.
• Manévy R., La presse française de Renaudot à Rochefort, Paris,
Forêt éditeur, 1958.
• Miège B., « France : l’incomplétude des relations entre
journalisme et université », Les enjeux de l’information et de la
communication, 2006/1, p. 43-52.
• Pélissier N., Journalisme : avis de recherche. La production
scientifique française dans son contexte international, Bruxelles,
Bruylant, 2008.
• Rieffel R., L’élite des journalistes : les hérauts de l’information,
Paris, PUF, 1983.
• Ruellan D. Nous, journalistes. Déontologie et identité, Grenoble,
PUG, 2011.
• Ruellan D., Le journalisme ou le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.
• Singer J. B., « Journalism Research in the United States.
Paradigm shift in a Networked World », dans Löffelholz, M.,
Weaver, D., Global Journalism Research. Theories, Methods,
Findings, Future, Blackwell Publishing, 2008.
• Zelizer B., « What is journalism studies? », Journalism, London,
Sage Publications, 2000.
• Zelizer B., Taking journalism seriously: News and the academy,
London, Sage Publications, 2004.

Références pionnières anglo-saxonnes


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Boston, Houghton Mifflin, 1927.
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Analysis », Social Forces, n° 33, 1955, p. 326-335.
• Epstein E. J., « The Press and Watergate », Commentary, 1974,
p. 21-24.
• Epstein E. J., News from Nowhere, New York, Random House,
1973.
• Epstein E. J., Between Fact and Fiction, New York, Random
House, 1975.
• Fischman M., Manufacturing the News, Austin, University of
Texas Press, 1980.
• Galtung J., Ruge M., « The structure of foreign news », Journal
of Peace research, n° 2, 1965, p. 64-90.
• Gans H., Deciding what’s News, New York, Pantheon, 1979.
• Gerbner G., « Ideological Perspectives and Political Tendencies
in News Reporting », Journalism Quarterly, vol. 41, 4, 1964,
p. 495-516.
• Gerbner G., « Institutional pressure upon mass
communicators », The sociological Review, Monograph n° 13,
1965, p. 205-247.
• Gieber W., « Across the desk: a study of 16 telegraph editors »,
Journalism Quarterly, n° 33 (4), 1956, p. 423-432.
• McCombs M., Shaw D., « The agenda-setting function of mass
media », Public Opinion Quarterly, 36 (2), 1972.
• McCombs, M. Shaw D., « The Evolution of Agenda-Setting
Research: Twenty-Five Years in the Marketplace of Ideas »,
Journal of Communication, 43 (2), Spring, 1993.
• McCombs M., « A look at agenda-setting: Past, present and
future », Journalism Studies, 6 (4), 2005, p. 543-557.
• Molotch H., Lester M., « News as Purposive behavior ? »,
American Sociological Review, n° 39 (6), 1974, p. 101-112.
• Park R. E., « The Natural History of the Newspaper ? », dans
Robert E. Park, Ernest W. Burgess, Roderick D. McKenzie
(Ed.), The City, Chicago, University of Chicago Press, 1925,
p. 80-95.
• Rosten L., The Washington Correspondants, New York,
Harcourt, 1937.
• Schramm W., One Day in the World Press, Stanford, SUP, 1959.
• Tuchman G., « Objectivity as strategic ritual », American journal
of sociology, n° 77 (4), 1972, p. 660-679.
• Tuchman G., Making the News, New York, Free Press, 1978.
• Tunstall J., The Westminster Lobby Correspondents, Londres,
Routledge and Kegan Paul, 1970.
• Tunstall J., Journalists at Work, Londres, Constable, 1971.
• White M. D., « The Gate Keeper: A case study in the Selection of
News », Journalism Quarterly, n° 27 (3), 1950.

Références pionnières françaises


• Balle F., Les journaux quotidiens et les journalistes français :
sociologie d’un marché et d’une profession, Thèse d’État ès
Lettres sous la direction de Raymond Aron, Sorbonne, 1978.
• Balle F., Padioleau J.-G., Sociologie de l’information, textes
essentiels, Paris, Larousse Université, 1973.
• Beaud P., La société de connivence : médias, médiations,
classes sociales, Paris, Aubier, 1984.
• Haye de la Y., Journalisme, mode d’emploi. Des manières
d’écrire l’actualité. Logiques sociales, Paris, Aubier, 1984.
• Jouët J., La fonction de journaliste, Thèse de doctorat de
Troisième cycle sous la direction de Jean Cazeneuve,
Université Paris V, 1972.
• Mattelart A., Mass Media, Ideologies, and the Revolutionary
Movement, Brighton, Harvester, 1980.
• Mattelart A., Schmucler H., Communication and Information
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NJ, Ablex, 1985.
• Neveu, É., Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte,
2003.
• Padioleau J.-G. « Système d’interaction et rhétoriques
journalistiques », Sociologie du travail, vol 3., 1976, p. 252-282.

1. La constitution d’associations d’employés et d’employeurs, la création de syndicats, le


vote de la loi sur la profession et les droits concédés, la constitution d’une déontologie
sont autant d’étapes et de stratégies ayant servi la reconnaissance de l’activité
journalistique en profession, puis comme « élite ».
2. Le développement du journalisme comme objet d’étude à l’université en France a été
porté par le Syndicat national des journalistes, les associations d’employeurs, les patrons
de presse, soutenus notamment par l’ONU et l’UNESCO.
3. Le journalisme est une mineure possible dans le cadre de thèses en sociologie et en
sciences politiques.
4. URL : https://www.aejmc.org/home/about/aejmc-history/.
5. URL : https://journals.sagepub.com/description/jmq.
6. Conférence de l’ONU sur la liberté de l’information en 1948, à Genève. Création,
en 1957, de l’Association Internationale des Études et Recherches sur l’information
(AIERI), avec le soutien de l’UNESCO.
7. Se traduit par « ce qui mérite d’être imprimé », tiré du célèbre slogan du New York
Times, inauguré en 1896 pour justifier des choix éditoriaux « impartiaux » du journal.
Chapitre 2
2 De Max Weber aux Journalism
Studies : histoire et contribution
de la recherche sur le journalisme

Olivier Standaert

L
a recherche sur le journalisme, en tant qu’activité de
production d’un savoir et d’un discours scientifique, reflète
certains enjeux liés au journalisme lui-même. Son périmètre,
tout d’abord : est-il possible – souhaitable ? – de délimiter
précisément ses objets, ses cadres théoriques et ses finalités,
sachant que la définition même du journalisme demeure ouverte,
évolutive et sujette à débats (Vos, 2018) ?
Son autonomie, ensuite : en tant que sous-discipline des
sciences sociales, et des sciences de l’information et de la
communication (SIC) en particulier, la recherche sur le journalisme
peut-elle faire valoir une autonomie théorique et des approches
spécifiques, ou bien se situe-t-elle au confluent de différentes
disciplines (sociologie, économie, sciences politiques, linguistique,
histoire, sciences de l’informatique, etc.), à charge pour les
chercheurs d’en tirer profit en fonction de leurs orientations, de leurs
contraintes et de leurs possibilités ?
Enfin, les changements technologiques, économiques,
éditoriaux et d’usages qui affectent les médias d’information ont un
impact considérable sur le renouvellement des problématiques parmi
la communauté scientifique, ce qui pose la question de la stabilité de
ce domaine d’étude. À elles seules, les niches des Digital Journalism
Studies (Steensen et Westlund, 2021) et du journalisme automatisé
(Diakopoulos, 2019), incarnées par le succès quasi immédiat et
croissant d’une revue scientifique telle que Digital Journalism1,
soulignent que les études sur le journalisme évoluent
continuellement et s’ouvrent à d’autres horizons, autant par
nécessité que par tradition interdisciplinaire. C’est notamment dû à
une forte sensibilité à des problématiques empiriques, formulées au
contact de réalités impactant directement les métiers et le marché.
À ces trois niveaux – la délimitation du champ, son autonomie et
son (in)stabilité –, les études sur le journalisme, formalisées et
structurées aujourd’hui autour de l’appellation de Journalism
Studies2, témoignent d’une forme de proximité, voire d’un certain
parallélisme, avec le champ d’activité qu’elles entendent couvrir.
Cette contribution se propose de montrer comment ce domaine de
recherche fournit un appareil théorique et méthodologique original à
toute personne désireuse d’interroger en profondeur les enjeux du
journalisme dans nos sociétés. Objet multiforme saisi et interprété
de multiples manières, à la fois mal connu et surexposé à la critique
(voire à des formes de défiance et de disqualifications), le
journalisme est parfois présenté comme le premier brouillon (first
draft) de l’Histoire. C’est dire non seulement le rôle majeur joué par
les médias, au sens large, dans le processus d’attribution de sens
aux événements du monde, mais aussi la profondeur de leur
ancrage culturel. Dans cette optique, les débats contemporains sur
le journalisme ont beaucoup à retirer de la recherche scientifique
pour mener la réflexion, et les prises de position qui en découlent,
sur des bases argumentées, lisibles et connectées aux acquis de
plusieurs décennies d’apports scientifiques. Au départ d’une
approche historique des grandes étapes de la recherche sur le
journalisme, quatre cadres théoriques sont présentés, et leurs
apports respectifs brièvement discutés.
Aperçu historique de la recherche sur le
journalisme
L’activité de production et de diffusion de nouvelles est
ancestrale. En revanche, celle qui consiste à étudier ce phénomène
de manière à en constituer un savoir est rarement antérieure
au XIXe siècle. Cette période coïncide avec la montée en puissance
du journalisme comme industrie, marché du travail et institution
sociale. La caisse de résonance sociopolitique de plus en plus
importante de la presse suscite alors un intérêt croissant,
notamment de la part de chercheurs et théoriciens allemands tels
que Max Weber (Bastin, 2001) ou Karl Marx, qui élaborent les
premières grilles d’analyse des fonctions sociales et politiques de la
presse. Ces travaux, expliquent Hanitzsch et Wahl-Jorgensen
(2009 : 5), appartiennent à un courant qu’ils qualifient de normatif en
ce qu’il s’intéresse principalement aux fonctions que le journalisme,
en tant qu’institution, devrait idéalement remplir dans la société. En
cela, les discours normatifs se rapportent à ce que le journalisme
devrait accomplir, et non prioritairement à ce que ses représentants
font concrètement. Les discours de type normatif sur le journalisme
demeurent vivaces et perceptibles encore aujourd’hui dans les lieux
où se discute la profession. Ces travaux pionniers, en Allemagne
puis aux États-Unis, montrent que les premiers théoriciens de la
presse et du journalisme sont le plus souvent des sociologues,
historiens, voire écrivains, certains ayant été également actifs dans
l’un ou l’autre titre de presse (comme Max Weber, par exemple).
Cette relative proximité concerne aussi le journalisme, notamment
français, où la profession entretient longtemps des liens manifestes
(et parfois conflictuels) avec les milieux littéraires.
Au tournant des années 1930, dans une seconde phase que
Hanitzsch et Wahl-Jorgensen qualifient de « tournant empirique »,
une vaste production scientifique s’intéresse aux processus et aux
structures de production de l’information. Aux États-Unis, dans les
années 1940 et 1950, cette sociologie du news making donne lieu à
certains des travaux fondateurs des Sciences de l’Information et de
la Communication, dans la foulée d’auteurs tels que Paul Lazarsfeld,
Carl Hovland ou Harold Lasswell. Des concepts tels que les news
values (Galtung et Ruge, 1965), le gatekeeping (White, 1950) et
l’agenda setting (McCombs et Shaw, 1972 ; Wanta et Alkazemi,
2017, pour une mise à jour) sont toujours discutés et mobilisés de
nos jours, parfois au prix de profondes réactualisations. Ainsi en va-
t-il, entre autres, de la théorie du gatekeeping, revue en profondeur
en tenant compte des nouvelles marges d’action définissant les
audiences à l’ère du numérique, et de l’émergence d’acteurs
inexistants dans la société d’après-guerre (réseaux socio-
numériques, plateformes, médias citoyens, etc.). Les
transformations économiques et technologiques de l’industrie des
médias reconfigurent le filtrage, la sélection et la diffusion des
informations, ainsi que la place des journalistes dans ce processus,
sans pour autant reléguer cette théorie aux oubliettes de la
recherche, tant s’en faut (Vos et Heinderyckx, 2015).
De plus en plus d’universités proposant des formations
orientées vers le journalisme – bien avant de les labelliser et de les
spécialiser comme elles le sont de nos jours, la montée en
puissance de la recherche ira de pair avec celle de l’enseignement
supérieur. Les travaux américains des années 1950 et 1960
privilégient l’étude des audiences et les effets des médias sur ces
dernières – les deux guerres mondiales ayant démontré toute la
puissance des rouages des systèmes modernes de propagande,
ainsi que le rôle des médias de masse dans la mobilisation des
opinions publiques et la circulation d’informations contrôlées par les
États. Ces efforts de théorisation pionniers ne valent plus
nécessairement pour eux-mêmes, mais plutôt pour le sillon qu’ils ont
tracé, leur héritage permettant de définir les premiers « classiques »
d’une discipline encore en quête de repères et très influencée,
jusque dans le profil et les méthodes de ses auteurs, par des
domaines scientifiques extérieurs aux SIC.
Les années 1970 et 1980 ouvrent de nouvelles pistes de
recherche à travers une féconde tradition sociologique. De plus en
plus d’études privilégient des méthodes qualitatives (entretiens,
immersions, observations participantes) pour comprendre comment
l’activité journalistique se déploie dans l’infra-quotidien, dans les
interactions avec les sources, la gestion des injonctions, des
pressions et des contraintes, notamment temporelles (Tuchman,
1978 ; Schlesinger, 1978 ; Gans, 1979 ; Fishman, 1980). Les
approches ethnographiques du journalisme (newsroom
ethnographies), en écho à l’École sociologique de Chicago (Anselm
Strauss, Everett Hughes, Howard Becker), offrent un éventail
d’études de cas et de monographies permettant de saisir la
multiplicité des contextes dans lesquels la pratique journalistique se
déploie avant d’être réceptionnée par les audiences. Ces approches
ethnographiques ont connu un intéressant renouveau au début des
années 2000, notamment aux États-Unis (Boczkowski, 2004 ;
Anderson, 2011 ; Usher, 2014). Le dernier tiers du XXe siècle est
aussi celui où les Cultural Studies s’intéressent aux médias à travers
« les significations, les systèmes symboliques, les idéologies, les
rituels et les conventions par lesquels les journalistes maintiennent
leur autorité culturelle, en tant que voix de référence sur tout ce qui
relève de la sphère publique » (Zelizer, 2004 – traduction de
l’auteur). Ces approches culturelles remettent en question les
premiers modèles d’analyse de la réception (Hall, 1977), où le public
était défini comme une entité homogène essentiellement passive
face à des médias puissamment transmissifs, dotés d’un pouvoir
d’imposition de leurs messages quasi unilatéral. Aux États-Unis,
elles décloisonnent largement les objets et les terrains d’étude vers
les médias dans leur ensemble (notamment de loisir et fictionnels),
dépassant l’ornière de la presse quotidienne et de l’audiovisuel
d’information. Elles questionnent aussi sous un angle critique
l’influence des médias, et donc indirectement des journalistes, en
écho à l’École de Francfort, qui la précède de quelques années. Les
travaux de cette dernière, portés notamment par Theodor Adorno et
Max Horkheimer, ciblent la marchandisation de la « culture de
masse », terme souvent connoté négativement, le manque
d’autonomie des médias traditionnels les plus prestigieux et leur
responsabilité dans la transmission sans recul des cadres de
pensées et des idéologies dominantes de nos sociétés. Si la
formulation de cette théorie demeure « frustre et entachée de
préjugés élitistes », note Éric Maigret (2009 : 56), « elle permet de
cerner le problème du rapport entre monde des médias et jeu des
inégalités sociales, c’est-à-dire le problème de l’effet idéologique ».
La recherche en journalisme connaît une forte
internationalisation dans les années 1990. La conjonction de
changements politiques majeurs tels que la fin de la guerre froide ou
le développement de la Communauté européenne, couplés à un
accroissement de la mobilité et des possibilités techniques de mise
en réseaux, permettent aux chercheurs de collaborer au-delà de
leurs frontières nationales. Ce virage international se traduit
notamment par l’essor des grandes enquêtes comparatives, que le
travail pionnier de David Weaver (1998) sur les profils des
journalistes contribue à populariser. Cette perspective internationale
et comparative permet à la communauté scientifique de questionner
un certain ethnocentrisme occidental (Hanitzsch, 2019) et de
prendre conscience que les théories normatives du journalisme
associent historiquement le journalisme au (bon) fonctionnement des
régimes démocratiques, avec en toile de fond une vision anglo-
saxonne (surtout américaine et britannique) des rôles et
épistémologies du journalisme (Zelizer, 2013). Or, le journalisme
existe (et a existé) de facto dans et en dehors des régimes
démocratiques, selon une multiplicité de modalités relationnelles
avec le pouvoir politique.
Les études comparatives ont pour apport majeur de mettre au
centre de la recherche la dimension culturelle du journalisme,
suivant un mouvement observé dans d’autres disciplines, comme les
sciences historiques. L’étude des cultures journalistiques (Hanitzsch,
2007) et des systèmes médiatiques (Hallin et Mancini, 2004 et
2012), en replaçant volontairement le journalisme au cœur de ses
racines historiques, économiques, politiques et sociales, permettent
d’échapper à une lecture technocentrée et déterministe du
journalisme. Elles tempèrent aussi largement les visions
englobantes et universelles d’un métier au contraire profondément
ancré dans des terreaux particuliers.
Dans un écho très net aux transformations technologiques liées
au numérique, à la crise des modèles d’affaires des médias
traditionnels, et au bouleversement du couple production-réception
qui en résulte (Reese, 2019), le tout débouchant sur une crise que
certains qualifient d’épistémologique, la recherche en journalisme
connaîtra un mouvement d’expansion et de cimentation au début
des années 2000, nombre d’essais et de travaux s’interrogeant,
sinon sur la fin du journalisme (Scherer, 2011), sur l’urgente
nécessité de le réinventer, de le repenser, de le refonder… Il existe
un parallélisme frappant entre les crises ayant marqué le marché
journalistique et l’affirmation des Journalism Studies. L’essor de ces
dernières se matérialise à plusieurs niveaux : la création de journaux
scientifiques explicitement dédiés à ce domaine de recherche
(Journalism Studies ; Journalism Practice ; Journalism : Theory,
Practice and Criticism ; Digital Journalism, Journal of Applied
journalism Media Studies, Brazilian Journalism Research…),
l’apparition de divisions et sous-groupes labellisés « journalisme »
dans les principales conférences scientifiques internationales des
Sciences de la communication (ICA, ECREA, IAMCR), ainsi que la
publication de travaux de référence (encyclopédies et manuels – voir
bibliographie) servant de cadre et de pivots théoriques pour ceux qui
se lancent dans la recherche.
Ce mouvement de structuration centripète, au-delà de sa
vitalité, appelle deux remarques. Du point de vue géographique, tout
d’abord : largement supporté par un arc anglo-saxon, et
particulièrement américain, il peine à intégrer des traditions et des
réseaux de chercheurs situés en dehors de cet arc, malgré
d’évidentes avancées dans les collaborations internationales
(Hanitzsch et al., 2019) – davantage circonstancielles que
structurelles – et une forme d’autocritique quant à la prévalence des
représentants anglo-saxons. Le cas de la recherche française sur le
journalisme est à ce titre particulier : eu égard à la taille de leur
communauté scientifique, les chercheurs français sont sous-
représentés dans les lieux où se manifeste le plus visiblement la
production des Journalism Studies. Ils n’en développent pas moins
une activité scientifique conséquente et originale sur le plan
théorique, tenant compte des déterminants politiques, culturels,
historiques et économiques du paysage français. L’existence
reconnue et institutionnalisée, dans les années 1970, des Sciences
de l’Information et de la Communication (SIC), a favorisé le
développement d’une dynamique de recherche portant sur les
médias de façon générale, notamment dans les revues scientifiques.
Outre les journaux dont le projet éditorial s’oriente spécifiquement
vers le journalisme, tels que Les Cahiers du Journalisme (1995) ou
Sur le journalisme (2012), plusieurs revues francophones (la plupart
étant aussi françaises) s’intéressent de longue date aux médias et
aux journalistes par l’entremise de numéros dédiés ou de varia.
Citons, sans être exhaustif : Hermès, Réseaux, Questions de
communication, Communication, Recherches en communication,
Quaderni, Les Cahiers de la SFSIC, Sciences de la Société, Les
Cahiers du numérique, Le Temps des Médias, Tic & Société.
Classées parmi les sections pluridisciplinaires du Conseil national
des Universités français (CNU), les SIC françaises se sont elles
aussi nourries d’apports divers qui justifient d’aller au-delà du seul
cercle des revues classées « Information et Communication ». Le
cas français situe l’intérêt de prendre en compte tout à la fois une
recherche positionnée à l’international (les Journalism Studies) et
des travaux situés dans un cadre plus focalisé, pouvant être
discutés, dans la complexité de leurs contextes, au sein de lieux plus
confidentiels.
La seconde remarque est d’ordre thématique. Le survol
historique de la recherche sur le journalisme ne doit pas agir en
trompe-l’œil : loin d’être un processus linéaire et segmenté, le
développement de ce champ est au contraire marqué par des forces
centrifuges et des tensions liées à des ancrages disciplinaires
parfois divergents. Ainsi, toujours en écho aux mutations du marché
journalistique, la recherche actuelle tend à se fragmenter en une
pléthore de sous-objets plus ou moins autonomes. Cette
diversification thématique renvoie à la remarque, faite en
introduction, sur le périmètre ouvert et mouvant du domaine
d’études. L’analyse des entrées thématiques de l’International
Encyclopedia of Journalism Studies (2019) illustre ce foisonnement
de problématiques : advocacy journalism, alternative journalism,
drone journalism, hyperlocal journalism, community journalism,
lifestyle journalism, participatory journalism, narrative journalism,
data journalism, constructive journalism, automated journalism,
peace journalism, civic journalism, precision journalism : autant
d’entrées, pas toutes transposables à l’espace francophone, qui
démontrent le haut degré de fragmentation et d’ouverture
thématique. Celui-ci est quelquefois ouvertement revendiqué pour
décloisonner la recherche de ses cadres de pensées hérités. Ainsi,
plusieurs auteurs actifs dans le domaine du journalisme automatisé
appellent à intégrer davantage les sciences de l’informatique et
l’ingénierie dans les Journalism Studies, argüant que ces dernières
ont « much to learn from Human-Machine Communication (HMC) »
(Lewis et al., 2019). Un positionnement de ce genre bouleverse
jusqu’aux fondements mêmes de la recherche, à travers les rôles
respectifs et la hiérarchie entre les technologies et les humains, les
premières n’étant plus uniquement des supports au service des
seconds, mais devenant progressivement des systèmes complexes
dotés d’une autonomie décisionnelle les rendant capables de faire le
travail à la place des humains. Ceci appelle à un vaste mouvement
de repositionnement de la discipline vers les plateformes, les
algorithmes, les interactions entre ressources humaines et non-
humaines, ce projet s’appuyant notamment sur la théorie de l’acteur-
réseau (Latour, 2005).
Ce survol historique de la recherche en journalisme témoigne
de trois choses importantes. Premièrement, il s’agit d’un domaine
récent, au carrefour de nombreuses influences disciplinaires, mais
aussi géographiques et culturelles. En conséquence, comme pour
toute production intellectuelle, la recherche doit être située dans le
milieu d’où elle émerge. Connaissant le caractère interdisciplinaire et
relativement récent des études sur le journalisme, cet exercice de
critique externe n’est pas simple et requiert une lecture plus
approfondie de l’histoire des théories et des courants de recherche
en Information et Communication (Maigret, 2009 ; Silem et Lamizet,
1997). Il s’agit, ensuite, d’un domaine globalement en expansion,
dont l’évolution est assez étroitement liée aux transformations
structurelles d’un marché et d’une industrie ayant connu des
changements radicaux depuis la fin du XXe siècle. Les
problématiques traitées ces vingt dernières années concernent donc
souvent les crises (identitaires et économiques, par exemple),
l’avenir et la plus-value du journalisme dans des sociétés hyper
connectées. Les conditions de la survie du journalisme, sa raison
d’être et les transformations de ses liens avec les publics font l’objet
de travaux nombreux, à la fois sous forme d’études de cas et de
théorisations convergeant souvent vers l’insécurité et l’instabilité
presque existentielles du journalisme.
De cette instabilité découle la dernière remarque, sorte de volte-
face vers les théories normatives des premiers temps de la
recherche, mais cette fois à l’heure où le paradigme de la « société
de communication » semble de prime abord omniprésent (Neveu,
2020). Personne ne peut affirmer, et encore moins imposer, une
définition du journalisme qui fasse autorité de manière universelle. À
la rigueur, il est plus facile de définir des sous-branches particulières
du journalisme (journalisme citoyen, journalisme de données,
journalisme de solutions, etc.) que le journalisme « tout seul ». De
nombreux chercheurs (Deuze, 2005 ; Schudson, 2003 ; McNair,
2005), tout comme des pouvoirs régulateurs, des associations et
unions professionnelles, et bien sûr des journalistes, s’y sont
essayés, en soulignant souvent le caractère restrictif, sinon orienté,
de ces efforts de définition normatifs. Consensuellement, « le
journalisme se réfère à la récolte, la sélection et la circulation
d’informations supposées neuves et d’intérêt général » (Lewis,
2019 : 797 – traduction de l’auteur) . En approfondissant le travail
théorique autour des enjeux de cette définition, et en évitant de lui
attribuer des traits politiques ou culturels trop prononcés, (Vos,
2018 : 9 – traduction de l’auteur) en arrive à la définition suivante :
« Le journalisme est un ensemble de croyances, de formes
concrètes et de pratiques mobilisées dans l’élaboration et la
distribution de nouvelles et de discussions socialement
signifiantes ». Cette définition est un point de départ – il pourrait y en
avoir d’autres – qui permet de réfléchir de manière plurale et de
montrer comment la recherche mobilise des cadres théoriques
capables de saisir cette pluralité de l’objet journalistique.

Quatre propositions théoriques pour


appréhender le journalisme
Conformément aux objectifs de ce chapitre, il s’agit de montrer
succinctement comment le journalisme est intelligible grâce à des
perspectives théoriques à la fois distinctes et reliées entre elles.
Zelizer (2004) encourage les chercheurs à se détacher des
manières dont les acteurs se définissent eux-mêmes, exercice qui
permet de questionner le journalisme au départ d’autres cadres de
référence que ceux qui circulent le plus massivement. Quatre
propositions théoriques sont présentées et brièvement discutées
dans ce chapitre : le journalisme comme groupe professionnel ; le
journalisme comme institution sociale ; le journalisme comme
pratique ; le journalisme comme industrie et marché économique.

Le journalisme comme profession


Le journalisme rassemble-t-il une mosaïque d’individus et de
sous-marchés spécialisés aux caractéristiques peu comparables ou
bien forme-t-il une profession établie, unifiée, aux traits constitutifs
communs ? La question se situe au cœur de la sociologie des
professions, aussi bien anglo-saxonne que française, qui ont toutes
deux investigué le cas du journalisme ; elle soulève la « faille »
identitaire en revenant sur les difficultés à définir le journalisme ; elle
a des répercussions, aussi, sur le cadre légal et la légitimité sociale
du journalisme.
Historiquement, dans bien des pays, la constitution du
journalisme en un groupe professionnel est un processus complexe
et partiellement inabouti. Pour la France, Cyril Lemieux (2000)
explique les différents facteurs qui ont permis la montée en
puissance du marché de la presse au XIXe siècle : alphabétisation,
élargissement progressif du droit de vote, progrès techniques des
imprimeries, essor des services postaux, investissements massifs
d’entrepreneurs et d’industriels dans les infrastructures. Au-delà de
ces changements structurels de temps long, les journalistes
effectuent peu à peu un travail discursif de définition de leur activité,
de leur expertise, de leurs missions. Le journalisme s’affirme
socialement au cœur de la négociation des frontières délimitant vie
privée, société civile (ou le marché) et ce qui relève de l’État,
devenant ainsi un acteur clé dans la constitution d’un espace public
où ces trois pôles dialoguent (Barnhurst et Owens, 2008). Une forme
de « clôture professionnelle » s’opère avec plus ou moins de succès
durant la première moitié du XXe siècle : congrès, textes fondateurs
et premiers manuels, unions professionnelles, cartes de presse et
textes légaux (en 1935 pour la France) concourent entre autres à
cette démarcation, tout comme un long travail discursif sur ce qui
distingue les journalistes « professionnels » des semi-professionnels
et amateurs. Cette évolution historique est très bien documentée
pour la France (Martin, 1991 ; Rieffel et Mathien, 1995 ; Ruellan,
2007 et 2011 ; Delporte et al., 2016). Au final, les efforts de
construction d’un groupe professionnel bien délimité demeurent
partiellement inaboutis lorsqu’ils sont comparés à des professions
fermées comme la médecine ou les avocats (Paradeise, 1988).
Ruellan met en avant le « flou constitutif » de la profession
journalistique, une sorte d’indétermination des objets et des
frontières qui n’a pas que des désavantages : elle permet au groupe
de se positionner dynamiquement, et souplement, par rapport à de
nouvelles formes journalistiques, de nouveaux concurrents, des
pressions externes (notamment de la part des pouvoirs exécutifs et
législatifs). En fait, ce flou n’est pas qu’identitaire et ne concerne pas
que la cristallisation du journalisme en une profession plus ou moins
bien démarquée socialement. Jusqu’au cœur de ses pratiques
quotidiennes, le journalisme, selon Champy (2012 : 82), « ne
consiste pas, ou pas principalement, à appliquer mécaniquement
des routines ou des savoirs scientifiques. […] Le travail est […]
conjoncturel parce qu’il porte sur une réalité qui échappe à toute
maîtrise systématique », ce qui situe le journalisme dans la catégorie
des professions dites « à pratique prudentielle ». Cette optique
permet de trouver une alternative intéressante entre la lecture
fonctionnaliste des professions, qui ramène grosso modo ces
dernières à leur cohésion d’ensemble et leur homogénéité interne, et
une lecture interactionniste, qui met en avant la dispersion,
l’hétérogénéité et les mouvements de structuration/déstructuration
du groupe professionnel.
Encore aujourd’hui, la profession journalistique est étudiée au
départ de ses frontières et du travail d’affirmation/formalisation de
ces dernières, conceptualisées autour du concept de boundary work
(Carlson et Lewis, 2015). Les transformations des marchés du travail
et les crises des modèles d’affaires des médias ont conduit les
chercheurs à étudier les conditions d’emploi et de travail des
journalistes, et notamment la hausse des formes d’emploi atypiques
et/ou précaires (Frisque et al., 2011). Dans un secteur imprégné
d’une gestion flexible des ressources humaines et des modes de
recrutement, des trajectoires de carrière et des identités
professionnelles (Standaert, 2016), l’étude des carrières
journalistiques (Bastin, 2016 ; Bouron et al., 2017) et de leur
(in)stabilité pose de nombreuses questions eu égard à la porosité
des frontières entre le journalisme et d’autres métiers, notamment
dans le secteur de la communication.
Outre ces problématiques liées à la morphologie du groupe
professionnel, de plus en plus de travaux se penchent sur la
question de la sécurité des journalistes, le terme anglais safety étant
à prendre au sens le plus large (Jamil, 2019 ; Cottle et al., 2016) : il
inclut une vaste gamme de menaces et d’attaques sur les
journalistes en dehors de leur contexte organisationnel3 :
surveillance, intimidations, violences, condamnations, dénigrement,
harcèlement en ligne, mais aussi impunité pour de tels actes. Ces
phénomènes sont surveillés avant tout par les organisations
internationales telles que la Fédération Internationale des
Journalistes (FIJ), l’UNESCO ou le Committee to Protect Journalists
(CPJ), mais la recherche scientifique s’y intéresse de plus en plus
(Torsner, 2017). Le contexte de méfiance, voire de défiance et de
disqualification entourant les médias d’information, se matérialise au
moins sous deux formes : d’une part, des manœuvres discursives
dévalorisant la profession, ou certains de ses représentants, avec
les réseaux socio-numériques comme espace d’expression
privilégié, les femmes et les journalistes issus de minorités y étant
quelquefois particulièrement visés ; d’autre part, les rapports de
force entre les pouvoirs en place et les médias font l’objet d’une
attention croissante, aussi bien dans des régimes autoritaires que
dans les démocraties. Si la question de la sécurité des journalistes
n’est pas neuve (Tumber, 2019), il semble que la problématique se
déplace vers des terrains et des situations jadis moins susceptibles
de provoquer des (risques de) menaces ou des attaques.

Le journalisme comme institution sociale


Souvent présenté comme le « quatrième pouvoir », le
journalisme joue un rôle historiquement orienté vers la surveillance
des autorités et la mise en lumière de leurs abus. Ce rôle de
watchdog des institutions démocratiques renvoie essentiellement à
un cadre théorique étudiant le journalisme comme une institution. Il
est impossible de rendre justice à la quantité d’études ayant saisi,
sous un angle ou un autre, cette problématique, qui remonte aux
traditions normatives mentionnées plus haut. Le journalisme comme
institution sociale mobilise le concept d’institutionnalisme discursif
(Schmidt, 2008). Selon ce point de vue, l’institution journalistique
remplit une fonction clé dans la société (Cook, 1998 ; Sparrow,
1999). En tant que structures développées pour tendre vers une
forme d’ordre et réduire l’incertitude (North, 1991), les institutions se
dotent de structures qui sont à la fois limitatives et habilitantes,
contraignantes et constitutives. Ces structures développent des
règles, des conventions, des pratiques formelles et informelles –
bref, des formes discursives, qui les rendent effectives aux yeux des
membres et du monde extérieur. Les comportements individuels
tendent vers la « logique de l’adéquation » par rapport à l’institution
(Cook, 1998 : 61), bien que des comportements concurrents,
contestataires ou marginaux existent aussi, et peuvent gagner en
importance selon les contextes. Dans ce cadre théorique, les
journalistes travaillent et socialisent selon des normes, des règles et
des procédures, mises en discours et souvent considérées comme
la façon « naturelle » d’accomplir leur métier (Gravengaard et
Rimestad, 2014). L’institutionnalisme discursif a pour limite de laisser
de côté les dimensions structurelles et matérielles du journalisme :
ses entreprises, ses travailleurs, sa production, ses flux financiers,
les instances régulatrices et de contrôle. D’autre part, cette
institution est parfois considérée comme un tout qu’elle n’est pas –
l’hétérogénéité des modèles et des formes journalistiques la
rapprochent davantage d’une « galaxie » (Neveu, 2004) organisée
selon plusieurs logiques (les cadres de référence éditoriaux, les
modèles de financement et l’actionnariat, les supports de diffusion,
les audiences, des logiques de territoire et d’ancrages culturels, des
logiques commerciales).
Ce cadre théorique peut néanmoins être exploité dans les
rapports de force ou de coopération que l’institution journalistique
noue avec d’autres acteurs. Une des questions centrales de la
recherche concerne dès lors l’autonomie de l’institution
journalistique, et, en retour, la crédibilité et le niveau de confiance
que lui accordent les publics. À ce sujet, les baromètres et
instruments de mesure récents tendent à mettre en évidence une
érosion de cette confiance – à nuancer fortement selon les contextes
nationaux (Hanitzsch et al., 2018) – qui n’est pas sans lien avec le
climat de défiance plus ou moins violent mentionné plus haut, et qui
semble s’appliquer, dans une certaine mesure, à d’autres
institutions.
Le journalisme est soumis à une (re)négociation et à des
(re)créations discursives permanentes (Hanitzsch et Vos, 2017).
Dans ce processus, les journalistes les plus légitimes dans un
espace et un lieu donné tendent à conserver un contrôle
définitionnel sur ce qui apparaît comme la pratique légitime. Ils
revendiquent une autorité normative et régulent discursivement les
formes identitaires professionnelles. Dans une lecture
bourdieusienne du concept, ces discours forment un espace inégal
de contestation et de lutte dans lequel les journalistes et d’autres
agents sociaux se disputent le pouvoir discursif sur le sens et le rôle
du journalisme dans la société (Benson et Neveu, 2005). Ce travail
discursif configure l’institution du journalisme et lui donne corps à
mesure que de nouveaux agents sont socialisés. Ces efforts de
réflexion et d’élaboration n’ont rien de définitif. L’étude des discours
tenus par les journalistes dans l’espace public montre un certain
degré d’incertitude : leur mainmise sur la fabrication et la circulation
des contenus informationnels s’est érodée ; l’institution journalistique
évolue de plus en plus dans un contexte globalisé et liquide – en
référence au concept de « modernité liquide » de Bauman (2007) –
questionnant jusqu’à sa raison d’être et ses épistémologies. Des
notions canoniques comme l’objectivité, la neutralité et la vérité, sur
lesquelles l’institution a bâti une partie de sa prétention à remplir une
mission d’intérêt général, cèdent peu à peu le terrain à des
épistémologies plus constructivistes et alternatives (Ward, 2018),
mettant davantage en lumière les différents niveaux d’influence
agissant sur la production de l’information (Shoemaker et Reese,
1996), et invitant les journalistes à rendre davantage compte de
leurs manières de faire et de penser leur métier. L’institution
journalistique tendrait ainsi à évoluer vers un nouveau registre
relationnel, moins vertical (top-down) et davantage au contact de ses
audiences.
Le journalisme comme pratique
Beaucoup de chercheurs ont justifié la nécessité de dépouiller le
journalisme des deux cadres théoriques susmentionnés par le fait
qu’il n’est pas, essentiellement ni prioritairement, un groupe
professionnel ou une institution sociale. Historiquement, le
journalisme déborde de ces deux cadres et trouve d’abord à
s’exprimer comme une pratique sociale de production discursive.
Pour Ringoot et Utard (2005 : 18), « cette conceptualisation permet
de jeter un regard nouveau sur des pratiques indifférenciées ou au
contraire d’intégrer à la formation discursive des pratiques qu’une
vision exclusivement normative rejette comme non journalistiques ».
L’intérêt de cette approche par la pratique (Charron et de Bonville,
2003) est d’élargir le champ pour qui veut étudier la complexité et la
diversité des pratiques. En d’autres termes, mais avec le même
souci de se libérer des visions préconfigurées de l’objet journalisme,
Witschge et Deuze, dans un essai au titre évocateur, Beyond
Journalism (2020), invitent à aller la rencontre des acteurs se tenant
aux marges du noyau identitaire des médias d’information générale.
Start-ups, journalistes entrepreneurs, fournisseurs de contenus,
blogueurs, Youtubeurs, presse commerciale, consumériste, militante,
féminine, associative, journalistes citoyens et User Generated
Content (UGC) : toutes ces pratiques et formes discursives
longtemps négligées, voire perçues comme illégitimes par la
recherche, sont peu à peu intégrées au spectre des Journalism
Studies. Les modèles éditoriaux qu’elles déploient traversent toutes
les problématiques contemporaines : la porosité des frontières,
l’impact des mutations technologiques sur la pratique, les
manœuvres discursives de (dé)légitimation de ces acteurs
« périphériques », les formes d’adaptation à un contexte
économique incertain, qui amènent à observer la pratique
journalistique non plus seulement dans les newsrooms
traditionnelles, mais en dehors et au-delà.
En tant que pratique professionnelle, le journalisme est
particulièrement étudié sous l’angle de son hybridation. Le concept
d’hybridation s’étudie principalement dans le cadre de l’intégration
des technologies et dispositifs numériques à l’écosystème
journalistique. Mais il est pertinent bien au-delà, car la pratique a
toujours été hybride, sujette à influences et à transformations (voir à
ce sujet les travaux récurrents sur les changements de paradigmes
journalistiques : Brin et al., 2004). L’hybridation fait appel à la notion
d’articulation, qui invite à observer et comprendre comment des
formes journalistiques normativement « impures », ou a priori peu
compatibles, s’assemblent dans une conjoncture précise et
acquièrent une matérialité particulière. Le concept d’hybridation
(Hamilton, 2016) offre une proposition conceptuelle permettant
d’échapper aux catégories exclusives ou discriminantes entre le
journalisme légitime, reconnu, établi, et le journalisme qui ne peut y
prétendre. D’ailleurs, nombre de recherches aboutissent au constat
qu’une telle distinction, dans la pratique quotidienne, ne résiste pas
à l’analyse. Des pratiques journalistiques émergentes articulent
souvent des éléments de cultures professionnelles diverses (Lewis
et Usher, 2013), avec, en point de mire, une certaine prétention à la
légitimité et aux fonctions normatives traditionnelles d’information, de
contribution aux débats publics, de lien social et de contrôle des
élites (voir par exemple le cas du journalisme entrepreneurial –
Singer et Broersma, 2020).
L’étude des pratiques journalistiques s’inspire beaucoup des
approches ethnographiques et sociologiques. L’enjeu, dans ce type
de recherche, est de saisir les effets réciproques de la pratique et du
discours sur la pratique, dans un jeu d’interactions essentiel pour
saisir leur évolution. Mais la saisie de la pratique par le chercheur,
dans la subtilité du terrain, des routines et du quotidien, demeure
difficile à mettre en place et à observer de manière quasi directe
(Witschge et Harbers, 2018). D’autres préoccupations récentes,
synthétisées sous l’appellation d’audience turn (Costera Meijer,
2020), réinvestissent la question des relations entre les journalistes
et leurs publics. L’analyse quali-quantitative des audiences, et de
leur fragmentation, dopée par l’analyse des datas, bouleverse non
seulement les barrières traditionnelles entre les pôles commerciaux
et éditoriaux – avec le cas de la native advertising et des contenus
sponsorisés comme exemples typiques de l’hybridation des
pratiques et des contenus –, mais il réinterroge aussi la manière
dont la pratique journalistique se déploie de manière plus ouverte,
plus participative, avec différents modes d’inclusion des publics dans
le processus de sélection/fabrication de l’information. Des plus
ponctuelles aux plus systématiques, des plus anecdotiques aux plus
inclusives (Pignard-Cheynel et al., 2019), ces démarches ne sont,
selon certains, que les signes avant-coureurs de changements plus
profonds dans les pratiques – comme un énième nouveau
paradigme. Les interactions entre humains et dispositifs non-
humains (algorithmes et automatisation), ainsi que des modalités
organisationnelles en réseaux et de plus en plus virtuelles (la
pandémie de Covid-19 ayant accéléré l’adoption du travail à
distance), laissent entrevoir des transformations importantes des
manières de produire et monétiser les contenus informationnels
dans un journalisme « post-industriel » de plus en plus détaché de
ses supports historiques (Anderson et al., 2004).

Le journalisme comme industrie et marché


économique
Le quatrième et dernier cadre théorique est quelquefois perçu
comme le principal absent de la recherche sur le journalisme. Une
absence ambigüe, car l’économie des médias est une sous-branche
productive, mais sans doute encore quelque peu hermétique ou
redoutée pour sa technicité. Les approches socio-économiques, en
revanche, sont pleinement intégrées aux méthodologies et aux
cadres théoriques de la recherche, l’impact majeur des mutations
économiques du marché les rendant incontournables. Dans la
littérature récente, il n’est guère d’introduction qui ne rappelle à quel
point la question économique a changé les règles du jeu et
nécessite une urgente conversion vers de nouveaux modèles
essentiellement dépendants de la réussite de leur transition
numérique (Alexander et al., 2016).
Au-delà de classiques permettant d’appréhender les modèles
économiques des médias et de leurs marchés (Gabszewicz et
Sonnac, 2010 ; Le Floch et Sonnac, 2013 ; Toussaint-Desmoulins,
2015), l’équation socio-économique est devenue essentielle dans
l’analyse de toute forme de production journalistique, au niveau
micro, lors d’études de cas, ou au niveau macro, par exemple dans
le cadre théorique des industries culturelles (Mairesse et
Rochelandet, 2015). Éditorial et commercial sont deux facettes d’un
même objet d’étude qui demeurent souvent étudiées séparément.
Cette inclusion va bien au-delà de l’inquiétude récurrente concernant
les effets supposés de la concentration croissante des marchés
médiatiques sur la diversité de l’offre éditoriale. La même remarque
vaut pour l’internationalisation des groupes de presse, ou leur
financiarisation.
L’approche socio-économique se situe au carrefour d’une triple
crise, économique, identitaire et de confiance (Nielsen, 2016), la
question économique touchant à la survie même des médias,
souvent reliée théoriquement à l’essai sur la destruction créatrice de
Joseph Schumpeter (1942). Le terme « crise » est entendu ici
comme une situation instable et dangereuse pour le maintien d’un
statu quo. Dans une perspective de long terme, il est clair que le
nombre d’organes de presse ayant disparu depuis le dernier tiers
du XXe siècle, principalement dans la presse imprimée, interpelle
quant à la capacité de renouveler des modèles d’affaires demeurés
longtemps stables et profitables.
L’étude des enjeux économiques liés aux médias et au
journalisme met aussi en avant leurs particularités culturelles. La
somme comparative majeure de Hallin et Mancini (2004) sur les
systèmes médiatiques de l’Europe de l’ouest, si elle a fait l’objet de
nombreuses critiques, s’appuie sur un nombre conséquent de
données quantitatives et de sources leur permettant de mettre en
évidence des conditions de production et de circulation des biens
médiatiques très différentes, notamment entre les marchés anglo-
saxons et latins-méditerranéens. Les conditions de viabilité du
marché journalistique diffèrent donc d’un pays à l’autre, mais aussi,
au sein de celui-ci, d’un sous-marché et d’une entreprise à l’autre.
La recherche actuelle pointe néanmoins quelques thématiques
transversales. La première concerne la position concurrentielle des
médias dits traditionnels (c’est-à-dire possédant un support de
diffusion traditionnel – presse, radio ou télévision) face aux
plateformes et aux réseaux socio-numériques. Inscrite dans la lutte
constante pour capter l’engagement du public, dans une économie
de l’attention de plus en plus algorithmée, cette question renvoie
directement à la régulation globale, notamment au niveau national et
européen, des rapports de force entre les GAFAM et les médias. La
captation des revenus publicitaires sur le web, notamment, demeure
actuellement très défavorable aux médias d’information et perturbe
grandement leur transition numérique (Nielsen, 2019).
La seconde concerne les pressions que les contraintes
économiques font peser sur les indicateurs habituels de la qualité du
travail journalistique. Les modèles économiques de la presse en
ligne, dans cette optique, sont critiqués pour certains excès : le
journalisme « assis », la circulation circulaire de l’information, la
profusion de messages publicitaires, les reprises systématiques des
contenus de la concurrence (Cagé et al., 2020) suscitent des
craintes quant à la prédominance générale du format court, sans
valeur ajoutée discriminante, et des soft news. Dans ce contexte, la
disponibilité du public à évoluer d’un modèle web gratuit vers les
offres payantes est cruciale, tant du point de vue économique
qu’éditorial. Si les tendances récentes montrent que le digital shift
est en train de se produire et que les contingents d’abonnés
numériques payants augmentent (et deviennent suffisamment
fidèles), ces questions témoignent des délicates transformations des
modèles de revenus des médias. Ceux-ci ont testé ces dix dernières
années différents modèles d’abonnements et d’accès payants – pas
toujours avec succès – leur permettant d’être progressivement
moins dépendants des recettes publicitaires, proportionnellement
peu lucratives sur le numérique.
Ensuite, les Journalism Studies apportent un éclairage
intéressant face à certaines postures de recherche. Une première
mise en garde concerne un syndrome d’hyperréactivité aux
changements technologiques : plusieurs « innovations » n’ont eu
rétrospectivement que très peu d’impact sur l’économie du secteur,
et les supports de diffusion traditionnels génèrent encore une part
essentielle, sinon largement majoritaire, des revenus publicitaires
(voir par exemple les données de Wan-Infra pour la presse écrite).
Enfin, l’arrivée du numérique a réduit nettement les coûts de
lancement et de production d’un média, tout en faisant littéralement
exploser l’offre de contenus (nonobstant la question de leur non-
gratuité). Or, les principaux gagnants de cette révolution numérique
se trouvent rarement du côté des médias d’information. S’il est plus
que jamais envisageable de faire du journalisme enrichi grâce au
web, Nielsen (2016 : 64 – traduction de l’auteur) souligne que de
nombreux médias se trouvent face à des choix drastiques en termes
de modèles d’affaires, avec des conséquences sans équivoque :
« Les anciens médias d’information ne trouveront pas tous un
créneau commercialement viable dans cet environnement, pas plus
que tous les nouveaux venus ». Dans une perspective davantage
politique, ces prédictions passablement pessimistes amènent
certains à interroger la nature même de l’information et de l’activité
journalistique – pourtant éminemment complexe à circonscrire –
avec la possibilité de transformer la double visée du contenu
journalistique (éditoriale et commerciale) pour en faire prioritairement
un bien public (Cagé et Huet, 2021). L’économie des médias
demeure plus que jamais, dans ce contexte, un axe de lecture
essentiel de l’évolution du journalisme, qu’il soit envisagé comme
groupe professionnel, comme pratique ou comme institution sociale.

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1. URL : https://www.tandfonline.com/toc/rdij20/current.
2. Dans la terminologie anglaise, la question du statut exact des Journalism Studies n’est
pas entièrement arrêtée. Forment-elles une discipline académique distincte, ou sont-
elles une sous-discipline au sein des Sciences de l’Information et de la Communication ?
Quoi qu’il en soit, ce domaine de recherche s’est puissamment affirmé et structuré
depuis le début des années 2000.
3. Celui-ci fait également l’objet d’une attention de plus en plus prononcée, au sujet des
formes de violences, contraintes et assignations de rôles sur le lieu de travail.
Chapitre 3
3 2000-2020 : âge critique du
journalisme ? Les transformations
contemporaines de la profession

Simon Gadras

Q
ue nous apprend la recherche sur les chamboulements que
vit le journalisme en France depuis vingt ans ? C’est à cette
ambitieuse question que cette contribution propose
d’apporter modestement certaines réponses. Ces réponses seront
forcément partielles. Il est impossible de rendre compte de façon
détaillée de tous les travaux dans l’espace aussi contraint de
quelques pages. Impossible également de prétendre à l’exhaustivité
face à la richesse des travaux qui se sont intéressés au journalisme
et aux médias d’information depuis deux décennies. Dans la
perspective pédagogique de cet ouvrage, il s’agit plutôt ici d’assumer
un parti pris, fondé sur un postulat initial : les années 2000 ont
marqué un tournant particulier pour le journalisme.
Ce tournant est celui de la démocratisation d’internet. Créé au
début des années 1990, le web a rendu le réseau des réseaux
accessible au grand public, alors qu’il était jusque-là limité à une
minorité d’utilisateurs et d’utilisatrices, principalement issus du
monde scientifique et technologique. Les journaux en version
« papier » ont commencé à développer des premiers sites web à
partir du milieu des années 1990, mais c’est réellement au début des
années 2000 que les médias d’information ont investi massivement
le web, en même temps que la généralisation de l’internet gagnait de
larges publics.
Le propos de cette contribution n’est toutefois pas techno-
déterministe. Il ne s’agit pas de prétendre que c’est l’apparition d’un
outil technique, internet, qui a mécaniquement transformé les
pratiques professionnelles des journalistes et les usages de
l’information. La sociologie des usages des technologies de
l’information et de la communication a bien montré de longue date
l’importance de prendre en compte la double médiation de la
technique et du social (Jouët, 2000).
La massification de l’usage d’internet s’est en effet
accompagnée d’une explosion de la prise de parole profane : de
plus en plus de personnes prennent publiquement la parole, sans
pour autant être des professionnels de l’information, grâce à la mise
à disposition d’outils de communication de plus en plus faciles
d’accès. Depuis plus de 20 ans, les pages personnelles, les blogs
puis les réseaux socio-numériques (RSN, tels Facebook ou Twitter)
ont offert la possibilité à tout un chacun de s’exprimer facilement en
ligne sans que leur parole ne dépende du « filtre » journalistique :
citoyens, responsables politiques, acteurs économiques… Ces
évolutions contribuent à une transformation profonde du paysage de
l’information, qui n’est désormais plus contrôlé par les seuls médias
et journalistes professionnels.
Alors qu’en France, le XXe siècle a été marqué par la
structuration de la profession de journaliste, qui a ainsi inscrit son
rôle au cœur du fonctionnement de la démocratie, et par des
politiques publiques de contrôle ou de régulation du secteur des
médias (Delporte, 1995 ; Ruellan, 1997), le XXIe siècle s’ouvre sur
une libéralisation massive de la production et de la circulation
d’information en ligne, qui remet en cause, ou du moins interroge, la
place des journalistes.
Il ne s’agit toutefois pas d’oublier l’histoire longue et complexe
des médias qui est depuis toujours marquée par des tensions entre
liberté et contrôle, tant sur le plan politique qu’économique. Il ne
s’agit pas non plus de considérer que le journalisme était un champ
stabilisé et normé jusqu’aux chamboulements contemporains :
depuis toujours, ce métier s’est caractérisé par ses incessantes
mutations (Ringoot et Utard, 2005). Simplement, les transformations
de ces dernières années sont massives et se font dans un temps
très court à l’échelle de l’histoire des médias, que l’on peut faire
commencer à la publication des premiers journaux au XVIe siècle. De
plus, ces transformations contemporaines s’effectuent dans un
contexte d’instabilité sociale, politique et économique : chômage de
masse, crise économique, faible confiance dans les institutions
publiques et politiques et la démocratie représentative, attaques
terroristes, récente pandémie…
C’est en ce sens que la période 2000-2020 peut être considérée
comme un âge critique du journalisme. Le terme critique est d’abord
à entendre au sens premier, celui d’un moment particulier,
caractéristique d’une crise, d’un seuil au-delà duquel on bascule
dans un autre état. Il ne s’agit toutefois pas ici d’affirmer que nous
vivons un tel moment de bascule pour le journalisme, toute
prédiction quant au futur du journalisme serait bien hasardeuse. Il
s’agit plus simplement de proposer un regard sur les transformations
contemporaines du journalisme qui prenne au sérieux cette idée de
bouleversements inédits.
Le terme critique est également utilisé pour désigner une famille
de travaux importante dans les sciences sociales. La perspective
critique est diversement revendiquée par les chercheurs sur le
journalisme, les médias et, plus largement, la communication.
Entendue au sens de l’analyse des formes de domination et de
résistance dans l’univers social, elle est davantage mobilisée dans
les travaux de sociologie du journalisme et des médias. Elle l’est
moins fréquemment dans les recherches sur le journalisme menées
par les sciences de l’information et de la communication. Cette
contribution tend à articuler entre elles des approches issues de ces
différents domaines disciplinaires.
Enfin, le terme critique renvoie à la critique du journalisme.
Nous entendons par là les méta-discours journalistiques : les
discours à propos du journalisme qui circulent dans la société et qui
se positionnent par rapport à des discours ou des activités
journalistiques (Gadras et al., 2019). Ces discours, qui ont toujours
accompagné le journalisme, émergent aussi bien de l’intérieur de la
profession, quand elle cherche à définir son identité et ses frontières,
que de l’extérieur, quand les qualités ou défauts du journalisme sont
pointés par différents acteurs de la société : experts des médias,
responsables politiques, associations et collectifs citoyens, etc. Cette
contribution cherche donc à montrer comment des travaux
scientifiques portant sur le journalisme et les médias (Ringoot,
2015 ; Barats, 2017 ; Blandin, 2018) permettent d’appréhender les
mutations structurelles auxquelles le journalisme se confronte depuis
le tournant des années 2000. Présenter la façon dont la recherche
en sciences humaines et sociales (SHS) aborde ce sujet présente
un double intérêt. D’un côté, cela permet de partager avec les
lectrices et lecteurs de nombreuses connaissances issues de la
recherche. C’est probablement l’intérêt premier d’un tel texte. D’un
autre côté, cela permet de montrer comment la recherche aborde ce
sujet, dans quelles perspectives, avec quels questionnements.

Une identité journalistique chamboulée


En 1996, paraissait le numéro 1 de la revue Les Cahiers du
journalisme. Relire aujourd’hui le texte introductif rédigé par Pierre
Bourdieu dans ce numéro est particulièrement instructif. On y perçoit
bien à la fois la permanence de questions cruciales pour le
journalisme, observée ces vingt dernières années par la recherche,
et les transformations lourdes qu’a connues depuis le champ
journalistique. Dans cette publication, Bourdieu plaide pour un
regard critique des sciences sociales sur le journalisme : la critique
en tant que mobilisation de la raison pour proposer une analyse
objectivée des rapports de force à l’œuvre dans le champ social du
journalisme. Elle est pour lui une condition indispensable pour
penser la place et le rôle des journalistes dans des sociétés
démocratiques. Vingt-cinq ans plus tard, et même si l’analyse du
journalisme ne peut s’y réduire, cette perspective nous semble
toujours pertinente en ce qu’elle interroge l’identité socio-
professionnelle des journalistes, en lien avec les questions éthiques
(Ruellan, 2011).
Depuis les années 2000, on observe un chamboulement
important de l’identité socio-professionnelle des journalistes, qui
s’interrogent régulièrement sur leur rôle dans la société. Ces
questionnements sont liés à l’émergence du web, qui oblige les
journalistes à faire évoluer leurs façons de travailler, et voit
apparaître une nouvelle catégorie au sein des rédactions : les
journalistes web (De Maeyer, 2010 ; Pignard-Cheynel et Sebbah,
2015a). Toutefois le chamboulement de l’identité professionnelle ne
peut se lire à l’aune de la seule transformation des outils. En effet, à
de nombreuses reprises pendant cette période, des événements
perçus comme inattendus ont poussé les journalistes à se
questionner sur leur façon de produire de l’information et, plus
globalement, sur leur rôle et leur identité, à l’image d’une société
française confrontée à une succession d’événements et de crises.

Construire l’événement et interroger


le rôle des journalistes
Le recours au terme d’événement n’est ici pas anodin : il a été
conceptualisé par les travaux d’Eliséo Véron qui, s’appuyant sur la
démarche structuraliste issue de l’anthropologie, souligne comment
les médias construisent les événements (Véron, 1981). L’événement
n’existe pas en soi, il est institué comme tel à travers les discours,
notamment médiatiques. Mais les événements dont il s’agit sont
aussi autant d’événements pour les journalistes en ce qu’ils les
interrogent sur leur façon de travailler et le sens de leur métier.
La question terroriste constitue en ce sens un cas
particulièrement significatif. Les attentats du 11 septembre 2001 aux
États-Unis ont constitué un événement majeur, retransmis en direct
à la télévision. Les décennies qui suivent ont été marquées par une
série d’attaques terroristes particulièrement violentes dans de
nombreux pays. C’est le cas en Belgique, touchée par des attaques
en 2014 et en 2016, et en France, frappée par une succession
d’attentats meurtriers en 2015 et 2016. Les travaux qui s’intéressent
à la façon dont les journalistes et les médias traitent ces attentats
soulignent les questions que se posent les journalistes face à ces
événements ; et la façon dont les réponses qu’ils y apportent
contribuent à donner du sens à ces événements (Garcin-Marrou,
2001). En effet, il ne s’agit pas seulement pour les médias de
montrer l’événement, mais aussi de l’expliquer. Il s’agit d’effectuer
une bascule entre une expérience publique, au sens d’un vécu
partagé collectivement et publiquement à travers sa mise en récit
médiatique, et un problème public, au sens d’un fait social identifié
comme tel dans les discours circulants dans l’espace public, auquel
la société est confrontée (Arquembourg, 2003). Le continuum des
attentats terroristes en Europe et ailleurs dans le monde
depuis 2001 implique toutefois des évolutions dans la façon de
rendre compte de ces événements, tendant à amplifier les
mécanismes « d’événementialisation » afin de distinguer chaque
attentat des précédents. Afin d’éviter de banaliser la violence, les
médias induisent l’idée du caractère unique, extraordinaire de
l’événement. Cela passe par un recours croissant au registre émotif.
La parole de la société civile émerge d’ailleurs fortement, par rapport
aux attentats des années 1990 notamment, à travers une mise en
scène de l’émotion collective suscitée par ces attaques, qui n’est
toutefois pas de la seule responsabilité des journalistes, les
représentants politiques mobilisant également ce registre (Garcin-
Marrou et Hare, 2018, 2019).
Autre cas significatif d’événement qui suscite des interrogations
des journalistes sur leur travail : les émeutes urbaines de 2005.
Fin 2005, deux adolescents meurent électrocutés dans un
transformateur électrique où ils se sont réfugiés pour échapper à un
contrôle de police. Suite à cela, des émeutes d’une violence inédite
éclatent dans les « banlieues » des grandes villes françaises, qui
feront la une des journaux pendant plusieurs semaines. Là encore,
cet événement pose des questions auxquelles les journalistes
tentent de répondre : comment expliquer cette colère d’une partie de
la jeunesse ? Comment se fait-il que les médias n’aient pas perçu
l’ampleur de ce malaise ? La recherche avait montré depuis les
années 1990 déjà à quel point les médias, notamment la télévision,
sont incapables d’expliquer des phénomènes sociaux complexes.
C’est en particulier dû aux formes du discours médiatique : les
contraintes de l’écriture télévisuelle, et plus largement de l’écriture
journalistique dans les grands médias permettent difficilement de
rendre compte de la complexité du social (Lochard, 2002).
Ces émeutes font prendre conscience du problème à une partie
de la profession qui cherche des solutions pour mieux rendre
compte de ce qui se passe dans ces « quartiers difficiles ». Cela
donnera lieu à des innovations journalistiques comme le Bondy Blog.
C’est dans ce contexte que des sociologues vont analyser les
pratiques professionnelles des journalistes qui traitent des banlieues,
notamment à travers des observations ethnographiques dans les
rédactions comme sur le terrain (Berthaut, 2013 ; Sedel, 2013,
2014). Ces travaux montrent comment les mécanismes de
production de l’information produisent une image particulière de la
banlieue, érigée en sujet journalistique. Ils montrent bien le rôle des
médias dans la définition de ce qui devient un problème public, les
banlieues, auquel l’État dédie des politiques publiques (les « plans
banlieue ») depuis plusieurs décennies maintenant. Ils montrent
aussi comment la vision médiatique stéréotypée de ces quartiers et
de leurs habitants est le résultat des conditions de travail des
journalistes, de plus en plus soumis à des logiques commerciales
ainsi qu’à une déspécialisation et à une dépolitisation de leur travail,
et de l’intériorisation de normes professionnelles qui valorisent plus
souvent la polyvalence, les formats courts ou le recours à certains
types de sources, plutôt que la spécialisation, le temps long ou
l’engagement. En ce sens, ces travaux permettent de nuancer, sans
pour autant l’effacer, la critique par l’idéologie qui suppose une
présentation volontairement caricaturale de ces sujets, imposée par
les journalistes et les propriétaires des médias. Reste que, malgré la
volonté affichée de beaucoup de journalistes de proposer un
traitement nuancé des banlieues, les travaux analysant les discours
médiatiques à l’issue des émeutes montrent qu’ils continuent à
reléguer les jeunes dans une position sociale et politique marginale
caractéristique des banlieues (Garcin-Marrou, 2005).
Ces deux cas, les attentats et les émeutes, ne sont que des
exemples parmi une succession d’événements survenus dans les
deux dernières décennies qui interrogent les médias et les
journalistes sur leur rôle. Beaucoup d’autres actualités ont posé ce
type de question aux journalistes. En 2005, le référendum français
sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE) a constitué un autre de
ces événements, le « non » l’emportant à la surprise générale, alors
que les partisans du « oui » se faisaient beaucoup plus entendre
dans les médias. Les élections constituent également des moments
tout particuliers à ce sujet, qui font souvent l’objet de recherches en
science politique sur la façon dont les médias couvrent les
campagnes électorales. Par ailleurs, toute une série de mouvements
sociaux de différente nature ont marqué la période : mobilisation
contre le Contrat Première Embauche (2006), contre la réforme des
retraites (2010), « Printemps arabes », « Indignados », « Occupy »
(2011), « Printemps érable » (2012), « Nuits Debout » (2016) ou
encore les « Gilets Jaunes » (à partir de fin 2018).

Médiatisation et légitimité journalistique


Tous ces événements n’ont pas toujours fait l’objet de
recherches complètes spécifiquement dédiées au travail des
journalistes. Ils constituent toutefois un contexte particulier qui
marque la profession ainsi que le regard que les chercheurs posent
sur elle. La question centrale est finalement celle de la médiatisation
des faits sociaux (Lafon, 2019). Cette notion de médiatisation a ainsi
largement été débattue depuis les années 2000, en particulier en
sciences de l’information et de la communication et en sciences
politiques. Elle repose sur deux dimensions liées : le travail de
médiatisation par les médias qui, en tant qu’organisations aux
particularités fortes, construisent des discours sociaux particuliers ;
et le processus de construction d’une réalité collective constitutive
de l’espace public, à travers laquelle la société peut se penser elle-
même. Le journalisme peut être appréhendé comme une forme
particulière de cette médiatisation. En effet, les journalistes ne sont
pas les seuls acteurs des processus de médiatisation. Leur parole
coexiste dans l’espace public avec celle d’une multitude d’autres
acteurs qui s’y expriment : responsables politiques, acteurs
économiques ou associatifs, militants, etc.
La question des fake news, l’une de celle qui interroge le plus le
plus le journalisme ces dernières années, relève de cette même
dynamique. Nous écrivons fake news en italique afin de souligner
qu’il s’agit d’une expression consacrée, couramment utilisée par de
nombreux journalistes mais plus généralement par un ensemble
diversifié d’acteurs de l’espace public : responsables politiques
(Donald Trump en étant la caricature), professionnels des médias,
de la communication, militants, citoyens… Elle ne recouvre
cependant aucune réalité claire, identifiée et délimitée. Au contraire
elle permet de qualifier, ou plus souvent de disqualifier, une grande
variété de discours de nature assez différentes, des rumeurs comme
des informations journalistiques. Il importe donc de manipuler cette
notion avec une très grande précaution. En réponse au constat
d’une profusion des fake news, de nombreux médias, un peu partout
dans le monde, ont développé une pratique journalistique qualifiée
de fact-checking, qui se traduit par « vérification des faits ». Cela
prend des formes diverses : services dans certaines rédactions,
rubriques dans certains médias (« Les décodeurs » du Monde…) ou
encore des médias spécialisés (Journalisme Solidaires…). Ainsi les
journalistes essaient de limiter la circulation des fake news en
opérant un travail de distinction entre les rumeurs et les véritables
informations.
Il n’existe que peu de recherches sur les fake news en elles-
mêmes1. Cela s’explique probablement par l’absence de consensus
sur le sens de cette notion et, par extension, sur son opérationnalité
pour un questionnement scientifique. Il existe cependant une riche
littérature sur les rumeurs, qui existaient bien avant que le terme
fake news s’impose, et dont la circulation est considérablement
facilitée par internet et les RSN (Alloing et Vanderbiest, 2018).
Surtout, depuis quelques années se développent des travaux qui
s’intéressent à la posture des journalistes dans le contexte d’une
circulation massive de fake news, et notamment les activités de fact-
checking opérées par des journalistes (Doutreix et Barbe, 2019 ;
Joux et Gil, 2019). Les modalités de développement de cette
pratique dans le journalisme français soulignent en creux l’absence
d’une tradition historique de vérification systématique des faits dans
le journalisme français, par rapport au modèle anglo-saxon en
particulier. Dès lors, le développement de dispositifs de fact-
checking s’apparente surtout à des moyens de revaloriser le rôle du
journalisme, qui labellise des sources et des médias fiables dans
une démarche normative qui se fonde sur la rigueur journalistique
autant qu’elle cherche à la montrer.

Les journalistes face à la concurrence


croissante d’acteurs hors du champ
journalistique
Longtemps, les journalistes se sont pensés comme les acteurs
principaux de la médiatisation. C’est ce que souligne l’expression
anglophone gatekeeper, souvent utilisée pour désigner le rôle des
journalistes qui portent la responsabilité de sélectionner ce qui est
digne d’intérêt public. Bien qu’il ne faille pas surestimer ce monopole
historique, d’autres acteurs cherchant de longue date à jouer ce rôle,
force est de constater qu’il a été particulièrement remis en cause
dans les dernières décennies. Trois aspects ont particulièrement été
étudiés par les sciences sociales, qui seront ici exposés par ordre
d’apparition chronologique : la place croissante de la
communication, celle des amateurs, et le rôle de plus en plus central
des plateformes numériques.

Information versus communication


La distinction entre information et communication est au cœur
de l’identité des journalistes, notamment en France où tout au long
du XXe siècle la structuration de la profession se caractérise par la
volonté des organisations professionnelles de marquer une frontière
nette entre ces deux univers. Cette situation est remise en cause par
deux évolutions de la fin du XXe siècle qui se sont accentuées avec
l’émergence d’internet au tournant des années 2000 : la
professionnalisation de la communication, à partir des années 1960,
puis la naissance d’un journalisme de communication, à partir des
années 1990.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, de plus en plus
d’organisations privées puis publiques structurent en leur sein une
fonction communication. Recrutant parfois d’anciens journalistes,
pour leur réseau professionnel ou leur maîtrise des techniques de
production d’information, elles vont progressivement bénéficier des
compétences de diplômés d’un nombre croissant de formations en
communication qui se créent à partir des années 1970. Les
journalistes ont donc de plus en plus souvent affaire à des
professionnels de la communication aguerris, qui maîtrisent les
codes de l’information et verrouillent la parole des sources pour
lesquels ils travaillent. Mais là où la profession cherche à délimiter
une frontière entre deux métiers concurrents, les travaux sur les
parcours professionnels des journalistes montrent une porosité
réelle entre les deux milieux. Malgré les efforts des organisations
syndicales, cette porosité se maintient avec le temps et la précarité
croissante de l’activité journalistique, qui oblige de nombreux
journalistes à évoluer dans d’autres milieux professionnels afin de
s’assurer un revenu correct, en particulier dans la communication.
Surtout, l’hybridation et la complexification des formes d’écritures
permises, (ou imposées) par le numérique, amplifient ce
phénomène. Cela a notamment été observé dans les trajectoires
professionnelles de journalistes qui se spécialisent dans des formats
« innovants » : data journalism, webdocumentaires… (Schmitt,
Salles et Dupuy-Salle, 2018). Une partie de leurs activités
professionnelles relèvent de la communication, même si elle est le
plus souvent masquée derrière un discours de légitimation par
l’activité journalistique. Cela a également été observé dans les
logiques de rationalisation du travail à l’œuvre dans les médias, en
lien avec le mouvement de déspécialisation. Dans de plus en plus
de rédactions, en particulier celles œuvrant pour le web et les
réseaux socio-numériques, on observe que les mêmes personnes
assument des tâches qui relevaient historiquement de l’information
et de la communication. C’est notamment le cas des fonctions de
gestionnaires de communautés (community manager) ou d’éditeurs
qui se développent depuis plusieurs années dans les médias
d’information. Alors que, pendant longtemps, la concurrence de la
communication était externe (les professionnels de la
communication et des relations publiques), la complexification
technique et l’industrialisation de l’écriture de l’information ont
intégré cette tension. Les entreprises de presse, pour des raisons
économiques principalement, intègrent en leur sein et confient à des
journalistes des tâches qui sont historiquement considérées comme
relevant de la communication, et non pas du journalisme (Goasdoué,
2016).
C’est dans ce contexte qu’émerge dans les années 1990 ce que
les chercheurs québécois appellent le journalisme de
communication, parfois qualifié de marketing rédactionnel ou de
journalisme de marché (Leteinturier, 2014). Il s’agit d’un journalisme
dans lequel les contenus sont définis en fonction des attentes des
publics et des annonceurs, et non par rapport aux seules
considérations journalistiques. Ce phénomène est la conséquence
de la pression économique de plus en plus forte sur les médias, qui
doivent assurer des recettes suffisantes pour faire fonctionner leurs
entreprises dans un secteur de plus en plus concurrentiel. Il n’est
pas anodin que ce concept ait émergé au Québec où les
phénomènes de concentration des médias et la pression
économique sur les journalistes sont historiquement plus forts qu’en
France, partiellement protégée par les politiques publiques de
soutien économique à la presse. Mais ce phénomène s’est amplifié
dans le cadre du développement des médias en ligne. Sur internet,
les médias se trouvent soumis à une concurrence encore plus forte
de producteurs de contenus non journalistiques, et sont dépendants
de plateformes, en particulier les moteurs de recherche (Google) et
les réseaux socio-numériques qui génèrent l’essentiel des visites
d’internautes, dont dépendent leurs recettes. En ce sens, internet a
consolidé un phénomène préexistant en poussant les médias à
intégrer davantage encore les logiques communicationnelles au
cœur des rédactions. De plus en plus de médias mélangent des
informations journalistiques et des contenus promotionnels, plus ou
moins identifiés comme tel, la rédaction de l’ensemble de ces
contenus étant confiée aux journalistes (Salles, 2018 ; Pignard-
Cheynel et Amigo, 2019).

La place croissante des amateurs


Les amateurs constituent la deuxième catégorie d’acteurs qui
viennent concurrencer les journalistes de façon très importante
depuis les années 2000. Amateur ou profane : les termes pour
désigner ces types d’acteurs varient, et restent imparfaits en ce
qu’ils masquent un ensemble hétérogène de pratiques. Dans le
domaine de l’information, ils désignent des non-professionnels qui
produisent et diffusent des contenus qui s’apparentent plus ou moins
à de l’information journalistique, sous différentes formes
(principalement textes, photos et vidéos). De nombreux travaux se
sont penchés sur ces pratiques, qui se sont considérablement
développées avec l’apparition d’outils techniques simplifiant
considérablement la production et la diffusion en ligne (Aubert,
Denouël et Granjon, 2014). Les blogs au début de la décennie 2000,
plateformes permettant de publier des textes et images plus
facilement qu’auparavant ; puis les plateformes de diffusion vidéo
(particulièrement sur YouTube) et les réseaux socio-numériques
(Facebook et Twitter notamment) dans la deuxième moitié de la
décennie ; et enfin la popularisation des smartphones au tournant
des années 2010, facilitant la prise et la diffusion de photos ou de
vidéos par tout témoin d’un événement. Les journalistes ne sont plus
les premiers à témoigner publiquement et à grande échelle d’un
événement.
Dès lors, les journalistes ne sont plus les seuls à produire
l’actualité : une demande citoyenne émerge pour ne plus seulement
consommer l’information, mais participer à sa production. La notion
de participation s’impose rapidement comme centrale dans de
nombreux domaines, dont celui de l’information. Émerge l’idée du
« journalisme participatif » qui va faire l’objet de nombreux travaux
s’intéressant à deux familles de cas. Certains travaux s’intéressent
aux pure players d’information qui apparaissent dans la décennie
2000, dont beaucoup revendiquent une logique participative et une
horizontalité entre les journalistes et les internautes (Aubert, 2008 ;
Canu et Datchary, 2010). Ainsi des journalistes quittent les
rédactions de journaux pour créer de nouveaux médias en ligne qui
ambitionnent de construire l’information avec, et pas seulement pour,
les citoyennes et citoyens. D’autres travaux se penchent sur la façon
dont les médias préexistants tentent de prendre en compte cette
demande de participation (Aubert, 2011 ; Schmitt, 2012). En effet,
dans cette perspective participative, la plupart des journaux ont
développé sur leur version en ligne des espaces ouverts aux
commentaires des internautes, à l’image de ce qui se faisait sur les
blogs, et de ce qui se fait encore sur de nombreuses plateformes. À
la fin de chaque article, les internautes ont la possibilité de
s’exprimer. Assez vite, des recherches ont montré le faible intérêt de
beaucoup d’internautes pour ces commentaires, souvent rebutés par
leur caractère impersonnel ou par les interventions virulentes
d’internautes particulièrement actifs, mais minoritaires (Rouquette,
2016). Les médias ont d’ailleurs souvent été en difficulté pour
réguler ces commentaires et, a fortiori, pour savoir quoi en faire dans
le cadre de leurs processus éditoriaux. Par conséquent, de
nombreux médias ont progressivement abandonné ces dispositifs,
ou les ont drastiquement contraints. Ceux qui ont réussi à conserver
cette logique sont les médias qui ont beaucoup travaillé cette
question et construit un dispositif éditorial clair autour de la parole
profane, qui permet à la fois d’intégrer la parole des internautes tout
en maintenant une distinction claire entre journalistes et amateurs.
Là encore, ces dispositifs participatifs ne sont pas
complètement nouveaux. La radio et la télévision publiques
proposent de longue date des émissions autour d’un médiateur de la
chaîne qui transmet aux journalistes la parole des auditeurs et
spectateurs (Goulet, 2004). La rubrique du courrier des lecteurs
existait voici longtemps dans de nombreux journaux (Hubé, 2008).
Surtout, la parole citoyenne a toujours été mobilisée par les
journalistes dans leurs productions. Les travaux sur le discours
médiatique ont montré comment le recours dans les productions
journalistiques à une parole profane permet de légitimer des
discours que le journaliste ne souhaite, ou ne peut pas assumer.
Cette démarche a pu être appliquée pour appréhender le travail du
journaliste sur des sujets sensibles ou dans des contextes
complexes, par exemple lors des campagnes électorales. C’est ainsi
qu’on peut comprendre le recours plus fréquent que d’habitude à
des reportages auprès de « gens ordinaires » ou à des micros-
trottoirs qui permettent aux journalistes d’avancer une analyse
prudente par le truchement de la parole des citoyens. L’élection
présidentielle de 2007 a ainsi constitué un moment important
puisqu’il s’agissait de la première élection présidentielle après le
choc de l’élection de 2002. Jean-Marie Le Pen, arrivé au second tour
en 2002, à la surprise générale, est à nouveau candidat. Comment
donner corps à une explication des motivations de vote pour le Front
National (désormais Rassemblement National), pour des journalistes
que le profil sociologique éloigne souvent de cette sensibilité
politique ? En faisant parler des électeurs représentatifs de ces
citoyens qui votent pour le candidat d’extrême droite. Lors de cette
même élection, en 2007, Ségolène Royal sort victorieuse de la
primaire du Parti Socialiste : elle est la candidate du principal parti
de gauche, et la première femme susceptible d’emporter l’élection.
En tant que journaliste, comment rendre compte de l’importance de
cette nouveauté, sans tomber dans des clichés sexistes sur la
différence entre une candidate et un candidat ? En faisant parler des
électeurs et des électrices qui se disent sensibles à cette première
ou d’autres qui, à l’inverse, plébiscitent la virilité du principal candidat
adverse, Nicolas Sarkozy, finalement vainqueur de l’élection. La
mobilisation de la parole citoyenne est une technique journalistique
importante qui permet de rendre compte de réalités complexes à se
saisir pour les journalistes, qui contribue aux mécanismes explicatifs
d’événements difficiles à appréhender pour les journalistes (Olivesi,
2009, 2012).
La généralisation des dispositifs participatifs à la quasi-totalité
des médias à partir des années 2000 questionne les pratiques
journalistiques. Les travaux sur le sujet montrent en effet comment
cette irruption citoyenne déstabilise la profession et interroge les
journalistes sur leur identité professionnelle (Le Cam, 2006).
L’intégration de la parole citoyenne au sein de dispositifs éditoriaux
mis en place par les médias permet de répondre à cette difficulté en
(re)donnant aux journalistes un rôle de médiateur avec lequel ils
sont familiers. Ainsi, les journalistes cherchent à transformer une
situation de concurrence avec les internautes en une situation de
collaboration. Cela est permis par le caractère flou des frontières de
la profession qui offre aux journalistes une relative souplesse quant
à leur rôle qu’ils redéfinissent au gré de l’évolution de leur
positionnement dans le champ discursif de l’information (Ruellan,
2007). Ces phénomènes ont été observés dans des études sur la
façon dont des journalistes mobilisent des formats éditoriaux qui leur
sont initialement étrangers. Par exemple, plusieurs médias ont lancé
leur propre plateforme de blogs, qui permettait aussi bien d’attirer
des blogueurs dans l’espace éditorial contrôlé par le média, que
d’offrir aux journalistes un espace de plus grande liberté, aux
marges du contenu journalistique traditionnel du média (Salles,
2016). Pour sa part, la presse locale cherche à renouveler son
positionnement de proximité. Cette proximité, historiquement au
cœur de son activité, a été déstabilisée par internet qui offre aux
citoyens d’autres outils de construction et de mise en scène de la
proximité, notamment via les réseaux socio-numériques. Des
travaux ont montré comment les journalistes locaux développent
désormais une horizontalité dans leurs pratiques, se positionnant au
côté, plutôt qu’en surplomb des habitants du territoire (Amiel, 2018).
Les journalistes locaux se pensent dès lors comme des médiateurs
du territoire, pleinement intégrés en son sein. La réponse apportée
par ces journalistes à l’émergence de nouvelles entités en ligne de
construction de la proximité est de s’impliquer dans ces entités, ou
d’impliquer les habitants du territoire dans leurs propres dispositifs.
Cette implication ne passe plus seulement par la participation au
contenu éditorial, mais aussi par le financement de médias locaux
qui n’hésitent pas à solliciter les habitants dans le cadre de
campagnes de crowdfunding (financement participatif).

Plateformes et réseaux socio-numériques


au cœur de l’information en ligne
Le troisième acteur qui vient concurrencer les journalistes dans
leur maîtrise de la production et la diffusion d’information sont les
plateformes numériques. Ce concept de plateforme a été développé
depuis quelques années dans la recherche francophone sur les
médias et le journalisme, et importé de travaux anglo-saxons par
des chercheurs qui développent une approche socio-économique
des médias en ligne (Smyrnaios, 2017 ; Smyrnaios et Rebillard,
2019). Ces plateformes s’inscrivent dans une logique
d’infomédiation, francisation du terme anglais informediations qui
désigne le rôle d’intermédiaire de l’information. L’infomédiation n’est
pas un concept spécifique à l’information d’actualité, en particulier
celle produite par des journalistes. Il qualifie la position occupée par
un ensemble d’entreprises, souvent dans le cadre d’oligopoles
comme celui bien connu des GAFAM (Google, Apple, Facebook,
Amazon et Microsoft) qui dominent la plupart des marchés de
l’infomédiation. Ces entreprises, via leurs plateformes en grande
partie automatisées, jouent un rôle d’intermédiaire entre les
internautes, consommateurs d’informations, et les innombrables
informations disponibles en ligne, notamment celles produites par
les médias d’actualité. Elles détiennent un rôle clef en ce qu’elles
sont capables de trier et donc de rendre accessibles les informations
aux internautes. Ainsi, le trafic des médias en ligne dépend en
grande partie de ces plateformes : être bien visible sur Google
Actualité ou dans les fils Facebook permet de recevoir un grand
nombre de visiteurs sur son site web, donc de générer des
abonnements et/ou des recettes publicitaires. À l’inverse, ne pas
être visible sur ces plateformes peut faire perdre à un média une
part significative de ses visiteurs. Cette situation crée une
dépendance économique forte des médias journalistiques à l’égard
des infomédiaires et de leurs algorithmes. Cependant, les
infomédiaires ont aussi besoin d’informations à mettre à disposition
des internautes, et en particulier d’informations produites par des
médias considérés comme sérieux, qui peuvent être présentées
comme légitimes à une époque de méfiance à l’égard des rumeurs
et autres fake news produites par des sites web peu scrupuleux
d’éthique. Ainsi, la relation entre les infomédiaires et les médias
journalistiques est qualifiée par les chercheurs de coopétition, c’est-
à-dire de liens mi-compétitifs et mi-coopératifs caractérisés par une
dépendance mutuelle. C’est ce rapport singulier qui explique la
signature en grande pompe d’un accord entre les éditeurs de presse
français et Google en 2013, les deux parties en ayant nécessité.
Au-delà de la manière dont les médias sont produits, distribués
et consommés, le recours à ces plateformes, notamment les RSN,
pose la question de l’intégration de ces dispositifs dans des
entreprises dotées d’organisations du travail spécifiques, et fondées
sur une culture professionnelle particulière. De nombreux travaux
s’intéressent à la façon dont les médias utilisent ces outils dans le
cadre de leurs stratégies éditoriales et commerciales, les deux
s’imbriquant souvent. La question de la modération est au cœur de
ces recherches qui analysent les choix effectués par les
professionnels qui manipulent ces outils (Pignard-Cheynel et
Sebbah, 2015b ; Salles, 2018). Les chercheurs observent ainsi que
ces pratiques, initialement externalisées auprès de prestataires
dédiés, ont souvent été progressivement intégrées au sein des
rédactions. Les professionnels en charge de ces questions
développent dès lors une activité au croisement entre le
gatekeeping, le marketing et le journalisme participatif. Les situations
sont toutefois extrêmement variables selon les médias qui
développent des pratiques qui leur sont propres.
Il faut par ailleurs distinguer le recours aux RSN par les médias
de leur usage par les journalistes, qui se fait plus ou moins
indépendamment des médias auxquels ils sont affiliés. Les deux
types d’activité s’inscrivent dans des visées stratégiques, mais ce ne
sont pas tout à fait les mêmes : stratégie éditoriale et économique
pour les médias, stratégie de visibilité et de sociabilité pour les
journalistes. La construction d’une sociabilité en ligne se traduit par
l’affirmation d’une identité professionnelle sur les comptes de
journalistes sur les plateformes numériques, leur permettant de
s’inclure dans le groupe professionnel dont ils se revendiquent. Mais
elle permet aussi de créer et d’entretenir des liens avec les publics
et les sources des journalistes. Là encore, les usages varient
fortement selon les personnes : certaines échangeant régulièrement
avec leurs lecteurs, là où d’autres refusent l’interaction. Se pose
également la question du degré de liberté des journalistes dans leur
expression sur ces plateformes. Certains médias exigent que les
journalistes assurent dans leur usage des RSN la promotion de leur
« marque ». À l’inverse, des journalistes luttent pour préserver leur
liberté d’expression sur ces outils, renouvelant le rapport de force
historique concernant l’autonomie des journalistes vis-à-vis de leurs
employeurs.
La question de l’information sur les RSN se pose sous une autre
forme suite à l’apparition depuis quelques années de médias conçus
spécifiquement pour ces plateformes et la consultation sur
smartphone : Brut, Konbini, Loopsider… La ligne éditoriale, le
modèle économique et le format des contenus sont conçus pour
s’adapter à ces outils et répondre aux nouveaux modes de
consommation de l’information, réels ou supposés, notamment chez
les jeunes. Il existe encore assez peu de travaux qui s’intéressent à
ces pratiques journalistiques très récentes. Le concept
d’éditorialisation, utilisé dans différentes acceptions depuis le début
des années 2000, semble particulièrement pertinent pour
appréhender ces nouveaux médias d’information, même s’il n’a pas
spécifiquement été forgé pour eux (Vitali-Rosati, 2016, 2020).
L’éditorialisation permet en effet de réfléchir autrement la façon dont
les journalistes et les médias assurent la fonction éditoriale au cœur
de leur activité professionnelle. Historiquement, dans la presse par
exemple, le travail éditorial a été utilisé pour distinguer les titres
grâce à la mise en forme des informations au sein d’une maquette
qui participait tout autant que l’écriture des textes à l’identité
singulière des journaux et à leur reconnaissance par les lecteurs.
Dans le cas des médias diffusés sur les RSN, la forme de
l’information n’est que très partiellement définie par le média. Celui-
ci se voit en effet imposer un cadre rigide déterminé par l’entreprise
qui édite la plateforme. Par exemple, les caractéristiques formelles
d’un post sont décidées par Facebook : disposition du texte, des
images, format et modalités d’affichage des vidéos, etc. Dès lors,
l’énonciation éditoriale n’est pas complètement maîtrisée par le
média. Le concept d’éditorialisation permet de dépasser cette limite
en ce qu’il propose de caractériser la structuration et les relations
entre les objets et les acteurs de l’espace numérique. Cela implique
pour les chercheurs de décentrer le regard, en intégrant dans
l’analyse d’autres acteurs que les seuls journalistes. Cela implique
un mouvement similaire pour les journalistes qui doivent composer
non seulement avec les contraintes spécifiques de leur métier, celles
de leur média, mais aussi avec les contraintes des dispositifs
numériques qui diffusent leur média (Touboul, Croissant et Hare,
2018). Cette contrainte a toujours existé, puisque la question de la
diffusion est prégnante pour les médias. Mais les infomédiaires
interviennent à un niveau tout autre, au plus près des formes
journalistiques en les intégrant en leur sein, plutôt qu’en les diffusant
simplement.
Les recherches évoquées dans cette contribution ne
représentent qu’une partie des riches travaux sur le journalisme et
les médias développés dans l’espace francophone au cours des
deux dernières décennies. Celles-ci donnent un aperçu de
l’importance des bouleversements auquel fait face le journalisme
contemporain. Sans qu’on puisse affirmer un lien causal, force est
de constater que ces mutations se font dans le cadre du
développement inédit d’internet et des dispositifs numériques de
communication. Les transformations du journalisme dépassent
largement le cadre d’internet, le succès en France de plusieurs
magazines en version papier en témoigne. Mais l’ampleur du
phénomène, en particulier l’émergence de nouveaux acteurs
majeurs dans la production et la diffusion de l’information, impose
d’évaluer dans quelle mesure cela vient percuter les pratiques
professionnelles et le fonctionnement des médias. Par ricochet, les
deux décennies écoulées sont marquées par une crise
particulièrement vive de l’identité socio-professionnelle des
journalistes. La volonté du journalisme d’affirmer son rôle dans la
société, de se distinguer d’autres acteurs de l’espace public, n’est
pas nouvelle. Elle a marqué l’histoire du journalisme, en particulier
au XXe siècle. Le croisement entre ce constat et les réalités socio-
économiques du journalisme contemporain laisse percevoir qu’il
s’agit d’un enjeu plus vif qu’il n’a pu l’être à d’autres périodes : poids
des logiques commerciales, concurrence massive d’acteurs
extérieurs au champ journalistique, difficultés à construire des
carrières professionnelles…
Des travaux récents en viennent à considérer que les
bouleversements et les nouvelles pratiques journalistiques que nous
observons témoignent d’une crise épistémologique du journalisme.
Le concept d’épistémologie est classiquement utilisé pour désigner
un domaine de la science qui s’intéresse aux fondements
méthodologiques et théoriques de la science, ou plus largement de
la connaissance. Affirmer que le journalisme connaît une crise
épistémologique revient à considérer que ce sont les principes
fondamentaux du journalisme qui sont actuellement interrogés,
bouleversés voire déconstruits. La recherche en SHS contribue
activement à cette discussion sur les fondements du journalisme.
Cela renvoie bien évidemment à la question déontologique : les
discours sur l’éthique journalistique, qu’ils soient produits par des
professionnels de l’information ou par des citoyens, sont autant de
discours épistémologiques sur le journalisme. Les journalistes n’ont
jamais été autant exposés à l’analyse critique de leur travail. C’est
souhaitable pour faire vivre une démocratie.

Bibliographie
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numériques. Comment la fausse information circule sur
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• Vitali-Rosati M., « Pour une théorie de l’éditorialisation »,
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• Vitali-Rosati M., « Qu’est-ce que l’éditorialisation ? », Sens
public, 2016.

1. Le dossier du numéro 53 de la revue Études de communication (2019), dirigé par Cyrille


Bodin et Mikaël Chambru, traite toutefois du sujet. Il est intitulé « Fake-News ! Pouvoirs
et conflits autour de l’énonciation publique du “vrai” ».
Questions à Arnaud Mercier
Professeur en information-communication
à l’Institut français de presse,
Université Paris-Panthéon-Assas

Entretien réalisé par Valérie Devillard

Valérie Devillard — On parle fréquemment de « transition


numérique », voire de « révolution ». Que désigne-t-on
par ces locutions ?
Arnaud Mercier — La transition numérique désigne la
période où la presse d’information a été contrainte à faire
sa mue pour s’emparer des technologies de l’internet pour
renouveler sa façon de produire et de transmettre
l’information. Cela ne s’est pas fait sans difficultés, sans
résistances, comme déjà beaucoup de travaux
académiques le montrent (Mercier et Pignard-Cheynel,
2014). Aiguillonnées par de nouveaux acteurs qui ont
profité des blogs, des sites internet puis des réseaux
socio-numériques pour devenir des acteurs de
l’information, ou stimulées par des journalistes pionniers
en interne, les rédactions des divers supports
d’information ont peu à peu, dans les années 1990
puis 2000, adopté de nouveaux codes d’écriture,
développé de nouvelles façons de tisser des liens avec
leurs publics, cherché de nouveaux modèles économiques
pour rentabiliser leurs investissements et générer de
nouvelles recettes (publicitaires ou par abonnement).
Cette phase intense de changements dans le monde du
journalisme relève sans doute plus d’une transition que
d’une révolution, car tout n’a pas changé, et pas d’un
coup ! C’est plutôt dans une dialectique entre
changements et continuités (Meikle, Redden, 2011) qu’il
faut identifier ce qui s’est produit, et continue à se produire
du reste. Car si on peut, à la suite des travaux de Colette
Brin, Jean Charron et Jean de Bonville, parler d’un
changement de paradigme journalistique en cours (2004)
celui-ci est loin de se stabiliser. Les auteurs évoquent
dans l’histoire plusieurs changements de paradigme dans
la conception dominante du journalisme. Ces
changements se font par glissements progressifs jusqu’à
se solidifier sous forme d’un paradigme stabilisé. La
stabilisation est liée à un accord large sur les attendus du
métier, qui d’ailleurs s’enseignent de façon majoritaire
dans les écoles de journalisme. Or la période
contemporaine, faite d’innovations technologiques
incessantes en lien avec le numérique, nous conduit à
penser que l’actuel paradigme est un paradigme du
changement permanent. Empruntant la métaphore du
sociologue Zygmunt Baumann, Mark Deuze parle de
« liquid journalism » (Deuze, 2008) pour décrire cette
situation d’évaporation de certaines stabilités
professionnelles. Les transformations en cours obligent les
rédactions à innover fréquemment. Certains médias ont
même intégré en leur sein des cellules Recherche &
Développement ou des FabLabs, pour permettre à leurs
salariés de développer des prototypes, d’initier avec des
acteurs extérieurs au journalisme de nouveaux formats, en
organisant par exemple des hackathons. Le monde du
journalisme a toujours été en relation avec d’autres
acteurs, comme les ouvriers typographes par exemple.
C’est désormais du côté des développeurs informatiques,
pour créer des sites web, expérimenter des formats
nouveaux (effet parallaxe, webdoc…), pousser la data-
visualisation du côté du datajournalisme, créer des applis
mobiles, que les journalistes cherchent des alliances
professionnelles. Les journalistes sont donc amenés à
développer des agilités numériques que beaucoup
n’avaient jamais reçues en héritage de leur formation.
C’est heureusement moins vrai aujourd’hui. Pour autant
ces possibilités nouvelles à explorer, qu’il faut apprendre à
maîtriser, ne se font pas au détriment des fondamentaux
du métier. Il faut toujours raconter une histoire, en
identifiant des sources fiables, en les recoupant, en
hiérarchisant les informations, etc. Mais un point saillant
demeure, la relation aux publics diffère dès lors que
l’interaction directe est possible, avec les commentaires
au bas des articles, et les interpellations sur les réseaux
sociaux.

V. D. — En quoi le numérique transforme-t-il : La formation


des journalistes ?
A. M. — Il est évident qu’on ne peut plus enseigner le
journalisme exactement comme avant. Dès lors qu’il y a
un changement de paradigme journalistique, il faut
adapter les formations en proposant des parcours
favorisant l’acquisition d’une véritable agilité numérique et
d’un état d’esprit fait de veille technologique, d’ouverture
sur les innovations du web et de créativité. Il ne s’agit pas
d’arrêter une fois pour toutes un socle de techniques et de
technologies à maîtriser, en promettant aux futurs
diplômés qu’ils pourront appliquer ces acquis pour des
années. Il faut leur apprendre certes des outils et
techniques, mais les sensibiliser et les préparer à acquérir
en continue de nouvelles compétences, de rentrer dans
une logique d’autoformation au long cours, d’être les
expérimentateurs, par leur curiosité, de leur propre
évolution professionnelle.

V. D. — Les pratiques professionnelles des journalistes et


l’identité des journalistes ?
A. M. — Fondamentalement, un journaliste reste un
journaliste, en ligne comme sur papier ou à la télévision et
la radio. Les mêmes réflexes de base ont cours. Les
fameux « 5 W » ont encore de beaux jours devant eux.
Donc les exigences de l’enquête de terrain, de récolte des
témoignages et des données, de recoupement des
sources et des informations demeurent identiques,
intemporelles en somme.
Mais la question des frontières professionnelles se pose
dès lors qu’il s’agit de regarder du côté du codage
informatique et de toute une série d’outils technologiques
nécessitant une maîtrise de process d’ingénierie (pour
développer une appli mobile, faire de la data visualisation,
exploiter les ressources de l’open data…). Les journalistes
doivent-ils savoir coder ou bien nouer des collaborations
étroites avec des partenaires informatiques et les intégrer
à une coproduction de l’information ?

V. D. — Les normes et les standards de production de


l’actualité ?
A. M. — Les normes professionnelles de qualité restent
identiques. Mais si on veut tirer tout le sel des possibilités
nouvelles de narration offertes par le numérique, les
journalistes doivent devenir moins spécialisés et plus
multimédia. Un journaliste numérique performant est
forcément un peu un journaliste Shiva, avec dans une
main un micro, dans une autre une caméra, dans une
autre encore un bloc-notes, et un stylo dans la quatrième,
un smartphone dans la cinquième, etc.

V. D. — Les pratiques de consommation de l’actualité ?


A. M. — Les bouleversements sont immenses, et on
pourrait faire tout le livre rien que sur ce phénomène.
Retenons juste ici quelques points. De plus en plus de
gens accèdent à l’information directement sur des sites,
ou toujours en ligne mais via des liens arrivés sur les
réseaux socio-numériques sur lesquels ils ont un compte.
L’influence des « amis », des gens suivis ou que l’on suit,
devient parfois décisive, nos relations devenant
prescriptives d’une partie des liens sur lesquels on clique.
Par ailleurs, ce type d’accès aux sites de presse peut
contribuer à déstructurer notre lien aux médias
d’information. On perd l’idée de fidélité à un journal au
profit d’une circulation fluctuante, par sérendipité, ce qui
peut faire perdre la claire conscience de la ligne éditoriale
du site visité par à-coups. La plateformisation de l’accès à
l’information introduit entre le public et les rédactions de
nouveaux acteurs (Facebook, Twitter, etc.). De même
l’accès grâce à des moteurs de recherche comme Google
rend les médias dépendants de multinationales qui
s’approprient sans vergogne une partie de la valeur de ce
qui circule et est lu sur internet, affaiblissant encore
davantage des médias qui ont déjà du mal à bien
monétiser les contenus mis en ligne.

V. D. — Existe-t-il des dimensions du travail journalistique


qui échappent à la transition numérique et à ses
transformations ?
A. M. — Il me semble impossible d’envisager aujourd’hui
un journalisme qui ne tienne pas compte des possibilités
offertes par le numérique et des exigences des publics
nourries par l’encapacitement que leur procurent les
ressources de l’internet. Dans une logique de niche, dans
des cas très particuliers, on observe le maintien de
l’ancien système inchangé. En France, on peut citer le cas
du Canard enchaîné, qui a toujours refusé de passer en
ligne et de changer sa formule en intégrant une version
numérique. Son modèle économique prospère ne l’incite
pas à se transformer.
Mais globalement, même des secteurs de la presse qui
sont restés longtemps réfractaires au numérique, comme
une bonne partie de la presse quotidienne régionale par
exemple, ont été contraints d’évoluer en intégrant une
mixité de leur offre d’information, alliant support classique
et offre numérique. Cela oblige les (ou permet aux)
journalistes de développer de nouvelles narrations, de
nouveaux formats. L’ivresse du métier reste identique
mais le flacon change. Prenons l’exemple du fact-
checking. Il correspond aux fondamentaux du métier :
vérifier les faits, exposer les données factuelles. Mais la
mise en scène est souvent associée à de la data-
visualisation. Des agences comme l’Agence France-
Presse ont participé à des appels scientifiques pour
apporter à des consortiums académiques leur compétence
afin de créer un outil (In Video Veritas) qui permet de
repérer des photos utilisées hors contexte pour tromper,
en traitant les métadonnées du document publié. Même
métier, mais outil plus sophistiqué pour répondre à une
multiplication des photos détournées pour illustrer des
infox.
Autre exemple simple et concret : l’enrichissement des
articles mis en ligne par des liens hypertextes. Difficile
désormais d’imaginer un article qui ne pointe pas à
plusieurs reprises vers d’autres URL afin d’enrichir le
contenu, d’attester ce qui est dit en offrant aux lecteurs la
possibilité de vérifier par eux-mêmes, d’approfondir
l’information donnée. Des renvois à des documents cités
existaient déjà, mais là, la chose est aisée, plus souple,
plus intuitive et correspond aux attentes de nombreux
internautes.

Pour en savoir plus


• Brin C., Charron J., de Bonville J., Nature et transformation du
journalisme, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004.
• Deuze M., « The changing context of news work: Liquid
journalism for a monitorial citizenry », International journal of
Communication, 18, 2008, p. 848-865.
• Meikle G., Redden G., (Ed.), News Online: Transformations and
Continuities, London, Macmillan, 2011.
• Mercier A., Pignard-Cheynel N., « Mutations du journalisme à
l’ère du numérique : un état des travaux », Revue française des
sciences de l’information et de la communication [en ligne], 5,
2014.
PARTIE II
LES MÉTIERS
DU JOURNALISME :
FORMATIONS, CARRIÈRES,
MARCHÉS
Chapitre 1
1 Qui sont les journalistes français ?
Portrait sociodémographique
de la profession

Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier

S
i le journalisme est l’une des professions les plus visibles
dans l’espace public, il est aussi l’une des plus fantasmées,
sinon caricaturées. En effet, il donne matière à une
abondante mythologie, où coexistent des représentations sociales
fortement polarisées : d’un côté, les « mythes professionnels »
(Le Bohec, 2000) entretenus par les journalistes eux-mêmes afin de
légitimer leur rôle et leur travail ; de l’autre, les critiques profanes ou
savantes, parfois virulentes, adressées aux professionnels de
l’information.
En contrepoint, il s’agit ici de décrire les propriétés
sociodémographiques des journalistes, en vue d’actualiser et
d’approfondir les connaissances sur la profession et celles et ceux
qui la composent. Qui sont les journalistes français ? La description
statistique sera la focale retenue pour esquisser le portrait de la
profession, sous différentes facettes.

Les sources statistiques


Un ensemble de sources statistiques propres à la profession
existent pour établir les propriétés sociodémographiques des
journalistes français et mesurer leurs évolutions1. L’essentiel se
compose de sept enquêtes réalisées entre 1967 et 2017, avec le
concours de la Commission de la carte d’identité des journalistes
professionnels (CCIJP) et, pour la dernière étude, de l’Afdas :
■ CCIJP, Étude statistique et sociologique. Liste des titulaires de
la carte professionnelle au 1er juillet 1966, Paris, 1967.
■ « Les journalistes, étude statistique et sociologique »,
Dossiers du Céreq, n° 9, juin 1974.
■ CCIJP, 50 ans de carte professionnelle : profil de la
profession. Enquête socio-professionnelle, Paris, 1986.
■ Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Marhuenda J.-P.,
Rieffel R., Les journalistes français en 1990. Radiographie
d’une profession, Paris, La Documentation française, 1991.
■ Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Rieffel R., Les
journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours,
Paris, Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2001.
■ Marchetti D. et Ruellan D., Devenir journalistes. Sociologie de
l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation
française, 2001.
■ Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF
Audiovisuel, Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism,
Université Paris-Panthéon-Assas, 2017.
Ce n’est que progressivement que l’annuaire des journalistes
professionnels publié par la CCIJP – le premier datant de 1954 et
comptant 6 500 inscrits – s’est transformé en « Étude statistique et
sociologique » (1967). Les trois premières enquêtes de 1967, 1974
et 1986 ont été menées par questionnaire, tandis que les suivantes
ont reposé soit sur un échantillonnage des dossiers de demande de
la carte de presse déposés auprès de la CCIJP (1991, 2001, 2011 et
2017), soit sur une exploitation de la base de données de l’ensemble
des journalistes (par exemple en 2001). Des enquêtes par entretiens
auprès de journalistes ou de recruteurs ont été réalisées en parallèle
de ces études statistiques, afin de mieux comprendre les évolutions
des conditions d’emploi et des pratiques professionnelles, ainsi que
les manières dont ces transformations sont pensées et vécues par
les principaux intéressés.

Le statut de journaliste professionnel


La CCIJP est une commission paritaire créée le 17 janvier
1936, dans le sillage de la « loi Brachard » du 29 mars 1935
établissant le statut de « journaliste professionnel ». S’ajoute
peu après (le 23 novembre 1937) l’adoption du premier
contrat collectif de travail des journalistes, base de l’actuelle
Convention collective nationale du travail des journalistes
(CCNT Journalistes). La CCIJP a pour fonction d’attribuer la
carte de presse à partir de critères établissant la qualité de
journaliste professionnel.
La loi définit la profession de journaliste (de manière quasi
tautologique) en ces termes : « Est journaliste professionnel
toute personne qui a pour activité principale, régulière et
rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs
entreprises de presse, publications quotidiennes et
périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal
de ses ressources » (article L. 7111-3 du Code du travail).
Elle contribue à créer un salariat d’un genre nouveau, dans
la mesure où celui-ci déroge au droit du travail ordinaire, en
instaurant notamment la « clause de conscience ». Celle-ci
est une disposition qui permet au journaliste de quitter
d’initiative une entreprise de presse, tout en bénéficiant des
indemnités de licenciement, dans le cas d’un « changement
notable dans le caractère ou l’orientation du journal ». De
même, la « clause de cession » peut être invoquée à
l’occasion d’un changement de propriétaire ou d’actionnaire
principal du journal (source : Syndicat national des
journalistes CGT).

Ces études statistiques se fondent toutes sur les fichiers de la


CCIJP. Leur principal écueil est de ne concerner que les journalistes
titulaires de la carte de presse. Elles excluent dès lors – entre autres
biais – le vaste ensemble des journalistes qui exercent la profession
hors carte de presse, ainsi que les activités invisibles et pourtant
essentielles à la production de l’information, à l’instar des
correspondants locaux de presse. Le sociologue Gilles Bastin, parmi
d’autres, rappelle ainsi que
La fiction juridique qui a longtemps figé la représentation
politique et statistique des journalistes autour de la figure
du salarié d’une entreprise de presse détenteur de la carte
de presse est sans doute la première à montrer aujourd’hui
ses faiblesses. L’écart entre le nombre de journalistes auto-
déclarés au moment du recensement de 2007 (48 324) et
le nombre de titulaires de la carte de presse (37 738)
signale aussi une partie de ce problème de représentation
(Frisque et Saitta, 2011). De même, la forte sous-estimation
des pigistes dans les fichiers de la carte de presse par
rapport à d’autres sources indique le caractère
probablement biaisé des données de la carte de presse
(Bastin, 2016 : 10).

Une profession fondamentalement


hétérogène
Néanmoins, ces enquêtes statistiques fournissent une
photographie précise de la population des journalistes détenteurs de
la carte de presse, et permettent d’objectiver six grandes
caractéristiques sociodémographiques.

Une croissance rapide des effectifs


Le premier trait saillant concerne l’attractivité de la profession,
mesurable par les variations du nombre de journalistes disposant de
la carte de presse, laquelle doit être renouvelée tous les ans auprès
de la CCIJP. Leur nombre a ainsi connu une croissance fulgurante :
ils sont passés de 9 187 en 1962 à 21 749 en 1985, pour atteindre
35 047 en 2017. Cette hausse s’est poursuivie jusqu’au milieu des
années 2000, avant un léger recul ces dernières années. Cette
décrue résulte pour beaucoup du recul des effectifs masculins,
tandis que le nombre de femmes journalistes reste stable.

Une féminisation de la profession


La deuxième caractéristique réside ainsi dans la féminisation de
la profession, laquelle est longtemps restée un bastion masculin.
Amorcé dans les années 1960, ce processus de féminisation
s’observe aujourd’hui dans les rangs des journalistes les plus jeunes
(les moins de 30 ans), dont les effectifs ont atteint la parité. Là
encore, la progression a été importante et reflète, plus largement,
l’entrée des femmes dans les professions intellectuelles. En 1964,
les femmes ayant la carte de presse représentaient 13,8 % de
l’ensemble des journalistes. Vingt ans après, elles formaient le quart
des effectifs, puis le tiers en 1990, et jusqu’à 45 % en 2010 et 47 %
en 2017.

Une féminisation en trompe-l’œil


La hausse du taux de féminisation des journalistes suit une
courbe analogue à celle observée dans l’ensemble des
professions intellectuelles : enseignants, chercheurs,
documentalistes, bibliothécaires, etc. De marginales dans
les années soixante, les femmes journalistes se sont
imposées dans toutes les rédactions (presse, radio,
télévision, web) après l’augmentation rapide de leurs
effectifs dans les années quatre-vingt. Depuis 30 ans,
quoique plus lente, leur progression dans la profession
demeure bien réelle.
Cette arrivée progressive des femmes dans le journalisme
reste à certains égards un trompe-l’œil. Bien que plus
diplômées dans les formations les plus réputées, elles
exercent dans les médias et les spécialités les moins prisés,
et sont plus nombreuses dans les postes précaires de
pigistes ou d’encadrement intermédiaire. Elles sont souvent
tenues de concilier activité professionnelle et vie familiale
dans des rédactions hyperconcurrentielles et chronophages
en temps travaillé. Les générations futures devront crever le
plafond de verre pour atteindre les directions des médias les
plus attractifs et influents.
■ Pour en savoir plus : Damian-Gaillard B. et Saitta E.,
« Féminisation du journalisme : encore un effort pour la
parité et l’égalité ! », La Revue des médias, 6 mars 2019.

Des journalistes de plus en plus diplômés


L’élévation du niveau de diplôme des journalistes constitue le
troisième trait remarquable. Longtemps considéré comme un métier
que l’on pouvait exercer « sur le tas » et sans diplôme spécifique, le
journalisme, au contraire des idées préconçues, requiert un lourd
bagage scolaire. La « course au diplôme » (Lafarge, 2019) et aux
établissements les plus réputés n’a cessé de croître au fur et à
mesure de la massification de l’enseignement supérieur, qui a connu
deux bonds : le premier dans les années soixante, le second dans
les années quatre-vingt. Dès 1964, un quart des journalistes
détenteurs de la carte de presse avaient obtenu un diplôme de
l’enseignement supérieur, le plus souvent dans les cursus de lettres
et de droit. 6 % des diplômés étaient formés à l’École supérieure de
journalisme de Lille (ESJ Lille) ou au Centre de formation des
journalistes (CFJ) de Paris, qui étaient à cette date les deux seules
formations « reconnues » par la profession – c’est-à-dire agrées par
la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes
(CPNEJ). En l’espace de vingt ans, la progression a été rapide.
En 1983, plus de 65 % des journalistes possédaient un diplôme
d’études supérieures, faisant toujours la part belle aux lettres et au
droit comme filières privilégiées d’accès aux métiers du journalisme.
En raison du nombre accru de formations reconnues (alors au
nombre de six), la part de leurs diplômés a progressé
mécaniquement, se haussant à 10 % des effectifs.
Cette augmentation du capital scolaire (en structure et en
volume) s’observe aujourd’hui, de façon encore plus nette, lorsque
l’on compare trois cohortes de journalistes ayant obtenu leur
première carte de presse respectivement en 1998, 2008 et 2013
(Bouron et al., 2017). Cette enquête longitudinale permet,
notamment, de mesurer l’évolution de la part des diplômés en
journalisme (toutes formations confondues) à l’entrée de la
profession. Premier constat : depuis quinze ans, être diplômé d’une
formation en journalisme est devenu la règle pour les moins de
trente ans. Leur part s’établit autour de 80 % de cette classe d’âge.
En outre, le niveau de diplôme de formation générale le plus élevé
atteint par ces trois cohortes augmente au fil du temps. En 2013, la
moitié des nouveaux titulaires de la carte de presse sont dotés d’un
diplôme de niveau licence ou master et plus, qu’ils émanent d’une
formation spécialisée en journalisme ou d’une autre filière
universitaire.
Ensuite, les cursus de formation générale privilégiés
majoritairement par les diplômés en journalisme de la cohorte 2013
reflètent une nouvelle hiérarchie scolaire : des disciplines récentes
se classent désormais en tête (les sciences de l’information et la
communication) devant les anciens cursus (histoire, lettres, droit),
tandis que les instituts d’études politiques (IEP) se hissent en
troisième position.
Enfin, les résultats de l’enquête longitudinale montrent combien
la formation initiale s’est généralisée et diversifiée, alors que la
formation continue a régressé entre 1998 et 2013. Dans la formation
initiale, la part des formations universitaires non agréées par la
profession et des IEP a progressé sur la même période. La
proportion des diplômés des formations reconnues demeure stable :
elle représente un tiers de l’ensemble des effectifs pour les trois
cohortes 1998, 2008 et 2013.
Répartition en % des diplômés en journalisme
par type de formation parmi les nouveaux titulaires de la carte
de presse en 1998, 2008 et 2013
(Source : CCIJP/IFP ; Bouron et al., 2017.)

Type de formation/Année 1998 2008 2013


Formations reconnues par la profession 34,6 % 34,4 % 33,5 %

Écoles non reconnues 20,4 % 22,4 % 23,4 %

Formations universitaires et IEP non reconnus 6,8 % 9,1 % 19,6 %

Formations en alternance non reconnues 12 % 14,5 % 10,5 %

Formations continues non reconnues 23,6 % 16,3 % 9,4 %

Diplômes étrangers non reconnus 2,6 % 3,3 % 3,6 %

Total 100 % 100 % 100 %

Les formations reconnues les plus sélectives recrutent en


priorité des diplômés de haut niveau : 44 % des recrues avaient
atteint le niveau bac +3 et 51,5 % d’entre elles le grade de master.
Les formations non reconnues, quant à elles, puisent leurs effectifs
dans le vivier tout à la fois des bacheliers, des titulaires d’une licence
ou d’une première année de master, et, dans une bien moindre
mesure, parmi les détenteurs d’un master 2 ou plus.
Des conditions et des secteurs d’emploi
hétérogènes
Le quatrième grand trait de ce portrait sociodémographique tient
à l’hétérogénéité des conditions d’emploi et d’exercice au sein des
métiers du journalisme. La profession se divise, d’abord, entre les
journalistes permanents salariés des entreprises de presse (où ils
bénéficient des avantages sociaux associés) et les journalistes
pigistes, qui exercent souvent leur activité dans un cadre précaire.
Certes, le statut de pigiste a longtemps constitué un passage
transitoire et temporaire entre deux embauches. Cependant, une
fraction importante des journalistes font des « carrières » de pigistes
(jusqu’à 19 067 en 2017, selon les données de la caisse de retraite
Audiens), ou exercent sous des statuts incompatibles avec la carte
de presse et dont on ne peut estimer le nombre : autoentrepreneurs,
intermittents du spectacle, auteurs (Agessa), correspondants locaux
de presse, ou encore rédacteurs d’information pour les pure players.

La montée de la précarité : l’indicateur de la pige


Les journalistes pigistes bénéficient du statut de journaliste
professionnel et de ses avantages (loi Cressard du 4 juillet
1974, insérée à l’article L.7112-1 du Code du travail). La
pige n’est en rien un statut dérogatoire au droit du travail
mais un mode de rémunération à la tâche (par exemple, en
nombre de feuillets dans la presse ou en durée d’antenne
dans l’audiovisuel). En 2019, autour de 20 % des
journalistes détenant la carte de presse sont pigistes (une
proportion restée quasi stable depuis vingt ans).
Ce statut est devenu emblématique de la montée de la
précarité dans la profession, car s’il permet de collaborer à
plusieurs médias, les tarifs appliqués n’ont pas été
revalorisés depuis une vingtaine d’années. L’Observatoire
des métiers de la presse remarque que ce statut est devenu
majoritaire dans la phase d’insertion professionnelle des
jeunes journalistes, et qu’il concerne prioritairement les
femmes.

Le second facteur de différenciation réside dans les médias


d’exercice. En effet, les spécificités intrinsèques des supports et des
entreprises de presse engendrent de fortes différences entre les
journalistes. Le paysage médiatique français se divise en segments
sectoriels (Marchetti et Ruellan, 2001), en fonction des supports
(presse, radio, télévision, numérique), de la périodicité (du
pluriquotidien des médias numériques et audiovisuels à la multitude
des périodicités de la presse), des contenus (presse généraliste ou
spécialisée, radios et télévisions généralistes ou thématiques), ou
encore de la couverture géographique des médias (radios et
télévisions locales, hebdomadaires départementaux, quotidiens
régionaux, grands médias nationaux ou internationaux, etc.).
Ces divisions sectorielles modulent fortement la pratique
quotidienne du journalisme, mais aussi le déroulement des carrières.
Les parcours professionnels les plus stables s’effectuent
prioritairement dans les secteurs faisant office de bassin d’emploi
(presse spécialisée, agences de presse, radios grand public), ou
dans ceux constitués en niches de marché (presse d’opinion, web
spécialisé). À l’inverse, les carrières les plus chaotiques s’observent
dans les secteurs fragilisés par les crises successives ou dans les
branches structurées par une précarité chronique, sinon
institutionnalisée.
Quels sont alors les secteurs dans lesquels les nouveaux
détenteurs de la carte de presse débutent au milieu des
années 2010 ? La presse écrite demeure le premier secteur
d’exercice, suivie de la télévision, du web, de la radio et, enfin, des
agences de presse. Les diplômés de formations en journalisme
composent les bataillons les plus importants dans l’audiovisuel
(36 % de la cohorte 2013), ainsi que dans les rédactions web, alors
que leur part régresse fortement dans la presse écrite (passant de
66 % pour la cohorte 1998 à 40 % pour la cohorte 2013). Ils
intègrent davantage les médias nationaux (30 % de la cohorte 2013)
que les médias internationaux, régionaux ou locaux, en majorité
dans l’audiovisuel et le web. Enfin, ce sont eux qui occupent
principalement les emplois de journaliste reporter d’image (JRI).

Une concentration géographique


Le cinquième et dernier trait caractéristique de cet univers
professionnel concerne la concentration géographique des
entreprises et des grands groupes de presse, implantés
majoritairement en Île-de-France. Les groupes de presse
spécialisée, les grands médias audiovisuels publics et privés, ainsi
que la presse nationale quotidienne et hebdomadaire sont
massivement domiciliés à Paris et dans les Hauts-de-Seine. De fait,
les journalistes débutants (cohorte 2013) y résident majoritairement.
En somme, la profession se caractérise par la forte
hétérogénéité de ses profils et de ses pratiques, que masquent la
singularité du statut de « journaliste professionnel » (instauré par la
loi de mars 1935) et l’importance de son rôle politique et social. Une
singularité et une importance consacrées, entre autres, par la
« clause de conscience ». Des lignes de fracture se font jour lorsque
l’on s’approche au plus près des carrières des journalistes.
L’apparente cohésion de la profession éclate alors en morceaux.
Femmes ou hommes, diplômés d’études prestigieuses ou formés
« sur le tas », employés au « desk » (bureau) ou en reportage sur le
terrain, en Île-de-France ou en régions, dans un grand média
national réputé ou en presse spécialisée de niche, manageurs d’une
rédaction ou pigistes précaires, les journalistes offrent le portrait
d’une profession fragmentée et en perpétuelle transformation.

Bibliographie
• Bastin G., « L’approche morphologique des mondes de
l’information : modèles et données pour l’analyse séquentielle
de la personnalité des journalistes », Recherches en
communication, n° 43, 2016, p. 5-26.
• Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF Audiovisuel,
Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism, Université Paris-
Panthéon-Assas, 2017.
• CCIJP, Enquête statistique et sociologique. Liste des titulaires de
la carte professionnelle au 1er juillet 1966, Paris, 1967.
• « Les journalistes, étude statistique et sociologique », Dossiers
du Céreq, n° 9, juin 1974.
• CCIJP, 50 ans de carte professionnelle : profil de la profession.
Enquête socio-professionnelle, Paris, 1986.
• Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Marhuenda J.-P.,
Rieffel R., Les journalistes français en 1990. Radiographie d’une
profession, Paris, La Documentation française, 1991.
• Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Rieffel R., Les
journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours,
Paris, Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2001.
• Lafarge G., Les diplômés du journalisme. Sociologie générale de
destins singuliers, Rennes, PUR, 2019.
• Le Bohec J., Les mythes professionnels des journalistes, Paris,
Éditions L’Harmattan, 2000.
• Marchetti D. et Ruellan D., Devenir journalistes. Sociologie de
l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation
française, 2001.

1. L’Observatoire des métiers de la presse et l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel


fournissent en accès libre quantité de ressources sur la profession. URL : https://metiers-
presse.org/ ; http://www.cpnef-av.fr/cpnef-audiovisuel/l-observatoire-des-metiers.
Chapitre 2
2 Devenir journaliste :
de la formation à l’insertion
dans les mondes de l’information

Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier

R
ouletabille, Tintin, Ric Hochet, Jeannette Poilu, mais aussi
Superman, Spider-Man, etc. : les héros journalistes peuplent
la fiction, notamment dans la bande dessinée et au cinéma,
où ils campent le rôle de l’enquêteur aventureux, auxiliaire de la
vérité et de la justice, à la découverte de tous les mondes sociaux,
des plus fortunés aux plus démunis (Ruellan, 2007 ; Pinson et
Lévrier, 2021). De nos jours, le journalisme reste un métier
vocationnel, qui nourrit bien des croyances et des passions, associé
à des figures et des fonctions idéalisées : des premiers muckrakers
(« remueurs de boue ») au journalisme d’investigation, du
« quatrième pouvoir » au porte-voix des invisibles, des grands
reporters aux journalistes vedettes.
Les candidats à la profession désireux de se renseigner
peuvent trouver sur le site web de l’Office national d’information sur
les enseignements et les professions (ONISEP) la description
suivante : « JRI (journaliste-reporter d’images), web rédacteur,
présentateur radio ou TV… Le métier de journaliste recouvre des
réalités très diverses. Mais, quel que soit le média (papier ou web),
cette profession exigeante reste difficile d’accès. »1 Cette description
liminaire rappelle deux constats solidement établis par l’histoire et la
sociologie du journalisme. D’une part, la dénomination de
« journaliste professionnel », inscrite dans le Code du travail
(article L. 7111-3), masque l’extrême hétérogénéité de la profession,
où coexistent une grande diversité de métiers et d’activités, mais
aussi de conditions d’emploi et de revenu. D’autre part, l’insertion
professionnelle dans les mondes de l’information ressemble à bien
des égards à un « parcours du combattant » (Devillard, 2002). Un
chiffre permet de mesurer à quel point les carrières en journalisme
sont « exigeantes » et précaires : parmi les détenteurs de la carte de
presse, la durée moyenne des carrières est estimée à quinze ans
(Leteinturier, 2016 : 28).
Pour les aspirants, les vocations professionnelles et les images
d’Épinal se heurtent ainsi très tôt au principe de réalité, à savoir les
conditions et les épreuves qui jalonnent et façonnent les parcours
dans les métiers du journalisme. Dès lors, comment s’opèrent et
s’articulent la formation et l’insertion des candidats à la profession ?
Comment l’offre de formations se structure-t-elle ? Quels choix
d’orientation sont-ils privilégiés ? Le diplôme est-il une condition
nécessaire et suffisante pour devenir journaliste ? Quelles sont les
conditions d’entrée et d’accomplissement dans les marchés du
travail journalistique ? Quelles tendances sectorielles ou
structurelles orientent, sinon déterminent, les parcours individuels et
collectifs ?

La « course aux diplômes »


Formellement, l’exercice des métiers du journalisme n’est pas
conditionné à la détention d’un diplôme spécifique. Dans les faits, les
candidats à la profession sont de plus en plus diplômés, et se
recrutent de plus en plus parmi les lauréats des formations
spécialisées en journalisme. Cet accroissement du capital scolaire
(en volume et en structure) est établi par une enquête longitudinale
auprès de trois cohortes de nouveaux titulaires de la carte de presse
(1998, 2008, 2013), c’est-à-dire des individus ayant obtenu pour la
première fois la carte de presse, à partir d’une analyse statistique
des dossiers de la Commission de la carte d’identité des journalistes
professionnels (CCIJP), instance paritaire habilitée à octroyer la
carte de presse. Selon cette enquête (Bouron et al., 2017), la
proportion de nouveaux titulaires de la carte de presse diplômés
d’une formation en journalisme est passée de 44,4 % en 1998 à
63,1 % en 2013. C’est dire que la formation constitue un passage de
plus en plus obligé, et une ressource de plus en plus stratégique,
pour faire carrière. Et ce, dans un contexte de contraction de l’emploi
dans les métiers du journalisme et, en particulier, de crise
structurelle de la presse écrite.

Densification et hiérarchisation
de l’espace des formations
Comment l’offre de formations se structure-t-elle pour les
aspirants ? Les recherches en la matière renseignent sur les
transformations de l’espace des formations en journalisme au cours
des dernières décennies (Marchetti, 2003 ; Lafarge et Marchetti,
2011 ; Chupin, 2014, 2018 ; Lafarge, 2019). D’une part, l’on constate
une dynamique d’expansion. En 2017, l’Observatoire des métiers de
l’audiovisuel recensait sur son site web jusqu’à 87 formations, aux
statuts et aux parcours hétérogènes2 : formations publiques ou
privées, reconnues ou non par l’État, agréées ou non par la
profession, plus ou moins sélectives dans leur recrutement, et dont
les niveaux de diplôme sont plus ou moins élevés. Cette
diversification de l’offre de formations va de pair avec une
intensification de la concurrence entre les établissements. Les
écoles et les formations privées se multiplient, tandis que les
universités ouvrent des cursus spécialisés, notamment dans le
sillage des sciences de l’information et de la communication, et que
se développent les apprentissages en formation continue, pour
attirer des candidats de plus en plus nombreux. D’autre part, les
formations en journalisme sont gagnées par des processus de
professionnalisation. Les contenus et les modalités de
l’apprentissage sont prioritairement orientés vers l’acquisition de
savoir-faire techniques et professionnels, dans une interdépendance
de plus en plus étroite avec les éditeurs de presse. Il s’agit non
seulement de s’adapter aux besoins spécifiques des marchés du
travail, et notamment à leurs divisions fonctionnelles (presse écrite,
radio, télévision, web) et thématiques (des rubriques des médias
généralistes à la presse spécialisée), mais aussi de répondre aux
attentes des employeurs, lesquels sont désireux de disposer de
recrues aussitôt « opérationnelles ».
Enfin et surtout, l’espace des formations en journalisme se
caractérise par « une hiérarchie structurale durable, existant à la fois
dans les faits et les esprits des étudiants » (Lafarge, 2019 : 11).
Cette hiérarchie, indissociablement matérielle et symbolique, oppose
le cercle étroit des formations « reconnues » par la profession, c’est-
à-dire agrées par la Commission paritaire nationale pour l’emploi des
journalistes (CPNEJ), composée de représentants des éditeurs de
presse et des syndicats de journalistes, au vaste ensemble des
formations qui ne peuvent se prévaloir de cette labellisation. Les
formations reconnues, dont le modèle emprunte pour partie aux
grandes écoles et qui incarnent une forme d’excellence
professionnelle, sont passées de huit en 1997 à quatorze
aujourd’hui. Le recrutement très sélectif de ces établissements et,
partant, l’homogénéité sociale de leurs recrues en font, de façon
plus ou moins accusée, des instances de reproduction des
catégories sociales privilégiées (Lafarge, 2019).
Dans ces conditions, la période de formation revêt les formes
d’une « course au diplôme » (Lafarge, 2019 : 13-14) pour intégrer
les établissements les plus réputés, et maximiser ainsi ses chances
d’insertion professionnelle et d’accès aux postes les plus convoités.
Contraction et précarisation de l’emploi dans les métiers du
journalisme, hiérarchisation et même dualité de l’espace des
formations en journalisme, élévation du bagage scolaire et –
corrélativement – des origines sociales des étudiants recrutés dans
les formations labellisées, ou encore effet significatif du diplôme sur
les chances d’insertion et d’accomplissement dans la profession :
autant de facteurs conjugués qui viennent exacerber la concurrence
sur le marché scolaire.

Des stratégies ajustées au marché scolaire


Dès lors, comment les candidats à la profession se
représentent-ils l’espace des formations en journalisme, et quelles
orientations y privilégient-ils ? Les récits de parcours collectés
auprès de 48 diplômés de formations en journalisme (toutes
formations confondues) permettent d’établir à quel point ils ont
intériorisé les structures et les contraintes objectives du marché
scolaire, ainsi que les critères d’évaluation à l’aune desquels ils
opèrent leurs choix de formation (Bouron et al., 2017). Ces
diplômés, dans leur grande majorité, déclarent une nette prédilection
pour les formations reconnues par la profession. Elles sont
désignées comme « la voie royale » pour se placer « en haut de la
liste » et faire carrière, en particulier pour celles et ceux qui
souhaitent travailler dans les « grands » médias nationaux. La solide
réputation de ces formations accroît leur force d’attraction, et les
constitue comme le centre de gravité à partir duquel se définissent le
marché scolaire et les choix d’orientation. Si les formations
labellisées sont à ce point valorisées et convoitées, c’est surtout en
raison de leur forte proximité avec les professionnels et les
employeurs. Elles comptent une proportion élevée d’intervenants
professionnels, recrutés en vertu de leur expérience et, pour
certains, de leur notoriété. Elles fournissent de même un accès
préférentiel aux stages et aux contrats, sur la période mais aussi à la
sortie des études. Elles sont ainsi un lieu privilégié pour se constituer
un « réseau » professionnel (ou un « carnet d’adresses », selon
l’expression consacrée), dont la valeur réside dans la densité et la
qualité des interconnaissances. Ce capital social est pourvoyeur de
modèles d’identification et, surtout, d’opportunités et de débouchés
professionnels.
C’est pourquoi les candidats à la profession ne lésinent pas sur
les moyens pour intégrer l’une ou l’autre des formations reconnues.
Cela passe en général par une préparation précoce et intensive aux
concours d’admission3 (lesquels sont vécus comme un rite de
passage), éventuellement par le biais de classes préparatoires
privées et, comme telles, coûteuses. Nombre d’aspirants accumulent
les cursus et les titres scolaires, notamment dans les filières
d’excellence, à l’instar des classes préparatoires ou des instituts
d’études politiques (IEP). Au surplus, ou à défaut, ils se construisent
une expérience – amateur, associative ou professionnelle – dans les
mondes de l’information.
Les candidats auxquels font défaut les ressources scolaires et
sociales nécessaires, et de plus en plus élevées, pour franchir « les
portes fermées du journalisme » (Lafarge et Marchetti, 2011),
peuvent choisir d’autres voies, à la faveur de la densification de
l’offre de formations en journalisme. La majorité d’entre eux se
dirigent vers des établissements privés, moins sélectifs scolairement
mais souvent onéreux. Leur choix peut être motivé par la recherche
du bon « dosage » entre la théorie et la pratique, sinon par la
préférence pour les pédagogies « concrètes » qui privilégient un
apprentissage technique – en adéquation, nous l’avons vu, avec les
attentes des employeurs. C’est également le cas des étudiants qui
optent pour des formations en alternance, à mi-chemin entre les
mondes académique et professionnel. D’autres aspirants se tournent
vers les formations universitaires, en licence professionnelle ou en
master spécialisé, c’est-à-dire au pôle le plus théorique et
généraliste de l’espace des formations. Ils sont ainsi tentés de
blâmer l’« élitisme » des formations reconnues, voire le
« formatage » qu’elles exercent sur les apprentis journalistes. À
l’opposé, ils peuvent valoriser les apports des apprentissages
théoriques, au sens où ceux-ci favoriseraient la réflexivité critique
sur le journalisme, mais aussi un goût et une aisance pour les
genres innovants, à l’instar du journalisme participatif.
Les épreuves de l’insertion professionnelle
On peut être tenté de se représenter l’insertion professionnelle
comme un passage linéaire de la formation à la profession, et du
statut d’étudiant à celui de professionnel de plein droit et de plein
exercice ; et ce, au sein d’un « marché » du travail où s’opérerait de
façon transparente la rencontre entre l’« offre » et la « demande » de
travail, selon le degré d’« employabilité » des candidats à l’emploi.
Or, cette représentation idéalisée ne résiste pas à l’analyse : elle
masque les réalités et les difficultés de l’insertion dans les marchés
de l’emploi journalistique. En l’occurrence, l’insertion professionnelle
correspond bien plutôt à une épreuve, dont les règles sont dictées
par les intérêts des employeurs et les méthodes de recrutement et
de management au sein des entreprises de presse, mais aussi par
les logiques et les cycles macroéconomiques et technologiques.

Franchir les « sas d’entrée »


Les aspirants aux métiers du journalisme se destinent à un
secteur d’activité en proie, ces dernières décennies, à une crise
économique et à de fortes incertitudes. Ils se confrontent ainsi à une
aggravation des difficultés d’insertion et à une précarisation des
conditions d’emploi (Marchetti et Ruellan, 2001 ; Accardo et al.,
2007 ; Frisque et al., 2011 ; Chupin, 2014 ; Leteinturier, 2016 ;
Bouron et al., 2017). Les emplois instables se multiplient, sous des
statuts toujours plus hétérogènes : salarié en contrat à durée
déterminée (CDD), pigiste (ponctuel ou « permanent »), mais aussi
autoentrepreneur, rémunération en droits d’auteur, embauche sous
le régime des intermittents du spectacle, ou encore correspondant
local pour la presse écrite, rédacteur d’information pour les pure
players. Concrètement, les nouvelles recrues accumulent les stages,
les piges, les CDD, plusieurs mois ou années durant, parmi un
« vivier » de journalistes débutants. Ces « périodes de mise à
l’épreuve » (Marchetti et Ruellan, 2001 : 107) se sont banalisées et
même institutionnalisées, pour devenir un mode de gestion des
effectifs. Ces « sas d’entrée », au cours desquels sont éprouvées la
compétence, la motivation et la disponibilité des candidats à la
profession, se sont accrus en volume et en durée, notamment sous
l’effet des récessions successives.
Cette dégradation des conditions d’insertion s’observe
nettement parmi les trois cohortes de nouveaux titulaires de la carte
de presse, dont les profils et les parcours professionnels ont été
analysés et comparés en 1998, 2008 et 2013 (Bouron et al., 2017).
Certes, beaucoup finissent par accéder à un emploi stable, après
une phase d’insertion souvent sinueuse. Néanmoins, l’obtention d’un
contrat à durée indéterminée (CDI) devient plus difficile et incertaine,
au profit des emplois instables (voir le graphique ci-dessous). Au
moment de la première titularisation auprès de la CCIJP, la
proportion de CDI chute ainsi de 31,4 % en 1998 à 21,6 % en 2013
parmi les diplômés en journalisme ; dans le même intervalle, la
proportion de CDD progresse de 30 % à 38 %. Cette situation se
perpétue et même s’accentue 36 mois après l’obtention de la
première carte de presse : l’on dénombre à ce stade, en 1998, 40 %
de CDI, 20 % de CDD, et 25 % de pigistes parmi les diplômés en
journalisme ; en 2013, la proportion des CDI tombe à 23,6 %, celle
des CDD s’élève à 32,5 %, et celle des pigistes stagne à 22,5 % au
sein de la même population.
D’autres indicateurs viennent confirmer la précarisation des
métiers du journalisme : la « discontinuité » des carrières
s’accentue, les périodes de chômage y sont plus fréquentes, tandis
que les sorties de la profession sont plus nombreuses et plus
précoces (Leteinturier, 2016). Le nombre de titulaires de la carte de
presse, en croissance continue jusque dans les années 2010,
connaît depuis peu un léger recul. Consécutivement, le travail
journalistique hors carte de presse se banalise, sachant que celle-ci
n’est pas nécessaire pour exercer la profession. De même pour les
situations de pluriactivités : beaucoup de journalistes sont amenés à
exercer d’autres activités, à commencer par la communication ou
l’édition, en parallèle ou dans les creux de leur métier de référence,
afin de compléter leurs revenus4.
La montée de la précarité
(Source : Diplômés en journalisme : une insertion et des parcours professionnels
bouleversés depuis 2000, synthèse de Bouron et al. (2017), septembre 2017, p. 9.)5

Les secteurs et les facteurs d’insertion


Dans cette phase d’insertion, comment les diplômés en
journalisme se distribuent-ils au sein des marchés du travail
journalistique ? La presse écrite reste le premier bassin d’emploi,
même si ses effectifs ne cessent de fondre (Bouron et al., 2017). À
commencer par la presse spécialisée, secteur souvent méconnu par
les aspirants, et par la presse régionale et locale. La télévision
représente le deuxième secteur d’insertion professionnelle, à la
faveur de l’essor de l’offre télévisuelle. Le web, en pleine expansion,
s’affirme comme le troisième marché de l’emploi journalistique, loin
devant la radio et les agences de presse. Il constitue notamment une
voie d’accès aux grands médias nationaux, tout particulièrement
pour la presse quotidienne nationale (PQN) où les recrutements se
font rares.
Une enquête par questionnaire auprès de trois promotions
(1997, 2007 et 2012) de diplômés de formations reconnues
renseigne sur les facteurs décisifs dans l’obtention du premier
emploi (Bouron et al., 2017). 36 % d’entre eux témoignent de
difficultés d’insertion à l’issue de leur formation, alors même qu’ils
émanent des établissements les plus légitimes. Pour près de la
moitié des diplômés interrogés, l’embauche découle d’une
convention de stage ou d’une série de piges. Cela confirme que les
rédactions privilégient le recours à un « vivier » de journalistes
débutants tenus de faire leurs preuves. Le capital social s’impose
également comme une ressource décisive, qu’il s’agisse du réseau
de l’école (28 %), du réseau personnel (16 %), ou de l’entremise des
anciens de l’école (9,4 %). Enfin, 21 % des diplômés interrogés ont
obtenu leur premier emploi par candidature spontanée, 8,9 % en
réponse à une offre d’emploi, et 7,7 % après l’obtention d’un prix ou
d’une bourse. En toute hypothèse, les titres scolaires sont là aussi
un facteur-clé d’insertion, dans un contexte de concurrence
exacerbée pour l’accès à l’emploi. Au surplus, les formations
reconnues fournissent à leurs diplômés différents dispositifs d’aide à
l’insertion, parmi lesquels les offres de stages et de CDD, mais aussi
les « concours » destinés aux étudiants les mieux notés, c’est-à-dire
aussi les mieux dotés scolairement et socialement (Chupin, 2014).
Pour ne pas conclure, l’on esquissera, en plus des savoir-faire
techniques au cœur du travail journalistique (techniques de collecte
et d’enquête, techniques rédactionnelles, techniques
photographiques et audiovisuelles, etc.), certaines compétences
additionnelles valorisées par les nouvelles recrues. Questionnés sur
les compétences qui leur avaient manqué à la sortie de leur
formation, les mêmes diplômés insistent sur les techniques de
recherche d’emploi, pour la phase d’insertion, mais aussi sur la
maîtrise des langues étrangères et, surtout, des technologies
informatiques (logiciels, datajournalisme, connaissance du web),
pour la progression de carrière (Bouron et al., 2017). En particulier,
beaucoup de diplômés regrettent de ne pas être davantage
renseignés sur les techniques d’embauche ou sur le statut de
pigiste, pourtant très fréquent dans les métiers du journalisme :
L’apprentissage de “comment trouver un job” manque
cruellement. À l’école, on nous rappelle sans cesse que
nous sommes les meilleurs, mais arrivés sur le marché du
travail, on est juste comme les autres. Et on se retrouve
démunis : qui contacter dans les rédactions ? Le rédac
chef ? Les RH [ressources humaines] ? Les directeurs de
rédaction ? Comment attirer leur attention sur notre
mail/CV ? Quelle information mettre en avant ? Comment
relancer les gens ? Et une fois l’entretien décroché,
comment ça se passe ? À l’école, pas d’entraînement à ce
sujet. Pourtant, les entretiens dans le journalisme n’ont rien
à voir avec les entretiens dans les entreprises plus
institutionnelles ou les agences de com ! (Homme, 31 ans,
journaliste pigiste, diplômé en 2012 d’une formation
reconnue.)
Il me semble que les écoles de journalisme omettent trop
souvent de former et sensibiliser leurs étudiants à l’une des
réalités du journalisme d’aujourd’hui : la pige ou le
journalisme indépendant. Apprendre à proposer des sujets,
des synopsis de reportages, apprendre à gérer sa
comptabilité seul(e), apprendre à vendre ses sujets et ses
compétences auprès des rédactions est essentiel à mes
yeux. D’une part car une majorité d’étudiants en
journalisme ont un profil littéraire ou sciences politiques, en
tout cas peu enclins et sensibilisés au commerce et à la
vente, d’autre part car le monde du journalisme est de plus
en plus précaire et de plus en plus de jeunes journalistes
commencent, par choix ou par dépit, par de la pige ou du
journalisme indépendant. (Femme, 31 ans, journaliste
pigiste, diplômée en 2012 d’une formation reconnue.)

