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Partie I
Les études de journalisme : la constitution
d’un champ de recherche
Chapitre 1
Le journalisme comme champ d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration française
Chloë Salles
Chapitre 2
De Max Weber aux Journalism Studies : histoire et
contribution de la recherche sur le journalisme
Olivier Standaert
Chapitre 3
2000-2020 : âge critique du journalisme ? Les
transformations contemporaines de la profession
Simon Gadras
Questions à Arnaud Mercier
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie II
Les métiers du journalisme : formations, carrières,
marchés
Chapitre 1
Qui sont les journalistes français ? Portrait
sociodémographique de la profession
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
Chapitre 2
Devenir journaliste : de la formation à l’insertion
dans les mondes de l’information
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
Chapitre 3
Le journalisme sous contrainte économique
Gaël Stephan
Chapitre 4
Le glissement des rédactions de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande
Rémy Le Champion
Chapitre 5
L’intrication croissante des métiers du journalisme
et de la communication
Cégolène Frisque
Questions à Alexandre Joux
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie III
L’éthique du journalisme en pratique
Chapitre 1
Des pratiques journalistiques éclatées
mais une éthique commune ?
Agnès Granchet
Chapitre 2
Le lanceur d’alerte et le journaliste
Camille Laville
Chapitre 3
Les évolutions des instances de régulation de l’information
Agnès Granchet
Chapitre 4
La bonne foi du journaliste poursuivi pour diffamation
Amal Benhamoud
Questions à Benoît Grevisse
Entretien réalisé par Agnès Granchet
Partie IV
Les genres et les formats journalistiques
Chapitre 1
La dépêche d’agence, immuable et changeante
Éric Lagneau
Chapitre 2
Le journal télévisé : un modèle canonique
Marie-France Chambat-Houillon
Chapitre 3
L’infodivertissement, les frontières floues
d’un genre télévisuel
Marie-France Chambat-Houillon
Chapitre 4
« Il faut être absolument contemporain ». Quels supports
médiatiques pour la diffusion de l’art contemporain
en France ?
Flore Di Sciullo
Chapitre 5
La critique d’art et ses contraintes : une instance
prescriptrice en danger ?
Flore Di Sciullo
Chapitre 6
Les mutations de la photographie de presse
dans les médias en ligne
Maxime Fabre
Questions à Roselyne Ringoot
Entretien réalisé par Lucie Alexis
Partie V
Les nouvelles écritures de l’information
Chapitre 1
Le journalisme de solutions, une méthode
pour améliorer les pratiques journalistiques et le rapport
aux publics
Pauline Amiel
Chapitre 2
Le journalisme participatif : genèse et évolutions récentes
Jérémie Nicey
Chapitre 3
Les nouveaux formats des « vieux » médias : repenser le
rapport à l’actualité
Lucie Alexis
Questions à Lucie Soullier et Clea Petrolesi
Entretien réalisé par Lucie Alexis
Partie VI
Le décryptage de l’information
Chapitre 1
Les journalistes et leurs sources
Loïc Ballarini et Camille Noûs
Chapitre 2
Données numériques, pratiques professionnelles et
organisation de la production journalistique
Vincent Bullich
Chapitre 3
Du journalisme d’information au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission aux plateformes
et quête de stratégie
Laurent Bigot
Chapitre 4
L’éducation aux médias et à l’information : une nouvelle
facette du métier de journaliste
Virginie Sassoon
Questions à Fabrice d’Almeida
Entretien réalisé par Inna Biei
Partie VII
Le journalisme international
Chapitre 1
L’« information internationale », une information jugée trop
spécialisée et coûteuse ?
Dominique Marchetti
Chapitre 2
Mourir en couvrant les conflits armés. Risques et
transformations du reportage de guerre
Olivier Koch
Chapitre 3
La fabrique de l’information européenne
Olivier Baisnée
Questions à Tristan Mattelart
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie VIII
Guide pratique de l’étudiant en journalisme
Chapitre 1
Se préparer aux concours des écoles de journalisme
Julie Vayssière
Chapitre 2
Weborama : focus sur les acteurs de référence de
l’information en ligne
Lucie Alexis et Mathias Valex
Chapitre 3
Panorama des initiatives en EMI portées par des médias
et des journalistes
Virginie Sassoon
Liste des contributeurs
L
e journalisme est au cœur du débat démocratique. Comme
tel, il donne matière à des débats passionnés, se pare de
toute une mythologie, et essuie des critiques parfois
virulentes, nourries par le traitement de l’actualité et les
« emballements » médiatiques successifs. Le journalisme
contemporain se transforme et se réinvente au gré de ces tumultes,
et sous l’effet de changements à la fois technologiques, culturels,
économiques et organisationnels. Ces transformations concernent
aussi bien l’offre de formations et les marchés du travail
journalistique, que les méthodes de management et les conditions
d’emploi au sein des entreprises de presse, ou encore les pratiques
de production, de diffusion, de circulation et de consommation de
l’information. Plus spécifiquement, de nouveaux acteurs et formats,
de nouvelles pratiques et écritures émergent, à la faveur de la
transition numérique opérée ces dernières décennies.
Pareils bouleversements peuvent susciter bien des
interrogations parmi celles et ceux qui se destinent aux métiers du
journalisme. Pour y répondre, ce manuel d’études en journalisme se
donne une double vocation. Il propose d’abord un état des savoirs
autour des mondes de l’information. Il entend ensuite guider et
conseiller les étudiants désireux de préparer les concours des
écoles de journalisme. Il offre ainsi un panorama des recherches
actuelles en journalisme, où se côtoient les sciences de l’information
et de la communication, la sociologie et la science politique, ainsi
que des ressources pratiques s’agissant des formations et des
métiers.
Par son contenu et sa vocation, l’ouvrage s’adresse en priorité
aux étudiants qui entreprennent des études supérieures (de niveau
bachelor, licence ou master) dans le journalisme, les médias ou
l’information-
communication. Il associe les connaissances et l’expérience de
chercheurs, de formateurs et de professionnels, pour couvrir un
large spectre de questions :
■ Comment devient-on journaliste ? Quelles sont les « voies
royales » d’accès à la profession ? Quelles formations choisir
et comment s’y préparer ? Quelles sont les étapes et les
embuches de l’insertion professionnelle dans les métiers du
journalisme ? Comment l’économie des médias d’information
se structure et évolue-t-elle ?
■ Quelles sont les normes déontologiques et les instances de
régulation qui orientent l’activité des journalistes ? Que
peuvent le « fact-checking » et l’éducation aux médias face à
la propagation des rumeurs et aux manipulations en tout
genre ?
■ Mais aussi : quels standards organisent-ils l’écriture de
l’information ? Comment le numérique redessine-t-il les
pratiques professionnelles ? Quels sont les formats et les
écritures innovants ? Qu’entend-on par
« infodivertissement », « journalisme de solutions »,
« journalisme participatif », ou encore « datajournalisme » ?
■ Le questionnement concerne également le journalisme
international, du travail des correspondants auprès des
institutions européennes à celui des rédactions et des
reporters pour couvrir les guerres.
Pour orienter le lecteur dans le foisonnement des formations,
des métiers, des pratiques et des recompositions du journalisme, le
volume se structure en huit chapitres thématiques. Chacun se
compose d’une série de contributions et d’un entretien auprès d’un
spécialiste du domaine. À défaut d’exhaustivité, ce manuel d’études
en journalisme entend proposer un itinéraire aussi complet et
pédagogique que possible.
La première partie retrace les études pionnières sur le
journalisme dans le monde francophone, largement inspirées de
l’exemple nord-américain qui, dès les années trente à l’Université de
Chicago puis dans les années soixante à Columbia (New York), a
contribué à façonner ce nouveau champ d’études (Chloë Salles,
Olivier Standaert). Il présente la structuration et les orientations de la
recherche actuelle, et éclaire les nouveaux défis auxquels doit faire
face la profession (Simon Gadras). Un entretien avec le politiste
Arnaud Mercier, spécialiste des médias, se concentre plus
spécifiquement sur les transformations des pratiques
professionnelles consécutives à la transition numérique.
La question de la formation et des carrières est développée
dans la deuxième partie, en lien étroit avec les réalités et les
difficultés des marchés de l’emploi journalistique, et avec les
rouages complexes de l’économie des médias. Les étapes cruciales
de la formation et de l’insertion professionnelle sont décrites du point
de vue des candidats à la profession, pour établir les conditions, les
modalités et conjointement les difficultés d’entrée dans les métiers
du journalisme (Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier). Les
parcours d’insertion prennent place dans un secteur d’activité dont
les logiques et les contraintes économiques, de plus en plus
prégnantes, sont méthodiquement analysées (Gaël Stephan, Rémy
Le Champion). Face à la précarisation croissante des emplois
journalistiques, les carrières se construisent de plus en plus souvent
dans un va-et-vient entre les métiers du journalisme et ceux de la
communication, en raison de la proximité et même de la « porosité »
entre ces deux univers socioprofessionnels (Cégolène Frisque).
Alexandre Joux, chercheur en sciences de l’information et de la
communication et directeur de l’École de journalisme et de
communication d’Aix-Marseille, explicite en entretien les logiques de
recrutement au sein des formations spécialisées et des entreprises
de presse.
La troisième partie interroge l’éthique du journalisme, ses défis
pratiques, ses normes et ses valeurs, ainsi que les instances veillant
à leur application et, par là même, leur contribution à la construction
de l’identité professionnelle des journalistes. La diversité des
fonctions et des pratiques journalistiques, et l’éclatement des
normes déontologiques entre une multitude de codes et de chartes
posent d’abord la question de l’existence de principes fondamentaux
et de valeurs partagées, constitutifs d’une éthique professionnelle
commune (Agnès Granchet). L’apparition des « lanceurs d’alerte » et
leur multiplication conduisent ensuite à s’interroger sur leur définition
et, en particulier, sur ce qui les différencie des journalistes
professionnels, sur les modalités de leur protection juridique, sur
leurs relations avec les journalistes et les adaptations d’ordre
éthique qui en découlent (Camille Laville). L’évolution des instances
de régulation de l’information montre, malgré la persistance d’un
contrôle public émanant du juge et du régulateur de l’audiovisuel,
une relative progression de l’autorégulation professionnelle (Agnès
Granchet). Un focus sur la bonne foi du journaliste poursuivi pour
diffamation illustre, plus particulièrement, le rôle du juge dans
l’appréciation du respect de l’éthique journalistique
(AmalBenhamoud). Un entretien avec Benoît Grevisse, professeur à
l’Université catholique et directeur de l’École de journalisme de
Louvain, met enfin en lumière les principaux aspects de l’évolution
récente de la déontologie journalistique, tant en termes d’enjeux
pratiques que de principes normatifs et de légitimité.
La quatrième partie s’intéresse aux genres et aux formats
médiatiques. Deux contributions se concentrent sur les formats les
mieux établis, à savoir la dépêche d’agence et le journal télévisé
(Éric Lagneau, Marie-France Chambat-Houillon). Ces « modèles
canoniques », aussi stabilisés soient-ils, recouvrent toute une
gamme de variations, et intègrent progressivement de nouvelles
manières de structurer, d’écrire ou de donner à voir l’actualité. Pour
sa part, l’essor de l’infodivertissement à la télévision bouscule les
frontières entre deux genres a priori distincts, et consacre des
formes hybrides où s’opère un dosage variable entre information et
amusement (Marie-France Chambat-Houillon). Dans un registre
encore différent, le journalisme culturel est examiné au prisme de la
presse et de la critique d’art contemporain, pour en établir la
généalogie et les spécificités, mais aussi les fragilités et les
adaptations au gré des contextes socioculturels (Flore Di Sciullo). Le
photojournalisme est ensuite étudié à l’aune des profondes
transformations engendrées par le numérique, ses dispositifs et ses
usages, au point de bousculer la valeur même des photographies de
presse (Maxime Fabre). Roselyne Ringoot, professeure en sciences
de l’information et de la communication et codirectrice de l’École de
journalisme de Grenoble, revient en entretien sur le concept de
« genre », afin d’en établir les spécificités et la pertinence pour
l’étude des discours et (indissociablement) des pratiques
journalistiques.
La partie suivante esquisse les nouvelles écritures de
l’information. C’est-à-dire un ensemble de pratiques qui, loin de se
réduire à des innovations formelles, sont autant de tentatives pour
couvrir et construire différemment l’actualité, et, partant, pour fédérer
et mobiliser les publics. Ces innovations font émerger des manières
singulières d’exercer et d’incarner la médiation journalistique, et de
comprendre la nécessaire interdépendance entre les journalistes et
leurs publics. Dans cette perspective, une première contribution
décrit le journalisme de solutions, tandis qu’une deuxième
s’intéresse au journalisme participatif, pour en sonder les origines,
les modalités, les potentialités, mais aussi les écueils et les critiques
(Pauline Amiel, Jérémie Nicey). Il s’agit ensuite de montrer comment
les nouveaux formats (formes brèves audiovisuelles, podcasts, etc.)
expérimentés par les médias traditionnels invitent à repenser le
rapport à l’actualité (Lucie Alexis). Enfin, un entretien croisé entre
Lucie Soullier, journaliste au service investigation du Monde, et Clea
Petrolesi, metteuse en scène et directrice de la compagnie Amonine,
évoque la rencontre entre journalisme et théâtre.
La sixième partie esquisse les formes contemporaines et les
enjeux du décryptage de l’information. Une première contribution
insiste sur le rôle crucial et souvent méconnu des « sources » dans
la fabrication de l’information, et sur les rapports complexes qui se
nouent entre les journalistes et leurs informateurs (Loïc Ballarini et
Camille Noûs). Si des méthodes nouvelles de diversification des
sources se constituent via l’internet, c’est toute la chaîne de
production de l’information qui se transforme avec l’extension des
données numériques et de leurs usages professionnels, au risque
de dénaturer le travail journalistique et d’accentuer la
marchandisation de l’information (Vincent Bullich). Par ailleurs, face
à la propagation virale des rumeurs et des fake news sur le web et
les réseaux sociaux, les rédactions se réapproprient le fact-checking
et multiplient les rubriques et les initiatives, de plus en plus souvent
en association avec les géants de l’internet, dont la position apparaît
ambiguë (Laurent Bigot). Pareil contexte rend d’autant plus
nécessaire l’éducation aux médias et à l’information (EMI) auprès
des plus jeunes, laquelle peut constituer un débouché professionnel
pour les journalistes (Virginie Sassoon). En complément, les formes
modernes de propagande et de manipulation informationnelle sont
au cœur de l’entretien réalisé auprès de Fabrice d’Almeida, historien
des médias.
Exercer comme correspondant à l’étranger ou comme « grand
reporter », débattre des enjeux internationaux ou couvrir les conflits
armés : autant de facettes du métier de journaliste, qui ont
longtemps fait ses lettres de noblesse. Loin des clichés attachés à
ces figures emblématiques, la septième partie examine d’abord la
relative dépréciation de l’information internationale et de ses
contenus, sous l’effet de contraintes économiques et de
changements organisationnels au sein des rédactions (Dominique
Marchetti). De même, les correspondants européens à Bruxelles, qui
couvrent une actualité institutionnelle pointue, se confrontent eux
aussi à des conditions d’exercice moins favorables et à la
concurrence de nouveaux acteurs et canaux d’information (Olivier
Baisnée). Dans un tout autre domaine, l’on découvre au plus près
les risques encourus par les journalistes qui se rendent dans les
zones de guerre, et les mesures de sécurité davantage exigeantes
prises par les rédactions, face à des conflits de plus en plus
meurtriers (Olivier Koch). Enfin, Tristan Mattelart, spécialiste de la
géopolitique des médias, montre le rôle et la place de l’internet dans
la globalisation de l’information, ainsi que les usages stratégiques de
l’information comme soft power au sein de l’échiquier mondial.
La dernière partie assume une vocation résolument pratique. La
journaliste Julie Vayssière, diplômée de l’École supérieure de
journalisme de Lille, donne au lecteur toutes les clés pour s’orienter
parmi les écoles « reconnues » par la profession (au nombre de
quatorze) et se préparer aux épreuves d’admission. Elle commence
par décrire l’histoire et l’identité des différentes formations, les
diplômes et les débouchés qu’elles proposent, ainsi que leurs
modalités d’admission. Elle développe ensuite le contenu et les
attendus des dossiers de candidature, ainsi que les épreuves de
sélection et les critères de réussite. Le lecteur trouvera ainsi dans ce
chapitre une présentation complète et actualisée des formations
labellisées, enrichie de nombreux conseils pour se préparer aux
épreuves et tenter d’intégrer l’une ou l’autre de ces écoles, aussi
sélectives que convoitées.
Le manuel se clôt sur une ouverture vers d’autres lectures,
référencées au sein d’une « boîte à outils » documentaire. Le lecteur
y découvrira, d’une part, un weborama décrivant les acteurs de
référence de l’information en ligne (Lucie Alexis et Mathias Valex),
et, d’autre part, un ensemble de ressources autour de l’éducation
aux médias et à l’information (Virginie Sassoon).
PARTIE I
LES ÉTUDES
DE JOURNALISME : LA
CONSTITUTION D’UN CHAMP
DE RECHERCHE
Chapitre 1
1 Le journalisme comme champ
d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration
française
Chloë Salles
L
es processus ayant participé à la constitution d’un champ
d’étude spécifique au journalisme en France et aux États-Unis
sont indissociables de l’histoire de l’activité journalistique et
des étapes qui ont participé à légitimer celle-ci sans cesse depuis
près d’un siècle et demi. Le journalisme, tel qu’il l’est aujourd’hui,
sous les feux de vives critiques, a toujours eu « mauvaise presse »
(Lemieux, 2000). L’historien Raymond Manévy en décrivait la
réputation à l’époque de la Révolution française comme
« exécrable » (1958) : « Un observateur en 1785 : “À Paris, on traite
absolument comme des filles de joie ces écrivains qui font les
nouvelles. On les tolère et de temps à autre, on en envoie une
colonie dans les prisons.” » Cette mauvaise réputation n’était pas
spécifique au contexte français, elle précédait l’activité journalistique
dans d’autres pays aussi. Comme le souligne Carey à propos des
journalistes aux États-Unis (2000 :16) : « Les journalistes n’étaient
pas des individus éduqués, et ils n’étaient assurément pas des gens
de lettres. Ils formaient une collection improbable de scribouillards
itinérants, aspirants romanciers ou écrivains ratés. » Qu’il s’agisse
du contexte états-unien ou français, parmi les stratégies de
valorisation de la profession ayant été mises en œuvre (Ruellan,
2010 ; Rieffel, 1984)1, il y a eu l’inscription du journalisme à
l’université comme objet de formation et de réflexion. Les acteurs à
l’œuvre ont été divers, évoluant entre les contextes académique,
professionnel, institutionnel, et guidés chacun d’entre eux, par la
recherche de reconnaissance du journalisme en société et auprès
de l’université et des élites politiques.
Afin de situer les prémices d’une structuration de la recherche
française sur le journalisme dans les années soixante-dix/quatre-
vingt, cette contribution prend en compte la situation des journalistes
aux États-Unis au début du XIXe siècle. Il est développé en quatre
parties selon l’ordre chronologique des recherches devenues des
références et en fonction des approches privilégiées. La chronologie
traduit de manière imparfaite la cartographie complexe de
l’émergence de recherches dispersées au sein de disciplines et de
courants scientifiques variés, mais elle a le mérite de permettre une
esquisse de la structuration des contours du champ des études sur
le journalisme.
Bibliographie
• Bastin G., « Le journalisme et les sciences sociales. Trouble ou
problème ? », Sur le journalisme, About journalism, Sobre
jornalismo [en ligne], vol 5, n° 2, 2016.
• Berkas A., La recherche sur les communications de masse en
France. Genèse et essor d’un objet scientifique, 1945-1972.
Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la
communication, Université de Lorraine, 2014.
• Cabedoche B., « Le rapport McBride, conférence du consensus
avant l’heure : L’expérimentation refoulée d’une médiation
politique originale, porteuse d’un espace public sociétal et des
valeurs fondatrices de l’Unesco », Les Enjeux de l’information et
de la communication, 1 (1), 201, p. 69-82.
• Carey J. W., « Some personal notes on US journalism
education », Journalism, vol. 1, no 1, 2000, p. 12-23.
• Lemieux C., Mauvaise Presse, Paris, Anne-Marie Métailié, 2000.
• Manévy R., La presse française de Renaudot à Rochefort, Paris,
Forêt éditeur, 1958.
• Miège B., « France : l’incomplétude des relations entre
journalisme et université », Les enjeux de l’information et de la
communication, 2006/1, p. 43-52.
• Pélissier N., Journalisme : avis de recherche. La production
scientifique française dans son contexte international, Bruxelles,
Bruylant, 2008.
• Rieffel R., L’élite des journalistes : les hérauts de l’information,
Paris, PUF, 1983.
• Ruellan D. Nous, journalistes. Déontologie et identité, Grenoble,
PUG, 2011.
• Ruellan D., Le journalisme ou le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.
• Singer J. B., « Journalism Research in the United States.
Paradigm shift in a Networked World », dans Löffelholz, M.,
Weaver, D., Global Journalism Research. Theories, Methods,
Findings, Future, Blackwell Publishing, 2008.
• Zelizer B., « What is journalism studies? », Journalism, London,
Sage Publications, 2000.
• Zelizer B., Taking journalism seriously: News and the academy,
London, Sage Publications, 2004.
Olivier Standaert
L
a recherche sur le journalisme, en tant qu’activité de
production d’un savoir et d’un discours scientifique, reflète
certains enjeux liés au journalisme lui-même. Son périmètre,
tout d’abord : est-il possible – souhaitable ? – de délimiter
précisément ses objets, ses cadres théoriques et ses finalités,
sachant que la définition même du journalisme demeure ouverte,
évolutive et sujette à débats (Vos, 2018) ?
Son autonomie, ensuite : en tant que sous-discipline des
sciences sociales, et des sciences de l’information et de la
communication (SIC) en particulier, la recherche sur le journalisme
peut-elle faire valoir une autonomie théorique et des approches
spécifiques, ou bien se situe-t-elle au confluent de différentes
disciplines (sociologie, économie, sciences politiques, linguistique,
histoire, sciences de l’informatique, etc.), à charge pour les
chercheurs d’en tirer profit en fonction de leurs orientations, de leurs
contraintes et de leurs possibilités ?
Enfin, les changements technologiques, économiques,
éditoriaux et d’usages qui affectent les médias d’information ont un
impact considérable sur le renouvellement des problématiques parmi
la communauté scientifique, ce qui pose la question de la stabilité de
ce domaine d’étude. À elles seules, les niches des Digital Journalism
Studies (Steensen et Westlund, 2021) et du journalisme automatisé
(Diakopoulos, 2019), incarnées par le succès quasi immédiat et
croissant d’une revue scientifique telle que Digital Journalism1,
soulignent que les études sur le journalisme évoluent
continuellement et s’ouvrent à d’autres horizons, autant par
nécessité que par tradition interdisciplinaire. C’est notamment dû à
une forte sensibilité à des problématiques empiriques, formulées au
contact de réalités impactant directement les métiers et le marché.
À ces trois niveaux – la délimitation du champ, son autonomie et
son (in)stabilité –, les études sur le journalisme, formalisées et
structurées aujourd’hui autour de l’appellation de Journalism
Studies2, témoignent d’une forme de proximité, voire d’un certain
parallélisme, avec le champ d’activité qu’elles entendent couvrir.
Cette contribution se propose de montrer comment ce domaine de
recherche fournit un appareil théorique et méthodologique original à
toute personne désireuse d’interroger en profondeur les enjeux du
journalisme dans nos sociétés. Objet multiforme saisi et interprété
de multiples manières, à la fois mal connu et surexposé à la critique
(voire à des formes de défiance et de disqualifications), le
journalisme est parfois présenté comme le premier brouillon (first
draft) de l’Histoire. C’est dire non seulement le rôle majeur joué par
les médias, au sens large, dans le processus d’attribution de sens
aux événements du monde, mais aussi la profondeur de leur
ancrage culturel. Dans cette optique, les débats contemporains sur
le journalisme ont beaucoup à retirer de la recherche scientifique
pour mener la réflexion, et les prises de position qui en découlent,
sur des bases argumentées, lisibles et connectées aux acquis de
plusieurs décennies d’apports scientifiques. Au départ d’une
approche historique des grandes étapes de la recherche sur le
journalisme, quatre cadres théoriques sont présentés, et leurs
apports respectifs brièvement discutés.
Aperçu historique de la recherche sur le
journalisme
L’activité de production et de diffusion de nouvelles est
ancestrale. En revanche, celle qui consiste à étudier ce phénomène
de manière à en constituer un savoir est rarement antérieure
au XIXe siècle. Cette période coïncide avec la montée en puissance
du journalisme comme industrie, marché du travail et institution
sociale. La caisse de résonance sociopolitique de plus en plus
importante de la presse suscite alors un intérêt croissant,
notamment de la part de chercheurs et théoriciens allemands tels
que Max Weber (Bastin, 2001) ou Karl Marx, qui élaborent les
premières grilles d’analyse des fonctions sociales et politiques de la
presse. Ces travaux, expliquent Hanitzsch et Wahl-Jorgensen
(2009 : 5), appartiennent à un courant qu’ils qualifient de normatif en
ce qu’il s’intéresse principalement aux fonctions que le journalisme,
en tant qu’institution, devrait idéalement remplir dans la société. En
cela, les discours normatifs se rapportent à ce que le journalisme
devrait accomplir, et non prioritairement à ce que ses représentants
font concrètement. Les discours de type normatif sur le journalisme
demeurent vivaces et perceptibles encore aujourd’hui dans les lieux
où se discute la profession. Ces travaux pionniers, en Allemagne
puis aux États-Unis, montrent que les premiers théoriciens de la
presse et du journalisme sont le plus souvent des sociologues,
historiens, voire écrivains, certains ayant été également actifs dans
l’un ou l’autre titre de presse (comme Max Weber, par exemple).
Cette relative proximité concerne aussi le journalisme, notamment
français, où la profession entretient longtemps des liens manifestes
(et parfois conflictuels) avec les milieux littéraires.
Au tournant des années 1930, dans une seconde phase que
Hanitzsch et Wahl-Jorgensen qualifient de « tournant empirique »,
une vaste production scientifique s’intéresse aux processus et aux
structures de production de l’information. Aux États-Unis, dans les
années 1940 et 1950, cette sociologie du news making donne lieu à
certains des travaux fondateurs des Sciences de l’Information et de
la Communication, dans la foulée d’auteurs tels que Paul Lazarsfeld,
Carl Hovland ou Harold Lasswell. Des concepts tels que les news
values (Galtung et Ruge, 1965), le gatekeeping (White, 1950) et
l’agenda setting (McCombs et Shaw, 1972 ; Wanta et Alkazemi,
2017, pour une mise à jour) sont toujours discutés et mobilisés de
nos jours, parfois au prix de profondes réactualisations. Ainsi en va-
t-il, entre autres, de la théorie du gatekeeping, revue en profondeur
en tenant compte des nouvelles marges d’action définissant les
audiences à l’ère du numérique, et de l’émergence d’acteurs
inexistants dans la société d’après-guerre (réseaux socio-
numériques, plateformes, médias citoyens, etc.). Les
transformations économiques et technologiques de l’industrie des
médias reconfigurent le filtrage, la sélection et la diffusion des
informations, ainsi que la place des journalistes dans ce processus,
sans pour autant reléguer cette théorie aux oubliettes de la
recherche, tant s’en faut (Vos et Heinderyckx, 2015).
De plus en plus d’universités proposant des formations
orientées vers le journalisme – bien avant de les labelliser et de les
spécialiser comme elles le sont de nos jours, la montée en
puissance de la recherche ira de pair avec celle de l’enseignement
supérieur. Les travaux américains des années 1950 et 1960
privilégient l’étude des audiences et les effets des médias sur ces
dernières – les deux guerres mondiales ayant démontré toute la
puissance des rouages des systèmes modernes de propagande,
ainsi que le rôle des médias de masse dans la mobilisation des
opinions publiques et la circulation d’informations contrôlées par les
États. Ces efforts de théorisation pionniers ne valent plus
nécessairement pour eux-mêmes, mais plutôt pour le sillon qu’ils ont
tracé, leur héritage permettant de définir les premiers « classiques »
d’une discipline encore en quête de repères et très influencée,
jusque dans le profil et les méthodes de ses auteurs, par des
domaines scientifiques extérieurs aux SIC.
Les années 1970 et 1980 ouvrent de nouvelles pistes de
recherche à travers une féconde tradition sociologique. De plus en
plus d’études privilégient des méthodes qualitatives (entretiens,
immersions, observations participantes) pour comprendre comment
l’activité journalistique se déploie dans l’infra-quotidien, dans les
interactions avec les sources, la gestion des injonctions, des
pressions et des contraintes, notamment temporelles (Tuchman,
1978 ; Schlesinger, 1978 ; Gans, 1979 ; Fishman, 1980). Les
approches ethnographiques du journalisme (newsroom
ethnographies), en écho à l’École sociologique de Chicago (Anselm
Strauss, Everett Hughes, Howard Becker), offrent un éventail
d’études de cas et de monographies permettant de saisir la
multiplicité des contextes dans lesquels la pratique journalistique se
déploie avant d’être réceptionnée par les audiences. Ces approches
ethnographiques ont connu un intéressant renouveau au début des
années 2000, notamment aux États-Unis (Boczkowski, 2004 ;
Anderson, 2011 ; Usher, 2014). Le dernier tiers du XXe siècle est
aussi celui où les Cultural Studies s’intéressent aux médias à travers
« les significations, les systèmes symboliques, les idéologies, les
rituels et les conventions par lesquels les journalistes maintiennent
leur autorité culturelle, en tant que voix de référence sur tout ce qui
relève de la sphère publique » (Zelizer, 2004 – traduction de
l’auteur). Ces approches culturelles remettent en question les
premiers modèles d’analyse de la réception (Hall, 1977), où le public
était défini comme une entité homogène essentiellement passive
face à des médias puissamment transmissifs, dotés d’un pouvoir
d’imposition de leurs messages quasi unilatéral. Aux États-Unis,
elles décloisonnent largement les objets et les terrains d’étude vers
les médias dans leur ensemble (notamment de loisir et fictionnels),
dépassant l’ornière de la presse quotidienne et de l’audiovisuel
d’information. Elles questionnent aussi sous un angle critique
l’influence des médias, et donc indirectement des journalistes, en
écho à l’École de Francfort, qui la précède de quelques années. Les
travaux de cette dernière, portés notamment par Theodor Adorno et
Max Horkheimer, ciblent la marchandisation de la « culture de
masse », terme souvent connoté négativement, le manque
d’autonomie des médias traditionnels les plus prestigieux et leur
responsabilité dans la transmission sans recul des cadres de
pensées et des idéologies dominantes de nos sociétés. Si la
formulation de cette théorie demeure « frustre et entachée de
préjugés élitistes », note Éric Maigret (2009 : 56), « elle permet de
cerner le problème du rapport entre monde des médias et jeu des
inégalités sociales, c’est-à-dire le problème de l’effet idéologique ».
La recherche en journalisme connaît une forte
internationalisation dans les années 1990. La conjonction de
changements politiques majeurs tels que la fin de la guerre froide ou
le développement de la Communauté européenne, couplés à un
accroissement de la mobilité et des possibilités techniques de mise
en réseaux, permettent aux chercheurs de collaborer au-delà de
leurs frontières nationales. Ce virage international se traduit
notamment par l’essor des grandes enquêtes comparatives, que le
travail pionnier de David Weaver (1998) sur les profils des
journalistes contribue à populariser. Cette perspective internationale
et comparative permet à la communauté scientifique de questionner
un certain ethnocentrisme occidental (Hanitzsch, 2019) et de
prendre conscience que les théories normatives du journalisme
associent historiquement le journalisme au (bon) fonctionnement des
régimes démocratiques, avec en toile de fond une vision anglo-
saxonne (surtout américaine et britannique) des rôles et
épistémologies du journalisme (Zelizer, 2013). Or, le journalisme
existe (et a existé) de facto dans et en dehors des régimes
démocratiques, selon une multiplicité de modalités relationnelles
avec le pouvoir politique.
Les études comparatives ont pour apport majeur de mettre au
centre de la recherche la dimension culturelle du journalisme,
suivant un mouvement observé dans d’autres disciplines, comme les
sciences historiques. L’étude des cultures journalistiques (Hanitzsch,
2007) et des systèmes médiatiques (Hallin et Mancini, 2004 et
2012), en replaçant volontairement le journalisme au cœur de ses
racines historiques, économiques, politiques et sociales, permettent
d’échapper à une lecture technocentrée et déterministe du
journalisme. Elles tempèrent aussi largement les visions
englobantes et universelles d’un métier au contraire profondément
ancré dans des terreaux particuliers.
Dans un écho très net aux transformations technologiques liées
au numérique, à la crise des modèles d’affaires des médias
traditionnels, et au bouleversement du couple production-réception
qui en résulte (Reese, 2019), le tout débouchant sur une crise que
certains qualifient d’épistémologique, la recherche en journalisme
connaîtra un mouvement d’expansion et de cimentation au début
des années 2000, nombre d’essais et de travaux s’interrogeant,
sinon sur la fin du journalisme (Scherer, 2011), sur l’urgente
nécessité de le réinventer, de le repenser, de le refonder… Il existe
un parallélisme frappant entre les crises ayant marqué le marché
journalistique et l’affirmation des Journalism Studies. L’essor de ces
dernières se matérialise à plusieurs niveaux : la création de journaux
scientifiques explicitement dédiés à ce domaine de recherche
(Journalism Studies ; Journalism Practice ; Journalism : Theory,
Practice and Criticism ; Digital Journalism, Journal of Applied
journalism Media Studies, Brazilian Journalism Research…),
l’apparition de divisions et sous-groupes labellisés « journalisme »
dans les principales conférences scientifiques internationales des
Sciences de la communication (ICA, ECREA, IAMCR), ainsi que la
publication de travaux de référence (encyclopédies et manuels – voir
bibliographie) servant de cadre et de pivots théoriques pour ceux qui
se lancent dans la recherche.
Ce mouvement de structuration centripète, au-delà de sa
vitalité, appelle deux remarques. Du point de vue géographique, tout
d’abord : largement supporté par un arc anglo-saxon, et
particulièrement américain, il peine à intégrer des traditions et des
réseaux de chercheurs situés en dehors de cet arc, malgré
d’évidentes avancées dans les collaborations internationales
(Hanitzsch et al., 2019) – davantage circonstancielles que
structurelles – et une forme d’autocritique quant à la prévalence des
représentants anglo-saxons. Le cas de la recherche française sur le
journalisme est à ce titre particulier : eu égard à la taille de leur
communauté scientifique, les chercheurs français sont sous-
représentés dans les lieux où se manifeste le plus visiblement la
production des Journalism Studies. Ils n’en développent pas moins
une activité scientifique conséquente et originale sur le plan
théorique, tenant compte des déterminants politiques, culturels,
historiques et économiques du paysage français. L’existence
reconnue et institutionnalisée, dans les années 1970, des Sciences
de l’Information et de la Communication (SIC), a favorisé le
développement d’une dynamique de recherche portant sur les
médias de façon générale, notamment dans les revues scientifiques.
Outre les journaux dont le projet éditorial s’oriente spécifiquement
vers le journalisme, tels que Les Cahiers du Journalisme (1995) ou
Sur le journalisme (2012), plusieurs revues francophones (la plupart
étant aussi françaises) s’intéressent de longue date aux médias et
aux journalistes par l’entremise de numéros dédiés ou de varia.
Citons, sans être exhaustif : Hermès, Réseaux, Questions de
communication, Communication, Recherches en communication,
Quaderni, Les Cahiers de la SFSIC, Sciences de la Société, Les
Cahiers du numérique, Le Temps des Médias, Tic & Société.
Classées parmi les sections pluridisciplinaires du Conseil national
des Universités français (CNU), les SIC françaises se sont elles
aussi nourries d’apports divers qui justifient d’aller au-delà du seul
cercle des revues classées « Information et Communication ». Le
cas français situe l’intérêt de prendre en compte tout à la fois une
recherche positionnée à l’international (les Journalism Studies) et
des travaux situés dans un cadre plus focalisé, pouvant être
discutés, dans la complexité de leurs contextes, au sein de lieux plus
confidentiels.
La seconde remarque est d’ordre thématique. Le survol
historique de la recherche sur le journalisme ne doit pas agir en
trompe-l’œil : loin d’être un processus linéaire et segmenté, le
développement de ce champ est au contraire marqué par des forces
centrifuges et des tensions liées à des ancrages disciplinaires
parfois divergents. Ainsi, toujours en écho aux mutations du marché
journalistique, la recherche actuelle tend à se fragmenter en une
pléthore de sous-objets plus ou moins autonomes. Cette
diversification thématique renvoie à la remarque, faite en
introduction, sur le périmètre ouvert et mouvant du domaine
d’études. L’analyse des entrées thématiques de l’International
Encyclopedia of Journalism Studies (2019) illustre ce foisonnement
de problématiques : advocacy journalism, alternative journalism,
drone journalism, hyperlocal journalism, community journalism,
lifestyle journalism, participatory journalism, narrative journalism,
data journalism, constructive journalism, automated journalism,
peace journalism, civic journalism, precision journalism : autant
d’entrées, pas toutes transposables à l’espace francophone, qui
démontrent le haut degré de fragmentation et d’ouverture
thématique. Celui-ci est quelquefois ouvertement revendiqué pour
décloisonner la recherche de ses cadres de pensées hérités. Ainsi,
plusieurs auteurs actifs dans le domaine du journalisme automatisé
appellent à intégrer davantage les sciences de l’informatique et
l’ingénierie dans les Journalism Studies, argüant que ces dernières
ont « much to learn from Human-Machine Communication (HMC) »
(Lewis et al., 2019). Un positionnement de ce genre bouleverse
jusqu’aux fondements mêmes de la recherche, à travers les rôles
respectifs et la hiérarchie entre les technologies et les humains, les
premières n’étant plus uniquement des supports au service des
seconds, mais devenant progressivement des systèmes complexes
dotés d’une autonomie décisionnelle les rendant capables de faire le
travail à la place des humains. Ceci appelle à un vaste mouvement
de repositionnement de la discipline vers les plateformes, les
algorithmes, les interactions entre ressources humaines et non-
humaines, ce projet s’appuyant notamment sur la théorie de l’acteur-
réseau (Latour, 2005).
Ce survol historique de la recherche en journalisme témoigne
de trois choses importantes. Premièrement, il s’agit d’un domaine
récent, au carrefour de nombreuses influences disciplinaires, mais
aussi géographiques et culturelles. En conséquence, comme pour
toute production intellectuelle, la recherche doit être située dans le
milieu d’où elle émerge. Connaissant le caractère interdisciplinaire et
relativement récent des études sur le journalisme, cet exercice de
critique externe n’est pas simple et requiert une lecture plus
approfondie de l’histoire des théories et des courants de recherche
en Information et Communication (Maigret, 2009 ; Silem et Lamizet,
1997). Il s’agit, ensuite, d’un domaine globalement en expansion,
dont l’évolution est assez étroitement liée aux transformations
structurelles d’un marché et d’une industrie ayant connu des
changements radicaux depuis la fin du XXe siècle. Les
problématiques traitées ces vingt dernières années concernent donc
souvent les crises (identitaires et économiques, par exemple),
l’avenir et la plus-value du journalisme dans des sociétés hyper
connectées. Les conditions de la survie du journalisme, sa raison
d’être et les transformations de ses liens avec les publics font l’objet
de travaux nombreux, à la fois sous forme d’études de cas et de
théorisations convergeant souvent vers l’insécurité et l’instabilité
presque existentielles du journalisme.
De cette instabilité découle la dernière remarque, sorte de volte-
face vers les théories normatives des premiers temps de la
recherche, mais cette fois à l’heure où le paradigme de la « société
de communication » semble de prime abord omniprésent (Neveu,
2020). Personne ne peut affirmer, et encore moins imposer, une
définition du journalisme qui fasse autorité de manière universelle. À
la rigueur, il est plus facile de définir des sous-branches particulières
du journalisme (journalisme citoyen, journalisme de données,
journalisme de solutions, etc.) que le journalisme « tout seul ». De
nombreux chercheurs (Deuze, 2005 ; Schudson, 2003 ; McNair,
2005), tout comme des pouvoirs régulateurs, des associations et
unions professionnelles, et bien sûr des journalistes, s’y sont
essayés, en soulignant souvent le caractère restrictif, sinon orienté,
de ces efforts de définition normatifs. Consensuellement, « le
journalisme se réfère à la récolte, la sélection et la circulation
d’informations supposées neuves et d’intérêt général » (Lewis,
2019 : 797 – traduction de l’auteur) . En approfondissant le travail
théorique autour des enjeux de cette définition, et en évitant de lui
attribuer des traits politiques ou culturels trop prononcés, (Vos,
2018 : 9 – traduction de l’auteur) en arrive à la définition suivante :
« Le journalisme est un ensemble de croyances, de formes
concrètes et de pratiques mobilisées dans l’élaboration et la
distribution de nouvelles et de discussions socialement
signifiantes ». Cette définition est un point de départ – il pourrait y en
avoir d’autres – qui permet de réfléchir de manière plurale et de
montrer comment la recherche mobilise des cadres théoriques
capables de saisir cette pluralité de l’objet journalistique.
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2. Dans la terminologie anglaise, la question du statut exact des Journalism Studies n’est
pas entièrement arrêtée. Forment-elles une discipline académique distincte, ou sont-
elles une sous-discipline au sein des Sciences de l’Information et de la Communication ?
Quoi qu’il en soit, ce domaine de recherche s’est puissamment affirmé et structuré
depuis le début des années 2000.
3. Celui-ci fait également l’objet d’une attention de plus en plus prononcée, au sujet des
formes de violences, contraintes et assignations de rôles sur le lieu de travail.
Chapitre 3
3 2000-2020 : âge critique du
journalisme ? Les transformations
contemporaines de la profession
Simon Gadras
Q
ue nous apprend la recherche sur les chamboulements que
vit le journalisme en France depuis vingt ans ? C’est à cette
ambitieuse question que cette contribution propose
d’apporter modestement certaines réponses. Ces réponses seront
forcément partielles. Il est impossible de rendre compte de façon
détaillée de tous les travaux dans l’espace aussi contraint de
quelques pages. Impossible également de prétendre à l’exhaustivité
face à la richesse des travaux qui se sont intéressés au journalisme
et aux médias d’information depuis deux décennies. Dans la
perspective pédagogique de cet ouvrage, il s’agit plutôt ici d’assumer
un parti pris, fondé sur un postulat initial : les années 2000 ont
marqué un tournant particulier pour le journalisme.
Ce tournant est celui de la démocratisation d’internet. Créé au
début des années 1990, le web a rendu le réseau des réseaux
accessible au grand public, alors qu’il était jusque-là limité à une
minorité d’utilisateurs et d’utilisatrices, principalement issus du
monde scientifique et technologique. Les journaux en version
« papier » ont commencé à développer des premiers sites web à
partir du milieu des années 1990, mais c’est réellement au début des
années 2000 que les médias d’information ont investi massivement
le web, en même temps que la généralisation de l’internet gagnait de
larges publics.
Le propos de cette contribution n’est toutefois pas techno-
déterministe. Il ne s’agit pas de prétendre que c’est l’apparition d’un
outil technique, internet, qui a mécaniquement transformé les
pratiques professionnelles des journalistes et les usages de
l’information. La sociologie des usages des technologies de
l’information et de la communication a bien montré de longue date
l’importance de prendre en compte la double médiation de la
technique et du social (Jouët, 2000).