Bibliographie
• Accardo A., Abou G., Balbastre G., Dabitch Ch., Puerto A.,
Journalistes précaires, journalistes au quotidien, Marseille,
Agone, 2007.
• Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF Audiovisuel,
Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism, Université Paris-
Panthéon-Assas, 2017. URL : https://metiers-
presse.org/data/uploads/2017/09/rapport_insertion_et_parcours
_des_journalistes_2017.pdf
• Chupin I., « Précariser les diplômés ? Les jeunes journalistes
entre contraintes de l’emploi et ajustements tactiques »,
Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 45, n° 2,
2014, p. 103-125.
• Chupin I., Les écoles du journalisme. Les enjeux de la
scolarisation d’une profession (1899-2018), Rennes, PUR,
2018.
• Devillard V., « Les trajectoires des journalistes détenteurs de
carte de presse entre 1990 et 1998. La montée de la
précarité », Communication & langages, n° 133, 2002, p. 21-32.
• Frisque C. et Saitta E., Journalistes de la précarité. Formes
d’instabilité et modes d’adaptation (en collaboration avec Ferron
B. et Harvey N.), CRAPE/Arènes, rapport pour le DEPS,
ministère de la Culture et de la Communication, 2011.
• Lafarge G., Les diplômés du journalisme. Sociologie générale de
destins singuliers, Rennes, PUR, 2019.
• Lafarge G. et Marchetti D., « Les portes fermées du journalisme.
L’espace social des étudiants des formations “reconnues” »,
Actes de la recherche en sciences sociales, n° 189, 2011/4,
p. 72-99.
• Leteinturier Ch., « Continuité/discontinuité des carrières des
journalistes français encartés. Étude de deux cohortes de
nouveaux titulaires de la carte de presse », Recherches en
communication, n° 43, 2016, p. 27-55.
• Marchetti D. et Ruellan D. (dir.), Devenir journalistes. Sociologie
de l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation
française, 2001.
• Marchetti D., « Les ajustements du marché scolaire au marché
du travail journalistique », Hermès, n° 35, 2003/1, p. 81-89.
• Pinson G. et Lévrier A. (dir.), Presse et bande dessinée. Une
aventure sans fin, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2021.
• Ruellan D., Le journalisme ou le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.

1. Source : https://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Metier/Metiers/journaliste.
2. Source : « Que deviennent les diplômés en journalisme ? Insertion des diplômés sur le
marché du travail », CPNEF Audiovisuel, 2017. URL : http://www.cpnef-av.fr/les-
etudes/que-deviennent-les-diplomes-en-journalisme.
3. Voir, dans le présent ouvrage, la partie VIII consacrée à l’offre de formations et à la
préparation aux épreuves d’admission des formations reconnues.
4. Voir, dans le présent ouvrage, le chapitre de Cégolène Frisque sur « l’intrication
croissante » des métiers du journalisme et de la communication.
5. Rapport et synthèse en accès libre. URL : https://metiers-presse.org/insertion-parcours-
journalistes/
Chapitre 3
3 Le journalisme sous contrainte
économique

Gaël Stephan

S
i leur pouvoir de symbolisation et de représentation fait d’eux
des acteurs démocratiques majeurs, les médias
d’information n’en restent pas moins des entreprises
soucieuses de leur rentabilité. Plusieurs tendances structurelles qui
touchent le secteur, telles que les mouvements de concentration ou
la dépendance à l’égard de la publicité, y renforcent par ailleurs la
prééminence des considérations économiques.
Comme le notent plusieurs travaux sociologiques (Bourdieu,
1994 ; Actes de la recherche en sciences sociales, 2000),
l’imposition de logiques commerciales dans le secteur médiatique a
une influence directe sur la manière dont les journalistes travaillent.
La poursuites du profit – ou, à défaut, de la rentabilité – conduit en
effet les médias à réduire leurs dépenses rédactionnelles, alors que
le nombre de journalistes dans une rédaction conditionne la quantité
et la qualité des informations produites (Cagé et al., 2017). Cette
tendance se traduit par un recours croissant aux pigistes,
journalistes précaires devant « courir après la commande » et placés
dans une situation de dépendance à l’égard de leurs
commanditaires (Balbastre, 2000 ; Champagne, 2000). Elle conduit
aussi au développement du journalisme dit de desk, qui modifie les
pratiques professionnelles : pour réduire les coûts et produire plus et
plus vite, les journalistes réalisent leurs interviews au téléphone et
sont amenés à reformuler des communiqués et des dépêches plutôt
qu’à recueillir des informations par eux-mêmes sur le terrain. Les
contenus eux-mêmes sont affectés par les logiques de marché, que
révèlent les préoccupations des dirigeants de médias pour l’audimat
(Bourdieu, 1994 ; Champagne, 2000). Seront en effet privilégiés les
contenus courts et simples, dotés d’un caractère spectaculaire, au
détriment des informations « de fond ».
Ainsi, les questions relatives aux dépenses des médias, à leurs
modes de financement et à leur rentabilité apparaissent comme
incontournables pour rendre compte des contraintes économiques
qui pèsent sur la production d’information et donc sur la manière
dont l’actualité est traitée par les rédactions et présentée au public.

Les biens médiatiques : des biens publics,


d’expérience et sous tutelle
Comme le soulignent Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz
(2013), les productions médiatiques sont des « biens publics », ceci
signifiant qu’il n’y a pas de rivalité entre les acteurs souhaitant y
accéder : la consommation d’un bien médiatique par un individu ne
limite en rien la possibilité pour d’autres d’y accéder et de le
consommer. À cet égard, on distingue deux configurations. Les
« biens publics avec exclusion » correspondent aux produits dont
l’accès est conditionné à l’acquittement d’une somme (par exemple,
la télévision payante ou la presse quotidienne payante). Les « biens
publics purs » sont eux proposés gratuitement (par exemple, les
chaînes de la TNT et la radio).
La qualité de « bien d’expérience » est une deuxième
caractéristique économique pour les productions médiatiques. Par
cette expression, les économistes renvoient au fait qu’il n’est
possible de connaître la qualité de l’information qu’une fois cette
dernière consommée.
Enfin, l’information médiatique est un bien réputé « sous
tutelle ». L’expression renvoie aux situations dans lesquelles l’État
intervient sur un marché. Son intervention a ici pour finalité de
préserver le pluralisme du marché médiatique. C’est à cette fin
qu’elle prend la forme d’un cadre légal s’appliquant aux entreprises
médiatiques, ainsi que d’aides financières, directes et indirectes,
soutenant l’activité des médias, dont nous exposerons les principes
dans la dernière partie.

Structure de coûts et importance des coûts


fixes

Avant le numérique
Chaque catégorie de médias présente des dépenses
spécifiques et une structuration des coûts de production qui lui est
propre. Pour autant, comme le souligne le sociologue Jean-Marie
Charon (2014), les principaux postes de coûts sont relativement
identiques. Ils concernent les contenus, les fournitures, la
fabrication, la distribution/diffusion et la commercialisation des
médias. Les économistes Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz
(2013) mettent l’accent sur les coûts fixes extrêmement importants
qui régissent le secteur. Ils les détaillent en distinguant médias écrits
(presse quotidienne, périodiques et magazines) et médias
audiovisuels (télévision et radio).

Structure de coûts des médias écrits


Les médias écrits sont caractérisés par des coûts fixes
extrêmement importants, et l’existence d’économies d’échelle
conséquentes. Le coût unitaire de production diminue donc avec le
nombre d’exemplaires produits pour les médias écrits. L’exemple du
Figaro développé par Patrick Le Floch et Nathalie Sonnac (2013)
illustre justement ce point : ils estiment qu’en 2013, le coût du
premier exemplaire produit quotidiennement était de 350 000 €. Ces
coûts de production importants pour le premier exemplaire inscrivent
les médias écrits dans les industries de prototype. Avec
330 000 exemplaires produits en moyenne chaque jour, le coût
moyen du Figaro, c’est-à-dire le coût total de production divisé par le
nombre d’exemplaires produit, était alors de 1,42 €.
La périodicité du titre de presse a par ailleurs un effet direct sur
les stratégies de gestion des coûts de production. Dans le cas des
quotidiens, les délais de production courts encouragent la mise en
place de structures verticales (Charon, 2013) dans lesquelles les
journaux maîtrisent toutes les étapes de production du bien
médiatique, depuis la rédaction jusqu’à la distribution. Les
périodiques (hebdomadaires, mensuels, etc.), qui bénéficient d’un
temps plus important pour rédiger les articles, imprimer les
exemplaires et les faire distribuer, peuvent s’organiser sur la base
d’un modèle réticulaire, et faire appel à des sous-traitants.
L’externalisation va notamment concerner la rédaction des articles,
avec le recours à des pigistes, ou la délégation des services
d’impression à des entreprises spécialisées, en France ou à
l’international. La sous-traitance concerne aujourd’hui l’essentiel de
la chaîne de production des magazines (Le Floch et Sonnac, 2013).

Structure de coûts des médias audiovisuels


Les médias audiovisuels ont en commun avec les médias
imprimés de relever des industries de prototype en présentant
d’importants coûts fixes, comme permet de le souligner l’exemple de
la télévision sur lequel nous insisterons ici : « quel que soit le
nombre de téléspectateurs, les coûts de production restent
inchangés [et en conséquence] le coût marginal d’un téléspectateur
est nul » (Danard et Le Champion, 2005 : 34). Le premier poste de
dépense concerne la programmation, soit la sélection et l’articulation
de contenus audiovisuels, appelés à refléter l’identité de la chaîne et
les attentes de son public (Le Champion, 2018). Les chaînes
disposent de trois options, auxquelles elles peuvent recourir tout en
respectant leurs contraintes budgétaires et les dispositifs
réglementaires fixés par les pouvoirs publics : produire de nouveaux
programmes (qui pourront être revendus à d’autres chaînes en
France ou à l’étranger), acheter des programmes ou déléguer leur
production à des entreprises sous-traitantes (Sonnac et Gabszewicz,
2013).
On distingue généralement deux catégories de programmes :
les programmes de stock et les programmes de flux (Danard et
Le Champion, 2005). Les premiers sont des programmes appelés à
être diffusés à plusieurs reprises par les chaînes. La catégorie
regroupe ainsi les fictions télévisuelles, documentaires et séries
d’animation. Les programmes de flux sont conçus pour une diffusion
unique – même si Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz (2013)
notent que la multiplication des chaînes a notamment pour effet la
rediffusion de ces programmes (à l’image du talk-show « C’est mon
choix », initialement diffusé sur France 3 entre 1999 et 2004, que
Chérie 25 a rediffusé au milieu des années 2010, ou de l’émission
« Touche pas à mon poste » de D8, qui fait l’objet de rediffusions).
On compte parmi les programmes de flux les émissions de plateau
(magazines dont les talk-shows, jeux télévisés, télé-réalité), le sport,
la météo, l’information et les programmes de téléachat.

Effets du numérique sur les structures de


coûts des médias
Dans le cas de la presse écrite
On distingue traditionnellement cinq étapes dans le processus
de production de l’information dans la presse écrite : la rédaction,
l’édition, l’impression, la diffusion et la distribution. Trois de celles-ci
ont été substantiellement modifiées sous l’effet de l’informatique
connectée (Le Floch et Sonnac, 2013). La première est l’édition, qui
correspond à l’organisation des articles en vue de les proposer sur le
support papier. Avec le numérique, la publication des articles peut
être opérée directement par les journalistes, sans intervention de
l’éditeur. L’impression devient une étape superflue, la consultation
des articles passant de plus en plus par les écrans et de moins en
moins par le papier. Finalement, la distribution est affectée, avec
l’apparition d’intermédiaires nouveaux tels que Google et son service
spécialisé Google Actualités, ou encore Facebook (Rebillard, 2010).
La transition vers le numérique peut ainsi être associée à une
réduction conséquente des coûts liés à la matière première
mobilisée (le papier et l’encre), à l’impression du journal et à sa
distribution physique. À ce titre, Patrick Le Floch et Jean-Marie
Charon (2011) estiment que les économies réalisées sont de 50 % à
60 % des coûts totaux. Pour autant, ils insistent aussi sur le fait que
la distribution des contenus en ligne induit des coûts souvent éludés.
Ainsi, la dépendance à l’égard des nouveaux intermédiaires –
Google et Facebook étant les principaux pourvoyeurs de trafic pour
les sites d’information (Pignard-Cheynel, 2018) – conduit à l’adoption
de stratégies d’adaptation par les éditeurs de presse entraînant des
coûts importants (Smyrnaios et Rebillard, 2009) : création de
rédactions spécialisées dans le numérique, absorption d’acteurs
ayant une connaissance fine des stratégies éditoriales en ligne,
dépenses de search marketing (référencement appliqué au
marketing), etc.

Dans le cas de l’audiovisuel


Un élément distinctif des médias audiovisuels a disparu avec
l’essor du numérique et de la vidéo en ligne. En effet, quand les
médias écrits pouvaient fournir autant d’informations que souhaité,
en adaptant leur nombre de pages, les médias audiovisuels étaient
eux dépendants du nombre d’heures de diffusion dans la journée, ne
pouvant par nature excéder vingt-quatre. De nouveaux formats ont
émergé au cours des dernières années, laissant aux internautes-
téléspectateurs la possibilité de choisir leurs programmes, et
remettant en question l’importance jouée par la programmation.
Parmi ces nouveaux modes de consommation, on compte la
télévision de rattrapage (catch-up TV) ou encore la vidéo à la
demande (Le Champion, 2018).

Quels revenus pour les entreprises


médiatiques ?
Les médias constituent des « marchés bifaces ». Cette
expression renvoie au fait qu’ils s’adressent à deux clientèles
distinctes : le public et les annonceurs. Parce que les entreprises
médiatiques mettent en contact ces deux catégories, on se réfère
aussi à leur modèle sous l’expression d’économie de plateforme
(Sonnac et Gabszewicz, 2013). La notion d’effet de réseau croisé
désigne le fait que les annonceurs ont un intérêt d’autant plus élevé
à opérer des investissements dans un média donné que le nombre
de lecteurs/auditeurs/téléspectateurs est important. Le volume de
publicités dans les médias – régulé dans l’audiovisuel, libre dans la
presse écrite – peut dans le même temps avoir un effet incitatif ou
désincitatif à la consommation pour le public, en fonction de ses
appétences.
Si les médias privés peuvent disposer de revenus tirés de ces
deux clientèles, leur part dans leurs chiffres d’affaires varie selon les
stratégies adoptées par chacun. Ainsi, le financement des chaînes
de télévision privées de la TNT (à l’image de TF1 ou M6) repose
essentiellement sur la vente de leurs espaces publicitaires auprès
des annonceurs. Il en va de même pour les titres de presse
distribués gratuitement dans les grandes agglomérations (Métro,
20 Minutes, etc.). A contrario, quelques médias refusent toute
publicité et ne se financent que sur la base des ventes et
abonnements. C’est notamment le cas du Canard enchaîné ou du
magazine de consommateurs Que choisir ?
Les revenus tirés du public
Les recettes éditoriales de la presse
Traditionnellement, la presse a développé deux modalités
d’accès aux titres moyennant paiement : la vente au détail, en
kiosque ou maison de la presse notamment, et l’abonnement. Ce
dernier présente plusieurs avantages : il permet de stabiliser la
diffusion – limitant la coûteuse gestion des invendus – et représente
des apports en trésorerie bienvenus (Charon, 2013). Le
développement du numérique a permis le développement de
nouvelles offres payantes telles que la vente à l’article ou le
développement de stratégies de versioning proposant aux abonnés
des gammes tarifaires donnant accès à des offres plus ou moins
étoffées (accès aux archives du titre, possibilité de télécharger les
articles pour les consulter hors ligne, etc.) (Benghozi et Lyubareva,
2013 ; Sonnac et Gabszewicz, 2013).
Le lectorat des médias écrits tend cependant à s’éroder depuis
la fin des années 1970. La diffusion totale annuelle de la presse
papier (quotidiens, hebdomadaires, mensuels, etc.) est ainsi passée
de 6,6 milliards d’exemplaires en 1985 à 3,6 milliards en 2016 (Cagé
et Huet, 2021). La baisse du volume des titres mis en circulation a
évidemment un impact sur les recettes éditoriales de la presse. Le
modèle économique consistant à proposer des contenus d’actualité
moyennant paiement se heurte de plus à la culture de la gratuité qui
s’est développée depuis plusieurs décennies (Chupin et al., 2009).
Les journaux gratuits, introduits au printemps 2002 sur le marché
français exercent à ce titre une première forme de concurrence
directe. Mais c’est surtout la variété des acteurs proposant de
l’information gratuitement en ligne (blogs d’actualité, agrégateurs
d’articles et de dépêches, réseaux sociaux, etc.) qui peut influer
négativement sur la propension du public à payer pour accéder à
l’information.

L’existence d’un audiovisuel payant


Si la radio constitue un bien public pur, quelques chaînes de
télévision sont des biens publics avec exclusion, qui proposent leurs
contenus moyennant paiement, sur le modèle de Canal+, première
chaîne à péage de l’audiovisuel français. Le principe est alors que
des téléspectateurs sont disposés à payer pour accéder à des
contenus premium, présentant une certaine capacité d’attraction, à
l’image du sport ou du cinéma. L’offre de chaînes payantes est
structurée autour de plusieurs modalités, donnant lieu à des
rémunérations variables pour les chaînes concernées :
l’acquittement d’un forfait, dont le montant est fixé indépendamment
du temps de visionnage ; l’abonnement à un bouquet de chaînes
auprès de cablo-opérateurs ou de fournisseurs d’accès internet
(FAI) ; le paiement à l’acte donnant accès à un programme
spécifique (vidéo à la demande) (Le Champion, 2018).

Les ressources publicitaires


Les recettes publicitaires de la presse
La publicité est introduite en 1836 dans La Gazette d’Émile
de Girardin. Elle présente alors l’intérêt de couvrir les coûts de
production, et de vendre le journal à un prix faible, le rendant très
accessible aux lecteurs (Sonnac et Gabszewicz, 2013). C’est dans
cette perspective que l’essentiel des titres de presse, des quotidiens
aux magazines, alloue une partie de leur surface aux petites
annonces payantes et aux publicités. Comme le souligne
l’économiste Julia Cagé (2015), le recours aux recettes publicitaires
à des fins de financement des entreprises de presse fait l’objet de
deux lectures antagonistes. Des contempteurs y voient un moyen
pour les annonceurs d’exercer une pression sur les lignes
éditoriales, influençant le traitement de certains sujets. Au contraire,
certains considèrent que la publicité permet aux titres de conserver
leur indépendance et de traiter l’information de manière équilibrée et
sans compromission. Quelle que soit l’interprétation que l’on
privilégie, l’économiste insiste sur le fait que l’importance des
dépenses publicitaires dans le PIB des économies occidentales tend
à diminuer. Ceci s’explique à la fois par l’émergence de nouvelles
dépenses marketing (le marketing direct) et l’effondrement du prix
des espaces publicitaires lié à leur démultiplication, notamment
causée par l’essor du numérique. Julia Cagé note à ce titre que les
grands acteurs du web captent dorénavant la moitié du marché
publicitaire. Ceci porte un coup supplémentaire aux médias écrits,
qui voyaient déjà leurs recettes publicitaires baisser depuis de
nombreuses années, sous l’impact de la concurrence des médias
radio et télévisuels. Dans ce contexte, la part des revenus
publicitaires dans le chiffre d’affaires des journaux s’érode
sensiblement : elle est passée de 45 % en 2000 à 35 % en 2015
(Cagé, 2015).

Les recettes publicitaires de l’audiovisuel


Présentes sur les ondes radiophoniques depuis les
années 1920 (Méadel, 1992), les publicités ont été autorisées sur les
chaînes de télévision publiques à compter de 1968. Elles
représentent les principales sources de financement des chaînes
privées diffusées gratuitement, nées après la libéralisation du
secteur audiovisuel en 1982. Rémy Le Champion (2018) note que
7 millions de spots publicitaires ont été diffusés en France en 2015,
toutes chaînes confondues, représentant 40 761 heures de diffusion.
Il souligne aussi le fait que l’année suivante a marqué un
renversement sur le marché : alors que la télévision était le premier
poste pour les investissements publicitaires, le numérique prend le
pas en 2016. Au même titre que les médias écrits, la télévision subit
donc la concurrence du numérique et la chute du prix des espaces
publicitaires.

Concentration et pluralisme
À compter des années 1980, et suivant l’adoption de lois
allégeant les règles encadrant la participation au capital des
entreprises médiatiques, de grands groupes industriels ont investi
dans des titres de presse et des médias audiovisuels (Sedel, 2019).
Ces entrées au capital ont été prolongées depuis lors, et
accompagnées de logiques de concentration. Si bien que « le capital
d’un très grand nombre d’entreprises médiatiques appartient à des
groupes initialement spécialisés dans les secteurs du BTP
(Bouygues), du luxe (Arnault, Pinault), de l’armement et de
l’aéronautique (Dassault, Lagardère), du transport, de la logistique et
de l’énergie (Bolloré), de la banque et de la finance (Rothschild,
Crédit mutuel, Crédit agricole) [et] de la téléphonie (Orange,
Bouygues) » (Chupin et al., 2009 : 107-108). Ce constat, qui
concerne aussi bien les médias nationaux que régionaux, est
appuyé par Julie Sedel (2019). La sociologue montre en effet qu’une
variété de médias privés, dans la presse et l’audiovisuel, est détenue
par une petite dizaine de groupes industriels majeurs, dont l’activité
principale est généralement distincte des médias et du journalisme.
La présence de ces acteurs économiques présente un intérêt
non négligeable : ils fournissent en capitaux un secteur en manquant
cruellement. Mais elle soulève aussi deux problèmes (Chupin et al.,
2009). D’abord, l’investissement dans les médias peut être entendu
comme une ressource visant à exercer une influence sur les
pouvoirs publics et allant dans le sens de leurs intérêts industriels.
Certains groupes industriels sont ainsi pointés du doigt, car ils
intimeraient aux journalistes travaillant pour les médias dont ils sont
actionnaires de ne pas traiter des sujets les concernant en premier
lieu. Ensuite, ces acteurs peuvent chercher à maximiser les profits
tirés de l’exploitation des entreprises médiatiques, et exercer des
actions de lobbying visant à libéraliser plus encore le secteur. Une
telle action ne rencontre évidemment pas les intérêts des quelques
médias encore indépendants de ces grands groupes économiques,
et contribue à les fragiliser plus encore. Ce qui, in fine, présente une
menace pour le pluralisme des entreprises médiatiques et de
l’information.
L’État et les médias en France

Le service public audiovisuel


La notion de service public audiovisuel renvoie à la prise en
charge et au financement par la collectivité de services de
radiodiffusion et de télédiffusion, afin de répondre à un besoin
considéré comme d’intérêt général (Derieux, 2015). La loi du
29 juillet 1982 fixe les missions afférentes : fournir une information
honnête, indépendante et pluraliste, ainsi que des programmes
assurant le divertissement, l’éducation et la culture du public. Les
obligations de chaque chaîne sont définies dans leurs cahiers des
charges et dans leurs contrats d’objectifs et de moyens (COM).
La principale ressource mobilisée pour financer cette offre de
service public est la contribution à l’audiovisuel public, à laquelle
sont assujettis les foyers disposant d’au moins un téléviseur. Son
montant en 2021 est de 138 € pour la métropole, et de 88 € pour les
départements et régions d’Outre-mer. Rémy Le Champion (2018)
note à ce titre que le montant de la redevance française se situe
dans la moyenne basse en Europe. À population comparable,
l’audiovisuel est ainsi mieux doté en France qu’en Italie, mais moins
bien qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne. S’ajoute à la contribution
à l’audiovisuel public la Taxe sur les opérateurs de communications
électroniques (TOCE), créée en 2009 afin de compenser le manque
à gagner causé par la suppression de la publicité après 20 heures
sur les chaînes du groupe France Télévisions.
Deux tendances peuvent participer à affaiblir le principe du
financement indirect du service public audiovisuel par les citoyens.
La première est l’augmentation de l’offre de chaînes, qui érode le
consentement à s’acquitter de la contribution à l’audiovisuel public.
Pour certains la question se pose en effet : pourquoi participer au
financement de chaînes audiovisuelles qu’ils ne regardent ni
n’écoutent ? La seconde est le léger recul du taux d’équipement des
ménages en téléviseurs, alors que se généralisent des écrans autres
(ordinateurs, tablettes, smartphones). Des voix invitent en
conséquence à prendre en compte ces nouveaux équipements dans
la définition de la base de ménages concernés par la contribution, à
l’image des dispositifs adoptés en Allemagne.

Les aides à la presse


Aides indirectes
Les aides indirectes représentent l’essentiel des aides
économiques apportées à la presse, et désignent des dispositifs
fiscaux : le taux de TVA réduit à 2,1 % pour les titres, la déduction
fiscale pour les entreprises qui réalisent des investissements et la
réduction d’impôt pour souscription au capital des entreprises de
presse (Le Floch et Sonnac, 2013). Le montant total de ces aides
indirectes est fluctuant en fonction des modes de calcul adoptés.
Ainsi, leur montant était évalué à 266 millions en 2013, quand la
Cour des comptes arrivait quant à elle à un total de 2 milliards
d’euros !

Aides directes
Les aides directes sont accordées par l’État, et correspondent à
des lignes budgétaires définies. On y distingue trois catégories. Les
aides à la diffusion vont ainsi permettre la réduction des tarifs SNCF
pour le transport de la presse, des envois par La Poste ou encore du
portage. Les aides au pluralisme consistent en des sommes
allouées à la presse quotidienne nationale et régionale proposant
des informations générales et politiques, et ne parvenant pas à
obtenir suffisamment de revenus publicitaires (publicités et petites
annonces). Au niveau national, L’Humanité, La Croix et Libération,
comptent parmi les principaux bénéficiaires de ces aides. La
troisième catégorie est celle des aides à la modernisation. Elle a été
réformée en 2012, avec la création du Fond stratégique pour le
développement de la presse qui renvoie à trois objectifs : soutien à
la modernisation industrielle (imprimeries et systèmes
rédactionnels) ; promotion des innovations technologiques de la
presse en ligne ; financement des actions visant à élargir le lectorat
(Le Floch et Sonnac, 2013).

Une exception française ?


Des voix tendent à dénoncer les aides accordées à la presse, et
à présenter le secteur comme artificiellement maintenu en vie par ce
biais. Si le système français est particulièrement complexe, et à bien
des égards imparfaits, Julia Cagé (2015) souligne que l’essentiel des
démocraties occidentales a mis en place des systèmes d’aides, y
compris les États-Unis, pourtant libéraux. Ses calculs montrent par
ailleurs que les aides directes représentaient 13,6 % du chiffre
d’affaires de la presse quotidienne dédiée à l’information générale et
politique (PQN et PQR), et 5,3 % de l’ensemble de la presse
régionale et nationale. Si l’importance des aides doit donc être
relativisée pour le secteur des médias écrits, certains titres comme
L’Humanité en dépendent fortement. Elles représentent en effet près
d’un quart du chiffre d’affaires du quotidien, et jouent à ce titre un
rôle crucial pour son maintien.
Les entreprises médiatiques sont donc caractérisées par des
coûts fixes importants, inscrivant les médias écrits et audiovisuels
dans les industries de prototype. La production d’informations – et a
fortiori d’informations de qualité – est ainsi extrêmement coûteuse.
Les recettes éditoriales et publicitaires, dont on a relevé la fragilité,
peuvent ainsi être insuffisantes, notamment pour la presse écrite qui
subit de plein fouet l’érosion du lectorat, la concurrence des offres
gratuites et la chute des prix des espaces publicitaires. Face à ces
difficultés, l’entrée au capital de grands groupes industriels peut
représenter une opportunité. Si ceux-ci abondent effectivement les
entreprises médiatiques en capitaux, ils peuvent chercher à exercer
une influence sur la ligne éditoriale des médias, mais aussi plus
largement sur le secteur médiatique, menaçant le pluralisme de
l’information. Les mouvements de concentration initiés par ces
acteurs économiques présentent un risque analogue. L’intervention
de l’État auprès des médias, qui renvoie à la qualité de bien de
tutelle de l’information, a pour objet de maintenir le pluralisme. Ceci
passe alors par la fourniture d’une aide financière aux titres de
presse, ainsi que par la fonction assignée à l’audiovisuel public.
Nous l’avons souligné, les médias sont engagés dans une crise
liée à une concurrence croissante et à des revenus publicitaires qui
se contractent. Ce constat partagé par les professionnels du secteur
et les universitaires invite à la formulation de nouveaux modèles
économiques, qui permettraient de maintenir et d’encourager la
production d’une information riche et pluraliste. C’est par exemple
l’objet de la proposition de création du statut de « société de média à
but non lucratif » portée par l’économiste Julia Cagé (Cagé, 2015 ;
Cagé et Huet, 2021).

Bibliographie
• Actes de la recherche en sciences sociales, « Le journalisme et
l’économie », n° 131-132, 2000.
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recherche en sciences sociales, n° 131-132, 2000, p. 76-85.
• Benghozi P.-J. et Lyubareva I., « La presse française en ligne
en 2012 : modèles d’affaires et pratiques de financement »,
Culture études, n° 3, 2013, p. 1-12.
• Bourdieu P., « L’emprise du journalisme », Actes de la recherche
en sciences sociales, n° 101-102, 1994, p. 3-9.
• Cagé J., Sauver les médias : capitalisme, financement participatif
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• Cagé J., Hervé N., Viaud M.-L., L’information à tout prix, Bry sur
Marne, INA, 2017.
• Cagé J. et Huet B., L’information est un bien public : refonder la
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Actes de la recherche en sciences sociales, n° 131-132, 2000,
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• Charon J.-M., La presse quotidienne, Paris, La Découverte,
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• Charon J.-M., Les médias en France, Paris, La Découverte
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http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/service-public-de-
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L’emprise du principal moteur de recherche sur l’information en
ligne », Communication & langages, n° 160, 2009, p. 95-109.
• Sonnac N. et Gabszewicz J. J., L’industrie des médias à l’ère
numérique, Paris, Éditions La Découverte (3e éd.), 2013.
Chapitre 4
4 Le glissement des rédactions
de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande

Rémy Le Champion

L
a presse écrite subit une crise économique profonde du fait de
la transition numérique et de l’apparition de nouveaux
concurrents appelant des contenus journalistiques plus
orientés-marché, c’est-à-dire plus orientés vers la double demande
des clients (lecteurs et annonceurs) dans le but de vendre un objet
journalistique assurant au moins un équilibre des comptes de
l’entreprise de presse et, si possible, permettant de dégager des
profits. De fait, sur un marché à deux versants, cela signifie être plus
en lien avec les attentes des lecteurs mais aussi plus à l’écoute des
besoins des annonceurs, tout en étant peut-être moins axé sur
l’intérêt supérieur du public supposé être servi par la vocation
professionnelle des journalistes. David Guiraud, ancien vice-
président directeur général du groupe Le Monde, avance que :
Les journalistes considéraient que parce qu’ils avaient
écrit un article, la terre entière devait le lire. Le monopole
de la parole a été perdu par les journalistes. Les journaux
étaient dans une logique d’offre. On ne pensait qu’à soi.
Maintenant c’est “client-centric”. Maintenant on met le
lecteur au milieu de la salle de rédaction. Les journalistes
ne sont plus au-dessus, ils sont au milieu. C’est très
différent (entretien à l’Institut français de presse/IFP,
23 octobre 2012).
Cette attention plus orientée en direction du marché conduit-elle
à une modification sensible des contenus et à la façon d’aborder la
production de contenus journalistiques, voire tout simplement à la
manière de pratiquer le journalisme ? Le glissement des rédactions
de la presse écrite française vers un journalisme de la demande
aboutit-il à une plus grande subordination des rédactions à l’impératif
de marché, et à une dépossession des journalistes de leurs
prérogatives professionnelles ?

Méthodologie
Les résultats présentés ici reposent sur une enquête originale
menée à partir de 2013, laquelle interroge les rapports au marché
des journalistes et, plus précisément, des cadres de rédaction de la
presse écrite française.
Le questionnaire de l’enquête cible les cadres de rédaction
parce qu’ils sont des gestionnaires de l’information et qu’ils orientent
la production des contenus créés au sein de leur rédaction. Ils sont
aussi de bons observateurs des mouvements qui agitent le
journalisme, au premier chef dans leur propre rédaction. Par cadres
de rédaction, il faut entendre les rédacteurs en chef et leurs
éventuels adjoints, de même que les chefs de service, considérant
que, dans les grandes rédactions, ces derniers endossent des
responsabilités aussi éminentes que des rédacteurs en chef
appartenant à des rédactions de taille plus modeste.
Le périmètre de cette enquête se limite donc à la presse écrite
et à la presse en ligne françaises, ce qui présente l’avantage de
permettre d’étudier une population plus homogène, la presse écrite
regroupant 57 % des effectifs de journalistes dotés d’une carte
professionnelle en 2019, selon l’Observatoire des métiers de la
presse. L’étude s’appuie, dans un premier temps, sur les références
du MédiaSIG 2012 (MédiaSIG, 2012). Le questionnaire a été diffusé
par voie postale à 1 171 destinataires. Les retours étant relativement
réduits et par trop insuffisants pour constituer un corpus significatif,
le même questionnaire a été bientôt adressé par voie électronique
auprès d’un premier fichier de 800 cadres de rédaction fourni par le
syndicat de la presse nationale d’information professionnelle et
spécialisée, la Fédération nationale de la presse d’information
spécialisée (FNPS). Cette première vague électronique a été
complétée par un nouvel envoi composé d’un fichier de 361 cadres
de rédaction émanant du Syndicat des éditeurs de la presse
magazine (SEPM). J’ai enfin mobilisé le fichier du Syndicat de la
presse indépendante d’information en ligne (SPIIL).
Afin d’améliorer les retours de questionnaires, deux relances
sont venues s’ajouter à ce dispositif, y compris pour les références
du MédiaSIG, mais cette fois par voie électronique, pour des raisons
de praticité et de réactivité. Au total, comme indiqué dans le tableau
ci-dessous, 171 questionnaires exploitables émanant de cadre de
rédaction de la presse généraliste, de la presse spécialisée et de la
presse professionnelle ont été retournés.
Tableau 1. Nombre de réponses à l’enquête selon le type de
presse
Presse Presse
N = 171 Presse professionnelle
généraliste spécialisée
Nombre de réponses 76 (44,4 %) 65 (38 %) 30 (17,5 %)

Le questionnaire rend compte des représentations de cadres de


rédaction. Il comporte 45 questions : 20 questions ouvertes et
25 questions fermées dont 8 questions-filtre suivies de questions
ouvertes. Pour y répondre, il convient d’y consacrer environ
45 minutes. Les questionnaires ont été complétés par 38 entretiens
réalisés avec des cadres de rédaction ou des experts de la presse
écrite.
Journalisme de marché
L’expression « journalisme de marché » s’inscrit dans le
prolongement des travaux de John McManus, notamment de son
ouvrage Market-Driven Journalism (McManus, 1994, 1995). Il y
analyse les rapports au marché des rédactions américaines.
La notion de marché suppose une offre et une demande ; de
quel côté balance la rédaction ? Les rédactions peuvent en effet être
tiraillées entre la volonté de servir l’intérêt supérieur du public et la
loi du marché. Les rédactions, dans le choix des sujets, la hiérarchie
de l’information ainsi que son traitement, privilégient ce qu’elles
considèrent comme devant être porté à la connaissance des
lecteurs. En ce sens, il s’agit d’un journalisme de l’offre
(Le Champion, 2017). L’arbitrage relève des seuls journalistes et de
la rédaction en lien avec la ligne éditoriale et le contrat de lecture
voulu avec le public. Inversement, les choix peuvent être dictés par
le marché. Dans des marchés bifaces ou à double versant (Le Floch,
Sonnac, 2013), l’impératif publicitaire peut commander le choix d’un
sujet plutôt que d’un autre. Des contenus peuvent être retenus pour
accompagner une campagne publicitaire, comme une sorte de faire-
valoir ; ou encore, certains sujets se prêter à une offensive
commerciale de la part de la régie publicitaire en direction d’un
secteur d’activité particulier, lequel est susceptible d’acheter des
espaces publicitaires. Par exemple, la rédactrice en chef d’un titre de
la presse professionnelle évoque « un numéro spécial mobilier
urbain dans notre magasine X [spécialisé dans l’urbanisme et
l’aménagement] pour récolter les annonces des fabricants de
mobilier urbain » ; de même, une rédactrice en chef d’un titre de la
presse quotidienne régionale (PQR) parle « d’un traitement plus
détaillé [en amont, et a posteriori] d’événements sportifs ou culturels
organisés par le Conseil général ou des associations qui, par
ailleurs, prennent de la pub pour ces manifestations ». Mais
l’injonction est susceptible de provenir des lecteurs eux-mêmes. La
même rédactrice en chef d’un titre de la PQR justifie le choix d’un
sujet selon ce procédé : « Le passage au gasoil non routier dans le
secteur agricole : des remontées de lecteurs sur une moindre
tolérance au froid nous ont conduits à réaliser un dossier. » Les
analyses de lectorat de la part du service marketing ou du service
études y concourent. Le courrier des lecteurs et, de manière plus
contemporaine, les échanges électroniques des lecteurs avec la
rédaction sont de nature à orienter les contenus. Des dispositifs
logiciels tels que Chartbeat confèrent, en quasi-temps réel, la
hiérarchie des contenus tels que consommés sous forme numérique
ainsi que leur provenance, si bien que les journalistes se piquent au
jeu de la production d’articles qui vont être les plus attirants pour les
lecteurs.
Dans les deux cas, l’approche professionnelle peut être
qualifiée de journalisme de la demande. Les fonctions journalistiques
fondamentales sont influencées par un impératif direct en lien avec
les potentiels flux de recettes que les contenus sont en mesure de
générer, ou mieux, d’accroître.

L’oxymore « entreprise de presse »


Le cadre de l’activité économique des organisations de presse
s’effectue le plus souvent au sein d’une entreprise. D’autres formes
organisationnelles peuvent exister comme l’association, la fondation
ou la société coopérative de production (SCOP), mais le cadre
général demeure bel et bien la société.
L’entreprise de presse n’est pas une entreprise comme les
autres. Déjà, Abott Joseph Liebling (1904-1963), célèbre journaliste
américain, collaborateur régulier du New Yorker, soulignait la
contradiction entre deux objectifs : « La fonction de la presse est
d’informer mais sa vocation est de dégager des bénéfices1 » (cité
dans Grattan, 1998).
L’entreprise de presse est donc partagée, parfois écartelée,
entre deux buts différents, créant de facto une tension. Le premier
but relève de l’activité de presse et de sa mission d’informer. Cette
mission est inhérente au bon fonctionnement de l’organisation
démocratique de la société. La liberté de la presse, son
indépendance, de même que son pluralisme sont inscrits dans les
principes constitutionnels et revêtent un caractère souverain de
portée nationale en ce qu’ils sont supposés servir l’intérêt général.
Le second but relève d’une perspective microéconomique. Il s’agit,
comme pour n’importe quelle entreprise, d’intégrer une logique
mercantile. Ce principe est d’ailleurs fixé dans les articles 1832 et
1833 du Code civil, qui disposent que les sociétés sont constituées
« dans l’intérêt commun des associés » dont le but est de dégager
des profits. Dans les faits, il s’agit même, le plus souvent, de
maximiser ces profits.
Ce faisant, il existe une contradiction, voire une opposition,
entre le rôle sociétal de la presse, censée servir l’intérêt général et
donc le plus grand nombre, si ce n’est la totalité de la communauté
nationale, et le rôle de l’entreprise ayant une activité économique
comme n’importe quelle autre, qui est de servir un dividende à un
nombre restreint d’actionnaires ou d’associés. Dit autrement,
l’opposition s’exprime par l’attente différenciée de la communauté
nationale portée par un intérêt général et celle d’un petit groupe
animé par des intérêts particuliers ou privés. On se trouve devant
une alternative entre une forme de déterminisme sociétal, propre au
journalisme de l’offre, et un déterminisme économique, en lien avec
le journalisme de la demande, qui privilégie le potentiel commercial
des contenus. Le choix n’est pas dichotomique mais correspond
davantage à une diffraction. Une orientation peut cependant prendre
tendanciellement le pas sur l’autre. Ce phénomène culmine avec
l’apparition de fermes à contenus (content farms) dont le lien avec le
marché est consubstantiel (Bakker, 2011 ; Le Champion, 2012 ;
Napoli, 2016).
L’entreprise de presse s’apparente bien à un oxymore, lequel
traduit une possible « schizophrénie » entre les gestionnaires ou
« opérationnels », comptables des résultats de l’entreprise, et la
rédaction dépositaire de la mission d’informer qui est, en principe,
dégagée des considérations marchandes en vertu de
l’indépendance de la rédaction. Un dilemme ontologique pour
l’entreprise de presse. Le déterminisme économique a-t-il raison de
la mission d’informer, et le cas échéant, dans quelle mesure ? Les
rédactions connaissent une double pression du marché plus ou
moins marquée. Quelles représentations les rédactions s’en font-
elles ? Nicolas Beytout, fondateur et directeur de la rédaction du
quotidien L’Opinion, estime que : « la presse est indépendante si elle
est puissante » (entretien à l’Institut Diderot, 27 avril 2017). Une idée
partagée par Christophe Barbier, alors directeur de la rédaction de
L’Express : « on ne fait pas le même journal quand on est prospère
que quand on est en difficulté » (entretien à l’IFP, 27 janvier 2016).

La double pression des annonceurs et du


public
La prise en compte de l’impératif de marché est vécue de
manière différente selon les rédactions. Globalement, la notion de
marché et ses attendus sont intégrés dans les rédactions de
manière « relativement importante » ou « extrêmement importante »
pour 50 % des répondants (cf. graphique 1). Marie-Noelle Leboeuf,
directrice éditoriale au sein du groupe Lagardère, avance que : « les
journalistes ont pris conscience qu’ils évoluent sur un marché. C’est
une révolution » (entretien à l’IFP, 12 mai 2014). Seuls 18 %
estiment que la prise en compte du marché dans la rédaction
occupe une place « inexistante » ou « peu importante ». Les
journalistes ont majoritairement conscience des logiques de marché
dans leur activité professionnelle.
Graphique 1. La prise en compte du marché
dans les rédactions

Des différences s’expriment toutefois selon le type de presse.


La presse professionnelle est celle qui affiche la plus grande prise
en compte du marché au sein des rédactions, 57 % des répondants
estimant « relativement importante » ou « extrêmement importante »
la place de celle-ci. Elle est suivie par la presse généraliste, qui se
situe dans la moyenne avec 50 % des répondants, et enfin par la
presse spécialisée avec 47 %. Cette dernière n’affiche cependant
que 17 % des répondants se prononçant pour une place
« inexistante » ou peu « importante », puisque la réponse médiane
(« moyennement importante ») recueille un nombre élevé de
suffrages (37 %). Il en ressort, au dire des cadres de rédaction, que
la presse professionnelle est la plus encline à intégrer l’impératif de
marché dans le cadre de ses activités de production de l’information.
Les répondants de l’enquête appartenant à des petites
entreprises de presse semblent les moins sensibles à l’impératif de
marché. Ils ne sont que 44 % à estimer que la place du marché est
« relativement importante » ou « extrêmement importante » dans
leur mode de fonctionnement, contre respectivement 56 % pour les
répondants exerçant dans une entreprise de presse de taille
moyenne et 55 % pour ceux travaillant dans une grande entreprise
de presse. L’explication tient peut-être à ce que les petites
entreprises de presse opèrent sur des marchés de niche, plus aptes
à protéger la rédaction des pressions des forces de marché. En
revanche, la proportion des répondants considérant que l’impératif
de marché est « inexistant » ou « peu important » se révèle très
homogène dans toutes les entreprises de presse, avec
respectivement 18 % pour les petites et moyennes structures, et
19 % pour les grandes entreprises de presse.

La pression des annonceurs


Il est facile d’imaginer des annonceurs en position de force vis-
à-vis des entreprises de presse, surtout en période de crise, en tant
que source indispensable de recettes. Dans cette configuration, les
annonceurs seraient, en principe, en mesure d’exiger des contenus
favorables à leur marque, ou à tout le moins, appropriés ou
compatibles avec leur message publicitaire. Qu’en est-il ?
Les cadres de rédaction ne ressentent pas de manière forte la
pression des annonceurs. Néanmoins, 82 % reconnaissent
l’existence de pressions, leur intensité ou leur fréquence semblant
supportable ou gérable. Seuls 1 % des répondants se placent en
position extrême avec un score de 10 sur l’échelle proposée. Ils sont
en revanche 12 % à se placer au-dessus de la position médiane de
5. Tout en reconnaissant l’existence d’une pression des annonceurs,
ils la jugent dans l’ensemble tenable car contenue, sauf dans de
rares cas plutôt isolés. La moyenne pondérée des scores des
répondants s’élève à 2,75 sur l’échelle de 0 à 10.
Graphique 2. La pression ressentie des annonceurs
par les cadres de rédaction sur une échelle de 0 à 10

Les différences entre les types de presse (généraliste,


spécialisée ou professionnelle) n’apparaissent pas particulièrement
significatives.
En revanche, bien que la représentation de la pression des
annonceurs reste globalement modérée, le critère de la taille de
l’entreprise de presse fait apparaître des écarts plus notables. Ainsi,
plus l’entreprise de presse présente une taille importante, plus les
pressions des annonceurs se font ressentir. 8 % des réponses se
situent au-delà de la valeur médiane pour les petites entreprises de
presse, 12 % pour les entreprises de presse de taille moyenne et
jusqu’à 14 % pour les grandes entreprises de presse. L’enjeu pour
les annonceurs est peut-être plus important avec des titres de plus
grande envergure, bénéficiant d’une plus forte résonance, expliquant
de ce fait une pression accrue. Les répondants se rattachant à une
entreprise de presse de petite taille reconnaissent avec la plus forte
proportion (26 %) une pression inexistante accréditant l’idée que le
critère de taille pourrait être corrélé à la pression exercée par les
annonceurs.
Cette tendance est corroborée par l’analyse de la moyenne
pondérée des scores de notation. Celle-ci va croissant selon la taille
de l’entreprise avec une gradation sensible entre les petites
entreprises de presse et les grandes.
Tableau 2. Moyenne pondérée des scores de notation
sur l’échelle de pression des annonceurs sur les rédactions
selon la taille de l’entreprise de presse
Petite Moyenne Grande
2,40 2,79 3,17

Dans l’ensemble, la pression ressentie par les cadres de


rédaction reste tout de même modérée. La simple existence d’un
service marketing au sein de l’entreprise de presse facilite une
certaine porosité entre la rédaction et les attentes des annonceurs,
sachant que deux-tiers des entreprises répondantes hébergent un
tel service. Lorsque la rédaction travaille en lien direct avec le
service marketing, la remontée des besoins des annonceurs est
encore plus sûrement ressentie auprès de la rédaction. À ce titre,
Danielle Mc Caffrey, responsable éditoriale au sein du groupe
Prisma presse pour le titre Néon, explique que : « dans un groupe
de presse, on ne parle plus de titre mais de marque » (entretien à
l’IFP, 24 novembre 2014).
Les répondants qui travaillent avec le service marketing ou le
service études ressentent une plus forte pression des annonceurs
que ceux qui ne travaillent pas directement avec ces deux services.
16 % des cadres de rédactions qui se trouvent en lien direct avec
ces services affichent un score supérieur à la valeur médiane de 5.
Ils ne sont que 6 % dans le cas où la rédaction ne travaille pas
directement avec le service marketing ou le service études.
Cette tendance est confirmée par la moyenne pondérée des
scores de notation. La différence est ici sensible. Le fait de ne pas
travailler avec le service marketing ou le service études diminue la
pression des annonceurs ressentie au sein de la rédaction et
consacre une forme plus nette d’indépendance de la rédaction. La
moyenne pondérée des scores de notation sur l’échelle de pression
des annonceurs sur les rédactions ressort à 2,23 s’agissant des
entreprises de presse n’entretenant pas de lien direct avec le service
marketing, tandis que dans le cas inverse le score s’établit à 3,28. Si
la différence est sensible, le fait de travailler en lien avec le service
marketing ne constitue cependant pas un lien de sujétion caractérisé
pour la rédaction dans son ensemble.

La pression du public
La pression du public sur les rédactions est plus nettement
ressentie dans maintes publications. La moyenne pondérée des
scores de notation (sur une échelle de 0 à 10) s’élève à 4,44.
Certes, ce chiffre s’avère plus élevé que son équivalent concernant
la pression des annonceurs, il reste cependant inférieur à la position
médiane de 5, ce qui traduit une pression globalement encore
contenue.
La préoccupation du public pèse sur la manière de construire la
production journalistique. « Produire pour un public, c’est d’abord
produire ce qu’il attend et ce qu’on croit qu’il est prêt à entendre »
(Hocq, 1994). Kovach et Rosenstiel, quant à eux, segmentent le
public en trois catégories, trois niveaux d’implication selon leur degré
d’intérêt et d’engagement vis-à-vis d’un sujet (Kovach, Rosenstiel,
2004). Philippe Pujol, pendant dix ans journaliste à La Marseillaise et
prix Albert Londres 2014, parle de « reportage pizza » :
On donne au lecteur ce qu’on pense qu’il veut. À
Marseille, il leur faut un politique qui a l’accent, un policier
qui demande des moyens, une maman qui pleure… On
enfourne et on sert aux lecteurs. C’est une maladie qui
existe à Marseille mais aussi partout ailleurs. Que veut
l’opinion ? Et on lui donne ! (Entretien à l’IFP, 21 janvier
2015.)
La situation s’avère très variable d’une rédaction à une autre,
d’après les retours de l’enquête. L’appréciation de la pression du
public occupe toute l’étendue de l’échelle de notation comme un
reflet de la singularité des situations d’entreprises. 86 % des
répondants admettent une pression émanant du public au sein de
leur rédaction. Et 5 % jugent cette pression extrême (score de 10),
ce qui est à la fois non négligeable et cinq fois supérieur à la
pression ressentie (score de 10) émanant des annonceurs.
La pression du public est ainsi, dans l’ensemble, plus nettement
ressentie que la pression des annonceurs. Est-ce l’effet de
dispositifs de protection des rédactions à l’égard des pressions du
marché qui porteraient, pour l’essentiel, sur les possibles influences
exercées par les annonceurs plutôt que sur la pression du public ?
Ou bien une plus grande métabolisation des attentes des lecteurs au
sein des rédactions qui rendrait les journalistes plus sensibles aux
attentes précises du public ?
Graphique 3. La pression ressentie émanant du public
dans les rédactions sur une échelle de 0 à 10
Comme pour la perception de la pression des annonceurs sur
les rédactions, en croisant plusieurs critères, il est possible d’obtenir
une image plus fine. Il existe ainsi des différences sensibles d’un
type de presse à l’autre. La presse professionnelle est la moins
perméable aux pressions du public : jusque 21 % des cadres de
rédaction estiment nulle la pression du public auprès de leur
rédaction. Les journalistes restent maîtres de l’agenda journalistique.
Il s’agit là de la proportion la plus élevée parmi les trois types de
presse analysés. À l’opposé, la presse spécialisée enregistre les
plus fortes pressions ressenties émanant du public. 41 % des
répondants se placent au-dessus de la valeur médiane de 5. Et
même 7 % des cadres de rédaction jugent cette pression « très
importante » en optant pour la valeur 10. La presse généraliste se
situe dans une position intermédiaire. 35 % des répondants évaluent
la pression du public supérieure à la valeur médiane de 5, alors que
44 % l’estiment en deçà.
L’examen de la moyenne pondérée des scores de notation
rejoint ce constat. Les moyennes sont élevées comparées à celles
mesurant la représentation de la pression des annonceurs sur les
rédactions. Les différences sont nettes d’un type de presse à l’autre.
La presse spécialisée, avec une moyenne pondérée de 4,97, se
trouve proche de la valeur médiane de 5.
Tableau 3. Moyenne pondérée des scores de notation
des cadres de rédaction sur l’échelle de pression du public
auprès des rédactions, selon le type de presse
Presse Presse Presse
généraliste spécialisée professionnelle
4,24 4,97 3,82

Quant à la taille des rédactions, les cadres de rédaction des


petites entreprises de presse s’estiment les plus épargnés par la
pression du public, suivis par ceux appartenant à des rédactions de
grande taille. Les cadres qui opèrent dans des rédactions de taille
intermédiaire sont ceux qui finalement ressentent cette pression le
plus nettement. 47 % l’évaluent au-dessus de la valeur médiane, et
même 11 %, une proportion significative, accordent la valeur
extrême de 10. Ils ne sont que 40 % à se placer en deçà de la valeur
médiane.
Les cadres de rédaction officiant dans une entreprise de presse
dont le chiffre d’affaires réalisé en ligne est supérieur à 5 % sont plus
enclins à éprouver la pression du public, accréditant l’idée d’un lien
plus direct entre les journalistes et les lecteurs par voie électronique.
De fait, 41 % des répondants se situant dans ce cas estiment la
pression du public supérieure à la valeur médiane de 5, tandis que
les répondants appartenant à une entreprise de presse réalisant
moins de 5 % de son chiffre d’affaires en ligne ne sont que 23 %
dans cette même hypothèse. Ces derniers reconnaissent à 21 %
n’éprouver aucune pression de la part du public. La moyenne
pondérée des scores de notation des cadres de rédaction diffère
sensiblement. Elle s’établit à 3,23 pour les entreprises affichant un
volume d’activité très peu lié au numérique, tandis qu’elle est de
4,88 pour celles dépassant 5 % de leur chiffre d’affaires dans le
numérique. La transition numérique aurait ainsi tendance à favoriser
la pression du public sur les rédactions. Anne-Paule Quéré,
directrice du marketing déléguée au sein du groupe Lagardère,
reconnaît :
La culture du marketing éditorial est récente. Le
numérique a changé la donne, la concurrence est très forte
et le lecteur s’exprime plus facilement. Les journalistes sont
beaucoup plus confrontés à l’avis des lecteurs. Ils ne
peuvent plus les ignorer (entretien, 12 mai 2014).

Le glissement vers un journalisme de la


demande
La tension entre un journalisme de l’offre et un journalisme de la
demande s’exprime en faveur du journalisme de la demande. Au
moment de l’enquête, l’autoreprésentation des cadres de rédaction
sur leur pratique journalistique penche en effet plutôt en direction
d’un journalisme de la demande au moment de l’enquête. Sur
l’échelle bipolaire avec un point de neutralité (noté à 5), 26 %
choisissent celui-ci, équilibre ressenti, mais aussi moyen de ne pas
trancher la question pour certains des répondants. 48 % se
positionnent du côté du journalisme de la demande à des degrés
divers. Tandis que, à l’inverse, 26 % se revendiquent d’un
journalisme de l’offre.
Sans être complètement tranchée, cette répartition indique
cependant une claire orientation en faveur d’un journalisme de la
demande. D’autant que, aux extrêmes de l’échelle, sur les cotations
de 0 et 1 puis de 9 et 10, le poids pour un journalisme de l’offre très
marqué n’affiche que 3 % des réponses, alors que celui en faveur
d’un journalisme de la demande affirmé compte pour 12 % des
réponses.
Graphique 4. Le positionnement des cadres de rédaction
sur l’échelle journalisme de l’offre–journalisme de la demande

Pour mieux se figurer l’évolution de cette représentation, la


même question (Comment placez-vous votre rédaction sur l’échelle
suivante ?) a été posée avec un regard rétrospectif sur la situation
cinq ans auparavant, en 2008. Il en ressort une image plus
équilibrée et même légèrement en faveur d’un journalisme de l’offre.
La position neutre médiane (5) conserve 26 % des réponses, sans
que ce soit toujours les mêmes répondants qui effectuent ce choix.
La partie orientée journalisme de la demande ne recueille plus que
36 % des choix et celle orientée vers le journalisme de l’offre monte
à 40 %. En l’espace de cinq ans, il y a donc bien eu une bascule en
faveur d’un journalisme plus orienté-marché, ou d’un journalisme de
la demande.
Graphique 5. Le positionnement des cadres de rédaction
cinq ans auparavant sur l’échelle journalisme
de l’offre–journalisme de la demande

Les extrêmes sont moins différenciés. 6 % pour les deux


cotations extrêmes (0 et 1) du journalisme de l’offre et déjà 10 %
pour les cotations extrêmes (9 et 10) rattachées au journalisme de la
demande.
Reproduites sur un même graphique, les deux séries laissent
apparaître plus distinctement le glissement qui s’opère à cinq ans
d’intervalle. Les cadres de rédaction de la presse française se
convertissent peu à peu à un journalisme davantage orienté vers la
demande, qu’elle se matérialise par le public ou par les annonceurs,
voire une combinaison des deux. Ces responsables l’intègrent dans
leur pratique professionnelle. Il s’agit plus d’un glissement, sans que
cette évolution sur la période puisse être qualifiée de massive. Le
mouvement est cependant clairement tracé. Il s’opère tranquillement
durant cette période de cinq ans, sans rupture, plutôt dans un
continuum.
Graphique 6. Comparaison du positionnement des cadres de
rédaction
sur l’échelle journalisme de l’offre–journalisme de la demande
à cinq ans de différence (gris clair : 2013 ; gris foncé : 2008)

Le rôle social du journaliste malgré tout


préservé
Le glissement amorcé en faveur d’un journalisme davantage
orienté vers la demande induit-il une remise en cause du rôle social
du journalisme ? Les tenants du journalisme de l’offre estiment que
ce rôle est susceptible d’être affecté lorsque la rédaction se convertit
à un journalisme de la demande. De manière moins surprenante,
près de la moitié des répondants (48 %) engagés dans le
journalisme de la demande n’imagine pas que le rôle social du
journalisme soit obéré en s’inscrivant dans une logique de marché.
Le chiffre de 48 % laisse songeur quant à la capacité des cadres de
rédaction à se sentir en phase avec l’orientation marché et cette
tendance grandissante, un peu comme s’ils optaient pour le
journalisme de la demande à contrecœur, contraints par l’injonction
économique.
Tableau 4. Synthèse des réponses à la question « Selon que la
rédaction s’inscrit dans le journalisme de l’offre, le journalisme
de la demande ou en position neutre, le rôle social du
journalisme est-il affecté lorsque
la rédaction obéit à une logique de marché ? »
Oui Non
Journalisme de l’offre 61 % 39 %

Journalisme de la demande 52 % 48 %

Position neutre 69 % 31 %

Finalement, les plus critiques envers une logique de marché qui


viendrait affecter le rôle social du journalisme se trouvent dans le
groupe des répondants en position médiane. Cette position est peut-
être de nature à permettre de prendre davantage de recul pour
observer ou, au moins, imaginer les effets d’une logique de marché
sur le rôle social du journalisme, ou, simplement, ce groupe se
trouve-t-il à un point de bascule et ressent-il plus fortement
l’imminence de la perte du rôle social du journalisme. L’avis de ce
groupe est, en tout cas, tranché.
Mais alors, les journalistes se sentent-ils pour autant
dépossédés de leurs prérogatives de métier ? À quoi correspondent
ces prérogatives de métier ? Il s’agit en réalité, à gros traits, de
sélectionner ses sources, de choisir les sujets, de vérifier les
informations, de les hiérarchiser pour enfin procéder à leur
traitement. Le journaliste bâtit son arc narratif et produit une œuvre
de l’esprit originale. Lorsque des contraintes plus lourdes pèsent sur
lui, est-il en mesure de maintenir ces prérogatives dans l’intérêt
supérieur du public et dans quelle mesure ?
De manière écrasante, les journalistes exercent leur métier
dans la plénitude de leurs prérogatives sans que celles-ci ne
deviennent le muscle faible de leur pratique. Ils demeurent ainsi
maîtres de leur métier en dépit du glissement observé vers un
journalisme de la demande. Les injonctions du marché, directes ou
indirectes, sont maîtrisées. Seuls 6 % des répondants qui se sont
exprimés, estiment que leur activité est affectée par la prise en
compte croissante, au sein de la rédaction, des impératifs de
marché. C’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup, car ce chiffre
laisse à penser que la logique marchande tend à s’infiltrer dans la
mécanique de production de la rédaction. Il serait instructif
d’observer si cette proportion progresse dans le temps ou bien s’il
s’agit d’une proportion résiduelle. Cette valeur demeure cependant
modeste dans l’absolu. Les journalistes de la presse écrite française
restent souverains dans leur métier, du moins c’est ce qu’ils
déclarent.
Tableau 5. Vous sentez-vous dépossédé de vos prérogatives de
métier en raison de la montée en puissance de la prise en
compte du marché ?
Oui Non Total
6% 94 % 100 %

Le fait d’appartenir à une rédaction tournée vers le journalisme


de l’offre ou vers celui de la demande exerce-t-il une influence sur
les représentations des cadres de rédaction ayant répondu à
l’enquête ? La différence entre les deux catégories apparaît minime.
Les répondants se réclamant d’un journalisme de l’offre se montrent
les plus sûrs de la maîtrise ou de la conservation de leurs
prérogatives de métier (97 % des réponses). Les journalistes
appartenant à une rédaction pratiquant un journalisme de la
demande s’affichent dans la même tendance (95 % des réponses).
Cette différence est ténue et peut relever légitimement de la marge
d’erreur statistique.
Graphique 7. Vous sentez-vous dépossédé de vos prérogatives
journalistiques en raison de l’emprise croissante de la logique
de marché selon votre appartenance à un journalisme de l’offre,
de la demande ou bien à une position médiane ?

De manière intéressante, les répondants se situant en position


neutre, ne tranchant pas entre le journalisme de l’offre et le
journalisme de la demande, enregistrent le score le plus faible (93 %
des réponses). Ce résultat interpelle. Peut-être est-il à mettre au
compte d’une distanciation qu’implique cette position médiane ? La
crainte d’être dépossédé de ses prérogatives de métier est ressentie
de manière plus forte dans ce cas. Il reste que cette proportion
demeure malgré tout très élevée. Elle pourrait être le signe d’une
vigilance accrue d’une partie des cadres de rédaction se situant
dans cette position entre-deux. Philippe Pujol, Prix Albert Londres,
conclut :
Les deux journalismes de l’offre et de la demande
cohabitent. Depuis la crise, le journalisme de la demande a
pris le pas. Perdu pour perdu, il faut tenter quelque chose. Il
y a une demande d’un “journalisme sincère”, d’une
subjectivité honnête. Il y a un rebond. Je suis optimiste. Il y
a de la place pour ces deux qualités (entretien à l’IFP,
21 janvier 2015).
Bibliographie
• Bakker P., « New journalism 3.0–aggregation, content farms and
Huffinization. The rise of low-pay and no-pay journalism », The
Future of Journalism Conference, 2011.
• Grattan M., « Editorial Independance: An Outdated Concept? »,
Australian Journalism Monograph, n° 1, 1998.
• Hocq Ph., « L’information comme “construit social”. Les
mécanismes de production du discours journalistique »,
Médiapouvoirs, n° 35, 1994, p. 159.
• Kovach B. et Rosenstiel T., Principes du journalisme. Ce que les
journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger, Paris,
Gallimard, 2004, 380 p.
• Le Champion R., Journalisme 2.0, Paris, La Documentation
française, 2012.
• Le Floch P. et Sonnac N., Economie de la presse à l’ère
numérique, Paris, Éditions La Découverte (3e éd.), 2013.
• Le Champion R., « Journalisme de marché », dans J.-B. Legavre
et R. Rieffel (dir.), Les 100 mots des sciences de l’information et
de la communication, Paris, PUF, 2017, p. 61-62.
• McManus J., Market-Driven Journalism: Let the Citizen Beware,
Newbury Park, Sage Publications, 1994.
• McManus J., « A Market-Based Model of News Production »,
Communication Theory, vol. 5, n° 4, 1995, p. 301-338.
• MédiaSIG 2012, 37e édition, Paris, La Documentation française,
2012.
• Napoli Ph., « Understanding Our New Communications
Economy: Implications for Contemporary Journalism », dans
M. Lloyd et L. Friedland (Ed.), The Communication Crisis in
America, And How to Fix It, Palgrave Macmillan, 2016, p. 17-30.

1. Citation originale : « The function of the press is to inform but its role is to make money. »
Chapitre 5
5 L’intrication croissante des métiers
du journalisme
et de la communication

Cégolène Frisque

L
es métiers du journalisme et de la communication se sont
construits séparément, parallèlement mais avec un certain
décalage temporel, en partie en interaction, en partie en
opposition, ou au moins sur l’affirmation d’une distinction
fondamentale entre les pratiques, les valeurs et les fonctions de ces
deux professions. On a assisté, d’un côté, à une professionnalisation
progressive du journalisme à partir du XIXe siècle puis dans la
deuxième moitié du XXe siècle, reposant sur la construction de
conventions, de pratiques et de normes professionnelles,
d’instances collectives et surtout de formations, qui ont contribué à
définir les limites de cette profession floue et de ses frontières
(Ruellan, 2007), notamment avec la communication. De l’autre, la
professionnalisation des métiers de la communication est plus
récente et largement inachevée, cette notion demeurant
polysémique, avec des appellations de fonctions différenciées et peu
stabilisées, aux frontières poreuses, que ce soit au niveau des
formations ou des pratiques professionnelles (Blanchard et
Roginsky, 2020).
Qu’en est-il de la distinction entre ces deux univers
professionnels aujourd’hui, dans un contexte de numérisation et de
concurrence croissante des médias, mais aussi de contraction et de
précarisation du journalisme ? Que nous apprennent les trajectoires
des journalistes, depuis leur formation, durant leur carrière
professionnelle et jusqu’à leur sortie de la profession ? Dans quelle
mesure les formations, les carrières des acteurs et les pratiques
professionnelles dans le domaine du journalisme et de la
communication tendent-elles à se rapprocher, voire à converger ?
Telles sont les questions que l’on posera dans cette
contribution, en s’appuyant d’abord sur une enquête sur les
journalistes en situation instable ou précaire, combinant l’analyse
secondaire et le croisement de différentes sources statistiques, au-
delà de celles de la Commission de la carte d’identité des
journalistes professionnels (CCIJP) qui attribue la « carte de
presse » officielle, et la réalisation de quarante entretiens avec des
journalistes dans diverses situations d’instabilité ou de précarité
en 2010 (Frisque et Saitta, 2011). Ensuite, une réactualisation de
ces données a été effectuée en 2020-2021, à travers le suivi des
carrières des personnes rencontrées depuis 2009, et une dizaine de
nouveaux entretiens.

Des formations de plus en plus proches,


techniques et professionnalisées
C’est d’abord au niveau des formations que s’opère un
rapprochement entre le journalisme et la communication. Car les
formations dans ces deux domaines, qui se sont largement
multipliées ces vingt dernières années, sont de plus en plus souvent
développées dans les mêmes écoles, universités ou organismes
privés, comportent des éléments techniques communs, notamment
dans le domaine numérique, et reposent sur des stages ou de
l’alternance, qui permettent des circulations entre les deux secteurs.
Une proximité croissante des formations en
journalisme et en communication
Les formations en communication, de plus en plus nombreuses,
se sont progressivement rapprochées des écoles de journalisme,
certaines tendant même à mélanger les appellations. Les écoles de
journalisme demeurent un secteur bien particulier, notamment les
écoles reconnues officiellement par la profession1, qui affirment leur
différence et leur spécificité, mais certaines ont néanmoins ouvert en
leur sein des formations en communication (sur les écoles de
journalisme, voir Chupin, 2018). Si les écoles de journalisme
reconnues les plus anciennes, en région, conservent des diplômes
uniquement spécialisés en journalisme (comme à l’École supérieure
de journalisme de Lille, au Centre de formation des journalistes de
Paris, à l’École de journalisme de Grenoble…), d’autres ont
développé des formations en communication, parfois à la faveur de
leur rapprochement avec les instituts d’études politiques (IEP) ou les
universités. Ainsi, le CELSA à Neuilly-sur-Seine, décline ses masters
en deux spécialités, journalisme d’un côté et communication de
l’autre. De même l’Institut français de presse, à Paris, délivre un
master d’information et communication, avec un parcours
journalisme parmi sept proposés, les autres étant orientés vers les
médias, la communication et différentes thématiques spécifiques.
Pour sa part, l’école de journalisme de Sciences Po Paris propose, à
côté du master en journalisme, un master y associant les affaires
internationales, et un autre en management des médias et du
numérique. Dans le premier cas, la multiplication des formations
s’est orientée vers le développement de nouveaux diplômes en
journalisme plus spécialisés et en alternance (Lipani-Vaïssade,
2010)2 (par exemple la licence professionnelle Journalisme de
proximité ou de sport à Lille, le diplôme universitaire Journaliste
reporter d’images à Bordeaux) ; dans le second cas, cela est passé
par la création de diplômes en communication ou en management
des médias (peut-être surtout à Paris, où le marché des cursus en
journalisme était déjà saturé).
Dans les écoles non reconnues, qui occupent une place
croissante3, et dans les universités qui ont développé des formations
en journalisme4, la proximité avec la communication est souvent
encore plus forte, et de nombreuses formations mixent les deux.
Déjà, les départements Information et Communication dans les
instituts universitaires de technologie (IUT) comportent les deux
spécialités, ce qui tend à les associer dans la lisibilité publique des
diplômes, même si ce sont des options bien distinctes en DUT (puis
en BUT). Dans les départements universitaires d’Information et
Communication, la confusion est encore plus grande pour le public.
Et les nombreuses formations développées tant dans les universités
que dans les structures privées intègrent souvent les mots de
journalisme, de médias ou de rédaction, pour attirer les étudiants qui
rêvent du journalisme (et ont d’ailleurs parfois échoué aux concours
des écoles reconnues ou espèrent ainsi s’y préparer). Ces cursus
forment un vaste réservoir de prétendants au métier, dont seule une
très faible part accédera à des fonctions réellement journalistiques.
Dès la sortie de l’école, beaucoup renonceront assez rapidement et
s’orienteront vers les métiers de la communication5. La supériorité
symbolique des cursus en journalisme, leur prestige et leur
sélectivité aboutissent paradoxalement à en faire des « super »
écoles de communication, dans un contexte de contraction forte de
l’emploi dans ce secteur. À l’inverse, certains étudiants utilisent les
formations en communication comme voie d’accès subalterne au
journalisme. C’est paradoxalement la hiérarchisation entre les deux
spécialités qui nourrit la circulation des étudiants entre les deux.
Au final, ces différents mécanismes contribuent au
rapprochement entre les différentes filières. Les formations sont en
outre de plus en plus professionnalisées, avec des périodes de
stage ou d’alternance.
Le développement des stages et alternances,
une main-d’œuvre opportune
pour les médias
Cette multiplication des formations en journalisme et en
communication, en passant par la rédaction web, le community
management…, qui jouent souvent sur les frontières entre ces
secteurs, tant en termes de débouchés que de lieux de stages,
ouvre aux médias un large vivier de personnel employable à peu de
frais. En effet, ces derniers peuvent recruter soit des stagiaires en
journalisme qui pourront remplir des fonctions de production très
rapidement, et qui seront alors indemnisés d’une gratification de
3,90 euros de l’heure, soit 591 euros bruts par mois (pour des
stages de plus de dix semaines), soit des étudiants en alternance,
en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation sur un ou
deux ans, avec des rémunérations allant de 824 à 1 221 euros bruts
par mois (pour les 21-25 ans), avec une aide de 8 000 euros par an
(les journalistes en contrat de professionnalisation représentaient
déjà, en 2013, 6 % des nouveaux titulaires de la carte de presse :
Bouron et al., 2017).
Certains médias ou certains services en leur sein fonctionnent
en grande partie avec ce personnel temporaire à la fois qualifié et
malléable, qui espère s’insérer dans la profession. Du côté des
étudiants, un stage ou une alternance dans les médias d’information
sera plus valorisant pour leur carrière professionnelle, maintenant un
espoir de s’y insérer, ou pouvant devenir un atout dans la
communication. Pour certains médias numériques émergents, la
présence de ces jeunes est permanente et permet de remplir des
fonctions indispensables, de production de contenu, de traitement
technique numérique, ou de diffusion sur les réseaux sociaux.
Certaines rédactions fonctionnent ainsi avec un directeur manageur
et une équipe de stagiaires et alternants, dont les plus expérimentés
forment les nouveaux arrivants. C’est dans ces espaces que la
confusion entre les métiers et les tâches est la plus poussée. Et pour
les médias un peu moins attractifs auprès des jeunes, et surtout
pour les fonctions plus techniques, le recrutement pour les stages et
l’alternance peut aussi bien se faire auprès de formations en
journalisme qu’en communication, avec des niveaux d’exigence
parfois relâchés.
À l’inverse, dans les formations en journalisme spécifique et
surtout les écoles reconnues, où le suivi des étudiants est plus
poussé et les partenariats avec les médias locaux et nationaux
nombreux, les stages ou alternances sont beaucoup plus exigeants
et doivent être véritablement journalistiques. C’est d’ailleurs ce qui
contribue à mettre les médias en position de force dans le choix des
meilleurs étudiants.
Le développement des stages et de l’alternance contribue donc
à constituer une réserve de main-d’œuvre plus ou moins commune
entre les deux spécialités, sauf aux échelons les plus élevés du
journalisme, où la segmentation demeure forte. Au sein des
formations, la place croissante des outils numériques contribue aussi
à leur rapprochement.

La place croissante des techniques


numériques dans les formations
En amont, la proximité des formations en journalisme et en
communication tient aussi à la place de plus en plus importante des
techniques numériques en leur sein. Celles-ci tendent d’ailleurs à
transformer l’ensemble des pratiques journalistiques, dans tous les
médias, qu’ils soient de presse écrite, radio ou audiovisuels. Non
seulement les outils numériques structurent de plus en plus la
production de l’information, mais surtout, les logiques de diffusion,
de référencement, d’audience, de mise en visibilité sur les réseaux
sociaux orientent les modes d’écriture (Goasdoué, 2015). Déjà
auparavant, la dimension technique était essentielle dans les
formations en journalisme, mais avec le développement du
numérique, la maîtrise de ces outils est devenue prépondérante. Or,
cette dimension est commune avec les formations en
communication et aboutit donc à une convergence croissante.
Pour résumer, les formations en journalisme et en
communication tendent à se rapprocher, soit au sein des mêmes
écoles, organismes privés ou universités, soit à la faveur de la
circulation des étudiants entre les spécialités dans les stages et
alternances, tandis que le contenu des enseignements, de plus en
plus technique et tourné vers le numérique, se ressemble en partie.
Par la suite, dans leur carrière professionnelle, les journalistes
développent de plus en plus fréquemment des activités de
communication, certains d’entre eux finissant même par s’y
reconvertir.

Les activités croissantes des journalistes


dans la communication,
du complément de revenu
à la reconversion
La multi-activité des journalistes est un phénomène de plus en
plus fréquent, notamment pour ceux en situation instable ou
précaire. Cela concerne soit directement l’exercice d’activités de
communication, auprès d’entreprises ou de collectivités, souvent
mieux rémunérées, soit d’activités de nature intermédiaire, faisant un
pont entre les deux, comme dans l’édition, l’enseignement ou à
travers des activités militantes. À terme, cela peut aller jusqu’à des
processus de sortie du journalisme et de reconversion, sous
différentes formes.
La communication, un complément de
revenu fréquent et souvent nécessaire,
dans un contexte de précarisation
et d’« ubérisation »
Depuis longtemps, on sait que les journalistes sont très prisés
pour rédiger des supports de communication ou des communiqués
de presse, voire pour intégrer les cabinets des dirigeants politiques
ou des élus locaux. Mais les formes de multi-activité des journalistes
se sont diversifiées, qu’ils cherchent des compléments de revenu
pour se maintenir dans la profession, ou pour tenir le temps de s’y
insérer, ou qu’ils veuillent augmenter leurs revenus et monnayer
leurs compétences et leur prestige (sur le modèle traditionnel des
« ménages », consistant à animer des débats ou des conférences
pour des organisations publiques ou privées, souvent très bien
rémunérés).
Mais aujourd’hui, ces prestations en communication sont
devenues indispensables pour de nombreux journalistes. Dans un
contexte de contraction de la profession de journaliste
(35 020 cartes de presse attribuées en 2019 contre 37 531 en 2009,
soit une baisse de 6,7 % en dix ans), et de précarisation croissante
(Frisque et Saitta, 2011 ; Frisque, 2014), il est nécessaire, pour de
nombreux journalistes, en particulier jeunes ou en situation instable,
de compléter leurs revenus par des activités annexes, notamment
dans la communication.
Parmi le total des journalistes encartés en 2019, on compte
22,5 % de pigistes ou contrats à durée déterminée (CDD) réunis, et
3,5 % de chômeurs (respectivement plus cinq et moins un points par
rapport à 2010), mais la question du périmètre des demandeurs de
la carte de presse se pose fortement, invisibilisant ceux qui ne
l’obtiennent ou ne la demandent pas. C’est surtout parmi les
nouveaux titulaires de la carte de presse que les écarts sont
flagrants, avec près des trois quarts de journalistes en situation
instable sur les 1 757 nouvelles cartes : 48,7 % de pigistes, 23,2 %
de CDD et seulement 28,1 % de contrats à durée indéterminée
(CDI)6. Plus généralement, si l’on tient compte du fait que le nombre
de personnes qui se déclarent journalistes lors de l’enquête du
recensement de l’INSEE est beaucoup plus élevé que le nombre de
détenteurs de la carte de presse (48 500 contre 36 000 en 2009), on
peut alors percevoir les marges beaucoup plus larges de la
profession, qui intègrent des personnes dans des situations de
précarité beaucoup plus nombreuses et diversifiées que ce que
mesure la CCIJP (pigistes plus ou moins réguliers ou intermittents,
personnes en contrats aidés dans des radios, télévisions ou titres de
presse au statut associatif, correspondants locaux de presse,
personnes travaillant dans l’audiovisuel sous le statut d’intermittent
du spectacle, contributeurs à des sites internet plus ou moins
rémunérés à la prestation, en droits d’auteur, voire en places de
spectacles…). Ces situations de précarité se sont encore dégradées
avec l’usage du statut d’autoentrepreneur, souvent imposé aux
journalistes instables pour les rémunérer en factures de prestations
de service, alors que le journalisme n’entre pas dans le cadre des
activités autorisées sous ce statut, et qu’il avait même été retiré de la
liste publiée en 2008. Malgré l’illégalité de ce statut, qui fait perdre
tous leurs droits sociaux et professionnels aux pigistes et les oblige
à cotiser à 23 % de leur chiffre d’affaires, son usage s’est largement
répandu dans de nombreux secteurs, à la faveur des difficultés
économiques de la presse et des médias, induisant une forme
d’« ubérisation » de la profession, allant au-delà de la précarisation
puisqu’il ne s’agit même plus d’une relation d’emploi.
Ce sont ces situations complexes et variées que l’on a
également pu appréhender grâce au croisement de différentes
sources statistiques (et non seulement celles de la CCIJP) et,
surtout, grâce à une série de 40 entretiens auprès de journalistes
exerçant sous divers statuts instables (Frisque et Saitta, 2011 ; pour
les enjeux méthodologiques et statistiques : Frisque, 2015). Par
ailleurs, même si la part des journalistes demandeurs de la carte de
presse déclarant à la CCIJP avoir d’autres activités et la part de
leurs revenus annexes déclarés sont toutes deux très faibles, les
entretiens montrent que cette pratique semble très courante chez les
instables. En effet, la part des journalistes demandeurs de la carte
en 2009, qui déclaraient exercer d’autres activités, s’élevait à 21,7 %
chez les pigistes (hors CDD), à 26,6 % parmi les refus de carte, 3 %
chez les CDD et 6,6 % chez les demandeurs d’emploi (contre 2,5 %
chez les permanents)7. De même, une étude de l’IFP/Carism montre
que parmi les diplômés des écoles de journalisme (au sens large) de
2012, au bout de trois ans, 72 % déclarent n’avoir que le journalisme
comme secteur d’activité, soit 28 % de multi-actifs chez les jeunes
journalistes en cours d’insertion professionnelle (Bouron et al.,
2017).
Mais dans notre étude réalisée au sein du CRAPE-Arènes
en 2011 auprès de 40 journalistes instables, environ la moitié avait
au moment de l’entretien une autre activité rémunérée
(communication, édition ou autre emploi alimentaire), et les trois
quarts en avaient déjà exercé une au cours de leur carrière, et deux
tiers dans la communication seule. La contradiction entre ces deux
approches tient d’une part à la sous-déclaration des activités et
revenus annexes par les demandeurs de la carte de presse auprès
de la CCIJP (sachant que cela peut leur nuire) et, d’autre part, au fait
qu’il n’y a pas de contrôle approfondi (or, ils n’ont intérêt à le faire
que si cela leur permet d’atteindre le seuil de revenu minimal exigé,
soit un demi-SMIC). Et des collaborations ou prestations ponctuelles
dans la communication ne sont pas forcément perçues comme le fait
d’exercer dans un autre secteur d’activité. Ensuite, la population
concernée n’est pas la même, et on peut penser que les journalistes
instables encartés sont mieux intégrés et ont donc moins d’activités
annexes que les autres instables non-encartés, dont le niveau
d’insertion professionnelle et la proximité aux formes légitimes
d’exercice du métier sont en moyenne plus faibles. C’est donc aux
marges de la profession, dans le vaste halo qui entoure la sphère
centrale la plus intégrée, et qui prend des formes diverses, que la
pratique de la multi-activité est la plus importante.
Dans les entretiens, ces journalistes expliquaient que ces
travaux de communication, pour des entreprises, des organismes
publics ou des organisations associatives ou militantes, étaient
ponctuels, perçus comme des revenus complémentaires, permettant
d’ailleurs de se maintenir dans le journalisme, d’équilibrer les
revenus et tenir dans le temps (y compris pour pouvoir garder sa
carte de presse et déclarer tirer plus d’un SMIC de l’ensemble de
ses activités). Mais comme ces travaux sont mieux rémunérés que
dans la presse proprement dite – pour un temps de travail souvent
inférieur –, petit à petit, ils peuvent faire pencher la balance, et faire
passer sous le seuil de 50 % de revenus tirés du journalisme,
condition mise par la CCIJP pour l’obtention de la carte de presse.
Les activités de communication constituent donc de plus en plus
souvent un complément de revenu indispensable ou parfois un
surplus bienvenu et bien payé pour de nombreux journalistes. Mais il
existe aussi d’autres activités annexes complémentaires, qui
constituent une zone grise voire un pont entre les deux.

Des activités intermédiaires


entre journalisme et communication
Au-delà des deux secteurs d’activité clairement identifiés
comme du journalisme d’un côté, et de la communication de l’autre,
il existe de nombreuses zones grises qui opèrent en quelque sorte
comme des passages, des médiations entre les deux.
Certaines activités perçues a priori comme annexes, l’édition,
l’enseignement et le militantisme notamment, constituent des
espaces intermédiaires entre journalisme et communication. Elles
permettent non seulement de circuler de l’un à l’autre plus facilement
mais contribuent aussi à brouiller les frontières. Ainsi, certaines
activités dans l’édition s’inscrivent à la confluence de ces deux
univers et tendent à en effacer les limites. En effet, plusieurs
journalistes instables rencontrés travaillent à la fois pour des revues
et des éditeurs, notamment dans le domaine de la vie pratique et
des loisirs, avec des habitudes qui sont de part et d’autre fortement
intriquées aux enjeux commerciaux. Par exemple, un pigiste
travaillait à la fois pour des guides sur les métiers et l’orientation
édités par L’Étudiant et des revues de cet éditeur (Transfac,
Lycée Mag). Un autre s’était spécialisé dans le domaine du tourisme
pour des éditeurs de guides et pour des revues, qui sont d’ailleurs
parfois la propriété du même groupe. Par ailleurs, plusieurs
journalistes ont prolongé leur activité rédactionnelle par l’écriture
d’ouvrages, qui permettent à la fois de valoriser leur spécialisation,
d’avoir un complément de rémunération, et de compléter leur carte
de visite, dans une logique d’autopromotion qui peut parfois paraître
d’abord commerciale.
L’enseignement peut aussi constituer à la fois un complément
de revenu et un vecteur de brouillage des frontières entre
journalisme et communication. En effet, de nombreux pigistes
spécialisés enseignaient comme vacataires dans des écoles de
journalisme (non reconnues par la profession) ou de communication,
qui jouent elles-mêmes sur la porosité des limites entre ces
spécialités (pour capter des étudiants attirés par le journalisme mais
qui exerceront surtout dans la communication). Ils enseignent alors
des techniques rédactionnelles, audiovisuelles ou numériques qui se
veulent journalistiques, dans un cadre qui entretient un certain flou
sur leurs usages.
Enfin, paradoxalement, le militantisme peut parfois constituer
une transition entre journalisme et communication. En effet,
certaines personnes rencontrées se sont investies dans une
spécialisation journalistique liée à un intérêt militant, comme
l’environnement, l’écologie, la défense des droits humains, des sans-
papiers, etc. Elles ont alors travaillé dans des titres impliqués dans la
défense de cette cause ou dans des rubriques permettant
indirectement de les traiter, tout en ayant à côté des activités
militantes qui peuvent déboucher sur un travail de communication.
Quatre journalistes interrogés sont ainsi passés par des emplois de
communication pour des organismes militants comme Amnesty
International, la Fédération des associations de solidarité avec
tou·te·s les immigré·e·s (FASTI), France Nature Environnement ou la
campagne d’un candidat écologiste aux élections présidentielles. On
pourrait penser a priori que la logique militante s’oppose à la logique
commerciale, et qu’elle renforce la frontière entre journalisme et
communication, mais quand cette dernière est mise au service de la
cause défendue, alors la distinction entre les deux est moins nette.
Les activités annexes et complémentaires comme l’édition,
l’enseignement et le militantisme peuvent donc opérer des formes de
transition entre journalisme et communication. Cela peut même
parfois déboucher sur une dynamique de transition professionnelle.

Perspectives de reconversion dans la


communication et passage à l’acte
On sait aujourd’hui que la carrière des journalistes tend à se
raccourcir, et que les sorties précoces de la profession sont de plus
en plus nombreuses. Les reconversions dans la communication, qui
étaient auparavant plutôt l’exception (et perçues comme des
trahisons du métier, à l’image des journalistes devenant directeurs
de la communication d’une femme ou d’un homme politique),
deviennent plus fréquentes, et constituent souvent une perspective à
laquelle les journalistes en situation instable tendent à s’accrocher.
Dans un contexte de contraction et de précarisation de la
profession, les carrières des journalistes sont plus brèves et les
sorties de la profession plus nombreuses. Christine Leteinturier a en
effet calculé, à partir des analyses de différentes cohortes de
nouveaux titulaires de la carte d’identité des journalistes
professionnels en 1998 et 2008, que les carrières de journalistes
raccourcissent, pour se situer à une quinzaine d’années en moyenne
(Leteinturier, 2016). 40 % des nouveaux titulaires de la carte de
2008 sont sortis des fichiers de la CCIJP au bout de sept ans, alors
qu’ils n’étaient que 28 % dans ce cas dans la cohorte de 1998.
Ces sorties de la profession sont d’ailleurs l’objet d’une étude et
d’un livre de Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat (Charon et
Pigeolat, 2020, 2021), à partir d’une analyse des parcours et des
motivations de 51 journalistes ayant quitté la profession. Ils
soulignent notamment l’impossibilité d’exercer le métier rêvé ou
appris, le désenchantement par rapport aux conditions de travail
concrètes, le dégoût, voire les conflits éthiques, la charge de travail
excessive, la violence des relations, et même l’insécurité ressentie.
La lassitude et la frustration face à la précarité sont aussi
essentielles, avec les périodes de chômage, les très faibles revenus,
accentués avec la période de COVID et les confinements, et la
pression à se déclarer autoentrepreneur. Cela débouche sur une
usure, un épuisement, voire une dégradation de la santé physique et
mentale, pour retrouver des horaires et un certain équilibre.
Dans notre enquête menée auprès de 40 journalistes en
situation instable (Frisque et Saitta, 2011), beaucoup des personnes
interrogées disent envisager une reconversion, dans la
communication notamment, mais cette affirmation renvoie à des
postures subjectives très différentes. Pour la plupart, il s’agit d’une
porte de sortie que l’on se ménage en cas de problème, que l’on
laisse entrouverte en conservant des liens dans le secteur. Pour
beaucoup de journalistes instables, il s’agit ainsi non seulement d’un
complément de revenu, mais aussi d’une ouverture éventuelle,
perçue d’abord comme une diversification stabilisante mais pouvant
aussi être une voie de sortie, même si elle demeure pour le moment
virtuelle. Pour d’autres, il s’agit d’un choix concret à effectuer entre
des options réellement accessibles. Quelques aspirants journalistes
sont ainsi en train de s’engager sur cette voie, perçue comme
transitoire ou plus pérenne. Par exemple, c’est le cas d’une
personne interrogée en CDD à 80 % dans la communication d’un
organisme public, mais qui n’est pas encore sûre de parvenir à s’y
pérenniser après avoir « galéré » dans divers sites web ; d’une
personne investie dans un journalisme critique qui a accepté un
poste de communication pour un organisme de défense des
immigrés, à 50 % puis 80 %, tout en espérant revenir ensuite dans le
grand reportage comme indépendant ; d’une autre personne en train
de monter une société d’audiovisuel qui travaille pour des
entreprises tout en continuant les piges qu’elle avait auparavant.
Une autre journaliste s’est dit à un moment donné qu’elle voulait
réellement se reconvertir dans la communication ou la gestion d’un
organisme culturel, mais elle n’y a trouvé que des stages et aucun
emploi stable. Sa perspective de reconversion s’est alors éloignée et
elle a redoublé d’efforts pour retrouver des piges et contrats, tout en
militant en parallèle au sein d’un collectif de pigistes régional et en
s’intégrant à un syndicat de journalistes. Pour d’autres individus
rencontrés, la communication représente un fantasme plus ou moins
lointain, qui les aide en fait à tenir dans le journalisme. En effet,
beaucoup se disent que la reconversion est une possibilité, quand ils
seront fatigués de leur surinvestissement professionnel. Mais cela
reste le plus souvent irréel, comme un mirage dont l’image les
soutient. Enfin, seulement pour quelques-uns des journalistes les
plus imprégnés par un idéal professionnel, la communication
constitue un repoussoir, un univers dont ils cherchent à se
démarquer.
Même si au départ, les activités de communication sont
exercées comme des activités annexes, complémentaires voire
alimentaires, les dynamiques de trajectoire peuvent ensuite aboutir à
des résultats différenciés, selon les investissements relatifs des
personnes et les opportunités rencontrées. Pour certains, la
stabilisation financière que cela leur fournit leur permettra de
poursuivre dans le journalisme. Pour d’autres, l’intégration dans ce
nouveau monde professionnel, la réussite de l’expérience et l’attrait
d’un poste stable et mieux rémunéré les amèneront à bifurquer. Pour
d’autres encore, ces collaborations dans le domaine de la
communication se tariront et resteront sans suite… La situation au
temps T ne permet pas nécessairement de préjuger de la suite de la
trajectoire. Par ailleurs, il convient de distinguer analytiquement la
reconversion par le haut ou par le bas, par la promotion ou par
l’échec, choisie ou subie, même si la réalité est souvent plus
complexe que cette opposition binaire. Cela suppose d’ailleurs
d’appréhender précisément les différentes ressources des individus
et de bien discerner leurs possibilités et anticipations. La bifurcation
vers la communication prend alors des sens très différents pour les
uns et les autres. Par exemple, être « débauché » par une grande
entreprise ou une collectivité locale pour devenir attaché de presse
ou directeur de la communication, et monnayer son savoir-faire
rédactionnel pour occuper un poste à haut niveau de qualification et
de revenu, n’a pas le même sens que perdre progressivement ses
piges ou collaborations journalistiques et finir par accepter un emploi
de communication mal payé ou en contrat aidé, dans le monde
associatif.
Plus généralement, si une certaine circulation entre journalisme
et communication existait déjà, les formes de cumuls, d’allers-
retours et de conversion des compétences se sont multipliées.
Gersende Blanchard et Sandrine Roginski parlent ainsi de « va-et-
vient » de professionnels aux trajectoires sinueuses, de trajectoires
en « zigzag » (2020). Les carrières des journalistes sont de plus en
plus souvent marquées par la multi-activité, la diversification dans
des travaux complémentaires de communication, ou dans d’autres
activités connexes comme l’édition, l’enseignement ou le
militantisme, qui opèrent comme des transitions entre les deux
secteurs. Cette diversification peut permettre de se maintenir dans la
profession, mais débouche souvent aussi sur des processus de
reconversion et de sortie de la profession. Mais le rapprochement
voire l’intrication des activités de journalisme et de communication
ne se joue pas seulement dans les carrières et les circulations des
personnes entre ces secteurs, mais aussi à l’intérieur même de
ceux-ci, à travers le contenu des activités et des pratiques
professionnelles.
Des pratiques de plus en plus hybrides tant
du côté du journalisme
que de la communication
La distinction entre les pratiques professionnelles du
journalisme et de la communication est au fondement de la
construction du journalisme moderne, notamment après la Seconde
Guerre mondiale, et en réaction aux dérives de la presse d’entre-
deux-guerres. Le journalisme, tel qu’il s’est développé depuis les
années 1950-1960, repose sur des valeurs spécifiques d’objectivité,
de neutralité, de pluralisme, des formations professionnelles
distinctes, une organisation de la profession, des syndicats et des
acteurs particuliers, le tout contribuant à construire une identité
professionnelle. Un corps de pratiques a été progressivement défini,
à la fois à travers les formations professionnelles, des ouvrages
d’apprentissage, des normes intériorisées et transmises dans les
rédactions qui insistaient sur les écarts avec les techniques de
communication. Or, le rapprochement progressif entre les pratiques
professionnelles de deux secteurs tend à mettre en question cette
distinction fondamentale, d’un côté par l’intégration des codes du
journalisme par les activités de communication, de l’autre par
l’utilisation croissante des outils et techniques de la communication
dans le journalisme, et enfin à travers le rapprochement des
agences de presse et de communication.

Des activités de communication qui


emploient les codes du journalisme
Depuis déjà longtemps, la publicité et la communication
institutionnelle imitent les codes du journalisme et de l’objectivité de
l’information pour augmenter la crédibilité de leurs supports et
contenus8. Classiquement, les « publireportages » dans la presse
quotidienne régionale ou magazine prennent l’apparence voire la
typographie du titre dans lesquels ils sont publiés, pour jouer sur la
confusion des lecteurs. Et même si le terme « publireportage » est
inséré (en petits caractères), les lecteurs peu familiers avec la
presse ne savent pas qu’il s’agit d’une publicité payée. D’ailleurs, les
suppléments, qui étaient nombreux il y a quelques années dans
certains quotidiens régionaux, en fait payés par les organisations ou
institutions organisatrices des événements ou initiatrices des sujets
traités, et rédigés pour en faire la promotion, renforçaient encore
plus cette ambiguïté. Dans la presse magazine féminine, la
confusion entre rédactionnel et publicité est encore plus marquée,
quand les pages sur les produits de beauté par exemple portent
systématiquement sur les marques ayant payé de la publicité dans
le numéro.
D’un autre côté, les supports de communication des
organisations, tant du côté des entreprises que des collectivités,
prennent l’apparence de la presse d’information, ils en copient le
type de mise en page, de typographie, de style d’écriture, parfois
même de logo. En particulier, les bulletins municipaux ou les
journaux des collectivités locales tendent depuis une quinzaine
d’années à se présenter comme des supports d’information sur le
territoire et ses initiatives, en atténuant voire en faisant disparaître
leur dimension institutionnelle et politique. Le choix des sujets, la
mise en valeur des acteurs de terrain, la mise en retrait des
responsables politiques (Frisque, 2020), l’emploi de personnes
formées comme journalistes et en maîtrisant les techniques
rédactionnelles, cherchent à donner à ces supports de
communication l’apparence des titres de presse.
Dans le domaine de la photographie et de l’illustration, les
supports de communication reprennent aussi de plus en plus
souvent un style journalistique, en évitant les traditionnelles poses
figées, les sourires complaisants ou les photos de mise en scène
des élus ou des leadeurs, pour privilégier des clichés plus vivants,
dans l’action, des images des acteurs de terrain ou des activités
réalisées, ou alors des images d’illustration, sur le modèle de la
presse d’information. Dans le domaine audiovisuel, le style des
présentateurs de journaux télévisés est aussi parfois imité dans la
communication des entreprises et institutions, ou les animations
d’événements, la forme et le rythme des reportages télévisés sont
copiés dans des capsules vidéos publicitaires ou
communicationnelles.
Les activités de communication cherchent donc à reproduire ou
imiter de plus en plus les conventions rédactionnelles,
iconographiques ou audiovisuelles du journalisme, tandis que ce
dernier tend à employer les outils et techniques de la
communication.

Un journalisme qui utilise de plus en plus les


outils de la communication,
vers la « production de contenus »
indifférenciés
Les médias d’information, dans le contexte de leur transition
numérique et sous la pression du nouveau marché de l’information
numérique, désegmenté, généralisé, extrêmement rapide et
concurrentiel, emploient de manière croissante des techniques et
outils relevant de la communication. Et le rôle des journalistes est de
plus en plus de communiquer sur les informations qu’ils produisent
ou celles de leur titre, dans une logique indifférenciée de
« production de contenu ».
C’est dans les services web ou les médias nés en ligne que la
logique quantitative de production d’un flux continu de publications
est la plus forte, et induit un travail de rédaction, de sélection et
d’illustration à l’économie, notamment en reprenant quasiment sans
réécriture des nouvelles publiées ailleurs (« bâtonnage ») (Eustache,
2020). Il s’agit d’abord de sortir tout au long de la journée des sujets
qui seront diffusés sur les réseaux sociaux et devront attirer les
lecteurs et notamment des clics sur les autres pages du site et
surtout sur les annonces publicitaires. Ensuite, l’objectif est de le
faire à un cout minimal, dans un contexte de contraction et même
d’effondrement des différents marchés de la presse et des médias.
La sélection des sujets, la formulation des titres, l’insertion de liens
hypertextes vers d’autres articles, le choix d’une image attirante
(obligatoire pour la visibilité sur les réseaux sociaux), le
référencement (search engine optimisation) sont faits pour attirer le
plus d’internautes distraits, « scrollant » leur fil d’actualité et ne
regardant que rapidement les titres et images avant de passer au
suivant, pour les garder et les orienter vers d’autres pages, et surtout
pour répondre le mieux possible aux algorithmes de sélection des
réseaux sociaux, afin d’apparaître en haut des fils d’actualité. Même
si cette logique n’est poussée à l’extrême que dans certains sites
spécialisés, de nombreux journalistes ou community managers des
médias en ligne ou des services web de médias traditionnels sont
tentés par cette course à l’audience numérique.
Plus généralement, les outils numériques et la pression de
l’urgence et de la concurrence exacerbée, amènent les journalistes
des médias plus traditionnels à rentrer dans cette logique. Par
exemple, dans la presse quotidienne régionale, qui conserve
pourtant un marché, un réseau et un fonctionnement solides, le
numérique occupe une place croissante. Ainsi, à Ouest-France, c’est
le « web first » qui s’impose maintenant, les journalistes locaux
devant d’abord publier sur le web avant de rédiger leurs articles
complets pour la version papier, avec en plus l’incitation à faire de
petites vidéos avec un téléphone portable. On peut se demander si
ces nouvelles exigences ne viennent pas privilégier une logique de
communication sur les réseaux sociaux vis-à-vis des conventions du
journalisme.
En outre, au niveau des titres de presse et des grands médias,
on parle de plus en plus de « brand content » (Jamet, 2013),
d’exploitation de la marque que constitue le titre, qu’il s’agit de
mettre en valeur et de vendre. L’information produite sert de mise en
valeur de la marque média, d’outil pour capter et fidéliser une
audience, et lui vendre des produits et services accessibles sur le
site internet servant de portail aux acteurs commerciaux, internes ou
externes. Certains sites se sont ainsi mis à vendre eux-mêmes des
voyages, en utilisant leurs pages tourisme comme support de
communication.
Au niveau individuel, les journalistes, notamment les pigistes ou
ceux en situation instable au sens large, sont aussi souvent devenus
des promoteurs de leur propre production et de leur réputation. La
communication sur toutes leurs publications sur les réseaux sociaux
constitue un aspect de plus en plus important de leur travail,
condition de leur visibilité et de leurs prestations, collaborations ou
emplois futurs. Le « personnal branding » est ainsi central dans la
réussite ou la survie professionnelle des journalistes, dans un
contexte de concurrence exacerbée, de raréfaction des piges, de
réduction des tarifs, de détérioration des modes de rémunération et
des conditions de travail. Ces journalistes tendent donc à se
transformer en communicants au service de leur propre nom comme
marque.
Dans les médias numériques, on parle d’ailleurs de plus en plus
de « production de contenu » pour parler de manière indistincte de
l’information et de la communication ou de la publicité, en englobant
également le travail rédactionnel, iconographique, radio ou
audiovisuel, tous ces types de contenus étant convertis en format
numérique et accessibles à partir des mêmes sites et pages internet.
Mais c’est surtout la mise sur le même plan et la confusion entre les
contenus d’information et les contenus promotionnels qui posent
problème, ainsi que le mélange entre les contenus produits en
propre et ceux reproduits ou relayés.
Les pratiques du journalisme sont donc de plus en plus
imprégnées par les logiques de communication, que ce soit au
niveau individuel ou au niveau organisationnel des médias, jusqu’à
aboutir, dans certains discours, à une certaine indifférenciation de
ces activités. L’indistinction croissante entre les agences de presse
et de communication, qui fournissent certains contenus aux médias,
y contribue également.
Des agences de plus en plus polyvalentes
Si traditionnellement, il existait une coupure nette entre les
agences de communication, qui fournissent des contenus
promotionnels à des organisations clientes, et les agences de
presse, qui fournissent de l’information aux médias abonnés ou
clients, cette distinction s’atténue progressivement.
D’un côté, les agences de presse jouent de plus en plus un rôle
direct dans le système numérique d’information en devenant elles-
mêmes des médias et en communiquant directement avec le public
(Pigeat et Lesourd, 2014). Mais surtout, de l’autre côté, les agences
de communication, moins chères, sont employées de manière
croissante par les médias pour leur fournir du contenu rédactionnel,
photographique ou audiovisuel. C’est dans le domaine de la
photographie et de l’illustration que le phénomène est le plus ancien
et accentué. L’achat d’images à des plateformes de microstock
(Getty, Photononstop…) pour des illustrations quasiment
interchangeables est en effet considérablement moins cher que la
commande d’images à un photojournaliste ou à une agence photo
professionnelle. Même pour la production de photographies
d’actualité, plus sélectives et plus importantes pour la crédibilité des
médias, la sous-traitance à des petits indépendants via une
plateforme comme Meero, voire l’achat d’images de téléphones
portables à des témoins directs, coûte dix ou cent fois moins cher
que l’achat d’un cliché de qualité à une agence n’employant que des
professionnels. Les grandes agences photos traditionnelles
(Magnum, Gamma, Sygma, Sipa Press…) ont connu de
nombreuses difficultés, comme Gamma qui a fermé en 2009 après
son rachat par Hachette Fillipachi puis Eyedea, ou Sygma qui a
déposé le bilan en 2010, le rachat de Sipa par un industriel (Pierre
Fabre) puis par une agence allemande, tandis que Magnum s’est en
partie recentrée sur la gestion de son immense stock historique.
Dans le domaine rédactionnel, il arrive aussi que des journaux
sous-traitent certaines rubriques à des agences. Quand il s’agit
d’une agence de presse, les rédacteurs sont alors considérés
comme journalistes, puisque leur employeur relève du domaine des
médias, reconnus par la Commission paritaire des publications et
agences de presse (CPPAP), qui vérifie le respect des critères
précis des titres de presse et des agences. Mais un nombre
croissant de journaux confient ces contenus rédactionnels,
notamment dans le domaine des loisirs et modes de vie, à des
agences de communication, qui n’ont alors pas la même éthique
journalistique. Les pages tourisme, gastronomie, cuisine, mode,
beauté, etc., de nombreux journaux sont ainsi de plus en plus guidés
par des logiques promotionnelles. Elles n’ouvrent alors plus droit au
titre de journaliste à leurs collaborateurs.
Dans la presse gratuite, qui a des effectifs internes de
journalistes très restreints, cette logique de sous-traitance des
rubriques, alliée à une logique de promotion des produits des autres
sociétés du même groupe, est encore plus visible (livres d’un éditeur
du groupe chroniqués dans les pages culture, focus sur un club
sportif du même propriétaire dans les pages sport, chaîne du groupe
mise en valeur dans les pages télévision…). Le journal gratuit, en
plus des nombreuses publicités qu’il contient, parfois même une
couverture complète supplémentaire, devient alors un support de
promotion des marques du groupe auquel il appartient.
C’est donc aussi via le mélange entre agences de presse et
agences de communication que s’opère la confusion croissante
entre journalisme et communication, au niveau même des
productions et des contenus, et donc de la définition même de
l’activité de ceux qui le produisent.
Pour finir, au-delà même d’une interdépendance entre
journalisme et communication (Chupin et Nollet, 2006), d’une
attraction du premier par la seconde (Kaciaf et Nollet, 2014), d’une
porosité entre l’un et l’autre, qui supposent l’existence de deux
entités dont les frontières se brouillent, c’est à une forme d’intrication
voire de convergence entre les deux univers que l’on assiste depuis
une vingtaine d’années, à la faveur du développement des médias
numériques. Si depuis la Seconde Guerre mondiale, le modèle
majoritaire du journalisme s’était reconstruit sur la base d’une
distance et d’une opposition aux « puissances d’argent », impliquant
une distinction forte entre information et communication (en
particulier celle des pouvoirs économiques et politiques), cette
séparation tend à s’amenuiser. Certes, ce modèle n’était valable que
pour les secteurs légitimes et les plus visibles du journalisme, la
presse d’information générale et politique, et les radios et télévisions
de service public en particulier, et il laissait place à d’autres zones où
les intérêts des éditeurs, sources et annonceurs étaient plus
entremêlés (comme la presse institutionnelle, la presse féminine, la
presse agricole…), mais il demeurait dominant dans l’espace public
et incarnait la légitimité de la profession.
Petit à petit, se diffuse maintenant le modèle de la production de
contenus indifférenciés, reposant sur une intrication entre les
pratiques rédactionnelles, les activités et parcours, et en partie les
formations des professionnels du journalisme et de la
communication.

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1. Via la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes (CPNEJ) qui établit
une liste selon un cahier des charges précis, composée actuellement de quatorze
formations. Bien que très visibles, celles-ci demeurent néanmoins largement minoritaires
parmi le total des journalistes en poste (20 %, calcul personnel à partir des données de
l’Observatoire des métiers de la presse), et même parmi les jeunes journalistes, soit un
tiers des nouveaux titulaires de la carte de presse (Bouron et al., 2017).
2. Au départ, ces formations ne bénéficiaient pas de la reconnaissance de la CPNEJ, qui
labellise maintenant les formations en apprentissage de l’Institut pratique du journalisme,
du CELSA, de Sciences Po et de l’ESJ Lille. En revanche, elle ne reconnaît pas les
contrats de professionnalisation, trop souvent mono-média.
3. La part des diplômés de formations non reconnues en journalisme a fortement augmenté
parmi les nouveaux titulaires de la carte de presse, passant de 27,2 % en 1998 à 43 %
en 2013 (Bouron et al., 2017).
4. Au total, selon une étude du DEPS, on dénombrait déjà 110 formations en
communication au sens strict en 2008, qui regroupaient 41 991 étudiants (contre 26 511
en 1998, soit une progression de 58,4 % en dix ans) (Lutinier et al., 2011). Un article de
RegionsJob compte même actuellement 609 formations en école de communication
digitale et, toutes structures et tous diplômes confondus, 2 219 formations en
communication (formations référencées sur le site Diplomeo). URL :
https://www.regionsjob.com/actualites/marketing-communication-chiffres-cles.html.
5. Un quart à un tiers des diplômés des cursus reconnus ne se présentent jamais devant la
CCIJP, selon l’étude de Bouron et al. (2017). On peut penser que ce chiffre est encore
plus élevé chez les diplômés d’écoles non reconnues.
6. Calcul personnel à partir de « L’espace Data » de l’Observatoire des métiers de la
presse : « Profession journaliste : le portrait statistique ».
7. Sur l’ensemble des demandeurs de la carte de presse, 6,2 % déclaraient en 2009
exercer d’autres activités. En outre, même chez ces multi-actifs déclarés, la part des
revenus tirés de ces activités annexes est relativement faible, 24 % en 2009, et en
particulier autour de 24 % pour les CDD et les pigistes, 40 % pour les demandeurs
d’emploi et 49,5 % pour les refus de carte (le seuil de 50 % étant effectivement un motif
de refus).
8. La « réclame » classique qui cherchait ouvertement à mettre en valeur ou vanter un
produit est largement passée de mode, la mise en scène étant aujourd’hui de plus en
plus indirecte, légère, voire déniée (allant parfois jusqu’à des formes de parodie), fondée
sur l’identification et non plus l’adhésion ou la conviction.
Questions à Alexandre Joux
Maître de conférences en sciences de l’information
et de la communication, Directeur de l’École de
journalisme et de communication d’Aix-Marseille
(EJCAM)

Entretien réalisé par Valérie Devillard

Valérie Devillard — Quelles évolutions au sein des écoles


de journalisme avez-vous pu constater depuis votre
poste d’observation privilégié de directeur de
l’EJCAM ?
Alexandre Joux — Je dirige l’EJCAM depuis dix ans.
Donc, en termes d’évolution sur une dizaine d’années, ce
que je perçois en tout cas en première intention, c’est la
diversification des métiers et des pratiques possibles en
sortie d’école. Quand je suis arrivé à l’EJCAM, les jeunes
journalistes allaient travailler en PQR (presse quotidienne
régionale), voire en presse magazine, à la radio, sur le
planning de Radio France ou dans quelques radios
privées, ou à la télévision. Le web était une possibilité
pour ceux qui n’avaient pas le choix des médias
historiques. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même
chose. Quand les étudiants arrivent à l’école, ils ont
maintenant intégré des possibilités plus diverses pour
devenir journaliste, dans différents médias. Et ils ne
donnent plus nécessairement la priorité aux trois grands
médias historiques : presse, radio, télévision.
En revanche, ce noyau dur demeure le premier recruteur
de nos étudiants. Le changement concerne les manières
de faire du journalisme au sein de chacun de ces médias.
Par exemple, les manières de devenir journaliste de
télévision et de faire du journalisme de télévision ont
profondément changé. Aujourd’hui, quand on forme les
étudiants à l’image, on ne fait plus seulement de l’image
avec la caméra à l’épaule, on le fait aussi avec les
appareils photos, les smartphones, etc. Il y a une plus
grande diversité de pratiques, qui correspond à une plus
grande diversité de postes pour les étudiants. Même si, à
la fin des études, en termes de débouchés professionnels,
ils intègrent principalement des postes dans les grands
groupes d’information qui existaient déjà auparavant.
Mais, il y a vraiment une plus grande diversité de profils, y
compris en presse écrite. Dans ce secteur, il y a de plus
en plus de journalistes qui commencent à s’intéresser aux
formats longs, même si c’est un phénomène minoritaire
pour l’instant. De même pour l’image, il y a de plus en plus
d’étudiants qui souhaiteraient faire du documentaire
d’information de format long dans des sociétés de
production.

V. D. — Cette diversité, est-ce qu’on la retrouve également


lorsque vous recrutez les étudiants, en termes de
parcours plus ou moins académiques, d’expériences
professionnelles dans le journalisme, de familiarité
avec des supports ou des formats innovants, etc. ?
A. J. — C’est un peu particulier à l’EJCAM, au sens où il y
a toujours eu une politique de diversité dans le
recrutement – en tout cas, j’en ai hérité et je l’ai renforcée.
On a toujours eu des profils « atypiques ». On regarde
avant tout la curiosité et l’intérêt des candidats pour le
journalisme. On a fondamentalement une politique de
diversité, à tel point que dans le concours de recrutement,
et même dans l’examen des dossiers de candidature, on
n’a pas d’exigences en termes d’expérience journalistique
comme prérequis pour pouvoir intégrer l’école. C’est-à-
dire qu’on a, à l’écrit, des exigences sur la maîtrise du
français, sur la culture générale, et, à l’oral, sur leur réelle
motivation de devenir journaliste. En revanche, on ne leur
demande pas d’avoir déjà pratiqué la radio, les podcasts,
l’image, etc. On n’a pas ces critères-là pour sélectionner
nos étudiants et les accueillir. Donc la pratique vient
ensuite, avec les formateurs, avec les expériences
diverses et variées dans les projets auxquels les étudiants
participent, et c’est à ce moment-là que les choses se
cristallisent.
Dans l’offre de formation du master, globalement, tout ce
qui est écriture et presse web est obligatoire du début du
cursus jusqu’à sa fin en seconde année. Les étudiants
sont tous formés à ce tronc commun, et ils peuvent tous y
prétendre. En master 1, on leur donne des cours en
journalisme radio et des cours en journalisme télé.
Ensuite, en master 2, ils font un choix : ils se spécialisent
en radio ou en télévision. C’est sur la base du volontariat,
avec pour idée de préserver un certain équilibre entre les
deux groupes au sein de la promotion. Évidemment, si des
formateurs identifient en master 1 un vrai potentiel, une
voix de radio, etc., ils le disent aux étudiants. Mais on
n’impose pas aux étudiants de choisir une spécialité, on
leur laisse le temps de murir leur choix et de l’assumer
ensuite.
Donc, cette diversité-là est favorisée. On initie nos
étudiants à différents formats : au début, on faisait des
formats classiques, aujourd’hui on fait du journalisme
mobile, on a aussi fait du web documentaire, etc. Une fois
que les étudiants ont ces outils-là en main, ils s’engagent
dans des voies professionnelles pour faire des carrières
diverses et variées. À l’EJCAM, il n’y a que vingt étudiants
en formation initiale, et quelques alternants en plus depuis
cette année, globalement on est sur des petits effectifs,
c’est pour ça qu’on a cette liberté-là.

V. D. — Comment se déroule l’insertion professionnelle


des étudiants ? Se fait-elle au fur et à mesure de la
formation, ou plutôt un an, deux ans après la sortie
d’école ?
A. J. — C’est une insertion professionnelle dans la durée.
Dès le master 1, les étudiants ont une pratique
professionnelle parce qu’on a des partenariats avec
La Provence ou des cycles de conférences avec des
radios, où les étudiants sont amenés à produire des
articles et à participer à des émissions. Ils ont ces
expériences professionnelles, par petits bouts au début. Ils
sont systématiquement encadrés par un formateur ou le
partenaire et par des journalistes. Donc, ils ont ces
expériences-là, en plus des stages. Quand les étudiants
sortent de l’école, ils ont déjà un début de
professionnalisation. Parmi ceux qui font des
remplacements certains ont des CDD, il y a des contrats
pour certains dès la première année de master,
notamment en presse, d’autres vont en radio, etc.
Mais l’insertion professionnelle se fait aussi dans la durée,
en sortie d’école. Quand on observe les parcours de nos
étudiants – ça peut arriver qu’un étudiant soit aussitôt
intégré en CDI, mais c’est rarissime –, on a en sortie
d’école, pendant un ou deux ans, une succession de CDD,
quelques piges, etc. Globalement, au bout d’un an, on voit
monter le nombre d’étudiants qui disposent d’une carte de
presse, mais ce n’est pas le cas pour tous. Quelques-uns
disposent très vite de la carte de presse. Au bout d’un an,
certains arrivent à se stabiliser dans un poste de
journaliste. Mais c’est vraiment deux ans après la sortie du
master qu’on assiste à une vraie stabilisation pour la
majorité de la promotion, et que la plupart des étudiants
ont trouvé un équilibre professionnel. Certains sont
pigistes mais ce n’est pas nécessairement pour en sortir,
en tout cas dans un premier temps, ils sont entrés dans
cette logique-là. Certains sont en CDI ou en CDD, à la télé
ou à la radio, etc. C’est une insertion qui somme toute met
du temps. Donc, il y a vraiment quatre ans, deux ans de
formation et ensuite deux ans où il y a un début de
parcours professionnel, qui se construit dans la durée.

V. D. — Selon vous, la transition numérique favorise-t-elle


une évolution du marché des emplois journalistiques
vers davantage de débouchés ?
A. J. — Je suis incapable de dire si statistiquement en
France il y a plus d’emplois aujourd’hui qu’hier. Ce qui est
certain c’est que les étudiants qui sortent de l’EJCAM,
mais je parle aussi des autres masters reconnus de
journalisme, ont des avantages liés au réseau
professionnel, aux contacts. Il y a des filières qui existent,
et ceux qui veulent devenir journalistes et qui ont bien
travaillé deviennent journalistes.

V. D. — Durant la décennie que vous avez passée à la tête


de l’école, avez-vous remarqué une transformation
dans les valeurs liées aux métiers du journalisme ?
Notamment avec la transition numérique, le travail
collaboratif, les pratiques émergentes, etc. ?
A. J. — Avec les outils numériques, les étudiants arrivent
souvent avec des compétences qu’on avait peut-être
envisagé de développer chez eux. Mais il y a toujours un
besoin de canalisation des pratiques quotidiennes pour en
faire des pratiques professionnelles. Typiquement, filmer
avec un smartphone, il y en a plein qui savent le faire,
après il faut professionnaliser tout ça.
Sur les valeurs liées aux métiers du journalisme, quand on
en parle avec eux, je pense que les étudiants ont pour la
plupart une conception relativement classique. Ils rêvent
du journalisme parce qu’il y a le modèle de l’enquête,
souvent c’est Mediapart qui est cité, un pure player, mais
finalement, Mediapart c’est du journalisme plus
traditionnel, ce n’est pas révolutionnaire. De ce point de
vue là, pour moi il n’y a pas trop de changements. En
revanche, là où il y a un vrai changement, du point de vue
pédagogique, c’est sur les exigences en termes de culture
générale et de maîtrise du français, auxquelles on est très
attentif. Là, effectivement, on durcit dans les formations la
partie culture générale, la partie réflexion sur les questions
déontologiques, sur l’histoire de journalisme, sur la
sociologie du journalisme, etc. On n’a pas de savoir-faire
ou de savoir-être professionnel immédiat. Cette réflexion-
là, et la maîtrise du français, la maîtrise de la langue, la
connaissance a minima en économie, en droit, etc., est
tout ce qui fait l’honnête homme qui doit être aussi derrière
le journaliste. On l’a beaucoup renforcée. Je le défends
fortement. Il y a une nécessité d’affirmer ces
compétences-là. Dans notre concours d’admission, on a
réintroduit la dictée parce qu’on a été confronté à des
étudiants dont le niveau en français, en grammaire, en
orthographe est absolument insuffisant. En tout cas,
absolument pas suffisant pour devenir journaliste.

V. D. — Constatez-vous des évolutions dans le monde


professionnel ? Vous avez parlé, par exemple, des
partenariats avec La Provence ou avec la radio locale
et nationale. Voyez-vous des évolutions significatives
dans vos relations avec les entreprises de presse ?
A. J. — Il y a un phénomène permanent, constaté depuis
une dizaine d’années : c’est qu’il n’y a pas de régularité
des besoins, que ça soit pour les partenariats ou les
recrutements. C’est un sentiment du point de vue des
ressources humaines : les rédactions fonctionnent à court
terme. On a des appels d’air parfois à la télévision, c’est-à-
dire une année on aura énormément d’étudiants recrutés
dans les chaînes de télévision, puis l’année suivante il n’y
aura rien, et c’est peut-être la radio qui prendra le relais,
ou d’un coup on aura un appel d’air dans la PQN (presse
quotidienne nationale) ou la PQR. C’est très fluctuant, y
compris pour les partenariats. Il y a des choses
récurrentes à chaque fois : des élections régionales,
municipales, etc., des événements pour lesquels on est
sollicité par des médias nationaux, même nos étudiants
ont des partenariats pour couvrir ces actualités-là. Mais, à
part ces périodes d’élections, il y a des fluctuations très
importantes dans les demandes et les attentes de la part
des employeurs. Pour nous, du côté pédagogique, cette
absence de régularité crée des difficultés, puisqu’on ne
sait jamais trop où iront nos étudiants quand ils entrent en
master, et ça crée aussi de l’incertitude pour les étudiants.
Par exemple, alors que Radio France était le premier
recruteur en radio, d’un coup il y a eu les mesures de
restriction, alors les gens ont commencé à regarder du
côté des radios privées. Même chose avec les groupes
TF1 et France Télévisions.
Tous les recruteurs veulent trouver ce qu’on appelle « le
mouton à cinq pattes ». Mais le mouton à cinq pattes, ça
n’a jamais existé, ça n’existera jamais. Typiquement,
l’anglais est un bon exemple. Honnêtement, je pense que
99 % de nos étudiants ne travailleront jamais en langue
anglaise. Pour certains recruteurs, ce serait un impératif.
Certains étudiants deviendront peut-être correspondants à
l’international et auront besoin de parler anglais, mais ils
n’écriront pas en anglais. Je pense que les recruteurs ont
de plus en plus conscience qu’il y a aussi, de leur côté,
des difficultés de recrutement et d’identification des bons
candidats. Des représentants des ressources humaines
qui viennent dans les écoles pour présenter leurs médias
et leurs besoins aux étudiants, c’est quelque chose qui se
banalise. Ils viennent à la rencontre des étudiants, ils ne
sont pas dans une position de surplomb en attendant des
candidatures exceptionnelles.
PARTIE III
L’ÉTHIQUE DU JOURNALISME
EN PRATIQUE
Chapitre 1
1
Des pratiques journalistiques
éclatées
mais une éthique commune ?

Agnès Granchet

Les règles éthiques ci-après engagent chaque journaliste,


quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au sein de
la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle il
exerce.

P
ar cette affirmation préliminaire, le Préambule de la « Charte
d’éthique professionnelle des journalistes », adoptée par le
Syndicat national des journalistes (SNJ) le 9 mars 2011,
semble, dans une première approche, suffire à répondre à la
question posée par le titre de ce chapitre. L’éclatement des pratiques
journalistiques soulève cependant, de façon plus fondamentale, la
question de la distinction entre éthique et déontologie. La suite du
Préambule de la Charte du SNJ fait d’ailleurs référence à cette
seconde notion, en posant le principe selon lequel « il ne peut y
avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des
conditions d’exercice qu’elles nécessitent ». En employant
successivement, pour qualifier les règles qu’elle énonce, les mots
« éthiques » et « déontologiques », la Charte du SNJ est révélatrice
de la fréquente confusion faite, entre les deux termes, dans le
domaine des médias et du journalisme, où ils sont le plus souvent
employés indistinctement. Les professionnels de l’information ne
semblent pas faire de véritable différence entre l’éthique et la
déontologie. L’ouvrage du journaliste Éric Rohde traite de « l’éthique
du journalisme » (Rohde, 2020) là où, presque vingt ans plus tôt, la
journaliste et autrice Alexandrine Civard-Racinais avait publié un
livre relatif aux « principes et pratiques » de « la déontologie des
journalistes » (Civard-Racinais, 2003). Marc-François Bernier, qui fut
journaliste pendant près de 20 ans avant de devenir Professeur au
Département de communication de l’Université d’Ottawa, utilise à la
fois les deux termes dans le titre de son ouvrage, Éthique et
déontologie du journalisme (Bernier, 2014).
Cette confusion ou incertitude sémantique entre éthique et
déontologie est-elle le signe de l’hétérogénéité des principes, à la
fois théoriques et pratiques, qui sous-tendent l’exercice du métier de
journaliste ? De façon générale, l’éthique semble relever d’une
conception individuelle des règles applicables, là où la morale aurait
un caractère universel et absolu et la déontologie une dimension
plus pratique et évolutive. Définie comme l’ensemble des règles de
bonne conduite et de bonne pratique professionnelle adoptées et
sanctionnées par une profession organisée, la déontologie serait
alors « une éthique appliquée » (Grevisse, 2016 : 87). Or, « l’éthique
journalistique – comme toute éthique appliquée – se structure en
trois niveaux : le niveau supérieur des valeurs, le niveau
intermédiaire des normes, le niveau concret des pratiques » (Cornu,
2013 : 104).
La diversité des fonctions et des pratiques journalistiques n’en
pose pas moins la question de l’existence d’une véritable identité
professionnelle, préalable nécessaire à l’élaboration d’une
déontologie commune à tous les journalistes. Dans le même temps,
la déontologie journalistique contribue aussi à l’édification de cette
identité professionnelle et à sa mise en visibilité, tant par l’adoption
de textes consacrant des valeurs éthiques partagées par tous les
journalistes que par la mise en place d’instances, telles que les
conseils de presse, chargées de veiller à leur application. La
dispersion des normes de la déontologie journalistique entre une
multitude de textes, codes ou chartes, résulte certainement, pour
partie au moins, de l’éclatement des fonctions et des pratiques
journalistiques et de la diversité des médias pour lesquels
ils travaillent. Mais la formulation, par ces différents textes, de
principes fondamentaux de référence pour l’exercice du journalisme
est aussi l’expression de valeurs éthiques communes à l’ensemble
de la profession et constitutives de son identité.

L’éclatement des normes déontologiques


du journalisme, reflet de la diversité
des pratiques professionnelles ?
Les principes de la déontologie journalistique sont énoncés
dans des textes de nature extrêmement diverse, non seulement par
leur contenu, mais aussi par leur origine, leur champ d’application
(national, européen ou international), leur forme (énoncé
d’obligations ou d’interdictions ; énumération de droits et de devoirs)
et par leur dénomination. Il est question, selon les cas, de « charte »,
de « code », de « déclaration », de « guide », de « règles » ou de
« principes » professionnels… Dans l’ensemble, les professionnels
de l’information, comme la plupart des auteurs, ne semblent pas
faire de véritable distinction entre les codes et les chartes d’éthique
ou de déontologie. Mais il peut être considéré, que « la distinction
entre “code” et “charte” n’est pourtant pas nécessairement anodine ;
l’usage de “charte” renvoyant parfois explicitement à un document
interne à une rédaction, le “code” (voire la “déclaration”) tendant à
une plus large publicité » (Grevisse, 2016 : 108). De ce point de vue,
l’éclatement des normes déontologiques du journalisme tiendrait
donc, à la fois, à l’existence d’une multiplicité de codes de
déontologie communs à l’ensemble des journalistes ou applicables à
une partie d’entre eux, selon la nature de leurs fonctions ou leur
secteur d’activité, et à l’extrême diversité des chartes d’entreprises,
rédactionnelles ou de programmation, volontairement adoptées par
certains médias pour régir leur fonctionnement interne et leurs
relations avec le public, et qui n’ont, comme telles, vocation qu’à
s’appliquer à eux seuls.

Multiplicité des codes de déontologie


journalistique
Les codes de déontologie journalistique sont nombreux et de
nature très diverse, non seulement par leur nom, leur forme, leur
longueur et leur contenu, mais aussi par leur origine et leur champ
d’application. À côté de codes, élaborés par les syndicats et les
organisations professionnelles de journalistes ou par les conseils de
presse, que l’on peut qualifier de « généraux » dans la mesure où ils
ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des journalistes des
différents médias, il existe en effet un grand nombre de codes
sectoriels ou thématiques, spécifiques à certaines catégories de
médias ou à certaines activités journalistiques.
En France, le premier code de déontologie journalistique est la
« Charte des devoirs professionnels des journalistes français »,
adoptée par le Syndicat des journalistes en juillet 1918, tout juste
quelques mois après sa création, en mars de la même année.
Révisée en 1938, cette charte, longtemps connue sous le nom de
« Charte de 1918 », énonçait les devoirs qui s’imposent à « un
journaliste digne de ce nom ». Elle a constitué, pendant près de
100 ans, le texte de référence en matière de déontologie
journalistique jusqu’à son entière refonte, en 2011, sous l’intitulé plus
moderne de « Charte d’éthique professionnelle des journalistes »,
mais dans la forme initiale d’une énumération des obligations du
« journaliste digne de ce nom ».
À l’étranger aussi, de nombreuses organisations
professionnelles de journalistes se sont dotées de codes de
déontologie : « Code of ethics » de la Société des journalistes
professionnels américains dont la première version a été rédigée
en 1926 ; « Code de conduite des journalistes » britanniques,
initialement adopté par le Syndicat national des journalistes
(National Union of Journalists) de Grande-Bretagne en 1938 ;
« Guide de déontologie » adopté par la Fédération professionnelle
des journalistes du Québec le 24 novembre 1996 et amendé le
28 novembre 2010…
À l’échelle européenne, une « Déclaration des devoirs et des
droits des journalistes », dite « Charte de Munich » ou « Déclaration
de Munich », a été adoptée par un collectif de syndicats de
journalistes (des pays de la CEE, de la Suisse et de l’Autriche), réuni
à Munich les 24 et 25 novembre 1971. Une Charte européenne pour
la liberté de la presse a encore été signée, le 25 mai 2009, par une
cinquantaine de journalistes de 19 pays européens, pour affirmer les
droits de la presse face aux risques d’ingérences des États.
Au niveau international, une « Déclaration de principe de la
Fédération internationale des journalistes (FIJ) sur la conduite des
journalistes », dite « Déclaration de Bordeaux », avait été rédigée en
avril 1954 et révisée en juin 1986. Une nouvelle « Charte d’éthique
mondiale des journalistes » a été ratifiée à Tunis, le 12 juin 2019,
lors du 30e congrès de la FIJ.
À ces codes de déontologie journalistique élaborés par les
syndicats et les organisations professionnelles de journalistes
nationaux, européens ou internationaux, s’ajoutent des codes
émanant de conseils de presse, organes d’autorégulation collégiaux
rassemblant généralement des journalistes, des éditeurs et, souvent
aussi, des représentants du public, et chargés d’élaborer des règles
déontologiques et de veiller à leur application. Les codes adoptés
par ces conseils de presse ont vocation à s’appliquer à l’ensemble
des journalistes ou des médias entrant dans leur champ de
compétences et énoncent, de ce fait, des principes de portée assez
générale. Il en est, par exemple, ainsi du bien connu Pressekodex
(Code de la presse), adopté par le Conseil de la presse (Presserat)
allemand, le 12 décembre 1973, pour énoncer, en 16 points, les
principales obligations des journalistes, et plusieurs fois modifié
depuis.
Plus récemment, un code de déontologie journalistique a, de
même, été élaboré par le Conseil de déontologie journalistique
(CDJ) des médias francophones et germanophones de Belgique.
Adopté le 16 octobre 2013, ce code a été modifié en
septembre 2017. Il est régulièrement complété par des avis et
recommandations du CDJ, destinés à en interpréter certaines
dispositions (en matière de plagiat, par exemple), mais aussi à
apporter des précisions sur certains problèmes éthiques récurrents
(« l’obligation de rectification » ; « la distinction entre publicité et
journalisme » ou les relations du journaliste avec ses sources, par
exemple) ainsi que des réponses aux nouvelles questions éthiques,
suscitées par les évolutions technologiques (« l’application de la
déontologie journalistique aux réseaux sociaux » ; « les forums
ouverts sur les sites des médias ») ou sociales (« le traitement
journalistique des violences de genre » ou l’information en situation
d’urgence, notamment pour la couverture en direct des attentats
terroristes).
Compte tenu de sa relative jeunesse, le Conseil de déontologie
journalistique et de médiation (CDJM) français ne dispose pas d’un
code de déontologie spécifique. Il se réfère, dans la motivation de
ses avis, aux « trois textes de référence » que constituent la
« Charte d’éthique professionnelle des journalistes », la
« Déclaration de Munich » et la « Charte d’éthique mondiale des
journalistes ». Les avis rendus par le CDJM depuis sa création
contribuent ainsi au développement d’une « jurisprudence » sur les
modalités d’interprétation de ces trois textes généraux. Par ailleurs,
le Conseil participe, par ses réflexions sur des questions
déontologiques particulières, à l’enrichissement des règles
applicables. Il a ainsi adopté, le 11 mai 2021, une recommandation,
intitulée « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».
En 2022, deux nouveaux groupes de travail ont été créés au sein du
Conseil. Le premier est chargé de réfléchir sur le thème
« déontologie, information scientifique et traitement médiatique du
climat ». L’autre a pour mission d’élaborer un guide pratique sur les
cadeaux, invitations et sollicitations dans les médias, dont on sait
qu’ils sont susceptibles de menacer l’indépendance des journalistes
et, avec elle, celle de l’information.
Outre les codes généraux émanant des journalistes eux-mêmes
ou des conseils de presse, d’autres codes de déontologie, plus
« sectoriels », ne concernent que certains secteurs d’activité ou
certaines catégories de presse ou de journalistes. Ils sont
naturellement de portée et souvent de dimensions beaucoup plus
modestes. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix
notamment, différentes organisations professionnelles patronales de
presse françaises avaient adopté leurs propres codes de
déontologie pour tenir compte des contraintes particulières de leurs
activités respectives. La Fédération nationale de la presse
spécialisée (FNPS) s’est dotée de « Règles professionnelles » en
novembre 1985. Le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale
(SPHR) a successivement adopté « Les 21 règles
professionnelles de la presse hebdomadaire régionale » en
juin 1988, puis, dix ans plus tard, la « Charte déontologique de la
presse hebdomadaire régionale ». Une « Charte professionnelle des
agences de presse » a été élaborée en janvier 1995 pour énumérer
« les engagements des agences membres de la Fédération
française des agences de presse (FFAP) ». Les « Règles et usages
de la presse quotidienne régionale » ont été publiées en
décembre 1995, « dans la continuité de la réflexion menée par le
Syndicat de la presse quotidienne régionale sur les relations
presse/justice/citoyen », notamment à la suite des multiples
dérapages successifs auxquels avait donné lieu la couverture
médiatique du tragique assassinat de Grégory Villemin en 1984.
Plusieurs de ces codes sectoriels soulignent la spécificité des
activités et domaines d’intervention des organisations concernées,
voire la particularité des règles de déontologie qui les gouvernent. La
Charte de la FFAP, par exemple, insiste sur le rôle des agences de
presse qui « interviennent en amont de la chaîne de l’information »
et « collectent, mettent en forme et diffusent cette information à
l’ensemble des médias en respectant des règles de déontologie très
strictes ». De son côté, le Préambule des « Règles et usages de la
presse quotidienne régionale », après avoir rappelé la spécificité et
le rôle de ce « média de proximité », souligne que « la responsabilité
d’informer » qui lui incombe « s’inscrit dans le cadre d’une liberté
d’expression qui doit s’exercer à travers une pratique guidée par une
déontologie forte ». Le texte précise que « cette déontologie est le
fruit d’une culture, d’une formation et d’un professionnalisme qui
s’accomplissent dans la pratique quotidienne d’un métier ».
Plus récemment, le Groupement des éditeurs de service en
ligne (GESTE) a adopté, le 26 juin 2007, une « Charte d’édition
électronique » énonçant les obligations des éditeurs d’informations
en ligne et des utilisateurs de leurs sites internet. L’éditeur s’y
engage à « respecter les règles de déontologie journalistique en
vigueur ».
Du côté des journalistes, d’autres textes tendent à tenir compte
des spécificités de certaines missions journalistiques ou de certains
terrains d’investigation. Après la crise des banlieues de 2005, par
exemple, une « Charte pour l’amélioration du traitement médiatique
des banlieues » avait été élaborée, en novembre 2007, par un
collectif Presse&Cité, regroupant plusieurs associations et organes
de presse. Dans le même ordre d’idées, une « Charte sur la sécurité
des journalistes en zone de conflit ou de tension » avait été
proposée, en mars 2002, par l’ONG Reporters sans frontières, pour
tenter de limiter les risques encourus par les reporters de guerre.
Élaboré, en concertation notamment avec des représentants des
ministères français des affaires étrangères et de la défense, du
Comité international de la Croix-Rouge, du Conseil de l’Europe, de
l’OSCE, de l’UNESCO, et de syndicats de journalistes, ce texte
semble cependant relever davantage de la corégulation entre les
professionnels de l’information et les pouvoirs publics que de la
véritable autorégulation. Le contenu de la Charte concerne d’ailleurs
moins les pratiques journalistiques elles-mêmes que les moyens
d’assurer la sécurité des correspondants de guerre : départ
volontaire, expérience des situations de crise, formation et
préparation en amont, équipement de sécurité et de communication,
assurance, soutien psychologique et protection juridique. Plusieurs
codes ayant le même objet ont, plus récemment, été adoptés à
l’échelle internationale1.