La massification de l’usage d’internet s’est en effet
accompagnée d’une explosion de la prise de parole profane : de
plus en plus de personnes prennent publiquement la parole, sans
pour autant être des professionnels de l’information, grâce à la mise
à disposition d’outils de communication de plus en plus faciles
d’accès. Depuis plus de 20 ans, les pages personnelles, les blogs
puis les réseaux socio-numériques (RSN, tels Facebook ou Twitter)
ont offert la possibilité à tout un chacun de s’exprimer facilement en
ligne sans que leur parole ne dépende du « filtre » journalistique :
citoyens, responsables politiques, acteurs économiques… Ces
évolutions contribuent à une transformation profonde du paysage de
l’information, qui n’est désormais plus contrôlé par les seuls médias
et journalistes professionnels.
Alors qu’en France, le XXe siècle a été marqué par la
structuration de la profession de journaliste, qui a ainsi inscrit son
rôle au cœur du fonctionnement de la démocratie, et par des
politiques publiques de contrôle ou de régulation du secteur des
médias (Delporte, 1995 ; Ruellan, 1997), le XXIe siècle s’ouvre sur
une libéralisation massive de la production et de la circulation
d’information en ligne, qui remet en cause, ou du moins interroge, la
place des journalistes.
Il ne s’agit toutefois pas d’oublier l’histoire longue et complexe
des médias qui est depuis toujours marquée par des tensions entre
liberté et contrôle, tant sur le plan politique qu’économique. Il ne
s’agit pas non plus de considérer que le journalisme était un champ
stabilisé et normé jusqu’aux chamboulements contemporains :
depuis toujours, ce métier s’est caractérisé par ses incessantes
mutations (Ringoot et Utard, 2005). Simplement, les transformations
de ces dernières années sont massives et se font dans un temps
très court à l’échelle de l’histoire des médias, que l’on peut faire
commencer à la publication des premiers journaux au XVIe siècle. De
plus, ces transformations contemporaines s’effectuent dans un
contexte d’instabilité sociale, politique et économique : chômage de
masse, crise économique, faible confiance dans les institutions
publiques et politiques et la démocratie représentative, attaques
terroristes, récente pandémie…
C’est en ce sens que la période 2000-2020 peut être considérée
comme un âge critique du journalisme. Le terme critique est d’abord
à entendre au sens premier, celui d’un moment particulier,
caractéristique d’une crise, d’un seuil au-delà duquel on bascule
dans un autre état. Il ne s’agit toutefois pas ici d’affirmer que nous
vivons un tel moment de bascule pour le journalisme, toute
prédiction quant au futur du journalisme serait bien hasardeuse. Il
s’agit plus simplement de proposer un regard sur les transformations
contemporaines du journalisme qui prenne au sérieux cette idée de
bouleversements inédits.
Le terme critique est également utilisé pour désigner une famille
de travaux importante dans les sciences sociales. La perspective
critique est diversement revendiquée par les chercheurs sur le
journalisme, les médias et, plus largement, la communication.
Entendue au sens de l’analyse des formes de domination et de
résistance dans l’univers social, elle est davantage mobilisée dans
les travaux de sociologie du journalisme et des médias. Elle l’est
moins fréquemment dans les recherches sur le journalisme menées
par les sciences de l’information et de la communication. Cette
contribution tend à articuler entre elles des approches issues de ces
différents domaines disciplinaires.
Enfin, le terme critique renvoie à la critique du journalisme.
Nous entendons par là les méta-discours journalistiques : les
discours à propos du journalisme qui circulent dans la société et qui
se positionnent par rapport à des discours ou des activités
journalistiques (Gadras et al., 2019). Ces discours, qui ont toujours
accompagné le journalisme, émergent aussi bien de l’intérieur de la
profession, quand elle cherche à définir son identité et ses frontières,
que de l’extérieur, quand les qualités ou défauts du journalisme sont
pointés par différents acteurs de la société : experts des médias,
responsables politiques, associations et collectifs citoyens, etc. Cette
contribution cherche donc à montrer comment des travaux
scientifiques portant sur le journalisme et les médias (Ringoot,
2015 ; Barats, 2017 ; Blandin, 2018) permettent d’appréhender les
mutations structurelles auxquelles le journalisme se confronte depuis
le tournant des années 2000. Présenter la façon dont la recherche
en sciences humaines et sociales (SHS) aborde ce sujet présente
un double intérêt. D’un côté, cela permet de partager avec les
lectrices et lecteurs de nombreuses connaissances issues de la
recherche. C’est probablement l’intérêt premier d’un tel texte. D’un
autre côté, cela permet de montrer comment la recherche aborde ce
sujet, dans quelles perspectives, avec quels questionnements.
Bibliographie
• Alloing C., Vanderbiest N., « La fabrique des rumeurs
numériques. Comment la fausse information circule sur
Twitter ? », Le Temps des Médias, vol. 30, n° 1, 2018, p. 105-
123.
• Amiel P., « Vers une polyphonie énonciative de proximité ?
Pages Facebook de communautés, crowdfunding et presse
locale en ligne », Sur le journalisme, About journalism, Sobre
jornalismo, vol. 7, 2018, p. 80-91.
• Arquembourg J., Le temps des événements médiatiques,
Bruxelles, De Boeck, 2003.
• Aubert A., « Rue89 : un modèle horizontal », Médiamorphoses,
2008, p. 99-104.
• Aubert A., « Le participatif perçu par les professionnels du
journalisme : état des lieux », Les Cahiers du journalisme, no 22-
23, 2011, p. 42-55.
• Aubert A., Denouël J., Granjon F., Médias numériques et
participation, Paris, Mare & Martin, 2014.
• Barats C. (Ed.), Manuel d’analyse du web, Paris, Armand Colin,
2017.
• Berthaut J., La banlieue du « 20 heures ». Ethnographie de la
production d’un lieu commun journalistique, Paris, Agone, 2013.
• Blandin C. (Ed.), Manuel d’analyse de la presse magazine, Paris,
Armand Colin, 2018.
• Bourdieu P., « Journalisme et éthique », Les Cahiers du
journalisme, n° 1, 1996, p. 10-17.
• Canu R., Datchary C., « Journalistes et lecteurs-contributeurs sur
Mediapart », Réseaux 2-3, n° 160-161, 2010, p. 195-223.
• De Maeyer J., « Être journaliste dans un environnement 2.0 »,
Les Cahiers du numérique Vol. 6, no 1, 2010, p. 157-77.
• Delporte C., Histoire du journalisme et des journalistes en
France, Paris, PUF, 1995.
• Doutreix M.-N., Barbe L. (2019), « Légitimer et disqualifier : les
Fake News saisies comme opportunité de normalisation du
champ journalistique », Études de communication, n° 53/2,
2019, p. 49-66.
• Gadras S., Goepfert E.-M. et Spano W., « La critique des médias
comme forme conflictuelle de méta-médiatisation »,
Communication [en ligne], vol. 36/2, 2019.
• Garcin-Marrou I., Terrorisme, médias et démocratie, Lyon, PUL,
2001.
• Garcin-Marrou I. (2007), « Des “jeunes” et des “banlieues” dans
la presse de l’automne 2005 : entre compréhension et
relégation », Espaces et sociétés, n° 128-129, 2007, p. 23-37.
• Garcin-Marrou I., Hare I., « Discours médiatiques post-attentats :
une perspective historique (1995-2016) », Mots. Les langages
du politique, vol. 118, n° 3, 2018, p. 19-35.
• Garcin-Marrou I., Hare I., « Presse écrite et événement
terroriste : routines narratives et émergence de la société civile
(1995-2016) », Le Temps des Médias, n° 32, 2019, p. 153-69.
• Goasdoué G., « Pratiques et normes journalistiques à l’ère
numérique », Politiques de communication, n° 5, 2016, p. 153-
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• Goulet V., « Le médiateur de la rédaction de France 2.
L’institutionnalisation d’un public idéal », Questions de
communication, n° 5, 2004, p. 281-299.
• Hubé N., « Le courrier des lecteurs. Une parole journalistique
profane ? », Mots, no 87, 2008, p. 99-112.
• Jouët J., « Retour critique sur la sociologie des usages »,
Réseaux, vol. 18, no 100, 2000.
• Joux A., Gil I., « Entre transparence des sources et entre-soi :
une critique du fact-checking du débat de l’entre-deux tours de
la présidentielle française de 2017 », Études de communication,
n° 53, 2019, p. 67-84.
• Lafon B., Médias et médiatisation. Analyser les médias imprimés,
audiovisuels, numériques, Grenoble, PUG, 2019.
• Leteinturier C., « Les journalistes face à la communication »,
Hermès, vol. 70, n° 3, 2014, p. 50-55.
• Lochard G., « La “question de la banlieue” à la télévision
française », dans Amorim M., Images et discours sur la
banlieue, Paris, Érès, 2002, p. 31-41.
• Olivesi A., « Les gens ordinaires cités par Le Monde : la
légitimation journalistique d’une “expertise profane” en
politique ? », Revue canadienne d’Études médiatiques, Special
issue, 2012, p. 68-88.
• Olivesi A., « La parole profane dans les médias ou les
ambiguïtés du discours sur le genre », Mots. Les langages du
politique, 90, 2009, p. 65-81.
• Pignard-Cheynel N., Amigo L., « Le chargé des réseaux socio-
numériques au sein des médias », Réseaux n° 213, 2019,
p. 139-72.
• Pignard-Cheynel N., Sebbah B., « L’identité des journalistes du
Web dans des récits de soi », Communication, vol. 33, no 2,
2015.
• Pignard-Cheynel N., Sebbah B., « Le live-blogging : les figures
co-construites de l’information et du public participant. La
couverture de l’affaire DSK par lemonde.fr. » Sur le journalisme,
About journalism, Sobre jornalismo, vol. 4, no 2, 2015, p. 134-
53.
• Rebillard F. et Smyrnaios N., « Quelle “plateformisation” de
l’information ? Collusion socioéconomique et dilution éditoriale
entre les entreprises médiatiques et les infomédiaires de
l’Internet », tic&société, vol. 13, n° 1-2, 2019, p. 247-93.
• Ringoot R., Analyser le discours de presse, Paris, Armand Colin,
2014.
• Ringoot R., Utard J.-M., Le journalisme en invention : nouvelles
pratiques, nouveaux acteurs, Rennes, PUR, 2005.
• Rouquette S., « Aux marges de l’espace public médiatique.
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• Ruellan D., Les pros du journalisme. De l’état au statut, Rennes,
PUR, 1997.
• Ruellan D., Le journalisme. Le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.
• Ruellan D. (2011), Nous, journalistes. Déontologie et identité,
Grenoble, PUG, 2011.
• Salles C., « Les blogs du Monde, des outils de management
non-conventionnel », Les Enjeux de l’information et de la
communication, n° 17/1, 2016, p. 63-73.
• Salles C., « Les compétences de modération dans le journal
Le Monde : réquisition, redéfinition et redistribution », Le Temps
des Médias, n° 31, 2018, p. 48-61.
• Schmitt L., Quand les médias utilisent les photographies des
amateurs, Paris, Le Bord de l’eau/INA, 2012.
• Schmitt L., Salles C., Dupuy-Salle M. (2018), « Les parcours
professionnels entre journalisme et communication »,
Communication & professionnalisation, nᵒ 8 p. 13-35.
• Sedel J., Les médias et la banlieue, Lormont, INA/Bord de l’eau,
2013.
• Sedel J., « Les ressorts sociaux de la médiatisation des
banlieues », Savoir/Agir, n° 28, 2014, p. 51-56.
• Smyrnaios N., Les GAFAM contre l’internet. Une économie
politique du numérique, INA éditions, Bry-sur-Marne, 2017.
• Touboul A., Croissant V., Hare I., « De l’édition à
l’éditorialisation ? Analyse d’une transformation des médias
d’information à l’ère numérique », actes du colloque Réseaux
sociaux, Traces numériques, Communication électronique,
2018.
• Verón E., Construire l’événement. Les médias et l’accident de
Three Mile Island, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981.
• Vitali-Rosati M., « Pour une théorie de l’éditorialisation »,
Humanités numériques, 1, 2020.
• Vitali-Rosati M., « Qu’est-ce que l’éditorialisation ? », Sens
public, 2016.
S
i le journalisme est l’une des professions les plus visibles
dans l’espace public, il est aussi l’une des plus fantasmées,
sinon caricaturées. En effet, il donne matière à une
abondante mythologie, où coexistent des représentations sociales
fortement polarisées : d’un côté, les « mythes professionnels »
(Le Bohec, 2000) entretenus par les journalistes eux-mêmes afin de
légitimer leur rôle et leur travail ; de l’autre, les critiques profanes ou
savantes, parfois virulentes, adressées aux professionnels de
l’information.
En contrepoint, il s’agit ici de décrire les propriétés
sociodémographiques des journalistes, en vue d’actualiser et
d’approfondir les connaissances sur la profession et celles et ceux
qui la composent. Qui sont les journalistes français ? La description
statistique sera la focale retenue pour esquisser le portrait de la
profession, sous différentes facettes.
Bibliographie
• Bastin G., « L’approche morphologique des mondes de
l’information : modèles et données pour l’analyse séquentielle
de la personnalité des journalistes », Recherches en
communication, n° 43, 2016, p. 5-26.
• Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF Audiovisuel,
Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism, Université Paris-
Panthéon-Assas, 2017.
• CCIJP, Enquête statistique et sociologique. Liste des titulaires de
la carte professionnelle au 1er juillet 1966, Paris, 1967.
• « Les journalistes, étude statistique et sociologique », Dossiers
du Céreq, n° 9, juin 1974.
• CCIJP, 50 ans de carte professionnelle : profil de la profession.
Enquête socio-professionnelle, Paris, 1986.
• Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Marhuenda J.-P.,
Rieffel R., Les journalistes français en 1990. Radiographie d’une
profession, Paris, La Documentation française, 1991.
• Devillard V., Lafosse M.-F., Leteinturier Ch., Rieffel R., Les
journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours,
Paris, Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2001.
• Lafarge G., Les diplômés du journalisme. Sociologie générale de
destins singuliers, Rennes, PUR, 2019.
• Le Bohec J., Les mythes professionnels des journalistes, Paris,
Éditions L’Harmattan, 2000.
• Marchetti D. et Ruellan D., Devenir journalistes. Sociologie de
l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation
française, 2001.
R
ouletabille, Tintin, Ric Hochet, Jeannette Poilu, mais aussi
Superman, Spider-Man, etc. : les héros journalistes peuplent
la fiction, notamment dans la bande dessinée et au cinéma,
où ils campent le rôle de l’enquêteur aventureux, auxiliaire de la
vérité et de la justice, à la découverte de tous les mondes sociaux,
des plus fortunés aux plus démunis (Ruellan, 2007 ; Pinson et
Lévrier, 2021). De nos jours, le journalisme reste un métier
vocationnel, qui nourrit bien des croyances et des passions, associé
à des figures et des fonctions idéalisées : des premiers muckrakers
(« remueurs de boue ») au journalisme d’investigation, du
« quatrième pouvoir » au porte-voix des invisibles, des grands
reporters aux journalistes vedettes.
Les candidats à la profession désireux de se renseigner
peuvent trouver sur le site web de l’Office national d’information sur
les enseignements et les professions (ONISEP) la description
suivante : « JRI (journaliste-reporter d’images), web rédacteur,
présentateur radio ou TV… Le métier de journaliste recouvre des
réalités très diverses. Mais, quel que soit le média (papier ou web),
cette profession exigeante reste difficile d’accès. »1 Cette description
liminaire rappelle deux constats solidement établis par l’histoire et la
sociologie du journalisme. D’une part, la dénomination de
« journaliste professionnel », inscrite dans le Code du travail
(article L. 7111-3), masque l’extrême hétérogénéité de la profession,
où coexistent une grande diversité de métiers et d’activités, mais
aussi de conditions d’emploi et de revenu. D’autre part, l’insertion
professionnelle dans les mondes de l’information ressemble à bien
des égards à un « parcours du combattant » (Devillard, 2002). Un
chiffre permet de mesurer à quel point les carrières en journalisme
sont « exigeantes » et précaires : parmi les détenteurs de la carte de
presse, la durée moyenne des carrières est estimée à quinze ans
(Leteinturier, 2016 : 28).
Pour les aspirants, les vocations professionnelles et les images
d’Épinal se heurtent ainsi très tôt au principe de réalité, à savoir les
conditions et les épreuves qui jalonnent et façonnent les parcours
dans les métiers du journalisme. Dès lors, comment s’opèrent et
s’articulent la formation et l’insertion des candidats à la profession ?
Comment l’offre de formations se structure-t-elle ? Quels choix
d’orientation sont-ils privilégiés ? Le diplôme est-il une condition
nécessaire et suffisante pour devenir journaliste ? Quelles sont les
conditions d’entrée et d’accomplissement dans les marchés du
travail journalistique ? Quelles tendances sectorielles ou
structurelles orientent, sinon déterminent, les parcours individuels et
collectifs ?
Densification et hiérarchisation
de l’espace des formations
Comment l’offre de formations se structure-t-elle pour les
aspirants ? Les recherches en la matière renseignent sur les
transformations de l’espace des formations en journalisme au cours
des dernières décennies (Marchetti, 2003 ; Lafarge et Marchetti,
2011 ; Chupin, 2014, 2018 ; Lafarge, 2019). D’une part, l’on constate
une dynamique d’expansion. En 2017, l’Observatoire des métiers de
l’audiovisuel recensait sur son site web jusqu’à 87 formations, aux
statuts et aux parcours hétérogènes2 : formations publiques ou
privées, reconnues ou non par l’État, agréées ou non par la
profession, plus ou moins sélectives dans leur recrutement, et dont
les niveaux de diplôme sont plus ou moins élevés. Cette
diversification de l’offre de formations va de pair avec une
intensification de la concurrence entre les établissements. Les
écoles et les formations privées se multiplient, tandis que les
universités ouvrent des cursus spécialisés, notamment dans le
sillage des sciences de l’information et de la communication, et que
se développent les apprentissages en formation continue, pour
attirer des candidats de plus en plus nombreux. D’autre part, les
formations en journalisme sont gagnées par des processus de
professionnalisation. Les contenus et les modalités de
l’apprentissage sont prioritairement orientés vers l’acquisition de
savoir-faire techniques et professionnels, dans une interdépendance
de plus en plus étroite avec les éditeurs de presse. Il s’agit non
seulement de s’adapter aux besoins spécifiques des marchés du
travail, et notamment à leurs divisions fonctionnelles (presse écrite,
radio, télévision, web) et thématiques (des rubriques des médias
généralistes à la presse spécialisée), mais aussi de répondre aux
attentes des employeurs, lesquels sont désireux de disposer de
recrues aussitôt « opérationnelles ».
Enfin et surtout, l’espace des formations en journalisme se
caractérise par « une hiérarchie structurale durable, existant à la fois
dans les faits et les esprits des étudiants » (Lafarge, 2019 : 11).
Cette hiérarchie, indissociablement matérielle et symbolique, oppose
le cercle étroit des formations « reconnues » par la profession, c’est-
à-dire agrées par la Commission paritaire nationale pour l’emploi des
journalistes (CPNEJ), composée de représentants des éditeurs de
presse et des syndicats de journalistes, au vaste ensemble des
formations qui ne peuvent se prévaloir de cette labellisation. Les
formations reconnues, dont le modèle emprunte pour partie aux
grandes écoles et qui incarnent une forme d’excellence
professionnelle, sont passées de huit en 1997 à quatorze
aujourd’hui. Le recrutement très sélectif de ces établissements et,
partant, l’homogénéité sociale de leurs recrues en font, de façon
plus ou moins accusée, des instances de reproduction des
catégories sociales privilégiées (Lafarge, 2019).
Dans ces conditions, la période de formation revêt les formes
d’une « course au diplôme » (Lafarge, 2019 : 13-14) pour intégrer
les établissements les plus réputés, et maximiser ainsi ses chances
d’insertion professionnelle et d’accès aux postes les plus convoités.
Contraction et précarisation de l’emploi dans les métiers du
journalisme, hiérarchisation et même dualité de l’espace des
formations en journalisme, élévation du bagage scolaire et –
corrélativement – des origines sociales des étudiants recrutés dans
les formations labellisées, ou encore effet significatif du diplôme sur
les chances d’insertion et d’accomplissement dans la profession :
autant de facteurs conjugués qui viennent exacerber la concurrence
sur le marché scolaire.
Bibliographie
• Accardo A., Abou G., Balbastre G., Dabitch Ch., Puerto A.,
Journalistes précaires, journalistes au quotidien, Marseille,
Agone, 2007.
• Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF Audiovisuel,
Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism, Université Paris-
Panthéon-Assas, 2017. URL : https://metiers-
presse.org/data/uploads/2017/09/rapport_insertion_et_parcours
_des_journalistes_2017.pdf
• Chupin I., « Précariser les diplômés ? Les jeunes journalistes
entre contraintes de l’emploi et ajustements tactiques »,
Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 45, n° 2,
2014, p. 103-125.
• Chupin I., Les écoles du journalisme. Les enjeux de la
scolarisation d’une profession (1899-2018), Rennes, PUR,
2018.
• Devillard V., « Les trajectoires des journalistes détenteurs de
carte de presse entre 1990 et 1998. La montée de la
précarité », Communication & langages, n° 133, 2002, p. 21-32.
• Frisque C. et Saitta E., Journalistes de la précarité. Formes
d’instabilité et modes d’adaptation (en collaboration avec Ferron
B. et Harvey N.), CRAPE/Arènes, rapport pour le DEPS,
ministère de la Culture et de la Communication, 2011.
• Lafarge G., Les diplômés du journalisme. Sociologie générale de
destins singuliers, Rennes, PUR, 2019.
• Lafarge G. et Marchetti D., « Les portes fermées du journalisme.
L’espace social des étudiants des formations “reconnues” »,
Actes de la recherche en sciences sociales, n° 189, 2011/4,
p. 72-99.
• Leteinturier Ch., « Continuité/discontinuité des carrières des
journalistes français encartés. Étude de deux cohortes de
nouveaux titulaires de la carte de presse », Recherches en
communication, n° 43, 2016, p. 27-55.
• Marchetti D. et Ruellan D. (dir.), Devenir journalistes. Sociologie
de l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation
française, 2001.
• Marchetti D., « Les ajustements du marché scolaire au marché
du travail journalistique », Hermès, n° 35, 2003/1, p. 81-89.
• Pinson G. et Lévrier A. (dir.), Presse et bande dessinée. Une
aventure sans fin, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2021.
• Ruellan D., Le journalisme ou le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.
1. Source : https://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Metier/Metiers/journaliste.
2. Source : « Que deviennent les diplômés en journalisme ? Insertion des diplômés sur le
marché du travail », CPNEF Audiovisuel, 2017. URL : http://www.cpnef-av.fr/les-
etudes/que-deviennent-les-diplomes-en-journalisme.
3. Voir, dans le présent ouvrage, la partie VIII consacrée à l’offre de formations et à la
préparation aux épreuves d’admission des formations reconnues.
4. Voir, dans le présent ouvrage, le chapitre de Cégolène Frisque sur « l’intrication
croissante » des métiers du journalisme et de la communication.
5. Rapport et synthèse en accès libre. URL : https://metiers-presse.org/insertion-parcours-
journalistes/
Chapitre 3
3 Le journalisme sous contrainte
économique
Gaël Stephan
S
i leur pouvoir de symbolisation et de représentation fait d’eux
des acteurs démocratiques majeurs, les médias
d’information n’en restent pas moins des entreprises
soucieuses de leur rentabilité. Plusieurs tendances structurelles qui
touchent le secteur, telles que les mouvements de concentration ou
la dépendance à l’égard de la publicité, y renforcent par ailleurs la
prééminence des considérations économiques.
Comme le notent plusieurs travaux sociologiques (Bourdieu,
1994 ; Actes de la recherche en sciences sociales, 2000),
l’imposition de logiques commerciales dans le secteur médiatique a
une influence directe sur la manière dont les journalistes travaillent.
La poursuites du profit – ou, à défaut, de la rentabilité – conduit en
effet les médias à réduire leurs dépenses rédactionnelles, alors que
le nombre de journalistes dans une rédaction conditionne la quantité
et la qualité des informations produites (Cagé et al., 2017). Cette
tendance se traduit par un recours croissant aux pigistes,
journalistes précaires devant « courir après la commande » et placés
dans une situation de dépendance à l’égard de leurs
commanditaires (Balbastre, 2000 ; Champagne, 2000). Elle conduit
aussi au développement du journalisme dit de desk, qui modifie les
pratiques professionnelles : pour réduire les coûts et produire plus et
plus vite, les journalistes réalisent leurs interviews au téléphone et
sont amenés à reformuler des communiqués et des dépêches plutôt
qu’à recueillir des informations par eux-mêmes sur le terrain. Les
contenus eux-mêmes sont affectés par les logiques de marché, que
révèlent les préoccupations des dirigeants de médias pour l’audimat
(Bourdieu, 1994 ; Champagne, 2000). Seront en effet privilégiés les
contenus courts et simples, dotés d’un caractère spectaculaire, au
détriment des informations « de fond ».
Ainsi, les questions relatives aux dépenses des médias, à leurs
modes de financement et à leur rentabilité apparaissent comme
incontournables pour rendre compte des contraintes économiques
qui pèsent sur la production d’information et donc sur la manière
dont l’actualité est traitée par les rédactions et présentée au public.
Avant le numérique
Chaque catégorie de médias présente des dépenses
spécifiques et une structuration des coûts de production qui lui est
propre. Pour autant, comme le souligne le sociologue Jean-Marie
Charon (2014), les principaux postes de coûts sont relativement
identiques. Ils concernent les contenus, les fournitures, la
fabrication, la distribution/diffusion et la commercialisation des
médias. Les économistes Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz
(2013) mettent l’accent sur les coûts fixes extrêmement importants
qui régissent le secteur. Ils les détaillent en distinguant médias écrits
(presse quotidienne, périodiques et magazines) et médias
audiovisuels (télévision et radio).
Concentration et pluralisme
À compter des années 1980, et suivant l’adoption de lois
allégeant les règles encadrant la participation au capital des
entreprises médiatiques, de grands groupes industriels ont investi
dans des titres de presse et des médias audiovisuels (Sedel, 2019).
Ces entrées au capital ont été prolongées depuis lors, et
accompagnées de logiques de concentration. Si bien que « le capital
d’un très grand nombre d’entreprises médiatiques appartient à des
groupes initialement spécialisés dans les secteurs du BTP
(Bouygues), du luxe (Arnault, Pinault), de l’armement et de
l’aéronautique (Dassault, Lagardère), du transport, de la logistique et
de l’énergie (Bolloré), de la banque et de la finance (Rothschild,
Crédit mutuel, Crédit agricole) [et] de la téléphonie (Orange,
Bouygues) » (Chupin et al., 2009 : 107-108). Ce constat, qui
concerne aussi bien les médias nationaux que régionaux, est
appuyé par Julie Sedel (2019). La sociologue montre en effet qu’une
variété de médias privés, dans la presse et l’audiovisuel, est détenue
par une petite dizaine de groupes industriels majeurs, dont l’activité
principale est généralement distincte des médias et du journalisme.
La présence de ces acteurs économiques présente un intérêt
non négligeable : ils fournissent en capitaux un secteur en manquant
cruellement. Mais elle soulève aussi deux problèmes (Chupin et al.,
2009). D’abord, l’investissement dans les médias peut être entendu
comme une ressource visant à exercer une influence sur les
pouvoirs publics et allant dans le sens de leurs intérêts industriels.
Certains groupes industriels sont ainsi pointés du doigt, car ils
intimeraient aux journalistes travaillant pour les médias dont ils sont
actionnaires de ne pas traiter des sujets les concernant en premier
lieu. Ensuite, ces acteurs peuvent chercher à maximiser les profits
tirés de l’exploitation des entreprises médiatiques, et exercer des
actions de lobbying visant à libéraliser plus encore le secteur. Une
telle action ne rencontre évidemment pas les intérêts des quelques
médias encore indépendants de ces grands groupes économiques,
et contribue à les fragiliser plus encore. Ce qui, in fine, présente une
menace pour le pluralisme des entreprises médiatiques et de
l’information.
L’État et les médias en France
Aides directes
Les aides directes sont accordées par l’État, et correspondent à
des lignes budgétaires définies. On y distingue trois catégories. Les
aides à la diffusion vont ainsi permettre la réduction des tarifs SNCF
pour le transport de la presse, des envois par La Poste ou encore du
portage. Les aides au pluralisme consistent en des sommes
allouées à la presse quotidienne nationale et régionale proposant
des informations générales et politiques, et ne parvenant pas à
obtenir suffisamment de revenus publicitaires (publicités et petites
annonces). Au niveau national, L’Humanité, La Croix et Libération,
comptent parmi les principaux bénéficiaires de ces aides. La
troisième catégorie est celle des aides à la modernisation. Elle a été
réformée en 2012, avec la création du Fond stratégique pour le
développement de la presse qui renvoie à trois objectifs : soutien à
la modernisation industrielle (imprimeries et systèmes
rédactionnels) ; promotion des innovations technologiques de la
presse en ligne ; financement des actions visant à élargir le lectorat
(Le Floch et Sonnac, 2013).
Bibliographie
• Actes de la recherche en sciences sociales, « Le journalisme et
l’économie », n° 131-132, 2000.
• Balbastre G., « Une information précaire », Actes de la
recherche en sciences sociales, n° 131-132, 2000, p. 76-85.
• Benghozi P.-J. et Lyubareva I., « La presse française en ligne
en 2012 : modèles d’affaires et pratiques de financement »,
Culture études, n° 3, 2013, p. 1-12.
• Bourdieu P., « L’emprise du journalisme », Actes de la recherche
en sciences sociales, n° 101-102, 1994, p. 3-9.
• Cagé J., Sauver les médias : capitalisme, financement participatif
et démocratie, Paris, Éditions du Seuil, 2015.
• Cagé J., Hervé N., Viaud M.-L., L’information à tout prix, Bry sur
Marne, INA, 2017.
• Cagé J. et Huet B., L’information est un bien public : refonder la
propriété des médias, Paris, Éditions du Seuil, Paris, 2021.
• Champagne P., « Introduction. Le journalisme à l’économie »,
Actes de la recherche en sciences sociales, n° 131-132, 2000,
p. 3-7.
• Charon J.-M., La presse quotidienne, Paris, La Découverte,
2013.
• Charon J.-M., Les médias en France, Paris, La Découverte
(2e éd.), 2014.
• Chupin I., Hubé N., Kaciaf N., Histoire politique et économique
des médias en France, Paris, La Découverte, 2009.
• Danard B. et Le Champion R., Les programmes audiovisuels,
Paris, La Découverte, 2005.
• Derieux E., « Service public de l’audiovisuel », Publictionnaire.
Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, 2015. URL :
http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/service-public-de-
laudiovisuel/
• Le Champion R., La télévision, Paris, La Découverte, 2018.
• Le Floch P. et Charon J.-M., La presse en ligne, Paris,
La Découverte, 2011.
• Le Floch P. et Sonnac N., Économie de la presse à l’ère
numérique, Paris, La Découverte (3e éd.), 2013.
• Méadel C., « La radiopublicité : histoire d’une ressource »,
Réseaux, n° 52, 1992, p. 9-24.
• Pignard-Cheynel N., « Facebook et les médias, une liaison
diaboliquement complexe », La Revue des médias,
26 septembre 2018.
• Rebillard F., « Les intermédiaires de l’information en ligne »,
La Revue des médias, 19 août 2010.
• Sedel J., « Introduction. Sociologie d’un univers patronal »,
Sociétés contemporaines, n° 113, 2019, p. 5-12.
• Smyrnaios N. et Rebillard F., « L’actualité selon Google.
L’emprise du principal moteur de recherche sur l’information en
ligne », Communication & langages, n° 160, 2009, p. 95-109.
• Sonnac N. et Gabszewicz J. J., L’industrie des médias à l’ère
numérique, Paris, Éditions La Découverte (3e éd.), 2013.
Chapitre 4
4 Le glissement des rédactions
de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande
Rémy Le Champion
L
a presse écrite subit une crise économique profonde du fait de
la transition numérique et de l’apparition de nouveaux
concurrents appelant des contenus journalistiques plus
orientés-marché, c’est-à-dire plus orientés vers la double demande
des clients (lecteurs et annonceurs) dans le but de vendre un objet
journalistique assurant au moins un équilibre des comptes de
l’entreprise de presse et, si possible, permettant de dégager des
profits. De fait, sur un marché à deux versants, cela signifie être plus
en lien avec les attentes des lecteurs mais aussi plus à l’écoute des
besoins des annonceurs, tout en étant peut-être moins axé sur
l’intérêt supérieur du public supposé être servi par la vocation
professionnelle des journalistes. David Guiraud, ancien vice-
président directeur général du groupe Le Monde, avance que :
Les journalistes considéraient que parce qu’ils avaient
écrit un article, la terre entière devait le lire. Le monopole
de la parole a été perdu par les journalistes. Les journaux
étaient dans une logique d’offre. On ne pensait qu’à soi.
Maintenant c’est “client-centric”. Maintenant on met le
lecteur au milieu de la salle de rédaction. Les journalistes
ne sont plus au-dessus, ils sont au milieu. C’est très
différent (entretien à l’Institut français de presse/IFP,
23 octobre 2012).
Cette attention plus orientée en direction du marché conduit-elle
à une modification sensible des contenus et à la façon d’aborder la
production de contenus journalistiques, voire tout simplement à la
manière de pratiquer le journalisme ? Le glissement des rédactions
de la presse écrite française vers un journalisme de la demande
aboutit-il à une plus grande subordination des rédactions à l’impératif
de marché, et à une dépossession des journalistes de leurs
prérogatives professionnelles ?
Méthodologie
Les résultats présentés ici reposent sur une enquête originale
menée à partir de 2013, laquelle interroge les rapports au marché
des journalistes et, plus précisément, des cadres de rédaction de la
presse écrite française.
Le questionnaire de l’enquête cible les cadres de rédaction
parce qu’ils sont des gestionnaires de l’information et qu’ils orientent
la production des contenus créés au sein de leur rédaction. Ils sont
aussi de bons observateurs des mouvements qui agitent le
journalisme, au premier chef dans leur propre rédaction. Par cadres
de rédaction, il faut entendre les rédacteurs en chef et leurs
éventuels adjoints, de même que les chefs de service, considérant
que, dans les grandes rédactions, ces derniers endossent des
responsabilités aussi éminentes que des rédacteurs en chef
appartenant à des rédactions de taille plus modeste.
Le périmètre de cette enquête se limite donc à la presse écrite
et à la presse en ligne françaises, ce qui présente l’avantage de
permettre d’étudier une population plus homogène, la presse écrite
regroupant 57 % des effectifs de journalistes dotés d’une carte
professionnelle en 2019, selon l’Observatoire des métiers de la
presse. L’étude s’appuie, dans un premier temps, sur les références
du MédiaSIG 2012 (MédiaSIG, 2012). Le questionnaire a été diffusé
par voie postale à 1 171 destinataires. Les retours étant relativement
réduits et par trop insuffisants pour constituer un corpus significatif,
le même questionnaire a été bientôt adressé par voie électronique
auprès d’un premier fichier de 800 cadres de rédaction fourni par le
syndicat de la presse nationale d’information professionnelle et
spécialisée, la Fédération nationale de la presse d’information
spécialisée (FNPS). Cette première vague électronique a été
complétée par un nouvel envoi composé d’un fichier de 361 cadres
de rédaction émanant du Syndicat des éditeurs de la presse
magazine (SEPM). J’ai enfin mobilisé le fichier du Syndicat de la
presse indépendante d’information en ligne (SPIIL).
Afin d’améliorer les retours de questionnaires, deux relances
sont venues s’ajouter à ce dispositif, y compris pour les références
du MédiaSIG, mais cette fois par voie électronique, pour des raisons
de praticité et de réactivité. Au total, comme indiqué dans le tableau
ci-dessous, 171 questionnaires exploitables émanant de cadre de
rédaction de la presse généraliste, de la presse spécialisée et de la
presse professionnelle ont été retournés.
Tableau 1. Nombre de réponses à l’enquête selon le type de
presse
Presse Presse
N = 171 Presse professionnelle
généraliste spécialisée
Nombre de réponses 76 (44,4 %) 65 (38 %) 30 (17,5 %)
La pression du public
La pression du public sur les rédactions est plus nettement
ressentie dans maintes publications. La moyenne pondérée des
scores de notation (sur une échelle de 0 à 10) s’élève à 4,44.
Certes, ce chiffre s’avère plus élevé que son équivalent concernant
la pression des annonceurs, il reste cependant inférieur à la position
médiane de 5, ce qui traduit une pression globalement encore
contenue.
La préoccupation du public pèse sur la manière de construire la
production journalistique. « Produire pour un public, c’est d’abord
produire ce qu’il attend et ce qu’on croit qu’il est prêt à entendre »
(Hocq, 1994). Kovach et Rosenstiel, quant à eux, segmentent le
public en trois catégories, trois niveaux d’implication selon leur degré
d’intérêt et d’engagement vis-à-vis d’un sujet (Kovach, Rosenstiel,
2004). Philippe Pujol, pendant dix ans journaliste à La Marseillaise et
prix Albert Londres 2014, parle de « reportage pizza » :
On donne au lecteur ce qu’on pense qu’il veut. À
Marseille, il leur faut un politique qui a l’accent, un policier
qui demande des moyens, une maman qui pleure… On
enfourne et on sert aux lecteurs. C’est une maladie qui
existe à Marseille mais aussi partout ailleurs. Que veut
l’opinion ? Et on lui donne ! (Entretien à l’IFP, 21 janvier
2015.)
La situation s’avère très variable d’une rédaction à une autre,
d’après les retours de l’enquête. L’appréciation de la pression du
public occupe toute l’étendue de l’échelle de notation comme un
reflet de la singularité des situations d’entreprises. 86 % des
répondants admettent une pression émanant du public au sein de
leur rédaction. Et 5 % jugent cette pression extrême (score de 10),
ce qui est à la fois non négligeable et cinq fois supérieur à la
pression ressentie (score de 10) émanant des annonceurs.
La pression du public est ainsi, dans l’ensemble, plus nettement
ressentie que la pression des annonceurs. Est-ce l’effet de
dispositifs de protection des rédactions à l’égard des pressions du
marché qui porteraient, pour l’essentiel, sur les possibles influences
exercées par les annonceurs plutôt que sur la pression du public ?
Ou bien une plus grande métabolisation des attentes des lecteurs au
sein des rédactions qui rendrait les journalistes plus sensibles aux
attentes précises du public ?
Graphique 3. La pression ressentie émanant du public
dans les rédactions sur une échelle de 0 à 10
Comme pour la perception de la pression des annonceurs sur
les rédactions, en croisant plusieurs critères, il est possible d’obtenir
une image plus fine. Il existe ainsi des différences sensibles d’un
type de presse à l’autre. La presse professionnelle est la moins
perméable aux pressions du public : jusque 21 % des cadres de
rédaction estiment nulle la pression du public auprès de leur
rédaction. Les journalistes restent maîtres de l’agenda journalistique.
Il s’agit là de la proportion la plus élevée parmi les trois types de
presse analysés. À l’opposé, la presse spécialisée enregistre les
plus fortes pressions ressenties émanant du public. 41 % des
répondants se placent au-dessus de la valeur médiane de 5. Et
même 7 % des cadres de rédaction jugent cette pression « très
importante » en optant pour la valeur 10. La presse généraliste se
situe dans une position intermédiaire. 35 % des répondants évaluent
la pression du public supérieure à la valeur médiane de 5, alors que
44 % l’estiment en deçà.
L’examen de la moyenne pondérée des scores de notation
rejoint ce constat. Les moyennes sont élevées comparées à celles
mesurant la représentation de la pression des annonceurs sur les
rédactions. Les différences sont nettes d’un type de presse à l’autre.
La presse spécialisée, avec une moyenne pondérée de 4,97, se
trouve proche de la valeur médiane de 5.
Tableau 3. Moyenne pondérée des scores de notation
des cadres de rédaction sur l’échelle de pression du public
auprès des rédactions, selon le type de presse
Presse Presse Presse
généraliste spécialisée professionnelle
4,24 4,97 3,82
Journalisme de la demande 52 % 48 %
Position neutre 69 % 31 %
1. Citation originale : « The function of the press is to inform but its role is to make money. »
Chapitre 5
5 L’intrication croissante des métiers
du journalisme
et de la communication
Cégolène Frisque
L
es métiers du journalisme et de la communication se sont
construits séparément, parallèlement mais avec un certain
décalage temporel, en partie en interaction, en partie en
opposition, ou au moins sur l’affirmation d’une distinction
fondamentale entre les pratiques, les valeurs et les fonctions de ces
deux professions. On a assisté, d’un côté, à une professionnalisation
progressive du journalisme à partir du XIXe siècle puis dans la
deuxième moitié du XXe siècle, reposant sur la construction de
conventions, de pratiques et de normes professionnelles,
d’instances collectives et surtout de formations, qui ont contribué à
définir les limites de cette profession floue et de ses frontières
(Ruellan, 2007), notamment avec la communication. De l’autre, la
professionnalisation des métiers de la communication est plus
récente et largement inachevée, cette notion demeurant
polysémique, avec des appellations de fonctions différenciées et peu
stabilisées, aux frontières poreuses, que ce soit au niveau des
formations ou des pratiques professionnelles (Blanchard et
Roginsky, 2020).
Qu’en est-il de la distinction entre ces deux univers
professionnels aujourd’hui, dans un contexte de numérisation et de
concurrence croissante des médias, mais aussi de contraction et de
précarisation du journalisme ? Que nous apprennent les trajectoires
des journalistes, depuis leur formation, durant leur carrière
professionnelle et jusqu’à leur sortie de la profession ? Dans quelle
mesure les formations, les carrières des acteurs et les pratiques
professionnelles dans le domaine du journalisme et de la
communication tendent-elles à se rapprocher, voire à converger ?
Telles sont les questions que l’on posera dans cette
contribution, en s’appuyant d’abord sur une enquête sur les
journalistes en situation instable ou précaire, combinant l’analyse
secondaire et le croisement de différentes sources statistiques, au-
delà de celles de la Commission de la carte d’identité des
journalistes professionnels (CCIJP) qui attribue la « carte de
presse » officielle, et la réalisation de quarante entretiens avec des
journalistes dans diverses situations d’instabilité ou de précarité
en 2010 (Frisque et Saitta, 2011). Ensuite, une réactualisation de
ces données a été effectuée en 2020-2021, à travers le suivi des
carrières des personnes rencontrées depuis 2009, et une dizaine de
nouveaux entretiens.
Bibliographie
• Blanchard G., Roginsky S., « Introduction : La
professionnalisation de la communication politique en question :
acteurs, pratiques, métiers » (dossier), Les Enjeux de
l’information et de la communication, n° 21/2, 2020, p. 5-12.
• Bouron S., Devillard V., Leteinturier Ch., Le Saulnier G.,
L’insertion et les parcours professionnels des diplômés de
formations en journalisme, rapport pour les CPNEF Audiovisuel,
Presse et Journaliste et l’Afdas, IFP/Carism, Université Paris-
Panthéon-Assas, 2017. URL : https://metiers-
presse.org/data/uploads/2017/09/rapport_insertion_et_parcours
_des_journalistes_2017.pdf
• Charon J.-M., Pigeolat A., Hier, journalistes. Ils ont quitté la
profession, Toulouse, Entremises, 2021.
• Charon J.-M., Pigeolat A., « Pourquoi quitter le journalisme ? »,
L’Observatoire des Médias, 7 décembre 2020. URL :
https://www.observatoiredesmedias.com/2020/12/07/pourquoi-
quitter-le-journalisme-etude/
• Chevalier T., « Marketing et communication : les 10 chiffres clés
à connaître », RegionsJob, 27 septembre 2019. URL :
https://www.regionsjob.com/actualites/marketing-
communication-chiffres-cles.html
• Chupin I. et Nollet J., Journalisme et dépendances, Paris,
L’Harmattan, 2006.
• Chupin I., Les écoles du journalisme. Les enjeux de la
scolarisation d’une profession (1899-2018), Rennes, PUR,
2018.
• Eustache S., Bâtonner. Comment l’argent détruit le journalisme,
Paris, éditions Amsterdam, 2020.
• Frisque C. et Saitta E., Journalistes de la précarité. Formes
d’instabilité et modes d’adaptation (en collaboration avec Ferron
B. et Harvey N.), CRAPE/Arènes, rapport pour le DEPS,
ministère de la Culture et de la Communication, 2011.
• Frisque C., « Une reconfiguration des espaces médiatiques et
politiques locaux ? », Revue française de science politique,
vol. 60 n° 5, 2010, p. 951-973.
• Frisque C., « Précarisation du journalisme et porosité croissante
avec la communication », Les Cahiers du journalisme, n° 26,
2014, p. 94-115.
• Frisque C., « Cerner les formes d’emploi instable dans le
journalisme : questionnement et confrontation des sources »,
dans C. Frisque et Ch. Leteinturier (dir.), Les espaces
professionnels des journalistes. Des corpus quantitatifs aux
analyses qualitatives, Paris, Presses universitaires Panthéon-
Assas, 2015, p. 111-138.
• Goasdoué G., « Pratiques et normes journalistiques à l’ère
numérique. Ce que les logiques d’écriture enseignent »,
Politiques de communication, n° 5, 2015, p. 153-176.
• Jamet Th., Les nouveaux défis du brand content. Au-delà du
contenu de marque, Paris, Pearson, 2013.
• Kaciaf N. et Nollet J., « Introduction : Les attractions de la
communication », Les Cahiers du journalisme, n° 26, 2014, p. 2-
11.
• Leteinturier Ch., « Continuité/discontinuité des carrières de
journalistes », Recherches en communication, n° 43, 2016,
p. 27-55.
• Lipani-Vaïssade M.-C., « Les formations en alternance : une
chance pour la profession ? », Les Cahiers du journalisme,
n° 21, 2010, p. 58-71.
• Lutinier B., Dietsch B., Sotto M.-F., « Formations artistiques,
culturelles et en communication en 2009 : 155 000 étudiants
dans des filières très diversifiées », Culture chiffres, n° 5, avril
2011. URL : https://www.cairn.info/revue-culture-chiffres-2011-5-
page-1.htm
• Observatoire des métiers de la presse, « Profession journaliste :
le portrait statistique » (L’espace Data). URL :
https://data.metiers-presse.org/
• Pigeat H. et Lesourd P., Les agences de presse. Face à la
révolution numérique des médias, Paris, La Documentation
française, 2014.
• Ruellan D., Le journalisme ou le professionnalisme du flou,
Grenoble, PUG, 2007.
1. Via la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes (CPNEJ) qui établit
une liste selon un cahier des charges précis, composée actuellement de quatorze
formations. Bien que très visibles, celles-ci demeurent néanmoins largement minoritaires
parmi le total des journalistes en poste (20 %, calcul personnel à partir des données de
l’Observatoire des métiers de la presse), et même parmi les jeunes journalistes, soit un
tiers des nouveaux titulaires de la carte de presse (Bouron et al., 2017).
2. Au départ, ces formations ne bénéficiaient pas de la reconnaissance de la CPNEJ, qui
labellise maintenant les formations en apprentissage de l’Institut pratique du journalisme,
du CELSA, de Sciences Po et de l’ESJ Lille. En revanche, elle ne reconnaît pas les
contrats de professionnalisation, trop souvent mono-média.
3. La part des diplômés de formations non reconnues en journalisme a fortement augmenté
parmi les nouveaux titulaires de la carte de presse, passant de 27,2 % en 1998 à 43 %
en 2013 (Bouron et al., 2017).
4. Au total, selon une étude du DEPS, on dénombrait déjà 110 formations en
communication au sens strict en 2008, qui regroupaient 41 991 étudiants (contre 26 511
en 1998, soit une progression de 58,4 % en dix ans) (Lutinier et al., 2011). Un article de
RegionsJob compte même actuellement 609 formations en école de communication
digitale et, toutes structures et tous diplômes confondus, 2 219 formations en
communication (formations référencées sur le site Diplomeo). URL :
https://www.regionsjob.com/actualites/marketing-communication-chiffres-cles.html.
5. Un quart à un tiers des diplômés des cursus reconnus ne se présentent jamais devant la
CCIJP, selon l’étude de Bouron et al. (2017). On peut penser que ce chiffre est encore
plus élevé chez les diplômés d’écoles non reconnues.
6. Calcul personnel à partir de « L’espace Data » de l’Observatoire des métiers de la
presse : « Profession journaliste : le portrait statistique ».
7. Sur l’ensemble des demandeurs de la carte de presse, 6,2 % déclaraient en 2009
exercer d’autres activités. En outre, même chez ces multi-actifs déclarés, la part des
revenus tirés de ces activités annexes est relativement faible, 24 % en 2009, et en
particulier autour de 24 % pour les CDD et les pigistes, 40 % pour les demandeurs
d’emploi et 49,5 % pour les refus de carte (le seuil de 50 % étant effectivement un motif
de refus).
8. La « réclame » classique qui cherchait ouvertement à mettre en valeur ou vanter un
produit est largement passée de mode, la mise en scène étant aujourd’hui de plus en
plus indirecte, légère, voire déniée (allant parfois jusqu’à des formes de parodie), fondée
sur l’identification et non plus l’adhésion ou la conviction.
Questions à Alexandre Joux
Maître de conférences en sciences de l’information
et de la communication, Directeur de l’École de
journalisme et de communication d’Aix-Marseille
(EJCAM)
Agnès Granchet
P
ar cette affirmation préliminaire, le Préambule de la « Charte
d’éthique professionnelle des journalistes », adoptée par le
Syndicat national des journalistes (SNJ) le 9 mars 2011,
semble, dans une première approche, suffire à répondre à la
question posée par le titre de ce chapitre. L’éclatement des pratiques
journalistiques soulève cependant, de façon plus fondamentale, la
question de la distinction entre éthique et déontologie. La suite du
Préambule de la Charte du SNJ fait d’ailleurs référence à cette
seconde notion, en posant le principe selon lequel « il ne peut y
avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des
conditions d’exercice qu’elles nécessitent ». En employant
successivement, pour qualifier les règles qu’elle énonce, les mots
« éthiques » et « déontologiques », la Charte du SNJ est révélatrice
de la fréquente confusion faite, entre les deux termes, dans le
domaine des médias et du journalisme, où ils sont le plus souvent
employés indistinctement. Les professionnels de l’information ne
semblent pas faire de véritable différence entre l’éthique et la
déontologie. L’ouvrage du journaliste Éric Rohde traite de « l’éthique
du journalisme » (Rohde, 2020) là où, presque vingt ans plus tôt, la
journaliste et autrice Alexandrine Civard-Racinais avait publié un
livre relatif aux « principes et pratiques » de « la déontologie des
journalistes » (Civard-Racinais, 2003). Marc-François Bernier, qui fut
journaliste pendant près de 20 ans avant de devenir Professeur au
Département de communication de l’Université d’Ottawa, utilise à la
fois les deux termes dans le titre de son ouvrage, Éthique et
déontologie du journalisme (Bernier, 2014).
Cette confusion ou incertitude sémantique entre éthique et
déontologie est-elle le signe de l’hétérogénéité des principes, à la
fois théoriques et pratiques, qui sous-tendent l’exercice du métier de
journaliste ? De façon générale, l’éthique semble relever d’une
conception individuelle des règles applicables, là où la morale aurait
un caractère universel et absolu et la déontologie une dimension
plus pratique et évolutive. Définie comme l’ensemble des règles de
bonne conduite et de bonne pratique professionnelle adoptées et
sanctionnées par une profession organisée, la déontologie serait
alors « une éthique appliquée » (Grevisse, 2016 : 87). Or, « l’éthique
journalistique – comme toute éthique appliquée – se structure en
trois niveaux : le niveau supérieur des valeurs, le niveau
intermédiaire des normes, le niveau concret des pratiques » (Cornu,
2013 : 104).
La diversité des fonctions et des pratiques journalistiques n’en
pose pas moins la question de l’existence d’une véritable identité
professionnelle, préalable nécessaire à l’élaboration d’une
déontologie commune à tous les journalistes. Dans le même temps,
la déontologie journalistique contribue aussi à l’édification de cette
identité professionnelle et à sa mise en visibilité, tant par l’adoption
de textes consacrant des valeurs éthiques partagées par tous les
journalistes que par la mise en place d’instances, telles que les
conseils de presse, chargées de veiller à leur application. La
dispersion des normes de la déontologie journalistique entre une
multitude de textes, codes ou chartes, résulte certainement, pour
partie au moins, de l’éclatement des fonctions et des pratiques
journalistiques et de la diversité des médias pour lesquels
ils travaillent. Mais la formulation, par ces différents textes, de
principes fondamentaux de référence pour l’exercice du journalisme
est aussi l’expression de valeurs éthiques communes à l’ensemble
de la profession et constitutives de son identité.
Bibliographie
• Charon J.-M., Réflexions et propositions sur la déontologie de
l’information, Rapport à Madame la ministre de la Culture et de
la Communication, 1999.
• Civard-Racinais A., La déontologie des journalistes. Principes et
pratiques, Paris, Ellipses, coll. « Infocom », 2003.
• Cornu D., Tous connectés ! Internet et les nouvelles frontières de
l’information, Genève, Labor et fides, coll. « Champ éthique »,
2013.
• Bernier M.-F., Éthique et déontologie du journalisme, Québec,
Presses de l’Université Laval, 3e édition, 2014.
• Grevisse B., Déontologie du journalisme : enjeux éthiques et
identités professionnelles, Bruxelles, De Boeck Supérieur, coll.
« Infocom », 2e édition, 2016.
• Kovach B. et Rosenstiel T., Principes du journalisme. Ce que les
journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger, Paris,
Gallimard, coll. « Folio actuel », 2014.
• Rohde E., L’éthique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », n° 3892, 2e édition, 2020.
1. Voir sur ce point, dans la Partie VII, la contribution d’Olivier Koch, « Mourir en couvrant
les conflits armés. Risques et transformations du reportage de guerre ».
2. Publiée le 3 novembre 2010, la Charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde
a fait l’objet d’une mise à jour le 12 février 2021.
3. La Charte des antennes, actualisée en juillet 2020, a été complétée, en décembre 2017,
par une « Charte d’éthique » relative aux « droits et devoirs des collaborateurs » de
l’entreprise.
4. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
5. « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne
pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans
considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen
d’expression que ce soit. »
6. La Charte d’éthique mondiale des journalistes confirme que « respecter les faits et le
droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un.e journaliste ».
7. Sur cette question, voir dans la Partie VI, la contribution de Loïc Ballarini et Camille
Noûs, « Les journalistes et leurs sources ».
8. « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est
jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
Chapitre 2
2 Le lanceur d’alerte et le journaliste
Camille Laville
S
téphanie Gibaud, Chelsea Manning, Antoine Deltour, Denis
Breteau, Irène Frachon, John Kiriakou, Hervé Falciani…
autant de femmes et d’hommes qui, au nom de l’intérêt
public, ont lancé l’alerte et en ont souvent payé le prix fort
(isolement, procédures disciplinaires, licenciement, procédures
juridiques ou judiciaires). Pour lancer l’alerte, ils ont pu compter sur
la collaboration de médias et de journalistes qui leur ont permis de
diffuser des informations confidentielles et de dévoiler au grand jour
des pratiques, des faits ou des risques dont ils ont pris connaissance
au sein d’environnements professionnels variés (institutions
publiques, secteur bancaire et financier, médical ou
environnemental, industrie…). Le développement d’internet a
largement participé à la multiplication du nombre des lanceurs
d’alerte, en leur permettant de diffuser un volume considérable de
données et de documents. Toutefois, les autorités publiques
rencontrent des difficultés à définir un cadre juridique suffisamment
solide pour protéger les lanceurs d’alerte et les journalistes qui
collaborent avec eux. C’est donc aux journalistes et aux lanceurs
d’alerte qu’il est revenu de définir des règles éthiques pour
collaborer tout en limitant les risques.
La figure du lanceur d’alerte : essai de
définition
1. Les individus révélant, par le biais de la médiatisation, des dangers sous-évalués ou des
abus, sont légion. En France, on citera, par exemple, le cas d’Anne-Marie Casteret, qui
révéla, en 1987, l’affaire du sang contaminé ou celui d’André Cicolella, toxicologue à
l’INRS qui, pour avoir dénoncé les effets nocifs des éthers de glycol en 1994, fut ensuite
licencié.
2. En 1971, Daniel Ellsberg communique au New York Times les « Pentagon Papers » qui
relatent l’implication politique et militaire du gouvernement américain au Vietnam.
3. En 2008, Stéphanie Gibaud, employée au sein de la firme UBS, refuse de détruire, à la
demande de son entreprise, des données de disque dur qu’elle transmet à la justice et à
la presse. Ainsi, elle vient confirmer les déclarations d’un ancien employé d’UBS, Bradley
Birkenfeld, sur les pratiques d’évasion fiscale de la banque suisse.
4. En 2017, Karim Ben Ali, chauffeur de camion embauché par une filiale de Suez
Environnement, lance l’alerte en diffusant une vidéo dans laquelle il témoigne du
déversement d’acide dans la nature par Arcelor Mittal.
5. En 2010, Irène Frachon, médecin-pneumologue, alerte sur la dangerosité du Médiator,
commercialisé par les laboratoires Servier pendant 33 ans. L’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) reconnaît, le 16 novembre 2010,
que le Médiator est la cause directe d’au moins 500 morts, le chiffre est réévalué ensuite
à 2 000 morts.
6. La loi française du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires transpose
la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des
informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention,
l’utilisation et la divulgation illicites. Selon son rapporteur à l’Assemblée nationale,
l’objectif est de doter la France d’un « cadre juridique clair, précis et efficace pour assurer
la protection de nos entreprises contre l’espionnage économique, le pillage industriel et
la concurrence déloyale ».
7. Julie Tixier et François Deltour (Tixier et Deltour, 2018) distinguent cinq acteurs
principaux qui soutiennent le lanceur d’alerte dans le processus : les organisations
syndicales, les ONG, les partis politiques, les organes de presse et les comités de
soutien.
8. En 2019, lors de la 11e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation, Dr Julie
Posetti, senior researcher au Reuters Institute for the Study of Journalism de l’Université
d’Oxford, Dr Suelette Dreyfus, chercheuse à l’Université de Melbourne, et Naomi Colvin,
avocate et directrice de la Courage foundation qui soutient les lanceurs d’alerte, ont
collaboré avec une vingtaine de journalistes afin de définir les principes d’une
collaboration entre journaliste et lanceur d’alerte dans un contexte numérique, intitulés
les principes de Pérouse.
Chapitre 3
3 Les évolutions des instances
de régulation de l’information
Agnès Granchet
L
a consécration de la liberté de la presse, par la loi du
29 juillet 1881, n’a pas supprimé tout contrôle du contenu de
l’information diffusée par les médias. Comme le prévoit
l’article 5 de cette loi, « tout journal ou écrit périodique peut être
publié sans déclaration ni autorisation préalable, ni dépôt de
cautionnement ». Les journalistes et les médias sont libres de
publier des informations sans autorisation préalable, mais ces
informations peuvent toujours faire l’objet de contrôles a posteriori, y
compris par les autorités publiques elles-mêmes. L’attribution de
certaines aides à la presse (tarifs postaux préférentiels ou TVA au
taux hyper réduit de 2,1 %) est, par exemple, subordonnée à
l’obtention d’un certificat, délivré par la Commission paritaire des
publications et agences de presse aux publications qui remplissent
un certain nombre de conditions. Certaines d’entre elles, en
particulier le « caractère d’intérêt général » des publications « quant
à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information,
récréation du public » supposent une appréciation sur le contenu de
l’information publiée par les médias en cause. Les autorités investies
du pouvoir de police administrative (ministres, préfets, maires)
peuvent également, pour assurer le maintien de l’ordre public,
restreindre ou interdire la diffusion de certaines publications qui y
porteraient atteinte, sous réserve que les mesures adoptées soient
« nécessaires, adaptées et proportionnées » au but d’ordre public
poursuivi.
Toutes ces mesures publiques de contrôle, direct ou indirect, de
l’information publiée par les médias, sont cependant soumises au
contrôle du juge, qui est, par essence même, le gardien des droits et
libertés, et de la liberté de la presse, en particulier. Le contrôle de
l’information est traditionnellement assuré, en France, par les
juridictions et, plus récemment, par des autorités publiques ou
administratives indépendantes, investies d’une mission de
régulation. Jusqu’à la création du Conseil de déontologie
journalistique et de médiation (CDJM) en décembre 2019, il n’existait
en effet aucune instance d’autorégulation professionnelle commune
à tous les médias d’information.
Le régulateur de l’audiovisuel et la
« déontologie de l’information et des
programmes »
Instance de régulation des médias audiovisuels et, désormais
aussi, des opérateurs de plateformes en ligne, le Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA), créé par une loi du 17 janvier 1989 et
transformé, par la loi du 25 octobre 2021 « relative à la régulation et
à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique »,
en Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et
numérique (ARCOM), n’est pas une instance d’autorégulation
professionnelle chargée de veiller au respect de la déontologie
journalistique. Par sa nature, sa composition et sa mission de
régulation, l’ARCOM relève, selon la terminologie proposée par
Benoît Grevisse, de l’« hétéro-régulation » (Grevisse, 2016 : 29),
autrement dit du droit. Le régulateur des médias audiovisuels et des
plateformes n’est pas une institution volontairement mise en place
par les professionnels de l’information. Il s’agit d’une autorité
publique indépendante, instituée par la loi et composée de neuf
membres nommés par le président de la République et
respectivement désignés par le président de la République, les
présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le vice-président
du Conseil d’État et le premier président de la Cour de cassation.
Chargée de veiller au respect, par les chaînes de radio et de
télévision et par les opérateurs de plateformes en ligne, de leurs
obligations légales et réglementaires, mais aussi contractuelles pour
les chaînes privées signataires d’une convention d’autorisation
d’exploitation délivrée par le régulateur, l’ARCOM n’a, en aucun cas,
vocation à contrôler et sanctionner les journalistes eux-mêmes.
Il reste que, dans l’exercice des missions qui lui sont confiées
par la loi du 30 septembre 1986 « relative à la liberté de
communication », l’ARCOM est amenée à exercer un contrôle de
l’information diffusée par les médias audiovisuels et numériques et à
intervenir, selon l’expression employée par l’institution elle-même, en
matière de « déontologie de l’information et des programmes ».
Ayant pour mission essentielle, aux termes de l’article 3-1 de la loi
de 1986, de garantir « l’exercice de la liberté de communication au
public par voie électronique » consacrée par le premier article de la
même loi, le régulateur doit également s’assurer du respect des
limites de cette liberté, tenant, en particulier, au respect de la dignité
de la personne humaine et à la sauvegarde de l’ordre public. Ce
sont précisément les manquements constatés à ces deux principes
qui avaient, par exemple, conduit le CSA à prononcer, le 12 février
2015, 15 mises en garde et 21 mises en demeure, à l’encontre de 13
chaînes différentes de radio et de télévision, à propos de leur
couverture des attentats de janvier 2015. Malgré les accusations de
censure formulées, en l’espèce et de façon récurrente, par les
journalistes et les médias, le régulateur ne peut, en aucun cas, être
considéré comme un organe de censure de l’information et des
contenus audiovisuels dans la mesure où il intervient toujours
postérieurement à leur diffusion pour s’assurer que les chaînes de
radio et de télévision ont respecté leurs obligations. Les cahiers des
charges des chaînes publiques, comme les conventions conclues
par le régulateur avec les chaînes privées, comportent en effet une
série d’obligations « déontologiques » qui concernent notamment
« la dignité de la personne humaine et la protection des mineurs »,
« la lutte contre les discriminations et la représentation de la
diversité à l’antenne », ainsi que « l’honnêteté et le pluralisme de
l’information ».
L’autre fondement de l’intervention de l’ARCOM en matière de
« déontologie de l’information » est la mission, qui lui est attribuée
par l’article 3-1, alinéa 3, de la loi du 30 septembre 1986, de garantir
« l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des
programmes qui y concourent ». À ce titre, le régulateur doit
notamment s’assurer que les conventions d’autorisation conclues
avec les chaînes privées garantissent le respect du droit d’opposition
et du droit à la protection des sources consacrés par l’article 2 bis de
la loi de 1881.
Dans le cadre ainsi fixé par la loi, le CSA a progressivement
dégagé une « doctrine », ultérieurement synthétisée dans une
délibération du 18 avril 2018 « relative à l’honnêteté et à
l’indépendance de l’information et des programmes qui y
concourent », imposant en particulier une « exigence de rigueur »
dans le recueil et le traitement de l’information et un « impératif
d’honnêteté » dans sa présentation. La première requiert notamment
de vérifier « le bien-fondé et les sources de chaque information »,
d’utiliser des images en adéquation avec le sujet illustré et de situer
l’information dans son contexte, en précisant, le cas échéant, qu’il
s’agit d’images d’archives ou d’une reconstitution des événements.
L’honnêteté de la présentation de l’information postule, de son côté,
d’assurer l’équilibre des points de vue ou des thèses en présence et
d’informer le public des moyens utilisés pour obtenir l’information.
Régulièrement saisi à propos de l’usage de caméras cachées,
considéré par les plaignants comme contraire au principe
déontologique de l’interdiction des méthodes déloyales de collecte
de l’information, le régulateur subordonne la validité de cette
pratique à la réunion de plusieurs conditions. L’information
recherchée doit avoir un caractère d’intérêt public. Il ne doit pas
exister d’autres moyens d’obtenir cette information. Le public doit
être informé de la réalisation du reportage en caméras cachées. Les
personnes filmées ne doivent, enfin, pas pouvoir être identifiées.
L’exigence de « maîtrise de l’antenne », qui requiert parfois une
réaction du journaliste aux propos d’un participant à une émission, a
été forgée par le CSA pour assurer à la fois l’honnêteté de
l’information diffusée et la sauvegarde de l’ordre public, la lutte
contre les propos racistes, en particulier.
En ce qui concerne la régulation des contenus diffusés par les
opérateurs de plateforme en ligne, l’ARCOM a, de façon plus
spécifique, pour mission de veiller au respect, par les plateformes,
des obligations qui leur sont imposées en matière de lutte contre les
fausses informations et contre les discours de haine. La loi du
22 décembre 2018 « relative à la lutte contre la manipulation de
l’information » avait confié au CSA le pouvoir de suspendre, en
période électorale, la diffusion des services contrôlés par des États
étrangers et diffusant « de façon délibérée, de fausses informations
de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Le régulateur a aussi la
mission de s’assurer du respect, par les opérateurs de plateforme,
de leurs obligations de mettre en œuvre « des mesures en vue de
lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de
troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité » des élections
présidentielles, parlementaires, européennes ou des référendums. Il
s’agit principalement de la mise en place d’un « dispositif facilement
accessible et visible » de signalement des fausses informations,
ainsi que de mesures de transparence sur les algorithmes et les
contenus sponsorisés. La loi du 24 août 2021 « confortant le respect
des principes de la République » a encore accru l’étendue des
missions de l’ARCOM au contrôle du respect, par les plateformes,
de leurs obligations (dispositif de signalement, information,
transparence…) en matière de lutte contre la diffusion de contenus
haineux, constitutives des infractions graves énumérées par la loi.
La prochaine adoption, par l’Union européenne, du Digital Service
Act devrait encore, en augmentant la responsabilité des services
numériques, élargir le champ des compétences de l’ARCOM dans la
régulation de l’information diffusée en ligne.
Autrefois qualifié de « gendarme de l’audiovisuel » en raison de
son pouvoir d’infliger des sanctions (sanction pécuniaire, insertion
d’un communiqué, suspension d’un programme…), aux chaînes de
radio et de télévision qui manquent à leurs obligations, le régulateur
des médias audiovisuels préfère généralement agir par la voie de la
concertation plutôt que par la répression. Investi, par l’article 3-1,
alinéa 7, de la loi de 1986, d’une mission de conciliation dans le
règlement des différends entre éditeurs et producteurs, le CSA a
toujours fait un usage plutôt modéré de son pouvoir de sanction.
L’adoption de règles et recommandations applicables aux éditeurs
est souvent précédée d’une phase de concertation avec les chaînes
concernées. Après les tragiques événements de janvier 2015 et les
avertissements prononcés à l’encontre des chaînes pour les
modalités leur couverture médiatique, le CSA a élaboré, en
concertation avec elles, des « précautions relatives à la couverture
audiovisuelle d’actes terroristes », publiées le 25 octobre 2016. De
nombreuses chaînes de radio ou de télévision, telles que France
Médias Monde dans sa « Charte de déontologie des journalistes »
ou France info dans sa « Charte déontologique », ont ultérieurement
ajouté, dans leurs chartes internes d’entreprises, des dispositions,
inspirées de ce code, relatives à la couverture des attentats, des
actes de guerre ou de violences armées contre les populations
civiles. Les méthodes employées par le régulateur de l’audiovisuel,
fondées sur la concertation avec les médias, et son mode de
fonctionnement marqué par une relative souplesse tendent, dans
une certaine mesure, à rapprocher cette instance de régulation
d’une instance d’autorégulation issue de la profession elle-même.
Bibliographie
• Bernier M.-F., L’ombudsman de Radio Canada par Marc-
François Bernier. Protecteur du public ou des journalistes ?,
Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2005.
• Civard-Racinais A., La déontologie des journalistes. Principes et
pratiques, Paris, Ellipses, coll. « Infocom », 2003.
• États généraux de la presse écrite, Livre vert, 8 janvier 2009.
• Grevisse B., Déontologie du journalisme : enjeux éthiques et
identités professionnelles, Bruxelles, De Boeck Supérieur, coll.
« Infocom », 2e édition, 2016.
• Haraszti M., Le Guide pratique de l’autorégulation des médias.
Les questions et les réponses, Vienne, Éditions de l’OSCE,
2008.
• Hoog E., Confiance et liberté. Vers la création d’une instance
d’autorégulation et de médiation de l’information, 26 mars 2019.
• Montebourg A., « Le juge judiciaire, juge de la déontologie des
journalistes », Legipresse, n° 101, mai 1993, p. 37-44.
• Rohde E., L’éthique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », n° 3892, 2e édition, 2020.
1. Voir, sur cette notion, la contribution d’Amal Benhamoud, sur « La bonne foi du
journaliste poursuivi pour diffamation ».
2. Selon les derniers chiffres fournis par la Commission de la carte d’identité des
journalistes professionnels, les journalistes salariés, dits « mensualisés »,
représentaient, au 11 février 2022, 69,6 % des journalistes actifs titulaires de la carte.
3. Dénommés « ombudsmen » dans les pays d’Europe du Nord, les médiateurs des médias
sont souvent désignés, aux États-Unis, sous les vocables de « public editor » (rédacteur
en chef chargé du public), « public contact editor » (rédacteur en chef pour le contact
public), représentant ou avocat des lecteurs. En Espagne, il est aussi question de
« defensor del publico » (défenseur du public), « defensor de los lectores »
(défenseur des lecteurs), ou « defensor del telespectador » (défenseur des
téléspectateurs).
4. Par une décision du 3 novembre 2016, le CSA avait mis en demeure la société éditrice
de la chaîne iTélé de se conformer à la disposition de sa convention lui imposant de
constituer « un comité composé de personnalités indépendantes », « afin de contribuer
au respect du principe de pluralisme ».
Chapitre 4
4 La bonne foi du journaliste poursuivi
pour diffamation
Amal Benhamoud
T
exte fondateur de la IIIe République, la loi du 29 juillet 1881
sur la liberté de la presse prévoit et réprime les infractions du
discours susceptibles d’être caractérisées par tout mode
public d’expression, que cette publicité soit assurée ou non par une
diffusion dans les médias. Dans le but de protéger la liberté des
journalistes et des médias, elle instaure également une procédure
de poursuite et de jugement de ces infractions, qui déroge, à bien
des égards, au droit commun. Selon une circulaire du garde des
Sceaux « relative à l’application de la loi sur la presse du
29 juillet 1881 », il s’agit d’une « loi de liberté, telle que la presse
n’en a jamais eu en aucun temps ». La loi de 1881 est en effet le
texte qui réalise, à la lumière de l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’Homme relatif à la liberté d’expression et
de son interprétation par la Cour européenne des droits de l’Homme,
les idéaux même de l’article 11 de la DDHC. Selon ce texte, « la libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les
plus essentiels de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans
les cas déterminés par la loi ».
S’il est permis d’user de sa liberté, il n’est pas permis d’en
abuser (Guerder, 1995), le juge judiciaire s’érigeant, en tout état de
cause, en gardien de la liberté d’expression et de ses limites. À ce
titre, son rôle est fondamental. En effet, la loi de 1881 est toujours
autant sollicitée et le développement des supports de
communication, notamment les réseaux sociaux, a entraîné une
forte augmentation des informations diffusées, sans que le régime
de responsabilité n’ait été adapté. En instituant un régime procédural
unique, caractérisé à la fois par une brève prescription et par des
exigences élevées de formalisme imposées à peine de nullité, la loi
de 1881 n’a cessé d’alimenter une abondante jurisprudence, tant
des chambres correctionnelles spécialisées dans les affaires de
presse que de la Cour de cassation qui opère, en la matière, un
contrôle spécifique (Guerder, 1995). Ce contrôle s’opère à l’aune
des attentes de la Cour européenne des droits de l’Homme, comme
en témoignent les récents arrêts rendus, le 23 novembre 2021, dans
l’affaire Borel, le journal Le Monde étant définitivement relaxé 21 ans
après la publication d’un article litigieux. Plus finement, ce contrôle
des juges s’opère en fonction de l’auteur des propos critiqués et du
genre de l’écrit en cause.
Éric Lagneau
L
’étymologie est parfois un bon point de départ pour poser des
questions sociologiques pertinentes. Informer, in-formare,
c’est littéralement mettre en forme et, plus précisément,
mettre en formats ou aux formats. Impossible donc d’analyser la
fabrication des nouvelles (news) sans prendre au sérieux ce
nécessaire formatage, entendu ici, sans connotation négative,
comme une médiation pratique indispensable entre l’événement et
sa « traduction » journalistique. Il faut, à cet égard, mettre en garde
contre deux écueils symétriques. Le premier consisterait à sous-
évaluer l’importance de ces formats, alors que respecter des
paramètres préétablis du traitement de l’information, et notamment
des formats de diffusion, est devenu pour les journalistes une
contrainte de plus en plus forte dans un environnement
professionnel qui, au moins depuis la fin du XIXe siècle, fait la part
belle à une production industrielle, rationalisée, voire standardisée,
des nouvelles. Mais il faut tout autant se méfier de l’écueil inverse,
qui consisterait à fétichiser les formats, à leur attribuer par excès de
formalisme un pouvoir et une rigidité qu’ils ne semblent avoir que si
on oublie de relier ces formats de diffusion à leurs conditions de
production et de prendre en considération la pluralité des exigences,
attentes et contraintes, parfois contradictoires, qui font le sel du
métier de journaliste.
Pour le montrer, nous allons étudier un des formats historiques
du journalisme moderne, la dépêche d’agence, c’est-à-dire l’article
d’information fourni par les agences de presse, dont les normes
paraissent immuables et même constitutives d’une écriture
journalistique « objectivante » permettant la réduction factuelle de
l’événement. Mais la dépêche n’a cessé en réalité d’évoluer, de se
diversifier et de s’hybrider tout au long de l’histoire des agences de
presse, et doit donc être analysée dans la pluralité de ses usages.
Bibliographie
• Agnès Y., Manuel de journalisme. Écrire pour le journal, Paris,
La Découverte, 2002.
• Barthe Y., de Blic D., Heurtin J.-P., Lagneau E., Lemieux C.,
Linhardt D., Moreau de Bellaing C., Rémy C., Trom D.,
« Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, n° 130, 3,
2013, p. 205-222.
• Chalaby J., The invention of journalism, London, Routledge,
1998.
• Lagneau E., « Le style agencier et ses déclinaisons thématiques.
L’exemple des journalistes de l’Agence France Presse »,
Réseaux, n° 111, 2002, p. 58-100.
• Lagneau E., L’objectivité sur le fil. La production des faits
journalistiques à l’Agence France-Presse, thèse pour le doctorat
de science politique, IEP Paris, janvier 2010.
• Lagneau E., « Une fausse information en quête d’auteur. Conflits
d’imputation autour d’une annulation de dépêches AFP », dans
Lemieux C. (dir.), La subjectivité journalistique, Paris, Edition de
l’EHESS, 2010, p. 47-65.
• Lagneau E., « L’imparfaite traçabilité de l’information.
L’identification des sources à l’AFP : un jeu d’ombre et de
lumière », dans Legavre J.-B. (dir.), L’informel pour informer. Les
journalistes et leurs sources, Paris, L’Harmattan/Éditions
Pepper, 2014, p. 139-163.
• Lemieux C., Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du
travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000.
1. Le premier de ces manuels, l’Associated Press Style Book, date de 1951. L’AFP a
proposé six versions successives de son manuel en français (1971, 1982, 1997, 2004,
2009, 2018).
2. Les manuels de l’AFP de 1971 et 1982 mentionnent bien l’existence de différents types
de dépêches, mais il faut attendre celui de 1997 pour que soit très explicitement
présentée la liste des différents « genres de l’agencier » : le papier d’éclairage,
l’interview, le récit, le portrait, les échos, la brève, la fiche technique, la chronologie… Le
manuel de 2004 complète la liste et insiste sur la question de « l’attribut », c’est-à-dire
sur l’étiquetage de ces genres pour que les clients s’y retrouvent. Aujourd’hui, il existe
44 attributs différents prévus dans la console informatique des journalistes de l’AFP.
3. Tel que nous l’entendons, un style journalistique ne caractérise pas seulement un style
d’écriture, mais plus largement une manière de pratiquer le métier, elle prend donc en
compte l’ensemble des pratiques des journalistes.
4. Cette recherche de l’objectivité renvoie à la fois à une nécessité commerciale et à des
obligations juridiques. Les nouvelles des agences ont une audience considérable,
potentiellement mondiale, et extrêmement variée dans sa composition sociale, politique
ou religieuse, il faut donc trouver la traduction journalistique qui convienne au plus grand
nombre. Mais l’objectivité est aussi une obligation légale pour l’AFP. La loi de 1957
portant statut de l’AFP fait obligation aux journalistes de l’agence (nous condensons ici
les obligations relatives à la qualité de l’information des articles 1 et 2 du statut) de
fournir une information « complète, objective, exacte, impartiale et digne de confiance ».
5. Sous des formes diverses qu’on ne détaillera pas ici. On peut mentionner néanmoins
l’importance des procédures de correction et d’annulation pour le maintien de la
crédibilité des agences.
6. Jusqu’en 2009, l’AFP marquait les informations importantes par des bulletins, mais elle a
décidé à cette date de s’aligner sur les pratiques de Reuters et AP en adoptant le format
alerte.
7. Ces papiers à attribut représentent en moyenne désormais 20 % des dépêches sur les
fils de l’AFP.
8. Parmi ces papiers à attribut, on retrouve des dépêches avant tout descriptives relevant
du journalisme documentaire (fiche technique, repères, équipe, résultat, récapitulatif
classement, programme, chronologie, bio-express) ou du journalisme d’enregistrement
(réactions, déclarations, témoignage, entretien, trois-questions, questions-réponses,
principaux points, verbatim, revue de presse). À l’autre bout du spectre se distinguent les
formats les plus clairement interprétatifs (analyse, commentaire, papier d’angle). Entre
les deux, il existe une large palette de formats qui contribuent plus directement à la mise
en récit de l’événement, avec des dimensions narratives (récit, compte rendu, reportage)
ou interprétatives plus ou moins marquées selon les auteurs et les sujets traités
(chapeau, papier général, lead général, présentation, lever de rideau, synthèse, week-
ender, rétrospective année, portrait, enquête).
9. Comme le relève le manuel AFP de 2008 : « L’attribut est une appellation de papier
décidée en fonction des choix rédactionnels. Il s’agit d’un élément clé du dialogue avec
le client, qui précise le genre de papier qu’il recevra − l’attribut étant annoncé dans les
prévisions diffusées sur les fils. Pour la production, il facilite l’organisation de la
couverture, permettant de distribuer les éléments d’information entre différents papiers. »
D’où l’importance d’un travail de codification relativement précis, matérialisé notamment
par les versions successives du manuel agencier qui accordent une place relativement
large à la description de ces attributs.
10. Le manuel AFP de 1997 témoigne d’ailleurs de cette tension lorsqu’il souligne à propos
du papier d’analyse : « Les clients réclament davantage de papiers mettant les
événements en situation et les expliquant. Il ne faut pas avoir peur du mot d’analyse de
l’événement (news analysis), que l’on appelle souvent plus discrètement en français
“papier d’éclairage”. Il ne s’agit pas d’un éditorial ou d’une tribune libre, mais de la
présentation des différentes thèses ou options en présence. Le maximum de faits
émanant de sources diverses doit étayer l’argumentation. »
11. « Au minimum, une source doit définir le milieu d’appartenance : “source judiciaire”,
“source policière” ou autres “source proche de l’enquête”. Mais il convient de bannir les
sources qui ne définissent rien du tout, telles que sources informées, sources sûres,
dignes de foi et autres sources concordantes, de même que les milieux bien informés et
les observateurs. » Ce document marque ainsi une étape importante, confirmée dans les
manuels de 2004 et de 2008. Il a une histoire intéressante puisqu’il a été conçu comme
une des réponses à la crise qui avait secoué l’AFP après la publication, le 19 mars 1999,
d’une fausse nouvelle concernant le président de la République, Jacques Chirac et qui
avait nui à la réputation de l’agence (Lagneau, 2010b).
12. « Cette règle ancienne mais trop souvent ignorée est plus que jamais d’actualité à
l’heure du multimédia, permettant d’exploiter la dépêche sur plusieurs supports
différents », est-il écrit en introduction de l’article sur la pyramide inversée dans le
manuel AFP 2018.
13. Dans un autre registre, on peut relever la création récente d’un format « Fact-
checking », permettant de diffuser sur les fils une dépêche à destination des clients
abonnés à partir d’un fact check publié sur le blog AFP-Factuel, afin de valoriser une
nouvelle activité de l’AFP en plein essor.
14. On peut lire dans la même note : « Il faut s’appuyer sur tous les journalistes sur le
terrain, en particulier sur les reporters photographes et JRI [journalistes reporter
d’images] et sur leur production, pour nourrir les papiers de couleur et de témoignages ».
15. Entrée « photo récit » dans le manuel AFP 2018.
Chapitre 2
2 Le journal télévisé : un
modèle canonique
Marie-France Chambat-Houillon
D
u haut de ses 70 ans dépassés, le journal télévisé est
certainement le format le plus emblématique de l’information
à la télévision, même s’il n’est pas le seul à être diffusé à
l’antenne, côtoyant débats et magazines dits d’information. Sa
longévité s’explique par une formule à la fois suffisamment stable
pour ne jamais disparaître des antennes, accompagnant de fait les
mutations du média au fil des époques, tout en ayant la capacité de
s’adapter aux innovations techniques et aux mutations sociales du
journalisme audiovisuel.
Alors que la télévision est encore un média balbutiant, pour ne
pas dire expérimental et surtout presque sans public, le premier
journal télévisé de la Radiodiffusion-télévision française fut diffusé
sur l’unique chaîne de la télévision, le soir du 29 juin 1949. Sa
naissance est intimement liée à celle de la télévision. Créé par
Pierre Sabbagh avec une équipe de journalistes venant pour la
plupart du média de référence de l’époque, la radio, il avait
initialement une durée d’une quinzaine de minutes. Toutefois son
originalité ne réside pas uniquement dans la monstration du monde
en images, devancé, en cela, par Les Actualités cinématographiques
diffusées dans les salles de cinéma depuis le début du XXe siècle.
Car, si celles-ci en proposent une vision synthétique rafraichie selon
une cadence le plus souvent hebdomadaire, le succès du journal
télévisé tient sans aucun doute dans une programmation devenue
rapidement régulière et quotidienne en quelques mois, supposant un
renouvellement tous les jours de son contenu. Pierre Sabbagh parle
de la fabrication du journal télévisé comme une « course contre le
temps »1, d’autant plus héroïque que la jeune télévision française
disposait à l’époque de très peu de moyens humains et techniques.
Les reportages étaient filmés sur pellicule film, nécessitant un temps
de développement et de montage incompressible qui sera réglé
avec l’arrivée des caméras électroniques. Au début des
années 1950, le peu de moyens alloués au journal télévisé couplé
aux limitations techniques a des répercussions sur le choix de ses
sujets qui couvraient en images une réalité contrainte spatialement
et temporellement par la proximité des bureaux de la télévision
française.
La temporalité singulière de la
programmation :
la « grande messe » du vingt heures
Si les innovations technologiques ont permis d’alléger les
contraintes de fabrication avec pour conséquence une plus grande
diversité des contenus d’information, il demeure que le journal
télévisé ne s’est pas pour autant désengagé d’autres dimensions
temporelles. La première est liée à son statut de programme. En
effet, le journal télévisé prend place dans une offre de programmes
située dans une grille de programmation particulière. Au sein des
chaînes généralistes, même si ses éditions se multiplient (le matin, à
la mi-journée et en début de soirée) s’alignant sur le rythme social et
culturel des Français, autour des repas, le journal télévisé du soir
demeure néanmoins l’édition la plus importante selon la formule
désormais consacrée « de grande messe du vingt heures ».
Bien évidemment, ses horaires ont légèrement varié
historiquement à la télévision française et selon les stratégies des
chaînes, à l’image de M6 qui fait débuter depuis 2009 son 19.45 à
l’heure promise par son titre, la « petite chaîne » qui ne l’est plus,
devance ainsi par son offre d’information la programmation à
20 heures des journaux des chaînes généralistes historiques que
sont TF1 et France 2. En faisant la jonction entre l’access prime time
et le prime time, cette édition, qui amorce la soirée télévisuelle, ne
se décline pas seulement comme une offre d’informations, mais
comme un véritable rendez-vous pour les téléspectateurs en
structurant d’une part, la temporalité endogène de la chaîne de
télévision et d’autre part, en étant un rouage décisif des stratégies
de fidélisation du public. À la fois contenu journalistique et
programme, le journal télévisé obéit à deux logiques : une logique
démocratique de construction d’une information pluraliste et une
logique économique. En effet, il ne faut pas oublier que produire de
l’information a un coût que l’entreprise médiatique doit rentabiliser,
notamment dans un environnement devenant de plus en plus
concurrentiel avec les nouveaux acteurs numériques. La fabrique de
l’information repose sur une mobilisation collective de toute une
équipe de rédaction composée de journalistes de desk, de
correspondants à l’étranger et d’envoyés spéciaux, sans oublier des
moyens technologiques conséquents pour réaliser et monter les
reportages, les faire parvenir à la chaîne et bien évidemment les
diffuser.
Bibliographie
• D’Aiguillon B., Un demi-siècle de journal télévisé, Paris,
L’Harmattan, 2001.
• Blandin C., « Le journal télévisé, incontournable ou dépassé ? »,
La revue des Médias, INA, 2015.
• Brusini H., James F., Voir la vérité, le journalisme de télévision,
Paris, PUF, 1984.
• Charaudeau P., Les médias et l’information. L’impossible
transparence du discours, 2e édition, Bruxelles, De Boeck, 2011.
• Coulomb-Gully M., Les informations télévisées, Paris, PUF, coll.
« Que sais-je ? », n° 2922, 1995.
• Esquénazi J.-P., L’écriture de l’actualité, 2e édition, Grenoble,
PUG, coll. « Communication en plus », 2013.
• Jost F., Introduction à l’analyse de la télévision, Paris, Ellipses,
1999.