Diversité des chartes d’entreprises


médiatiques
Ensemble de règles de conduite ou de bonne pratique
professionnelle volontairement adoptées par une entreprise
médiatique pour définir sa ligne éditoriale, déterminer les droits et
devoirs de ses collaborateurs, organiser leurs relations
professionnelles internes, et régir les relations du média avec son
public, la charte d’entreprise est nécessairement spécifique à
chaque média, tant dans ses conditions d’élaboration que dans son
contenu.
Compte tenu de ses objectifs internes, la charte d’entreprise est
généralement le fruit d’une élaboration concertée entre la direction
du média et les représentants des journalistes. Initiative volontaire
du média pour défendre sa liberté en affirmant son sens des
responsabilités par l’établissement d’une relation de confiance avec
son public (« contrat de confiance » ou « contrat de lecture »), la
charte d’entreprise participe aussi de l’image de marque externe du
média et relève, comme les médiateurs éventuellement chargés de
veiller à son application, d’un usage « stratégique » de la
déontologie (Grevisse, 2016 : 80).
C’est d’ailleurs généralement pour faire face à des
circonstances de crise qu’un média fait le choix de se doter d’une
charte d’entreprise. Il peut s’agir de conflits internes liés à un
changement d’actionnaire majoritaire ou à une restructuration. Au
sein du groupe Le Monde, par exemple, c’est la prise de contrôle du
journal par le trio Bergé-Niel-Pigasse qui a conduit, en 2010, à
l’élaboration d’une nouvelle « Charte d’éthique et de déontologie »2,
en remplacement du « Livre de style » qui avait été adopté en 2002,
sur le modèle des Standards and ethics du Washington Post. De
façon similaire, la transformation, par la loi du 5 mars 2009 « relative
à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la
télévision », du holding France Télévisions en entreprise unique, a
nécessité l’adaptation du nom et du contenu de la Charte de
l’antenne de 2002, devenue, en 2011, la Charte des antennes3.
L’adoption d’une charte d’entreprise peut aussi être motivée par le
souci de répondre à des critiques externes du média, comme ce fut
le cas, au début des années 2000, du journal gratuit 20 minutes.
Soupçonné d’entretenir, du fait de son financement par la publicité,
une confusion volontaire entre contenus rédactionnels et
publicitaires, 20 minutes s’est, en février 2006, doté d’une charte
(mise à jour depuis) qui place « l’indépendance et la neutralité
politiques et religieuses » dans les fondements mêmes de sa
pratique éditoriale.
Quelles que soient les circonstances de leur adoption, les
chartes d’entreprises, parfois nommées « chartes rédactionnelles »
ou « chartes éditoriales » pour les médias imprimés ou numériques
et « chartes de programmation » pour les médias audiovisuels, sont
nécessairement d’une extrême diversité, dans leurs formes et leurs
contenus, en fonction des médias concernés.
La charte d’entreprise reflète les particularités éditoriales ou
organisationnelles du média qui l’adopte et souligne, le cas échéant,
ses priorités ou ses principales préoccupations éthiques,
nécessairement variables selon les médias. La Charte d’éthique et
de déontologie du groupe Le Monde, par exemple, indique, dans son
préambule, qu’elle « a pour objet de rappeler les principes essentiels
d’indépendance, de liberté et de fiabilité de l’information », la
vocation des titres du groupe étant de « fournir, sur tout support, une
information de qualité, précise, vérifiée et équilibrée ». De son côté,
Mediapart rappelle notamment, dans sa Charte déontologique du
5 mars 2018, qu’il est un « journal économiquement indépendant »
dont la mission « est d’être au service du droit de savoir et de la
liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits et du pluralisme
des opinions ». La Charte de déontologie des journalistes de France
Médias Monde insiste sur le caractère de média de service public de
la société nationale de programme et sur la spécificité de son public
situé à la fois en France et dans le reste du monde. La Charte de
l’Agence France-Presse rappelle, pour l’essentiel, la teneur des
obligations qui lui sont imposées par la loi du 10 janvier 1957 qui
régit son statut.
Au-delà de leurs inévitables spécificités, les chartes
d’entreprises se réfèrent fréquemment à un ou plusieurs codes
déontologiques communs à l’ensemble de la profession, voire en
reproduisent la totalité du contenu. Dans un paragraphe relatif aux
« devoirs et droits des journalistes », la Charte d’éthique et de
déontologie du groupe Le Monde, par exemple, reconnaît
formellement la Charte de Munich qu’elle qualifie de « socle
déontologique de la profession de journaliste » et reproduit dans son
intégralité. La Charte déontologique de Mediapart inclut, outre
l’appel de la Colline de 2008 sur la liberté de la presse, trois textes
de référence, expressément revendiqués et reproduits en annexes :
la Charte de 1918 (dans sa version révisée en 1938), la Charte de
Munich, et la Charte mondiale d’éthique des journalistes.
La Charte de déontologie des journalistes de France Médias
Monde se réfère non seulement aux chartes du SNJ et de Munich,
mais aussi à un certain nombre de textes juridiques (Convention
collective des journalistes, loi de 1881 sur la liberté de la presse, loi
de 1986 sur l’audiovisuel, loi du 14 novembre 2016 visant à
renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias).
Certains des principes éthiques énoncés, de façon générale,
par les codes de déontologie, font néanmoins parfois l’objet, dans
les chartes d’entreprises, de dispositions beaucoup plus précises.
Tel est, en particulier, le cas en ce qui concerne les cadeaux et
avantages susceptibles d’être perçus par les journalistes. Les
chartes d’entreprises apportent des précisions utiles, là où la plupart
des codes de déontologie se contentent souvent d’interdire au
journaliste d’« user de la liberté de la presse dans une intention
intéressée » ou d’accepter, en contrepartie de la publication
d’informations, des salaires ou avantages d’entreprises extérieures à
son média. Dans la rubrique « Cadeaux » des « principes
déontologiques » détaillés en annexes, la Charte d’éthique et de
déontologie du groupe Le Monde, indique, par exemple, que « les
journalistes s’engagent à refuser tout cadeau d’une valeur
supérieure à 70 euros, ou de nature à mettre en cause leur
indépendance ». Elle précise également que la durée des prêts de
produits ou matériels qui leur sont faits en vue de la rédaction d’un
article est limitée à trois mois. C’est également dans le souci de
préciser les modalités concrètes de mise en œuvre de l’obligation
déontologique de correction des erreurs commises que Le Monde a,
le 7 janvier 2022, en complément de la charte générale du groupe,
adopté une « Charte des rectificatifs du “Monde” ». Ce texte donne
des conseils et des exemples très pratiques sur la façon de nommer
et de formuler les correctifs numériques, en distinguant clairement
les « rectificatifs » qui corrigent des erreurs d’informations
précédemment publiées et les « mises à jour » qui ajoutent une
information nouvelle.
La plupart des chartes d’entreprises (France Médias Monde,
France Télévisions, Mediapart, Radio-Canada…) comporte
désormais des dispositions spécifiques, relatives à l’expression
journalistique sur les réseaux numériques, qui renvoient
généralement au respect des principes généraux de la déontologie
professionnelle. Mais certains médias, comme l’Agence France-
Presse, par exemple, se sont dotés de règles particulières relatives
à l’utilisation des réseaux sociaux, par les journalistes, pour y
recueillir et diffuser des informations.
Avec l’énoncé des principes éthiques applicables au média, les
chartes d’entreprises mentionnent parfois, lorsqu’il en existe, les
instances d’autorégulation internes censées veiller à leur application.
À Libération, un Comité d’indépendance éditoriale (CIE) est chargé
de veiller au respect du pacte d’indépendance, de la charte éthique
et de la charte publicitaire. La Charte d’éthique et de déontologie du
groupe Le Monde évoque également les « rôle et pouvoir des
comités d’éthique et de déontologie », chargés de s’assurer de son
respect. La Charte des journalistes de France Médias Monde
comporte un paragraphe sur « le rôle du médiateur ». Dans son
premier chapitre, intitulé « Le téléspectateur au centre de la
télévision publique », la Charte des antennes de France Télévisions
fait aussi état, à la fois, de l’existence d’un Comité, imposé par la loi,
relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de
l’information et des programmes et de « la Médiation de l’information
et des programmes » supposée être à « l’écoute des
téléspectateurs ». La Charte déontologique de Mediapart confie, de
son côté, l’examen des problèmes déontologiques découlant des
manquements à la charte à « une structure ad hoc, comprenant la
direction éditoriale et la SDJ (Société des journalistes) de
Mediapart ».
Dans le silence de la charte d’entreprise sur les modalités de
contrôle de son application, les violations des principes qui y sont
énoncés pourront être sanctionnées sur le terrain du droit :
licenciement du journaliste fautif ou mise en jeu de la clause de
conscience par le journaliste en cas de manquement de l’employeur
aux obligations qui lui incombent en vertu de la charte. En effet, la loi
du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et
le pluralisme des médias, dite loi « anti-Bolloré », a fait de l’adoption
d’une charte déontologique, par les entreprises de presse et de
communication audiovisuelle, une obligation juridique, entretenant
ainsi la confusion entre la déontologie, de nature professionnelle, et
le droit, d’origine publique. L’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881
dispose désormais que « toute convention ou tout contrat de travail
signé entre un journaliste professionnel et une entreprise ou une
société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle
entraîne l’adhésion à la charte déontologique de l’entreprise ou de la
société éditrice ». Le Code du travail, dans son article L. 7111-5-2,
prévoit, de son côté, qu’un exemplaire de la charte d’entreprise doit
être remis, dans les trois mois de son adoption, à tout journaliste
embauché ou travaillant dans une entreprise médiatique.
Comme les codes de déontologie dont elles reprennent souvent
la plupart des principes, les chartes d’entreprises énoncent
fréquemment des règles assez générales qui ne suffisent pas
toujours à répondre à toutes les questions éthiques concrètes,
susceptibles de se poser dans la pratique du métier de journaliste.
Elles n’en constituent pas moins, comme l’indique, par exemple, la
Charte des antennes de France Télévisions, « un socle de valeurs
partagées » au sein du média. Malgré la diversité des pratiques
journalistiques et des normes déontologiques qui s’efforcent de les
encadrer, le journalisme repose sur un ensemble de principes de
référence, qui constituent autant de valeurs éthiques partagées et,
par là même, d’éléments distinctifs participant à sa définition et à son
identité.

La formalisation des principes


fondamentaux du journalisme,
expression de valeurs éthiques communes
Au regard de la généralité de la plupart des principes qui y sont
énoncés, les codes et chartes de déontologie journalistique peuvent
apparaître comme des textes extrêmement théoriques énonçant des
règles très formelles et peu opérationnelles dans la pratique
quotidienne du métier de journaliste. L’adoption de textes
déontologiques consacrant formellement des principes
fondamentaux de référence pour l’exercice du journalisme participe
néanmoins à la construction d’un socle de valeurs éthiques
communes et, par là même, à l’édification d’une identité
professionnelle des journalistes. L’application, par les instances
d’autorégulation, de ces principes formels à des situations
concrètes, contribue aussi à en donner une interprétation et à en
éclairer la portée.
Dresser un inventaire exhaustif de l’ensemble des principes
fondamentaux de l’éthique journalistique relève néanmoins de la
gageure, tant les règles énoncées sont nombreuses et les typologies
proposées diverses. La « Déclaration des devoirs et des droits des
journalistes » ou « Charte de Munich », par exemple, impose aux
journalistes dix devoirs et leur reconnaît cinq droits. La distinction
entre droits et devoirs opérée par ce texte relativement ancien ne
paraît cependant plus très opérationnelle. De nombreux principes,
tels que l’indépendance du journaliste, la protection du secret de ses
sources ou le suivi des informations publiées, par exemple,
constituent à la fois des devoirs et des droits. Dans un rapport à la
ministre de la Culture, intitulé « Réflexions et propositions sur la
déontologie de l’information », rédigé en 1999, Jean-Marie Charon
identifiait trois préoccupations principales des codes et chartes de
déontologie : « le respect dû au public » ; « le respect des sources »
et « le respect des pairs et de la profession ». De son côté, Daniel
Cornu met en avant trois valeurs qui, selon lui, « expriment les
grandes orientations du métier » : liberté, vérité et respect de la
personne (Cornu, 2013 : 104). Marc-François Bernier estime, quant
à lui, que le journalisme repose sur six « piliers normatifs » : l’intérêt
public, le devoir de vérité, la rigueur et l’exactitude, l’équité,
l’impartialité et l’intégrité (Bernier, 2014).
Au-delà de ces diverses tentatives de classification des
multiples règles énoncées par les codes et les chartes, les principes
fondamentaux de la déontologie journalistique s’inscrivent, de façon
plus générale, dans la dialectique entre liberté et responsabilité des
journalistes.

Liberté et indépendance des journalistes


Fondement de la plupart des codes et chartes de déontologie
journalistique, la liberté d’expression et le droit du public à
l’information et, plus précisément, selon les termes de la Charte
d’éthique des journalistes professionnels par exemple, « à une
information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste »,
est au cœur de la mission du journaliste et des droits et devoirs qui
en découlent. Certains textes, comme la Charte du SNJ précitée,
s’essaient d’ailleurs à définir cette mission, montrant ainsi le lien
consubstantiel entre la définition du journalisme et le respect des
principes éthiques de la profession.
L’exercice du journalisme postule d’abord la reconnaissance de
la liberté d’expression des journalistes et de son corollaire, le droit
des journalistes d’accéder à l’information. Selon la Charte du SNJ,
par exemple, « un journaliste digne de ce nom […] défend la liberté
d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la
critique ». De son côté, la Charte d’éthique mondiale des
journalistes reconnaît aux journalistes « le libre accès à toutes les
sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les
faits d’intérêt public. » La déontologie vient ici conforter la règle de
droit puisque la liberté d’expression est consacrée, pour tout citoyen,
par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen
(DDHC) du 26 août 17894 et, plus particulièrement, pour la presse,
par l’article 1er de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose : « L’imprimerie
et la librairie sont libres ». En droit international, l’article 19 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre
1966 a donné force contraignante au contenu de l’article 19 de la
Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) du
10 décembre 19485. Se revendiquant expressément de ces règles
de droit, la Charte d’éthique professionnelle des journalistes fait
référence, en annexe, à la Déclaration de Munich de 1971, mais
reproduit aussi les textes de l’article 11 DDHC et de l’article 34 de la
constitution qui consacre « la liberté, le pluralisme et l’indépendance
des médias ». La liberté d’expression des journalistes est plus
spécifiquement consacrée, au sein de l’entreprise, par l’article 3 de
la Convention nationale collective des journalistes, relatif au droit
syndical et à la liberté d’opinion, qui rappelle « le droit pour les
journalistes d’avoir leur liberté d’opinion, l’expression publique de
cette opinion ne devant en aucun cas porter atteinte aux intérêts de
l’entreprise de presse dans laquelle ils travaillent ». L’on peut
cependant se demander si la prise en compte des « intérêts de
l’entreprise » n’est pas de nature à limiter sensiblement la liberté des
journalistes, en particulier dans leur expression publique sur les
réseaux sociaux.
Au-delà de son affirmation formelle, la liberté d’expression des
journalistes est, dans les textes de déontologie professionnelle,
assortie d’indispensables garanties de leur indépendance, sans
laquelle il n’y a pas de véritable liberté. Consubstantielle à l’exercice
du métier de journaliste, l’indépendance constitue à la fois, pour les
professionnels, un droit et un devoir. Les principes de la déontologie
journalistique cherchent à assurer cette indépendance, non
seulement à l’égard de l’employeur du journaliste, mais aussi vis-à-
vis des actionnaires ou propriétaires du média dans lequel il travaille
et dans les relations externes du journaliste avec ses sources
d’information ou avec les annonceurs.
À l’égard de son employeur, le journaliste jouit de prérogatives
matérielles et morales destinées à garantir son indépendance
économique et intellectuelle. Les droits matériels qui lui sont
reconnus par les codes et chartes de déontologie (rémunération
suffisante, contrat personnel, bénéfice des conventions collectives,
notamment) visent à lui assurer une sécurité matérielle, de nature à
garantir son indépendance économique. Là encore, le droit et, plus
précisément, le statut professionnel des journalistes, vient soutenir
et renforcer la déontologie journalistique. La définition légale du
journaliste professionnel exige que la personne qui revendique la
qualité de journaliste tire de cette activité « le principal de ses
ressources » mais elle ne fixe pas de rémunération minimale. Aux
termes de l’article R. 7111-2 du Code du travail, cependant, la
délivrance par la Commission de la carte, de la carte d’identité de
journaliste professionnel est notamment subordonnée, de la part du
demandeur, à « l’affirmation sur l’honneur que le journalisme est
bien sa profession principale, régulière et rétribuée et qu’il en tire
une rémunération au moins égale au salaire minimum ». Au-delà de
ces principes formels, la situation de précarité dans laquelle se
trouvent nombre de journalistes constitue autant de menaces pour
leur indépendance effective. Les droits reconnus, par la déontologie
journalistique, à l’équipe rédactionnelle (information et consultation
sur les décisions susceptibles d’en affecter la composition,
notamment) sont censés, dans les principes au moins, préserver à la
fois la sécurité matérielle des journalistes et leur indépendance
morale.
Sur le plan moral, le journaliste professionnel a le devoir de
respecter la dignité professionnelle, mais également le droit de
s’opposer à tout ce qui pourrait y porter atteinte. La Charte de
Munich, par exemple, lui reconnaît ainsi « le droit de refuser toute
subordination qui serait contraire à la ligne générale de son
entreprise » ou « qui ne serait pas clairement impliquée par cette
ligne générale ». Mais le texte interdit aussi de contraindre un
journaliste « à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une
opinion qui serait contraire à sa conviction ou à sa conscience ».
Le droit vient, ici aussi, à l’appui de la déontologie, et à plusieurs
titres. Introduite dans le statut professionnel des journalistes par la
loi Brachard du 29 mars 1935 et désormais régie par
l’article L. 7112-5 du Code du travail, la clause de conscience,
d’ailleurs également consacrée dans certains textes de déontologie
journalistique comme le code de déontologie de la presse béninoise,
par exemple, a précisément pour objectif de protéger les intérêts
moraux des journalistes. Privilège exorbitant reconnu au journaliste
salarié pour protéger son indépendance morale, la clause de
conscience est le droit, accordé au journaliste professionnel, de
démissionner en ayant droit à des indemnités de licenciement, en
cas de cession du média pour lequel il travaille, en cas de cessation
de ce média ou en cas de « changement notable dans le caractère
ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour
le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à
sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux ».
Pour garantir l’indépendance du journaliste à l’égard des
annonceurs, la convention collective des journalistes prévoit aussi,
dans son article 5 relatif aux « principes professionnels », qu’« un
employeur ne peut exiger d’un journaliste professionnel un travail de
publicité rédactionnelle ». Elle ajoute que « le refus par un journaliste
d’exécuter un travail de publicité ne peut être en aucun cas retenu
comme faute professionnelle » sans, pour autant, interdire
l’accomplissement d’un tel travail dont, selon le texte, la réalisation
« doit faire l’objet d’un accord particulier ».
Plus récemment, enfin, le droit d’opposition, accordé au
journaliste par la déontologie professionnelle a fait l’objet d’une
reconnaissance légale. L’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881,
modifié par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté,
l’indépendance et le pluralisme des médias, accorde désormais
expressément au journaliste « le droit de refuser toute pression ».
Cette disposition interdit aussi de contraindre un journaliste « à
accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée
dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de
sa société éditrice ». Ce texte a naturellement vocation à s’appliquer
également aux relations du journaliste avec les actionnaires et
propriétaires du média. Dans la rigueur des principes énoncés par
les codes et chartes de déontologie journalistique, les actionnaires
ont l’interdiction d’intervenir dans le contenu éditorial ou d’imposer
aux rédactions la conclusion de partenariats commerciaux. Les
journalistes, s’ils sont en droit de faire valoir la clause de cession en
cas de changement d’actionnaire majoritaire, ont également le
devoir de mentionner la qualité de ces actionnaires dans tous les
articles ou productions qui pourraient les concerner. Garantie de la
liberté d’expression des journalistes, l’indépendance éditoriale est, à
la fois, un droit à l’égard des employeurs, propriétaires et
actionnaires et un devoir à l’égard des sources d’information et du
public destinataire de cette information.

Responsabilité des journalistes à l’égard du


public
Première obligation imposée, pour « toutes ses productions
professionnelles, mêmes anonymes », à un « journaliste digne de ce
nom » par la Charte d’éthique professionnelle du SNJ, la
responsabilité des journalistes à l’égard du public est la contrepartie
de leur liberté d’expression et de leur droit d’accéder à toutes les
sources d’information. Dans leurs préambules respectifs, la Charte
de Munich et la Charte d’éthique mondiale des journalistes précisent
d’ailleurs que cette responsabilité vis-à-vis du public « prime toute
autre responsabilité », en particulier « à l’égard de leurs employeurs
et des pouvoirs publics ». Au regard des multiples devoirs qui leur
sont imposés par la déontologie professionnelle, les journalistes sont
plus particulièrement tenus à deux obligations majeures, relatives au
respect de la vérité, d’une part, et au respect des personnes, d’autre
part.
« Respecter la vérité » est le premier des « devoirs essentiels
du journaliste dans la recherche, la rédaction et le commentaire des
événements », prévus par la Charte de Munich6. Le respect de la
vérité s’impose donc à la fois dans la recherche de l’information et
lors de sa publication (Grevisse, 2016).
Dans la collecte de l’information, cette exigence de vérité fonde
l’obligation fondamentale du journaliste de procéder à la vérification
des faits et au contrôle des sources d’information. Selon la Charte
d’éthique professionnelle des journalistes, « la non vérification des
faits » est considérée, avec « l’altération des documents, la
déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la
manipulation, la censure et l’autocensure » comme l’une des « plus
graves dérives professionnelles ». La Charte d’éthique mondiale des
journalistes précise, à cet égard, que « la notion d’urgence ou
d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur
la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux
personnes mises en cause ».
Les relations du journaliste avec ses sources7 sont donc au
cœur de l’impératif de vérité dans la recherche de l’information.
Considérée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)
comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », la
protection du secret des sources journalistiques est d’abord la
garantie de l’effectivité du droit, reconnu au journaliste par la Charte
du SNJ notamment, d’avoir « accès à toutes les sources
d’information concernant les faits qui conditionnent la vie publique ».
Comme l’explique la CEDH dans son arrêt Goodwin contre
Royaume-Uni du 27 mars 1996 :
l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les
sources journalistiques d’aider la presse à informer le public
sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la
presse pourrait être moins à même de jouer son rôle
indispensable de “chien de garde” et son aptitude à fournir
des informations précises et fiables pourrait s’en trouver
amoindrie.
Qualifié de « règle cardinale de la déontologie du journalisme »
par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation, dans un
avis du 21 juillet 2020 relatif au défaut d’anonymisation d’un témoin
filmé dans un reportage, la protection du secret des sources
d’information journalistiques est, comme l’indépendance, à la fois un
droit et un devoir. Dès 1918, la Charte des devoirs professionnels
des journalistes français pose qu’« un journaliste digne de ce nom
[…] garde le secret professionnel ». L’expression de « secret
professionnel » est sans doute peu appropriée pour désigner un
secret qui porte sur l’origine d’une information, et non sur son
contenu, puisque le journaliste a précisément pour mission de
recueillir des informations et d’en assurer la diffusion auprès du
public. En droit, selon l’article 226-13 du Code pénal qui en
sanctionne la violation, le secret professionnel désigne en effet une
« information à caractère secret » dont une personne est dépositaire
« soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou
d’une mission temporaire ». Dans sa version de 2011, la Charte
d’éthique professionnelle des journalistes complète d’ailleurs la
précédente obligation en indiquant que le journaliste « garde le
secret professionnel et protège les sources de ses informations ».
Malgré cette imprécision terminologique initiale, la déontologie
a, dans ce domaine, largement précédé le droit. En droit français,
une loi du 4 janvier 1993 avait encadré les perquisitions judiciaires
dans les entreprises de presse et consacré, à l’article 109 du Code
de procédure pénale relatif aux auditions de témoins par un juge
d’instruction, la liberté de « tout journaliste, entendu comme témoin
sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité », de
ne pas en révéler l’origine. Mais il a fallu attendre une loi du 4 janvier
2010, dite « Loi Dati », pour que le principe de protection du secret
des sources soit expressément consacré à l’article 2 de la loi du
29 juillet 1881, ainsi rédigé : « Le secret des sources des journalistes
est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ».
Ce principe est toutefois assorti d’une exception, empruntée à la
jurisprudence de la CEDH et tenant à l’existence d’un « impératif
prépondérant d’intérêt public ». En l’absence de définition légale ou
jurisprudentielle d’un tel impératif, il est souvent difficile de savoir si
la répression d’une infraction peut justifier une atteinte au secret des
sources journalistiques, notamment lorsque l’auteur de l’infraction
commise est la source du journaliste.
En dépit du principe de secret des sources posé par la loi,
certaines chartes d’entreprises retiennent, pour éviter le risque de
falsification de l’information, le principe inverse. La règle est alors
celle de l’identification des sources et leur anonymat l’exception,
lorsque la révélation de leur identité pourrait menacer leur sécurité
ou leur intégrité physique. En toute hypothèse, la protection du
secret des sources journalistiques n’a généralement pas vocation à
s’appliquer au sein de l’entreprise, les journalistes ayant l’obligation
de révéler leurs sources au responsable de la rédaction, qui assure
le contrôle éditorial des contenus publiés et en assume, en droit, la
responsabilité.
Le respect dû aux sources et l’exigence de vérité dans la
recherche de l’information fondent aussi l’interdiction, faite aux
journalistes professionnels, d’utiliser des méthodes déloyales
(dissimulation de la qualité de journaliste, usage de micros ou de
caméras cachés) pour obtenir des informations, sauf si l’information
recherchée a un caractère d’intérêt général et qu’il n’existe pas
d’autre moyen pour l’obtenir.
Garantie de la liberté d’expression du journaliste, son
indépendance à l’extérieur de son entreprise, en particulier à l’égard
de ses sources d’information et des annonceurs, est encore un gage
de la qualité de l’information recueillie et publiée. À cet égard, la
Charte d’éthique mondiale des journalistes, par exemple, énonce, de
façon assez générale, que « le/la journaliste n’usera pas de la liberté
de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir
un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-
diffusion d’une information ». Une fois encore, le droit comporte un
principe similaire, puisque l’article 5 de la convention collective
nationale des journalistes prévoit qu’« un journaliste professionnel
ne peut accepter pour la rédaction de ses articles d’autres salaires
ou avantages que ceux que lui assure l’entreprise de presse à
laquelle il collabore ». L’exigence d’indépendance, indispensable à la
véritable liberté d’expression du journaliste, rejoint ici l’obligation de
respecter la vérité des faits qui s’impose au journaliste à l’égard du
public.
Le respect de la vérité dans la publication d’informations interdit
naturellement de diffuser des informations inexactes ou
mensongères, mais impose également un devoir de rectification des
erreurs commises. Au-delà, l’impartialité du traitement éditorial de
l’information interdit de supprimer des informations essentielles et
oblige le journaliste à assurer le suivi des informations publiées,
cette obligation étant à la fois un devoir et un droit.
La vérité de l’information publiée, c’est aussi l’honnêteté de sa
présentation, impliquant, en particulier, une claire distinction entre
faits et opinions ou commentaires d’une part, entre contenus
rédactionnels et publicitaires, d’autre part. Sur ce dernier point, la
déontologie est en concordance avec le droit. L’article 5 de la
Convention collective nationale des journalistes interdit à un
journaliste professionnel de « présenter sous la forme rédactionnelle
l’éloge d’un produit, d’une entreprise, à la vente ou à la réussite
desquels il est matériellement intéressé ». L’article 10, alinéa 2, de la
loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse
prévoit que « tout article de publicité à présentation rédactionnelle
doit être précédé de la mention “publicité” ou “communiqué” ». Le
pluralisme de l’information publiée requiert aussi un équilibre des
points de vue entre les thèses en présence sur une question
controversée.
Quant à l’obligation, faite aux journalistes, de respecter les
personnes, elle concerne non seulement leurs sources d’information,
mais aussi les acteurs et les destinataires de l’information publiée.
Respecter les acteurs de l’information, c’est, d’abord, ne pas porter
atteinte à leurs droits individuels, mentionnés, pour la plupart, par
l’ensemble des codes et chartes de déontologie journalistique : droit
au respect de la vie privée et droit à l’image, droit à l’honneur et à la
considération, doit au respect de la présomption d’innocence des
personnes mises en cause dans une procédure pénale, dignité des
victimes d’accidents, de crimes ou de délits.
Sur ces différents aspects, le droit vient largement au soutien de
la déontologie journalistique, dont l’une des faiblesses est
précisément d’être dépourvue de force contraignante. Droit
fondamental de valeur constitutionnelle, la dignité de la personne
humaine est également reconnue à l’article 16 du Code civil. En ce
qui concerne, plus particulièrement, la dignité des victimes de crimes
et délits, l’article 35 quater de la loi de 1881 interdit en outre la
diffusion de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un
délit, « lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la
dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette
dernière ».
Le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image font
également l’objet d’une double protection, à la fois civile et pénale.
L’article 9, alinéa 1, du Code civil reconnaît à chacun le « droit au
respect de sa vie privée » et la jurisprudence étend au droit à l’image
des personnes l’application de cette disposition. Dès lors que les
informations ou les images publiées ne s’inscrivent pas dans un
débat d’intérêt général, toute personne, quelle que soit sa notoriété,
peut donc s’opposer à la publication d’informations privées qui la
concernent ou à l’exploitation de son image si elle y est identifiable,
si elle n’agit pas dans le cadre de ses fonctions officielles et si elle
n’est pas impliquée dans un événement d’actualité. Des dispositions
du Code pénal (articles 226-1 et 226-2) répriment également la
réalisation, la transmission et la publication d’enregistrements
« clandestins », autrement dit réalisés sans l’autorisation d’une
personne, portant sur « des paroles prononcées à titre privé ou
confidentiel » ou sur « l’image d’une personne se trouvant dans un
lieu privé ». Lorsque, comme dans l’affaire Benjamin Griveaux, par
exemple, les images ont un caractère sexuel, l’article 226-2-1 du
Code pénal aggrave les sanctions encourues et réprime, même si la
personne concernée avait consenti à leur enregistrement, la
publication de ces images « prises dans un lieu public ou privé ».
Évoqué, souvent de façon implicite, par les codes et chartes de
déontologie journalistique, le droit à l’honneur et à la considération
est notamment protégé par la répression, par la loi de 1881, des
délits d’injure et de diffamation et de provocation à la haine, à la
discrimination ou à la violence envers une personne ou un groupe
de personnes. Expressément ou implicitement interdite par les
textes déontologiques, la diffamation est, selon l’article 29, alinéa
premier, de la loi de 1881, constituée par « toute allégation ou
imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
L’injure est, de son côté, définie par l’alinéa 2 du même article
comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou
invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Quant à la
provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence, la
jurisprudence la définit comme un appel ou une exhortation, explicite
ou implicite, à la haine, à la discrimination ou à la violence envers la
ou les personnes visées.
Expressément mentionné dans certains codes et chartes de
déontologie journalistique, le droit de réponse, accordé à toute
personne physique ou morale mise en cause dans un média, peut
également participer à la défense de l’honneur et de la réputation
des personnes. Élément de pluralisme de l’information diffusée, ce
droit de réponse est, en droit français, garanti dans la presse écrite
par les articles 13 et 13-1 de la loi de 1881, dans l’audiovisuel par
l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication
audiovisuelle et, sur internet, par l’article 6-IV de la loi pour la
confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.
Reconnu, vis-à-vis de l’État par l’article 9 de la Déclaration des
droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 17898, le droit à la
présomption d’innocence, enfin, est plus particulièrement protégé, à
l’égard des médias, par l’article 9-1 du Code civil qui sanctionne la
présentation publique d’une personne, avant toute condamnation,
« comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou
d’une instruction judiciaire ». Les codes et chartes de déontologie
journalistique, en détaillant parfois les différentes modalités d’atteinte
interdite à la présomption d’innocence (présomption de culpabilité
par l’image, par exemple) ou les mesures de prudence (dans
l’expression ou le choix de termes juridiques appropriés) destinées à
éviter de telles atteintes, viennent largement compléter les
dispositions légales et la jurisprudence qui en fait application.
Les textes déontologiques sont, dans l’ensemble, un peu moins
explicites en ce qui concerne le respect des destinataires de
l’information. Dans son § 9, la Charte d’éthique mondiale des
journalistes, indique que :
Le/la journaliste veillera à ce que la diffusion d’une
information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la
haine ou les préjugés et fera son possible pour éviter de
faciliter la propagation de discriminations fondées sur
l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le
genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la
religion et les opinions politiques.
Ici encore, le droit conforte les principes de la déontologie
journalistique en réprimant, sur le fondement de la loi de 1881, les
propos discriminatoires : diffamations, injures et provocations à la
haine, à la violence ou aux discriminations à caractère raciste,
religieux, sexiste, homophobe, transphobe ou handiphobe ;
négationnisme ; provocations aux crimes et délits contre les
personnes… Mais, outre le respect des minorités et la prohibition
des propos discriminatoires ou stigmatisant les personnes, d’autres
droits collectifs (protection des mineurs, respect de la sensibilité du
public et refus du sensationnalisme, notamment) figurent également
parmi les valeurs éthiques du journalisme, parfois exprimées par
certains codes et chartes de déontologie professionnelle.
Au-delà de la diversité de leurs pratiques et des normes
déontologiques supposées s’y adapter, les journalistes
professionnels partagent donc un certain nombre de valeurs
éthiques communes qui contribuent à les définir et à les distinguer,
en particulier sur les réseaux sociaux. Composante de l’identité
professionnelle des journalistes, la déontologie est aussi une
réponse à la crise de confiance du public dans les médias et dans
l’information qu’ils diffusent. Dans la dialectique entre liberté et
responsabilité, la soumission volontaire des professionnels de
l’information à des règles de conduite librement choisies est sans
doute le meilleur moyen, pour les journalistes et les médias, d’être
d’autant plus libres qu’ils sont plus responsables.

Bibliographie
• Charon J.-M., Réflexions et propositions sur la déontologie de
l’information, Rapport à Madame la ministre de la Culture et de
la Communication, 1999.
• Civard-Racinais A., La déontologie des journalistes. Principes et
pratiques, Paris, Ellipses, coll. « Infocom », 2003.
• Cornu D., Tous connectés ! Internet et les nouvelles frontières de
l’information, Genève, Labor et fides, coll. « Champ éthique »,
2013.
• Bernier M.-F., Éthique et déontologie du journalisme, Québec,
Presses de l’Université Laval, 3e édition, 2014.
• Grevisse B., Déontologie du journalisme : enjeux éthiques et
identités professionnelles, Bruxelles, De Boeck Supérieur, coll.
« Infocom », 2e édition, 2016.
• Kovach B. et Rosenstiel T., Principes du journalisme. Ce que les
journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger, Paris,
Gallimard, coll. « Folio actuel », 2014.
• Rohde E., L’éthique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », n° 3892, 2e édition, 2020.

« Charte d’éthique professionnelle des journalistes »,


adoptée par le Syndicat national des journalistes (SNJ)
le 9 mars 2011
Le droit du public à une information de qualité, complète, libre,
indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des
droits de l’Homme et la Constitution française, guide le
journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité
vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.
Ces principes et les règles éthiques ci-après engagent chaque
journaliste, quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au
sein de la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle
il exerce.
Cependant, la responsabilité du journaliste ne peut être
confondue avec celle de l’éditeur, ni dispenser ce dernier de
ses propres obligations.
Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son
contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier
une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la
communication. Son exercice demande du temps et des
moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect
des règles déontologiques sans mise en œuvre des conditions
d’exercice qu’elles nécessitent.
La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou
d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête
et la vérification des sources.
La sécurité matérielle et morale est la base de l’indépendance
du journaliste. Elle doit être assurée, quel que soit le contrat de
travail qui le lie à l’entreprise.
L’exercice du métier à la pige bénéficie des mêmes garanties
que celles dont disposent les journalistes mensualisés.
Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou
exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa
conscience professionnelle, ni aux principes et règles de cette
charte.
Le journaliste accomplit tous les actes de sa profession
(enquête, investigations, prise d’images et de sons, etc.)
librement, a accès à toutes les sources d’information
concernant les faits qui conditionnent la vie publique et voit la
protection du secret de ses sources garantie.
C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce
nom :
Prend la responsabilité de toutes ses productions
professionnelles, mêmes anonymes ;
Respecte la dignité des personnes et la présomption
d’innocence ;
Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité,
l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action
journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de
nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le
détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la
censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour
les plus graves dérives professionnelles ;
Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des
informations d’où qu’elles viennent ;
Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les
informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier
rapidement toute information diffusée qui se révélerait
inexacte ;
N’accepte en matière de déontologie et d’honneur
professionnel que la juridiction de ses pairs ; répond devant
la justice des délits prévus par la loi ;
Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du
commentaire et de la critique ;
Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une
information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources
ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de
journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que
possible explication au public ;
Ne touche pas d’argent dans un service public, une institution
ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses
influences, ses relations seraient susceptibles d’être
exploitées ;
N’use pas de la liberté de la presse dans une intention
intéressée ;
Refuse et combat, comme contraire à son éthique
professionnelle, toute confusion entre journalisme et
communication ;
Cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun
plagiat ;
Ne sollicite pas la place d’un confrère en offrant de travailler à
des conditions inférieures ;
Garde le secret professionnel et protège les sources de ses
informations ;
Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (article XI) :
« La libre communication des pensées et des opinions est un
des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
Constitution de la France (article 34) : « La loi fixe les règles
concernant les droits civiques et les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ;
la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. »
Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (Munich,
1971) : le SNJ, qui fut à l’initiative de la création de la
Fédération internationale des journalistes, en 1926 à Paris, est
également l’un des inspirateurs de cette Déclaration qui réunit
l’ensemble des syndicats de journalistes au niveau européen.

« Déclaration des devoirs et des droits des journalistes »,


dite « Charte de Munich », adoptée par un collège
professionnel syndical européen les 24/25 novembre 1971
Préambule
Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est
une des libertés fondamentales de tout être humain.
De ce droit du public à connaître les faits et les opinions
procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.
La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime
toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs
employeurs et des pouvoirs publics.
La mission d’information comporte nécessairement des limites
que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Tel
est l’objet de la déclaration des devoirs formulés ici.
Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans
l’exercice de la profession de journaliste que si les conditions
concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle
sont réalisées. Tel est l’objet de la déclaration des droits qui
suit.
Déclaration des devoirs
Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la
rédaction et le commentaire des événements, sont :
1. Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les
conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que
le public a de connaître la vérité ;
2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la
critique ;
3. Publier seulement les informations dont l’origine est connue
ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui
s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles
et ne pas altérer les textes et les documents ;
4. Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des
informations, des photographies et des documents ;
5. S’obliger à respecter la vie privée des personnes ;
6. Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ;
7. Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source
des informations obtenues confidentiellement ;
8. S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation et les
accusations sans fondement ainsi que de recevoir un
quelconque avantage en raison de la publication ou de la
suppression d’une information ;
9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du
publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune
consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ;
10. Refuser toute pression et n’accepter de directive
rédactionnelle que des responsables de la rédaction.
Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer
strictement les principes énoncés ci-dessus ; reconnaissant le
droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n’accepte, en
matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs,
à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre.
Déclaration des droits
1. Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les
sources d’information et le droit d’enquêter librement sur
tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des
affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé
au journaliste que par exception et en vertu de motifs
clairement exprimés.
2. Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui
serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle
qu’elle est déterminée par écrit dans son contrat
d’engagement, de même que toute subordination qui ne
serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.
3. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte
professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire
à sa conviction ou à sa conscience.
4. L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de
toute décision importante de nature à affecter la vie de
l’entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision
définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la
rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion
de journalistes.
5. En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le
journaliste a droit non seulement au bénéfice des
conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel
assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’à une
rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et
suffisante pour garantir son indépendance économique.
« Charte d’éthique mondiale des journalistes »,
adoptée par la Fédération internationale des journalistes
(FIJ), le 12 juin 2019
La Charte d’éthique mondiale des journalistes de la FIJ a été
adoptée lors du 30e congrès mondial de la FIJ à Tunis, le
12 juin 2019. Elle complète le Code de principes de la FIJ sur
la conduite des journalistes (1954), dit « Déclaration de
Bordeaux ».
La Charte repose sur des textes majeurs du droit international,
notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Elle contient un Préambule et 16 articles et précise les droits et
les devoirs des journalistes en termes d’éthique.
Préambule
Le droit de chacun.e à avoir accès aux informations et aux
idées, rappelé dans l’article 19 de la Déclaration Universelle
des Droits Humains, fonde la mission du journaliste. La
responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur
toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses
employeurs et des pouvoirs publics. Le journalisme est une
profession, dont l’exercice demande du temps et des moyens
et suppose une sécurité morale et matérielle, indispensables à
son indépendance. La présente déclaration internationale
précise les lignes de conduite des journalistes dans la
recherche, la mise en forme, la transmission, la diffusion et le
commentaire des nouvelles et de l’information, et dans la
description des événements, sur quelque support que ce soit.
1. Respecter les faits et le droit que le public a de les connaître
constitue le devoir primordial d’un.e journaliste.
2. Conformément à ce devoir le/la journaliste défendra, en tout
temps, les principes de liberté dans la collecte et la
publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un
commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à
distinguer clairement l’information du commentaire et de la
critique.
3. Le/la journaliste ne rapportera que des faits dont il/elle
connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations
essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera
prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés
sur les médias sociaux.
4. Le/la journaliste n’utilisera pas de méthodes déloyales pour
obtenir des informations, des images, des documents et des
données. Il/elle fera toujours état de sa qualité de journaliste
et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés
d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt
général s’avère manifestement impossible pour lui/elle en
pareil cas. Il/elle revendiquera le libre accès à toutes les
sources d’information et le droit d’enquêter librement sur
tous les faits d’intérêt public.
5. La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de
l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits,
des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en
cause.
6. Le/la journaliste s’efforcera par tous les moyens de rectifier
de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur
ou information publiée qui s’avère inexacte.
7. Le/la journaliste gardera le secret professionnel concernant
la source des informations obtenues confidentiellement.
8. Le/la journaliste respectera la vie privée des personnes.
Il/elle respectera la dignité des personnes citées et/ou
représentées et informera les personnes interrogées que
leurs propos et documents sont destinés à être publiés.
Il/elle fera preuve d’une attention particulière à l’égard des
personnes interrogées vulnérables.
9. Le/la journaliste veillera à ce que la diffusion d’une
information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la
haine ou les préjugés et fera son possible pour éviter de
faciliter la propagation de discriminations fondées sur
l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre,
les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les
opinions politiques.
10. Le/la journaliste considérera comme fautes
professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la
calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans
fondement.
11. Le/la journaliste s’interdira de se comporter en auxiliaire de
police ou d’autres services de sécurité. Il/elle ne sera tenu
de remettre à ces services que des éléments d’information
rendus publics dans un média.
12. Le/la journaliste fera preuve de confraternité et de solidarité
à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans
renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation,
d’information, de critique, de commentaire, de satire et de
choix éditorial.
13. Le/la journaliste n’usera pas de la liberté de la presse dans
une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un
quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-
diffusion d’une information. Il/elle évitera – ou mettra fin à –
toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts
dans l’exercice de son métier. Il/elle évitera toute confusion
entre son activité et celle de publicitaire ou de
propagandiste. Il/elle s’interdira toute forme de délit d’initié et
de manipulation des marchés.
14. Le/la journaliste ne prendra à l’égard d’aucun interlocuteur
un engagement susceptible de mettre son indépendance en
danger. Il/elle respectera toutefois les modalités de diffusion
qu’il/elle a acceptées librement, comme « l’off », l’anonymat,
ou l’embargo, pourvu que ces engagements soient clairs et
incontestables.
15. Tout-e journaliste digne de ce nom se fait un devoir
d’observer strictement les principes énoncés ci-dessus.
Il/elle ne pourra être contraint-e à accomplir un acte
professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire
à sa conviction et/ou sa conscience professionnelle.
16. Reconnaissant le droit connu de chaque pays, le/la
journaliste n’acceptera, en matière d’honneur professionnel,
que la juridiction d’instances d’autorégulation
indépendantes, ouvertes au public, à l’exclusion de toute
intrusion gouvernementale ou autre.

1. Voir sur ce point, dans la Partie VII, la contribution d’Olivier Koch, « Mourir en couvrant
les conflits armés. Risques et transformations du reportage de guerre ».
2. Publiée le 3 novembre 2010, la Charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde
a fait l’objet d’une mise à jour le 12 février 2021.
3. La Charte des antennes, actualisée en juillet 2020, a été complétée, en décembre 2017,
par une « Charte d’éthique » relative aux « droits et devoirs des collaborateurs » de
l’entreprise.
4. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
5. « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne
pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans
considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen
d’expression que ce soit. »
6. La Charte d’éthique mondiale des journalistes confirme que « respecter les faits et le
droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un.e journaliste ».
7. Sur cette question, voir dans la Partie VI, la contribution de Loïc Ballarini et Camille
Noûs, « Les journalistes et leurs sources ».
8. « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est
jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
Chapitre 2
2 Le lanceur d’alerte et le journaliste

Camille Laville

S
téphanie Gibaud, Chelsea Manning, Antoine Deltour, Denis
Breteau, Irène Frachon, John Kiriakou, Hervé Falciani…
autant de femmes et d’hommes qui, au nom de l’intérêt
public, ont lancé l’alerte et en ont souvent payé le prix fort
(isolement, procédures disciplinaires, licenciement, procédures
juridiques ou judiciaires). Pour lancer l’alerte, ils ont pu compter sur
la collaboration de médias et de journalistes qui leur ont permis de
diffuser des informations confidentielles et de dévoiler au grand jour
des pratiques, des faits ou des risques dont ils ont pris connaissance
au sein d’environnements professionnels variés (institutions
publiques, secteur bancaire et financier, médical ou
environnemental, industrie…). Le développement d’internet a
largement participé à la multiplication du nombre des lanceurs
d’alerte, en leur permettant de diffuser un volume considérable de
données et de documents. Toutefois, les autorités publiques
rencontrent des difficultés à définir un cadre juridique suffisamment
solide pour protéger les lanceurs d’alerte et les journalistes qui
collaborent avec eux. C’est donc aux journalistes et aux lanceurs
d’alerte qu’il est revenu de définir des règles éthiques pour
collaborer tout en limitant les risques.
La figure du lanceur d’alerte : essai de
définition

De la genèse du concept à sa définition


juridique
La figure du lanceur d’alerte n’est pas récente1. Toutefois, le
vocable apparaît pour la première fois au cours des années quatre-
vingt-dix. En France, l’expression de « lanceur d’alerte » a été forgée
par Francis Chateaureynaud et Didier Torny dès 1996 et entérinée
avec la publication, en 1999, de leur ouvrage : Les Sombres
Précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque. Ce
néologisme inventé par ces deux chercheurs visait à nommer une
réalité qui n’était pas jusqu’alors mise en mots dans l’espace
francophone. Il venait faire écho à un terme présent aux États-Unis
depuis le début des années soixante-dix : le « whistleblower »
(Nader, 1972), que l’on peut traduire par « souffleur de sifflet » (en
référence aux arbitres ou aux policiers). Toutefois, le champ d’action
de ce dernier semble plus circonscrit que celui du « lanceur
d’alerte ». En effet, le whistleblowing renvoie à la dénonciation de
pratiques frauduleuses dans le domaine commercial et financier ; là
où l’intervention du « lanceur d’alerte » s’étend bien au-delà de ces
seuls champs.
Par ailleurs, aux États-Unis, on opère une distinction entre le
whistleblower et le leaker. Le leaker est « celui qui fait fuiter des
informations, dont l’action peut être motivée par des raisons
militantes, notamment la recherche d’une plus grande transparence
démocratique » (Dujin, 2019 : 41). Francis Chateauraynaud
distingue le whistleblower du lanceur d’alerte. Il considère que le
whistleblower cherche à dénoncer un comportement ou une
infraction pour en permettre la sanction. Tandis que, dans le cas de
l’alerte, il s’agit « à partir d’indices ou de doutes sur une situation, ou
de l’interprétation de données scientifiques, de mettre en lumière un
risque et d’en appeler à l’action » (Dujin, 2019 : 42).
En 2014, le Conseil de l’Europe définit pour la première fois
officiellement la notion de lanceur d’alerte. Aux termes de la
Recommandation CM/Rec(2014)7 « Protection des lanceurs
d’alerte » du 30 avril 2014, elle « désigne toute personne qui fait des
signalements ou révèle des informations concernant des menaces
ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation
de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur
privé ». En France, il a fallu attendre la fin de l’année 2016 pour que
la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre
la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi
« Sapin II », définisse le lanceur d’alerte comme « une personne
physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de
bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un
engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la
France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur
le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une
menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu
personnellement connaissance ».
Lanceur
Leaker Whistleblower
d’alerte
Champ
Commercial Scientifique, expert
d’action Bancaire, financier, politique…
et financier dans son domaine
privilégié

Le leaker est défini comme un


fuiteur d’information. Les leaks
L’alerte n’est pas
Nature se distinguent par le volume Le whistleblower
fondée
des données de documents qui « fuitent » à dénonce des
sur des données
divulguées la faveur d’une « brèche » pratiques illégales.
secrètes.
informatique, à l’initiative
du leaker ou non.

Porter à l’attention du public


Alerter
une information d’intérêt
Objectifs sur les risques
général, peu importe que la Lutter
visés sanitaires ou
divulgation soit illégale. L’action
environnementaux.
est le plus souvent militante.
Bien qu’il existe différentes définitions du lanceur d’alerte, nous
pouvons en retenir certains aspects communs :
■ Il communique en interne ou auprès du grand public des faits,
des actes qu’il considère comme illicites, illégitimes ou
immoraux.
■ Les informations diffusées par le lanceur d’alerte sont
authentiques.
■ L’alerte est lancée au nom de l’intérêt général ; elle est faite
de manière désintéressée.
■ Les informations et documents transmis par le lanceur d’alerte
sont le plus souvent obtenus dans le cadre de l’exercice de sa
profession.
■ Le lanceur d’alerte n’appartient pas, au moins initialement, à
la sphère médiatique ou journalistique.

Des fuiteurs d’informations (leaks) aux


lanceurs d’alerte
Dans l’histoire de l’alerte, on distingue les lanceurs d’alerte et
les « fuiteurs d’information ». Les seconds désignent les individus
qui diffusent de manière illégale des informations en matière de
renseignement, de défense, ou de diplomatie. Pour Pozen, le
« fuiteur d’information » ou leaking (Pozen, 2013 : 521) est un
employé, ancien employé ou sous-traitant de l’État, qui révèle
anonymement aux médias des informations protégées. Dans
l’imaginaire collectif, le « fuiteur d’information » est parfois perçu
comme celui qui trahit ou désobéit. « L’usage du suffixe -leaks
(« fuites » en anglais), popularisé par Assange et Wikileaks, renvoie
au mode de divulgation, soit la transmission de données
confidentielles vers l’extérieur […] » (Chateaureynaud, 2020,
114). Parmi les « leakers », Edward Snowden, ancien employé de la
NSA et de la CIA, est le plus célèbre. En 2013, il révèle que la NSA
recueille des informations dans le monde entier en surveillant
internet et des téléphones portables. Mais les leakers peuvent
également désigner des personnes qui diffusent de façon illicite des
documents et informations d’entreprises privées, comme des
informations financières, par exemple. L’action des lanceurs d’alerte
ne se limite pas aux champs propres aux leakers. Aucun secteur
professionnel n’échappe aux alertes : défense2, finance3,
environnement4, santé5, etc.

Le lanceur d’alerte : prise de risques


et limites du statut juridique
Actuellement, le statut juridique du lanceur d’alerte et la
législation qui encadre son activité varient d’un pays à l’autre. Si la
France a saisi l’urgence de se doter d’un arsenal juridique en la
matière par le vote de la Loi Sapin II en 2016, cette dernière a fait
l’objet de nombreuses critiques. En 2019, le Parlement européen a
adopté une nouvelle directive ayant pour objectif d’assurer une
meilleure protection des lanceurs d’alerte. La transposition de cette
directive en droit français a été réalisée par une loi n° 2022-401 du
21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs
d’alerte ». Son entrée en vigueur, en septembre 2022, devrait
apporter des réponses aux critiques portant sur la Loi Sapin II.

La protection du lanceur d’alerte : un cadre


juridique en cours d’harmonisation
La version initiale de la loi Sapin II prévoit, dans son article 7,
sous certaines conditions, l’irresponsabilité pénale du lanceur
d’alerte qui porterait atteinte à un secret protégé par la loi. Par
ailleurs, les articles 10, 11 et 13 de la loi précisent les sanctions
encourues par les lanceurs d’alerte qui abuseraient du dispositif
mais aussi les mesures de protection de ces lanceurs d’alerte. Ces
mesures visent notamment à protéger le lanceur d’alerte de toute
discrimination professionnelle qui pourrait être commise à son
encontre (article 10). Le texte prévoit également la réintégration du
lanceur d’alerte qui aurait pu être licencié ou révoqué (article 11).
Ces lanceurs d’alerte doivent agir en respectant une procédure de
signalement par paliers. Ils doivent d’abord donner l’alerte en interne
(voie hiérarchique), puis la signaler à une autorité (voie
administrative ou judiciaire) avant, enfin, d’envisager une diffusion
médiatique (voie publique). Toutefois, ce dispositif par paliers a été
fortement critiqué par de nombreux lanceurs d’alerte et observateurs
car il ne protégeait les lanceurs d’alerte que s’ils respectaient
scrupuleusement les différentes étapes de la procédure de
signalement. En cas d’« alerte » dans le cadre de l’exercice de son
activité professionnelle, le lanceur d’alerte ne pouvait avertir les
médias, les associations ou les organisations non gouvernementales
(ONG) que s’il avait préalablement effectué un signalement en
interne, puis à l’autorité judiciaire ou administrative ou à l’ordre
professionnel, le cas échéant, et que trois mois s’étaient écoulés.
Différents acteurs de la société civile (ONG, syndicats,
représentants des lanceurs d’alerte comme la Maison des lanceurs
d’alerte) et des journalistes ont soulevé plusieurs autres limites de la
loi Sapin II en matière de protection des lanceurs d’alerte. Le
dispositif de signalement par paliers imposé par la loi était perçu
comme rigide et peu adapté à la réalité du terrain ; certains secrets
(informations couvertes par le secret de la défense nationale ou le
secret professionnel des avocats…) sont exclus du régime de
protection ; le champ de la protection ne devrait pas se limiter aux
lanceurs d’alerte mais être étendu à ceux et celles qui jouent le rôle
de porte-voix du lanceur d’alerte ; la protection légale doit enfin
permettre aux lanceurs d’alerte d’éviter les poursuites judiciaires
pour vol d’informations lorsque l’alerte implique l’acquisition illégale
d’informations. Par ailleurs, si la loi garantissait l’anonymat du
lanceur d’alerte, elle ne prenait pas suffisamment en compte les
conséquences de l’alerte sur la relation entre l’employé et
l’employeur, ni son incidence à long terme sur la stabilité
professionnelle et financière du lanceur d’alerte.
En Europe, le Parlement européen a renforcé la protection des
lanceurs d’alerte en adoptant, le 23 octobre 2019, la directive UE
2019/1937 « sur la protection des personnes qui signalent des
violations du droit de l’Union ». Dès lors qu’elles auront été
transposées dans les législations nationales des États membres, ces
nouvelles règles permettront de garantir la sécurité des potentiels
lanceurs d’alerte et la confidentialité des informations révélées, en
autorisant ces personnes à divulguer des informations, soit en
interne à l’entité juridique en cause, soit directement aux autorités
nationales compétentes, ainsi qu’aux institutions, organes, offices et
agences de l’Union européenne (UE) concernés. La directive interdit
explicitement les représailles et introduit des garanties contre la
suspension, la rétrogradation, l’intimidation ou d’autres formes de
rétorsions. La protection s’étend également aux personnes qui
aident les lanceurs d’alerte (facilitateurs, collègues, familles).

Lancer l’alerte : une initiative qui n’est pas


sans risque
En publicisant ou dénonçant les activités ayant cours dans son
organisation parce qu’il estime qu’elles vont à l’encontre de ses
valeurs ou de l’intérêt général, le lanceur d’alerte s’inscrit en rupture
avec son environnement professionnel. Même si la loi vise à
protéger les lanceurs d’alerte contre des représailles potentielles
(licenciement pour faute, rétrogradation, harcèlement,
discrimination…), la diffusion de l’alerte ne permet pas toujours de
conserver leur anonymat et rend, la plupart du temps, impossible la
poursuite de leur activité professionnelle. Par ailleurs, la rupture
professionnelle contribue à fragiliser financièrement le lanceur
d’alerte. D’autant plus que cela peut l’impliquer dans des procédures
judiciaires longues et coûteuses. Ainsi plusieurs lanceurs d’alerte ont
été poursuivis pour manquement au secret des affaires6. Ce fut le
cas en 2016, par exemple, d’Antoine Deltour et Raphael David Halet
(Luxleaks), deux employés de PWC, qui ont été poursuivis au
Luxembourg pour violation du secret professionnel et du secret des
affaires, fraude informatique et vol de documents. Antoine Deltour a
été relaxé par les juridictions luxembourgeoises, tandis que la Cour
européenne des droits de l’Homme a estimé, dans un arrêt du
11 mai 2021, que si Raphael Halet pouvait être considéré comme un
lanceur d’alerte, les documents qu’il avait divulgués « n’avaient pas
un intérêt suffisant pour qu’il puisse être acquitté ».
À l’instar de la Directive européenne dont elle a assuré la
transposition, la loi française du 30 juillet 2018 relative au secret des
affaires comporte plusieurs exceptions à la protection de ce secret,
afin de concilier secret des affaires et exercice du droit d’alerte ou de
la liberté de communication. Institué par cette loi, l’article L. 151-8 du
Code de commerce dispose désormais :
À l’occasion d’une instance relative à une atteinte au
secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque
son obtention, son utilisation ou sa divulgation est
intervenue :
1° pour exercer le droit à la liberté d’expression et de
communication, y compris le respect de la liberté de la
presse, et à la liberté d’information telle que proclamée
dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne ;
2° pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et
de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un
comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice
du droit d’alerte ;
3° pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le
droit de l’Union européenne ou le droit national.
L’étendue des exceptions ainsi consacrées demeure incertaine,
d’autant que la conception du lanceur d’alerte retenue par cette
disposition est sensiblement plus large de celle de la loi Sapin II.
Dans un contexte juridique qui montre des failles en matière de
protection des lanceurs d’alerte, les journalistes apparaissent
comme un pivot indispensable pour diffuser l’alerte tout en
protégeant, sur le fondement du droit à la protection des sources,
l’anonymat du lanceur d’alerte.

Une nécessaire adaptation de la protection


des sources et de l’éthique journalistique
Donner l’alerte s’inscrit dans un axe diachronique qui va voir se
succéder différentes temporalités et différents types d’acteurs7
impliqués dans le processus. Ainsi, lorsqu’un individu décide de
lancer une alerte, il effectue préalablement un signalement en
interne, à sa hiérarchie, ou aux autorités compétentes. L’entreprise,
les organisations syndicales, voire l’autorité judiciaire, constituent
alors ses premiers interlocuteurs. En l’absence de réaction de ces
instances, le lanceur d’alerte va se tourner vers des relais
médiatiques. C’est alors au journaliste qu’il revient de recueillir la
parole du lanceur d’alerte, de vérifier ses dires, de recueillir les
preuves et de se faire le « porte-voix » du lanceur d’alerte. Les
journalistes occupent donc une fonction de transmission de l’alerte,
mais fournissent également un cadre de compréhension pour le
public en contextualisant et en mettant en exergue les enjeux des
données fournies par le lanceur d’alerte.

Le lanceur d’alerte : une source


d’information comme une autre ?
À ce stade, on peut s’interroger sur le statut du lanceur d’alerte.
Est-il une source d’information comme une autre ? La multiplication
des alertes a-t-elle conduit le droit et l’éthique des journalistes à
évoluer ?
En France, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de
la presse garantit aux journalistes professionnels la protection du
secret de leurs sources. Par ailleurs, depuis 1993, le Code de
procédure pénale, dans son article 109, précise que « tout
journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies
dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler
l’origine ». D’autres dispositions de ce code visent à assurer la
protection du secret des sources en cas de réquisitions concernant
les journalistes ou de perquisitions dans les médias. En droit
européen, l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de
l’Homme, le 27 mars 1996, dans l’affaire Goodwin contre Royaume-
Uni, indique que les journalistes ne peuvent être contraints de
divulguer l’identité de leurs sources d’information, sauf en cas
d’impératif prépondérant d’intérêt public. Toutefois, même si la liberté
d’expression est juridiquement protégée, les déboires juridiques et
financiers vécus par de nombreux lanceurs d’alerte laissent penser
que le statut de lanceur d’alerte requiert une législation spécifique
qui puisse à la fois protéger le lanceur d’alerte mais aussi celui qui
diffuse l’information au plus grand nombre, à savoir le journaliste.
C’est l’un des objectifs de la loi du 21 mars 2022, dite « loi
Waserman », visant à transposer la directive européenne du
23 octobre 2019, mais dont l’entrée en vigueur a été différée au
1er septembre 2022.
Ce texte comporte plusieurs axes. Il consacre d’abord un
assouplissement des critères de qualification du lanceur d’alerte,
notamment par la création d’un statut de facilitateur d’alerte pour les
syndicats, les ONG, ou les journalistes, qui pourront bénéficier d’une
protection au même titre que les lanceurs d’alerte. Le texte
promulgué prévoit ensuite une simplification de la procédure de
signalement. Alors que la version initiale de la loi Sapin II imposait
aux lanceurs d’alerte de suivre une procédure en trois paliers, il est
désormais envisagé de supprimer le premier palier, puisque la
directive européenne permet aux citoyens de ne pas passer
nécessairement par l’alerte en interne. Sont enfin mises en place
des sanctions pour les entreprises ou les administrations qui
cherchent à faire taire les lanceurs d’alerte.
Dans l’attente de la transposition de la directive européenne, les
journalistes ont dû adapter le cadre éthique qui régit leur profession
pour pouvoir poursuivre leur collaboration avec les lanceurs d’alerte
tout en limitant la prise de risque pour leurs sources et pour eux-
mêmes.
Comme on a pu le voir, les journalistes constituent des
interlocuteurs essentiels du lanceur d’alerte. Toutefois, la relation qui
s’établit entre le lanceur d’alerte et le journaliste implique un cadre
d’exercice spécifique qui protège à la fois le lanceur d’alerte et le
journaliste. À cet effet, des journalistes qui ont collaboré à plusieurs
reprises avec des lanceurs d’alerte et des collectifs de journalistes
d’investigation ont émis des recommandations à l’intention des
journalistes, quand ceux-ci sont amenés à coopérer avec des
lanceurs d’alerte. Parmi ces recommandations, on peut citer : les
principes de Pérouse de 20198 ; le guide de l’Unesco de 2017,
Protecting journalism sources in the digital age ; le guide pratique à
l’usage des lanceurs d’alerte, rédigé par l’ONG Transparency ; ou
encore celui de la Maison des lanceurs d’alerte. Nous avons identifié
cinq propositions à destination des journalistes.
■ Protéger ses sources : Le journaliste doit protéger
l’anonymat du lanceur d’alerte. Aussi, le journaliste peut être
amené à supprimer certaines données fournies par sa source,
afin de protéger son anonymat.
■ Communiquer de manière sécurisée : Il revient également
au journaliste de mettre en place des moyens de
communication sécurisés. Cela peut se traduire par la mise
en place d’outils de communication cryptée.
■ Accompagner et préparer le lanceur d’alerte aux risques
encourus : Le journaliste peut également inviter les lanceurs
d’alerte à se préparer aux risques encourus à la suite de la
divulgation des informations. Ces risques sont d’ordre
financier, psychologique, physique, etc. Le journaliste est
parfois amené à orienter le lanceur d’alerte vers des services
juridiques spécialisés.
■ Connaître la législation en matière de protection des
lanceurs d’alerte : La réglementation en matière de
protection des lanceurs d’alerte varie d’un pays à l’autre. Il est
donc impératif que le journaliste maîtrise les règles juridiques
du pays où il exerce pour pouvoir limiter les risques pris par
les lanceurs d’alerte.
■ Maîtriser la diffusion des informations et/ou documents :
Dans la mesure du possible, le journaliste est encouragé à
publier les documents et l’ensemble des données dans leur
intégralité, afin d’asseoir la légitimité du lanceur d’alerte et la
sienne.
En conclusion, il apparaît que le cadre éthique qui s’établit entre
le journaliste et le lanceur d’alerte a fait l’objet de réflexions au sein
de la communauté journalistique et des lanceurs d’alerte, permettant
de fournir des balises significatives pour guider les deux parties.
Aujourd’hui encore, il revient notamment au journaliste et au lanceur
d’alerte de s’assurer du cadre de leur relation pour se protéger
mutuellement, afin que la prise de risque ne constitue pas un
obstacle insurmontable et que l’alerte puisse être donnée.
Toutefois, la directive du 23 octobre 2019, qui vise à harmoniser
la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union européenne,
constitue sans nul doute une réelle avancée en la matière. En
France, la transposition de cette directive par la loi Waserman du
21 mars 2022 devrait permettre de fournir un cadre de protection
solide pour les lanceurs d’alerte comme pour les journalistes.
Bibliographie
• Chateauraynaud F., « Des formes de citoyenneté irréductibles »,
dans F. Chateauraynaud (éd.), Alertes et lanceurs d’alerte,
Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », n° 4102, 2020, p. 109-117.
• Chateaureynaud F. et Torny D., Les Sombres Précurseurs. Une
sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Paris, Éditions
de l’EHESS, 1999.
• Dujin A., « Les mots de l’alerte », Esprit, 2019/4, p. 39-45.
• Nader R., Whistle Blowing: The Report of the Conference on
Professional Responsabiliy, Londres, Bantam Press, 1972.
• Pozen D. E., « The Leaky Leviathan: Why the Government
Condemns and Condones Unlawful Disclosures of
Information », 127 Harv. L. Rev. 512, 2013, p. 512-635.
• Tixier J. et Deltour F., « La solitude du lanceur d’alerte : de la
démarche individuelle à l’action collective ? »,
XXVII Conférence internationale de Management stratégique,
e

Montpellier, 6-8 juin 2018.

1. Les individus révélant, par le biais de la médiatisation, des dangers sous-évalués ou des
abus, sont légion. En France, on citera, par exemple, le cas d’Anne-Marie Casteret, qui
révéla, en 1987, l’affaire du sang contaminé ou celui d’André Cicolella, toxicologue à
l’INRS qui, pour avoir dénoncé les effets nocifs des éthers de glycol en 1994, fut ensuite
licencié.
2. En 1971, Daniel Ellsberg communique au New York Times les « Pentagon Papers » qui
relatent l’implication politique et militaire du gouvernement américain au Vietnam.
3. En 2008, Stéphanie Gibaud, employée au sein de la firme UBS, refuse de détruire, à la
demande de son entreprise, des données de disque dur qu’elle transmet à la justice et à
la presse. Ainsi, elle vient confirmer les déclarations d’un ancien employé d’UBS, Bradley
Birkenfeld, sur les pratiques d’évasion fiscale de la banque suisse.
4. En 2017, Karim Ben Ali, chauffeur de camion embauché par une filiale de Suez
Environnement, lance l’alerte en diffusant une vidéo dans laquelle il témoigne du
déversement d’acide dans la nature par Arcelor Mittal.
5. En 2010, Irène Frachon, médecin-pneumologue, alerte sur la dangerosité du Médiator,
commercialisé par les laboratoires Servier pendant 33 ans. L’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) reconnaît, le 16 novembre 2010,
que le Médiator est la cause directe d’au moins 500 morts, le chiffre est réévalué ensuite
à 2 000 morts.
6. La loi française du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires transpose
la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des
informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention,
l’utilisation et la divulgation illicites. Selon son rapporteur à l’Assemblée nationale,
l’objectif est de doter la France d’un « cadre juridique clair, précis et efficace pour assurer
la protection de nos entreprises contre l’espionnage économique, le pillage industriel et
la concurrence déloyale ».
7. Julie Tixier et François Deltour (Tixier et Deltour, 2018) distinguent cinq acteurs
principaux qui soutiennent le lanceur d’alerte dans le processus : les organisations
syndicales, les ONG, les partis politiques, les organes de presse et les comités de
soutien.
8. En 2019, lors de la 11e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation, Dr Julie
Posetti, senior researcher au Reuters Institute for the Study of Journalism de l’Université
d’Oxford, Dr Suelette Dreyfus, chercheuse à l’Université de Melbourne, et Naomi Colvin,
avocate et directrice de la Courage foundation qui soutient les lanceurs d’alerte, ont
collaboré avec une vingtaine de journalistes afin de définir les principes d’une
collaboration entre journaliste et lanceur d’alerte dans un contexte numérique, intitulés
les principes de Pérouse.
Chapitre 3
3 Les évolutions des instances
de régulation de l’information

Agnès Granchet

L
a consécration de la liberté de la presse, par la loi du
29 juillet 1881, n’a pas supprimé tout contrôle du contenu de
l’information diffusée par les médias. Comme le prévoit
l’article 5 de cette loi, « tout journal ou écrit périodique peut être
publié sans déclaration ni autorisation préalable, ni dépôt de
cautionnement ». Les journalistes et les médias sont libres de
publier des informations sans autorisation préalable, mais ces
informations peuvent toujours faire l’objet de contrôles a posteriori, y
compris par les autorités publiques elles-mêmes. L’attribution de
certaines aides à la presse (tarifs postaux préférentiels ou TVA au
taux hyper réduit de 2,1 %) est, par exemple, subordonnée à
l’obtention d’un certificat, délivré par la Commission paritaire des
publications et agences de presse aux publications qui remplissent
un certain nombre de conditions. Certaines d’entre elles, en
particulier le « caractère d’intérêt général » des publications « quant
à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information,
récréation du public » supposent une appréciation sur le contenu de
l’information publiée par les médias en cause. Les autorités investies
du pouvoir de police administrative (ministres, préfets, maires)
peuvent également, pour assurer le maintien de l’ordre public,
restreindre ou interdire la diffusion de certaines publications qui y
porteraient atteinte, sous réserve que les mesures adoptées soient
« nécessaires, adaptées et proportionnées » au but d’ordre public
poursuivi.
Toutes ces mesures publiques de contrôle, direct ou indirect, de
l’information publiée par les médias, sont cependant soumises au
contrôle du juge, qui est, par essence même, le gardien des droits et
libertés, et de la liberté de la presse, en particulier. Le contrôle de
l’information est traditionnellement assuré, en France, par les
juridictions et, plus récemment, par des autorités publiques ou
administratives indépendantes, investies d’une mission de
régulation. Jusqu’à la création du Conseil de déontologie
journalistique et de médiation (CDJM) en décembre 2019, il n’existait
en effet aucune instance d’autorégulation professionnelle commune
à tous les médias d’information.

Une longue tradition de contrôle public


de l’information
Aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de
l’Homme et du Citoyen, « la libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout
Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre
de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». Cette
disposition a naturellement vocation à s’appliquer aux journalistes et
aux médias, qui sont libres de publier des informations sans
autorisation, mais tenus d’assumer la responsabilité d’éventuels
abus de leur liberté d’expression. La détermination de ces abus
incombe au législateur et leur sanction relève du juge, gardien des
droits et libertés et, en particulier, de la conciliation entre la liberté
d’expression et les droits individuels ou collectifs concurrents. La
consécration, par la loi du 29 juillet 1982, de la liberté de
communication audiovisuelle, s’est accompagnée de la création
d’une instance de régulation chargée de veiller au respect de cette
liberté et, ultérieurement, des exigences de liberté, de pluralisme et
d’indépendance de l’information.
Le juge, « première institution de contrôle
déontologique des pratiques
journalistiques » ?
Empruntée à une affirmation faite, à propos du juge judiciaire,
dans un article intitulé « Le juge judiciaire, juge de la déontologie des
journalistes » (Montebourg, 1993), la question de savoir si,
aujourd’hui, le juge est encore « la première institution de contrôle
déontologique des pratiques journalistiques » est volontiers
provocatrice. Chargé de veiller à l’application du droit, le juge n’est
évidemment pas compétent pour interpréter, appliquer et
sanctionner les principes de la déontologie journalistique, par
essence d’origine professionnelle. Il n’en demeure pas moins que,
pour trancher les litiges, impliquant des journalistes ou des médias,
qui leur sont soumis, les juges français et européens sont
nécessairement amenés à porter une appréciation, a posteriori, sur
le contenu des informations publiées et, parfois, ne serait-ce
qu’indirectement, sur leur conformité à l’éthique journalistique.
Pour apprécier la légitimité de la mise en jeu de la clause de
conscience par des journalistes qui invoquent un « changement
notable dans le caractère ou l’orientation » du média dans lequel ils
travaillent, le juge est nécessairement amené à porter une
appréciation sur le contenu de l’information publiée par le média en
cause. Dans une affaire concernant la mise en jeu de la clause de
conscience par des journalistes du magazine Voici, par exemple, la
Cour de cassation a, par un arrêt du 17 avril 1996, admis l’existence
d’un « changement notable » de la ligne éditoriale du magazine,
justifiant l’ouverture de la clause de conscience, en relevant que
« exclusif de tout caractère scandaleux » lors de son lancement
en 1987, Voici s’était ultérieurement délibérément orienté « vers la
publication d’articles privilégiant le sensationnel et portant atteinte à
la vie privée ».
Dans l’appréciation des abus de la liberté d’expression
(diffamation, atteinte à la vie privée, au droit à l’image ou à la
présomption d’innocence, par exemple) invoqués devant lui, le juge
procède, de même, à un contrôle de l’information diffusée par la
personne ou le média mis en cause. Le caractère d’intérêt général
de l’information publiée est, dans la plupart des cas, le critère qui
permet de faire le partage entre l’exercice légitime de la liberté
d’expression et l’abus de cette liberté. En matière d’atteinte alléguée
au droit au respect de la vie privée, par exemple, les juges français
et européens tiennent compte, pour apprécier la réalité de cette
atteinte, de différents critères : la contribution de la publication à un
débat d’intérêt général ; son contenu, sa forme et ses
répercussions ; les circonstances de la collecte de l’information ou
de la prise des photographies. Plusieurs de ces critères relèvent du
contenu de l’information elle-même. En matière de diffamation, la
reconnaissance de la bonne foi du journaliste1 poursuivi pour ce délit
suppose la réunion de quatre critères (but légitime d’information,
absence d’animosité personnelle, sérieux de l’enquête, prudence
dans l’expression) dont l’examen passe encore par un contrôle, par
le juge, de la nature du travail journalistique. Dans une affaire de
diffamation envers la police, la Cour de cassation a ainsi, par un
arrêt du 12 juin 1978, refusé le bénéfice de la bonne foi au
journaliste auteur de l’article litigieux en considérant que
« l’amplification et la généralisation systématiques ainsi que la
présentation tendancieuse de certains faits révélaient non seulement
l’insuffisance des vérifications préalables, mais aussi le manque
d’objectivité et de sincérité du journaliste ».
Au-delà de la stricte application des règles de droit, les juges
font en effet de fréquentes références à l’éthique journalistique en
général ou à certains de ses principes fondamentaux, tels que la
loyauté, l’honnêteté, l’impartialité ou la prudence. Dans une affaire
jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation le
22 octobre 2009, il a, par exemple, été estimé que la publication, par
un journaliste, d’un article sur la situation financière d’une société,
qui reprenait les propos d’une interview du directeur de la société,
publiée dans un journal concurrent constituait « un comportement
parasitaire, au demeurant contraire à l’éthique professionnelle »,
dont on sait qu’elle prohibe le plagiat et impose au journaliste
l’obligation de respecter le travail de ses confrères. À propos d’un
compte rendu de débats judiciaires, la Cour de cassation a pu
estimer, dans un arrêt du 22 octobre 1996, que « le but légitime
d’information du public sur le fonctionnement de la justice ne
dispensait pas le journaliste du respect de la présomption
d’innocence, ainsi que des devoirs de prudence et d’objectivité dans
l’expression de la pensée ». Dans une autre affaire, examinée par
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25 février 2000, il a
été jugé que qualifier une journaliste d’attachée de presse
« occulte » d’un ministre était constitutif de diffamation, « le
journaliste ayant l’obligation déontologique d’informer le public en
toute indépendance et objectivité ».
Juridiction chargée de veiller au respect, par les 46 États
membres du Conseil de l’Europe, de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du
4 novembre 1950, la Cour européenne des droits de l’Homme
(CEDH) fait également très souvent référence, dans ses arrêts, à
l’éthique ou à la déontologie journalistique. Dans le désormais
célèbre arrêt Goodwin contre Royaume-Uni du 27 mars 1996, la
CEDH a posé, pour la première fois, le principe selon lequel « la
protection des sources journalistiques est l’une des pierres
angulaires de la liberté de la presse », en considérant notamment
que « cela ressort des lois et codes déontologiques en vigueur dans
nombre d’États contractants ». Favorable, de façon générale, à une
interprétation extensive de l’article 10 de la Convention européenne
relatif à la liberté d’expression, la CEDH donne à cette liberté une
portée particulièrement large lorsque l’auteur des propos est un
journaliste. Selon une jurisprudence désormais constante, la Cour
estime que l’article 10 de la Convention « protège le droit des
journalistes de communiquer des informations sur des questions
d’intérêt général dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base
de faits exacts et fournissent des informations “ fiables et précises ”
dans le respect de l’éthique journalistique ». La CEDH tient
également compte des exigences de la déontologie journalistique
dans l’appréciation de la validité des restrictions apportées, par les
États du Conseil de l’Europe, à la liberté d’expression des
journalistes, par les condamnations judiciaires prononcées contre
eux. Dans un arrêt Sellami contre France du 17 décembre 2020, par
exemple, la Cour européenne a considéré que la condamnation
prononcée par les juridictions françaises, pour recel de violation du
secret de l’instruction, d’un journaliste qui avait publié, dans un
article à caractère sensationnaliste, le portrait-robot d’un suspect,
couvert par le secret d’une enquête pour viol en série avec arme,
mais devenu inexact après le changement de l’identité de la
personne recherchée, ne constituait pas une violation de l’article 10
de la convention. Dans les motifs de sa décision, la Cour
européenne a notamment relevé deux manquements à la
déontologie journalistique : « l’approche sensationnaliste retenue
pour la présentation du portrait-robot » et l’inexactitude de
l’information diffusée.
Régulièrement mentionnée, dans leurs décisions, par les juges
français ou européens, la déontologie journalistique s’est, à l’inverse,
emparée de certains principes d’origine jurisprudentielle, comme la
bonne foi. Désormais reconnue, à côté de la preuve de la vérité du
fait diffamatoire, par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse, comme un second moyen de défense de la
personne poursuivie pour diffamation, la bonne foi est, à l’origine un
concept forgé par les juges pour pallier l’impossibilité, dans certaines
affaires, d’apporter la preuve de la vérité du fait diffamatoire,
susceptible d’exonérer le diffamateur de sa responsabilité. La notion,
voire les quatre critères jurisprudentiels de la bonne foi, sont
désormais mentionnés dans certains codes ou chartes de
déontologie journalistique, tels que les Règles et usages de la
presse quotidienne régionale, notamment.
Sans constituer des instances professionnelles de contrôle de
l’application de la déontologie journalistique, les juridictions
françaises et européennes peuvent néanmoins contribuer à
sanctionner certains manquements aux principes fondamentaux du
journalisme, voire à les enrichir. Concurrencé par l’autorégulation
des réseaux sociaux (par le biais de leurs conditions générales
d’utilisation et, pour certains, par la mise en place, d’un comité de
surveillance interne) et l’extension des compétences du régulateur
de l’audiovisuel à la régulation des opérateurs de plateformes en
ligne, en matière de lutte contre les fausses informations et les
discours de haine, le rôle du juge dans le contrôle de l’information
diffusée sur les réseaux socio-numériques devrait, à l’avenir,
sensiblement reculer.

Le régulateur de l’audiovisuel et la
« déontologie de l’information et des
programmes »
Instance de régulation des médias audiovisuels et, désormais
aussi, des opérateurs de plateformes en ligne, le Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA), créé par une loi du 17 janvier 1989 et
transformé, par la loi du 25 octobre 2021 « relative à la régulation et
à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique »,
en Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et
numérique (ARCOM), n’est pas une instance d’autorégulation
professionnelle chargée de veiller au respect de la déontologie
journalistique. Par sa nature, sa composition et sa mission de
régulation, l’ARCOM relève, selon la terminologie proposée par
Benoît Grevisse, de l’« hétéro-régulation » (Grevisse, 2016 : 29),
autrement dit du droit. Le régulateur des médias audiovisuels et des
plateformes n’est pas une institution volontairement mise en place
par les professionnels de l’information. Il s’agit d’une autorité
publique indépendante, instituée par la loi et composée de neuf
membres nommés par le président de la République et
respectivement désignés par le président de la République, les
présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le vice-président
du Conseil d’État et le premier président de la Cour de cassation.
Chargée de veiller au respect, par les chaînes de radio et de
télévision et par les opérateurs de plateformes en ligne, de leurs
obligations légales et réglementaires, mais aussi contractuelles pour
les chaînes privées signataires d’une convention d’autorisation
d’exploitation délivrée par le régulateur, l’ARCOM n’a, en aucun cas,
vocation à contrôler et sanctionner les journalistes eux-mêmes.
Il reste que, dans l’exercice des missions qui lui sont confiées
par la loi du 30 septembre 1986 « relative à la liberté de
communication », l’ARCOM est amenée à exercer un contrôle de
l’information diffusée par les médias audiovisuels et numériques et à
intervenir, selon l’expression employée par l’institution elle-même, en
matière de « déontologie de l’information et des programmes ».
Ayant pour mission essentielle, aux termes de l’article 3-1 de la loi
de 1986, de garantir « l’exercice de la liberté de communication au
public par voie électronique » consacrée par le premier article de la
même loi, le régulateur doit également s’assurer du respect des
limites de cette liberté, tenant, en particulier, au respect de la dignité
de la personne humaine et à la sauvegarde de l’ordre public. Ce
sont précisément les manquements constatés à ces deux principes
qui avaient, par exemple, conduit le CSA à prononcer, le 12 février
2015, 15 mises en garde et 21 mises en demeure, à l’encontre de 13
chaînes différentes de radio et de télévision, à propos de leur
couverture des attentats de janvier 2015. Malgré les accusations de
censure formulées, en l’espèce et de façon récurrente, par les
journalistes et les médias, le régulateur ne peut, en aucun cas, être
considéré comme un organe de censure de l’information et des
contenus audiovisuels dans la mesure où il intervient toujours
postérieurement à leur diffusion pour s’assurer que les chaînes de
radio et de télévision ont respecté leurs obligations. Les cahiers des
charges des chaînes publiques, comme les conventions conclues
par le régulateur avec les chaînes privées, comportent en effet une
série d’obligations « déontologiques » qui concernent notamment
« la dignité de la personne humaine et la protection des mineurs »,
« la lutte contre les discriminations et la représentation de la
diversité à l’antenne », ainsi que « l’honnêteté et le pluralisme de
l’information ».
L’autre fondement de l’intervention de l’ARCOM en matière de
« déontologie de l’information » est la mission, qui lui est attribuée
par l’article 3-1, alinéa 3, de la loi du 30 septembre 1986, de garantir
« l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des
programmes qui y concourent ». À ce titre, le régulateur doit
notamment s’assurer que les conventions d’autorisation conclues
avec les chaînes privées garantissent le respect du droit d’opposition
et du droit à la protection des sources consacrés par l’article 2 bis de
la loi de 1881.
Dans le cadre ainsi fixé par la loi, le CSA a progressivement
dégagé une « doctrine », ultérieurement synthétisée dans une
délibération du 18 avril 2018 « relative à l’honnêteté et à
l’indépendance de l’information et des programmes qui y
concourent », imposant en particulier une « exigence de rigueur »
dans le recueil et le traitement de l’information et un « impératif
d’honnêteté » dans sa présentation. La première requiert notamment
de vérifier « le bien-fondé et les sources de chaque information »,
d’utiliser des images en adéquation avec le sujet illustré et de situer
l’information dans son contexte, en précisant, le cas échéant, qu’il
s’agit d’images d’archives ou d’une reconstitution des événements.
L’honnêteté de la présentation de l’information postule, de son côté,
d’assurer l’équilibre des points de vue ou des thèses en présence et
d’informer le public des moyens utilisés pour obtenir l’information.
Régulièrement saisi à propos de l’usage de caméras cachées,
considéré par les plaignants comme contraire au principe
déontologique de l’interdiction des méthodes déloyales de collecte
de l’information, le régulateur subordonne la validité de cette
pratique à la réunion de plusieurs conditions. L’information
recherchée doit avoir un caractère d’intérêt public. Il ne doit pas
exister d’autres moyens d’obtenir cette information. Le public doit
être informé de la réalisation du reportage en caméras cachées. Les
personnes filmées ne doivent, enfin, pas pouvoir être identifiées.
L’exigence de « maîtrise de l’antenne », qui requiert parfois une
réaction du journaliste aux propos d’un participant à une émission, a
été forgée par le CSA pour assurer à la fois l’honnêteté de
l’information diffusée et la sauvegarde de l’ordre public, la lutte
contre les propos racistes, en particulier.
En ce qui concerne la régulation des contenus diffusés par les
opérateurs de plateforme en ligne, l’ARCOM a, de façon plus
spécifique, pour mission de veiller au respect, par les plateformes,
des obligations qui leur sont imposées en matière de lutte contre les
fausses informations et contre les discours de haine. La loi du
22 décembre 2018 « relative à la lutte contre la manipulation de
l’information » avait confié au CSA le pouvoir de suspendre, en
période électorale, la diffusion des services contrôlés par des États
étrangers et diffusant « de façon délibérée, de fausses informations
de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Le régulateur a aussi la
mission de s’assurer du respect, par les opérateurs de plateforme,
de leurs obligations de mettre en œuvre « des mesures en vue de
lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de
troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité » des élections
présidentielles, parlementaires, européennes ou des référendums. Il
s’agit principalement de la mise en place d’un « dispositif facilement
accessible et visible » de signalement des fausses informations,
ainsi que de mesures de transparence sur les algorithmes et les
contenus sponsorisés. La loi du 24 août 2021 « confortant le respect
des principes de la République » a encore accru l’étendue des
missions de l’ARCOM au contrôle du respect, par les plateformes,
de leurs obligations (dispositif de signalement, information,
transparence…) en matière de lutte contre la diffusion de contenus
haineux, constitutives des infractions graves énumérées par la loi.
La prochaine adoption, par l’Union européenne, du Digital Service
Act devrait encore, en augmentant la responsabilité des services
numériques, élargir le champ des compétences de l’ARCOM dans la
régulation de l’information diffusée en ligne.
Autrefois qualifié de « gendarme de l’audiovisuel » en raison de
son pouvoir d’infliger des sanctions (sanction pécuniaire, insertion
d’un communiqué, suspension d’un programme…), aux chaînes de
radio et de télévision qui manquent à leurs obligations, le régulateur
des médias audiovisuels préfère généralement agir par la voie de la
concertation plutôt que par la répression. Investi, par l’article 3-1,
alinéa 7, de la loi de 1986, d’une mission de conciliation dans le
règlement des différends entre éditeurs et producteurs, le CSA a
toujours fait un usage plutôt modéré de son pouvoir de sanction.
L’adoption de règles et recommandations applicables aux éditeurs
est souvent précédée d’une phase de concertation avec les chaînes
concernées. Après les tragiques événements de janvier 2015 et les
avertissements prononcés à l’encontre des chaînes pour les
modalités leur couverture médiatique, le CSA a élaboré, en
concertation avec elles, des « précautions relatives à la couverture
audiovisuelle d’actes terroristes », publiées le 25 octobre 2016. De
nombreuses chaînes de radio ou de télévision, telles que France
Médias Monde dans sa « Charte de déontologie des journalistes »
ou France info dans sa « Charte déontologique », ont ultérieurement
ajouté, dans leurs chartes internes d’entreprises, des dispositions,
inspirées de ce code, relatives à la couverture des attentats, des
actes de guerre ou de violences armées contre les populations
civiles. Les méthodes employées par le régulateur de l’audiovisuel,
fondées sur la concertation avec les médias, et son mode de
fonctionnement marqué par une relative souplesse tendent, dans
une certaine mesure, à rapprocher cette instance de régulation
d’une instance d’autorégulation issue de la profession elle-même.

Une lente progression de l’autorégulation


professionnelle de l’information
Relativement précurseurs dans l’élaboration de principes
déontologiques communs, par l’adoption, dès 1918, d’une Charte
des devoirs des journalistes professionnels, les journalistes français
se sont longtemps opposés, au nom de la liberté de la presse, à la
mise en place d’une instance d’autorégulation de l’information. La
crainte d’un ordre professionnel des journalistes ou d’un organe de
censure de l’information a fait obstacle, pendant plus de 100 ans, à
l’instauration, en France, d’une instance commune d’autorégulation
de l’information journalistique. Les organes d’autorégulation internes
institués par certains médias n’ont pas toujours eu la portée
escomptée et nombre d’entre eux n’ont pas perduré dans le temps.
Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation, finalement
créé en décembre 2019, est une institution relativement récente et
qui n’a sans doute pas encore acquis une pleine légitimité auprès de
l’ensemble des professionnels de l’information.

Crainte récurrente d’un ordre professionnel


des journalistes
Groupement obligatoire de personnes exerçant une même
activité, l’ordre professionnel, caractéristique des professions
libérales (avocats, médecins), ne pouvait, à l’évidence, pas être
transposé à l’autorégulation de la profession de journaliste,
essentiellement salariée2. Lors de sa création, le 10 mars 1918, le
Syndicat des journalistes, ultérieurement renommé Syndicat national
des journalistes (SNJ), se définit pourtant comme une « association
de défense et de discipline professionnelle » ayant notamment pour
ambition de « remplir un rôle moral analogue à celui du Conseil de
l’ordre des avocats », autrement dit d’élaborer les règles de la
déontologie journalistique et d’en sanctionner les violations. La
« Charte des devoirs professionnels des journalistes français »,
adoptée par ce même syndicat en juillet 1918, prévoyait d’ailleurs,
parmi les 14 devoirs imposés à « un journaliste digne de ce nom »,
qu’un tel journaliste « ne reconnaît que la juridiction de ses pairs,
souveraine en matière d’honneur professionnel ». La « juridiction »
prévue n’a pourtant jamais vu le jour, avant la création, en
décembre 2019, du Conseil de déontologie journalistique et de
médiation.
Organisation professionnelle composée de huit représentants
des journalistes et huit représentants des employeurs, la
Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels
(CCIJP), instituée par la loi Brachard du 29 mars 1935 « relative au
statut professionnel des journalistes », n’a jamais eu aucune
compétence de nature déontologique. Son rôle s’est toujours limité à
délivrer la carte dite « de presse » aux journalistes qui remplissent
les critères de la définition légale du journaliste professionnel. La
moindre prise de position de la Commission de la carte (tel un
communiqué par lequel, le 3 février 1992, la CCIJP avait, tout en
rappelant qu’elle n’avait pas de prérogative déontologique, appelé
« les éditeurs et les journalistes, chacun selon ses responsabilités, à
conjuguer leurs efforts » pour mettre fin aux « “dérapages” qui
sapent la crédibilité des journalistes et des médias ») serait
immédiatement considérée comme une tentative de museler
l’information et susciterait de vives réactions dans les rédactions.
Le refus d’un ordre professionnel des journalistes explique
largement l’échec de toutes les tentatives successives menées en
France, jusqu’à la fin de l’année 2019, pour mettre en place un
conseil de presse ou une instance d’autorégulation de l’information
journalistique, une telle instance étant systématiquement perçue, par
les professionnels de l’information, comme une menace pour leur
liberté.
À la Libération, l’ordonnance du 26 août 1944 « sur
l’organisation de la presse française » annonçait, dans son
article 20, l’adoption ultérieure d’un texte visant à créer une
Association nationale de la presse, chargée de prononcer des
sanctions d’ordre professionnel. Cette association n’a jamais été
mise en place et l’ordonnance du 26 août 1944, supposée n’avoir
qu’un caractère provisoire, n’a pourtant été formellement abrogée
que par une loi du 27 novembre 1986 « complétant la loi du 1er août
1986 portant réforme du régime juridique de la presse et la loi du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ». Le refus
et la crainte d’un ordre professionnel, étroitement associé au
souvenir du régime de Vichy ou à certains contre-exemples
étrangers de l’entre-deux-guerres, expliquent sans doute l’échec des
multiples projets d’instances collectives, d’initiative professionnelle
ou parlementaire, qui fleurirent après la Seconde Guerre mondiale.
La Fédération nationale de la presse française (FNPF) proposa
vainement, en octobre 1945, l’adoption d’une « Déclaration des
droits et des devoirs de la presse libre » et la création d’un Ordre
national de la presse chargé de « veiller sur l’honneur de la
profession » et de « jurys de presse » pour sanctionner les
manquements à l’éthique. Son projet de Cour d’honneur de la
presse française, chargée d’examiner les atteintes à la discipline
professionnelle et les manquements aux obligations de la presse ne
suscita pas davantage l’adhésion, en septembre 1946. Les
nombreux projets ministériels et propositions parlementaires de
création d’un organe collectif de contrôle de la profession (projet
Bourdan en juin 1947, puis proposition Bichet de Chambre nationale
de la presse en juin 1949 ; projet Teitgen en faveur de l’institution
d’un Conseil supérieur de la presse et d’un Conseil supérieur des
journalistes en 1950…) furent également abandonnés. L’idée
refleurit dans les années soixante, en particulier avec un projet de la
Fédération nationale des syndicats et associations professionnelles
de journalistes, visant à l’adoption d’un code d’honneur des
journalistes et à la constitution d’un Conseil supérieur de
l’information. Mais elle n’eut pas davantage de succès. Plus
récemment encore, la création d’un conseil de presse a été écartée
par le pôle des États généraux de la presse écrite consacré à
« l’avenir des métiers du journalisme », le livre vert publié en
janvier 2009 évoquant à la fois « le risque de mise en place d’une
sorte de “police déontologique” et celui de ne pas tenir compte de la
variété des publications, de leurs orientations et de leur projet
éditorial ». Aucune initiative professionnelle pour la création d’une
instance d’autorégulation de l’information n’ayant abouti, les
initiatives parlementaires ultérieures, telle que la proposition de loi,
présentée, le 13 juillet 2011, par le député Jean-François Mancel
« visant à instituer un conseil national de déontologie journalistique »
groupant obligatoirement tous les journalistes, étaient, a fortiori,
nécessairement vouées à l’échec, car inévitablement suspectées de
chercher à introduire un contrôle public sur l’information.
L’opposition récurrente des journalistes français, voire
persistante pour certains, à la création d’une instance commune
d’autocontrôle de l’information a sans doute incité certains médias à
prendre l’initiative de mettre en place, en leur sein, des organes
d’autorégulation internes, dont la portée reste cependant limitée.

Portée limitée des organes d’autorégulation


spécifiques à certains médias
Conscients de l’importance de la déontologie journalistique pour
améliorer la confiance de leur public et, avec elle, l’étendue de leur
liberté, certains médias ont tenté de pallier l’absence d’instance
commune d’autorégulation par la mise en place, au sein de leurs
entreprises, d’organes d’autorégulation internes, tels que des
médiateurs de presse ou des comités d’éthique et de déontologie.
Institués dans certains médias français, sur le modèle de
l’ombudsman suédois, dans les années quatre-vingt-dix, les
médiateurs de presse sont investis, au sein des entreprises qui les
emploient, d’une mission d’autorégulation ou d’autodiscipline. Le
quotidien Le Monde, par exemple, s’était doté d’un médiateur
en 1994. Dans l’audiovisuel, France télévisions a créé trois postes
de médiateurs de l’information (France 2 et France 3) et des
programmes en 1998. Radio France en a fait autant en 2002 et
France Médias Monde s’est doté d’un médiateur en 2013. Une
médiatrice de l’information a été mise en place pour le groupe TF1
en 2009 mais son rôle semble se limiter à répondre aux questions
des téléspectateurs sur le blog « La médiatrice vous répond ». Dans
les années 2000, quelques quotidiens régionaux comme La
Nouvelle République du Centre Ouest, Sud-Ouest ou La Montagne,
avaient également institué des postes de médiateurs.
Le médiateur est généralement un collaborateur salarié de
l’organe d’information considéré, souvent un journaliste chevronné
qui connaît bien le média et ses contraintes. Désigné par la direction
du média et administrativement rattaché à elle, il a un rôle
d’intermédiaire entre ce média (journal, radio, télévision) et le public
des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. La Charte des antennes
de France Télévisions modifiée en juillet 2020 qualifie la Médiation
de l’information et des programmes d’« instance impartiale »,
« jouant le rôle d’intermédiaire entre le public et les antennes » et qui
« contribue à établir une relation de qualité avec les
téléspectateurs ». À propos du rôle du médiateur, la Charte de
déontologie des journalistes de France Médias Monde ajoute que
« le Médiateur veille au respect de la déontologie » et qu’il a « pour
principale mission l’écoute du public ». À l’étranger, les chartes
d’entreprises médiatiques semblent d’ailleurs mettre davantage
l’accent sur sa mission de contrôle du respect des principes
déontologiques que sur son rôle de médiation. Après avoir rappelé
l’engagement de Radio Canada « à faire preuve d’exactitude,
d’intégrité, d’équité, d’impartialité et d’équilibre dans ses activités
journalistiques », le mandat de son ombudsman indique qu’il
« détermine si la démarche journalistique ou l’information diffusée
qui fait l’objet de la plainte a violé les Normes et pratiques
journalistiques de Radio-Canada ».
Chargé de veiller à l’application de la charte d’entreprise, le
médiateur n’exerce aucune fonction éditoriale. Il peut généralement
s’autosaisir d’une question de déontologie ou être saisi par la
direction du média ou par toute personne. Il reçoit les plaintes
émanant du public et assure une fonction de conciliation avec la
rédaction, ce qui le place d’ailleurs dans une situation parfois
délicate à l’égard de ses anciens collègues. En cas d’échec de la
conciliation, le médiateur peut, sinon sanctionner, au moins
dénoncer les manquements constatés, dans son bilan annuel, dans
le courrier des lecteurs ou sur son blog, voire dans son émission de
radio ou de télévision, s’il en a une, comme la médiatrice de Radio
France ou les médiateurs de France Télévisions.
Généralement assortie de garanties d’indépendance par rapport
à la direction et à la rédaction du média (durée minimale et caractère
non révocable du mandat, mise à disposition de moyens matériels et
administratifs de fonctionnement…), l’institution du médiateur
soulève néanmoins une interrogation fondamentale, posée à propos
de L’ombudsman de Radio Canada par Marc-François Bernier. Le
médiateur de presse est-il Protecteur du public ou des journalistes ?
(Bernier, 2005). Instance d’autorégulation créée par un média pour
gager de sa crédibilité, le médiateur, théoriquement chargé de
défendre les intérêts du public3, peut en effet passer pour un simple
agent de relations publiques du média pour lequel il travaille.
Mis en place, dans un certain nombre de médias dans les
années quatre-vingt-dix, les médiateurs, beaucoup moins nombreux
désormais, semblent avoir perdu une grande partie de leur
importance et de leur influence. En mars 2020, le journal Le Monde
a supprimé le poste de médiateur, pour le remplacer par un
« directeur délégué aux relations avec les lecteurs ». Ce média a
également fait le choix de créer, en interne, des comités d’éthique et
de déontologie chargés de veiller au respect des principes énoncés
dans sa charte. La Charte d’éthique et de déontologie du groupe
Le Monde, adoptée le 3 novembre 2010 et modifiée, en dernier lieu,
le 12 février 2021, prévoit ainsi que le respect de cette charte sera
assuré par les deux comités d’éthique et de déontologie mis en
place au sein du groupe et respectivement chargés du quotidien
imprimé et du site internet pour l’un, et du pôle magazines du
groupe, pour l’autre.
Ils veilleront notamment à ce que soit observé l’ensemble
des principes contenus dans la Déclaration des devoirs et
des droits des journalistes (Munich, 1971), dont la pérennité
est indispensable à l’indépendance éditoriale et qui
constitue le socle déontologique de la profession de
journaliste.
Dans l’audiovisuel, la mise en place de « comités pour la liberté,
l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes »
est devenue, par la loi dite « anti-Bolloré » du 14 novembre 2016,
une obligation légale. L’article 30-8 de la loi du 30 septembre 1986
impose désormais à toutes les chaînes de radio généraliste à
vocation nationale et à toutes les chaînes de la TNT qui diffusent
des émissions d’information politique et générale, d’instituer un tel
comité. « Composé de personnalités indépendantes », ce comité est
chargé, comme son nom l’indique, de contribuer au respect des
principes, posés par la loi, de liberté, d’indépendance et de
pluralisme de l’information et des programmes. Il doit informer
l’ARCOM de tout manquement à ces principes. Habilité à
s’autosaisir et susceptible d’être saisi par les organes dirigeants de
la chaîne, par le médiateur lorsqu’il existe ou par toute personne, il
est tenu de publier un rapport annuel dressant le bilan de ses
travaux (nombre de saisines, avis rendus, élaboration de règles de
déontologie applicables à l’information audiovisuelle…). En 2021,
par exemple, le comité d’éthique de Radio France a adopté des
« lignes directrices sur la place des experts à l’antenne »,
comportant « des recommandations quant au choix de l’expert, la
présentation de l’expert lors de son passage à l’antenne et la
conduite de la discussion avec l’expert ».
Outre les difficultés initiales de composition des comités pour la
liberté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des
programmes, notamment au sein du groupe Canal Plus, ce qui avait
nécessité une intervention du CSA4, le fonctionnement et l’activité de
ces comités demeurent assez opaques. Les bilans d’activités
annuels, quand ils sont publiés, le sont souvent avec retard et la
synthèse des activités des comités y est assez sommaire. Les avis
adoptés par les comités d’éthique ne sont pas toujours rendus
publics. Il en a été ainsi, par exemple, de l’avis du comité d’éthique
de Canal Plus, dont les médias se sont fait l’écho, qui
recommandait, le 22 octobre 2020, le changement de formule de
l’émission Face à l’info, animée par Éric Zemmour sur CNews, celle-
ci devant « s’ouvrir davantage à la diversité des opinions dans le
respect de leur expression contradictoire » et proscrire les propos
« attentatoires au respect des personnes » et « contraires à la charte
déontologique du groupe ». Quand les avis des comités sont
publiés, comme ceux du comité d’éthique de France Télévisions, ils
sont parfois d’une brièveté déconcertante. La contribution réelle des
comités « pour la liberté, l’indépendance et le pluralisme de
l’information et des programmes » au contrôle de l’information
audiovisuelle est donc assez difficile à évaluer. Quant aux sociétés
de rédacteurs ou sociétés de journalistes, qui ont eu leur heure de
gloire dans les années soixante, elles semblent, pour la plupart au
moins, ne pas avoir les moyens d’exercer une véritable influence sur
le contenu de l’information diffusée. « Association de journalistes,
possédant des actions ou des parts sociales de leur entreprise de
presse, qui s’efforce d’exercer un contrôle sur les grandes
orientations de celle-ci » (Civard-Racinais, 2003 : 53), la société de
rédacteurs ferait désormais partie, parmi les instances
d’autorégulation, des « outils tombés en désuétude ».
De façon générale, les organes d’autorégulation internes mis en
place, volontairement ou non, par certains médias n’ont, dans
l’ensemble, pas toujours eu la portée escomptée sur la qualité de
l’information diffusée. En dehors des comités d’éthique imposés par
la loi dans l’audiovisuel, ces instances sont d’ailleurs de moins en
moins nombreuses. Souvent accusés d’utiliser la déontologie
comme un instrument de relations publiques ou, en d’autres termes,
de faire un usage « stratégique » de la déontologie (Grevisse, 2016 :
80), les médias y ont, pour beaucoup, définitivement renoncé.

Création récente du Conseil de déontologie


journalistique et de médiation
Définie, à l’article 2.1 de ses statuts, comme « une instance de
dialogue et de médiation entre les journalistes, les médias et
agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à
la déontologie journalistique dont elle est saisie ou dont elle souhaite
se saisir », le CDJM, a vu le jour le 2 décembre 2019. La création de
ce Conseil est l’aboutissement d’une longue démarche entamée,
en 2006, par un groupe de journalistes favorables à la mise en place
d’une instance collective d’autorégulation de l’information. Sous
l’impulsion de l’ancien journaliste et rédacteur en chef du Monde,
Yves Agnès, est créée, en décembre 2006, une Association de
préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP), ayant pour
objet statutaire de réfléchir aux statuts (composition, structure,
champ de compétences) et aux modalités de fonctionnement d’un
organe de médiation entre la presse et le public et d’étudier des cas
de dérives des pratiques journalistiques. L’étape suivante est la
création, le 12 septembre 2012, d’un Observatoire de la déontologie
de l’information (ODI), ayant pour objet statutaire de « contribuer, par
ses réflexions, ses travaux et la communication de ceux-ci, à la prise
de conscience de l’importance de la déontologie dans la collecte, la
mise en forme et la diffusion de l’information au public ».
Entre 2012 et 2018, l’ODI a publié une série de rapports
annuels sur l’état de l’information en France, pointant, à la fois, sans
nommer les médias concernés, les manquements relevés à la
déontologie journalistique et les initiatives positives dans ce
domaine. La création du CDJM a entraîné la dissolution de l’APCP,
le 3 décembre 2019, et celle de l’ODI à la fin de l’année 2020.
Organisme collégial d’autorégulation, volontairement créé par
les professionnels de l’information et indépendant des pouvoirs
politiques et économiques, le CDJM répond, même s’il n’est pas
qualifié comme tel, à toutes les caractéristiques d’un conseil de
presse, comme il en existe, et depuis fort longtemps, dans la plupart
des pays du Conseil de l’Europe. Instance tripartite, composée de
trois collèges représentant respectivement les journalistes, les
médias et le public, le CDJM a pour mission de servir d’intermédiaire
entre les médias et le public et de rendre des avis sur la conformité
des pratiques journalistiques aux trois textes déontologiques de
référence : la « Charte d’éthique professionnelle des journalistes »
adoptée par le Syndicat national des journalistes le 9 mars 2011 ; la
« Déclaration des devoirs et des droits des journalistes » dite
« Charte de Munich » adoptée par un collège professionnel syndical
européen les 24 et 25 novembre 1971 ; la « Charte d’éthique
mondiale des journalistes », adoptée au 30e congrès de la
Fédération internationale des journalistes (FIJ), le 12 juin 2019.
Tout citoyen qui estime qu’un acte journalistique méconnaît les
principes de la déontologie professionnelle énoncés par ces textes,
peut saisir le CDJM dans un délai, analogue à celui prévu par la loi
de 1881 pour la poursuite des délits de presse, de trois mois à
compter de la publication de cet acte. Outre les saisines anonymes
ou trop tardives, le CDJM écarte systématiquement les saisines qui
ne portent pas sur un acte journalistique (tel un discours militant ou
un acte de propagande, par exemple), ainsi que celles qui
concernent des actes journalistiques mais dont il estime qu’ils
relèvent de la liberté éditoriale (sujets ou invités choisis, angle
retenu, point de vue critique…) ou pour lesquels la question posée
relève de sa conformité, non pas à la déontologie, mais au droit en
vigueur.
Les avis rendus par le Conseil n’ont pas de force contraignante
et, comme la plupart des conseils de presse, le CDJM n’a aucun
pouvoir de sanction, si ce n’est morale, sur le principe du « name
and shame », par la dénonciation publique des manquements.
Qu’une plainte soit jugée fondée, partiellement fondée ou rejetée,
l’avis rendu par le Conseil fait, en effet, l’objet d’une publication sur
son site internet, ainsi d’ailleurs que les saisines non retenues pour
l’une des raisons de forme ou de fond précédemment évoquées.
Entre décembre 2019 et avril 2022, le CDJM a fait l’objet de
523 saisines, portant sur 264 actes journalistiques différents, et il a
rendu 64 avis.
En dépit de son apparent succès auprès du public, le CDJM
n’échappe cependant pas à un certain nombre de critiques relatives,
en particulier, à son déficit de légitimité. À la différence d’autres
conseils de presse, tel que le Conseil de déontologie belge qui, lors
de sa création en 2009, avait fait l’objet d’un décret du Parlement de
la communauté francophone « réglant les conditions de
reconnaissance et de subventionnement d’une instance
d’autorégulation de la déontologie journalistique », le CDJM n’a fait
l’objet d’aucune reconnaissance juridique. Une consécration légale
aurait certainement contribué à asseoir son autorité mais, dans le
même temps, elle aurait encore accru la suspicion qui pèse déjà sur
l’institution de constituer un instrument du contrôle public de
l’information. Le CDJM a en effet été créé quelques mois à peine
après la remise, au ministère de la culture, en mars 2019, du rapport
de la mission présidée par Emmanuel Hoog, intitulé « Confiance et
liberté. Vers la création d’une instance d’autorégulation et de
médiation de l’information ». L’influence de ce rapport n’a pas
manqué d’être soulignée par les opposants à la création d’une telle
instance.
L’adhésion des médias à ce nouvel organe d’autorégulation est,
surtout, loin d’être unanime. Le magazine Valeurs Actuelles, mis en
cause dans un avis du CDJM, n’a pas hésité à assigner le Conseil
en justice. Saisi à la suite de la publication, par ce magazine, le
29 août 2020, d’un récit intitulé « Les couleurs du temps –
7e épisode – Obono l’Africaine », qui représentait en esclave la
députée de La France insoumise, Danièle Obono, le CDJM avait en
effet considéré, dans un avis du 10 novembre 2020, que « l’article,
en plaçant et en représentant Mme Danièle Obono dans une
situation dégradante, ne respecte pas la dignité humaine et est
susceptible de nourrir les préjugés ». Une enquête préliminaire pour
injure raciste ayant, entre-temps, été ouverte par le ministère public,
le directeur de publication de Valeurs Actuelles a estimé que l’avis
du CDJM portait atteinte à sa présomption d’innocence. Par une
ordonnance du 11 mars 2021, le juge des référés du tribunal
judiciaire de Paris a rejeté sa demande de retrait de l’avis du
Conseil, en considérant que le CDJM avait clairement fait la
distinction entre « les entorses à la déontologie du journalisme » et
« les éventuelles infractions à la loi » et que « la seule affirmation, en
soi, de la violation de la déontologie » ne valait pas « conclusion
définitive de culpabilité du chef d’injure à caractère raciste ». Le
magazine n’en a pas moins été condamné pour ce délit par un
jugement du même tribunal du 29 septembre 2021.
Au cœur de ce litige, l’articulation entre le contrôle public de
l’information et son autorégulation professionnelle ne semble plus
suffisante pour assurer la régulation des informations diffusées sur
les réseaux numériques. Au-delà des pratiques journalistiques de
fact-checking et de l’action des rédactions de médias pour contrôler
la véracité des informations circulant en ligne, la dimension mondiale
de l’internet exige sans doute, à l’échelle internationale, de nouvelles
démarches de corégulation associant les États, les instances de
régulation, les médias, et les citoyens. L’organisation non
gouvernementale Reporters sans frontières a, dans cette
perspective, lancé, en 2018 une initiative sur l’information et la
démocratie qui a permis la signature d’un Partenariat international
entre 43 pays et la création d’un Forum sur l’information et la
démocratie, chargé de procéder à une évaluation de l’espace
numérique et de formuler des recommandations pour y définir les
limites de la liberté d’expression. Plus récente, la Journalism Trust
initiative a pour objectif, depuis mai 2021, de procéder à une
codification des principes journalistiques de référence et de mettre
en place un mécanisme de certification des médias respectueux de
ces principes, qui bénéficieront alors d’une série d’avantages, en
termes d’aides publiques ou de ressources publicitaires, notamment.
Au-delà du signalement des contenus illicites pour en demander la
suppression, tout citoyen, par le choix d’informations « certifiées »
pourra alors contribuer à la régulation de l’information diffusée en
ligne.

Bibliographie
• Bernier M.-F., L’ombudsman de Radio Canada par Marc-
François Bernier. Protecteur du public ou des journalistes ?,
Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2005.
• Civard-Racinais A., La déontologie des journalistes. Principes et
pratiques, Paris, Ellipses, coll. « Infocom », 2003.
• États généraux de la presse écrite, Livre vert, 8 janvier 2009.
• Grevisse B., Déontologie du journalisme : enjeux éthiques et
identités professionnelles, Bruxelles, De Boeck Supérieur, coll.
« Infocom », 2e édition, 2016.
• Haraszti M., Le Guide pratique de l’autorégulation des médias.
Les questions et les réponses, Vienne, Éditions de l’OSCE,
2008.
• Hoog E., Confiance et liberté. Vers la création d’une instance
d’autorégulation et de médiation de l’information, 26 mars 2019.
• Montebourg A., « Le juge judiciaire, juge de la déontologie des
journalistes », Legipresse, n° 101, mai 1993, p. 37-44.
• Rohde E., L’éthique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », n° 3892, 2e édition, 2020.

1. Voir, sur cette notion, la contribution d’Amal Benhamoud, sur « La bonne foi du
journaliste poursuivi pour diffamation ».
2. Selon les derniers chiffres fournis par la Commission de la carte d’identité des
journalistes professionnels, les journalistes salariés, dits « mensualisés »,
représentaient, au 11 février 2022, 69,6 % des journalistes actifs titulaires de la carte.
3. Dénommés « ombudsmen » dans les pays d’Europe du Nord, les médiateurs des médias
sont souvent désignés, aux États-Unis, sous les vocables de « public editor » (rédacteur
en chef chargé du public), « public contact editor » (rédacteur en chef pour le contact
public), représentant ou avocat des lecteurs. En Espagne, il est aussi question de
« defensor del publico » (défenseur du public), « defensor de los lectores »
(défenseur des lecteurs), ou « defensor del telespectador » (défenseur des
téléspectateurs).
4. Par une décision du 3 novembre 2016, le CSA avait mis en demeure la société éditrice
de la chaîne iTélé de se conformer à la disposition de sa convention lui imposant de
constituer « un comité composé de personnalités indépendantes », « afin de contribuer
au respect du principe de pluralisme ».
Chapitre 4
4 La bonne foi du journaliste poursuivi
pour diffamation

Amal Benhamoud

T
exte fondateur de la IIIe République, la loi du 29 juillet 1881
sur la liberté de la presse prévoit et réprime les infractions du
discours susceptibles d’être caractérisées par tout mode
public d’expression, que cette publicité soit assurée ou non par une
diffusion dans les médias. Dans le but de protéger la liberté des
journalistes et des médias, elle instaure également une procédure
de poursuite et de jugement de ces infractions, qui déroge, à bien
des égards, au droit commun. Selon une circulaire du garde des
Sceaux « relative à l’application de la loi sur la presse du
29 juillet 1881 », il s’agit d’une « loi de liberté, telle que la presse
n’en a jamais eu en aucun temps ». La loi de 1881 est en effet le
texte qui réalise, à la lumière de l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’Homme relatif à la liberté d’expression et
de son interprétation par la Cour européenne des droits de l’Homme,
les idéaux même de l’article 11 de la DDHC. Selon ce texte, « la libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les
plus essentiels de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans
les cas déterminés par la loi ».
S’il est permis d’user de sa liberté, il n’est pas permis d’en
abuser (Guerder, 1995), le juge judiciaire s’érigeant, en tout état de
cause, en gardien de la liberté d’expression et de ses limites. À ce
titre, son rôle est fondamental. En effet, la loi de 1881 est toujours
autant sollicitée et le développement des supports de
communication, notamment les réseaux sociaux, a entraîné une
forte augmentation des informations diffusées, sans que le régime
de responsabilité n’ait été adapté. En instituant un régime procédural
unique, caractérisé à la fois par une brève prescription et par des
exigences élevées de formalisme imposées à peine de nullité, la loi
de 1881 n’a cessé d’alimenter une abondante jurisprudence, tant
des chambres correctionnelles spécialisées dans les affaires de
presse que de la Cour de cassation qui opère, en la matière, un
contrôle spécifique (Guerder, 1995). Ce contrôle s’opère à l’aune
des attentes de la Cour européenne des droits de l’Homme, comme
en témoignent les récents arrêts rendus, le 23 novembre 2021, dans
l’affaire Borel, le journal Le Monde étant définitivement relaxé 21 ans
après la publication d’un article litigieux. Plus finement, ce contrôle
des juges s’opère en fonction de l’auteur des propos critiqués et du
genre de l’écrit en cause.

La prise en compte de la qualité


de professionnel de l’information
de l’auteur des propos diffamatoires
En matière de presse, le juge judiciaire adopte une approche
plus stricte lorsque l’auteur des propos est un journaliste qui fait
profession d’informer. Les limites apportées à la liberté d’expression
sont plus souples lorsque l’auteur des propos critiqués est un
particulier non tenu aux obligations déontologiques des journalistes
et dont les propos s’inscrivent, notamment, dans un débat d’intérêt
général et reposent sur une base factuelle suffisante, ou encore, en
matière d’humour, lorsque l’excès est la loi du genre. Mais là encore,
la liberté d’expression ne saurait être absolue (Bigot, 2013 : 137). La
liberté d’expression trouve notamment ses limites dans les délits
d’injure, de diffamation et de provocation aux crimes et délits. Elle
peut être soumise à des restrictions dans les cas où celles-ci
constituent des mesures nécessaires, au regard du paragraphe 2 de
l’article 10 de la Convention européenne, « à la sécurité nationale, à
l’intégrité territoriale ou à la sureté publique, à la défense de l’ordre
et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour
empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour
garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
De ce fait, les journalistes, qui ne peuvent échapper au droit
pénal au motif que l’article 10 de la Convention européenne protège
leur liberté d’expression, se voient régulièrement rappelés à leurs
devoirs. Ainsi, en matière de diffamation, la bonne foi, qui constitue
un fait justificatif conduisant à la relaxe du prévenu, s’applique
strictement pour les journalistes. Dans la conception jurisprudentielle
traditionnelle, la bonne foi suppose la réunion de quatre critères
cumulatifs : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité
personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que
l’existence d’une enquête sérieuse. Pourtant, le concept de bonne
foi n’a cessé d’évoluer sous l’influence de la jurisprudence
européenne pour s’articuler autour de la notion d’intérêt général.
Comme l’écrit Christophe Bigot (Bigot, 2013 : 130), « l’intérêt de
l’information détermine alors une modulation des exigences du juge
dans son appréciation de la bonne foi du diffamateur ». En pratique,
le juge se réfère tantôt à la théorie des « quatre éléments », tantôt à
la notion d’« intérêt général », tantôt à une approche hybride. La
majorité des auteurs relèvent à juste titre que « l’intérêt général est
(étant) la variable d’ajustement du curseur des exigences de preuve
reposant sur le diffamateur » (Bigot, 2017 : 154). Cela vaut pour tous
les registres mais, en réalité, les critères de la bonne foi, dans leur
acception classique, ne semblent maintenues que pour les
professionnels de l’information (Bigot, 2017 : 177). Pour tous les
autres propos, en fonction du registre de l’expression utilisée, la
bonne foi du diffamateur s’articulera autour des exigences d’intérêt
de l’information et de l’existence ou non d’une base factuelle
suffisante. Ainsi, plus les propos traitent d’un sujet d’intérêt général
et sont fondés sur une base factuelle suffisante, plus ils échappent à
toute condamnation. Une certaine dose d’exagération est même
permise sans excéder les limites admissibles de la liberté
d’expression.
Très récemment, dans l’affaire « #BalanceTonPorc », la cour
d’appel de Paris a pourtant, dans un arrêt du 31 mars 2021, retenu
la bonne foi de la journaliste s’agissant des tweets publiés, cette
dernière caractérisant le débat d’intérêt général sur la libération de la
parole des femmes et la base factuelle suffisante quant à la teneur
des propos. La cour a ainsi jugé que le prononcé d’une
condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte
disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à
emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté. En
l’espèce, le conseil de l’une des parties rappelait qu’il convenait de
tenir compte du contexte d’actualité et de la chronologie des tweets
postés par la journaliste, chacun des messages publiés ne pouvant
comporter qu’un certain nombre de caractères limités. L’arrêt de la
cour d’appel n’étant pas définitif, il sera intéressant de voir si la Cour
de cassation confirmera sa jurisprudence antérieure, en tenant
compte du caractère nécessairement lapidaire des réponses
postées sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, se posera
probablement la question de l’effet absolutoire prévu par l’article 35
de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits
diffamatoires devant être d’autant plus parfaite, complète et
corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification
diffamatoire, qu’elle est soulevée par un journaliste.

L’incidence du genre de l’écrit


journalistique
L’appréciation de la bonne foi du journaliste d’investigation, qui
traite généralement d’un sujet d’intérêt général aux termes d’une
enquête sérieuse, peut néanmoins soulever des difficultés en ce qui
concerne le critère de l’absence d’animosité personnelle.
Il résulte ainsi de la jurisprudence que le bénéfice de la bonne
foi ne peut être refusé à l’auteur d’un reportage dès lors que l’intérêt
général du sujet traité par ce journaliste d’investigation et le sérieux
constaté de l’enquête autorisent les propos et les imputations qu’il
contient. Dans une affaire, jugée par la Cour de cassation le 3 février
2011, était en cause un journaliste qui avait recherché si une
société, chambre de compensation internationale, offrait les
garanties de transparence nécessaire et ne favorisait pas des
transferts financiers frauduleux ou des opérations de blanchiment.
La cour d’appel avait admis que l’auteur avait poursuivi un but
légitime et qu’aucune animosité personnelle à l’égard de cette
société n’était démontrée. Mais la cour retient néanmoins que
l’enquête réalisée ne conforte pas les imputations litigieuses et que
l’auteur s’est livré à des interprétations hasardeuses en assimilant
les comptes non publiés à des comptes occultes servant à
enregistrer des transactions frauduleuses et en présentant ladite
société comme abritant une structure de dissimulation, tirant ses
bénéfices de sa complicité avec des entreprises criminelles et
mafieuses. L’arrêt rendu est donc cassé par la Cour de cassation.
Il a de même été jugé que la bonne foi d’un journaliste devait
être admise dès lors que l’article incriminé, portant sur un sujet
d’intérêt général relatif au traitement judiciaire d’une affaire criminelle
ayant eu un retentissement national, ne dépassait pas, au sens de
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, les
limites admissibles de la liberté d’expression dans la critique de
l’action d’un magistrat.
En ce qui concerne le sérieux de l’enquête, présenté comme
condition de la fiabilité de l’information (Dreyer, 2102), il ne saurait
être subordonné à la preuve de la vérité des faits.
Quant au critère de l’animosité personnelle, il pourrait paraitre
plus difficile à satisfaire pour un journaliste d’investigation,
généralement amené à écrire plusieurs articles sur le sujet et les
personnes qui font l’objet de son enquête. La Cour de cassation
estime cependant que l’existence d’une animosité personnelle ne
peut être déduite de la seule circonstance que l’auteur de l’article ou
d’autres journalistes du même quotidien ont précédemment publié,
dans les colonnes de celui-ci, des articles critiques à l’égard de la
personne visée par les propos diffamatoires, quand bien même ces
articles auraient fait l’objet de poursuites judiciaires. Dès lors que
cette circonstance n’était pas dissimulée aux lecteurs de l’article
dont le titre était incriminé, elle n’était pas de nature à faire
disparaître le but légitime d’information du public poursuivi par la
publication de celui-ci.
La Cour de cassation a, de même, jugé que l’animosité
personnelle du journaliste ne pouvait être déduite du seul fait que les
propos seraient privés de base factuelle et exprimés sans prudence.
Une telle animosité envers la personne visée par les propos
diffamatoires peut seulement résulter de la gravité des accusations
et du ton sur lequel elles sont formulées. Elle n’est cependant
susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l’auteur des propos
que si elle est préexistante à ceux-ci et qu’elle résulte de
circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs.
Sur la forme, la brièveté d’un article de presse n’autorise pas le
journaliste à s’affranchir de son devoir de vérifier, par une enquête
préalable, l’information qu’il publie, pas plus qu’elle ne le dispense
de faire preuve de prudence dans l’expression de la pensée.
Quelle que soit la nature de l’écrit journalistique en cause,
l’auteur des propos doit éviter toute expression excessive ou
malveillante. La Cour de cassation considère que, même s’ils
figurent dans un éditorial et s’ils traitent d’un sujet d’intérêt général,
les propos reprochés doivent reposer sur une base factuelle
suffisante en rapport avec la gravité des accusations portées et ne
pas être dépourvus de toute prudence et mesure dans l’expression.
Pour relaxer un journaliste du chef de diffamation publique envers un
particulier, une cour d’appel avait retenu que, s’agissant d’un
éditorial, la bonne foi ne pouvait être refusée ni au motif que les
propos seraient dénués d’objectivité et d’impartialité, ni à celui que
leur auteur aurait manqué de prudence et de retenue dans
l’expression, l’écrit en cause étant un billet d’humeur, qui permettait
une plus grande liberté de ton et le recours à une certaine dose
d’exagération voire de provocation. L’arrêt rendu par la cour d’appel
a été cassé par la Cour de cassation.
En matière de presse, la jurisprudence de la Cour de cassation
fait régulièrement l’objet de commentaires sur ses solutions opérées
« au gré des affaires » (Bigot, 2017) et de l’imprévisibilité, pour le
justiciable, du procès en délit de presse qui en découle. Pour l’heure,
la conception traditionnelle de la bonne foi, qui requiert la réunion
des « quatre conditions », s’applique a maxima lorsque l’auteur des
propos est un professionnel de l’information, et à l’aune des requis
européens s’agissant de l’intérêt général et de la base factuelle
suffisante. Cet assouplissement des critères de la bonne foi permet
assurément d’admettre ce fait justificatif lorsque les propos litigieux
s’inscrivent dans un contexte d’intérêt général et disposent d’une
base factuelle suffisante. Enfin, les critères d’absence d’animosité
personnelle et de prudence dans l’expression, dégagés par les
juridictions françaises et dont la Cour européenne s’imprègne peu
dans sa jurisprudence, vont probablement se diluer pour laisser
entièrement place au seul et véritable contrôle opéré : l’existence
d’un débat d’intérêt général et la base factuelle suffisante. Le
contrôle en matière de diffamation rejoindrait celui opéré en matière
d’injure, et s’articulerait essentiellement autour du périmètre des
limites admissibles de la liberté d’expression. Là encore, le genre du
journal permet une application mobile et souple de la jurisprudence.
En tout état de cause, la jurisprudence de la Cour de cassation est
bel et bien mouvante et elle ne cessera d’évoluer sous l’influence de
la Cour européenne ; elle est en ce sens prévisible. Le véritable défi
consistera à réguler les réseaux sociaux et la masse du contentieux
à venir sous le seul prisme d’une loi vieille… de plus de 140 ans.
Bibliographie
• Bigot Ch., Pratique du droit de la presse, Paris, Victoires
éditions, 2e édition, 2017.
• Dreyer E., Responsabilités civile et pénale des médias, Paris,
LexisNexis, coll. « Droit & Professionnels », 3e édition, 2012.
• Guerder P. « Le contrôle de la Cour de cassation en matière de
délits de presse », Gazette du Palais, 25 mai 1995, p. 589.
Questions à Benoît Grevisse

Professeur à l’Université catholique de Louvain


(Belgique)
Directeur de l’École de journalisme de Louvain (ECL)

Entretien réalisé par Agnès Granchet

Agnès Granchet — Quels sont, selon vous, les principaux


défis d’ordre déontologique auxquels sont aujourd’hui
confrontés les journalistes dans l’exercice de leur
métier ?
Benoît Grevisse — Tout dépend si on prend ces défis, à
la fois anciens et nouveaux, en termes de règles ou en
termes de défis globaux. Mais il y a deux manières de voir.
Il y a des défis globaux nouveaux et dont on voit que les
conseils de presse les prennent ou essayent de les
prendre en compte. Ce sont tous les changements de
nature plus sociologique ou politique des dernières
années. Naturellement, les évolutions digitales amènent
toute une série de nouvelles questions dont la principale
est celle de la définition de ce qu’est le journaliste ou pas,
cela va de soi. Les nouvelles questions qui sont suscitées
par toutes les situations de terrorisme et de violence, les
questions plus sociales profondes, transformations de
société comme Black Lives Matter ou bien Metoo, ce sont
des défis qu’on pourrait qualifier de globaux et dont on voit
que les conseils de presse se saisissent pour proposer
soit une jurisprudence nouvelle, soit des directives
nouvelles.
Si on se place plus en termes de règles, de champs, de
pratiques, ce sont des choses un peu plus traditionnelles.
Il y a des champs traditionnels d’activités importants des
conseils de presse, donc de cas problématiques, c’est tout
ce qui relève de la protection des personnes et de la vie
privée. Mais il semble plus important de noter, comme on
le fait dans des approches plus quantitatives des avis
rendus par des conseils de presse, une attention
particulière à ce qui relève de la fonction journalistique,
versus les autres fonctions et, particulièrement, les
fonctions de type plus commercial. On peut en parler
parce que c’est un champ très vaste qui touche à l’identité
professionnelle. Et puis, on voit beaucoup d’avis dans tout
ce qui relève du champ de la vérité. Il y a beaucoup de
plaintes et d’avis sur ce champ-là, c’est inévitablement lié
aussi aux questions de confiance, méfiance, défiance vis-
à-vis des journalistes. C’est très rapidement résumé mais,
s’il faut mettre en exergue les grands champs, ce sont
ceux-là, aujourd’hui.

A. G. — Estimez-vous que, depuis vingt ans, la liberté de


la presse a plutôt régressé ou progressé ?
B. G. — De nouveau, il faudrait nuancer. Si on prend des
classements traditionnels ou type « Reporters sans
frontières », inévitablement et, de toute façon,
l’observation est courante, la liberté de la presse a
nécessairement régressé en termes d’atteintes à la liberté
de la presse au sens classique du terme, c’est-à-dire les
atteintes à l’accès à l’information, les atteintes à la sécurité
des journalistes. Inévitablement, on va citer les cas de la
Hongrie ou de la Pologne et donc, quand on regarde ces
classements, on voit qu’internationalement, la zone de
l’ouest de l’Europe est de moins en moins sure. Et si on
prend les attaques violentes à l’encontre des journalistes,
elles se multiplient dans nos pays aussi, ce qui n’était pas
le cas il y a quelques années. La violence sur les réseaux
sociaux est terriblement forte. Même les atteintes relevant
de tentatives de modification de l’appareil législatif sont
une évidence aussi. Mais on peut considérer que cette
évolution est biface car, d’un autre côté, l’évolution digitale
au sens général et la concurrence d’autres modes
d’expression ont peut-être amené les journalistes à
revisiter leur liberté d’expression. Il semble que c’est un
phénomène des dernières années aussi de voir que les
journalistes recourent peut-être plus facilement et,
particulièrement mais pas uniquement, à des pratiques sur
les plateformes. Mais il est quand même très frappant de
voir que, sur les plateformes, les journalistes recourent
davantage à leur liberté personnelle d’expression, ce qui
pose des tas de questions sur la définition de ce qu’est un
journaliste ou de ce qu’est le journalisme.

A. G. — En termes de principes ou de normes, pensez-


vous que l’évolution des pratiques professionnelles
et, en particulier, le développement, sous différentes
formes, de l’expression journalistique sur les réseaux
numériques, a contribué à aggraver l’éclatement des
normes déontologiques entre une multitude de
chartes spécifiques aux différents médias ou qu’elle a,
au contraire, favorisé un recentrage de la profession
sur les principes fondamentaux du journalisme ?
B. G. — La question est plus que pertinente. On ne peut
comprendre l’éthique et la déontologie qu’en essayant
d’abord de lier le mouvement au fait que,
traditionnellement (en se rangeant à des approches
relativement classiques), ce qui fait peut-être les traits
définitionnels fondamentaux et immuables du journalisme,
ce sont ses grandes valeurs éthiques, donc la recherche
de la vérité, la protection des personnes, les différentes
formes d’indépendance. Ces grandes valeurs-là, elles sont
stables, elles sont définitionnelles, elles permettent de
définir ce qu’est le journalisme dans une période qui est
en pleine recomposition. Mais, par contre, cela montre
bien qu’il n’y a pas un mouvement univoque. La
déontologie s’inscrit dans un processus identitaire d’une
profession qui est toujours en recherche de respectabilité
et de repères stables. Il y a donc effectivement une activité
déontologique qui vise à essayer de redéfinir une stabilité
de la profession, une identité professionnelle stable, à un
moment où elle est particulièrement bousculée. Cela ne
veut pas dire qu’il n’y a pas de progrès, mais on est dans
un moment où les pratiques journalistiques viennent
bousculer les traits identitaires traditionnels. Il est clair
que, si on va sur les plateformes, on voit des tas de
pratiques journalistiques qui, si on les compare aux règles
journalistiques habituelles, sont assez problématiques.
Des journalistes, enfin des personnes qui peuvent se dire
journalistes et qui exercent en partie une activité
journalistique, endossent, en même temps, des rôles qui
sont parfois plus proches de ceux d’influenceurs. On est
un peu dans une zone de confusion. Et, à la fois, la
profession, au sens institué, essaye de prendre pied, de
se défendre sur ces marchés, en avançant une identité
professionnelle qui ne peut être distinctive qu’en recourant
aussi (mais ce n’est pas le seul trait identitaire) à la
déontologie comme frontière, comme délimitation de ce
qui est journalistique et de ce qui ne l’est pas. C’est très
vite dit et même la manière dont on énonce la vérité, par
exemple, c’est l’un des terrains qui m’intéressent
beaucoup aujourd’hui, c’est de voir comment la rhétorique
journalistique s’accroche à des formes de monstration de
la vérité qui sont parfois en contradiction totale avec des
modes d’expression beaucoup plus contemporains. Même
en dehors de la vérité, on peut penser à l’opinion, par
exemple, à la manière dont l’opinion journalistique
s’exprime aujourd’hui et continue à s’exprimer selon des
standards très traditionnels, à suivre une ligne éditoriale,
sous des formes qui sont aussi très engoncées dans une
forme de tradition, alors que l’opinion, telle qu’elle
s’exprime sur les réseaux sociaux aujourd’hui, est
beaucoup plus créative, beaucoup plus libre. On est donc
dans ce moment un peu compliqué où on essaye à la fois
de prendre pied sur un marché dont on est
progressivement exclu, et on le fait en réaffirmant des
règles déontologiques qui sont certainement un trait
identitaire, mais on est parfois pris un peu à contrepied.

A. G. — La crise sanitaire a-t-elle eu une influence, de ce


point de vue, dans la mesure où elle a été marquée par
un retour du public vers les médias traditionnels ?
B. G. — Oui tout à fait, et cela pose de nombreuses
questions. Cela montre que le rapport de confiance, dans
une période trouble, est réinstauré vis-à-vis des médias
notamment de service public, les médias dits « de
référence ». On voit donc qu’il y a une vraie possibilité de
jouer ce rôle d’une forme de vérité.
Quand on analyse les pratiques, on se rend compte qu’il y
a des questions qui ont affleuré, qui sont principalement
celles de la vérité. De nombreuses questions se sont
posées. Comment déterminer la vérité dans des domaines
qui sont extrêmement pointus ? Déterminer qui est expert
de quel compartiment scientifique, on sait que c’était très
compliqué. Le rapport au pouvoir institué aussi, le rôle de
« chien de garde de la démocratie », a été quand même
assez bousculé. Quel est le rôle du journaliste dans une
période comme celle-là ? Est-ce qu’il doit être en appui de
la puissance publique parce qu’on est dans une période
d’exception et que l’intérêt général est, en partie,
d’appuyer une campagne de communication publique ?
Ou est-ce qu’il doit être plutôt du côté du rôle de « chien
de garde » critique ? En arrière-fond, il y a toute la
question de l’assimilation du journaliste au pouvoir institué,
aux « élites », et donc à la mise en cause du journalisme
en tant qu’institution.

A. G. — À l’heure de la lutte contre les fausses


informations et les discours de haine diffusés sur
internet, la déontologie journalistique a-t-elle, selon
vous, acquis, grâce à l’action des instances
d’autorégulation notamment, une légitimité nouvelle
auprès des professionnels et auprès du public ?
B. G. — De nouveau, il faudrait préciser de quelle aire
géographique nous parlons. Mais oui, le modèle du
conseil de presse, des chartes de déontologie, la publicité
accrue de ces mécanismes, tant à l’intérieur de la
profession qu’à l’extérieur, montrent manifestement que
cette légitimité est en progrès, si on le voit du point de vue
du mouvement qui va du nord de l’Europe vers le sud de
l’Europe. Ils sont en progrès, cela paraît assez évident.
L’exemple français est un bel exemple pour montrer qu’il y
a une progression de la théorie de la responsabilité
sociale des médias, de la nécessité de visibiliser son
autorégulation, d’instituer un dialogue avec le public, d’être
davantage dans la responsabilité. Cela paraît assez
évident. Et, en même temps, si on observe d’un point de
vue plus international, il y a plusieurs limites, il y en a
même toute une série. On peut dire, par exemple, qu’il y a
toujours ce paradoxe de l’augmentation de l’activité des
conseils de presse et du manque de moyens et donc,
peut-être, d’une ambition trop grande par rapport aux
capacités d’assumer cette mission-là. Mais on peut surtout
noter qu’il y a des exemples, notamment à Québec, où le
modèle a été davantage mis en cause, sous l’effet des
coups de butoir et des modifications plus profondes de la
société qu’on a évoquées, mais aussi des contraintes
économiques et de la crise plus globale des médias. Il y a
toujours une espèce de mouvement de balancier entre
autorégulation et hétéro-régulation et il y a, pour l’instant,
des modèles assez divers. Mais il y a quand même une
progression globale du passage d’une déontologie
corporatiste vers un modèle beaucoup plus partagé. Ce
n’est pas une vertu soudaine des journalistes, c’est une
nécessité par rapport aux évolutions qu’on vient
d’évoquer.