• Lochard G., L’information télévisée. Mutations professionnelles et
enjeux citoyens, Vuibert-Ina, Paris, 2005.
• Mercier A., Le journal télévisé : politique de l’information et
information politique, Paris, PFNSP, 1996.
• « Le data journalisme : entre retour du journalisme
d’investigation et fétichisation de la donnée. Entretien avec
Sylvain Lapoix », Mouvements, n° 79, 3, 2014, p. 74-80.
Marie-France Chambat-Houillon
E
n plus d’être une traduction du terme anglais infotainement,
l’expression d’infodivertissement est un néologisme qui
repose sur la contraction de deux termes préexistants :
l’information et le divertissement. Si intuitivement, chaque
téléspectateur sait peu ou prou quelles émissions peuvent être
désignées par cette étiquette générique, il n’est cependant guère
aisé d’en dégager des critères constitutifs stables tant l’hybridité
générique revendiquée par ces contenus peut se décliner aussi bien
quantitativement que qualitativement. Pour cette raison, certains
auteurs préfèrent parler d’une « échelle d’infotainement » qui
irriguerait des genres médiatiques bien identifiés mais très
différenciés, dont l’empan irait des journaux télévisés aux variétés
(Brants, 2003). Bien que l’infodivertissement soit une tendance qui
n’épargne aucun genre médiatique, quand elle s’immisce dans les
émissions à prétention sérieuse et informative, elle interroge plus
particulièrement l’évolution sociale de la place des médias
d’information et de leur discours dans l’espace public.
Historiquement, les discours journalistiques ont participé à construire
une certaine conception de l’information comme ressource
rationnelle des débats démocratiques, débats qui, dans cette
perspective, seraient a priori incompatibles avec les formes de
médiatisation divertissante. L’infodivertissement télévisée est, sans
aucun doute, la conséquence de l’« appel du divertissement » (Jost,
2013) qui désigne, dans le sillage de la pensée de Hanna Arendt
dans La Crise de la culture, le glissement généralisé des sociétés
contemporaines vers le récréatif et ses dimensions cardinales que
sont l’émotion et le spectacle.
De l’information au divertissement
et réciproquement
Même si elle est apparue récemment, la tendance à
l’infodivertissement n’a pas donné lieu à des programmes
complètement inédits. Son métissage générique s’enracine
généalogiquement dans des formats préexistants.
La première famille regroupe des émissions d’information
reprenant pour modèle le journal d’actualité mais désormais
conjugué à des visées récréatives et à une tonalité à dominante
ludique à l’instar de Nulle part ailleurs sur Canal+ (1987-2001), du
Grand Journal sur la même chaîne (2004-2017) ou encore de
Quotidien sur TMC (2016-). La durée horaire traditionnelle de
l’édition d’un journal télévisé s’étend pour accueillir toute une
succession de chroniques et de séquences les plus diverses qui
puisent leurs sujets dans le quotidien du public visé, essentiellement
des jeunes adultes urbains. Le public idéal de ces émissions, mêlant
actualité et divertissement, se démarque du traditionnel public du
journal télévisé dont l’âge ne cesse de s’accroître. La montée de
l’infodivertissement tire parti d’une autre prédisposition de la
télévision : le développement d’émissions de moins en moins
homogènes formellement et thématiquement en raison d’une plus
grande fragmentation interne donnant lieu à de nombreuses
rubriques qui se succèdent les unes après les autres. Si cette
propension à la segmentation fut dans un premier temps l’apanage
des divertissements de l’après-midi à la fin du siècle dernier, elle est
désormais devenue un principe structurant les émissions
d’infodivertissement diffusées à la charnière de l’access-prime time
et du prime time face au format canonique du journal télévisé
qu’elles concurrencent frontalement par leur programmation. Ces
émissions visent à proposer un autre regard sur la grande actualité,
le plus souvent décalé et certainement moins angoissant, épaulé par
un mode assurément plus réflexif qui valorise leurs pratiques
journalistiques internes. En effet, elles n’hésitent pas à dévoiler les
coulisses de leurs enquêtes journalistiques jusqu’aux aléas de
fabrication de certains reportages, transformant la pratique
professionnelle en objet de discours au même titre que d’autres faits
rapportés. Le journalisme devient ainsi l’objet d’une performance
discursive médiatique et participe à la logique de spectacularisation
des émissions. Cependant, au nom de la transparence, cette mise
en visibilité est aussi une façon pour ces émissions
d’infodivertissement de gagner en crédibilité professionnelle en
montrant le travail de leurs équipes afin de prendre le contre-pied
des jugements contempteurs de certains professionnels. En effet,
en 2012, certains collaborateurs du Petit Journal de Canal+ (2004-
2017), animé par Yann Barthès, se sont vus refuser le
renouvellement de leur carte de presse au motif que le mélange des
genres proposé par l’émission discréditait la portée journalistique de
leur travail2.
Toutes les émissions d’infodivertissement ne déclinent pas de la
même façon leur métissage générique. L’emblématique Nulle part
ailleurs, émission qui contribua à construire l’identité irrévérencieuse
des jeunes années de Canal+, fut l’une des premières en France à
offrir un mélange de divertissement et d’actualité sur le modèle de la
cohabitation des genres. En effet, si Philippe Gildas, journaliste
renommé, était aux commandes d’une émission qui combinait
devant un public en plateau performances musicales, chroniques
culturelles et billets humoristiques, il demeure que la séquence
dédiée au journal télévisé était formellement sanctuarisée : non
seulement elle se démarquait des autres moments de l’émission par
un rubricage visuel et sonore distinctif mais en plus, elle était menée
par un locuteur spécifique, la journaliste Annie Lemoine, qui ne
restait pas par la suite sur le plateau, évitant ainsi de mêler sa voix à
celle des autres intervenants, qu’ils soient chroniqueurs ou invités.
En outre, pendant cette séquence, le public in situ ne réagissait pas.
Cette organisation interne témoignait qu’au sein de cette émission
d’infodivertissement, l’information n’était pas considérée comme un
contenu médiatique comme les autres et qu’elle ne devait pas se
recevoir sous le mode d’un spectacle. Cependant, cela ne signifiait
pas pour autant que l’actualité ne pouvait prêter à sourire ou à faire
rire : après le journal sérieux s’ouvrait avec les marionnettes des
Guignols de l’info une séquence parodique conçue dans la lignée
des spectacles des revues de presse satirique des cabarets ou des
émissions de radio, et qui concurrençait frontalement son précurseur
télévisuel diffusé presqu’au même moment sur la première chaîne,
le Bébête Show (1982-1995). Cet épisode pleinement comique se
démarquait formellement du reste du programme à la fois par un
générique d’ouverture et par l’occupation d’un espace scénique
spécifique dans le studio, éloigné notamment de la table qui
rassemblait le présentateur principal, ses acolytes et les invités. En
outre, comme la vision humoristique parfois cynique sur l’état du
monde contemporain était portée par des personnages en latex, la
cohabitation générique proposée par les aménagements formels de
l’émission ne venait pas amalgamer la réception des différents
discours d’information. Et s’il y avait bien succession au sein d’une
même émission de plusieurs discours aux visées
communicationnelles différentes, le dispositif retenu ne prédisposait
pas à une porosité générique pouvant aboutir à des confusions
interprétatives.
D’autres aménagements d’infodivertissement sont aussi
remarquables. Certaines émissions (Quotidien, par exemple) se
distinguent plutôt par l’accueil autour du présentateur principal de
nombreux collaborateurs issus d’horizons professionnels les plus
variés. Cette pluralité de locuteurs au sein d’une même émission
engendre de fait une variation de la tonalité des discours à teneur
référentielle en fonction des caractéristiques socio-professionnelles
des intervenants : si certains sont journalistes, d’autres viennent de
la scène du spectacle vivant ou de la création numérique, par
exemple. Leur histoire et leur parcours, autant professionnel que
personnel, contribuent à façonner leur crédibilité à pouvoir prendre
en charge un regard sur le monde contemporain, soit sur un mode
littéral, soit sur un mode plus distancié, parfois ludique.
La seconde famille d’émissions d’infodivertissement rassemble
des programmes de parole à visées distrayantes (les talk-shows) qui
reçoivent des invités marquant l’actualité, à l’image des membres du
personnel politique. Aux USA, comme en France, la montée en
puissance de la présence des femmes et hommes politiques dans le
divertissement télévisé a fait l’objet de nombreuses études (Neveu,
2003 ; Le Foulgoc, 2010 ; Leroux et Riutort, 2011, 2013) afin
d’évaluer les enjeux publics de cette mutation médiatique de la
représentation politique, appelée « la démocratie du talk-show »
(Neveu, 2003). En effet, à la suite de la raréfaction depuis quelques
dizaines d’années de la programmation des émissions politiques
traditionnelles et face à la désaffection des publics pour les débats
politiques, les émissions de divertissement sont devenues des lieux
incontournables pour continuer à assurer une représentation
télévisée au personnel politique (Le Foulgoc, 2010).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces nouveaux lieux
d’accueil télévisuels des politiques ne sont pas réservés
exclusivement aux chaînes privées, comme en témoignent les
succès sur le service public de Vivement Dimanche (France 2,
1998-), On n’est pas couché (France 2, 2006-2020) ou encore On ne
peut plaire à tout le monde (France 3, 2000-2006), rendant ainsi
impertinente la distinction privé/public comme clé de compréhension
pour saisir l’évolution médiatique contemporaine de la parole
politique et du débat public. Si la médiatisation des politiques a
changé, c’est aussi en raison de l’évolution générale de la
communication politique dont un des objectifs est de tenter de
combler le fossé entre les élites et les Français. Il s’agit de faire en
sorte que les responsables politiques se rapprochent des citoyens
ordinaires et de leurs préoccupations quotidiennes. Cette logique
était déjà à l’œuvre dans le champ politique des années 1970 avec
le ministre Valéry Giscard d’Estaing jouant de l’accordéon à la
télévision aux côtés de l’animatrice de variétés Danièle Gilbert, puis
en s’affichant avec sa famille pendant la campagne présidentielle de
1974, pour enfin s’inviter à la table des Français une fois élu
président. L’arrivée de l’infodivertissement sur nos antennes peut
s’interpréter comme le prolongement médiatique de cette stratégie
de communication politique d’humanisation des élus et des édiles,
qui les met en scène dans des contextes où la monstration de leurs
émotions prévaut sur le fait de soutenir un débat d’idées. Ainsi ces
talk-shows accueillent les femmes et les hommes politiques au sein
d’un dispositif de circulation de la parole qui emprunte davantage au
cadre discursif d’une discussion ordinaire et badine qu’au modèle du
débat politique. En outre, leurs propos peuvent être interrompus et
discutés par des protagonistes ne venant pas de l’orbe politique, ni
de la sphère journalistique. Ainsi mises sur le même plan d’égalité
que celles des autres invités, les interventions des responsables
politiques apparaissent alors beaucoup moins sanctuarisées que
dans les traditionnelles émissions politiques. Et lorsqu’elles portent
également sur des sujets plus anecdotiques hors de tout agenda
politique et public, une logique de « dépolitisation » serait à l’œuvre
(Leroux et Riutort, 2011).
Apparaissant de façon plus décontractée et prêts à rire avec les
animateurs et à apprécier les différents numéros de spectacle qui se
déroulent devant eux dans le studio, les intervenants politiques
livrent quelques traits intimes de leur personnalité et n’hésitent pas à
narrer quelques éléments méconnus de leur vie privée. Dès lors,
l’usuel reproche en situation politique d’user d’une langue de bois
devient plus facile à neutraliser pour celles et ceux qui s’adonnent
avec la complicité de l’animateur à ce dévoilement de leur
authenticité et intimité. Le métissage générique de
l’infodivertissement offre des conditions favorables à la peopolisation
des politiques à la télévision, même s’il va sans dire que celle-ci
avait déjà commencé à différents degrés dans la presse magazine
(Paris Match, Closer).
Cet attrait pour la peopolisation du personnel politique constitue
le soubassement éditorial de la collection Ambition Intime (M6,
2016-) animée et produite par Karine Le Marchand. Sur un mode
intimiste, l’animatrice de L’Amour est dans le pré converse avec des
hommes et des femmes politiques dans un décor personnalisé à leur
image, en mettant en saillance dans leur parcours personnel les
expériences et les sentiments qui les ont animés à des moments
cruciaux de leur histoire. Et bien que l’émission ne souhaite pas
aborder le contenu idéologique de leur engagement public, préférant
revendiquer une certaine neutralité politique, la troisième saison
consacrée exclusivement aux femmes politiques engagées dans la
campagne présidentielle va être retenue pour le décompte du temps
de parole des candidates par le Conseil supérieur de l’audiovisuel
dès le 1er janvier 2022, début de la période électorale. À la télévision,
le champ de l’information politique s’accroît : il n’est plus
exclusivement déterminé par des propos et des arguments
rationnels appartenant au logos politique, mais se trouve désormais
prolongé par le pathos des témoignages et des confidences des
personnalités publiques.
L’existence même du mot-valise « infodivertissement »
présuppose que le couple information/divertissement dessine
historiquement une ligne de partage structurant le champ télévisuel,
en répartissant de façon exclusive les deux visées
communicationnelles que sont informer et divertir au sein de deux
formes génériques stabilisées. Autrement dit, que l’information doit
se distinguer des autres émissions, au motif qu’elle n’est pas un
programme comme les autres. Cette distinction générique est
d’ailleurs motivée par les conditions spécifiques de sa fabrication :
l’information est produite par une catégorie professionnelle
autonome, les journalistes, réunis au sein d’un service spécifique qui
est la rédaction. Or, l’infodivertissement vient bousculer cette
répartition des acteurs professionnels par genre médiatique, puisque
les émissions sont produites par des producteurs et non des
journalistes, à l’image de Coyotte, société de production du
magazine Combien ça coûte ? ou encore de Potiche Prod, société
de production d’Ambition Intime.
Mais une chose est de reconnaître l’infodivertissement comme
un traitement spécifique de certaines régions de l’information, une
autre est de la déprécier au nom de sa porosité générique. Or, la
pureté des genres télévisuels est une illusion rétrospective d’un âge
d’or fantasmé de la télévision française puisque, faut-il le rappeler,
dès sa naissance, l’information télévisée fut d’emblée conçue
comme un spectacle, selon les mots mêmes du créateur du journal
télévisé, Pierre Sabbagh3. L’infodivertissement ne qualifie pas un
genre médiatique mais plutôt une stratégie transversale qui ne doit
pas être a priori disqualifiée, car elle témoigne des transformations
culturelles du journalisme contemporain et des reconfigurations qui
animent la sphère publique médiatisée.
Bibliographie
• Baum M., Soft News Goes To War: Public Opinion and American
Foreign Policy in the New Media Age, Oxford, Princeton
University Press, 2003.
• Brants K., « De l’art de rendre la politique populaire… Ou “qui a
peur de l’infotainment ?” », Réseaux, n° 118, 2003, p. 135-166.
• Jost F., présentation du dossier « L’appel du divertissement »,
Télévision, n° 4, 2013, p. 7-9.
• Le Foulgoc A., Politique & Télévision. Extension du domaine
politique, Bry-sur-Marne, Éditions Ina, 2010.
• Leroux P. et Riutort Ph., « Les émissions de divertissement : de
nouveaux lieux de valorisation des petites phrases ? »,
Communication & langages, n° 168, 2011, p. 69-80.
• Leroux P. et Riutort Ph. (dir.), « Renouvellement des mises en
scène télévisuelles de la politique » (dossier), Questions de
communication, n° 24, 2013.
• Neveu É., « De l’art (et du coût) d’éviter la politique. La
démocratie du talk-show version française (Ardisson, Drucker,
Fogiel) », Réseaux, n° 118, 2003, p. 95-134.
Flore Di Sciullo
O
bjet médiatique hybride entre le magazine et la revue, le
périodique artistique appartient avant tout à la grande
famille de la presse. Si ses caractéristiques (formats,
rubriques, styles employés) varient considérablement d’un titre à un
autre, en fonction de la période ou du contexte culturel dont il se
veut la caisse de résonance, le périodique artistique se définit d’une
part par sa mise à profit d’une avancée technique (le développement
de l’illustration, puis de la photographie et de la couleur dans la
presse) et d’autre part sa valorisation d’un discours : la critique d’art.
La presse artistique est un segment de la presse dont il faut préciser
la filiation avec d’autres types de périodiques, d’autres genres
journalistiques, en même temps que son autonomie et sa singularité.
Dès lors, plusieurs questions se posent : comment la presse
artistique a-t-elle évolué depuis les années 1970 ? Quelles peuvent
être les conditions nécessaires et suffisantes pour la définir et la
distinguer d’autres genres et formats médiatiques ? Dans quelle
mesure les revues d’art peuvent-elles être employées comme
baromètre de la vitalité intellectuelle, philosophique, politique d’un
contexte donné ?
Brève histoire de la presse d’art
contemporain en France
depuis les années 1970
Alors que nombreux ouvrages (Blandin, 2018 ; Abrahamson et
Prior-Miller, 2015) se proposent de détailler l’analyse de la presse
magazine, d’en lister des sous-catégories spécifiques (par exemple,
la presse jeunesse ou musicale), la presse artistique reste souvent
en marge de ces investigations. L’étude de la presse artistique est
un terrain principalement abordé d’un point de vue historique : son
étude journalistique et communicationnelle demeure encore à écrire.
Dans cette contribution, nous nous concentrons sur la presse,
délaissant à dessein d’autres supports de la critique d’art que
peuvent être la télévision ou la radio, où les outils d’analyses
diffèrent. Nous évoquons en priorité les périodiques dédiés
majoritairement aux arts plastiques et à l’art contemporain, laissant
peu de place à des périodiques qui mettent en lumière d’autres
aspects de la création contemporaine (tel Étapes pour le graphisme
ou La Terrasse pour les arts vivants) ou embrassant diverses
périodes de la création artistique pour un point de vue plus
généraliste sur l’actualité des expositions (Beaux-arts magazine,
L’Œil, Connaissance des arts). Enfin, nous privilégions les
périodiques français, excluant les revues d’art américaines (telles
Artforum ou Art in America), européennes (telles la suisse Parkett,
l’italienne Flash Art ou la belge Plus Moins Zero) ou extra-
européennes1. Les pages qui suivent sont donc principalement
consacrées au magazine d’art contemporain français, objet que
nous allons précisément tenter de définir à l’appui de divers
exemples.
Pour plus de lisibilité, nous précisons dans la frise
chronologique ci-après les dates de publication de tous les
périodiques mentionnés dans ce texte. Elle permet notamment de
visualiser clairement la longévité de certains, et l’extrême brièveté
d’autres2.
Les Demoiselles d’Avignon, tableau peint en 1907 par Pablo
Picasso, inaugure le cubisme et peut être considéré comme l’un des
gestes fondateurs de la modernité artistique, rompant avec la
conception classique de l’artiste et de l’œuvre d’art issue de la
Renaissance. À mesure que la modernité s’installe, un considérable
développement des titres de presse se met en place. Les journaux
se font les porte-parole des différents mouvements d’avant-garde qui
fleurissent en Europe dans les premières décennies du XXe siècle.
Comme le montrent Laurent Martin et François Chaubet, il existe de
fortes corrélations entre la création artistique et l’appui idéologique
que constituent ces périodiques : « La circulation des revues d’art
dans le monde a été capitale dans la diffusion de l’art moderne
au XXe siècle. Qu’il s’agisse de se faire l’écho d’expériences locales
ou étrangères, la réalité artistique novatrice dans un domaine donné
a trouvé dans la revue un support clé (Chaubet et Martin, 2011 :
17) ».
Ainsi, chaque mouvement d’avant-garde a donné naissance à
un, sinon plusieurs titres de presse, si l’on pense par exemple à l’Art
Nouveau (Jugend, Ver Sacrum), au Futurisme (Blast, Lacerba,
Parole in Liberta), au Dadaïsme (Dada, Dadaphone, Merz, Le Cœur
à Barbe), au Surréalisme (La Révolution surréaliste, Labyrinthe,
Minotaure, Le Surréalisme même). Ces revues ne sont pas
seulement le support d’expression et de diffusion de ces
mouvements, elles en sont également le produit, au sens où leur
conception est déjà le résultat d’une réflexion esthétique par les
artistes acteurs de ces mouvements. Les publications des
années 1970 et suivantes héritent de ces expérimentations du début
du siècle. Cependant, le contexte artistique connaît un
infléchissement radical puisque les années 1960-1970 sont le
théâtre de ce que Nathalie Heinich désigne comme un véritable
changement de paradigme (Heinich, 2014), dans la translation de
l’art moderne vers l’art contemporain.
Sous les pavés, la page : le dynamisme
éditorial et artistique des années 1970
et suivantes
Après ce détour par les origines de la modernité, concentrons-
nous sur une plus récente période, à partir de 1968. Cette date
marque une transition tant politique et économique qu’éditoriale et
artistique, donnant lieu à un vivier de publications artistiques (voir la
frise chronologique ci-après).
De l’esthétique au politique :
construction d’un ethos engagé
Outre cette capacité à aborder la création contemporaine par un
prisme pluriel, art press se distingue aussi par sa volonté de ne pas
réduire son approche à la seule création artistique. En particulier, la
revue a toujours ardemment défendu la liberté d’expression, en
particulier lorsque celle-ci concerne les artistes : on parle alors de
liberté de création8. Dans les années 1990, art press était ainsi
particulièrement impliqué dans ce que l’on désigne comme la
« Querelle de l’art contemporain » (Dagen, 1997 ; Michaud, 1999 ;
Jimenez, 2005). La défense de la liberté de création et la
déconstruction des rejets de l’art contemporain sont un credo pour
art press qui cherche à maintenir son ethos de revue engagée,
défendant l’art en tant qu’il prend place dans la polis.
Flore Di Sciullo
L
a critique d’art relève à la fois d’une tradition littéraire, d’un
genre journalistique et d’une profession. Celle-ci peut prendre
différents visages, selon son canal d’expression. Des textes
d’analyse au compte rendu d’exposition en passant par les portraits
d’artistes ou les billets de blog, la critique d’art contemporain ne peut
s’appréhender qu’au prisme de son hétérogénéité. Il n’est guère
possible d’en proposer une définition stricte, ni d’en lister les
caractéristiques nécessaires et suffisantes. Les discours qui la
constituent peuvent prendre des formes différentes, selon le médium
concerné, la finalité du propos (commenter une actualité, encourager
un artiste débutant ou souligner une tendance artistique naissante
par exemple), le public auquel on s’adresse, ou les contraintes qui
peuvent peser sur l’exercice d’écriture. Il faut alors mettre au jour les
spécificités discursives de la presse d’art contemporain en France,
et pointer les différents visages que peut prendre aujourd’hui la
critique d’art dans un contexte où son obsolescence est
grandissante et où les frontières entre les genres tant artistiques
qu’éditoriaux tendent à s’estomper.
La critique d’art contemporain, fruit d’une
tradition littéraire et philosophique
La critique d’art apparaît au XVIIe siècle dans la presse (de
premiers textes critiques des salonniers sont publiés dans
La Gazette de Théophraste Renaudot (Béra, 2003) et se développe
au XVIIIe au croisement du jugement philosophique et de l’exercice
littéraire1. Marion Zilio, dans son texte « Pour une post-
contemporanéité » (Zilio, 2019), rappelle que la critique d’art dans la
forme que nous lui connaissons encore aujourd’hui s’est développée
en même temps que l’esprit philosophique tel que formulé par Kant
et la philosophie des Lumières. La critique est alors un exercice
solipsiste et réflexif : il s’agit de sélectionner certaines œuvres parmi
la masse de celles observées et d’exercer un jugement – en accord
avec le double sens étymologique du terme « krinein », qui signifie
littéralement « séparer, trier, distinguer, choisir quelqu’un ou quelque
chose de préférence à un autre2 ».
Le sens commun consisterait ainsi à faire remonter la naissance
de la critique d’art à Denis Diderot et aux Salons, moment fondateur
à partir duquel on pourrait établir une chronologie linéaire, passant
par les Salons commentés au XIXe siècle par Charles Baudelaire et
les Frères Goncourt3 pour arriver à la critique d’art formaliste de
Clement Greenberg et à l’influence de la philosophie analytique sur
les théoriciens de l’art anglo-saxons (Arthur Danto ou Georges
Dickie pour ne citer qu’eux). La critique d’art contemporain telle
qu’elle se développe en France depuis les années 1970 porte la
trace d’un héritage littéraire et philosophique et gagne
progressivement son indépendance vis-à-vis d’autres discours sur
l’art, trouvant sa spécificité dans ses formats (revue, magazine grand
public ou spécialisé, chroniques dans la presse quotidienne, presse
papier ou en ligne, etc.), et le style des auteurs. Le critique est
indispensable aux mécanismes de reconnaissance qui caractérisent
le monde de l’art. Pour autant, sa condition professionnelle est
déterminée par différentes contraintes avec lesquelles il doit
composer : rythme de publication, foisonnement des expositions,
pression spéculative et difficiles conditions de rémunération.
Bibliographie
• Béra M., « Critique d’art ou promotion culturelle ? », Réseaux,
2003/1, n° 117, p. 153-187.
• Berthet B., Pour une critique d’art engagée, Paris, L’Harmattan,
2013.
• Cras S., L’économie à l’épreuve de l’art. Art et capitalisme dans
les années 1960, Paris, les éditions du réel, 2018.
• Elkins J., The State of Art Criticism (dir.), New York, Routledge,
2007.
• Elkins J., What Happened to Art Criticism?, Chicago, Prickly
Paradigm Press, 2003.
• Esquerre A., Boltanski L., Enrichissement, une critique de la
marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
• Fagnart C., La Critique d’art, Saint-Denis, PUV, 2017.
• Glicenstein J., « La critique d’exposition dans les revues d’art
contemporain » Culture & Musées, n° 15, 2010, p. 53-72.
• Hartog F., Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du
temps, [2003] Paris, Seuil, 2014.
• Leeman R., Le Critique, l’art et l’histoire : de Michel Ragon à
Jean Clair, Rennes, PUR, 2010.
• Menger P.-M., Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain,
Paris, Seuil, 2009.
• Scott D., « Critique : historiciser la notion » Marges, hors-série
n° 1 « La critique d’art en question », 2014.
• Vouilloux B., « Les trois âges de la critique d’art en France »,
Revue d’histoire littéraire de la France, 2, vol. 111, 2011, p. 387-
403.
• Zilio M., « Pour une post-contemporanéité », dans de Sutter L.
(dir.), Postcritique, Paris, PUF, 2019.
1. Pour une histoire de la critique artistique sur le temps long, voir notamment : Leeman,
2010 ; Scott, 2014 ; Vouilloux, 2011.
2. Dictionnaire Bailly Grec-Français [1895], Paris, Hachette, 1950.
3. Charles Baudelaire, sous le pseudonyme de Baudelaire Dufaÿs, commenta les salons de
1845, 1846 et 1859. Quant aux Frères Goncourt, ils traitèrent le Salon de 1852.
4. Olivier Zahm cité par Larys Frogier, « Les enjeux de la critique d’art en France
depuis 1992 », en ligne : https://www.archivesdelacritiquedart.org/wp-
content/uploads/2017/09/Article-de-Larys-Frogier-sur-les-Enjeux-de-la-critique-d-art.pdf.
5. Un bref coup d’œil permet de constater que dans la presse artistique française, les
annonceurs sont dans une très large majorité des institutions culturelles. En revanche,
d’autres titres de presse comme Artforum, jouissant d’un rayonnement international
important, comptent également parmi leurs annonceurs des marques de luxe.
6. Compte rendu des rencontres aléatoires #1, « Qui a (encore) peur de la critique » (Paris,
16 avril 2019), disponible en ligne sur le site de l’AICA. URL :
https://aicafrance.org/compte-rendu-des-rencontres-aleatoires-1/, dernière consultation
le 20 mai 2021.
7. Lebovici É. et Falguières P., « Critiques d’art, une matière grise dévaluée », dans
Libération, 8 juillet 2019.
8. À ce sujet, voir également Alain Quemin, L’Art contemporain international, entre les
institutions et le marché (le rapport disparu), Paris, Jacqueline Chambon/Artprice, 2002.
9. Pour le détail des recommandations tarifaires de l’AICA, voir la grille proposée en ligne,
régulièrement mise à jour. URL : https://aicafrance.org/recommandations-tarifaires/
Chapitre 6
6 Les mutations de la photographie
de presse dans les médias en ligne
Maxime Fabre
D
ans les années 1930, la « naissance du photojournalisme »
correspond au basculement d’une photographie illustrative à
l’invention d’une nouvelle forme d’écriture journalistique
totale incarnée par le reportage (Bacot, 2008 : 12). Gisèle Freund
décrit la naissance du photojournalisme comme la combinaison de
techniques (celle de l’appareil Ermanox permettant des
photographies de nuit et d’intérieur sans flash par exemple), de
comportements sociaux constitués par des attitudes et des actes
récurrents, de normes esthétiques, d’objets (les magazines illustrés)
et de stratégies communicationnelles (raconter une histoire par une
succession d’images).
Vu (1928-1940), Voilà (1931-1939), Regards (1932-1940), Le
Miroir du Monde (1929-1937) ou Détective (1928-1940) ont été les
acteurs de l’élaboration du photojournalistique comme pratique
professionnelle, qui s’explique elle-même par une économie du
reportage permettant d’établir des rapports entre les innovations
techniques, la mise en valeur des photographies, une « mise en
page et un agencement photographique novateurs » (Martin, 2009 :
24) et la promesse d’une vision objective du monde (Frizot, 2009).
Le photoreportage est une articulation, un format qui a vu le jour
en 1930 quand « les photographes commencent à faire des séries
de photos sur un seul sujet qui remplissait plusieurs pages de
l’illustré » (Freund, 1974 : 111).
Dans l’hebdomadaire Détective daté du 15 octobre 1936 par
exemple, le journaliste Henri Danjou signe un article sur les
photojournalistes du magazine, ces « chasseurs d’images1 » qui
« firent preuve d’un cran digne d’admiration » pendant la guerre
d’Espagne. L’article est un récit à la première personne rapportant
les difficultés et le « courage » des photographes sur le front. Il est
accompagné de photomontages où les images sont insérées dans le
cadre du négatif d’une pellicule, permettant ainsi d’identifier le travail
à la fois technique et journalistique des photographes de Détective.
Les années 1930 à 1970 ont été vécues par la profession
comme l’« âge d’or » du photojournalisme, ainsi que le souligne
Catherine Saouter dans son article intitulé « L’ontologie
photographique » :
Pendant la période dite de l’âge d’or, des années 1930
aux années 1970, le photojournalisme a régné sans
partage au sommet des virtuosités photographiques et
Henri Cartier-Bresson en a expliqué les règles dans The
Decisive Moment/Images à la sauvette. Le critère
prépondérant de la prise d’une bonne photographie était
d’être là au bon moment et de déclencher l’obturateur à
l’instant décisif. Le cliché paradigmatique de cette
acception est et restera certainement celui de la mort d’un
guerrier républicain pendant la guerre d’Espagne, pris par
Capa en 1936, parmi nombre d’autres qui sont devenus
des emblèmes du siècle. Cette production de l’âge d’or, tout
en donnant ses quartiers de noblesse à la profession, a
engendré une culture du témoignage engagé (Saouter,
2007).
Plus tard, entre 1970 et 1990, le photojournalisme voit la
concurrence s’intensifier durant ce que l’on appelle la « génération
agences » (Setboun et Cousin, 2014). Ce terme désigne l’apparition
de nouveaux acteurs économiques et médiatiques dans la vente des
images de presse, les agences, les « trois A » dans un premier
temps (Gamma, Sipa et Sygma), puis l’arrivée décisive de l’Agence
France-Presse (AFP) en termes de production de photographies à
l’échelle internationale.
En 1993, l’AFP annonce en effet produire environ cinquante
mille photos par an (Huteau et Ullmann, 1992 : 9), et jusqu’à trois
mille par jour en 2014, soit presqu’un million quatre-vingt-quinze
mille images en une année2. Si ces photographies sont vendues sur
un site spécialisé, d’abord destiné aux abonnés de l’Agence
(médias, journaux, entreprises), un changement crucial s’impose la
même année puisque l’AFP expose « gratuitement3 » une partie de
ses images sur son site de vente initial, ainsi que sur les divers
réseaux sociaux numériques où elle dispose parfois même de
plusieurs comptes, notamment en anglais – Instagram, Twitter,
Facebook, Tumblr, Linkedin et Google+.
C’est pourquoi les années 1990 annoncent au moins deux
grandes transformations en ce qui concerne la médiatisation de
l’information visuelle, le passage de l’analogique au format
numérique d’abord et celui du support papier aux médias en ligne
ensuite.
À savoir une mutation technique, avec l’évolution de la très
traditionnelle empreinte photonique (le verre ou la pellicule chimique
aux sels d’argent) aux capteurs électro-numériques modernes. Ces
derniers sont à présent embarqués aussi bien dans les reflex
professionnels que dans les smartphones grand public.
Une mutation info-communicationnelle enfin, au regard de la
transformation du support papier aux médias en ligne (aussi appelés
médias informatisés). Autrement dit, une modification de la pratique
de diffusion et de circulation des images journalistiques sur de
nouveaux dispositifs d’exposition à visée mondiale (les réseaux
sociaux).
Mondialisation et représentation
de l’information journalistique
Le numérique et surtout la dimension mondialisée du marché de
l’image modifient profondément la valeur de l’image en général, et
notamment de la photographie de presse, elle aussi assujettie à ce
nouveau marché.
La fabrique du quotidien
Si l’actualité est fondamentalement l’essence des médias
journalistiques, les dispositifs d’exposition revalorisent cette
conception en densifiant considérablement le présent, en lui offrant
un plan de manifestation symbolisée par le « fil d’actualité »
(« timeline »), qui structure et régit un ordre du temps sous forme de
liste qui convoque une symbolique particulière, de « l’actualisation »,
du « neuf », du « temps réel » et du « direct ».
Ce que réalisent les dispositifs d’exposition est la jonction entre
la temporalité médiatique et le temps socialement vécu. On le
constate concrètement avec le cas de l’AFP qui a pris la mesure de
cette homochronie en développant elle-même un format propice au
re-partage numérique. Le 3 février 2016 par exemple, l’Agence
publie une photographie avec la légende suivante : « #instantané Un
jeune vendeur de ballons à Mazar-I-Sharif en Afghanistan, par
@Farshadusyan ». Pas de lien hypertexte renvoyant à un article sur
le site d’un journal informatisé, juste une photographie banale (un
enfant portant des ballons), une très courte légende sur le lieu de la
prise de vue, le nom du photographe présent sur Twitter
(« @Farshadusyan »), le logo identifiant l’AFP et la formule
« #instantané ». Par cette formule, l’AFP combine un format – la
vignette – et une esthétique – la vie quotidienne.
Le regard mondialisé
Dans son ouvrage sur les mutations du journalisme à l’AFP,
Camille Laville (2010) constate en effet que les thématiques de
l’Agence évoluent au profit d’une « information divertissante » (les
« insolites » et le « fil people ») et « fonctionnelle » (le « lifestyle » et
la « culture pop »).
Cette évolution est largement lisible sur les réseaux sociaux,
elle correspond à un processus de banalisation, favorisant les
informations les plus « populaires » et les plus « citables » dans la
logique de l’exposition numérique. On peut en citer deux : l’insolite et
l’occasion sportive.
Bibliographie
• Aubert A., Schmitt L., « Les images amateur sur Citizenside »,
Sur le journalisme, vol. 3, n° 1, 2014.
• Bacot J.-P., « La naissance du photojournalisme », Réseaux,
n° 151, 2008, p. 9-36.
• Barthes R., La chambre claire. Note sur la photographie, Paris,
Le Seuil, 1980.
• Basso Fossali P., Dondero M. G., Sémiotique de la photographie,
Limoges, Pulim, 2011.
• Beurier J. (dir.), Le photojournalisme des années 1930 à nos
jours, Rennes, PUR, 2009.
• Beyaert-Geslin A., L’image préoccupée, Paris, Lavoisier, 2009.
• Delage C., Gervais Th., Schwartz V., « Au-delà de la
photographie, vers une redéfinition de la presse », Études
photographiques [en ligne], novembre 2010.
• Fabre M., Photographie de presse. Régimes de croyance,
Louvain-la-Neuve, Academia/L’Harmattan, 2020.
• Freund G., Photographie et société, Paris, Le Seuil, 1974.
• Frizot M., Vu : Le magazine photographique, 1928-1940, Paris,
Éditions de la Martinière, 2009.
• Hémon J., « Les réseaux sociaux et le marché de la
photographie », Cahier Louis-Lumière, n° 7, 2010, p. 18-26.
• Huteau J., Ullmann B., Une histoire de l’Agence France-Presse
1944-1990, Paris, Robert Laffont, 1992.
• Jeanneret Y, Penser la trivialité. Volume 1, la vie triviale des êtres
culturels, Paris, Lavoisier, 2008.
• Lambert F., Je sais bien mais quand même, Essai pour une
sémiotique des images et de la croyance, Paris, Éditions Non-
Standard, 2013.
• Laville C., Les transformations du journalisme de 1945 à 2010.
Le cas des correspondants étrangers de l’AFP, Bruxelles,
Groupe De Boeck, 2010.
• Lavoie V., Photojournalismes, revoir les canons de l’image de
presse, Paris, Éditions Hazan, 2010.
• Nicey J., « La certification de contenus collaboratifs à l’agence
Citizenside. Entre procédures nouvelles et fondamentaux
anciens », tic&société [en ligne], n° 1, vol. 6, 2012.
• Saouter C., « L’ontologie photographique : procédés, genres et
enjeux », Recherches en communication, n° 27, 2007, p. 31-41.
• Schaeffer J.-M., L’image précaire. Du dispositif photographique,
Paris, Seuil, 1987.
• Setboun M., Cousin M., 40 ans de photojournalisme. Génération
agences, Paris, La Martinière, 2014.
Bibliographie
• Ringoot R., Utard J.-M. (dir.), Les genres journalistiques. Savoirs
et savoir-faire, Paris, L’Harmattan, 2009.
• Ringoot R., Analyser le discours de presse, Paris, Armand Colin,
2014.
• Ringoot R., Utard J.-M. (dir.), Le journalisme en invention.
Nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Rennes, PUR, 2015
(1re éd., 2005).
PARTIE V
LES NOUVELLES ÉCRITURES
DE L’INFORMATION
Chapitre 1
1 Le journalisme de solutions, une
méthode
pour améliorer les pratiques
journalistiques et le rapport
aux publics
Pauline Amiel
L
e journalisme de solutions a le vent en poupe. Auprès des
lecteurs, des rédactions mais aussi auprès des jeunes
journalistes qui s’interrogent sur leur futur milieu
professionnel. Pourquoi cette pratique a-t-elle autant de succès ? En
quoi consiste le journalisme de solutions ? Cette contribution tente
d’expliquer à la fois les origines, le concept et l’écosystème du
« sojo », mais aussi ses qualités et ses défauts. L’objectif est de
donner les clés pour comprendre les tenants et aboutissants de
cette méthode, pour se faire sa propre opinion, en se focalisant sur
la France.
Un concept critiqué
Le journalisme de solutions attire autant qu’il déplaît : ses
détracteurs semblent presqu’aussi nombreux que ses promoteurs…
Et pour cause : en tant que concept en cours d’institution, ses
contours ne sont pas encore déterminés et certains acteurs utilisent
le terme pour des usages loin d’être irréprochables, du point de vue
de la déontologie journalistique traditionnelle.
Trois types de critiques reviennent fréquemment : « le
journalisme de solutions est trop positif, trop “bisounours” » ; « c’est
un journalisme de promotion » ; « c’est du journalisme militant ».
Premièrement, le « sojo » est souvent taxé d’être béatement
positif, voire de vouloir masquer les aspects sombres de la réalité.
Traditionnellement, le public attend du journalisme qu’il « porte la
plume dans la plaie », selon la formule d’Albert Londres. La
proposition du journalisme de solutions se différencie, car elle
engage les journalistes à repenser leurs principes. Ainsi, la
hiérarchie de l’information traditionnelle ne serait plus le critère
majeur pour déterminer un sujet et le traiter mais bel est bien la
nouveauté et l’aspect constructif de l’information. En choisissant
volontairement de mettre en avant des initiatives, des solutions ou
des propositions qui fonctionnent en réponse à un problème de
société, le journalisme de solutions bouleverse cette hiérarchie
traditionnelle.
Pourtant, les partisans refusent cette critique : pour Christian de
Boisredon, fondateur de Sparknews et cofondateur de Reporters
d’Espoirs, cité dans le livre blanc de Kaizen, « le rôle du journalisme
n’est pas d’être positif. Son rôle est de relater le monde tel qu’il est
et non d’avoir un angle positif. En plus, dans l’inconscient des
journalistes, le positif est associé à du bisounours, à des choses très
superficielles et gentillettes, où l’on voudrait cacher les problèmes et
la réalité du monde pour dépeindre la vie en rose. Ce n’est pas du
tout notre philosophie ni celle de nos confrères ».
Deuxièmement, il peut être perçu comme un détournement des
idéaux journalistiques traditionnels. Du fait de son principe d’essayer
d’être constructif dans son approche de l’actualité, le « sojo » prend
le risque d’être assimilé à des discours de promotion ou de
communication pour valoriser l’initiative ou la personne porteuse de
projet. Effectivement, si l’on adopte ce point de vue, les articles
estampillés « solutions » ne proposant qu’un projet en réponse à un
problème s’avèrent nombreux et s’apparentent alors à une
publication complaisante. Ce reproche peut également s’appliquer à
de nombreuses productions journalistiques traditionnelles. Pour Nina
Fasciaux, référente Europe du Solutions Journalism Network, ce
type d’article ne correspond pas aux critères du journalisme de
solutions : « Il n’y a pas de bonne solution, mais des solutions au
pluriel. Le journaliste propose une analyse et n’a pas à la
défendre. » Ainsi, les différentes organisations qui essayent de
mettre en avant la pratique ont établi des règles et des garde-fous
pour éviter une dérive vers la promotion, la communication ou le
« greenwashing ».
De plus, du fait du statut de certains de ses protagonistes, le
journalisme de solutions peut paraitre être un prétexte à la
communication d’entreprises partenaires (Amiel, 2020). Arrangeant
plusieurs partis, il peut même s’apparenter à un cheval de Troie du
marketing dans certaines rédactions, aidant à faire accepter des
pratiques qui semblaient auparavant inacceptables aux journalistes
(Amiel, Powers, 2019).
Pour terminer, il est parfois assimilé à du journalisme militant.
En effet, en France, les questions environnementales et de
développement durable sont souvent traitées par le prisme du
journalisme de solutions. Les journalistes s’intéressant à ces
questions essayent de diversifier leurs approches pour moins
décourager le public sur ces questions. Le « sojo » apparaît alors
comme une perspective intéressante. Il est d’ailleurs relativement
aisé de trouver des sujets « solutions » autour de ces thématiques.
Également, certains médias se revendiquant de ce concept sont
proches des acteurs de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Cette
proximité et la revendication d’un journalisme engagé pour améliorer
le monde de demain peuvent prêter à confusion quant aux
fondements du journalisme de solutions. Pour Éric Dupin (2014) :
« Le journalisme de solutions, c’est un journalisme de parti pris, et
ce parti pris est le contraire du journalisme traditionnel. » Il faut
rappeler que ces débats ne sont pas propres à ce type de
journalisme. En effet, le journalisme économique, environnemental
ou encore la presse féminine peuvent affronter des critiques
similaires.
Une solution à la crise des médias ?
Mis à part ces reproches, qui sont à prendre en compte pour
expliquer le phénomène médiatique, le journalisme de solutions est
aussi encensé par certains de ses protagonistes. Il est parfois même
présenté comme une solution à la crise que traversent actuellement
les médias.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement. En
premier lieu, il semble attirer le public. Face au constat du désintérêt
critique grandissant pour les médias traditionnels et à la diminution
du nombre de lecteurs prêts à payer pour les journaux papier depuis
plusieurs décennies, le journalisme de solutions apparaît comme
capable de renouer avec ce public. En effet, depuis 2014, plusieurs
études, réalisées le plus souvent aux États-Unis par des organismes
promoteurs du « sojo » (Curry, Hammonds, 2014 notamment)
mettent en avant l’attrait du public pour ce concept. Une des
conclusions du rapport précise que les lecteurs d’articles de ce
journalisme expriment leur désir de s’engager activement dans la
mise en place d’une solution au problème, mais aussi de donner de
l’argent à une organisation travaillant sur ce problème. Dans tous les
cas, les lecteurs semblent déceler une différence dans le traitement
de l’information et l’apprécient.
De plus, plusieurs médias ayant mis en place du journalisme de
solutions dans leurs pratiques décrivent ses avantages en termes de
fidélité et d’intérêt du public. Les exemples déjà cités du « Libé des
solutions » et du « Nice-Matin des solutions » représentent bien le
phénomène : d’après Damien Allemand, « si on ne peut pas nier que
les faits divers sordides intéressent les lecteurs, les “solutions” sont
de plus en plus prisées et ne sont pas un frein à la construction d’un
modèle économique d’un média. » Il évoque une augmentation de
plus de 600 % du nombre d’abonnés en 3 ans et « un taux de
conversion en abonnement supérieur à n’importe quelle autre
verticale », entre autres.
La méthode semble donc bénéfique pour les médias en quête
d’un public, pour les journalistes qui retrouvent foi en leur profession
mais aussi pour le public lui-même. En effet, partant du constat que
le traitement négatif de l’information a des effets dans la société et
renforce le biais négatif de perception du monde, le journalisme de
solutions tend à mettre en avant une autre perspective. Ce
changement de prisme renvoie vers la psychologie positive prônée
par Cathrine Gyldensted. Selon Sparknews, un des lobbyistes
français du journalisme de solutions : « Pour changer le monde,
commençons par le raconter autrement, et valorisons les initiatives à
impact positif pour restaurer la confiance et redonner l’envie d’agir. »
Le journalisme de solutions permettrait donc aux journalistes de
retrouver un rôle social plus important mais aussi d’être constructifs.
Le journalisme de solutions est un concept professionnel
complexe et passionnant. Complexe car il encourage à repenser
toutes les pratiques classiques du journalisme et à proposer une
autre vision du monde que celle qui se forge depuis des décennies.
Complexe aussi parce qu’une multitude d’acteurs très différents se
sont greffés derrière ce terme et proposent des pratiques variées.
Passionnant car il permet d’étudier les mutations en cours de la
profession de journaliste et du monde des médias. Il permet aussi
aux journalistes de réfléchir à leur place dans la société et à leurs
relations au public. Passionnant également car en perpétuelle
évolution, faisant son chemin mais restant tout de même, en 2021,
une pratique infime face à la quantité d’informations journalistiques
produites chaque jour.
Bibliographie
• Amiel P., Le journalisme de solutions, Grenoble, PUG, 2020.
• Amiel P., Powers M., « A Trojan Horse for marketing? Solutions
journalism in the French regional press », European Journal of
Communication, 35, 2019.
• Benesh S., « The Rise of Solutions Journalism », Columbia
Journalism Review, 36, 6, 1998, p. 36-39.
• Curry A. L., Hammonds, K. H., The Power of Solutions
Journalism, Engaging News Project, Austin, Austin University,
2014.
• Delforce B., « La responsabilité sociale des journalistes : donner
du sens », Les Cahiers du journalisme, n° 2, École supérieure
de journalisme de Lille, décembre 1996, p. 16-33.
• Dupin E., Les Défricheurs. Voyage dans la France qui innove
vraiment, Paris, La Découverte, 2014.
• Novel A.-S., Les médias, le monde et nous, Arles, Actes Sud,
2019.
• Têtu J.-F., « Du “public journalism” au “journalisme citoyen” »,
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• Vanderpooten G., Imaginer le monde de demain. Le rôle positif
des médias, Arles, Actes Sud, 2020.
• Watine T., « Le modèle du “Journalisme public” », Hermès, La
Revue, 1, 35, 2003, p. 231-239.
Jérémie Nicey
I
l y a un peu plus d’une dizaine d’années, entre le milieu des
années 2000 et le début des années 2010, le journalisme
participatif était porté aux nues autant qu’il était discuté au sein
de la profession. Tiré du terme anglais « participatory journalism », le
concept était né quelques années auparavant en constatant et en
mettant en avant la possibilité, grâce aux technologies numériques,
d’inclusion plus grande des publics dans le processus de production,
de diffusion et de dissémination des nouvelles, pour ne plus les
limiter à leur seule position de récepteurs (Bowman et Willis, 2003).
Dans ce chapitre, nous allons examiner les origines et le
contexte de son émergence, mais aussi les formes qu’il a prises et
les enjeux qu’il a soulevés. En ligne de mire, nous chercherons à
estimer sa place actuelle : qu’en est-il en ce début des
années 2020 ? Après la popularisation et la vogue du journalisme
participatif, nous ambitionnons ainsi d’en retracer les évolutions et
d’en dessiner, aujourd’hui, les perspectives.
Bibliographie
• Allan S., Hintz A., « Citizen journalism and participation », dans
K. Wahl-Jorgensen, T. Hanitzsch (dir.), The Handbook of
Journalism Studies, Taylor & Francis, 2019, p. 435-451.
• Allan S. (dir.), Photojournalism and Citizen Journalism: Co-
operation, collaboration and connectivity, Routledge, 2017.
• Allan S., Citizen Witnessing. Revisioning Journalism in Times of
Crisis, Polity Press, 2013.
• Atifi A., Marcoccia M., « Exploring the role of viewers’ tweets in
French TV political programs: Social TV as a new agora? »,
Discourse, Context & Media, n° 19, 2017, p. 31-38.
• Aubert A., Nicey J., « Citizen Photojournalists and Their
Professionalizing Logics », Digital Journalism, Vol. 3, n° 4, 2015,
p. 552-570.
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Lucie Alexis
C
ette contribution entend traiter des mutations des écritures
journalistiques et apporter un éclairage sur le mouvement
effectué par les médias « traditionnels » d’information – à
savoir, ceux du XIXe et XXe siècles, la presse, la radio et la télévision –
vers des espaces en ligne et, plus particulièrement, sur le
développement de nouveaux formats.
Face à la place grandissante occupée par Internet dans les
foyers, les entreprises de presse et les groupes audiovisuels ont
développé leur présence sur le web avant tout en développant et en
alimentant leur propre site internet. Éric Dagiral et Sylvain Parasie
retracent ainsi ces mutations médiatiques :
Depuis la toute fin de la décennie 1990, les journaux
télévisés sont progressivement diffusés sur les sites web
des chaînes de télévision. Les sites des journaux imprimés
développent ensuite peu à peu les contenus audio et vidéo.
Depuis 2003, le site web du journal Le Monde intègre des
“portfolios sonores” (un ensemble de photographies
commentées par des journalistes de la rédaction web) et
diffuse des vidéos à partir de 2005. Avant 2007, le recours
à la vidéo reste toutefois marginal sur les sites des journaux
imprimés. Entre la fin de l’année 2006 et la fin de
l’année 2007, la vidéo se généralise sur les sites des
principaux journaux imprimés en ligne comme sur les sites
des pure players qui apparaissent à cette époque et qui
intègrent immédiatement des contenus audio et vidéo
(rue89.com, bakchich.info.fr) (2010 :103-104).
On a vu également, dans la grande tradition du croisement des
genres audiovisuels (Jost, 1997 et 2017), certains d’entre eux
spécialement conçus pour le web, comme le « web documentaire »
(voir entre autres : Broudoux, 2011). Par ailleurs, de nouveaux
formats journalistiques, particulièrement voués à être mis en ligne,
sont apparus et sont aujourd’hui mobilisés par les journalistes. C’est
autour de ceux-ci que nous nous concentrons.
Avant toute chose, il convient de préciser la notion de
« format ». Guillaume Soulez rappelle ainsi :
qu’[a]vant de renvoyer à une standardisation des formes
et des enjeux documentaires (ou autres), la notion de
format avait (et a encore) un double sens, technique et
commercial. Le format renvoie d’abord à la taille de l’écran
(format de projection), à la taille de la pellicule (8 mm,
16 mm, 35 mm), et, d’une façon assez neutre (sauf dans le
cadre d’une critique du “ formatage” […], à la durée du film
(un “six minutes”, un “treize minutes”… un “cinquante-deux
minutes”…). Il renvoie aussi à une formule d’émission
déclinable telle qu’on pouvait la trouver sur le marché
international des programmes, notamment dans le domaine
des jeux et des émissions de plateau (2015 : 59).
Pour Marie-France Chambat-Houillon, s’agissant de la
télévision, le format est « l’outil idéal de la standardisation et de la
normalisation des activités audiovisuelles » (2009 : 244). Si certains
dispositifs que nous présentons pourraient, à d’autres égards, être
appréhendés comme des « genres » (Ringoot et Utard, 2005)1, nous
retenons ici l’idée de « mise en forme » (Chambat-Houillon, 2009) du
contenu attachée à la conception du « format » pour chercher à
comprendre comment les médias « traditionnels » réinventent le
rapport à l’information. Se saisir de nouveaux formats répond,
souvent, à une forme d’injonction à la modernisation des médias
(voire des services publics comme celui de l’audiovisuel), à la
séduction des publics jeunes, ou encore, à la participation et au
numérique2.
Loin de constituer un panorama exhaustif, cette exploration offre
au lecteur quelques exemples singuliers pour appréhender le
renouvellement des écritures médiatiques dans lequel s’engagent
les « vieux médias » depuis quelques années déjà. En illustrant les
tendances, ces exemples significatifs pris dans l’actualité montrent
également toute la dynamique des professionnels des entreprises
françaises de la presse ou de l’audiovisuel, qui ne cessent de
repenser les façons de livrer l’information aux publics. Mais nous
souhaitons aussi et surtout montrer que l’investissement de
nouveaux formats conduit le monde journalistique à repenser le
rapport à l’actualité et au traitement de celle-ci, les productions
médiatiques devenant consultables sur un temps plus étendu.
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Metteuse en scène,
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2. URL : https://enterremoimonamour.arte.tv/
PARTIE VI
LE DÉCRYPTAGE
DE L’INFORMATION
Chapitre 1
1 Les journalistes et leurs sources
P
as de démocratie sans médias libres. Pilier de la démocratie,
la presse en constitue le quatrième pouvoir. La qualité des
journalistes se mesure à l’épaisseur de leur carnet
d’adresses. À propos de journalisme, on pourrait ainsi enchaîner les
formules rebattues comme on enfilerait les perles d’un collier trop
clinquant. Les trois que nous venons de mentionner suffiront
cependant pour introduire ce chapitre consacré aux sources des
journalistes, à la place qu’elles occupent dans la production de
l’information et à la diversification apportée par l’ère numérique1.
« Sources » : le terme mérite tout d’abord d’être discuté. Aller à
la source, c’est remonter à l’origine, retrouver le filet d’information
pure et non filtrée au terme d’un travail de recherche patient et
déterminé. Mais la « métaphore aquatique » est « grosse de
malentendus », alerte Érik Neveu, « non parce que les journalistes
seraient dépourvus d’esprit d’initiative et de savoir-faire pour accéder
à des informations cachées, mais parce que les sources sont
aujourd’hui fondamentalement actives » (Neveu, 2019 : 56). Il ne
s’agit pas que du carnet d’adresses, méticuleusement assemblé et
jalousement conservé, à partir duquel on choisira l’interlocuteur qui
éclairera un événement, mais aussi et surtout d’un déluge de
sollicitations intéressées, qui se présentent aux journalistes comme
incontournables, et dans lequel il va bien falloir faire le tri.
La « source » connote également un élément naturel bien peu
compatible avec la professionnalisation des agents sociaux qui en
tiennent lieu, individus comme organisations. Pas plus qu’il n’existe
quelque part des faits que l’on pourrait saisir dans leur entièreté et
présenter au public sans les altérer, il n’existe de source
d’information naturelle, évidente, qu’on n’aurait pas besoin de
questionner. « Le journaliste n’est pas connecté directement avec
des “faits”, mais avec des “paroles” » (Mouillaud et Tétu, 1989 : 5).
C’est à partir de ces « paroles » que journalistes et médias peuvent
mettre en œuvre une production d’information et ainsi « construire
l’événement » (Verón, 1981).
Que sont donc les « sources » des journalistes ? Dans
l’introduction d’une riche livraison consacrée à ces questions,
Nicolas Kaciaf et Jérémie Nollet proposent à la fois une discussion
du terme de « source » et de ce qu’il recouvre, une histoire des
recherches sur les sources journalistiques et des pistes pour les
poursuivre. À la lumière de plus d’un demi-siècle d’études, ils
estiment que « la notion de “source” navigue ainsi entre des
approches focalisées sur les luttes symboliques que mènent les
personnalités et les groupes par médias interposés et des
approches plus attentives aux enjeux de citation et d’indexicalisation
des discours à partir desquels les journalistes construisent leur
description des événements et des phénomènes sociaux » (Kaciaf et
Nollet, 2013 : 21-22). Les auteurs réunis par Jean-Baptiste Legavre
autour de la question de l’« informel » analysent pour leur part cet
élément essentiel, peu présent dans les manuels et les formations
en journalisme, mais central dans les relations que les journalistes
entretiennent avec leurs « sources », qui oscillent entre la distance
réflexive et la proximité au risque de la connivence (Legavre, 2014).
Nous retiendrons ici une définition la plus large possible des
sources (nous supprimons désormais les guillemets, non pour
rejeter les précautions d’usage mais pour faciliter la lecture). Les
« paroles » mentionnées plus haut sont recueillies par les
journalistes auprès de personnes ou d’institutions : c’est elles que
l’on considère habituellement comme étant les sources des
journalistes. Mais une autre catégorie de sources existe, plus proche
de l’acception historiographique : les discours, documents ou
observations recueillis ou directement produits par les journalistes,
et qui constituent autant d’éléments nécessaires à leur travail.
Conférences de presse et leur cadre, dossiers de presse envoyés
aux journalistes et documentation issue d’un travail de recherche
préalable (archives, fuites, traces papier ou numériques…), travail
de terrain mettant les journalistes en position de témoin ou de
recueillir des témoignages directs, échanges plus ou moins formels
et plus ou moins off the record (« hors micro »), etc. : ces matériaux,
tantôt complémentaires, tantôt contradictoires, sont déterminants à
l’amont de l’enquête, lorsqu’il s’agit de bien connaître le contexte, les
enjeux et les acteurs d’une question d’actualité. Lors de la réalisation
de l’enquête (le travail de « terrain », géographique ou numérique),
ils sont à la fois ce que recueillent les journalistes, et ce sur quoi ils
s’appuient pour interroger le présent avec pertinence.
Mais pourquoi faudrait-il des sources aux journalistes ? Ne
pourrait-on imaginer que des professionnels aussi aguerris soient
capables de suffisamment de discernement pour élaborer seuls une
information équilibrée sans devoir se reposer sur l’ensemble
d’éléments disparates que l’on vient de décrire ? Ce serait tomber
dans l’illusion que les événements seraient « des objets qui se
trouveraient tout faits quelque part dans la réalité et dont les médias
nous feraient connaître les propriétés et les avatars après coup avec
plus ou moins de fidélité ». Or les événements « n’existent que dans
la mesure où ces médias les façonnent » (Verón, 1981 : 7-8). Une
opération qui a besoin de sources, et d’un cadre dans lequel le
travail journalistique s’effectue. Ce cadre est celui de la fonction
sociale attribuée aux médias d’information dans les systèmes
démocratiques, et des conditions matérielles de travail dans
lesquelles cette fonction se réalise. Il n’a rien d’évident. D’abord
parce que les conceptions de la démocratie varient ; ensuite parce
qu’il en découle des modèles médiatiques différents, impliquant des
rapports aux sources eux-mêmes divers. Dans ses travaux sur les
rapports entre presse et politique, Jacques Le Bohec propose ainsi
cinq idéaltypes de démocratie, en fonction de la présence et du rôle
des représentants, de la place de la parole et du vote, et de la
répartition des pouvoirs. À chaque modèle démocratique correspond
un idéaltype de rôle démocratique de la presse, et donc de rapports
entre presse et politique (Le Bohec, 1997, 2000). Bien qu’il n’aborde
pas directement la question des sources, elles apparaissent en
filigrane : certaines seront favorisées ou laissées de côté en fonction
du modèle auquel on se rattache. Ainsi, dans la presse vue comme
« forum/agora », qui correspond à l’idéal démocratique de la
« participation » (démocratie directe), le média n’est que le support
de l’expression populaire : les journalistes disparaissent, les sources
ayant un accès direct et égalitaire à la publication. Au contraire, les
médias « organe[s] de parti » d’une démocratie vécue comme une
« compétition » pour l’accès au pouvoir, ont à leur service des
journalistes défendant une cause politique, qui auront donc tendance
à sélectionner des sources allant dans le sens de leurs convictions.
Les cinq idéaltypes de rôle démocratique de la presse n’existent
pas en tant que tels : ce sont des modèles de pensée au sens de
Max Weber, des instruments qui permettent, par la stylisation et
l’élaboration de caractéristiques qui les distinguent les uns des
autres, d’effectuer des comparaisons et de mieux comprendre les
phénomènes tels qu’ils se manifestent en réalité (Weber, 2006).
Ainsi la conception démocratique dominante aujourd’hui est-elle,
selon Le Bohec, celle de la « représentation » ou délégation de
pouvoir par le vote, à laquelle correspond un journalisme de
« service public » dans lequel les journalistes, politiquement
impartiaux, transmettent de manière équilibrée la parole et l’action
des élites et des institutions, selon une fonction de gatekeeper (pour
une définition critique du gatekeeping, voir Bastin, 2018 : 75-76). On
voit bien qu’il ne s’agit là que d’une modalité utilisée par les médias
contemporains, qui puisent aussi au modèle de l’« expression
libre », dans lequel les journalistes commentent la vie politique ; et
dans celui de « contre-pouvoir » ou quatrième pouvoir, dans lequel
les journalistes ont pour mission de traquer les abus de pouvoir. Ces
modèles sont utiles pour analyser les médias et déterminer des
tendances : Mediapart, qui privilégie l’investigation, ressort plutôt du
modèle du « contre-pouvoir » et utilise fréquemment des documents
administratifs ou judiciaires comme sources, mais sa partie « Club »,
dans laquelle la rédaction n’intervient pas, est un « forum-agora »
permettant à ses abonnés de s’exprimer librement. Parfois c’est le
modèle de « forum-agora » qui est mis en avant, comme sur
certaines tranches de radio où on laisse la parole aux auditeurs –
mais dans ce cas l’appellation d’« antenne ouverte » est souvent
trompeuse, car les interventions sont sélectionnées et filtrées en
amont, jusqu’à l’exemple extrême que constituent les talk-shows
radiophoniques conservateurs états-uniens, dans lesquels les
auditeurs ne servent que de caution aux positions politiques des
animateurs (Mort, 2018a, 2018b). On pourrait ainsi multiplier les
exemples montrant le caractère nécessairement hybride des lignes
éditoriales des différents médias.
D’autres modèles sont par ailleurs possibles : Colette Brin, Jean
Charron et Jean de Bonville proposent ainsi quatre modèles ou
« paradigmes journalistiques » qui, successivement, caractérisent la
production d’information en Amérique du Nord : le « journalisme de
transmission » (XVIIe siècle), dans lequel l’éditeur n’est qu’un
intermédiaire entre les sources et les lecteurs ; le « journalisme
d’opinion » (XIXe siècle) qui met le journal au service de luttes
politiques ; le « journalisme d’information » (à partir de 1880), qui
correspond à une production à la fois plus consensuelle et plus
professionnelle ; et le « journalisme de communication » (à partir des
années 1970), marqué par un relatif effacement des frontières avec
le divertissement et le discours promotionnel (Brin et al., 2004). Là
encore, les auteurs ne prétendent pas enfermer la diversité des
phénomènes dans des cases qui s’excluraient mutuellement, mais
proposer des modèles aidant à penser les changements et les
mutations des pratiques. C’était encore la démarche de Daniel
C. Hallin et Paolo Mancini, dans une perspective comparatiste
internationale visant à dégager des modèles médiatiques à partir de
variables économiques, politiques, professionnelles et de régulation
(Hallin et Mancini, 2004).
Retenons que les modèles qui nous intéressent ici sont ceux qui
font appel à un travail journalistique d’établissement, de mise en
contexte et d’analyse des faits visant à mettre la complexité du
monde à disposition de tous. On y retrouvera donc un mélange de
quatrième pouvoir et de service (au) public : un journalisme
d’information qui ne dédaigne ni le commentaire, ni l’opinion, ni les
nouvelles formes et tons issus d’hybridations avec d’autres modes
de communication, tant que ceux-ci s’appuient sur les faits sans en
dissimuler une partie ni prétendre à une pseudo-objectivité. En
somme, un journalisme qui entend respecter pleinement les règles
éthiques et déontologiques qu’il s’est fixées2.
Bibliographie
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Vincent Bullich
L’automatisation de la production
et de la publication
Cette autonomie semble d’autant plus menacée que des
dispositifs favorisant l’automatisation de tâches journalistiques se
sont multipliés au cours de la décennie 2010. Nous avons présenté,
jusqu’à présent, des dispositifs outillant les pratiques, c’est-à-dire
fonctionnant comme des adjuvants destinés à informer les décisions
des journalistes. En cela, l’utilisation intensive de données
numériques et d’algorithmes de traitement s’inscrit dans une
configuration somme toute « traditionnelle » des activités et des
organisations. Cependant, certains dispositifs computationnels
visent désormais l’automatisation de la détection, de la rédaction, de
l’éditorialisation et de la publication des contenus. Dans cette
configuration, le journaliste n’est plus seulement assisté par la
machine, mais il lui délègue la décision. Le risque est dès lors de
confiner ses tâches à celle d’un « opérateur » de l’algorithme qui, lui,
sélectionne, cadre et diffuse l’information. Si de telles organisations
sont expérimentées par de rares pure players, la plupart des cas
d’automatisation de la production ont toutefois un objectif
sensiblement différent et n’ambitionnent pas de substituer la
machine à l’humain, mais bien plutôt de tirer parti de leur
complémentarité (Van Dalen, 2012).
Les dispositifs d’automatisation de conception/production de
contenu sont ainsi pensés, dans leur grande majorité, pour soulager
les routines journalistiques. Par le traitement automatique du
langage naturel (TALN), il s’agit, premièrement, de fournir de courts
articles à la construction standardisée mettant en mots un ensemble
de variables chiffrées : résultats sportifs, données météorologiques,
sismiques ou financières, comptes rendus budgétaires ou bilans
d’activité, résultats d’élections, etc. Ces variables proviennent
généralement de bases de données externes et sont collectées par
le biais d’interfaces de programmation ; elles sont ensuite triées et
ordonnées par des bots avant d’intégrer la phase d’« écriture »
proprement dite. Celle-ci aboutit à une narration rudimentaire et
stéréotypée mais qui respecte la syntaxe journalistique en mettant
notamment en relief les informations clé, à la fois dans le corps de
l’article et dans son titre. Les entreprises qui utilisent ces techniques
sont ainsi en mesure de proposer en un temps record des articles
synthétiques sur des domaines laissés de côté par les journalistes.
Par exemple, la société Narrative Science a promu dès 2010 ses
activités de sous-traitance journalistique grâce à son dispositif
« Quill » en insistant sur sa capacité à réaliser automatiquement des
comptes rendus sportifs des dizaines de milliers de matchs des
ligues jeunesse de base-ball en Amérique du Nord, et sur les
intérêts d’un tel service pour les médias locaux notamment. Ce type
de dispositif permet également d’augmenter drastiquement l’étendue
du traitement de certains sujets. Par exemple, des agents logiciels
ont permis au Monde d’avoir une couverture exhaustive des
élections municipales de 2015 en générant automatiquement des
contenus réalisés à partir des résultats : pour chacune des
34 000 communes françaises, des articles et infographies relatant
les faits principaux et croisant les résultats avec des données
sociodémographiques ont ainsi été produits et mis en ligne. Un tel
travail aurait été particulièrement long et fastidieux pour la rédaction,
alors que le dispositif était en mesure de multiplier automatiquement
les contenus tout au long de la soirée électorale (Marconi, 2020).
Ces dispositifs peuvent, deuxièmement, être utilisés afin de
produire différentes versions d’un même contenu. L’enjeu est non
plus de standardiser mais de produire de la variation, afin
généralement d’« optimiser » le référencement. Ce qui est visé est
une visibilité maximale pour une même information à travers des
traitements (faiblement) différenciés et comportant des liens
hypertextes les uns vers les autres. Ce versionnage automatisé sert
également à des procédures d’« A/B testing » : il s’agit de mettre en
ligne plusieurs éditions d’un même contenu afin d’identifier le plus
« performant » (en termes d’attraction de trafic) qui, généralement,
est le seul à être conservé. Forbes, le Washington Post ou le
Chicago Tribune utilisent ce type de procédure pour élaborer
l’accroche de certains de leurs articles sur internet, en décuplant les
moutures de la titraille et des chapeaux et en sélectionnant
algorithmiquement les configurations les plus efficientes
(Diakopoulos, 2019).
Enfin, ces dispositifs de TALN servent, troisièmement, à générer
des résumés. L’application Summly (rachetée par Yahoo en 2013) a
été le parangon de ce type d’utilisation. À partir de données en
provenance d’agences et de grands titres de presse et portant sur
les articles les plus lus, le temps d’affichage des pages, le nombre
de commentaires, etc., différents agents logiciels évaluent
« l’importance » relative des sujets à traiter, puis produisent des
synthèses afin de rendre compte des actualités du jour. Pour ce
faire, ils condensent automatiquement (bien qu’il y ait une phase de
curation humaine) des articles et dépêches déjà publiés par ces
mêmes agences (AFP, Reuters, etc.) et médias (BBC, New York
Times, etc.) Nous ne sommes plus là dans l’activité journalistique
proprement dite, mais l’on retrouve désormais ce type de techniques
au sein d’entreprises de presse qui les utilisent pour leurs propres
résumés.
En aval de la chaîne de production, certains dispositifs visent,
quant à eux, l’automatisation de la publication. Des algorithmes de
personnalisation configurent ainsi les pages d’accueil et les moteurs
de recommandation de nombre de médias en ligne. Ce
gouvernement, partiel, de la publication par les données est donc
relativement ancien et courant. Depuis le mitan de la décennie 2010,
des entreprises de presse expérimentent des dispositifs plus
avancés comme, premièrement, la nouvelle génération de
« newsbots ». Ces applications sont censées offrir à leurs
utilisateurs une « expérience personnalisée » du média, en publiant
des éditions spécifiques à chaque individu, en les alertant sur des
sujets en fonction de leurs intérêts, en agrégeant des contenus, etc.
L’objectif est de créer une relation continue avec l’internaute sur le
modèle de la conversation quotidienne. À cet effet, des agents
conversationnels (« chatbots ») parachèvent depuis peu certains de
ces dispositifs (Ford, Hutchinson, 2019). Deuxièmement, certains
bots commandent la « diffusion multi-canaux ». Depuis que les
contenus journalistiques sont massivement communiqués via
différents agrégateurs (comme Google News), hébergeurs (comme
YouTube) ou réseaux socio-numériques (comme Facebook), des
entreprises d’« intelligence artificielle » proposent des « solutions
logicielles » qui configurent automatiquement les contenus (formats
techniques, métadata, etc.) afin de les adapter à chaque canal avant
de les diffuser (Marconi, 2020). Cette diffusion peut s’accompagner
de messages promotionnels, eux aussi, produits et envoyés
automatiquement sur certains réseaux socio-numériques (à
commencer par Twitter). On observe, troisièmement, une
automatisation au niveau des modalités de valorisation des
contenus. L’exemple le plus représentatif se rapporte aux « péages
prédictifs » (predictive paywalls). Ces procédés initiés par le New
York Times et le Wall Street Journal sont destinés à proposer des
offres commerciales en fonction des données obtenues sur chaque
lecteur : il s’agit de panacher articles en accès libre et articles
payants en fonction des intérêts, habitudes de navigation et de
lecture de celui-ci afin de l’inciter à l’abonnement ; il s’agit également
d’ajuster les offres en fonction de données contextuelles ou
personnelles, c’est-à-dire de proposer des tarifs ou « paniers »
individualisés.
À travers les différents exemples présentés dans cette
synthèse, nous avons souhaité éprouver l’hypothèse de l’émergence
d’un nouveau « paradigme journalistique » et, au terme de ce
parcours, il nous apparaît que celle-ci est robuste à défaut d’être
validée. Ce paradigme récent s’inscrit assurément dans le
prolongement de celui qui a émergé au tournant du millénaire
(Mercier, 2010). En effet, si nous avons insisté ici sur les outils ou
dispositifs récents, il faut les envisager comme des éléments qui
participent de mutations plus larges, qui affectent les pratiques, la
terminologie (qui se charge d’anglicismes), les normes, les
représentations, les cadres cognitifs et légaux d’une profession.
C’est une transformation profonde – « paradigmatique » donc – qui
s’amorce, non sans soulever l’inquiétude de nombre de journalistes
qui manifestent régulièrement leurs craintes quant aux risques pour
leurs métiers (liés principalement au renouvellement de leurs
compétences et à la perte de leur autonomie) et sur leurs rapports
aux publics (l’information « algorithmique » étant jugée trop peu
« transparente » dans ses conditions de production et de diffusion).
En outre, pour bien appréhender ce processus de
technicisation, il s’agit de l’insérer dans son contexte socio-
économique. L’activité journalistique s’inscrit en effet dans un réseau
de co-opération de plus en plus étendu et dont le centre de gravité
est mouvant, au gré de nouveaux entrants, des nouvelles alliances,
de mouvements capitalistiques, etc. Le poids des acteurs de
l’internet au sein de ce réseau, au travers des moteurs de recherche,
des réseaux socio-numériques, des services d’agrégation ou
d’hébergement de contenus, n’a cessé de croître, accentuant ainsi la
dépendance des entreprises médiatiques à leur endroit. De même,
les mutations de la publicité en ligne (affirmation de la
programmatique, ciblage comportemental, « retargeting », etc.) et la
mainmise des grandes firmes du web (Alphabet et Facebook en
tête) sur ce marché (ainsi que sur celui de la donnée) permettent de
resituer les reconfigurations des pratiques et organisations
journalistiques dans un cadre plus large : les données sont une
ressource de premier plan, leur obtention est un enjeu non pas
uniquement technique mais foncièrement industriel. Dès lors, de
nouvelles formes de concurrence ou de coopétition ont vu le jour
orientant les stratégies des uns et des autres. Il s’agit, au final, par
cette nécessaire prise en compte du contexte de prévenir une vision
technocentrée qui rapporterait les mutations en cours aux seules
innovations numériques.
Enfin, si les data ont déjà largement investi les rédactions et,
plus largement, les entreprises de presse, la dynamique est très
probablement appelée à s’amplifier encore. Les changements qu’elle
induit – observables aux niveaux éditorial, organisationnel,
commercial, ou alors portant sur des aspects que nous n’avons pas
traités ici (comme la modération) – sont ainsi les prémices des
reconfigurations à venir. À l’heure actuelle, celles-ci s’orientent
majoritairement en direction d’une personnalisation, d’une
automatisation et d’une augmentation de la production globale. Si
les promesses sont souvent mises en avant (nouvelles formes
d’investigation, fin des routines rébarbatives, abaissement des coûts
de production, ciblage des audiences, etc.), il s’agit également d’être
attentif aux menaces (appauvrissement du traitement de
l’information, renforcement du mimétisme éditorial, « churnalism1 »,
etc.) afin de bien saisir les contours de ce paradigme en émergence.
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1. Terme péjoratif qui désigne les pratiques journalistiques de reprises incessantes d’une
même information issue de communiqués ou de dépêches de presse.
Chapitre 3
3 Du journalisme d’information
au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission
aux plateformes
et quête de stratégie
Laurent Bigot
R
umeurs, infox et manipulations de l’information ne datent
pas d’hier. Nombreux sont les travaux, notamment
universitaires, qui, si besoin en était, en ont fait la
démonstration. La nouveauté serait plus certainement liée à leur
plus grande viralité. Quoique, là encore, des chercheurs ont su
mettre en lumière des mécanismes anciens, déjà très efficaces, bien
« avant internet ». Dans leur théorie de la communication virale,
basée sur des exemples de la fin du XIXe et du début du XXe siècles,
Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-Ève Thérenty identifient
une « typologie de l’objet viral » (Pinker, 2020 : 199) autour de trois
critères finalement très contemporains : simplicité et concision qui
offrent une intelligibilité immédiate ; fort « potentiel de
décontextualisation » qui facilite reprise et réappropriation ; et
caractères frappant et émouvant qui incitent au partage. Il n’y aurait
donc pas grand-chose de nouveau sous le soleil dans le domaine de
la circulation des fausses informations.
Pourtant, il n’a jamais autant été question, face à elles, de
vérification, de fact-checking, de debunking (journalisme de démenti
et de démystification des rumeurs) et de biens d’autres termes liés à
des actions de démenti, tout particulièrement au sein des rédactions
journalistiques (Bigot, 2019). Car, au-delà des dimensions pérennes
de la viralité, certaines transformations sociales, économiques et
technologiques – au premier rang desquelles on trouve internet et
les réseaux sociaux, avec leurs procédés inédits et ultra-efficaces en
matière de « captologie » (usage des technologies numériques
comme outils de persuasion et de changement des
comportements) – jouent bien sûr un rôle clé dans la propagation de
la désinformation (fausse information diffusée délibérément pour
tromper) et de la mésinformation (fausse information diffusée sans
intention de tromper). Nous ne reviendrons pas ici sur les
changements de paradigme informationnel qu’ont apportés, ne
serait-ce que ces 25 dernières années, les bouleversements
numériques, tout particulièrement sur le marché médiatique et sur
les modes de consommation et d’accès à l’information d’actualité
notamment.
En revanche, nous questionnerons la manière dont de
nombreuses rédactions journalistiques à travers le monde, et en
France tout particulièrement, se sont emparées relativement
récemment d’un exercice de vérification et de démenti des fausses
nouvelles, sous l’influence des principales plateformes d’internet et
des réseaux sociaux. Ceci afin de montrer dans quelle mesure elles
en ont fait une priorité parfois assez peu stratégique et dont on peut
questionner l’efficacité et la pertinence sur le long terme.
Pour cela, nous reviendrons d’abord sur la manière dont est
apparu puis s’est développé dans les médias l’exercice de fact-
checking (vérification des faits/par les faits), à compter des
années 2000. Puis nous démontrerons comment, sous l’influence de
plateformes comme Google ou Facebook, il s’est adapté aux enjeux
particuliers et ambigus de ces géants d’internet et des réseaux
sociaux en se réorientant vers la démystification des rumeurs
(debunking). Nous évoquerons, enfin, la manière dont éclosent des
stratégies alternatives, tant du fait des journalistes que d’autres
acteurs de la société civile, stratégies qui parfois orientent leurs
efforts vers les populations elles-mêmes plutôt que vers les
messages auxquels ces populations sont exposées.
De l’éclosion du fact-checking à sa
réinvention
Comme les fausses informations et les rumeurs les plus virales,
le fact-checking a une assez longue histoire derrière lui. Puisque le
terme a été communément utilisé dans les rédactions – et continue
de l’être – pour désigner le travail accompli par des journalistes
spécialisés dans la vérification exhaustive et systématique des
contenus journalistiques avant publication, afin de garantir la qualité
et la véracité des contenus pour les lecteurs. Cette pratique naît aux
États-Unis, dès 1923, quand Briton Hadden et Henry Luce créent le
magazine Time et recrutent des fact-checkers, suivis par la plupart
des magazines, du New Yorker au Reader’s Digest (Harrison-Smith,
2004 : 11-12). Ce fact-checking des origines consiste ainsi à vérifier
noms, dates, chiffres et faits dans l’ensemble des productions, mais
aussi à vérifier et à recontacter les sources énonciatrices de telle ou
telle citation alimentant le récit, voire des sources complémentaires,
avant d’échanger à nouveau avec le rédacteur à l’origine de l’article.
Quoi qu’il en soit, ce dernier est invité à transmettre ses notes,
preuves et autres éléments à sa disposition afin que le fact-checker
puisse s’y référer ou en vérifier la validité. L’objectif principal de ce
travail consiste à crédibiliser les contenus des journaux et
magazines. À l’époque, en effet, le public est confronté à des médias
qui n’hésitent pas à mélanger journalismes d’information et de
divertissement ; face à une profession qui n’a pas encore
institutionalisé ses formations et ses procédures, la prudence reste
de mise.
Plus récemment, à compter des années 2000, des rubriques et
chroniques de fact-checking sont apparues un peu partout dans le
monde. Elles n’ont guère de rapport – si ce n’est le nom et une
volonté puissante de rechercher la véracité des informations – avec
la tradition initiale de vérification exhaustive des contenus. Mais elles
sont calquées sur la pratique de sites – essentiellement pure players
américains (exclusivement en ligne) – qui réinventent un fact-
checking de vérification de la parole publique, de décryptage des
éléments de langage et des tentatives de propagande notamment.
Très concrètement, le format classique, récurrent, d’un article ou
d’une chronique de fact-checking assortit la déclaration d’un
politique entre guillemets d’une conclusion :
« vrai/faux/imprécis/etc. » Est systématiquement associé à la citation
et à son « verdict » un développement relativement long et détaillé,
fondé sur des données (souvent chiffrées) issues de rapports et de
statistiques officielles, ainsi que sur des avis d’experts, le tout afin de
proposer l’information la plus précise et juste possible. Charge aux
journalistes de repérer, au sein des tribunes offertes aux
personnalités publiques (souvent politiques), les affirmations qui
semblent se prêter le mieux à un travail de vérification, en fonction
de leur intérêt propre (sujet d’actualité, polémique, etc.) et de leur
intérêt journalistique (occasion de faire le point sur un thème donné,
thématique jugée accrocheuse, etc.). Ils doivent aussi prêter
attention à leur caractère « vérifiable » : s’assurer qu’ils sont en
mesure de trouver, dans le temps imparti à ce travail au sein de la
rédaction, un rapport officiel, des données ou des archives, par
exemple, qui permettront de confirmer ou d’infirmer la citation
retenue.
Le site généralement cité en référence historique en matière de
fact-checking « politique » est FactCheck.org, lancé en 2003 par
l’Annenberg Public Policy Center de l’Université de Pennsylvanie.
Cette initiative sera suivie en 2007 par celles de médias
« traditionnels ». À commencer par le Washington Post et le Tampa
Bay Times. The Fact Checker est un blog politique hébergé par le
site internet du Washington Post. Il doit sa renommée à son mode
d’évaluation de la véracité des propos : à chaque citation est attribué
un nombre de Pinocchios (entre un et quatre), ou un Geppetto
lorsque la citation ne contient que la vérité (Washington Post, 2013).
Quant au Tampa Bay Times, il multiplie, sur le site internet
Politifact.com, les échelles de mesure pour établir la véracité des
citations politiques (un compteur appelé « Truth-O-Meter »), mais
aussi pour contrôler si les promesses de campagne des présidents
Obama, puis Trump, enfin Biden ont été tenues ou non
(« Obameter », « Trump-O-Meter », « Biden Promise Tracker »). Ce
site a même été lauréat du prix Pulitzer en 2009.
Bien entendu, des dizaines d’autres initiatives de ce type ont vu
le jour au cours des années qui ont suivi, notamment en France.
Citons la rubrique « Désintox », fondée en 2008 par le quotidien
Libération, alors pionnier dans l’Hexagone, qui se propose de ne
traiter que les phrases fausses prononcées par des personnalités.
On trouve aussi, peu de temps après, « Les Décodeurs », que
Le Monde créa sous la forme d’un blog en 2009 et dont il a fait une
véritable rubrique de son site internet à partir de 2014.
Puis, c’est essentiellement autour de la campagne présidentielle
de 2012 que les initiatives se multiplient dans les médias français :
par exemple, « Le Vrai du Faux » de la radio France Info voit le jour
en 2012, quasiment en même temps que le « Vrai-Faux de l’Info »
de la radio Europe 1 ; « L’œil du 20h » de la chaîne de télévision
France 2 nait en 2014, etc. D’autres suivront ou prendront le relais.
D’ailleurs, plus globalement dans le monde, le nombre de ces
initiatives de fact-checking a connu une croissance importante, pour
atteindre 96 projets dans 37 pays en février 20161.
Mais c’est bien à compter de 2016 que ce type de productions
journalistiques connaîtra, en France comme ailleurs, une forme de
renouvellement et un regain d’intérêt. Avec bien d’autres ambitions
sur le plan éditorial que la seule vérification de la parole des
politiques. Au point que les projets vont s’accélérer, s’étendre partout
dans le monde et plus que doubler en trois ans : ils sont près de 210
dans 68 pays, dès 20192.
L’émergence de la démystification
des rumeurs
Un véritable tournant a en effet eu lieu en matière de vérification
de l’information en 2016. Nous parlons ici des lendemains de deux
événements politiques de retentissement mondial, à la fois
inattendus et fondés sur des campagnes calamiteuses sur le plan de
la véracité des faits : le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni en
juin, puis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis
en novembre. Ces deux événements ont pour conséquence de
contraindre des plateformes comme Google, Facebook ou Twitter,
aussi appelées « infomédiaires » (Rebillard et Smyrnaios, 2010), à
assumer la responsabilité sociale qui leur est alors rappelée, en
particulier à l’occasion d’auditions devant le Congrès américain.
Elles sont en effet accusées de propager de la désinformation
(Badouard, 2017), de créer des « bulles de filtres » (filter bubbles) ou
« enfermements algorithmiques » (Garrett et al., 2017 ; Wardle et
Derakhshan, 2017) pour leurs utilisateurs. Même s’il faut savoir
prendre en compte certaines nuances sur les effets directs,
potentiellement limités, de leurs publications sur les publics. On sait
ainsi que les publications de réseaux sociaux favorables à Trump
restent une minorité dans le flux des publications sur les réseaux
sociaux (Grinberg et al., 2019) et que, quoi qu’il en soit, nul ne croit
nécessairement à tout ce qu’il partage (Allcott et Gentzkow, 2017).
Cela étant, aux États-Unis, en France comme ailleurs dans le
monde, c’est à ce moment-là que certains des GAFAM (Smyrnaios,
2016) solliciteront les services de fact-checking pour renforcer leur
propre efficience et pour fiabiliser leurs contenus, tout
particulièrement dans le but de contrecarrer les accusations de
dissémination de fausses informations sur leurs espaces. Cette
stratégie est particulièrement visible à travers deux opérations
d’envergure, lancées en 2017 : « CrossCheck », l’opération de fact-
checking collaboratif et participatif, financée par Google à travers le
centre de ressources First Draft News (le Google News Lab compte
parmi ses financeurs) et soutenue par Facebook ; et le « Third-Party
Fact-Checking Program », programme de vérification par des
rédactions appelées tierces parties, à l’initiative de Facebook. Ces
deux opérations associeront les plateformes avec des médias fact-
checkers du monde entier, jusqu’à avoir un réel effet sur leur travail
et même leur organisation et leurs choix éditoriaux.
« CrossCheck »3 a été officiellement lancé en France le
28 février 2017 pour permettre aux journalistes de « travailler
ensemble pour donner des informations authentiques ». Ce projet
inédit a ainsi réuni 118 journalistes français représentants
33 rédactions, avec l’objectif de réaliser des opérations de
vérification croisée de l’information douteuse qui circulait alors sur
internet et les réseaux sociaux. L’intention était de permettre aux
citoyens d’interpeller via une seule et même plateforme l’ensemble
des rédactions partenaires pour leur soumettre des faits – politiques
ou non – à vérifier ; dès que deux partenaires au moins parvenaient
à une conclusion identique. Le fact-check était utilisable et publiable
par tous les autres partenaires (sur leurs propres espaces
numériques), et publiquement consultable par les citoyens sur la
plateforme.