A. G. — Vous évoquez la question des moyens. Le Conseil


de presse n’est-il pas nécessairement contraint de
faire un choix entre le bénéfice des subventions de
l’État qui lui donne des moyens mais lui fait perdre
son indépendance et l’indépendance qui le prive de
moyens et donc de la possibilité de travailler ?
B. G. — Oui c’est exactement ça, c’est une excellente
question. Le problème est vraiment là, même s’il existe
des mécanismes ingénieux. Les Belges, qui sont toujours
des habitués des montages institutionnels un peu
compliqués, ont contourné la question. Le conseil presse
n’a pas de personnalité juridique propre. Il est le
bras opérationnel d’une association composée et
financée paritairement par les éditeurs et les
journalistes. Ces derniers reçoivent, par le biais
de leur association professionnelle, un subside public
qui leur permet cette contribution. Le mécanisme est un
peu jésuitique. Mais il semble, jusqu’à présent, avoir fait
preuve de son efficacité. Effectivement, cela demanderait
des moyens beaucoup plus importants si on voulait faire
une véritable autorégulation totalement efficace, enfin,
sinon totalement efficace, une autorégulation qui soit à la
hauteur des enjeux. Mais on ne peut pas nier qu’il y a eu
un progrès important et une crédibilité de pas mal de
conseils de presse.
PARTIE IV
LES GENRES ET LES
FORMATS JOURNALISTIQUES
Chapitre 1
1 La dépêche d’agence,
immuable et changeante

Éric Lagneau

L
’étymologie est parfois un bon point de départ pour poser des
questions sociologiques pertinentes. Informer, in-formare,
c’est littéralement mettre en forme et, plus précisément,
mettre en formats ou aux formats. Impossible donc d’analyser la
fabrication des nouvelles (news) sans prendre au sérieux ce
nécessaire formatage, entendu ici, sans connotation négative,
comme une médiation pratique indispensable entre l’événement et
sa « traduction » journalistique. Il faut, à cet égard, mettre en garde
contre deux écueils symétriques. Le premier consisterait à sous-
évaluer l’importance de ces formats, alors que respecter des
paramètres préétablis du traitement de l’information, et notamment
des formats de diffusion, est devenu pour les journalistes une
contrainte de plus en plus forte dans un environnement
professionnel qui, au moins depuis la fin du XIXe siècle, fait la part
belle à une production industrielle, rationalisée, voire standardisée,
des nouvelles. Mais il faut tout autant se méfier de l’écueil inverse,
qui consisterait à fétichiser les formats, à leur attribuer par excès de
formalisme un pouvoir et une rigidité qu’ils ne semblent avoir que si
on oublie de relier ces formats de diffusion à leurs conditions de
production et de prendre en considération la pluralité des exigences,
attentes et contraintes, parfois contradictoires, qui font le sel du
métier de journaliste.
Pour le montrer, nous allons étudier un des formats historiques
du journalisme moderne, la dépêche d’agence, c’est-à-dire l’article
d’information fourni par les agences de presse, dont les normes
paraissent immuables et même constitutives d’une écriture
journalistique « objectivante » permettant la réduction factuelle de
l’événement. Mais la dépêche n’a cessé en réalité d’évoluer, de se
diversifier et de s’hybrider tout au long de l’histoire des agences de
presse, et doit donc être analysée dans la pluralité de ses usages.

La dépêche en pratique : un format


d’objectivité
Dans son manuel de journalisme, Yves Agnès répertorie ce
format parmi les « genres premiers », qui constituent « le socle » de
l’expression journalistique (Agnès, 2002). Il a été utilisé par les
premières agences de presse (Havas, Reuters, Associated Press
(AP), Wolff-Continental) dès le milieu du XIXe siècle. Mais ce n’est
que dans la seconde moitié du XXe siècle1 que les grandes agences
internationales (AP, Reuters, Agence France-Presse (AFP)) ont
éprouvé le besoin de renforcer sa codification, et celle des pratiques
agencières, dans des manuels spécifiques. À titre d’exemple, le
manuel AFP de 1982 explique : « Une dépêche d’agence rapporte
un fait. Elle doit être exacte, rapide, complète, intéressante,
concise », elle est soumise « à une forme précise [et] obéit à des
normes fixes et constantes ». Il existe ainsi une grammaire de la
dépêche d’agence avec des conventions d’écriture que les manuels
AFP de 1997 et 2004 appellent « les trois règles de base de la
dépêche d’agence » :
• Accroche concise (lead) respectant la règle des 5 W (c’est-à-dire
répondant aux 5 questions : Who? What? Where? When? Why?).
■ Structure dite de la pyramide inversée (commencer par
l’essentiel de l’information et aller ensuite au moins
important, par paragraphes successifs).
■ Background: rappels d’événements antérieurs, d’éléments
de documentation ou de mise en situation qui permettent
une bonne compréhension de l’événement.
■ S’ajoute à ceci la règle du « sourçage », c’est-à-dire
l’attribution de toute information à une source définie avec
la plus grande précision possible.

Au regard de la codification professionnelle, la dépêche


d’agence constitue donc un format ancien, bien établi et clairement
défini. Mais il convient de souligner d’emblée les limites de cette
définition formelle, voire formaliste, en dressant trois constats. Le
premier a trait aux conséquences paradoxales du succès de ce
format. En devenant progressivement la référence d’un modèle
anglo-américain de journalisme, les conventions d’écriture
agencières ont significativement contribué, dès la fin du XIXe siècle, à
l’élaboration d’un ordre du discours inédit et spécifique qui a permis
l’invention du journalisme (Chalaby, 1998). Les règles d’écriture de
la dépêche sont aujourd’hui familières à l’ensemble des journalistes,
à la suite d’une large diffusion des normes de l’écriture agencière. Et
bon nombre d’articles, notamment dans les médias de langue
anglaise, les respectent ou s’en inspirent, sans être pour autant
rédigés par des agenciers et être donc à proprement parler des
dépêches. Plus problématique encore, une part limitée de la
production textuelle agencière ne répond pas à l’ensemble des
règles, notamment à celle de la pyramide inversée. Les critères
formels de la grammaire de la dépêche renvoient donc soit à trop de
productions journalistiques (autres que les dépêches), soit à trop
peu (pas toutes les dépêches). Enfin, source d’embarras
supplémentaire, depuis une trentaine d’années, un nombre croissant
de dépêches possèdent un « attribut », comme on dit désormais
dans le jargon agencier, c’est-à-dire qu’elles sont explicitement
étiquetées par l’AFP (ou les agences de presse) « entretien »,
« portrait » ou « papier d’analyse » par exemple, et devraient donc,
en bonne logique, relever aussi de ces autres genres ou formats
communs à toute la presse2.
Pour mieux cerner le format dépêche, il faut, à l’évidence,
déplacer la focale en abordant la question du format non plus à partir
des seules définitions canoniques des manuels, mais en portant
l’attention sur ce que les journalistes en font concrètement. Pour une
sociologie pragmatique (Barthe et al., 2013), un format journalistique
se caractérise par les usages que les professionnels peuvent en
faire, par ce qu’il permet ou facilite, ce qu’il limite ou interdit, par la
marge de manœuvre qu’il confère dans les pratiques. La question
n’est plus alors seulement « qu’est qu’une dépêche d’agence ? »,
mais plutôt « que peut faire un agencier avec ? » en reliant de
manière quasiment indissoluble l’étude des formats de diffusion et
celle des formats de production, c’est-à-dire la forme particulière que
prend, dans une entreprise de presse, l’organisation de la production
des nouvelles en termes de temps et de moyens (humains
notamment).
Il faut alors souligner, dans la pratique, la complémentarité entre
les conventions de l’écriture agencière et l’organisation du travail qui
les soutient, une complémentarité qui assure précisément la relative
cohérence de ce que nous avons appelé le style agencier (Lagneau,
2002). Ce style agencier3, qui se caractérise notamment par cette
prégnance du respect des formats, relève de règles d’écriture, mais
aussi des normes de travail et d’organisation, visant in fine à faire
appliquer des règles professionnelles de distanciation (la
distanciation énonciative, le recoupement, la polyphonie, la
séparation des faits et des commentaires, l’administration de
preuves) (Lemieux, 2000). « L’objectivité de l’information » dépend
ainsi de conventions d’objectivité qui englobent et la grammaire de la
dépêche d’agence et ses conditions de production. On aborde ici un
point crucial. Du point de vue de la qualité de l’information, tous les
formats ne se valent pas. Certains encouragent mieux que d’autres
le respect de ces règles de distanciation. Nous avons proposé de les
appeler « formats d’objectivité » (ou de véridiction). La réponse des
agences de presse à l’ambitieuse question de l’objectivité
journalistique4, parce qu’elle passe par ces formats, est donc avant
tout procédurale (Lagneau, 2010). Encore faut-il préciser que la
dépêche d’agence ne peut être considérée comme un « format
d’objectivité » que si l’on tient compte des processus de contrôle et
de révision en continu, interne et externe, du formatage agencier, qui
en garantissent bien davantage la validité que les seules
conventions formelles d’écriture.
Qui veut comprendre comment le Code de la route est (ou non)
appliqué ne peut pas faire l’impasse sur le dispositif de contrôle et
de sanction qui contribue à son respect. De la même façon, les
règles d’écriture des dépêches inscrites dans les manuels n’auraient
pas grande valeur sans tout un ensemble de procédures mises en
place en interne pour les rendre effectives, notamment le contrôle
systématique par des organes spécialisés, les desks, et la double
relecture en interne (dans le service/bureau puis par un desk). Mais,
du fait de leur très large diffusion, les dépêches font aussi l’objet
d’une forte attention en externe, aussi bien de la part des sources,
notamment institutionnelles, que des clients, qui contribue à
instaurer un processus de révision en continu de la production
agencière5. C’est aussi paradoxalement (si on adopte une vision
simplificatrice des vertus de l’indépendance journalistique) par ce
biais que se consolident les vérités factuelles, souvent partielles et
provisoires, mais néanmoins précieuses, des agences.

Découpage de la copie et palette de


dépêches
Mais la recherche de la vérité et de la plus grande impartialité
possible n’est pas la seule exigence qui s’impose aux agenciers,
même si elle est prioritaire. Les agences de presse se caractérisent
aussi par une contrainte de l’urgence fort ancienne et bien antérieure
à l’essor de l’information en continu portée, ces trois dernières
décennies, aussi bien par des chaînes radio puis de télévision
dédiées que par les sites web et les réseaux sociaux, même si cette
évolution a encore exacerbé le vieux dilemme agencier entre fiabilité
(exactitude de l’information) et rapidité. Historiquement, c’est donc
d’abord la nécessité d’un découpage temporel de la copie agencière,
permettant un séquençage nerveux et collant au plus près de
l’événement (et de sa compréhension progressive par les
journalistes), qui a présidé à une première distinction des dépêches
en fonction de leur degré d’urgence, distinction qui est aussi une
manière de marquer la hiérarchisation agencière. Ainsi, seuls les
événements historiques, ou de première importance (en moyenne
une bonne dizaine par an) donnent lieu à la publication d’un flash,
une dépêche très courte de quelques mots annonçant la nouvelle
(typiquement, le décès d’une personnalité de tout premier plan),
rapidement suivi d’autres dépêches développant l’information, selon
une série standardisée : flash/urgent/lead (au sens cette fois de
dépêche qui complète une nouvelle)/papier général. De manière
beaucoup plus fréquente, c’est une alerte6 (dépêche d’une seule
ligne, également suivie d’un urgent et d’un lead) qui met en valeur
dans le flux quotidien les informations importantes du jour (en
moyenne trois à quatre dizaines d’alertes par jour sur un fil de l’AFP,
pour environ 1 000 dépêches quotidiennes au total). Ainsi, toutes les
informations ne requièrent pas, aux yeux des agenciers, la même
urgence. À côté de ces situations urgentissimes, la plus grande
partie de la copie agencière est constituée de dépêches ordinaires,
ce qu’on appelle de simples « factuels » dans le jargon agencier, qui
réclament certes de la célérité, mais avec une pression moindre.
La palette des formats de diffusion des agenciers s’est
néanmoins considérablement élargie, depuis les années 1990, de
papiers à attribut7 qui ont enrichi d’une autre manière les possibilités
de découpage de la copie. Cette évolution doit être reliée à
d’importantes transformations économiques et commerciales qui ont
modifié les usages des dépêches par les clients des agences.
Grossistes de l’information et médias des médias, les agences
visaient historiquement un public de professionnels à qui elles
fournissaient une matière première ou qu’elles alertaient sur des
événements en cours. Mais ce qui a changé à partir des
années 1980, c’est que les dépêches sont de plus en plus lues
directement par le grand public. Sans renoncer à cette fonction de
grossiste de l’information, les agences, dans un contexte
concurrentiel exacerbé, se sont en effet adaptées à la modification
de la demande de leur clientèle qui réclame de plus en plus des
articles prêts à publier, notamment pour la presse quotidienne
régionale, puis pour les sites internet, et enfin sur les réseaux
sociaux (Lagneau, 2010a). La diversification et l’enrichissement de
la copie grâce à ces papiers prévus8, annoncés aux clients dans des
menus de prévision et souvent signés du nom du journaliste (et pas
seulement de ses initiales comme les « factuels »), qui permettent
de multiplier les angles sur un événement et de répondre notamment
à une demande croissante d’explication et de mise en perspective
de l’information, deviennent aussi un enjeu important de
concurrence entre les agences. Ce qu’il importe surtout de relever,
c’est que tous ces formats de diffusion agenciers sont, dans une
logique industrielle de production de l’information, des instruments
efficaces de réduction des incertitudes pour l’agencier contraint de
travailler dans l’urgence et de précieux outils de coordination des
attentes, tant en interne qu’à l’extérieur9. Le choix d’un attribut
permet ainsi à tous les acteurs de la chaîne de production, aussi
bien le rédacteur que le desk, la hiérarchie rédactionnelle que les
sources et les clients, d’anticiper sur le type de traitement
journalistique qu’ils sont en droit d’attendre. Il permet également
d’organiser la division du travail au sein de l’agence.
Parmi ces papiers à attribut, il convient de mettre l’accent sur
les papiers de synthèse, mais aussi d’analyse, d’angle, de
commentaire, dans lesquels les agenciers introduisent davantage de
mise en récit et d’interprétation, ce qui oblige à prendre du recul par
rapport à la couverture factuelle. Cette montée d’un discours
interprétatif est dictée, on l’a vu, par des évolutions du système
médiatique et de la demande commerciale, mais elle va aussi dans
le sens des attentes d’une grande partie des journalistes d’agence,
qui peuvent davantage mettre en valeur, dans ces papiers, leur
maîtrise des dossiers et leurs qualités d’écriture. Elle risque
cependant de porter atteinte à la réputation d’objectivité des
agences10. Si l’écriture agencière, à travers ces formats
interprétatifs, autorise une part d’interprétation revendiquée, il serait
toutefois erroné d’en déduire que celle-ci n’est pas encadrée. Ces
dépêches restent en effet soumises au respect des conventions
d’objectivité. C’est en ce sens qu’il faut parler d’articles hybrides, qui
tiennent de plusieurs genres journalistiques à la fois. Un papier
d’analyse en agence est certes une analyse, comme on peut en
trouver dans d’autres journaux ou sur d’autres supports, mais elle
n’est pas tout à fait comme les autres, elle doit aussi, dans une
certaine mesure, rester une dépêche. Bien sûr, les seuls rappels à
l’ordre dans les manuels ou les notes de service ne peuvent suffire à
déjouer les risques de basculement dans le journalisme d’opinion
plus marqués pour ce genre de formats. Les agences de presse
s’appuient aussi sur les garde-fous organisationnels mentionnés
plus haut. Malgré la variété de la palette, les dépêches d’agence
conservent toutes « un air de famille », puisqu’elles répondent à une
logique, une « visée informative » commune et sont toutes produites
par des agences de presse, en s’appuyant sur des conventions
d’objectivité, des normes d’écriture, mais aussi des procédures de
production (contrôle des desks…).
Une approche pragmatique des formats journalistiques incite
néanmoins à pointer les usages pluriels de la palette de dépêches :
différences de style avec des variations d’un service à l’autre
(Lagneau, 2002), mais aussi d’un journaliste à l’autre. Les agenciers
pratiquent ainsi les formats interprétatifs de différentes manières.
Certains les utilisent de manière plutôt audacieuse, parfois au risque
de frôler le journalisme d’opinion, d’autres se montrent plus timides
et encourent alors le reproche « de faire trop institutionnel », de
manquer de recul critique dans leurs analyses. Ainsi tous les
journalistes ne font pas le même usage de ce que l’écriture
agencière autorise (ce qui doit nous inviter à ne pas exagérer la
puissance des formats).
Mais cela n’empêche pas de repérer des transformations plus
générales de cette écriture. Ainsi les évolutions des publics des
agences et des usages des dépêches n’ont pas seulement modifié
leur typologie, elles impactent aussi les pratiques agencières et, par
contrecoup, certaines règles d’écriture. Un des changements les
plus notables en la matière a été la redéfinition partielle de la
politique de sourçage de l’AFP, avec la clarification de certaines
formules lors de la publication en 2000 d’un document interne d’une
dizaine de pages, repris dans les manuels suivants. Ce document
interdit explicitement toute une série de formules jusque-là en usage
à l’agence pour les sources non identifiées11 et jugées désormais
trop floues et même incompréhensibles par la majorité des lecteurs
grand public (Lagneau, 2014). Comme le souligne Paillet (1974 :
95), les agences, à la fin des années 1970, utilisent encore un
« langage journalistico-diplomatique » qui s’adresse à un public
averti, un langage « qui peut être compris par les membres
ordinaires des classes dirigeantes et par les gens instruits ». Cela
provoque un hiatus immédiat quand il est repris par des médias de
masse qui s’adressent à un bien plus large public. La règle du
sourçage est ainsi maintenue, mais elle se transforme dans le
temps, au moins dans certaines modalités d’application. Et la règle
de la pyramide inversée se trouve tout à la fois confortée par la
révolution numérique12 et assouplie pour certains types de dépêches
qui s’y prêtent mal (comme la chronologie ou la fiche technique) ou
moins bien (le récit ou le reportage).
De manière plus générale, avec le changement de public visé,
l’écriture agencière évolue pour adopter un style qui « doit être clair
et accessible à tous, direct et incisif, visuel, coloré, vif et descriptif »,
selon les prescriptions d’une note rédactionnelle récente sur « les
règles essentielles de l’écriture », reprise dans la dernière version du
manuel AFP. Et alors que les agences d’information font
commercialement la part de plus en plus belle à la photo et à la
vidéo pour tenir compte des transformations de la demande13, les
journalistes texte sont aussi incités à avoir une « écriture plus
visuelle », à mettre un maximum de « couleur » dans les papiers en
s’appuyant également sur la production des collègues photographes
ou vidéastes de l’agence14. Cette évolution s’est même traduite par
la création récente de deux formats spécifiques « photo récit » et
« vidéo récit » permettant, sur le principe de la « photo légendée »,
d’accompagner d’un texte « à l’écriture très vivante » les meilleures
photos ou vidéos, afin de « valoriser le travail de nos photographes
ou de raconter une actualité plus visuelle »15.
Ainsi l’ancienneté des règles de la grammaire de la dépêche ne
doit pas masquer les transformations de l’écriture agencière qui
accompagnent les évolutions du positionnement des agences dans
le système médiatique et de leurs publics. Mais, à l’inverse, ces
changements bien réels ne font pas obstacle, au contraire, à la
persévérance de ces agences dans leur quête de l’objectivité et leur
ambition de raconter le monde avec la plus grande exactitude et
impartialité possibles, en imposant à leurs journalistes des formats
de diffusion, mais aussi de production, qui encouragent ensemble un
meilleur respect des règles de distanciation qui font la noblesse du
métier.

Bibliographie
• Agnès Y., Manuel de journalisme. Écrire pour le journal, Paris,
La Découverte, 2002.
• Barthe Y., de Blic D., Heurtin J.-P., Lagneau E., Lemieux C.,
Linhardt D., Moreau de Bellaing C., Rémy C., Trom D.,
« Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, n° 130, 3,
2013, p. 205-222.
• Chalaby J., The invention of journalism, London, Routledge,
1998.
• Lagneau E., « Le style agencier et ses déclinaisons thématiques.
L’exemple des journalistes de l’Agence France Presse »,
Réseaux, n° 111, 2002, p. 58-100.
• Lagneau E., L’objectivité sur le fil. La production des faits
journalistiques à l’Agence France-Presse, thèse pour le doctorat
de science politique, IEP Paris, janvier 2010.
• Lagneau E., « Une fausse information en quête d’auteur. Conflits
d’imputation autour d’une annulation de dépêches AFP », dans
Lemieux C. (dir.), La subjectivité journalistique, Paris, Edition de
l’EHESS, 2010, p. 47-65.
• Lagneau E., « L’imparfaite traçabilité de l’information.
L’identification des sources à l’AFP : un jeu d’ombre et de
lumière », dans Legavre J.-B. (dir.), L’informel pour informer. Les
journalistes et leurs sources, Paris, L’Harmattan/Éditions
Pepper, 2014, p. 139-163.
• Lemieux C., Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du
travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000.

1. Le premier de ces manuels, l’Associated Press Style Book, date de 1951. L’AFP a
proposé six versions successives de son manuel en français (1971, 1982, 1997, 2004,
2009, 2018).
2. Les manuels de l’AFP de 1971 et 1982 mentionnent bien l’existence de différents types
de dépêches, mais il faut attendre celui de 1997 pour que soit très explicitement
présentée la liste des différents « genres de l’agencier » : le papier d’éclairage,
l’interview, le récit, le portrait, les échos, la brève, la fiche technique, la chronologie… Le
manuel de 2004 complète la liste et insiste sur la question de « l’attribut », c’est-à-dire
sur l’étiquetage de ces genres pour que les clients s’y retrouvent. Aujourd’hui, il existe
44 attributs différents prévus dans la console informatique des journalistes de l’AFP.
3. Tel que nous l’entendons, un style journalistique ne caractérise pas seulement un style
d’écriture, mais plus largement une manière de pratiquer le métier, elle prend donc en
compte l’ensemble des pratiques des journalistes.
4. Cette recherche de l’objectivité renvoie à la fois à une nécessité commerciale et à des
obligations juridiques. Les nouvelles des agences ont une audience considérable,
potentiellement mondiale, et extrêmement variée dans sa composition sociale, politique
ou religieuse, il faut donc trouver la traduction journalistique qui convienne au plus grand
nombre. Mais l’objectivité est aussi une obligation légale pour l’AFP. La loi de 1957
portant statut de l’AFP fait obligation aux journalistes de l’agence (nous condensons ici
les obligations relatives à la qualité de l’information des articles 1 et 2 du statut) de
fournir une information « complète, objective, exacte, impartiale et digne de confiance ».
5. Sous des formes diverses qu’on ne détaillera pas ici. On peut mentionner néanmoins
l’importance des procédures de correction et d’annulation pour le maintien de la
crédibilité des agences.
6. Jusqu’en 2009, l’AFP marquait les informations importantes par des bulletins, mais elle a
décidé à cette date de s’aligner sur les pratiques de Reuters et AP en adoptant le format
alerte.
7. Ces papiers à attribut représentent en moyenne désormais 20 % des dépêches sur les
fils de l’AFP.
8. Parmi ces papiers à attribut, on retrouve des dépêches avant tout descriptives relevant
du journalisme documentaire (fiche technique, repères, équipe, résultat, récapitulatif
classement, programme, chronologie, bio-express) ou du journalisme d’enregistrement
(réactions, déclarations, témoignage, entretien, trois-questions, questions-réponses,
principaux points, verbatim, revue de presse). À l’autre bout du spectre se distinguent les
formats les plus clairement interprétatifs (analyse, commentaire, papier d’angle). Entre
les deux, il existe une large palette de formats qui contribuent plus directement à la mise
en récit de l’événement, avec des dimensions narratives (récit, compte rendu, reportage)
ou interprétatives plus ou moins marquées selon les auteurs et les sujets traités
(chapeau, papier général, lead général, présentation, lever de rideau, synthèse, week-
ender, rétrospective année, portrait, enquête).
9. Comme le relève le manuel AFP de 2008 : « L’attribut est une appellation de papier
décidée en fonction des choix rédactionnels. Il s’agit d’un élément clé du dialogue avec
le client, qui précise le genre de papier qu’il recevra − l’attribut étant annoncé dans les
prévisions diffusées sur les fils. Pour la production, il facilite l’organisation de la
couverture, permettant de distribuer les éléments d’information entre différents papiers. »
D’où l’importance d’un travail de codification relativement précis, matérialisé notamment
par les versions successives du manuel agencier qui accordent une place relativement
large à la description de ces attributs.
10. Le manuel AFP de 1997 témoigne d’ailleurs de cette tension lorsqu’il souligne à propos
du papier d’analyse : « Les clients réclament davantage de papiers mettant les
événements en situation et les expliquant. Il ne faut pas avoir peur du mot d’analyse de
l’événement (news analysis), que l’on appelle souvent plus discrètement en français
“papier d’éclairage”. Il ne s’agit pas d’un éditorial ou d’une tribune libre, mais de la
présentation des différentes thèses ou options en présence. Le maximum de faits
émanant de sources diverses doit étayer l’argumentation. »
11. « Au minimum, une source doit définir le milieu d’appartenance : “source judiciaire”,
“source policière” ou autres “source proche de l’enquête”. Mais il convient de bannir les
sources qui ne définissent rien du tout, telles que sources informées, sources sûres,
dignes de foi et autres sources concordantes, de même que les milieux bien informés et
les observateurs. » Ce document marque ainsi une étape importante, confirmée dans les
manuels de 2004 et de 2008. Il a une histoire intéressante puisqu’il a été conçu comme
une des réponses à la crise qui avait secoué l’AFP après la publication, le 19 mars 1999,
d’une fausse nouvelle concernant le président de la République, Jacques Chirac et qui
avait nui à la réputation de l’agence (Lagneau, 2010b).
12. « Cette règle ancienne mais trop souvent ignorée est plus que jamais d’actualité à
l’heure du multimédia, permettant d’exploiter la dépêche sur plusieurs supports
différents », est-il écrit en introduction de l’article sur la pyramide inversée dans le
manuel AFP 2018.
13. Dans un autre registre, on peut relever la création récente d’un format « Fact-
checking », permettant de diffuser sur les fils une dépêche à destination des clients
abonnés à partir d’un fact check publié sur le blog AFP-Factuel, afin de valoriser une
nouvelle activité de l’AFP en plein essor.
14. On peut lire dans la même note : « Il faut s’appuyer sur tous les journalistes sur le
terrain, en particulier sur les reporters photographes et JRI [journalistes reporter
d’images] et sur leur production, pour nourrir les papiers de couleur et de témoignages ».
15. Entrée « photo récit » dans le manuel AFP 2018.
Chapitre 2
2 Le journal télévisé : un
modèle canonique

Marie-France Chambat-Houillon

D
u haut de ses 70 ans dépassés, le journal télévisé est
certainement le format le plus emblématique de l’information
à la télévision, même s’il n’est pas le seul à être diffusé à
l’antenne, côtoyant débats et magazines dits d’information. Sa
longévité s’explique par une formule à la fois suffisamment stable
pour ne jamais disparaître des antennes, accompagnant de fait les
mutations du média au fil des époques, tout en ayant la capacité de
s’adapter aux innovations techniques et aux mutations sociales du
journalisme audiovisuel.
Alors que la télévision est encore un média balbutiant, pour ne
pas dire expérimental et surtout presque sans public, le premier
journal télévisé de la Radiodiffusion-télévision française fut diffusé
sur l’unique chaîne de la télévision, le soir du 29 juin 1949. Sa
naissance est intimement liée à celle de la télévision. Créé par
Pierre Sabbagh avec une équipe de journalistes venant pour la
plupart du média de référence de l’époque, la radio, il avait
initialement une durée d’une quinzaine de minutes. Toutefois son
originalité ne réside pas uniquement dans la monstration du monde
en images, devancé, en cela, par Les Actualités cinématographiques
diffusées dans les salles de cinéma depuis le début du XXe siècle.
Car, si celles-ci en proposent une vision synthétique rafraichie selon
une cadence le plus souvent hebdomadaire, le succès du journal
télévisé tient sans aucun doute dans une programmation devenue
rapidement régulière et quotidienne en quelques mois, supposant un
renouvellement tous les jours de son contenu. Pierre Sabbagh parle
de la fabrication du journal télévisé comme une « course contre le
temps »1, d’autant plus héroïque que la jeune télévision française
disposait à l’époque de très peu de moyens humains et techniques.
Les reportages étaient filmés sur pellicule film, nécessitant un temps
de développement et de montage incompressible qui sera réglé
avec l’arrivée des caméras électroniques. Au début des
années 1950, le peu de moyens alloués au journal télévisé couplé
aux limitations techniques a des répercussions sur le choix de ses
sujets qui couvraient en images une réalité contrainte spatialement
et temporellement par la proximité des bureaux de la télévision
française.

Les caractéristiques du genre « journal


télévisé »

La temporalité singulière de la
programmation :
la « grande messe » du vingt heures
Si les innovations technologiques ont permis d’alléger les
contraintes de fabrication avec pour conséquence une plus grande
diversité des contenus d’information, il demeure que le journal
télévisé ne s’est pas pour autant désengagé d’autres dimensions
temporelles. La première est liée à son statut de programme. En
effet, le journal télévisé prend place dans une offre de programmes
située dans une grille de programmation particulière. Au sein des
chaînes généralistes, même si ses éditions se multiplient (le matin, à
la mi-journée et en début de soirée) s’alignant sur le rythme social et
culturel des Français, autour des repas, le journal télévisé du soir
demeure néanmoins l’édition la plus importante selon la formule
désormais consacrée « de grande messe du vingt heures ».
Bien évidemment, ses horaires ont légèrement varié
historiquement à la télévision française et selon les stratégies des
chaînes, à l’image de M6 qui fait débuter depuis 2009 son 19.45 à
l’heure promise par son titre, la « petite chaîne » qui ne l’est plus,
devance ainsi par son offre d’information la programmation à
20 heures des journaux des chaînes généralistes historiques que
sont TF1 et France 2. En faisant la jonction entre l’access prime time
et le prime time, cette édition, qui amorce la soirée télévisuelle, ne
se décline pas seulement comme une offre d’informations, mais
comme un véritable rendez-vous pour les téléspectateurs en
structurant d’une part, la temporalité endogène de la chaîne de
télévision et d’autre part, en étant un rouage décisif des stratégies
de fidélisation du public. À la fois contenu journalistique et
programme, le journal télévisé obéit à deux logiques : une logique
démocratique de construction d’une information pluraliste et une
logique économique. En effet, il ne faut pas oublier que produire de
l’information a un coût que l’entreprise médiatique doit rentabiliser,
notamment dans un environnement devenant de plus en plus
concurrentiel avec les nouveaux acteurs numériques. La fabrique de
l’information repose sur une mobilisation collective de toute une
équipe de rédaction composée de journalistes de desk, de
correspondants à l’étranger et d’envoyés spéciaux, sans oublier des
moyens technologiques conséquents pour réaliser et monter les
reportages, les faire parvenir à la chaîne et bien évidemment les
diffuser.

La place structurante de l’actualité


Outre la temporalité de la programmation, le format du journal
télévisé doit également composer avec une autre temporalité
spécifique qui en caractérise cette fois-ci son contenu, l’actualité. À
la différence des autres genres à visée authentifiante diffusés à la
télévision que sont le magazine ou le documentaire par exemple,
l’objet du discours du journal télévisé n’est pas seulement le monde
réel, mais plus précisément ce qui s’y est passé lors de la journée,
supposant son éventuelle transformation entre deux éditions du
journal. C’est le règne de la nouvelle, des news qui témoigne d’un
monde conçu en perpétuel changement justifiant le renouvellement
quotidien, voire bi-quotidien – et parfois davantage – du contenu du
journal. En rapportant les faits de la veille ou de la journée, le journal
télévisé fait des 24 heures, qui séparent les deux éditions de la
soirée, une unité temporelle garantissant la « fraîcheur » de
l’information, et sa pertinence, mais tout en la rendant aussi plus
sujette à une rapide obsolescence. Une information datée, si elle
n’est pas « réactualisée » à la faveur d’un nouveau développement
factuel quitte le format du journal télévisé pour rejoindre
éventuellement les rangs des magazines d’information disposant
d’un rythme de programmation plus lent, hebdomadaire ou mensuel.
Peu importe la nature de l’actualité, qu’elle soit riche ou pauvre,
complexe ou plus accessible, le journal télévisé se propose d’en
rendre compte de façon régulière et toujours sous une durée
invariable, fixée préalablement par son inscription dans une case
horaire spécifique. S’y ajoute également un souhait d’exhaustivité de
pouvoir faire un tour complet de l’actualité, nationale comme
internationale, et quelle que soit sa portée (politique, économique,
sportive, culturelle, etc.) dans un format constant et itératif. La durée
du journal n’est pas justifiée par l’état de l’actualité, mais par des
logiques éditoriales et de programmation spécifique à chaque
chaîne.

Un repère face à la multiplication


des canaux d’information
À la télévision française, le journal télévisé est diffusé en direct
donnant l’impression que son contenu préparé peut être à tout
moment bousculé par des événements imprévisibles. Le direct
conforte une conception du journal télévisé reliée immédiatement
aux transformations du monde hors de toute intentionnalité
discursive préexistante. En proposant un compte rendu médiatique
des nouvelles du jour, le journal télévisé se construit davantage
autour d’une visée d’annonce ou de présentation des informations
que d’explication ou de commentaire, prise en charge davantage par
d’autres formats plus longs de l’information télévisée, qui sont moins
dépendants de l’immédiateté de l’actualité.
Toutefois, cette dimension épiphanique du journal télévisé perd
peu à peu de sa préséance face aux chaînes d’information en
continu qui se développent progressivement en France durant les
années 1990 et s’imposent comme acteurs incontournables dans les
années 20002 en présentant des éditions régulières à chaque heure.
Le journal télévisé est aussi concurrencé par les réseaux sociaux et
autres médias numériques qui alimentent de façon permanente les
fils d’information des usagers. Dès lors, face à ce nouvel
environnement médiatique et numérique de plus en plus réactif, le
rôle communicationnel du journal télévisé se reconfigure, passant
d’une fonction de révélation de l’information à une fonction de
confirmation de sa pertinence pour le débat public. Avec la
multiplication des canaux d’information numériques et le
foisonnement des acteurs professionnels qui y participent, sans
oublier que désormais des non-professionnels, des individus
ordinaires, peuvent également relayer une information, le journal
télévisé tend à se présenter comme une sorte de repère
garantissant une information sûre, vérifiée et pertinente au regard de
l’intérêt public.
Ne pouvant pas rivaliser avec la réactivité immédiate des autres
médias (chaîne d’information en continu, pure players, réseaux
socio-numériques), le journal télévisé tend à s’affranchir de l’urgence
de l’actualité, notamment dans ces deuxièmes parties qui accueillent
de plus en plus des sujets reposant sur des enquêtes plus fouillées
et s’ouvrant à des thématiques davantage sociales, culturelles ou
insolites. Cette mutation du format du journal télévisé vers une
formule magazine se traduit par la diffusion de sujets plus longs,
d’une durée de 3 minutes en moyenne. Il arrive également qu’une
enquête se décline sous une narration « feuilletonnante » permettant
aux téléspectateurs d’en suivre le récit à travers différents épisodes,
programmés tout au long de la semaine. Ce type d’enquête vise à
rendre compte de la complexité de la réalité relatée tout en
procédant à la fidélisation du public qui souhaite en connaître la
résolution finale. En 2018, cette tendance de proposer une « slow
information » avec une tonalité beaucoup moins anxiogène a donné
lieu à une initiative de TF1. La chaîne a proposé de compléter
l’édition du soir par une nouvelle offre d’information quotidienne,
20 heures le Mag animée par les journalistes habituels du journal.
D’un format de 10 minutes, elle accueille le bulletin météorologique
et un reportage centré sur des portraits ou histoires de Français
ordinaires ou de personnalités marquantes.
La régularité quotidienne de la programmation du journal
télévisé ainsi que sa durée constante sont des bons indicateurs du
caractère ordinaire du traitement de l’actualité. Quand il s’agit de
présenter un événement spécifique, qu’il soit prévu dans l’agenda
setting (comme une soirée électorale ou une allocation
présidentielle) ou plus imprévisible (attentat du 11 septembre 2001,
par exemple), le journal télévisé peut toutefois s’en libérer. Il est de
même lorsque l’actualité est particulièrement grave et complexe et
que les journaux revendiquent leur mission d’information auprès des
citoyens, comme ce fut le cas lors du premier confinement en 2020
lors de la pandémie de la Covid-19 avec l’allongement de sa durée.
Une édition spéciale est un journal qui s’affranchit de sa case horaire
habituelle pour interrompre la programmation prévue et briser la
rigidité des cases horaires renvoyant à l’appellation anglo-saxonne
de la pratique des « breaking news ». À noter toutefois que le terme
d’édition spéciale s’applique aussi aux journaux réalisés hors de
leurs conditions régulières, notamment lorsqu’ils quittent le studio
pour se déplacer sur le terrain ou qu’ils sont organisés autour d’un
sujet dominant, comme l’édition spéciale du 20 heures – Le week-
end de TF1, le 20 décembre 2020, où plus de 10 minutes de
reportage ont été consacrées à la mission des militaires français au
Mali.

L’organisation du format du journal télévisé

Le contenu du journal comme construction


du point de vue de la chaîne sur l’actualité
Le studio est certainement l’élément identitaire le plus
reconnaissable du format. Depuis cet espace médiatique, l’actualité
y est présentée sous une double organisation. La première relève
d’une logique éditoriale de la rédaction qui retient les informations du
moment jugées les plus significatives pour les porter à la
connaissance des téléspectateurs. Malgré une promesse de totalité,
il ne faut jamais oublier que le contenu d’un journal repose avant tout
sur une sélection de ce qui est promu à titre d’information par la
rédaction, de sorte que certains faits attestés n’accèdent jamais à ce
statut. Cette sélection est complétée par une mise en ordre de
l’information, sa hiérarchisation qui témoigne également de sa
valeur. Ainsi l’information jugée la plus importante, celle du moment,
ouvre le journal télévisé et, le plus souvent, l’actualité culturelle ou
plus légère, le clôture. La sélection et la hiérarchisation participent à
« cadrer » l’information selon des logiques éditoriales propres à
chaque chaîne (Esquénazi, 2013) en construisant son point de vue
sur l’actualité, sa vision qui est une des facettes de son identité
médiatique globale. France 3 fait précéder ses journaux nationaux
de la mi-journée et de l’access prime time par des éditions
régionales différentes produites par son réseau de rédaction locale.
Forte de son identité de chaîne des territoires, et à la suite d’un
pacte « [P]our la visibilité des outre-mer3 », France 3 (avec
France Info) programme également en fin de matinée tous les jours,
L’info outre-mer, un court journal d’environ 5 minutes. En outre, ces
deux opérations de construction de l’information que sont la
sélection et la hiérarchisation peuvent être affectées par la
temporalité médiatique elle-même. Ainsi les journaux des week-ends
offrent un contenu informationnel (plus léger) davantage récréatif et
culturel, moins en prise avec l’immédiateté de l’actualité.

La pluralité du traitement de l’information


La seconde organisation du format du journal télévisé a trait à la
pluralité des modalités du traitement de l’information. Certains
événements sont annoncés au moyen de reportages réalisés sur le
terrain ou encore illustrés par des images dites d’archives ; d’autres
font l’objet de commentaires ou d’analyses verbales émanant soit du
présentateur principal, soit parfois de journalistes spécialisés quand
l’information est considérée « technique » ou nécessitant un savoir
particulier pour être expliquée. Le présentateur peut également
s’appuyer sur les compétences spécifiques d’experts ou recueillir les
propos des représentants des institutions concernées, invités sur le
plateau ou bien joints en duplex. La crise sanitaire due à la
pandémie liée à la Covid-19 a accru le recours aux interviews à
distance, via les outils ordinaires de messagerie, mettant à l’antenne
une image et un son de moindre qualité qui contrastent avec le reste
de la réalisation professionnelle du journal. Renouant avec
l’étymologie littérale de la télévision qui est de voir à distance, cette
nouvelle esthétique audiovisuelle n’entrave cependant en rien
l’intelligibilité de l’information. Au contraire, elle contribue à produire
un effet d’authenticité, dans le même esprit que la diffusion d’images
d’amateur qui donne la possibilité aux individus ordinaires de
témoigner visuellement de la réalité d’un événement qui n’a pas pu
être couvert par les professionnels de l’information.
Bien que l’alternance entre le studio et le terrain soit une
composante du format du journal télévisé partagée par l’ensemble
des journaux nationaux, il n’en a pas toujours été ainsi. À ses
débuts, le journal télévisé était composé d’un montage de
reportages en images sur lesquels le commentaire journalistique
était réalisé en voix off au moment de la diffusion à l’antenne. Puis,
en 1953, l’information entre en studio, orchestrée par des
journalistes différents qui en assurent le lancement et
l’enchaînement. La formule que l’on connaît actuellement avec un
présentateur unique se stabilise en 1955. Par la suite, il y a eu de
nombreuses variantes allant de la co-présentation lancée par Marie-
Laure Augry et Yves Mourousi au 13 heures de TF1 entre 1981 et
1988, jusqu’à la disparition complète de la figure du journaliste en
plateau avec des journaux comme le 8 1/2 d’Arte, lancé en 1992 ou
encore le 6 minutes de M6 en 1987. Ces désincarnations de la
transmission de l’information au sein du journal télévisé
s’accompagnent généralement d’un format plus court, moins de
10 minutes et proposent une approche synthétique et plutôt factuelle
de l’actualité « tout en images » dirigée par les commentaires en
voix off. Ces journaux construisent un régime de vérité valorisant la
puissance référentielle des images et ses valeurs testimoniales.
L’absence d’un médiateur entre l’information et les publics accentue
la fonction pragmatique des modalités de rubricage au sein du
journal qui doivent à la fois catégoriser et identifier la nature de
l’information qui sera présentée, tout en assurant une unité
discursive et une homogénéité formelle à la juxtaposition des sujets
proposée dans l’ensemble du journal. En France, le format « tout en
image » a été abandonné par ces chaînes pour revenir à une
formule en studio plus classique avec un présentateur journaliste qui
imprègne de sa personnalité et de son ethos la tonalité du journal,
même s’il n’en est pas toujours le rédacteur en chef. Le choix du
journaliste en plateau qui incarne l’information est un élément décisif
pour l’image de « marque » de la chaîne et sa « logique de
séduction » (Mercier, 1996) vis-à-vis des téléspectateurs.
Les nouvelles modalités du JT : entre
visualisations infographiques
et mise en visibilité de la vérification
de l’information
Qu’il soit « tout en images » ou réalisé en studio, le journal
télévisé mobilise une autre catégorie visuelle que les images filmées
référentielles ou réalistes des reportages, la visualisation
infographique. Inspirée par l’esthétique numérique et le
datajournalisme, la mobilisation des données devient une ressource
incontournable pour documenter des faits plutôt abstraits,
essentiellement à l’origine des phénomènes économiques, mais qui
désormais s’ouvrent à d’autres domaines politiques, scientifiques ou
encore sociaux. En livrant une explication quantifiable des évolutions
du monde, le recours aux données donne lieu à des mises en scène
spécifiques : aux visualisations infographiques commentées le plus
souvent par un journaliste spécialiste délégué (ou prenant place au
sein des reportages) s’ajoute une nouvelle occupation de l’espace
du studio. Debout devant un écran – parfois tactile – qui sert de
décor – parfois en réalité augmentée –, le spécialiste peut être
rejoint par le journaliste principal qui quitte, le temps de la rubrique,
sa position statique derrière une table, pour guider son explication.
Le recours à cette double médiation journalistique contribue à faire
des données des unités de connaissance hermétique et difficile à
comprendre. Leur maîtrise produit des effets d’objectivité pour la
présentation de l’information – les aléas du monde peuvent être
mesurés – tout en renforçant l’expertise journalistique qui en rend
compte.
Une des réponses de la profession au phénomène de perte de
confiance du public envers les journalistes réside avec l’arrivée,
dans le format du journal télévisé, après son développement dans la
presse traditionnelle puis en ligne, de rubriques de vérification de
l’information (fact-checking) à l’instar de Vrai du Faux de France Info
ou encore l’Œil du 20 heures sur France 2. Ces rubriques se
démarquent des sujets centrés sur les événements et leurs
conséquences en montrant les journalistes à l’œuvre, en train
d’enquêter puis de vérifier l’exactitude d’un propos, souvent
politique, après sa diffusion. En traquant les petites approximations
et les grands mensonges qui circulent dans l’espace public toujours
plus vite avec les réseaux socio-numériques, ces rubriques de fact-
checking réaffirment l’importance professionnelle de la pratique
journalistique pour produire une information exacte, vérifiée et de
qualité au service du débat public.
La longévité du journal télévisé s’explique sans doute par un
savant équilibre entre la permanence du format et une grande
souplesse face aux innovations technologiques et surtout devant
l’évolution des attentes des Français. Bousculé par l’actualité du
premier confinement qui débuta en mars 2020, le 20 heures de
France 2 aménagea une rubrique inédite lors de laquelle le médecin
de la chaîne en studio répondait aux questions des téléspectateurs
sur la pandémie et les décisions gouvernementales. Cet
aménagement de l’intérieur du format a permis à la chaîne de
réaffirmer sa mission de service public et de se positionner comme
un acteur social incontournable et surtout fiable face aux multiples
canaux d’information. Tout en proposant une vision spécifique sur un
monde en mouvement, le journal télévisé n’oublie cependant pas de
se soucier des préoccupations quotidiennes de son public.

Bibliographie
• D’Aiguillon B., Un demi-siècle de journal télévisé, Paris,
L’Harmattan, 2001.
• Blandin C., « Le journal télévisé, incontournable ou dépassé ? »,
La revue des Médias, INA, 2015.
• Brusini H., James F., Voir la vérité, le journalisme de télévision,
Paris, PUF, 1984.
• Charaudeau P., Les médias et l’information. L’impossible
transparence du discours, 2e édition, Bruxelles, De Boeck, 2011.
• Coulomb-Gully M., Les informations télévisées, Paris, PUF, coll.
« Que sais-je ? », n° 2922, 1995.
• Esquénazi J.-P., L’écriture de l’actualité, 2e édition, Grenoble,
PUG, coll. « Communication en plus », 2013.
• Jost F., Introduction à l’analyse de la télévision, Paris, Ellipses,
1999.
• Lochard G., L’information télévisée. Mutations professionnelles et
enjeux citoyens, Vuibert-Ina, Paris, 2005.
• Mercier A., Le journal télévisé : politique de l’information et
information politique, Paris, PFNSP, 1996.
• « Le data journalisme : entre retour du journalisme
d’investigation et fétichisation de la donnée. Entretien avec
Sylvain Lapoix », Mouvements, n° 79, 3, 2014, p. 74-80.

1. « L’actualité contre la montre. Propos de Pierre Sabbagh », Cahiers du cinéma, n° 118,


mars 1961, repris dans Le Goût de la télévision, Anthologie des Cahiers du cinéma, sous
la direction de Thierry Jousse, Éditions Cahiers du cinéma et INA, Paris, 2007, p. 27.
2. LCI a été lancée en 1994, rejointe par i-Télé en 1999, puis BFMTV en 2005.
3. Le « pacte pour la visibilité des outre-mer » a été signé le 11 juillet 2019 par les ministres
de la culture et des outre-mer et la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte.
Source : https://www.senat.fr/presse/cp20190711.html
Chapitre 3
3 L’infodivertissement, les frontières
floues d’un genre télévisuel

Marie-France Chambat-Houillon

E
n plus d’être une traduction du terme anglais infotainement,
l’expression d’infodivertissement est un néologisme qui
repose sur la contraction de deux termes préexistants :
l’information et le divertissement. Si intuitivement, chaque
téléspectateur sait peu ou prou quelles émissions peuvent être
désignées par cette étiquette générique, il n’est cependant guère
aisé d’en dégager des critères constitutifs stables tant l’hybridité
générique revendiquée par ces contenus peut se décliner aussi bien
quantitativement que qualitativement. Pour cette raison, certains
auteurs préfèrent parler d’une « échelle d’infotainement » qui
irriguerait des genres médiatiques bien identifiés mais très
différenciés, dont l’empan irait des journaux télévisés aux variétés
(Brants, 2003). Bien que l’infodivertissement soit une tendance qui
n’épargne aucun genre médiatique, quand elle s’immisce dans les
émissions à prétention sérieuse et informative, elle interroge plus
particulièrement l’évolution sociale de la place des médias
d’information et de leur discours dans l’espace public.
Historiquement, les discours journalistiques ont participé à construire
une certaine conception de l’information comme ressource
rationnelle des débats démocratiques, débats qui, dans cette
perspective, seraient a priori incompatibles avec les formes de
médiatisation divertissante. L’infodivertissement télévisée est, sans
aucun doute, la conséquence de l’« appel du divertissement » (Jost,
2013) qui désigne, dans le sillage de la pensée de Hanna Arendt
dans La Crise de la culture, le glissement généralisé des sociétés
contemporaines vers le récréatif et ses dimensions cardinales que
sont l’émotion et le spectacle.

Restructuration du secteur médiatique


et infodivertissement
Très vite, dès les années 1990, la fortune de la formule
« infodivertissement » est à l’image des réussites d’audience
rencontrées par ces émissions. Leurs succès publics
s’accompagnent d’une reconnaissance naissante des professionnels
des médias à leur égard. En 1998, pour le directeur général de TF1,
Étienne Mougeotte, l’« archétype réussi »1 d’une émission
d’infodivertissement est Combien ça coûte ? Diffusée en prime time,
cette émission animée historiquement par le journaliste Jean-Pierre
Pernaud fut récompensée la même année par le Sept d’or du
meilleur « magazine de télévision ». Entre 1991 et 2010, cette
émission à la longévité exemplaire a exploité tous les aspects d’une
ligne éditoriale consacrée à la surveillance de la dépense publique et
aux dénonciations des arnaques susceptibles de piéger son public.
Selon ce modèle, les émissions d’infodivertissement sont le plus
souvent réalisées en studio avec une orientation éditoriale qui
consiste à explorer des sujets puisés dans le champ de la vie
quotidienne, se rapprochant en partie de ceux qui composent le
périmètre de l’information. Toutefois, les thématiques sont abordées
dans une ambiance décontractée, sous un registre ludique, parfois
même comique, grâce aux échanges entre chroniqueurs récurrents
ou invités ponctuels, le tout sous la houlette d’un animateur principal.
Selon les émissions, les discussions peuvent éventuellement être
étayées par la diffusion de reportages. De façon générale, le
principal ressort des émissions d’infodivertissement s’appuie sur un
dispositif de mise en circulation de propos entre des protagonistes
réunis sur un plateau, les conduisant à rejoindre la très large et
composite famille des talk-shows ou « émissions
conversationnelles » (Leroux et Riutort, 2013).
Faciles à produire et à moindre coût, les programmes
d’infodivertissement permettent de remplir rapidement les nouveaux
espaces médiatiques disponibles engendrés par la naissance des
antennes commerciales à la fin des années 1980 et au début des
années 1990. L’audience étant décisive pour leur modèle
économique, les chaînes privées craignent que la programmation
d’émissions à prétention informative et à la tonalité trop explicative
ou didactique éloigne leur public. Dès lors, pour ces chaînes,
l’infodivertissement constitue un recours créatif qui permet de
programmer en soirée des émissions conjuguant des contenus
authentiques, sérieux et familiers à des visées distrayantes. En
offrant des émissions qui mettent en spectacle des préoccupations
partagées par le plus grand nombre, l’infodivertissement participe à
une stratégie de fidélisation du public. Par le choix de thématiques
faisant écho aux expériences des téléspectateurs et une mise en
scène de cette proximité, cette tendance construit une télévision qui
se veut à la fois utile et récréative. C’est finalement une des façons
dont les chaînes privées tentent de se mettre au service de leur
public. Et bien que celles-ci n’aient pas vocation à reprendre de
façon impérative la fameuse formule ternaire caractérisant les
missions de l’audiovisuel public « informer, cultiver, divertir », cette
dernière opère toutefois comme un repère symbolique pour
coordonner la programmation de toutes les chaînes généralistes et
établir une distinction entre les genres médiatiques. C’est ainsi que
l’une des conséquences de la montée en puissance des émissions
d’infodivertissement au sein de la grille de programmation,
notamment en soirée, est sans doute le renforcement des attentes
des téléspectateurs à l’égard du journal télévisé comme lieu d’une
parole journalistique pouvant compter dans le débat public et
prétendre à l’impersonnalité et à l’objectivité. Toutefois, le journal
télévisé n’est pas non plus un sanctuaire protégé des mutations
générales qui affectent le média, et l’évolution de son format avec la
présence, en fin d’édition, de sujets plus légers ou tendant vers le
magazine de société peut assurément être interprétée à la lueur de
cette tendance. En France, l’infodivertissement a trouvé un terrain
favorable dans le contexte des profondes mutations économiques et
institutionnelles du secteur de l’audiovisuel médiatique au siècle
dernier, dont une des conséquences est la mise en concurrence
entre service public et acteurs privés.

Nature de l’information dans


l’infodivertissement
Si dans les émissions d’infodivertissement, la visée
divertissante porte sur un contenu authentique, est-il pour autant
identique à celui qui fait l’objet d’un traitement journalistique dans les
genres sérieux consacrés ? Autrement dit, quelle est la nature de la
part informationnelle dans les programmes d’infodivertissement ?
Assurément, celle-ci se démarque de l’actualité conçue comme
matière première du journal télévisé, dont la portée englobe les
dimensions politiques, sociales et économiques des faits promus
événements et pouvant se décliner sous trois focales (internationale,
nationale et locale) selon les éditions et les médias. Et puisque dans
les émissions d’infodivertissement, il n’est nullement question de
divertir le public ou de plaisanter à l’aide d’images de catastrophes
naturelles ou d’attentats, la part informative de l’infodivertissement
épouse plutôt les champs couverts par ce que les théoriciens des
médias américains nomment les « soft news ». Même si cette notion
demeure flottante, plutôt appréhendée par contraste aux hard news
qui renvoient précisément aux domaines factuels traités par les
journaux télévisés (Baum, 2003), il est généralement admis que les
soft news caractérisent des sujets d’actualité plus légers relevant
des secteurs culturels, des domaines sportifs, de la consommation,
sans oublier les célébrités, c’est-à-dire de l’ensemble des facettes
qui composent la vie quotidienne, circonscrite par la formule anglo-
saxonne de « life style ». Les médias qui accueillent les softs news
sont guidés par le principe du « human interest » (Brants, 2003) en
lieu et place du « public interest », qui a historiquement toujours
servi de finalité structurante au journalisme et à son ambition
fondamentale d’éclairer les consciences individuelles afin qu’au sein
de la cité les débats démocratiques puissent advenir. Toutefois, ce
déplacement de l’horizon d’une partie du champ journalistique de
l’intérêt public vers l’intérêt humain – traduction littérale de « human
interest » – n’exprime pas un simple changement d’échelle ou
d’optique pour appréhender le monde environnant, mais révèle aussi
une distinction notable entre les catégories de publics ainsi
construites par ces deux conceptions de l’information. Si l’intérêt
public, principe fondamental des hard news, façonne le destinataire
idéal des discours d’information en citoyen critique, le principe de
l’intérêt humain qui prévaut pour les soft news vise plutôt à le
configurer littéralement en spectateur (entendu comme amateur de
spectacle) et parfois en consommateur face à des émissions
d’infodivertissement plus fortement prescriptrices (On n’est pas
couché, 2006-2020, par exemple).
Les soft news appréhendent la réalité à la mesure de l’individu
singulier. Pour reprendre l’exemple de Combien ça coûte, l’émission
ne se préoccupe pas d’expliquer la dépense publique sous un angle
macroéconomique ou international, elle envisage plutôt ses
conséquences immédiates au niveau du portefeuille de chaque
téléspectateur. Finalement, à l’instar des autres genres
journalistiques, l’infodivertissement se livre bien à des procédures de
recadrage médiatique mais celles-ci ont la particularité de contribuer
à une vision que l’on peut qualifier de « mitoyenne », car comprise
entre des visées insouciantes et récréatives, avec des prétentions
plus informatives souvent relayées par une logique de
personnalisation des sujets en question. De sorte que les registres
explicatif et argumentatif du discours journalistique classique sont
mis en retrait en faveur du témoignage et de l’inflexion sur le ressenti
et le vécu, qui deviennent les modalités principales de présentation
de la réalité dans ces émissions. Dans les magazines dits de société
en prime time comme Ça se discute sur France 2 (1994-2009) ou
lors des émissions testimoniales de l’après-midi, C’est mon choix
(1999-2004) sur France 3 ou Toute une histoire (2010-2016) sur
France 2, de nombreuses thématiques majeures sociétales
(l’inceste, la longue maladie, les nouvelles parentalités, par
exemple), ainsi que des sujets beaucoup plus anodins en apparence
(les animaux domestiques ou le scoutisme) sont développés à
travers l’histoire personnelle et singulière des femmes et des
hommes ordinaires qui viennent en faire le récit à la télévision. Le
traitement de ces sujets se colore alors d’affects, de pathos allant
parfois jusqu’au sensationnalisme, quand il ne dévoile pas des pans
entiers de la vie privée des témoins. Et si on peut parfois réprouver
le traitement de ces histoires centrées presqu’exclusivement sur
l’expérience individuelle en raison d’une subjectivité jugée trop
prégnante, il demeure qu’en offrant une nouvelle visibilité à des
thématiques considérées comme marginales, voire mineures ou
encore taboues, ces émissions d’infodivertissement ont participé à
leur façon à les signaler auprès d’un large public et ont accompagné
leur émergence comme problèmes publics à part entière.

De l’information au divertissement
et réciproquement
Même si elle est apparue récemment, la tendance à
l’infodivertissement n’a pas donné lieu à des programmes
complètement inédits. Son métissage générique s’enracine
généalogiquement dans des formats préexistants.
La première famille regroupe des émissions d’information
reprenant pour modèle le journal d’actualité mais désormais
conjugué à des visées récréatives et à une tonalité à dominante
ludique à l’instar de Nulle part ailleurs sur Canal+ (1987-2001), du
Grand Journal sur la même chaîne (2004-2017) ou encore de
Quotidien sur TMC (2016-). La durée horaire traditionnelle de
l’édition d’un journal télévisé s’étend pour accueillir toute une
succession de chroniques et de séquences les plus diverses qui
puisent leurs sujets dans le quotidien du public visé, essentiellement
des jeunes adultes urbains. Le public idéal de ces émissions, mêlant
actualité et divertissement, se démarque du traditionnel public du
journal télévisé dont l’âge ne cesse de s’accroître. La montée de
l’infodivertissement tire parti d’une autre prédisposition de la
télévision : le développement d’émissions de moins en moins
homogènes formellement et thématiquement en raison d’une plus
grande fragmentation interne donnant lieu à de nombreuses
rubriques qui se succèdent les unes après les autres. Si cette
propension à la segmentation fut dans un premier temps l’apanage
des divertissements de l’après-midi à la fin du siècle dernier, elle est
désormais devenue un principe structurant les émissions
d’infodivertissement diffusées à la charnière de l’access-prime time
et du prime time face au format canonique du journal télévisé
qu’elles concurrencent frontalement par leur programmation. Ces
émissions visent à proposer un autre regard sur la grande actualité,
le plus souvent décalé et certainement moins angoissant, épaulé par
un mode assurément plus réflexif qui valorise leurs pratiques
journalistiques internes. En effet, elles n’hésitent pas à dévoiler les
coulisses de leurs enquêtes journalistiques jusqu’aux aléas de
fabrication de certains reportages, transformant la pratique
professionnelle en objet de discours au même titre que d’autres faits
rapportés. Le journalisme devient ainsi l’objet d’une performance
discursive médiatique et participe à la logique de spectacularisation
des émissions. Cependant, au nom de la transparence, cette mise
en visibilité est aussi une façon pour ces émissions
d’infodivertissement de gagner en crédibilité professionnelle en
montrant le travail de leurs équipes afin de prendre le contre-pied
des jugements contempteurs de certains professionnels. En effet,
en 2012, certains collaborateurs du Petit Journal de Canal+ (2004-
2017), animé par Yann Barthès, se sont vus refuser le
renouvellement de leur carte de presse au motif que le mélange des
genres proposé par l’émission discréditait la portée journalistique de
leur travail2.
Toutes les émissions d’infodivertissement ne déclinent pas de la
même façon leur métissage générique. L’emblématique Nulle part
ailleurs, émission qui contribua à construire l’identité irrévérencieuse
des jeunes années de Canal+, fut l’une des premières en France à
offrir un mélange de divertissement et d’actualité sur le modèle de la
cohabitation des genres. En effet, si Philippe Gildas, journaliste
renommé, était aux commandes d’une émission qui combinait
devant un public en plateau performances musicales, chroniques
culturelles et billets humoristiques, il demeure que la séquence
dédiée au journal télévisé était formellement sanctuarisée : non
seulement elle se démarquait des autres moments de l’émission par
un rubricage visuel et sonore distinctif mais en plus, elle était menée
par un locuteur spécifique, la journaliste Annie Lemoine, qui ne
restait pas par la suite sur le plateau, évitant ainsi de mêler sa voix à
celle des autres intervenants, qu’ils soient chroniqueurs ou invités.
En outre, pendant cette séquence, le public in situ ne réagissait pas.
Cette organisation interne témoignait qu’au sein de cette émission
d’infodivertissement, l’information n’était pas considérée comme un
contenu médiatique comme les autres et qu’elle ne devait pas se
recevoir sous le mode d’un spectacle. Cependant, cela ne signifiait
pas pour autant que l’actualité ne pouvait prêter à sourire ou à faire
rire : après le journal sérieux s’ouvrait avec les marionnettes des
Guignols de l’info une séquence parodique conçue dans la lignée
des spectacles des revues de presse satirique des cabarets ou des
émissions de radio, et qui concurrençait frontalement son précurseur
télévisuel diffusé presqu’au même moment sur la première chaîne,
le Bébête Show (1982-1995). Cet épisode pleinement comique se
démarquait formellement du reste du programme à la fois par un
générique d’ouverture et par l’occupation d’un espace scénique
spécifique dans le studio, éloigné notamment de la table qui
rassemblait le présentateur principal, ses acolytes et les invités. En
outre, comme la vision humoristique parfois cynique sur l’état du
monde contemporain était portée par des personnages en latex, la
cohabitation générique proposée par les aménagements formels de
l’émission ne venait pas amalgamer la réception des différents
discours d’information. Et s’il y avait bien succession au sein d’une
même émission de plusieurs discours aux visées
communicationnelles différentes, le dispositif retenu ne prédisposait
pas à une porosité générique pouvant aboutir à des confusions
interprétatives.
D’autres aménagements d’infodivertissement sont aussi
remarquables. Certaines émissions (Quotidien, par exemple) se
distinguent plutôt par l’accueil autour du présentateur principal de
nombreux collaborateurs issus d’horizons professionnels les plus
variés. Cette pluralité de locuteurs au sein d’une même émission
engendre de fait une variation de la tonalité des discours à teneur
référentielle en fonction des caractéristiques socio-professionnelles
des intervenants : si certains sont journalistes, d’autres viennent de
la scène du spectacle vivant ou de la création numérique, par
exemple. Leur histoire et leur parcours, autant professionnel que
personnel, contribuent à façonner leur crédibilité à pouvoir prendre
en charge un regard sur le monde contemporain, soit sur un mode
littéral, soit sur un mode plus distancié, parfois ludique.
La seconde famille d’émissions d’infodivertissement rassemble
des programmes de parole à visées distrayantes (les talk-shows) qui
reçoivent des invités marquant l’actualité, à l’image des membres du
personnel politique. Aux USA, comme en France, la montée en
puissance de la présence des femmes et hommes politiques dans le
divertissement télévisé a fait l’objet de nombreuses études (Neveu,
2003 ; Le Foulgoc, 2010 ; Leroux et Riutort, 2011, 2013) afin
d’évaluer les enjeux publics de cette mutation médiatique de la
représentation politique, appelée « la démocratie du talk-show »
(Neveu, 2003). En effet, à la suite de la raréfaction depuis quelques
dizaines d’années de la programmation des émissions politiques
traditionnelles et face à la désaffection des publics pour les débats
politiques, les émissions de divertissement sont devenues des lieux
incontournables pour continuer à assurer une représentation
télévisée au personnel politique (Le Foulgoc, 2010).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces nouveaux lieux
d’accueil télévisuels des politiques ne sont pas réservés
exclusivement aux chaînes privées, comme en témoignent les
succès sur le service public de Vivement Dimanche (France 2,
1998-), On n’est pas couché (France 2, 2006-2020) ou encore On ne
peut plaire à tout le monde (France 3, 2000-2006), rendant ainsi
impertinente la distinction privé/public comme clé de compréhension
pour saisir l’évolution médiatique contemporaine de la parole
politique et du débat public. Si la médiatisation des politiques a
changé, c’est aussi en raison de l’évolution générale de la
communication politique dont un des objectifs est de tenter de
combler le fossé entre les élites et les Français. Il s’agit de faire en
sorte que les responsables politiques se rapprochent des citoyens
ordinaires et de leurs préoccupations quotidiennes. Cette logique
était déjà à l’œuvre dans le champ politique des années 1970 avec
le ministre Valéry Giscard d’Estaing jouant de l’accordéon à la
télévision aux côtés de l’animatrice de variétés Danièle Gilbert, puis
en s’affichant avec sa famille pendant la campagne présidentielle de
1974, pour enfin s’inviter à la table des Français une fois élu
président. L’arrivée de l’infodivertissement sur nos antennes peut
s’interpréter comme le prolongement médiatique de cette stratégie
de communication politique d’humanisation des élus et des édiles,
qui les met en scène dans des contextes où la monstration de leurs
émotions prévaut sur le fait de soutenir un débat d’idées. Ainsi ces
talk-shows accueillent les femmes et les hommes politiques au sein
d’un dispositif de circulation de la parole qui emprunte davantage au
cadre discursif d’une discussion ordinaire et badine qu’au modèle du
débat politique. En outre, leurs propos peuvent être interrompus et
discutés par des protagonistes ne venant pas de l’orbe politique, ni
de la sphère journalistique. Ainsi mises sur le même plan d’égalité
que celles des autres invités, les interventions des responsables
politiques apparaissent alors beaucoup moins sanctuarisées que
dans les traditionnelles émissions politiques. Et lorsqu’elles portent
également sur des sujets plus anecdotiques hors de tout agenda
politique et public, une logique de « dépolitisation » serait à l’œuvre
(Leroux et Riutort, 2011).
Apparaissant de façon plus décontractée et prêts à rire avec les
animateurs et à apprécier les différents numéros de spectacle qui se
déroulent devant eux dans le studio, les intervenants politiques
livrent quelques traits intimes de leur personnalité et n’hésitent pas à
narrer quelques éléments méconnus de leur vie privée. Dès lors,
l’usuel reproche en situation politique d’user d’une langue de bois
devient plus facile à neutraliser pour celles et ceux qui s’adonnent
avec la complicité de l’animateur à ce dévoilement de leur
authenticité et intimité. Le métissage générique de
l’infodivertissement offre des conditions favorables à la peopolisation
des politiques à la télévision, même s’il va sans dire que celle-ci
avait déjà commencé à différents degrés dans la presse magazine
(Paris Match, Closer).
Cet attrait pour la peopolisation du personnel politique constitue
le soubassement éditorial de la collection Ambition Intime (M6,
2016-) animée et produite par Karine Le Marchand. Sur un mode
intimiste, l’animatrice de L’Amour est dans le pré converse avec des
hommes et des femmes politiques dans un décor personnalisé à leur
image, en mettant en saillance dans leur parcours personnel les
expériences et les sentiments qui les ont animés à des moments
cruciaux de leur histoire. Et bien que l’émission ne souhaite pas
aborder le contenu idéologique de leur engagement public, préférant
revendiquer une certaine neutralité politique, la troisième saison
consacrée exclusivement aux femmes politiques engagées dans la
campagne présidentielle va être retenue pour le décompte du temps
de parole des candidates par le Conseil supérieur de l’audiovisuel
dès le 1er janvier 2022, début de la période électorale. À la télévision,
le champ de l’information politique s’accroît : il n’est plus
exclusivement déterminé par des propos et des arguments
rationnels appartenant au logos politique, mais se trouve désormais
prolongé par le pathos des témoignages et des confidences des
personnalités publiques.
L’existence même du mot-valise « infodivertissement »
présuppose que le couple information/divertissement dessine
historiquement une ligne de partage structurant le champ télévisuel,
en répartissant de façon exclusive les deux visées
communicationnelles que sont informer et divertir au sein de deux
formes génériques stabilisées. Autrement dit, que l’information doit
se distinguer des autres émissions, au motif qu’elle n’est pas un
programme comme les autres. Cette distinction générique est
d’ailleurs motivée par les conditions spécifiques de sa fabrication :
l’information est produite par une catégorie professionnelle
autonome, les journalistes, réunis au sein d’un service spécifique qui
est la rédaction. Or, l’infodivertissement vient bousculer cette
répartition des acteurs professionnels par genre médiatique, puisque
les émissions sont produites par des producteurs et non des
journalistes, à l’image de Coyotte, société de production du
magazine Combien ça coûte ? ou encore de Potiche Prod, société
de production d’Ambition Intime.
Mais une chose est de reconnaître l’infodivertissement comme
un traitement spécifique de certaines régions de l’information, une
autre est de la déprécier au nom de sa porosité générique. Or, la
pureté des genres télévisuels est une illusion rétrospective d’un âge
d’or fantasmé de la télévision française puisque, faut-il le rappeler,
dès sa naissance, l’information télévisée fut d’emblée conçue
comme un spectacle, selon les mots mêmes du créateur du journal
télévisé, Pierre Sabbagh3. L’infodivertissement ne qualifie pas un
genre médiatique mais plutôt une stratégie transversale qui ne doit
pas être a priori disqualifiée, car elle témoigne des transformations
culturelles du journalisme contemporain et des reconfigurations qui
animent la sphère publique médiatisée.

Bibliographie
• Baum M., Soft News Goes To War: Public Opinion and American
Foreign Policy in the New Media Age, Oxford, Princeton
University Press, 2003.
• Brants K., « De l’art de rendre la politique populaire… Ou “qui a
peur de l’infotainment ?” », Réseaux, n° 118, 2003, p. 135-166.
• Jost F., présentation du dossier « L’appel du divertissement »,
Télévision, n° 4, 2013, p. 7-9.
• Le Foulgoc A., Politique & Télévision. Extension du domaine
politique, Bry-sur-Marne, Éditions Ina, 2010.
• Leroux P. et Riutort Ph., « Les émissions de divertissement : de
nouveaux lieux de valorisation des petites phrases ? »,
Communication & langages, n° 168, 2011, p. 69-80.
• Leroux P. et Riutort Ph. (dir.), « Renouvellement des mises en
scène télévisuelles de la politique » (dossier), Questions de
communication, n° 24, 2013.
• Neveu É., « De l’art (et du coût) d’éviter la politique. La
démocratie du talk-show version française (Ardisson, Drucker,
Fogiel) », Réseaux, n° 118, 2003, p. 95-134.

1. Source : « TF1 voit la vie en bleu », Libération, 1er septembre 1998.


2. Source : « Les journalistes du “Petit journal” privés de carte de presse ? », France Info,
24 janvier 2012.
3. « Le journal télévisé n’est pas un vrai journal, c’est d’abord du spectacle », Le Monde,
10 novembre 1959.
Chapitre 4
4 « Il faut être absolument
contemporain ». Quels supports
médiatiques pour la diffusion de l’art
contemporain en France ?

Flore Di Sciullo

O
bjet médiatique hybride entre le magazine et la revue, le
périodique artistique appartient avant tout à la grande
famille de la presse. Si ses caractéristiques (formats,
rubriques, styles employés) varient considérablement d’un titre à un
autre, en fonction de la période ou du contexte culturel dont il se
veut la caisse de résonance, le périodique artistique se définit d’une
part par sa mise à profit d’une avancée technique (le développement
de l’illustration, puis de la photographie et de la couleur dans la
presse) et d’autre part sa valorisation d’un discours : la critique d’art.
La presse artistique est un segment de la presse dont il faut préciser
la filiation avec d’autres types de périodiques, d’autres genres
journalistiques, en même temps que son autonomie et sa singularité.
Dès lors, plusieurs questions se posent : comment la presse
artistique a-t-elle évolué depuis les années 1970 ? Quelles peuvent
être les conditions nécessaires et suffisantes pour la définir et la
distinguer d’autres genres et formats médiatiques ? Dans quelle
mesure les revues d’art peuvent-elles être employées comme
baromètre de la vitalité intellectuelle, philosophique, politique d’un
contexte donné ?
Brève histoire de la presse d’art
contemporain en France
depuis les années 1970
Alors que nombreux ouvrages (Blandin, 2018 ; Abrahamson et
Prior-Miller, 2015) se proposent de détailler l’analyse de la presse
magazine, d’en lister des sous-catégories spécifiques (par exemple,
la presse jeunesse ou musicale), la presse artistique reste souvent
en marge de ces investigations. L’étude de la presse artistique est
un terrain principalement abordé d’un point de vue historique : son
étude journalistique et communicationnelle demeure encore à écrire.
Dans cette contribution, nous nous concentrons sur la presse,
délaissant à dessein d’autres supports de la critique d’art que
peuvent être la télévision ou la radio, où les outils d’analyses
diffèrent. Nous évoquons en priorité les périodiques dédiés
majoritairement aux arts plastiques et à l’art contemporain, laissant
peu de place à des périodiques qui mettent en lumière d’autres
aspects de la création contemporaine (tel Étapes pour le graphisme
ou La Terrasse pour les arts vivants) ou embrassant diverses
périodes de la création artistique pour un point de vue plus
généraliste sur l’actualité des expositions (Beaux-arts magazine,
L’Œil, Connaissance des arts). Enfin, nous privilégions les
périodiques français, excluant les revues d’art américaines (telles
Artforum ou Art in America), européennes (telles la suisse Parkett,
l’italienne Flash Art ou la belge Plus Moins Zero) ou extra-
européennes1. Les pages qui suivent sont donc principalement
consacrées au magazine d’art contemporain français, objet que
nous allons précisément tenter de définir à l’appui de divers
exemples.
Pour plus de lisibilité, nous précisons dans la frise
chronologique ci-après les dates de publication de tous les
périodiques mentionnés dans ce texte. Elle permet notamment de
visualiser clairement la longévité de certains, et l’extrême brièveté
d’autres2.
Les Demoiselles d’Avignon, tableau peint en 1907 par Pablo
Picasso, inaugure le cubisme et peut être considéré comme l’un des
gestes fondateurs de la modernité artistique, rompant avec la
conception classique de l’artiste et de l’œuvre d’art issue de la
Renaissance. À mesure que la modernité s’installe, un considérable
développement des titres de presse se met en place. Les journaux
se font les porte-parole des différents mouvements d’avant-garde qui
fleurissent en Europe dans les premières décennies du XXe siècle.
Comme le montrent Laurent Martin et François Chaubet, il existe de
fortes corrélations entre la création artistique et l’appui idéologique
que constituent ces périodiques : « La circulation des revues d’art
dans le monde a été capitale dans la diffusion de l’art moderne
au XXe siècle. Qu’il s’agisse de se faire l’écho d’expériences locales
ou étrangères, la réalité artistique novatrice dans un domaine donné
a trouvé dans la revue un support clé (Chaubet et Martin, 2011 :
17) ».
Ainsi, chaque mouvement d’avant-garde a donné naissance à
un, sinon plusieurs titres de presse, si l’on pense par exemple à l’Art
Nouveau (Jugend, Ver Sacrum), au Futurisme (Blast, Lacerba,
Parole in Liberta), au Dadaïsme (Dada, Dadaphone, Merz, Le Cœur
à Barbe), au Surréalisme (La Révolution surréaliste, Labyrinthe,
Minotaure, Le Surréalisme même). Ces revues ne sont pas
seulement le support d’expression et de diffusion de ces
mouvements, elles en sont également le produit, au sens où leur
conception est déjà le résultat d’une réflexion esthétique par les
artistes acteurs de ces mouvements. Les publications des
années 1970 et suivantes héritent de ces expérimentations du début
du siècle. Cependant, le contexte artistique connaît un
infléchissement radical puisque les années 1960-1970 sont le
théâtre de ce que Nathalie Heinich désigne comme un véritable
changement de paradigme (Heinich, 2014), dans la translation de
l’art moderne vers l’art contemporain.
Sous les pavés, la page : le dynamisme
éditorial et artistique des années 1970
et suivantes
Après ce détour par les origines de la modernité, concentrons-
nous sur une plus récente période, à partir de 1968. Cette date
marque une transition tant politique et économique qu’éditoriale et
artistique, donnant lieu à un vivier de publications artistiques (voir la
frise chronologique ci-après).

De l’art moderne à l’art contemporain


La mutation de l’écosystème artistique qui s’amorce au début
des années 1970 se manifeste par la tenue de plusieurs expositions
collectives qui représentent un bouleversement des codes
esthétiques et permettent l’émergence d’une nouvelle figure
déterminante du monde de l’art : le commissaire d’exposition. C’est
d’abord en 1969 que se tient à Berne « When attitudes become
form » par le commissaire Harald Szeemann. Dans son ouvrage
Barthes contemporain, Magali Nachtergael observe qu’avec cette
exposition comme quelques autres qui sont présentées en
Allemagne au même moment (la « Documenta V » à Cassel,
« Konzeption/Conception » à Leverkusen), cette courte période
« marque aussi le début d’une nouvelle ère, celle d’un art qui n’est
plus conceptuel, ni moderne : l’art est désormais contemporain
(Nachtergael, 2015 : 30) ». Dans cette période de transition, la
presse connaît elle aussi d’importantes mutations, voyant certains
de ses modèles traditionnels s’écrouler pour laisser place à d’autres.

Un contexte éditorial favorable au


développement de nouvelles revues
Les revues, en France, comme notamment Critique ou Esprit,
jouent un rôle décisif dans la structuration du monde politique et
intellectuel, fonctionnant grandement par un jeu de réseau les reliant
les unes aux autres. Selon Jean Baudoin et François Hourmant
(2007 : 11), elles sont en effet « enchâssées dans un jeu sans fin de
correspondances » et « dessine[nt] une ligne singulière dans la
polytonalité des engagements ». Or, au début des années 1970,
dans l’après Mai 68, beaucoup de ces revues perdent de leur
influence et cessent d’être des instances prescriptives. Elles
agissent moins comme organes de célébration et légitimation du
discours intellectuel, de plus en plus supplantées dans cette mission
par la presse hebdomadaire (Le Point est créé en 1972) et la
télévision. C’est dans ce cadre que se développe la presse contre-
culturelle, venant contrecarrer les logiques des médias traditionnels.
Ainsi pour Sheila Webb (2015 : 12) : « En identifiant et en remettant
en question ces idées mainstream, le magazine alternatif performe
un “décodage oppositionnel” comme acte de résistance » (Webb,
2015 : 12 – Traduction de l’auteur). La presse contre-culturelle se
définit en premier lieu par une économie restreinte, une esthétique
du « Do It Yourself » et une durée de vie éphémère. La force de
cette presse parallèle tient justement dans son absence d’ambition
de pérennité. Plusieurs titres de presse alternative sont fondés entre
1972 et 1973, correspondant à différents fronts militants, parmi
lesquels la lutte contre l’homophobie avec Antinorm et Le Fléau
social (fondé par le FHAR, le Front homosexuel d’action
révolutionnaire) et la lutte écologiste avec La gueule ouverte (journal
fondé par Pierre Fournier).
Le contexte politique, artistique et éditorial est donc pleinement
favorable, au tournant des années 1970, au foisonnement de
périodiques qui privilégient l’expérimentation à la stabilité et
l’ambition de faire autorité. Cette période voit donc en fleurir un
grand nombre qui, pour la plupart, ont une courte durée de vie mais
témoignent de la vivacité de la création française de cette époque.
Des périodiques artistiques « engagés »
mais souvent de courte durée

Des revues politisées :


l’exemple de Peinture, cahiers théoriques
Dans les années 1970, la politisation est souvent un aspect
primordial des titres de presse artistique et parfois un vecteur de leur
polarisation. Ainsi Opus International, fondé par Georges Fall
en 1967 revendique une ligne anti-impérialiste tout en proposant des
dossiers thématiques politiquement orientés (« Che Guevara »
en 1967 ; « La violence – Mai 68 » en 1968). Dans une ligne
politique plus affirmée encore, les artistes du collectif Supports-
Surfaces (Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade et Daniel
Dezeuze) créent la revue Peinture, cahiers théoriques. Au moment
où Philippe Sollers et Marcelin Pleynet lancent la revue Tel Quel
dans la veine de la pensée structuraliste et l’influence du Parti
communiste, le sommaire du premier numéro de Peinture, Cahiers
théoriques, qui parait en 1971, propose des articles de ces mêmes
auteurs. Dès son premier numéro, PCT affiche une ambition
théorique limpide :
La revue Peinture, Cahiers théoriques se situe en un lieu
tout à fait nouveau par rapport aux autres revues existant
dans le champ “artistique” ; son objet n’est pas
journalistique (informatif) – ni économique (soutien de
produits du marché de la peinture, valorisation d’objets).
Elle se situe au creux même de l’absence de théorie qui
donne lieu soit au dogmatisme (recouvrement de la
pratique picturale par la politique), soit à l’éclectisme
(censure de la politique sous le couvert du “libéralisme”)3.
Une telle orientation doit se comprendre dans le contexte d’une
fascination du structuralisme français pour la Révolution culturelle
chinoise, en particulier chez les intellectuels d’obédience
structuraliste. La politisation d’une revue comme Peinture, Cahiers
théoriques et des artistes qui la créent est donc à comprendre de
façon concomitante aux débats intellectuels qui animent la société
dans le même temps. Le périodique artistique peut ainsi être
employé comme le diapason de l’intelligentsia française et parfois
des conflits qui peuvent la traverser.

Différentes revues pour différents courants


artistiques
La période des années 1970, qui marque un basculement du
modernisme vers la contemporanéité, est aussi celle d’une
diversification de la création artistique et de son traitement par la
presse. Dès lors qu’ils ne peuvent traiter toute l’actualité, les
périodiques artistiques se distinguent par les tendances artistiques
qu’ils cherchent à valoriser. Ainsi ArTitudes, dirigée par François
Pluchart, s’intéresse avant tout à la performance et au body art ;
Robho est une revue très centrée sur l’art optico-cinétique et la
poésie (grâce notamment au rôle prépondérant de Julien Blaine) ;
Les Chroniques de l’art vivant (revue éditée par la Fondation
Maeght) et Opus International, bien qu’empruntant des voies parfois
différentes, ont en commun de défendre en priorité un art français et
figuratif, en particulier les courants dits de « l’École de Paris4 » et de
la Figuration Narrative5. La plupart des périodiques artistiques des
années 1970 comprennent esthétique et politique d’un seul tenant,
défendent certaines tendances de la création au détriment d’autres,
leur vision volontairement partiale et sélective de l’art contemporain
s’accompagnant souvent, dans leur mise en forme matérielle, de
choix visuels et graphiques marqués, à tendance expérimentale.

Une place laissée vacante


Plusieurs périodiques artistiques, aussi déterminants qu’ils aient
pu l’être, cessent de paraitre en un court laps de temps. Robho
laisse la place libre en 1971 sur un créneau de convergence entre
expérimentations visuelles et poétiques ; le mensuel Les Lettres
françaises, qui comptait de riches pages « arts » et « littérature »,
disparaît en 1972 à la suite de démêlés de son rédacteur en chef
Louis Aragon avec le Parti communiste. Les Chroniques de l’art
vivant disparaissent en 1975 et ArTitudes en 1977 (après seulement
cinq années de publication). Des revues plus anciennes cessent
aussi d’exister, comme Jardin des arts en 1973 après 29 ans de
publication. Dans la mesure où ces périodiques valorisaient en
priorité, nous l’avons vu, l’art figuratif et français, il reste une marge
de manœuvre pour défendre les travaux d’artistes français à la
démarche plus abstraite comme celle du collectif BMPT (dont les
membres étaient Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et
Niele Toroni) ou des avant-gardes américaines qui se déploient
depuis les années 1960, comme le Pop Art, l’Art Minimal ou l’Art
Conceptuel. Cette succession de disparitions et cette lacune dans le
traitement de l’actualité artistique internationale se font au bénéfice
d’un périodique qui acquiert rapidement une position hégémonique
dans le champ des revues d’art contemporain : art press.

Art press : une « revue qui traverse le


temps6 »

Entre palimpseste générationnel


et conception pluridisciplinaire
de la création : les clés d’un succès éditorial
La revue art press, qui fête en 2022 ses 50 ans de publication,
est créée en 1972 par la critique d’art Catherine Millet, le galeriste
Daniel Templon7 et le collectionneur Hubert Goldet. Très rapidement,
ce périodique parvient à se faire une place de choix grâce au
créneau qu’il choisit tout de suite d’occuper : la défense des avant-
gardes américaines, ainsi qu’une approche pluridisciplinaire de la
création. Davantage que les autres revues qui lui sont
contemporaines, art press est ainsi une revue qui parle d’arts
plastiques, mais aussi de littérature, de philosophie, de musique,
d’arts vivants. La culture contemporaine dans art press est
envisagée aussi bien d’un point de vue esthétique (évolution des
formes, des styles) qu’économique (financement de la culture,
dynamiques de mondialisation). Art press a su perdurer en raison de
sa ligne éditoriale hybride et du réseau tissé entre périodiques
concurrents, maisons d’édition, institutions muséales et galeries.

De l’esthétique au politique :
construction d’un ethos engagé
Outre cette capacité à aborder la création contemporaine par un
prisme pluriel, art press se distingue aussi par sa volonté de ne pas
réduire son approche à la seule création artistique. En particulier, la
revue a toujours ardemment défendu la liberté d’expression, en
particulier lorsque celle-ci concerne les artistes : on parle alors de
liberté de création8. Dans les années 1990, art press était ainsi
particulièrement impliqué dans ce que l’on désigne comme la
« Querelle de l’art contemporain » (Dagen, 1997 ; Michaud, 1999 ;
Jimenez, 2005). La défense de la liberté de création et la
déconstruction des rejets de l’art contemporain sont un credo pour
art press qui cherche à maintenir son ethos de revue engagée,
défendant l’art en tant qu’il prend place dans la polis.

Un modèle hégémonique, mais remis en


question
Art press se crée comme une réponse alternative à Opus
international et aux Chroniques de l’art vivant, à un contexte qualifié
par Catherine Millet de « cocon devenu trop étroit » (Millet, 1987 :
13). Dans les années 1990, art press occupe presque entièrement le
terrain de la revue d’art contemporain. La position est à ce point
hégémonique qu’elle est aussi, aux yeux de certains, critiquable.
Patrice Joly, créateur de la revue 02, la désigne ainsi en des termes
peu flatteurs : « Sur la scène française régnait [au début des
années 1990] en maîtresse jalouse la vieille dame art press […]9. »
Alors qu’à sa fondation, art press voulait créer une nouvelle voie
entre les revues purement théoriques et les revues excessivement
vulgarisatrices, elle devient, à mesure qu’elle s’installe, une voie en
elle-même parmi les revues d’art, un modèle contre lequel de
nouveaux périodiques vont chercher à se développer.

« L’art n’est plus au temps


des magazines10 » :
un renouveau pour la presse d’art
contemporain
Au cours des années 1980, la presse artistique ne s’est que peu
développée : outre l’ancrage d’art press, mentionnons la revue
Artistes, publiée par Bernard Lamarche-Vadel de 1979 à 1985. En
revanche, une véritable ébullition a lieu au tournant des
années 1990.
Cette période correspond, selon Stéphanie Moisdon, à une
« séquence spécifique, qui se dessine en périphérie des capitales et
des grandes institutions (Moisdon, 2014 : 128) ». C’est à ce
moment-là qu’émergent et s’affirment les figures de commissaires et
critiques indépendants parmi lesquels Hans Ulrich Obrist, Nicolas
Bourriaud et Éric Troncy. C’est dans ce cadre qu’une rupture avec le
modèle d’art press, qui fait alors autorité, s’instaure, marquée par
l’apparition de plusieurs périodiques artistiques qui se présentent
comme de « véritables incubateurs de situations collectives
(Moisdon, 2014 : 130) » : Omnibus en 1991, ainsi que trois revues
qui naissent au même moment, en 1992 : Purple Prose, Documents
sur l’art (dont le titre est une référence explicite à la revue
Documents de Georges Bataille) et Blocnotes.
Un objectif commun est annoncé, celui de construire une
attitude à la fois réfléchie et combative face au climat réactionnaire
qui caractérise la vie culturelle en France au début des
années 1990. Blocnotes prône ainsi « la résistance contre une
actualité artistique, le combat pour une contemporanéité
réfléchie11 ». L’objectif est sensiblement le même pour Documents
sur l’art qui dit préférer « au simple passage en revue de l’actualité
artistique » le fait de se présenter comme « la revue du passage de
l’art dans une actualité plus large12 ». L’inventivité formelle et
éditoriale de chacune de ces revues témoigne d’un détachement vis-
à-vis des conventions de rubriquage et des formats consacrés
comme l’entretien et le compte rendu d’exposition.
Cette inventivité est aussi graphique. Blocnotes se présente,
comme son nom l’indique, sur un format original, de taille A5, la
tranche se situant du côté court (pour une lecture à la verticale),
imitant ainsi un bloc-notes de bureau. Dans Omnibus, pas de
sommaire : seulement une succession d’articles, d’une importante
densité théorique, sur une feuille A2 pliée en quatre. Quant à
Documents sur l’art, plus proche de l’aspect classique de la revue
d’art, son ton cherche cependant à être beaucoup plus libre et
tourné vers l’interdisciplinarité. Même si ces publications ont connu
une courte durée de vie (4 ans pour Omnibus, 7 pour Blocnotes et
8 pour Documents sur l’art), elles n’enrichissent pas moins le
paysage éditorial et les manières dont la presse peut traiter de l’art
contemporain.
Vers une hybridation de la presse
artistique : du magazine papier à Internet
La diversification de l’offre en art contemporain s’accélère de
plus en plus depuis le début des années 2010 : il y a eu en 2014
deux fois plus de vernissages qu’en 200013. Une telle diversification
implique une complexification des tâches pour le périodique d’art
contemporain. Le travail d’information sur l’art et l’actualité des
expositions est assuré par une presse spécialisée de plus en plus
diversifiée. Parmi les titres créés au début des années 2000,
mentionnons la création des éphémères Trouble (2002-2010),
Particules (2003-2010), Peeping Tom (2006-2016) ou de Frog qui,
lancé en 2005, poursuit encore sa publication. Cette multiplication
des titres de presse artistique se poursuit depuis les années 2010 si
l’on pense à May (créé en 2009), L’Incroyable (lancé en 2015), Le
Châssis (depuis 2016) ou encore Numéro Art14 (lancé en 2017).
Cette offre d’information et de critique artistique est également
aujourd’hui proposée sur Internet selon différents formats : présence
sur les réseaux sociaux des galeries et des institutions ;
foisonnement des blogs de critiques d’art (citons le site de
l’association « Jeunes Critiques d’art15 », ou des blogs comme ceux
de Marc Lenot « Les lunettes rouges » ou d’Élisabeth Lebovici « Le
beau vice »), ou encore des formats hybrides où site et version
papier sont complémentaires (Point contemporain16).
Si la presse artistique explore des territoires de plus en plus
diversifiés et connaît une hybridation progressive de ses formats, la
prédiction de son déclin annoncé ne semble pourtant pas à l’ordre
du jour. Le périodique artistique se réinvente certes selon des
modalités nouvelles, appelées à s’adresser à des publics plus
éclectiques, mais dans le même temps, de nombreux titres
historiques résistent et le papier constitue un modèle appelé à
perdurer.
Bibliographie
• Abrahamson D., Prior-Miller M. R. (dir.), The Routledge
Handbook of Magazine Research. The Future of the Magazine
Form, New York, Routledge, 2015.
• Baudoin J., Hourmant F. (dir.), Les Revues et la dynamique des
ruptures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
• Blandin C. (dir.), Manuel d’analyse de la presse magazine, Paris,
Armand Colin, 2018.
• Chaubet F., Martin L., Histoire des relations culturelles dans le
monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2011.
• Dagen Ph., La Haine de l’art, Paris, Grasset, 1997.
• Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain, structure d’une
révolution artistique, Gallimard « NRF », 2014.
• Jimenez M., La Querelle de l’art contemporain, Paris, Gallimard,
2005.
• Michaud Y., La Crise de l’art contemporain. Utopie, démocratie et
comédie, Paris, PUF, 1999.
• Millet C., D’art press à Catherine M, entretiens avec Richard
Leydier, Paris, Gallimard, 2011.
• Millet C., L’Art contemporain en France, Paris, Flammarion,
1987.
• Moisdon S., « Arts visuels, la première génération », dans
François Cusset (dir.), Une histoire (critique) des années 1990.
De la fin de tout au début de quelque chose, Paris,
La Découverte, 2014.
• Nachtergael M., Roland Barthes contemporain, Paris, Éditions
Max Milo, 2015.
• Webb S. M., « Magazine as community », Introduction dans
Abrahamson D., Marcia R. Prior-Miller, The Routledge
Handbook for Magazine Research, the Future of the Magazine
Form, Londres, Taylor & Francis, 2015.
Principaux périodiques d’art contemporain publiés en France
depuis les années 1970
1. Inauguré en 2015 par Zahia Ramani, le programme de recherche « Globalisation, Art,
Perspectives » cherche à interroger les modalités de construction du discours critique
sur l’art à travers l’actualité artistique et scientifique, dans les espaces culturels non
européens.
2. N’ayant ici aucune prétention exhaustive, le lecteur qui souhaitera trouver un
recensement plus complet pourra se référer aux ressources numériques constituées par
les Archives de la Critique d’Art ou par la Bibliothèque nationale de France.
3. Philippe Sollers, « La peinture : avant, après », dans Peinture Cahiers théoriques, n° 1,
juin 1971.
4. L’École de Paris désigne de façon large toute la production picturale française depuis le
début du siècle. Les peintres les plus représentatifs de ce courant dans l’après-
Seconde Guerre mondiale (on parle alors plus souvent de « Nouvelle école de Paris »)
sont notamment Louis Vuillermoz, Georges Feher, Roger Mathieu ou Jean Baudet.
5. Mouvement pictural – opposé à l’abstraction – qui apparaît en France à la fin des
années 1960 en réaction au Nouveau Réalisme, autour d’artistes comme Gérard
Fromanger, Valério Adami, Jacques Monory ou Alain Jacquet.
6. Catherine Millet, éditorial dans « art press par lui-même », supplément au n° 284,
novembre 2012.
7. Il quitte la rédaction d’art press en 1976 pour se consacrer pleinement à ses activités de
galeriste. Sa galerie (qui comprend désormais trois espaces, deux à Paris et un à
Bruxelles), édita sa propre revue, ArtStudio, de 1986 à 1992.
8. Cette distinction a été créée juridiquement grâce à l’Observatoire de la liberté de
création, organe de la Ligue des droits de l’Homme.
9. Patrice Joly, « Que sont mes revues devenues », dans Zerodeux, n° 80, URL :
http://www.zerodeux.fr/essais/14432/.
10. Blocnotes, n° 1, automne 1992, éditorial (non signé).
11. Non signé, éditorial dans Blocnotes n° 2, printemps 1993.
12. Non signé, éditorial dans Documents n° 1, octobre 1992.
13. Données fournies par le site www.artfacts.net, citées dans Paul Ardenne « l’exposition,
un outil pour ouvrir le monde », entretien avec Kasper König et Jean-Hubert Martin, dans
n° 413, été 2014.
14. Notons que ce périodique, extension du magazine Numéro, est l’un des exemples d’une
porosité grandissante entre l’art contemporain, et la mode et l’industrie du luxe.
15. URL : https://jeunescritiquesdart.org/
16. URL : http://pointcontemporain.com/
Chapitre 5
5 La critique d’art et ses contraintes :
une instance prescriptrice en
danger ?

Flore Di Sciullo

L
a critique d’art relève à la fois d’une tradition littéraire, d’un
genre journalistique et d’une profession. Celle-ci peut prendre
différents visages, selon son canal d’expression. Des textes
d’analyse au compte rendu d’exposition en passant par les portraits
d’artistes ou les billets de blog, la critique d’art contemporain ne peut
s’appréhender qu’au prisme de son hétérogénéité. Il n’est guère
possible d’en proposer une définition stricte, ni d’en lister les
caractéristiques nécessaires et suffisantes. Les discours qui la
constituent peuvent prendre des formes différentes, selon le médium
concerné, la finalité du propos (commenter une actualité, encourager
un artiste débutant ou souligner une tendance artistique naissante
par exemple), le public auquel on s’adresse, ou les contraintes qui
peuvent peser sur l’exercice d’écriture. Il faut alors mettre au jour les
spécificités discursives de la presse d’art contemporain en France,
et pointer les différents visages que peut prendre aujourd’hui la
critique d’art dans un contexte où son obsolescence est
grandissante et où les frontières entre les genres tant artistiques
qu’éditoriaux tendent à s’estomper.
La critique d’art contemporain, fruit d’une
tradition littéraire et philosophique
La critique d’art apparaît au XVIIe siècle dans la presse (de
premiers textes critiques des salonniers sont publiés dans
La Gazette de Théophraste Renaudot (Béra, 2003) et se développe
au XVIIIe au croisement du jugement philosophique et de l’exercice
littéraire1. Marion Zilio, dans son texte « Pour une post-
contemporanéité » (Zilio, 2019), rappelle que la critique d’art dans la
forme que nous lui connaissons encore aujourd’hui s’est développée
en même temps que l’esprit philosophique tel que formulé par Kant
et la philosophie des Lumières. La critique est alors un exercice
solipsiste et réflexif : il s’agit de sélectionner certaines œuvres parmi
la masse de celles observées et d’exercer un jugement – en accord
avec le double sens étymologique du terme « krinein », qui signifie
littéralement « séparer, trier, distinguer, choisir quelqu’un ou quelque
chose de préférence à un autre2 ».
Le sens commun consisterait ainsi à faire remonter la naissance
de la critique d’art à Denis Diderot et aux Salons, moment fondateur
à partir duquel on pourrait établir une chronologie linéaire, passant
par les Salons commentés au XIXe siècle par Charles Baudelaire et
les Frères Goncourt3 pour arriver à la critique d’art formaliste de
Clement Greenberg et à l’influence de la philosophie analytique sur
les théoriciens de l’art anglo-saxons (Arthur Danto ou Georges
Dickie pour ne citer qu’eux). La critique d’art contemporain telle
qu’elle se développe en France depuis les années 1970 porte la
trace d’un héritage littéraire et philosophique et gagne
progressivement son indépendance vis-à-vis d’autres discours sur
l’art, trouvant sa spécificité dans ses formats (revue, magazine grand
public ou spécialisé, chroniques dans la presse quotidienne, presse
papier ou en ligne, etc.), et le style des auteurs. Le critique est
indispensable aux mécanismes de reconnaissance qui caractérisent
le monde de l’art. Pour autant, sa condition professionnelle est
déterminée par différentes contraintes avec lesquelles il doit
composer : rythme de publication, foisonnement des expositions,
pression spéculative et difficiles conditions de rémunération.

La critique d’art contemporain soumise à


la « tyrannie du présent perpétuel »
(Hartog, 2003)
La critique d’art comme genre journalistique adopte quelques
formes canoniques : l’entretien, le portrait d’artiste, le compte rendu
d’exposition. Ces rubriques, si elles peuvent varier d’un titre à l’autre,
correspondent à la contingence de la presse en ligne ou papier : la
critique d’art entendue comme genre médiatique correspond
nécessairement à une actualité. C’est ce qu’observe Claire Fagnart
(2017 : 10), faisant de cette contingence l’élément le plus probant
pour distinguer la critique d’autres discours sur l’art : « La critique
d’art concerne l’actualité. Les œuvres ou les événements particuliers
dont parle le rédacteur appartiennent au monde dont il est le
contemporain : le critique participe à l’histoire mais ne la rédige pas.
La critique est écrite sans le recul historique de l’histoire. » De la
même manière, Olivier Zahm (créateur et rédacteur en chef de
Purple et Purple Magazine) propose une distinction entre la critique
d’art (qui concernerait l’art contemporain) de la « théorie critique »
qui, plus généraliste, porterait aussi bien sur l’art moderne que
contemporain et reposerait essentiellement sur l’histoire de l’art4.
Ces deux points de vue s’appuient sur une observation empirique :
la critique d’art correspond à une actualité des expositions, actualité
en constant renouvellement : entre la date de publication d’un
compte rendu et celle de la fermeture de l’exposition concernée, un
court laps de temps s’écoule, qui de facto rend la critique rapidement
obsolète. Si la presse magazine est davantage concernée par cette
obsolescence que la presse quotidienne ou la critique d’art publiée
en ligne, le problème reste le même et tient à ce format du compte
rendu d’exposition, le plus fréquemment adopté par la critique d’art
dans la presse écrite.
Longtemps peu considéré, le compte rendu d’exposition a fait
l’objet d’un numéro de la revue scientifique Culture & Musées
en 2010. François Mairesse et Bernard Deloche y insistent sur la
plasticité du genre, qui peut tantôt se présenter comme un discours
érudit, tantôt comme un discours visant un grand public. Dans ce
même dossier, Jérôme Glicenstein souligne le paradoxe que revêt la
critique d’exposition, entre l’affirmation de la subjectivité du
rédacteur et la contrainte promotionnelle qui souvent pèse sur
l’exercice. Selon l’auteur, la critique d’exposition est essentielle à la
revue d’art dans son rôle « d’informer sur des événements
artistiques et d’en proposer des modèles d’interprétation » (2010 :
66). Le compte rendu d’exposition permet ainsi de faire le lien entre
deux fonctions de la presse artistique, l’information et l’analyse, tout
en contribuant à une fonction plus discrète, mais tout aussi réelle de
la critique d’art : la promotion.
À mesure que le marché de l’art se développe, des injonctions
se font de plus en plus pressantes. Les annonceurs (en particulier
les fondations et les galeries5) finançant la presse artistique qui ne
pourrait exister sans cette rentrée d’argent. En retour, une attente
est implicite : celle d’un traitement de leurs artistes dans les pages
des revues ou magazines où ils ont acheté des espaces. Certains
critiques d’art se défendent d’être victimes de telles logiques, comme
le fait par exemple Catherine Millet à plusieurs reprises dans les
pages d’art press. Celle-ci affirmait ainsi en 2002, à l’occasion du
30e anniversaire du périodique : « art press est une revue totalement
indépendante et autofinancée, à 35 % par ses annonceurs, à 65 %
par ses lecteurs » ; dix ans plus tard, elle expliquait encore dans son
ouvrage D’art press à Catherine M. : « Ce genre de soupçon – qui
influence qui ? – que je connais bien, m’a toujours agacée »
(Millet, 2011 : 108). Néanmoins, la corrélation entre les annonceurs
– indispensables à la survie d’un titre de presse – et le choix des
artistes ou des événements qui y sont commentés reste avérée,
selon différents degrés en fonction de la nature du titre de presse
concerné. Il est donc difficile d’affirmer une totale indépendance de
la critique dans un contexte médiatique marqué par l’instabilité. En
raison de ces différentes contraintes, la critique d’art, peut-être plus
encore que d’autres pratiques journalistiques, se caractérise par une
grande précarité.

« Profession critique d’art » : entre


précarité et gratifications symboliques
Dans son ouvrage Pour une critique d’art engagée, Dominique
Berthet (2013 : 9-11) détaille la professionnalisation progressive du
métier de critique d’art. Il revient sur le 2e congrès international des
critiques d’art qui en 1949 aboutit sur la création de l’Association
internationale des critiques d’Art l’AICA. Les membres présents
s’interrogeaient alors sur la spécificité de la critique et ses
différences avec l’histoire de l’art ainsi que sur la nécessité
d’inventer de nouveaux systèmes pour juger l’art contemporain.
Soixante ans plus tard, en 2019, la première « Rencontre
aléatoire » organisée par l’AICA-France, sous le titre « Qui a encore
peur de la critique ?6 » dressait le constat suivant : si seules les
galeries ont besoin des critiques pour légitimer leurs artistes auprès
du marché, des collectionneurs et des institutions, les critiques sont
contraints à la complaisance, cantonnés à un exercice de promotion.
Les échanges lors de cette rencontre portaient également sur des
problèmes inhérents à la pratique quotidienne du métier : faible
rémunération, nécessité de cumul de la critique avec d’autres
activités, précarité. Ces réflexions se font dans le cadre d’un déclin,
voire d’une obsolescence de la critique d’art dans un contexte où les
acteurs du marché de l’art, profitant d’une situation économique
florissante, auraient de moins en moins besoin des critiques pour
faire connaître les artistes et défendre leur travail. Ces difficultés
grandissantes de la profession sont également dénoncées par
Patricia Falguières et Élisabeth Lebovici dans leur tribune « Critiques
d’art : une matière grise dévaluée » où celles-ci exposent la faible
rémunération des critiques et ses conséquences : « Faire de la
matière grise une ligne budgétaire compressible, c’est la désigner
comme superflue. […] Le terrain apparaît ainsi miné pour les
générations critiques qu’appelleront les prochaînes générations
d’artistes7. » Patricia Falguières et Élisabeth Lebovici soulignent un
paradoxe de plus en plus évident : alors qu’il n’y a jamais eu autant
d’institutions, de galeries, de vernissages, il n’y a jamais eu aussi
peu d’argent pour la critique d’art. Les deux auteures font également
de la très faible rémunération des critiques en France un critère
essentiel pour expliquer l’absence des artistes français des
expositions internationales8.
Rares sont les critiques d’art associés à plein temps à une
même rédaction ou qui parviennent à bénéficier d’une carte de
presse. Notons que l’AICA délivre ses propres cartes, qui toutefois
ne procurent pas à ses détenteurs tous les avantages de la carte de
presse (notamment au niveau fiscal). Par ailleurs, l’adhésion même
à l’AICA relève d’un processus difficile, basé dans un premier temps
sur la cooptation (il faut être recommandé par un adhérent ou une
adhérente pour pouvoir proposer sa candidature), et dans un second
temps par un examen très exigeant des différentes candidatures.
Une fois celle-ci acceptée en revanche, l’adhésion peut se
renouveler chaque année, sur simple paiement d’une cotisation.
Le mode de rétribution le plus fréquent est celui de la pige, dont
les tarifs, variables, restent majoritairement très faibles. L’AICA
déplore ainsi que « les tarifs au feuillet actuellement pratiqués par la
presse aussi bien nationale que spécialisée ne sauraient en aucun
cas constituer un barème applicable à l’exercice de la critique d’art
indépendante, n’assurant absolument pas les minima sociaux à
leurs contributeurs externes9 ».
Pour Pierre-Michel Menger, le travail artistique est « modelé par
l’incertitude » (2009 : 11), incertitude qui permettrait l’originalité et
l’innovation, la satisfaction des artistes à créer. On pourrait en ce
sens comparer la pratique artistique à celle de la critique d’art,
comme le suggéreraient les résultats de l’enquête sociologique
menée par Pierre François et Valérie Chartrain. Ces derniers
pointent en effet deux caractéristiques de la profession de critique
d’art : une « incertitude économique » souvent appréhendée en
amont et, partant, un nécessaire recours à une diversification des
activités complémentaires. Ceux-ci constatent ainsi que « le début
de cette activité n’est donc pas vécu comme un engagement dans
un métier dont on peut attendre une rémunération (Chatrain, 2009 :
8-9) », mais soulignent néanmoins l’importance de la revue
spécialisée pour la construction professionnelle des critiques, ces
espaces constituants « des principes de structuration évidents de ce
monde de l’art ». L’activité de critique d’art contemporain implique
donc une injonction à la pluriactivité : l’écriture de piges pour de
multiples médias, ce à quoi s’ajoutent dans la plupart des cas des
activités de médiation, d’enseignement, de commissariat
d’exposition.
Les différentes contraintes qui pèsent sur cette pratique ainsi
que l’expansion constante du monde de l’art et l’augmentation de la
pression spéculative et financière qui l’accompagnent poussent à
interroger l’avenir de la critique et les nouvelles formes qu’elle
pourrait adopter.
Dans ses ouvrages What Happened to Art Criticism (2003) et
The State of Art Criticism (2007), James Elkins dresse le constat de
la diminution du pouvoir de la critique d’art. Selon lui, les critiques
« critiqueraient » (au sens du jugement de goût) moins qu’ils ne
mettraient en lumière les circonstances qui ont mené à la création
d’une œuvre ou ne la décriraient succinctement. En conséquence, la
critique d’art n’aurait plus ni le même visage ni la même fonction.
Bien qu’une telle observation ne soit pas isolée, il semble prématuré
de se faire le héraut d’un chant du cygne de la critique d’art.
Pratiques amateures, podcasts, blogs ou webzines : autant de
nouveaux formats qui promettent des changements profonds plus
qu’une pure et simple disparition.
Il n’y a de critique d’art que parce qu’il y a des artistes, des
expositions, un système qui assure leur existence. Or, ce système
est dépendant d’un ensemble plus global, qu’on peut désigner
comme celui du capitalisme, où les œuvres d’art sont considérées
comme des marchandises et valorisées comme telles, au même titre
que d’autres biens économiques. Les œuvres sont dès lors
soumises à une logique d’enrichissement théorisée notamment par
Arnaud Esquerre et Luc Boltanski (2017), notion qu’ils explicitent à
l’aune de deux phénomènes : le rôle de plus en plus important joué
par les collectionneurs et la très forte visibilité de certains artistes qui
ne se fait qu’aux dépens de beaucoup d’autres, d’autant plus
invisibles et précaires. Sophie Cras de son côté conclut son ouvrage
L’économie à l’épreuve de l’art (2018) sur les nombreuses
expositions et productions critiques qui ont proposé ces récentes
années de faire converger pratiques artistiques et perspectives
anticapitalistes. Elle remarque qu’après le développement de la
modernité corrélée au capitalisme, reste aux spectateurs de demain
d’imaginer ce que pourrait produire ce qu’elle nomme « l’économie
poétique » sur l’économie capitaliste. Allons plus loin : que peut la
critique d’art pour sortir d’une vision de l’œuvre d’art comme
marchandise, d’un système de foires, de collections, de ventes aux
enchères ?
Une déconstruction à grande échelle est impliquée par une telle
remise en cause. Ces pistes théoriques et pratiques permettent
d’imaginer une critique d’art libérée de contraintes structurelles et
économiques. Quel visage pourrait prendre un périodique artistique
qui fonctionnerait sans annonceurs, voire indépendamment de
l’actualité des expositions ? De plus en plus, les critiques d’art
mettent en place mobilisations professionnelles, mises en visibilité
des difficultés inhérentes à leur métier, et proposent des innovations
éditoriales et formelles pour échapper aux injonctions de l’actualité
ou de la spéculation. S’il serait utopique d’imaginer une critique d’art
et une presse artistique libérées de toute pression financière, les
normes discursives et éditoriales qui pèsent encore lourdement
peuvent en revanche être déconstruites et d’autres modèles peuvent
en devenir les substituts, dans un contexte de plus en plus globalisé
et où l’hybridité des formes éditoriales traditionnelles avec le
numérique est grandissante.

Bibliographie
• Béra M., « Critique d’art ou promotion culturelle ? », Réseaux,
2003/1, n° 117, p. 153-187.
• Berthet B., Pour une critique d’art engagée, Paris, L’Harmattan,
2013.
• Cras S., L’économie à l’épreuve de l’art. Art et capitalisme dans
les années 1960, Paris, les éditions du réel, 2018.
• Elkins J., The State of Art Criticism (dir.), New York, Routledge,
2007.
• Elkins J., What Happened to Art Criticism?, Chicago, Prickly
Paradigm Press, 2003.
• Esquerre A., Boltanski L., Enrichissement, une critique de la
marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
• Fagnart C., La Critique d’art, Saint-Denis, PUV, 2017.
• Glicenstein J., « La critique d’exposition dans les revues d’art
contemporain » Culture & Musées, n° 15, 2010, p. 53-72.
• Hartog F., Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du
temps, [2003] Paris, Seuil, 2014.
• Leeman R., Le Critique, l’art et l’histoire : de Michel Ragon à
Jean Clair, Rennes, PUR, 2010.
• Menger P.-M., Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain,
Paris, Seuil, 2009.
• Scott D., « Critique : historiciser la notion » Marges, hors-série
n° 1 « La critique d’art en question », 2014.
• Vouilloux B., « Les trois âges de la critique d’art en France »,
Revue d’histoire littéraire de la France, 2, vol. 111, 2011, p. 387-
403.
• Zilio M., « Pour une post-contemporanéité », dans de Sutter L.
(dir.), Postcritique, Paris, PUF, 2019.

1. Pour une histoire de la critique artistique sur le temps long, voir notamment : Leeman,
2010 ; Scott, 2014 ; Vouilloux, 2011.
2. Dictionnaire Bailly Grec-Français [1895], Paris, Hachette, 1950.
3. Charles Baudelaire, sous le pseudonyme de Baudelaire Dufaÿs, commenta les salons de
1845, 1846 et 1859. Quant aux Frères Goncourt, ils traitèrent le Salon de 1852.
4. Olivier Zahm cité par Larys Frogier, « Les enjeux de la critique d’art en France
depuis 1992 », en ligne : https://www.archivesdelacritiquedart.org/wp-
content/uploads/2017/09/Article-de-Larys-Frogier-sur-les-Enjeux-de-la-critique-d-art.pdf.
5. Un bref coup d’œil permet de constater que dans la presse artistique française, les
annonceurs sont dans une très large majorité des institutions culturelles. En revanche,
d’autres titres de presse comme Artforum, jouissant d’un rayonnement international
important, comptent également parmi leurs annonceurs des marques de luxe.
6. Compte rendu des rencontres aléatoires #1, « Qui a (encore) peur de la critique » (Paris,
16 avril 2019), disponible en ligne sur le site de l’AICA. URL :
https://aicafrance.org/compte-rendu-des-rencontres-aleatoires-1/, dernière consultation
le 20 mai 2021.
7. Lebovici É. et Falguières P., « Critiques d’art, une matière grise dévaluée », dans
Libération, 8 juillet 2019.
8. À ce sujet, voir également Alain Quemin, L’Art contemporain international, entre les
institutions et le marché (le rapport disparu), Paris, Jacqueline Chambon/Artprice, 2002.
9. Pour le détail des recommandations tarifaires de l’AICA, voir la grille proposée en ligne,
régulièrement mise à jour. URL : https://aicafrance.org/recommandations-tarifaires/
Chapitre 6
6 Les mutations de la photographie
de presse dans les médias en ligne

Maxime Fabre

Il est probable qu’aucune technologie n’a autant modifié


la culture visuelle que l’apparition de la photographie dans
la presse grand public. Ces images se sont
progressivement trouvées au cœur de la formation de ce
que nous tenons pour une “conscience globale”. […].
L’alchimie entre l’image photographique, la réception du
public et les objectifs de diffusion de la presse participe à
créer une vision globale. Ce rôle a fait du photojournalisme
l’un des discours photographiques dominants (Delage
et al., 2010 : 2).

D
ans les années 1930, la « naissance du photojournalisme »
correspond au basculement d’une photographie illustrative à
l’invention d’une nouvelle forme d’écriture journalistique
totale incarnée par le reportage (Bacot, 2008 : 12). Gisèle Freund
décrit la naissance du photojournalisme comme la combinaison de
techniques (celle de l’appareil Ermanox permettant des
photographies de nuit et d’intérieur sans flash par exemple), de
comportements sociaux constitués par des attitudes et des actes
récurrents, de normes esthétiques, d’objets (les magazines illustrés)
et de stratégies communicationnelles (raconter une histoire par une
succession d’images).
Vu (1928-1940), Voilà (1931-1939), Regards (1932-1940), Le
Miroir du Monde (1929-1937) ou Détective (1928-1940) ont été les
acteurs de l’élaboration du photojournalistique comme pratique
professionnelle, qui s’explique elle-même par une économie du
reportage permettant d’établir des rapports entre les innovations
techniques, la mise en valeur des photographies, une « mise en
page et un agencement photographique novateurs » (Martin, 2009 :
24) et la promesse d’une vision objective du monde (Frizot, 2009).
Le photoreportage est une articulation, un format qui a vu le jour
en 1930 quand « les photographes commencent à faire des séries
de photos sur un seul sujet qui remplissait plusieurs pages de
l’illustré » (Freund, 1974 : 111).
Dans l’hebdomadaire Détective daté du 15 octobre 1936 par
exemple, le journaliste Henri Danjou signe un article sur les
photojournalistes du magazine, ces « chasseurs d’images1 » qui
« firent preuve d’un cran digne d’admiration » pendant la guerre
d’Espagne. L’article est un récit à la première personne rapportant
les difficultés et le « courage » des photographes sur le front. Il est
accompagné de photomontages où les images sont insérées dans le
cadre du négatif d’une pellicule, permettant ainsi d’identifier le travail
à la fois technique et journalistique des photographes de Détective.
Les années 1930 à 1970 ont été vécues par la profession
comme l’« âge d’or » du photojournalisme, ainsi que le souligne
Catherine Saouter dans son article intitulé « L’ontologie
photographique » :
Pendant la période dite de l’âge d’or, des années 1930
aux années 1970, le photojournalisme a régné sans
partage au sommet des virtuosités photographiques et
Henri Cartier-Bresson en a expliqué les règles dans The
Decisive Moment/Images à la sauvette. Le critère
prépondérant de la prise d’une bonne photographie était
d’être là au bon moment et de déclencher l’obturateur à
l’instant décisif. Le cliché paradigmatique de cette
acception est et restera certainement celui de la mort d’un
guerrier républicain pendant la guerre d’Espagne, pris par
Capa en 1936, parmi nombre d’autres qui sont devenus
des emblèmes du siècle. Cette production de l’âge d’or, tout
en donnant ses quartiers de noblesse à la profession, a
engendré une culture du témoignage engagé (Saouter,
2007).
Plus tard, entre 1970 et 1990, le photojournalisme voit la
concurrence s’intensifier durant ce que l’on appelle la « génération
agences » (Setboun et Cousin, 2014). Ce terme désigne l’apparition
de nouveaux acteurs économiques et médiatiques dans la vente des
images de presse, les agences, les « trois A » dans un premier
temps (Gamma, Sipa et Sygma), puis l’arrivée décisive de l’Agence
France-Presse (AFP) en termes de production de photographies à
l’échelle internationale.
En 1993, l’AFP annonce en effet produire environ cinquante
mille photos par an (Huteau et Ullmann, 1992 : 9), et jusqu’à trois
mille par jour en 2014, soit presqu’un million quatre-vingt-quinze
mille images en une année2. Si ces photographies sont vendues sur
un site spécialisé, d’abord destiné aux abonnés de l’Agence
(médias, journaux, entreprises), un changement crucial s’impose la
même année puisque l’AFP expose « gratuitement3 » une partie de
ses images sur son site de vente initial, ainsi que sur les divers
réseaux sociaux numériques où elle dispose parfois même de
plusieurs comptes, notamment en anglais – Instagram, Twitter,
Facebook, Tumblr, Linkedin et Google+.
C’est pourquoi les années 1990 annoncent au moins deux
grandes transformations en ce qui concerne la médiatisation de
l’information visuelle, le passage de l’analogique au format
numérique d’abord et celui du support papier aux médias en ligne
ensuite.
À savoir une mutation technique, avec l’évolution de la très
traditionnelle empreinte photonique (le verre ou la pellicule chimique
aux sels d’argent) aux capteurs électro-numériques modernes. Ces
derniers sont à présent embarqués aussi bien dans les reflex
professionnels que dans les smartphones grand public.
Une mutation info-communicationnelle enfin, au regard de la
transformation du support papier aux médias en ligne (aussi appelés
médias informatisés). Autrement dit, une modification de la pratique
de diffusion et de circulation des images journalistiques sur de
nouveaux dispositifs d’exposition à visée mondiale (les réseaux
sociaux).

L’image de presse aux prises avec le


numérique
En se confrontant à de nouveaux acteurs numériques comme
les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) au
niveau des questions juridiques comme des modes de
représentation, la photographie de presse se réinvente tout en
tentant de préserver ses valeurs d’antan : authenticité de l’image
(identification de l’auteur et du contexte) (Lavoie, 2010), vérité de
l’événement (Lambert, 2013 : 128), autrement dit le « ça-a-été »
vécu de l’instant décisif (Barthes, 1980), et le témoignage (Schaeffer,
1987) d’« une action qui affecte les sujets (Beyart-Geslin, 2009 :
62) », témoignage qui atteste de la présence du journaliste sur le
terrain.

Distinguer les acteurs du numérique


L’intercalation du code binaire entre la prise de vue et le
moment où l’on peut effectivement visionner l’image sur un appareil
numérique n’est pas un simple changement technique, c’est une
altération du « morceau de réalité » que le photojournaliste est
censé capturer. Cette altération, bien qu’elle ne remette pas en
question l’information représentée, réinterroge notre croyance en
l’image. Puisque la photographie est, dès son apparition,
potentiellement modifiable, manipulable par le changement du code
binaire, on peut se poser la question suivante : quelles sont les
instances qui permettent de reconstruire ce « contrat de
communication4 » perdu entre l’image informationnelle et le
spectateur ?
Trois pistes peuvent être convoquées pour répondre à cette
question. Ces trois pistes sont liées par une ambition commune,
celle de réaffirmer la valeur de la photographie de presse à l’heure
des manipulations numériques. D’un côté, les associations et
syndicats adoptent de nouvelles normes à la pratique du
photojournalisme, une nouvelle déontologie. De l’autre, l’élaboration
de logiciels permet la vérification digitale des images diffusées et
transmises à la presse. Enfin, la mise en place de concours tente de
rectifier et de pointer du doigt les mauvaises pratiques du milieu,
notamment en ce qui concerne la retouche des images.

Associations et syndicats, la déontologie de la


profession
Les textes déontologiques (Marra cité par Basso Fassoli,
Dondero, 2011 : 269) proscrivent nécessairement la retouche, dans
la mesure où elle altérerait la vérité de l’image et fragiliserait
l’engagement du public et sa confiance en la probité journalistique.
Malgré tout, l’arrivée du numérique semble avoir reposé la
question des manipulations de l’image sous un jour nouveau,
comme en témoigne le code éthique publié en 1991 par l’association
américaine des photographes de presse fondée en 1946, la National
Press Photographers Association (NPPA), sous le titre évocateur de
« Digital Manipulation Code of Ethics ». Ce texte explique que les
seules manipulations autorisées sont celles que l’on accepte déjà
dans le domaine de la photographie analogique et traditionnellement
effectuées en chambre noire. La charte déontologique établit par le
Centre international du photojournalisme – associé au festival « Visa
pour l’Image » crée en 1989 à Perpignan – va aussi en ce sens :
La photographie numérique et les évolutions de la
technologie informatique ont ouvert le champ à un certain
nombre de manipulations. Les seules autorisées sont celles
que l’on accepte déjà dans le domaine de la photographie
analogique et traditionnellement effectuées en chambre
noire (comme enlever une trace de poussière sur le capteur
à l’aide de l’outil de clonage Photoshop)5.

Le rôle scientifique du logiciel


Pourtant, il suffit de se remémorer la polémique concernant
l’authenticité ou non de la photographie du cadavre du terroriste
Oussama Ben Laden, le visage ensanglanté et tuméfié, diffusée par
les télévisions pakistanaises d’abord, puis largement reprise en 2010
par les télévisions du monde entier, pour se rappeler que ces règles
ne suffisent pas à la vérification et l’encadrement des photographies
diffusées dans la presse. Ce moment a marqué l’occasion, pour
l’AFP (et à travers elle, pour la profession), de démontrer que l’on
était capable de retracer le parcours algorithmique d’une image
numérique, et ainsi d’en déduire les éventuelles modifications,
manipulations, montages effectués depuis sa genèse. Le logiciel
Tungstène6, développé par l’entreprise eXo maKina en partenariat
avec le CNRS pour l’AFP en 2010, participe au rétablissement de la
croyance en l’image, en ce qu’il veut fournir une raison objective de
croire, techniquement et scientifiquement parlant. Finalement, il a
permis de démontrer que cette photographie, triviale (Jeanneret,
2008 : 7), était effectivement un montage.

Les usages institués par les concours internationaux


Ce renversement peut s’observer dans la pratique même des
concours, puisque chaque nouvelle compétition présente son
nombre de photographies retouchées. En 2013, l’image de Paul
Hansen fait polémique en figurant une scène de guerre à Gaza
retouchée. En 2015, c’est au tour du reportage de Giovanni Troilo
sur Charleroi en Belgique de faire débat quant à sa mise en scène.
La même année, le président du jury du World Press Photo Award
(WPP), Lars Boering, déclarait que « 22 % des images finalistes ont
été disqualifiées pour retouche7 ». Le chiffre est important, surtout si
l’on considère que le WPP reçoit chaque année plus de
100 000 photos susceptibles de remporter les différents prix. Mais à
chaque fois, c’est le numérique qui est mis en cause, en ce qu’il
briserait le rapport de confiance et le contrat de communication
censés exister entre le spectateur et les images de presse.

Matière et format de l’image de presse


numérique
Lorsque l’on pense au « numérique » la doxa renvoie
irrémédiablement au « virtuel » ou à sa « virtualisation », sans
matière ni forme. Or, une image numérique, c’est bien une matière
concrète stockée sur des dispositifs (cartes mémoires, disques durs,
etc.) et des formats (JPEG, TIFF, RAW, etc.) auxquels sont
assignées ce que l’on appelle des métadonnées, cruciales dans le
champ du photojournalisme. Ce sont les informations attachées au
format de l’image et qui permettent de localiser la prise de vue de la
photographie, son auteur ou encore les logiciels utilisés que nous
allons expliciter ci-après.

Les métadonnées IPTC


Dans les années 1990, un consortium a été créé à l’initiative
des agences de presse mondiales afin d’établir un standard
technique destiné à faciliter l’échange des données numériques.
L’International Press Telecommunications Council élabore les
normes et les formats propres à la circulation des images de presse,
par l’élaboration d’un code implémenté dans le format-texte
photographique, et lisible seulement par des logiciels spécifiques à
la profession. Ce « code » permet d’authentifier l’auteur et son
appareil photographique. Il se compose de trois parties :
La partie « administrative » : l’auteur, la date et le lieu de la prise
de vue.
La partie descriptive : les informations sur le sujet et le contenu
de l’image.
La partie « juridique » : les droits d’auteur et droit à l’image.
Des mots-clés abrégés sont agrégés aux métadonnées et
permettent l’identification des « sujets » journalistiques, de « CLT »
pour l’« Art, culture et spectacles » à « WEA » pour la « météo », en
passant par « LIF » pour « Vie quotidienne et loisirs ». Les IPTC
sont « invisibles » si elles ne sont pas spécifiquement ouvertes par
un logiciel qui en permet la lecture, comme c’est le cas du logiciel
Adobe Photoshop.

La remise en cause par les réseaux sociaux


Les métadonnées sont cruciales dans le cas des médias en
ligne, car les réseaux sociaux remettent profondément en cause la
certification des données IPTC en les supprimant presque
totalement lors de leur exposition.
En 2013, un groupe d’étude créé par l’International Press
Telecommunications Council (le Photo Metadata Working Group)
montre en effet que les réseaux sociaux « écrasent » les
métadonnées journalistiques en les remplaçant par celles du
dispositif d’exposition numérique. Cela remet profondément en
question l’authentification des photographies de presse, leur source,
leur origine, créant ainsi ce brouillage des codes contemporains, à la
limite des infox (fake news outre-Atlantique) ou fausses informations,
puisqu’elles ne sont plus authentifiables. Un défi de taille pour la
profession.
L’adaptation tactique face aux réseaux
sociaux
Le défi de la photographie de presse face aux médias en ligne
concerne en grande partie l’adaptation aux réseaux sociaux et à leur
propre structure de mise en scène de l’information et de l’actualité.
Si les métadonnées sont remises en cause par les réseaux sociaux,
certains médias (Paris Match ou encore l’AFP) développent des
tactiques pour déjouer ces processus de réécriture de l’information
en réaffichant textuellement leur autorité par l’inscription et la re-
contextualisation des messages linguistiques : logos, légendes,
auteurs, dates, lieux.
Une inscription textuelle double d’abord, le logo de l’Agence
France-Presse pour identifier l’institution, et la signature du
journaliste pour authentifier la prise de vue ; puis une re-
contextualisation qui se représente par l’ajout d’une légende à la
photographie, et l’accompagnement de « mots-clés » permettant son
indexation sur le dispositif. On peut appeler ces inscriptions des
signes tactiques. Autrement dit, des signes identifiés comme des
tactiques élaborées par l’AFP (et d’autres médias) pour contourner
la réécriture des supports numériques.

Mondialisation et représentation
de l’information journalistique
Le numérique et surtout la dimension mondialisée du marché de
l’image modifient profondément la valeur de l’image en général, et
notamment de la photographie de presse, elle aussi assujettie à ce
nouveau marché.

La valeur de la photo de presse


Photographie amateure
Parfois décriée par la profession, la profusion de photographies
amateures est bien concrète. On le constate en 2006, lorsque le
média numérique Citizenside est créé. Reconnue comme une
« agence de presse », la plateforme propose à la vente « des visuels
amateurs d’actualité aux médias traditionnels ou numériques »
(Aubert et Schmitt, 2014 : 137) : 300 à 500 photographies y sont
publiées chaque jour. Dans un communiqué du 17 novembre 2009,
l’Agence France-Presse annonce même une « prise de participation
[…] au capital de Citizenside (Nicey, 2012) ».

Banques d’images et réseaux sociaux


Les « microstocks » (ou « banques d’images ») et les réseaux
sociaux sont issus d’un monde référentiel commun en caractérisant
indifféremment ce nouveau modèle économique de la contribution
(parfois nommé « collaboration »). Néanmoins, les seconds se
détachent des premiers en ce que leur pouvoir repose largement sur
l’invisibilité des opérations et leur apparente immédiateté, alors que
les premiers exposent concrètement les signes de la consommation
par la formalisation d’un prix unitaire. Sur le site de vente d’images
international Fotolia, la valeur d’échange des images entendues
comme des marchandises est clairement énoncée, d’un prix de
vente oscillant entre 1 et 10 euros et, « avec le jeu des forfaits, des
prix d’appel à 0,14 euros la photographie » (Hémon, 2010 : 23). Les
dispositifs d’exposition ne s’écartent pas de cette présentation, ils en
transforment principalement la forme signifiante, le prix, tout en en
préservant la valeur, l’évaluation. Le prix est métamorphosé par des
indicateurs de performance que sont les « j’aime », les
« commentaires » ou encore le nombre d’abonnés.

La signification de la valeur photographique


sur les réseaux sociaux
La valeur y est re-signifiée par des syntaxes évaluatives du
consentement social et de la performance professionnelle.
Sur Instagram, les signes de la consommation sont associés
aux « signes de l’accumulation » (le nombre d’images
exposées et le nombre d’abonnés), pourtant spécifiques de
l’appropriation des capitaux dans le système économique
traditionnel. Ce « nombre » n’est pas anodin, ni purement
quantitatif. En d’autres termes, ces « capitaux » fournissent
des indicateurs de « popularité » et de « visibilité » qui
décident de l’autorité à accorder à l’utilisateur et à des
productions. Or, en faisant de la quantification populaire la
valeur référentielle de l’évaluation, l’économie ainsi
exprimée transforme le contenu même des objets exposés
en incitant à re-produire les écritures susceptibles
d’entretenir une « bonne » évaluation de la part du public du
réseau.

Les réseaux sociaux de l’image


Les réseaux sociaux sont des dispositifs d’exposition
numérique. Dans le terme d’exposition, il y a d’abord l’action de
disposer de manière à mettre en vue. Un dispositif d’exposition est
ostensif, il pointe quelque chose du doigt et le propose au regard et
à l’interprétation du lecteur-spectateur. Il organise l’espace, le
« travaille » et soumet les objets à un encadrement temporel
spécifique. À la différence de l’exposition muséale, le dispositif
numérique incite à la manipulation concrète des objets, à
l’engagement d’une gestuelle de l’appropriation qui permet de
construire une confiance partagée entre l’institution qui expose et
l’usager qui agit sur, et à côté de l’image photographique (Fabre,
2020).

La fabrique du quotidien
Si l’actualité est fondamentalement l’essence des médias
journalistiques, les dispositifs d’exposition revalorisent cette
conception en densifiant considérablement le présent, en lui offrant
un plan de manifestation symbolisée par le « fil d’actualité »
(« timeline »), qui structure et régit un ordre du temps sous forme de
liste qui convoque une symbolique particulière, de « l’actualisation »,
du « neuf », du « temps réel » et du « direct ».
Ce que réalisent les dispositifs d’exposition est la jonction entre
la temporalité médiatique et le temps socialement vécu. On le
constate concrètement avec le cas de l’AFP qui a pris la mesure de
cette homochronie en développant elle-même un format propice au
re-partage numérique. Le 3 février 2016 par exemple, l’Agence
publie une photographie avec la légende suivante : « #instantané Un
jeune vendeur de ballons à Mazar-I-Sharif en Afghanistan, par
@Farshadusyan ». Pas de lien hypertexte renvoyant à un article sur
le site d’un journal informatisé, juste une photographie banale (un
enfant portant des ballons), une très courte légende sur le lieu de la
prise de vue, le nom du photographe présent sur Twitter
(« @Farshadusyan »), le logo identifiant l’AFP et la formule
« #instantané ». Par cette formule, l’AFP combine un format – la
vignette – et une esthétique – la vie quotidienne.

Le principe de « mise en visibilité » sur Instagram


Le dispositif d’Instagram imbrique les images entre elles, les
combine dans des lignes de carrés miniaturisant les représentations
photographiques, les contraignant dans un nouveau format, les
exposant à la vue de l’usager qui, d’un seul regard, peut embrasser
les productions photographiques diffusées par l’Agence sur les
réseaux sociaux. Cette vision est synoptique parce qu’elle « donne
par sa disposition une vue générale (des parties) d’un ensemble que
l’on peut ainsi embrasser d’un seul coup d’œil8 ».
Cela favorise un certain style photojournalistique, du choix
esthétique (une coloration majoritairement vive des photographies),
des sujets abordés (des scènes de la vie quotidienne), du cadrage
(une dominante accordée au portrait) jusqu’à l’occasion
photographique (la capture d’instants, souvent en mouvement).

Le regard mondialisé
Dans son ouvrage sur les mutations du journalisme à l’AFP,
Camille Laville (2010) constate en effet que les thématiques de
l’Agence évoluent au profit d’une « information divertissante » (les
« insolites » et le « fil people ») et « fonctionnelle » (le « lifestyle » et
la « culture pop »).
Cette évolution est largement lisible sur les réseaux sociaux,
elle correspond à un processus de banalisation, favorisant les
informations les plus « populaires » et les plus « citables » dans la
logique de l’exposition numérique. On peut en citer deux : l’insolite et
l’occasion sportive.

Le tournant du journalisme mobile ou MoJo


(Mobile Journalism)
Quand les photographes de presse ne sont pas bousculés ou
pris à partie sur le terrain, ils sont critiqués dans leurs publications :
de la retouche à la mise en scène, en passant par le « voyeurisme
médiatique » qui leur est très souvent reproché. Toutes ces
questions bouleversent le champ photojournalistique, dans les
pratiques de production comme dans les pratiques interprétatives.
Dans ce contexte, les téléphones mobiles (et les applications qui les
accompagnent) sont apparus comme une alternative possible à la
pratique traditionnelle de la photographie de presse.

Une adaptation technique et sociale


Dans les théâtres d’opérations difficiles, comme au Moyen-
Orient, l’appareil téléphonique mobile est devenu le médium
privilégié des photojournalistes pour une raison purement pratique.
Par son statut d’objet du quotidien, il permet au photographe de se
« fondre » plus facilement dans l’événement, « d’exercer le métier
incognito », selon les termes de Victoria Scoffier, rédactrice pour le
magazine 6Mois9, ou de « passer pour un manifestant10 », selon le
photographe Karim Ben Khelifa.
Ce faisant, le corps du photographe adhère lui aussi à
l’événement en se « fondant » dans celui-ci, comme les premiers
appareils Leica ont permis aux photographes de se rendre
« discrets » grâce à un temps de pose réduit et un déclenchement
plus silencieux que les anciens.

Une esthétique nouvelle


La corporéité de l’imagerie téléphonique se caractérise donc par
cette extrême mobilité du corps propre au photojournaliste, avec une
ouverture vers de nouveaux cadrages, de nouvelles manières de
photographier. Néanmoins, certaines applications mobiles
prescrivent un format carré lors de la prise de vue. Ce format,
héritier des reflex bi-objectifs, conditionne la capture de l’événement
dans une sorte de « morceaux choisis », d’un pan de détail de
l’événement. Il influence la manière de photographier et incite à
l’isolement d’une trace dans un paysage plus large. L’imagerie
mobile est donc aussi une nouvelle esthétique photojournalistique :
voir à travers l’iPhone n’est pas la même chose que de voir à travers
un reflex numérique.
« À travers l’iPhone » serait le nouvel adage d’une esthétique
mobile qui élaborerait ses codes à partir de l’énonciation corporelle
du photographe, et donc de sa mobilité, dont les traces sont visibles
sur le plan textuel (flou de bougé par exemple). En s’inscrivant dans
des pratiques populaires d’utilisation du smartphone et des
applications comme Instagram ou Hipstamatic, les photographies de
presse mobiles offrent de nouveaux gages d’authenticité : effets de
réel et d’instantanéité de la prise de vue, attestation auctoriale (le
journaliste présent « en direct » sur le terrain).
En reprenant les codes et esthétiques populaires et amateurs
de la photographie mobile, les photojournalistes se fondent
paradoxalement dans une pratique qui est gage de plus de
« vérité ». Paradoxalement car, en réalité, dans le milieu
professionnel photojournalistique, l’utilisation de ces applications est
condamnée pour sa supposée retouche de la réalité (l’utilisation des
filtres). Mais d’un point de vue interprétatif, l’esthétique mobile
amateure est gage de vérité car plus proche des pratiques
quotidiennes et populaires des lecteurs.
En somme, entre contraintes techniques, sociales et juridiques,
la photographie de presse a su se métamorphoser à travers les
médias en ligne. Reformatée, partagée, mondialisée, elle s’est
adaptée à la culture numérique tout en préservant ses codes
d’origine. Les modifications sont importantes mais elles présentent
de nouveaux défis pour le photojournalisme : authentifier son
discours, affirmer sa légitimité et sa valeur, développer de nouvelles
conditions de prise de vue et de diffusion en temps réel de
l’information globalisée.