Quelque 67 informations douteuses ont ainsi été repérées,
vérifiées et démystifiées, conduisant à 276 publications
indépendantes (Smyrnaios, Chauvet et Marty, 2017 : 29). Un relatif
succès qui, de plus, a permis aux rédactions de se familiariser avec
des outils de vérification développés ou mis à disposition par les
plateformes elles-mêmes : messagerie Slack, monitoring des
partages de rumeurs sur les réseaux sociaux via NewsWhip4, parfois
Buzzsumo, mais surtout CrowdTangle (plateforme rachetée en 2016
par Facebook). Et nous ne parlons pas ici du soutien plus direct
apporté par Facebook, en termes de publicité des publications et de
l’opération : plus de 180 000 abonnés au compte Facebook de
CrossCheck en quelques semaines (Smyrnaios, Chauvet et Marty,
2017 : 29), ainsi que des posts promotionnels sur le projet. Le tout
est placé dans une perspective de lutte contre les rumeurs et les
tentatives de déstabilisation des candidats à travers des allégations
aussi virales que fallacieuses, davantage que dans celle de
vérifications des propos tenus par les personnalités politiques elles-
mêmes, ce qui était pourtant le cœur de métier des rédactions de
fact-checkers jusqu’alors. Cette réorientation éditoriale se fait ainsi
en contrepartie d’un « apport d’ingénierie au journalisme » (Bell
et al., 2017), spécialisée dans la vérification de l’information.
En somme, on observe ici des liens ambigus, sur le fond (les
informations ciblées) comme sur la forme (les outils mis à
disposition) entre les rédactions journalistiques et les plateformes,
ainsi que le décrivent Smyrnaios, Chauvet et Marty dans leur
rapport :
Il a été considéré que la contribution des plateformes était
indispensable et mérite d’être développée, avec prudence.
Les personnes interrogées ont reconnu que CrossCheck
n’aurait pas pu exister sans l’apport des plateformes […].
Les journalistes ont ainsi pu remplir leur rôle de gardiens de
l’information sans ingérence extérieure. Toutefois, comme
l’ont indiqué plusieurs personnes, le fait que les plateformes
possèdent le contrôle des outils et des ressources
économiques du projet, restait une question de fond
importante, qui illustre la dépendance technologique et
économique croissante du journalisme vis-à-vis de
l’industrie de l’internet (Smyrnaios, Chauvet et Marty, 2017 :
36).
À noter que cette opération de cross-checking sera par la suite
reconduite dans d’autres pays à l’occasion d’échéances électorales
majeures.
Outre CrossCheck, qui laisse transparaître l’influence de Google
dans les opérations de vérification des médias fact-checkers, nous
évoquerons ici la création, en 2017, du Facebook Journalism
Project, à savoir une équipe dédiée pour répondre aux besoins des
éditeurs5. En effet, après avoir été pointé du doigt pour sa passivité
face à la propagation de fausses informations sur sa plateforme
en 2016, en particulier lors du scrutin présidentiel états-unien
remporté par Donald Trump, le réseau social créé par Mark
Zuckerberg a montré qu’il souhaitait réagir, notamment par la voix de
son vice-président en charge du département News6. Il s’agissait là
de sauver la réputation de l’entreprise et, probablement, la confiance
des annonceurs publicitaires, à travers, là encore, une proposition
de partenariat à destination des médias fact-checkers.
Nous parlons ici du Third-Party Fact-Checking Program destiné
à s’adjoindre les services des principaux fact-checkers mondiaux
pour vérifier, puis supprimer, les fausses informations partagées
et/ou signalées par les utilisateurs (Bigot, 2019 : 122-123 ;
Facebook, 2016). En effet, via ce programme, Facebook lui-même
incite d’une part ses propres utilisateurs à signaler sur sa plateforme
des contenus suspects et, d’autre part, offre aux journalistes la
possibilité de voir leurs contenus de vérification avoir un effet sur
l’algorithme qui préside à la mise en avant de certains contenus
dans le fil d’actualités.
Cette fois encore, l’opération a été expérimentée en France en
mars 2017, en prévision de l’élection présidentielle, avant de se
développer à compter de la fin de cette même année. Ses modalités
sont rigoureuses, puisque l’expertise des médias tierces parties doit
préalablement être validée par l’adhésion au « Code de principes »
de l’International Fact-Checking Network, à laquelle Facebook a
décidé de se conformer7. L’IFCN, créé en 2015 comme une
association de journalistes fact-checkers, a en effet établi des
processus et des évaluations des cellules de fact-checking, fondées
sur plusieurs critères et normes de transparence (traitement
impartial de l’information, transparence des sources, des financeurs
et du mode de vérification, obligation de faire apparaître les
corrections des productions, encouragement des lecteurs à poser
des questions). Seuls une petite centaine de médias à l’échelle
mondiale respectent ces critères au point de bénéficier du précieux
label (à faire renouveler chaque année). En France, six médias ont
obtenu cette certification : Libération Checknews, Le Monde Les
Décodeurs, AFP Factuel, France24 Les Observateurs, FranceInfo
Vrai ou Fake, 20 Minutes Fake Off.
De quoi laisser penser à une tentative d’harmonisation – et pas
seulement de renforcement – des pratiques de fact-checking, sans
compter qu’une fois cette certification acquise, le partenariat entre
les médias et Facebook implique une autre contrainte, de fond cette
fois-ci : on ne vérifie pas, dans le cadre du Third-Party Fact-
Checking Program, les propos des personnalités politiques. Bien
entendu, les médias restent libres de continuer à produire des
articles de fact-checking politique par ailleurs, mais la plateforme,
elle, ne rémunère ses médias partenaires que dans le cadre de leurs
travaux de debunking ou de démystification de rumeurs. D’aucuns
pourraient s’offusquer de ce choix éditorial restreint. Pourtant,
l’affichage de ce partenariat rémunérateur dans l’onglet spécifique et
professionnel Facebook Business du réseau social ne laisse pas de
doute quant à ses finalités commerciales, pas forcément en
conformité avec des intentions d’assainissement du débat public
politique.
Bibliographie
• Allcott H. et Gentzkow M., « Social Media and Fake News in the
2016 Election », Journal of Economic Perspectives, vol. 31,
n° 2, 2017, p. 211-236.
• Badouard R., , Le désenchantement de l’internet.
Désinformation, rumeur et propagande, Limoges, FYP Éditions,
2017.
• Bell E., Owen T., Brown P. D., Hauka C. et Rashidian N., The
Platform Press: How Silicon Valley Reengineered Journalism,
Columbia University Academic Commons, 2017.
• Bigot L., Fake news. Art, fiction, mensonge, Paris, Éditions du
Bord de l’eau 2021.
• Bigot L., Fact-checking vs. Fake news. Vérifier pour mieux
informer, Paris, INA Éditions, 2019.
• Bigot L., « L’essor du fact-checking : de l’émergence d’un genre
journalistique au questionnement sur les pratiques
professionnelles », thèse de doctorat en sciences de
l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-
Assas, 2017a.
• Bigot L., « Les journalistes fact-checkers entre réinvention de la
vérification et quête de reconnaissance professionnelle », Les
Enjeux de l’information et de la communication, n° 18(2), 2017b,
p. 19-31.
• Bigot L., « Fact-checking », Publictionnaire. Dictionnaire
encyclopédique et critique des publics, Université de Lorraine,
2017c.
• Grinberg N., Joseph K., Friedland L., Swire-Thompson B. et
Lazer D., « Fake news on Twitter during the 2016 U.S.
presidential election », Science, n° 6425, 2019, p. 374-378.
• Nicey J., « Les pratiques de fact-checking journalistique
participatif, entre contraintes et intérêts », Interfaces
numériques, vol. 9, n° 2, 2020.
• Nicey J. et Bigot L., « Un pour tous, tous pour un ? Les pratiques
inédites de “coalition” des journalistes fact-checkers français
durant la campagne présidentielle de 2017 », dans A. Theviot
(dir.), Médias et élections. Les campagnes présidentielles et
législatives de 2017, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires
du Septentrion, 2019, p. 121-141.
• Pinker R., Langlais P.-C., Schuh J., Thérenty M.-E., Fake news
et viralité avant Internet : les lapins du Père-Lachaise et autres
légendes médiatiques, CNRS éditions, 2020.
• Nicey J. et Bigot L., « Le soutien de Google et de Facebook au
fact-checking français : entre transparence et dépendance »,
Sur le journalisme, vol. 9, n° 1, 2020, p. 188-203.
• Rebillard F. et Smyrnaios N., « Les infomédiaires, au cœur de la
filière de l’information en ligne. Les cas de Google, Wikio et
Paperblog », Réseaux, n° 160-161, 2010, p. 163-194.
• Smyrnaios N., Chauvet S., Marty E., L’impact de CrossCheck sur
les journalistes et les publics. Rapport de recherche sur un
projet de journalisme collaboratif lors de l’élection présidentielle
française de 2017, First Draft, 2017. URL :
https://firstdraftnews.org/wp-
content/uploads/sites/3/2017/12/Crosscheck_rapport_FR_1202.
pdf
• Smyrnaios N., Les GAFAM contre l’internet. Une économie
politique du numérique, Paris, INA Éditions, 2017.
• Wardle C. et Derakhshan H., Information Disorder. Report for the
Council of Europe, 2017.
Virginie Sassoon
On dit que ceux qui informent, ils ont le pouvoir, c’est vrai.
Mais moi je pense aussi que ceux qui savent s’informer, ils
ont aussi le pouvoir. Morgan, 18 ans (cité dans Cordier,
2019)
L
e 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-
géographie, est décapité à la sortie de son collège pour avoir
enseigné la liberté d’expression. Lors d’une séance du
programme d’enseignement moral et civique, il s’était appuyé sur
une caricature du prophète publiée dans Charlie Hebdo, dont la
rédaction avait été décimée par les frères Kouachi cinq ans
auparavant. Si l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est
riche d’une histoire nationale et internationale, les attentats
terroristes ont tragiquement replacé son urgence citoyenne au cœur
du débat public.
Douze millions et demi d’élèves, citoyens en devenir, sont
scolarisés dans le pays. Sept Français sur dix jugent qu’il appartient
à l’Éducation nationale de former tous les élèves à l’EMI1. Dans ce
contexte, les enseignants apparaissent comme les agents principaux
du changement2. La France, en particulier, peut s’appuyer sur un
corps spécifiquement formé de professeurs documentalistes. À leurs
côtés, les journalistes apparaissent comme des alliés indispensables
pour relever ce défi démocratique3.
Pour les étudiants en journalisme, cette contribution éclaire
l’histoire du développement de l’éducation aux médias et à
l’information, ses contenus, ses enjeux actuels et apporte des
conseils pour intervenir en classe. L’objectif ? Alimenter la réflexion
sur ce qui se dessine comme une des nouvelles facettes du métier
de journaliste.
Intervenir en classe
Pour préparer au mieux les futurs journalistes à des actions en
éducation aux médias et à l’information, des modules sont
désormais inclus dans certains cursus en formation initiale (à l’École
supérieur du journalisme (ESJ) de Lille ou à l’École publique du
journalisme (EPJT) de Tours, par exemple). Des formations,
ouvertes aux journalistes et enseignants se développent : un
Diplôme Universitaire (DU) EMI existe déjà à l’Université Lyon 1. À la
rentrée 2021, l’ESJ et l’École Normale Supérieure Paris Saclay ont
ouvert un nouveau DU EMI.
Une large palette d’interventions existe pour les apprentis
journalistes et les professionnels des médias : les dispositifs du
CLEMI, des actions associatives, les résidences de journalistes dans
un établissement scolaire (qui durent plusieurs mois) le marrainage/
parrainage d’une « classe média »25 (qui implique des interventions
régulières tout au long de l’année scolaire). S’inscrire à la réserve
citoyenne de l’Éducation nationale est aussi une voie possible.
Localement, les clubs de la presse organisent également des
événements. Qu’elle s’inscrive dans un temps long ou court, voici
quelques recommandations pour préparer une intervention en
classe.
Bibliographie
• Corroy L., La presse des lycéens et des étudiants au XIXe siècle,
Paris, Institut national de recherche pédagogique, coll.
« Éducation, histoire, mémoire », 2004.
• Corroy-Labardens L., Éducation aux médias à l’heure des
réseaux, Paris, L’Harmattan, 2015.
• Cordier A., « Ados en quête d’infos : De la jungle à la steppe,
cheminer en conscience », Revue de socio-anthropologie de
l’Adolescence, n° 3, 2019.
• Gonnet J., Éducation aux médias. Les controverses fécondes,
Paris, Hachette, 2001.
• Joubaire C., « EMI : partir des pratiques des élèves », Dossier de
veille de l’IFÉ, n° 115, Lyon, ENS de Lyon, 2017.
• Lachance J. (dir.), Accompagner les ados à l’ère du numérique,
Laval, Presses Universitaires de Laval, 2019.
• Lazar M., Plantin G., Ragot X. (dir.), Le Monde d’aujourd’hui. Les
sciences sociales au temps de la Covid, Paris, Presses de
Sciences Po, 2020.
• Loicq M., « Une approche comparative des discours
institutionnels en éducation aux médias : une analyse socio-
anthropologique », Argumentation et Analyse du Discours [en
ligne], 19 | 2017.
• Patino B., La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le
marché de l’attention, Paris, Grasset, 2019.
1. https://www.la-croix.com/Economie/Medias/INFOGRAPHIE-Francais- medias-
fiables-2018-01-23-1200908028
2. Déclaration de Moscou, UNESCO, 2012.
3. Les acteurs culturels, associatifs, les chercheurs, familles et éducateurs sont également
parties prenantes.
4. Sur ce sujet, lire l’interview de la chercheuse Anne Cordier. URL :
https://journal.ccas.fr/les-jeunes-leurs-parents-et-linfo-cultiver-le-doute-sans-provoquer-
la-defiance/
5. Extrait d’une interview de Iannis Roder, URL : https://www.interclassup.fr/genese/
6. Rapport Digital 2020. URL : https://wearesocial.com/fr/blog/2020/01/digital-report-2020
7. Au sens de l’anthropologue Mauss (1924) les faits sociaux totaux « mettent en branle la
totalité de la société et de ses institutions » ; ils concernent tous les individus et
recouvrent des dimensions politiques, économiques, religieuses, sociales, juridiques,
symboliques.
8. « Les jeunes et l’information », enquête Médiamétrie, ministère de la Culture, juillet 2018.
9. Quels objectifs pour l’éducation aux médias ?, Rapport Cnesco, 2019, annexes.
URL : http://www.cnesco.fr/wp-
content/uploads/2019/02/190221_Annexe_note_medias.pdf
10. « Éducation aux médias et à l’information : programme de formation pour les
enseignants », UNESCO, 2012.
11. https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo13/MENE1708402C.htm?cid_bo=114733
12. Becchetti-Bizot C., Brunet A., L’éducation aux médias. Enjeux, état des lieux,
perspectives, Rapport IGEN et IGAENR, août 2007.
13. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire “éduquer aux médias ?” », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
14. Sébastien Rochat, « Info ou publicité : les cas Konbini et Melty », Dossier pédagogique
de la SPME, CLEMI, 2019.
15. Rapport Cnesco, Annexe note médias, 2019.
16. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire “éduquer aux médias ?” », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
17. https://www.cairn.info/revue-medium-2005-4-page-110.htm?try_download=1
18. Institut coopératif de l’école moderne, Pédagogie Freinet, L’imprimerie à l’école, n°25,
août 1929, Numéro spécial. URL : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/39632/
19. Célestin Freinet, Christophe Dubois, Savoirs CDI, 2011, URL : www.reseau-
canope.fr/savoirscdi
20. Site du CLEMI. URL : www.clemi.fr/fr/carte-medias-scolaires.html
21. Isabelle Féroc-Dumez, « Le CLEMI, un acteur institutionnel clé de l’EMI », brochure
Éducation aux médias et à l’information, 2019/2020.
22. L’éducation aux médias face aux défis du numérique, 2020.
23. Xavier Eutrope, « Que veut vraiment dire « éduquer aux médias ? », La Revue des
médias, 19 juin 2018.
24. Déclaration de Grunwald sur l’éducation aux médias.
URL : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/DeclGrunwald.pdf
25. Les classes médias sont des dispositifs qui permettent de faire de l’EMI de manière
hebdomadaire. En octobre 2020, le CLEMI a réalisé un recensement qui comptabilise
près de 400 classes sur 18 académies.
26. Rencontres avec des professionnels des médias et de l’information en milieu scolaire,
CLEMI, 2020.
27. Rapport Cnesco, « Éducation aux médias et à l’actualité : comment les élèves
s’informent-ils ? », 2019.
28. A. Drew, J. Nagler et J. Tucker, « Less than you think: Prevalence and predictors of fake
news dissemination on Facebook », Sciences Advance, 9 janvier 2019.
29. Baromètre du Numérique, URL : www.data.gouv.fr/fr/datasets/barometre-du-numerique/
30. Barbara Chazelle, « Les 10-13 ans passent près de 15 heures en ligne par semaine.
Voici ce qu’ils y font », Méta-Média, 2019.
31. Notion développée par le chercheur nord-américain Marc Prensky dans l’article « Digital
Natives, Digital Immigrants ».
URL : https://www.marcprensky.com/writing/Prensky%20-;%20Digital%20
Natives,%20Digital%20Immigrants%20-%20Part1.pdf.
32. Dans ton tel, Ma vie sur les réseaux sociaux, https://www.arte.tv/fr/videos/RC-
017944/dans-ton-tel/
33. « Et si l’école pouvait être utile au journalisme ? », Sylvain Joseph, académie de
Versailles, Édouard Bessière, académie de Rouen, Marie Pieronne, académie de Corse,
2018, CLEMI.
34. danah boyd souhaite que son nom soit écrit en minuscule :
http://www.danah.org/name.html
35. Hubert Guillaud, « De quelle éducation aux médias avons-nous besoin ? », Lemonde.fr,
17 juin 2018. URL : www.lemonde.fr/blog/internetactu/2018/06/17/de-quelle-education-
aux-medias-avons-nous-besoin/
36. « Bientôt l’ère post-news ? », Éric Scherer, Méta-Média, 2018.
Questions à Fabrice d’Almeida
Historien des médias,
Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut français
de presse, Université Paris-Panthéon-Assas
Dominique Marchetti
L
’importance de l’« actualité internationale », qui était
auparavant évidente dans les rédactions y compris des
grands médias populaires, l’est beaucoup moins depuis le
milieu des années 1980. Dans les perceptions dominantes des
cadres-dirigeants des grands médias généralistes en France, celle-ci
est souvent jugée trop « spécialisée » – elle serait éloignée des
préoccupations réelles ou imaginées des publics – et trop coûteuse.
Autrement dit, l’« information internationale » a perdu en partie de
son prestige comme en témoigne la restructuration de l’organisation
des rédactions des médias généralistes et de la division du travail
journalistique. Ses contenus ont été très largement redéfinis, tout
particulièrement sous l’effet de la montée des logiques économiques
et de transformations sociales et politiques internationales.
La « noblesse » de l’International
Au sein des rédactions des médias nationaux généralistes
français, l’« International » fait historiquement partie des matières
jugées nobles et légitimes, s’opposant ainsi, dans la hiérarchie
professionnelle, aux « faits divers », généralement traités par des
journalistes moins expérimentés et moins considérés, ou aux
« sports ». Ces clivages professionnels renvoient en fait à des
clivages sociaux. Les origines sociales des journalistes les plus
réputés traitant de l’« International » (Marchetti, 2012) au début des
années 1970 et dans la seconde moitié des années 2000 montrent à
quel point ceux-ci occupent une position élevée dans l’espace
social : plus de deux sur trois avaient un père exerçant une
profession libérale ou scientifique ou occupant un poste de cadre
supérieur (56 sur 79 pour la décennie 1970 et 63 sur 87
quarante ans plus tard), les enfants d’ouvriers ou d’employés étant
quasiment absents.
La position haute de l’Étranger enferme deux rapports au
monde social entre ceux qui seraient respectivement du côté de la
réflexion, de l’ouverture au monde, de l’international, et ceux qui
seraient à l’inverse du côté de la sensation, du repli sur soi et du
local (Bourdieu, 1979 : 520-521). Elle donne à voir la tension
existant au niveau des producteurs d’information et des publics
auxquels ils s’adressent, entre le pôle intellectuel (views) et le pôle
commercial (news) du champ journalistique français (Bourdieu,
1994). En France, du fait de la quasi-disparition de la presse
quotidienne nationale populaire depuis les années 1970, ce clivage
social prenait notamment la forme d’une opposition entre, d’une part,
les quotidiens nationaux généralistes et, d’autre part, les quotidiens
régionaux et les magazines grand public les plus diffusés (Dumartin,
Maillard, 2000 ; Duval, 2004). Les contenus et les publics des
médias écrits transnationaux (Financial Times, The Economist, etc.),
ou nationaux s’intéressant fortement ou quasi-exclusivement aux
problèmes internationaux (Courrier International ou Le Monde
diplomatique en France) (Szczepanski-Huillery, 2006), apparaissent
encore plus clivants à cet égard. Ils s’adressent en majorité à des
groupes d’une relative homogénéité sociale et tournés vers
l’étranger : étudiants, universitaires, hommes d’affaires, milieux
politiques et diplomatiques ou encore journalistes. De nombreux
travaux ont montré les inégalités sociales face aux processus
d’internationalisation (pour une synthèse, voir : Wagner, 2007).
Cette prééminence de l’« International » dans les quotidiens et
les newsmagazines d’information générale nationaux destinés à des
publics fortement dotés en capital culturel et/ou économique est
emblématique dans le quotidien Le Monde. Elle s’objective toujours
dans le titre du journal, et dans ses premières pages qui sont
exclusivement consacrées à l’Étranger, mais elle se manifestait
également, jusqu’en 1995, dans l’existence d’un éditorial consacré à
la politique étrangère à la « une » ou encore la forte présence des
journalistes du service Étranger dans les instances dirigeantes de la
rédaction. Pendant longtemps, les rubriques Monde ou International
figuraient également parmi les premières pages des titres
généralistes les plus populaires dans tous les sens du terme,
comme les quotidiens régionaux, marquant ainsi la reconnaissance
professionnelle de cette matière (Tunstall, 1971). Ce prestige social
est redoublé par la tradition littéraire de l’histoire du champ
journalistique français qui, dans ses fractions dominantes, valorise
les compétences d’écriture et a partie liée avec la consécration du
« grand reporter » comme une des figures emblématiques et
dominantes du journalisme (Martin, 2005 ; Naud, 2005 ; Gatien,
2010).
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des
années 1980, la division du travail journalistique visible en matière
de production de l’« information internationale » s’est stabilisée
autour de trois grands types de personnel : tout d’abord, des
« chroniqueurs », des « commentateurs », des « rédacteurs » ou
des « correspondants » diplomatiques spécialisés dans les relations
internationales ; ensuite, des journalistes généralistes, reporters ou
grands reporters relativement spécialisés sur certaines aires
géographiques ; enfin, des correspondants à l’étranger (par
exemple, Hess, 1996 ; Pedelty, 1995 ; Baisnée, 2003 ; Gross,
Kopper, 2011 ; Dell’Orto, 2016 ; Leal-Adghirni et al., 2016). Il va de
soi qu’une série d’autres coproducteurs moins visibles sont tout
aussi centraux, notamment les fixeurs (Palmer, 2019).
La restructuration de l’espace
journalistique français
et ses effets sur la division du travail
Cependant, la production et la diffusion de l’« information
internationale » se sont transformées, du fait de son déclin relatif et
de sa redéfinition dans les médias généralistes. La principale raison
est le renforcement du pôle commercial du champ journalistique
français et de son pôle spécialisé, c’est-à-dire l’explosion de l’offre
de supports thématiques. L’information internationale tend, depuis la
fin des années 1980, à être de moins en moins traitée de manière
continue par les médias généralistes grand public et davantage par
des médias qui s’adressent à des publics plus restreints, qu’il
s’agisse de la presse écrite spécialisée en langue française (par
exemple Courrier International ou Le Monde diplomatique), anglaise
(Financial Times, New York Times International Edition, Newsweek,
The Economist, Time, etc.), ou qu’il s’agisse de médias audiovisuels
d’information en continu internationaux souvent multilingues (Al
Jazeera, BBC World, CNN International, Euronews, France 24,
Radio France Internationale, Russia Today, etc.) et de leurs
déclinaisons sur internet. Cet accroissement de la diversité de l’offre
d’information spécialisée n’a pas été sans conforter l’idée que
l’information internationale « intéresse » moins le « grand public »
que des publics « plus cultivés ». C’est ce qui explique que, par
exemple, les spécialistes des questions diplomatiques, qui étaient
très visibles pendant la période de la Guerre froide, aient largement
disparu des médias audiovisuels notamment, hormis précisément
dans les médias transnationaux les plus dotés en personnel comme
les grandes chaînes transnationales qui se sont développées dans
les décennies 1990 et 2000 (Koch, Mattelart, 2016). Il faut dire que
les « questions internationales » constituaient à l’époque un des
facteurs importants de division du champ politique (et donc
journalistique) français.
Ces logiques économiques ont été une des raisons de la
réorganisation générale du fonctionnement des rédactions des
médias les plus généralistes et populaires, qui s’incarnent, par
exemple, dans les trois principales chaînes françaises diffusant de
l’information (TF1, France 2 et France 3) (Berthaut, 2018).
L’émergence progressive d’une nouvelle définition dominante de
« l’actualité internationale », qui privilégie les événements imprévus,
surprenants, « décalés » (faits divers, histoires humaines, etc.) au
détriment du suivi régulier de l’actualité dans telle ou telle région, a
rendu trop onéreuses des dépenses considérées auparavant comme
légitimes. Ainsi, la principale chaîne française grand public TF1 a,
comme ses équivalents étrangers, fermé des bureaux dans de
grandes capitales étrangères qui assuraient précisément ce suivi.
Cette tendance est antérieure aux États-Unis et, depuis peu, la
nécessité de l’existence même de correspondants à l’étranger, dont
les statuts tout comme les conditions de travail (CFDT pigistes,
2019), sont de plus en plus précaires, est remise en cause
(Sambrook, 2010). De même, les dirigeants de chaînes ont fait des
économies sur les coûts des missions ponctuelles. Sauf en cas de
grands conflits, le nombre de sorties sur des terrains étrangers, leur
durée, l’utilisation de moyens de transmission coûteux sont
désormais très contrôlés. Cette réduction des frais passe également
par le recours croissant aux images d’agences (Associated Press
Television News, les services vidéos de Reuters et de l’Agence
France-Presse) et aux Eurovision News (EVN), une banque
d’images entre les chaînes de télévision de l’Europe et du bassin
méditerranéen, auxquelles les chaînes sont abonnées. Autrement
dit, le travail des journalistes chargés de couvrir l’« actualité
internationale » est de plus en plus sédentaire, dans la mesure où
une partie du traitement est réalisée dans les locaux du siège à
partir de vidéos produites par d’autres (Boyd-Barrett, 1997 ;
Marchetti, 2002 ; Paterson, 2011), de dépêches et de photos
d’agences (Laville, 2010 ; Gürsel, 2017). Le « journalisme de desk »,
notamment la réalisation de sujets en prenant des contacts par
téléphone et en travaillant à partir de sources diverses (journaux en
ligne, dépêches, images d’agences, réseaux sociaux numériques,
etc.) sans sortir des locaux, s’est considérablement développé au
point que, dans une chaîne du service public, les journalistes
parlaient avec humour du « Cabinistan ».
Cette réorganisation des dispositifs de présence à l’étranger
s’est accompagnée d’une reconfiguration touchant les services
situés dans les sièges parisiens des chaînes. Pendant plusieurs
décennies, la configuration des rédactions dans les trois grandes
télévisions nationales était relativement calquée sur celle des
organes de presse écrite, c’est-à-dire qu’il existait davantage de
services thématiques (politique intérieure, politique étrangère,
culture, sport, société, etc.). Depuis le milieu des années 1980,
même si elles disposent encore de services relativement spécialisés,
les rédactions des chaînes de télévision tendent à être de plus en
plus composées de journalistes généralistes et polyvalents. L’un des
exemples les plus révélateurs de cette transformation est
précisément la disparition des services dédiés aux « informations
internationales », à TF1 en 1996 et à France 2 en 2003. La
réorganisation s’est effectuée au profit des reporters et grands
reporters généralistes envoyés ponctuellement sur les grands
événements. Cette population s’est considérablement renouvelée
dans les années 1980 et 1990 avec l’accroissement des effectifs des
rédactions et les départs en retraite. C’est tendanciellement la figure
du « grand reporter » qui incarne les critères professionnels les plus
valorisés (la priorité au « terrain », l’« adaptabilité », la
« débrouillardise », la prise de risque, etc.), s’opposant ainsi à celle
présentateur « assis » ou, dans une moindre mesure, du
chroniqueur « spécialisé ». Une enquête menée au milieu des
années 2000 dans les écoles de journalisme reconnues par la
profession en France montre bien la forte présence des « grands
reporters » ayant travaillé à l’étranger parmi les modèles
d’excellence professionnelle les plus cités (Lafarge, Marchetti,
2017).
Les jeunes reporters, grands reporters et même correspondants
depuis les années 1990 n’ont pas la même socialisation
professionnelle et politique que leurs ainés. Ces derniers étaient
entrés dans le métier au cours des années 1960 et 1970 en se
formant « sur le tas » pour la quasi-totalité d’entre eux, tandis qu’une
grande partie des jeunes journalistes recrutés à partir des deux
décennies suivantes au sein des chaînes de télévision sont issus
d’écoles de journalisme, notamment les plus prestigieuses d’entre
elles. Les premiers ont découvert le métier, pour certains par le
militantisme politique, pour d’autres par connaissance ou par la
« petite porte » en commençant par assister des journalistes.
Autrement dit, il s’agissait d’une population très diversifiée,
comparée à celle des générations entrées depuis le milieu des
années 1980. Ce recrutement, de plus en plus sélectif scolairement
et donc socialement, a homogénéisé la population des journalistes
de télévision entrés en grand nombre dans les chaînes au cours des
deux dernières décennies (Marchetti, Ruellan, 2001 ; Lafarge,
Marchetti, 2011). Une autre différence entre ces deux groupes est
que les plus anciens, tout particulièrement dans les services
Politique étrangère tels qu’ils existaient, avaient un attrait pour les
jeux politiques et les relations internationales, certains ayant même
eu une expérience pratique de la politique. Si leur degré
d’engagement politique était forcément très variable, les schèmes
« droite/gauche » et « tiers-mondistes/impérialistes » (Marthoz,
1999 : 184) étaient alors fréquents pour qualifier les collègues ou les
confrères. Les journalistes recrutés en grand nombre à partir de la
seconde moitié des années 1980 n’ont pas la même socialisation
politique, et donc pas le même intérêt pour la politique au sens du
jeu et de l’action politiques.
La réorganisation du fonctionnement des rédactions s’est enfin
manifestée par une centralisation croissante du pouvoir rédactionnel
venant renforcer les logiques économiques et professionnelles. Il
s’agit là d’une tendance générale, sachant que le degré de
centralisation varie d’une rédaction à l’autre et selon les rapports
entre les responsables des éditions (présentateurs, rédacteurs en
chef, etc.) et les chefs de service ou encore selon les éditions. Les
directeurs de la rédaction, les rédacteurs en chef des éditions des
journaux et les présentateurs vedettes pèsent en effet plus fortement
qu’avant sur la sélection et la hiérarchisation de l’information. De ce
fait, à TF1, France 2 et France 3, les journalistes chargés de
défendre les sujets internationaux en conférence de rédaction ne
bénéficient plus de l’autonomie interne dont disposaient leurs
prédécesseurs du fait de leur expérience professionnelle, ce qui en
faisait des chefs de service très respectés. Cette centralisation du
pouvoir éditorial a touché de très nombreuses rédactions,
notamment celle du Monde (Vernholes, 2003 ; Saitta, 2006 ; Sedel,
2004). Dans l’esprit des dirigeants des rédactions ou de
présentateurs vedettes de TF1, France 2 et France 3, pour éviter
que les éditions de journaux ne soient une simple juxtaposition de
sujets qui émaneraient des seuls services avec des « blocs »
successifs (politique étrangère, politique intérieure, informations
générales, sport, etc.), il fallait, selon leurs propres expressions,
renforcer la « cohérence » de l’enchaînement des différents sujets,
donner aussi aux journaux un « rythme » plus « efficace », le
nombre de sujets diffusés par édition ayant eu tendance à
augmenter. Cette volonté de renforcer la maîtrise sur le contenu et
l’organisation des journaux est d’autant plus essentielle pour les
responsables des éditions que les résultats d’audience sont le critère
majeur à l’aune duquel ils sont jugés. Pascal Dauvin montre bien
comment se traduit l’« emprise » des rédactions sur les « grands
reporters » sur le terrain (Dauvin, 2006 : 65sq).
La suppression des services Étranger à TF1 et France 2 fut
aussi une manière de rompre avec les routines de travail des
« spécialistes » du domaine, qui avaient un statut considéré comme
privilégié. Disposer à l’inverse des journalistes capables de traiter
tous les sujets permet à la fois d’avoir plus de souplesse dans la
gestion des effectifs, mais aussi de rendre le travail plus attractif,
notamment pour les jeunes journalistes, en leur proposant des
terrains et des types de reportage plus variés grâce à la perspective
d’aller ponctuellement à l’étranger. Les directions des rédactions ont
demandé aux spécialistes du reportage à l’étranger d’intégrer des
pools généralistes en charge de l’actualité « chaude », c’est-à-dire
de traiter non seulement de l’actualité étrangère, mais aussi de
sujets nationaux relevant des informations générales.
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Chapitre 2
2 Mourir en couvrant les conflits
armés. Risques et transformations
du reportage de guerre
Olivier Koch
D
epuis le début des années 1990, l’International News Safety
Institute (INSI) et le Committee to protect Journalists (CPJ)
comptabilisent assidument le nombre de journalistes tués en
exerçant leur métier. Même si les protocoles comptables de ces
organisations ont évolué dans le temps, les chiffres permettent de
saisir l’évolution des risques auxquels sont confrontés les
professionnels de l’information en couvrant des conflits. Le constat
inaugural porte sur la hausse de la mortalité des journalistes, en
particulier dans les guerres des Balkans dans les années 1990.
Selon les estimations, non seulement les décès sont en
augmentation, mais la nature des violences a évolué. Jusque-là, les
reporters de guerre et les membres de leur équipe étaient tués par
accident, lors d’échanges de tirs entre belligérants. Les conflits en
ex-Yougoslavie auraient opéré un changement : les journalistes y
auraient été délibérément visés, signe que leur neutralité autrefois
respectée ne l’était plus. Jusqu’en 2015-2016, la couverture des
guerres est demeurée très meurtrière, en Irak, en Afghanistan et en
Syrie notamment, mais au-delà de ces deux années charnières le
nombre de professionnels de l’information tués dans des périodes
de conflit armé a sensiblement baissé1. En 2017, il avoisine celui
des périodes de paix (36 contre 34), puis passe en dessous en 2020
(34 contre 18). Les guerres tuent donc désormais moins de
journalistes que ne le font des organisations criminelles (les
narcotrafiquants en Amérique latine par exemple) ou des groupes
dont les membres commanditent des assassinats, inquiétés par les
révélations de leurs malversations ou leurs exactions dans les
médias.
Les violences ne touchent pas indistinctement les
professionnels de l’information. Les statistiques de l’INSI et du CPJ
indiquent un écart important entre journalistes internationaux et
journalistes locaux. Selon le CPJ, de 1992 à 2021,
128 internationaux et 461 locaux ont été tués en couvrant des
conflits. Cette proportion a considérablement varié dans le temps et
selon les guerres. Dans les années 1990, le rapport entre locaux et
internationaux est de 1 à 1 et de 1 à 3, puis s’inverse et se creuse à
partir de 2004, passant de 5 à 1 et de 8 à 1, ce qui indique que les
locaux payent désormais le tribut exorbitant de la médiatisation des
conflits armés. Progressivement depuis 2004, consécutivement au
bilan meurtrier de la couverture de l’Irak et de l’Afghanistan, les
employeurs prennent de moins en moins le risque d’envoyer des
journalistes internationaux sur les zones de guerre. Effet tangible de
cette décision : en 2006, sur 52 journalistes tués en Irak, 49 étaient
locaux. Cette tendance est confirmée dans les années 2010. Très
peu de journalistes étrangers se rendent en Syrie, au Yémen ou en
Irak, si bien que seuls des journalistes locaux meurent dans ces
pays, la plupart du temps victimes d’assassinats ciblés. Entre 2015
et 2016, par exemple, parmi les 29 journalistes tués en Syrie 27
étaient des locaux, 3 sur 4 en Libye, tous l’étaient au Yémen et en
Irak.
D’autres différences s’observent selon la stabilité de l’emploi
des journalistes et selon les médias pour lesquels ils travaillent. Le
rapport entre journalistes titulaires et freelance a nettement évolué
en 29 ans. Proportionnellement aux titulaires, les journalistes
indépendants meurent davantage dans les années 2000 que dans
les années 1990, et plus encore dans la décennie suivante.
L’évolution de la proportion entre titulaires et freelance indique qu’il
existe une relation entre précarité et mortalité dans l’exercice du
journalisme de guerre. Enfin, les risques d’être tués en couvrant un
conflit armé varient selon les types de médias. Les professionnels de
la presse écrite étaient en première ligne dans les années 1990,
suivis par ceux de chaînes de télévision, puis les positions
commencent à s’inverser à partir de 2001-2002. Depuis 2011, sans
que les chiffres du CPJ permettent de bien les distinguer, les
professionnels de l’information en ligne et ceux de télévision sont les
premières victimes de la couverture des guerres, loin devant ceux de
la presse écrite, ce qui est en partie lié à l’accélération de la
transition numérique des industries de l’information.
En presque trente ans, les risques d’être tués en couvrant des
guerres ont donc sensiblement évolué. Grandissant dans les
années 1990 et au début des années 2000, ils diminuent cependant
à partir de 2004, mais différemment selon la division du travail entre
internationaux et locaux, d’une part, et entre titulaires et
indépendants, d’autre part. Cette contribution tente d’expliquer ces
évolutions, d’identifier les principales causes des hausses et des
baisses de mortalité des journalistes qui travaillent sur des conflits
armés.
Concurrence et transformation de la
production
Les agences internationales, des médias nord-américains et
d’Europe de l’Ouest, ont fait le choix de couvrir systématiquement
les guerres des Balkans. Relevant de stratégies commerciales, ces
choix ont eu deux conséquences majeures permettant d’expliquer
pourquoi davantage de journalistes y ont perdu la vie que dans
d’autres conflits. Tout d’abord, la demande des employeurs a
provoqué un afflux de professionnels de l’information sur les zones
d’affrontement. Plus nombreux à couvrir la guerre, ils ont été plus
nombreux à mourir sous les balles et les bombardements. Ces
choix, ensuite, ont eu pour effet d’exacerber la concurrence entre
industriels de l’information et, par voie de conséquence, entre
journalistes. Chris Paterson (2011) a montré que, pendant cette
période, les agences ont stimulé la compétition entre journalistes, les
ont incités à obtenir des scoops ou des images inédites afin de
devancer des concurrents dans la course à l’audience. Le même
constat peut être fait concernant la concurrence entre télévisions
dans les guerres en Afghanistan et en Irak au début des
années 2000, comme en témoigne Colin Baker (journaliste à Al-
Jazira) au sujet de Terry Lloyd, mort en Irak sous des tirs de l’armée
américaine :
Je vais vous dire pourquoi Terry Lloyd et d’autres
correspondants ont été tués dans la guerre. Des
correspondants comme Terry Lloyd sont tués dans des
échanges de tirs entre manageurs de télévision, qui font
tuer des gens parce qu’ils veulent augmenter leurs scores
d’audience. Nous avons été dans une situation absurde. Il y
avait 600 journalistes essayant d’être sur le champ de
bataille parce qu’ils pensaient que c’était merveilleux, et
qu’ils n’avaient jamais été là auparavant (Terry Floyd, cité
par Tumber et Webster, 2006).
Dans ces cas précis, l’augmentation ponctuelle de la production
de news permet d’expliquer l’augmentation des risques. Cependant,
la course au scoop n’est pas quelque chose d’entièrement nouveau
dans l’histoire de la couverture médiatique des guerres. Il importe
donc d’appréhender conjointement les effets de la concurrence et
ceux des transformations de la production à l’époque de ces conflits.
Dans les années 1990 se sont développées des chaînes
d’information continue où l’actualité internationale a pris une place
prépondérante, en particulier par rapport aux chaînes de télévision
nationales généralistes. Selon Daya Thussu (2003), impulsée par
des stratégies commerciales basées sur des scores d’audience, la
demande d’information 24/7 a transformé les modes de production,
menant à une couverture de la guerre plus sensationnaliste, plus
dramatique, privilégiant le direct au détriment d’un traitement en
profondeur, plus lent, de meilleure qualité. L’accélération de la
production a été également observée chez des fournisseurs
d’images digitales, comme le courtier Global Views INC., dont les
manageurs ont saisi l’occasion de la guerre d’Irak pour accroitre leur
réputation auprès de leurs clients (agences et éditeurs), s’imposant
de fournir des images inédites par rapport à celles de leurs
concurrents. Produire et diffuser le plus rapidement possible a
contribué à mettre sous pression les journalistes et leurs équipes sur
le champ de bataille, à exacerber la compétition entre collègues
dans une course sans fin à la primeur. Cette production urgentiste à
flux tendu a généré ce que Zohar Kampf et Tamar Liebes (2013)
qualifient de « journalisme de performance ». Plus focalisé sur
l’émotion que sur l’analyse, il cherche à impliquer les publics dans
les actions des protagonistes, ce qui conduit les professionnels de
l’information à s’approcher des combats et des belligérants, à
prendre des risques afin de satisfaire les demandes d’employeurs à
la recherche d’histoires uniques et immédiates.
Les guerres des Balkans et celles d’Irak et d’Afghanistan
coïncident avec une réorganisation de la production d’information
internationale caractérisée à la fois par le renforcement de la
dépendance aux agences et la rationalisation des coûts. Les
chaînes nationales et internationales ont restreint leur présence à
l’étranger, estimée trop coûteuse, en s’appuyant davantage sur les
agences et sur des indépendants payés à la pige. Amorcée depuis
les années 1990, l’externalisation de la production permet
d’expliquer (en partie) pourquoi, progressivement dans la décennie
suivante, les journalistes indépendants meurent davantage sur les
zones de conflit, et pourquoi les internationaux (trop chers) sont
proportionnellement moins touchés. Dans cette compétition
exacerbée, comme l’avancent Janet Harris et Kevin Williams (2019),
les freelances sont plus vulnérables que d’autres, pressés par le
besoin de se distinguer et de fidéliser leurs employeurs. Il existe
donc des régimes de concurrence différents selon le statut des
journalistes et leur précarité qui, là aussi, ont leurs propres effets
mortifères.
Au regard de cette transformation de la production liée au
développement des chaînes d’information 24/7, il importe de
souligner et de rappeler que les conflits armés peuvent être traités
différemment. La guerre ne consiste pas uniquement en
affrontements, dans le spectacle de heurts et d’opérations militaires,
même si la violence en constitue une des dimensions essentielles.
Restituer ses ressorts, les logiques qui ont conduit des gouvernants
à « projeter leurs armées sur des territoires lointains », exige un
travail d’investigation plus lent, dans des formats plus longs. De ce
point de vue, non seulement les couvertures live sensationnalistes
augmentent les risques encourus par les journalistes, mais elles font
aussi écran à la compréhension de la complexité des guerres.
Il est désormais possible de mieux appréhender les causes de
la hausse de mortalité des journalistes depuis les années 1990. La
transformation des conflits, on l’a vu, ne suffit pas à elle seule à
expliquer cette évolution. Les stratégies mises en œuvre par les
belligérants pour contrôler ce qui est dit et montré, leur management
spécifique de l’information, permettent d’expliquer pourquoi dans
certains cas les journalistes sont délibérément visés et perdent la vie
en faisant leur métier. À condition de saisir conjointement comment
les transformations de la production ont affecté les conditions de
travail sur les terrains de guerre. L’accélération de la production, la
concurrence exacerbée entre industriels des médias et entre
journalistes, la couverture des conflits live depuis les zones
d’affrontement, sont déterminantes dans la compréhension de
l’apparition de nouveaux risques.
Bibliographie
• Cottle S., « Keeping safe (r) in unruly, uncivil places: journalist
voices in a changing communications environment », dans
Cottle S., Sambrook R., Modsell N., (dir.), Reporting
Dangerously. Journalist killings, intimidation and security,
London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 145-167.
• Feinstein A., Journalists under fire: the psychological hazards of
war reporting, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006.
• Gürsel Z., Image Brokers, visualing world news in the age of
digital circulation, University of California Press, 2016.
• Harris J., Williams K., Reporting war and conflict, New York,
Routledge, 2019.
• Kampf Z., Liebes T., Transforming media coverage of violent
conflicts: The new face of war, New York, NY, Palgrave
Macmillan, 2013.
• Marchetti D., « L’internationale des images », Actes de la
recherche en sciences sociales, 2002, p. 71-83.
• Merrin W., Digital war, New York, Routledge, 2019.
• Paterson C., The international television news agencies, New
York, Peter Lang, 2011.
• Ruellan D., Reportères de guerre. Goûts et coûts, Paris, Presses
des mines, 2018.
• Sambrook R., « Protecting journalists: an evolving
responsability », dans Cottle S., Sambrook R., Modsell N., (dir.),
Reporting Dangerously. Journalist killings, intimidation and
security, London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 171-186.
• Thusu D.K., « Live tv and bloodless death: war, infotainement
and 24/7 news », dans Thussu D.K., Freedman D., (dir.), War
and the Medias. Reporting conflict 24/7, London, Sage
publications, 2003, p. 117-132.
• Tumb H., Webster F., Journalists under fire, Londres, Sage
publication, 2006.
Olivier Baisnée
S
i la visibilité et la notoriété des correspondants auprès de
l’Union européenne (UE) sont faibles, ce corps de presse
n’en représente pas moins l’un des plus grands
rassemblements journalistiques au monde. Si les chiffres fluctuent
en fonction des évolutions politiques (élargissements, Brexit), de
l’actualité (qui donne une centralité plus ou moins importante à
l’actualité communautaire : crise(s) économique(s), crise(s)
migratoire(s), pandémie) ou de la politique d’accréditation plus ou
moins restrictive, mais Bruxelles accueille depuis le milieu des
années quatre-vingt-dix entre 800 et 1 000 correspondants. Si la
majorité d’entre eux proviennent des États membres, les pays tiers
sont eux aussi représentés avec des contingents allant de quelques
dizaines de journalistes à un journaliste individuel. La situation est
donc relativement paradoxale et tient au contraste entre le
gigantisme de ce regroupement journalistique – parfois qualifié de
« plus grand corps de presse du monde » – et la place limitée
qu’occupe l’UE dans les médias avec des variations importantes
selon qu’il s’agit des médias audiovisuels ou de la presse écrite, de
médias élitaires ou grand public, de médias spécialisés ou
généralistes.
Brève histoire du corps de presse
des correspondants de l’Union européenne
Pour comprendre ce qu’est aujourd’hui cette place
d’information, il convient de donner quelques jalons historiques
concernant son émergence. Cela permet en effet de mieux
comprendre à la fois les pratiques de communication et le type de
journalisme qui y prévalent. Il semble que, dès les origines de la
construction européenne, il y ait eu une volonté de Jean Monnet et
de son entourage d’intéresser des journalistes à ces institutions et
au projet politique européen (Aldrin et Hubé, 2014). Alors que les
domaines d’action étaient, dans ce premier temps des
années cinquante, très limités (à l’énergie puis à l’établissement d’un
marché commun), l’idée était de s’appuyer sur la presse pour faire
exister un projet politique européen autrement plus ambitieux. Pour
ce faire, il fallait attirer à Luxembourg, puis à Bruxelles, des
journalistes qui donneraient une existence, ne serait-ce que de
papier, à cette construction politique. Un service de presse fut tôt mis
en place (avec à sa tête un proche de Jean Monnet : Jacques-René
Rabier) afin d’établir des relations stabilisées avec les journalistes et
communiquer de manière régulière sur ce que faisait la Haute-
Autorité. Cette volonté de constituer une communication autonome
fut d’ailleurs très mal prise par le gouvernement français qui en fit un
des casus belli dans le cadre la crise de la « chaise vide », en
considérant que la Haute-Autorité outrepassait son mandat. C’était
faire beaucoup de cas des 23 journalistes accrédités recensés
en 1955 mais on peut estimer, au regard des centaines d’accrédités
d’aujourd’hui, que ce pari fut réussi car ils étaient d’ores et déjà 256
en 1976 et 783 en 1995 (Conrad, 1994 ; Bastin, 2003).
Pour comprendre le type de journalisme qui va dominer jusqu’à
la toute fin des années quatre-vingt-dix, il est crucial de saisir ce qui
s’est joué dans ces années soixante-dix et qui pèsera durablement
sur les pratiques tant des sources institutionnelles que des
correspondants. Les journalistes qui devinrent alors correspondants
étaient fréquemment mus par un engagement européen développé
durant leurs études et gagnaient Bruxelles, comme beaucoup
d’autres qu’on retrouvera dans les institutions, pour participer de
cette aventure politique. C’est souvent le hasard ou l’opportunité qui
les firent devenir journalistes après, parfois, un passage en stage
dans les institutions. N’ayant pas d’expérience antérieure ou de
formation spécifique (c’était d’ailleurs largement le cas dans le
journalisme alors) ils feront l’apprentissage du métier en n’ayant
connu que cette actualité. Ces pionniers de la correspondance
européenne vont donc très largement « inventer » un poste qui, les
institutions étant nouvelles, n’avait pas de précédents. Ils y feront
valoir leurs compétences qui reposaient moins sur un savoir-faire
journalistique que sur une expertise (qui va devenir un redoutable
atout par rapport aux plus tard-venus) et un carnet d’adresses
inauguré dès leur arrivée à Bruxelles (les stagiaires côtoyés dans les
institutions gravissant eux-mêmes les échelons, devenant même
parfois commissaires). Certains de ces journalistes arrivés dans les
années soixante et 70 resteront en poste pendant plus de 30 ans, ce
qui explique que leur conception de la correspondance européenne
se soit imposée (et notamment aux autres journalistes). Cette
conception était faite d’un haut degré d’expertise de dossiers (suivis
parfois depuis leurs origines) et d’une conception très institutionnelle
de l’actualité européenne. Il s’agissait pour eux avant tout de rendre
intelligible ce que faisaient les institutions européennes, les rapports
qu’elles entretenaient, etc.
Pour ce faire, ces correspondants trouveront un terrain
d’exercice extrêmement favorable. On l’a dit, les institutions
communautaires (Haute-Autorité puis Commission européenne)
plaçaient de grands espoirs dans leurs relations avec la presse.
Elles mirent, en conséquence, en place une politique extrêmement
accueillante à leur égard. L’accréditation (qui reposait, notamment,
sur l’assurance de travailler pour un média réel, de résider à
Bruxelles ou sa périphérie et de l’attestation que son titulaire
couvrirait les questions européennes) offrait en effet un accès très
large aux sources. Outre les très nombreuses rencontres (dont le
très ritualisé rendez-vous de midi quotidien de la Commissions)
auxquelles les journalistes pouvaient assister, ceux-ci pouvaient très
largement naviguer dans les immeubles abritant les services (de
plus en plus nombreux et de plus en plus fournis) de la Commission.
Le quartier européen, qui regroupe physiquement les trois
institutions majeures de l’UE (Commission, Conseil et Parlement),
allait ainsi devenir le lieu de travail de ces correspondants (leurs
bureaux étant souvent situés dans ce même quartier) où, très
largement en groupe, ils se déplaceraient d’une conférence de
presse à une autre, déjeunant dans les restaurants fréquentés par
les fonctionnaires européens, etc. La facilité pratique qu’il y avait,
pour ces journalistes (souvent seuls pour leur média), à couvrir une
actualité par ailleurs de plus en plus foisonnante donnera une
centralité toute particulière aux sources institutionnelles et laissera
peu de place à un journalisme plus critique et d’investigation qui se
développa en France à partir des années quatre-vingt (Marchetti,
2000).
Bibliographie
• Aldrin Ph., Hubé N., « Parler au nom de l’Europe. Luttes
d’institutions et conflits de légitimités pour le porte-parolat de
l’“Union” », dans Aldrin Ph., Hubé N., Ollivier-Yaniv C., Utard J.-
M. (Ed.), Les médiations de l’Europe politique, Strasbourg, PUS,
2014, p. 49-76.
• Baisnée O., La production de l’actualité communautaire.
Éléments d’une sociologie comparée du corps de presse
accrédité auprès de l’Union européenne. Thèse de doctorat en
sociologie, Université de Rennes I, 2003.
• Baisnée O., « “En être ou pas”. Les logiques de l’entre soi à
Bruxelles », Actes de la recherche en sciences sociales,
vol. 166-167, n° 1, 2007, p. 110-121.
• Baisnée O., « The European Public Sphere Does Not Exist (At
Least It’s WorthWondering…) », European Journal of
communication, vol. 22, n° 4, 2007, p. 493-503.
• Baisnée O., Pouzadoux M., « Le corps de presse de l’Union
européenne 2000-2020 : permanences et transformations d’une
institution journalistique » à paraître dans Politique européenne,
2022.
• Bastin G., Les professionnels de l’information européenne à
Bruxelles. Sociologie d’un monde de l’information (territoires,
carrières, dispositifs), Thèse de doctorat en sociologie, École
normale supérieure de Cachan, 2003.
• Conrad Y., « De l’agence de presse au courtier en information.
Le rôle des agences de presse dans la diffusion de l’information
européenne », dans Felice Dasseto, Michel Dumoulin (dir.),
Naissance et développement de l’information européenne,
Euroclio, Peter Lang, 1994, p. 119-132.
• Georgakakis D. (dir.), Le Champ de l’Eurocratie : Une sociologie
politique du personnel de l’UE, Paris, Economica, 2012.
• Hubé N., Baloge M., « Coproduire les biens politiques.
Journalistes et politiques en comparaison dans des contextes
centralisés et fédéraux », Savoir/Agir, vol. 46, n° 4, 2018, p. 59-
66.
• Hubé N., « Communiquer l’Europe, Légitimer l’Europe. Les
enjeux historiques de l’opinion publique pour les institutions
européennes, dans Annuaire Français de relations
internationales, vol. XIX, 2018, p. 947-964.
• Hubé N., Salgado S., Puustinen L., « The Euro Crisis’ Actors and
their Roles. Politicization and Personalization of the Press
Coverage », Politique européenne, vol. 52, n° 2, 2016, p. 84-
113.
• Hubé N., « L’UE à la Une : un cadrage difficile d’une actualité
peu visible. Regard comparé sur la presse française et
allemande », dans Garcia G, Le Torrec V. (Ed.), L’Union
européenne et les médias. Regards croisés sur l’information
européenne, Paris, L’Harmattan, 2003.
• Laurens S., « Des entre-soi “cosmopolites” aux sociabilités
intenses ? Enquête sur l’individualisation paradoxale de la
pratique sportive dans un club bruxellois », Regards
Sociologiques, n° 43-44, p. 35-59, 2012.
• Laurens S., Les courtiers du capitalisme ; Milieux d’affaires et
bureaucrates à Bruxelles, Agone, 2015.
• Marchetti D., « Les révélations du « journalisme
d’investigation » », Actes de la Recherche en Sciences
Sociales, n° 131-132, mars 2000, p. 30-40.
• Marchetti D., « L’internationale des images », Actes de la
recherche en sciences sociales, vol. 145, 2002, p. 71-83.
• Ministère de la culture et Conseil supérieur de l’audiovisuel,
Médias et publicité en ligne : transfert de valeur et nouvelles
pratiques, rapport rédigé par le cabinet Bearing Point, 2018.
• Neveu E., Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte,
2001.
• Pilmis O., « Produire en urgence. La gestion de l’imprévisible
dans le monde du journalisme », Revue française de sociologie,
vol. 55, n° 1, 2014, p. 101-126.
• Roginsky S., Jeanne-Perrier V., « L’Europe sur les réseaux
sociaux », Communication & langages, vol.1, n° 183, 2015,
p. 25-30.
• Swasy A., How Journalists Use Twitter. The Changing
Landscape of U.S. Newsrooms, Londres, Lexington Books,
2016.
• Tixier F., Incarner l’Europe par et dans les médias. Les militants
d’information européenne et la construction d’un monde
transnational du journalisme européen, Thèse de doctorat en
sociologie, Université Libre de Bruxelles, 2019.
• Tixier F., « Concurrences et coopérations pour la production de
l’information européenne », Sur le journalisme, About
journalism, Sobre jornalismo, [S.l.], v. 8, n° 1, 2019, p. 40-53.
1. Les éléments qui suivent reprennent ceux développés dans : Baisnée Olivier et
Pouzadoux Marie, « Le corps de presse de l’union européenne 2000-2020 :
permanences et transformations d’une institution journalistique » à paraître dans
Politique européenne, 2022.
2. Voir par exemple l’article de presse de Stephen Castle, “As the E.U. Does More, Fewer
Tell About It”, New York Times, 22 mars 2010.
3. Cette injonction au sein de la bulle, Cécile Ducourtieux, correspondante du Monde à
Bruxelles de 2014 à 2019, en parle dans un article sarcastique publié dans son journal,
désormais connu de tous dans la capitale européenne : « À Bruxelles tu tweet ou tu
meurs », Le Monde, 2 décembre 2014. URL :
https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/12/03/a-bruxelles-tu-tweetes-ou-tu-
meurs_4533283_3214.html
4. Ce que montre bien le documentaire en deux parties de Yann-Antony Noghès diffusé sur
LCP : « Sommets dans le secret des négociations européennes ».
Questions à Tristan Mattelart
Julie Vayssière
Introduction
P
endant longtemps, une grande partie de la profession a
estimé que le journalisme ne pouvait s’apprendre que « sur
le tas » et exigeait un ensemble de compétences innées,
impossibles à acquérir sur les bancs d’une école, un « don »,
possédé uniquement par ceux « faits pour ce métier ». Cet idéal est
parfaitement incarné par le héros de Bel-Ami. Dans ce roman de
Maupassant, le personnage de Georges Duroy, un jeune provincial
ambitieux, se voit ouvrir les portes du journalisme sans avoir fait
d’études ou posséder une quelconque expérience du métier. À force
d’intrigues, il gravit les échelons jusqu’à devenir le rédacteur en chef
d’un grand quotidien.
Cette vision, bien ancrée au sein de la profession, est remise en
cause à la fin du XIXe siècle avec l’affaire Dreyfus. Celle-ci plonge le
pays dans une profonde crise politique et montre l’influence au sein
de la société française de la presse, devenue le relai des
affrontements entre les camps dreyfusard et antidreyfusard. C’est
dans ce contexte que l’École supérieure de journalisme de Paris voit
le jour. Créée en 1899 par l’écrivaine américaine Dick May, de son
vrai nom Jeanne Weill, elle est destinée moins à former des
professionnels de l’information qu’à fournir à la presse dreyfusarde
des journalistes aux idées républicaines, dotés d’un code
déontologique et d’une bonne culture académique.
L’initiative de Dick May n’est concurrencée qu’en 1924, avec la
création d’une autre École supérieure de journalisme, cette fois à
Lille. Née au sein des facultés catholiques, elle constitue selon le
sociologue Ivan Chupin la « riposte des catholiques » à l’école de
journalisme de Paris et aux idées du parti radical. Bénéficiant du
soutien de l’épiscopat, l’ESJ Lille forme des journalistes pour la
presse locale qui diffuse les idées politiques de l’Église. De ces deux
écoles, seule l’ESJ Lille est aujourd’hui reconnue par la profession.
Dans les années 1930, à l’instar de nombreuses professions, le
journalisme entame un mouvement de structuration. Deux syndicats,
le SNJ (Syndicat national des journalistes) et le SJF (Syndicat des
journalistes français, plus tard affilié à la CFDT) se battent pour le
monopole de la représentation, investissent les écoles et obtiennent
en 1935 la création d’un statut professionnel. Cependant, face aux
sceptiques de la « formation sur le tas », ces deux écoles peinent à
imposer leur modèle. À la Libération, le journaliste et ancien
résistant Philippe Viannay fonde, en 1946, le Centre de formation
des journalistes (CFJ), une école réunissant syndicats et patronat,
axée sur l’apprentissage pratique du métier. Il ouvre ainsi la voie à
une pédagogie proche de la formation « sur le tas ».
Puis, dès les années 1960, les écoles privées se confrontent à
une concurrence universitaire. À partir de là, les formations se
multiplient pour atteindre aujourd’hui près d’une centaine, entre
écoles établies, cursus universitaires et formations privées non
reconnues par la profession. Pour réguler cette offre de plus en plus
diverse, la CPNEJ (Commission paritaire nationale de l’emploi des
journalistes) est fondée en 1976, regroupant des représentants de
chaque syndicat représentatif des journalistes et un même nombre
de délégués patronaux. Créée à l’origine pour se préoccuper du
chômage et du reclassement des journalistes, elle s’impose dès les
années 1990 comme un organe de contrôle du marché de la
formation.
C’est cette instance professionnelle paritaire qui instruit les
demandes de reconnaissance de la profession, uniquement sur des
cursus en formation initiale délivrant un diplôme spécifique et agréés
par le ministère de l’Éducation nationale. Son label, réexaminé tous
les cinq ans, repose sur un ensemble de critères (équilibre entre
cours théoriques et pratiques professionnelles, insertion sur le
marché du travail, stages en entreprise…) reflétant les attentes
supposées de l’ensemble de la profession, et permettant d’exercer
dans tous les types de médias.
La « voie royale »
Face à un marché du travail de plus en plus exigeant, les écoles
de journalisme dites « reconnues » s’imposent de plus en plus
comme la « voie royale » d’entrée dans une profession au marché
très concurrentiel. Selon les chiffres de la CCIJP (Commission de la
carte d’identité des journalistes professionnels), en 2019, 20 % des
journalistes détenteurs de la carte de presse étaient issus d’un
cursus reconnu. Ils n’étaient que 12 % en 2000, et leur nombre n’a
fait qu’augmenter en près de 20 ans, alors que celui des journalistes
issus d’un cursus non reconnu a légèrement diminué.
Sur ce marché, les écoles de journalisme reconnues
revendiquent une offre de formation à la fois théorique et pratique,
une insertion professionnelle privilégiée, une durée de stage pour la
carte de presse réduite à un an, au lieu de deux pour les non-
diplômés, ce qui veut dire aussi une meilleure rémunération. Enfin,
un accès garanti à des bourses réservées aux écoles, facilitant aussi
l’insertion professionnelle. Et bien sûr, un réseau d’anciens en poste
dans de nombreux médias.
Les écoles reconnues ont accès aux médias qui recrutent par
concours, et pour pouvoir passer ces concours, il faut être étudiant
dans l’un des quatorze cursus. Dans la liste : la bourse Jean-
Baptiste Dumas de RTL, le prix Patrick Bourrat pour TF1-LCI, le prix
MoJo de M6, le défi BFM, le prix Bourrat de France Télévisions, la
bourse Lauga-Delmas d’Europe 1, la bourse René Payot des radios
francophones publiques, la bourse d’Arcy de France 2, le prix
Jacques Gaudet de L’Équipe.
Chaque année, nombreux sont les candidats aux écoles de
journalisme, et peu sont les lauréats, lesquels se confrontent ensuite
à la réalité du métier qui peut parfois être dure. À une époque où les
médias subissent toujours plus de concentration et embauchent peu
(un phénomène exacerbé par la pandémie de Covid-19), il est
parfois difficile de s’extraire d’un début de carrière précaire. Une
précarité qui repose sur des salaires bas pour les entrants. En 2019,
d’après l’Observatoire des métiers de la presse, les premiers
demandeurs de carte de presse étaient à près de 28 % en CDI,
23,1 % en CDD et 48,4 % pigistes. Avec un revenu mensuel brut
médian de 2 400 euros en CDI, 1 659 euros en CDD et 1 689 euros
en tant que pigiste. En 2019, d’après la CFDT, le prix moyen de la
pige en presse écrite est de 66,98 euros.
Dans le livre Hier journalistes, ils ont quitté la profession
(Entremises, 2021), Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat publient
les résultats pour le moins surprenants d’une enquête. La durée
moyenne des carrières de journalistes est de 15 ans, le nombre de
détenteurs de carte de presse a reculé de 10 % (un rythme qui a
doublé en 2020), et le sujet de discussion omniprésent au sein de la
profession concerne la question « pourquoi je quitte le
journalisme ? » L’ouvrage tire d’abord le portrait des personnes
impliquées et s’intéresse ensuite à la question du pourquoi.
Carte d’identité
■ Statut : École publique, interne à l’université Paris-Sorbonne.
■ Formation : Formation en deux ans, accessible sur concours à
Bac+3. Environ 30 places.
■ Diplôme délivré : Master professionnel.
■ Coût de la formation : 261,10 euros + frais de contribution à la vie
universitaire et de campus (CVEC) pour les non-boursiers.
■ Inscription au concours : 30 euros pour les candidats boursiers,
70 euros pour les candidats non-boursiers.
■ Alternance : 10 ou 15 places en deuxième année.
■ Stages : Deux mois obligatoires en presse quotidienne régionale
ou locale à la fin du premier semestre (février-mars) + deux mois
supplémentaires entre la première et la deuxième année (juin-
septembre) en presse, radio, TV ou web + stage de spécialisation
(sauf alternance) de minimum trois mois en fin de deuxième
année.
■ Contact :
77 rue de Villiers
92200 Neuilly-sur-Seine
Téléphone : 01 46 43 76 76
L’école
Le Celsa fait partie de la Sorbonne et offre une formation en
deux ans avec son Master Journalisme ouvert aux étudiants ayant
validé 180 ECTS. Celui-ci offre une formation généraliste la première
année, et une spécialisation la deuxième année. Le Celsa offre
également la possibilité d’un apprentissage en deuxième année de
master intitulé « Journalisme et innovation », qu’il n’est possible de
suivre qu’après avoir suivi la première année du Master Journalisme.
En deuxième année, le Celsa propose toujours des cours
généralistes, et le développement d’une « bi compétence » :
radio/podcast, presse/web, TV/vidéo.
Le dossier de synthèse
Celui-ci se compose de plusieurs documents portant sur un
thème d’actualité. Quelles sont les attentes pour ce dossier ? « On
attend une expression claire, une capacité à percevoir le dossier
dans son entièreté », explique Valérie Jeanne-Perrier. « La difficulté
réside dans le fait de réussir à traduire la totalité d’un sujet sans rien
mettre de côté. »
L’épreuve de créativité
À partir d’un document iconographique, c’est l’occasion de se
« lâcher » dans l’écriture, tout en restant vigilant sur la grammaire et
l’orthographe. Cette épreuve permet de sortir des sentiers battus des
exercices journalistiques, plus cadrés, et de laisser libre cours à sa
plume.
Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier + concours
(50 places).
■ Diplôme : Bac+5 + possibilité d’un Master en partenariat avec
l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne ou Master Datajournalisme
en partenariat avec Sciences Po Lyon.
■ Coût de la formation : 6 790 euros pour les candidats non-
boursiers, 2 750 euros pour les boursiers.
■ Inscription au concours : 299 euros.
■ Alternance : Sur deux ans ou en deuxième année.
■ Stages : Deux à trois mois en presse quotidienne régionale à
l’issue de la première année (juin-septembre) + au moins deux
stages de spécialisation d’une à quatre semaines en fin de
deuxième année. L’étudiant peut également effectuer d’autres
stages lors de sa scolarité en respectant une durée totale de
26 semaines maximum (stages obligatoires compris).
■ Contact :
210 rue du Faubourg Saint-Antoine
75012 Paris
Téléphone : 01 44 09 42 02
L’école
Le CFJ a la particularité de proposer des cursus différents à ses
étudiants, par le biais de doubles diplômes. Ainsi ses jeunes recrues
peuvent choisir d’effectuer un master universitaire en partenariat
avec l’UFR de science politique de l’Université Paris I Panthéon-
Sorbonne ou un master en Datajournalisme avec Sciences Po Lyon.
Un troisième partenariat avec l’École nationale supérieure (ENS)
permet aux étudiants qui le souhaitent de suivre des cours de
langues dites rares. D’autres accords sont également en cours avec
Google, HEC, l’ESCP, l’ISIT ou l’Université de Laval au Québec.
En 2016, le CFJ lance son école pluridisciplinaire W, qui
propose plusieurs formations liées aux métiers de l’information et de
la communication, notamment des classes préparatoires aux
différents concours des 14 écoles, et un Bachelor en trois ans à
l’instar de l’Académie de l’ESJ Lille. Les étudiants inscrits à ce
Bachelor peuvent ensuite prétendre directement aux épreuves
d’admission orales du CFJ, sans se soumettre à l’admissibilité sur
dossier.
Carte d’identité
■ Statut : Cursus universitaire, rattaché à l’université de Strasbourg.
■ Formation : Formation en deux ans, accessible sur concours à
Bac+3. Entre 50 et 60 places.
■ Diplôme délivré : Master professionnel de journalisme.
■ Coût de la formation : 243 euros + frais CVEC pour les non-
boursiers (frais universitaires en vigueur au niveau master).
■ Inscription au concours : 91 euros.
■ Alternance : Possible en deux ans ou seulement en deuxième
année.
■ Stages : Huit semaines obligatoires en presse quotidienne
régionale entre la 1re et la 2e année.
■ Contact :
Université de Strasbourg | Bâtiment l’Escarpe
4 rue Blaise Pascal 67081
Strasbourg Cedex
contact@cuej.unistra.fr
L’école
La première année est une formation « généraliste et
plurimedia » et permet d’approfondir sa culture générale dans des
domaines jugés indispensables au journalisme (économie, droit de
la presse, etc.). Les enseignements techniques ont pour but les
fondamentaux du métier : rechercher, traiter et éditer l’information.
En deuxième année, des spécialisations thématiques et média sont
au programme : Europe et international, police/justice et questions
de société, et radio, presse écrite et télévision, ancrées dans le
multimédia. L’école fait la part belle à l’Union européenne, rien
d’étonnant vu sa localisation. Chaque année, le CUEJ délocalise la
fin de son cursus à l’étranger et emmène ses étudiants dans un
autre pays pour de nombreuses productions diffusées par la suite,
même si ce projet a été interrompu pendant la crise sanitaire.
L’école offre aussi un double diplôme franco-allemand avec
l’Université de Fribourg, aux élèves qui maîtrisent la langue
allemande. À l’issue du cursus, ils sont diplômés des deux
universités.
Carte d’identité
■ Statut : École publique (universitaire).
■ Formation : Formation en trois ans, accessible après un Bac
général ou technologique.
■ Diplôme délivré : Bachelor universitaire de technologie en
information et communication option journalisme.
■ Coût de la formation : 170 euros + frais CVEC pour les non-
boursiers.
■ Inscription au concours : gratuite, sur parcoursup.fr.
■ Alternance : Non.
■ Stages : 22 à 26 semaines sur trois ans.
■ Contact :
Campus universitaire George Méliès sur le site de Bastide Rouge
214, avenue Francis Tonner
06150 Cannes-La-Bocca
iut.dept-infocom.journalisme@univ-cotedazur.fr
Téléphone : 04 89 15 33 03
L’école
L’école de journalisme de Cannes, créée en 2013, dépend de
l’IUT Nice-Côte d’Azur (Université de Nice Sophia Antipolis). Son
département Information-Communication offre deux parcours, dont
un parcours journalisme.
L’école délivre désormais un BUT, un Bachelor universitaire de
technologie qui comprend 22 à 26 semaines de cours, réparties sur
trois ans. La formation offre des cours théoriques, des ateliers
pratiques, et même des semaines d’intensive (radio, presse écrite-
web et télévision).
L’école propose aussi une licence professionnelle Métiers de
l’information : métiers du journalisme et de la presse, dont le but est
« de former les étudiants à l’écriture audiovisuelle de l’actualité sur le
plan de la rédaction/conception du sujet, mais aussi sur le plan de la
maîtrise technique de la réalisation et de la diffusion. » Cette licence
propose une spécialisation dans l’audiovisuel, elle prépare ainsi aux
métiers de journaliste reporter d’images, journaliste rédacteur, et au
MoJo (mobil journalism) à partir de smartphones, pour les
télévisions, le web et les sociétés de production audiovisuelle.
Carte d’identité
■ Statut : Partenariat public/privé entre l’Université de Grenoble
Alpes et Sciences Po Grenoble.
■ Formation : Deux ans, accessible à Bac+3.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : 1 300 € par an pour les deux diplômes,
gratuit pour les boursiers.
■ Inscription au concours : 50 euros.
■ Alternance : Non.
■ Stages : Deux mois en fin de première année (dont au moins
4 semaines en presse quotidienne régionale), trois mois en fin de
deuxième année + possibilité d’obtenir des conventions pour les
autres périodes de vacances scolaires.
■ Contact :
École de journalisme de Grenoble
Institut de la communication et des médias
11 avenue du 8 mai 1945
38130 Échirolles
contact@ejdg.fr
Téléphone : 04 56 52 87 30
L’école
L’École de journalisme de Grenoble dépend à la fois de
l’Université de Grenoble et de Sciences Po Grenoble. À l’issue des
deux années de formation, l’étudiant reçoit un diplôme de l’école et
un diplôme de Sciences Po. L’école est aussi engagée pour l’égalité
des chances car elle soutient La Chance, pour la diversité dans les
médias.
Le cursus propose des enseignements à la fois théoriques et
pratiques sur le journalisme. Les étudiants se spécialisent en
deuxième année, en radio, presse écrite et agence, et télévision.
D’après l’école, le journalisme est fondé sur l’éthique de
l’enquête qui nécessite l’apprentissage de techniques
d’investigation, d’une déontologie du journalisme et de mises en
situation professionnelle avec les stages.
Carte d’identité
■ Statut : École publique interne à Aix-Marseille Université.
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours
(30 places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais d’inscription à l’université 243 €
+ frais CVEC.
■ Inscription au concours : 76 euros.
■ Alternance : Possibilité d’alternance en deux ans par contrat de
professionnalisation (une dizaine de places).
■ Stages : Au moins huit semaines par année.
■ Contact :
École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille
21, rue Virgile Marron CS 80 071
13392 Marseille Cedex 05
Téléphone : 04 91 24 32 00
L’école
Le Master en journalisme proposé par l’EJCAM est l’une des
plus petites promotions parmi les 14 écoles reconnues avec une
vingtaine d’étudiants seulement, ce qui permet de travailler en
groupes réduits comparés à des promotions de 50 ou 60 étudiants. Il
se déroule en deux années, un master 1 généraliste lors duquel les
étudiants découvrent l’ensemble des pratiques journalistiques et se
familiarisent avec leurs techniques, puis une seconde année basée
sur une double spécialisation : en plus de la presse écrite, chaque
étudiant choisit une spécialité (audiovisuel ou web). Ces cours
pratiques sont adossés à un corpus théorique et universitaire, l’école
étant intégrée à Aix-Marseille Université. Il est en outre possible pour
les étudiants de l’EJCAM de poursuivre des études après leur
master, notamment via un Doctorat « Mutations du journalisme et
environnements médiatiques » au sein de l’Institut méditerranéen
des Sciences de l’Information et de la Communication (ISMIC).
Carte d’identité
■ Statut : École privée (interne à Sciences Po Paris).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier (environ 50
places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : entre 0 et 18 260 € selon le revenu
référence du foyer fiscal, droit moyen de 6 750 €. Engagement de
30 % de boursiers exonérés de droits d’inscription.
■ Inscription au concours : 150 € (possibilité d’exonération pour les
boursiers).
■ Alternance : Oui pour le Master Journalisme (en deuxième année
ou sur les deux ans), non pour le Master Journalisme et affaires
internationales.
■ Stages : 16 semaines minimum.
■ Contact :
École de journalisme de Sciences Po | 3e étage
117, boulevard Saint Germain
75006 Paris
ecole.journalisme@sciencespo.fr
Téléphone : 01 45 49 83 07
L’école
Par son ancrage dans l’institut d’études politiques, l’identité de
l’école est tournée vers l’international. Un tiers des étudiants vient de
l’étranger. En plus de son Master Journalisme, l’école propose
également un Master Journalisme et affaires internationales, mais
aussi un double master avec l’Université de Columbia, aux États-
Unis.
Un sondage réalisé sur les promotions de 2005 à 2020
démontre que 98 % de ses anciens étudiants travaillent à la sortie
de l’école, dont 55 % en CDI. « La formation académique de
Sciences Po nécessite que les élèves soient en capacité de suivre
des cours niveau master en économie, en géopolitique etc. Par
rapport à d’autres écoles qui sont surtout professionnalisantes, notre
parcours généraliste sur les enjeux de demain est assez important »,
explique Alice Antheaume, la directrice de l’école.
Créée en 2003, l’école est également très tournée vers le
numérique. Si vous êtes intéressé par les algorithmes ou
l’intelligence artificielle, ce cursus est fait pour vous. « Pour produire
des contenus sur des formats numériques, mais pour comprendre
aussi les enjeux autour du numérique, les dilemmes moraux qui le
traversent. Il faut aussi avoir envie de développer un carnet
d’adresses dans ce domaine. »
Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans et demi, admission sur concours à Bac+2
ou Bac + deux ans d’expérience professionnelle.
■ Diplôme : Diplôme de l’EJT reconnu par la profession.
■ Coût de la formation : 4 250 euros en première et en deuxième
année, 3 000 euros en troisième année.
■ Inscription au concours : 100 euros.
■ Alternance : En deux ans (pendant la deuxième et la troisième
année).
■ Stages : Deux à trois mois en presse quotidienne régionale à
l’issue de la première année (juin-septembre) + deux mois en fin
de deuxième année + deux mois en fin de troisième année.
■ Contact :
École de journalisme de Toulouse (EjT)
31, rue de la Fonderie
31000 Toulouse
infos@ejtprod.fr
Téléphone : 05 62 26 54 19
L’école
Le rythme des enseignements de l’école de Journalisme de
Toulouse diffère quelque peu de celui de ses consœurs. La
formation, sur trois ans, a lieu les deux premières années d’octobre
à mai, et d’octobre à décembre la troisième année. L’école souhaite
ainsi laisser à ses étudiants du temps pour des stages, ainsi qu’aux
bourses et prix auxquels ils peuvent prétendre. Pendant ce cursus,
les étudiants bénéficient d’un renforcement de la culture générale
grâce à des cours thématiques, d’une découverte des médias
jusqu’à la spécialisation après un tronc commun radio et télévision,
en plus de l’écriture presse et web en dernière année.
À la place du semestre de spécialisation, les étudiants titulaires
d’une licence ou d’une première année de master en droit
poursuivent à Aix-en-Provence la formation au Master professionnel
de Journalisme juridique, dispensée par la Faculté de Droit et de
Science politique de l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III.
Carte d’identité
■ Statut : École publique (rattachée à l’Université et à l’IUT de
Tours).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours
(36 places).
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais universitaires, 243 euros par an
+ frais CVEC.
■ Inscription au concours : Gratuite pour les boursiers, 30 euros
pour les non-boursiers.
■ Alternance : Possible en deuxième année.
■ Stages : 16 à 22 semaines, dont 8 semaines obligatoires en
presse quotidienne régionale en fin de première année.
■ Contact :
École publique de journalisme de Tours
IUT de Tours
29, rue du Pont-Volant
37082 Tours
contact@epjt.fr
Téléphone : 02 47 36 75 72
L’école
L’EPJT offre une formation en deux ans, avec un master à la
clé. En première année, la formation s’organise autour d’un tronc
commun généraliste jusqu’au début de la deuxième année. Ensuite,
en M2, les étudiants se spécialisent en radio, presse print/web ou
télévision et suivent l’un des parcours suivants :
■ Éducation aux médias et à l’information (EMI).
■ Journalisme et Coopération internationale.
■ Journalisme en Scène.
■ Journalisme et Territoires.
■ Débats et Conférences.
■ Journalisme et alimentation.
L’école propose aussi un DU (diplôme universitaire) en
Journalisme Web Multimédia, chaque année, de mars à juin
(informations d’inscription à compter de septembre sur EPJT.fr).
Carte d’identité
■ Statut : École privée (association à but non lucratif).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier.
■ Diplôme : Diplôme de l’ESJ Lille et diplôme de Sciences Po Lille
(conférant le grade de Master).
■ Coût de la formation : Entre 0 et 7 000 euros par an selon le
revenu fiscal du foyer de référence.
■ Inscription au concours : 275 euros.
■ Alternance : Possible en deuxième année.
■ Stages : Deux mois en presse quotidienne régionale à l’issue de la
première année (juin-août) + deux mois en fin de deuxième année.
■ Contact :
École supérieure de journalisme de Lille
50 rue Gauthier-de-Châtillon
59046 Lille Cedex
contact@esj-lille.com
Téléphone : 03 20 30 44 00
L’école
Créée en 1924, l’ESJ Lille est, parmi les 14 écoles, la plus
ancienne. Le partenariat avec l’Institut d’études politiques de Lille
permet aux étudiants de sortir de l’école avec un double diplôme,
l’un délivré par l’ESJ, l’autre par Sciences Po Lille. Grâce à cet
accord entre les deux institutions, la formation est à la fois théorique
(cours d’histoire et de sociologie du journalisme, session de
déontologie…) et pratique. En plus des cours techniques, une
semaine de création de médias est programmée, ou encore des
projets personnels ou collectifs à moyen terme, comme le média Lui
président, qui existe depuis la présidence de François Hollande
(https://www.luipresident.fr/) ou la newsletter des médias « La
Média’tech ».
En plus de son master généraliste, l’ESJ compte d’autres
filières :
■ Une formation journalisme scientifique (filière intégrée dès
l’année prochaine au master généraliste, les études dureront
deux années au lieu d’une).
■ Une licence professionnelle de journalisme de proximité PHR
(presse hebdomadaire régionale).
■ Une licence professionnelle de journalisme sportif.
■ Un M2 à distance « Climat et médias ».
L’ESJ Lille possède aussi son propre dispositif d’initiation au
journalisme post-bac, « l’Académie ESJ ». Cette formation est en
partenariat avec l’Université de Lille et permet, lors des deux
premières années, de s’initier au métier de journaliste et au monde
des médias. La troisième année est une année de préparation des
concours aux écoles. Les étudiants suivent un cursus universitaire et
ont, en plus, dix heures de formation à l’ESJ Lille par semaine.
Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Paris-Panthéon-Assas).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Frais universitaires 243 euros par an + frais
CVEC.
■ Inscription au concours : 18 euros.
■ Apprentissage : Possible en deuxième année.
■ Contact :
Université Paris-Panthéon-Assas
Institut français de presse (IFP) Journalisme
92 rue d’Assas
Bâtiment Notre-Dame-des-Champs | 2e étage
75006 Paris
https://ifp.u-paris2.fr
Téléphone : 01 44 41 57 63
L’école
L’Institut français de presse fait partie du département
d’Information et Communication de l’Université Paris-Panthéon-
Assas, qui propose de nombreuses formations. Le parcours en
Journalisme propose en deux ans une formation partagée entre
enseignements généraux et pratiques la première année, et une
spécialisation en deuxième année. En M2, les étudiants suivent
toujours un tronc commun et doivent choisir en plus une majeure et
une mineure parmi les spécialisations presse, radio ou télévision.
L’enseignement « web » est obligatoire pour tout le monde.
Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Bordeaux Montaigne).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur concours.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : 243 euros par an + frais CVEC 92 euros
(remboursement pour les boursiers).
■ Inscription au concours : 75 euros pour les non-boursiers.
■ Alternance : Sur deux ans ou en deuxième année.
■ Stages : Deux mois en presse quotidienne régionale à l’issue de la
première année (juin-août) + deux mois en fin de deuxième année.
■ Contact :
Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine
1 rue Jacques Ellul
33080 Bordeaux Cedex
journalisme@ijba.u-bordeaux-montaigne.fr
Téléphone : 05 57 12 20 20 – 05 57 12 20 21
L’école
Depuis 2006, l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)
fait partie de l’université Bordeaux Montaigne. En première année,
un solide apport théorique sur le journalisme (histoire, éthique, etc.)
est délivré et l’accent est mis sur le multimédia. Les étudiants
participent également à la conception de projets publiés dès la
première année, comme le Data Journalism Lab, projet de
journalisme data au service de l’investigation à toutes les échelles.
Comme dans beaucoup d’écoles maintenant, les étudiants sont
formés au MoJo, le Mobil Journalism impliquant de la vidéo et du
montage à partir d’un simple smartphone.
En deuxième année, les étudiants choisissent une spécialisation
(presse écrite, radio ou télévision), avec une possibilité d’alternance.
Au bout de ces deux de formation, un Master de Journalisme de
l’Université Bordeaux Montaigne est délivré aux étudiants.
L’IJBA soutient également l’association La Chance, pour la
diversité dans les médias.
Carte d’identité
■ Statut : École publique (Université Paris Dauphine-PSL).
■ Formation : Deux ans, admission à Bac+3 sur dossier + concours.
■ Diplôme : Master.
■ Coût de la formation : Entre 243 et 6 630 euros par an (en
fonction du revenu du foyer fiscal de référence).
■ Inscription au concours : 256 euros pour les non-boursiers.
■ Alternance : Possible sur deux ans.
■ Contact :
Institut pratique du journalisme (OPJ) Paris Dauphine | PSL
24, rue Saint-Georges
75009 Paris
contact@ipj.eu
Téléphone : 01 72 74 80 00
L’école
Reconnu par la profession depuis 1993, l’Institut pratique du
journalisme (IPJ) est un département de l’Université Paris Dauphine.
La première année fait la part belle aux fondamentaux des genres
journalistiques et de l’écriture audiovisuelle. Les étudiants acquièrent
un socle solide en économie, en data journalisme et apprennent les
techniques de l’enquête. En deuxième année, il existe trois parcours
différents : journalisme économique et social, journalisme politique et
social et journalisme international européen. Différentes options de
spécialisations se présentent en deuxième année : télévision, radio,
écritures digitales et de l’enquête. L’école met l’accent sur le
journalisme économique et scientifique via différentes passerelles
avec l’université et le groupe de grandes écoles Paris Sciences et
Lettres (PSL).
IUT de Lannion
Carte d’identité
■ Statut : École publique (Institut universitaire de technologie de
Lannion).
■ Formation : Trois ans, accessible après un Bac général ou
technologique sur parcoursup.fr.
■ Diplôme : Bachelor universitaire de technologie (BUT).
■ Coût de la formation : 170 euros par an + frais CVEC.
■ Stages : Quatre semaines obligatoires minimum en presse
quotidienne ou hebdomadaire régionale en première année
+ possibilité de faire des stages pendant les vacances scolaires
(d’une durée au maximum de deux semaines pour les stages non
rémunérés).