Bibliographie
• Aubert A., Schmitt L., « Les images amateur sur Citizenside »,
Sur le journalisme, vol. 3, n° 1, 2014.
• Bacot J.-P., « La naissance du photojournalisme », Réseaux,
n° 151, 2008, p. 9-36.
• Barthes R., La chambre claire. Note sur la photographie, Paris,
Le Seuil, 1980.
• Basso Fossali P., Dondero M. G., Sémiotique de la photographie,
Limoges, Pulim, 2011.
• Beurier J. (dir.), Le photojournalisme des années 1930 à nos
jours, Rennes, PUR, 2009.
• Beyaert-Geslin A., L’image préoccupée, Paris, Lavoisier, 2009.
• Delage C., Gervais Th., Schwartz V., « Au-delà de la
photographie, vers une redéfinition de la presse », Études
photographiques [en ligne], novembre 2010.
• Fabre M., Photographie de presse. Régimes de croyance,
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• Freund G., Photographie et société, Paris, Le Seuil, 1974.
• Frizot M., Vu : Le magazine photographique, 1928-1940, Paris,
Éditions de la Martinière, 2009.
• Hémon J., « Les réseaux sociaux et le marché de la
photographie », Cahier Louis-Lumière, n° 7, 2010, p. 18-26.
• Huteau J., Ullmann B., Une histoire de l’Agence France-Presse
1944-1990, Paris, Robert Laffont, 1992.
• Jeanneret Y, Penser la trivialité. Volume 1, la vie triviale des êtres
culturels, Paris, Lavoisier, 2008.
• Lambert F., Je sais bien mais quand même, Essai pour une
sémiotique des images et de la croyance, Paris, Éditions Non-
Standard, 2013.
• Laville C., Les transformations du journalisme de 1945 à 2010.
Le cas des correspondants étrangers de l’AFP, Bruxelles,
Groupe De Boeck, 2010.
• Lavoie V., Photojournalismes, revoir les canons de l’image de
presse, Paris, Éditions Hazan, 2010.
• Nicey J., « La certification de contenus collaboratifs à l’agence
Citizenside. Entre procédures nouvelles et fondamentaux
anciens », tic&société [en ligne], n° 1, vol. 6, 2012.
• Saouter C., « L’ontologie photographique : procédés, genres et
enjeux », Recherches en communication, n° 27, 2007, p. 31-41.
• Schaeffer J.-M., L’image précaire. Du dispositif photographique,
Paris, Seuil, 1987.
• Setboun M., Cousin M., 40 ans de photojournalisme. Génération
agences, Paris, La Martinière, 2014.

1. Henri Danjou, « Chasseurs d’images », Détective, n° 416, 15 octobre 1936, p. 18-19.


2. « L’AFP en chiffres », source : https://www.AFP.com/fr/lagence/propos/lAFP-en-chiffres
3. Du moins, pour le grand public.
4. Patrick Charaudeau, « Le contrat de communication scientifique, pédagogique et
médiatique », Canal-U, 11 juin 2014.
5. Centre international du photojournalisme. Charte déontologique, URL : http://photo-
journalisme.org/fr/deontologie/
6. « Tungstène intègre une palette de filtres et de fonctions d’analyse qui autorisent
l’opérateur à entrer au plus profond de l’image et à y rechercher les incohérences et
altérations qui se répartissent en deux grandes familles. Premièrement, les ruptures
dans les statistiques profondes de l’image numérique. Deuxièmement, les incohérences
dans les lois physiques régissant la diffusion des rayons de lumière ainsi que la
chrominance. […] Parallèlement à la stricte technique informatique, nous développons
une méthodologie complète d’interprétation des résultats du logiciel afin d’aider
l’opérateur à identifier les réelles tentatives de désinformation et d’ingérence par l’image.
Cette méthodologie opérationnelle est basée sur la sémiotique de l’image et nous l’avons
élaboré avec Serge Mauger (CNRS) », source :
http://www.exomakina.fr/eXo_maKina/Tungstene.html
7. Source : https://www.franceinter.fr/culture/22-des-images-finalistes-du-world-press-photo-
ont-ete-disqualifiees-pour-retouche
8. Voir l’entrée « synoptique » dans le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFi),
Nancy, CNRS, ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française), UMR
CNRS-Université Nancy 2, URL : http://www.cnrtl.fr/definition/synoptique
9. 6Mois est une revue biannuelle française de photojournalisme créée au printemps 2011
par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry.
10. Source : https://atlantico.fr/article/pepite/iphotojournalisme-nouvelle-mode-
photojournalisme
Questions à Roselyne Ringoot
Professeure en sciences de l’information et de la
communication à l’Université Grenoble Alpes,
Codirectrice de l’École de journalisme de Grenoble

Entretien réalisé par Lucie Alexis

Lucie Alexis — Comment s’est construite votre approche


autour des « genres journalistiques » ?
Roselyne Ringoot — Mon approche des « genres
journalistiques » s’est construite autour de celle du
Réseau d’études sur le journalisme que l’on a constitué
dans les années 2000. À ce moment-là, notre propos était
de créer une articulation entre approches en sémiologie,
analyse de discours et sociologie du journalisme, à une
époque où les travaux sur le journalisme étaient plutôt
cloisonnés. Avec mon co-auteur Jean-Michel Utard, nous
voulions accentuer le cadrage socio-discursif et l’approche
discursive du journalisme car les recherches étaient
davantage orientées en sociologie. Ce travail collaboratif a
donné lieu à une véritable dynamique scientifique durant
quelques années, à des ouvrages et des colloques, une
ébullition dans une logique « études sur le journalisme ».
À cette revendication socio-discursive – qui paraît plus
évidente aujourd’hui – se greffe le discours professionnel.
Notre difficulté et notre motivation étaient que le « genre
journalistique » était également un objet théorisé par les
journalistes. En effet, il y a beaucoup d’écrits de
journalistes sur les « genres journalistiques », appelés
aussi « genres rédactionnels ». Finalement, c’est vraiment
cette articulation entre sociologie des acteurs, analyse de
discours et approche professionnelle qui a nourri notre
approche discursive.

L. A. — Comment définissez-vous la notion de « genre


journalistique » ?
R. R. — Le « genre journalistique » est toujours pris entre
des dimensions de permanence et des dimensions
d’instabilité ou de dynamique. Cette double logique
d’ouverture et de clôture paraît un peu contradictoire, mais
elle traverse tous les objets qui questionnent l’identité.
C’est notamment applicable au journalisme, d’autant que
sa pratique a cette propension à innover, notamment du
point de vue technologique. Dans Analyser le discours de
presse, j’évoque la polarisation du discours de presse
entre deux logiques : d’un côté, les genres dans lesquels
l’information est produite à partir d’observations et
d’entretiens, c’est-à-dire le terrain ; de l’autre, les genres
dans lesquels l’information est produite à partir d’autres
informations, c’est-à-dire lorsque les journalistes ne sont
pas sur le terrain.
Les genres ne sont pas uniquement des formes d’énoncés
mais une combinaison de règles de formation d’énoncés.
C’est le processus qui nous intéresse, ce n’est pas
seulement le résultat énonciatif. Autrement dit, le genre
peut se comparer à une métadonnée et la construction du
sens s’effectue au niveau du lexique, du vocabulaire, des
expressions, mais aussi à un niveau plus « méta », celui
du genre. On peut questionner le verbal bien sûr, mais en
passant par le genre, on capte une dimension qui
renseigne sur l’engendrement des énoncés journalistiques
et sur les cadres d’interprétation. Nous avions défini au
début des années 2000 le « genre journalistique » comme
une « configuration historiquement stabilisée d’une
pratique discursive ». Pour l’appliquer au journalisme,
nous nous étions inspirés de la sociologie, en utilisant la
trilogie structurante entre les journalistes, les sources et le
public.

L. A. — Comment expliquez-vous la stabilisation de


certains genres et le fait que d’autres tombent en
désuétude ?
R. R. — On ne peut parler de genres sans parler de
stabilisation. Par contre, des « formes stabilisées »
peuvent disparaître. Par exemple, Nicolas Kaciaf, qui a
développé une approche sociohistorique du journalisme
politique, évoque la disparition du compte rendu
parlementaire. Pour lui, cette disparition n’est pas
mécaniquement imputable au déclin du Parlement, il faut
aussi prendre en compte les transformations de la presse
et celles du journalisme politique. Les focalisations des
journalistes se sont déplacées, notamment sur les partis.
Les genres principaux et structurants, constitutifs de
l’identité professionnelle des journalistes, restent vivaces
et stables : d’un côté, il y a le reportage, l’enquête et le
portrait, de l’autre, l’éditorial, ou encore, l’approche
neutralisante. Ils sont transformés, actualisés, enrichis
avec les nouveaux supports, ils sont instables de par leur
forme et leur appropriation.
Aujourd’hui, on pourrait parler de « genre empêché ».
L’enquête et le reportage subissent ces dernières
années divers empêchements. Enquêter devient plus
difficile du fait de nouvelles lois, notamment celle qui porte
sur « le secret des affaires » et qui a donné lieu à
l’émergence du collectif « Informer n’est pas un délit ».
Faire du reportage peut devenir compliqué et dangereux
dans certaines situations, comme celles des
manifestations liées aux derniers mouvements sociaux
durant lesquelles des journalistes ont été placés en garde
à vue.
À l’opposé, on pourrait parler de « genre favorisé ».
Actuellement, certains genres d’opinion sont très prisés,
par exemple l’éditorial à la télévision sous diverses formes
privilégiant le commentaire, le point de vue, la conviction
personnelle. Tout le monde peut être capable de donner
son avis, en revanche, tout le monde n’est pas capable
d’aller sur le terrain et de produire de l’information de
première main.

L. A. — Quelles sont les évolutions les plus récentes ?


R. R. — Une chose m’a frappée, très récemment, c’est le
genre interview et en l’occurrence, l’interview « Première
fois » de Marine Le Pen sur France Inter. Elle y est très
souriante, elle parle de son père et de ses chats. Il y a ici
un transfert des codes du marketing ou un style friendly
qui vient des réseaux sociaux. Cette porosité est flagrante
et les questions posées par France Inter ne relèvent pas
de l’interview politique. Et pour finir rapidement, un autre
genre pris dans le relais de l’actualité qui a attiré mon
attention dernièrement, c’est un livre de journaliste (Les
fossoyeurs, qui fait la Une de tous les médias). Le livre de
journaliste peut s’appréhender comme un genre
journalistique à part entière.

L. A. — Quels sont le rôle et la place du numérique dans


l’évolution des genres journalistiques ?
R. R. — Les évolutions les plus récentes sont liées au
numérique avec cette convergence de supports, du son,
de l’image et du texte. De nouvelles formes se sont
démocratisées très vite. Quelque chose se redessine avec
les supports « multimédias » et le journalisme s’en
empare. Quand les blogs sont arrivés, quand les réseaux
sociaux sont arrivés, ils n’étaient pas des outils prévus
pour les journalistes, mais ils·elles s’en sont saisis avec
plus ou moins d’efficacité.
Un genre phare actuel serait la vidéo avec l’incrustation du
texte, de type Brut. C’est une revanche de l’écrit (qu’on lit
comme des sous-titres) et il y a une vraie victoire de la
vidéo dans le journalisme numérique. Quand la presse
quotidienne issue de la culture du « papier » a migré sur
internet, les journaux en ligne se sont mis à produire des
vidéos à tout va. Le podcast aussi monte en flèche depuis
quelques années et il se stabilise. Il est devenu un genre
journalistique très prisé des jeunes qui étudient le
journalisme. Beaucoup sont des podcasts réflexifs sur le
métier de journaliste.

L. A. — Face au foisonnement et à la plasticité des


pratiques et des écritures journalistiques, la notion de
« genre » vous semble-t-elle encore pertinente ?
R. R. — Oui, elle me semble tout à fait pertinente. La
lecture de Foucault a été centrale pour moi pour
questionner les discours. Est-ce qu’il s’agit vraiment de
foisonnement ou est-ce qu’il s’agit d’une forme de
raréfaction occultée par la répétition du même ? Est-ce
que le foisonnement nous a été inspiré par le fait de
redondance dans les médias ? On est de plus en plus
exposé aux médias, mais le terme médias ne rime pas
forcément avec journalisme. Est-ce une vraie
diversification ou est-ce finalement un appauvrissement ?
Le questionnement sur les genres de discours doit rester
d’actualité ou doit être retravaillé. Avec les nouveaux
entrants, les nouvelles plateformes, la catégorisation des
produits culturels a été impactée et s’est démultipliée. Par
exemple, quand Netflix est arrivé, il a fallu qu’il catégorise
les contenus audiovisuels pour orienter son lecteur sur les
genres. Le docu-série en l’occurrence révèle une porosité
narrative entre journalisme et fiction.
Je pense que cela vaut le coup de garder le
questionnement du genre en journalisme. Depuis la
publication du livre Analyser le discours de presse
en 2014, je systématise le genre journalistique dans une
approche autour de l’identité discursive pour être plus
souple dans mon propos, parce que le genre ne peut pas
fonctionner tout seul. Le genre journalistique est touché
par d’autres facteurs déterminants et d’autres identités
discursives, comme l’identité éditoriale, comme les
nouveaux supports. De nouvelles questions se posent
face au renouvellement des genres liés à des objets plus
modernes et actuels.

Bibliographie
• Ringoot R., Utard J.-M. (dir.), Les genres journalistiques. Savoirs
et savoir-faire, Paris, L’Harmattan, 2009.
• Ringoot R., Analyser le discours de presse, Paris, Armand Colin,
2014.
• Ringoot R., Utard J.-M. (dir.), Le journalisme en invention.
Nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Rennes, PUR, 2015
(1re éd., 2005).
PARTIE V
LES NOUVELLES ÉCRITURES
DE L’INFORMATION
Chapitre 1
1 Le journalisme de solutions, une
méthode
pour améliorer les pratiques
journalistiques et le rapport
aux publics

Pauline Amiel

L
e journalisme de solutions a le vent en poupe. Auprès des
lecteurs, des rédactions mais aussi auprès des jeunes
journalistes qui s’interrogent sur leur futur milieu
professionnel. Pourquoi cette pratique a-t-elle autant de succès ? En
quoi consiste le journalisme de solutions ? Cette contribution tente
d’expliquer à la fois les origines, le concept et l’écosystème du
« sojo », mais aussi ses qualités et ses défauts. L’objectif est de
donner les clés pour comprendre les tenants et aboutissants de
cette méthode, pour se faire sa propre opinion, en se focalisant sur
la France.

De sa naissance dans les années 1990


aux États-Unis à son importation en France
Le journalisme de solutions, aussi appelé journalisme
constructif, journalisme d’impact, journalisme positif ou restauratif –
entre autres –, est une catégorie professionnelle, née dans les
années 1990 aux États-Unis. Il incite les journalistes à changer le
traitement traditionnel de l’information, en proposant des solutions
aux problématiques de société évoquées dans leurs productions1.
Cette méthode de travail a été conçue à partir de trois constats
principaux : la défiance grandissante du public envers les médias
d’information et les journalistes ; la désillusion de certains
journalistes insatisfaits de l’évolution du monde médiatique et de
leurs pratiques professionnelles et enfin, la volonté de jouer un rôle
social plus important.
À la fin des années 1980, deux phénomènes ont focalisé
l’attention sur la question de la confiance du public envers les
médias d’information. D’une part, plusieurs événements politico-
médiatiques et des changements structurels du monde médiatique
ont fait évoluer cette relation. À cette époque, en France, le
développement de la télévision individuelle, la libéralisation des
chaînes puis, dans les années 1990, l’émergence et la propagation
de l’information en direct et en continu, ont bousculé les habitudes
des audiences. De plus, à la même époque, plusieurs affaires
ébrèchent la confiance du public qui commence à s’interroger sur les
pratiques des journalistes : entre autres, le traitement médiatique de
l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl (1986), celui du
charnier de Timisoara (1989), la fausse interview de Fidel Castro par
Patrick Poivre d’Arvor (1991), puis les affaires Alègre (2003) et
d’Outreau (2005) ont très fortement marqué les esprits.
D’autre part, c’est à cette même époque que cette confiance
envers les médias devient un véritable sujet d’interrogation : des
experts commencent à la mesurer. Le fameux baromètre Kantar La
Croix a sorti sa première édition en 1987. Face à ce désamour, de
nombreux journalistes s’interrogent sur leurs manières de « faire du
journalisme ». Le contexte économique et les mutations du secteur
des années 1990 bousculent également les rédactions. Les
journalistes ont une responsabilité sociale prépondérante. Selon
Bernard Delforce (1996) : « La fonction sociale essentielle de la
presse, et donc le rôle du journaliste, consiste moins à informer à
propos d’événements que, en dernière instance, à donner du sens
au monde qui nous entoure. » Ce constat, amplifié par les
incessantes interrogations de la profession sur ses contours, ses
fonctions et son identité, est aussi à l’origine d’évolutions des
méthodes de travail des journalistes, dont le « journalisme public »
(Watine, 2003 ; Têtu, 2008) et le journalisme de solutions.
Dans les années 1990, aux États-Unis, plusieurs médias et
journalistes sortent à peu près au même moment des productions
qui s’apparentent à du journalisme de solutions. Gilles Vanderpooten
(2020) évoque la création des magazines Hope dans le Maine et
Yes ! Magazine à côté de Seattle, en 1996. Susan Benesh (1998)
évoque celle de U.S. News & World Report qui proposait une liste de
solutions à des problèmes de société aussi diverses que les mines
antipersonnelles ou encore l’obésité, en 1998. Tina Rosenberg, co-
fondatrice du Solutions Journalism Network, a commencé à
proposer des enquêtes solutions au tout début des années 2000,
pour lutter contre son insatisfaction face au traitement journalistique
classique.
En 2007, le « sojo » commence à s’implanter en France : à la
suite d’une collaboration avec l’association Reporters d’Espoirs, le
quotidien Libération publie, pendant les fêtes de fin d’année, un
supplément spécial « Libé des solutions ». C’est un immense succès
dans les kiosques. En effet, cette publication est fréquemment citée
comme étant la meilleure vente annuelle du quotidien (Amiel, 2020 ;
Vanderpooten, 2020). La réputation du « sojo » commence à
s’installer : voilà un type de journalisme tourné vers des informations
constructives et qui refuse de s’arrêter au simple constat
catastrophiste habituel. De surcroit, il attire les lecteurs. Ainsi le
concept continue de se développer en France et dans le monde,
notamment poussé par des acteurs hors média faisant sa promotion.
En 2016, après une période de mise en péril judiciaire puis de rachat
par ses salariés, Nice-Matin, le quotidien régional du Var et des
Alpes-Maritimes, a lancé une offre en ligne spécifique : « le Nice-
Matin des solutions ». Là aussi, le succès semble immédiat. D’après
Damien Allemand, responsable du digital, tous les chiffres sont au
vert : les abonnements mais aussi le temps de lecture, les
commentaires, la fidélité…2 L’expérience marque fortement le
monde des médias en France.
Le journalisme de solutions continue depuis à faire son chemin,
grâce au travail d’organismes de promotion du concept mais aussi
grâce aux succès de certains projets. Depuis l’omniprésence de la
pandémie de Covid-19 dans les médias d’information en 2020, il
semble intéresser un nombre grandissant de rédactions. Delphine
Ernotte, présidente de France Télévisions, a notamment fait part
en 2020 de sa volonté de développer un journalisme plus constructif
dans le traitement médiatique des rédactions du groupe.

Le concept, les acteurs


Le journalisme de solutions est présenté comme une
proposition pour améliorer les pratiques journalistiques, proposer
une pluralité plus importante de l’information et pour recréer un lien
de confiance avec le public.
Ce concept professionnel est récent dans l’histoire du
journalisme. Ainsi, sa pratique n’est pas encore complètement
instituée. Ses contours, ses modalités sont encore en construction et
c’est pourquoi il est parfois difficile de s’y retrouver entre les
différentes propositions. Un consensus commence à être formé
autour de la définition, selon plusieurs acteurs du secteur. Comme
évoqué plus haut, le journalisme de solutions est une approche qui
encourage les journalistes à changer leur regard sur l’actualité, à ne
plus se concentrer uniquement sur les événements dramatiques
mais à essayer de proposer une information plus constructive, qui
permette au public d’être conscient des enjeux de société tout en
ayant connaissance des propositions pour résoudre ces problèmes.
Cathrine Gyldensted, une journaliste danoise impliquée dans le
développement du journalisme constructif, assure qu’il faut ajouter
une sixième question aux traditionnels 5 W (Qui ? Quoi ? Où ?
Quand ? Comment ?), pour faire du journalisme de solutions : « et
maintenant ? ». Ainsi, le concept encourage les journalistes à ne pas
s’arrêter au constat d’une situation mais à se tourner vers l’avenir,
vers les possibilités de résolutions de la situation présentée comme
problématique.
Dans la même idée, le Constructive institute, un autre
organisme de sa promotion, assure que si l’objectif du journalisme
d’investigation est de blâmer les mauvaises pratiques, celui du
journalisme de solutions est d’inspirer le public. Pour les membres
de cet institut, il s’agit de faire du « journalisme à deux yeux, du
reportage équilibré à la fois sur le bon et sur le mauvais dans la
société. » Leur objectif est bien de repenser les pratiques
journalistes, considérées comme biaisées, car trop orientées sur les
événements négatifs de l’actualité et une vision pessimiste du
monde.
Le Solutions Journalism Network, une autre ONG internationale
de développement du journalisme de solutions, propose plusieurs
critères pour reconnaître une production « solutions » d’une autre :
■ Respect des règles fondamentales du journalisme (réponse
aux « 5 W », présentation d’une information documentée,
sources recoupées et contradictoires, etc.).
■ Présentation d’une solution, c’est-à-dire une initiative pensée
et mise en place par certains acteurs pour participer à la
résolution d’un problème de société.
■ Explication de la mise en place de cette solution, qui doit être
reproductible. Le « sojo » a pour objectif d’être inspirant,
d’avoir un effet et les solutions présentées doivent pouvoir
être implantées dans d’autres territoires.
■ Évaluation de cette solution : est-ce qu’elle fonctionne ? Pour
qui ? Selon quels critères ? Quelles sont ses limites ?
Le journalisme de solutions se calque sur les méthodes
traditionnelles de recueil et de présentation de l’information, mais
aussi sur les techniques d’enquête de l’investigation. Pour ses
défenseurs, le journalisme de solutions doit être irréprochable mais
aussi apporter une information innovante, pour lutter notamment
contre l’uniformisation de l’information de type « breaking news ».
Les formations au « sojo » se développent et plusieurs propositions,
notamment des MOOC et webinaires en ligne permettent de mieux
comprendre les techniques. Il commence également à prospérer
dans les écoles de journalisme.
L’attrait pour le journalisme de solutions et sa prise d’importance
dans les rédactions sont notamment dus à la présence d’institutions
hors médias qui le développent. Ces ONG, entreprises ou
associations sont cruciales dans le panorama actuel du « sojo ». Ce
sont notamment grâce au Solutions Journalism Network, à
Reporters d’espoirs ou encore au Constructive institute que la
pratique se propage. En 2021, la plupart des médias proposent ou
ont proposé soit ponctuellement, soit dans une rubrique permanente
du journalisme de solutions. Progressivement, la pratique devient
une spécialité reconnue puisque des médias s’en revendiquent,
certains journalistes se spécialisent dans ces techniques.

Un concept critiqué
Le journalisme de solutions attire autant qu’il déplaît : ses
détracteurs semblent presqu’aussi nombreux que ses promoteurs…
Et pour cause : en tant que concept en cours d’institution, ses
contours ne sont pas encore déterminés et certains acteurs utilisent
le terme pour des usages loin d’être irréprochables, du point de vue
de la déontologie journalistique traditionnelle.
Trois types de critiques reviennent fréquemment : « le
journalisme de solutions est trop positif, trop “bisounours” » ; « c’est
un journalisme de promotion » ; « c’est du journalisme militant ».
Premièrement, le « sojo » est souvent taxé d’être béatement
positif, voire de vouloir masquer les aspects sombres de la réalité.
Traditionnellement, le public attend du journalisme qu’il « porte la
plume dans la plaie », selon la formule d’Albert Londres. La
proposition du journalisme de solutions se différencie, car elle
engage les journalistes à repenser leurs principes. Ainsi, la
hiérarchie de l’information traditionnelle ne serait plus le critère
majeur pour déterminer un sujet et le traiter mais bel est bien la
nouveauté et l’aspect constructif de l’information. En choisissant
volontairement de mettre en avant des initiatives, des solutions ou
des propositions qui fonctionnent en réponse à un problème de
société, le journalisme de solutions bouleverse cette hiérarchie
traditionnelle.
Pourtant, les partisans refusent cette critique : pour Christian de
Boisredon, fondateur de Sparknews et cofondateur de Reporters
d’Espoirs, cité dans le livre blanc de Kaizen, « le rôle du journalisme
n’est pas d’être positif. Son rôle est de relater le monde tel qu’il est
et non d’avoir un angle positif. En plus, dans l’inconscient des
journalistes, le positif est associé à du bisounours, à des choses très
superficielles et gentillettes, où l’on voudrait cacher les problèmes et
la réalité du monde pour dépeindre la vie en rose. Ce n’est pas du
tout notre philosophie ni celle de nos confrères ».
Deuxièmement, il peut être perçu comme un détournement des
idéaux journalistiques traditionnels. Du fait de son principe d’essayer
d’être constructif dans son approche de l’actualité, le « sojo » prend
le risque d’être assimilé à des discours de promotion ou de
communication pour valoriser l’initiative ou la personne porteuse de
projet. Effectivement, si l’on adopte ce point de vue, les articles
estampillés « solutions » ne proposant qu’un projet en réponse à un
problème s’avèrent nombreux et s’apparentent alors à une
publication complaisante. Ce reproche peut également s’appliquer à
de nombreuses productions journalistiques traditionnelles. Pour Nina
Fasciaux, référente Europe du Solutions Journalism Network, ce
type d’article ne correspond pas aux critères du journalisme de
solutions : « Il n’y a pas de bonne solution, mais des solutions au
pluriel. Le journaliste propose une analyse et n’a pas à la
défendre. » Ainsi, les différentes organisations qui essayent de
mettre en avant la pratique ont établi des règles et des garde-fous
pour éviter une dérive vers la promotion, la communication ou le
« greenwashing ».
De plus, du fait du statut de certains de ses protagonistes, le
journalisme de solutions peut paraitre être un prétexte à la
communication d’entreprises partenaires (Amiel, 2020). Arrangeant
plusieurs partis, il peut même s’apparenter à un cheval de Troie du
marketing dans certaines rédactions, aidant à faire accepter des
pratiques qui semblaient auparavant inacceptables aux journalistes
(Amiel, Powers, 2019).
Pour terminer, il est parfois assimilé à du journalisme militant.
En effet, en France, les questions environnementales et de
développement durable sont souvent traitées par le prisme du
journalisme de solutions. Les journalistes s’intéressant à ces
questions essayent de diversifier leurs approches pour moins
décourager le public sur ces questions. Le « sojo » apparaît alors
comme une perspective intéressante. Il est d’ailleurs relativement
aisé de trouver des sujets « solutions » autour de ces thématiques.
Également, certains médias se revendiquant de ce concept sont
proches des acteurs de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Cette
proximité et la revendication d’un journalisme engagé pour améliorer
le monde de demain peuvent prêter à confusion quant aux
fondements du journalisme de solutions. Pour Éric Dupin (2014) :
« Le journalisme de solutions, c’est un journalisme de parti pris, et
ce parti pris est le contraire du journalisme traditionnel. » Il faut
rappeler que ces débats ne sont pas propres à ce type de
journalisme. En effet, le journalisme économique, environnemental
ou encore la presse féminine peuvent affronter des critiques
similaires.
Une solution à la crise des médias ?
Mis à part ces reproches, qui sont à prendre en compte pour
expliquer le phénomène médiatique, le journalisme de solutions est
aussi encensé par certains de ses protagonistes. Il est parfois même
présenté comme une solution à la crise que traversent actuellement
les médias.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement. En
premier lieu, il semble attirer le public. Face au constat du désintérêt
critique grandissant pour les médias traditionnels et à la diminution
du nombre de lecteurs prêts à payer pour les journaux papier depuis
plusieurs décennies, le journalisme de solutions apparaît comme
capable de renouer avec ce public. En effet, depuis 2014, plusieurs
études, réalisées le plus souvent aux États-Unis par des organismes
promoteurs du « sojo » (Curry, Hammonds, 2014 notamment)
mettent en avant l’attrait du public pour ce concept. Une des
conclusions du rapport précise que les lecteurs d’articles de ce
journalisme expriment leur désir de s’engager activement dans la
mise en place d’une solution au problème, mais aussi de donner de
l’argent à une organisation travaillant sur ce problème. Dans tous les
cas, les lecteurs semblent déceler une différence dans le traitement
de l’information et l’apprécient.
De plus, plusieurs médias ayant mis en place du journalisme de
solutions dans leurs pratiques décrivent ses avantages en termes de
fidélité et d’intérêt du public. Les exemples déjà cités du « Libé des
solutions » et du « Nice-Matin des solutions » représentent bien le
phénomène : d’après Damien Allemand, « si on ne peut pas nier que
les faits divers sordides intéressent les lecteurs, les “solutions” sont
de plus en plus prisées et ne sont pas un frein à la construction d’un
modèle économique d’un média. » Il évoque une augmentation de
plus de 600 % du nombre d’abonnés en 3 ans et « un taux de
conversion en abonnement supérieur à n’importe quelle autre
verticale », entre autres.
La méthode semble donc bénéfique pour les médias en quête
d’un public, pour les journalistes qui retrouvent foi en leur profession
mais aussi pour le public lui-même. En effet, partant du constat que
le traitement négatif de l’information a des effets dans la société et
renforce le biais négatif de perception du monde, le journalisme de
solutions tend à mettre en avant une autre perspective. Ce
changement de prisme renvoie vers la psychologie positive prônée
par Cathrine Gyldensted. Selon Sparknews, un des lobbyistes
français du journalisme de solutions : « Pour changer le monde,
commençons par le raconter autrement, et valorisons les initiatives à
impact positif pour restaurer la confiance et redonner l’envie d’agir. »
Le journalisme de solutions permettrait donc aux journalistes de
retrouver un rôle social plus important mais aussi d’être constructifs.
Le journalisme de solutions est un concept professionnel
complexe et passionnant. Complexe car il encourage à repenser
toutes les pratiques classiques du journalisme et à proposer une
autre vision du monde que celle qui se forge depuis des décennies.
Complexe aussi parce qu’une multitude d’acteurs très différents se
sont greffés derrière ce terme et proposent des pratiques variées.
Passionnant car il permet d’étudier les mutations en cours de la
profession de journaliste et du monde des médias. Il permet aussi
aux journalistes de réfléchir à leur place dans la société et à leurs
relations au public. Passionnant également car en perpétuelle
évolution, faisant son chemin mais restant tout de même, en 2021,
une pratique infime face à la quantité d’informations journalistiques
produites chaque jour.

Bibliographie
• Amiel P., Le journalisme de solutions, Grenoble, PUG, 2020.
• Amiel P., Powers M., « A Trojan Horse for marketing? Solutions
journalism in the French regional press », European Journal of
Communication, 35, 2019.
• Benesh S., « The Rise of Solutions Journalism », Columbia
Journalism Review, 36, 6, 1998, p. 36-39.
• Curry A. L., Hammonds, K. H., The Power of Solutions
Journalism, Engaging News Project, Austin, Austin University,
2014.
• Delforce B., « La responsabilité sociale des journalistes : donner
du sens », Les Cahiers du journalisme, n° 2, École supérieure
de journalisme de Lille, décembre 1996, p. 16-33.
• Dupin E., Les Défricheurs. Voyage dans la France qui innove
vraiment, Paris, La Découverte, 2014.
• Novel A.-S., Les médias, le monde et nous, Arles, Actes Sud,
2019.
• Têtu J.-F., « Du “public journalism” au “journalisme citoyen” »,
Questions de communication, 13, 2008, p. 71-88.
• Vanderpooten G., Imaginer le monde de demain. Le rôle positif
des médias, Arles, Actes Sud, 2020.
• Watine T., « Le modèle du “Journalisme public” », Hermès, La
Revue, 1, 35, 2003, p. 231-239.

1. Le concept sera détaillé dans la suite de la contribution.


2. Pour plus de détails, consultez le blog Medium de Damien Allemand :
https://medium.com/@damienallemand.
Chapitre 2
2 Le journalisme participatif :
genèse et évolutions récentes

Jérémie Nicey

I
l y a un peu plus d’une dizaine d’années, entre le milieu des
années 2000 et le début des années 2010, le journalisme
participatif était porté aux nues autant qu’il était discuté au sein
de la profession. Tiré du terme anglais « participatory journalism », le
concept était né quelques années auparavant en constatant et en
mettant en avant la possibilité, grâce aux technologies numériques,
d’inclusion plus grande des publics dans le processus de production,
de diffusion et de dissémination des nouvelles, pour ne plus les
limiter à leur seule position de récepteurs (Bowman et Willis, 2003).
Dans ce chapitre, nous allons examiner les origines et le
contexte de son émergence, mais aussi les formes qu’il a prises et
les enjeux qu’il a soulevés. En ligne de mire, nous chercherons à
estimer sa place actuelle : qu’en est-il en ce début des
années 2020 ? Après la popularisation et la vogue du journalisme
participatif, nous ambitionnons ainsi d’en retracer les évolutions et
d’en dessiner, aujourd’hui, les perspectives.

Interpeller, débattre et témoigner :


aux origines de la participation des publics
Il est commun d’associer la participation des publics à
l’émergence du numérique. Les médias n’ont pourtant en réalité pas
attendu ce tournant technologique, certes majeur, pour inclure leurs
usagers. Du côté des médias traditionnels, on note, en premier lieu,
l’existence du courrier des lecteurs : sollicité dès le XVIIe siècle mais
restant lettre morte jusqu’à sa véritable émergence durant les
années 1750 (Reynaud, 2014), ce format s’étend ensuite, mais en
mélangeant ouverture réelle et encadrement (Hubé, 2008). Plus
tard, au XIXe siècle, la presse quotidienne régionale trouve, elle, dans
certains des membres de son lectorat une ressource essentielle,
cette fois contractualisée : les correspondants locaux de presse
(abrégés « CLP », dans le métier), dont le caractère productif a été
et reste véritable par l’alimentation de contenus d’hyper-proximité
(dans les « Pages locales ») – ces contenus étant en l’occurrence
aussi bien textuels que photographiques, balançant entre
amateurisme et rigueur professionnelle (Bousquet, 2018 ; Thierry,
2010).
Au XXe siècle cette fois, et sur un autre support – celui de la
vidéo – les premières traces d’appropriation par les professionnels
des médias d’un matériau profane sont constatées, notamment à
l’occasion d’un événement majeur : l’assassinat de Kennedy,
en 1963, à travers les images du vidéaste amateur Abraham
Zapruder. Des images de qualité, et surtout permettant d’observer ce
que des entités professionnelles elles-mêmes n’ont pu capter,
intéresseront dès lors les rédactions du monde entier, plus encore à
l’occasion d’événements extraordinaires – par exemple, bien des
années plus tard, fin 2004, lors du tsunami en Asie du Sud-Est
(Nicey, 2008). Dans les années 1970, la place accordée aux publics
fait même florès à travers le média radio (Deleu, 2006) – en
particulier les radios libres. En dédiant des espaces croissants de
leur antenne à la parole de leurs auditeurs, elles contribuent
d’ailleurs à l’essor des radios communautaires, plus encore locales.
Dans la continuité, les télévisions intègrent les avis et réflexions de
leurs publics, notamment via les courriers ou mails adressés au
médiateur de la rédaction (Aubert, 2009a ; Goulet, 2004 ; Noyer,
2009 ; Romeyer, 2010), conduisant dans les années 1990 et 2000 à
des émissions sur France Télévisions (en particulier L’Hebdo du
médiateur sur France 2 le samedi en début d’après-midi, entre 1998
et 2008, puis Votre télé & Vous sur France 3 tard le soir), dont
l’approche était explicitement de faire état de telles opinions et
critiques adressées à la rédaction, pour tenter d’y répondre.
Les initiatives précédentes avaient habitué les publics des
médias traditionnels à participer – ou à tenter de le faire. Mais
reconnaissons que ce sont les premières potentialités du numérique
grand public, dans les années 2000, qui ont constitué un
accélérateur de ce phénomène. Premier signe : les blogs (raccourci
du terme « web log », c’est-à-dire « journal sur le web », souvent
constitué de contenus personnels). En la matière, OhMyNews, né en
Corée du Sud en 2000, est considéré comme le pionnier, avec trois
particularités :
■ Son slogan « Chaque citoyen est un journaliste » souligne à la
fois la dimension participative et la perte d’expertise des
journalistes eux-mêmes (la pratique professionnelle et la
formation étant ainsi remises en cause : Le Cam, 2006 ;
Touboul, 2006 ; Tavernier, 2012).
■ Ce faisant, les contributions sont bénévoles et n’impliquent
pas une compétence intellectuelle ou une fonction spécifique
en société pour pouvoir proposer des contenus et des
réflexions, nécessairement subjectives, sur l’actualité.
■ Les contributeurs, d’abord de l’ordre de quelques centaines,
montent rapidement à plus de 50 000 sur ce blog, posant
évidemment la question de leur rigueur et de la qualité des
sources qu’ils utilisent pour leurs productions.
Dans cette phase, on parle aussi d’« auto-publication », avant
bientôt de voir émerger le terme de « web 2.0 » (Rebillard, 2007),
signifiant que le message médiatique n’est plus seulement
descendant et unidirectionnel, qu’il n’est plus l’apanage des
rédactions établies (comme l’est le modèle 1.0), et que les usagers
ne sont plus seulement spectateurs mais qu’ils peuvent devenir
acteurs, en s’emparant du canal pour faire remonter et transmettre
des contenus à leur tour1. En France, le web dit « indépendant »,
s’intensifie à cette même période, à l’image du site Rezo.net (le
« portail des copains », né en 1999 et qui reprend les principes de
son ancêtre uZine, en promouvant une presse alternative et en
n’éditant que peu de contenus mais en recommandant des liens, via
la souplesse de son logiciel open source, SPIP : Trédan, 2007 : 116-
117) ou encore du site Agoravox (Aubert, 2009b).
Les blogs se veulent donc, à leurs débuts, complémentaires à
l’offre du journalisme habituel. La convergence avec ce dernier vient
pourtant rapidement (une fois le haut débit arrivé en France, à partir
de 2004) avec l’apparition de sites participatifs sous encadrement
professionnel, particulièrement entre 2006 et 2008, tels que le Bondy
Blog, Le Post, Rue89 ou Mediapart, pour les plus illustres. Durant
cette phase, plusieurs questions émergent : par exemple celle d’une
professionnalisation des contributions ; plus encore, celle du statut
des contributeurs, conduisant au débat sur une prétendue ère du
« tous journalistes » (ou du moins de sa dimension mythifiée via les
avancées technologiques : Mathien, 2010), expression avec laquelle
entre en résonance celle de « journalisme citoyen » (Tétu, 2008) –
en anglais on utilise aussi les termes « public journalism » (NB : à
distinguer des rédactions de service public) ou « grassroots
journalism » (journalisme populaire/journalisme reposant sur la
base). À l’origine de ce courant de pensée – affirmant la capacité
d’appropriation de la production médiatique par les publics – on
trouve plusieurs figures emblématiques, comme Dan Gillmor,
créateur de Bayosphere et défenseur dans son essai We The Media
d’un « journalisme par le peuple pour le peuple » (Gillmor, 2004),
mais aussi Joël de Rosnay (fondateur d’Agoravox, cf. supra) et Carlo
Revelli, dont le manifeste commun (2006) invite en France à voir
comment les blogs et leurs sujets neufs bousculent les médias
mainstream. De fait, les blogs d’abonnés vont également se
multiplier sur les sites des médias eux-mêmes, dans l’espoir de
(re)conquérir des fidèles. Mais cette vogue ne dure pourtant que
quelques années : le « mouvement s’essouffle » à la fois parce qu’il
n’est pas complètement démocratique (l’opportunité de création de
contenus informationnels étant saisie par une minorité élitiste) et
parce qu’un projet éditorial est difficile sans encadrement
professionnel et sans modèle d’affaires (Pignard-Cheynel, 2018).
Ainsi les blogs d’abonnés des médias n’ont, de nos jours, « plus la
cote » (Bresson, 2019). A contrario, le modèle de Mediapart a, lui,
perduré, précisément parce que sa promesse éditoriale
(littéralement le « média de participation ») est en réalité limitée et
« négociée » (Canu et Datchary, 2010).
Il n’en reste pas moins que cette décennie a installé une
« culture participative » (Deuze, 2006 ; Jenkins et al., 2015 ; Heïd,
2016), avec ses propres codes et une visée au bénéfice des
publics : celle d’« empowerment », c’est-à-dire d’encapacitation ou
de démarginalisation2. D’ailleurs, on en observe l’influence sur les
médias traditionnels.

Commenter, produire et collaborer :


les incitations et intérêts des médias pour
les contenus non professionnels au cours
des années 2000
Durant les années 2000, les médias professionnels installés,
nous l’avons vu, se sont d’abord montrés observateurs, avant
d’allouer quelques espaces plus ou moins autonomes à leurs
publics, notamment sous la poussée du modèle des blogs. Or, cette
tendance s’est ensuite intensifiée et diversifiée : nous allons voir ici
sous quelles formes et sous quels formats.
En dehors du format blogs, déjà exploré, les rédactions
journalistiques ont accepté d’accoler à leurs propres contenus ceux
de leurs lecteurs (le plus souvent leurs abonnés), d’abord avec le
format des commentaires en ligne. Ceux-ci sont accueillis, et
progressivement suscités voire promus, dans trois types d’espaces :
dans la majorité des cas sous les articles du site web du média, et
après modération par des membres de la rédaction (Degand et
Simonson, 2011 ; Smyrnaios et Marty, 2017 ; Cafiero et al., 2020) ;
mais aussi, pour la télévision, au sein même des émissions, par
exemple en invitant des téléspectateurs ordinaires à interroger des
candidats lors des campagnes électorales (Lefébure, 2017) ; ou
encore sur les comptes des médias tenus sur les réseaux sociaux
numériques (cf. infra), plus encore pour les médias audiovisuels au
moment de la diffusion (dite linéaire) de leurs programmes (Atifi et
Marcoccia, 2017 ; Ségur, 2021). Dans ce dernier cas (parfois
nommée « social TV » ou logique du second écran) comme dans les
autres, notons que cela a donné lieu à l’embauche de personnels
dédiés (les community managers), preuve d’un investissement des
entreprises médiatiques dans le phénomène, mais que la gestion
complexe des réactions – en particulier face à la véhémence du
contenu ou de la tonalité d’une bonne partie d’entre elles – a aussi et
surtout conduit en grande partie à un « désenchantement » de la
profession vis-à-vis des commentaires en ligne (Pignard-Cheynel,
2018 ; Badouard, 2017), à des désaccords entre rédacteurs en chef
et progressivement à un désengagement certain (Deaven et al.,
2021), autant qu’à des déceptions constatées chez les participants
eux-mêmes.
Pour autant, l’intérêt naissant des médias pour les réseaux
sociaux a engendré une autre position attendue pour leurs publics :
celle de participation sous la forme de partages des contenus
(Mercier et Pignard-Cheynel, 2018), autrement dit une fonction
précieuse de relais et de dissémination par les lecteurs, dans leurs
propres sphères et communautés en ligne, qu’elles soient amicales,
familiales, professionnelles ou hybrides – les rédactions concernées
espérant là non seulement une adhésion mais aussi une caisse de
résonance, voire une sorte de co-construction de leur réputation.
Rappelons que successivement YouTube (né en 2005 et racheté
en 2006 par le géant Google), Facebook (né fin 2004 puis ouvert en
version française en 2008) et Twitter (né en 2006 mais dont
l’utilisation en France s’est en réalité accélérée à partir de l’affaire
Strauss-Kahn en 2011), ont constitué un terrain favorable à
l’expression profane spontanée et intuitive en ligne autant qu’à son
mélange avec les productions professionnelles (Burgess et Green,
2018). Cette première phase des réseaux sociaux, tout en soulevant
plusieurs limites, s’est même révélée enthousiasmante (Cardon,
2010).
De fait, partant initialement d’une idée d’ouverture, comme nous
l’avons vu, un glissement s’est ensuite opéré à la fin des
années 2000 vers une injonction à la participation – constatée, hors
du secteur médiatique mais de façon similaire et durant la même
période, dans le champ social et dans le champ politique3. Ce
contexte de participation stimulée et exacerbée s’explique aussi par
l’intérêt manifesté par certains journalistes – d’abord pionniers puis
élargis dans leur nombre et leur fréquence – vis-à-vis des
plateformes numériques pour trouver des sources et des ressources
utiles à leurs productions : on parle ici, dans le vocable anglophone,
de « crowdsourcing »4 (Howe et Robinson, 2006). Se sont ainsi
développées à cette période les pratiques journalistiques – voire les
réflexes – d’utilisation des réseaux numériques pour obtenir des
témoignages lors d’accidents ou d’événements (culturels, politiques,
sportifs, etc.) : initialement éléments discursifs, ces « témoignages
citoyens » (Allan et Hintz, 2019 ; Allan, 2013) se sont ensuite
enrichis de photos et de vidéos (Schmitt, 2012 ; Aubert et Nicey,
2015). Or, ces contenus visuels et audiovisuels ont rapidement
présenté un double intérêt pour les médias : celui de leur réactivité
et celui, indéniable, de leur absence de coût (Allan, 2017),
conduisant d’une certaine manière à leur « exploitation » qui a pu
interroger (Petersen, 2008).
De ces appropriations sont nés plusieurs enjeux. D’abord celui
de la vérification, à plusieurs niveaux, en particulier celle de l’identité
de l’auteur des images (idéalement en le contactant directement, par
exemple par téléphone) et celle des contenus proposés (Nicey,
2012) : vérification des métadonnées du fichier de ces images
(notamment pour connaître l’appareil utilisé, les informations
horaires et autres, et pour cerner d’éventuelles modifications :
recadrages, trucages, ajouts, etc.) ; vérification de la cohérence des
lieux (localisation, architecture, etc.) et surtout du contexte (par
exemple des habitudes culturelles, notamment vestimentaires, ou
encore de la météo attestée au moment de l’événement, etc. – le
tout en croisant avec les données de sites spécialisés en ligne qui
recensent de telles précisions pour d’autres raisons, souvent
servicielles) ; vérification qu’il s’agit bien d’une image originale
n’ayant pas d’antériorité en ligne (démarche via les moteurs de
recherche inversée d’images, qu’il s’agisse de Google, de Yandex,
de TinEye ou de ceux développés par l’Agence France-Presse :
InVid puis WeVerify). Un autre enjeu a résidé dans l’instauration de
relations privilégiées, moyennant finance, avec certains membres de
ces publics actifs, produisant avec sérieux et régularité de tels
contenus. C’est ici plus particulièrement que prend sens un autre
terme, celui de « journalisme collaboratif » (Bouquillion et Matthews,
2010). Certes permise par le contexte et par les avancées
technologiques, cette étape (la plus poussée du journalisme
participatif) a vu des médias initier des partenariats pour la fourniture
d’images – photos ou vidéos – par des non-professionnels. Ces
derniers n’ont pas été considérés comme des purs amateurs (ce
qu’ils n’ont jamais été, doit-on le rappeler) mais comme des « pro-
am » c’est-à-dire des « professionnels-amateurs » (Bruns5, 2005 et
2011) ou « semi-professionnels » (Nicey, 2016) en raison des
rémunérations qu’ils ont touchées à cette occasion. Ceux-ci ont
constitué, en étant présents sur des terrains multiples et avec des
angles variés, une ressource pour les médias face à leur propre
impossibilité d’ubiquité. Sur ce créneau économique et éditorial
spécifique des « contenus générés par l’utilisateur » (ou « UGC » :
« user generated content »), un mouvement a même semblé se
former, incarné particulièrement en France par le site Citizenside
(Nicey, 2013). Il fut lancé en 2006 et soutenu dès l’année suivante
par l’Agence France-Presse qui intégra ses images (le plus souvent
de manifestations, de meetings politiques, de culture, de sport ou de
faits divers) à sa banque de contenus mise à disposition de ses
nombreux et prestigieux clients. Cette plateforme de collecte de
contenus citoyens sur l’actualité, qui travaillait aussi avec plusieurs
médias pour leurs appels à témoignages visuels (BFMTV, Le
Parisien, 20Minutes, etc.), n’a toutefois pas réussi à se pérenniser.
Rachetée en 2013 par la société naissante australienne Newzulu,
elle est devenue Crowdspark en 2017 avant d’être mise en
liquidation en 2018.
On le comprend, l’intégration complète par les médias de
publics participatifs n’a donc pas perduré, après quelques tentatives
et espoirs pourtant prometteurs, laissant l’idéal d’horizontalité
inachevé voire inexistant (Barbe, 2014 ; Karlsson et al., 2015).
Soulignons qu’il s’agissait bien d’un mécanisme idéalisé et exagéré,
d’une part car la proportion d’usagers proposant des contenus
semble avoir tourné autour de 6 % seulement (Singer et al., 2011),
d’autre part car ces contenus, très encadrés et guidés par les
rédactions elles-mêmes (Thurman, 2008 ; Lewis, 2012), ont conduit
les non-professionnels les plus actifs à imiter les formes du
journalisme traditionnel.
Il n’en reste pas moins que les publics ont pu, dans cette phase,
intéresser les médias pour leurs capacités de création et de
contribution, strates plus stratégiques que celles initiales de
commentaire ou de recommandation (Rebillard, 2011). C’est dans ce
même élan qu’ont fleuri plusieurs autres initiatives. Sans
exhaustivité, mentionnons par exemple : les numéros spéciaux de
journaux avec des membres abonnés invités à déterminer les
orientations de sujets en conférence de rédaction (plus encore pour
la presse de proximité : Le Parisien, etc.) ; la co-rédaction de
nécrologies (Marcoccia, 2018) ; les contributions de « publics
experts » dans la presse spécialisée en sciences (Bassoni, 2015) ;
les nouvelles participations du public de radio (notamment à RFI) à
travers des « figures intermédiaires » lors de sa transition numérique
(Ricaud et Smati, 2017). Double revers de la médaille : d’une part,
l’incitation/injonction à participer à la production journalistique a en
partie conduit certains publics à le faire de façon autonome, sans
collaborer, dans un contexte de méfiance/défiance vis-à-vis des
médias établis (dits mainstream) ; d’autre part, la parole des publics,
ainsi libérée, s’est affranchie de l’écho que lui offrait initialement sa
reprise par ces mêmes médias… en ne prenant plus la tournure
d’analyses, de témoignages ou de créations sur l’actualité, mais en
étant centrée sur l’opinion, avec ses dérives et ses radicalités.

Interpeller de nouveau, via le fact-checking


et le debunking, à la fin des années 2010 :
le retour de la participation ?
Alors même qu’elles ont semblé tomber en désuétude au milieu
des années 2010, les promesses du journalisme participatif et, ce
faisant, l’incitation par les médias à la participation de leurs usagers
ont été réactivées, en grande partie depuis 2017, par des unités à la
nature bien particulière au sein des entreprises journalistiques : les
cellules ou rubriques journalistiques de fact-checking. Ces unités,
dont les productions sont dédiées à la vérification de l’information
étaient, à leur apparition dans les années 2000, centrées sur la
parole des personnalités, en particulier politiques, dans l’espace
public (Bigot, 2019) ; elles intègrent désormais les interrogations des
publics. Si, depuis leurs débuts, les fact-checkers s’appuient, parmi
leurs sources multiples (images, bases de données, archives, etc.),
sur des documents parfois produits ou fournis par les publics
(notamment via les réseaux sociaux, que cela soit spontané ou
fasse l’objet d’appels à contribution par les médias, cf. supra), un
tournant s’est ainsi en réalité produit en 2017 : celui d’une
conversion vers le « debunking », ou « démystification de rumeurs »
(Nicey et Bigot, 2020). Cela signifie deux transformations. Non
seulement la priorité n’est plus donnée à la contradiction de la parole
politique mais à la chasse aux rumeurs sur les réseaux sociaux (sur
Facebook en particulier, partenaire et soutien financier de la
démarche). Seconde mutation, qui constitue, à bien y regarder, son
corollaire : en focalisant son attention sur les avis profanes douteux,
voire manifestement faux, circulant en ligne, les unités de fact-
checking ont renversé à la fois la façon de traiter la viralité mais
aussi la façon dont les médias jugent l’expression des publics – vue
comme peu fiable, le plus souvent.
Toutefois, et cela n’est pas le moindre des paradoxes, une place
caractéristique a, à cette occasion, été attribuée aux publics : celle
de repérer lesdits contenus douteux lors de leurs navigations en
ligne et, à leur guise, de questionner le service de fact-checking pour
qu’il les vérifie. C’est précisément le glissement qu’a opéré le journal
et site web Libération lors de cette même année 2017 : après s’être
testée durant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, en mai,
avec la collecte de questions de ses lecteurs à propos de rumeurs
en ligne, son unité de fact-checking « Désintox » est devenue
quelques mois plus tard, à la sortie de l’été, « CheckNews », avec la
justification publique suivante :
[…] Nous avons décidé de modifier notre manière de
travailler en septembre 2017, en créant CheckNews,
premier service de “factchecking à la demande”.
Désormais, ce sont les lecteurs qui ont pris les commandes
éditoriales, en posant des questions, via la plateforme
Checknews.fr, auxquelles l’équipe répond. […] Vos
questions, plus nombreuses chaque jour depuis le
lancement de la plateforme, témoignent d’un besoin de
vérification et d’information rigoureuse, alors que les
réseaux sociaux charrient toujours davantage d’intox et que
le débat politique, plus polarisé que jamais, exige parfois un
arbitrage neutre pour s’y retrouver. Mais elles témoignent
aussi du besoin d’être entendu. Les médias ont perdu une
part de la confiance des citoyens. […] Voilà une des raisons
de la transformation de Désintox en CheckNews : donner
aux internautes le choix du sujet, est un moyen de répondre
à cette défiance. Nous vérifions ce que vous nous
demandez de vérifier. Le site CheckNews est le vôtre. Le
site CheckNews est à tout le monde6.
Une part des articles de debunking produits par Libération
trouve donc son origine dans les sollicitations et idées de sa
communauté (les abonnés prioritairement mais non exclusivement).
Cela se formalise même dans le début des articles (« Question
posée par [prénom] le [date] » ; « Bonjour, vous nous avez demandé
si…/vous nous avez posé cette question… »), accroches censées
manifester cette implication des usagers. Si nouvelle paraisse-t-elle,
cette démarche soulève toutefois deux aspects. D’une part, nous
avons affaire, en quelque sorte, à un « nouveau courrier des
lecteurs » (Nicey, 2020). D’autre part, cette initiative d’intégration des
questions des publics n’est en réalité pas complètement autonome :
elle fait en effet partie des critères pour se voir attribuer le label de
l’International Fact-Checking Network (IFCN) qui distingue, à
l’échelle mondiale, les unités sérieuses de vérification journalistique
de celles produisant un travail plus hasardeux (Nicey et Bigot, 2020).
Cela étant, faire des questions de son lectorat le cœur de son
activité de vérification constitue la marque de fabrique de
« CheckNews » (d’où son slogan « Le moteur de recherche
humain »).
Peut-on pour autant considérer qu’il s’agit là d’un fact-checking
participatif ? L’appellation semble présenter ses limites : si dans ce
modèle, il est vrai que les publics, en amont de la production,
assurent certes une veille sur les sujets (autrement dit, une fonction
d’alerte), et que leurs questions sont authentiques et peu
retravaillées (a minima et pour des impératifs de formats, de même
que l’étaient les contenus textuels ou visuels prônés par le
« journalisme citoyen »), les sélections restent bien celles des
journalistes, et ce sont surtout eux qui effectuent à la fois les
vérifications d’information et les articles qui en sont issus.
L’élaboration n’est donc pas intégralement collaborative mais plutôt
contributive, ce qui tendrait à réveiller le soupçon de « populisme »
parfois attribué, à la fin des années 2000, à l’exagération de co-
construction des contenus (Pelissier et Chaudy 2009). Toutefois, il
conviendra de surveiller, dans les années à venir, une éventuelle
accentuation de ce modèle collaboratif, puisque des tentatives en
amorcent la tendance ; c’est le cas, par exemple, de Kubiq News, ou
encore du site CaptainFact, qui centre ses vérifications sur les
contenus des vidéos YouTube en faisant appel à la délibération
collective.
Faire contribuer les publics à une double démarche de doute
sur l’information et de vérification présente enfin d’autres mérites.
D’abord, cela peut se révéler stratégique symboliquement et
économiquement, en renforçant la communauté de lecteurs et sa
confiance dans le média : promouvoir la participation procède en
effet du caractère marketing des entreprises de presse, comme a pu
être démontré en ce sens le rôle des community managers de ces
mêmes entreprises (Pignard et Amigo, 2019). Ensuite, en affirmant
la fiabilité de leurs informations et leur expertise de fact-checking, les
rédactions concernées cherchent à se positionner comme des
références en la matière. On observera ainsi que leurs journalistes
spécialisés versent même parfois dans une dimension performative :
en enjoignant leurs lecteurs, plus encore les jeunes, à prendre part à
la vérification d’informations, ils dépassent la simple participation de
ces derniers. Notons au passage que c’est le message promu
également par le champ de l’éducation aux médias et à l’information
(ou EMI) : si le phénomène est louable, il a le défaut de rapprocher
le journalisme des actions institutionnelles (Mangon, 2020). Mais il
ouvre sans doute de nouvelles perspectives : construire soi-même
un « média » (ou un « automédia » : Thiong-Kay, 2020), que ce soit
pour s’exprimer et militer ou pour comprendre les mécanismes
informationnels, pourrait bien, à tout âge, constituer des générations
futures de publics participants.
Quel bilan peut-on tirer des évolutions du journalisme
participatif ? D’abord que les prises de parole profanes ont gagné,
durant les années 2000 et par le biais de plusieurs dispositifs
numériques, en portée et en volume, et en appréciation de la part
des médias professionnels – appréciation toutefois teintée tantôt de
condescendance, tantôt de crainte de voir son espace occupé. Autre
constat : c’est véritablement la production par les publics d’un
matériau non plus seulement écrit et réflexif, mais visuel et
audiovisuel, qui a changé la donne, durant une partie de la décennie
suivante : il venait compléter là, et à un coût moindre voire nul, les
sources et ressources habituelles des rédactions. Pourtant, cette
opportunité n’a pas duré, pour plusieurs raisons. Elle était en réalité
saisie par une frange très réduite de ces mêmes publics, ce qui
s’explique par des « inégalités d’accès », techniques et financières,
et des « inégalités d’usage », autrement dit d’aptitudes (Le Guel,
2004) ; elle n’incluait pas intégralement les participants à l’ensemble
de l’élaboration de l’information ; enfin, elle a été supplantée par la
montée en puissance des réseaux sociaux, vécus par les individus
connectés comme plus intuitifs, plus réactifs et plus communautaires
pour partager leur matériau faisant l’actualité ou leurs réflexions sur
cette dernière. De fait, ces mêmes réseaux sociaux, qui ont
bénéficié de l’essor d’équipement des terminaux mobiles, en
particulier les smartphones (Purcell et al., 2010) et qui ont su s’y
glisser sous la forme d’applications relativement simples à installer
et à utiliser, ont donné corps à une participation plus complète des
publics – mais, dès lors, souvent en dehors des espaces des médias
mainstream.
Or, que constate-t-on aujourd’hui ? Que les médias tentent de
se servir de ces réseaux et de ces messageries instantanées pour
mieux connaître les besoins de leurs lecteurs, auditeurs et
téléspectateurs : il leur est en effet conseillé, voire imposé (Severo,
2021), de suivre comme indicateur-phare l’engagement de leurs
usagers. C’est le cas par exemple de la presse locale, comme ont
pu le montrer sur la période 2018-2021 les chercheurs du projet
LINC (Local, innovations, news, communauté)7 ayant recensé plus
de 500 initiatives des médias de proximité pour repenser la relation à
leurs lecteurs (Pignard-Cheynel et al., 2021), ou encore de
rédactions nationales comme en témoigne début 2022 la création du
service « 20Minutes, j’écoute ! »8 (du média gratuit du même nom,
qui réveille avec cette initiative les médiations évoquées plus haut
dans le domaine de la radio). Pourtant ces opérations sont de nature
à susciter le scepticisme : d’une part elles semblent peu neuves,
d’autre part elles sont, répétons-le, stimulées par les grandes
plateformes en ligne, alors même que pointe une méfiance vis-à-vis
de ces dernières dans la mesure où elles sont le lieu, non pas d’un
traitement équilibré de l’information, mais de controverses,
d’invectives et d’un puissant activisme en ligne.
En dehors de ces limites, des formes nouvelles d’activation de
la participation semblent émerger, qu’il conviendra d’observer dans
la décennie actuelle et dans la suivante. Les stratégies de
développement de récits immersifs en font partie : ceux-ci étant
parfois fondés sur des lieux et des situations authentiques, ils
réclament l’utilisation de banques d’images prises notamment par
les publics ordinaires et sous de multiples angles de vue, ainsi que
le témoignage d’événements passés vécus par ces mêmes publics ;
on admettra pourtant que de telles sollicitations sont de nature à
réveiller le mythe de la « co-construction » des productions
informationnelles autant que celui d’une prétendue expertise
citoyenne. Le « design participatif », qui propose, lui, une narration
interactive et la contribution à des projets participatifs, est un
exemple supplémentaire (Giovanni, 2020), de même que la
télévision dite « interactive » (Bensadoun-Medioni, 2009). Autre
initiative : celle des news games (Baur et Philippette, 2019), où
l’usager est acteur du récit d’actualité puisque ce sont ses choix –
certes limités en nombre par les pré-configurations de la rédaction –
qui en déterminent la tournure, au fur et à mesure. Enfin, les
suggestions faites à des médias, par certaines communautés
d’usagers, de réalisations de reportages ou d’enquêtes
journalistiques, et leur financement (par exemple via crowdfunding),
se développent en partie (en témoigne l’exemple du site Spot.us) ;
toutefois cette tendance semble davantage correspondre à un
modèle de journalisme à la demande que purement à du journalisme
participatif.
En définitive, l’objectif d’atténuation des frontières entre les
professionnels du journalisme et leurs publics a-t-il été réellement
accompli ? Malgré plusieurs initiatives louables, il est permis d’en
douter. Certes, les usagers des médias sont moins mis à distance
que cela a pu être le cas pendant plusieurs siècles, et sont invités à
donner leur avis et à contribuer à la fabrication de l’information. Nous
retiendrons pourtant une certaine incomplétude en la matière, de
même qu’un constat : celui de cycles, semble-t-il, puisque les publics
ont été, successivement et par le biais de progrès technologiques,
sollicités pour interpeller les médias, puis pour témoigner et enfin
pour produire. Or l’ère actuelle, profondément marquée par le poids
des réseaux sociaux, promeut à nouveau essentiellement la
capacité à interpeller, que ce soit via l’invective ou via des positions
militantes. La participation des publics à la production médiatique
promet ainsi de continuer d’évoluer.

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1. En ce sens, on rappellera qu’assimiler le terme « 2.0 » à un simple synonyme de


l’adjectif « numérique » est un abus de langage populaire et médiatique, pourtant courant
depuis plus d’une décennie.
2. Ces traductions d’« empowerment » en français semblent plus pertinentes et cohérentes
que celle, pourtant répandue, d’« autonomisation », dans la mesure où elles indiquent
assez bien la volonté, pour l’une de donner des capacités aux publics et, pour l’autre, de
les sortir des marges auxquelles ils avaient été cantonnés.
3. Parmi d’autres, on renverra ici à la revue Participations qui, à partir de 2011, s’est
centrée sur ces questions et les a traitées sous un large spectre.
4. « Crowdsourcing », littéralement « (re)source fournie par la foule » ; à ne pas confondre
avec le terme « crowdfunding », c’est-à-dire le financement participatif, aspect distinct
que nous ne traitons pas ici.
5. Dans ses travaux, Axel Bruns les nomme aussi « produsers » (avec un s), c’est-à-dire
des utilisateurs (users) qui produisent des contenus (prod) ; le terme joue subtilement sur
la proximité et la nuance avec celui traditionnel de « producers » ou « media producers »
(avec un c et non un s) qui, au sein des rédactions, renvoie aux agents chargés de gérer
la préparation et la bonne marche d’une émission ou d’une réalisation (dans une position
intermédiaire entre les responsables en haut de la hiérarchie et les
journalistes/contributeurs ordinaires).
6. URL : https://www.liberation.fr/checknews/about
7. Pour un aperçu de cette base de données publique, consulter cette page de l’Université
de Neuchâtel (Suisse) : https://www.unine.ch/ajm/recensement-linc
8. Voir notamment : https://www.20minutes.fr/societe/3214063-20220118-20-minutes-
ecoute-nouvel-espace-consacre-lecteurs-internautes-20-minutes
Chapitre 3
3 Les nouveaux formats des « vieux »
médias : repenser le rapport
à l’actualité

Lucie Alexis

C
ette contribution entend traiter des mutations des écritures
journalistiques et apporter un éclairage sur le mouvement
effectué par les médias « traditionnels » d’information – à
savoir, ceux du XIXe et XXe siècles, la presse, la radio et la télévision –
vers des espaces en ligne et, plus particulièrement, sur le
développement de nouveaux formats.
Face à la place grandissante occupée par Internet dans les
foyers, les entreprises de presse et les groupes audiovisuels ont
développé leur présence sur le web avant tout en développant et en
alimentant leur propre site internet. Éric Dagiral et Sylvain Parasie
retracent ainsi ces mutations médiatiques :
Depuis la toute fin de la décennie 1990, les journaux
télévisés sont progressivement diffusés sur les sites web
des chaînes de télévision. Les sites des journaux imprimés
développent ensuite peu à peu les contenus audio et vidéo.
Depuis 2003, le site web du journal Le Monde intègre des
“portfolios sonores” (un ensemble de photographies
commentées par des journalistes de la rédaction web) et
diffuse des vidéos à partir de 2005. Avant 2007, le recours
à la vidéo reste toutefois marginal sur les sites des journaux
imprimés. Entre la fin de l’année 2006 et la fin de
l’année 2007, la vidéo se généralise sur les sites des
principaux journaux imprimés en ligne comme sur les sites
des pure players qui apparaissent à cette époque et qui
intègrent immédiatement des contenus audio et vidéo
(rue89.com, bakchich.info.fr) (2010 :103-104).
On a vu également, dans la grande tradition du croisement des
genres audiovisuels (Jost, 1997 et 2017), certains d’entre eux
spécialement conçus pour le web, comme le « web documentaire »
(voir entre autres : Broudoux, 2011). Par ailleurs, de nouveaux
formats journalistiques, particulièrement voués à être mis en ligne,
sont apparus et sont aujourd’hui mobilisés par les journalistes. C’est
autour de ceux-ci que nous nous concentrons.
Avant toute chose, il convient de préciser la notion de
« format ». Guillaume Soulez rappelle ainsi :
qu’[a]vant de renvoyer à une standardisation des formes
et des enjeux documentaires (ou autres), la notion de
format avait (et a encore) un double sens, technique et
commercial. Le format renvoie d’abord à la taille de l’écran
(format de projection), à la taille de la pellicule (8 mm,
16 mm, 35 mm), et, d’une façon assez neutre (sauf dans le
cadre d’une critique du “ formatage” […], à la durée du film
(un “six minutes”, un “treize minutes”… un “cinquante-deux
minutes”…). Il renvoie aussi à une formule d’émission
déclinable telle qu’on pouvait la trouver sur le marché
international des programmes, notamment dans le domaine
des jeux et des émissions de plateau (2015 : 59).
Pour Marie-France Chambat-Houillon, s’agissant de la
télévision, le format est « l’outil idéal de la standardisation et de la
normalisation des activités audiovisuelles » (2009 : 244). Si certains
dispositifs que nous présentons pourraient, à d’autres égards, être
appréhendés comme des « genres » (Ringoot et Utard, 2005)1, nous
retenons ici l’idée de « mise en forme » (Chambat-Houillon, 2009) du
contenu attachée à la conception du « format » pour chercher à
comprendre comment les médias « traditionnels » réinventent le
rapport à l’information. Se saisir de nouveaux formats répond,
souvent, à une forme d’injonction à la modernisation des médias
(voire des services publics comme celui de l’audiovisuel), à la
séduction des publics jeunes, ou encore, à la participation et au
numérique2.
Loin de constituer un panorama exhaustif, cette exploration offre
au lecteur quelques exemples singuliers pour appréhender le
renouvellement des écritures médiatiques dans lequel s’engagent
les « vieux médias » depuis quelques années déjà. En illustrant les
tendances, ces exemples significatifs pris dans l’actualité montrent
également toute la dynamique des professionnels des entreprises
françaises de la presse ou de l’audiovisuel, qui ne cessent de
repenser les façons de livrer l’information aux publics. Mais nous
souhaitons aussi et surtout montrer que l’investissement de
nouveaux formats conduit le monde journalistique à repenser le
rapport à l’actualité et au traitement de celle-ci, les productions
médiatiques devenant consultables sur un temps plus étendu.

Informer en condensant l’actualité


Certains médias naissent dans une volonté de ralentir le tempo
face à l’immédiateté pensée pour et par les réseaux sociaux, et
proposent de nouvelles formes de narrations journalistiques
s’inscrivant, par exemple, dans ce qui est nommé le slow media. Par
ailleurs, les médias historiques investissent de plus en plus des
formats développés dans un souci de condensation de l’information
et ayant la particularité de se regarder rapidement, de se lire vite, et
d’être consultés en mobilité. Cette prise en compte des différentes
temporalités dont dispose l’usager pour s’informer transparaît à
travers une variété de formats, à la fois textuels et audiovisuels, et
dont la spécificité est la brièveté ou l’effet de résumé. Nous nous
restreindrons ici à deux formats dont le fondement reste de délivrer
une information, de renseigner sur l’actualité : d’abord, les formes
brèves audiovisuelles qui circulent sur les réseaux socio-
numériques ; ensuite, les newsletters.

Une tradition télévisuelle autour de la forme


brève
Les formes brèves mêlant texte, image, son et vidéo sont de
plus en plus mobilisées par les grands médias qui étoffent ainsi leur
production. Cependant, il faut rappeler que, sur les antennes
linéaires de la télévision, la forme brève ne date pas d’hier
(Périneau, 2013) et que ces programmes courts trouvent même une
place à un moment singulier dans la grille de programmes :
L’observation des chaînes généralistes françaises montre
que peu de formats courts sont présents le matin, alors
qu’ils se multiplient en access-prime-time autour du journal
télévisé. Cette tendance à raccourcir les formats en soirée
ne doit rien aux raisons esthétiques d’une hyper
fragmentation postmoderne, mais est simplement motivée
par des raisons financières : la courte taille des émissions
permet d’augmenter la présence publicitaire à ce moment
stratégique de la journée (Chambat-Houillon, 2009 : 248).
Jean-Bernard Cheymol alerte sur le fait que, « au-delà du
constat de leur dimension réduite par rapport à celui d’autres formes
télévisuelles, la brièveté n’est pas seulement l’opposé d’un long
préexistant, qu’elle viendrait limiter, abréger, elle a sans doute une
signification intrinsèque, elle peut faire sens par elle-même au lieu
d’être seulement une limitation dans la transmission d’un sens
préexistant dans un contenu » (2013 : 141).

De courtes vidéos circulant


sur les réseaux socio-numériques
Face aux productions de Brut, de Loopsider, de Konbini ou
encore d’AJ+, entre autres, et au rôle des autres plateformes
numériques « ouvrant la voie » aux mutations à venir (Bullich et
Schmitt, 2019), les médias « traditionnels » investissent les formes
brèves directement à destination des réseaux sociaux. Ces vidéos
reprennent le principe de celui qui désormais sert de « modèle »,
Brut : des extraits vidéos sur lesquels s’ajoutent des sous-titres. Les
productions, dont le ton est souvent décalé et qui ne dépassent pas
quelques minutes, sont donc consultables avec ou sans le son, sans
que cela ne nuise à la compréhension des contenus.
Une initiative a tout particulièrement retenu notre attention
(Alexis, 2020). Il s’agit de Culture Prime, un « média 100 % vidéo »,
lancé en 2018 par Radio France, France Télévisions, l’Institut
national de l’audiovisuel, France Médias Monde, Arte et TV5 Monde.
Au départ essentiellement hébergé par Facebook et basé sur des
vidéos courtes, ce qui est donc qualifié de « média » par les six
entités est une manière, pour l’audiovisuel public, d’occuper le
terrain numérique. Il vise à « favoriser l’accès à la culture et à la
connaissance au plus grand nombre3 ». Ces contenus sont partagés
chaque jour sur la page Facebook de Culture Prime après avoir été
diffusés sur les pages des partenaires. Les discours de
communication évoquent des « formats innovants », en
« adéquation aux exigences de qualité comme aux nouveaux
usages du public », illustrant de « nouveaux modes d’écritures et de
production »4. L’ensemble des institutions investies dans ce projet
répondent au souci de coller à l’actualité, en prenant
systématiquement un angle culturel pour chaque sujet. La question
qui se pose alors est de savoir comment faire culture commune dès
lors que chaque média possède sa propre représentation de la
culture. Pour répondre à cette interrogation et dans une volonté de
construire une ligne éditoriale plus affirmée pour Culture Prime, les
six entités ont, dès la deuxième saison en 2019, pensé des
structures narratives dans lesquelles inscrire chacun des sujets. Par
exemple, « Les infos insolites » sur tel sujet, « À l’origine » de tel
autre ou encore « Les immortels » sur des figures importantes de la
culture. Ces gabarits cadrent d’emblée la manière dont un sujet va
être traité dans ces vidéos condensées. Ce type de format s’inscrit
au sein des temporalités liées aux réseaux socio-numériques, ces
derniers devenant un support qui définit ce qui est et ce qui fait
l’actualité.

Les newsletters d’information : un effet de


florilège
Il semble intéressant d’évoquer ici la newsletter qui envahit nos
boîtes mails. Ce format est choisi par des acteurs divers autour de
thématiques extrêmement variées comme la recherche d’emploi
avec Welcome to the Jungle, les anecdotes sur les œuvres d’art
avec les courriels envoyés trois fois par semaine par Artips ou
encore la Matinale et la Newsletter du Blog du modérateur pour
accéder aux informations récentes sur le numérique et les médias
sociaux. Du côté de l’information, de jeunes médias se construisent
exclusivement en se basant sur ce format. C’est le cas de la
newsletter Brief.me qui s’est lancée en 2014 sur le modèle de
l’abonnement payant. Le principe étant que « Chaque jour par e-
mail, Brief.me fait le tri dans l’actualité du jour et vous résume ce qui
est important5 ». Le média entend ainsi trier, sélectionner et résumer
les principaux faits d’actualité à retenir.
Les médias linéaires proposent également leur newsletter,
souvent construite sur un effet de florilège des contenus marquants
ou sur un résumé condensé des principales informations. Par
exemple, France Inter livre, tous les jeudis après-midi, La pause
Culturelle, dans le but de « ne rien rater de nos coups de cœur
culturels et planifier vos sorties du week-end6 ». Proposée comme
un rendez-vous hebdomadaire, elle prend la forme d’un agenda se
terminant par « Le coin des enfants ». Là aussi, la manière dont est
livrée l’actualité est orientée par le cadrage imposé par le format :
sélectionner l’actualité qui paraît la plus saisissante d’une période
donnée, et la mettre en forme dans un courriel qui concentre
images, titres et liens cliquables pour faciliter un accès à
l’information jugée essentielle. La newsletter restitue ainsi souvent
un best-off des articles pensés par le média comme « devant » être
rattrapés.
On pourrait envisager une concordance entre les actualités et
les temporalités médiatiques des espaces de diffusion retenus. Ces
deux exemples signent un rapport à l’actualité médiatique basé sur
l’immédiateté : réseaux sociaux et boîtes mails sont en effet des
supports d’information consultés de manière quotidienne. Nous
allons désormais présenter d’autres formats qui viennent renouveler
le rapport à l’actualité, dont la visée dépasse celle d’informer sur des
faits récents et qui proposent des objets dont l’écoute, la lecture ou
le visionnage peuvent être appréhendés sur un temps plus long et
désynchronisé, et parfois dont l’écriture médiatique évoque en plus
le réel, dans la tradition du documentaire.

Quand le périmètre de l’information


journalistique s’agrandit
Parmi les nouveaux formats, on compte ceux qui renouvellent le
rapport à l’information en se débarrassant de l’immédiateté
journalistique. Ils ne traitent plus nécessairement de l’actualité
récente mais repensent le rapport à l’information. Nous en
évoquerons ici deux principaux : l’écriture sonore avec le podcast et
l’application mobile. Il ne s’agit pas de formats directement natifs du
journalisme. Du fait de leur plasticité, ils peuvent en effet, selon les
secteurs d’activité, être pris en charge par une diversité
d’énonciateurs ; cependant certaines instances médiatiques s’en
emparent.

Cap sur le podcast


On note un véritable engouement pour les podcasts. Depuis
quelques années, les entreprises médiatiques déploient cette forme
de diffusion audio sur le web qui prend dès lors des dimensions
variées7. Objet de plus en plus investi par les chercheurs en
sciences de l’information et de la communication8, le podcast répond
à une promesse de rajeunissement des publics de l’information
(McClung et Johnson, 2010) due notamment aux sujets traités, au
ton employé, souvent associé à une écriture plus intime et plus
incarnée.
Alors que de nouveaux acteurs se positionnent pleinement dans
cet univers médiatique en expansion – Louie Média,
Nouvelles Écoutes, Binge Audio, Majelan, etc. –, les médias
historiques prennent part à ce mouvement, entraînant, de fait, une
mutation de la profession de journaliste. Déjà en 2005, Libération
avait, par exemple, proposé un format audio avec Le son du jour,
puis en 2007, le podcast autour du jeu vidéo, Silence on joue. La
crise sanitaire, dont les conséquences en France se sont faites pour
la première fois sentir en 2020 avec notamment les confinements
successifs, a conduit à un véritable « boom » des podcasts
d’actualité, convaincant à titre d’exemple, Le Monde de créer « son
premier [podcast] d’actualité chaude », intitulé Pandémie (Duriez,
2020).

Un autre rapport à l’actualité avec l’écriture


sonore ?
Avant d’étudier le déploiement de nouvelles visées pour les
médias d’information, il convient de montrer que les podcasts sont
mobilisés pour témoigner de l’actualité, conservant ainsi l’enjeu
premier des médias « traditionnels ». C’est le cas de certains
journaux français qui, inspirés de la presse anglo-saxonne,
développent la lecture d’articles écrits sur les sites et les
applications. Les articles sont alors en version audio et lus par des
journalistes, des comédiens ou même des voix de synthèse
(Elboudrari, 2021). Par exemple, L’Express a proposé, en 2020,
« une version audio complète. Sur son application, la rédaction offre
la lecture de son édition par des comédiens pour une durée de près
de cinq heures chaque semaine, avec comme objectif de fidéliser
ses abonnés, et d’atteindre un nouveau public » (idem.). D’autres
titres adoptent cette démarche, comme, entre autres, Le Monde
diplomatique. Il s’agit là de passer d’une modalité écrite à une
modalité orale, et cela ne se fait pas sans penser une éventuelle (ou
pas) réécriture des articles.
D’autres types de podcasts peuvent être écoutés sur une
période plus longue du fait de la construction journalistique
proposée : soit une logique d’épisodes constitués en série, soit le
traitement approfondi d’un sujet à partir d’explications fouillées dans
un podcast d’une vingtaine de minutes. On pense d’abord au
podcast axé sur un « moment discursif » (Moiran, 2007) qui fait
l’actualité. Par exemple, Libération propose, depuis février 2022,
« Libélysée », « un podcast hebdomadaire sur l’actualité de la
campagne présidentielle 2022 », « où la qualité de l’information se
mélange au plaisir d’un ton différent. Un exercice sonore qui se
distingue par ses choix éditoriaux, sa production et son envie
d’ouverture » et avec « des questions de lecteur-auditeur sur la
thématique de la semaine »9. Il nous semble que ce type de podcast
aurait la particularité de pouvoir être écouté dans un temps
relativement court, celui de la campagne électorale. Cependant,
chaque épisode peut être entendu selon des temporalités variées et
ne demande pas nécessairement une consommation « dans
l’instant », ni même pour un épisode unique. Basé sur une logique
sérielle, il n’en reste pas moins qu’il est introduit dans les paratextes
comme le « rendez-vous audio de la campagne présidentielle10 »,
entendons ici une périodicité empruntée aux médias écrits et une
logique de programmation empruntée aux médias linéaires.
Toujours dans le secteur de la presse, on pense ensuite au
podcast dont les sujets portent sur l’actualité quotidienne mais, du
fait de leur format d’une vingtaine de minutes inspiré du podcast The
Daily du New York Times, retracent cependant un cheminement
journalistique plus long. Par exemple, Code source11, le podcast
d’actualité du Parisien qui propose, depuis mai 2019, « des histoires
racontées par les journalistes de la rédaction du Parisien ou par
celles et ceux qui les ont vécues directement ». Le vendredi
25 février 2022, alors que Vladimir Poutine avait annoncé la veille
une opération militaire en Ukraine, le podcast évoquait « plusieurs
semaines de tensions diplomatiques, pendant lesquelles la France,
l’Europe et les États-Unis, ont tenté de comprendre les intentions du
maître du Kremlin12 ». Au début du récit, le journaliste annonce que
« Code source refait le film du mois de février ». Le sujet est
d’actualité mais le traitement s’appuie sur des éclaircissements
approfondis de la part des journalistes. Le format accompagne ici
l’expertise et peut être entendu en tant qu’éclairage global sur un
sujet particulier.

Une filiation avec l’écriture documentaire


Cependant, le format du podcast vient également façonner
différemment le rapport à l’actualité médiatique. Poursuivant la
tradition du documentaire sonore radiophonique ou, plus largement,
du documentaire, cette écriture permet aussi, au-delà de transmettre
l’actualité, de parler plus largement du réel.
C’est le cas, par exemple, d’Un micro au tribunal, le podcast de
Mediapart, une série de treize épisodes « où la justice du quotidien
est mise à nu13 ». Par ailleurs, on note une véritable tendance à
livrer les coulisses des reportages ou le « making of » de ceux-ci.
Ainsi, depuis décembre 2018, avec L’envers du récit, La Croix donne
la parole à un journaliste du quotidien qui « raconte les coulisses
d’un reportage, ce qui s’est passé avant qu’il ne l’écrive, comment il
l’a vécu et comment l’histoire se poursuit14 ». Il est question de
« saisons » construites autour d’« épisodes » comme, par exemple,
« Ma rencontre avec Bintou, mère en exil – Fanny Cheyrou –
S4E4 » ou encore « Inceste, comment j’ai enquêté sur les auteurs
d’agressions – Héloïse de Neuville – S4E7 », publiés en juillet 2021.
On relève un certain nombre de podcasts dans lesquels le
journaliste emploie la première personne du singulier, réinterrogeant
la neutralité journalistique, et adoptant une mise en forme
particulière. En repensant les écritures journalistiques traditionnelles,
c’est une entrée au cœur du réel qui nous est proposée par les
médias historiques, s’inspirant de l’écriture documentaire.
Côté radio, sans doute faut-il garder un œil ouvert sur
Radio France qui, au-delà de proposer ses contenus en podcasts de
rattrapage ou de replays, se lance de plus en plus dans le podcast
dit « natif ». Un exemple, parmi tant d’autres : « une série
documentaire » produite par France Culture en deux saisons
intitulées respectivement « Laisse parler les femmes » (2021) et
« Fais parler les hommes » (2022). Chaque saison est composée de
huit épisodes. Les paratextes nous invitent pleinement à comprendre
que l’écriture se fonde sur le témoignage, en l’occurrence « de
femmes et d’hommes de tous âges, de classes sociales diverses, à
travers tout le territoire ». La posture des concepteurs est, elle aussi,
éclairée par le discours d’escorte (Souchier, 1998) – c’est-à-dire ici
le discours produit autour de cet objet par ses concepteurs pour en
expliquer les enjeux, les usages possibles : « On tend l’oreille aux
murmures de l’émancipation et on cherche notre place… Être
ensemble nous y encourage15. » Une autre particularité du podcast
serait la construction d’une narration qui se veut « immersive ».
Nous ne reviendrons pas sur les racines historiques de l’immersion
dans les écritures médiatiques, accompagnée entre autres, par
l’introduction de musiques qui viennent rythmer le récit, mais notons
que l’immersion existe au-delà des écritures pensées pour le web16.
Se pose donc de manière saillante une question quant à l’inscription
éventuelle du podcast dans les écritures radiophoniques
« classiques » et, de façon plus générale, dans les écritures
documentaires de la radio, voire du cinéma. Tous les épisodes sont
publiés en même temps et la diffusion de la saison 2 peut être
l’occasion de découvrir la première, sans se risquer à tomber face à
une information caduque, étant donné que le récit délivré par le
format podcast se rapproche davantage de l’enquête documentaire
radiophonique que de l’enquête journalistique. Ce type
d’expérimentations répond moins à l’ambition d’être au cœur de
l’actualité chaude qu’à celle de proposer une mise en récit du réel.
D’ailleurs, le discours d’escorte introduisant les podcasts invite
souvent à penser qu’ils relèvent de la création journalistique avec
des qualificatifs comme « imaginé par », « créé par » ou encore,
comme dans la production précédente, « signée ». À titre d’exemple,
« 11 Septembre l’enquête » est un podcast de France Inter qualifié
« d’original » – comme les séries télévisées désignées par
l’expression « création originale » par les chaînes – et est introduit
par la phrase « Pensé et produit par Grégory Philipps17 ». Déjà, la
présence des webradios dans le paysage médiatique soulevait une
discussion quant au renouvellement des « conventions radio établies
depuis les années 1930 » (Méadel et Musiani, 2013). Cécile Méadel
et Francesca Musiani voyaient avec les podcasts d’Arte Radio une
« continuité de laboratoires comme le Studio d’essai, créé en 1942
par Pierre Schaeffer et poursuivi sous le nom de Club d’essai, en
particulier avec Jean Tardieu jusqu’en 1959 (Eck, 1991) qui voulait
ouvrir aux intellectuels et aux artistes un espace de création et
d’expérimentation » (2013). Enfin, il faut noter que, si le podcast est
de plus en plus intégré à la stratégie numérique d’un grand nombre
de rédactions, « [l]a presse numérique et papier […] aborde encore
le podcast d’information avec prudence » (Duriez, 2020). Au-delà du
périmètre préliminaire que ce texte espère avoir dessiné, il y aurait
encore beaucoup à dire au sujet des podcasts, notamment ceux
basés sur la reconstitution fictive18.

Les applications mobiles ad hoc et


complémentaires :
une logique de vulgarisation
Par ailleurs, nombre de médias « traditionnels » diversifient
leurs activités et se déclinent aujourd’hui sur des applications
mobiles, proposant ainsi leur contenu pour la lecture et l’écoute sur
smartphone. Plus rares sont ceux qui développent des applications
additionnelles. Ces dispositifs ad hoc renouvellent, là aussi, le
rapport à l’information et se construisent dans une volonté de
vulgariser le propos. Ainsi, en mai 2019, Le Monde a lancé
Mémorable dont le slogan, sous forme de triptyque, « Apprenez,
comprenez, mémorisez », invite d’emblée les usagers à être dans un
apprentissage ayant pour but de retenir l’information. Le discours
d’escorte leur fait ainsi cette promesse : « Cultivez votre mémoire et
vos connaissances grâce à la richesse éditoriale du Monde. Offrez-
vous dix minutes de plaisir cérébral par jour, et la satisfaction de
progresser sans avoir l’impression de travailler19. » Le discours de
communication met en avant une visée qui se situe autour de la
santé. Il s’agirait d’utiliser les ressources journalistiques à partir
d’une sélection d’informations utiles, pour préserver sa santé
mentale. Légitimée et portée par la marque-média du quotidien,
l’application, fonctionnant par abonnement payant, place l’usager
dans une posture d’apprenant à qui, comme l’élève, il est proposé
une « leçon » pour faciliter l’apprentissage par la régularité et
l’efficacité (dix minutes seulement quotidiennement). Cela témoigne
ainsi du caractère vulgarisateur des articles qui mettent en avant une
diversité de sujets : « Histoire, international, politique et société,
culture et loisirs, environnement, sciences et technologies20… ». Sur
les représentations d’écrans de smartphone affichées sur la page
d’accueil du site visant à illustrer l’interface de l’application, les
contenus se concentrent autour de thématiques à la fois larges,
consensuelles et incontournables comme « Simone Veil, femme de
combats », « Guerre froide et chauds effrois » ou encore « Martin
Luther King, un nouveau rêve américain ». L’objectif de ce type
d’objet médiatique se situe au-delà d’un enjeu d’information sur
l’actualité. Basé sur un rapport ludique à l’information, c’est la
fonction cognitive qui est mise en avant.
Les deux formats présentés ici, le podcast et l’application
mobile, repensent ainsi le rapport à l’actualité et renouvellent
l’objectif d’information propre aux médias « traditionnels ». Ces deux
exemples ont chacun une visée transitive orientant les contenus du
côté du traitement du réel pour le podcast qui emprunte au
documentaire, du côté de la vulgarisation pour l’application du
Monde. Finalement, ils permettraient à l’usager d’approfondir ses
connaissances et d’en apprendre davantage sur le monde. Ces
contenus médiatiques sont moins guidés par les actualités chaudes
et peuvent être lus, entendus, regardés sur un laps de temps plus
large, s’inscrivant dans une logique de « désynchronisation des
consommations » (Méadel et Musiani, 2013).
Ainsi, à travers ces quelques exemples, on voit bien que la
multiplication des supports médiatiques investis par les médias
historiques – qui jouent désormais également hors de leur territoire
de prédilection – provoque une circulation de nouveaux formats,
favorisant notamment les formes brèves. Proposer des productions
agençant possiblement vidéo, texte, image et son entraîne un
questionnement autour de la reconfiguration des formats
journalistiques. Ce maillage invite également les professionnels à
réenvisager leur rapport au commentaire de l’actualité, pour se
tourner vers des narrations journalistiques qui empruntent des codes
à l’écriture documentaire, dont les contenus peuvent être
consommés sur une période plus étendue.
Difficile de conclure ce bref inventaire non exhaustif des
nouvelles écritures médiatiques sans évoquer le fait que les médias
« traditionnels » se tournent de plus en plus vers les médias sociaux
pour étendre leurs espaces de diffusion, et notamment Twitch, une
plateforme de vidéos en direct et Instagram, une plateforme de
partage de photos et de vidéos. Les modalités inhérentes à ces
plateformes inscrivent, au cœur des contenus proposés, des
logiques issues du linéaire. Ainsi, si Twitch revendique une volonté
d’« interactivité » avec les usagers – on lit d’emblée dans la rubrique
« À propos » : « On vous a gardé une place au chaud dans le
chat21 », elle n’en demeure pas moins une plateforme avec une forte
dimension visuelle, organisée en « chaînes » qui diffusent, tel un flux
médiatique, durant plusieurs heures. On retrouve, par ailleurs, l’idée
de « rendez-vous télévisuel » puisque certaines émissions sont
régulières. Quant à Instagram, les stories diffusées chaque jour
reproduisent une forme de direct. Dans la perspective d’être
présents sur les médias sociaux et tout en s’adaptant aux nouvelles
modalités de consommations des contenus audiovisuels, les « vieux
médias » seraient donc amenés à réinventer la linéarité qui les
constitue. S’observent finalement, et ce de manière relativement
récurrente, des fonctionnements « traditionnels » pris dans des
généalogies médiatiques, renvoyant, entre autres, au « devenir
média des plateformes » (Bullich et Lafon, 2019).
Enfin, si les journalistes s’essaient à nombre de formats, qu’ils
soient audiovisuels, numériques ou textuels, force est de constater
que ces mêmes formats sont mobilisés par d’autres corps de métiers
(les champs de l’éditorial, de la communication, des relations
presses, etc.), rendant parfois floues les frontières entre les
différentes pratiques professionnelles, d’autant que les compétences
attendues se rejoignent de plus en plus.

Bibliographie
• Alexis L., « Quand le service public audiovisuel investit
Facebook : enjeux de participation sur Culture Prime », actes du
colloque La fabrique de la participation culturelle, ANR
Collabora, ÉA Dicen-IDF, 2020, p. 11-19.
• Broudoux É., « Le documentaire élargi au web », Les Enjeux de
l’information et de la communication, n° 12, 2, 2011, p. 25-42.
• Bullich V., Lafon B., « Dailymotion : le devenir média d’une
plateforme. Analyse d’une trajectoire sémio-économique (2005-
2018) », tic&société, vol. 13, n° 1-2, 2019, p. 355-391.
• Bullich V., Schmitt L. (dir.), Les industries culturelles à la
conquête des plateformes ?, tic&société, vol. 13, n° 1-2, 2019.
• Chambat-Houillon M.-F., « Quand y a-t-il format ? », dans André
E., Jost F., Lioult J.-L., Soulez G. (dir.), Penser la création
audiovisuelle, 2009, p. 243-252.
• Chambat-Houillon M.-F., « De la sincérité aux effets de sincérité,
l’exemple de l’immersion journalistique à la télévision »,
Questions de communication, n° 30, 2, 2016, p. 239-259.
• Cheymol J.-B., « La brièveté dans la forme courte : D’Art d’art
sur France 2 », dans Périneau S. (dir.), Les formes brèves
audiovisuelles. Des interludes aux productions web, Paris,
CNRS Éditions, 2013, p. 141-153.
• Cohen É., « La baladodiffusion : de la réécoute à la création
sonore de podcasts », Sociétés & Représentations, n° 48, 2,
2019, p. 159-167.
• Dagiral É., Parasie S., « Vidéo à la une ! L’innovation dans les
formats de la presse en ligne », Réseaux, 2-3, n° 160-161,
2010, p. 101-132.
• Duriez I., « Les podcasts d’actualités en plein “boom” depuis le
confinement », La Revue des médias, 2020, URL :
https://larevuedesmedias.ina.fr/covid19-coronavirus-podcasts-
news-actualite
• Elboudrari M., « La presse écrite tend l’oreille vers les articles
audio », La Revue des médias, 2021, URL :
https://larevuedesmedias.ina.fr/presse-ecrite-articles-audio-voix-
son-abonnes-audience
• Ferrandery M., Louessard B., « Jeunesse et numérique au cœur
d’une même injonction au neuf ? Analyse des stratégies et des
discours sur le numérique chez France Télévisions (2005-
2019) », Les Enjeux de l’information et de la communication,
n° 20, 3, 2019, p. 51-65.
• Jost F., « La promesse des genres », Le genre télévisuel,
Réseaux n° 81, 1997.
• Jost F., Comprendre la télévision et ses programmes, 3e édition,
Paris, Armand Colin, 2017
• McClung S., Johnson K., « Examining the Motives of Podcast
Users », Journal of Radio & Audio Media, 17, 1, 2010, p. 82-95,
2010.
• Méadel C., Musiani F., « La (dé-)synchronisation par le public.
Un nouveau format radiophonique », Les Enjeux de l’information
et de la communication, 2013, n° 14, 2, p. 123-133.
• Moirand, S., Les discours de la presse quotidienne. Observer,
analyser, comprendre, Paris, PUF, 2007.
• Périneau S. (dir.), Les formes brèves audiovisuelles. Des
interludes aux productions web, Paris, CNRS Éditions, 2013.
• Ringoot R., Utard J.-M. (dir.), Le journalisme en invention,
Rennes, PUR, 2005.
• Souchier E., « L’image du texte pour une théorie de l’énonciation
éditoriale », Les cahiers de médiologie, 1998, 2, n° 6, p. 137-
145.
• Soulez G., « Retour à l’envoyeur, public, documentaire et
format », dans Soulez G., Kitsopanidou K., Le levain des
médias, forme, format, média, MEI, L’Harmattan, 2015.

1. Voir également, dans le présent ouvrage, l’entretien de la Partie IV avec Roselyne


Ringoot.
2. Concernant les discours relatifs aux stratégies vis-à-vis de la jeunesse et du numérique
comme prétendus gages de modernité, de pérennité et d’économies, voir : Ferrandery et
Louessard, 2019.
3. URL : https://presse.tv5monde.com/culture-primebr-loffre-culturelle-commune-de-
laudiovisuel-public-rencontre-le-succes-des-son-premier-mois-dactivite-et-se-deploie-sur-
de-nouveaux-canaux-de-diffusi/
4. Idem.
5. URL : https://www.brief.me/
6. URL : https://www.franceinter.fr/newsletter
7. Pour des éléments de définition du terme « podcast » et un retour sur son inscription
dans le paysage médiatique, voir Cohen, 2019.
8. Par exemple, le CARISM, le laboratoire de recherche de l’Institut français de presse, a
obtenu, en 2021, un financement du ministère de la Culture pour monter un observatoire
du podcast, baptisé Obcast, afin d’interroger les évolutions de ce format et son influence
sur les métiers du journalisme.
9. URL : https://www.liberation.fr/dossier/libelysee-le-podcast-de-la-campagne-
presidentielle-2022/
10. URL : https://open.spotify.com/show/4l7WZcg5qBOdo76lL9ZtEj
11. URL : https://www.leparisien.fr/podcasts/
12. URL : https://podcasts.leparisien.fr/le-parisien-code-source/202202251827-ukraine-
lescalade-vers-la-guerre-racontee-par-nos-reporters
13. URL : https://www.mediapart.fr/studio/podcasts/un-micro-au-tribunal
14. URL : https://podcast.ausha.co/l-envers-du-recit-la-croix
15. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/laisse-parler-les-femmes-fais-
parler-les-hommes
16. Pour une réflexion autour de l’immersion dans les magazines d’information à la
télévision, voir Chambat-Houillon, 2016. L’hypothèse déployée est que « l’immersion
décline des modalités représentationnelles propices à une interprétation du discours
télévisé d’information en termes de sincérité, de sorte que les enjeux liés à la vérité
perdent leur préséance dans la relation qui se noue entre le public et le média » (2016 :
240).
17. URL : https://www.franceinter.fr/emissions/11-septembre-l-enquete
18. Le Paris podcast festival est une bonne porte d’entrée pour en savoir plus sur cette
nouvelle pratique médiatique culturelle.
19. URL : https://www.lemonde.fr/memorable/
20. Idem.
21. URL : https://www.twitch.tv/p/fr-fr/about/
Questions à Lucie Soullier
Journaliste au Monde au service investigation

et Clea Petrolesi
Metteuse en scène,
Directrice de la compagnie Amonine

Entretien réalisé par Lucie Alexis

En décembre 2015, Clea Petrolesi lit sur Lemonde.fr un article


de Lucie Soullier, intitulé « Le voyage d’une migrante syrienne à
travers son fil WhatsApp1 ». Il s’appuie sur 250 captures d’écran
d’une conversation entre Dana et son beau-frère Kholio, des
migrants syriens et leurs proches en chemin vers l’Allemagne. La
metteuse en scène s’empare alors de cette histoire pour en créer un
spectacle aux frontières du théâtral et du photographique.

Lucie Alexis — Lucie Soullier, pourriez-vous tout d’abord


revenir sur la genèse de l’article ?
Lucie Soullier — En février 2015, je suis partie en
reportage en Turquie pour Lemonde.fr. À cette époque, en
Europe, on ne voyait plus que des photos de migrants qui
arrivaient en marchant sur des rails, et qui devenaient des
flux sans histoire. On s’est dit que ce serait peut-être bien
de repartir d’où ils venaient, ou en tout cas, d’aller plus loin
que l’Europe et de raconter le pourquoi… On a finalement
choisi Izmir, et le quartier de Basmane qui était devenu
« une petite Syrie » d’où énormément de Syriens
arrivaient et repartaient en prenant la mer. J’ai rencontré
Kholio et Dana au hasard du reportage. Depuis plusieurs
jours, ils attendaient que la mer se calme. On devait se
retrouver le soir, dans un autre quartier, parce que Dana
voulait voir « un endroit joli ». Quelques heures avant, ils
m’ont envoyé un message pour savoir s’ils pouvaient venir
avec leurs sacs à dos : ils allaient traverser la mer le soir-
même. On s’est retrouvés trois heures avant leur rendez-
vous avec le passeur. Pendant cette soirée-là, Dana a
envoyé des messages, pris une photo du coucher de
soleil, fait un selfie avec moi. Elle m’a expliqué qu’elle
avait plusieurs groupes WhatsApp, notamment un qu’elle
partageait avec une partie de sa famille et de ses amis,
consacré à ce qu’elle appelle « le voyage ». Cela arrive
très peu, finalement, qu’on garde contact avec les gens
qu’on rencontre en reportage. Avec Dana, c’était différent :
on a échangé tout au long de sa route. Et quand elle est
arrivée en Allemagne, je lui ai demandé de me confier le fil
WhatsApp consacré à son exil. Je n’avais aucune idée de
ce que j’allais en faire, elle non plus. Et pourtant, elle l’a
fait.

L. A. — Comment se passe plus spécifiquement le


processus d’écriture pour faire de ces échanges un
article journalistique ?
L. S. — Moi, ce qui m’intéressait à ce moment-là, c’est
l’objet, à la fois tellement banal – on a tous un WhatsApp
avec sa famille –, et en même temps, évidemment, c’est
un voyage hyper intense. Elle m’a envoyé
alors 250 captures d’écran de son fil WhatsApp en arabe –
je ne parle pas arabe, je le lis encore moins. À l’époque,
ma rédaction web réfléchissait à de nouveaux formats. J’ai
fait défiler devant l’équipe les captures en arabe, les
photos, les émojis : l’émotion du voyage est passée alors
qu’on ne connaissait pas les mots. D’emblée, on s’est dit
qu’on allait essayer de le restituer tel quel. Mais donner
l’impression du « tel quel », c’est énormément de boulot
invisible. J’ai obtenu les captures à l’été, on a publié en
décembre 2015. Il fallait déjà, et c’était le plus important,
que Dana nous fasse confiance, et comprenne qu’on
n’allait pas faire n’importe quoi avec ce document si intime
qu’elle nous avait confié. Puis la traduction, c’est
énormément de temps, notamment le processus de
sélection : il faut, même si je déteste le terme,
rescénariser pour faire en sorte que le lecteur suive. Et on
ne voulait pas que ce soit trop long, pour les mêmes
raisons. Mais on n’a pas réécrit, on a sélectionné. Par
exemple, il y a des personnes qui interviennent qu’on a
complètement enlevées parce que c’était redondant avec
d’autres messages. On s’est posé aussi beaucoup de
questions, notamment sur les horaires : comment
retranscrire un WhatsApp avec parfois trois, quatre heures
d’attente entre chaque message ? Je voulais qu’on
intervienne le moins possible, qu’il n’y ait pas de narrateur,
ni d’intervention journalistique. Ou du moins qu’elle ne se
voie pas. Au final, c’est un format journalistique interactif
qui ressemble à WhatsApp. J’ai du mal à dire « article »
parce que cela n’a presque rien à voir.

L. A. — Clea Petrolesi, comment découvrez-vous cet objet


médiatique et qu’est-ce qui vous donne envie d’en
faire quelque chose d’artistique ?
Clea Petrolesi — Je me suis retrouvée face à quelque
chose de très immersif. Je n’aime pas forcément les longs
articles, mais pour la première fois de ma vie, je n’ai pas
décroché pendant les huit minutes de lecture, je ne
pouvais pas m’arrêter de scroller sur la conversation. En
lisant, je me suis immédiatement identifiée à Dana, je
savais intellectuellement que ces Syriens qui migraient
étaient comme nous, mais je m’apercevais à la lecture de
l’article que je ne l’avais pas complètement intégré. Cela
m’a donné envie de repartager à ma manière. Par ailleurs,
les écritures contemporaines de théâtre n’interrogeaient
pas vraiment à l’époque WhatsApp du point de vue du
langage, alors que cela fait totalement partie de notre
quotidien. Une autre raison qui m’a poussée à cette
aventure est que je suis très sensible aux questions qui
touchent le bassin méditerranéen. Je travaillais avant sur
le Liban, ma famille est issue de l’immigration italienne, ce
sont des sujets qui me touchent. Après je me suis
retrouvée face à un objet qui ne ressemblait pas du tout à
une pièce de théâtre, c’était une autre étape.

L. A. — Avez-vous collaboré toutes les deux pour la


création théâtrale ?
L. S. — On a beaucoup discuté avec Clea. Moi, je m’étais
posé tous les questionnements journalistiques face à cet
objet. L’étape d’après, c’était le bébé de Clea. La seule
exigence que j’avais était que Dana puisse dire non à
n’importe quelle étape du processus et qu’elle n’ait pas
l’impression d’être exclue, qu’elle soit partie prenante. Moi,
j’avais envie de faire partie de l’aventure mais j’ai
considéré que ce n’était plus la mienne.
C. P. — Lucie a fait partie de l’aventure mais de manière
très informelle, très amicale et avec un regard bienveillant.
On s’est très vite interrogées sur la manière dont on allait
mettre en scène ce spectacle et ce matériel, et sur sa
place en tant que journaliste dans le processus.
Finalement, Lucie est devenue un personnage du
spectacle aussi. De fait, elle était invitée aux résidences, à
la toute première maquette, elle est venue à toutes les
étapes possibles du spectacle quand elle le pouvait.

L. A. — Quelle était la place de Dana durant le processus


de création ?
L. S. — C’était important pour moi que Dana voie le lieu
de la résidence et la troupe, elle est artiste donc je savais
que cela lui parlerait. Je l’ai appelée mais sur le coup, je
ne me suis pas rendu compte que cela ramenait du réel
dans un processus artistique qui n’était pas complètement
fictif, mais pas complètement non plus du documentaire.
J’ai vu la confrontation des deux mondes : j’avais ramené
du journalistique dans un endroit qui ne l’était plus et qui
n’avait pas à l’être. Je me suis dit qu’il serait bien de me
retirer encore plus.
C. P. — Quand Lucie a appelé Dana, la comédienne qui
l’interprétait se trouvait face à elle. C’était complètement
vertigineux et cela a fait du bien. On parle de personnes
réelles qu’il faut donc protéger. Dès le départ, on a fait
attention à masquer son visage. Finalement, ces
« obligations » ont été transformées en quelque chose
d’artistique puisqu’aujourd’hui, les comédiens sont
toujours de dos et c’est un acte créatif en soi.

L. A. — Comment avez-vous appréhendé le personnage de


la journaliste dans le spectacle ?
C. P. — Dans l’article sur Lemonde.fr, Lucie a écrit le
chapô. On en avait clairement besoin pour le spectacle.
Quoi de plus naturel que de demander à la personne qui
l’a écrit de nous prêter sa voix. Il nous a semblé
également important de raconter le contexte de la
rencontre dans le spectacle. Nous y avons intégré un
article dans lequel Lucie relate cette rencontre. On avait
envie de ramener une parole plus fluide que l’échange
textuel. Sur scène, on a deux comédiens qui incarnent
plus ou moins tous les personnages et une photographe
en arrière-plan qui ne parle pas mais qui développe au fur
et à mesure tout ce qui est photographique sur WhatsApp.
Cette photographe en retrait – qui n’est pas
comédienne –, c’est une femme qui tire des images du
côté de l’Occident, elle découvre avec nous les choses au
fur et à mesure et vient les poser sur scène. Elle avait une
vraie pensée construite sur l’image, elle est celle qui tire le
fil, c’est finalement Lucie. Notre spectacle est autant la
représentation de l’article de Lucie que l’adaptation de
l’histoire de Dana et de Kholio.

L. A. — Comment avez-vous sélectionné des informations


dans l’article pour le spectacle ? Avez-vous ajouté ou
réécrit certains messages WhatsApp ? Et pourquoi
avoir fait le choix de mettre en scène seulement deux
personnages pour incarner toute la famille ?
C. P. — On n’a quasiment rien réécrit. On a enlevé
beaucoup pour créer une rythmique et parce que la
position de spectateur n’est pas celle de lecteur. Ensuite,
on a réutilisé certains messages pour en créer des textes.
Par exemple, des messages ont été mis à la troisième
personne et revus du point de vue de l’actrice qui les
incarne. Il y a des éléments comme les émoticônes qu’on
a réintégrés dans des monologues. Soit on faisait le choix
d’une superproduction réaliste, soit on faisait le choix de
proposer plutôt un espace mental qu’un espace réel, c’est
là tout l’intérêt du théâtre. Les longs moments d’attente
pouvaient par exemple devenir très concrets sur scène,
être poétisés.

L. A. — Finalement, vous avez un peu la même


problématique de la retranscription de l’attente dans
une forme journalistique d’une part, dans une forme
artistique d’autre part ?
L. S. — Pas avec les mêmes contraintes ou réponses,
mais avec la même démarche. Je ne connaissais pas du
tout l’univers théâtral mais ce qui m’a frappée pendant
toute la création, c’est que Clea se posait les mêmes
questions que moi. Les questions sur le silence, sur
l’attente, sur la manière de ne pas ennuyer son lecteur ou
son spectateur. Nous, dans l’article, nous avons choisi de
faire une carte par exemple pour montrer un petit peu le
voyage. Dès le départ, la démarche de Clea était très
journalistique et peut-être que la mienne était un peu
poétique. Et du coup, nos deux univers et nos deux façons
d’être des médias se sont très bien accompagnés.

L. A. — Pourriez-vous revenir sur le choix du


titre « Enterre-moi, mon amour » ?
L. S. — Cette expression arabe, d’une beauté incroyable,
veut dire « Je t’aime, donc que je veux mourir avant toi ».
Quand Dana crée le WhatsApp, elle pose pour règle de ne
pas s’envoyer de l’amour toutes les quatre secondes : il
est fait pour parler du voyage. La réponse de sa mère est
cette phrase « Enterre-moi mon amour ». C’est d’une
force incroyable, c’est très beau. Je l’avais proposée
comme titre au Monde.fr en sachant que,
journalistiquement, un titre factuel est préféré à un titre
poétique. En l’occurrence, c’est devenu : « De la Syrie à
l’Allemagne, carnet de route d’un exil. Dans le téléphone
d’une migrante syrienne ».
C. P. — Moi j’ai été prise par la poésie de l’expression et
j’avais le droit de faire ce que je voulais. La production, le
théâtre Paris-Villette, m’avait demandé de mettre comme
sous-titre « dans le téléphone d’une migrante syrienne »,
mais finalement ce n’est pas resté.
L. A. — En 2017, Arte réalise un jeu sérieux autour
d’« Enterre-moi, mon amour2 ». Cette fiction dite
interactive, de Pierre Corbinais et Florent Maurin, est
une autre adaptation de l’histoire de Dana et Kholio. Y
avez-vous participé ? Finalement, est-ce que de
manière générale vous pensez que la matière
journalistique est une source d’inspiration singulière
pour la création ?
L. S. — Je me suis rendu compte à quel point cet objet
avait bouleversé des gens d’univers très différents, qui se
sont emparés de l’histoire. J’avais fait un Live Magazine
avec le créateur du jeu – ce sont des journalistes qui
montent sur scène pour raconter le « making of » d’un
reportage. Il m’a ensuite proposé de travailler sur un jeu
vidéo. Moi, j’étais hyper sceptique mais la décision
revenait à Dana. Elle a répondu oui sans hésiter une
seconde : « tous les moyens de raconter notre histoire et
ce qu’on traverse sont bons ». Arte s’est mis dans la
boucle en tant que producteur. Dana et moi avons été
consultantes sur le jeu, surtout Dana. Je pense que
journalistiquement, ce qui a fait la différence entre l’histoire
de Dana et celles de dizaines, de centaines de Syriens
racontées dans des dizaines de médias, c’est le format.
L’article du Monde.fr a amené des créations différentes, de
médias différents, des façons de raconter les histoires
intelligemment, à travers le théâtre, le jeu vidéo – dont j’ai
découvert moi-même qu’il était un média. Au Monde, on
se dit qu’on doit faire attention à ne pas mettre en scène,
ce qui est peut-être le pire trouble du journalisme, de trop
en faire. Je pense que nous avons trouvé l’équilibre pour
que les lecteurs aient presque l’impression d’être ou de
faire partie du voyage, d’être la copine, la maman, parfois
le copain qui donne les résultats de foot. Finalement, de
pouvoir s’identifier est peut-être beaucoup plus.
C. P. — Mon métier, c’est de raconter des histoires et de
parler de notre société. La presse peut donc être une
source d’inspiration. Le plus important pour moi est de
parler d’aujourd’hui, de la société dans laquelle on vit, de
l’interroger en permanence pour avancer et réfléchir. Donc
on fait le même travail sauf qu’on n’a pas les mêmes
outils, pas les mêmes contraintes, pas les mêmes
supports, mais on a un objectif commun, je pense.

1. Soullier L., Zerrouki M., « De la Syrie à l’Allemagne, carnet de route d’un exil. Dans le
téléphone d’une migrante syrienne », Lemonde.fr, 18 décembre 2015.
URL : https://www.lemonde.fr/international/visuel/2015/12/18/dans-le-telephone-d-une-
migrante-syrienne_4834834_3210.html
2. URL : https://enterremoimonamour.arte.tv/
PARTIE VI
LE DÉCRYPTAGE
DE L’INFORMATION
Chapitre 1
1 Les journalistes et leurs sources

Loïc Ballarini et Camille Noûs

P
as de démocratie sans médias libres. Pilier de la démocratie,
la presse en constitue le quatrième pouvoir. La qualité des
journalistes se mesure à l’épaisseur de leur carnet
d’adresses. À propos de journalisme, on pourrait ainsi enchaîner les
formules rebattues comme on enfilerait les perles d’un collier trop
clinquant. Les trois que nous venons de mentionner suffiront
cependant pour introduire ce chapitre consacré aux sources des
journalistes, à la place qu’elles occupent dans la production de
l’information et à la diversification apportée par l’ère numérique1.
« Sources » : le terme mérite tout d’abord d’être discuté. Aller à
la source, c’est remonter à l’origine, retrouver le filet d’information
pure et non filtrée au terme d’un travail de recherche patient et
déterminé. Mais la « métaphore aquatique » est « grosse de
malentendus », alerte Érik Neveu, « non parce que les journalistes
seraient dépourvus d’esprit d’initiative et de savoir-faire pour accéder
à des informations cachées, mais parce que les sources sont
aujourd’hui fondamentalement actives » (Neveu, 2019 : 56). Il ne
s’agit pas que du carnet d’adresses, méticuleusement assemblé et
jalousement conservé, à partir duquel on choisira l’interlocuteur qui
éclairera un événement, mais aussi et surtout d’un déluge de
sollicitations intéressées, qui se présentent aux journalistes comme
incontournables, et dans lequel il va bien falloir faire le tri.
La « source » connote également un élément naturel bien peu
compatible avec la professionnalisation des agents sociaux qui en
tiennent lieu, individus comme organisations. Pas plus qu’il n’existe
quelque part des faits que l’on pourrait saisir dans leur entièreté et
présenter au public sans les altérer, il n’existe de source
d’information naturelle, évidente, qu’on n’aurait pas besoin de
questionner. « Le journaliste n’est pas connecté directement avec
des “faits”, mais avec des “paroles” » (Mouillaud et Tétu, 1989 : 5).
C’est à partir de ces « paroles » que journalistes et médias peuvent
mettre en œuvre une production d’information et ainsi « construire
l’événement » (Verón, 1981).
Que sont donc les « sources » des journalistes ? Dans
l’introduction d’une riche livraison consacrée à ces questions,
Nicolas Kaciaf et Jérémie Nollet proposent à la fois une discussion
du terme de « source » et de ce qu’il recouvre, une histoire des
recherches sur les sources journalistiques et des pistes pour les
poursuivre. À la lumière de plus d’un demi-siècle d’études, ils
estiment que « la notion de “source” navigue ainsi entre des
approches focalisées sur les luttes symboliques que mènent les
personnalités et les groupes par médias interposés et des
approches plus attentives aux enjeux de citation et d’indexicalisation
des discours à partir desquels les journalistes construisent leur
description des événements et des phénomènes sociaux » (Kaciaf et
Nollet, 2013 : 21-22). Les auteurs réunis par Jean-Baptiste Legavre
autour de la question de l’« informel » analysent pour leur part cet
élément essentiel, peu présent dans les manuels et les formations
en journalisme, mais central dans les relations que les journalistes
entretiennent avec leurs « sources », qui oscillent entre la distance
réflexive et la proximité au risque de la connivence (Legavre, 2014).
Nous retiendrons ici une définition la plus large possible des
sources (nous supprimons désormais les guillemets, non pour
rejeter les précautions d’usage mais pour faciliter la lecture). Les
« paroles » mentionnées plus haut sont recueillies par les
journalistes auprès de personnes ou d’institutions : c’est elles que
l’on considère habituellement comme étant les sources des
journalistes. Mais une autre catégorie de sources existe, plus proche
de l’acception historiographique : les discours, documents ou
observations recueillis ou directement produits par les journalistes,
et qui constituent autant d’éléments nécessaires à leur travail.
Conférences de presse et leur cadre, dossiers de presse envoyés
aux journalistes et documentation issue d’un travail de recherche
préalable (archives, fuites, traces papier ou numériques…), travail
de terrain mettant les journalistes en position de témoin ou de
recueillir des témoignages directs, échanges plus ou moins formels
et plus ou moins off the record (« hors micro »), etc. : ces matériaux,
tantôt complémentaires, tantôt contradictoires, sont déterminants à
l’amont de l’enquête, lorsqu’il s’agit de bien connaître le contexte, les
enjeux et les acteurs d’une question d’actualité. Lors de la réalisation
de l’enquête (le travail de « terrain », géographique ou numérique),
ils sont à la fois ce que recueillent les journalistes, et ce sur quoi ils
s’appuient pour interroger le présent avec pertinence.
Mais pourquoi faudrait-il des sources aux journalistes ? Ne
pourrait-on imaginer que des professionnels aussi aguerris soient
capables de suffisamment de discernement pour élaborer seuls une
information équilibrée sans devoir se reposer sur l’ensemble
d’éléments disparates que l’on vient de décrire ? Ce serait tomber
dans l’illusion que les événements seraient « des objets qui se
trouveraient tout faits quelque part dans la réalité et dont les médias
nous feraient connaître les propriétés et les avatars après coup avec
plus ou moins de fidélité ». Or les événements « n’existent que dans
la mesure où ces médias les façonnent » (Verón, 1981 : 7-8). Une
opération qui a besoin de sources, et d’un cadre dans lequel le
travail journalistique s’effectue. Ce cadre est celui de la fonction
sociale attribuée aux médias d’information dans les systèmes
démocratiques, et des conditions matérielles de travail dans
lesquelles cette fonction se réalise. Il n’a rien d’évident. D’abord
parce que les conceptions de la démocratie varient ; ensuite parce
qu’il en découle des modèles médiatiques différents, impliquant des
rapports aux sources eux-mêmes divers. Dans ses travaux sur les
rapports entre presse et politique, Jacques Le Bohec propose ainsi
cinq idéaltypes de démocratie, en fonction de la présence et du rôle
des représentants, de la place de la parole et du vote, et de la
répartition des pouvoirs. À chaque modèle démocratique correspond
un idéaltype de rôle démocratique de la presse, et donc de rapports
entre presse et politique (Le Bohec, 1997, 2000). Bien qu’il n’aborde
pas directement la question des sources, elles apparaissent en
filigrane : certaines seront favorisées ou laissées de côté en fonction
du modèle auquel on se rattache. Ainsi, dans la presse vue comme
« forum/agora », qui correspond à l’idéal démocratique de la
« participation » (démocratie directe), le média n’est que le support
de l’expression populaire : les journalistes disparaissent, les sources
ayant un accès direct et égalitaire à la publication. Au contraire, les
médias « organe[s] de parti » d’une démocratie vécue comme une
« compétition » pour l’accès au pouvoir, ont à leur service des
journalistes défendant une cause politique, qui auront donc tendance
à sélectionner des sources allant dans le sens de leurs convictions.
Les cinq idéaltypes de rôle démocratique de la presse n’existent
pas en tant que tels : ce sont des modèles de pensée au sens de
Max Weber, des instruments qui permettent, par la stylisation et
l’élaboration de caractéristiques qui les distinguent les uns des
autres, d’effectuer des comparaisons et de mieux comprendre les
phénomènes tels qu’ils se manifestent en réalité (Weber, 2006).
Ainsi la conception démocratique dominante aujourd’hui est-elle,
selon Le Bohec, celle de la « représentation » ou délégation de
pouvoir par le vote, à laquelle correspond un journalisme de
« service public » dans lequel les journalistes, politiquement
impartiaux, transmettent de manière équilibrée la parole et l’action
des élites et des institutions, selon une fonction de gatekeeper (pour
une définition critique du gatekeeping, voir Bastin, 2018 : 75-76). On
voit bien qu’il ne s’agit là que d’une modalité utilisée par les médias
contemporains, qui puisent aussi au modèle de l’« expression
libre », dans lequel les journalistes commentent la vie politique ; et
dans celui de « contre-pouvoir » ou quatrième pouvoir, dans lequel
les journalistes ont pour mission de traquer les abus de pouvoir. Ces
modèles sont utiles pour analyser les médias et déterminer des
tendances : Mediapart, qui privilégie l’investigation, ressort plutôt du
modèle du « contre-pouvoir » et utilise fréquemment des documents
administratifs ou judiciaires comme sources, mais sa partie « Club »,
dans laquelle la rédaction n’intervient pas, est un « forum-agora »
permettant à ses abonnés de s’exprimer librement. Parfois c’est le
modèle de « forum-agora » qui est mis en avant, comme sur
certaines tranches de radio où on laisse la parole aux auditeurs –
mais dans ce cas l’appellation d’« antenne ouverte » est souvent
trompeuse, car les interventions sont sélectionnées et filtrées en
amont, jusqu’à l’exemple extrême que constituent les talk-shows
radiophoniques conservateurs états-uniens, dans lesquels les
auditeurs ne servent que de caution aux positions politiques des
animateurs (Mort, 2018a, 2018b). On pourrait ainsi multiplier les
exemples montrant le caractère nécessairement hybride des lignes
éditoriales des différents médias.
D’autres modèles sont par ailleurs possibles : Colette Brin, Jean
Charron et Jean de Bonville proposent ainsi quatre modèles ou
« paradigmes journalistiques » qui, successivement, caractérisent la
production d’information en Amérique du Nord : le « journalisme de
transmission » (XVIIe siècle), dans lequel l’éditeur n’est qu’un
intermédiaire entre les sources et les lecteurs ; le « journalisme
d’opinion » (XIXe siècle) qui met le journal au service de luttes
politiques ; le « journalisme d’information » (à partir de 1880), qui
correspond à une production à la fois plus consensuelle et plus
professionnelle ; et le « journalisme de communication » (à partir des
années 1970), marqué par un relatif effacement des frontières avec
le divertissement et le discours promotionnel (Brin et al., 2004). Là
encore, les auteurs ne prétendent pas enfermer la diversité des
phénomènes dans des cases qui s’excluraient mutuellement, mais
proposer des modèles aidant à penser les changements et les
mutations des pratiques. C’était encore la démarche de Daniel
C. Hallin et Paolo Mancini, dans une perspective comparatiste
internationale visant à dégager des modèles médiatiques à partir de
variables économiques, politiques, professionnelles et de régulation
(Hallin et Mancini, 2004).
Retenons que les modèles qui nous intéressent ici sont ceux qui
font appel à un travail journalistique d’établissement, de mise en
contexte et d’analyse des faits visant à mettre la complexité du
monde à disposition de tous. On y retrouvera donc un mélange de
quatrième pouvoir et de service (au) public : un journalisme
d’information qui ne dédaigne ni le commentaire, ni l’opinion, ni les
nouvelles formes et tons issus d’hybridations avec d’autres modes
de communication, tant que ceux-ci s’appuient sur les faits sans en
dissimuler une partie ni prétendre à une pseudo-objectivité. En
somme, un journalisme qui entend respecter pleinement les règles
éthiques et déontologiques qu’il s’est fixées2.

Les médias et leurs sources, une vieille


histoire
Les historiens de la presse datent la naissance du journalisme
comme profession du dernier tiers du XIXe siècle. Les médias sont
pourtant bien plus anciens : les nouvelles à la main, ancêtres des
lettres d’information et newsletters d’aujourd’hui, existaient avant la
mise au point de la presse typographique en Europe au milieu
du XVe siècle, à partir notamment des techniques d’impression
d’origine chinoise. Quant aux premiers véritables périodiques
consacrés à l’actualité, en général hebdomadaires, ils sont nés au
tournant des XVIe et XVIIe siècles. Si ces journaux étaient sans
journalistes, ils n’étaient cependant pas sans sources. La Gazette de
Théophraste Renaudot, lancée en 1631, doit son existence à la
volonté du cardinal de Richelieu et au privilège royal lui octroyant un
monopole perpétuel sur les nouvelles politiques (Chupin et al.,
2012 : 12-13). Richelieu et Louis XIII écrivent eux-mêmes certains
articles : un hebdomadaire dédié à la gloire du pouvoir ne saurait
disposer de meilleures sources ! Renaudot mesure d’ailleurs
l’ambiguïté de sa position, lui qui doit assumer une fonction de
propagandiste avant la lettre, tout en étant conscient qu’il existe une
« voix publique », c’est-à-dire des lecteurs capables de jugement
aussi bien sur l’action des dirigeants que sur le travail du gazetier, en
somme une opinion publique qui n’en porte pas encore le nom
(Feyel, 2004). C’est peut-être ce qui le pousse à élaborer, dans les
Préfaces qui accompagnent les recueils annuels de La Gazette, un
ensemble de textes autoréflexifs qui font de lui le « premier
énonciateur d’une éthique journalistique inséparable de toute activité
de presse ». Pour Gilles Feyel, son exemple tend à prouver que
« c’est bien l’éthique qui fonde le journalisme, qui crée le
journaliste » (Feyel, 2003 : 188).
Mais le chemin sera long. En France, où les journaux se
construisent sur une double base politique et littéraire, le système
des privilèges reste en place jusqu’à la Révolution. Le nombre de
journaux pouvant être publiés sur le territoire national est donc limité,
même si d’autres périodiques y sont diffusés depuis l’étranger. La
liberté de la presse, proclamée à l’article XI de la Déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen de 1789, permet une floraison sans
précédent de publications pour la plupart politiques, mais n’est que
de courte durée. Le XIXe siècle est marqué par une lutte sur deux
fronts liés, pour la (ré)installation de la République et de la liberté de
la presse, qui aboutissent respectivement en 1870 et par la loi du
29 juillet 1881. Cette période est aussi celle de la
professionnalisation du journalisme français, qui tente de
s’autonomiser de ses origines politiques et littéraires, sans les renier,
mais en les mettant au service d’une identité professionnelle propre
développée à partir de l’importation et de l’adaptation, depuis les
États-Unis, de la pratique du reportage (Delporte, 1999 ; Ferenczi,
1996). Du fait divers au tribunal et jusqu’au grand reportage, on peut
maintenant « écrire pour informer » (Wrona, 2011), mais aussi pour
instruire, raconter ou divertir.
Alphabétisation, rotatives, baisse des prix, diffusion de fictions
ou de reportages en feuilleton… un ensemble de facteurs sociaux,
économiques et techniques explique l’essor d’une presse de masse
à la fin du XIXe siècle, aussi bien à Paris qu’en province où
s’inventent également les éditions locales des quotidiens
départementaux et régionaux. Se revendiquant de plus en plus
comme une profession, avec ses spécialistes, sa division du travail
et ses genres plus ou moins valorisés (reportage, interview,
chronique, polémique, spectacles, sport…), le journalisme construit
également un corpus de règles déontologiques qui, bien que n’ayant
pas de valeur légale et ne pouvant prétendre à résoudre le flou qui
entoure la définition du journalisme, n’en constitue pas moins le
socle de l’affirmation d’une identité professionnelle partagée qui
légitime l’existence et le rôle du journalisme au sein de la société
(Ruellan, 2011). En France, la première codification est celle de la
Charte des devoirs professionnels des journalistes français, publiée
par le Syndicat national des journalistes (SNJ) en 1918. Elle a été
révisée en 1938 puis en 2011, année où elle a été renommée Charte
d’éthique professionnelle des journalistes3. D’autres existent et sont
fréquemment citées, comme la Charte de Munich (1971) ou la
Charte mondiale d’éthique des journalistes (2019). Au-delà de leurs
différences, elles partagent quelques principes concernant les
sources : l’affirmation du droit des journalistes à accéder aux
informations d’intérêt public – celui-ci primant tout autre intérêt, que
ce soit celui des propriétaires des médias ou des pouvoirs en
place –, la nécessité de l’évaluation et de la vérification des sources,
l’interdiction de recourir à tout moyen déloyal pour obtenir des
informations ainsi que de dissimuler sa qualité de journaliste, la
protection des sources révélant des informations confidentielles. Cet
ensemble de principes n’est pas toujours facile à appliquer et
connaît de nombreuses entorses sur le terrain, que les discussions
en équipe, s’appuyant sur les chartes, les ouvrages consacrés à la
déontologie, les manuels de journalisme et les souvenirs de cours
doivent aider à trancher. Ils constituent le soubassement du second
des cinq devoirs des journalistes identifiés par Benoît Grevisse :
celui de « rechercher la vérité », qui s’accompagne de la
« reconnaissance de la primauté des droits du public », du « devoir
de publier la vérité », du « respect des personnes » et du « devoir de
raconter avec désintéressement et modestie » (Grevisse, 2016 :
155-265).
Rechercher la vérité
Rechercher la vérité, c’est donc, avant tout, retrouver autant de
pièces que possible d’un puzzle qu’on sait devoir demeurer toujours
incomplet. Le contour de chacune des pièces dépend de la manière
dont la source qui l’a produite l’aura informée, au sens étymologique
de « mettre en forme », en espérant qu’elle ne soit pas
intentionnellement déformée, ce à quoi prêteront attention les
journalistes qui ne veulent pas se faire les complices involontaires
d’une entreprise de désinformation. Certaines pièces sembleront ne
pas pouvoir s’emboîter, et il faudra alors comprendre comment des
points de vue différents et des intérêts divergents peuvent éclairer le
même phénomène. Une partie importante de cette recherche, et la
qualité de ses résultats, dépend donc du nombre de sources dont
disposent les journalistes, mais aussi des rapports que les unes et
les autres entretiennent, de la capacité des journalistes à lire les
intentions et les stratégies des sources, à conserver une distance
critique dans la nécessaire dépendance aux sources4.
Il n’y a parfois qu’une source : un portrait réalisé à la va-vite en
ne rencontrant que le portraituré, le compte rendu d’une conférence
de presse ou d’une visite d’entreprise rédigé sans documentation
préalable ni vérification ultérieure, l’annonce d’un spectacle se
contentant de paraphraser un dossier de presse, la reprise sans
précaution d’une information déjà publiée par un confrère qu’on
oublie de citer… Soyons clairs : ces cas ne devraient pas exister –
en tout cas dans les modèles de journalisme envisagés dans ce
chapitre. S’ils sont si nombreux, c’est souvent par facilité ou par
négligence, à cause de la pression hiérarchique de faire vite et pas
cher (au risque de mal faire), par manque de moyens surtout, par
manque de formation ou de réflexion parfois.
Une autre situation conduit trop souvent à recourir à la source
unique : la dépêche d’agence, que certains sites rediffusent de
manière automatique, ou des journaux reprennent telle quelle. La
mission des agences de presse est en effet de fournir à leurs
abonnés, qui sont eux-mêmes des médias, des informations qu’il
leur est loisible de republier. Les agences, et en particulier les trois
grandes agences internationales que sont l’Agence France-Presse,
Reuters et Associated Press, font elles-mêmes le travail de
vérification préalable et de croisement des sources selon des
standards de qualité exigeants : pourquoi ne pas leur faire
confiance ? Parce qu’il leur arrive aussi de se tromper – certes
rarement, mais ces erreurs montrent que les agences sont aussi des
organisations soumises à des contraintes et au jeu des intérêts
individuels et collectifs (Lagneau, 2010). Mais surtout parce qu’il
faudrait traiter les agences comme n’importe quelle source, à
compléter ou pondérer par un travail propre au média. Ainsi
considérées, elles constituent un puissant soutien à des productions
au moins en partie originales. Cependant, il est également vrai que
les agences fournissent des contenus de plus en plus élaborés,
proches du magazine, concernant des terrains parfois inaccessibles
aux médias qui les rediffusent. L’information locale connaît un autre
cadre de dépendance à des sources secondaires : une partie
importante du contenu de la presse régionale est produite par les
correspondants locaux de presse (CLP), qui ne sont statutairement
pas journalistes. Les rédactions leur font de facto confiance, même
si les CLP trouvent engagement et reconnaissance plutôt dans leur
territoire que dans leur relation au journal (Gimbert, 2012).
Mais le problème de fond vient d’un suivisme médiatique très
bien installé. Pour ne pas avoir l’air à la traîne, ne surtout pas laisser
penser qu’ils pourraient rater une info, médias et journalistes
s’observent les uns les autres. « Les médias vont vite. Ils copient
beaucoup. Et ils ne créditent que très peu » (Cagé et al., 2017 : 44).
Observant les publications des sites web français d’information
politique et générale sur une année complète, Julia Cagé, Nicolas
Hervé et Marie-Luce Viaud constatent que « 64 % de ce qui est
publié en ligne sont du copié-collé pur et simple ». Si 21 % des
articles sont entièrement originaux, ceux qui ne présentent aucune
originalité sont presque aussi nombreux (19 %), et plus de la moitié
(56 %) ne dépasse pas 20 % de contenu original. Et quand les
articles ont recours à la copie externe, celle-ci représente en
moyenne 73 % de leur contenu (Cagé et al., 2017 : 51-52).
Nombreux, les copiés-collés sont également très rapides : moins de
trois heures en moyenne, mais moins de 25 minutes dans la moitié
des cas, et parfois quelques secondes à peine pour les
republications automatiques de dépêches d’agence. On pourrait
considérer cette étude comme une confirmation statistique de ce
que Pierre Bourdieu avait appelé la « circulation circulaire de
l’information » (Bourdieu, 1996 : 22-29). L’attention extrême portée à
la moindre publication des concurrents, la pression de l’audience,
combinées au fait que les journalistes ont déjà tendance à partager
la même conception de ce qui doit « évidemment » faire la une en
raison de leurs origines sociales et parcours personnels relativement
similaires, conduisent à une situation dans laquelle « les produits
journalistiques sont beaucoup plus homogènes qu’on ne le croit »
(Bourdieu, 1996 : 23). Certes, la rapidité de publication procure, au
moins momentanément, un avantage en termes d’audience. Mais
« si cet effet est statistiquement significatif, sa magnitude est
néanmoins très faible ». La causalité la plus forte relevée par les
auteurs devrait d’ailleurs plutôt inciter à privilégier la qualité :
« L’audience décroît de manière inversement proportionnelle au taux
de copie » (Cagé et al., 2017 : 115). Autrement dit, plus un média
produit de contenu original (et plus sa rédaction est nombreuse),
plus l’audience augmente. C’est la qualité (de l’information) qui fait la
quantité (des lecteurs). Et la qualité a besoin de sources variées,
sollicitées par les journalistes. Ne pas le faire, c’est risquer de servir
des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, et se
rapprocher du modèle des « médias de source », ces organes
fondés par des institutions dans le cadre de stratégies de
communication, que Francisco Sant’Anna a étudiés pour le Brésil
(Sant’Anna, 2009), mais auxquels on pourrait rattacher La Gazette
de Renaudot, créée par le pouvoir royal, la presse de province
du XVIIIe siècle, promue par les autorités, ou un grand nombre de
titres institutionnels ou professionnels d’aujourd’hui.
Associés et rivaux
Le rapport aux sources ne doit donc pas s’arrêter à la réception
de communiqués ou de dossiers de presse, ni même à un regard
critique sur l’organisation des conférences de presse, de la tournée
des matinales ou des dernières déclarations d’untel sur les réseaux
socio-numériques. Actives, les sources ont recours à au moins
quatre types de stratégies : « contrôler » l’information et l’accès
qu’en ont les journalistes ; « séduire » les journalistes par des
attentions et des cadeaux ; « laisser jouer la sous-
professionnalisation » de certains médias en se posant comme
interlocuteur providentiel fournissant par exemple les moyens d’un
voyage ; « fabriquer le pseudo-événement » afin de contrer des
stratégies d’opposition et/ou de faire passer les soutiens dont on
dispose pour plus importants qu’ils ne sont (Neveu, 2019 : 58-59).
Les sources, en particulier institutionnelles, essaient d’être les
« définisseurs primaires » (Hall et al., 1978) de l’information, celles
qui, par leur autorité (ministre, chef d’entreprise, préfet, responsable
local de la police…) tentent d’imposer le cadre à travers lequel
l’événement sera analysé. Ce cadre est toujours défini par les
intérêts propres de la source, et tend à masquer ceux des
« définisseurs secondaires » (associations, employés, activistes,
chercheurs…), qui ne sont pas moins légitimes et dont le poids dans
le début public dépend aussi de la place que leur accordent – ou
pas – les médias. Chacune de ces sources tente d’attirer leur
attention par divers moyens : les journalistes, alors placés en
position d’arbitres devant choisir, peser et mettre en perspective les
arguments des uns et des autres, sont donc aussi acteurs indirects
des luttes pour l’accès à la visibilité (Derville, 1997 ; Marchetti,
2000 ; Schlesinger, 1992).
Indispensables aux journalistes, les sources ne peuvent pas
non plus se passer des médias pour exister. Malgré les médias de
source et les stratégies de communication autonome que les
réseaux socio-numériques permettent de renforcer, les médias
d’information conservent un pouvoir décisif de légitimation de la
parole publique et d’établissement des notoriétés. On peut donc
décrire les relations entre les journalistes et leurs sources comme
celles d’« associés-rivaux », un oxymore qui éclaire « des types de
jeux sociaux à somme non nulle, faits d’entrecroisements et
d’intrications » (Legavre, 2011 : 106). Certaines situations semblent
prêter à plus d’association que de rivalité, comme dans le cas de la
presse agricole, dont une partie des titres est détenue par le
syndicat agricole majoritaire mais où les journalistes tentent de
s’autonomiser tout en restant proches des exploitants agricoles
(Chupin et Mayance, 2013) ; ou dans celui du journalisme sportif, où
la relation de complicité entre journalistes et joueurs a été perturbée
par l’arrivée des communicants au service des clubs, puis des
agents de joueurs (Montañola et al., 2012). À l’inverse, la relation
peut prendre la forme d’une franche rivalité. Pour décourager les
enquêtes, certaines entreprises sont ainsi devenues des spécialistes
des « poursuites-bâillons » (en anglais Strategic Lawsuit Against
Public Participation ou SLAPP, soit « poursuite stratégique contre la
mobilisation publique »). En portant plainte contre des médias ou
des militants pour diffamation, elles les obligent à investir temps et
moyens dans leur défense. Elles peuvent ensuite choisir de retirer la
plainte juste avant le procès, ou la maintenir au risque, le plus
souvent, de le perdre. En 2018, une cinquantaine de médias,
sociétés de rédacteurs, collectifs de journalistes, organisations non
gouvernementales (ONG) et syndicats avaient dénoncé ces
pratiques dans une tribune publiée à la veille d’un procès intenté à
trois médias et deux ONG par deux sociétés liées au groupe Bolloré.
Celui-ci avait à l’époque à son actif plus de vingt plaintes en cours
ou passées visant des articles concernant ses activités5. L’année
suivante, il était condamné trois fois pour procédures abusives, sans
que cela ne le conduise à modifier ses pratiques6.
Sans aller jusqu’au procès, il suffit parfois de fermer les portes.
En mai 2021, publiant les 84e, 85e et 86e droits de réponse d’élus
d’extrême droite de la mairie d’Hénin-Beaumont, la rédaction de
La Voix du Nord posait une question cruciale. Alors que le journal
respecte le droit de réponse qui est un « corollaire au droit
d’informer », « le corollaire au droit de réponse (le droit d’informer
donc) est-il respecté à Hénin ? Nos questions aux élus restent la
plupart du temps sans réponse. Nous ne sommes plus, sauf à de
très rares exceptions, invités aux manifestations organisées par la
mairie et devons donc nous débrouiller par nous-mêmes pour en
avoir connaissance7. » Enquêter sur certains secteurs, comme
l’agroalimentaire en Bretagne, peut aussi s’avérer très difficile. Les
pressions et refus de témoigner subis par la journaliste Inès Léraud,
co-autrice d’Algues vertes, l’histoire interdite (Léraud et Van Hove,
2019), ont conduit à la création d’un comité de soutien, puis du
collectif de journalistes Kelaouiñ et de l’ONG d’enquêtes Splann !
Mais ils ne sont que la partie la plus visible d’un climat pesant qui
s’est également manifesté par la dégradation des locaux de la radio
associative RKB en décembre 2020 et le sabotage de la voiture
d’une de ses journalistes, Morgan Large, en mars 20218. En France
toujours, participent à ce climat la loi dite « Sécurité globale » visant
notamment à limiter la documentation de l’action de la police, les
violences policières à l’encontre des journalistes dans les
manifestations ou les convocations de journalistes et les
perquisitions de rédactions, destinées à identifier les sources de
certaines révélations. Ces dispositions, qui restreignent les
conditions d’exercice du journalisme, viennent également fragiliser la
protection des sources des journalistes, un élément essentiel de la
déontologie qui n’a été qu’imparfaitement et très tardivement
(en 2010) traduit dans la loi française9. L’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’Homme a certes permis d’établir une
jurisprudence plus protectrice au niveau européen, mais celle-ci peut
désormais être contournée grâce aux effets de la directive 2016/943
sur le secret des affaires.