■ Contact :
BUT Information-Communication parcours Journalisme
Institut universitaire de technologie de Lannion
Rue Édouard Branly
22300 Lannion
nathalie.jezequel@univ-rennes1.fr
Téléphone : 02 96 46 93 81
L’école
La formation, dispensée en trois ans, contient cours magistraux,
travaux dirigés et travaux pratiques. Des semaines entières sont
dédiées à la pratique radiophonique et télévisuelle, alliant
connaissances théoriques et enseignements pratiques. D’abord des
sujets courts, puis des reportages et des productions plus longues et
plus travaillées. Des semaines d’intensive en fin de deuxième année
permettent de se spécialiser en radio, télé, print ou web.
Écrire son CV
Le curriculum vitæ est LE document sur lequel le jury va se
fonder pour l’oral de motivation. Au CUEJ, le CV et la lettre de
motivation constituent même une première étape d’écrémage avant
les épreuves d’admissibilité en ligne, ces documents sont donc
cruciaux.
Dans le CV, vous inscrivez des éléments qui vont susciter la
curiosité du jury, donc sur lesquels vous serez questionné et pourrez
rebondir. Excluez ce que vous n’arriveriez pas à valoriser le jour de
l’oral. Que voulez-vous que le jury retienne à votre sujet, en
parcourant votre CV ? Ne négligez aucune section : parcours
académique, expériences professionnelles, activités extra-
curriculaires, engagement associatif ou politique. Une réorientation,
ou même une reconversion jalonne votre histoire ? Soyez prêt à
argumenter : ce qui peut sembler être une erreur de parcours peut
jouer en votre faveur et devenir une force. Attention, tout ce que
vous mettez dans votre CV doit pouvoir être justifié.
Il n’y a pas de CV tout fait, ni de réponse toute faite. N’oubliez
pas aussi que le contenu de votre CV et la manière dont vous
présentez les choses doivent en être en cohérence avec votre future
profession de journaliste. Vous avez dû travailler lors de vos études :
qu’est-ce que cela dit de vous ? Vous êtes encarté dans un parti ou
vous êtes engagé dans une association : comment allez-vous en
parler au jury ?
Pas de CV à rallonge : votre parcours doit tenir sur une page.
Soyez à la fois concis et précis, votre CV doit être lisible et aéré. Le
but n’est pas de tout mettre, mais d’inscrire le plus important et ce
qui est en adéquation avec votre personnalité.
Sur la forme
Pas besoin d’être ultra-créatif ou original, mais la forme compte
car c’est ce qui attire ou non notre attention au premier coup d’œil.
Soyez sobre dans la mise en page. Utilisez des rubriques :
« parcours académique », « expériences professionnelles »,
« engagement associatif ou politique », « loisirs », etc., organisées
de manière cohérente et aérée. N’abusez pas des icônes et bullets
points. Soyez intransigeant sur l’orthographe et toute sorte de faute,
ne multipliez pas les styles typographiques au risque de polluer la
lecture de votre CV.
Faites lire et relire votre CV, afin de vous assurer qu’il n’y ait
pas de faute de ponctuation, d’orthographe et/ou de syntaxe.
Entraînez-vous à présenter votre CV et votre parcours à vos
proches. Que ressentent-ils à la première lecture ? Quelle image de
vous le document donne-t-il ? Quelles sont les premières
informations qui s’en dégagent ? Sont-elles bien celles que vous
voulez faire passer en premier ? Ne laissez rien de côté.
Rencontrer un journaliste
Vous n’avez pas pu faire de stage mais vous souhaitez vous
frotter de plus près à la profession et ses acteurs ? Qu’il travaille
pour la presse locale, ou pour un journal national ou une revue
mensuelle, que vous le rencontriez en vrai ou via Twitter, l’important
pour vous est de l’entendre parler de son métier, du terrain, de ce
qui, pour lui, fait un bon journaliste. Cette rencontre enrichira votre
connaissance du métier, vous donnera une meilleure idée de ce que
vous souhaitez faire ou pas, affinera votre projet professionnel.
L’actualité
Pendant longtemps, l’épreuve d’actualité a été une épreuve
incontournable des écoles de journalisme. Mais depuis l’évolution
des épreuves d’admissibilité avec la crise du Covid, exit l’exigeant
QCM d’actu pour beaucoup d’écoles. Bien évidemment, il est
toujours essentiel qu’un futur journaliste se tienne informé de ce qu’il
se passe dans le monde.
Préparer cette épreuve, à l’oral ou à l’écrit signifie couvrir l’actu,
toute l’actu, et sur une période de plusieurs mois avant le début des
épreuves (idéalement, dès septembre/octobre). Une préparation
rigoureuse vous permettra de faire la différence face à des étudiants
qui l’auront négligée. Attention aux impasses, vous devez être
capable de vous exprimer sur tous les sujets : en 2021-2022, le
candidat devait avoir suivi les jeux olympiques de Pékin, le
métavers, la situation en Ukraine, et bien sûr, l’élection
présidentielle. Enfin, soyez très attentifs à l’orthographe des noms
propres. Difficile de vous pardonner l’orthographe incorrecte du nom
d’une personnalité présente dans l’actualité.
1. L’actualité à l’écrit
2. L’actualité à l’oral
Les candidats doivent garder en tête que pour de nombreuses
écoles, l’actualité est aussi testée à l’oral. Pas question donc
d’abandonner le fichage et les révisions d’actu, qui doivent continuer
après les épreuves d’admissibilité. Ne négligez pas l’actualité,
jusqu’à la dernière minute. Certaines écoles aiment interroger sur les
infos du matin même, ne faites donc pas l’impasse. Écoutez la radio,
regardez les grands titres de presse du jour même, gardez un œil
sur Twitter, et ce même jusqu’à l’heure de votre oral. Votre capacité
à hiérarchiser et à contextualiser les informations sera testée : si l’on
vous demande les trois infos importantes du matin même, penser à
organiser votre pensée : la première actu présentée doit être la plus
importante, généralement la plus proche géographiquement et la
plus suivie.
La crise du Covid-19 ayant obligé les écoles à organiser
également la phase d’admission à distance, celles-ci ont parfois
diminué le nombre d’oraux. C’est le cas de l’ESJ Lille, dont la phase
d’admission comptait trois oraux auparavant, pour n’en compter plus
qu’un, un oral unique qui regroupe connaissance de l’actualité
(comptant pour 40 %) et motivation (comptant pour 60 % de la note
finale). En toute logique, un candidat motivé pour entrer en école de
journalisme est un candidat qui suit scrupuleusement l’actualité.
Au CFJ, l’oral d’actualité se divise en une question majeure,
suivie par d’autres questions plus courtes, avec une en anglais. Sur
la question majeure, le candidat doit s’exprimer longuement, et donc
posséder une capacité à organiser sa pensée. La préparation en
présentiel dure cinq minutes, « pas assez pour se remettre à niveau
sur un sujet qui n’a pas été vu pendant l’année », d’après David
Strauss, le directeur adjoint du CFJ. Les questions qui suivent sont
extrêmement précises, comme des chiffres. L’exemple de question
longue que les correcteurs aiment mentionner pour les années 2020
et 2021 ? La vaccination. « En 2021, il fallait donc savoir ce qu’était
un vaccin à ARN messager, ce qu’était un variant mais aussi quels
étaient les enjeux de l’achat des vaccins par l’Europe », continue
David Straus. « Ensuite, on questionne sur des faits un peu plus
lointains : y a-t’il eu au cours de l’histoire d’autres campagnes de
vaccination, d’autres épidémies ? C’est comme ça que nous testons
aussi la culture générale du candidat. On aurait également pu
demander comment fonctionne un virus, par rapport à une
bactérie. »
3. Plus de sources
Vous avez déjà l’habitude de lire votre quotidien national favori
ou de regarder le 20 heures de TF1 tous les jours ? Si vous êtes
déjà un élève assidu sur l’actualité, continuez ainsi, systématiser
cette veille et diversifiez vos sources. Tournez-vous vers des médias
vers lesquels vous n’avez pas l’habitude d’aller. Sortez également
des sentiers battus des médias traditionnels et n’hésitez pas à sortir
de votre zone de confort, ne serait-ce que pour confronter les
différentes approches de l’actualité.
Voici le conseil de Pierre Savary, directeur de l’ESJ Lille :
« L’actu s’écoute, se lit et se regarde. Il faut s’intéresser à l’actu pour
essayer de comprendre, de tirer les fils concernant chaque sujet.
Cela signifie être curieux de ce que l’on ne connaît pas. » Y a-t’il des
médias qui peuvent faciliter la tâche ? « Il y a des portes d’entrée
assez facile maintenant. Des médias que l’on peut qualifier de
vulgarisateurs. Comme ce qui se fait dans la presse jeunesse et
adolescente, on peut y trouver des résumés d’actu, » ajoute Pierre
Savary.
Les abonnements aux quotidiens nationaux, ainsi qu’à d’autres
revues et magazines d’information, peuvent vite constituer un budget
trop lourd pour une petite bourse étudiante ! N’oubliez pas : en tant
qu’étudiant, votre établissement de référence offre surement un
accès à des bases de données comme Europresse, qui offre un
accès large aux journaux, ou Cafeyn, qui est un kiosque numérique.
Rapprochez-vous des bibliothécaires ou documentaliste de votre
établissement. Si vous préparez les concours d’entrée aux écoles de
journalisme mais que vous n’avez pas accès à l’offre mentionnée ci-
dessus, la Bibliothèque nationale de France, via le lecteur
Pressreader et sur inscription, offre un accès à de nombreux
journaux et magazines.
■ Radio
Quotidien
– L’Heure du Monde, le site du Monde.fr.
– Le vrai du faux, sur France info.
– La question du jour sur France Inter, pour approfondir les
questions d’actualité.
– La Revue de presse internationale sur France Culture, un
tour du monde de la presse.
Hebdomadaire
– C’est arrivé cette semaine sur Europe 1.
– Le Rendez-vous de la presse étrangère, France Culture.
– Salut l’info ! sur France info.
– Une semaine d’actualité sur RFI, qui revient sur les
principaux événements de la semaine en compagnie
d’experts.
■ TV/vidéos
– www.1jour1actu.com.
– Le 28 Minutes d’Arte, qui permet de suivre l’actualité en
débats
– Le « Dessous des cartes ».
– Les vidéos du Monde qui abordent des thématiques
d’actualité de manière fouillée et contextualisée.
– Les vidéos de 1jour, 1actu dont le contenu est pensé pour
les enfants et aborde des questions d’actualité de manière
pédagogique. « C’est quoi, la laïcité », « Ça veut dire quoi,
que la France préside l’Europe ? », « Les animaux ont-ils
des droits ? », autant de sujets abordés de façon didactique
et classés en catégories « France », « Monde », « Santé »,
ou encore « Technologies ».
■ Web
– La « Matinale du Monde ».
– Les fils d’actualité des sites des journaux nationaux, comme
« En bref » sur Le Monde.fr.
– La rubrique « Éclairages » du fil d’actualités du site Vie
Publique.
■ Le site du service documentation de l’ESJ Lille
– Le site possède une rubrique « Panorama de presse », qui
propose une veille quotidienne de l’actualité du journalisme,
de la presse et des médias, associée à un compte Twitter à
suivre. Propriétaires de médias, concentration de médias,
chiffres-clés, il est important de connaître le monde
professionnel que vous souhaitez intégrer. Le site de l’ESJ
Lille recense les mutations à l’œuvre dans le monde des
médias. À écouter, pour suivre l’actualité des médias :
« L’instant M » de Sonia Devillers, sur France Inter.
■ « Les rattrapages de l’actu », le site des étudiants de l’EPJT
– Vous avez été moins assidu dans votre suivi de l’actualité ?
Pas de panique, le site des étudiants en journalisme de
l’école de Tours propose chaque semaine un « rattrapage
de l’actu » nationale et internationale. Il est également
possible de s’inscrire à une newsletter qui vous informera
de la sortie du prochain résumé : https://rattrapages-
actu.epjt.fr/
■ Quelques newsletters d’actualité très pratiques
– Time to sign off
Dans votre boîte tous les soirs, un « mini-journal » de l’actu
du jour, divisé en trois points : « Ce que vous avez raté
aujourd’hui », « Ce que vous ne devez pas rater demain »,
« Pas envie d’aller au lit ? ». Cette newsletter, gratuite, est
parfaite pour suivre l’actualité et donner des pistes de
réflexion sur ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui.
À retrouver sur timetosignoff.fr
– Brief.me
Une newsletter d’actu, payante cette fois, pour suivre l’actu
de la journée. Divisée en plusieurs rubriques (« On
rembobine », « Tout s’explique », « C’est leur avis », « Ça
vaut un clic ») pour un découpage clair de l’actualité.
www.brief.me
– The Conversation
Une newsletter quotidienne proposant analyses et
décryptages du lundi au dimanche, associée au site du
même nom.
https://theconversation.com/fr/newsletters/
Le français
Incontournable avant la pandémie (QCM, questions courtes,
dictée…), mais peu compatible avec les nouvelles modalités
d’admission en ligne, l’épreuve de français en tant que telle a
quasiment disparu des concours des 14 écoles de la CEJ. Seul le
CFJ en propose une, dans une version remaniée lors de la refonte
du concours opérée par l’école parisienne en 2018. Elle pourrait
toutefois revenir au programme dès lors que la situation permettra le
retour des épreuves sur table.
La maîtrise du français est également observée par les
examinateurs dans la grande majorité des épreuves impliquant des
réponses rédigées. De même, un dossier d’inscription émaillé de
fautes donnera inévitablement un a priori négatif. Le CFJ va même
plus loin puisque le dossier d’admissibilité fait lui-même l’objet
d’une note de français : « Nous avons pris cette décision car trop
de copies n’étaient encore pas suffisamment propres du point de
vue de l’orthographe et de la grammaire », justifie le directeur adjoint
David Straus. Des questions de grammaire, conjugaison ou
vocabulaire peuvent aussi être posées lors des entretiens
d’admission.
2. Annales et corrigés
Extraits de l’épreuve de français d’admissibilité au CFJ (2016)
1. Quel est le participe passé bien écrit ?
☐ A. Il a dissout
☐ B. Il a suffit
☐ C. Il a acquit
☐ D. Il a exclus
☐ E. Il a inclus
2. Trouver la phrase bien écrite.
☐ A. Avec ces dossiers, faites deux tous bien distincts.
☐ B. Tout harassée qu’elle fut, elle continua de travailler.
☐ C. La France toute entière s’est montrée solidaire.
☐ D. En tous cas, tu as réussi ton coup.
☐ E. Toute handicapée par ses béquilles, elle a du mal à se
déplacer.
3. Quel nom n’a pas le même pluriel que les autres ?
☐ A. Piédestal
☐ B. Arsenal
☐ C. Total
☐ D. Bocal
☐ E. Cérémonial
4. Trouver les deux phrases bien écrites.
☐ A. Les eaux bleues claires de cet océan me laissent
rêveur…
☐ B. Après son sprint, elle avait les joues écarlates.
☐ C. Ils ont repeint les murs marrons de leur chambre.
☐ D. J’aime les tons bleus-verts de ces toiles flamandes.
☐ E. De petites fleurs mauves ont éclos dans le jardin.
5. Identifier les deux phrases erronées.
☐ A. Je prendrais volontiers un café, et vous ?
☐ B. Si j’ai un peu de temps, je passerais vous voir.
☐ C. Quand j’aurais fini, vous pourrez m’appeler.
☐ D. Je serais bien parti quelques jours au soleil…
☐ E. Si j’avais su, je ne serais pas venu !
6. Choisir la phrase bien écrite.
☐ A. Il faut mieux prendre le train, ce sera plus rapide.
☐ B. Il se rappelle sa jeunesse avec émotion.
☐ C. Nous ne pouvons pallier à de tels problèmes.
☐ D. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’il nous reste peu de
temps.
☐ E. Il ne cesse de nous rabattre les oreilles de ses succès
passés !
7. Trouver les deux noms féminins.
☐ A. Échappatoire
☐ B. Arcane
☐ C. Haltère
☐ D. Tentacule
☐ E. Aérogare
8. Quel est le pluriel correct ?
☐ A. Des ayant droit
☐ B. Des années-lumières
☐ C. Des terre-pleins
☐ D. Des hauts-parleurs
☐ E. Des assurances-vies
9. L’expression « un pas de clerc » désigne :
☐ A. Un acte notarié
☐ B. Une action sournoise
☐ C. Une remarque érudite
☐ D. Un pas de danse technique
☐ E. Une maladresse
10. Trouver le mot bien écrit.
☐ A. Cauchemard
☐ B. Favorit
☐ C. Abrit
☐ D. Hangar
☐ E. Bazard
■ Réponses
1. E
2. E
3. E
4. B, E
5. B, C
6. B
7. A, E
8. C
9. E
10. D
Le portrait
C’est plutôt une nouveauté dans la phase d’admissibilité.
Quelques écoles demandent désormais l’écriture d’un portrait, que
ce soit un autoportrait ou celui d’une autre personne, connue ou
inconnue du grand public. L’exercice est un genre journalistique à
part entière, qui répond à des critères bien précis.
Conseil de lecture : le « portrait de der » de Libération : chaque
jour, le portrait d’une personne faisant l’actualité est publié en
dernière page du journal, de quoi s’imprégner de l’exercice et de ses
codes. À lire aussi : les portraits du magazine M Le Monde.
À l’EJdG, vous devez faire le portrait d’un ou d’une inconnue
des médias, et justifier ce choix dans une note d’intention. À l’IFP et
à l’IJBA, c’est un autoportrait qui vous est demandé.
Comment écrit-on un portrait ? L’exercice ne consiste pas en
une narration linéaire de tous les événements d’une vie, de la
naissance à aujourd’hui. Le portrait est la rencontre d’une personne
et nécessite de la faire parler autour d’un thème, et donc de
l’interviewer.
Un portrait se construit comme un article de presse. Il doit
contenir des éléments factuels sur la vie et le parcours de la
personne choisie. Selon l’angle, c’est-à-dire le prisme à travers
lequel le sujet est traité, vous ne vous concentrerez pas sur les
mêmes données. Cet angle peut être un événement de l’actualité qui
justifie le choix de la personne sujet de votre portrait, un élément de
sa vie, de sa carrière, son activité militante, etc. Il servira de fil
rouge, de cadre à votre article. Dans un bon portrait, aucun détail
n’est anodin : chaque élément objectif tient dans ce cadre, vient
alimenter votre fil rouge.
Que contient un portrait ?
■ des données précises sur sa vie (contexte biographique) ;
■ des éléments descriptifs (physiques, vestimentaires,
ambiance de l’interview…) ;
■ des propos de la personne dont on dresse le portrait ;
■ des propos d’autres personnes qui peuvent s’exprimer sur la
personne interviewée (proches, collègues, détracteurs…).
Au travers du portrait et des éléments personnels et humains
sélectionnés, le lecteur doit comprendre la particularité de la
personne au travers du prisme choisi, pourquoi celle-ci et pas une
autre.
Avant d’écrire
Relisez vos notes et sélectionnez ce que vous allez garder. Tout
n’est pas indispensable et tout ne respecte pas l’angle choisi.
N’oubliez pas que l’article doit aussi contenir des éléments de détail :
description physique, attitude particulière, tic de langage, etc., qui
permettent d’humaniser et de personnaliser le portrait. Le portrait
peut aussi être ancré dans le moment de l’interview et en garder
quelques anecdotes.
L’autoportrait
En ce qui concerne l’autoportrait : comme son nom l’indique,
l’autoportrait est un exercice dans lequel vous allez parler de
vous. C’est un regard porté sur vous-même, votre
personnalité. Même si l’exercice n’est pas journalistique,
l’autoportrait a quelques éléments en commun avec le
portrait, comme l’angle, par exemple.
Pour les écoles de journalisme, à quoi sert l’autoportrait ?
L’IFP le résume très bien : « L’objectif est de faire apparaître
les éléments de votre caractère, de votre expérience ou bien
des épisodes de votre vie qui ne figurent pas forcément
dans votre curriculum vitæ. »
L’autoportrait est un texte à la première personne, et ne
nécessite pas forcément de discours direct.
Le synopsis – le reportage
Cette épreuve exige et met à profit la connaissance de la
profession et des médias mentionnée au paragraphe précédent.
Même si le sujet est le même, vous ne proposerez pas la même idée
au magazine Topo, pour les moins de 20 ans, qu’à la revue Flow,
pour « l’épanouissement de soi ». Pour proposer une bonne idée,
vous devez savoir ce qu’est un angle, et un bon synopsis.
Qu’est-ce qu’un angle ?
L’angle, on l’a déjà dit, est la manière dont on décide de traiter
un sujet. Au lycée, et même pendant les études supérieures,
lorsqu’on vous demande de faire une présentation et un exposé, on
vous demande de dire tout ce que vous savez d’un sujet. Au
contraire, lorsque vous rédigez un synopsis, vous devez garder en
tête que vous ne pouvez pas tout dire, et qu’il vous faut respecter
l’angle choisi.
Conseils :
■ Ne restez pas en retrait, soyez force de proposition et
efforcez-vous de trouver des idées originales (le but n’est
pas de proposer des articles et des angles déjà lus et
relus mais de montrer que vous êtes capable d’apporter
vos propres idées).
■ Écoutez vos camarades, ne leur coupez pas la parole, si
vous êtes en désaccord avec eux, dites-le de manière
constructive (faites des contre-propositions ou des
suggestions pour améliorer leurs idées).
■ Faites attention au temps : trois heures pour réaliser un
dossier lorsqu’on n’a pas l’habitude, avec des camarades
que l’on ne connaît pas, c’est peu ! Gardez suffisamment
de temps pour préparer une présentation soignée : une
idée n’est bonne que si l’on est capable de bien l’expliquer
et la défendre.
La culture générale
Il n’existe pas à proprement parler d’épreuve de culture
générale lors de la phase d’admissibilité. Pourtant, toutes les écoles
disent être à la recherche d’étudiants possédant une solide culture
générale et cette notion reste suffisamment vague pour stresser les
candidats. Vous n’avez pas le temps de vous plonger dans une
préparation uniquement dédiée à cette thématique, l’enrichir sera
donc un défi de tous les instants.
Auparavant, les concours sur table possédaient généralement
un volet « culture générale ». L’admissibilité en présentiel ayant été
empêchée par la pandémie, la « culture gé » se retrouve testée à
l’oral, lors des épreuves d’admission, souvent lors de l’oral de
motivation. Le jury peut se laisser la possibilité de mettre à l’épreuve
la connaissance de l’actualité ainsi que la culture générale des
candidats.
Lors de votre veille d’actualité, vous allez aborder des thèmes
très différents. Vous allez apprendre des choses sur des pays, des
organisations, des personnes dont vous ne savez rien. Soyez
exigeant et combler vos lacunes. Un conflit entre deux pays est dans
l’actualité ? Ne vous contentez pas des 5 W, cherchez plus loin : que
s’est-il passé avant ce conflit ? Quel est l’historique des relations
entre les deux États ? Ne laissez aucune interrogation sans réponse
et ajoutez ces informations à vos dossiers thématiques.
L’oral de motivation
Petit conseil de préparation avant d’aborder l’oral de motivation,
et les oraux en général. Une fois les écrits terminés, tournez-vous
vers la phase d’admission. Tant que les résultats d’admissibilité ne
sont pas tombés, vous êtes toujours dans la course et il ne faut pas
relacher vos efforts. Si vous êtes sélectionné et que vous êtes là le
jour J, c’est que vous avez toutes vos chances.
Soyez naturel
Lors de l’échange de questions-réponses, la manière dont vous
répondez compte à peu près autant que le contenu de vos réponses.
Vous êtes stressé ? C’est normal, tous les candidats le sont.
L’avouer ne vous mettra pas en défaut, le jury est aussi là pour
mettre les candidats à l’aise. Si l’on vous pose une question difficile,
prenez le temps de répondre. Si la question est trop difficile, et que
vous ne savez quoi répondre, dites-le également. Il est inutile
d’essayer de « gagner » du temps, le jury s’en rendra compte.
Quelles sont les attentes du jury ? Les examinateurs sont là
pour tester le réalisme de votre projet professionnel, et son ancrage
dans la réalité. Dans cette optique, donnez-vous des exemples
concrets. On vous demande pour quels médias vous souhaitez
travailler ? Donnez des noms précis, nommez le service ou
l’émission dans lesquels vous vous projetez.
Soyez convaincant
Le jury teste également votre capacité à argumenter, à
convaincre. À l’oral comme à l’écrit, ne faites pas des phrases trop
longues, vous risquez de vous y perdre. À travers vos mots, les
examinateurs doivent être capables de percevoir si vous êtes un bon
candidat pour l’école mais aussi, si vous feriez un bon journaliste. À
vous de leur montrer tout ça en étant clair et synthétique. Pas facile,
n’est-ce pas ? Entraînez-vous toute l’année avec des camarades qui
joueront les recruteurs intransigeants.
F
uturs journalistes, vous devez vous tenir informés de
l’actualité ! Voici un repérage des médias d’information de
référence en France, incluant à la fois les principaux titres
historiques, mais également un regard sur les formes plus récentes,
qui vous aidera à préparer les concours ou à appréhender vos
enseignements autour des médias.
Face à la difficulté d’établir un panorama exhaustif des sites
web livrant des contenus informationnels, nous proposons d’abord
d’en circonscrire la définition aux services de presse en ligne (SPEL)
dont le statut a été défini par l’article 1er de la loi du 1er août 1986
portant réforme du régime juridique de la presse :
On entend par service de presse en ligne tout service de
communication au public en ligne édité à titre professionnel
par une personne physique ou morale qui a la maîtrise
éditoriale de son contenu, consistant en la production et la
mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt
général, renouvelé régulièrement, composé d’informations
présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un
traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas
un outil de promotion ou un accessoire d’une activité
industrielle ou commerciale1.
Cette définition a ensuite été explicitée dans le décret n° 2009-
1340 du 29 octobre 2009. Ensuite, nous poursuivons notre
cartographie en nous arrêtant sur les sites d’information méta-
médiatiques qui se positionnent en « observateurs » du monde des
médias d’information. Ces ressources sont en effet très utiles en tant
qu’outils de veille non seulement sur l’actualité socio-
économique du secteur, mais aussi sur l’analyse critique du
traitement médiatique de l’actualité. Pour conclure ce weborama,
nous éclairons les nouveaux acteurs de l’information en ligne,
désignés sous l’appellation de « médias sociaux ».
Virginie Sassoon
V
oici un tour d’horizon non exhaustif des initiatives, menées
en partenariat avec le CLEMI, qui donnent à voir la vitalité et
la diversité de ce secteur en pleine expansion.
Au côté du ministère de l’Éducation nationale, le ministère de la
Culture déploie un plan de soutien qui concerne les bibliothèques,
médiathèques, l’audiovisuel public, les professionnels de
l’information et les acteurs associatifs.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a aussi placé l’EMI
au cœur de ses priorités : il s’est doté d’un observatoire, d’un site
dédié avec des ressources pédagogiques, qui propose des modules
de formation en ligne pour les enseignants et développe ses
interventions sur le terrain, à travers notamment les Comités
territoriaux de l’audiovisuel.
Les organisations professionnelles sont également mobilisées.
Par exemple, l’Alliance pour l’Éducation aux Médias (APEM),
émanation de l’Alliance de la presse d’information générale, qui
réunit 300 titres de presse dans le sillon de l’ARPEJ, développe ses
actions auprès de tous les publics et en premier lieu des jeunes. La
Maison des journalistes (MDJ) organise l’opération « Renvoyé
spécial » : des journalistes exilés vont à la rencontre de jeunes
lycéens partout en France pour les sensibiliser à la cause de la
liberté de la presse et de la défense des démocraties. Du côté de la
formation, l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille a démarré
en 2015 un projet à La Condition publique, institution basée à
Roubaix, sous la forme d’une création d’un média participatif : le
Labo148. La rédaction est composée de jeunes issus des quartiers
populaires et d’étudiants. Depuis 2019, l’ESJ réunit toutes ses
actions d’EMI au sein du département ESJ Juniors. Parmi les
projets : des programmes animés par des journalistes
professionnels, l’organisation des Rencontres de l’éducation aux
médias et à l’information, ou encore le NewsTruck, un dispositif
mobile – utilitaire équipé de matériel de tournage/montage, photo et
son – qui propose des formations à la production de contenus.
1. URL : https://www.lavoixdunord.fr/887222/article/2020-11-01/education-l-information-
la-voix-du-nord-s-engage-aux-cotes-des-enseignants
2. URL : https://www.bondyblog.fr/qui-sommes-nous/
Table des matières
Sommaire
Liste des contributeurs
Introduction
Le journalisme à l’étude : itinéraire parmi les métiers
et les savoirs pour s’orienter dans les mondes
de l’information
Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier
Partie I
Les études de journalisme : la constitution
d’un champ de recherche
Chapitre 1
Le journalisme comme champ d’études : histoire pionnière
aux États-Unis, source d’inspiration française
Chloë Salles
■ Des années vingt aux années quarante : une impulsion en sociologie provenant de
journalistes
■ Des années cinquante aux années soixante : la profession journalistique au prisme
des communications de masse
■ Des années soixante-dix aux années quatre-vingt : tournant critique dans l’analyse
des rédactions
■ Affirmation française de l’étude du journalisme comme profession et distanciation
critique
Chapitre 2
De Max Weber aux Journalism Studies : histoire et
contribution de la recherche sur le journalisme
Olivier Standaert
■ Aperçu historique de la recherche sur le journalisme
■ Quatre propositions théoriques pour appréhender le journalisme
Le journalisme comme profession
Le journalisme comme institution sociale
Le journalisme comme pratique
Le journalisme comme industrie et marché économique
Chapitre 3
2000-2020 : âge critique du journalisme ? Les
transformations contemporaines de la profession
Simon Gadras
■ Une identité journalistique chamboulée
Construire l’événement et interroger le rôle des journalistes
Médiatisation et légitimité journalistique
■ Les journalistes face à la concurrence croissante d’acteurs hors du champ
journalistique
Information versus communication
La place croissante des amateurs
Plateformes et réseaux socio-numériques au cœur de l’information en ligne
Questions à Arnaud Mercier
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie II
Les métiers du journalisme : formations, carrières,
marchés
Chapitre 1
Qui sont les journalistes français ? Portrait
sociodémographique de la profession
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
■ Les sources statistiques
■ Une profession fondamentalement hétérogène
Une croissance rapide des effectifs
Une féminisation de la profession
Des journalistes de plus en plus diplômés
Des conditions et des secteurs d’emploi hétérogènes
Une concentration géographique
Chapitre 2
Devenir journaliste : de la formation à l’insertion
dans les mondes de l’information
Valérie Devillard et Guillaume Le Saulnier
■ La « course aux diplômes »
Densification et hiérarchisation de l’espace des formations
Des stratégies ajustées au marché scolaire
■ Les épreuves de l’insertion professionnelle
Franchir les « sas d’entrée »
Les secteurs et les facteurs d’insertion
Chapitre 3
Le journalisme sous contrainte économique
Gaël Stephan
■ Les biens médiatiques : des biens publics, d’expérience et sous tutelle
■ Structure de coûts et importance des coûts fixes
Avant le numérique
Effets du numérique sur les structures de coûts des médias
■ Quels revenus pour les entreprises médiatiques ?
Les revenus tirés du public
Les ressources publicitaires
■ Concentration et pluralisme
■ L’État et les médias en France
Le service public audiovisuel
Les aides à la presse
Chapitre 4
Le glissement des rédactions de la presse écrite française
vers un journalisme de la demande
Rémy Le Champion
■ Méthodologie
■ Journalisme de marché
■ L’oxymore « entreprise de presse »
■ La double pression des annonceurs et du public
■ La pression des annonceurs
■ La pression du public
■ Le glissement vers un journalisme de la demande
■ Le rôle social du journaliste malgré tout préservé
Chapitre 5
L’intrication croissante des métiers du journalisme
et de la communication
Cégolène Frisque
■ Des formations de plus en plus proches, techniques et professionnalisées
Une proximité croissante des formations en journalisme et en communication
Le développement des stages et alternances, une main-d’œuvre opportune
pour les médias
La place croissante des techniques numériques dans les formations
■ Les activités croissantes des journalistes dans la communication,
du complément de revenu à la reconversion
La communication, un complément de revenu fréquent et souvent nécessaire,
dans un contexte de précarisation et d’« ubérisation »
Des activités intermédiaires entre journalisme et communication
Perspectives de reconversion dans la communication et passage à l’acte
■ Des pratiques de plus en plus hybrides tant du côté du journalisme
que de la communication
Des activités de communication qui emploient les codes du journalisme
Un journalisme qui utilise de plus en plus les outils de la communication,
vers la « production de contenus » indifférenciés
Des agences de plus en plus polyvalentes
Questions à Alexandre Joux
Entretien réalisé par Valérie Devillard
Partie III
L’éthique du journalisme en pratique
Chapitre 1
Des pratiques journalistiques éclatées
mais une éthique commune ?
Agnès Granchet
■ L’éclatement des normes déontologiques du journalisme, reflet de la diversité
des pratiques professionnelles ?
Multiplicité des codes de déontologie journalistique
Diversité des chartes d’entreprises médiatiques
■ La formalisation des principes fondamentaux du journalisme,
expression de valeurs éthiques communes
Liberté et indépendance des journalistes
Responsabilité des journalistes à l’égard du public
Chapitre 2
Le lanceur d’alerte et le journaliste
Camille Laville
■ La figure du lanceur d’alerte : essai de définition
De la genèse du concept à sa définition juridique
Des fuiteurs d’informations (leaks) aux lanceurs d’alerte
■ Le lanceur d’alerte : prise de risques et limites du statut juridique
La protection du lanceur d’alerte : un cadre juridique en cours d’harmonisation
Lancer l’alerte : une initiative qui n’est pas sans risque
■ Une nécessaire adaptation de la protection des sources
et de l’éthique journalistique
Le lanceur d’alerte : une source d’information comme une autre ?
Chapitre 3
Les évolutions des instances de régulation de l’information
Agnès Granchet
■ Une longue tradition de contrôle public de l’information
Le juge, « première institution de contrôle déontologique des pratiques
journalistiques » ?
Le régulateur de l’audiovisuel et la « déontologie de l’information et des
programmes »
■ Une lente progression de l’autorégulation professionnelle de l’information
Crainte récurrente d’un ordre professionnel des journalistes
Portée limitée des organes d’autorégulation spécifiques à certains médias
Création récente du Conseil de déontologie journalistique et de médiation
Chapitre 4
La bonne foi du journaliste poursuivi pour diffamation
Amal Benhamoud
■ La prise en compte de la qualité de professionnel de l’information de l’auteur
des propos diffamatoires
■ L’incidence du genre de l’écrit journalistique
Questions à Benoît Grevisse
Entretien réalisé par Agnès Granchet
Partie IV
Les genres et les formats journalistiques
Chapitre 1
La dépêche d’agence, immuable et changeante
Éric Lagneau
■ La dépêche en pratique : un format d’objectivité
■ Découpage de la copie et palette de dépêches
Chapitre 2
Le journal télévisé : un modèle canonique
Marie-France Chambat-Houillon
■ Les caractéristiques du genre « journal télévisé »
La temporalité singulière de la programmation : la « grande messe » du vingt
heures
La place structurante de l’actualité
Un repère face à la multiplication des canaux d’information
■ L’organisation du format du journal télévisé
Le contenu du journal comme construction du point de vue de la chaîne sur
l’actualité
La pluralité du traitement de l’information
Les nouvelles modalités du JT : entre visualisations infographiques
et mise en visibilité de la vérification de l’information
Chapitre 3
L’infodivertissement, les frontières floues
d’un genre télévisuel
Marie-France Chambat-Houillon
■ Restructuration du secteur médiatique et infodivertissement
■ Nature de l’information dans l’infodivertissement
■ De l’information au divertissement et réciproquement
Chapitre 4
« Il faut être absolument contemporain ». Quels supports
médiatiques pour la diffusion de l’art contemporain
en France ?
Flore Di Sciullo
■ Brève histoire de la presse d’art contemporain en France depuis les années 1970
■ Sous les pavés, la page : le dynamisme éditorial et artistique des années 1970
et suivantes
De l’art moderne à l’art contemporain
Un contexte éditorial favorable au développement de nouvelles revues
■ Des périodiques artistiques « engagés » mais souvent de courte durée
Des revues politisées : l’exemple de Peinture, cahiers théoriques
Différentes revues pour différents courants artistiques
Une place laissée vacante
■ Art press : une « revue qui traverse le temps »
Entre palimpseste générationnel et conception pluridisciplinaire de la création :
les clés d’un succès éditorial
De l’esthétique au politique : construction d’un ethos engagé
■ Un modèle hégémonique, mais remis en question
■ « L’art n’est plus au temps des magazines » : un renouveau pour la presse d’art
contemporain
■ Vers une hybridation de la presse artistique : du magazine papier à Internet
Chapitre 5
La critique d’art et ses contraintes :une instance
prescriptrice en danger ?
Flore Di Sciullo
■ La critique d’art contemporain, fruit d’une tradition littéraire et philosophique
■ La critique d’art contemporain soumise à la « tyrannie du présent perpétuel »
(Hartog, 2003)
■ « Profession critique d’art » : entre précarité et gratifications symboliques
Chapitre 6
Les mutations de la photographie de presse
dans les médias en ligne
Maxime Fabre
■ L’image de presse aux prises avec le numérique
Distinguer les acteurs du numérique
Matière et format de l’image de presse numérique
L’adaptation tactique face aux réseaux sociaux
■ Mondialisation et représentation de l’information journalistique
La valeur de la photo de presse
Les réseaux sociaux de l’image
Le tournant du journalisme mobile ou MoJo (Mobile Journalism)
Questions à Roselyne Ringoot
Entretien réalisé par Lucie Alexis
Partie V
Les nouvelles écritures de l’information
Chapitre 1
Le journalisme de solutions, une méthode
pour améliorer les pratiques journalistiques et le rapport
aux publics
Pauline Amiel
■ De sa naissance dans les années 1990 aux États-
Unis à son importation en France
■ Le concept, les acteurs
■ Un concept critiqué
■ Une solution à la crise des médias ?
Chapitre 2
Le journalisme participatif : genèse et évolutions récentes
Jérémie Nicey
■ Interpeller, débattre et témoigner : aux origines de la participation des publics
■ Commenter, produire et collaborer : les incitations et intérêts des médias pour
les contenus non professionnels au cours des années 2000
■ Interpeller de nouveau, via le fact-checking et le debunking,
à la fin des années 2010 : le retour de la participation ?
Chapitre 3
Les nouveaux formats des « vieux » médias : repenser le
rapport à l’actualité
Lucie Alexis
■ Informer en condensant l’actualité
Une tradition télévisuelle autour de la forme brève
De courtes vidéos circulant sur les réseaux socio-numériques
Les newsletters d’information : un effet de florilège
■ Quand le périmètre de l’information journalistique s’agrandit
Cap sur le podcast
Un autre rapport à l’actualité avec l’écriture sonore ?
Une filiation avec l’écriture documentaire
Les applications mobiles ad hoc et complémentaires : une logique de vulgarisation
Questions à Lucie Soullier et Clea Petrolesi
Entretien réalisé par Lucie Alexis
Partie VI
Le décryptage de l’information
Chapitre 1
Les journalistes et leurs sources
Loïc Ballarini et Camille Noûs
■ Les médias et leurs sources, une vieille histoire
Rechercher la vérité
Associés et rivaux
Tout est enquête
■ Diversifier, ou le numérique au secours des journalistes
Chapitre 2
Données numériques, pratiques professionnelles et
organisation de la production journalistique
Vincent Bullich
■ Une nouvelle heuristique journalistique ?
■ L’intégration des fonctions
■ L’automatisation de la production et de la publication
Chapitre 3
Du journalisme d’information au journalisme de démenti :
les rédactions entre soumission aux plateformes
et quête de stratégie
Laurent Bigot
■ De l’éclosion du fact-checking à sa réinvention
■ L’émergence de la démystification des rumeurs
■ L’apparition d’actions destinées à l’empowerment des citoyens
Chapitre 4
L’éducation aux médias et à l’information : une nouvelle
facette du métier de journaliste
Virginie Sassoon
■ Le fil rouge de la transmission
L’éducation aux médias et à l’information : de quoi parle-t-on ?
Les médias dans l’école : repères historiques
■ Intervenir en classe
Co-construire avec l’enseignant
Développer une réflexion critique sur sa pratique professionnelle
Partir des pratiques informationnelles des jeunes
Déconstruire les stéréotypes pour un enrichissement mutuel
Questions à Fabrice d’Almeida
Entretien réalisé par Inna Biei
Partie VII
Le journalisme international
Chapitre 1
L’« information internationale », une information jugée trop
spécialisée et coûteuse ?
Dominique Marchetti
■ La « noblesse » de l’International
■ La restructuration de l’espace journalistique français et ses effets sur la division du
travail
■ La redéfinition des contenus de l’« actualité internationale »
■ Des transformations externes
Chapitre 2
Mourir en couvrant les conflits armés. Risques et
transformations du reportage de guerre
Olivier Koch
■ Hausse de la mortalité et accroissement des risques sur les zones de guerre
La transformation des conflits
Les évolutions du management de l’information de guerre
Technologies de télétransmission mobile et surveillance digitale
Concurrence et transformation de la production
■ Sécuriser et encadrer les pratiques : le tournant prudentiel des rédactions
Transformer les pratiques à risque
Organiser le plaidoyer et la sécurisation des pratiques
Évolutions du droit et des codes de bonnes conduites
Déconstruire les mythes professionnels
Chapitre 3
La fabrique de l’information européenne
Olivier Baisnée
■ Brève histoire du corps de presse des correspondants de l’Union européenne
■ La remise en cause des années 2000
■ Une place d’information entre permanences et transformations
Questions à Tristan Mattelart
Entretien réalisé en janvier 2022 par Valérie Devillard
Partie VIII
Guide pratique de l’étudiant en journalisme
Chapitre 1
Se préparer aux concours des écoles de journalisme
Julie Vayssière
■ Introduction
Petite histoire des écoles de journalisme
Quelques dates repères
■ 1re partie : Présentation des écoles reconnues
La « voie royale »
Comment entre-t-on en école de journalisme ?
Qu’enseigne-t-on en école de journalisme ?
Quels débouchés professionnels après l’école ?
■ Celsa – Sorbonne Université
■ CFJ Paris – Centre de formation des journalistes
■ CUEJ – Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg
■ EDC – École de journalisme de Cannes (IUT Journalisme Nice-Côte d’Azur)
■ L’École de journalisme de Grenoble (EJdG)
■ EJCAM – École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille
■ École de journalisme de Sciences Po Paris
■ EJT – École de journalisme de Toulouse
■ EPJT – École publique de journalisme de Tours
■ ESJ Lille – École supérieure de journalisme de Lille
■ IFP – Institut français de presse (Université-Panthéon-Assas)
■ IJBA – Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine
■ IPJ – Institut pratique du journalisme (Université Paris Dauphine)
■ IUT de Lannion
■ 2e partie : Se préparer aux concours
■ I. Contre le manque de diversité, deux prépas
La prépa Égalité des chances (ESJ Lille)
La Chance, pour la diversité dans les médias (CFJ)
■ II. Préparer son dossier
Écrire son CV
Rédiger sa lettre de motivation
Les productions personnelles
Connaître le métier et le monde des médias
■ III. Les épreuves des concours
L’actualité
Le français
Le portrait
Le synopsis – le reportage
Les épreuves de langues
La culture générale
L’oral de motivation
Chapitre 2
Weborama : focus sur les acteurs de référence de
l’information en ligne
Lucie Alexis et Mathias Valex
■ Panorama des principaux services de presse en ligne
■ Les sites d’information méta-médiatiques
■ Et les « médias sociaux »… ?
Chapitre 3
Panorama des initiatives en EMI portées par des médias
et des journalistes
Virginie Sassoon
■ Des projets EMI portés par des médias
■ Des associations de journalistes
■ Les nouveaux formats de l’information