Tout est enquête


Le droit d’accès à toute information d’intérêt public, revendiqué
par la déontologie journalistique, n’est pas un acquis : il doit être
défendu et cultivé, au besoin en faisant appel à la Commission
d’accès aux documents administratifs, et toujours en s’armant de
patience et de persévérance. Pour produire un journalisme de
qualité, il faut considérer que tout est enquête. Que partout, toujours,
la plus grande ouverture s’impose : savoir recueillir des faits ou des
opinions qui bousculent ses propres certitudes est aussi important
que nécessaire. Mais mettre à distance sa propre condition n’est pas
facile, car ce que chacun considère comme naturel ne l’est qu’au
regard de son parcours et de sa position dans le champ social. Si les
interviews politiques sont plus complaisantes avec les membres du
gouvernement qu’avec les syndicalistes de l’automobile ou des
chemins de fer, c’est parce que les journalistes qui les pratiquent
sont bien plus proches des premiers que des seconds, par leur
origine sociale et leur formation, et qu’ils partagent la même vision
du monde, libérale sur le plan économique. S’il faut tenter d’avoir en
tête ces déterminants pour les dépasser, il ne faut pas non plus se
laisser dominer par la fascination qu’on peut éprouver face à un
artiste ou un sportif dont on admire le travail ou les exploits. Le
moment de l’interview a beau être celui de la rencontre,
éventuellement en direct, entre un journaliste et une source unique,
il doit, tout autant que pour les autres genres journalistiques, être
nourri en amont par une solide documentation. On pourrait aussi
suggérer aux intervieweurs de se faire toujours accompagner d’un
journaliste spécialiste de la question abordée : on éviterait alors bien
des approximations et tentatives de désinformation lors des
matinales et des talk-shows.
Un guide possible : les conseils pour la réalisation d’un portrait
jadis prodigués à Raphaël Garrigos, journaliste et cofondateur du
média en ligne Les Jours, alors qu’il travaillait encore à Libération.
Vieille recette donnée par Marie Guichoux, qui a créé la
page “portrait” de Libé : tu vois une fois le portraitisé chez
lui (c’est mieux de le voir dans son environnement naturel
plutôt que dans un endroit style bar d’hôtel) pendant deux
heures, il te donne une liste de dix personnes qui peuvent
parler de lui à différentes étapes de sa vie, tu confectionnes
ta propre liste de dix personnes, tu contactes tout ce beau
monde et ensuite tu revois le portraitisé… En somme, le
portrait c’est un article journalistique comme un autre :
c’est-à-dire que c’est une enquête. La rencontre ne suffit
pas. De la même façon qu’on enquête sur une entreprise,
sur un fait divers, sur n’importe quoi, on croise ses sources
pour écrire un portrait. Avec un portrait, il s’agit aussi de
bien choisir la, le portraitisé. Tout le monde ne mérite pas
ses cinq feuillets (la longueur d’un portrait de Libé)10.
Croiser les sources, c’est aussi éviter de se faire manipuler,
notamment dans le cadre de révélations. Car celles et ceux qui
parlent ont souvent intérêt à le faire. Révéler les pratiques amorales
ou illégales d’une entreprise ou d’une personnalité peut servir
d’autres desseins que le bien public : prendre l’avantage sur un
marché, décrédibiliser un adversaire avant la prochaine élection… Il
faut donc pouvoir distinguer l’intérêt public que représente
éventuellement l’information, de l’intérêt particulier que peut
poursuivre l’informateur. Si l’on parvient à établir le premier, on
veillera également à ne pas servir le second. La loi française ne
protège les lanceurs d’alerte que désintéressés, et impose des
conditions qui rendent cette protection fragile, notamment l’obligation
d’un signalement en interne préalable à toute communication
publique.
Et quand aucune information n’est disponible, ou qu’aucune
source externe ne permet de comprendre vraiment ce qui se passe
dans un milieu, une institution, un pli de la société ? Alors
l’« infiltration », qui déroge à l’obligation éthique de ne jamais
dissimuler sa qualité de journaliste, peut s’imposer et le journaliste
devenir sa propre source. De Nellie Bly se faisant interner dans un
asile psychiatrique (Bly, 2015) à Florence Aubenas partant à la
recherche d’un emploi non qualifié (Aubenas, 2010) en passant par
Günter Wallraff grimé en immigré turc (Wallraff, 2013) ou Anne
Tristan parmi les militants du Front national (Tristan, 1987), les
exemples ne manquent pas de journalistes parvenus à donner un
éclairage sensible et de première main sur des situations peu
connues du grand public – ou en tout cas largement ignorées des
médias. Cet usage exceptionnel de méthodes déloyales de recueil
de l’information ne peut être réalisé que dans certaines conditions
(intérêt justifié, information non accessible autrement, risques
proportionnés au résultat recherché, accord de la rédaction en chef,
respect de l’intimité des personnes). Il peut prendre plusieurs
formes : le « journalisme d’immersion », qui consiste à « embrasser
les conditions de vie d’un milieu dans une approche presque
ethnologique » ; le « journalisme d’infiltration », qui « cherche à
dévoiler des réalités cachées » ; et le « journalisme de provocation »
qui, au-delà de l’observation, « suscite les faits qu’il veut dénoncer »
(Grevisse, 2016 : 190-192). On comprend que, si les deux premiers
peuvent se justifier, le dernier doit être proscrit : on ne se fait pas
corrupteur pour montrer que la corruption existe. Mais les limites
sont, comme souvent, floues. Sans qu’elle conduise à provoquer
directement les événements, la démarche de Valentin Gendrot
interroge. Le journaliste s’est fait recruter comme adjoint de sécurité
afin de réaliser une enquête sur les conditions de travail de la police
et les violences policières (Gendrot, 2020). Les phénomènes qu’il
rapporte sont cependant pour l’essentiel déjà connus. Mais surtout,
l’auteur doit, pour décrire des violences policières, se placer en
position non seulement de témoin, mais encore de complice.

Diversifier, ou le numérique au secours


des journalistes
Il existe pourtant d’autres moyens, et d’autres sources, pour
produire une information fiable sur ces questions. Associations et
citoyens collectent témoignages et documents depuis des années, et
les réseaux socio-numériques en regorgent. Ceux-ci font désormais
partie de la panoplie d’outils des journalistes, pouvant servir à
repérer des événements, identifier des sources alternatives,
alimenter le texte des journalistes par des citations, voire être utilisés
comme moyen collaboratif de vérification de l’information
(Hernández-Fuentes et Monnier, 2020). Comme ailleurs, il faut
croiser, questionner, vérifier. C’est en se servant de Twitter comme
d’une source primaire sur les violences policières durant les
manifestations de Gilets jaunes, puis en contactant les auteurs, en
vérifiant dates, lieux et circonstances, et enfin en utilisant le même
réseau comme plateforme de publication que le journaliste David
Dufresne a contribué de façon décisive à changer le régime de
visibilité des violences policières avec « Allô Place Beauvau » et ses
déclinaisons (Ballarini, 2020). Auparavant très peu présent dans les
médias, le terme a été de plus en plus utilisé à partir de l’hiver 2018-
2019, d’abord avec des guillemets, puis sans : ainsi est construit un
nouveau problème public (Neveu, 2021). Nombreuses sont les
enquêtes qui se sont au moins en partie basées sur des messages
postés sur les réseaux socio-numériques, notamment sur les
questions de violences sexuelles et de racisme, depuis #MeToo et
#BlackLivesMatter. Certains de ces messages sont accessibles
publiquement, d’autres nécessitent d’obtenir l’accès à des groupes
de discussion privés. Beaucoup de journalistes utilisent aussi ces
canaux pour lancer des appels à témoins : il y a évidemment un
biais parce que le public touché doit en être utilisateur, et que la
diffusion est tributaire des recommandations algorithmiques. Mais il
y a des biais dans la sélection de toutes les sources. Il est bien
arrivé à l’un des auteurs de ces lignes d’être le père de famille
lambda réagissant à telle réforme pour un journaliste intervenant
dans la formation qu’il codirige et qui devait rendre son papier dans
un délai impossible.
Le numérique, ce ne sont pas que des réseaux : c’est aussi
l’opportunité d’accéder à des données soit nouvelles, soit en
quantité considérablement plus élevée qu’auparavant. Le
datajournalisme, ou journalisme de données, qui se répand dans
tous les médias, contribue à de nouvelles hybridations
professionnelles (avec des informaticiens ou des data scientists pour
le traitement et la visualisation des données), voire à des
collaborations inédites, qu’elles soient internationales, pour de
grandes enquêtes sur l’évasion fiscale (Panama Papers, Football
Leaks), ou interrégionales, entre titres de la presse quotidienne
régionale partageant tableurs et méthodes de travail et se
coordonnant pour donner du poids à une investigation sur les liens
entre médecins et laboratoires pharmaceutiques
(Transparence CHU ).
11

Les « données », terme que l’on devrait mettre entre guillemets


car il faut toujours rappeler qu’elles ne sont pas données mais
produites, et doivent être travaillées pour être exploitables et mises
en récit par des journalistes, sont de plus en plus disponibles
librement, notamment à travers les démarches open data des
collectivités territoriales et de l’État. Dans ce cas, elles consistent
souvent en statistiques, qu’il s’agira de trier, géolocaliser, analyser
pour en tirer des récits faisant régulièrement appel à des
datavisualisations (infographies) éventuellement interactives. Mais il
peut aussi s’agir de documents et traces numériques en tout genre :
recherche avancée de textes et d’images sur le web, trafic aérien et
maritime, patrimoine des élus et leurs interventions au Parlement,
comptes des entreprises et décisions de justice, etc. Des
enregistrements d’itinéraires géolocalisés, partagés sur des
applications sportives, ont pu permettre de repérer des bases
militaires, voire d’identifier des militaires ou des agents du
renseignement, sur leurs terrains d’opérations et à leur domicile,
montrant ainsi les enjeux de la protection des données personnelles
– et, pour les institutions en cause, les faiblesses de leur
organisation12.
L’analyse d’images satellitaires a permis de localiser puis
d’identifier les militaires impliqués dans le meurtre de civils au nord
du Cameroun13. On entre ici dans le domaine de l’enquête en
sources ouvertes, ou open source intelligence (OSINT). Parmi les
promoteurs de ces méthodes de recherche, on trouve Bellingcat, né
du blog d’Eliot Higgins, devenu une association employant
18 personnes en 2021 et travaillant avec des dizaines de
contributeurs volontaires, qui ont notamment pu identifier les agents
russes responsables de l’empoisonnement de Sergueï et Ioulia
Skripal (Higgins, 2021) ; ou Forensic Architecture, un laboratoire de
l’Université Goldsmiths de Londres qui mène des enquêtes
transdisciplinaires (architecture, modélisation 3D, analyse de
données, mécanique des fluides, simulations sonores…) afin
d’éclairer les zones d’ombre de nombreux événements (pollutions,
assassinats et violences policières, utilisation d’armes chimiques…).
Ces enquêtes sont parfois réalisées à l’initiative des collectifs,
parfois en partenariat avec des médias, certains développant aussi
en parallèle ces compétences en interne (Le Monde, Mediapart,
Libération) ou ayant recours à l’expertise d’indépendants comme
Index, une agence française sous statut d’association à but non
lucratif.
Considérant que l’époque n’est pas tant caractérisée par la
diffusion massive de contre-vérités que par des attaques répétées
contre l’idée même que la vérité puisse être établie, le fondateur de
Forensic Architecture, Eyal Weizman, estime :
Plutôt que la “vue de nulle part” de l’objectivité, la
vérification ouverte cherche à mettre en relation des
perspectives multiples, subjectives, localisées et situées.
Plutôt que d’être confinée aux boîtes noires des institutions
garantes de l’autorité, elle repose sur des procédures
ouvertes et de nouvelles synergies entre toute une série
d’espaces et d’institutions aux caractéristiques et aux
statuts très divers : le laboratoire scientifique, le studio
d’artiste, l’université, les organisations militantes, les
groupes de victimes, les forums juridiques nationaux et
internationaux, les médias et les institutions culturelles. […]
Notre réponse au scepticisme actuel envers les diverses
formes d’expertise ne passe pas par la résignation ou le
relativisme du “tout se vaut”, mais par une forme plus
dynamique et plus risquée de production de la vérité qui
repose sur la construction d’un dispositif élargi de pratiques
(Weizman, 2021 : 166).
Ce faisant, l’OSINT ou « vérification ouverte » élargit
considérablement l’horizon du journalisme, redonnant même vie à
quelques espoirs déçus du « journalisme participatif » (Mercier et
Pignard-Cheynel, 2014). Elle le fait en mettant l’accent sur ce qui
demeure au fondement de toute démarche journalistique : la
recherche de la vérité par le croisement des perspectives, l’analyse
des enjeux et la vérification des faits. L’ambition, à la hauteur des
défis contemporains, peut paraitre énorme, voire démobilisatrice tant
la tâche est immense. Cependant la communauté est partageuse, et
de nombreux sites ou journalistes diffusent conseils pratiques et
outils sur leurs sites et réseaux. Citons au moins, en nous limitant
aux organismes sans but lucratif, le Global Investigative Journalism
Network (GIJN), la communauté francophone OpenFacto ou l’ONG
d’enquête Disclose14. Rappelons également que ces réflexes
« polyperspectivistes », pour reprendre l’expression d’Eyal
Weizman, sont valables quel que soit le cadre dans lequel le
journalisme s’exerce. Ancien rédacteur en chef de La Gazette en
Yvelines, journaliste pour le site de critique des médias Arrêt sur
images, Loris Guémart partage par exemple sur son compte Twitter
un ensemble de fils sur l’exercice du journalisme15. Dans un de ceux
consacrés à la presse locale, il explique comment « aller chercher
de l’information sans attendre quoi que ce soit des pouvoirs16 » :
exercer une veille sur les réseaux socio-numériques et sur le web
(élus, citoyens, collectifs…), archiver tous les documents disponibles
(délibérations de conseils municipaux, recueil des actes
administratifs et des enquêtes publiques, Bulletin officiel des
annonces civiles et commerciales [BODACC], marchés publics…),
mais aussi trainer à la fin des réunions publiques en posant des
questions ouvertes (« Que pensez-vous de… ? », « De quoi devrait-
on parler ? ») et distribuer des cartes de visite. En bref : perdre du
temps, mais de manière suffisamment intelligente pour que
l’investissement se transforme en sujets originaux et en informations
inédites. C’est aussi le sens de l’opération « Quartiers connectés »
de Rue89 Strasbourg, dont la rédaction va régulièrement à la
rencontre des habitants de trois quartiers strasbourgeois délaissés
par les autres médias : de la discussion naissent articles et enquêtes
d’intérêt général17.
Diversifier ses sources, ce n’est pas seulement utiliser de
nouveaux outils ou rafraîchir de vieilles méthodes. C’est aussi
changer de perspective : plutôt que d’inviter toujours les mêmes
« bons clients » spécialistes de rien mais capables de raconter
n’importe quoi sur n’importe quel sujet, considérer que sur chaque
thématique, il existe des experts, universitaires ou non. Se dire que
si vous ne trouvez pas de femmes à interroger sur un sujet, ce n’est
pas qu’il n’y en a pas, c’est que vous n’avez pas assez cherché18.
Individuellement, c’est toujours possible ; collectivement, c’est
toujours plus efficace : les dynamiques de rédactions sont
essentielles ici, qu’il s’agisse d’entreprendre une démarche en
comptant le nombre de femmes présentes dans les pages du
journal19, ou de la consolider en créant un poste de responsable
éditoriale aux questions de genre (gender editor) chargée de veiller
au caractère inclusif du média « dans son traitement éditorial et dans
son fonctionnement interne »20. Les mêmes questions, réflexions et
initiatives peuvent se penser en matière de traitement des classes
sociales ou des personnes racisées.
« Les journalistes ont des “lunettes” particulières à partir
desquelles ils voient certaines choses et pas d’autres », disait
Bourdieu (Bourdieu, 1996 : 18). Pour mieux voir, il faut donc enlever
ces lunettes, c’est-à-dire tenter de sortir de ses propres déterminants
et de l’homogénéité relative du champ journalistique, pour faire une
place à ces sources que l’on ne voit habituellement pas, ou qui ne
paraissent pas « naturellement » légitimes. Pourquoi y a-t-il si peu
de chômeurs dans les pages de la presse quotidienne régionale, et
pourquoi y pratique-t-on si peu la mise en contexte des déclarations
des sources institutionnelles (Ballarini, 2008) ? Où sont, sur les
plateaux de télévision et ailleurs, les personnes racisées ? Pourquoi
ne pas accorder plus de place et d’empathie aux emplois
habituellement sous le radar des pages économie (ouvriers,
employés de service, travailleurs du numérique et de
l’« uberisation ») ?
Élargir le champ des possibles en diversifiant les sources n’est
que le premier pas. La voie ainsi ouverte est celle d’un journalisme
guidé par une éthique de l’observation, de l’interprétation et de la
restitution. Observer, c’est partir à la recherche de la vérité, objet de
ce chapitre mais tâche parmi les autres, toutes indissociables.
Interpréter, c’est la quête de l’impartialité – ne pas soustraire de faits
au public, saisir les enjeux. Restituer, c’est « rendre compte et
rendre juste » (Fassin, 2017 : 290), avec « désintéressement et
modestie » (Grevisse, 2016 : 240), mais pas sans style, ni sans
assumer le rôle social et politique des journalistes dans la cité. Quel
programme !

Bibliographie
• Aubenas F., Le quai de Ouistreham, Éditions de l’Olivier, 2010.
• Ballarini L., « David Dufresne : “Le journalisme, c’est un sale
métier qu’on peut
faire proprement” » (entretien), La Revue des médias, 17 juin
2020.
URL : http://larevuedesmedias.ina.fr/david-dufresne-enquete-
violences-policieres-journalisme-nouveaux-formats
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1. Nos remerciements, pour leurs relectures attentives et amicales, à Christophe Gimbert,


Nicolas Hubé et Jérémie Nollet. Merci également à tous les étudiants du master
« Journalisme et médias numériques » ainsi que de la licence professionnelle
« Journalisme et médias locaux » de l’Université de Lorraine, pour ces
années d’échanges nourris et passionnés sur ces questions.
2. Voir, dans le présent ouvrage, la partie III consacrée à l’éthique des journalistes.
3. Accès : https://www.snj.fr/content/charte-d’éthique-professionnelle-des-journalistes
4. Voir les témoignages de quatre journalistes sur leurs relations avec certains
interlocuteurs : « Ma source et moi », Mathieu Deslandes, La Revue des médias, 1er juin
2021. Accès : https://larevuedesmedias.ina.fr/series/comment-quatre-
journalistes-font-parler-sources-methodes
5. « Face aux poursuites-bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas ! », tribune
collective publiée le 24 janvier 2018, accessible ici : https://lesjours.fr/obsessions/vie-
jours/ep29-tribune-bollore/
6. « Condamné par trois fois pour procédures abusives, Bolloré ne lâche rien »,
collectif On ne se taira pas, 17 mai 2019, https://onnesetairapas.org Condamne-par-
trois-fois-pour-procedures-abusives-Bollore-ne-lache-rien
7. « À nos lecteurs », par la rédaction, La Voix du Nord, édition Lens-Liévin-Hénin, 21 mai
2021, p. 14.
8. « Déboulonner une roue de la voiture de la journaliste bretonne Morgan Large n’est pas
un geste d’intimidation, mais une tentative de blesser ou de tuer », Stéphane Foucart,
Le Monde, 11 avril 2021.
9. Loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des
journalistes. Accès : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021601325/
10. Correspondance avec l’auteur, 3 mai 2021.
11. « #TransparenceCHU : l’union fait l’enquête en PQR », Élise Colette et Jean-Baptiste
Diebold, podcast A Parte, nº 26, 13 février 2020. Accès :
https://ginkio.com/podcast/26/transparencechu-lunion-fait-lenquete-en-pqr-cedric-motte
12. « The Latest Data Privacy Debacle », Zeynep Tufekci, The New York Times, 30 janvier
2018 ; « Strava, l’application sportive qui géolocalise les militaires », Jean-Marc Manach,
Loopsider, 30 mars 2018.
13. « Anatomy of a Killing », BBC Africa Eye, 24 septembre 2018.
14. Respectivement : https://gijn.org/ ; https://openfacto.fr/ ; « Guide du lanceur
d’enquêtes », Disclose, décembre 2020, https://admin.disclose.ngo/wp-
content/uploads/2020/12/Disclose_Guide_Lanceur_Enquetes.pdf
15. Accès : https://twitter.com/lorisguemart/
16. Accès : https://twitter.com/lorisguemart/status/1213472692881502208
17. Accès : https://www.rue89strasbourg.com/tag/quartiers-connectes
18. Le site Les Expertes tente de remédier à ce biais (https://expertes.fr/). Le compte
Twitter « Femmes qui font les SHS » publie des notices sur des chercheuses en
sciences humaines et sociales en recommandant certaines de leurs publications
(https://twitter.com/366portraitshs). L’association Vecam a également tenu pendant un
temps une liste collaborative de « femmes francophones, oratrices en numérique »
(https://vecam.org/_old/Femmes-francophones-oratrices-en-numerique).
19. « Quelle place pour les femmes dans Le Temps ? », Jean Abbiateci, Le Temps, 2 mai
2018.
20. Lénaïg Bredoux, auparavant journaliste au pôle politique de Mediapart, est nommée
responsable éditoriale aux questions de genre à l’automne 2020, constituant une
première en France. « En cette rentrée, la rédaction de Mediapart se renforce »,
Mediapart, 1er octobre 2020.
Chapitre 2
2 Données numériques, pratiques
professionnelles et organisation
de la production journalistique

Vincent Bullich

À bien des égards, le journalisme professionnel fait figure de


précurseur dans l’utilisation des données numériques. En effet,
dès 1958, IBM expérimente les premiers logiciels pour automatiser
la production de résumés d’articles de presse et, quelques
années plus tard, Philip Meyer lance un projet de « reportage assisté
informatiquement » (computer-
assisted reporting) afin de rendre compte des facteurs favorisant les
mouvements sociaux de l’époque. Au début des années 1970, le
New York Times constitue des banques de données afin d’accroître
la productivité de ses équipes puis l’informatisation gagne, au cours
de la décennie suivante, l’ensemble des grandes rédactions.
Toutefois, c’est au tournant du millénaire que l’enjeu des données
numériques pour les pratiques et les organisations journalistiques
s’est fait aigu. Ceci est évidemment lié au fait qu’à partir de cette
époque, le volume, l’étendue et la vitesse de circulation des flux
d’informations informatisées a bénéficié à plein du développement
des terminaux numériques, d’une part, de l’interconnexion des
réseaux de communication, de l’autre. Le processus de « data-
ification » – c’est-à-dire la reconfiguration des activités en fonction
de la production, de l’acquisition et du traitement des données
numériques – s’est ainsi imposé dans un nombre sans cesse
croissant de champs sociaux et professionnels et donc,
singulièrement, dans celui du journalisme. Ce dernier a toujours été
particulièrement sensible à l’évolution des techniques. Les activités
journalistiques se sont ainsi régulièrement appuyées sur des
innovations communicationnelles pour se développer : le télégraphe,
la photographie, le téléphone, la radiophonie, l’audiovisuel, etc.
(Diakopoulos, 2019). Toutefois, le développement des outils
numériques connectés et, en corollaire, celui des données
numériques sont depuis quelques années présentés comme les
moteurs de mutations appelées à être inédites par leur ampleur. À
l’heure actuelle, celles-ci se manifestent à travers des pratiques, que
des universitaires, des experts ou des professionnels eux-mêmes
ont désignées par divers syntagmes, la plupart initialement
anglophones : « datajournalisme » ou « data-driven journalism »,
« journalisme informatique » (computational journalism),
« journalisme robotisé » (robot journalism), « journalisme
automatisé », « augmenté » ou « algorithmique » (Clerwall, 2014 ;
Diakopoulos, 2019). Cette profusion d’appellations témoigne de la
difficulté à catégoriser ces pratiques récentes fondées sur l’utilisation
intensive de données numériques ; elle rend également compte de
leur portée : au-delà d’une simple assistance informatisée et outre
son caractère polymorphe et labile, cette utilisation conduirait à
l’émergence d’un nouveau « paradigme journalistique ».
C’est précisément la teneur de cette assertion que nous allons
interroger au cours de ce chapitre. Pour ce faire, nous présenterons
succinctement les pratiques les plus répandues au sein des
rédactions et des entreprises médiatiques. Trois aspects seront
distingués : le premier se rapporte aux techniques d’enquête des
journalistes, le deuxième à l’organisation des fonctions productives,
et le troisième à l’automatisation de certaines phases de production.

Une nouvelle heuristique journalistique ?


Dans un premier temps, l’essor des données numériques
disponibles pour les journalistes a été envisagé au prisme du « data-
mining ». Ce terme se rapporte à l’ensemble des procédés de fouille
permettant d’identifier des tendances, des régularités ou des
variations, des constantes ou des anomalies statistiques, des
clusters ou des singularités à partir de grands volumes de données.
L’heuristique, c’est-à-dire la capacité à découvrir, réside précisément
dans cette orientation « big data » : rapportée au journalisme, cette
démarche implique non pas seulement d’asseoir l’enquête sur des
données mais de considérer de vastes ensembles de data, voire
toutes les data disponibles sur un sujet. Le traitement s’applique
ainsi idéalement à des séries où N = Tous, parce que c’est
précisément l’effet de volume qui donne la possibilité d’identifier des
« signaux faibles ». En outre, cette recherche d’exhaustivité permet
de réduire les biais liés aux imperfections des méthodes
d’échantillonnage et celles des extrapolations statistiques. Il en
résulte un changement d’attitude face aux données : ce qui compte
est leur obtention in universum davantage que la précision de leur
traitement. C’est par exemple ce que met en place la société
suédoise Newsworthy. En récoltant, agrégeant puis traitant des
dizaines de millions de data en provenance de sources variées, elle
propose aux entreprises médiatiques un service de détection de
sujets d’articles ou de reportages par le truchement de multiples
analyses statistiques. Au cœur du dispositif se trouve donc une
automatisation du calcul de corrélation entre des éléments
hétérogènes et en très grand nombre. Il s’agit de proposer ensuite
des hypothèses d’inférences présentées comme autant de sources
d’informations pour les journalistes.
Le « data-mining » peut également s’avérer très efficace pour
l’analyse de corpus constitués. Par exemple, des agents logiciels ont
permis le traitement en un délai restreint des 11,5 millions de
documents confidentiels sur l’évasion fiscale regroupés sous
l’appellation « Panama Papers ». En connectant des bots
informatiques à des serveurs sur lesquels étaient stockés ces
documents numérisés, un consortium international de journalistes a
ainsi pu révéler en quelques mois les principaux auteurs de ces
évasions, leur montant, leur destination, etc. (Diakopoulos, 2019).
La visée peut aussi se rapporter au « fact-checking » et à la
vérification des sources. Les techniques de traitement algorithmique
de données permettent alors de corroborer des informations en
appliquant des modélisations sophistiquées à des énoncés « bruts ».
Ceux-ci peuvent consister en des déclarations, des discours, des
entretiens, des dossiers de presse, etc. Il s’agit ainsi d’identifier
automatiquement les éléments factuels susceptibles de faire l’objet
d’une vérification, puis de procéder à celle-ci par application de
patterns définis à partir de cas précédemment traités et consignés
dans d’importantes bases de données. Un des plus anciens
dispositifs de ce type est nommé ClaimBuster et se veut un outil à
destination des journalistes afin, d’une part, de déceler les énoncés
(principalement politiques) non conformes aux faits et, d’autre part,
d’apporter des éléments à même de rétablir cette conformité.
D’autres dispositifs contribuent, quant à eux, à définir et attribuer des
indices de fiabilité à différentes sources. Le principe de leur
fonctionnement est proche : il s’agit de les consigner, ainsi que tous
les énoncés qu’elles produisent, puis d’apprécier automatiquement
la conformité de ceux-ci avec les faits au moyen d’un ensemble
d’indicateurs produits à partir de la corroboration par d’autres
sources. En fonction de ceux-ci, des scores de « crédibilité »
peuvent leur être affectés et ainsi informer les journalistes sur la
validité des éléments qu’ils sont susceptibles de mobiliser
(Diakopoulos, 2019).
Enfin, les logiciels de visualisation de données se sont imposés
dans nombre de rédactions (le plus souvent au sein de sous-équipes
ou de services dédiés). Ils sont mobilisés à la fois pour l’enquête
elle-même, en rendant prégnantes des relations entre variables ou
des distributions statistiques par exemple, mais aussi pour la
restitution de celle-ci auprès des publics, dans une visée explicative.
Cette médiation par des représentations synoptiques, si elle n’est
pas nouvelle (la formalisation graphique d’éléments statistiques
ayant de longue date intégré la panoplie journalistique), connaît
toutefois un changement d’échelle significatif concomitamment à
l’essor des données disponibles.
On le voit donc, ces pratiques de fouilles de données se
trouvent à la croisée de l’investigation journalistique, de la
programmation informatique et de la démarche scientifique. À cet
égard, il faut souligner le rôle moteur des Universités, notamment
américaines, qui ont fortement contribué au développement des
dispositifs en finançant diverses expérimentations dès le début de la
décennie 2000 puis en proposant à partir 2007 des cours de
« computational journalism » (Anderson, 2013). C’est ainsi que se
sont construites des représentations sur le « futur du journalisme »
comme nécessairement définies par l’utilisation de données
numériques (Marconi, 2020).

L’intégration des fonctions


Au-delà de l’investigation, les données numériques sont à
même d’alimenter toutes les fonctions de la chaîne de production
journalistique et de les « intégrer », c’est-à-dire de les coordonner de
façon cohérente par rapport à des objectifs. Deux apparaissent ici
privilégiés et intriqués : le premier se rapporte à une réduction de
l’incertitude qui pèse sur les conditions de valorisation des contenus
produits, le second à une augmentation de la productivité de
l’entreprise.
L’activité journalistique apparaît très incertaine du point de vue
de sa « valorisation », c’est-à-dire de la génération de richesse
économique. En effet, parce qu’il est impossible aux entreprises
médiatiques de totalement anticiper et comprendre les attentes de
leurs publics et de leurs financeurs principaux (les annonceurs dans
la plupart des cas), la transformation de leurs produits en argent
comprend irrémédiablement une part d’incertitude et donc un risque
important. Certaines de ces entreprises ont, par conséquent, mis en
place plusieurs types de dispositifs d’obtention et de traitement de
data visant à pallier ces aléas.
Les premiers se rapportent à la connaissance des publics. Les
outils de gestion de la relation client ont depuis longtemps été
mobilisés par les services commerciaux des entreprises
médiatiques. Néanmoins, une phase nouvelle de leur
développement s’est amorcée avec la mise en ligne de leurs
activités. Plusieurs titres se sont ainsi dotés de dispositifs permettant
d’identifier les intérêts des publics. Généralement, cette fonction est
réalisée par des robots (« web crawlers ») qui indexent
automatiquement les requêtes produites sur des moteurs de
recherche ou des mots-clés sur des réseaux socio-numériques.
Ainsi, les rédactions peuvent disposer d’informations en continu sur
les sujets qui retiennent l’attention des internautes afin d’orienter
leurs choix éditoriaux. En outre, par le truchement de traceurs
(« cookies »), il est possible d’associer à ces données sur les
intérêts des données sur les publics qui les manifestent. Par
exemple, certains dispositifs opèrent une corrélation entre des mots-
clés et des audiences-types, catégorisées par l’âge, le sexe, la
localisation, etc. Peut s’ensuivre une procédure de notation
(classement hiérarchique des sujets en fonction du plébiscite) ou
une procédure d’ordonnancement (on rapporte chaque sujet à des
catégories de publics). Dans le premier cas, ce qui est visé est la
concentration de l’audience sur un contenu, dans le second, l’objectif
est la personnalisation de l’offre.
Ces procédés de connaissance de la demande sont d’autant
plus efficaces que les journalistes sont en mesure de produire
rapidement des contenus liés : la formule de « responsive
newsrooms » (« rédactions réactives ») a ainsi été portée par des
discours d’escorte pour souligner les enjeux du « temps réel », de la
recherche de synchronicité des fonctions de détection des intérêts,
d’une part, et de production des contenus, de l’autre (Marconi,
2020). La rapidité d’exécution devient donc un but primordial, moins
parce qu’elle permet d’augmenter le volume total produit que parce
qu’elle apporte une réponse à une demande dont on connaît les
intérêts à un instant T. Dans cette perspective, l’écriture
journalistique est de plus en plus outillée numériquement et donc de
plus en plus informée par des données. Les systèmes de gestion de
contenus (« content management system ») facilitent ainsi
l’accélération du processus rédactionnel en préparant la structure
des contenus : ils formatent le rendu final et coordonnent
techniquement des tâches de plus en plus parcellisées et
spécialisées au sein de la chaîne de publication. Il s’agit de gagner
en vitesse et donc en efficience (envisagée à l’aune de la capacité à
générer du trafic) en configurant au maximum cette fonction
d’élaboration des contenus, par la proposition d’ossatures
prédéfinies, d’éléments déjà produits et destinés à être repris
(énoncés, images, vidéos, liens hypertextes vers d’autres contenus
du même média) et par l’intégration automatisée de termes à même
d’« optimiser » le référencement.
Ces systèmes sont généralement complétés par des tableaux
de bords (« dashboards ») conçus pour orienter les décisions de
journalistes en leur fournissant un ensemble d’indicateurs sur, par
exemple, les mots-clés les plus « populaires », l’état du trafic, les
messages des annonceurs devant être diffusés, voire les
productions des concurrents (suivant une logique d’automatisation
de la veille concurrentielle). Ces tableaux affichent également
diverses mesures relatives aux « performances clés » des contenus
et du média dans son ensemble (par exemple le nombre d’affichage,
le temps de lecture ou de visionnage, des indices de satisfaction, de
fidélisation ou d’abandon, les taux de conversion des internautes en
abonnés, etc.). Ces données sont censées « conduire » l’activité de
la rédaction, l’aider dans la prise de décisions en fonction,
notamment, des deux fins évoquées ci-avant (la réduction du risque
inhérent aux choix éditoriaux et l’amélioration de la productivité).
Toutefois, le poids symbolique qu’ont acquis certaines métriques a
fortement accentué leur caractère déterminant et ainsi favorisé la
subordination de l’activité aux objectifs et résultats chiffrés (Christin,
2020). Encore une fois, la situation n’est en rien nouvelle : la
quantification (initialement des publics) a très tôt exercé une action
décisive sur le développement des stratégies des médias (Méadel,
2010). Il s’agit néanmoins de souligner ici le rôle moteur de ces
mesures dans la rationalisation économique des pratiques,
manifestée en premier lieu par l’adoption de stratégies « user
centric » par nombre de pure players, qui placent les internautes, et
non les journalistes et la ligne éditoriale, au cœur du projet
rédactionnel (Charon, 2015). La mise en œuvre des logiques « data-
driven » n’est donc pas exempte d’écueils et si les toutes les tâches
qui composent la chaîne de production sont susceptibles d’être
irriguées par des données, dans une visée d’« optimisation » puis
d’intégration fonctionnelle, l’entreprise peut s’avérer dommageable
du point de vue de l’autonomie (toujours relative) des journalistes.

L’automatisation de la production
et de la publication
Cette autonomie semble d’autant plus menacée que des
dispositifs favorisant l’automatisation de tâches journalistiques se
sont multipliés au cours de la décennie 2010. Nous avons présenté,
jusqu’à présent, des dispositifs outillant les pratiques, c’est-à-dire
fonctionnant comme des adjuvants destinés à informer les décisions
des journalistes. En cela, l’utilisation intensive de données
numériques et d’algorithmes de traitement s’inscrit dans une
configuration somme toute « traditionnelle » des activités et des
organisations. Cependant, certains dispositifs computationnels
visent désormais l’automatisation de la détection, de la rédaction, de
l’éditorialisation et de la publication des contenus. Dans cette
configuration, le journaliste n’est plus seulement assisté par la
machine, mais il lui délègue la décision. Le risque est dès lors de
confiner ses tâches à celle d’un « opérateur » de l’algorithme qui, lui,
sélectionne, cadre et diffuse l’information. Si de telles organisations
sont expérimentées par de rares pure players, la plupart des cas
d’automatisation de la production ont toutefois un objectif
sensiblement différent et n’ambitionnent pas de substituer la
machine à l’humain, mais bien plutôt de tirer parti de leur
complémentarité (Van Dalen, 2012).
Les dispositifs d’automatisation de conception/production de
contenu sont ainsi pensés, dans leur grande majorité, pour soulager
les routines journalistiques. Par le traitement automatique du
langage naturel (TALN), il s’agit, premièrement, de fournir de courts
articles à la construction standardisée mettant en mots un ensemble
de variables chiffrées : résultats sportifs, données météorologiques,
sismiques ou financières, comptes rendus budgétaires ou bilans
d’activité, résultats d’élections, etc. Ces variables proviennent
généralement de bases de données externes et sont collectées par
le biais d’interfaces de programmation ; elles sont ensuite triées et
ordonnées par des bots avant d’intégrer la phase d’« écriture »
proprement dite. Celle-ci aboutit à une narration rudimentaire et
stéréotypée mais qui respecte la syntaxe journalistique en mettant
notamment en relief les informations clé, à la fois dans le corps de
l’article et dans son titre. Les entreprises qui utilisent ces techniques
sont ainsi en mesure de proposer en un temps record des articles
synthétiques sur des domaines laissés de côté par les journalistes.
Par exemple, la société Narrative Science a promu dès 2010 ses
activités de sous-traitance journalistique grâce à son dispositif
« Quill » en insistant sur sa capacité à réaliser automatiquement des
comptes rendus sportifs des dizaines de milliers de matchs des
ligues jeunesse de base-ball en Amérique du Nord, et sur les
intérêts d’un tel service pour les médias locaux notamment. Ce type
de dispositif permet également d’augmenter drastiquement l’étendue
du traitement de certains sujets. Par exemple, des agents logiciels
ont permis au Monde d’avoir une couverture exhaustive des
élections municipales de 2015 en générant automatiquement des
contenus réalisés à partir des résultats : pour chacune des
34 000 communes françaises, des articles et infographies relatant
les faits principaux et croisant les résultats avec des données
sociodémographiques ont ainsi été produits et mis en ligne. Un tel
travail aurait été particulièrement long et fastidieux pour la rédaction,
alors que le dispositif était en mesure de multiplier automatiquement
les contenus tout au long de la soirée électorale (Marconi, 2020).
Ces dispositifs peuvent, deuxièmement, être utilisés afin de
produire différentes versions d’un même contenu. L’enjeu est non
plus de standardiser mais de produire de la variation, afin
généralement d’« optimiser » le référencement. Ce qui est visé est
une visibilité maximale pour une même information à travers des
traitements (faiblement) différenciés et comportant des liens
hypertextes les uns vers les autres. Ce versionnage automatisé sert
également à des procédures d’« A/B testing » : il s’agit de mettre en
ligne plusieurs éditions d’un même contenu afin d’identifier le plus
« performant » (en termes d’attraction de trafic) qui, généralement,
est le seul à être conservé. Forbes, le Washington Post ou le
Chicago Tribune utilisent ce type de procédure pour élaborer
l’accroche de certains de leurs articles sur internet, en décuplant les
moutures de la titraille et des chapeaux et en sélectionnant
algorithmiquement les configurations les plus efficientes
(Diakopoulos, 2019).
Enfin, ces dispositifs de TALN servent, troisièmement, à générer
des résumés. L’application Summly (rachetée par Yahoo en 2013) a
été le parangon de ce type d’utilisation. À partir de données en
provenance d’agences et de grands titres de presse et portant sur
les articles les plus lus, le temps d’affichage des pages, le nombre
de commentaires, etc., différents agents logiciels évaluent
« l’importance » relative des sujets à traiter, puis produisent des
synthèses afin de rendre compte des actualités du jour. Pour ce
faire, ils condensent automatiquement (bien qu’il y ait une phase de
curation humaine) des articles et dépêches déjà publiés par ces
mêmes agences (AFP, Reuters, etc.) et médias (BBC, New York
Times, etc.) Nous ne sommes plus là dans l’activité journalistique
proprement dite, mais l’on retrouve désormais ce type de techniques
au sein d’entreprises de presse qui les utilisent pour leurs propres
résumés.
En aval de la chaîne de production, certains dispositifs visent,
quant à eux, l’automatisation de la publication. Des algorithmes de
personnalisation configurent ainsi les pages d’accueil et les moteurs
de recommandation de nombre de médias en ligne. Ce
gouvernement, partiel, de la publication par les données est donc
relativement ancien et courant. Depuis le mitan de la décennie 2010,
des entreprises de presse expérimentent des dispositifs plus
avancés comme, premièrement, la nouvelle génération de
« newsbots ». Ces applications sont censées offrir à leurs
utilisateurs une « expérience personnalisée » du média, en publiant
des éditions spécifiques à chaque individu, en les alertant sur des
sujets en fonction de leurs intérêts, en agrégeant des contenus, etc.
L’objectif est de créer une relation continue avec l’internaute sur le
modèle de la conversation quotidienne. À cet effet, des agents
conversationnels (« chatbots ») parachèvent depuis peu certains de
ces dispositifs (Ford, Hutchinson, 2019). Deuxièmement, certains
bots commandent la « diffusion multi-canaux ». Depuis que les
contenus journalistiques sont massivement communiqués via
différents agrégateurs (comme Google News), hébergeurs (comme
YouTube) ou réseaux socio-numériques (comme Facebook), des
entreprises d’« intelligence artificielle » proposent des « solutions
logicielles » qui configurent automatiquement les contenus (formats
techniques, métadata, etc.) afin de les adapter à chaque canal avant
de les diffuser (Marconi, 2020). Cette diffusion peut s’accompagner
de messages promotionnels, eux aussi, produits et envoyés
automatiquement sur certains réseaux socio-numériques (à
commencer par Twitter). On observe, troisièmement, une
automatisation au niveau des modalités de valorisation des
contenus. L’exemple le plus représentatif se rapporte aux « péages
prédictifs » (predictive paywalls). Ces procédés initiés par le New
York Times et le Wall Street Journal sont destinés à proposer des
offres commerciales en fonction des données obtenues sur chaque
lecteur : il s’agit de panacher articles en accès libre et articles
payants en fonction des intérêts, habitudes de navigation et de
lecture de celui-ci afin de l’inciter à l’abonnement ; il s’agit également
d’ajuster les offres en fonction de données contextuelles ou
personnelles, c’est-à-dire de proposer des tarifs ou « paniers »
individualisés.
À travers les différents exemples présentés dans cette
synthèse, nous avons souhaité éprouver l’hypothèse de l’émergence
d’un nouveau « paradigme journalistique » et, au terme de ce
parcours, il nous apparaît que celle-ci est robuste à défaut d’être
validée. Ce paradigme récent s’inscrit assurément dans le
prolongement de celui qui a émergé au tournant du millénaire
(Mercier, 2010). En effet, si nous avons insisté ici sur les outils ou
dispositifs récents, il faut les envisager comme des éléments qui
participent de mutations plus larges, qui affectent les pratiques, la
terminologie (qui se charge d’anglicismes), les normes, les
représentations, les cadres cognitifs et légaux d’une profession.
C’est une transformation profonde – « paradigmatique » donc – qui
s’amorce, non sans soulever l’inquiétude de nombre de journalistes
qui manifestent régulièrement leurs craintes quant aux risques pour
leurs métiers (liés principalement au renouvellement de leurs
compétences et à la perte de leur autonomie) et sur leurs rapports
aux publics (l’information « algorithmique » étant jugée trop peu
« transparente » dans ses conditions de production et de diffusion).
En outre, pour bien appréhender ce processus de
technicisation, il s’agit de l’insérer dans son contexte socio-
économique. L’activité journalistique s’inscrit en effet dans un réseau
de co-opération de plus en plus étendu et dont le centre de gravité
est mouvant, au gré de nouveaux entrants, des nouvelles alliances,
de mouvements capitalistiques, etc. Le poids des acteurs de
l’internet au sein de ce réseau, au travers des moteurs de recherche,
des réseaux socio-numériques, des services d’agrégation ou
d’hébergement de contenus, n’a cessé de croître, accentuant ainsi la
dépendance des entreprises médiatiques à leur endroit. De même,
les mutations de la publicité en ligne (affirmation de la
programmatique, ciblage comportemental, « retargeting », etc.) et la
mainmise des grandes firmes du web (Alphabet et Facebook en
tête) sur ce marché (ainsi que sur celui de la donnée) permettent de
resituer les reconfigurations des pratiques et organisations
journalistiques dans un cadre plus large : les données sont une
ressource de premier plan, leur obtention est un enjeu non pas
uniquement technique mais foncièrement industriel. Dès lors, de
nouvelles formes de concurrence ou de coopétition ont vu le jour
orientant les stratégies des uns et des autres. Il s’agit, au final, par
cette nécessaire prise en compte du contexte de prévenir une vision
technocentrée qui rapporterait les mutations en cours aux seules
innovations numériques.
Enfin, si les data ont déjà largement investi les rédactions et,
plus largement, les entreprises de presse, la dynamique est très
probablement appelée à s’amplifier encore. Les changements qu’elle
induit – observables aux niveaux éditorial, organisationnel,
commercial, ou alors portant sur des aspects que nous n’avons pas
traités ici (comme la modération) – sont ainsi les prémices des
reconfigurations à venir. À l’heure actuelle, celles-ci s’orientent
majoritairement en direction d’une personnalisation, d’une
automatisation et d’une augmentation de la production globale. Si
les promesses sont souvent mises en avant (nouvelles formes
d’investigation, fin des routines rébarbatives, abaissement des coûts
de production, ciblage des audiences, etc.), il s’agit également d’être
attentif aux menaces (appauvrissement du traitement de
l’information, renforcement du mimétisme éditorial, « churnalism1 »,
etc.) afin de bien saisir les contours de ce paradigme en émergence.

Bibliographie
• Anderson Ch., « Towards a sociology of computational and
algorithmic journalism », New Media & Society, vol. 15, n° 7,
2013, p. 1005-1021.
• Charon J.-M., Presse et numérique. L’invention d’un nouvel
écosystème, rapport remis le 2 juin 2015 à Mme la ministre de
la Culture et de la Communication, 2015.
• Christin A., Metrics at Work. Journalism and the Contested
Meaning of Algorithms, Princeton, Princeton University Press,
2020.
• Clerwall Ch., « Enter the Robot Journalist », Journalism Practice,
vol. 8, 2014, n° 5, p. 519-531.
• Diakopoulos N., Automating the News: How Algorithms Are
Rewriting the Media, Cambridge, Harvard University Press,
2019.
• Ford H. et Hutchinson J., « Newsbots That Mediate Journalist
and Audience Relationships », Digital Journalism, vol. 7, n° 8,
2019, p. 1013-1031.
• Marconi F., Newsmakers. Artificial Intelligence and the Future of
Journalism, New York, Columbia University Press, 2020.
• Mercier A., « Défis du nouvel écosystème d’information et
changement de paradigme journalistique », [en ligne]. URL :
https://obswebjournalisme.files.wordpress.com/2010/12/dc3a9fi
s-du-nouveau-ecosysteme-d-information.pdf
• Méadel C., Quantifier le public : histoire des mesures d’audience
de la radio et de la télévision, Paris, Economica, 2010.
• Van Dalen A., « The Algorithms Behind the Headlines: how
machine-written news redefines the core skills of human
journalists », Journalism Practice, vol. 6, n° 5, 2012, p. 285-297.

1. Terme péjoratif qui désigne les pratiques journalistiques de reprises incessantes d’une
même information issue de communiqués ou de dépêches de presse.
Chapitre 3
3 Du journalisme d’information
au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission
aux plateformes
et quête de stratégie

Laurent Bigot

R
umeurs, infox et manipulations de l’information ne datent
pas d’hier. Nombreux sont les travaux, notamment
universitaires, qui, si besoin en était, en ont fait la
démonstration. La nouveauté serait plus certainement liée à leur
plus grande viralité. Quoique, là encore, des chercheurs ont su
mettre en lumière des mécanismes anciens, déjà très efficaces, bien
« avant internet ». Dans leur théorie de la communication virale,
basée sur des exemples de la fin du XIXe et du début du XXe siècles,
Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-Ève Thérenty identifient
une « typologie de l’objet viral » (Pinker, 2020 : 199) autour de trois
critères finalement très contemporains : simplicité et concision qui
offrent une intelligibilité immédiate ; fort « potentiel de
décontextualisation » qui facilite reprise et réappropriation ; et
caractères frappant et émouvant qui incitent au partage. Il n’y aurait
donc pas grand-chose de nouveau sous le soleil dans le domaine de
la circulation des fausses informations.
Pourtant, il n’a jamais autant été question, face à elles, de
vérification, de fact-checking, de debunking (journalisme de démenti
et de démystification des rumeurs) et de biens d’autres termes liés à
des actions de démenti, tout particulièrement au sein des rédactions
journalistiques (Bigot, 2019). Car, au-delà des dimensions pérennes
de la viralité, certaines transformations sociales, économiques et
technologiques – au premier rang desquelles on trouve internet et
les réseaux sociaux, avec leurs procédés inédits et ultra-efficaces en
matière de « captologie » (usage des technologies numériques
comme outils de persuasion et de changement des
comportements) – jouent bien sûr un rôle clé dans la propagation de
la désinformation (fausse information diffusée délibérément pour
tromper) et de la mésinformation (fausse information diffusée sans
intention de tromper). Nous ne reviendrons pas ici sur les
changements de paradigme informationnel qu’ont apportés, ne
serait-ce que ces 25 dernières années, les bouleversements
numériques, tout particulièrement sur le marché médiatique et sur
les modes de consommation et d’accès à l’information d’actualité
notamment.
En revanche, nous questionnerons la manière dont de
nombreuses rédactions journalistiques à travers le monde, et en
France tout particulièrement, se sont emparées relativement
récemment d’un exercice de vérification et de démenti des fausses
nouvelles, sous l’influence des principales plateformes d’internet et
des réseaux sociaux. Ceci afin de montrer dans quelle mesure elles
en ont fait une priorité parfois assez peu stratégique et dont on peut
questionner l’efficacité et la pertinence sur le long terme.
Pour cela, nous reviendrons d’abord sur la manière dont est
apparu puis s’est développé dans les médias l’exercice de fact-
checking (vérification des faits/par les faits), à compter des
années 2000. Puis nous démontrerons comment, sous l’influence de
plateformes comme Google ou Facebook, il s’est adapté aux enjeux
particuliers et ambigus de ces géants d’internet et des réseaux
sociaux en se réorientant vers la démystification des rumeurs
(debunking). Nous évoquerons, enfin, la manière dont éclosent des
stratégies alternatives, tant du fait des journalistes que d’autres
acteurs de la société civile, stratégies qui parfois orientent leurs
efforts vers les populations elles-mêmes plutôt que vers les
messages auxquels ces populations sont exposées.

De l’éclosion du fact-checking à sa
réinvention
Comme les fausses informations et les rumeurs les plus virales,
le fact-checking a une assez longue histoire derrière lui. Puisque le
terme a été communément utilisé dans les rédactions – et continue
de l’être – pour désigner le travail accompli par des journalistes
spécialisés dans la vérification exhaustive et systématique des
contenus journalistiques avant publication, afin de garantir la qualité
et la véracité des contenus pour les lecteurs. Cette pratique naît aux
États-Unis, dès 1923, quand Briton Hadden et Henry Luce créent le
magazine Time et recrutent des fact-checkers, suivis par la plupart
des magazines, du New Yorker au Reader’s Digest (Harrison-Smith,
2004 : 11-12). Ce fact-checking des origines consiste ainsi à vérifier
noms, dates, chiffres et faits dans l’ensemble des productions, mais
aussi à vérifier et à recontacter les sources énonciatrices de telle ou
telle citation alimentant le récit, voire des sources complémentaires,
avant d’échanger à nouveau avec le rédacteur à l’origine de l’article.
Quoi qu’il en soit, ce dernier est invité à transmettre ses notes,
preuves et autres éléments à sa disposition afin que le fact-checker
puisse s’y référer ou en vérifier la validité. L’objectif principal de ce
travail consiste à crédibiliser les contenus des journaux et
magazines. À l’époque, en effet, le public est confronté à des médias
qui n’hésitent pas à mélanger journalismes d’information et de
divertissement ; face à une profession qui n’a pas encore
institutionalisé ses formations et ses procédures, la prudence reste
de mise.
Plus récemment, à compter des années 2000, des rubriques et
chroniques de fact-checking sont apparues un peu partout dans le
monde. Elles n’ont guère de rapport – si ce n’est le nom et une
volonté puissante de rechercher la véracité des informations – avec
la tradition initiale de vérification exhaustive des contenus. Mais elles
sont calquées sur la pratique de sites – essentiellement pure players
américains (exclusivement en ligne) – qui réinventent un fact-
checking de vérification de la parole publique, de décryptage des
éléments de langage et des tentatives de propagande notamment.
Très concrètement, le format classique, récurrent, d’un article ou
d’une chronique de fact-checking assortit la déclaration d’un
politique entre guillemets d’une conclusion :
« vrai/faux/imprécis/etc. » Est systématiquement associé à la citation
et à son « verdict » un développement relativement long et détaillé,
fondé sur des données (souvent chiffrées) issues de rapports et de
statistiques officielles, ainsi que sur des avis d’experts, le tout afin de
proposer l’information la plus précise et juste possible. Charge aux
journalistes de repérer, au sein des tribunes offertes aux
personnalités publiques (souvent politiques), les affirmations qui
semblent se prêter le mieux à un travail de vérification, en fonction
de leur intérêt propre (sujet d’actualité, polémique, etc.) et de leur
intérêt journalistique (occasion de faire le point sur un thème donné,
thématique jugée accrocheuse, etc.). Ils doivent aussi prêter
attention à leur caractère « vérifiable » : s’assurer qu’ils sont en
mesure de trouver, dans le temps imparti à ce travail au sein de la
rédaction, un rapport officiel, des données ou des archives, par
exemple, qui permettront de confirmer ou d’infirmer la citation
retenue.
Le site généralement cité en référence historique en matière de
fact-checking « politique » est FactCheck.org, lancé en 2003 par
l’Annenberg Public Policy Center de l’Université de Pennsylvanie.
Cette initiative sera suivie en 2007 par celles de médias
« traditionnels ». À commencer par le Washington Post et le Tampa
Bay Times. The Fact Checker est un blog politique hébergé par le
site internet du Washington Post. Il doit sa renommée à son mode
d’évaluation de la véracité des propos : à chaque citation est attribué
un nombre de Pinocchios (entre un et quatre), ou un Geppetto
lorsque la citation ne contient que la vérité (Washington Post, 2013).
Quant au Tampa Bay Times, il multiplie, sur le site internet
Politifact.com, les échelles de mesure pour établir la véracité des
citations politiques (un compteur appelé « Truth-O-Meter »), mais
aussi pour contrôler si les promesses de campagne des présidents
Obama, puis Trump, enfin Biden ont été tenues ou non
(« Obameter », « Trump-O-Meter », « Biden Promise Tracker »). Ce
site a même été lauréat du prix Pulitzer en 2009.
Bien entendu, des dizaines d’autres initiatives de ce type ont vu
le jour au cours des années qui ont suivi, notamment en France.
Citons la rubrique « Désintox », fondée en 2008 par le quotidien
Libération, alors pionnier dans l’Hexagone, qui se propose de ne
traiter que les phrases fausses prononcées par des personnalités.
On trouve aussi, peu de temps après, « Les Décodeurs », que
Le Monde créa sous la forme d’un blog en 2009 et dont il a fait une
véritable rubrique de son site internet à partir de 2014.
Puis, c’est essentiellement autour de la campagne présidentielle
de 2012 que les initiatives se multiplient dans les médias français :
par exemple, « Le Vrai du Faux » de la radio France Info voit le jour
en 2012, quasiment en même temps que le « Vrai-Faux de l’Info »
de la radio Europe 1 ; « L’œil du 20h » de la chaîne de télévision
France 2 nait en 2014, etc. D’autres suivront ou prendront le relais.
D’ailleurs, plus globalement dans le monde, le nombre de ces
initiatives de fact-checking a connu une croissance importante, pour
atteindre 96 projets dans 37 pays en février 20161.
Mais c’est bien à compter de 2016 que ce type de productions
journalistiques connaîtra, en France comme ailleurs, une forme de
renouvellement et un regain d’intérêt. Avec bien d’autres ambitions
sur le plan éditorial que la seule vérification de la parole des
politiques. Au point que les projets vont s’accélérer, s’étendre partout
dans le monde et plus que doubler en trois ans : ils sont près de 210
dans 68 pays, dès 20192.
L’émergence de la démystification
des rumeurs
Un véritable tournant a en effet eu lieu en matière de vérification
de l’information en 2016. Nous parlons ici des lendemains de deux
événements politiques de retentissement mondial, à la fois
inattendus et fondés sur des campagnes calamiteuses sur le plan de
la véracité des faits : le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni en
juin, puis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis
en novembre. Ces deux événements ont pour conséquence de
contraindre des plateformes comme Google, Facebook ou Twitter,
aussi appelées « infomédiaires » (Rebillard et Smyrnaios, 2010), à
assumer la responsabilité sociale qui leur est alors rappelée, en
particulier à l’occasion d’auditions devant le Congrès américain.
Elles sont en effet accusées de propager de la désinformation
(Badouard, 2017), de créer des « bulles de filtres » (filter bubbles) ou
« enfermements algorithmiques » (Garrett et al., 2017 ; Wardle et
Derakhshan, 2017) pour leurs utilisateurs. Même s’il faut savoir
prendre en compte certaines nuances sur les effets directs,
potentiellement limités, de leurs publications sur les publics. On sait
ainsi que les publications de réseaux sociaux favorables à Trump
restent une minorité dans le flux des publications sur les réseaux
sociaux (Grinberg et al., 2019) et que, quoi qu’il en soit, nul ne croit
nécessairement à tout ce qu’il partage (Allcott et Gentzkow, 2017).
Cela étant, aux États-Unis, en France comme ailleurs dans le
monde, c’est à ce moment-là que certains des GAFAM (Smyrnaios,
2016) solliciteront les services de fact-checking pour renforcer leur
propre efficience et pour fiabiliser leurs contenus, tout
particulièrement dans le but de contrecarrer les accusations de
dissémination de fausses informations sur leurs espaces. Cette
stratégie est particulièrement visible à travers deux opérations
d’envergure, lancées en 2017 : « CrossCheck », l’opération de fact-
checking collaboratif et participatif, financée par Google à travers le
centre de ressources First Draft News (le Google News Lab compte
parmi ses financeurs) et soutenue par Facebook ; et le « Third-Party
Fact-Checking Program », programme de vérification par des
rédactions appelées tierces parties, à l’initiative de Facebook. Ces
deux opérations associeront les plateformes avec des médias fact-
checkers du monde entier, jusqu’à avoir un réel effet sur leur travail
et même leur organisation et leurs choix éditoriaux.
« CrossCheck »3 a été officiellement lancé en France le
28 février 2017 pour permettre aux journalistes de « travailler
ensemble pour donner des informations authentiques ». Ce projet
inédit a ainsi réuni 118 journalistes français représentants
33 rédactions, avec l’objectif de réaliser des opérations de
vérification croisée de l’information douteuse qui circulait alors sur
internet et les réseaux sociaux. L’intention était de permettre aux
citoyens d’interpeller via une seule et même plateforme l’ensemble
des rédactions partenaires pour leur soumettre des faits – politiques
ou non – à vérifier ; dès que deux partenaires au moins parvenaient
à une conclusion identique. Le fact-check était utilisable et publiable
par tous les autres partenaires (sur leurs propres espaces
numériques), et publiquement consultable par les citoyens sur la
plateforme.
Quelque 67 informations douteuses ont ainsi été repérées,
vérifiées et démystifiées, conduisant à 276 publications
indépendantes (Smyrnaios, Chauvet et Marty, 2017 : 29). Un relatif
succès qui, de plus, a permis aux rédactions de se familiariser avec
des outils de vérification développés ou mis à disposition par les
plateformes elles-mêmes : messagerie Slack, monitoring des
partages de rumeurs sur les réseaux sociaux via NewsWhip4, parfois
Buzzsumo, mais surtout CrowdTangle (plateforme rachetée en 2016
par Facebook). Et nous ne parlons pas ici du soutien plus direct
apporté par Facebook, en termes de publicité des publications et de
l’opération : plus de 180 000 abonnés au compte Facebook de
CrossCheck en quelques semaines (Smyrnaios, Chauvet et Marty,
2017 : 29), ainsi que des posts promotionnels sur le projet. Le tout
est placé dans une perspective de lutte contre les rumeurs et les
tentatives de déstabilisation des candidats à travers des allégations
aussi virales que fallacieuses, davantage que dans celle de
vérifications des propos tenus par les personnalités politiques elles-
mêmes, ce qui était pourtant le cœur de métier des rédactions de
fact-checkers jusqu’alors. Cette réorientation éditoriale se fait ainsi
en contrepartie d’un « apport d’ingénierie au journalisme » (Bell
et al., 2017), spécialisée dans la vérification de l’information.
En somme, on observe ici des liens ambigus, sur le fond (les
informations ciblées) comme sur la forme (les outils mis à
disposition) entre les rédactions journalistiques et les plateformes,
ainsi que le décrivent Smyrnaios, Chauvet et Marty dans leur
rapport :
Il a été considéré que la contribution des plateformes était
indispensable et mérite d’être développée, avec prudence.
Les personnes interrogées ont reconnu que CrossCheck
n’aurait pas pu exister sans l’apport des plateformes […].
Les journalistes ont ainsi pu remplir leur rôle de gardiens de
l’information sans ingérence extérieure. Toutefois, comme
l’ont indiqué plusieurs personnes, le fait que les plateformes
possèdent le contrôle des outils et des ressources
économiques du projet, restait une question de fond
importante, qui illustre la dépendance technologique et
économique croissante du journalisme vis-à-vis de
l’industrie de l’internet (Smyrnaios, Chauvet et Marty, 2017 :
36).
À noter que cette opération de cross-checking sera par la suite
reconduite dans d’autres pays à l’occasion d’échéances électorales
majeures.
Outre CrossCheck, qui laisse transparaître l’influence de Google
dans les opérations de vérification des médias fact-checkers, nous
évoquerons ici la création, en 2017, du Facebook Journalism
Project, à savoir une équipe dédiée pour répondre aux besoins des
éditeurs5. En effet, après avoir été pointé du doigt pour sa passivité
face à la propagation de fausses informations sur sa plateforme
en 2016, en particulier lors du scrutin présidentiel états-unien
remporté par Donald Trump, le réseau social créé par Mark
Zuckerberg a montré qu’il souhaitait réagir, notamment par la voix de
son vice-président en charge du département News6. Il s’agissait là
de sauver la réputation de l’entreprise et, probablement, la confiance
des annonceurs publicitaires, à travers, là encore, une proposition
de partenariat à destination des médias fact-checkers.
Nous parlons ici du Third-Party Fact-Checking Program destiné
à s’adjoindre les services des principaux fact-checkers mondiaux
pour vérifier, puis supprimer, les fausses informations partagées
et/ou signalées par les utilisateurs (Bigot, 2019 : 122-123 ;
Facebook, 2016). En effet, via ce programme, Facebook lui-même
incite d’une part ses propres utilisateurs à signaler sur sa plateforme
des contenus suspects et, d’autre part, offre aux journalistes la
possibilité de voir leurs contenus de vérification avoir un effet sur
l’algorithme qui préside à la mise en avant de certains contenus
dans le fil d’actualités.
Cette fois encore, l’opération a été expérimentée en France en
mars 2017, en prévision de l’élection présidentielle, avant de se
développer à compter de la fin de cette même année. Ses modalités
sont rigoureuses, puisque l’expertise des médias tierces parties doit
préalablement être validée par l’adhésion au « Code de principes »
de l’International Fact-Checking Network, à laquelle Facebook a
décidé de se conformer7. L’IFCN, créé en 2015 comme une
association de journalistes fact-checkers, a en effet établi des
processus et des évaluations des cellules de fact-checking, fondées
sur plusieurs critères et normes de transparence (traitement
impartial de l’information, transparence des sources, des financeurs
et du mode de vérification, obligation de faire apparaître les
corrections des productions, encouragement des lecteurs à poser
des questions). Seuls une petite centaine de médias à l’échelle
mondiale respectent ces critères au point de bénéficier du précieux
label (à faire renouveler chaque année). En France, six médias ont
obtenu cette certification : Libération Checknews, Le Monde Les
Décodeurs, AFP Factuel, France24 Les Observateurs, FranceInfo
Vrai ou Fake, 20 Minutes Fake Off.
De quoi laisser penser à une tentative d’harmonisation – et pas
seulement de renforcement – des pratiques de fact-checking, sans
compter qu’une fois cette certification acquise, le partenariat entre
les médias et Facebook implique une autre contrainte, de fond cette
fois-ci : on ne vérifie pas, dans le cadre du Third-Party Fact-
Checking Program, les propos des personnalités politiques. Bien
entendu, les médias restent libres de continuer à produire des
articles de fact-checking politique par ailleurs, mais la plateforme,
elle, ne rémunère ses médias partenaires que dans le cadre de leurs
travaux de debunking ou de démystification de rumeurs. D’aucuns
pourraient s’offusquer de ce choix éditorial restreint. Pourtant,
l’affichage de ce partenariat rémunérateur dans l’onglet spécifique et
professionnel Facebook Business du réseau social ne laisse pas de
doute quant à ses finalités commerciales, pas forcément en
conformité avec des intentions d’assainissement du débat public
politique.

L’apparition d’actions destinées à


l’empowerment des citoyens
Nous évoquerons, enfin, la manière dont émergent des
stratégies alternatives, tant du fait des journalistes que d’autres
acteurs de la société civile, qui orientent leurs efforts vers les
populations elles-mêmes plutôt que vers les messages auxquels ces
populations sont exposées.
À ce stade, il est intéressant d’évoquer les parcours
relativement diversifiés des médias face aux stratégies des
plateformes pour les conduire à ne plus faire de vérification (fact-
checking) que dans le cadre d’un journalisme de démenti et de
démystification des rumeurs (debunking). Ainsi, du côté de l’Agence
France-Presse (AFP), ce partenariat avec Facebook s’avère
stratégique, puisque l’agence de presse souhaite devenir le premier
réseau mondial de vérification (appelée « investigation numérique »)
et a déjà recruté, avec sa rubrique « Factuel », plus de
80 journalistes dans 80 pays, spécifiquement pour cela. Le PDG de
l’AFP, Fabrice Fries, a d’ailleurs un discours sans ambiguïté sur ce
thème :
L’investigation numérique est devenue notre relais de
croissance le plus important, et de très loin (même si on
part d’un petit revenu). Notre client Facebook nous a ouvert
en début d’année les portes du marché américain […].
L’audience de mars a représenté à elle seule toute celle de
2019. Cela se traduit par une hausse des revenus, nos
clients nous payant au volume8.
Les termes « relais de croissance », dans une entreprise qui a
longtemps refusé le fact-checking, ainsi que le traitement des
rumeurs ne laissent pas de doute sur l’enjeu de l’opération et le
virage éditorial opéré.
Quant à Libération, pour citer un autre exemple de média
français, sa stratégie a beaucoup évolué en matière de partenariat
avec Facebook. Le média pionnier du fact-checking politique
français ne traitait, avant 2017, que des sujets de vérification des
discours et paroles de personnalités politiques dont l’équipe de
vérificateurs pouvait conclure qu’ils étaient faux. Mais, en 2017, sa
célèbre rubrique Désintox a laissé la place à son « service de
journalisme à la demande » appelé CheckNews. Cette fois, le fact-
checking politique est quelque peu relégué à l’arrière-plan, tandis
que les questions et démentis au sujet des rumeurs qui circulent
dans l’espace public sont mis en avant. Cette nouvelle rubrique sera
testée pendant quelques jours sous une forme expérimentale
pendant l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, puis
supplantera Désintox définitivement en septembre de la même
année.
D’ailleurs, Libération n’a jamais caché ce que lui a rapporté son
partenariat avec Facebook depuis lors, détaillant même ces revenus
dans au moins trois articles sur le sujet9. En janvier 2019, il indiquera
même, à propos de son travail de « nettoyage » du réseau social :
En 2017, le montant perçu par Libé s’élevait à
100 000 dollars. En 2018, le système a évolué. Nous
sommes désormais rémunérés en fonction du nombre
d’articles que nous avons rentrés dans la base, pour
évaluer un contenu circulant sur le réseau social. […] Dans
le détail, nous avons donc perçu : 20 000 $ en janvier,
22 500 $ en février, mars, avril, 22 000 $ en mai, 22 500 $
en juin, 20 000 $ en juillet, 14 000$ en août, 20 000 $ en
septembre, 18 000 $ en octobre, 21 000 $ en novembre et
20 000 $ en décembre. Soit 245 000 dollars. Au total, du
1er janvier au 31 décembre 2018, nous avons publié et
entré dans la base Facebook 249 articles
(Libération/Checknews, 2019).
Sauf que Libération a, semble-t-il, voulu reprendre la main sur
son destin journalistique, à compter de janvier 2021. Toujours
disposé à respecter le scrupuleux « Code de principes » de l’IFCN,
ce média ne souhaite plus y être contraint par un quelconque accord
financier et partenarial avec Facebook10. Cette ligne rigoureuse et
désintéressée a déjà été adoptée en France par France Info
notamment. Et les raisons évoquées par Libération sont sans
ambiguïté. Le média évoque non seulement sa nouvelle stratégie
« encore davantage axée sur la recherche d’abonnés numériques »
(alors que le contrat avec Facebook interdit de renvoyer vers des
articles de fact-checking payants) ; mais également son souhait de
renouer avec le champ politique : « À l’approche de l’élection
présidentielle, CheckNews se concentrera notamment sur la
vérification des éléments du discours politique, qu’ils émanent du
pouvoir en place ou de l’opposition. La désinformation provient aussi
de la parole institutionnelle, et ne saurait être réduite aux contenus
qui circulent sur les réseaux sociaux. » Dont acte.
Toutefois, c’est sans compter que ces réseaux sociaux ne
jouent pas significativement le jeu de la mise en visibilité des
contenus d’information journalistiques professionnels. Certes, de
longue date, Facebook est pour les médias un canal privilégié pour
la diffusion d’informations. Mais de sérieuses réserves ont été
émises à l’intérieur des rédactions depuis plus d’une dizaine
d’années11. Notamment du fait des « conventions socio-sémiotiques
propres à Facebook contribu[a]nt à un certain effacement des
médias sur la plateforme12 ». La situation est d’autant plus vraie
depuis 2018, année où la firme de Menlo Park a décidé de prioriser
dans EdgeRank, l’algorithme gérant le newsfeed (ou fil d’actualités),
les interactions personnelles de ses usagers au détriment des pages
institutionnelles et médiatiques. Il s’agit d’une position assez
contradictoire avec la volonté affichée dès 2017 de favoriser des
contenus journalistiques de vérification pour contrer les accusations
des mois précédents sur son rôle dans la prolifération des fausses
informations.
D’autant que l’on pourrait voir, dans la relation des plateformes
avec les journalistes spécialistes de la vérification, une forme
d’opération de fiabilisation de leurs espaces, une sous-traitance
destinée à valoriser leurs actions, leurs produits. Car, de même que
le fact-checking est assurément pour les médias un moyen de se
démarquer (notamment vis-à-vis des autres producteurs de
l’information en ligne : blogueurs, professionnels indépendants,
amateurs, etc.), il est aussi, pour les plateformes, un outil de mise en
visibilité de leur « bonne foi » en matière de lutte contre la
désinformation. Cela à moindres frais d’ailleurs, puisque pour ces
géants, quelques millions de dollars consacrés à la vérification
s’apparentent à une « goutte d’eau » au regard de leur chiffre
d’affaires13 (Becquet, 2007).
À titre d’exemple, le chiffre d’affaires de Google (+ 68 %
depuis 2017, année de la mise en place des premières actions liées
à la vérification), dépasse les 180 milliards de dollars en 2020
(Google, 2017) ; celui de Facebook (+ 115 % depuis 2017) atteint
environ 86 milliards de dollars en 2020 (Facebook, 2017). Quoi qu’il
en soit, les sommes déclarées par les médias français partenaires
du « Programme de vérification par des tierces parties » de
Facebook n’atteignent pas 0,01 % de son chiffre d’affaires.
Probablement bien moins. Si bien que :
les plateformes apparaissent comme la solution et le
problème à la fois, notamment car elles sont les seules à
disposer des moyens financiers nécessaires pour lutter
contre les fausses informations après avoir dépossédé les
médias de leurs ressources, notamment publicitaires et car,
dans le même temps, elles tirent de leurs soutiens au fact-
checking un bénéfice à la fois réglementaire (de conformité
aux demandes d’institutions : voir, entre autres,
Commission européenne, 2019), symbolique (d’image de
marque) et ainsi économique, incarné par le retour des
annonceurs (Nicey et Bigot, 2021 : 67).
Pourrions-nous parler à ce titre d’une forme de « fact-washing »
– à l’image des opérations marketing connues sous le vocable de
greenwashing (Bigot, Nicey et Sourisce, 2021) ?
C’est sans doute pourquoi, en marge du journalisme de démenti
des rédactions professionnelles, la lutte contre la désinformation fait
également l’objet d’initiatives de journalistes indépendants, de
certaines rédactions, ou encore d’autres acteurs de la société civile,
davantage orientées dans une perspective d’éducation aux médias
(EMI). Nous ne viserons pas ici l’exhaustivité sur un sujet aussi
vaste et protéiforme que l’EMI14. Toutefois, les exemples que nous
citons doivent être compris comme la traduction explicite de
stratégies qui délaissent quelque peu le démenti des messages de
désinformation postés sur les réseaux sociaux, au profit d’enjeux à
la fois plus globaux et plus en amont visant à la fois au renforcement
de l’esprit critique et celui de la connaissance des contingences
informationnelles.
Par exemple, le projet « InVID–We Verify » est le fruit des
travaux d’un consortium européen de médias, dont l’AFP, et
d’équipes de recherche, autour de la vérification d’images et de
vidéos sur Internet. Au départ, il s’agissait de protéger les
professionnels de l’information contre la diffusion de faux, de
mensonges, la perte de réputation, voire contre les poursuites. Puis
son plug-in (extension) pour les moteurs de recherche en particulier
est devenu plus grand public. Celui-ci se veut un « couteau suisse »
de vérification pour aider les journalistes, les vérificateurs et les
défenseurs des droits humains à évaluer l’exactitude des
informations et à démystifier les rumeurs. Soutenu par un autre
projet européen appelé « YouCheck! », il est sans cesse amélioré et
vulgarisé pour le rendre plus utilisable par les enseignants, les
étudiants et le public.
Le Monde dispose aussi d’une trousse à outils dans son
« Décodex », administré par son équipe de fact-checking « Les
décodeurs », qui met à la disposition du grand public, gratuitement,
un guide complet pour éclairer les lecteurs sur « Qu’est-ce qu’une
information ? », « Qu’est-ce qu’une source d’information ? »,
« Vérifier une image ou une vidéo », « Reconnaître une théorie
complotiste », etc. Tandis que certains de ses journalistes ont fondé
une association appelée Entre les lignes et participent à ses activités
à destination de différents publics, comme les élèves des collèges et
lycées tout particulièrement, ou des structures socio-éducatives.
D’autres médias, comme France Info ou Le 1, vont jusqu’à
conclure des partenariats avec des initiatives plus audacieuses, telle
l’EMI sous un versant artistique, comme à l’occasion de l’exposition
« Fake News. Art, fiction, mensonge », à l’Espace Fondation EDF, à
Paris, de juin 2021 à janvier 2022 (Bigot, 2021), également soutenue
par le CLEMI, centre de ressources du ministère de l’Éducation
nationale en charge de l’éducation aux médias. Un artiste comme le
Berlinois Simon Weckert, par exemple, fait la démonstration de la
facilité avec laquelle tout un chacun peut tromper artisanalement les
algorithmes de Google : avec son Google Maps Hacks, performance
réalisée pour la première fois à Berlin début 2020, l’artiste
transporte, dans un petit chariot, 99 smartphones, tous connectés et
géolocalisés par Google Maps, simulant ainsi un encombrement de
véhicules qui conduit l’application, bernée, à recommander un
itinéraire bis… De quoi interpeller plus fortement le public qu’au
cours d’un long exposé de démenti d’une fausse information.
En somme, le fact-checking est apparu, puis s’est développé
dans les médias à compter des années 2000, sous la forme d’un
exercice très spécifique de vérification de la parole publique. Puis,
sous l’influence de plateformes comme Google ou Facebook, il s’est
transformé pour mieux se plier aux enjeux particuliers et ambigus de
ces géants d’Internet et des réseaux sociaux, en se focalisant sur la
démystification des rumeurs (debunking), allant jusqu’à servir, peut-
être, de faire valoir pour les GAFAM, sommés de toutes parts de
montrer leur engagement dans la lutte contre la désinformation. Si
bien que des médias ont fini par rompre leur partenariat avec ces
acteurs majeurs ; tandis que d’autres se sont associés à des
stratégies alternatives dites d’éducation aux médias, généralement
en s’alliant à d’autres acteurs de la société civile, afin de s’adresser
aux populations en amont de la réception des messages. Ce faisant,
les journalistes concernés ont fait apparaître toutes les limites de
l’exercice de vérification et de démenti des fausses nouvelles, qui
semble certes potentiellement rémunératrice sur le court terme, mais
relativement inefficace et risquée sur le plan éditorial à plus long
terme. Si bien que la stratégie des médias dans la lutte contre la
désinformation reste un chantier perpétuel depuis de nombreuses
années, alors que ceux-ci ne cessent de perdre en crédibilité face à
leurs publics15. Comme si, peut-être, en allant vérifier des contenus
diffusés tous azimuts par des acteurs hétéroclites, ils avaient fait
erreur, sous-estimant l’utilité du fact-checking des origines : celui qui
leur permet de consolider leurs propres contenus et de gagner la
confiance des publics.

Bibliographie
• Allcott H. et Gentzkow M., « Social Media and Fake News in the
2016 Election », Journal of Economic Perspectives, vol. 31,
n° 2, 2017, p. 211-236.
• Badouard R., , Le désenchantement de l’internet.
Désinformation, rumeur et propagande, Limoges, FYP Éditions,
2017.
• Bell E., Owen T., Brown P. D., Hauka C. et Rashidian N., The
Platform Press: How Silicon Valley Reengineered Journalism,
Columbia University Academic Commons, 2017.
• Bigot L., Fake news. Art, fiction, mensonge, Paris, Éditions du
Bord de l’eau 2021.
• Bigot L., Fact-checking vs. Fake news. Vérifier pour mieux
informer, Paris, INA Éditions, 2019.
• Bigot L., « L’essor du fact-checking : de l’émergence d’un genre
journalistique au questionnement sur les pratiques
professionnelles », thèse de doctorat en sciences de
l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-
Assas, 2017a.
• Bigot L., « Les journalistes fact-checkers entre réinvention de la
vérification et quête de reconnaissance professionnelle », Les
Enjeux de l’information et de la communication, n° 18(2), 2017b,
p. 19-31.
• Bigot L., « Fact-checking », Publictionnaire. Dictionnaire
encyclopédique et critique des publics, Université de Lorraine,
2017c.
• Grinberg N., Joseph K., Friedland L., Swire-Thompson B. et
Lazer D., « Fake news on Twitter during the 2016 U.S.
presidential election », Science, n° 6425, 2019, p. 374-378.
• Nicey J., « Les pratiques de fact-checking journalistique
participatif, entre contraintes et intérêts », Interfaces
numériques, vol. 9, n° 2, 2020.
• Nicey J. et Bigot L., « Un pour tous, tous pour un ? Les pratiques
inédites de “coalition” des journalistes fact-checkers français
durant la campagne présidentielle de 2017 », dans A. Theviot
(dir.), Médias et élections. Les campagnes présidentielles et
législatives de 2017, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires
du Septentrion, 2019, p. 121-141.
• Pinker R., Langlais P.-C., Schuh J., Thérenty M.-E., Fake news
et viralité avant Internet : les lapins du Père-Lachaise et autres
légendes médiatiques, CNRS éditions, 2020.
• Nicey J. et Bigot L., « Le soutien de Google et de Facebook au
fact-checking français : entre transparence et dépendance »,
Sur le journalisme, vol. 9, n° 1, 2020, p. 188-203.
• Rebillard F. et Smyrnaios N., « Les infomédiaires, au cœur de la
filière de l’information en ligne. Les cas de Google, Wikio et
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• Smyrnaios N., Chauvet S., Marty E., L’impact de CrossCheck sur
les journalistes et les publics. Rapport de recherche sur un
projet de journalisme collaboratif lors de l’élection présidentielle
française de 2017, First Draft, 2017. URL :
https://firstdraftnews.org/wp-
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pdf
• Smyrnaios N., Les GAFAM contre l’internet. Une économie
politique du numérique, Paris, INA Éditions, 2017.
• Wardle C. et Derakhshan H., Information Disorder. Report for the
Council of Europe, 2017.

1. Stencel M., « Global fact-checking up 50 % in past year », Duke Reporters’ Lab,


16 février 2016. URL : http://reporterslab.org/global-fact-checking-up-50-percent
2. Stencel M. et Luther J., « Reporters’ Lab fact-checking tally tops 200 », Duke
Reporters’ Lab, 21 octobre 2019. URL : https://reporterslab.org/reporters-lab-fact-
checking-tally-tops-200/
3. CrossCheck, « En savoir plus sur le projet CrossCheck – Travailler ensemble pour
donner des informations authentiques », 2017. URL :
https://crosscheck.firstdraftnews.com/france-fr/
Facebook, « Facebook Investor Relations », 2017, 2018, 2019, 2020. URL :
https://investor.fb.com/investor-news/
4. NewsWhip, « Q&A: How CrossCheck used social media monitoring to uncover fake
news », 21 avril 2017. URL : https://www.newswhip.com/2017/04/crosscheck-qa-claire-
wardle/
5. Moses L., « Inside the Facebook team that’s charged with keeping publishers happy »,
DigiDay, 29 juin 2017. URL : https://digiday.com/media/inside-facebook-
team-thats-charged-keeping-publishers-happy/
6. Mosseri A., « Facebook app: Addressing Hoaxes and Fake News », Facebook,
15 décembre 2016. URL : https://about.fb.com/news/2016/12/news-feed-fyi-
addressing-hoaxes-and-fake-news/
7. IFCN, « Commit to transparency–sign up for the IFCN’s code of principles », Poynter
Institute, 2015. URL : https://ifcncodeofprinciples.poynter.org/
8. Schmitt F. et Madelaine N., « L’AFP reste confiante même s’il y aura des lendemains
difficiles, dit son PDG », Les Échos, 11 mai 2020.
9. Cf. : Libération/Checknews, « Combien a rapporté à Libé son partenariat de factchecking
avec Facebook en 2018 ? », 30 janvier 2019 ; Libération/Checknews, « Est-il vrai que
Facebook rémunère Le Monde et Libération pour aider à trier les fake news ? », 8 janvier
2018.
10. Moullot P., « Pourquoi CheckNews ne fait plus de fact-checking avec Facebook »,
Libération/CheckNews, 7 mars 2021.
11. Pignard-Cheynel N., « Facebook et les médias : une relation diaboliquement
complexe », La Revue des médias, 26 septembre 2018.
12. Le Caroff, « Facebook, média de masse : un poids à relativiser », La Revue des
médias, 27 septembre 2018.
13. Becquet N., « Facebook a versé des millions aux médias français : la stratégie “VIP-
VRP” et ses effets », European Journalism Observatory (EJO), 14 novembre 2017. URL :
https://fr.ejo.ch/economie-medias/facebook-remuneration-medias-francais-live-video
14. Voir, dans la partie VI de l’ouvrage, la contribution consacrée à l’éducation aux médias.
15. Carasco A., « La crise du Covid-19 réconcilie (un peu) les Français et les médias »,
La Croix, 26 janvier 2021.
Chapitre 4
4 L’éducation aux médias
et à l’information : une nouvelle
facette du métier de journaliste

Virginie Sassoon

On dit que ceux qui informent, ils ont le pouvoir, c’est vrai.
Mais moi je pense aussi que ceux qui savent s’informer, ils
ont aussi le pouvoir. Morgan, 18 ans (cité dans Cordier,
2019)

L
e 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-
géographie, est décapité à la sortie de son collège pour avoir
enseigné la liberté d’expression. Lors d’une séance du
programme d’enseignement moral et civique, il s’était appuyé sur
une caricature du prophète publiée dans Charlie Hebdo, dont la
rédaction avait été décimée par les frères Kouachi cinq ans
auparavant. Si l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est
riche d’une histoire nationale et internationale, les attentats
terroristes ont tragiquement replacé son urgence citoyenne au cœur
du débat public.
Douze millions et demi d’élèves, citoyens en devenir, sont
scolarisés dans le pays. Sept Français sur dix jugent qu’il appartient
à l’Éducation nationale de former tous les élèves à l’EMI1. Dans ce
contexte, les enseignants apparaissent comme les agents principaux
du changement2. La France, en particulier, peut s’appuyer sur un
corps spécifiquement formé de professeurs documentalistes. À leurs
côtés, les journalistes apparaissent comme des alliés indispensables
pour relever ce défi démocratique3.
Pour les étudiants en journalisme, cette contribution éclaire
l’histoire du développement de l’éducation aux médias et à
l’information, ses contenus, ses enjeux actuels et apporte des
conseils pour intervenir en classe. L’objectif ? Alimenter la réflexion
sur ce qui se dessine comme une des nouvelles facettes du métier
de journaliste.

Le fil rouge de la transmission


À l’ère de la « post-vérité », quand les croyances et les opinions
l’emportent sur les faits, enseignants et journalistes s’interrogent :
comment cultiver le doute sans alimenter la défiance4 ? Comment
trouver l’antidote qui redonnera le goût du vrai, tout en développant
l’esprit critique face à la complexité du réel ?
Si les enseignants sont en première ligne pour transmettre les
valeurs de la République, les journalistes ont pour mission d’informer
les citoyens pour faire vivre notre démocratie. Enseigner et informer
sont des professions fondées sur un principe commun de
transmission dont l’objectif est de produire du sens pour nous aider à
mieux comprendre le monde. Dans un climat de défiance croissant
vis-à-vis des instances traditionnelles, le numérique a redéfini les
manières de s’informer et d’apprendre. L’école et les médias ont de
ce fait perdu le « monopole » de la transmission, concurrencés par
la multiplication des sources d’information et un foisonnement de
récits alternatifs qui impactent tous les champs disciplinaires.
Comme l’indique Iannis Roder, enseignant d’histoire-géographie
en Seine-Saint-Denis : « La parole de l’enseignant n’est plus une
parole au-dessus des autres mais parmi les autres5. » Parallèlement,
la profession de journaliste est parmi la moins appréciée des
Français, ils sont par ailleurs de moins en moins nombreux et de
plus en plus précaires. Un désamour qui s’est accru avec le
mouvement des Gilets Jaunes révélant un fossé avec une partie de
la population, voire une véritable hostilité. Le baromètre de la
confiance des Français dans les médias publié chaque année par
Kantar/La Croix, atteste depuis plusieurs années que le taux de
crédibilité des journalistes est très faible. Dans ce contexte,
l’éducation aux médias et à l’information s’impose comme une
priorité relevant de la responsabilité sociétale des entreprises
médiatiques.

L’éducation aux médias et à l’information :


de quoi parle-t-on ?
« L’éducation aux médias est d’abord une prise de conscience
de ce monde médiatique, de l’obligation vitale, individuelle et
collective, d’en apprendre les données, comme on apprend à lire et
à écrire, pour ne pas devenir analphabète », écrivait Jacques
Gonnet (2001), universitaire et fondateur du CLEMI.
Vingt ans plus tard, à l’heure de la toute puissance des GAFAM,
cette mission est plus que jamais d’actualité. « Les enjeux sont
décuplés pour nos sociétés démocratiques désormais
concurrencées par des plateformes et des réseaux numériques sur
des domaines régaliens comme la culture et l’éducation. Former des
citoyens libres, éclairés, actifs, demeure essentiel. À cette nécessité,
s’ajoute l’impératif de se développer comme des sujets à part entière
et non comme des objets en proie à des logiques algorithmiques
savamment pensées pour capter nos temps de cerveau disponible »
analyse Serge Barbet, l’actuel directeur délégué du CLEMI.
Un bouleversement majeur s’est opéré au cours de ces deux
dernières décennies : la possibilité pour tout un chacun d’accéder,
de produire et de diffuser des contenus en temps réel sur Internet.
Alors que nous passons presque la moitié de notre vie éveillée sur le
Web6, les chercheurs s’accordent pour analyser le numérique
comme un « fait social total7 » qui façonne nos vies individuelles et
notre destin collectif. La pandémie liée à la Covid-19 aurait
également accéléré la numérisation du monde (Lazar et al., 2020).
L’épidémie de fausses informations s’est d’ailleurs télescopée avec
la crise sanitaire pour être qualifiée « d’infodémie » par
l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le démenti étant
toujours moins percutant que la calomnie, les conséquences
sociales, politiques, économiques de la manipulation de l’information
sont devenues une obsession contemporaine. Face aux flux
instantanés et surabondants de contenus en ligne, apprendre à faire
le tri entre informations vérifiées, mensonges, rumeurs, canulars,
publicités cachées et opinions s’est en effet largement complexifié.
L’accès à une information de qualité est devenu un enjeu crucial,
questionnant notre capacité à évaluer sa pertinence et sa fiabilité.
Cette réalité nous oblige à considérer la maîtrise des codes,
langages et pratiques médiatiques et numériques comme un socle
indispensable pour exercer sa citoyenneté au XXIe siècle.
Pourtant, en France, selon une étude Médiamétrie de 2018,
34 % seulement des jeunes ont eu de l’éducation aux médias et à
l’information dans le cadre scolaire. 65 % des jeunes qui en ont
bénéficié vérifient les informations contre 42 % pour les autres8. Un
constat également partagé par un rapport de l’Union européenne qui
a montré que l’EMI permet de réduire la vulnérabilité des élèves face
aux fausses informations9.

Selon les textes officiels du ministère de l’Éducation


nationale, l’objectif de l’EMI est de permettre aux élèves
d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information
et de la communication, de former des « cybercitoyens »
actifs, éclairés et responsables.
Le CLEMI est chargé de l’éducation aux médias dans
l’ensemble du système éducatif français et dispose d’un
réseau de coordonnateurs académiques sur tout le territoire.
Ses missions actuelles sont la formation des enseignants,
l’accompagnement à la production de médias scolaires, la
production et co-production de ressources pédagogiques et
l’organisation d’événements éducatifs qui font le lien entre
l’école et les médias. Pour apprendre aux élèves une
pratique citoyenne des médias, il s’appuie depuis son
origine sur des partenariats dynamiques entre enseignants
et professionnels de l’information. Depuis 1989, son
événement phare est la Semaine de la presse et des
médias dans l’école. En 2021, ce dispositif a mobilisé plus
de 20 500 établissements scolaires, soit 4,5 millions
d’élèves et 260 000 enseignants, en lien avec 1 800 médias
partenaires. Le CLEMI, qui fait partie du Réseau Canopé,
opérateur public du ministère de l’Éducation nationale, fait
figure d’exception culturelle, puisqu’aucun autre pays
européen ne dispose d’un organisme public équivalent pour
déployer l’éducation aux médias et à l’information.
L’ensemble des textes institutionnels et historiques relatifs à
la structuration de l’EMI à l’échelle nationale, européenne et
internationale sont disponibles sur le site du CLEMI.

L’EMI, Media and Information Literacy (MIL) en anglais, loin de


se réduire à la lutte contre les fakes news, articule deux domaines
distincts : la « maîtrise de l’information » (information literacy) et
« l’éducation aux médias » (media literacy). « D’une part, la maîtrise
de l’information met l’accent sur l’importance de l’accès à
l’information, son évaluation et son utilisation éthique. D’autre part,
l’éducation aux médias porte sur la capacité à comprendre les
fonctions des médias, d’évaluer la manière dont ces fonctions sont
exercées et de faire usage de ces médias de façon rationnelle pour
s’exprimer10. »
Au sein des établissements scolaires, ce sont les
professeurs documentalistes qui disposent d’une expertise
spécifique sur le volet « maîtrise de l’information ». Depuis 2017, ils
sont les maîtres d’œuvre de l’éducation aux médias et l’information11,
à ce titre, ils sont des interlocuteurs privilégiés pour mener des
séances pédagogiques, initier et accompagner des projets.
En France, comme dans la majorité des pays européens, l’EMI
n’est pas une matière en soi. Dans son rapport de 2007, l’inspectrice
générale Catherine Bechetti-Bizot préconise de faire de l’éducation
aux médias une voie « traversante » des disciplines
fondamentales12. L’EMI est conçue comme un préalable à d’autres
apprentissages, située « en amont » des disciplines enseignées.
Composante du parcours citoyen des élèves, elle est intégrée dans
tous les enseignements de manière transversale et depuis 2015, ses
modalités d’application ont été détaillées pour chaque cycle
d’apprentissage (école, collège, lycée). D’après la majorité des
enseignants qui la mettent en œuvre, l’EMI participe
significativement à l’enrichissement des savoirs fondamentaux (lire,
écrire, compter, respecter autrui).
Cette transversalité est pourtant sujette à débat car elle révèle
la difficulté relative à la pratique d’un enseignement interdisciplinaire,
dans un système très attaché aux disciplines. La transversalité de
l’EMI contribue également par certains aspects à brouiller sa lisibilité
et à freiner son appropriation par l’ensemble du corps enseignant.
Beaucoup d’enseignants se sentent démunis et insuffisamment
formés, l’EMI n’étant pas encore systématiquement au programme
de leur formation initiale. Ainsi, sa mise en œuvre effective repose
encore bien (trop) souvent sur des engagements personnels et/ou
militants. Face à ces constats, des rapports récents préconisent d’en
faire une discipline autonome et systématisée.

Le Rapport d’information sur l’école dans la société du


numérique de la Commission des affaires culturelles et de
l’éducation de l’Assemblée nationale (10 octobre 2018)
préconise, dans sa proposition n° 2 : « Conforter la
dimension disciplinaire de l’EMI et, en conséquence, bâtir un
programme autonome d’EMI, centré autour de la notion de
citoyenneté numérique. » C’est aussi l’une des mesures du
plan national de prévention de la radicalisation du CIPDR,
daté du 23 février 2018 : « Prémunir les élèves face au
risque de radicalisation dans l’espace numérique et aux
théories du complot en systématisant l’EMI, tout en
développant leur pensée critique et la culture du débat. »
Cette proposition de systématiser l’EMI est également
défendue par l’universitaire Divina Frau-Meigs, ancienne
directrice du CLEMI, dans une tribune du Monde du
18 novembre 2020.

Par ailleurs, il est important de souligner que le contenu même


de l’EMI est traversé par des approches différentes. La chercheuse
de sciences de l’information et de la communication Laurence
Corroy-Labardens (2015), spécialiste de l’EMI, revient sur trois
courants principaux qui la composent :
■ « L’approche protectionniste », contemporaine de l’apparition
des médias de masse dans les années 1940, repose sur la
défiance à leur égard. Inspirée par l’école de Francfort, les
publics sont perçus comme passifs et victimes de
manipulation. L’esprit critique consiste alors à proposer un
« arsenal défensif » pour une école pensée comme un
« rempart contre les influences pernicieuses des médias de
masse ».
■ « L’approche critique » est marquée par les études
sémiologiques des années 1960. Dans cette perspective,
l’analyse critique des messages et leur interprétation compte
davantage que les canaux de diffusion. Dans les
années 1990, avec le courant des cultural studies, qui étudie
les médias de masse en tant que produits des industries
culturelles, les publics sont alors considérés comme actifs et
participant à la construction du sens des messages (Joubaire,
2017).
■ « L’approche politique » qui se développe dans les
années 1980 et 1990, envisage l’éducation aux médias
comme une valorisation du politique. Exercer son esprit
critique consiste à savoir analyser les médias d’information,
connaître la fabrication, la circulation et le traitement de
l’information. C’est dans cette approche que s’inscrit la
création du CLEMI, avec des objectifs démocratiques.
En France, l’approche qui insiste sur l’enjeu civique de l’EMI est
la plus développée, avec un intérêt croissant pour le numérique13.
En 2020, les États généraux du numérique pour l’éducation
préconisent d’ailleurs de « renforcer la citoyenneté numérique et
l’EMI en s’appuyant sur le CLEMI. » À travers le triptyque
information/médias/numérique, le périmètre de l’EMI est en
constante évolution.
Les thématiques actuelles liées à la lutte contre la radicalisation,
le complotisme, les discriminations, la haine en ligne, la protection
des données personnelles et l’engagement pour le développement
durable sont devenues prioritaires. Les nouveaux formats de
l’information posent aussi en eux-mêmes un certain nombre de défis
éducatifs. Une information sérieuse, solide, fiable, cela coûte cher,
en temps et en argent. Face à la profusion de contenus gratuits,
comment faire comprendre le prix de l’information ? À l’ère de
l’infotainement (qui mêle information et divertissement), comment
reconnaître ce qui relève de l’information et de la communication ?
Selon une étude réalisée en 2015 par l’agence de marketing
Contently auprès de lecteurs américains, plus de 70 % d’entre eux
n’arrivent pas à reconnaître qu’un contenu de type native advertising
(rédigé par les journalistes pour le compte des annonceurs) est une
publicité et l’assimilent à un « vrai » contenu journalistique14.
Les stratégies de captation de l’attention sont de plus en plus
élaborées et notre temps d’attention en ligne semble se réduire à
une poignée de secondes (Patino, 2019). Les médias doivent
innover pour raconter l’information à travers de nouveaux formats.
L’Équipe, Le Monde, Paris-Match, Cosmopolitan (etc.) sont par
exemple présents sur Discover, l’application de Snapchat prisée par
les adolescents. L’image a pris aujourd’hui une place prépondérante
(vidéos, stories, datajournalisme, infographies, threads…) dans la
narration informationnelle. Sur les réseaux sociaux, l’information a
aussi pour fonction de générer une conversation, à l’image du
positionnement de Brut ou Loopsider. Dans cette optique, les robots
conversationnels se développent. Radio Canada a d’ailleurs
récemment lancé un chatbot pédagogique pour aider les jeunes face
à la désinformation. En France, des initiatives de même type
émergent, à l’instar de l’école des réseaux sociaux créée par la
société Edupad en liaison avec le réseau European Schoolnet.
Alors que les nouvelles formes de publicités « cachées »
brouillent les pistes, apprendre les fondamentaux du journalisme
demeure plus que jamais d’actualité : le récit des faits, la force d’une
histoire, le pouvoir d’une enquête d’investigation. Et comme l’affirme
Anne Nivat, reporter indépendante, « c’est le journalisme qui
sauvera les médias ».
Dans sa mise en œuvre effective, l’EMI s’appuie sur une
pédagogie active, un apprentissage par « le faire », c’est-à-dire
learning by doing : l’élève apprend en étant en activité.
L’acquisition d’une culture médiatique (connaissance des
médias, de leur fonctionnement, de leurs formats et de leurs
langages), d’une culture informationnelle (processus de production,
de diffusion et de réception de l’information), et d’une culture sociale
et citoyenne (droits et devoirs liés à l’usage des médias et de
l’information, éthique et responsabilité) s’articule à la transmission de
compétences techniques et créatives. L’apprentissage concret de la
production médiatique (article, web radio, web tv, dessin de presse,
blog, etc.) jusqu’à la publication et la diffusion, fait partie intégrante
du processus. Engager les élèves dans la création médiatique se
révèle un puissant moteur d’apprentissage notamment en matière de
compétences sociales et de capacité à manier le langage15. Par
ailleurs, les pratiques collaboratives inhérentes à l’EMI permettent de
mutualiser les regards et favorisent le débat. Comprendre qu’un
même message peut être perçu différemment par les récepteurs
améliore aussi les réflexes critiques des jeunes envers les médias.
Si l’objectif de l’EMI n’est pas de former des futurs journalistes,
elle apparaît comme un formidable levier pour accompagner et
soutenir l’expression des élèves, clé de voûte de la liberté
d’expression et de la citoyenneté.

Les médias dans l’école : repères


historiques
Depuis que les médias existent, une réflexion s’est développée
sur la nature de leur influence, notamment au sein des
communautés éducatives. Dans cette perspective, l’éducation aux
médias est apparue en même temps que les médias, comme
l’affirme la chercheuse Marlène Loicq16. Cette dernière, qui a analysé
les discours historiques et officiels dans trois pays (Australie,
France, Québec) montre d’ailleurs que le système éducatif français
est dans une position de défiance envers les médias, plus qu’en
Australie ou au Québec (Loicq, 2017).
En France, pendant longtemps les médias ont été tenus en
dehors du « sanctuaire » de l’école. France Renucci, universitaire et
ancienne directrice du CLEMI, rappelle qu’avant les années 1970 un
élève tenant la main un quotidien dans la cour de son lycée risquait
l’exclusion17. Le développement d’une presse étudiante et lycéenne
date pourtant de la fin du XIXe siècle, comme l’explique Laurence
Corroy (2004) : « les collégiens et les étudiants créent leurs propres
journaux – plus ou moins cachés, écrits à la marge, menacés de
représailles académiques ou gouvernementales – pour exprimer
leurs opinions et convictions. Ils essaient d’exister au sein de
l’espace public, de débattre, d’interpeller les adultes. »
C’est dans les années 1920, dans la mouvance de « l’éducation
nouvelle », que l’instituteur pionnier Célestin Freinet fait entrer la
presse à l’école à travers l’usage de l’imprimerie18. « Des “textes
libres” sont choisis collectivement et imprimés par les élèves pour le
journal de classe. »19. Aujourd’hui, circulaires et décrets encouragent
et encadrent la création et la pratique des médias dans le cadre
scolaire. Une carte des médias scolaires (journaux, radios, webtv,
etc.) est proposée sur le site du CLEMI, qui permet de visualiser
l’ampleur de cette réalité sur l’ensemble du territoire20. Chaque
année, de nombreux journalistes interviennent pour soutenir la
création et l’accompagnement de médias scolaires. Ils peuvent
également participer au plus grand concours national de médias
scolaires Médiatiks du CLEMI, qui se décline dans chaque
académie. Au niveau national, après Caroline Roux, Elise Lucet,
Raphaëlle Bacqué et Fabrice Arfi, c’est Christophe Deloire,
secrétaire général de Reporters Sans Frontières qui préside
l’édition 2021. Pour sa part, l’association Jets d’encre consacre
depuis 2004 son activité à la reconnaissance et à la défense des
journaux réalisés par les jeunes de 12 à 25 ans.
Le lien entre les médias et l’école s’est progressivement
structuré au niveau institutionnel au siècle dernier. Dans les
années 1960, un courant « presse-école » très actif, rassemble des
journalistes et des enseignants, rappelle Isabelle Féroc-Dumez,
universitaire et directrice scientifique et pédagogique du CLEMI21.
En 1976, dans un texte fondateur adressé à l’inspection générale de
l’instruction publique, le ministre de l’Éducation nationale René Haby
préconise d’introduire à l’école la presse d’information comme
support pédagogique dans les programmes des différentes
disciplines, et encourage également les partenariats avec des
professionnels de la presse.22 En 1977, l’association Association
Régions Presse Enseignement Jeunesse (ARPEJ), créée par les
PDG de Sud-Ouest et de La Nouvelle République du Centre-Ouest,
et des membres du Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale
française (SPQR), s’engage dans ce courant de « la presse à
l’école ». Si la volonté commune est de réduire la distance entre
l’école et le monde extérieur, l’approche privilégiée à l’époque est
encore celle d’une éducation par les médias, dont les contenus sont
utilisés comme supports pédagogiques23.
Au début des années 1980, l’UNESCO organise une grande
mobilisation internationale qui aboutira à la « Déclaration de
Grunwald », actant la nécessité d’organiser le lien entre les
systèmes éducatifs et les médias : « Plutôt que de condamner ou
d’approuver l’incontestable pouvoir des médias, force est d’accepter
comme un fait établi l’impact significatif qui est le leur et leur
propagation à travers le monde et de reconnaître en même temps
qu’ils constituent un élément important de la culture dans le monde
contemporain […] Les systèmes politiques et éducatifs doivent
assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les
citoyens une compréhension critique des phénomènes de
communication24. »
En 1983, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary crée
le CLEMI, le Centre de liaison de l’enseignement et des médias
d’information, appelé aussi Centre pour l’éducation aux médias et à
l’information, sous l’impulsion de l’universitaire Jacques Gonnet.

Intervenir en classe
Pour préparer au mieux les futurs journalistes à des actions en
éducation aux médias et à l’information, des modules sont
désormais inclus dans certains cursus en formation initiale (à l’École
supérieur du journalisme (ESJ) de Lille ou à l’École publique du
journalisme (EPJT) de Tours, par exemple). Des formations,
ouvertes aux journalistes et enseignants se développent : un
Diplôme Universitaire (DU) EMI existe déjà à l’Université Lyon 1. À la
rentrée 2021, l’ESJ et l’École Normale Supérieure Paris Saclay ont
ouvert un nouveau DU EMI.
Une large palette d’interventions existe pour les apprentis
journalistes et les professionnels des médias : les dispositifs du
CLEMI, des actions associatives, les résidences de journalistes dans
un établissement scolaire (qui durent plusieurs mois) le marrainage/
parrainage d’une « classe média »25 (qui implique des interventions
régulières tout au long de l’année scolaire). S’inscrire à la réserve
citoyenne de l’Éducation nationale est aussi une voie possible.
Localement, les clubs de la presse organisent également des
événements. Qu’elle s’inscrive dans un temps long ou court, voici
quelques recommandations pour préparer une intervention en
classe.

Co-construire avec l’enseignant


« Le métier du journaliste n’est pas d’expliquer son métier »
rappelle Étienne Millien, secrétaire général de l’Alliance pour
l’éducation aux médias. En effet, être professionnel des médias ne
signifie pas être professionnel de l’éducation aux médias et faire
preuve de pédagogie ne va pas forcément de soi. Si les expertises
des journalistes sont indispensables pour faire vivre l’EMI, un
journaliste doit impérativement co-construire son intervention avec
l’enseignant. Il est important de bien se renseigner sur le cadre de la
demande, les besoins, la motivation, la discipline de l’enseignant, la
partie du programme qu’il enseigne au moment de l’intervention. Il
est aussi essentiel de s’informer en amont sur le niveau des élèves,
la dynamique de la classe. L’enseignant est la personne qui connaît
le mieux les élèves, c’est lui qui les prépare à vous recevoir. Il doit
également obtenir l’accord formel du chef d’établissement, du
directeur d’école et de l’inspecteur de l’Éducation nationale. Le
CLEMI a produit un guide spécifique pour les enseignants26. Bref,
pas de place pour l’improvisation !
Développer une réflexion critique
sur sa pratique professionnelle
L’intervention d’un professionnel permet de mettre en
perspective les apports théoriques de l’enseignant. Les élèves
attendent du concret, un récit honnête et sincère, nourri d’anecdotes,
que l’enseignant pourra contextualiser. Vous n’êtes pas invité pour
faire la promotion de votre média, ce qui pourrait s’apparenter à une
opération de communication. Que vous soyez salarié d’un média
national, d’un titre de presse régionale, pigiste ou intervenant dans
un média associatif ou de quartier, il s’agit de faire découvrir une
réalité souvent méconnue et très diverse. Revenir sur les
motivations qui vous ont conduit à choisir ce métier et illustrer votre
propos en racontant une journée type peut être une piste pour
expliquer la fabrique de l’information : le choix des sujets, le rapport
avec les sources, la ligne éditoriale de votre média, à qui vous devez
rendre des comptes, votre rapport avec le public, votre déontologie.
Il faut privilégier l’interaction, éviter les postures descendantes,
se préparer aux critiques malgré l’inconfort que cela peut susciter. Le
journaliste n’est pas en mission pour rétablir « la confiance » dans
les médias mais pour partager son expérience, ses compétences,
les joies et contraintes du métier. Plus l’intervention sera préparée,
plus vous serez en mesure d’argumenter de manière concrète et
précise (histoire de la presse, indépendance des médias, etc.). Par
ailleurs, reconnaître des erreurs – les failles existent et elles sont
faciles à trouver – en les expliquant, permet de faire avancer de
manière constructive la connaissance des élèves sur les
mécaniques du journalisme.

Partir des pratiques informationnelles des


jeunes
La réalité du rapport des jeunes à l’information est bien plus
complexe et nuancée que celle dépeinte par les discours
médiatiques dominants qui les décrivent souvent comme des
décérébrés narcissiques en quête de likes. Une étude récente du
Cnesco27 révèle par exemple un fort intérêt des jeunes pour
l’actualité : 68 % des élèves de classe de Terminale déclarent
s’informer sur l’actualité en France (politique, économique, sociale,
etc.). L’étude observe aussi un haut niveau de confiance dans les
médias « traditionnels » et une prise de distance vis-à-vis des
réseaux sociaux : plus des deux tiers des élèves de Troisième ont
confiance dans la télévision, la radio et les journaux en version
papier, contre seulement 27 % qui ont confiance dans les réseaux
sociaux. Les jeunes ne sont d’ailleurs pas les plus crédules face aux
infox : les internautes les plus âgés et les plus politisés partagent
sept fois plus de fausses nouvelles sur le réseau social Facebook
que les jeunes de 18 à 29 ans28.
84 % des enfants de 12 ans disposent d’un smartphone29 ; par
ailleurs, être inscrit sur un réseau social en 6e est perçu comme une
situation banale, Snapchat, Instragram et TikTok en tête30. Mais ce
n’est pas parce qu’ils sont hyperconnectés, que les jeunes savent
s’informer. Loin du mythe du « digital native » (natif numérique)31
postulant que les jeunes nés avec les nouvelles technologies sont
dotés d’un rapport quasi inné beaucoup plus intuitif et naturel que les
générations précédentes, les compétences numériques et
informationnelles sont le fruit d’un apprentissage. Celui-ci révèle de
nombreuses inégalités sociales, que l’éducation aux médias et à
l’information peut aider à combler.
Les pratiques informationnelles des jeunes bousculent les
codes traditionnels de la légitimité culturelle. Observer, mais aussi
respecter, la manière dont ils accèdent à l’information et l’analysent
permet d’appréhender la réalité fine et diversifiée des pratiques
individuelles, en évitant les pièges de la généralisation abusive. La
série Dans ton tel, disponible sur le site d’Arte, où huit adolescents
se racontent à travers cet objet de l’intime et les usages qu’ils en
font est de ce point de vue particulièrement éclairante32. En tant
qu’intervenant extérieur, il faut être capable d’accueillir des questions
que les jeunes n’oseront peut-être pas poser à l’enseignant, mais
que de nombreuses communautés en ligne – plus ou moins
extrêmes et radicales – abordent sans tabou, à la fois pour critiquer
l’école et les médias.
Les approches en EMI les plus efficaces partent de l’élève
comme acteur de sa consommation médiatique et de son évolution
dans un apprentissage actif, atteste une étude du Cnesco.
« Que l’on soit parent, enseignant·e ou professionnel·le de
l’information, comprendre les pratiques informationnelles juvéniles,
leurs ressorts et les enjeux liés, sans les juger, c’est se donner
véritablement les moyens d’accompagner les adolescent·es pour
qu’ils·elles deviennent des citoyen·nes émancipé·es » analyse la
chercheuse en sciences de l’information et de la communication,
Anne Cordier, spécialiste des pratiques numériques des jeunes.

Déconstruire les stéréotypes


pour un enrichissement mutuel
En entrant dans une salle de classe, les journalistes se
confrontent à une réalité sociale et culturelle diverse et aux tensions
qui traversent l’école. Ces rencontres sont l’occasion de déconstruire
les stéréotypes des uns sur les autres. Emmanuel Vaillant, directeur
de la ZEP, assure par exemple qu’il a dû attendre trois ou quatre
interventions au lycée de Sevran « pour que les jeunes se
dépouillent du costume que la société plaque sur eux, cessent de
jouer les jeunes de banlieue pour être enfin eux-mêmes33. »
Benjamin Bude, ancien journaliste aujourd’hui professeur des
écoles, affirme, quant à lui : « On a beaucoup plus à apprendre des
enfants qu’aux enfants. […] C’est une question de partenariat. Il faut
savoir tendre l’oreille, arriver sans idées préconçues ». Pour les
jeunes, c’est aussi l’occasion de se défaire d’un certain nombre
d’idées préconçues qu’ils pourraient avoir sur les journalistes,
comme par exemple celle d’une élite au service d’un pouvoir
politique et économique.
En questionnant leur vision du monde, leurs valeurs, le sens de
leur métier, l’EMI enrichit les pratiques et les représentations des
journalistes. Elle participe à la création d’une nouvelle facette de leur
identité professionnelle et de l’exercice de leur métier, à l’intersection
d’enjeux éducatifs et citoyens.
L’EMI suscite un engouement croissant dont les « bonnes
intentions » méritent néanmoins d’être interrogées, comme l’a fait de
manière controversée danah boyd34, chercheuse américaine
spécialisée dans l’étude des médias sociaux par les jeunes dans
une conférence en 201835. Ni vaccin contre les croyances
complotistes, ni solution miracle pour rétablir la confiance dans les
médias, l’EMI nous oblige à affronter les idéologies extrémistes, la
radicalisation et la polarisation des débats ainsi que la haine qui
traversent notre société. Et comme l’analyse Éric Scherer, directeur
de la prospective à France Télévisions : « Aider à tenter de refaire
société est un nouveau et grave défi pour les rédactions et nos
nouvelles tribus éclatées. L’information est un bien commun. Y
accéder, un droit de l’homme. Mais des communautés solidaires ne
peuvent fonctionner que si nous nous sentons aussi connectés à
ceux qui ne pensent pas comme nous36. »

Bibliographie
• Corroy L., La presse des lycéens et des étudiants au XIXe siècle,
Paris, Institut national de recherche pédagogique, coll.
« Éducation, histoire, mémoire », 2004.
• Corroy-Labardens L., Éducation aux médias à l’heure des
réseaux, Paris, L’Harmattan, 2015.
• Cordier A., « Ados en quête d’infos : De la jungle à la steppe,
cheminer en conscience », Revue de socio-anthropologie de
l’Adolescence, n° 3, 2019.
• Gonnet J., Éducation aux médias. Les controverses fécondes,
Paris, Hachette, 2001.
• Joubaire C., « EMI : partir des pratiques des élèves », Dossier de
veille de l’IFÉ, n° 115, Lyon, ENS de Lyon, 2017.
• Lachance J. (dir.), Accompagner les ados à l’ère du numérique,
Laval, Presses Universitaires de Laval, 2019.
• Lazar M., Plantin G., Ragot X. (dir.), Le Monde d’aujourd’hui. Les
sciences sociales au temps de la Covid, Paris, Presses de
Sciences Po, 2020.
• Loicq M., « Une approche comparative des discours
institutionnels en éducation aux médias : une analyse socio-
anthropologique », Argumentation et Analyse du Discours [en
ligne], 19 | 2017.
• Patino B., La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le
marché de l’attention, Paris, Grasset, 2019.

1. https://www.la-croix.com/Economie/Medias/INFOGRAPHIE-Francais- medias-
fiables-2018-01-23-1200908028
2. Déclaration de Moscou, UNESCO, 2012.
3. Les acteurs culturels, associatifs, les chercheurs, familles et éducateurs sont également
parties prenantes.
4. Sur ce sujet, lire l’interview de la chercheuse Anne Cordier. URL :
https://journal.ccas.fr/les-jeunes-leurs-parents-et-linfo-cultiver-le-doute-sans-provoquer-
la-defiance/
5. Extrait d’une interview de Iannis Roder, URL : https://www.interclassup.fr/genese/
6. Rapport Digital 2020. URL : https://wearesocial.com/fr/blog/2020/01/digital-report-2020
7. Au sens de l’anthropologue Mauss (1924) les faits sociaux totaux « mettent en branle la
totalité de la société et de ses institutions » ; ils concernent tous les individus et
recouvrent des dimensions politiques, économiques, religieuses, sociales, juridiques,
symboliques.
8. « Les jeunes et l’information », enquête Médiamétrie, ministère de la Culture, juillet 2018.
9. Quels objectifs pour l’éducation aux médias ?, Rapport Cnesco, 2019, annexes.
URL : http://www.cnesco.fr/wp-
content/uploads/2019/02/190221_Annexe_note_medias.pdf
10. « Éducation aux médias et à l’information : programme de formation pour les
enseignants », UNESCO, 2012.
11. https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo13/MENE1708402C.htm?cid_bo=114733
12. Becchetti-Bizot C., Brunet A., L’éducation aux médias. Enjeux, état des lieux,
perspectives, Rapport IGEN et IGAENR, août 2007.
13. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire “éduquer aux médias ?” », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
14. Sébastien Rochat, « Info ou publicité : les cas Konbini et Melty », Dossier pédagogique
de la SPME, CLEMI, 2019.
15. Rapport Cnesco, Annexe note médias, 2019.
16. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire “éduquer aux médias ?” », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
17. https://www.cairn.info/revue-medium-2005-4-page-110.htm?try_download=1
18. Institut coopératif de l’école moderne, Pédagogie Freinet, L’imprimerie à l’école, n°25,
août 1929, Numéro spécial. URL : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/39632/
19. Célestin Freinet, Christophe Dubois, Savoirs CDI, 2011, URL : www.reseau-
canope.fr/savoirscdi
20. Site du CLEMI. URL : www.clemi.fr/fr/carte-medias-scolaires.html
21. Isabelle Féroc-Dumez, « Le CLEMI, un acteur institutionnel clé de l’EMI », brochure
Éducation aux médias et à l’information, 2019/2020.
22. L’éducation aux médias face aux défis du numérique, 2020.
23. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire « éduquer aux médias ? », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
24. Déclaration de Grunwald sur l’éducation aux médias.
URL : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/DeclGrunwald.pdf
25. Les classes médias sont des dispositifs qui permettent de faire de l’EMI de manière
hebdomadaire. En octobre 2020, le CLEMI a réalisé un recensement qui comptabilise
près de 400 classes sur 18 académies.
26. Rencontres avec des professionnels des médias et de l’information en milieu scolaire,
CLEMI, 2020.
27. Rapport Cnesco, « Éducation aux médias et à l’actualité : comment les élèves
s’informent-ils ? », 2019.
28. A. Drew, J. Nagler et J. Tucker, « Less than you think: Prevalence and predictors of fake
news dissemination on Facebook », Sciences Advance, 9 janvier 2019.
29. Baromètre du Numérique, URL : www.data.gouv.fr/fr/datasets/barometre-du-numerique/
30. Barbara Chazelle, « Les 10-13 ans passent près de 15 heures en ligne par semaine.
Voici ce qu’ils y font », Méta-Média, 2019.
31. Notion développée par le chercheur nord-américain Marc Prensky dans l’article « Digital
Natives, Digital Immigrants ».
URL : https://www.marcprensky.com/writing/Prensky%20-;%20Digital%20
Natives,%20Digital%20Immigrants%20-%20Part1.pdf.
32. Dans ton tel, Ma vie sur les réseaux sociaux, https://www.arte.tv/fr/videos/RC-
017944/dans-ton-tel/
33. « Et si l’école pouvait être utile au journalisme ? », Sylvain Joseph, académie de
Versailles, Édouard Bessière, académie de Rouen, Marie Pieronne, académie de Corse,
2018, CLEMI.
34. danah boyd souhaite que son nom soit écrit en minuscule :
http://www.danah.org/name.html
35. Hubert Guillaud, « De quelle éducation aux médias avons-nous besoin ? », Lemonde.fr,
17 juin 2018. URL : www.lemonde.fr/blog/internetactu/2018/06/17/de-quelle-education-
aux-medias-avons-nous-besoin/
36. « Bientôt l’ère post-news ? », Éric Scherer, Méta-Média, 2018.
Questions à Fabrice d’Almeida
Historien des médias,
Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut français
de presse, Université Paris-Panthéon-Assas

Entretien réalisé par Inna Biei

Inna Biei — Depuis la naissance du journalisme en France


au XVIIIe siècle, quels sont ses rapports avec la rumeur
et la propagande ?
Fabrice d’Almeida — Au départ, il s’agit de rapports de
grande proximité. C’est juste avant la Révolution française
que le métier de journaliste émerge. À partir du
printemps 1789, le domaine de la presse écrite explose
véritablement : des journaux de tous horizons ne cessent
d’apparaître sur le marché de la nouvelle, et dans la
plupart des cas, ils sont soumis à l’influence de l’élite
politique. Durant la Révolution, la notion de
« propagande » est relativement neutre : elle signifie
simplement « diffusion ». Propagande et information se
séparent vraiment à la fin du XIXe siècle, lorsque les
premiers « propagandistes » apparaissent. Ce sont des
intellectuels « encartés », membres du parti socialiste, qui
sont aussi de grands orateurs : ils vont prendre la parole
publiquement, faire de l’agitation, se rendre dans les
ateliers et usines afin de s’adresser aux ouvriers et les
inciter à entrer dans le parti. Ils vont créer des journaux
très engagés. De fait, c’est durant cette période que le
propagandiste, un « permanent » payé par le parti
politique pour la diffusion de sa doctrine, se distingue du
journaliste. Par ailleurs, c’est aussi à cette époque que la
profession de journaliste, avec ses droits et obligations
particuliers, se dessine véritablement.

I. B. — Aujourd’hui, les nouvelles technologies et internet


ne cessent de remodeler notre manière de consommer
l’information. Dans ce contexte, le phénomène des
fake news prend une ampleur considérable. Existe-t-il,
d’après vous, un événement particulier qui marque
cette rupture avec l’ancien paradigme
informationnel ?
F. d’A. — Il existe plusieurs façons de considérer
l’émergence du phénomène des fake news. La première
étape se déroule durant l’année 2016, lorsque l’expression
de fake news connaît une envolée dans l’historique sur les
moteurs de recherche tel Google. L’élection de Donald
Trump constitue un véritable tournant dans les débats sur
les fausses nouvelles. À la suite de cette élection
présidentielle nord-américaine, un nouveau concept
émerge, celui de la post-vérité. Il faut le prendre au
sérieux. Il existe une opinion selon laquelle, aujourd’hui, la
vérité politique n’existe plus. Cette idée rejoint, d’une
certaine manière, les discours critiques un peu relativistes,
présents au sein des sciences sociales autour du linguistic
turn (tournant linguistique) opéré dans les années 1970.
Ces théories émergent après les événements de mai-
juin 1968 et ceux-ci représentent une seconde étape, à
travers laquelle évolue et prend forme la notion de fake
news : une réflexion approfondie se développe alors
autour de la remise en cause de la question de la vérité.
Ce mode de pensée s’appuie initialement sur la pluralité
des cultures, et postule que le vrai dépend étroitement des
positions politiques du locuteur. Les chercheurs de l’École
de Palo Alto contribuent également à cette controverse et
relativisent ainsi la place et les fonctions de la notion de
« vérité » à laquelle nous étions habitués. Ils arrivent à
mettre en place une science sociale selon laquelle, au
fond, il n’y a peut-être même plus de réalité. Tout
simplement parce que nous n’avons accès qu’à notre
réalité subjective, tandis que la réalité dite « vraie » nous
échappe. C’est dans cette perspective que les écoles
subjectivistes et constructivistes se développent
progressivement. La post-vérité est leur héritière, version
conservatrice. Enfin, quand on parle de fausses nouvelles,
il est important, à mon avis, de distinguer les
manipulations « conscientes » de l’information, que
j’appelle manips, d’un ensemble de manipulations
« amateurs », dites manias. Ainsi, derrière la manip existe
une stratégie bien définie, une idée à transmettre avec un
objectif précis. Sa conception, sa fabrication ou sa
diffusion ne répondent pas au hasard. C’est tout le
contraire pour les manias : il s’agit plutôt d’un ensemble de
croyances et d’idées, plus ou moins latentes, partagées
par des secteurs d’opinion. Elles se mobilisent autour de
messages qui les activent, comme des signaux
déclencheurs. Elles correspondent à ce que des
chercheurs appellent des « bulles cognitives ». Ces
manias sont aujourd’hui cruciales : beaucoup de gens qui
font de la manip s’appuient sur des manias. De larges
secteurs de l’opinion sont ainsi mis en mouvement. À ce
titre, le cas assez typique est celui de l’anxiété sociale liée
au vaccin anti-Covid. Nous avons vu en 2020 que cette
anxiété était largement alimentée par les débats
antivaccins qui émergent sur des sites hébergés en
Russie, ou encore en Chine, ces deux puissances
mondiales où les grands enjeux vaccinaux sont d’ordre
économique et géopolitique. Dès lors, nous pouvons
parler ici d’une stratégie de décrédibilisation qui a pour
objectif le retardement de la couverture vaccinale en
occident et la promotion de leur propre solution vaccinale.
I. B. — Du point de vue de l’histoire contemporaine, les
manips sont-elles un phénomène nouveau ?
F. d’A. — Pas du tout. Les manips existent dans les
champs politique et médiatique depuis longtemps. À ce
sujet, l’invasion de l’Irak en 2003 est l’exemple d’une
manip absolue ayant consisté à dénoncer l’existence des
armes de destruction massive à la disposition de Saddam
Hussein. Si l’on remonte encore plus haut dans le temps,
en 1991, nous pouvons également nous souvenir d’une
autre manip, celle des Irakiens qui sortaient les bébés des
couveuses des hôpitaux de Koweït City pour les laisser
mourir sur le sol froid. Très vite, on s’est rendu compte que
c’était complètement faux : aucune preuve, aucun vrai
témoignage n’ont été présentés. Le nombre de bébés qui
a été donné ne correspondait même pas au nombre de
couveuses dont Koweït City disposait à cette époque. Il
s’agissait tout simplement d’une manip commandée par le
gouvernement du Koweït, exilé aux États-Unis, à la
société de relations publiques Hill & Knowlton. Un autre
exemple est celui du coup d’État, organisé au Guatemala
en 1954, sous prétexte que le président Jacobo Arbenz
était un communiste qui défendait la guérilla « rouge »
dans son propre pays. Des années plus tard, nous nous
rendons compte que ces accusations étaient fausses,
grâce à la découverte des anciennes archives de la CIA :
la « légende » communiste est inventée à la suite de la
réforme agraire menée par le gouvernement d’Arbenz, qui
affecte les intérêts économiques d’une multinationale
américaine, United Fruit. De fait, le patron de la CIA de
l’époque travaillait pour cette compagnie. Les manips ne
sont définitivement pas un phénomène nouveau.
Cependant, force est de constater qu’après l’élection de
Trump, ces pratiques ont pris une nouvelle dimension, en
s’appuyant sur de nouveaux outils techniques de
communication et de diffusion numériques qui leur
permettent aujourd’hui de croiser plus facilement des
manips et des manias.

I. B. — En effet, le mensonge et autres techniques de


manipulation ne sont pas un genre nouveau ni dans
l’histoire des sociétés, ni dans celle de l’internet
participatif. En revanche, l’inquiétude vis-à-vis de ce
phénomène relativement ancien connaît un regain.
Comment l’expliquez-vous ?
F. d’A. — Cette inquiétude n’est pas nouvelle, mais elle
réapparaît dans les débats, notamment à la suite de la
campagne présidentielle américaine de 2016, et elle
provoque une polémique virulente entre les journalistes et
les personnalités politiques au sujet de la pratique du fact-
checking. Donald Trump donne à cette polémique une
dimension encore plus large : malgré son statut
présidentiel, il n’hésite pas à utiliser des affirmations, non
seulement erronées mais encore consciemment fausses,
et à entrer en conflit ouvert avec les journalistes qui
remettent sa parole en question. Ces derniers le mettent
en cause directement à l’aide du fact-cheking, la
vérification systématique de ses déclarations. Trump
considère que cette pratique a pour objectif de le
décrédibiliser auprès de ses électeurs et de manipuler
l’opinion publique. Pour Trump, la vérité demeure
plurielle : il fait de la notion de « post-vérité » la pierre
angulaire de sa politique.

I. B. — Dans quelle mesure le cas des élections


présidentielles françaises de 2017 contribue-t-il à ce
débat ?
F. d’A. — Comme aux États-Unis, les débats sur ce qui
est vrai ou faux surgissent en France durant la même
période et, plus particulièrement, lorsque la polémique
autour de la nature du patrimoine et des rémunérations de
François Fillon et de son entourage familial éclate dans les
médias. Ainsi, une partie des membres du parti Les
Républicains déclare qu’il s’agit d’informations non
vérifiées et donc fausses. Certains qualifient les
procédures judiciaires de corrompues et partisanes. Cette
polémique violente entre les personnalités politiques, les
magistrats et les journalistes conduit à des accusations
mutuelles de faire usage de fausses nouvelles. Au point
de délégitimer les institutions. Par ailleurs, surgit la
question de la capacité d’influence électorale dont
disposent les fake news. Cette question demeure plus
sensible face à l’ingérence russe dans les élections
américaines et, dans une moindre mesure, lors de la
campagne présidentielle française, lorsque le candidat
Emmanuel Macron devient la cible principale de fake
news, relayées par les médias russes en France.

I. B. — Dès lors, pouvons-nous considérer que 2016-2017


est une période de grande remise en question du
métier de journaliste ?
F. d’A. — Ce sont deux années où tout a basculé. Certes,
le processus de remise en question du journalisme est
plus ancien. On peut le faire remonter aux années 1990.
Mais il s’est véritablement accéléré durant la période
électorale : depuis, les pratiques professionnelles des
journalistes et leur crédibilité sont l’enjeu de conflits
intenses entre la société civile, le personnel politique et les
professionnels. La crise des gilets jaunes en a fourni un
bon exemple. Il a fallu à partir de là assurer la protection
des reporters face à des manifestants hostiles.
I. B. — Parlons du choix des mots. En octobre 2014, la
Commission d’enrichissement de la langue française
a recommandé de remplacer l’anglicisme fake news
par le néologisme « infox » ou information fallacieuse,
ce qui a introduit un flou conceptuel dans
l’interprétation de ces termes. Le mot false veut dire
erroné, tandis que fake désigne précisément
l’imitation. Que pensez-vous de l’exactitude de ces
termes que l’on emploie à tout va ?
F. d’A. — Personnellement, je préfère l’expression la plus
simple : les fausses nouvelles. C’est le terme légal qui est
proposé en 1881 dans le cadre de la loi française sur la
liberté de la presse pour pouvoir ancrer l’information dans
le domaine de la vérité. Le terme infox nous renvoie
immédiatement aux intox et la nuance ici est importante.
Le mot intox se développe au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et désigne une « tentative d’intoxication
informationnelle ». Ce mot va de pair avec le terme de
« désinformation », inventé par les agents du NKVD (le
ministère de la Sécurité d’État, ayant exercé le rôle de
police politique en URSS) en 1945, afin de dénoncer la
propagande au sein du système capitaliste, notamment
aux États-Unis. Dès lors, pour moi, le terme infox renvoie,
d’une certaine façon, à la notion de manipulation
consciente. Or, la question qui se pose véritablement dans
les débats sur les fausses nouvelles est celle de
l’intentionnalité de cette manipulation. S’agit-il de
manipulation assumée, donc de la manip, ou de
l’expression d’une croyance ? Auquel cas, il s’agira plus
de la mania, qui n’a pas pour objectif de nuire, mais
d’énoncer une conviction personnelle profonde. Le choix
des mots ne doit pas entraver l’analyse des phénomènes.
Je me méfie des conflits de définition qui brouillent le
regard des chercheurs sur l’activité sociale.
I. B. — Dans quelle mesure les mécanismes
contemporains de création et de diffusion des fake
news peuvent-ils être distingués des outils classiques
de désinformation ?
F. d’A. — La vitesse est essentielle. Et la proximité
d’accès à chaque citoyen afin de pouvoir influencer ses
convictions. La diffusion quasi instantanée des fausses
nouvelles facilite leur expansion et donne un sentiment à
chacun de se les approprier sur des outils personnels :
l’ordinateur individuel, le téléphone… Tout le contraire des
campagnes de désinformation d’antan, très lentes et
coûteuses. Pour vous donner un exemple : dans les
années 1940, il existait en France un phénomène que
nous appelons aujourd’hui la propagande de « bistrot ».
Les représentants des partis politiques, notamment à
gauche, avaient, à cette époque, pour habitude de se
mettre au comptoir d’un bistrot et de lancer un faux débat
conflictuel afin de diffuser un certain nombre de
thématiques, sur la corruption des hommes politiques ou
encore sur la fragilité des institutions en France. Comme
les fake news, cette propagande de bistrot reposait sur le
concept de rumeur. Or, ce « bouche-à-oreille »
représentait un coût important en termes de personnel :
des dizaines de milliers de militants ont été employés pour
cette mission dont l’efficacité a été relativement faible.
Aujourd’hui, grâce à l’accès immédiat au public
numérique, le coût est moindre, tandis que la
« couverture » dont disposent les rumeurs est de grande
ampleur. Néanmoins, la portée de ces rumeurs s’avère
très courte. Elles sont chassées par une autre en
quelques jours voire en quelques heures. Et nous nous
rendons de plus en plus compte que ce conditionnement,
dont on fait aujourd’hui l’objet sur internet, devient
obsolète très rapidement. La rapidité agit aussi dans le
dévoilement des montages. Là réside la bonne nouvelle
des systèmes d’information actuels. Une conclusion
s’impose. Plus que jamais nous devons prendre le temps
de la réflexion, ainsi l’écume de la désinformation se
dissout d’elle-même.
PARTIE VII
LE JOURNALISME
INTERNATIONAL
Chapitre 1
1 L’« information internationale »,
une information jugée trop
spécialisée et coûteuse ?

Dominique Marchetti

L
’importance de l’« actualité internationale », qui était
auparavant évidente dans les rédactions y compris des
grands médias populaires, l’est beaucoup moins depuis le
milieu des années 1980. Dans les perceptions dominantes des
cadres-dirigeants des grands médias généralistes en France, celle-ci
est souvent jugée trop « spécialisée » – elle serait éloignée des
préoccupations réelles ou imaginées des publics – et trop coûteuse.
Autrement dit, l’« information internationale » a perdu en partie de
son prestige comme en témoigne la restructuration de l’organisation
des rédactions des médias généralistes et de la division du travail
journalistique. Ses contenus ont été très largement redéfinis, tout
particulièrement sous l’effet de la montée des logiques économiques
et de transformations sociales et politiques internationales.

La « noblesse » de l’International
Au sein des rédactions des médias nationaux généralistes
français, l’« International » fait historiquement partie des matières
jugées nobles et légitimes, s’opposant ainsi, dans la hiérarchie
professionnelle, aux « faits divers », généralement traités par des
journalistes moins expérimentés et moins considérés, ou aux
« sports ». Ces clivages professionnels renvoient en fait à des
clivages sociaux. Les origines sociales des journalistes les plus
réputés traitant de l’« International » (Marchetti, 2012) au début des
années 1970 et dans la seconde moitié des années 2000 montrent à
quel point ceux-ci occupent une position élevée dans l’espace
social : plus de deux sur trois avaient un père exerçant une
profession libérale ou scientifique ou occupant un poste de cadre
supérieur (56 sur 79 pour la décennie 1970 et 63 sur 87
quarante ans plus tard), les enfants d’ouvriers ou d’employés étant
quasiment absents.
La position haute de l’Étranger enferme deux rapports au
monde social entre ceux qui seraient respectivement du côté de la
réflexion, de l’ouverture au monde, de l’international, et ceux qui
seraient à l’inverse du côté de la sensation, du repli sur soi et du
local (Bourdieu, 1979 : 520-521). Elle donne à voir la tension
existant au niveau des producteurs d’information et des publics
auxquels ils s’adressent, entre le pôle intellectuel (views) et le pôle
commercial (news) du champ journalistique français (Bourdieu,
1994). En France, du fait de la quasi-disparition de la presse
quotidienne nationale populaire depuis les années 1970, ce clivage
social prenait notamment la forme d’une opposition entre, d’une part,
les quotidiens nationaux généralistes et, d’autre part, les quotidiens
régionaux et les magazines grand public les plus diffusés (Dumartin,
Maillard, 2000 ; Duval, 2004). Les contenus et les publics des
médias écrits transnationaux (Financial Times, The Economist, etc.),
ou nationaux s’intéressant fortement ou quasi-exclusivement aux
problèmes internationaux (Courrier International ou Le Monde
diplomatique en France) (Szczepanski-Huillery, 2006), apparaissent
encore plus clivants à cet égard. Ils s’adressent en majorité à des
groupes d’une relative homogénéité sociale et tournés vers
l’étranger : étudiants, universitaires, hommes d’affaires, milieux
politiques et diplomatiques ou encore journalistes. De nombreux
travaux ont montré les inégalités sociales face aux processus
d’internationalisation (pour une synthèse, voir : Wagner, 2007).
Cette prééminence de l’« International » dans les quotidiens et
les newsmagazines d’information générale nationaux destinés à des
publics fortement dotés en capital culturel et/ou économique est
emblématique dans le quotidien Le Monde. Elle s’objective toujours
dans le titre du journal, et dans ses premières pages qui sont
exclusivement consacrées à l’Étranger, mais elle se manifestait
également, jusqu’en 1995, dans l’existence d’un éditorial consacré à
la politique étrangère à la « une » ou encore la forte présence des
journalistes du service Étranger dans les instances dirigeantes de la
rédaction. Pendant longtemps, les rubriques Monde ou International
figuraient également parmi les premières pages des titres
généralistes les plus populaires dans tous les sens du terme,
comme les quotidiens régionaux, marquant ainsi la reconnaissance
professionnelle de cette matière (Tunstall, 1971). Ce prestige social
est redoublé par la tradition littéraire de l’histoire du champ
journalistique français qui, dans ses fractions dominantes, valorise
les compétences d’écriture et a partie liée avec la consécration du
« grand reporter » comme une des figures emblématiques et
dominantes du journalisme (Martin, 2005 ; Naud, 2005 ; Gatien,
2010).
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des
années 1980, la division du travail journalistique visible en matière
de production de l’« information internationale » s’est stabilisée
autour de trois grands types de personnel : tout d’abord, des
« chroniqueurs », des « commentateurs », des « rédacteurs » ou
des « correspondants » diplomatiques spécialisés dans les relations
internationales ; ensuite, des journalistes généralistes, reporters ou
grands reporters relativement spécialisés sur certaines aires
géographiques ; enfin, des correspondants à l’étranger (par
exemple, Hess, 1996 ; Pedelty, 1995 ; Baisnée, 2003 ; Gross,
Kopper, 2011 ; Dell’Orto, 2016 ; Leal-Adghirni et al., 2016). Il va de
soi qu’une série d’autres coproducteurs moins visibles sont tout
aussi centraux, notamment les fixeurs (Palmer, 2019).

La restructuration de l’espace
journalistique français
et ses effets sur la division du travail
Cependant, la production et la diffusion de l’« information
internationale » se sont transformées, du fait de son déclin relatif et
de sa redéfinition dans les médias généralistes. La principale raison
est le renforcement du pôle commercial du champ journalistique
français et de son pôle spécialisé, c’est-à-dire l’explosion de l’offre
de supports thématiques. L’information internationale tend, depuis la
fin des années 1980, à être de moins en moins traitée de manière
continue par les médias généralistes grand public et davantage par
des médias qui s’adressent à des publics plus restreints, qu’il
s’agisse de la presse écrite spécialisée en langue française (par
exemple Courrier International ou Le Monde diplomatique), anglaise
(Financial Times, New York Times International Edition, Newsweek,
The Economist, Time, etc.), ou qu’il s’agisse de médias audiovisuels
d’information en continu internationaux souvent multilingues (Al
Jazeera, BBC World, CNN International, Euronews, France 24,
Radio France Internationale, Russia Today, etc.) et de leurs
déclinaisons sur internet. Cet accroissement de la diversité de l’offre
d’information spécialisée n’a pas été sans conforter l’idée que
l’information internationale « intéresse » moins le « grand public »
que des publics « plus cultivés ». C’est ce qui explique que, par
exemple, les spécialistes des questions diplomatiques, qui étaient
très visibles pendant la période de la Guerre froide, aient largement
disparu des médias audiovisuels notamment, hormis précisément
dans les médias transnationaux les plus dotés en personnel comme
les grandes chaînes transnationales qui se sont développées dans
les décennies 1990 et 2000 (Koch, Mattelart, 2016). Il faut dire que
les « questions internationales » constituaient à l’époque un des
facteurs importants de division du champ politique (et donc
journalistique) français.
Ces logiques économiques ont été une des raisons de la
réorganisation générale du fonctionnement des rédactions des
médias les plus généralistes et populaires, qui s’incarnent, par
exemple, dans les trois principales chaînes françaises diffusant de
l’information (TF1, France 2 et France 3) (Berthaut, 2018).
L’émergence progressive d’une nouvelle définition dominante de
« l’actualité internationale », qui privilégie les événements imprévus,
surprenants, « décalés » (faits divers, histoires humaines, etc.) au
détriment du suivi régulier de l’actualité dans telle ou telle région, a
rendu trop onéreuses des dépenses considérées auparavant comme
légitimes. Ainsi, la principale chaîne française grand public TF1 a,
comme ses équivalents étrangers, fermé des bureaux dans de
grandes capitales étrangères qui assuraient précisément ce suivi.
Cette tendance est antérieure aux États-Unis et, depuis peu, la
nécessité de l’existence même de correspondants à l’étranger, dont
les statuts tout comme les conditions de travail (CFDT pigistes,
2019), sont de plus en plus précaires, est remise en cause
(Sambrook, 2010). De même, les dirigeants de chaînes ont fait des
économies sur les coûts des missions ponctuelles. Sauf en cas de
grands conflits, le nombre de sorties sur des terrains étrangers, leur
durée, l’utilisation de moyens de transmission coûteux sont
désormais très contrôlés. Cette réduction des frais passe également
par le recours croissant aux images d’agences (Associated Press
Television News, les services vidéos de Reuters et de l’Agence
France-Presse) et aux Eurovision News (EVN), une banque
d’images entre les chaînes de télévision de l’Europe et du bassin
méditerranéen, auxquelles les chaînes sont abonnées. Autrement
dit, le travail des journalistes chargés de couvrir l’« actualité
internationale » est de plus en plus sédentaire, dans la mesure où
une partie du traitement est réalisée dans les locaux du siège à
partir de vidéos produites par d’autres (Boyd-Barrett, 1997 ;
Marchetti, 2002 ; Paterson, 2011), de dépêches et de photos
d’agences (Laville, 2010 ; Gürsel, 2017). Le « journalisme de desk »,
notamment la réalisation de sujets en prenant des contacts par
téléphone et en travaillant à partir de sources diverses (journaux en
ligne, dépêches, images d’agences, réseaux sociaux numériques,
etc.) sans sortir des locaux, s’est considérablement développé au
point que, dans une chaîne du service public, les journalistes
parlaient avec humour du « Cabinistan ».
Cette réorganisation des dispositifs de présence à l’étranger
s’est accompagnée d’une reconfiguration touchant les services
situés dans les sièges parisiens des chaînes. Pendant plusieurs
décennies, la configuration des rédactions dans les trois grandes
télévisions nationales était relativement calquée sur celle des
organes de presse écrite, c’est-à-dire qu’il existait davantage de
services thématiques (politique intérieure, politique étrangère,
culture, sport, société, etc.). Depuis le milieu des années 1980,
même si elles disposent encore de services relativement spécialisés,
les rédactions des chaînes de télévision tendent à être de plus en
plus composées de journalistes généralistes et polyvalents. L’un des
exemples les plus révélateurs de cette transformation est
précisément la disparition des services dédiés aux « informations
internationales », à TF1 en 1996 et à France 2 en 2003. La
réorganisation s’est effectuée au profit des reporters et grands
reporters généralistes envoyés ponctuellement sur les grands
événements. Cette population s’est considérablement renouvelée
dans les années 1980 et 1990 avec l’accroissement des effectifs des
rédactions et les départs en retraite. C’est tendanciellement la figure
du « grand reporter » qui incarne les critères professionnels les plus
valorisés (la priorité au « terrain », l’« adaptabilité », la
« débrouillardise », la prise de risque, etc.), s’opposant ainsi à celle
présentateur « assis » ou, dans une moindre mesure, du
chroniqueur « spécialisé ». Une enquête menée au milieu des
années 2000 dans les écoles de journalisme reconnues par la
profession en France montre bien la forte présence des « grands
reporters » ayant travaillé à l’étranger parmi les modèles
d’excellence professionnelle les plus cités (Lafarge, Marchetti,
2017).
Les jeunes reporters, grands reporters et même correspondants
depuis les années 1990 n’ont pas la même socialisation
professionnelle et politique que leurs ainés. Ces derniers étaient
entrés dans le métier au cours des années 1960 et 1970 en se
formant « sur le tas » pour la quasi-totalité d’entre eux, tandis qu’une
grande partie des jeunes journalistes recrutés à partir des deux
décennies suivantes au sein des chaînes de télévision sont issus
d’écoles de journalisme, notamment les plus prestigieuses d’entre
elles. Les premiers ont découvert le métier, pour certains par le
militantisme politique, pour d’autres par connaissance ou par la
« petite porte » en commençant par assister des journalistes.
Autrement dit, il s’agissait d’une population très diversifiée,
comparée à celle des générations entrées depuis le milieu des
années 1980. Ce recrutement, de plus en plus sélectif scolairement
et donc socialement, a homogénéisé la population des journalistes
de télévision entrés en grand nombre dans les chaînes au cours des
deux dernières décennies (Marchetti, Ruellan, 2001 ; Lafarge,
Marchetti, 2011). Une autre différence entre ces deux groupes est
que les plus anciens, tout particulièrement dans les services
Politique étrangère tels qu’ils existaient, avaient un attrait pour les
jeux politiques et les relations internationales, certains ayant même
eu une expérience pratique de la politique. Si leur degré
d’engagement politique était forcément très variable, les schèmes
« droite/gauche » et « tiers-mondistes/impérialistes » (Marthoz,
1999 : 184) étaient alors fréquents pour qualifier les collègues ou les
confrères. Les journalistes recrutés en grand nombre à partir de la
seconde moitié des années 1980 n’ont pas la même socialisation
politique, et donc pas le même intérêt pour la politique au sens du
jeu et de l’action politiques.
La réorganisation du fonctionnement des rédactions s’est enfin
manifestée par une centralisation croissante du pouvoir rédactionnel
venant renforcer les logiques économiques et professionnelles. Il
s’agit là d’une tendance générale, sachant que le degré de
centralisation varie d’une rédaction à l’autre et selon les rapports
entre les responsables des éditions (présentateurs, rédacteurs en
chef, etc.) et les chefs de service ou encore selon les éditions. Les
directeurs de la rédaction, les rédacteurs en chef des éditions des
journaux et les présentateurs vedettes pèsent en effet plus fortement
qu’avant sur la sélection et la hiérarchisation de l’information. De ce
fait, à TF1, France 2 et France 3, les journalistes chargés de
défendre les sujets internationaux en conférence de rédaction ne
bénéficient plus de l’autonomie interne dont disposaient leurs
prédécesseurs du fait de leur expérience professionnelle, ce qui en
faisait des chefs de service très respectés. Cette centralisation du
pouvoir éditorial a touché de très nombreuses rédactions,
notamment celle du Monde (Vernholes, 2003 ; Saitta, 2006 ; Sedel,
2004). Dans l’esprit des dirigeants des rédactions ou de
présentateurs vedettes de TF1, France 2 et France 3, pour éviter
que les éditions de journaux ne soient une simple juxtaposition de
sujets qui émaneraient des seuls services avec des « blocs »
successifs (politique étrangère, politique intérieure, informations
générales, sport, etc.), il fallait, selon leurs propres expressions,
renforcer la « cohérence » de l’enchaînement des différents sujets,
donner aussi aux journaux un « rythme » plus « efficace », le
nombre de sujets diffusés par édition ayant eu tendance à
augmenter. Cette volonté de renforcer la maîtrise sur le contenu et
l’organisation des journaux est d’autant plus essentielle pour les
responsables des éditions que les résultats d’audience sont le critère
majeur à l’aune duquel ils sont jugés. Pascal Dauvin montre bien
comment se traduit l’« emprise » des rédactions sur les « grands
reporters » sur le terrain (Dauvin, 2006 : 65sq).
La suppression des services Étranger à TF1 et France 2 fut
aussi une manière de rompre avec les routines de travail des
« spécialistes » du domaine, qui avaient un statut considéré comme
privilégié. Disposer à l’inverse des journalistes capables de traiter
tous les sujets permet à la fois d’avoir plus de souplesse dans la
gestion des effectifs, mais aussi de rendre le travail plus attractif,
notamment pour les jeunes journalistes, en leur proposant des
terrains et des types de reportage plus variés grâce à la perspective
d’aller ponctuellement à l’étranger. Les directions des rédactions ont
demandé aux spécialistes du reportage à l’étranger d’intégrer des
pools généralistes en charge de l’actualité « chaude », c’est-à-dire
de traiter non seulement de l’actualité étrangère, mais aussi de
sujets nationaux relevant des informations générales.

La redéfinition des contenus


de l’« actualité internationale »
De ce fait, le contenu même de l’information internationale a été
largement redéfini. Il renvoie, depuis la seconde moitié des
années 1980, à des thèmes moins strictement politiques. L’actualité
politique institutionnelle tend à se raréfier au profit des faits divers
ou, plus largement, des menaces ou événements « spectaculaires »
(les guerres, les accidents, les risques naturels ou de santé, les
enlèvements, les « actes terroristes », les famines, etc.) (Moeller,
1999). Cette tendance à couvrir différentes formes d’insécurité n’est
pas nouvelle mais s’est renforcée, l’exemple des États-Unis étant
probablement celui où elle est la plus visible (Utley, 1997 : 5-6).
Alors que les journalistes des grandes chaînes proposaient
auparavant un suivi de l’actualité politique institutionnelle, ils
privilégient désormais beaucoup plus fortement les « breaking
news » et « l’infotainment » (Thussu, 2007), qui les mobilisent
ponctuellement et génèrent de meilleures audiences. Dans une
étude des correspondants des médias étrangers à Jérusalem,
l’anthropologue Ulf Hannerz (Hannerz, 2012) rapporte comment
l’agenda de ces journalistes est largement déterminé par ces
événements imprévus. L’« actualité internationale » tend également
à être moins politique au sens où elle ne porte plus seulement sur la
vie publique des personnalités politiques, qui restent cependant en
tête des acteurs les plus présents, mais aussi sur les activités
d’autres célébrités (les « vedettes » du cinéma, du sport ou de la
musique) et sur des domaines plus larges : le sport, l’information
médicale et scientifique, l’environnement, la mode, le tourisme et
plus encore l’économie avec l’internationalisation des échanges
commerciaux. Elle est aussi présente dans de très nombreux
programmes des radios et télévisions.
Bien que les cadrages habituels subsistent (donner un éclairage
sur le contexte politique ou diplomatique, raconter une rencontre
politique internationale, etc.), c’est la description de situations
concrètes et d’« histoires humaines » qui constitue la trame de la
plupart des sujets ou des reportages de l’actualité « internationale »,
la psychologisation et la personnalisation étant des manières de
susciter les identifications des téléspectateurs. Les sujets
« décalés » qui relatent des histoires anecdotiques ou
extraordinaires, de nature à provoquer l’étonnement ou la curiosité
des téléspectateurs, sont également privilégiés. Enfin, parce que
c’est la matière première des journalistes de télévision, l’« actualité
internationale » renvoie de plus en plus aux « belles images » (par
exemple un ouragan, un séisme, une catastrophe spectaculaire
dans un pays lointain) qui peuvent aussi donner lieu à un sujet ou
plus souvent à un « off » dans le cours du journal, le présentateur
livrant directement un court commentaire sur des images qui
n’excède pas quelques dizaines de secondes.

Des transformations externes


Cette redéfinition du contenu de l’« information internationale »
est bien évidemment liée enfin et surtout à des transformations
externes au champ journalistique français. La plus importante tient à
la fin de la Guerre froide avec la chute de nombreux régimes
socialistes et communistes en Europe de l’Est à la fin des
années 1980. Ces événements politiques ont rendu inadéquates
certaines catégories de perception dominantes chez les
personnalités politiques et les commentateurs dans leurs analyses
des relations internationales (Est/Ouest, totalitarisme/démocratie,
marxisme/capitalisme, etc.). Les conflits entre États ou internes aux
États ont, depuis les années 1980 notamment, de plus en plus pris
la forme d’« actes terroristes » dans de nombreuses régions du
monde. Si commettre des attentats est, pour leurs auteurs, une
manière de faire de la politique autrement, de produire des effets sur
les champs politiques nationaux ou sur le champ politique
international, les catégories de perception médiatiques dominantes
de ce type d’événement renvoient majoritairement aux seuls facteurs
religieux. Les effets des attentats du 11 septembre 2001 et, plus
récemment, les attentats perpétrés à Paris en 2015, favorisent des
traitements journalistiques stigmatisant les « islamistes », réactivant
des dichotomies anciennes qui ont été déjà bien analysées par
Edward Saïd notamment (Saïd, 1997). Ces cadres d’interprétation
tendent désormais à fonctionner comme la « principale grille de
lecture des relations internationales » (Mattelart, 2007). Un autre
bouleversement majeur est la montée des actions dites
humanitaires, déployées par les organisations non
gouvernementales (ONG) qui occupent une place croissante dans la
production de « l’information internationale » (Powers, 2018).
Comme l’explique Philippe Juhem, il y a une « affinité entre le
journalisme télévisé et la posture humanitaire qui fait rentrer les
journalistes audiovisuels dans le réseau de promotion de l’action
caritative » (Juhem, 2001). C’est ce qui explique que le centre de
gravité de la médiatisation tende, sur la plupart des crises, à se
déplacer des causes sociales et géopolitiques des conflits ou des
solutions possibles vers le traitement humanitaire, c’est-à-dire les
actions d’urgence.

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Chapitre 2
2 Mourir en couvrant les conflits
armés. Risques et transformations
du reportage de guerre

Olivier Koch

D
epuis le début des années 1990, l’International News Safety
Institute (INSI) et le Committee to protect Journalists (CPJ)
comptabilisent assidument le nombre de journalistes tués en
exerçant leur métier. Même si les protocoles comptables de ces
organisations ont évolué dans le temps, les chiffres permettent de
saisir l’évolution des risques auxquels sont confrontés les
professionnels de l’information en couvrant des conflits. Le constat
inaugural porte sur la hausse de la mortalité des journalistes, en
particulier dans les guerres des Balkans dans les années 1990.
Selon les estimations, non seulement les décès sont en
augmentation, mais la nature des violences a évolué. Jusque-là, les
reporters de guerre et les membres de leur équipe étaient tués par
accident, lors d’échanges de tirs entre belligérants. Les conflits en
ex-Yougoslavie auraient opéré un changement : les journalistes y
auraient été délibérément visés, signe que leur neutralité autrefois
respectée ne l’était plus. Jusqu’en 2015-2016, la couverture des
guerres est demeurée très meurtrière, en Irak, en Afghanistan et en
Syrie notamment, mais au-delà de ces deux années charnières le
nombre de professionnels de l’information tués dans des périodes
de conflit armé a sensiblement baissé1. En 2017, il avoisine celui
des périodes de paix (36 contre 34), puis passe en dessous en 2020
(34 contre 18). Les guerres tuent donc désormais moins de
journalistes que ne le font des organisations criminelles (les
narcotrafiquants en Amérique latine par exemple) ou des groupes
dont les membres commanditent des assassinats, inquiétés par les
révélations de leurs malversations ou leurs exactions dans les
médias.
Les violences ne touchent pas indistinctement les
professionnels de l’information. Les statistiques de l’INSI et du CPJ
indiquent un écart important entre journalistes internationaux et
journalistes locaux. Selon le CPJ, de 1992 à 2021,
128 internationaux et 461 locaux ont été tués en couvrant des
conflits. Cette proportion a considérablement varié dans le temps et
selon les guerres. Dans les années 1990, le rapport entre locaux et
internationaux est de 1 à 1 et de 1 à 3, puis s’inverse et se creuse à
partir de 2004, passant de 5 à 1 et de 8 à 1, ce qui indique que les
locaux payent désormais le tribut exorbitant de la médiatisation des
conflits armés. Progressivement depuis 2004, consécutivement au
bilan meurtrier de la couverture de l’Irak et de l’Afghanistan, les
employeurs prennent de moins en moins le risque d’envoyer des
journalistes internationaux sur les zones de guerre. Effet tangible de
cette décision : en 2006, sur 52 journalistes tués en Irak, 49 étaient
locaux. Cette tendance est confirmée dans les années 2010. Très
peu de journalistes étrangers se rendent en Syrie, au Yémen ou en
Irak, si bien que seuls des journalistes locaux meurent dans ces
pays, la plupart du temps victimes d’assassinats ciblés. Entre 2015
et 2016, par exemple, parmi les 29 journalistes tués en Syrie 27
étaient des locaux, 3 sur 4 en Libye, tous l’étaient au Yémen et en
Irak.
D’autres différences s’observent selon la stabilité de l’emploi
des journalistes et selon les médias pour lesquels ils travaillent. Le
rapport entre journalistes titulaires et freelance a nettement évolué
en 29 ans. Proportionnellement aux titulaires, les journalistes
indépendants meurent davantage dans les années 2000 que dans
les années 1990, et plus encore dans la décennie suivante.
L’évolution de la proportion entre titulaires et freelance indique qu’il
existe une relation entre précarité et mortalité dans l’exercice du
journalisme de guerre. Enfin, les risques d’être tués en couvrant un
conflit armé varient selon les types de médias. Les professionnels de
la presse écrite étaient en première ligne dans les années 1990,
suivis par ceux de chaînes de télévision, puis les positions
commencent à s’inverser à partir de 2001-2002. Depuis 2011, sans
que les chiffres du CPJ permettent de bien les distinguer, les
professionnels de l’information en ligne et ceux de télévision sont les
premières victimes de la couverture des guerres, loin devant ceux de
la presse écrite, ce qui est en partie lié à l’accélération de la
transition numérique des industries de l’information.
En presque trente ans, les risques d’être tués en couvrant des
guerres ont donc sensiblement évolué. Grandissant dans les
années 1990 et au début des années 2000, ils diminuent cependant
à partir de 2004, mais différemment selon la division du travail entre
internationaux et locaux, d’une part, et entre titulaires et
indépendants, d’autre part. Cette contribution tente d’expliquer ces
évolutions, d’identifier les principales causes des hausses et des
baisses de mortalité des journalistes qui travaillent sur des conflits
armés.

Hausse de la mortalité et accroissement


des risques sur les zones de guerre
Pourquoi davantage de journalistes sont-ils morts sur les zones
de guerre ? Contrairement à ce qui a pu être avancé par Richard
Sambrook (2016), la transformation des conflits depuis la fin de la
guerre froide ne suffit pas à rendre compte des nouvelles violences
dont ils font l’objet. Les principales causes sont à rechercher dans
l’évolution des managements de l’information de guerre, dans
l’usage des technologies de surveillance permettant de repérer des
journalistes à des fins répressives, et dans les transformations de la
production de news dans les années 1990.
La transformation des conflits
Richard Sambroock a corrélé la hausse de la mortalité des
journalistes dans les années 1990 à la transformation des conflits
pendant cette période. Les guerres d’ex-Yougoslavie – en Croatie
(1991-1995), Bosnie (1992-1995), Kosovo (1998-1999), Macédoine
(2001) – étaient des conflits à caractère ethno-nationalistes. Les
belligérants mobilisaient leurs partisans au sein des populations, et
revendiquaient l’obtention ou la conservation des pouvoirs régaliens,
en s’appuyant sur des critères ethniques et confessionnels de
l’identité communautaire. Polarisées à l’extrême autour de ces
mobiles identitaires, les forces armées des différents opposants
n’auraient pas toléré que les journalistes refusent de leur faire
allégeance, et que ceux-ci ne couvrent pas les affrontements d’une
manière qui leur seraient favorables. Emportés dans cette logique
binaire du type « vous êtes avec ou contre nous », les
professionnels de l’information ont ainsi perdu la neutralité qui leur
avait été concédée à d’autres époques, pendant la guerre froide par
exemple. Sans affiliations protectrices, ils ont été davantage
exposés aux violences de guerre. La transformation des conflits
expliquerait donc cette perte de neutralité et, par voie de
conséquence, l’augmentation du nombre de journalistes
délibérément ciblés par les forces armées.
Il y a certes eu davantage de conflits à dimension ethno-
nationaliste dans les années 1990, notamment parce qu’avec la fin
de la guerre froide ont disparu les blocs idéologiques antagonistes
dans lesquels était contenue ou proscrite l’expression des
revendications identitaires selon des motifs ethniques. Cependant,
l’explication proposée par Richard Sambrook ne donne pas
entièrement satisfaction, et ce, pour trois raisons. Tout d’abord,
parce qu’il n’est pas bien établi si, dans les guerres d’ex-
Yougoslavie, les journalistes étaient tués parce qu’ils étaient
journalistes. Dans le cadre d’enquête menée auprès de reporters qui
ont couvert ces conflits, plusieurs d’entre eux ont exprimé des
doutes quant à la volonté des belligérants de les viser en raison de
leur activité. Pendant le siège de Sarajevo, par exemple, les
snipeurs embusqués tiraient sur toutes les personnes qu’ils
apercevaient de manière indistincte. Ensuite, parce que des conflits
de même nature ont eu lieu pendant cette décennie (au Rwanda par
exemple) puis dans les années 2000 (au Niger et au Kenya
notamment), sans avoir les mêmes conséquences meurtrières sur
les professionnels de l’information. Enfin, la logique du type « vous
êtes avec ou contre nous », censée caractériser selon Richard
Sambrook la radicalité des conflits ethno-nationalistes, a pu être
observée dans de nombreuses guerres et ne permet donc pas de
caractériser un type de conflit en particulier. À elle seule, la
transformation des conflits ne suffit donc pas à rendre compte de la
hausse de la mortalité des journalistes sur les zones de guerre.

Les évolutions du management


de l’information de guerre
Une autre explication peut être recherchée en considérant non
pas la transformation des conflits, leur changement de nature, mais
l’évolution du management de l’information de guerre par les
belligérants. Cette notion de « management » désigne les stratégies
et les dispositifs mis en œuvre afin de gérer et de contrôler les effets
que produisent les informations médiatiques sur les populations ou
sur l’adversaire. Les opérations militaires, de ce point de vue, sont
déployées dans les domaines des opérations psychologiques et du
gouvernement de l’opinion. Il s’agit d’affecter le moral des
populations, des soldats, en utilisant des représentations de la
puissance ou de l’impuissance militaire. Éviter, par exemple, que des
images estimées défaitistes démoralisent les citoyens et contribuent,
de la sorte, à affaiblir leur soutien à l’effort de guerre. Il s’agit aussi
de contrôler la production des récits afin de maîtriser le sens de la
guerre, sens dont dépend le consentement des populations à de
nombreux sacrifices (morts, blessures, coûts économiques,
destruction de biens, etc.).
Le management de l’information de guerre a évolué à partir des
années 1990, tout particulièrement à travers la destruction de sites
de production et de diffusion d’information. Le bombardement du
centre de la télévision serbe en 1999 par les forces de l’OTAN, celui
des locaux d’Al-Jazira en Afghanistan en 2001 puis en 2003 à
Bagdad par l’armée américaine, la destruction des locaux d’Al-
Manar au Liban par l’aviation israélienne en 2006, sont autant
d’événements indiquant un changement de comportement des
armées « conventionnelles » vis-à-vis de médias affiliés (ou estimés
tels) à un adversaire. Ces violences seraient liées aux difficultés
grandissantes rencontrées par les états-majors à contrôler ce qui est
dit et montré des conflits du fait de l’évolution des environnements
de l’information. La diffusion d’information sur les chaînes
satellitaires transnationales (comme la chaîne Al-Jazira, dont les
locaux ont été bombardés) et sur les réseaux numériques via
internet aurait contribué à rendre les frontières des espaces de
réception plus poreuses, plus vulnérables à la circulation d’images-
récits susceptibles de modifier les perceptions qu’ont les publics de
la guerre. Ces chaînes et ces réseaux ont surtout permis à de
nouveaux protagonistes de devenir sources et diffuseurs
d’information, redistribuant ainsi la concurrence entre producteurs
d’information de guerre. Les photographies de tortures commises
par des soldats américains sur des détenus à Guantánamo ou dans
la prison d’Abu Graib en Irak, ou celles provenant de weblog (blogs
de militaires), diffusées sur internet et reprises par des médias,
illustrent bien ces difficultés rencontrées par les armées à maîtriser
le sens de la guerre. De la même manière, les informations
multilingues d’Al-Jazira sur la guerre d’Irak et d’Afghanistan ont
systématiquement remis en question les interprétations de ce conflit,
livrées par l’armée ou par des médias étasuniens, aux audiences
nationales et panarabes.
Apparu en Irak à partir de 2006 à la suite de la chute du régime
de Saddam Hussein, l’État Islamique (E.I.) a mis en œuvre un
management de l’information de guerre singulier en exploitant les
ressources de la diffusion sur internet et la spectacularisation de la
violence. Ses services de communication ont mis en scène et filmé
des exécutions de journalistes, puis ont diffusé les images en ligne.
Reprises par des médias, ces images ont été vues par des publics
de toutes les régions du monde. Procédant ainsi, deux objectifs
étaient visés. Dans le registre de la guerre psychologique, elles
servaient à terrifier l’adversaire et à le dissuader de se déployer sur
les territoires contrôlés par l’E.I. Dans le registre de la guerre de
l’information, elles servaient à dissuader d’autres journalistes de se
rendre sur les zones de conflit et, de la sorte, à contrôler ce qui en
était dit et montré. En filmant et propageant les images d’exécution,
ce proto État était à la fois générateur et diffuseur de contenus
scénarisés auprès d’usagers d’internet et de médias. Comme les
services de communication des armées dites « régulières »
fabriquant et diffusant des images-récits de la guerre, l’E.I. a mis en
œuvre ce qui relève à part entière d’une stratégie des sources à
destination des médias. L’exhibition de la violence, les innovations
dramaturgiques (film après film) dans les rituels de mise à mort,
visaient à capter l’attention des audiences et de journalistes pour
qu’ils relaient l’information.
Le régime syrien de Bachard Al-Assad, auquel est attribuée la
responsabilité du meurtre de très nombreux journalistes locaux
depuis 2012, a également mis en œuvre une politique d’assassinats
ciblés, sans donner pour autant la même visibilité médiatique aux
mises à mort. Les corps de ceux qui s’opposent au régime, portant
les traces des tortures endurées, sont ponctuellement remis aux
familles ou déposés dans les rues en signe d’avertissement au reste
de la population. Il s’agit, là aussi, de dissuader des journalistes de
travailler en Syrie, de contrôler ainsi la diffusion d’images révélant
aux publics la violence de la répression orchestrée par le régime
contre ses opposants. Lorsqu’elles sont publiées, ce type
d’informations sont susceptibles de générer des coûts politiques
importants. Les images des attaques chimiques à Khan Cheikhoun
le 5 avril 2017, qui ont tué 72 personnes, ont été utilisées à charge
pour justifier le dépôt d’une résolution au conseil de sécurité visant le
gouvernement de Bachar Al-Assad.
Technologies de télétransmission mobile
et surveillance digitale
En évoluant, les technologies utilisées par les journalistes pour
réaliser et diffuser leurs sujets ont contribué à accroitre les risques
de mort et d’enlèvement. Composées de matériels plus légers
qu’auparavant, les stations de montages mobiles et les
télécommunications satellitaires permettent de réaliser puis
transmettre un sujet directement depuis les zones d’affrontement. En
utilisant à cette fin un téléphone satellitaire depuis un immeuble à
Homs, Marie Colvin (correspondante du Sunday Times) et le
photographe français Remy Olchik auraient été ainsi repérés et
localisés, puis ont perdu la vie dans un bombardement ciblé attribué
à l’aviation syrienne. Dans le cadre d’enquêtes menées auprès de
journalistes, ceux d’entre eux qui ont connu cette évolution ont
témoigné de l’accroissement des risques liés à la géolocalisation des
transmissions, mais pas seulement. Avec sa dématérialisation, la
télétransmission a permis de gagner du temps comparativement aux
époques où il fallait acheminer jusqu’aux rédactions les films, les
vidéos ou les bandes-son. Ce temps économisé a été rentabilisé. La
technologie a permis d’augmenter les cadences de production, de
maintenir plus longtemps les journalistes et leurs équipes sur les
zones d’affrontement. Or, plus ils se maintiennent proches des
belligérants, plus ils risquent d’être enlevés, assassinés ou de perdre
la vie dans un échange de tirs. En ce sens, l’augmentation du
nombre de morts peut être attribuée à l’accroissement du temps
d’exposition aux violences de guerre. La technologie, dans ce cas
précis, est l’instrument d’une hyperproduction d’informations en
continu, à flux tendu, générant de nouveaux risques.
L’importante mortalité des journalistes web depuis 2011-2012 –
début de guerres civiles consécutives aux mouvements
protestataires en Syrie, Libye et au Yémen – est liée à l’utilisation
des outils de surveillance digitale par des gouvernements. Ces
surveillances se sont généralisées et globalisées, notamment depuis
que des industries de pays comme la France, les États-Unis et Israël
ont vendu à des pays du Maghreb et du Moyen-Orient des logiciels
espions permettant de détecter les usagers en ligne à des fins
répressives. Le risque d’être repéré sur les réseaux, puis assassiné,
a été progressivement pris en charge dans les années 2010. La
sécurisation des données (les moyens de rester anonyme en ligne)
fait depuis l’objet de formations dédiées, de manuels de bonnes
pratiques éditées par des organisations internationales comme
l’UNESCO ou d’autres organisations spécialisées dans la sécurité
des journalistes (cf. infra). Il importe cependant de souligner que ces
précautions ne protègent pas totalement du harcèlement en ligne (et
des violences physiques attenantes) les journalistes qui publient sur
les réseaux sociaux numériques, comme Facebook ou Twitter.

Concurrence et transformation de la
production
Les agences internationales, des médias nord-américains et
d’Europe de l’Ouest, ont fait le choix de couvrir systématiquement
les guerres des Balkans. Relevant de stratégies commerciales, ces
choix ont eu deux conséquences majeures permettant d’expliquer
pourquoi davantage de journalistes y ont perdu la vie que dans
d’autres conflits. Tout d’abord, la demande des employeurs a
provoqué un afflux de professionnels de l’information sur les zones
d’affrontement. Plus nombreux à couvrir la guerre, ils ont été plus
nombreux à mourir sous les balles et les bombardements. Ces
choix, ensuite, ont eu pour effet d’exacerber la concurrence entre
industriels de l’information et, par voie de conséquence, entre
journalistes. Chris Paterson (2011) a montré que, pendant cette
période, les agences ont stimulé la compétition entre journalistes, les
ont incités à obtenir des scoops ou des images inédites afin de
devancer des concurrents dans la course à l’audience. Le même
constat peut être fait concernant la concurrence entre télévisions
dans les guerres en Afghanistan et en Irak au début des
années 2000, comme en témoigne Colin Baker (journaliste à Al-
Jazira) au sujet de Terry Lloyd, mort en Irak sous des tirs de l’armée
américaine :
Je vais vous dire pourquoi Terry Lloyd et d’autres
correspondants ont été tués dans la guerre. Des
correspondants comme Terry Lloyd sont tués dans des
échanges de tirs entre manageurs de télévision, qui font
tuer des gens parce qu’ils veulent augmenter leurs scores
d’audience. Nous avons été dans une situation absurde. Il y
avait 600 journalistes essayant d’être sur le champ de
bataille parce qu’ils pensaient que c’était merveilleux, et
qu’ils n’avaient jamais été là auparavant (Terry Floyd, cité
par Tumber et Webster, 2006).
Dans ces cas précis, l’augmentation ponctuelle de la production
de news permet d’expliquer l’augmentation des risques. Cependant,
la course au scoop n’est pas quelque chose d’entièrement nouveau
dans l’histoire de la couverture médiatique des guerres. Il importe
donc d’appréhender conjointement les effets de la concurrence et
ceux des transformations de la production à l’époque de ces conflits.
Dans les années 1990 se sont développées des chaînes
d’information continue où l’actualité internationale a pris une place
prépondérante, en particulier par rapport aux chaînes de télévision
nationales généralistes. Selon Daya Thussu (2003), impulsée par
des stratégies commerciales basées sur des scores d’audience, la
demande d’information 24/7 a transformé les modes de production,
menant à une couverture de la guerre plus sensationnaliste, plus
dramatique, privilégiant le direct au détriment d’un traitement en
profondeur, plus lent, de meilleure qualité. L’accélération de la
production a été également observée chez des fournisseurs
d’images digitales, comme le courtier Global Views INC., dont les
manageurs ont saisi l’occasion de la guerre d’Irak pour accroitre leur
réputation auprès de leurs clients (agences et éditeurs), s’imposant
de fournir des images inédites par rapport à celles de leurs
concurrents. Produire et diffuser le plus rapidement possible a
contribué à mettre sous pression les journalistes et leurs équipes sur
le champ de bataille, à exacerber la compétition entre collègues
dans une course sans fin à la primeur. Cette production urgentiste à
flux tendu a généré ce que Zohar Kampf et Tamar Liebes (2013)
qualifient de « journalisme de performance ». Plus focalisé sur
l’émotion que sur l’analyse, il cherche à impliquer les publics dans
les actions des protagonistes, ce qui conduit les professionnels de
l’information à s’approcher des combats et des belligérants, à
prendre des risques afin de satisfaire les demandes d’employeurs à
la recherche d’histoires uniques et immédiates.
Les guerres des Balkans et celles d’Irak et d’Afghanistan
coïncident avec une réorganisation de la production d’information
internationale caractérisée à la fois par le renforcement de la
dépendance aux agences et la rationalisation des coûts. Les
chaînes nationales et internationales ont restreint leur présence à
l’étranger, estimée trop coûteuse, en s’appuyant davantage sur les
agences et sur des indépendants payés à la pige. Amorcée depuis
les années 1990, l’externalisation de la production permet
d’expliquer (en partie) pourquoi, progressivement dans la décennie
suivante, les journalistes indépendants meurent davantage sur les
zones de conflit, et pourquoi les internationaux (trop chers) sont
proportionnellement moins touchés. Dans cette compétition
exacerbée, comme l’avancent Janet Harris et Kevin Williams (2019),
les freelances sont plus vulnérables que d’autres, pressés par le
besoin de se distinguer et de fidéliser leurs employeurs. Il existe
donc des régimes de concurrence différents selon le statut des
journalistes et leur précarité qui, là aussi, ont leurs propres effets
mortifères.
Au regard de cette transformation de la production liée au
développement des chaînes d’information 24/7, il importe de
souligner et de rappeler que les conflits armés peuvent être traités
différemment. La guerre ne consiste pas uniquement en
affrontements, dans le spectacle de heurts et d’opérations militaires,
même si la violence en constitue une des dimensions essentielles.
Restituer ses ressorts, les logiques qui ont conduit des gouvernants
à « projeter leurs armées sur des territoires lointains », exige un
travail d’investigation plus lent, dans des formats plus longs. De ce
point de vue, non seulement les couvertures live sensationnalistes
augmentent les risques encourus par les journalistes, mais elles font
aussi écran à la compréhension de la complexité des guerres.
Il est désormais possible de mieux appréhender les causes de
la hausse de mortalité des journalistes depuis les années 1990. La
transformation des conflits, on l’a vu, ne suffit pas à elle seule à
expliquer cette évolution. Les stratégies mises en œuvre par les
belligérants pour contrôler ce qui est dit et montré, leur management
spécifique de l’information, permettent d’expliquer pourquoi dans
certains cas les journalistes sont délibérément visés et perdent la vie
en faisant leur métier. À condition de saisir conjointement comment
les transformations de la production ont affecté les conditions de
travail sur les terrains de guerre. L’accélération de la production, la
concurrence exacerbée entre industriels des médias et entre
journalistes, la couverture des conflits live depuis les zones
d’affrontement, sont déterminantes dans la compréhension de
l’apparition de nouveaux risques.

Sécuriser et encadrer les pratiques :


le tournant prudentiel des rédactions
Pourquoi moins de journalistes internationaux meurent-ils en
couvrant des conflits depuis 2004 ? Pourquoi depuis 2014-2015 les
guerres tuent-elles de moins en moins de professionnels de
l’information ? La principale raison tient dans le choix fait par des
industriels de l’information de ne plus envoyer de journalistes sur le
terrain. L’Agence France-Presse, par exemple, s’appuie
exclusivement sur un réseau de correspondants locaux en Syrie,
laissant à ces derniers le risque de perdre leur vie au travail. Il y a
cependant une autre raison. Ces industriels sont nombreux à avoir
amorcé un tournant prudentiel consistant à sécuriser les pratiques,
tant au niveau du matériel de protection, des formations à la sécurité
en zone hostile, que de l’encadrement juridique.

Transformer les pratiques à risque


Plusieurs mesures de sécurité ont été prises à partir des
années 1990, en particulier dans le contexte des guerres dans les
Balkans, puis se sont généralisées par la suite. Les employeurs ont
doté leurs employés de casques, de gilets pare-balles, de voitures
blindées, et ont recruté des professionnels de sécurité armés pour
encadrer leurs déplacements. Tous les reporters de guerre n’ont
cependant pas bénéficié de ces moyens et ces services. Les
entreprises les mieux dotées financièrement, notamment aux États-
Unis et au Royaume-Uni, ont consenti à ce type de dépenses, tandis
qu’en France, les reporters envoyés sur les terrains de guerre ont dû
se mobiliser pour obtenir, parfois sans succès, du matériel de
protection jugé élémentaire. Plusieurs journalistes en activité à cette
époque ont témoigné de cette inégalité d’accès aux ressources de
sécurité, inégalité plus grande encore entre journalistes de pays du
Nord et de pays du Sud. Paradoxalement, même si elles permettent
souvent de sauver des vies, ces précautions peuvent aussi accroitre
les risques, parce qu’elles créent une confusion visuelle entre
soldats et reporters (le port du casque et du gilet pare-balles), les
plaçant dans le viseur des combattants. La sécurisation des
pratiques a été, aussi, ponctuellement mal vécue par des
journalistes qui ont reproché aux professionnels de la sécurité de
limiter leur autonomie, en particulier lorsque ces derniers imposent
des restrictions de déplacement sur les zones de conflit.
L’une des évolutions majeures depuis les années 2000 tient
dans l’offre croissante de formations à la sécurité en zones hostiles.
Pendant longtemps, les reporters de guerre partaient couvrir les
conflits sans connaissance pratique préalable des comportements à
adopter pour éviter d’être blessé, tué ou enlevé. Le métier
s’apprenait au contact d’autres journalistes ou de membres
d’équipes de tournage, sur le mode d’une transmission entre pairs.
Progressivement, les formations sont devenues obligatoires et, dans
certains médias, les journalistes ne peuvent se rendre sur le terrain
qu’à condition de les avoir suivies. Ils y apprennent les « bonnes
pratiques » : comme se mettre à l’abri lors d’un échange de tirs,
éviter les risques d’enlèvements, comment se comporter avec les
ravisseurs dans le cas contraire, comment (tenter de) résister à la
torture physique et psychologique. Ils apprennent également à
apporter les premiers soins à un collègue, ce qui sauve parfois des
vies, et sont sensibilisés aux « nouveaux risques » liés aux
surveillances digitales. Les formations, d’autant plus lorsqu’elles sont
obligatoires et qu’elles constituent un préalable à tout départ,
opèrent assurément un tournant dans l’histoire du reportage de
guerre. Elles vont de pair avec le développement d’une nouvelle
offre d’assurances, spécialement conçues pour les professionnels
de l’information, couvrant les frais en cas de décès, de blessures
graves (rapatriements, soins médicaux, incapacités) et, plus
rarement, de traumatisme. Jusque-là strictement réservées aux
personnels titulaires, les formations sont aussi dispensées aux
pigistes, et des assurances (proposées par Reporter Sans
Frontières et de nombreuses autres organisations) sont conçues en
fonction de leur statut, dans le cadre de missions ponctuelles. En
France, par exemple, tous les médias qui emploient des
indépendants sur des zones de guerre ne leur imposent pas de se
former préalablement à la sécurité, tandis que tous ceux qui
travaillent pour les médias du groupe France Médias Monde y sont
contraints depuis 2013-2014.
La transformation des pratiques du reportage de guerre, son
virage prudentiel, est aussi étroitement liée au travail de référents
sécurité au sein des rédactions, du moins dans celles qui consentent
à allouer des ressources à ce type de service. Ces référents
interviennent dans les différentes phases du reportage. En amont, ils
fixent le niveau de dangerosité du pays où doit se rendre le
journaliste, niveau dont dépend l’autorisation de voyager. En
collaboration avec les rédacteurs en chef, ils interviennent
également dans l’évaluation préliminaire du sujet, en établissant le
ratio entre la prise de risque et la valeur informationnelle du
reportage. Lorsque le journaliste est sur le terrain, il doit tenir
régulièrement informé son référent de ses déplacements, et lui
indiquer en cas d’enlèvement l’évolution de la situation, soit au
moyen de tracker installé sur les téléphones portables, soit en
utilisant un code préalablement établi si une conversation
téléphonique est possible. À l’inverse, le référent informe
régulièrement le journaliste de l’évolution des rapports de force sur
le terrain à partir des données dont il dispose via différents services
diplomatiques.

Organiser le plaidoyer et la sécurisation des


pratiques
Depuis le début des années 2000, des organisations se donnent
pour mission de sensibiliser les journalistes et les industriels des
médias aux questions de sécurité. Assurances, formations à la
sécurité, productions de données quantitatives, plaidoyer auprès
d’instances politiques nationales et internationales, édition de codes
déontologiques, constituent les principales ressources mobilisées
par ces organisations afin de transformer les pratiques à risque des
journalistes sur des « zones hostiles ». Ces organisations sont
essentiellement anglo-saxonnes et ont été créées en réaction aux
décès de journalistes américains, britanniques ou internationaux.
L’International News Safety Institute est le premier du genre.
Formé en 2003 à l’initiative de l’International Federation of
Journalists et de l’International Press Institute, il voit le jour dans le
contexte de la guerre d’Irak pendant laquelle plusieurs journalistes
ont perdu la vie. Dès sa création, l’INSI s’engage dans un plaidoyer
auprès des instances de l’ONU pour en finir avec l’impunité des
bourreaux, ce qui concourra au vote de la résolution 1738 en 2006.
Très tôt, aussi, l’organisation incorpore la dimension psychologique
de la couverture des conflits dans ses projets de recherche et dans
les formations à la sécurité qu’elle dispense. Elle met en ligne un
outil d’auto-évaluation, « How is your emotional health ? Test
yourself », un test diagnostique créé par le psychiatre Anthony
Feinstein qui permet aux journalistes de détecter leurs symptômes et
aux employeurs de les repérer chez leurs employés. Elle dispense
sur son site des conseils pratiques de sécurité à respecter en
reportage, dans des situations dangereuses et potentiellement
traumatisantes. Enfin, comme RSF, l’organisation produit des
chiffres mis à jour quotidiennement sur le nombre de journalistes
tués dans le monde, pays par pays.
Dans les années 2010, des fondations sont créées à la mémoire
de deux journalistes américains exécutés par des membres de l’État
islamique : 2lives pour Steven Sotloff, et la James Foley Legacy
Fondation. La fondation 2lives dispense des formations dans le
cadre du programme Global Journalists Security et organise des
campagnes de plaidoyer auprès d’organisations internationales et
d’industriels des médias. L’objectif est de « mettre en œuvre de
meilleures pratiques » et de « promouvoir des changements de
politique dans les lois américaines et mondiales sur les otages ». La
James Foley Legacy Fondation, quant à elle, est davantage axée
sur les formations à travers la diffusion d’un programme type
(Journaliste safety curricula) qu’elle a créé et qu’elle ambitionne
d’introduire progressivement dans les institutions académiques
privées et publiques aux États-Unis.
À l’initiative des deux fondations, A Culture of Safety (ACOS),
une organisation en tout point comparable à l’INSI, est créée
en 2015 dans le contexte des exécutions répétées de journalistes.
Elle renseigne sur les assurances existantes, dispense des
formations, fournit une assistance en cas de traumatisme ainsi que
des ressources cognitives et matérielles pour sécuriser les
pratiques. Sa particularité est de déployer ces services à destination
des pigistes et du personnel local (fixeurs, traducteurs, chauffeurs,
etc.), ce qui traduit une reconnaissance des vulnérabilités que crée
l’externalisation de la production d’information sur les zones de
guerre. ACOS se présente comme une « alliance » entre différentes
organisations professionnelles internationales, fondations, ONG et
agences internationales engagées dans la diffusion d’une « culture
de la sécurité » qui doit transformer en profondeur les
comportements professionnels à risque. Comme à l’INSI, la
dimension internationale est très prononcée, en particulier à travers
la production de standards de sécurité qu’elle a œuvré à faire
reconnaître par un grand nombre de médias nationaux, régionaux et
transnationaux.
Intégré à l’université de Columbia, le centre de recherche du
DART Center for Journalism and Trauma a joué un rôle majeur dans
la formalisation et la reconnaissance des conséquences psychiques
de la couverture des violences de guerre, à travers un travail
entrepris depuis les années 1990 de coordination de recherches
dédiées, d’édition de manuels pratiques de détection des
symptômes, de formations de formateurs et de journalistes. Il a
largement diffusé les protocoles de diagnostic du traumatisme usités
par ses chercheurs, en particulier à travers ses collaborations avec
l’INSI et ACOS. Il héberge des travaux académiques de journalistes
qui ont repris des études en psychologie tout en conservant leurs
activités professionnelles, ou qui sont devenus psychologues.
Engagés dans des missions de formation à travers le monde, ces
derniers ont contribué à sensibiliser leurs pairs sur les risques de
trauma.

Évolutions du droit et des codes de bonnes


conduites
Les Conventions de La Haye de 1899 et 1907, puis la
Convention de Genève de 1929, reconnaissaient déjà le statut du
correspondant de guerre. L’article 79 du Protocole additionnel I des
conventions de Genève adopté en 1977 constitue, aujourd’hui
encore, l’une des dispositions de référence en matière de protection
des journalistes en zone de conflit armé. Depuis les années 2000,
de nouveaux textes juridiques visent à renforcer la sécurité des
journalistes, à lutter activement contre l’impunité des bourreaux.
Parmi ces textes, la résolution 1738 (2006) du Conseil de sécurité
de l’ONU définit la responsabilité des belligérants étatiques et non
étatiques en rappelant que, en tant que civils, les journalistes, leurs
matériels et leurs installations sont protégés par les conventions de
Genève, et qu’à ce titre, non seulement ils ne peuvent être l’objet
d’attaques intentionnelles directes ou indirectes (par incitation), mais
aussi que les États signataires doivent déférer les responsables
devant leurs tribunaux ou devant ceux d’un pays tiers.
Depuis le vote de cette résolution, la protection des journalistes
fait l’objet d’une section à part entière dans les rapports du Conseil
de sécurité sur la protection des civils en période de conflit armé.
Cette insertion n’est pas fortuite. Elle renforce, au niveau du droit,
l’articulation entre la protection des journalistes et celle des civils
dans les conflits armés. Cette évolution est patente dans la
résolution 2222 (2015). Les journalistes sont jugés capables de jouer
« un rôle important dans la protection des civils », parce qu’ils
peuvent alerter de manière précoce sur des situations « qui
pourraient déboucher sur un génocide, des crimes de guerre, des
crimes contre l’humanité ou un nettoyage ethnique ». Le texte
reconnaît ainsi qu’ils peuvent contribuer à la prévention des conflits.
De même, dès lors qu’ils travaillent pour des « médias libres,
indépendants et impartiaux », « fondements d’une société
démocratique », il leur est reconnu la capacité de pouvoir
« contribuer à la protection des civils ». La résolution affirme donc
qu’il est d’autant plus nécessaire d’assurer la protection des
journalistes que, de leur travail, dépend celle des civils.
Un plan de coordination inter-agences a été également lancé
en 2010, puis mis en œuvre depuis 2014 sous l’égide de
l’UNESCO : le plan d’action des Nations Unis sur la sécurité des
journalistes et la question de l’impunité. Il a contribué à renforcer les
cadres législatifs relatifs à la protection des journalistes, mais sans
parvenir pour autant à optimiser les mécanismes d’application. Dans
les faits, trop peu de gouvernements ou de forces armées coupables
d’exactions contre des professionnels de l’information comparaissent
devant les tribunaux. Le plan a aussi eu pour effet de mobiliser et de
sensibiliser des industriels des médias sur les questions de sécurité.
L’UNESCO a organisé de nombreux événements en faisant
contribuer ces parties prenantes aux discussions et aux conceptions
du plan.
Conjointement, et sous l’égide d’organisations comme ACOS
(cf. supra) ou l’INSI, des médias du monde entier ont signé des
codes de bonnes pratiques qui s’apparentent formellement à des
chartes déontologiques. La Déclaration internationale sur la
protection des journalistes, publiée en 2015, engage les éditeurs
signataires à financer des formations à la sécurité pour leurs
employés, à les doter de matériel de protection, et à ne pas exiger
d’eux de se mettre en danger en zone hostile. Elle reconnaît aussi
un nouvel éventail de risques qu’il importe de prévenir. Les risques
physiques et ceux liés à l’usage des outils numériques, mais aussi
les risques psychologiques, attestent que la reconnaissance des
troubles psycho-traumatiques fait l’objet d’un certain consensus.
Dans la même lignée, le Safety Principles for Freelancers a été
signé par un très grand nombre de médias depuis 2016. Conçu pour
protéger les indépendants, le texte enjoint les signataires à allouer
des ressources aux formations à la sécurité des pigistes qu’ils
emploient, à assurer leur rapatriement en cas de blessure ou
kidnapping. Cependant, ces deux textes ne sont pas contraignants.
Les signataires s’accordent sur de grands principes, et soignent leur
réputation en mentionnant leur adhésion aux textes, mais il est
difficile d’établir, faute d’enquête de grande envergure, dans quelle
mesure ces principes sont réellement suivis d’effets.
■ Textes juridiques et Déclarations
– Résolution 2222 du conseil de sécurité de l’ONU (2015),
disponibles à :
https://www.un.org/press/fr/2015/cs11908.doc.htm
– Résolution 1738 du conseil de sécurité de l’ONU (2006),
disponible à : https://undocs.org/fr/S/RES/1738%20(2006)
– Convention de La Haye (1899/1907)
– Convention de Genève (1929)
– Déclaration internationale sur la protection des journalistes
(2015) https://ipi.media/international-declaration-on-the-
protection-of-journalists/
– Principes de sécurité pour les journalistes freelance (2016)
https://www.acosalliance.org/the-principles
■ Organisations engagées dans la protection des journalistes
– RSF, consultable à https://rsf.org/fr/france
– INSI, consultable à https://newssafety.org/home/
– CPJ, consultable à https://cpj.org/
– A culture of Safety (ACOS), consultable à
https://www.acosalliance.org/
– 2lives, consultable à
https://www.2livesfoundation.org/mission
– James Foley Legacy Foundation, consultable à
https://jamesfoleyfoundation.org/journalist-safety
– DART center, consultable à https://dartcenter.org/

Déconstruire les mythes professionnels


Initiées à partir des années 1990 par le psychiatre Anthony
Feinstein, les premières études sur les traumatismes des
journalistes de guerre sont assez tardives comparativement à
d’autres secteurs où des professionnels sont exposés à des risques
de blessure et de mort. De même, la reconnaissance de ces
pathologies par les intéressés et les employeurs, quand elle a lieu,
est lente et ne va toujours pas de soi. Ces résistances sont liées à la
crainte de révéler une faiblesse à rebours des qualités idéalisées de
la pratique de ce journalisme et, de la sorte, d’indiquer à ses
employeurs une inaptitude, et donc une incompétence, qui motiverait
l’évincement des zones de conflits. Elles s’enracinent dans des
mythes puissants qui empêchent le récit et l’aveu des souffrances.
Le mythe du reporter de guerre endurci et balafré capable de
supporter, quels que soient les coûts, les violences extrêmes dont il
est le témoin, charriant ainsi une panoplie d’attributs de virilité. Le
mythe de l’objectivité également, non moins tenace, d’un journaliste
qui ne serait pas affecté par ce qu’il voit parce qu’il n’a pas
d’implications affectives dans les drames qu’il rapporte. L’objectivité,
ici, proscrit toute forme d’émotivité face à la violence endurée par
d’autres.
Les dispositifs d’encadrement des risques mis en œuvre depuis
les années 1990 ont cherché à déconstruire ces mythes, à
neutraliser leurs effets pathogènes sur le psychisme et leurs effets
mortifères. À travers les formations dispensées par ses membres, le
DART Center tente de « casser ces mythes » dans le but de libérer
la parole des journalistes traumatisés, de faciliter ainsi l’accès aux
soins, et de prévenir l’apparition des symptômes post-traumatiques.
De même, les formations dispensées dans le groupe France Média
Monde travaillent à changer les valeurs héritées d’une certaine
tradition du reporter de guerre, en insistant sur la préservation de la
sécurité physique et mentale des professionnels de l’information.
Ces valeurs, leurs conséquences pratiques, font aussi l’objet de
critiques acerbes de la part de certains journalistes à l’encontre de
leurs pairs. Dans l’enquête que nous avons menée auprès de
journalistes français, certains d’entre eux ont critiqué des collègues
qualifiés de « chiens de guerre », sans cesse attirés par la proximité
avec la mort, leur reprochant une forme d’incompétence
professionnelle dès lors qu’ils font courir des risques inconsidérés à
leurs équipes de travail. Les critiques touchent également les
employeurs auxquels il est reproché de ne pas prendre toute la
mesure des souffrances endurées, en particulier lorsqu’ils ne
donnent pas à leurs employés de temps de décompression, de
réadaptation à la vie civile au retour d’un pays en guerre.
Ces mythes ne sont pourtant pas aussi simples à déconstruire
qu’il y paraît. Longtemps, les risques encourus sur les champs de
bataille ont été considérés comme des risques à prendre pour être
reconnu, anobli par la profession. Or, loin d’être déchue, cette
noblesse conserve une puissance de distinction importante, comme
l’a montré Denis Ruellan (2018) dans l’ouvrage qu’il a consacré aux
reporters de guerre. En témoigne le choix des candidats au
prestigieux prix Albert Londres de soumettre des propositions de
reportage ayant trait à la guerre, et de valoriser dans leurs dossiers
des expériences sur les zones de conflit. Le reportage de guerre est
aussi un moyen de distinction sur les marchés de l’édition et dans de
nombreux festivals. Il permet d’acquérir une reconnaissance à
travers l’obtention d’un prix, comme le Prix du correspondant de
guerre (Bayeux), Visa pour l’image (Perpignan), le Festival du scoop
(Angers) ou le festival international Photoreporter (Saint-Brieuc).
Considérant l’ensemble des mesures d’encadrement des
risques, mises en œuvre progressivement depuis les années 2000, il
est possible d’interpréter la baisse de la mortalité des journalistes
internationaux. Non seulement ils ne sont plus envoyés dans
certains pays estimés trop dangereux, mais, lorsqu’ils sont dépêchés
pour couvrir des conflits, les règles de prudence et de sécurité sont
plus rigoureusement suivies qu’auparavant. L’engagement d’un
grand nombre de rédactions à protéger les indépendants qu’elles
emploient, à les former aux nouvelles mesures de sécurité, permet
également d’expliquer pourquoi depuis 2014-2015 de moins en
moins de journalistes périssent en officiant dans des zones de
guerres, y compris des pigistes et des journalistes locaux. Les
dispositifs de suivi des mauvaises conduites des employeurs, par les
organisations de plaidoyer pour la sécurité des journalistes,
contribuent à policer leurs comportements. Il faut toutefois relativiser
cette explication centrée sur la transformation des pratiques. En
effet, des conflits très meurtriers, comme en Syrie, sont désormais
en retrait de l’agenda médiatique, et ceux qui l’ont été, comme en
Irak, ne le sont plus depuis que l’État islamique a été défait.

Bibliographie
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voices in a changing communications environment », dans
Cottle S., Sambrook R., Modsell N., (dir.), Reporting
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• Gürsel Z., Image Brokers, visualing world news in the age of
digital circulation, University of California Press, 2016.
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Reporting Dangerously. Journalist killings, intimidation and
security, London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 171-186.
• Thusu D.K., « Live tv and bloodless death: war, infotainement
and 24/7 news », dans Thussu D.K., Freedman D., (dir.), War
and the Medias. Reporting conflict 24/7, London, Sage
publications, 2003, p. 117-132.
• Tumb H., Webster F., Journalists under fire, Londres, Sage
publication, 2006.

1. 111 morts en 2015, 115 en 2016, 68 en 2017 et 52 en 2020.


Chapitre 3
2 La fabrique de l’information
européenne

Olivier Baisnée

S
i la visibilité et la notoriété des correspondants auprès de
l’Union européenne (UE) sont faibles, ce corps de presse
n’en représente pas moins l’un des plus grands
rassemblements journalistiques au monde. Si les chiffres fluctuent
en fonction des évolutions politiques (élargissements, Brexit), de
l’actualité (qui donne une centralité plus ou moins importante à
l’actualité communautaire : crise(s) économique(s), crise(s)
migratoire(s), pandémie) ou de la politique d’accréditation plus ou
moins restrictive, mais Bruxelles accueille depuis le milieu des
années quatre-vingt-dix entre 800 et 1 000 correspondants. Si la
majorité d’entre eux proviennent des États membres, les pays tiers
sont eux aussi représentés avec des contingents allant de quelques
dizaines de journalistes à un journaliste individuel. La situation est
donc relativement paradoxale et tient au contraste entre le
gigantisme de ce regroupement journalistique – parfois qualifié de
« plus grand corps de presse du monde » – et la place limitée
qu’occupe l’UE dans les médias avec des variations importantes
selon qu’il s’agit des médias audiovisuels ou de la presse écrite, de
médias élitaires ou grand public, de médias spécialisés ou
généralistes.
Brève histoire du corps de presse
des correspondants de l’Union européenne
Pour comprendre ce qu’est aujourd’hui cette place
d’information, il convient de donner quelques jalons historiques
concernant son émergence. Cela permet en effet de mieux
comprendre à la fois les pratiques de communication et le type de
journalisme qui y prévalent. Il semble que, dès les origines de la
construction européenne, il y ait eu une volonté de Jean Monnet et
de son entourage d’intéresser des journalistes à ces institutions et
au projet politique européen (Aldrin et Hubé, 2014). Alors que les
domaines d’action étaient, dans ce premier temps des
années cinquante, très limités (à l’énergie puis à l’établissement d’un
marché commun), l’idée était de s’appuyer sur la presse pour faire
exister un projet politique européen autrement plus ambitieux. Pour
ce faire, il fallait attirer à Luxembourg, puis à Bruxelles, des
journalistes qui donneraient une existence, ne serait-ce que de
papier, à cette construction politique. Un service de presse fut tôt mis
en place (avec à sa tête un proche de Jean Monnet : Jacques-René
Rabier) afin d’établir des relations stabilisées avec les journalistes et
communiquer de manière régulière sur ce que faisait la Haute-
Autorité. Cette volonté de constituer une communication autonome
fut d’ailleurs très mal prise par le gouvernement français qui en fit un
des casus belli dans le cadre la crise de la « chaise vide », en
considérant que la Haute-Autorité outrepassait son mandat. C’était
faire beaucoup de cas des 23 journalistes accrédités recensés
en 1955 mais on peut estimer, au regard des centaines d’accrédités
d’aujourd’hui, que ce pari fut réussi car ils étaient d’ores et déjà 256
en 1976 et 783 en 1995 (Conrad, 1994 ; Bastin, 2003).
Pour comprendre le type de journalisme qui va dominer jusqu’à
la toute fin des années quatre-vingt-dix, il est crucial de saisir ce qui
s’est joué dans ces années soixante-dix et qui pèsera durablement
sur les pratiques tant des sources institutionnelles que des
correspondants. Les journalistes qui devinrent alors correspondants
étaient fréquemment mus par un engagement européen développé
durant leurs études et gagnaient Bruxelles, comme beaucoup
d’autres qu’on retrouvera dans les institutions, pour participer de
cette aventure politique. C’est souvent le hasard ou l’opportunité qui
les firent devenir journalistes après, parfois, un passage en stage
dans les institutions. N’ayant pas d’expérience antérieure ou de
formation spécifique (c’était d’ailleurs largement le cas dans le
journalisme alors) ils feront l’apprentissage du métier en n’ayant
connu que cette actualité. Ces pionniers de la correspondance
européenne vont donc très largement « inventer » un poste qui, les
institutions étant nouvelles, n’avait pas de précédents. Ils y feront
valoir leurs compétences qui reposaient moins sur un savoir-faire
journalistique que sur une expertise (qui va devenir un redoutable
atout par rapport aux plus tard-venus) et un carnet d’adresses
inauguré dès leur arrivée à Bruxelles (les stagiaires côtoyés dans les
institutions gravissant eux-mêmes les échelons, devenant même
parfois commissaires). Certains de ces journalistes arrivés dans les
années soixante et 70 resteront en poste pendant plus de 30 ans, ce
qui explique que leur conception de la correspondance européenne
se soit imposée (et notamment aux autres journalistes). Cette
conception était faite d’un haut degré d’expertise de dossiers (suivis
parfois depuis leurs origines) et d’une conception très institutionnelle
de l’actualité européenne. Il s’agissait pour eux avant tout de rendre
intelligible ce que faisaient les institutions européennes, les rapports
qu’elles entretenaient, etc.
Pour ce faire, ces correspondants trouveront un terrain
d’exercice extrêmement favorable. On l’a dit, les institutions
communautaires (Haute-Autorité puis Commission européenne)
plaçaient de grands espoirs dans leurs relations avec la presse.
Elles mirent, en conséquence, en place une politique extrêmement
accueillante à leur égard. L’accréditation (qui reposait, notamment,
sur l’assurance de travailler pour un média réel, de résider à
Bruxelles ou sa périphérie et de l’attestation que son titulaire
couvrirait les questions européennes) offrait en effet un accès très
large aux sources. Outre les très nombreuses rencontres (dont le
très ritualisé rendez-vous de midi quotidien de la Commissions)
auxquelles les journalistes pouvaient assister, ceux-ci pouvaient très
largement naviguer dans les immeubles abritant les services (de
plus en plus nombreux et de plus en plus fournis) de la Commission.
Le quartier européen, qui regroupe physiquement les trois
institutions majeures de l’UE (Commission, Conseil et Parlement),
allait ainsi devenir le lieu de travail de ces correspondants (leurs
bureaux étant souvent situés dans ce même quartier) où, très
largement en groupe, ils se déplaceraient d’une conférence de
presse à une autre, déjeunant dans les restaurants fréquentés par
les fonctionnaires européens, etc. La facilité pratique qu’il y avait,
pour ces journalistes (souvent seuls pour leur média), à couvrir une
actualité par ailleurs de plus en plus foisonnante donnera une
centralité toute particulière aux sources institutionnelles et laissera
peu de place à un journalisme plus critique et d’investigation qui se
développa en France à partir des années quatre-vingt (Marchetti,
2000).

La remise en cause des années 2000


Ce système d’information va, lui, perdurer jusqu’au début des
années 2000. À la faveur de la crise et de la démission de la
Commission Santer (1999-2000), ces pratiques institutionnalisées et
stabilisées tant du côté des institutions que des correspondants vont
être fortement remises en cause. Considérant que les
correspondants (ce fut notamment le cas de celui de Libération en
France) avaient joué un rôle dans la mise au jour d’éléments
gênants pour la Commission, cette institution, si centrale dans le
quotidien des accrédités, allait réévaluer son attitude à l’égard de la
salle de presse. Le symbole de cette remise en cause fut la
disparition du off-the-record dans le cadre de sa conférence de
presse quotidienne. Alors qu’il était parfaitement courant que les
porte-parole s’y expriment officieusement et donc plus librement
depuis la tribune, le fait qu’ils s’y expriment désormais sous le
régime du « on the record » contribua considérablement à aseptiser
le contenu des déclarations et à en diminuer drastiquement l’intérêt
professionnel.
Désormais retransmis sur internet, ce rendez-vous quotidien a
perdu de sa centralité pour les correspondants qui ne s’y rendent
désormais qu’occasionnellement pour y retrouver leurs collègues
d’autres médias ou rencontrer les porte-parole en marge de la
conférence de presse (sous le régime du off-the-record, donc). Cette
remise en cause ne fut pas seulement celle des pratiques de
communication mais aussi celles des figures historiques du corps de
presse. Alors qu’ils dominaient largement (du fait de leur expertise,
de leurs carnets d’adresses) la production de l’information à
Bruxelles, leur attitude de retrait voire de critique à l’égard de leurs
confrères publiant des révélations a contribué à leur délégitimation.
Désormais désajustés des évolutions de leurs champs
journalistiques nationaux (au sein desquels le journalisme
d’investigation avait gagné en légitimité et qui avait vu le déclin du
traitement institutionnel de l’actualité comme des questions
internationales), ils passèrent rapidement du statut de figures
tutélaires à celui de « dinosaures » représentant un âge révolu.
Si le « rendez-vous de midi » (conférence de presse
quotidienne de la Commission européenne) occupe toujours un rôle
central en tant qu’instance de socialisation pour les nouveaux
correspondants, sa centralité et son influence se sont nettement
amoindries depuis vingt ans1. Plusieurs facteurs expliquent sa perte
de centralité. La première raison est la communication, jugée
parasitaire, de la Commission européenne et le verrouillage accru de
la parole, déjà fustigé au début des années 2000. « L’ouverture
exceptionnelle », narrée par les plus anciens, fait partie de l’histoire.
Sous la Commission Prodi, le chef du service du porte-parole,
Ricardo Levi, a mis fin à la pratique du « off » généralisé en salle de
presse. Dans le même temps, les mesures de sécurité accrues, ces
vingt dernières années, dans le bâtiment restauré de la Commission
(le Berlaymont, réinvesti depuis 2004), rendent plus difficile l’accès
des journalistes aux couloirs de l’institution. Ceci s’est opéré après
un tournant de communication sous les Commissions Barroso
(2004-2014) et Juncker (2014-2019) avec une centralisation toujours
plus affirmée de la communication.
À compter des années 2000, ce sont de nouvelles pratiques et
de nouveaux acteurs qui, soit apparaîtront, soit gagneront en
légitimité interne. Si le degré d’expertise nécessaire pour couvrir
efficacement les questions communautaires est toujours redoutable,
de nouvelles conceptions de cette actualité se sont déployées,
épousant aussi des transformations plus générales du système
politique de l’UE et du journalisme et des médias.

Une place d’information entre permanences


et transformations
Outre les dynamiques internes au corps de presse, la
correspondance à Bruxelles a été profondément affectée par la crise
économique qui touche le secteur des médias (ministère de la
Culture et CSA, 2018). Cela est d’autant plus vrai que ce sont les
types de média (presse écrite nationale) historiquement les plus
présents à Bruxelles qui ont été les plus durement touchés par la
crise de financement. Le poste de Bruxelles est en effet coûteux
comme tous les postes à l’étranger (Marchetti, 2002) et la question
de son maintien a pu se poser (pour ne pas parler de l’ouverture de
nouveaux bureaux). Des sujets d’ampleur (crise financière, Brexit,
pandémie) sont venus redonner de la pertinence à cette actualité
mais le nombre total de correspondants a cessé d’augmenter, voire
a pu baisser ponctuellement2, et ce alors même que l’UE passait de
15 à 27 membres. Comme le souligne Nicolas Hubé (2018), si le
nombre de journalistes est stable, celui des médias représentés est,
lui, en décrue sensible (passant de 670 en 2005 à 475 en 2017), ce
qui signale un recours de plus en plus massif à des journalistes
freelance notamment belges (129 en 2017). Début 2020, parmi les
893 journalistes en poste, plus d’un quart était pigistes. Il est vrai
que ce que propose Bruxelles en termes d’actualité est ambivalent
du point de vue des contraintes nouvelles qui pèsent sur la
production de l’actualité. D’une part, la quantité considérable
d’informations qui y sont chaque jour disponibles sied à une
demande toujours croissante de contenu à diffuser (notamment en
ligne). Mais, d’autre part, la nature extrêmement institutionnelle et
« froide » de ces informations en fait de faibles pourvoyeuses de flux
et de clics potentiels. En effet, et de ce point de vue peu de signes
d’évolution sont repérables, les audiences susceptibles de
s’intéresser à l’actualité communautaire sont toujours limitées et
élitaires (Baisnée, 2007).
C’est dans ce contexte totalement bouleversé que sont apparus
de nouveaux acteurs dont la stratégie et le positionnement prennent
sens à la lumière des transformations du secteur des médias
évoquées. Il a notamment favorisé l’émergence de médias en ligne
spécialisés sur les questions européennes, destinés essentiellement
à un public, limité mais très rémunérateur (les abonnements étant
très chers), d’insiders, de spécialistes des questions européennes
(Martinez, 2019 ; Tixier, 2019). C’est notamment le lancement du
francophone Contexte en 2013 (une vingtaine de journalistes
aujourd’hui) puis de Politico Europe en 2015 qui sont venus
profondément transformer le paysage du journalisme
communautaire. Ce dernier, déclinaison de sa version à Washington,
avec sa soixantaine de journalistes d’une dizaine de nationalités
différentes (rédaction sans équivalent à Brucelles) s’est rapidement
imposé comme l’acteur majeur de l’information européenne.
Supplantant les hiérarchies anciennes (domination du Financial
Times et des correspondants des quotidiens nationaux des
« grands » pays de l’UE) le média s’est vite rendu incontournable.
Politico Europe s’appuie sur un système de freemium, une
diversification de ses activités au-delà du journalisme (organisation
de rencontres à l’initiative d’acteurs privés) et d’un ton incisif et léger
(le Brussels Playbook disponible gratuitement dès 7 heures est un
must des travailleurs de l’UE). Si sa rentabilité économique semble
toujours incertaine, son poids dans le monde de l’information
européenne est sans conteste. Par ailleurs, les journalistes
constatent une concurrence accrue entre pairs, dans un lieu pourtant
longtemps décrit comme un havre de solidarité professionnelle.
Cette concurrence croissante est le résultat de plusieurs facteurs
externes à l’environnement bruxellois. Partout, l’accélération des
rythmes professionnels n’a cessé de gagner du terrain : l’information
produite en direct et en continu sur les chaînes télévisées et sur
internet a accéléré ce phénomène ces dix dernières années (Pilmis,
2014). Les correspondants sont ainsi contraints, plus qu’avant, de
produire de l’information dans l’urgence en « flux tendu » permanent
(Pilmis, 2014). L’arrivée, en 2015, du pureplayer Politico avec sa
rédaction imposante et l’usage intensif de Twitter y ont largement
contribué. Ainsi le correspondant se doit de publier au plus vite, en
renonçant parfois à des déplacements, au profit de la simplicité́
d’accès à l’information. En parallèle, la couverture de l’UE s’est
intensifiée pour les correspondants, dans un contexte où l’UE a
connu une inflation législative en réponse aux crises successives.
Une autre transformation significative de la correspondance à
Bruxelles a trait au rôle désormais joué par les réseaux socio-
numériques (et singulièrement Twitter) dans le travail journalistique.
Son usage a accéléré la transformation des modes d’interactions
entre professionnels et sources, offrant de nouvelles manières de
travailler aux journalistes et un nouvel espace de sociabilité au sein
de l’eurocratie. En cela, Twitter constitue une rupture supplémentaire
avec les anciens lieux « classiques » de travail et de socialisation du
microcosme bruxellois. Sur Twitter, la « bulle internet bruxelloise »
vient dédoubler et redoubler la bulle socio-spatiale déjà existante
(Baisnée, 2003b), faisant office de véritable second marché de
l’information bruxellois (Roginsky et Jeanne-Perrier, 2015). Salle de
rédaction dématérialisée, Twitter vient transformer l’économie
informationnelle et donc les façons de couvrir l’UE au quotidien
(Swasy, 2016 ; Roginsky, 2015). En effet, le réseau donne aux
correspondants accès à des sources primaires et secondaires : de
leurs collègues bruxellois aux personnalités de la bulle.
L’instantanéité permet de s’y informer en direct sur ce qu’il se passe,
ce qui a vite rendu le réseau social incontournable : il existe une
sorte d’obligation tacite à être actif sur ce réseau en y postant de
l’information, en se créant, a minima, un compte, pour « exister »3.
Certains, tels Jean Quatremer (correspondant pour Libération), ont
même intensivement investi le réseau social au point d’y développer
une véritable marque personnelle ouvrant les portes des médias
audiovisuels sous la forme de chroniques ou d’invitations régulières.
Outre ces transformations liées aux changements profonds du
journalisme (à Bruxelles comme ailleurs), ce qui a affecté la
production de l’information à propos de l’UE, c’est une
transformation de l’économie du pouvoir au sein de l’UE (Laurens,
2015 ; Georgakakis, 2012 ; Aldrin et Hubé : 2014). Le déplacement
du centre de décision européen de la Commission au Conseil a
fourni aux journalistes une opportunité concrète de reporter une
bonne partie de leur activité vers l’institution voisine (littéralement :
les deux bâtiments sont situés sur le même rond-point) : le Conseil
des ministres (Hubé et Baloge, 2018). En effet, depuis 2008 et la
crise économique ayant durement touché l’ensemble de l’UE et de la
zone euro puis le déclenchement de la crise grecque, le poids des
États et celui de leur parole politique se sont renforcés. La
progressive institutionnalisation de la présidence du Conseil
européen à compter de 2008 et les possibilités narratives
(personnalisation, dramatisation) qu’inaugure cette position de
négociateur4 s’est opérée au détriment d’une Commission peu
efficiente dans la gestion des crises, divisée et sclérosée par sa
communication verrouillée (Tixier, 2018 et 2019). Compte tenu de
l’importance du cadrage national pesant sur la production de
l’information des correspondants, les briefings de presse pré-
sommets européens effectués aux sièges des représentations
permanentes tout comme les sommets eux-mêmes, tenus au
Conseil plusieurs fois par an, sont devenus les centres de l’attention
médiatique (Tixier, 2019). En premier lieu, les points presse
informels tenus par les représentations permanentes des États,
quelques jours en amont des sommets, présentent un double
intérêt : ils permettent de récolter du « background », soit des
éléments de mise en contexte des négociations et des bribes
concernant la stratégie des États qui va être mise en place sur tel ou
tel dossier négocié dans les jours à venir. C’est aussi le parfait
endroit pour récupérer une parole plus explicitement politique auprès
des États et de leurs diplomates. Ainsi, c’est au Conseil que les
journalistes vont chercher le politique, c’est-à-dire « ce qui renvoie
aux positions nationales » (Baisnée, 2003a). Les sommets
européens sont ainsi devenus le sujet le plus couvert de l’UE (Tixier,
2019), cumulant tous les atouts visuels, décisionnels et factuels pour
« faire la Une » (Hubé, 2003 ; Hubé et al., 2016). Dans une moindre
mesure mais pour des raisons assez similaires, le Parlement et les
députés européens ont gagné en importance dans le traitement des
questions européennes. Ainsi, si l’UE subit toujours un déficit de
couverture médiatique et n’apparaît pas comme le sujet le plus
« sexy punchy » (Hubé, 2003), les rédactions nationales sont de
plus en plus demandeuses de sujets compte tenu de l’importance
des décisions qui se déroulent dans la capitale européenne. Du
moins les correspondants ont moins de mal à les imposer, même
s’ils ne font que ponctuellement la « une ». La dramatisation et la
possibilité (traditionnellement rare s’agissant de l’information
communautaire) de personnaliser le récit d’événements qui mettent
aux prises des chefs d’État dans le cadre d’oppositions souvent
fortes et explicites font des sommets européens des événements
particulièrement newsworthy.

Bibliographie
• Aldrin Ph., Hubé N., « Parler au nom de l’Europe. Luttes
d’institutions et conflits de légitimités pour le porte-parolat de
l’“Union” », dans Aldrin Ph., Hubé N., Ollivier-Yaniv C., Utard J.-
M. (Ed.), Les médiations de l’Europe politique, Strasbourg, PUS,
2014, p. 49-76.
• Baisnée O., La production de l’actualité communautaire.
Éléments d’une sociologie comparée du corps de presse
accrédité auprès de l’Union européenne. Thèse de doctorat en
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• Baisnée O., « “En être ou pas”. Les logiques de l’entre soi à
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vol. 166-167, n° 1, 2007, p. 110-121.
• Baisnée O., « The European Public Sphere Does Not Exist (At
Least It’s WorthWondering…) », European Journal of
communication, vol. 22, n° 4, 2007, p. 493-503.
• Baisnée O., Pouzadoux M., « Le corps de presse de l’Union
européenne 2000-2020 : permanences et transformations d’une
institution journalistique » à paraître dans Politique européenne,
2022.
• Bastin G., Les professionnels de l’information européenne à
Bruxelles. Sociologie d’un monde de l’information (territoires,
carrières, dispositifs), Thèse de doctorat en sociologie, École
normale supérieure de Cachan, 2003.
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européenne », dans Felice Dasseto, Michel Dumoulin (dir.),
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politique du personnel de l’UE, Paris, Economica, 2012.
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Journalistes et politiques en comparaison dans des contextes
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internationales, vol. XIX, 2018, p. 947-964.
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their Roles. Politicization and Personalization of the Press
Coverage », Politique européenne, vol. 52, n° 2, 2016, p. 84-
113.
• Hubé N., « L’UE à la Une : un cadrage difficile d’une actualité
peu visible. Regard comparé sur la presse française et
allemande », dans Garcia G, Le Torrec V. (Ed.), L’Union
européenne et les médias. Regards croisés sur l’information
européenne, Paris, L’Harmattan, 2003.
• Laurens S., « Des entre-soi “cosmopolites” aux sociabilités
intenses ? Enquête sur l’individualisation paradoxale de la
pratique sportive dans un club bruxellois », Regards
Sociologiques, n° 43-44, p. 35-59, 2012.
• Laurens S., Les courtiers du capitalisme ; Milieux d’affaires et
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• Marchetti D., « Les révélations du « journalisme
d’investigation » », Actes de la Recherche en Sciences
Sociales, n° 131-132, mars 2000, p. 30-40.
• Marchetti D., « L’internationale des images », Actes de la
recherche en sciences sociales, vol. 145, 2002, p. 71-83.
• Ministère de la culture et Conseil supérieur de l’audiovisuel,
Médias et publicité en ligne : transfert de valeur et nouvelles
pratiques, rapport rédigé par le cabinet Bearing Point, 2018.
• Neveu E., Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte,
2001.
• Pilmis O., « Produire en urgence. La gestion de l’imprévisible
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vol. 55, n° 1, 2014, p. 101-126.
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sociaux », Communication & langages, vol.1, n° 183, 2015,
p. 25-30.
• Swasy A., How Journalists Use Twitter. The Changing
Landscape of U.S. Newsrooms, Londres, Lexington Books,
2016.
• Tixier F., Incarner l’Europe par et dans les médias. Les militants
d’information européenne et la construction d’un monde
transnational du journalisme européen, Thèse de doctorat en
sociologie, Université Libre de Bruxelles, 2019.
• Tixier F., « Concurrences et coopérations pour la production de
l’information européenne », Sur le journalisme, About
journalism, Sobre jornalismo, [S.l.], v. 8, n° 1, 2019, p. 40-53.

1. Les éléments qui suivent reprennent ceux développés dans : Baisnée Olivier et
Pouzadoux Marie, « Le corps de presse de l’union européenne 2000-2020 :
permanences et transformations d’une institution journalistique » à paraître dans
Politique européenne, 2022.
2. Voir par exemple l’article de presse de Stephen Castle, “As the E.U. Does More, Fewer
Tell About It”, New York Times, 22 mars 2010.
3. Cette injonction au sein de la bulle, Cécile Ducourtieux, correspondante du Monde à
Bruxelles de 2014 à 2019, en parle dans un article sarcastique publié dans son journal,
désormais connu de tous dans la capitale européenne : « À Bruxelles tu tweet ou tu
meurs », Le Monde, 2 décembre 2014. URL :
https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/12/03/a-bruxelles-tu-tweetes-ou-tu-
meurs_4533283_3214.html
4. Ce que montre bien le documentaire en deux parties de Yann-Antony Noghès diffusé sur
LCP : « Sommets dans le secret des négociations européennes ».
Questions à Tristan Mattelart

Professeur de sciences de l’information et de la


communication,
Université-Paris-Panthéon-Assas

Entretien réalisé en janvier 2022 par Valérie Devillard

Valérie Devillard — En quoi l’expansion du numérique a-t-


elle pu contribuer à accélérer la globalisation de
l’information au côté d’autres facteurs ?
Tristan Mattelart — Cette idée fort répandue semble à
bien des égards être une évidence incontestable. Avec un
clic de souris, avec un clic sur le smartphone, j’ai un accès
à des informations de l’autre bout du monde beaucoup
plus facilement que du temps des médias dits
traditionnels. En même temps, cela constitue sous bien
des aspects « une fausse évidence » qu’il faut essayer de
nuancer de différentes façons. L’essor d’internet, puis du
web, a fait naître l’espoir, un espoir immense qu’avec ces
technologies on allait enfin pouvoir court-circuiter et
contourner les acteurs dominants qui contrôlaient, jusque-
là, la circulation et la production de l’information
internationale : les médias traditionnels et les grandes
agences de presse. Ceux-ci font l’objet, depuis des
décennies, de critiques récurrentes. Les premières
remontent, au moins, à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Il suffit pour s’en convaincre de lire un rapport
réalisé en 1953 pour l’Unesco de Jacques Kayser, qui fut
directeur adjoint de l’IFP. Il y dénonçait déjà trois choses :
le trop peu de place consacrée aux nouvelles du monde
dans les grands quotidiens ; le peu de budget accordé à la
production de cette information internationale ; enfin, la
dépendance de la plupart de ces quotidiens à l’égard des
grandes agences de presse occidentales, notamment de
l’Associated Press, Reuters ou encore l’AFP. Cela
constituait, à ses yeux, autant d’éléments qui entravaient
la possibilité pour les médias de parler de façon complexe
du monde (Kayser, 1953).
Ces critiques, dans les années 1970, provoqueront un
grand débat dans les enceintes internationales,
notamment au sein de l’Unesco, dans le cadre des
revendications en faveur d’un Nouvel ordre mondial de
l’information et de la communication (NOMIC). À ce
moment-là, les pays non-alignés condamnent la façon
dont les médias occidentaux couvrent le tiers-monde. Ils
mettent en évidence des déséquilibres quantitatifs et
qualitatifs dans la façon dont le tiers-monde est représenté
dans les médias du Nord. Ils accusent ces médias de
parler peu des pays du Sud et de n’en parler qu’à des
moments de crise, de manière sensationnaliste, ce qui
évidemment confère à ces pays une image fort négative.
Ce débat du NOMIC n’aboutira pas mais les critiques qui
l’ont nourri persisteront. Elles vont d’autant plus perdurer
que, dans les années 1980 et 1990, les médias
occidentaux ont été loin d’accroître leurs investissements
dans l’information internationale, ni leurs budgets pour la
couverture des affaires du monde. Bien au contraire. C’est
dans ce contexte que se développe internet qui fait naitre,
comme je l’ai dit, cet espoir de pouvoir contourner le rôle
prépondérant de gatekeepers que jouent les acteurs
essentiels de la production et de la circulation de
l’information internationale, que sont les médias
traditionnels et les agences de presse.
Cet optimisme sera nourri par différentes expériences ou
plutôt par différentes façons de vivre ces expériences.
Citons deux exemples. Le premier, c’est l’Armée zapatiste
de libération nationale, dans les années 1990 au Mexique.
Ce mouvement, depuis le Chiapas, réussira, grâce
notamment à l’utilisation d’internet, à faire circuler ses
informations à une échelle internationale, contournant, en
partie, les médias mainstream. Quelque temps plus tard,
Indymedia sera fondé en 1999. C’est un réseau
international d’informations alternatives créé par des
activistes à l’occasion de la mobilisation altermondialiste à
Seattle contre l’Organisation mondiale du Commerce
(OMC). D’après eux, étant donné que les médias
transforment la nature de leurs revendications, il ne faut
pas dépendre de la couverture des médias et créer son
propre média en ligne.
Bientôt, l’idée se propage qu’internet permet non
seulement à des activistes, mais aussi à de simples
citoyens de devenir comme des correspondants
internationaux. Au sommet de cet optimisme, né de l’essor
du web, au moment où on chantait les vertus du Web 2.0,
John Maxwell Hamilton et Éric Jenner déclarent sans recul
qu’« avec internet n’importe qui à l’étranger peut devenir
correspondant international » (Hamilton, Jenner, 2003).
Ce crédo possède pour limite essentielle de faire
abstraction des réalités socio-économiques qui contribuent
à structurer la production et la circulation de l’information
internationale. Or, il est nécessaire de prendre en compte
ces réalités socio-économiques que cela soit à l’heure du
numérique ou de l’analogique. Plusieurs éléments sont en
effet à prendre en compte : il faut d’abord revenir sur cette
distinction qui est souvent faite entre les médias
traditionnels et les médias en ligne parce que les médias
traditionnels n’ont pas perdu leur rôle prépondérant dans
l’univers en ligne. Ils continuent à être – par leurs
informations hors ligne, comme par leurs informations en
ligne qui circulent sur les sites web et sur les réseaux
socio-numériques – des intermédiaires essentiels de la
circulation des nouvelles sur l’étranger. Comme les
médias traditionnels désormais en ligne continuent d’être
des acteurs essentiels, ils ont importé en ligne les
problèmes qui préexistaient à l’avènement d’internet. Chris
Paterson (2007) a, par exemple, étudié la provenance des
informations publiées par les principaux sites d’information
internationaux des États-Unis que sont CNN, CNBC, ABC
ou encore le New York Times. Il montre que les sites web
de ces médias dépendent beaucoup pour leurs
informations des dépêches des agences de presse
internationales, telles l’Associated Press et Reuters. À une
exception près, le New York Times, qui dispose d’un
réseau de correspondants internationaux important lui
permettant de ne pas en dépendre de la même façon que
ses collègues télévisuels. Ainsi l’essor du web n’a pas
effacé le rôle de gatekeepers des médias traditionnels et
les grandes agences de presse.
Mieux, il a fait naitre d’autres gatekeepers devenus
aujourd’hui des acteurs importants. Parmi ceux-ci, il y a
Google, un moteur de recherche majeur du web, qui se
déploie à une échelle globale, qui, à bien des égards, est
un acteur américain plus puissant que les agences de
presse fortement critiquées auparavant. Google joue un
rôle central dans la façon dont les gens accèdent en
général à l’information, mais aussi en particulier à
l’information internationale. « Comment Google représente
le monde » ? C’est une question à laquelle il est difficile de
répondre. Il est plus aisé de répondre à une autre
question : « D’où viennent les informations grâce
auxquelles Google représente le monde ? » En effet,
Google ne produit pas d’informations. Sa spécificité est de
trier, ordonner les informations produites par d’autres. Une
équipe de chercheurs sous l’égide de Mark Graham de
l’université d’Oxford a travaillé sur cette question. Une de
leurs recherches s’intéresse ainsi à la façon dont sont
représentées les grandes capitales du monde sur Google.
Ils montrent que les informations disponibles sur Google
relatives aux grandes capitales du Moyen-Orient, d’Afrique
et d’Asie du Sud-Est aboutissent sur des adresses internet
de sites qui sont domiciliés aux États-Unis ou en France
(Ballatore, Graham, Sen, 2017). Autrement dit, les
informations mises en avant par Google sur les capitales
de ces pays sont surtout produites aux États-Unis et en
France, ce qui éclaire les relations d’inégalité qui
structurent les processus dits de « globalisation » de
l’information à l’heure du numérique. Dans ces processus,
certains flux de nouvelles, produits par certains acteurs,
sont plus globalisés que d’autres.
Mark Graham s’est aussi intéressé à une plateforme d’un
tout autre ordre : Wikipedia. Avec Wikipedia, on est loin du
modèle commercial de Google. On est dans le cas d’une
plateforme collaborative, une plateforme qui à bien des
égards est emblématique des possibles qu’était censé
apporter le web. Wikipedia n’est pas un média traditionnel,
mais c’est quand même un lieu majeur à partir duquel on
produit de l’information sur le monde. Là aussi, l’étude des
notices de Wikipedia, à laquelle procède Mark Graham,
met en avant des phénomènes de géographie inégale de
l’information internationale. Il montre par exemple que la
géographie des contributeurs de Wikipedia est largement
concentrée sur les pays de l’Amérique du Nord et
d’Europe, et que ceux-là tendent à enrichir des notices sur
ces pays, beaucoup moins sur le reste du monde. En
comparaison, il y a très peu de contributeurs dans les
Suds et aussi peu de contenus sur les Suds (Graham,
2014). Ces différents éléments invitent donc à nuancer
l’idée que le numérique accélère la globalisation de
l’information. Bien sûr que ces technologies contribuent à
la circulation accélérée de l’information sur le monde.
Mais, ce sont des processus qui sont marqués par des
relations d’inégalité, certaines parties du monde étant
mieux couvertes que d’autres : cela renvoie à des
inégalités qui sont fort anciennes, que reproduit le
numérique.
Il faut aussi prendre en compte une autre génération de
gatekeepers, les réseaux socio-numériques. Là, il est
difficile de se prononcer parce qu’on a peu d’études sur la
géographie de l’information disponible sur Facebook, par
exemple. Quelques éléments néanmoins nous permettent
de faire le lien avec ce qu’on a dit précédemment. Premier
élément : on sait que les informations qui circulent le
mieux sur Facebook, ce sont des informations drôles,
sensationnalistes, qui sortent de l’ordinaire, aux formats
très courts. Il n’est pas certain dans ce contexte que la
plateforme offre un support idoine pour parler de façon
complexe du monde. Mais, il y a pire. Ce que l’on sait
aussi, et cela a été confirmé par les documents internes
de Facebook qui ont été révélés par Frances Haugen
fin 2021, est que cette plateforme dispose d’un réseau de
fact-checkers très inégalement réparti sur la planète. Il est
largement concentré en Amérique du Nord et en Europe. Il
y a donc des pays entiers, des langues pour lesquelles ce
réseau de fact-checkers n’est pas en état d’opérer son
travail de modération des contenus et des informations en
ligne…
Je dresse ici un tableau un peu noir de la situation.
Néanmoins, il existe bien des exemples où les outils du
numérique ont été mobilisés justement pour dénoncer ces
déséquilibres dans la représentation du monde. L’un des
exemples les plus célèbres est une campagne organisée
en 2012 par des Kényans sur Twitter pour critiquer la
mauvaise représentation de leur pays, donnée par CNN.
Suite à la diffusion d’un reportage caricatural sur le Kenya,
des Kényans se sont mobilisés sur Twitter pour dénoncer
ce type de représentation de leur pays, obligeant CNN à
faire des excuses. Cet exemple nous alerte également sur
un autre point essentiel, à savoir que cette campagne a
été organisée par des usagers de Twitter au Kenya
appartenant à une certaine élite socio-
économique et culturelle du pays. Certaines catégories
sociales sont évidemment beaucoup plus en mesure de
bénéficier des ressources qu’offrent les différents outils
numériques pour s’informer sur le monde. En ce sens,
l’expansion du numérique a accéléré la globalisation de
l’information, mais elle n’a pas été accélérée de la même
façon pour toutes les populations, qu’elles soient situées
au Sud ou au Nord du monde.
V. D. — Donc, là, vous soulignez bien qu’il y a finalement
un redoublement d’une hiérarchie déjà préexistante
avant internet. Hiérarchie entre les grands médias et
ceux qui sont nés sur le web. Vous remarquez aussi
qu’à l’intérieur même de ces inégalités
géographiques, une des composantes de l’ordre
mondial de l’information dénoncée déjà dans le milieu
des années 1970, il y a également à l’intérieur des
pays du Nord et du Sud un gap entre ceux qui
savaient utiliser ces outils socio-numériques et les
autres, pour accéder aux centres d’information
internationale globalisée et mondialisée. Ces
phénomènes de domination déjà préexistants ne font
qu’être redoublés par la transition numérique. Est-ce
qu’il y aurait des mouvements, certes minoritaires
ayant émergé ? Peut-être ces mouvements
extrêmement minoritaires, fragiles et dispersés
composent aussi notre vision de l’information globale
et concurrencent, en quelque sorte, idéologiquement
cette représentation d’un monde massifiée et dominée
par des grands groupes de médias et les grandes
agences qui correspondent aussi à une hégémonie de
quelques grandes puissances en la matière ?
T. M. — Oui, il y a des initiatives passionnantes, comme
Global Voices. En 2005, Ethan Zuckerman, avec Rebecca
MacKinnon qui a beaucoup travaillé pour CNN en Chine et
qui a démissionné parce qu’elle ne pouvait plus y faire son
travail convenablement, créent un agrégateur de blogs,
Global Voices. De manière intéressante, ils partent de la
critique de la couverture de l’information internationale par
les médias traditionnels américains. Ils entendent, pour
pallier celle-ci, exploiter la richesse des contenus de blogs
qui existent en Asie, en Amérique latine, en Afrique…, et
la rendre plus visible. Le problème du web c’est ça aussi :
c’est l’abondance de contenus et la lutte pour que certains
contenus obtiennent un peu plus de visibilité. Donc, ils
créent un agrégateur de blogs qui sélectionne des
informations venues des blogs des quatre coins de la
planète, qu’un réseau de traducteurs bénévoles rend
disponibles à plus grande échelle. Pour qui veut avoir
accès à une autre vision de l’international, Global Voices
est un outil précieux. Mais, Ethan Zuckerman, lui-même,
dit que cette initiative n’a pas réussi à résoudre les
problèmes structurels auxquels est confrontée
l’information internationale.

V. D. — Alors, passons à une autre question importante à


savoir si l’essor des médias d’information en ligne a
accru, ou non, des usages stratégiques de
l’information, considérés comme un soft power ?
T. M. — Là aussi, il faut souligner le fait que l’usage qui est
fait des outils en ligne par des États pour accéder à des
audiences à l’étranger à des fins d’influence s’inscrit dans
une longue histoire. On pense évidemment aux émissions
d’information de la Voix de l’Amérique, de Radio Free
Europe, de Radio Liberty, de la BBC ou de Radio France
Internationale diffusant à l’Est du rideau de fer. On pense
aussi aux émissions d’information de la télévision
internationale de la BBC, de TV5, de France 24, de la
Deutsche Welle TV diffusant aux quatre coins du monde.
Donc, ces médias diffusaient et diffusent encore, par leurs
informations, des visions du monde telles que vues par
Washington, Londres, Paris ou Berlin, mais aussi, à
destination des pays autoritaires, des informations
susceptibles d’enrichir le fil de nouvelles auprès de
populations soumises à des politiques locales de censure.
Ce qui est intéressant, est que, pendant longtemps, ces
médias publics internationaux occidentaux ont diffusé
d’Ouest en Est, du Nord au Sud, sans trop s’inquiéter des
émissions en retour des pays vers lesquels elles
diffusaient. Puis, les choses ont commencé à changer
dans les années 1990. En 1996, est créée la chaîne Al
Jazeera qui est une chaîne arabophone au départ qui
contourne les censures nationales des pays arabes, mais
qui développera aussi très vite un discours critique à
l’égard de ses confrères occidentaux, notamment à l’égard
de la façon dont ceux-ci couvrent un certain nombre de
crises qui traversent l’espace arabo-musulman. Puis, Al
Jazeera ira plus loin : elle crée en 2006 une chaîne en
anglais, Al Jazeera English, qui a explicitement pour
vocation de concurrencer les grandes télévisions
anglophones comme CNN ou BBC. De même faut-il
rappeler la création par Moscou de Russia Today (RT)
en 2005. De son côté, la Chine, à partir des années 2000,
commence, elle aussi, à lancer des chaînes à l’intention
de téléspectateurs occidentaux, en anglais d’abord, mais
aussi en espagnol, en français et bientôt dans d’autres
langues.
Ce qui est important ici, pour revenir à votre question,
c’est que les réseaux socio-numériques ont
considérablement favorisé le développement de ces
chaînes. C’est notamment le cas pour Al Jazeera, mais
aussi pour Russia Today ou pour Sputnik. L’exemple d’Al
Jazeera est éloquent : le groupe Al Jazeera a eu toutes
les peines du monde à s’imposer aux États-Unis. La
télévision Al Jazeera English s’est heurtée l’hostilité de
câblo-opérateurs américains qui, pour la plupart, ont
refusé de l’intégrer à leur offre commerciale de bouquets
de chaînes. Néanmoins, Al Jazeera a réussi, grâce à son
site web anglophone, aljazeera.com, à se bâtir une
audience non négligeable dans ce pays, notamment par
sa couverture du « printemps arabe ». À la suite de cela,
le groupe a essayé de s’implanter aux États-Unis en y
créant en 2013, une chaîne spécifique pour le territoire
américain, Al Jazeera America, mais celle-ci ne trouvera
pas son public.
Il est donc difficile de prendre pied aux États-Unis via la
télévision, mais, dans l’intervalle, en 2014, le groupe Al
Jazeera crée une chaîne de vidéo en anglais AJ+,
exclusivement réservée aux réseaux socio-numériques ou
aux applications mobiles. Grâce à cette déclinaison en
ligne, Al Jazeera touche plus largement des publics en
Amérique du Nord, mieux qu’avec ses tentatives
télévisuelles. Les outils offerts par les réseaux socio-
numériques permettent à AJ+ de cibler de façon beaucoup
plus fine les publics auxquels elle s’adresse, qui sont plus
jeunes et plus réceptifs au discours qu’elle développe : un
discours progressiste, féministe, de revendication des
droits pour les minorités. Un discours qu’elle ne pourrait
évidemment pas tenir au Qatar.
L’autre exemple est Russia Today : sa rédactrice en chef
Margarita Simonian ne cache pas le fait que YouTube,
Twitter et Facebook constituent des éléments clés de la
croissance de sa chaîne. En d’autres termes, elle n’aurait
pas réussi, sans ces plateformes américaines, à avoir les
audiences qu’elle a aujourd’hui. Il est à cet égard
intéressant de voir des acteurs russes comme RT et
Sputnik, instruments d’une diplomatie en rivalité avec les
États-Unis, utiliser les plateformes américaines pour porter
leur message internationalement.
Évidemment, les autres grands médias publics
internationaux, notamment occidentaux, utilisent
également l’infrastructure qu’offrent les réseaux socio-
numériques pour davantage diffuser leurs informations
aux quatre coins du monde. Pour eux aussi, l’objectif est
de toucher notamment des publics plus jeunes grâce aux
outils mis à disposition.
Alors, à côté de ces dispositifs déclarés et ouverts
d’influence informationnelle, il y en a d’autres qui sont plus
masqués : les outils numériques, là aussi, sont précieux.
Le meilleur exemple en est peut-être l’Internet Research
Agency, basée dans les faubourgs de Saint-Pétersbourg,
financée par un proche de Vladimir Poutine. Elle s’est fait
connaître mondialement lors des élections américaines de
2016, ses employés étant chargés de créer de fausses
pages d’informations sur les réseaux socio-numériques
pour attiser les divisions au sein du public des États-Unis.
Donc, à la question posée : « Est-ce que l’essor des
médias d’informations en ligne a accru les usages
stratégiques de l’information ? », la réponse est oui. Cela
a accru ces usages parce que les réseaux socio-
numériques fournissent une infrastructure de diffusion et
des outils de ciblage inespérés. Mais, attention, encore
faut-il ajouter que ces stratégies d’influence
informationnelle en ligne s’inscrivent dans une longue
histoire. On l’a déjà dit pour les pratiques ouvertes
d’influence informationnelle. Il faut le redire pour les
pratiques davantage couvertes. Du temps de l’URSS, le
KGB avait créé une section spéciale, chargée des
opérations de désinformation, dans le cadre de laquelle
étaient fabriquées des accusations contre tel ou tel
gouvernement étranger. L’objectif était de faire en sorte
que ces accusations inventées soient reprises par tel ou
tel titre d’information pour, ensuite, lui donner plus d’écho,
à une échelle mondiale. Il est indéniable que les réseaux
socio-numériques ont offert à ces fort anciennes pratiques
de désinformation de nouveaux outils qui démultiplient leur
portée.

Pour en savoir plus


• Ballatore A., Graham M., Sen S., « Digital hegemonies: The
localness of search engine results », Annals of the American
Association of Geographers, vol. 107, n° 5, 2017, p. 1194-1215.
• Graham M., « Internet geographies: Data shadows and digital
division of labor », dans Graham M., Dutton W. H. (ed), Society
and the Internet: How Networks of Information and
Communication are Changing our Lives, Oxford University
Press, Oxford, 2014, p. 99-116.
• Hamilton J. M., Jenner E., « The new foreign correspondence »,
Foreign Affairs, septembre-octobre, 6 p. 2003. URL :
http://www.foreignaffairs.com/
articles/59194/john-maxwell-hamilton-eric-jenner/the-new-
foreign-
correspondence.
• Kayser J., Une semaine dans le monde. Étude comparée de 17
grands quotidiens pendant sept jours, Unesco, Paris, 1953.
• Mattelart T., « Les enjeux de la circulation transnationale de
l’information : des agences de presse aux plateformes du
web », dans Koch O., Mattelart T. (dir.), Géopolitique des
télévisions transnationales d’information, Mare et Martin, Paris,
2016, p. 31-82.
• Paterson Ch., « News on the internet: Why more is less », The
International Journal of Communication Ethics, vol. 4, n° 1/2,
2007, p. 57-66.
PARTIE VIII
GUIDE PRATIQUE DE
L’ÉTUDIANT EN JOURNALISME
Chapitre 1
1 Se préparer aux concours
des écoles de journalisme

Julie Vayssière

Introduction

Petite histoire des écoles de journalisme

P
endant longtemps, une grande partie de la profession a
estimé que le journalisme ne pouvait s’apprendre que « sur
le tas » et exigeait un ensemble de compétences innées,
impossibles à acquérir sur les bancs d’une école, un « don »,
possédé uniquement par ceux « faits pour ce métier ». Cet idéal est
parfaitement incarné par le héros de Bel-Ami. Dans ce roman de
Maupassant, le personnage de Georges Duroy, un jeune provincial
ambitieux, se voit ouvrir les portes du journalisme sans avoir fait
d’études ou posséder une quelconque expérience du métier. À force
d’intrigues, il gravit les échelons jusqu’à devenir le rédacteur en chef
d’un grand quotidien.
Cette vision, bien ancrée au sein de la profession, est remise en
cause à la fin du XIXe siècle avec l’affaire Dreyfus. Celle-ci plonge le
pays dans une profonde crise politique et montre l’influence au sein
de la société française de la presse, devenue le relai des
affrontements entre les camps dreyfusard et antidreyfusard. C’est
dans ce contexte que l’École supérieure de journalisme de Paris voit
le jour. Créée en 1899 par l’écrivaine américaine Dick May, de son
vrai nom Jeanne Weill, elle est destinée moins à former des
professionnels de l’information qu’à fournir à la presse dreyfusarde
des journalistes aux idées républicaines, dotés d’un code
déontologique et d’une bonne culture académique.
L’initiative de Dick May n’est concurrencée qu’en 1924, avec la
création d’une autre École supérieure de journalisme, cette fois à
Lille. Née au sein des facultés catholiques, elle constitue selon le
sociologue Ivan Chupin la « riposte des catholiques » à l’école de
journalisme de Paris et aux idées du parti radical. Bénéficiant du
soutien de l’épiscopat, l’ESJ Lille forme des journalistes pour la
presse locale qui diffuse les idées politiques de l’Église. De ces deux
écoles, seule l’ESJ Lille est aujourd’hui reconnue par la profession.
Dans les années 1930, à l’instar de nombreuses professions, le
journalisme entame un mouvement de structuration. Deux syndicats,
le SNJ (Syndicat national des journalistes) et le SJF (Syndicat des
journalistes français, plus tard affilié à la CFDT) se battent pour le
monopole de la représentation, investissent les écoles et obtiennent
en 1935 la création d’un statut professionnel. Cependant, face aux
sceptiques de la « formation sur le tas », ces deux écoles peinent à
imposer leur modèle. À la Libération, le journaliste et ancien
résistant Philippe Viannay fonde, en 1946, le Centre de formation
des journalistes (CFJ), une école réunissant syndicats et patronat,
axée sur l’apprentissage pratique du métier. Il ouvre ainsi la voie à
une pédagogie proche de la formation « sur le tas ».
Puis, dès les années 1960, les écoles privées se confrontent à
une concurrence universitaire. À partir de là, les formations se
multiplient pour atteindre aujourd’hui près d’une centaine, entre
écoles établies, cursus universitaires et formations privées non
reconnues par la profession. Pour réguler cette offre de plus en plus
diverse, la CPNEJ (Commission paritaire nationale de l’emploi des
journalistes) est fondée en 1976, regroupant des représentants de
chaque syndicat représentatif des journalistes et un même nombre
de délégués patronaux. Créée à l’origine pour se préoccuper du
chômage et du reclassement des journalistes, elle s’impose dès les
années 1990 comme un organe de contrôle du marché de la
formation.
C’est cette instance professionnelle paritaire qui instruit les
demandes de reconnaissance de la profession, uniquement sur des
cursus en formation initiale délivrant un diplôme spécifique et agréés
par le ministère de l’Éducation nationale. Son label, réexaminé tous
les cinq ans, repose sur un ensemble de critères (équilibre entre
cours théoriques et pratiques professionnelles, insertion sur le
marché du travail, stages en entreprise…) reflétant les attentes
supposées de l’ensemble de la profession, et permettant d’exercer
dans tous les types de médias.

Quelques dates repères


■ 1899 : création de l’ESJ Paris.
■ 1924 : création de l’ESJ Lille.
■ 1936 : création de la Commission de la carte d’identité des
journalistes professionnels (CCIJP).
■ 1937 : 1re convention collective nationale de travail des
journalistes.
■ 1946 : Centre de formation des journalistes (CFJ) Paris.
■ 1956 : reconnaissance par la profession de l’ESJ Lille et du
CFJ de Paris.
■ 1958 : Centre universitaire d’enseignement du journalisme
(CUEJ, reconnu en 1968).
■ 1967 : IUT de Bordeaux (aujourd’hui IJBA, reconnu en 1981).
■ 1968 : IUT de Tours (aujourd’hui EPJT, reconnu en 1981).
■ 1976 : création de la CNPEJ, qui deviendra la CPNEJ
(Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes).
■ 1978 : Institut pratique du journalisme (IPJ, reconnu en 1991).
■ 1979 : parcours journalisme du Celsa (reconnu en 1981).
■ 1982 : École de journalisme et de communication de
Méditerranée (EJCM, plus tard EJCAM, reconnue en 1985).
■ 1990 : École de journalisme de Toulouse (reconnue en 2000).
■ 1996 : DUT journalisme de l’IUT de Lannion (reconnu
en 2004).
■ 2003 : École de journalisme de Cannes (reconnue en 2013).
■ 2004 : École de journalisme de Sciences Po Paris.
■ 2004 : reconnaissance du parcours journalisme de l’Institut
français de presse.

1re partie : Présentation des écoles


reconnues
Cette partie du guide pratique se concentre donc sur les écoles
dites « reconnues » par la profession. Au nombre de 14, elles sont
les plus sélectives et les plus convoitées du marché de la formation.
Trois d’entre elles se situent à Paris, et les autres sont réparties sur
l’ensemble du pays.

La « voie royale »
Face à un marché du travail de plus en plus exigeant, les écoles
de journalisme dites « reconnues » s’imposent de plus en plus
comme la « voie royale » d’entrée dans une profession au marché
très concurrentiel. Selon les chiffres de la CCIJP (Commission de la
carte d’identité des journalistes professionnels), en 2019, 20 % des
journalistes détenteurs de la carte de presse étaient issus d’un
cursus reconnu. Ils n’étaient que 12 % en 2000, et leur nombre n’a
fait qu’augmenter en près de 20 ans, alors que celui des journalistes
issus d’un cursus non reconnu a légèrement diminué.
Sur ce marché, les écoles de journalisme reconnues
revendiquent une offre de formation à la fois théorique et pratique,
une insertion professionnelle privilégiée, une durée de stage pour la
carte de presse réduite à un an, au lieu de deux pour les non-
diplômés, ce qui veut dire aussi une meilleure rémunération. Enfin,
un accès garanti à des bourses réservées aux écoles, facilitant aussi
l’insertion professionnelle. Et bien sûr, un réseau d’anciens en poste
dans de nombreux médias.
Les écoles reconnues ont accès aux médias qui recrutent par
concours, et pour pouvoir passer ces concours, il faut être étudiant
dans l’un des quatorze cursus. Dans la liste : la bourse Jean-
Baptiste Dumas de RTL, le prix Patrick Bourrat pour TF1-LCI, le prix
MoJo de M6, le défi BFM, le prix Bourrat de France Télévisions, la
bourse Lauga-Delmas d’Europe 1, la bourse René Payot des radios
francophones publiques, la bourse d’Arcy de France 2, le prix
Jacques Gaudet de L’Équipe.
Chaque année, nombreux sont les candidats aux écoles de
journalisme, et peu sont les lauréats, lesquels se confrontent ensuite
à la réalité du métier qui peut parfois être dure. À une époque où les
médias subissent toujours plus de concentration et embauchent peu
(un phénomène exacerbé par la pandémie de Covid-19), il est
parfois difficile de s’extraire d’un début de carrière précaire. Une
précarité qui repose sur des salaires bas pour les entrants. En 2019,
d’après l’Observatoire des métiers de la presse, les premiers
demandeurs de carte de presse étaient à près de 28 % en CDI,
23,1 % en CDD et 48,4 % pigistes. Avec un revenu mensuel brut
médian de 2 400 euros en CDI, 1 659 euros en CDD et 1 689 euros
en tant que pigiste. En 2019, d’après la CFDT, le prix moyen de la
pige en presse écrite est de 66,98 euros.
Dans le livre Hier journalistes, ils ont quitté la profession
(Entremises, 2021), Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat publient
les résultats pour le moins surprenants d’une enquête. La durée
moyenne des carrières de journalistes est de 15 ans, le nombre de
détenteurs de carte de presse a reculé de 10 % (un rythme qui a
doublé en 2020), et le sujet de discussion omniprésent au sein de la
profession concerne la question « pourquoi je quitte le
journalisme ? » L’ouvrage tire d’abord le portrait des personnes
impliquées et s’intéresse ensuite à la question du pourquoi.

Comment entre-t-on en école de


journalisme ?
Pour la plupart des écoles, l’admission se fait sur concours,
composé d’épreuves écrites et orales. Il n’existe pas de banque
commune, ce qui complique un peu la préparation, car chaque école
tient à ses propres modalités qui font aussi son identité. Pour
optimiser sa préparation, il importe également de cibler en amont les
écoles que vous souhaitez intégrer, car les passer toutes relève du
marathon, et il faut tenir la distance.
Le choix de certaines écoles de conserver des épreuves en
distanciel après 2020, prenant notamment la forme d’écrits à rédiger
sur une période de temps déterminée demande aux candidats moins
d’énergie et d’argent : plus besoin de courir aux quatre coins de
l’Hexagone, vous pouvez pour un nombre grandissant d’écoles vous
organiser depuis votre bureau. Pas d’épreuves communes donc,
mais des thématiques analogues qui nécessitent une très bonne
connaissance de l’actualité, une excellente culture générale et une
solide maîtrise de la langue française.
Avant la crise sanitaire, seuls l’école de journalisme de
Sciences Po Paris et le Centre de formation des journalistes optaient
pour l’admission sur dossier. L’argument ? « Ne plus passer à côté
des profils les plus créatifs », explique Julie Joly, la directrice du
CFJ. Un nombre croissant d’écoles privilégie également l’admission
sur dossier, un changement parfois dû au bouleversement de la
crise sanitaire. Nouveauté due également à la crise sanitaire : les
épreuves en distanciel ont quelque peu évolué : le traditionnel QCM
d’actualité laisse progressivement place à des épreuves plus
tournées vers le candidat, son projet professionnel et sa
connaissance des médias et du métier de journaliste, ce qui n’était
auparavant testé qu’à l’oral pour la plupart des établissements.

Qu’enseigne-t-on en école de journalisme ?


Pour respecter les exigences du marché de travail, les écoles
ont progressivement homogénéisé leurs enseignements, dans le
sillon tracé par le CFJ et sa toute première formation ancrée dans la
pratique.
Pour les écoles accessibles une fois la licence ou le niveau
licence validé, l’organisation du contenu est généralement la
suivante : un tronc commun en première année qui se conclut par
des semaines de stage, puis une spécialisation en deuxième année,
qui est souvent un choix entre radio, presse écrite/web et télévision.
Grâce aux partenariats avec les universités ou l’institut d’études
politiques (IEP) de référence, les étudiants étoffent aussi leurs
connaissances théoriques grâce à des cours généralistes
d’économie, ou qui ont trait au métier, comme l’histoire et la
sociologie des médias ou encore le droit de la presse.

Quels débouchés professionnels après


l’école ?
D’après l’Observatoire des métiers de la presse, en 2019, la
presse écrite reste la grande privilégiée : 52,6 % des nouveaux
titulaires de la carte de presse y travaillent. Ils sont 22,6 % dans le
secteur de la télévision, 9,7 % en radio et 11,5 % en agence de
presse. Toujours la même année, les nouveaux entrants sont pour la
plupart pigistes, pour 48,4 % d’entre eux, 28 % sont en CDI et
23,1 % d’entre eux sont en CDD.

Celsa – Sorbonne Université

Carte d’identité
■ Statut : École publique, interne à l’université Paris-Sorbonne.
■ Formation : Formation en deux ans, accessible sur concours à
Bac+3. Environ 30 places.
■ Diplôme délivré : Master professionnel.
■ Coût de la formation : 261,10 euros + frais de contribution à la vie
universitaire et de campus (CVEC) pour les non-boursiers.
■ Inscription au concours : 30 euros pour les candidats boursiers,
70 euros pour les candidats non-boursiers.
■ Alternance : 10 ou 15 places en deuxième année.
■ Stages : Deux mois obligatoires en presse quotidienne régionale
ou locale à la fin du premier semestre (février-mars) + deux mois
supplémentaires entre la première et la deuxième année (juin-
septembre) en presse, radio, TV ou web + stage de spécialisation
(sauf alternance) de minimum trois mois en fin de deuxième
année.
■ Contact :
77 rue de Villiers
92200 Neuilly-sur-Seine
Téléphone : 01 46 43 76 76

L’école
Le Celsa fait partie de la Sorbonne et offre une formation en
deux ans avec son Master Journalisme ouvert aux étudiants ayant
validé 180 ECTS. Celui-ci offre une formation généraliste la première
année, et une spécialisation la deuxième année. Le Celsa offre
également la possibilité d’un apprentissage en deuxième année de
master intitulé « Journalisme et innovation », qu’il n’est possible de
suivre qu’après avoir suivi la première année du Master Journalisme.
En deuxième année, le Celsa propose toujours des cours
généralistes, et le développement d’une « bi compétence » :
radio/podcast, presse/web, TV/vidéo.

Les modalités d’admission


Après la crise sanitaire, le Celsa a décidé de conserver ses
épreuves d’admissibilité en ligne, car d’après Valérie Jeanne-Perrier,
responsable de l’école de journalisme : « On s’est rendu compte qu’il
y a eu d’abord un afflux supplémentaire de candidats. Et ensuite, je
pense que c’est aussi un enjeu de diversité parce que personne ne
met de frein, il n’y a plus d’autocensure. Et les frais liés au concours
disparaissant, plus de candidats peuvent essayer. »
Après le dépôt d’un dossier administratif sur la plateforme de la
CEJ (Conférence des écoles de journalisme :
https://concoursjournalisme.fr/), la procédure d’admission débute en
ligne par quatre épreuves bien distinctes, à réaliser sur une période
donnée :
1. sur 6 points, un dossier de synthèse portant sur un thème
d’actualité ;
2. sur 6 points, un essai sur un thème portant sur le
journalisme ;
3. sur 6 points, une épreuve de créativité ;
4. sur 2 points, un dépôt de productions personnelles réalisées
au cours de l’année.

Le dossier de synthèse
Celui-ci se compose de plusieurs documents portant sur un
thème d’actualité. Quelles sont les attentes pour ce dossier ? « On
attend une expression claire, une capacité à percevoir le dossier
dans son entièreté », explique Valérie Jeanne-Perrier. « La difficulté
réside dans le fait de réussir à traduire la totalité d’un sujet sans rien
mettre de côté. »

L’essai sur un thème portant sur le journalisme


Cette épreuve du Celsa a été inaugurée en 2021 avec pour
sujet : « rédiger un essai sur une grande figure du journalisme »,
avec pour but de faire réfléchir les candidats sur le métier de
journaliste. Certains choix étaient donc attendus, comme Albert
Londres et Joseph Kessel. L’occasion de se démarquer se présente
ici, en choisissant une réponse hors du commun. « Nous avons eu
des pépites d’originalité très marquantes : des portraits très précis
de journalistes localiers que les étudiants ont rencontrés, et de ce
que le candidat a pu découvrir à travers l’expérience de ce localier
ou cette localière. On obtient quelque chose de très personnel. »
Avec une grande vigilance sur la grammaire et l’orthographe, cela va
sans dire.

L’épreuve de créativité
À partir d’un document iconographique, c’est l’occasion de se
« lâcher » dans l’écriture, tout en restant vigilant sur la grammaire et
l’orthographe. Cette épreuve permet de sortir des sentiers battus des
exercices journalistiques, plus cadrés, et de laisser libre cours à sa
plume.

Le dépôt de productions personnelles


Chaque candidat devra déposer une ou plusieurs productions
personnelles, accompagnées d’une petite notice de présentation. Il
s’agit là de montrer des écrits personnels pouvant témoigner de
compétences journalistiques. « On ne demande pas un reportage
ficelé. On a pu remarquer que même sur Instagram, certains
candidats réussissent à produire des synthèses d’information. »
Pour apprécier le dossier dans sa cohérence, la notation peut
être pondérée : les candidats peuvent ajouter ou retirer des points
dans la notation sur 20 au regard de l’ensemble du dossier.
Le Celsa ne met pas d’annales librement à disposition sur son
site internet, mais propose une préparation – payante – basée sur
lesdites annales.

CFJ Paris – Centre de formation


des journalistes

Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier + concours
(50 places).
■ Diplôme : Bac+5 + possibilité d’un Master en partenariat avec
l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne ou Master Datajournalisme
en partenariat avec Sciences Po Lyon.
■ Coût de la formation : 6 790 euros pour les candidats non-
boursiers, 2 750 euros pour les boursiers.
■ Inscription au concours : 299 euros.
■ Alternance : Sur deux ans ou en deuxième année.
■ Stages : Deux à trois mois en presse quotidienne régionale à
l’issue de la première année (juin-septembre) + au moins deux
stages de spécialisation d’une à quatre semaines en fin de
deuxième année. L’étudiant peut également effectuer d’autres
stages lors de sa scolarité en respectant une durée totale de
26 semaines maximum (stages obligatoires compris).
■ Contact :
210 rue du Faubourg Saint-Antoine
75012 Paris
Téléphone : 01 44 09 42 02

L’école
Le CFJ a la particularité de proposer des cursus différents à ses
étudiants, par le biais de doubles diplômes. Ainsi ses jeunes recrues
peuvent choisir d’effectuer un master universitaire en partenariat
avec l’UFR de science politique de l’Université Paris I Panthéon-
Sorbonne ou un master en Datajournalisme avec Sciences Po Lyon.
Un troisième partenariat avec l’École nationale supérieure (ENS)
permet aux étudiants qui le souhaitent de suivre des cours de
langues dites rares. D’autres accords sont également en cours avec
Google, HEC, l’ESCP, l’ISIT ou l’Université de Laval au Québec.
En 2016, le CFJ lance son école pluridisciplinaire W, qui
propose plusieurs formations liées aux métiers de l’information et de
la communication, notamment des classes préparatoires aux
différents concours des 14 écoles, et un Bachelor en trois ans à
l’instar de l’Académie de l’ESJ Lille. Les étudiants inscrits à ce
Bachelor peuvent ensuite prétendre directement aux épreuves
d’admission orales du CFJ, sans se soumettre à l’admissibilité sur
dossier.

Les modalités d’admission


Le Centre de formation des journalistes a abandonné ses
épreuves d’admissibilité écrite dès 2018, soit bien avant la pandémie
de coronavirus. La sélection sur dossier permet à l’école de choisir
différemment ses étudiants par « moins de bachotage », et favorise
une meilleure diversité, estime-t-elle. Auparavant, « les membres
des jurys, après avoir dû écarter trop de candidats égarés,
repartaient avec le sentiment que d’autres profils, plus en phase
avec les ambitions de l’école, n’avaient pu passer le cap des
épreuves d’admissibilité, en particulier les fameux QCM », explique
le CFJ sur son site internet.
Le dossier d’admissibilité consiste en une série de questions sur
le parcours personnel du candidat, sa motivation, sa personnalité. Il
contient par ailleurs une épreuve de « collecte d’informations et
rédaction », ainsi qu’une épreuve de « connaissance de l’actualité et
créativité ». Lors de la première, le candidat est invité à rédiger, en
moins de 3 000 signes, les travaux préparatoires qu’il a effectués sur
un sujet donné, l’angle choisi ainsi qu’une synthèse des informations
récoltées. Dans la seconde, il devra écrire un texte sur un sujet
donné en 4 500 signes, « non journalistique mais vraisemblable »,
afin d’évaluer ses compétences rédactionnelles, son appréhension
de l’actualité et sa culture générale.
S’il est admissible, le candidat devra alors passer dans un
deuxième temps par les épreuves d’admission. Contrairement à la
plupart des écoles, le CFJ a fait le choix de conserver ses épreuves
d’admission malgré la pandémie. Elles sont au nombre de cinq et
s’échelonnent sur deux jours. En présentiel, la première journée
commence par une épreuve de français, qui consiste à corriger des
textes et à répondre à des questions. Puis, le candidat devra
effectuer un reportage sur un sujet tiré au sort, et écrire un article. La
deuxième journée regroupe les trois épreuves suivantes :
soutenance du reportage en quinze minutes, durant laquelle le
candidat doit expliquer ses intentions et proposer des pistes
d’amélioration en changeant les conditions (si vous aviez plus de
temps, si vous étiez à l’étranger), un oral de motivation de vingt
minutes se basant sur le dossier, devant la direction des études et
des journalistes en exercice, l’oral d’actualité comprenant une
question longue avec une discussion, le tout en dix minutes, quatre
ou cinq questions courtes et une question en anglais.
CUEJ – Centre universitaire
d’enseignement du journalisme
de Strasbourg

Carte d’identité
■ Statut : Cursus universitaire, rattaché à l’université de Strasbourg.
■ Formation : Formation en deux ans, accessible sur concours à
Bac+3. Entre 50 et 60 places.
■ Diplôme délivré : Master professionnel de journalisme.
■ Coût de la formation : 243 euros + frais CVEC pour les non-
boursiers (frais universitaires en vigueur au niveau master).
■ Inscription au concours : 91 euros.
■ Alternance : Possible en deux ans ou seulement en deuxième
année.
■ Stages : Huit semaines obligatoires en presse quotidienne
régionale entre la 1re et la 2e année.
■ Contact :
Université de Strasbourg | Bâtiment l’Escarpe
4 rue Blaise Pascal 67081
Strasbourg Cedex
contact@cuej.unistra.fr

L’école
La première année est une formation « généraliste et
plurimedia » et permet d’approfondir sa culture générale dans des
domaines jugés indispensables au journalisme (économie, droit de
la presse, etc.). Les enseignements techniques ont pour but les
fondamentaux du métier : rechercher, traiter et éditer l’information.
En deuxième année, des spécialisations thématiques et média sont
au programme : Europe et international, police/justice et questions
de société, et radio, presse écrite et télévision, ancrées dans le
multimédia. L’école fait la part belle à l’Union européenne, rien
d’étonnant vu sa localisation. Chaque année, le CUEJ délocalise la
fin de son cursus à l’étranger et emmène ses étudiants dans un
autre pays pour de nombreuses productions diffusées par la suite,
même si ce projet a été interrompu pendant la crise sanitaire.
L’école offre aussi un double diplôme franco-allemand avec
l’Université de Fribourg, aux élèves qui maîtrisent la langue
allemande. À l’issue du cursus, ils sont diplômés des deux
universités.

Les modalités d’admission


L’inscription au concours se fait sur la plateforme de la CEJ
(dossier commun avec le Celsa, l’EJCAM et l’IPJ) au mois de mars.
« Il ne faut pas négliger le CV et la lettre de motivation, qui sont des
critères déterminants pour réussir le concours », rappelle Christophe
Deleu, le directeur du CUEJ. « C’est la base sur laquelle nous
faisons la première sélection. »
Les candidats sélectionnés pendant la première phase accèdent
ensuite à deux épreuves écrites, à réaliser à distance entre avril et
mai :
■ Une épreuve de description : cette épreuve s’appuie sur une
photo. « On ne vise pas la créativité, mais plutôt la précision,
un vocabulaire et une belle écriture », précise Christophe
Deleu.
■ Une épreuve d’explication de l’actualité : « elle nécessite
évidemment de suivre l’actualité », au moins au cours des six
derniers mois. « Il ne s’agit pas de restituer une information
apprise par cœur mais d’être capable de la contextualiser,
d’en mentionner les enjeux et les acteurs. »
À l’issue de cette phase écrite, les étudiants sélectionnés sont
convoqués pour une épreuve orale, mélangeant culture générale,
actualité et motivation. Cet oral « nous permet de déterminer si nous
imaginons journaliste la personne devant nous. » Pour entrer au
CUEJ, pas besoin d’avoir fait de stage, mais d’un projet
professionnel déjà réfléchi. « On évalue l’inscription de ce projet
dans la réalité », explique Christophe Deleu. « Certaines
mythologies se sont développées dans le milieu du journalisme, par
exemple la figure très idéalisée du reporter de guerre, donc on
essaye aussi de mesurer l’écart entre les projections des candidats
et la réalité. » Pour la partie actualité et culture générale, attendez-
vous à des questions avec un certain degré de précision sur
l’actualité des six derniers mois. Sans surprise pour une école
tournée vers l’Union européenne, anticipez de potentielles questions
sur le fonctionnement des institutions françaises et européennes.

EDC – École de journalisme de Cannes


(IUT Journalisme Nice-Côte d’Azur)

Carte d’identité
■ Statut : École publique (universitaire).
■ Formation : Formation en trois ans, accessible après un Bac
général ou technologique.
■ Diplôme délivré : Bachelor universitaire de technologie en
information et communication option journalisme.
■ Coût de la formation : 170 euros + frais CVEC pour les non-
boursiers.
■ Inscription au concours : gratuite, sur parcoursup.fr.
■ Alternance : Non.
■ Stages : 22 à 26 semaines sur trois ans.
■ Contact :
Campus universitaire George Méliès sur le site de Bastide Rouge
214, avenue Francis Tonner
06150 Cannes-La-Bocca
iut.dept-infocom.journalisme@univ-cotedazur.fr
Téléphone : 04 89 15 33 03

L’école
L’école de journalisme de Cannes, créée en 2013, dépend de
l’IUT Nice-Côte d’Azur (Université de Nice Sophia Antipolis). Son
département Information-Communication offre deux parcours, dont
un parcours journalisme.
L’école délivre désormais un BUT, un Bachelor universitaire de
technologie qui comprend 22 à 26 semaines de cours, réparties sur
trois ans. La formation offre des cours théoriques, des ateliers
pratiques, et même des semaines d’intensive (radio, presse écrite-
web et télévision).
L’école propose aussi une licence professionnelle Métiers de
l’information : métiers du journalisme et de la presse, dont le but est
« de former les étudiants à l’écriture audiovisuelle de l’actualité sur le
plan de la rédaction/conception du sujet, mais aussi sur le plan de la
maîtrise technique de la réalisation et de la diffusion. » Cette licence
propose une spécialisation dans l’audiovisuel, elle prépare ainsi aux
métiers de journaliste reporter d’images, journaliste rédacteur, et au
MoJo (mobil journalism) à partir de smartphones, pour les
télévisions, le web et les sociétés de production audiovisuelle.

Les modalités d’admission


L’inscription en BUT Information Communication option
Journalisme se fait directement sur la plateforme Parcoursup. Si le
dossier du candidat est retenu, s’ensuit une soutenance orale de son
dossier et de son projet.

L’École de journalisme de Grenoble (EJdG)

Carte d’identité
■ Statut : Partenariat public/privé entre l’Université de Grenoble
Alpes et Sciences Po Grenoble.
■ Formation : Deux ans, accessible à Bac+3.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : 1 300 € par an pour les deux diplômes,
gratuit pour les boursiers.
■ Inscription au concours : 50 euros.
■ Alternance : Non.
■ Stages : Deux mois en fin de première année (dont au moins
4 semaines en presse quotidienne régionale), trois mois en fin de
deuxième année + possibilité d’obtenir des conventions pour les
autres périodes de vacances scolaires.
■ Contact :
École de journalisme de Grenoble
Institut de la communication et des médias
11 avenue du 8 mai 1945
38130 Échirolles
contact@ejdg.fr
Téléphone : 04 56 52 87 30

L’école
L’École de journalisme de Grenoble dépend à la fois de
l’Université de Grenoble et de Sciences Po Grenoble. À l’issue des
deux années de formation, l’étudiant reçoit un diplôme de l’école et
un diplôme de Sciences Po. L’école est aussi engagée pour l’égalité
des chances car elle soutient La Chance, pour la diversité dans les
médias.
Le cursus propose des enseignements à la fois théoriques et
pratiques sur le journalisme. Les étudiants se spécialisent en
deuxième année, en radio, presse écrite et agence, et télévision.
D’après l’école, le journalisme est fondé sur l’éthique de
l’enquête qui nécessite l’apprentissage de techniques
d’investigation, d’une déontologie du journalisme et de mises en
situation professionnelle avec les stages.

Les modalités d’admission


Dossier d’admissibilité :
■ Les relevés de notes de licence.
■ Un curriculum vitæ.
■ Un document sur le parcours académique : une première
partie chronologique pour témoigner des temps forts de sa
formation, ainsi que tous les relevés de notes depuis le début
des études supérieures.
■ Une lettre de recommandation.
■ Un document intitulé « projet professionnel » contenant le
parcours académique (et venant ainsi justifier la cohérence de
la démarche), les activités extra-journalistiques (engagement
associatif, par exemple), le domaine d’information privilégié
dans le projet et les éléments de connaissance du métier
(productions personnelles, stages, etc.), noté sur 20.
■ Un exercice de rédaction, pour évaluer les compétences
journalistiques. En 2021 et 2022, il s’agissait de faire le
portrait d’un inconnu. Celui-ci devait être accompagné d’un
court texte expliquant le choix de la personne. Les deux
textes étaient notés sur 20 également.
Les candidats admissibles sont ensuite convoqués pour un oral
portant sur la motivation, puis une mise en situation professionnelle,
et enfin un échange en langue étrangère, en anglais, allemand ou
espagnol.

EJCAM – École de journalisme et de


communication d’Aix-Marseille

Carte d’identité
■ Statut : École publique interne à Aix-Marseille Université.
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours
(30 places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais d’inscription à l’université 243 €
+ frais CVEC.
■ Inscription au concours : 76 euros.
■ Alternance : Possibilité d’alternance en deux ans par contrat de
professionnalisation (une dizaine de places).
■ Stages : Au moins huit semaines par année.
■ Contact :
École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille
21, rue Virgile Marron CS 80 071
13392 Marseille Cedex 05
Téléphone : 04 91 24 32 00
L’école
Le Master en journalisme proposé par l’EJCAM est l’une des
plus petites promotions parmi les 14 écoles reconnues avec une
vingtaine d’étudiants seulement, ce qui permet de travailler en
groupes réduits comparés à des promotions de 50 ou 60 étudiants. Il
se déroule en deux années, un master 1 généraliste lors duquel les
étudiants découvrent l’ensemble des pratiques journalistiques et se
familiarisent avec leurs techniques, puis une seconde année basée
sur une double spécialisation : en plus de la presse écrite, chaque
étudiant choisit une spécialité (audiovisuel ou web). Ces cours
pratiques sont adossés à un corpus théorique et universitaire, l’école
étant intégrée à Aix-Marseille Université. Il est en outre possible pour
les étudiants de l’EJCAM de poursuivre des études après leur
master, notamment via un Doctorat « Mutations du journalisme et
environnements médiatiques » au sein de l’Institut méditerranéen
des Sciences de l’Information et de la Communication (ISMIC).

Les modalités d’admission


Comme nombre d’autres écoles, l’EJCAM s’est adaptée à la
pandémie de coronavirus en supprimant ses épreuves d’admissions
(exit sa célèbre dictée) et soumet désormais ses candidats à une
admissibilité sur dossier. Celui-ci comprend un CV détaillé, une lettre
de motivation, un texte de 2 000 signes présentant la vision que
l’étudiant a de son parcours professionnel à la sortie de l’école, puis
après cinq ans, dix ans, vingt ans, etc.
Dans un second temps, l’oral d’admission se fait soit à distance
soit en présentiel en fonction de la situation sanitaire, et consiste en
un oral de motivation d’environ une demi-heure lors duquel le
candidat est invité à répondre à des questions sur son parcours, son
projet professionnel, ses centres d’intérêt, mais également sur
l’actualité et la profession de journaliste.
École de journalisme de Sciences Po Paris

Carte d’identité
■ Statut : École privée (interne à Sciences Po Paris).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier (environ 50
places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : entre 0 et 18 260 € selon le revenu
référence du foyer fiscal, droit moyen de 6 750 €. Engagement de
30 % de boursiers exonérés de droits d’inscription.
■ Inscription au concours : 150 € (possibilité d’exonération pour les
boursiers).
■ Alternance : Oui pour le Master Journalisme (en deuxième année
ou sur les deux ans), non pour le Master Journalisme et affaires
internationales.
■ Stages : 16 semaines minimum.
■ Contact :
École de journalisme de Sciences Po | 3e étage
117, boulevard Saint Germain
75006 Paris
ecole.journalisme@sciencespo.fr
Téléphone : 01 45 49 83 07

L’école
Par son ancrage dans l’institut d’études politiques, l’identité de
l’école est tournée vers l’international. Un tiers des étudiants vient de
l’étranger. En plus de son Master Journalisme, l’école propose
également un Master Journalisme et affaires internationales, mais
aussi un double master avec l’Université de Columbia, aux États-
Unis.
Un sondage réalisé sur les promotions de 2005 à 2020
démontre que 98 % de ses anciens étudiants travaillent à la sortie
de l’école, dont 55 % en CDI. « La formation académique de
Sciences Po nécessite que les élèves soient en capacité de suivre
des cours niveau master en économie, en géopolitique etc. Par
rapport à d’autres écoles qui sont surtout professionnalisantes, notre
parcours généraliste sur les enjeux de demain est assez important »,
explique Alice Antheaume, la directrice de l’école.
Créée en 2003, l’école est également très tournée vers le
numérique. Si vous êtes intéressé par les algorithmes ou
l’intelligence artificielle, ce cursus est fait pour vous. « Pour produire
des contenus sur des formats numériques, mais pour comprendre
aussi les enjeux autour du numérique, les dilemmes moraux qui le
traversent. Il faut aussi avoir envie de développer un carnet
d’adresses dans ce domaine. »

Les modalités d’admission


L’École de journalisme de Sciences Po Paris a opté pour une
procédure d’accès sur dossier. Il existe trois procédures différentes :
celle pour les étudiants internationaux, celle pour les élèves de
Sciences Po Paris (ils vont directement à l’oral et représentent un
tiers de l’effectif final) et celle, nationale, pour les candidats étudiant
en France.
Chaque dossier est examiné par deux correcteurs et un
troisième passage est fait lorsqu’il y a une trop grande différence
entre les deux notes. Le fond est évalué. Pour le dossier scolaire :
quelles notes obtenues avant la candidature ? Est-ce qu’il y a des
défaillances ? Si oui, il faudra se préparer à argumenter sur ce point.
Les commentaires des enseignants sont aussi examinés, et deux
lettres de recommandation sont demandées : une du point de vue
académique et une autre du point de vue scolaire, pour évaluer la
capacité du candidat à suivre un enseignement académique de
niveau master.
Enfin, les activités extra-curriculaires sont examinées.
Engagements associatifs, productions réalisées sur son temps
libre… Car il existe une section dans le dossier dans laquelle
l’étudiant peut mettre des liens vers ses propres productions, mais
de manière facultative. Même chose pour les stages, si vous en
avez déjà fait avant votre candidature, mentionnez-les. Ne pas avoir
fait de stages n’est pas éliminatoire. L’école prend des étudiants qui
n’en ont pas fait, à condition que leur projet soit cohérent.
« Beaucoup de candidats sélectionnés n’ont jamais fait de stages en
journalisme. En revanche, ils ont parfois créé un compte Instagram
avec un positionnement éditorial intéressant. Ce qui nous intéresse
ce qu’ils aient fait quelque chose à leur échelle, avec une tentative
de s’adresser à une audience, même si elle est petite, pour essayer
de s’interroger sur différents sujets. »
Dans la globalité du dossier, la capacité à argumenter ainsi que
l’écriture sont évaluées. Faites attention à la langue.
Si votre dossier est retenu, vous passerez ensuite un oral d’une
trentaine de minutes. Vous serez interrogé(e) sur différents aspects :
■ La cohérence entre votre dossier de candidature écrit et ce
que vous dites à l’oral.
■ Des simulations de situations professionnelles pour évaluer
votre comportement. Par exemple : « Vous apprenez que telle
actu est tombée ce matin, vous travaillez pour tel média, que
faites-vous ? »
Un angle journalistique sur un thème précis peut vous être
demandé :
■ Si vous parlez longuement d’un domaine qui vous est familier,
comme la culture, le jury vous entraînera vers un autre terrain
(l’économie par exemple) pour voir si vous êtes capable de
sortir de votre zone de confort.
■ Comment vous vous projetez dans quelques années.
■ Des questions d’actualité : des petites questions mais aussi
des questions plus importantes pour voir si le candidat a
compris les enjeux d’un thème précis, sur lequel il ne peut se
permettre de faire l’impasse. En 2022, la vaccination et la
présidentielle étaient incontournables : « Donc les candidats
ne peuvent se permettre de ne pas savoir comment
fonctionnent les institutions françaises, mais aussi le
fonctionnement parlementaire ou le type de suffrage pour
cette élection », prévient la directrice exécutive Alice
Antheaume.

EJT – École de journalisme de Toulouse

Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans et demi, admission sur concours à Bac+2
ou Bac + deux ans d’expérience professionnelle.
■ Diplôme : Diplôme de l’EJT reconnu par la profession.
■ Coût de la formation : 4 250 euros en première et en deuxième
année, 3 000 euros en troisième année.
■ Inscription au concours : 100 euros.
■ Alternance : En deux ans (pendant la deuxième et la troisième
année).
■ Stages : Deux à trois mois en presse quotidienne régionale à
l’issue de la première année (juin-septembre) + deux mois en fin
de deuxième année + deux mois en fin de troisième année.
■ Contact :
École de journalisme de Toulouse (EjT)
31, rue de la Fonderie
31000 Toulouse
infos@ejtprod.fr
Téléphone : 05 62 26 54 19

L’école
Le rythme des enseignements de l’école de Journalisme de
Toulouse diffère quelque peu de celui de ses consœurs. La
formation, sur trois ans, a lieu les deux premières années d’octobre
à mai, et d’octobre à décembre la troisième année. L’école souhaite
ainsi laisser à ses étudiants du temps pour des stages, ainsi qu’aux
bourses et prix auxquels ils peuvent prétendre. Pendant ce cursus,
les étudiants bénéficient d’un renforcement de la culture générale
grâce à des cours thématiques, d’une découverte des médias
jusqu’à la spécialisation après un tronc commun radio et télévision,
en plus de l’écriture presse et web en dernière année.
À la place du semestre de spécialisation, les étudiants titulaires
d’une licence ou d’une première année de master en droit
poursuivent à Aix-en-Provence la formation au Master professionnel
de Journalisme juridique, dispensée par la Faculté de Droit et de
Science politique de l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III.

Les modalités d’admission


Le candidat est jugé sur la base d’un dossier comportant les
quatre épreuves suivantes à envoyer via la plateforme dédiée :
■ Article sur un sujet de votre choix (en 3 000 signes).
■ Les différents groupes de presse viennent de publier leurs
résultats annuels. Écrivez un article pour commenter les
tendances. 3 000 signes espaces compris hors titre et titraille.
Possibilité d’insérer une ou deux photos.
■ Vous citerez trois personnalités françaises et trois
personnalités étrangères qui vous ont marqué positivement
depuis 1950. Vous justifierez votre choix pour chacune en
400 signes.
■ Un autoportrait vidéo de d’une minute trente au format mp4.
À Toulouse, tous les candidats ayant remis un dossier complet
sont invités à passer les épreuves orales. Ces dernières sont
désormais limitées à deux entretiens oraux (à distance) : un oral
« de motivation » (actualité, culture générale et langue française
sont susceptibles d’être questionnées) ainsi qu’une épreuve de
langue (anglais, allemand ou espagnol).

EPJT – École publique de journalisme de


Tours

Carte d’identité
■ Statut : École publique (rattachée à l’Université et à l’IUT de
Tours).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours
(36 places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais universitaires, 243 euros par an
+ frais CVEC.
■ Inscription au concours : Gratuite pour les boursiers, 30 euros
pour les non-boursiers.
■ Alternance : Possible en deuxième année.
■ Stages : 16 à 22 semaines, dont 8 semaines obligatoires en
presse quotidienne régionale en fin de première année.
■ Contact :
École publique de journalisme de Tours
IUT de Tours
29, rue du Pont-Volant
37082 Tours
contact@epjt.fr
Téléphone : 02 47 36 75 72

L’école
L’EPJT offre une formation en deux ans, avec un master à la
clé. En première année, la formation s’organise autour d’un tronc
commun généraliste jusqu’au début de la deuxième année. Ensuite,
en M2, les étudiants se spécialisent en radio, presse print/web ou
télévision et suivent l’un des parcours suivants :
■ Éducation aux médias et à l’information (EMI).
■ Journalisme et Coopération internationale.
■ Journalisme en Scène.
■ Journalisme et Territoires.
■ Débats et Conférences.
■ Journalisme et alimentation.
L’école propose aussi un DU (diplôme universitaire) en
Journalisme Web Multimédia, chaque année, de mars à juin
(informations d’inscription à compter de septembre sur EPJT.fr).

Les modalités d’admission


En 2019, l’école publique de journalisme de Tours a décidé de
remplacer ses épreuves écrites d’admissibilité par un recrutement
sur dossier. Un dossier administratif est à déposer sur la plateforme
commune de la CEJ (Conférence des écoles de journalisme.) ainsi
que d’autres pièces, comme des productions personnelles.
Si le dossier du candidat est retenu, s’ensuit un entretien de
motivation à l’oral, au cours duquel l’étudiant devra défendre son
projet sans idéaliser le métier. « On a déjà eu des dossiers très
stéréotypés qui nous ont interpelés, donc il faut éviter les poncifs
comme « J’ai toujours voulu être journaliste », explique Laurent
Bigot, le directeur de l’école.

ESJ Lille – École supérieure de journalisme


de Lille

Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier.
■ Diplôme : Diplôme de l’ESJ Lille et diplôme de Sciences Po Lille
(conférant le grade de Master).
■ Coût de la formation : Entre 0 et 7 000 euros par an selon le
revenu fiscal du foyer de référence.
■ Inscription au concours : 275 euros.
■ Alternance : Possible en deuxième année.
■ Stages : Deux mois en presse quotidienne régionale à l’issue de la
première année (juin-août) + deux mois en fin de deuxième année.
■ Contact :
École supérieure de journalisme de Lille
50 rue Gauthier-de-Châtillon
59046 Lille Cedex
contact@esj-lille.com
Téléphone : 03 20 30 44 00

L’école
Créée en 1924, l’ESJ Lille est, parmi les 14 écoles, la plus
ancienne. Le partenariat avec l’Institut d’études politiques de Lille
permet aux étudiants de sortir de l’école avec un double diplôme,
l’un délivré par l’ESJ, l’autre par Sciences Po Lille. Grâce à cet
accord entre les deux institutions, la formation est à la fois théorique
(cours d’histoire et de sociologie du journalisme, session de
déontologie…) et pratique. En plus des cours techniques, une
semaine de création de médias est programmée, ou encore des
projets personnels ou collectifs à moyen terme, comme le média Lui
président, qui existe depuis la présidence de François Hollande
(https://www.luipresident.fr/) ou la newsletter des médias « La
Média’tech ».
En plus de son master généraliste, l’ESJ compte d’autres
filières :
■ Une formation journalisme scientifique (filière intégrée dès
l’année prochaine au master généraliste, les études dureront
deux années au lieu d’une).
■ Une licence professionnelle de journalisme de proximité PHR
(presse hebdomadaire régionale).
■ Une licence professionnelle de journalisme sportif.
■ Un M2 à distance « Climat et médias ».
L’ESJ Lille possède aussi son propre dispositif d’initiation au
journalisme post-bac, « l’Académie ESJ ». Cette formation est en
partenariat avec l’Université de Lille et permet, lors des deux
premières années, de s’initier au métier de journaliste et au monde
des médias. La troisième année est une année de préparation des
concours aux écoles. Les étudiants suivent un cursus universitaire et
ont, en plus, dix heures de formation à l’ESJ Lille par semaine.

Les modalités d’admission


Après la crise sanitaire, qui a obligé les écoles à bouleverser
l’organisation des épreuves et les modalités de concours, l’ESJ Lille
a décidé en 2022 de conserver une procédure d’admissibilité à
distance. Comme d’autres écoles, l’ESJ a décidé de laisser de côté
ses épreuves écrites pour une sélection sur dossier, suivie d’un
entretien de motivation. Le dossier doit contenir un CV, une lettre de
motivation ainsi que des informations sur le niveau de langue et des
pièces concrètes qui viennent enrichir la candidature (des articles
rédigés pendant un stage, des sons, etc.).
D’après l’école, les étudiants auront une semaine pour
« répondre à des questions en lien avec leur parcours universitaire,
leur envie de rejoindre l’ESJ Lille et la profession de journaliste. »
D’après Corinne Vanmerris, directrice des études de l’ESJ Lille, « On
cherchera toujours à en savoir plus sur la personnalité du candidat
et globalement sur sa compréhension de l’actualité et du monde des
médias. » Cette nouvelle forme de sélection se concentre davantage
sur les candidats, même si la culture générale, l’actualité ou le
français restent des thématiques évaluées en filigrane. L’écriture
d’un dossier nécessite de soigner la langue, et de montrer un attrait
certain pour ce qu’il se passe dans le monde.
On doit aussi à l’ESJ Lille la création de la prépa Égalité des
chances, en partenariat avec le Bondy Blog.

IFP – Institut français de presse (Université-


Panthéon-Assas)

Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Paris-Panthéon-Assas).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais universitaires 243 euros par an + frais
CVEC.
■ Inscription au concours : 18 euros.
■ Apprentissage : Possible en deuxième année.
■ Contact :
Université Paris-Panthéon-Assas
Institut français de presse (IFP) Journalisme
92 rue d’Assas
Bâtiment Notre-Dame-des-Champs | 2e étage
75006 Paris
https://ifp.u-paris2.fr
Téléphone : 01 44 41 57 63

L’école
L’Institut français de presse fait partie du département
d’Information et Communication de l’Université Paris-Panthéon-
Assas, qui propose de nombreuses formations. Le parcours en
Journalisme propose en deux ans une formation partagée entre
enseignements généraux et pratiques la première année, et une
spécialisation en deuxième année. En M2, les étudiants suivent
toujours un tronc commun et doivent choisir en plus une majeure et
une mineure parmi les spécialisations presse, radio ou télévision.
L’enseignement « web » est obligatoire pour tout le monde.

Les modalités d’admission


L’admission se passe en deux temps : une sélection sur dossier
de janvier à mars, puis un oral de motivation en juin.
Les exigences du dossier de sélection sont nombreuses et à la
fois théoriques et pratiques. Celui-ci se compose des résultats
scolaires et universitaires du candidat, d’une ou plusieurs
attestations de stage en journalisme, d’un autoportrait, d’un travail
de préparation à un reportage fictif (synopsis) et d’un court travail
d’écriture. En 2022, le thème était le suivant : « Mon smartphone »,
et l’énoncé se focalisait sur votre créativité, votre sens de la
narration et votre style, tout ceci en 1 500 signes.
Pour la somme de 20 euros, l’IFP met à disposition des
étudiants les annales des cinq dernières années ainsi que des
recommandations de préparation : https://ifp.u-
paris2.fr/fr/formations/offre-de-formation/master-
information-communication-parcours-journalisme

IJBA – Institut de journalisme de Bordeaux


Aquitaine

Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Bordeaux Montaigne).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : 243 euros par an + frais CVEC 92 euros
(remboursement pour les boursiers).
■ Inscription au concours : 75 euros pour les non-boursiers.
■ Alternance : Sur deux ans ou en deuxième année.
■ Stages : Deux mois en presse quotidienne régionale à l’issue de la
première année (juin-août) + deux mois en fin de deuxième année.
■ Contact :
Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine
1 rue Jacques Ellul
33080 Bordeaux Cedex
journalisme@ijba.u-bordeaux-montaigne.fr
Téléphone : 05 57 12 20 20 – 05 57 12 20 21

L’école
Depuis 2006, l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)
fait partie de l’université Bordeaux Montaigne. En première année,
un solide apport théorique sur le journalisme (histoire, éthique, etc.)
est délivré et l’accent est mis sur le multimédia. Les étudiants
participent également à la conception de projets publiés dès la
première année, comme le Data Journalism Lab, projet de
journalisme data au service de l’investigation à toutes les échelles.
Comme dans beaucoup d’écoles maintenant, les étudiants sont
formés au MoJo, le Mobil Journalism impliquant de la vidéo et du
montage à partir d’un simple smartphone.
En deuxième année, les étudiants choisissent une spécialisation
(presse écrite, radio ou télévision), avec une possibilité d’alternance.
Au bout de ces deux de formation, un Master de Journalisme de
l’Université Bordeaux Montaigne est délivré aux étudiants.
L’IJBA soutient également l’association La Chance, pour la
diversité dans les médias.

Les modalités d’admission


Pendant et après la crise sanitaire, l’IJBA a décidé de maintenir
des épreuves écrites (mais à distance). Il faut d’abord remplir et
déposer un dossier administratif sur la plateforme APOFLUX
https://apoflux.u-bordeaux-montaigne.fr/etudiant/, avant d’accéder
aux épreuves au mois d’avril. Les candidats bénéficient ensuite de
trois semaines pour plancher.
En 2021, les épreuves étaient les suivantes :
■ Un autoportrait
L’exercice est à la fois de parler de vous et de s’adonner à
l’exercice du portrait, en brossant le vôtre, pour allier
éléments personnels et compétences journalistiques.
■ Un projet professionnel
Cette épreuve prend la forme d’un entretien d’embauche avec
le rédacteur ou la rédactrice en chef d’un média et vous
devez imaginer les questions et les réponses de cet entretien
imaginaire.
■ Le sens de l’enquête
À partir d’un énoncé, l’étudiant doit concevoir un synopsis
d’enquête pour le média de son choix et préciser quel média,
quel format, quels interlocuteurs, quelles sources, etc. Un
synopsis est demandé, et non pas un texte, et ce projet doit
bien évidemment être cohérent avec le média choisi. Ne
proposez pas un documentaire de 52 minutes au média
Loopsider, qui fait des vidéos avec un format plutôt court.
■ Connaissance de l’actualité et écriture
Dans cette épreuve, il faut rédiger, en 2 000 signes maximum,
un texte sur un thème d’actualité. Les thèmes d’actualité sont
des énoncés que vous avez déjà rencontrés au cours de
votre préparation, si vous êtes assidu. Par exemple, en 2021,
le thème – très attendu – portait sur la vaccination. Le jury
attend donc que vous répondiez en situant le sujet dans le
temps. La campagne de vaccination contre le Covid n’en était
pas au même point en mai qu’en septembre, par exemple.
Cette épreuve exige aussi que le texte soit un article
journalistique, respectant le principe du titre, du chapô, de
l’accroche, de la chute et des intertitres, éventuellement.
■ Écriture et créativité journalistique
Cette épreuve peut en déstabiliser plus d’un. Elle demande
de rédiger un court texte, dont le candidat choisit le style et la
forme (poème, lettre, billet d’humeur, etc.), à partir de thèmes
proposés. Pour exemple, l’un des thèmes en 2021 était
« L’essentiel ». C’est le moment de laisser libre cours à votre
plume, sans aucun cadrage à part celui du soin de la langue.
■ Connaissance des médias
En 1 500 signes, à partir d’une liste de médias très divers
(allant de Fakir à Radio Vinci Autoroutes), le candidat doit
choisir un lieu de stage, le justifier, et expliquer ce qu’il peut
lui-même apporter. En bref, une courte lettre de motivation,
comme vous en avez peut-être déjà rédigé, et qui demande
un minimum de connaissances sur le média choisi, pour
éviter la lettre trop générique. Cette épreuve nécessite de
connaître le paysage actuel des médias. C’est l’occasion lors
de votre année de préparation d’élargir votre horizon de
lecture et de visionnage. N’hésitez pas à sortir du cadre des
médias « mainstream ».
En 2019, avant la crise sanitaire, les épreuves étaient
organisées ainsi :
■ projet d’enquête ;
■ épreuve de français ;
■ épreuve de visionnage ;
■ questionnaire d’actualité et de culture générale.
Pour dix euros, le site de l’IJBA propose un accès aux trois
dernières années de concours, sujets et corrigés compris. Ce petit
manuel contient également toutes les informations concernant le
Master de Journalisme.
Un conseil de préparation de l’école : « Lisez très sérieusement
la presse quotidienne dans les trois à six mois qui précèdent
l’examen. Cultivez-vous sur les pays et les sujets qui font les
Unes. »

IPJ – Institut pratique du journalisme


(Université Paris Dauphine)

Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Paris Dauphine-PSL).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier + concours.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Entre 243 et 6 630 euros par an (en
fonction du revenu du foyer fiscal de référence).
■ Inscription au concours : 256 euros pour les non-boursiers.
■ Alternance : Possible sur deux ans.
■ Contact :
Institut pratique du journalisme (OPJ) Paris Dauphine | PSL
24, rue Saint-Georges
75009 Paris
contact@ipj.eu
Téléphone : 01 72 74 80 00

L’école
Reconnu par la profession depuis 1993, l’Institut pratique du
journalisme (IPJ) est un département de l’Université Paris Dauphine.
La première année fait la part belle aux fondamentaux des genres
journalistiques et de l’écriture audiovisuelle. Les étudiants acquièrent
un socle solide en économie, en data journalisme et apprennent les
techniques de l’enquête. En deuxième année, il existe trois parcours
différents : journalisme économique et social, journalisme politique et
social et journalisme international européen. Différentes options de
spécialisations se présentent en deuxième année : télévision, radio,
écritures digitales et de l’enquête. L’école met l’accent sur le
journalisme économique et scientifique via différentes passerelles
avec l’université et le groupe de grandes écoles Paris Sciences et
Lettres (PSL).

Les modalités d’admission


Depuis 2020, à cause de la crise sanitaire, l’IPJ fait évoluer ses
modalités de concours, avec désormais une première phase de
recrutement sur dossier. Celui-ci doit permettre de « comprendre la
cohérence du parcours, l’engagement du/de la candidat·e (sportif,
associatif, personnel…), son rapport aux études et au travail »,
d’après l’école. Dans le dossier doivent figurer un CV anonyme, le
parcours académique/universitaire, les stages journalistiques
éventuels et des informations sur les activités personnelles et/ou
associatives. Accompagnant ce dossier, deux vidéos de présentation
du candidat, qui répondent aux questions suivantes : « Parlez-nous
de vous », « Pensez-vous que vous feriez, vous, un bon
journaliste ? »
À cela s’ajoute un travail de rédaction de trois textes, pour tester
la plume du candidat, sa capacité à construire un texte cohérent et
ordonné. En 2021, les énoncés étaient les suivants :

Un premier texte de 1 500 signes sur le sujet : « Nous


sommes en 2031. Vous travaillez dans un média qui n’existe
pas aujourd’hui. Décrivez ce média et dites-nous ce que
vous faites ».
Un deuxième texte de 1 500 signes pour faire le portrait
d’une personne « inconnue des médias », quelqu’un que
vous avez peut-être même déjà rencontré, et qui mérite
selon vous un portrait. En expliquant le lien existant entre
cette personne et vous, il faut que vous fassiez montre de
capacités rédactionnelles et journalistiques dans un discours
cohérent.
Un dernier texte de 3 000 signes qui correspond à un
synopsis, c’est-à-dire une proposition détaillée de
reportages sur un sujet donné et pour un public précis après
tirage au sort parmi six thèmes et six publics possibles.
En 2021, la sélection comptait par exemple les thèmes
« Naissance », « Surveillance », « Déchets », et entre
autres les publics « Personnes intéressées par les nouvelles
technologies », « Personnes résidant dans des communes
rurales. »

L’objectif étant d’évaluer votre capacité à prendre en compte les


attentes d’un lectorat imaginaire, à préciser le traitement du sujet
tant au niveau du fond que du temps (pourquoi maintenant ?), des
précisions sur les recherches préparatoires ainsi que sur les
interlocuteurs, les questions éventuellement posées et le terrain de
reportage.
Comme beaucoup d’autres, l’école s’adapte à la pandémie de
Covid-19 et doit abandonner ses traditionnelles épreuves orales
d’admission (motivation, actualité, langue étrangère et rédaction
collective) et propose désormais un seul entretien à distance. Il
prend la forme d’un oral dit « de motivation » somme toute assez
classique. Le candidat devra y décrire son parcours, ses centres
d’intérêt, ses éventuels engagements et activités annexes, sa vision
du métier, des crises qu’il traverse et pourra également être
interrogé sur l’actualité ou le traitement médiatique d’un sujet.
L’école parisienne précise toutefois son attachement à l’épreuve de
rédaction collective et espère la rétablir le plus rapidement possible.

IUT de Lannion

Carte d’identité
■ Statut : École publique (Institut universitaire de technologie de
Lannion).
■ Formation : Trois ans, accessible après un Bac général ou
technologique sur parcoursup.fr.
■ Diplôme : Bachelor universitaire de technologie (BUT).
■ Coût de la formation : 170 euros par an + frais CVEC.
■ Stages : Quatre semaines obligatoires minimum en presse
quotidienne ou hebdomadaire régionale en première année
+ possibilité de faire des stages pendant les vacances scolaires
(d’une durée au maximum de deux semaines pour les stages non
rémunérés).
■ Contact :
BUT Information-Communication parcours Journalisme
Institut universitaire de technologie de Lannion
Rue Édouard Branly
22300 Lannion
nathalie.jezequel@univ-rennes1.fr
Téléphone : 02 96 46 93 81

L’école
La formation, dispensée en trois ans, contient cours magistraux,
travaux dirigés et travaux pratiques. Des semaines entières sont
dédiées à la pratique radiophonique et télévisuelle, alliant
connaissances théoriques et enseignements pratiques. D’abord des
sujets courts, puis des reportages et des productions plus longues et
plus travaillées. Des semaines d’intensive en fin de deuxième année
permettent de se spécialiser en radio, télé, print ou web.

Les modalités d’admission


L’inscription se fait par le biais de Parcoursup. Un dossier doit
être remis par le lycéen, avec ses résultats scolaires, son projet
professionnel, et les démarches déjà effectuées pour mettre ce
projet sur les rails, comme de la correspondance de presse ou des
contacts avec d’autres journalistes. Il est indispensable que l’élève
ait déjà muri un minimum son projet et connaisse l’offre de formation
du BUT afin de montrer la compatibilité entre les deux.
Les dossiers sélectionnés sont ensuite invités à passer à la
phase d’admission. Lors d’un entretien oral, le jury vise
particulièrement le projet de l’élève, sa motivation, sa connaissance
des médias et de ce que le BUT de Lannion peut lui apporter ; ne
faites pas l’impasse sur la plaquette de présentation.
Le site de l’IUT de Lannion propose aussi une vidéo de « portes
ouvertes » en ligne, afin de vous expliquer tout le fonctionnement du
cursus ainsi que les contenus des enseignements et divers temps
forts de la formation.

2e partie : Se préparer aux concours

I. Contre le manque de diversité, deux


prépas
L’accès au métier et la formation sont souvent pointés du doigt
comme les raisons principales d’un manque de diversité dans les
rédactions. Celles-ci embauchent en grande majorité des
journalistes issus d’écoles dont l’accès par concours entretient des
inégalités sociales. Et cette question du « manque de diversité »
dans les rédactions se pose depuis longtemps. Une lente prise de
conscience a amené deux écoles, le CFJ de Paris et l’ESJ Lille, à
mettre en place deux dispositifs pour plus de diversité dans les
écoles reconnues, et donc, dans les rédactions. Même si les
étudiants boursiers ou venant de familles issues d’une minorité ou
de milieux défavorisés restent moins présents que les étudiants
issus de milieux sociaux favorisés.

La prépa Égalité des chances (ESJ Lille)


En 2009, l’ESJ Lille et le Bondy Blog (un pure player créé après
les révoltes de 2005 dans les banlieues) ont décidé de lancer cette
préparation à destination de 25 boursiers et boursières : « jeunes
boursier(ière)s issu(e)s ou non des quartiers prioritaires, en
troisième année de licence à l’université ou plus, de toutes origines,
avec un bon dossier scolaire et universitaire et issus de familles à
revenus modestes », d’après la plaquette de présentation.
La formation est entièrement gratuite, et les frais d’inscription
aux concours et les trajets sont pris en charge par l’ESJ Lille. La
formation s’organise en 30 semaines : deux en présentiel, 26 en
distanciel. L’étudiant inscrit bénéficie d’un entraînement aux
épreuves écrites et orales, de concours blancs, d’un suivi quotidien
de l’actualité, d’une remise à niveau en français et d’un tutorat par
un journaliste professionnel. Elle garantit aussi l’accès à un réseau
d’anciens qui conseillent volontiers les étudiants de la promotion en
cours.
Pour y accéder, il faut : être boursier sur critères sociaux,
résider en France métropolitaine l’année d’inscription à la
préparation, et être titulaire du bac et inscrit en licence 3 minimum.
Lors d’un entretien de sélection, le jury évalue les critères sociaux
(échelon de bourse, si le candidat est issu d’un quartier prioritaire ou
non…) les critères académiques (résultats universitaires…), la
motivation professionnelle (connaissance du métier, prises de
contact ou rencontres avec des journalistes professionnels), et la
capacité à préparer les concours (l’étudiant doit préparer les
concours en plus de son année d’étude).
La prépa Égalité des chances revendique 60 à 85 % de réussite
aux concours. Si vous réunissez les conditions, n’hésitez pas à vous
inscrire. Toutes les informations sont disponibles sur le site de la
prépa : https://esj-lille.fr/formation/prepa-egalite-des-chances.

La Chance, pour la diversité dans les médias


(CFJ)
Ce dispositif, créé sous le nom « La Chance aux concours », a
été fondé en 2007 par de jeunes diplômés du CFJ, après avoir été
confronté à l’absence de diversité dans les rédactions. Aujourd’hui,
l’association compte 400 journalistes, qui viennent en aide à 80
étudiants à Paris et dans les pôles régionaux de Bordeaux,
Grenoble, Rennes, Toulouse, Marseille et Strasbourg.
La formation dure entre sept et huit mois, de novembre à juin.
L’étudiant bénéficie de nombreux exercices de préparation :
méthodologie des épreuves des concours, exercices journalistiques,
tests d’actualité, de français, de culture générale… Chaque étudiant
reçoit aussi un suivi personnalisé par tuteur journaliste
professionnel. L’ensemble de la formation est gratuit et l’association
prend en charge les frais d’hôtellerie et de déplacement liés aux
concours.
D’après l’association, 100 % des étudiants sont boursiers ou en
situation de handicap. Un tiers des boursiers sont entre les échelons
7 et 10. La Chance revendique également un taux d’insertion
professionnelle parmi ses anciens de plus de 75 %.
Toutes les informations sont disponibles sur le site de La
Chance (dont une foire aux questions très détaillée) :
https://www.lachance.media/la-prepa/

II. Préparer son dossier


Après Sciences Po Paris, qui a été la première école à
échanger les épreuves écrites pour une admissibilité sur dossier,
d’autres écoles ont adopté la même posture, pour un dossier dont le
contenu est propre à chaque école.
Cette étape n’est surtout pas à négliger, car elle ouvre la voie
soit aux épreuves écrites d’admissibilité, soit à l’oral. En effet, le jury
de l’oral de motivation aura pour support votre CV et votre lettre de
motivation, que vous aurez écrits quelques semaines, voire
quelques mois auparavant, et ceux-ci donnent le ton de l’oral et la
couleur des questions que le jury vous posera en premier. Un
dossier préparé consciencieusement aura donc un effet favorable
sur le jury. Après un oral, il peut être revu et faire pencher la balance
en votre faveur, il est donc fortement conseillé de ne pas le
considérer comme une simple tâche administrative, mais comme le
premier pas sur le chemin qui mène aux écoles.
Le dossier est tout aussi important. D’autant plus que,
désormais, certaines écoles ont décidé de supprimer les épreuves
écrites pour les remplacer par un dossier d’admissibilité. Impossible
de rédiger un même dossier pour tous les cursus : chaque école a
ses critères, ses questions et ses exercices bien à elle. Deux cas de
figure : soit le dossier d’admissibilité ouvre la porte pour les oraux
d’admission, soit il constitue une première étape vers des épreuves
d’admissibilité en ligne.
Pourquoi est-il important de préparer un bon dossier ? « Quand
on voit un candidat arriver à l’oral, si on a un bon dossier auquel se
référer, c’est beaucoup plus facile de l’interroger à l’oral. Ça facilite
l’oral qui va suivre », explique Pierre Savary, directeur de l’ESJ Lille.
Vous vous en doutez, rédiger un seul dossier, une seule et
même lettre de motivation pour toutes les écoles est une très
mauvaise idée. « On cherche des étudiants qui ont vraiment réfléchi
à ce que notre école peut leur apporter, pas des étudiants qui ont fait
des copiés-collés d’autres dossiers. On attend un niveau d’écriture
et d’argumentation assez élevé vu le temps qu’on laisse pour murir
sa candidature. » Inutile de réciter la plaquette de présentation, il
s’agit plutôt d’expliquer ce qui, dans une ou plusieurs écoles,
correspond à votre projet. Il ne faut donc pas oublier de parler de
soi, et ne pas se contenter de citer les cursus proposés. Est-ce que
le projet professionnel du candidat colle avec la formation qu’il
demande ?
Dans une logique de concours et pas d’examen, l’important
n’est pas d’avoir la moyenne mais de « faire la différence. » Mais
qu’est-ce que ça signifie, au juste ? Déjà, sortir des poncifs éculés. À
bannir, les expressions toutes faites et peu concrètes comme « J’ai
toujours voulu être journaliste », « je veux être journaliste parce que
j’aime écrire », « je veux être journaliste parce que je suis curieux ».
Voilà le genre de choses que le jury entend souvent lors de la phase
d’admission, année après année. La phrase la plus citée par les
correcteurs car la plus entendue lors des oraux ? Le classique : « Je
veux devenir correspondant de guerre. »
« On n’est pas fermés à des envies d’être correspondant de
guerre. Mais on va interroger cette volonté, pour voir si elle relève du
fantasme ou si elle est ancrée dans quelque chose de concret. Est-
ce qu’elle repose sur quelque chose d’autre que l’envie de
voyager ? », explique Laurent Bigot, directeur de l’EPJT. « J’ai déjà
eu en entretien un candidat parisien qui prétendait vouloir être
reporter de guerre, qui était en stage dans un média pendant toute la
période « Gilets jaunes », mais qui n’était jamais descendu dans une
manif et ne s’était jamais rendu sur un rond-point ! »

Écrire son CV
Le curriculum vitæ est LE document sur lequel le jury va se
fonder pour l’oral de motivation. Au CUEJ, le CV et la lettre de
motivation constituent même une première étape d’écrémage avant
les épreuves d’admissibilité en ligne, ces documents sont donc
cruciaux.
Dans le CV, vous inscrivez des éléments qui vont susciter la
curiosité du jury, donc sur lesquels vous serez questionné et pourrez
rebondir. Excluez ce que vous n’arriveriez pas à valoriser le jour de
l’oral. Que voulez-vous que le jury retienne à votre sujet, en
parcourant votre CV ? Ne négligez aucune section : parcours
académique, expériences professionnelles, activités extra-
curriculaires, engagement associatif ou politique. Une réorientation,
ou même une reconversion jalonne votre histoire ? Soyez prêt à
argumenter : ce qui peut sembler être une erreur de parcours peut
jouer en votre faveur et devenir une force. Attention, tout ce que
vous mettez dans votre CV doit pouvoir être justifié.
Il n’y a pas de CV tout fait, ni de réponse toute faite. N’oubliez
pas aussi que le contenu de votre CV et la manière dont vous
présentez les choses doivent en être en cohérence avec votre future
profession de journaliste. Vous avez dû travailler lors de vos études :
qu’est-ce que cela dit de vous ? Vous êtes encarté dans un parti ou
vous êtes engagé dans une association : comment allez-vous en
parler au jury ?
Pas de CV à rallonge : votre parcours doit tenir sur une page.
Soyez à la fois concis et précis, votre CV doit être lisible et aéré. Le
but n’est pas de tout mettre, mais d’inscrire le plus important et ce
qui est en adéquation avec votre personnalité.

Stage ou pas stage ?


L’absence de stage dans le journalisme est-elle rédhibitoire sur
un CV ? La réponse est non, pour la plupart des écoles. Seul
Sciences Po Paris demande une lettre de recommandation
professionnelle, difficile à obtenir dans le domaine du journalisme
sans stage. « Il est vrai que des stages peuvent être une preuve du
réalisme professionnel du projet du candidat, reconnaît Christophe
Deleu, directeur du CUEJ. Mais comme peuvent l’être la
correspondance de presse, des rencontres avec des journalistes, la
lecture de livres de journalistes retraçant leur expérience, ou alors
des citations de journalistes modèles. » Pas de panique, l’absence
de stage n’est pas éliminatoire et peut-être contournée par tous les
moyens cités par Christophe Deleu. Les stages sont toutefois
recommandés, explique David Straus : « On ne valorise pas le stage
en tant que tel, mais ce serait mentir que quelqu’un qui a déjà fait
deux mois de stage n’est pas avantagé. »

Sur la forme
Pas besoin d’être ultra-créatif ou original, mais la forme compte
car c’est ce qui attire ou non notre attention au premier coup d’œil.
Soyez sobre dans la mise en page. Utilisez des rubriques :
« parcours académique », « expériences professionnelles »,
« engagement associatif ou politique », « loisirs », etc., organisées
de manière cohérente et aérée. N’abusez pas des icônes et bullets
points. Soyez intransigeant sur l’orthographe et toute sorte de faute,
ne multipliez pas les styles typographiques au risque de polluer la
lecture de votre CV.
Faites lire et relire votre CV, afin de vous assurer qu’il n’y ait
pas de faute de ponctuation, d’orthographe et/ou de syntaxe.
Entraînez-vous à présenter votre CV et votre parcours à vos
proches. Que ressentent-ils à la première lecture ? Quelle image de
vous le document donne-t-il ? Quelles sont les premières
informations qui s’en dégagent ? Sont-elles bien celles que vous
voulez faire passer en premier ? Ne laissez rien de côté.

Rédiger sa lettre de motivation


La lettre de motivation est un exercice périlleux, qui pèche chez
un grand nombre de candidats. Il s’agit de mettre en valeur ses
capacités et ses compétences, tout en ne paraissant pas arrogant,
ce qui rend la tâche compliquée. Mais quelques conseils très
simples peuvent vous permettre de rédiger une lettre dynamique tout
en vous mettant en valeur.
1. Ne vous attardez pas sur l’histoire de l’école pour laquelle
vous écrivez, le destinataire la connaît déjà par cœur, parlez
plutôt d’un ou deux point(s) précis qui fait (font) pencher la
balance vers cette école : une session en particulier dans le
cursus, un projet collectif, etc. mais ne récitez pas la
plaquette en entier.
2. N’oubliez pas que certaines écoles proposent plusieurs
cursus. Soyez précis quant à la formation, expliquez pourquoi
vous visez tel ou tel parcours et pas un autre, tout comme
vous vous adresseriez à un service en particulier et pas à
toute la rédaction si vous demandiez un stage dans un
média.
3. Parlez de vous. Dès le début de la lettre, présentez-vous,
racontez qui vous êtes, ce que vous aimez faire, ce que vous
savez faire et ce que vous avez tiré d’expériences
antérieures (pas forcément dans le journalisme, d’ailleurs).
N’oubliez pas de mettre en avant vos points forts. Certes,
vous n’avez peut-être jamais fait de stage et vous vous
présentez aux concours d’entrée en école de journalisme
pour la première fois, mais vous avez forcément un ou
plusieurs aspects de vous à faire valoir : que pourriez-vous
apporter au collectif, à la promotion ?
4. N’en faites pas trop. Il faut vous vendre, mais ne surjouez
pas. À vouloir trop en faire, l’exercice devient contre-productif
et brouille le message : ne perdez pas de vue ce que vous
voulez que le jury retienne de vous après la lecture de votre
lettre.
5. Vous vous y attendez probablement… relisez-vous, et faites-
vous relire. Les fautes écornent votre lettre et votre propos.
Écrivez des phrases courtes, divisez votre lettre en
paragraphes. Un paragraphe = une idée. Adoptez une police
de caractères lisible et sans fioritures. Faites-la relire
également pour le fond : par un ancien étudiant de l’école si
vous en connaissez, ou par un journaliste si vous en
connaissez également.
6. Respectez la forme d’une lettre : bloc adresse de l’expéditeur
et du destinataire, date, lieu, objet. De même, ne soyez pas
trop long : en l’absence de précisions concernant le nombre
de signes, une lettre de motivation doit tenir en une page.

Les productions personnelles


Pour certaines écoles, les productions personnelles sont
devenues une partie intégrante du dossier, un incontournable.
Qu’entend-on par « productions personnelles » ? Tout écrit,
document sonore ou vidéo, produit de manière régulière ou non par
le candidat. Au Celsa, et c’est tout nouveau, « on a demandé que les
candidats mettent en ligne des productions personnelles,
anonymisées et réalisées au cours de l’année, explique Christophe
Deleu. Et c’est très intéressant parce qu’on voit même sur
Instagram, des gens qui arrivent à faire preuve de synthèse
d’informations. » Doivent-elles être purement journalistiques ? « Pas
nécessairement, d’après Laurent Bigot, le directeur de l’EPJT. Ça
peut être parce qu’on a publié dans un journal de presse quotidienne
régionale, lors d’un stage à Radio Campus, mais ça peut être la
production de vidéos personnelles par exemple. On a eu un candidat
qui avait beaucoup de productions vidéo parce qu’il avait décidé de
partir faire un voyage sur le bassin méditerranéen sur les traces
d’Ulysse. Il a filmé tout son périple. Ses vidéos n’étaient pas
journalistiques ou même abouties mais ça montrait quand même
une débrouillardise et une originalité. »
Ne tardez pas à vous y mettre, des productions faites deux
semaines avant l’ouverture des inscriptions n’auront pas beaucoup
de crédibilité, elles demandent de l’anticipation et doivent faire l’objet
d’un travail régulier et tôt dans l’année. Un blog, une vidéo, des
posts Instagram, elles peuvent prendre des formes très variées et
comme déjà dit auparavant, ne pas forcément être des exercices
journalistiques déjà très formatés mais montrer une appétence pour
le métier et de la curiosité, LA grande qualité du journaliste (mais
pas la seule bien évidemment). C’est l’occasion pour vous de faire
montre de capacités de synthèse, mais aussi d’écriture sur des
sujets qui vous intéressent. Ces écrits personnels feront aussi
émerger votre style, votre plume, ce qui vous est utile pour l’épreuve
de créativité.

Connaître le métier et le monde des médias


Même si les écoles de journalisme sont exigeantes sur le profil
des candidats recherchés, elles ne demandent pas que vous soyez
déjà journalistes. Preuve en est : le stage n’est pas obligatoire,
même si les candidats qui en ont fait ont indéniablement une
longueur d’avance… Si vous n’avez pas (encore) d’expérience
professionnelle, présentez un projet professionnel solide. L’EJdG,
par exemple, vous demande de coucher sur le papier votre projet
professionnel. À l’EJCAM, vous devez envisager votre carrière à
cinq, puis dix, puis vingt ans. Il faut donc être précis et étayer votre
propos.
Les jurys n’attendent pas que vous sachiez tout du monde du
journalisme, ou que vous ayez un projet abouti, mais cherchent à
savoir si vous savez dans quelle direction vous vous engagez. Le
projet que vous proposez au jury a vocation à évoluer, vous ne fixez
pas la couleur de votre carrière dès que vous vous présentez aux
oraux des concours.
Si vous n’avez jamais mis le pied dans la profession, cela
n’empêche pas de la connaître. Murir votre projet et vous informer
sur la profession vous évitera des poncifs tels que « Je veux être
journaliste car j’aime écrire », ou encore le déjà cité « Je veux être
correspondant à l’étranger », car la réalité de cette situation est
souvent bien plus précaire que ne le pensent les étudiants à leur
entrée en école.
Passer de l’idéalisation au réalisme nécessite un engagement
de votre part car le métier de journaliste est une profession
fréquemment fantasmée. Informez-vous sur l’actualité du métier, les
éventuels rachats de journaux par des groupes de presse
préexistants (la concentration des médias est un sujet très important
dans le monde des médias). Pour cela, vous pouvez consulter la
cartographie des propriétaires des médias éditée par le Monde
diplomatique et Acrimed (https://www.acrimed.org/Medias-francais-
qui-possede-quoi).
N’oubliez pas l’existence chaque année des « Assises du
journalisme », un rendez-vous annuel de discussion entre
professionnels, ouvert au public. L’année 2022 verra sa 15e édition. Il
existe aussi de nombreuses conférences en ligne organisées par
des associations de journalistes, par exemple l’IJNET, réseau
international de journalistes.
Enfin, l’association Profession pigiste (entre autres) mérite aussi
d’être connue, pour son engagement pour les journalistes pigistes
(c’est-à-dire rémunérés à la pige) de France et de Navarre et les
« 48 heures de la pige » (rencontre annuelle de journalistes pigistes
autour d’ateliers.)
Quid de la déontologie du journalisme ? Il en existe en effet
plusieurs règles morales selon lesquelles le journaliste doit exercer
son activité. Même si de nombreux professionnels en ignorent
l’existence, ces principes sont encadrés par deux textes de
référence qu’il est conseillé de consulter : la Déclaration des droits et
des devoirs du journaliste, dite Charte de Munich, approuvée
en 1971 ; et la Charte d’éthique professionnelle des journalistes,
rédigée en 1918 par le Syndicat national des journalistes. Attendez-
vous à l’oral à ce que les jurys vous mettent dans une situation
professionnelle qui questionne votre déontologie et vous demandent
votre réaction. La sécurité morale est l’une des premières règles du
journaliste.

Rencontrer un journaliste
Vous n’avez pas pu faire de stage mais vous souhaitez vous
frotter de plus près à la profession et ses acteurs ? Qu’il travaille
pour la presse locale, ou pour un journal national ou une revue
mensuelle, que vous le rencontriez en vrai ou via Twitter, l’important
pour vous est de l’entendre parler de son métier, du terrain, de ce
qui, pour lui, fait un bon journaliste. Cette rencontre enrichira votre
connaissance du métier, vous donnera une meilleure idée de ce que
vous souhaitez faire ou pas, affinera votre projet professionnel.

Quelle connaissance des médias dans les épreuves


des concours ?
Le Celsa demande un essai sur une grande figure du
journalisme. Arrêtez-vous 30 secondes et réfléchissez : ne vous ruez
pas sur Albert Londres et Joseph Kessel, ce sera malheureusement
le cas de nombreux candidats. Les héros du journalisme ne sont pas
forcément dans les livres d’Histoire : vous pouvez sans problème
écrire sur une personnalité contemporaine du journalisme qui a votre
admiration, ou des figures du journalisme moins connues du grand
public, vous serez déjà plus original que la plupart des candidats.
À l’IPJ, on vous projette dix ans plus tard : vous faites partie
d’un média qui n’existe pas encore, et vous devez le décrire. À partir
de votre connaissance actuelle des médias, à quoi ressemblent les
médias du futur ? Soyez créatif, mais pas loufoque.
À l’IJBA, votre connaissance du métier et des médias est
testée à l’écrit via une simulation d’entretien d’embauche : sous
forme de questions-réponses imaginées, c’est un exercice d’écriture
et de mise en mots de votre projet professionnel, avec un recruteur
imaginaire en face de vous. Les questions que vous poserez seront
des questions que vous vous êtes préalablement posées à vous-
même. Attendez-vous, bien sûr, à ce que le jury rebondisse sur ce
projet à l’oral ou vous pose quelques questions.
Celle-ci est également testée dans un deuxième exercice, qui
nécessite, à partir d’une liste de médias, d’imaginer votre lettre de
motivation pour l’un des médias cités. Ne partez pas bille en tête,
sans vous renseigner au préalable. Allez chez votre marchand de
journaux, ou consultez-les sur internet, allumez la radio, ou la
télévision avant de vous lancer. Le jury vous en tiendra rigueur si
vous proposez une lettre de motivation pour France Culture en
général sans faire montre d’un minimum de connaissances de sa
grille et de ses programmes. (Il est recommandé, d’une part, d’avoir
une bonne connaissance du média pour lequel vous postulez, de
connaître ses émissions et sa ligne éditoriale, et d’autre part, d’avoir
une idée un peu plus précise de ce que vous voulez y faire :
Souhaitez-vous travailler pour une émission, pour ses journaux ?
Pourquoi ?)
Enfin, l’IPJ teste votre connaissance du métier à l’oral, avec la
lecture d’un ouvrage recommandé sur le journalisme. En 2022, le
choix s’est porté sur Principes du journalisme, ce que les journalistes
doivent savoir, ce que le public doit exiger, des américains Bill
Kovach et Tom Rosenstiel. Ne faites pas l’impasse sur cette lecture :
non seulement elle enrichira vos connaissances du journalisme, et
elle vous fera gagner des points à l’oral si elle a été studieuse. Un
conseil : ne l’ouvrez pas la veille de l’épreuve !

III. Les épreuves des concours


Après la crise du Covid, qui a bouleversé en 2020 et 2021 les
modalités d’admission, de nombreuses écoles ont décidé de
conserver les épreuves à distance, plus pratiques, mais surtout,
d’après les directions, moins discriminantes. « On s’est rendu
compte qu’il y a eu d’abord un afflux supplémentaire de candidats.
Et je pense que c’est un enjeu de diversité parce que du coup la
personne ne se met de frein », explique Valérie Jeanne Perrier,
responsable de l’école de journalisme du Celsa. On observe aussi
un recours plus important à l’admissibilité sur dossier, ce qui est
l’occasion de jouer la « carte personnelle ». Comme on peut le lire
sur le site de l’EjdG : « Nous nous intéressons à vous ! »
Alors, face à la diversité des écoles et donc des épreuves
d’admission, comment se préparer ?

L’actualité
Pendant longtemps, l’épreuve d’actualité a été une épreuve
incontournable des écoles de journalisme. Mais depuis l’évolution
des épreuves d’admissibilité avec la crise du Covid, exit l’exigeant
QCM d’actu pour beaucoup d’écoles. Bien évidemment, il est
toujours essentiel qu’un futur journaliste se tienne informé de ce qu’il
se passe dans le monde.
Préparer cette épreuve, à l’oral ou à l’écrit signifie couvrir l’actu,
toute l’actu, et sur une période de plusieurs mois avant le début des
épreuves (idéalement, dès septembre/octobre). Une préparation
rigoureuse vous permettra de faire la différence face à des étudiants
qui l’auront négligée. Attention aux impasses, vous devez être
capable de vous exprimer sur tous les sujets : en 2021-2022, le
candidat devait avoir suivi les jeux olympiques de Pékin, le
métavers, la situation en Ukraine, et bien sûr, l’élection
présidentielle. Enfin, soyez très attentifs à l’orthographe des noms
propres. Difficile de vous pardonner l’orthographe incorrecte du nom
d’une personnalité présente dans l’actualité.

Un travail de tous les jours


Suivre l’actualité occupe une grande partie de la préparation
aux écoles de journalisme. C’est un incontournable sur lequel les
étudiants ne peuvent se permettre de faire l’impasse. Pour un futur
journaliste, la curiosité pour ce qu’il se passe dans le monde est
cruciale et l’actualité un travail de tous les jours. Lors de la
préparation aux concours, un rituel doit être mis en place : celui de la
veille. Elle nécessite un rythme quotidien, jusqu’au jour des
concours. Prenons l’exemple de l’ESJ Lille, connue encore
récemment pour son exigeant questionnaire d’actualité mélangeant
de multiples questions longues et questions courtes. Ce dernier a
été remplacé à l’écrit par un dossier, mais l’actualité garde toute sa
place à l’oral et est testée très régulièrement pendant la scolarité
pour les étudiants lauréats du concours.
Vous avez l’impression qu’il est impossible de tout savoir et de
couvrir toute l’actualité ? De son côté, Pierre Savary, directeur de
l’ESJ donne son avis sur la question : « On ne cherche pas des
étudiants totalement au point sur les sujets d’actualité, dans le
moindre détail. Ce qu’on attend, c’est si quelqu’un se retrouve
devant un sujet qu’il ne maîtrise pas, où va-t-il chercher de
l’information ? Comment va-t-il s’informer ? Comment va-t-il combler
ses lacunes informatives ? »
Avoir des connaissances, beaucoup de connaissances, oui,
mais à condition de savoir les mobiliser dans le bon contexte. Pas
de bachotage, pas de régurgitation, il faut utiliser intelligemment les
connaissances accumulées. Pour cela, constituez des fiches d’actu,
mais aussi des dossiers thématiques sur les sujets susceptibles de
tomber. Certains sont évidents : difficile par exemple, en 2022, de
faire l’impasse sur l’élection présidentielle et la campagne qui l’a
précédée. L’idéal, si la tâche vous paraît colossale, est de vous y
mettre à plusieurs. Si vous vous préparez seul, allez faire un tour
dans les groupes d’étudiants en journalisme, sur les réseaux
sociaux.

1. L’actualité à l’écrit

La construction d’un article


■ Le titre : doit contenir des informations et être accrocheur.
■ Le chapô : paragraphe de quelques lignes qui présente le
contenu de l’article. On peut y retrouver ce qu’on appelle
les « 5 W ».
■ Les 5 W : (en anglais What, Who, Where, When, Why, en
français Quoi, Qui, Où, Quand , Pourquoi ?) c’est la règle
fondamentale du journalisme, qui donne au lecteur tous
les repères nécessaires pour la bonne compréhension et
contextualisation d’un article.
■ L’accroche : c’est le début de l’article, qui doit
« accrocher » le lecteur. Ça peut être une citation, un
chiffre important, etc. qui retranscrit ce qui est nouveau,
ce qui est original, etc.
■ Les intertitres : ils servent à structurer l’article et à relancer
la lecture.
■ La chute : fin de l’article, qui ouvre le sujet ou en marque
la fin de façon dynamique.
■ L’angle : la manière dont le sujet est traité.
Pour comprendre la vie d’une rédaction, les différences
exercices journalistiques ainsi que le fonctionnement des
différents médias catégorisés en « web », « tv », « radio » et
« presse », le site « 24 heures dans une rédaction » est à
consulter attentivement : https://24 hdansuneredaction.com

Au CUEJ, d’après la consigne, il s’agit en 650 mots


« d’expliquer l’actualité suivante, en la contextualisant dans le temps
long, en en restituant la chronologie et en en présentant les
principaux enjeux de la manière la plus solide possible. » D’où
l’importance de constituer des dossiers thématiques avec dates,
chiffres clés, acteurs principaux et enjeux. Au menu, en 2020, la
« réforme des retraites », ou encore, en 2021, « le rapport de la
convention citoyenne pour le climat ».
À l’IJBA, l’actualité est également au programme, mais revêt un
style journalistique. Il s’agit donc de déjà maîtriser les bases de
l’écriture journalistique : le titre, le chapô, l’accroche, la chute, et les
intertitres. En 2021, sans grande surprise, la vaccination était au
menu, et aurait pu être traitée ainsi d’après le corrigé :
1. la politique vaccinale du gouvernement ;
2. le passeport vaccinal ;
3. les objectifs de vaccination ;
4. quelques chiffres-clés.
Au Celsa, l’actualité prend la forme d’une synthèse. « Ceci n’est
pas un exercice professionnel, mais un exercice de synthèse qui
donne la capacité à avoir le coup d’œil pour trouver l’angle »,
explique Valérie Jeanne-Perrier, la responsable universitaire du
Celsa. « La difficulté c’est d’arriver à traduire la totalité d’un sujet
sans rien mettre de côté. » Depuis la crise du Covid, le dossier de
synthèse a été aminci. Au lieu de deux grandes questions par le
passé, l’intitulé est passé à une question, le corpus a été allégé de
quelques dépêches, et il faut désormais titrer la synthèse.
Quel conseil pour réussir ? « Le mieux est surement de créer
des dossiers d’actualité pendant l’année de préparation : pour un
sujet qu’on aime, il faut compiler des articles et au bout d’une
quinzaine d’articles, se forcer à résumer ce qu’il y a dans le
dossier. »
Comment s’y retrouver dans la masse de documents à lire ?
L’épreuve n’ayant pas lieu sur table, mais en ligne, vous n’êtes pas
pressé par le temps (la plateforme vous laisse quelques jours pour
compléter l’épreuve). Après avoir lu le dossier, il faut organiser votre
réflexion. Prenez des notes sur chaque document, cela vous évitera
par la suite de devoir vous replonger dans les articles. Laissez-vous
guider par la question posée, qui vous orientera sur l’angle du
dossier. Votre synthèse doit être organisée grâce un plan, enrichi
des grands axes du dossier, mais aussi de points plus anecdotiques,
qui montrent que vous êtes entré dans le détail.
Une aide précieuse pour cette épreuve ? La veille que vous
aurez faite toute l’année, car la connaissance de la thématique
d’actualité vous permettra d’aller plus vite à l’essentiel.
Au CFJ, l’épreuve d’actualité est abordée par un prisme
original, car elle est couplée à l’épreuve de créativité. Dans cette
épreuve, les candidats doivent rédiger un texte « non journalistique,
mais ancré dans la réalité, qui s’inspire de l’actualité ou de l’histoire
pour « imaginer un autre présent ou un futur proche ». « On
demande aux candidats d’imaginer un récit d’anticipation, ou même
une uchronie, un récit d’événements fictifs à partir de faits
historiques », précise David Straus, directeur adjoint du CFJ.
Voici des exemples de sujets posés en 2018, 2019 et 2020 :
■ « Ce jour où la France décida d’interdire la viande bovine. »
■ « Après des années de conflits par pays interposés, l’Arabie
saoudite et l’Iran entrent en guerre. »
■ « La fermeture des centrales nucléaires en France. »
■ « La fin de Google en Europe. »
Ainsi, qui dit créatif, ne dit pas absurde. Le propos doit être
vraisemblable, mais peut prendre la forme qu’il souhaite. L’épreuve
est dangereuse en ceci qu’elle offre un espace de liberté dont il ne
faut pas non plus déborder. Imaginez les idées évidentes, puis
éliminez-les.

2. L’actualité à l’oral
Les candidats doivent garder en tête que pour de nombreuses
écoles, l’actualité est aussi testée à l’oral. Pas question donc
d’abandonner le fichage et les révisions d’actu, qui doivent continuer
après les épreuves d’admissibilité. Ne négligez pas l’actualité,
jusqu’à la dernière minute. Certaines écoles aiment interroger sur les
infos du matin même, ne faites donc pas l’impasse. Écoutez la radio,
regardez les grands titres de presse du jour même, gardez un œil
sur Twitter, et ce même jusqu’à l’heure de votre oral. Votre capacité
à hiérarchiser et à contextualiser les informations sera testée : si l’on
vous demande les trois infos importantes du matin même, penser à
organiser votre pensée : la première actu présentée doit être la plus
importante, généralement la plus proche géographiquement et la
plus suivie.
La crise du Covid-19 ayant obligé les écoles à organiser
également la phase d’admission à distance, celles-ci ont parfois
diminué le nombre d’oraux. C’est le cas de l’ESJ Lille, dont la phase
d’admission comptait trois oraux auparavant, pour n’en compter plus
qu’un, un oral unique qui regroupe connaissance de l’actualité
(comptant pour 40 %) et motivation (comptant pour 60 % de la note
finale). En toute logique, un candidat motivé pour entrer en école de
journalisme est un candidat qui suit scrupuleusement l’actualité.
Au CFJ, l’oral d’actualité se divise en une question majeure,
suivie par d’autres questions plus courtes, avec une en anglais. Sur
la question majeure, le candidat doit s’exprimer longuement, et donc
posséder une capacité à organiser sa pensée. La préparation en
présentiel dure cinq minutes, « pas assez pour se remettre à niveau
sur un sujet qui n’a pas été vu pendant l’année », d’après David
Strauss, le directeur adjoint du CFJ. Les questions qui suivent sont
extrêmement précises, comme des chiffres. L’exemple de question
longue que les correcteurs aiment mentionner pour les années 2020
et 2021 ? La vaccination. « En 2021, il fallait donc savoir ce qu’était
un vaccin à ARN messager, ce qu’était un variant mais aussi quels
étaient les enjeux de l’achat des vaccins par l’Europe », continue
David Straus. « Ensuite, on questionne sur des faits un peu plus
lointains : y a-t’il eu au cours de l’histoire d’autres campagnes de
vaccination, d’autres épidémies ? C’est comme ça que nous testons
aussi la culture générale du candidat. On aurait également pu
demander comment fonctionne un virus, par rapport à une
bactérie. »

3. Plus de sources
Vous avez déjà l’habitude de lire votre quotidien national favori
ou de regarder le 20 heures de TF1 tous les jours ? Si vous êtes
déjà un élève assidu sur l’actualité, continuez ainsi, systématiser
cette veille et diversifiez vos sources. Tournez-vous vers des médias
vers lesquels vous n’avez pas l’habitude d’aller. Sortez également
des sentiers battus des médias traditionnels et n’hésitez pas à sortir
de votre zone de confort, ne serait-ce que pour confronter les
différentes approches de l’actualité.
Voici le conseil de Pierre Savary, directeur de l’ESJ Lille :
« L’actu s’écoute, se lit et se regarde. Il faut s’intéresser à l’actu pour
essayer de comprendre, de tirer les fils concernant chaque sujet.
Cela signifie être curieux de ce que l’on ne connaît pas. » Y a-t’il des
médias qui peuvent faciliter la tâche ? « Il y a des portes d’entrée
assez facile maintenant. Des médias que l’on peut qualifier de
vulgarisateurs. Comme ce qui se fait dans la presse jeunesse et
adolescente, on peut y trouver des résumés d’actu, » ajoute Pierre
Savary.
Les abonnements aux quotidiens nationaux, ainsi qu’à d’autres
revues et magazines d’information, peuvent vite constituer un budget
trop lourd pour une petite bourse étudiante ! N’oubliez pas : en tant
qu’étudiant, votre établissement de référence offre surement un
accès à des bases de données comme Europresse, qui offre un
accès large aux journaux, ou Cafeyn, qui est un kiosque numérique.
Rapprochez-vous des bibliothécaires ou documentaliste de votre
établissement. Si vous préparez les concours d’entrée aux écoles de
journalisme mais que vous n’avez pas accès à l’offre mentionnée ci-
dessus, la Bibliothèque nationale de France, via le lecteur
Pressreader et sur inscription, offre un accès à de nombreux
journaux et magazines.
■ Radio
Quotidien
– L’Heure du Monde, le site du Monde.fr.
– Le vrai du faux, sur France info.
– La question du jour sur France Inter, pour approfondir les
questions d’actualité.
– La Revue de presse internationale sur France Culture, un
tour du monde de la presse.
Hebdomadaire
– C’est arrivé cette semaine sur Europe 1.
– Le Rendez-vous de la presse étrangère, France Culture.
– Salut l’info ! sur France info.
– Une semaine d’actualité sur RFI, qui revient sur les
principaux événements de la semaine en compagnie
d’experts.
■ TV/vidéos
– www.1jour1actu.com.
– Le 28 Minutes d’Arte, qui permet de suivre l’actualité en
débats
– Le « Dessous des cartes ».
– Les vidéos du Monde qui abordent des thématiques
d’actualité de manière fouillée et contextualisée.
– Les vidéos de 1jour, 1actu dont le contenu est pensé pour
les enfants et aborde des questions d’actualité de manière
pédagogique. « C’est quoi, la laïcité », « Ça veut dire quoi,
que la France préside l’Europe ? », « Les animaux ont-ils
des droits ? », autant de sujets abordés de façon didactique
et classés en catégories « France », « Monde », « Santé »,
ou encore « Technologies ».
■ Web
– La « Matinale du Monde ».
– Les fils d’actualité des sites des journaux nationaux, comme
« En bref » sur Le Monde.fr.
– La rubrique « Éclairages » du fil d’actualités du site Vie
Publique.
■ Le site du service documentation de l’ESJ Lille
– Le site possède une rubrique « Panorama de presse », qui
propose une veille quotidienne de l’actualité du journalisme,
de la presse et des médias, associée à un compte Twitter à
suivre. Propriétaires de médias, concentration de médias,
chiffres-clés, il est important de connaître le monde
professionnel que vous souhaitez intégrer. Le site de l’ESJ
Lille recense les mutations à l’œuvre dans le monde des
médias. À écouter, pour suivre l’actualité des médias :
« L’instant M » de Sonia Devillers, sur France Inter.
■ « Les rattrapages de l’actu », le site des étudiants de l’EPJT
– Vous avez été moins assidu dans votre suivi de l’actualité ?
Pas de panique, le site des étudiants en journalisme de
l’école de Tours propose chaque semaine un « rattrapage
de l’actu » nationale et internationale. Il est également
possible de s’inscrire à une newsletter qui vous informera
de la sortie du prochain résumé : https://rattrapages-
actu.epjt.fr/
■ Quelques newsletters d’actualité très pratiques
– Time to sign off
Dans votre boîte tous les soirs, un « mini-journal » de l’actu
du jour, divisé en trois points : « Ce que vous avez raté
aujourd’hui », « Ce que vous ne devez pas rater demain »,
« Pas envie d’aller au lit ? ». Cette newsletter, gratuite, est
parfaite pour suivre l’actualité et donner des pistes de
réflexion sur ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui.
À retrouver sur timetosignoff.fr
– Brief.me
Une newsletter d’actu, payante cette fois, pour suivre l’actu
de la journée. Divisée en plusieurs rubriques (« On
rembobine », « Tout s’explique », « C’est leur avis », « Ça
vaut un clic ») pour un découpage clair de l’actualité.
www.brief.me
– The Conversation
Une newsletter quotidienne proposant analyses et
décryptages du lundi au dimanche, associée au site du
même nom.
https://theconversation.com/fr/newsletters/

4. Les questions d’actualité


Selon les écoles, l’actualité sera testée par un QCM ou par des
questions longues, à l’écrit qu’aussi bien à l’oral. Voici une liste non
exhaustive de ce qu’il faut connaître, des questions susceptibles de
vous être posées.
■ Politique
– Composition du gouvernement actuel.
– Si c’est une année électorale, connaître le nom des
candidats et leur parti politique.
– Fonctionnement des institutions de la Ve République.
■ Économie
– Prix du litre/baril de carburant.
– Taux de chômage.
– Montant du SMIC et du RSA.
– PIB de la France.
– Taux d’inflation.
– Déficit public.
– Dette publique.
– Différentes institutions et les personnes à leurs têtes.
– FMI.
– Banque centrale européenne.
– Réserve fédérale américaine.
■ Santé
– Tant qu’elle durera, difficile de ne pas s’intéresser à la crise
de la Covid-19, sur un plan autant sanitaire qu’économique.
– Connaître les chiffres-clés : déficit de la Sécurité Sociale,
nombre de lits fermés dans les hôpitaux…
– Connaître les grandes avancées médicales et scientifiques
de l’année, connaître le nom du prix Nobel de médecine
(des prix Nobel en général).
■ International
– Institutions européennes et leur fonctionnement, chefs
d’État élus, renversés ou décédés.
■ Société
– Chiffres clés : nombre de chômeurs en France, nombre
d’enseignants, de policiers, de détenus en France,
démographie, taux de pauvreté.
– Lois importantes votées dans les mois précédant le
concours.
■ Écologie et environnement
– Transition énergétique, pollution des océans, problèmes
sociaux découlant des problématiques énergétiques,
l’actualité écologique et environnementale est très riche, et
ne doit surtout pas être négligée.
■ Faits divers et justice
– Les faits divers inspirant des débats de société sont à
connaître. Un fait divers, seul, ne « mérite » pas l’attention,
mais s’il déclenche un débat sur les violences faites aux
femmes, par exemple, il doit être connu des candidats.
■ Culture
– Palmarès des différentes compétitions, de la littérature (prix
Nobel et prix français majeurs, Goncourt, Renaudot,
Médicis…) au cinéma (Oscars, festival de Cannes, festival
de Berlin…) en passant par la télévision (Golden Globes,
Emmy Awards). Connaître les noms des grands films de
l’année, ainsi que leurs réalisatrices ou réalisateurs.
■ Sport
– Connaître le palmarès des différentes grandes compétitions
sportives.
– Des Jeux olympiques sont-ils prévus cette année-là ?
■ Football
– Mondial ou Euro.
– Ligue 1.
– Ligue des champions de l’UEFA.
■ Rugby
– Coupe du Monde.
– Tournoi des VI Nations.
– Top 14.
– Champions Cup.
■ Tennis
– Finalistes et gagnants des principaux tournois (Open
d’Australie, Roland Garros, Wimbledon, US Open, ATP et
WTA Finals). Numéro 1 mondial.
– L’actualité du sport est toujours très riche, et ne s’arrête pas
aux noms des finalistes des différentes compétitions.
Grands scandales liés au monde du sport, achat de clubs
par un pays étranger, dopage… Tous ces sujets doivent
être connus.
– Les questions longues, déjà présentes pour certaines
écoles, restent au programme, et l’actualité est d’autant
plus présente à l’oral. Question style, et ceci est valable
pour chaque épreuve, exit les phrases ampoulées, exit
l’écriture universitaire. Contentez-vous de phrases simples,
soyez synthétiques et informatifs. Enfin, votre réflexion doit
s’appuyer sur des faits : on ne vous demande pas votre
opinion, on ne veut pas d’un éditorial, fondez votre écrit sur
des éléments concrets.

Le français
Incontournable avant la pandémie (QCM, questions courtes,
dictée…), mais peu compatible avec les nouvelles modalités
d’admission en ligne, l’épreuve de français en tant que telle a
quasiment disparu des concours des 14 écoles de la CEJ. Seul le
CFJ en propose une, dans une version remaniée lors de la refonte
du concours opérée par l’école parisienne en 2018. Elle pourrait
toutefois revenir au programme dès lors que la situation permettra le
retour des épreuves sur table.
La maîtrise du français est également observée par les
examinateurs dans la grande majorité des épreuves impliquant des
réponses rédigées. De même, un dossier d’inscription émaillé de
fautes donnera inévitablement un a priori négatif. Le CFJ va même
plus loin puisque le dossier d’admissibilité fait lui-même l’objet
d’une note de français : « Nous avons pris cette décision car trop
de copies n’étaient encore pas suffisamment propres du point de
vue de l’orthographe et de la grammaire », justifie le directeur adjoint
David Straus. Des questions de grammaire, conjugaison ou
vocabulaire peuvent aussi être posées lors des entretiens
d’admission.

1. L’épreuve de français du CFJ Paris


Elle s’impose à tous les candidats admissibles après l’examen
du dossier. Il s’agit d’une épreuve écrite de 50 minutes. Elle se base
sur un corpus de textes ou d’extraits et se divise en deux parties :
■ une partie de maîtrise des règles de la langue où vous devrez
corriger des erreurs, répondre à des questions de grammaire
ou d’orthographe ;
■ une partie compréhension lors de laquelle il faudra « identifier
le message principal, l’auteur et ses motivations, la cible, le
contexte, etc. »
« Mon conseil c’est de relire son Bescherelle, le niveau
demandé est un niveau collège voire lycée mais pas beaucoup plus,
assure David Straus. La deuxième chose c’est de se remettre à
niveau sur les questions de logique : les pourcentages, les
proportions : savoir ce que veut dire une augmentation de 30 %, de
100 %. La connaissance du français c’est aussi savoir ce qu’est un
décimètre, un litre, un millilitre… Il faut aussi savoir faire des
conversions, c’est important. »
■ Conseils supplémentaires
– Lisez autre chose que de la presse, variez les formats et les
genres.
– Relisez-vous, faites-vous relire si vous en avez la
possibilité.
– Multipliez les exercices de grammaire, orthographe,
conjugaison, vocabulaire…
■ Quelques outils de révision
– « Je révise mon français » avec DocPresse ESJ Lille :
https://docpresseesj.tumblr.com/
– Pour enrichir mon vocabulaire : newsletter du site Expressio
(une expression par jour ou par semaine) et newsletter « un
mot par jour ».
– les dictées, exercices et jeux en ligne de bescherelle.com.

2. Annales et corrigés
Extraits de l’épreuve de français d’admissibilité au CFJ (2016)
1. Quel est le participe passé bien écrit ?
☐ A. Il a dissout
☐ B. Il a suffit
☐ C. Il a acquit
☐ D. Il a exclus
☐ E. Il a inclus
2. Trouver la phrase bien écrite.
☐ A. Avec ces dossiers, faites deux tous bien distincts.
☐ B. Tout harassée qu’elle fut, elle continua de travailler.
☐ C. La France toute entière s’est montrée solidaire.
☐ D. En tous cas, tu as réussi ton coup.
☐ E. Toute handicapée par ses béquilles, elle a du mal à se
déplacer.
3. Quel nom n’a pas le même pluriel que les autres ?
☐ A. Piédestal
☐ B. Arsenal
☐ C. Total
☐ D. Bocal
☐ E. Cérémonial
4. Trouver les deux phrases bien écrites.
☐ A. Les eaux bleues claires de cet océan me laissent
rêveur…
☐ B. Après son sprint, elle avait les joues écarlates.
☐ C. Ils ont repeint les murs marrons de leur chambre.
☐ D. J’aime les tons bleus-verts de ces toiles flamandes.
☐ E. De petites fleurs mauves ont éclos dans le jardin.
5. Identifier les deux phrases erronées.
☐ A. Je prendrais volontiers un café, et vous ?
☐ B. Si j’ai un peu de temps, je passerais vous voir.
☐ C. Quand j’aurais fini, vous pourrez m’appeler.
☐ D. Je serais bien parti quelques jours au soleil…
☐ E. Si j’avais su, je ne serais pas venu !
6. Choisir la phrase bien écrite.
☐ A. Il faut mieux prendre le train, ce sera plus rapide.
☐ B. Il se rappelle sa jeunesse avec émotion.
☐ C. Nous ne pouvons pallier à de tels problèmes.
☐ D. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’il nous reste peu de
temps.
☐ E. Il ne cesse de nous rabattre les oreilles de ses succès
passés !
7. Trouver les deux noms féminins.
☐ A. Échappatoire
☐ B. Arcane
☐ C. Haltère
☐ D. Tentacule
☐ E. Aérogare
8. Quel est le pluriel correct ?
☐ A. Des ayant droit
☐ B. Des années-lumières
☐ C. Des terre-pleins
☐ D. Des hauts-parleurs
☐ E. Des assurances-vies
9. L’expression « un pas de clerc » désigne :
☐ A. Un acte notarié
☐ B. Une action sournoise
☐ C. Une remarque érudite
☐ D. Un pas de danse technique
☐ E. Une maladresse
10. Trouver le mot bien écrit.
☐ A. Cauchemard
☐ B. Favorit
☐ C. Abrit
☐ D. Hangar
☐ E. Bazard
■ Réponses
1. E
2. E
3. E
4. B, E
5. B, C
6. B
7. A, E
8. C
9. E
10. D

3. Annales ESJ Lille 2019


1. Trouvez la proposition correcte pour chacune des séries
qui suivent :
☐ a. Le ministre de l’Économie défend ardamment cette
privatisation.
☐ b. Le ministre de l’Économie défend ardemment cette
privatisation.
☐ c. Ils ont déposé une gerbe devant les murs vert pâle du
Camp Kigali.
☐ d. Ils ont déposé une gerbe devant les murs verts pâles du
Camp Kigali.
☐ e. Ils ont déposé une gerbe devant les mûrs vert pâle du
Camp Kigali.
☐ f. Ils ont déposé une gerbe devant les mûrs verts pâles du
Camp Kigali.
☐ g. Néanmoins les Rouennais vont tâcher de finir le match.
☐ h. Néanmoins les rouennais vont tacher de finir le match.
☐ i. Néanmoins les Rouennais vont tacher de finir le match.
☐ j. Néanmoins les rouennais vont tâcher de finir le match.
☐ k. Il a laissé les fleurs avec le vin dans le sellier. Elles sont
fânées.
☐ l. Il a laissé les fleurs avec le vin dans le sellier. Elles sont
fanées.
☐ m. Il a laissé les fleurs avec le vin dans le cellier. Elles sont
fânées.
☐ n. Il a laissé les fleurs avec le vin dans le cellier. Elles sont
fanées.
☐ o. Les oligarques et les organisations de masse inféodées
au régime.
☐ p. Les oligarques et les organisations de masse inféodées
au régime.
☐ q. La guerre commerciale qu’il a déclenchée lui a valu un
large soutien du grand publique.
☐ r. La guerre commerciale qu’il a déclenchée lui a vallu un
large soutient du grand public.
☐ s. La guerre commerciale qu’il a déclenchée lui a valu un
large soutien du grand public.
☐ t. La guerre commerciale qu’il a déclenchée lui a valu un
large soutient du grand public.
☐ u. La guerre commerciale qu’il a déclenchée lui a vallu un
large soutien du grand publique.
☐ v. Derrière le puit, un groupe d’arbres en quinconce, puis le
champ.
☐ w.Derrière le puits, un groupe d’arbres en quinconce, puis
le champ.
☐ x. Derrière le puit, un groupe d’arbres en quinconce, puis
le champs.
☐ y. Derrière le puits, un groupe d’arbres en quinquonce,
puis le champ
2. Trouvez la bonne réponse pour chacune des propositions.
☐ a. deux cent un
☐ b. deux cents un
☐ c. quatre-vingt moutons
☐ d. quatre-vingts moutons
☐ e. quatre mille manifestants
☐ f. quatre milles manifestants
3. Donnez une définition précise dans l’espace imparti pour
chacun des mots suivants :
☐ a. La permaculture
☐ b. « Ex cathedra »
☐ c. La vacuité
☐ d. Le remugle
☐ e. Inextinguible
☐ f. Un thuriféraire
☐ g. Un sophisme
☐ h. Onirique
☐ i. Un verbatim
☐ i. Ésotérique
4. Conjuguez les verbes comme indiqué :
☐ ....................... tes droits ! (défendre, impératif)
☐ .......................- lui franchement ! (parler, impératif)
☐ Là, je pense que tu ....................... ton temps (perdre,
présent de l’indicatif).
☐ Je ....................... depuis un an à Madagascar (vivre,
présent de l’indicatif).
☐ Il faut que tu le ....................... (croire, subjonctif présent).
☐ On ....................... les taxes dans le prix du séjour (inclure,
futur simple).
☐ Je ....................... les inégalités au quotidien (combattre,
présent de l’indicatif).
☐ Georges ....................... demain (courir, futur simple).
5. Trouvez la forme du participe passé correcte.
☐ a. Le joueur a été exclu pour possession de drogue.
☐ b. Le joueur a été exclus pour possession de drogue.
☐ c. Le joueur a été exclut pour possession de drogue.
☐ d. Sa diffusion par l’Allemagne, en avril 1999, a servi de
prétexte à l’intensification des bombardements.
☐ e. Sa diffusion par l’Allemagne, en avril 1999, a servie de
prétexte à l’intensification des bombardements.
☐ f. Seuls quelques spécimens ont survécu.
☐ g. Seuls quelques spécimens ont survécus.
☐ h. Les manifestants se sont donné rendez-vous
aujourd’hui.
☐ i. Les manifestants se sont donnés rendez-vous
aujourd’hui.
☐ j. Les membres du groupe ANV-COP21 se sont emparé du
portrait officiel du président.
☐ k. Les membres du groupe ANV-COP21 se sont emparés
du portrait officiel du président.
☐ l. Les deux athlètes se sont montré à la hauteur.
☐ m. Les deux athlètes se sont montrés à la hauteur.
☐ n. Sabrina a remonté avec elle le long couloir vitré.
☐ o. Sabrina a remontée avec elle le long couloir vitré.
☐ p. Ils se sont trompé de destinataire.
☐ q. Ils se sont trompés de destinataire.
☐ r. Nicole, 70 ans, les voisins l’ont surpris mangeant le midi
dans l’escalier.
☐ s. Nicole, 70 ans, les voisins l’ont surprise mangeant le
midi dans l’escalier.
☐ t. L’actrice n’aurait pas du lâcher le rôle
☐ u. L’actrice n’aurait pas dû lâcher le rôle.
☐ v. L’actrice n’aurait pas due lâcher le rôle.
☐ w.Moins de dix minutes se sont écoulé en seconde période
quand Churry Cristaldo permet au Cilindro d’entrer en
fusion.
☐ x. Moins de dix minutes se sont écoulés en seconde
période quand Churry Cristaldo permet au Cilindro
d’entrer en fusion.
☐ y. Moins de dix minutes se sont écoulées en seconde
période quand Churry Cristaldo permet au Cilindro
d’entrer en fusion.
■ Réponses
1. a, c, g, n, o, s, w.
2. a, d, e.
3. Les définitions du Robert :
■ Permaculture : Mode d’aménagement écologique du
territoire, visant à concevoir des systèmes stables et
autosuffisants et à produire de la nourriture en renforçant
l’écosystème.
■ « Ex cathedra » : d’un ton doctoral, dogmatique.
■ La vacuité : le vide, le néant.
■ Le remugle : odeur désagréable de renfermé.
■ Inextinguible : qu’il est impossible d’éteindre. Qui ne peut
être satisfait, comblé.
■ Un thuriféraire : porteur d’encensoir (sens religieux).
Encenseur, flatteur (sens littéraire).
■ Un sophisme : argument, raisonnement faux malgré une
apparence de vérité.
■ Onirique : relatif aux rêves.
■ Un verbatim : compte rendu écrit fournissant le mot à mot
d’une déclaration, d’un débat oral.
■ Ésotérique : Obscur, incompréhensible pour qui n’appartient
pas au petit groupe des initiés.
4. Conjugaison :
■ Défends tes droits !
■ Parle-lui franchement !
■ Là, je pense que tu perds ton temps.
■ Je vis depuis un an à Madagascar.
■ Il faut que tu le croies.
■ On inclura les taxes dans le prix du séjour.
■ Je combats les inégalités au quotidien.
■ Georges courra demain.
5. a, e, f, h, j, m, n, q, s, u, y.

Le portrait
C’est plutôt une nouveauté dans la phase d’admissibilité.
Quelques écoles demandent désormais l’écriture d’un portrait, que
ce soit un autoportrait ou celui d’une autre personne, connue ou
inconnue du grand public. L’exercice est un genre journalistique à
part entière, qui répond à des critères bien précis.
Conseil de lecture : le « portrait de der » de Libération : chaque
jour, le portrait d’une personne faisant l’actualité est publié en
dernière page du journal, de quoi s’imprégner de l’exercice et de ses
codes. À lire aussi : les portraits du magazine M Le Monde.
À l’EJdG, vous devez faire le portrait d’un ou d’une inconnue
des médias, et justifier ce choix dans une note d’intention. À l’IFP et
à l’IJBA, c’est un autoportrait qui vous est demandé.
Comment écrit-on un portrait ? L’exercice ne consiste pas en
une narration linéaire de tous les événements d’une vie, de la
naissance à aujourd’hui. Le portrait est la rencontre d’une personne
et nécessite de la faire parler autour d’un thème, et donc de
l’interviewer.
Un portrait se construit comme un article de presse. Il doit
contenir des éléments factuels sur la vie et le parcours de la
personne choisie. Selon l’angle, c’est-à-dire le prisme à travers
lequel le sujet est traité, vous ne vous concentrerez pas sur les
mêmes données. Cet angle peut être un événement de l’actualité qui
justifie le choix de la personne sujet de votre portrait, un élément de
sa vie, de sa carrière, son activité militante, etc. Il servira de fil
rouge, de cadre à votre article. Dans un bon portrait, aucun détail
n’est anodin : chaque élément objectif tient dans ce cadre, vient
alimenter votre fil rouge.
Que contient un portrait ?
■ des données précises sur sa vie (contexte biographique) ;
■ des éléments descriptifs (physiques, vestimentaires,
ambiance de l’interview…) ;
■ des propos de la personne dont on dresse le portrait ;
■ des propos d’autres personnes qui peuvent s’exprimer sur la
personne interviewée (proches, collègues, détracteurs…).
Au travers du portrait et des éléments personnels et humains
sélectionnés, le lecteur doit comprendre la particularité de la
personne au travers du prisme choisi, pourquoi celle-ci et pas une
autre.

Avant d’écrire
Relisez vos notes et sélectionnez ce que vous allez garder. Tout
n’est pas indispensable et tout ne respecte pas l’angle choisi.
N’oubliez pas que l’article doit aussi contenir des éléments de détail :
description physique, attitude particulière, tic de langage, etc., qui
permettent d’humaniser et de personnaliser le portrait. Le portrait
peut aussi être ancré dans le moment de l’interview et en garder
quelques anecdotes.

L’autoportrait
En ce qui concerne l’autoportrait : comme son nom l’indique,
l’autoportrait est un exercice dans lequel vous allez parler de
vous. C’est un regard porté sur vous-même, votre
personnalité. Même si l’exercice n’est pas journalistique,
l’autoportrait a quelques éléments en commun avec le
portrait, comme l’angle, par exemple.
Pour les écoles de journalisme, à quoi sert l’autoportrait ?
L’IFP le résume très bien : « L’objectif est de faire apparaître
les éléments de votre caractère, de votre expérience ou bien
des épisodes de votre vie qui ne figurent pas forcément
dans votre curriculum vitæ. »
L’autoportrait est un texte à la première personne, et ne
nécessite pas forcément de discours direct.

Le synopsis – le reportage
Cette épreuve exige et met à profit la connaissance de la
profession et des médias mentionnée au paragraphe précédent.
Même si le sujet est le même, vous ne proposerez pas la même idée
au magazine Topo, pour les moins de 20 ans, qu’à la revue Flow,
pour « l’épanouissement de soi ». Pour proposer une bonne idée,
vous devez savoir ce qu’est un angle, et un bon synopsis.
Qu’est-ce qu’un angle ?
L’angle, on l’a déjà dit, est la manière dont on décide de traiter
un sujet. Au lycée, et même pendant les études supérieures,
lorsqu’on vous demande de faire une présentation et un exposé, on
vous demande de dire tout ce que vous savez d’un sujet. Au
contraire, lorsque vous rédigez un synopsis, vous devez garder en
tête que vous ne pouvez pas tout dire, et qu’il vous faut respecter
l’angle choisi.

Qu’est-ce qu’un synopsis ?


Un synopsis est une proposition de sujet. Il vous permet
d’exposer votre idée en un paragraphe, voire en quelques phrases,
et montre si celle-ci correspond à la ligne éditoriale du média ou non.
Que ce soit pour la TV, la radio, le web ou la presse écrite, il s’agit
de raconter votre idée, l’angle choisi, le format choisi (reportage,
portrait, interview…) et les personnes que vous souhaitez rencontrer
et interviewer pour cet article. Même si l’exercice peut s’avérer
frustrant, le synopsis doit mettre l’eau à la bouche, doit donner envie.
Il doit donc contenir : les éléments clés de votre sujet, l’angle choisi,
le format, la taille de l’article, les personnes à interviewer et
éventuellement, en fonction du média choisi, le public visé. Le
synopsis doit raconter dans les grandes lignes le papier que vous
souhaitez écrire, en revenant aux bases du journalisme : qui, quoi,
où, quand, comment ?
Exemple : dans le contexte de la pandémie mondiale de Covid-
19, si le sujet est la vaccination, des angles possibles seraient la
levée des brevets vaccinaux, ou le principe de l’ARN-messager.
Si vous vous destinez à être pigiste, le synopsis sera votre
premier contact avec les rédactions. Il doit donc être convaincant,
percutant, et bien structuré.
La plupart des écoles ayant choisi cette épreuve vous demande
d’en rester au stade du synopsis.
À l’IPJ, à l’oral et en présentiel, vous devez, en groupe,
imaginer un dossier complet, c’est-à-dire plusieurs articles sur un
même thème, donc autant de synopsis que d’articles.
En distanciel (en fonction des conditions sanitaires), on vous
demande un synopsis de reportage.
À l’IFP, c’est un synopsis, donc un travail préparatoire à un
reportage fictif qui vous est demandé, en 1 500 signes. Vous êtes
libre sur le choix du sujet du format, mais vous devez préciser : le
média choisi, l’angle, les personnes à interviewer et la manière dont
vous souhaitez les contacter, et le public visé. Attention, vous avez
la totale liberté du choix de sujet et de l’angle, mais le reportage doit
être faisable, c’est le maître-mot.
À l’IJBA, l’épreuve est intitulée « Sens de l’enquête ». Comme
son nom l’indique, l’épreuve consiste en la rédaction d’un synopsis
d’enquête.
Au CFJ, à l’oral, l’épreuve va plus loin : on ne vous demande
pas simplement un synopsis, mais bien la réalisation en une journée
d’un reportage avec la rédaction d’un article. Le lendemain, lors
d’une soutenance, vous devrez défendre votre article, l’idée de
départ ainsi que les choix réalisés pour mener à bien l’épreuve.

L’épreuve collective de l’IPJ

Celle-ci est unique parmi la multitude d’épreuves proposées


par les 14 établissements reconnus. Une dizaine d’étudiants
admissibles (entre six et douze selon la plaquette de l’école)
y sont réunis et doivent travailler ensemble comme une
petite rédaction. Ils tirent au sort un thème général (la
France, l’amour, les élections, les robots…) qu’ils vont
devoir angler et décliner en projet de dossier thématique
pour un titre de presse choisi, devant l’œil averti de deux
examinateurs. Les candidats y reçoivent alors chacun une
note collective (la même pour tous) et une note individuelle,
qui sanctionne leur participation.

En d’autres termes, cette épreuve est un synopsis de


synopsis : à partir du thème tiré au sort, il faut dégager une
problématique plus précise qui servira d’angle pour le
dossier, justifier de sa pertinence, choisir pour quel média
vous réaliseriez ce dossier et justifier ce choix. Ensuite, il
faudra concevoir le contenu du dossier, c’est-à-dire trouver
les différents articles qui le composeront en variant les
angles et les formats. Par exemple, si vous tirez comme
thème « La France », et que vous décidez de présenter un
dossier avec une problématique relative aux Outre-mers, il
conviendra de proposer à l’intérieur un synopsis de
reportage dans tel Dom ou Tom, une interview d’une
personnalité liée à un autre, une infographie générale, etc.

Vous disposerez de trois heures pour réaliser le dossier puis


le présenter aux examinateurs qui auront assisté à
l’ensemble de sa conception sans intervenir, et enfin
répondre à leurs questions.

Conseils :
■ Ne restez pas en retrait, soyez force de proposition et
efforcez-vous de trouver des idées originales (le but n’est
pas de proposer des articles et des angles déjà lus et
relus mais de montrer que vous êtes capable d’apporter
vos propres idées).
■ Écoutez vos camarades, ne leur coupez pas la parole, si
vous êtes en désaccord avec eux, dites-le de manière
constructive (faites des contre-propositions ou des
suggestions pour améliorer leurs idées).
■ Faites attention au temps : trois heures pour réaliser un
dossier lorsqu’on n’a pas l’habitude, avec des camarades
que l’on ne connaît pas, c’est peu ! Gardez suffisamment
de temps pour préparer une présentation soignée : une
idée n’est bonne que si l’on est capable de bien l’expliquer
et la défendre.

Les épreuves de langues


Au menu des épreuves d’admissibilité, plus d’épreuves de
langue. Seules trois écoles ont gardé une épreuve de langue lors de
la phase d’admission : le CFJ, l’EJdG, et l’EJT. Pour les deux
dernières, l’oral peut se faire en anglais, espagnol et allemand. Pour
le CFJ, l’oral est en anglais. Les conseils prodigués dans cette partie
sont valables pour toutes les langues.
Au CFJ, l’oral mêle actualité, culture générale et anglais, et
compte pour 30 % de la note finale. Si les conditions sanitaires sont
favorables, l’oral a lieu en présentiel et compte une préparation
écrite sur place. Sur quoi porte cette épreuve ? Le candidat tire au
sort un sujet d’actualité, et doit en résumer les enjeux devant le jury.
Il bénéficie de dix minutes de préparation avec un accès internet.
Ensuite, le candidat a cinq minutes pour présenter, puis est soumis
pendant sept minutes à des questions d’actualité et de culture
générale sur le sujet pioché. Enfin, pendant huit minutes, le candidat
doit répondre à des questions sur d’autres sujets d’actualité,
indifféremment en anglais et en français. Une vraie gymnastique de
l’esprit, car on teste la capacité de l’étudiant à passer d’une langue à
l’autre. Si les épreuves sont à distance, le candidat ne tire pas de
sujet au sort, il est interrogé sur l’actualité générale et une partie de
l’entretien a lieu en anglais.
À l’EJDG, l’épreuve d’admission consiste en un oral unique
d’une vingtaine de minutes. Motivation, mise en situation
professionnelle en lien avec un sujet d’actualité et bref échange en
anglais sont au programme.
À l’EJT, un entretien est entièrement consacré à la langue.
Même en dehors des épreuves d’admission, il est indispensable
d’améliorer son niveau de langue, car même dans un pays
anglophone, le recours à des sources anglophones est inévitable.
Votre niveau d’anglais doit donc être à la hauteur. Mais comment
progresser ?

Enrichir son vocabulaire


À l’oral, le jury sera intéressé par deux sujets : l’actualité et
vous. Entraînez-vous à vous présenter et à expliquer votre CV en
anglais, devant votre entourage.
Quant à l’actualité, vous devez travailler votre vocabulaire
journalistique. Pour cela, plusieurs possibilités :
■ Lire la presse : The Guardian, The New York Times,
The Economist, quelques exemples de la presse anglophone
pour vous aider à enrichir votre vocabulaire. En allemand,
Die Zeit, en espagnol, El paìs. N’hésitez pas à vous constituer
un répertoire et à noter les mots que vous ne connaissez pas.
Après la lecture d’un article, efforcez-vous de le résumer en
anglais.
■ Visionner les « BBC one-minute world news » : l’actualité
mondiale du jour, résumée en une minute sur le site de la
BBC.
■ Pour les plus aguerris, le podcast « Up first!» de la NPR, un
résumé de l’actualité des États-Unis en dix minutes.
■ L’émission « Last Week Tonight with John Oliver », un talk-
show politique et satirique se concentrant chaque semaine
sur un sujet d’actualité ou de culture générale sur les États-
Unis.
■ Pour renforcer son vocabulaire de la presse : News and press
vocabulary, ou encore Réussir son anglais (éditions Ellipses).
■ Réservez chaque semaine un temps à la révision du
vocabulaire et de la grammaire, et pour lire ou écouter la
presse anglophone. En plus de vous entraîner, vos lectures
vous donneront d’autres points de vue sur des sujets
d’actualité.
■ Ne sous-estimez pas le pouvoir de Twitter dans vos révisions :
vous pouvez y suivre les comptes des grands médias
anglophones, créer des alertes et ainsi vous exposer
régulièrement à la langue : @guardian,
@Telegraph, @Independent pour la presse britannique ;
@nytimes,
@washingtonpost, @latimes pour la presse américaine.
Suivez également les comptes de grands journalistes. Enfin,
le compte BBC Learning English : un site et un compte Twitter
didactiques pour l’apprentissage de l’anglais, qui proposent
chaque jour des petits exercices de compréhension liés à des
révisions de vocabulaire et de grammaire.

Pour progresser à l’oral, parlez


Pour être à l’aise à l’oral, une seule solution : s’entraîner.
Profitez de toutes les occasions qui vous sont données de parler en
anglais, en cours, ou avec des étudiants anglophones autour de
vous. S’entraîner signifie aussi être moins stressé que lorsqu’on
manque de pratique.
Vous êtes fan de films/séries anglophones ? Choisissez la
version originale sous-titrée, plutôt que la version française.
Regardez de nouveau les films et séries que vous connaissez par
cœur en VO sous-titrée en anglais ou en VO seule.

La culture générale
Il n’existe pas à proprement parler d’épreuve de culture
générale lors de la phase d’admissibilité. Pourtant, toutes les écoles
disent être à la recherche d’étudiants possédant une solide culture
générale et cette notion reste suffisamment vague pour stresser les
candidats. Vous n’avez pas le temps de vous plonger dans une
préparation uniquement dédiée à cette thématique, l’enrichir sera
donc un défi de tous les instants.
Auparavant, les concours sur table possédaient généralement
un volet « culture générale ». L’admissibilité en présentiel ayant été
empêchée par la pandémie, la « culture gé » se retrouve testée à
l’oral, lors des épreuves d’admission, souvent lors de l’oral de
motivation. Le jury peut se laisser la possibilité de mettre à l’épreuve
la connaissance de l’actualité ainsi que la culture générale des
candidats.
Lors de votre veille d’actualité, vous allez aborder des thèmes
très différents. Vous allez apprendre des choses sur des pays, des
organisations, des personnes dont vous ne savez rien. Soyez
exigeant et combler vos lacunes. Un conflit entre deux pays est dans
l’actualité ? Ne vous contentez pas des 5 W, cherchez plus loin : que
s’est-il passé avant ce conflit ? Quel est l’historique des relations
entre les deux États ? Ne laissez aucune interrogation sans réponse
et ajoutez ces informations à vos dossiers thématiques.

L’oral de motivation
Petit conseil de préparation avant d’aborder l’oral de motivation,
et les oraux en général. Une fois les écrits terminés, tournez-vous
vers la phase d’admission. Tant que les résultats d’admissibilité ne
sont pas tombés, vous êtes toujours dans la course et il ne faut pas
relacher vos efforts. Si vous êtes sélectionné et que vous êtes là le
jour J, c’est que vous avez toutes vos chances.

Comment se passe l’entretien ?


Face au jury, vous êtes là pour parler de vous, mais l’exercice
peut être périlleux. Il vous faut vanter vos qualités, mais rester
humbles. Ne vous inventez pas des capacités que vous ne
possédez pas, ne mentez pas, car le jury vous démasquera.
Montrez votre motivation, mais n’en faites pas trop. La corde peut
être raide, mais tel un funambule, on n’apprend pas à marcher sur
un fil du jour au lendemain. Un entretien de motivation, cela se
prépare.
Premièrement, vous devez maîtriser votre CV et être capable de
réagir sur les informations qu’il contient. (Voir la partie : « Préparer
son dossier/Écrire son CV »). Si votre curriculum vitæ contient des
trous, préparez-vous à le justifier. Et surtout, chaque élément de
votre CV doit servir à vous valoriser. Vous pratiquez un sport
collectif ? Vous avez l’esprit d’équipe ! Vous tenez un blog ? Vous
aimez et savez écrire, comme tout bon journaliste ! Il reprend
également des éléments de votre lettre de motivation, concernant
vos objectifs professionnels et votre parcours jusque-là. (Voir la
partie : « Rédiger sa lettre de motivation »).
Les jurys ont très probablement votre dossier sous la main.
Veillez donc à ne pas leur présenter des éléments radicalement
différents de ce que vous avez mis dans votre CV et votre lettre de
motivation. La personnalité que vous montrez en présentiel doit être
cohérente avec celle que vous avez couchée sur le papier. « L’oral
d’admission peut partir dans toutes les directions. On se base sur ce
que la personne a dit d’elle-même. Parfois, on est surpris : les
candidats arrivent à l’oral et nous présentent un projet qui est
différent de celui qu’ils ont écrit dans la lettre. Forcément, on va les
questionner pour mieux comprendre » explique Laurent Bigot,
directeur de l’EPJT.
Vous serez aussi interrogé sur votre connaissance du métier,
enrichie grâce à d’éventuels stages, lectures, ou rencontres avec
des professionnels. (Voir la partie : « Connaître les métiers et le
monde des médias »).
Enfin, certaines écoles n’organisent qu’un seul oral, comme
l’ESJ Lille, qui a décidé de fusionner ses deux oraux, ou encore le
Celsa. Votre connaissance de l’actualité et votre culture générale
seront donc testées et évaluées à la même occasion. (Voir les
parties : « L’actualité » et « La culture générale »).
Christophe Deleu, directeur du CUEJ, le résume très bien : « On
prend le temps d’évaluer les connaissances d’actualité du candidat,
puis on prend le temps de revenir sur son parcours, et on enchaîne
sur les motivations et le goût pour le journalisme. Lors de l’oral, on
partira de ce que le candidat a mis dans son dossier. Comme on
peut très facilement retourner dans le dossier du candidat, on peut
discuter avec lui ou elle de ce qu’il a pu écrire et puis échanger et
poser des questions sur le métier, sa vision, ses expériences, ses
craintes et ses difficultés. C’est vraiment un entretien de
connaissance de la personne, avec une attention accrue maintenant
à l’actualité. »

Soyez naturel
Lors de l’échange de questions-réponses, la manière dont vous
répondez compte à peu près autant que le contenu de vos réponses.
Vous êtes stressé ? C’est normal, tous les candidats le sont.
L’avouer ne vous mettra pas en défaut, le jury est aussi là pour
mettre les candidats à l’aise. Si l’on vous pose une question difficile,
prenez le temps de répondre. Si la question est trop difficile, et que
vous ne savez quoi répondre, dites-le également. Il est inutile
d’essayer de « gagner » du temps, le jury s’en rendra compte.
Quelles sont les attentes du jury ? Les examinateurs sont là
pour tester le réalisme de votre projet professionnel, et son ancrage
dans la réalité. Dans cette optique, donnez-vous des exemples
concrets. On vous demande pour quels médias vous souhaitez
travailler ? Donnez des noms précis, nommez le service ou
l’émission dans lesquels vous vous projetez.

Soyez convaincant
Le jury teste également votre capacité à argumenter, à
convaincre. À l’oral comme à l’écrit, ne faites pas des phrases trop
longues, vous risquez de vous y perdre. À travers vos mots, les
examinateurs doivent être capables de percevoir si vous êtes un bon
candidat pour l’école mais aussi, si vous feriez un bon journaliste. À
vous de leur montrer tout ça en étant clair et synthétique. Pas facile,
n’est-ce pas ? Entraînez-vous toute l’année avec des camarades qui
joueront les recruteurs intransigeants.

Les questions incontournables (liste non exhaustive)


■ Pourquoi voulez-vous être journaliste ?
■ Avez-vous toujours voulu être journaliste ?
■ Quelles qualités un journaliste doit-il avoir ?
■ Pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ? Pourquoi cette école et
pas une autre ?
■ Quels médias lisez-vous, regardez-vous, écoutez-vous ?
■ Pour quel(s) média(s) souhaitez-vous travailler ?
■ Si vous aviez tous les moyens possibles et imaginables, quel
sujet traiteriez-vous ?
■ Comment ?
Chapitre 2
2 Weborama : focus sur les acteurs
de référence de l’information
en ligne

Lucie Alexis et Mathias Valex

F
uturs journalistes, vous devez vous tenir informés de
l’actualité ! Voici un repérage des médias d’information de
référence en France, incluant à la fois les principaux titres
historiques, mais également un regard sur les formes plus récentes,
qui vous aidera à préparer les concours ou à appréhender vos
enseignements autour des médias.
Face à la difficulté d’établir un panorama exhaustif des sites
web livrant des contenus informationnels, nous proposons d’abord
d’en circonscrire la définition aux services de presse en ligne (SPEL)
dont le statut a été défini par l’article 1er de la loi du 1er août 1986
portant réforme du régime juridique de la presse :
On entend par service de presse en ligne tout service de
communication au public en ligne édité à titre professionnel
par une personne physique ou morale qui a la maîtrise
éditoriale de son contenu, consistant en la production et la
mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt
général, renouvelé régulièrement, composé d’informations
présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un
traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas
un outil de promotion ou un accessoire d’une activité
industrielle ou commerciale1.
Cette définition a ensuite été explicitée dans le décret n° 2009-
1340 du 29 octobre 2009. Ensuite, nous poursuivons notre
cartographie en nous arrêtant sur les sites d’information méta-
médiatiques qui se positionnent en « observateurs » du monde des
médias d’information. Ces ressources sont en effet très utiles en tant
qu’outils de veille non seulement sur l’actualité socio-
économique du secteur, mais aussi sur l’analyse critique du
traitement médiatique de l’actualité. Pour conclure ce weborama,
nous éclairons les nouveaux acteurs de l’information en ligne,
désignés sous l’appellation de « médias sociaux ».

Panorama des principaux services de


presse en ligne
La première catégorie, la plus évidente, concerne les
déclinaisons numériques des médias traditionnels. Nous nous
centrons ici sur les versions en ligne de la presse quotidienne
nationale (lemonde.fr, liberation.fr, lefigaro.fr), de la presse
quotidienne régionale (ouest-france.fr, leparisien.fr, sudouest.fr,
lavoixdunord.fr, leprogres.fr, etc.), mais également des news
magazines (lepoint.fr, lexpress.fr, nouvelobs.com, marianne.net,
etc.), des agences de presse (afp.com/fr) et du seul titre de presse
gratuite (20minutes.fr) encore diffusé sur le territoire à la suite de
l’arrêt de la version papier de CNews en novembre 2021. Il s’agit
cependant de bien distinguer les versions numérisées des titres
papier – autrement dit, les versions au format .pdf disponibles à
l’achat sur les sites en eux-mêmes ou sur les bases de données
d’informations comme Europresse ou Factiva –, des contenus
spécialement conçus pour le web. Il faut également relever que les
médias audiovisuels d’information en continu disposent de portails
web, comme celui de France Info (https://www.francetvinfo.fr/), de la
chaîne BFM TV (https://www.bfmtv.com/) ou encore de France 24
(https://www.france24.com/fr/). Ces déploiements en ligne, qui se
retrouvent également sous forme d’applications mobiles,
représentent un poids économique de plus en plus important pour
ces entreprises dont le support historique (papier) est en perte de
vitesse.
Il convient ensuite de prendre en compte les pure players
« classiques » d’information – c’est-à-dire les médias qui ne sont
édités qu’en ligne – les pionniers étant Rue89 (lancé en 2007 et
aujourd’hui simple « verticale » du site nouvelobs.com), mediapart.fr
(lancé en 2008), slate.fr (lancé en 2009) et le huffingtonpost.fr (lancé
en 2012). Parmi les sites d’informations exclusivement en ligne
créés plus récemment, on peut relever Les Jours, lancé en 2016 par
d’anciens journalistes de Libération et ayant la particularité éditoriale
de publier des récits d’information sur le principe des séries. Ou
encore Disclose (disclose.ngo/fr), un média d’investigation à but non
lucratif et en accès libre, initié en 2018 par deux anciens journalistes
d’Envoyé Spécial et de Marianne, basé sur l’« enquête d’initiative »2,
et financé par le don3.
Les pure players se caractérisent ainsi par une diversité
éditoriale assez éloignée des canons des médias traditionnels : à
chacun son style et son approche singulière de l’actualité.
Réinvestissant souvent un rapport au temps long du travail
journalistique (slow journalism), ces sites qui foisonnent sur le web4
peinent néanmoins à trouver un modèle économique pérenne et
sont définis par une fragilité constitutive – publics de niche, modèles
économiques hétérogènes (participatif, payant, gratuit, mixte, etc.)5 –
expliquant de nombreuses créations/dissolutions.

Les sites d’information méta-médiatiques


Une autre catégorie regroupe les sites de vulgarisation
scientifique dont le positionnement est celui d’« observateurs » du
monde des médias d’information. Le regard scientifique sur
l’actualité et son traitement médiatique sont alors favorisés. Cette
expertise universitaire est au cœur d’un média comme
The Conversation (theconversation.com/fr) dont la particularité est la
« collaboration entre expert·e·s et journalistes » et dont l’objectif est
« de partager le savoir, en faisant entendre la voix des chercheuses
et chercheurs dans le débat citoyen. Éclairer l’actualité par de
l’expertise fiable, fondée sur des recherches »6. Ce média gratuit
d’information fonctionne sans paywall et sans publicité. La volonté
affichée est de s’adresser à un large public autour d’une information
générale. Une autre particularité est la liberté laissée aux auteurs de
contrôler le contenu des articles jusqu’au bout, ceux-ci étant publiés
sous licence Creative Commons et pouvant donc être repris par les
autres médias.
La Revue européenne des médias et du numérique (la-rem.eu),
dirigée par Francis Balle, conçue et réalisée par l’Institut de
recherche et d’études sur la communication (IREC) de l’Université
Paris-Panthéon-Assas, en partenariat avec l’INSEEC U, a pour
intention éditoriale de revenir sur « les événements les plus
marquants ou les plus significatifs advenus au cours du trimestre
écoulé dans l’un ou l’autre des pays membres de l’Union
européenne ou du Conseil de l’Europe ». Éditée chaque trimestre
depuis décembre 2006, elle offre un regard sur le droit, les
techniques, l’économie et les usages.
La Revue des médias (larevuedesmedias.ina.fr), quant à elle,
se définit comme « le magazine qui analyse les mutations des
médias ». En ligne depuis 2010 et éditée par l’Institut national de
l’audiovisuel, elle s’adresse aux chercheurs, aux professionnels ou
aux passionnés des mondes médiatiques et entend éclairer les
reconfigurations liées au numérique dans une perspective aussi bien
française qu’internationale. Les auteurs viennent dès lors des
cercles académiques ou professionnels.
Autre espace de métadiscours sur les médias, Méta-Media
(meta-media.fr), le blog collectif de France Télévisions, dirigé par
Éric Scherer, directeur de la Prospective. Il entend « décrypte[r] les
tendances pour comprendre les médias et le journalisme de
demain7 ». Fake news, réalité virtuelle, intelligence artificielle,
métavers, NFT, GAFAM, les sujets balaient une diversité de
thématiques sous la forme d’une « chronique de la révolution de
l’information ». Mais aussi L’Observatoire des Médias
(observatoiredesmedias.com), « un site web participatif » créé
en 2006 par Gilles Bruno, un ancien journaliste de Libération, qui
propose un regard sur l’actualité des médias et du journalisme à
partir de contributions bénévoles de journalistes et de chercheurs.
Pour une perspective critique des médias, Arrêt sur images
(arretsurimages.net/) dont le slogan « La critique média, en toute
indépendance ! » affirme clairement le positionnement, et dont le
financement n’est pris en charge que par les abonnés, est en ligne
depuis 2008. Prenant la suite de l’émission de France 5 du même
nom (1995-2007), le site propose tous les jours des articles et des
chroniques rédigés par des journalistes professionnels, ainsi qu’une
émission hebdomadaire (le vendredi) présentée par Daniel
Schneidermann. Le but est « de déconstruire tous les récits
médiatiques, aussi bien télévisés, écrits, que sur les réseaux
sociaux ». Une autre ressource basée sur la culture visuelle, le
carnet L’image sociale du chercheur André Gunthert
(imagesociale.fr), créé en 2014, a pour objectif de reproduire un
fonctionnement proche d’un séminaire de recherche.
L’association Acrimed se définit ensuite, depuis sa création
précoce en 1996, comme un « observatoire critique des médias » et
réunit « des journalistes et salarié·e·s des médias, des
chercheurs·ses et universitaires, des acteurs·rices du mouvement
social et des “usagers” des médias »8. Poursuivant les objectifs
d’« informer », de « contester », de « mobiliser » et de « proposer »9,
elle édite la revue trimestrielle Médiacritiques (en format papier et
numérique) et est notamment à l’origine, en collaboration avec le
mensuel Le Monde diplomatique, d’une carte du paysage
médiatique français mise à jour annuellement et permettant
d’identifier les propriétaires des principaux médias en schématisant
leur concentration économique (« Médias : Qui possède quoi ? »10).
Au-delà des questions médiatiques, d’autres espaces éditoriaux
semblent enfin intéressants à consulter pour s’informer plus
largement sur la vie intellectuelle. Par exemple, La vie des idées
(laviedesidees.fr), attachée à l’Institut du monde contemporain
(Collège de France) et dirigée par Pierre Rosanvallon, propose
« des contributions sur les grands enjeux de notre temps, sous la
forme d’essais approfondis, d’entretiens et de recensions »11. Les
carnets de recherche Hypothèses (fr.hypotheses.org) permettent,
quant à eux, de suivre l’actualité des équipes de recherches en
sciences humaines et sociales via le format blogs. Enfin, Analyse
Opinion Critique (aoc.media), se définissant comme un « quotidien
d’auteurs » et réunissant journalistes, chercheurs, écrivains,
intellectuels, artistes, etc., propose de « prendre de la hauteur » sur
le monde contemporain et participer aux débats qui l’agitent.

Et les « médias sociaux »… ?


La dernière catégorie de notre weborama, sans doute moins
évidente à circonscrire, étant donné l’extrême diversité des formats
médiatiques concernés, propose un éclairage sur les médias dits
« sociaux ». Offrant des contenus multimédiatiques et hybrides, ils
se caractérisent par leur « interactivité fonctionnelle » (avec la
machine) et sociale (fonction de partage et promesse de création de
liens entre et au sein de « communautés »). Nous envisageons ce
type de médias comme produisant, reprenant et échangeant des
contenus informationnels en ligne et tentons dès lors d’en dégager
deux sous-catégories principales.
Il s’agit d’abord de mettre en lumière des médias dont les
contenus sont créés spécifiquement pour circuler sur les médias
sociaux. Nous pouvons citer pêle-mêle Brut, Vice, Loopsider,
Konbini, etc., qui ont souvent leur propre site internet mais dont les
contenus sont spécialement adaptés pour être relayés sur les
réseaux socio-numériques (Facebook, Snapchat, TikTok, Twitter,
etc.) et plateformes de vidéos (YouTube, Dailymotion, etc.) : formats
courts, rythmés, pour une consommation en mouvement et souvent
soumis à une écriture pensée pour la visibilité en ligne. Ces médias
qui, dans leur définition stricte, renvoient à celle de pure players, ont
la particularité d’avoir une diffusion dépendant essentiellement
d’autres hôtes médiatiques (réseaux socio-numériques et
plateformes de vidéos). Les contenus associent texte, image, vidéo
et son, et mêlent information et divertissement (infotainment). Ils
sont ainsi majoritairement à destination de publics « jeunes »,
supposément moins enclins à s’informer sur les médias traditionnels.
La seconde sous-catégorie répertorie ensuite les « chaînes » ou
« émissions » spécialement conçues pour une plateforme
particulière. De plus en plus présentes, ces dernières années, dans
le paysage de la création de contenus informationnels, elles peuvent
être intéressantes pour des étudiants en journalisme, tant pour
s’informer que pour observer les mutations en cours du paysage
médiatique et du traitement de l’actualité. Ces nouveaux territoires,
majoritairement audiovisuels, sont si fluctuants et hétérogènes que
nous ne pouvons ici en dresser un recensement exhaustif. Outre
l’incontournable YouTube, notons que, du côté des plateformes,
Twitch, d’abord pensée pour la diffusion en direct de jeux vidéo et de
compétitions d’e-sport, est aujourd’hui investie aussi bien par des
journalistes indépendants que par les médias traditionnels. Elle est
sans doute l’une des plateformes les plus en vue dans le cadre de la
campagne présidentielle de 2022, avec la diffusion d’émissions
politiques. Du côté des personnalités, le vidéaste web Hugo Travers,
aujourd’hui journaliste, est un acteur installé sur YouTube (chaîne
Hugo Décrypte) et, plus récemment, sur Twitch pour une émission
hebdomadaire de talk-show intitulée « Mashup », tandis que Samuel
Étienne, journaliste venu du service public de la télévision, propose,
également sur Twitch, une revue de presse quotidienne (l’émission
La Matinée Est Tienne). Libre donc à vous de mener l’enquête et de
trouver des pépites médiatiques !
Nous ne pouvons conclure sans évoquer les acteurs de
l’intermédiation essentiels s’agissant de la diffusion, de la circulation,
de la mise en visibilité et de la consommation des actualités en ligne.
Se pose ici le problème de la dimension oligopolistique de cette
fonction prise en charge par quelques multinationales
(principalement les GAFTAM) et l’enjeu qui en découle, à savoir la
question décisive du financement des éditeurs de contenus.

1. URL : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000020740563/. Pour une


liste exhaustive et actualisée des services de presse en ligne reconnus par la
Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), voir :
https://data.culture.gouv.fr/explore/dataset/liste-des-services-de-presse-en-ligne-
reconnus/information/
2. URL : https://www.ladn.eu/media-mutants/presse-et-nouvelles-ecritures/disclose-
media-investigation-nouvelle-generation/
3. URL : https://disclose.ngo/fr/page/a-propos
4. Pour exemple, selon la CPPAP, le nombre de pure players a augmenté de 70 % entre
2013 et 2018 (passant de 255 à 434). Cette évolution tend à se stabiliser depuis.
5. Par exemple, Les Jours, qui comptait 11 000 abonnés en 2019, a été considérablement
fragilisé par la crise sanitaire de la Covid-19, au point d’organiser une campagne de
crowdfunding afin de gagner 2 000 abonnés supplémentaires à la fin de l’année 2020.
6. URL : https://theconversation.com/fr/who-we-are
7. URL : https://www.meta-media.fr/
8. URL : https://www.acrimed.org/-Qui-sommes-nous-
9. URL : https://www.acrimed.org/-Qui-sommes-nous-
10. URL : https://www.acrimed.org/Medias-francais-qui-possede-quoi
11. URL : https://www.college-de-france.fr/site/pierre-rosanvallon/la_vie_des_idees__1. htm
Chapitre 3
3 Panorama des initiatives en
EMI portées par des médias
et des journalistes

Virginie Sassoon

V
oici un tour d’horizon non exhaustif des initiatives, menées
en partenariat avec le CLEMI, qui donnent à voir la vitalité et
la diversité de ce secteur en pleine expansion.
Au côté du ministère de l’Éducation nationale, le ministère de la
Culture déploie un plan de soutien qui concerne les bibliothèques,
médiathèques, l’audiovisuel public, les professionnels de
l’information et les acteurs associatifs.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a aussi placé l’EMI
au cœur de ses priorités : il s’est doté d’un observatoire, d’un site
dédié avec des ressources pédagogiques, qui propose des modules
de formation en ligne pour les enseignants et développe ses
interventions sur le terrain, à travers notamment les Comités
territoriaux de l’audiovisuel.
Les organisations professionnelles sont également mobilisées.
Par exemple, l’Alliance pour l’Éducation aux Médias (APEM),
émanation de l’Alliance de la presse d’information générale, qui
réunit 300 titres de presse dans le sillon de l’ARPEJ, développe ses
actions auprès de tous les publics et en premier lieu des jeunes. La
Maison des journalistes (MDJ) organise l’opération « Renvoyé
spécial » : des journalistes exilés vont à la rencontre de jeunes
lycéens partout en France pour les sensibiliser à la cause de la
liberté de la presse et de la défense des démocraties. Du côté de la
formation, l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille a démarré
en 2015 un projet à La Condition publique, institution basée à
Roubaix, sous la forme d’une création d’un média participatif : le
Labo148. La rédaction est composée de jeunes issus des quartiers
populaires et d’étudiants. Depuis 2019, l’ESJ réunit toutes ses
actions d’EMI au sein du département ESJ Juniors. Parmi les
projets : des programmes animés par des journalistes
professionnels, l’organisation des Rencontres de l’éducation aux
médias et à l’information, ou encore le NewsTruck, un dispositif
mobile – utilitaire équipé de matériel de tournage/montage, photo et
son – qui propose des formations à la production de contenus.

Des projets EMI portés par des médias


Du côté de l’audiovisuel public, le programme InterClass
mobilise depuis 2015 la radio France Inter. Pendant l’année scolaire,
des journalistes vont à la rencontre de collégiens et lycéens de la
région parisienne pour co-produire des reportages, diffusés l’été
suivant sur les ondes. En 2020, neuf établissements ont bénéficié du
programme. Depuis 2021, une plateforme numérique, InterClass up,
présente la méthode (conçue en dix séances progressives, de la
théorie à la pratique) et regroupe de nombreuses ressources. Une
autre antenne de Radio France, Mouv’, a également développé un
programme intitulé Pod’Class, dans le sillon des tournées « Mouv’ in
the City » et des ateliers organisés dans les établissements.
En 2021, le programme accompagne 15 lycées et collèges pour
réaliser des podcasts autour de thématiques telles que l’écologie, la
lutte contre les discriminations, la citoyenneté numérique. Les
équipes éducatives et les élèves des établissements bénéficient d’un
suivi durant l’année scolaire, d’un dispositif collaboratif en ligne ainsi
que de tutoriels vidéo.
En région Grand Est, depuis 1995, « Journaliste d’un jour » est
une grande opération soutenue par Conseil régional qui mobilise
plusieurs titres de presse locaux : L’Alsace, Les dernières Nouvelles
d’Alsace, Le Républicain Lorrain, Vosges Matin, L’Est Républicain.
Des journalistes vont à la rencontre de 2 000 lycéens pour produire
des articles, diffusés ensuite dans un supplément distribué
gratuitement sur tout le territoire.
Le journal La Voix du Nord témoigne également d’un
engagement de longue date avec « Journalistes en herbe » amorcé
il y a neuf ans. Des élèves de primaire et de collège, encadrés par
les enseignants et des journalistes, publient des articles dans le
journal (420 élèves de 20 classes d’éducation prioritaire en 2019).
Une cinquantaine d’interventions sont menées dans des lycées et
300 à 400 collégiens et lycéens sont accueillis en stage
d’observation. En 2020, le quotidien a lancé une nouvelle initiative
sous la forme de la création d’un média, pilotée par deux
journalistes : « Ta voix ». L’objectif est de rencontrer et de valoriser
des jeunes entre 13 et 17 ans pour co-produire avec eux des
contenus (textes, photos, stories, vidéos, podcasts) sur les sujets qui
les intéressent. Ces contenus sont diffusés dans le journal et les
éditions locales, site internet mais aussi réseaux sociaux (Tiktok,
Snapchat et Youtube)1.
De son côté, le journal Ouest France a créé en 2005 une
association pour soutenir le développement des journaux lycéens
(association Journal des Lycées). Elle propose aux lycées, mais
aussi aux maisons familiales rurales, aux foyers de jeunes et
maisons de quartier qui le souhaitent de créer leur propre journal en
étant accompagnés par un journaliste professionnel. 60 lycées et
Maisons familiales rurales bénéficient du dispositif.
L’EMI est aussi une priorité pour le Bondy Blog, média en ligne
né au moment des révoltes urbaines de 2005, dont l’objectif est de
« raconter le quotidien de celles et ceux que l’on n’entend pas ou
dont la parole est déformée, stigmatisée, minoritaire ». La rédaction,
ouverte à tous, est constituée d’une vingtaine de reporters, pas tous
professionnels. Depuis 2013, les reporters interviennent dans des
établissements scolaires partout en France « afin de sensibiliser les
jeunes aux médias, faire d’eux les observateurs de leur propre
réalité, en les incitant ainsi à prendre du recul et redevenir les
acteurs de leur existence2. »

Des associations de journalistes


L’initiative Globe Reporters, née en 2005 et portée par
l’association Le retour de Zalumée, fédère des journalistes de
médias nationaux et des enseignants pour faire du journalisme
participatif et citoyen un outil pédagogique.
Cartooning for peace, association créée en 2006, est un réseau
international de dessinateurs de presse engagés pour le respect des
cultures et des libertés. Elle propose notamment une exposition
pédagogique itinérante, gratuite pour les établissements scolaires,
« Dessins pour la paix » pour aborder la liberté d’expression, la
censure, les droits et les discriminations. Dessinez Créez Liberté
(DCL), fondée par Charlie Hebdo et SOS Racisme au lendemain des
attentats de janvier 2015, initie également les jeunes au dessin de
presse (plus particulièrement la satire et la caricature).
« Entre les lignes », association fondée en 2010, constituée de
200 journalistes bénévoles de l’Agence France-Presse et du groupe
Le Monde, propose des ateliers EMI aux établissements scolaires.
La Zone d’expression prioritaire (ZEP), créée en 2013 et animée par
des journalistes professionnels, est un dispositif média innovant qui
accompagne les jeunes sur le chemin de l’expression de soi. La ZEP
publie leurs textes sur son site mais leur donne également de la
visibilité avec ses médias partenaires : Ouest France, Libération,
Le Monde, Konbini, le Huffpost, etc.
L’association Fake Off, autour de la journaliste et youtubeuse
Aude Favre (WTFAke), réunit depuis 2018 des journalistes
essentiellement issus de la télévision avec pour objectif de lutter
« contre la désinformation de masse chez les jeunes ».
Plus récemment, la Friche, collectif de quatre journalistes
indépendants basés à Roubaix engagés dans l’éducation aux
médias, a publié en 2021 avec l’association EDUmédia, un ouvrage
intitulé Petit manuel critique d’éducation aux médias.

Les nouveaux formats de l’information


Les actions des médias et des journalistes se traduisent
également par la production ou co-production médiatique destinée
aux jeunes et/ou aux enseignants pour favoriser une pédagogie
autour de l’information et expliciter les méthodes de vérification des
infox. Par exemple : « Les clés des médias et les clés du
numérique » sur Lumni, la plateforme éducative de l’audiovisuel
public, l’émission #VraiouFake sur France TV Info, le blog Factuel et
la rubrique « Making of sur les coulisses de l’information » de l’AFP,
« Les Observateurs » et « Info/Intox » sur France 24, « Les
décodeurs du Monde », la rubrique « CheckNews » de Libération…
Le journal La montagne, en Auvergne et Limousin, a par exemple
développé sa propre rubrique de fact-checking, intitulé
« (Anti)Viral ».
À noter également, des productions émanant des médias et de
presse jeunesse : par exemple, le podcast d’actualité « Salut l’info »
de France Info avec le magazine Astrapi pour les enfants de 7 à
11 ans ou le journal « Arte Junior » pour les 10-14 ans.

1. URL : https://www.lavoixdunord.fr/887222/article/2020-11-01/education-l-information-
la-voix-du-nord-s-engage-aux-cotes-des-enseignants
2. URL : https://www.bondyblog.fr/qui-sommes-nous/
Table des matières

Sommaire
Liste des contributeurs
Introduction
Le journalisme à l’étude : itinéraire parmi les métiers
et les savoirs pour s’orienter dans les mondes
de l’information
Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier

Partie I
Les études de journalisme : la constitution
d’un champ de recherche
Chapitre 1
Le journalisme comme champ d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration française
Chloë Salles
■ Des années vingt aux années quarante : une impulsion en sociologie provenant de
journalistes
■ Des années cinquante aux années soixante : la profession journalistique au prisme
des communications de masse
■ Des années soixante-dix aux années quatre-vingt : tournant critique dans l’analyse
des rédactions
■ Affirmation française de l’étude du journalisme comme profession et distanciation
critique

Chapitre 2
De Max Weber aux Journalism Studies : histoire et
contribution de la recherche sur le journalisme
Olivier Standaert
■ Aperçu historique de la recherche sur le journalisme
■ Quatre propositions théoriques pour appréhender le journalisme
Le journalisme comme profession
Le journalisme comme institution sociale
Le journalisme comme pratique
Le journalisme comme industrie et marché économique

Chapitre 3
2000-2020 : âge critique du journalisme ? Les
transformations contemporaines de la profession
Simon Gadras
■ Une identité journalistique chamboulée
Construire l’événement et interroger le rôle des journalistes
Médiatisation et légitimité journalistique
■ Les journalistes face à la concurrence croissante d’acteurs hors du champ
journalistique
Information versus communication
La place croissante des amateurs
Plateformes et réseaux socio-numériques au cœur de l’information en ligne
Questions à Arnaud Mercier
Entretien réalisé par Valérie Devillard

Partie II
Les métiers du journalisme : formations, carrières,
marchés
Chapitre 1
Qui sont les journalistes français ? Portrait
sociodémographique de la profession
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
■ Les sources statistiques
■ Une profession fondamentalement hétérogène
Une croissance rapide des effectifs
Une féminisation de la profession
Des journalistes de plus en plus diplômés
Des conditions et des secteurs d’emploi hétérogènes
Une concentration géographique

Chapitre 2
Devenir journaliste : de la formation à l’insertion
dans les mondes de l’information
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
■ La « course aux diplômes »
Densification et hiérarchisation de l’espace des formations
Des stratégies ajustées au marché scolaire
■ Les épreuves de l’insertion professionnelle
Franchir les « sas d’entrée »
Les secteurs et les facteurs d’insertion

Chapitre 3
Le journalisme sous contrainte économique
Gaël Stephan
■ Les biens médiatiques : des biens publics, d’expérience et sous tutelle
■ Structure de coûts et importance des coûts fixes
Avant le numérique
Effets du numérique sur les structures de coûts des médias
■ Quels revenus pour les entreprises médiatiques ?
Les revenus tirés du public
Les ressources publicitaires
■ Concentration et pluralisme
■ L’État et les médias en France
Le service public audiovisuel
Les aides à la presse

Chapitre 4
Le glissement des rédactions de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande
Rémy Le Champion
■ Méthodologie
■ Journalisme de marché
■ L’oxymore « entreprise de presse »
■ La double pression des annonceurs et du public
■ La pression des annonceurs
■ La pression du public
■ Le glissement vers un journalisme de la demande
■ Le rôle social du journaliste malgré tout préservé

Chapitre 5
L’intrication croissante des métiers du journalisme
et de la communication
Cégolène Frisque
■ Des formations de plus en plus proches, techniques et professionnalisées
Une proximité croissante des formations en journalisme et en communication
Le développement des stages et alternances, une main-d’œuvre opportune
pour les médias
La place croissante des techniques numériques dans les formations
■ Les activités croissantes des journalistes dans la communication,
du complément de revenu à la reconversion
La communication, un complément de revenu fréquent et souvent nécessaire,
dans un contexte de précarisation et d’« ubérisation »
Des activités intermédiaires entre journalisme et communication
Perspectives de reconversion dans la communication et passage à l’acte
■ Des pratiques de plus en plus hybrides tant du côté du journalisme
que de la communication
Des activités de communication qui emploient les codes du journalisme
Un journalisme qui utilise de plus en plus les outils de la communication,
vers la « production de contenus » indifférenciés
Des agences de plus en plus polyvalentes
Questions à Alexandre Joux
Entretien réalisé par Valérie Devillard

Partie III
L’éthique du journalisme en pratique
Chapitre 1
Des pratiques journalistiques éclatées
mais une éthique commune ?
Agnès Granchet
■ L’éclatement des normes déontologiques du journalisme, reflet de la diversité
des pratiques professionnelles ?
Multiplicité des codes de déontologie journalistique
Diversité des chartes d’entreprises médiatiques
■ La formalisation des principes fondamentaux du journalisme,
expression de valeurs éthiques communes
Liberté et indépendance des journalistes
Responsabilité des journalistes à l’égard du public

Chapitre 2
Le lanceur d’alerte et le journaliste
Camille Laville
■ La figure du lanceur d’alerte : essai de définition
De la genèse du concept à sa définition juridique
Des fuiteurs d’informations (leaks) aux lanceurs d’alerte
■ Le lanceur d’alerte : prise de risques et limites du statut juridique
La protection du lanceur d’alerte : un cadre juridique en cours d’harmonisation
Lancer l’alerte : une initiative qui n’est pas sans risque
■ Une nécessaire adaptation de la protection des sources
et de l’éthique journalistique
Le lanceur d’alerte : une source d’information comme une autre ?

Chapitre 3
Les évolutions des instances de régulation de l’information
Agnès Granchet
■ Une longue tradition de contrôle public de l’information
Le juge, « première institution de contrôle déontologique des pratiques
journalistiques » ?
Le régulateur de l’audiovisuel et la « déontologie de l’information et des
programmes »
■ Une lente progression de l’autorégulation professionnelle de l’information
Crainte récurrente d’un ordre professionnel des journalistes
Portée limitée des organes d’autorégulation spécifiques à certains médias
Création récente du Conseil de déontologie journalistique et de médiation

Chapitre 4
La bonne foi du journaliste poursuivi pour diffamation
Amal Benhamoud
■ La prise en compte de la qualité de professionnel de l’information de l’auteur
des propos diffamatoires
■ L’incidence du genre de l’écrit journalistique
Questions à Benoît Grevisse
Entretien réalisé par Agnès Granchet

Partie IV
Les genres et les formats journalistiques
Chapitre 1
La dépêche d’agence, immuable et changeante
Éric Lagneau
■ La dépêche en pratique : un format d’objectivité
■ Découpage de la copie et palette de dépêches
Chapitre 2
Le journal télévisé : un modèle canonique
Marie-France Chambat-Houillon
■ Les caractéristiques du genre « journal télévisé »
La temporalité singulière de la programmation : la « grande messe » du vingt
heures
La place structurante de l’actualité
Un repère face à la multiplication des canaux d’information
■ L’organisation du format du journal télévisé
Le contenu du journal comme construction du point de vue de la chaîne sur
l’actualité
La pluralité du traitement de l’information
Les nouvelles modalités du JT : entre visualisations infographiques
et mise en visibilité de la vérification de l’information

Chapitre 3
L’infodivertissement, les frontières floues
d’un genre télévisuel
Marie-France Chambat-Houillon
■ Restructuration du secteur médiatique et infodivertissement
■ Nature de l’information dans l’infodivertissement
■ De l’information au divertissement et réciproquement

Chapitre 4
« Il faut être absolument contemporain ». Quels supports
médiatiques pour la diffusion de l’art contemporain
en France ?
Flore Di Sciullo
■ Brève histoire de la presse d’art contemporain en France depuis les années 1970
■ Sous les pavés, la page : le dynamisme éditorial et artistique des années 1970
et suivantes
De l’art moderne à l’art contemporain
Un contexte éditorial favorable au développement de nouvelles revues
■ Des périodiques artistiques « engagés » mais souvent de courte durée
Des revues politisées : l’exemple de Peinture, cahiers théoriques
Différentes revues pour différents courants artistiques
Une place laissée vacante
■ Art press : une « revue qui traverse le temps »
Entre palimpseste générationnel et conception pluridisciplinaire de la création :
les clés d’un succès éditorial
De l’esthétique au politique : construction d’un ethos engagé
■ Un modèle hégémonique, mais remis en question
■ « L’art n’est plus au temps des magazines » : un renouveau pour la presse d’art
contemporain
■ Vers une hybridation de la presse artistique : du magazine papier à Internet

Chapitre 5
La critique d’art et ses contraintes :une instance
prescriptrice en danger ?
Flore Di Sciullo
■ La critique d’art contemporain, fruit d’une tradition littéraire et philosophique
■ La critique d’art contemporain soumise à la « tyrannie du présent perpétuel »
(Hartog, 2003)
■ « Profession critique d’art » : entre précarité et gratifications symboliques

Chapitre 6
Les mutations de la photographie de presse
dans les médias en ligne
Maxime Fabre
■ L’image de presse aux prises avec le numérique
Distinguer les acteurs du numérique
Matière et format de l’image de presse numérique
L’adaptation tactique face aux réseaux sociaux
■ Mondialisation et représentation de l’information journalistique
La valeur de la photo de presse
Les réseaux sociaux de l’image
Le tournant du journalisme mobile ou MoJo (Mobile Journalism)
Questions à Roselyne Ringoot
Entretien réalisé par Lucie Alexis

Partie V
Les nouvelles écritures de l’information
Chapitre 1
Le journalisme de solutions, une méthode
pour améliorer les pratiques journalistiques et le rapport
aux publics
Pauline Amiel
■ De sa naissance dans les années 1990 aux États-
Unis à son importation en France
■ Le concept, les acteurs
■ Un concept critiqué
■ Une solution à la crise des médias ?

Chapitre 2
Le journalisme participatif : genèse et évolutions récentes
Jérémie Nicey
■ Interpeller, débattre et témoigner : aux origines de la participation des publics
■ Commenter, produire et collaborer : les incitations et intérêts des médias pour
les contenus non professionnels au cours des années 2000
■ Interpeller de nouveau, via le fact-checking et le debunking,
à la fin des années 2010 : le retour de la participation ?

Chapitre 3
Les nouveaux formats des « vieux » médias : repenser le
rapport à l’actualité
Lucie Alexis
■ Informer en condensant l’actualité
Une tradition télévisuelle autour de la forme brève
De courtes vidéos circulant sur les réseaux socio-numériques
Les newsletters d’information : un effet de florilège
■ Quand le périmètre de l’information journalistique s’agrandit
Cap sur le podcast
Un autre rapport à l’actualité avec l’écriture sonore ?
Une filiation avec l’écriture documentaire
Les applications mobiles ad hoc et complémentaires : une logique de vulgarisation
Questions à Lucie Soullier et Clea Petrolesi
Entretien réalisé par Lucie Alexis

Partie VI
Le décryptage de l’information
Chapitre 1
Les journalistes et leurs sources
Loïc Ballarini et Camille Noûs
■ Les médias et leurs sources, une vieille histoire
Rechercher la vérité
Associés et rivaux
Tout est enquête
■ Diversifier, ou le numérique au secours des journalistes
Chapitre 2
Données numériques, pratiques professionnelles et
organisation de la production journalistique
Vincent Bullich
■ Une nouvelle heuristique journalistique ?
■ L’intégration des fonctions
■ L’automatisation de la production et de la publication

Chapitre 3
Du journalisme d’information au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission aux plateformes
et quête de stratégie
Laurent Bigot
■ De l’éclosion du fact-checking à sa réinvention
■ L’émergence de la démystification des rumeurs
■ L’apparition d’actions destinées à l’empowerment des citoyens

Chapitre 4
L’éducation aux médias et à l’information : une nouvelle
facette du métier de journaliste
Virginie Sassoon
■ Le fil rouge de la transmission
L’éducation aux médias et à l’information : de quoi parle-t-on ?
Les médias dans l’école : repères historiques
■ Intervenir en classe
Co-construire avec l’enseignant
Développer une réflexion critique sur sa pratique professionnelle
Partir des pratiques informationnelles des jeunes
Déconstruire les stéréotypes pour un enrichissement mutuel
Questions à Fabrice d’Almeida
Entretien réalisé par Inna Biei

Partie VII
Le journalisme international
Chapitre 1
L’« information internationale », une information jugée trop
spécialisée et coûteuse ?
Dominique Marchetti
■ La « noblesse » de l’International
■ La restructuration de l’espace journalistique français et ses effets sur la division du
travail
■ La redéfinition des contenus de l’« actualité internationale »
■ Des transformations externes

Chapitre 2
Mourir en couvrant les conflits armés. Risques et
transformations du reportage de guerre
Olivier Koch
■ Hausse de la mortalité et accroissement des risques sur les zones de guerre
La transformation des conflits
Les évolutions du management de l’information de guerre
Technologies de télétransmission mobile et surveillance digitale
Concurrence et transformation de la production
■ Sécuriser et encadrer les pratiques : le tournant prudentiel des rédactions
Transformer les pratiques à risque
Organiser le plaidoyer et la sécurisation des pratiques
Évolutions du droit et des codes de bonnes conduites
Déconstruire les mythes professionnels

Chapitre 3
La fabrique de l’information européenne
Olivier Baisnée
■ Brève histoire du corps de presse des correspondants de l’Union européenne
■ La remise en cause des années 2000
■ Une place d’information entre permanences et transformations
Questions à Tristan Mattelart
Entretien réalisé en janvier 2022 par Valérie Devillard

Partie VIII
Guide pratique de l’étudiant en journalisme
Chapitre 1
Se préparer aux concours des écoles de journalisme
Julie Vayssière
■ Introduction
Petite histoire des écoles de journalisme
Quelques dates repères
■ 1re partie : Présentation des écoles reconnues
La « voie royale »
Comment entre-t-on en école de journalisme ?
Qu’enseigne-t-on en école de journalisme ?
Quels débouchés professionnels après l’école ?
■ Celsa – Sorbonne Université
■ CFJ Paris – Centre de formation des journalistes
■ CUEJ – Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg
■ EDC – École de journalisme de Cannes (IUT Journalisme Nice-Côte d’Azur)
■ L’École de journalisme de Grenoble (EJdG)
■ EJCAM – École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille
■ École de journalisme de Sciences Po Paris
■ EJT – École de journalisme de Toulouse
■ EPJT – École publique de journalisme de Tours
■ ESJ Lille – École supérieure de journalisme de Lille
■ IFP – Institut français de presse (Université-Panthéon-Assas)
■ IJBA – Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine
■ IPJ – Institut pratique du journalisme (Université Paris Dauphine)
■ IUT de Lannion
■ 2e partie : Se préparer aux concours
■ I. Contre le manque de diversité, deux prépas
La prépa Égalité des chances (ESJ Lille)
La Chance, pour la diversité dans les médias (CFJ)
■ II. Préparer son dossier
Écrire son CV
Rédiger sa lettre de motivation
Les productions personnelles
Connaître le métier et le monde des médias
■ III. Les épreuves des concours
L’actualité
Le français
Le portrait
Le synopsis – le reportage
Les épreuves de langues
La culture générale
L’oral de motivation

Chapitre 2
Weborama : focus sur les acteurs de référence de
l’information en ligne
Lucie Alexis et Mathias Valex
■ Panorama des principaux services de presse en ligne
■ Les sites d’information méta-médiatiques
■ Et les « médias sociaux »… ?

Chapitre 3
Panorama des initiatives en EMI portées par des médias
et des journalistes
Virginie Sassoon
■ Des projets EMI portés par des médias
■ Des associations de journalistes
■ Les nouveaux formats de l’information

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