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ISBN 978-2-10-072302-7
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Table des
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Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

Liste des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Le prétexte 1
Le contexte 3
Les textes 4

Chapitre 1 S’éveiller et grandir à l’hôpital . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8


par Marie Thérain
Comment inscrire le corps de l’enfant comme support
de son développement en réanimation pédiatrique ? 10
Continuer à grandir avec la psychomotricité dans un corps souffrant
en hématologie oncologie pédiatrique 20

Chapitre 2 Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire . . . . . . . . . . . . . . 34


par Brigitte Feuillerat
Antécédents et premières rencontres 36
Suivi en psychomotricité : reconstruisons l’espace-temps corporel 42
Évolution du suivi sur cette deuxième année scolaire 46
Table des matières

La poursuite du suivi en psychomotricité :


gérons le temps et son déroulement 48
Conclusion 50

Chapitre 3 Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés


scolaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
par Brigitte Feuillerat
Histoire, antécédents et première rencontre 56
Suivi en psychomotricité 59
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Conclusion 65

Chapitre 4 Habiter son corps, un processus développemental complexe 68


par Marie Rossignol
Introduction 70
Le travail du psychomotricien
au Centre Médico-Psychologique (C.M.P) 71
Étude de cas : Milo 72
Conclusion : l’espace de thérapie psychomotrice 83 317

Chapitre 5 Tricoter les liaisons psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86


par Nicole Girardier
Tableau clinique 89
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Les grands axes de la prise en charge en psychomotricité 92


Conclusion : l’associativité sensori-motrice, vecteur du travail
en psychomotricité 100

Chapitre 6 Relaxation thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104


par Chantal Rémoville
La princesse aux yeux ouverts 106
Adapter la méthode à l’enfant ou l’enfant à la méthode ? 113
Silence et respiration 114
TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 7 L’enfant messager . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118


par Beatriz Aranda
Pedro : la rétention comme signe identitaire 121
Aldo : l’agitation comme moyen d’expression 127
Dora : le silence, comme moyen de communication 129
Conclusion 131

Chapitre 8 Contenance en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136


par Alina Veeser
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Une définition de la contenance 138
Contexte clinique : le cadre de la réflexion 139
La contenance en psychomotricité 142

Chapitre 9 De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet


alcoolo-dépendant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
par Magalie Ramo
Introduction 156
318
Illustration clinique 157
Quand le schéma corporel et l’image du corps se rencontrent 158
Le retour de la libido 162
La richesse du vécu corporel 164
Affirmation de soi, différenciation et distanciation 165
Conclusion : de l’enfant... à l’adolescent... à l’adulte 166

Chapitre 10 Accompagnement en psychomotricité de femmes


enceintes dans l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
par Leïla Bourguiba
Les propriétés physiques de l’eau et les transformations corporelles
de la grossesse 171
Maternage et naissance de la vie psychique 174
Table des matières

La place spécifique de la psychomotricité 178


Conclusion 181

Chapitre 11 Langage du corps, langage verbal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186


par Camille Goldman
Corps et mots 188
Corps et blessures 188
Le projet thérapeutique 193
Conclusion 198
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Chapitre 12 À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché. . . . . . . 202
par Christiane Tancray
Histoire d’Anne-Lise 205
Projet thérapeutique 207
Entretien avec le psychiatre 207
Les deux premières séances 208
Les séances suivantes 211 319

Conclusion 219

Chapitre 13 Apports de la thérapie psychomotrice au traitement


de l’obésité et du surpoids . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
par Pierre Dalarun
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Maigrir : du rêve à la réalité 224


Histoire de poids, parcours de vie 227

Chapitre 14 La psychomotricité dans la formation de professionnels


d’établissements d’accueil du tout-petit . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
par Carine Da Fonseca
Le regard du psychomotricien :
un apport à la réflexion pluridisciplinaire 241
TABLE DES MATIÈRES

Atelier de mise en situation corporelle : une approche


théorico-pratique à la réflexion pédagogique 242
Conclusion 250

Chapitre 15 Maladie d’Alzheimer et psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252


par Adrien Hilion
La maladie d’Alzheimer et ses répercussions psychomotrices 254
Les structures de soin et d’accompagnement 257
Analyse de cas et soin psychomoteur 259
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Projet thérapeutique 260
Conclusion 267

Chapitre 16 Discussion finale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270


par Françoise Giromini, Michaël Coutolleau
Histoire de l’émergence de la clinique psychomotrice 272
La notion de globalité 278

320 La conscience corporelle 280


Éthique et responsabilité 295

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 308

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Préface
Catherine Potel1

U
N LIVREdense, clinique, comme je les aime. Des auteurs, tous totalement présents
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et authentiques dans ce qu’ils décrivent de leur pratique, de leurs doutes et de
leurs hésitations. Chacun avec sa forme très particulière, son style et son talent.
Je lis page après page et je rencontre au fil de ma lecture, non pas des cas mais
des vies, des partages d’histoires et de temps. Je me dis que j’aimerais être encore jeune
étudiante, neuve de tout a priori, pour avoir la chance de découvrir une psychomotricité si
riche, si diversifiée et si humaine au travers de ces récits qui ne sont pas seulement des
histoires. Ce sont également des essais théoriques, des réflexions fouillées et approfondies
sur une pratique qui engage le corps dans l’espace et le temps, le mouvement, le geste, les
sensations et les perceptions, comme préalables indispensables à la trace et au sens, à la
naissance de l’individuation et à la transformation des impasses en ouverture.
Au travers de tous ces récits, le lecteur devient le témoin heureux de cette puissance du
lien humain qui s’ébauche dans la relation et qui reste, quoi qu’on en dise, le premier levier
du travail thérapeutique.
Éric Pireyre, dans son introduction, commence par dire que la psychomotricité n’est plus
aussi jeune qu’il n’y paraît. Il est vrai que pendant trente ans, nous étions jeunes d’un
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1. Catherine Potel est psychomotricienne et psychothérapeute. Formatrice en relaxation analytique (méthode Sapir),
elle est membre du CA de l’AREPS (association de relaxation psychanalytique Sapir). Elle travaille actuellement au
CMPP de l’OSE (œuvre de secours aux enfants) à Paris et en cabinet privé, à Sceaux (92). Elle est fondatrice et
responsable de formation à l’association Vivre l’eau Paris. Elle enseigne à l’institut de formation en psychomotricité
Pitié Salpetrière, université Paris VI Pierre et Marie Curie. Elle est membre du conseil scientifique de la SFPEADA
(société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées). Elle a reçu le prix Sapir de la
Fondation de France en 2003.
Catherine Potel est l’auteur de plusieurs ouvrages, publiés notamment aux Éditions Érès : Le corps et l’eau : Une
médiation en psychomotricité (1999), réédité en 2010 en poche ; Les bébés et les parents dans l’eau, collection « Mille
et un bébés » (2000) ; Corps brûlant, corps adolescent. Des thérapies à médiations corporelles pour les adolescents ?,
collection « L’ailleurs du corps » (2006) ; Être psychomotricien : un métier du présent et de l’avenir (2010). Elle a
également dirigé l’ouvrage Entre Théorie et Pratique publié en 2000 (et réédité en 2008 et 2010) aux Éditions Inpress
dans la collection « Psycho ».
PRÉFACE

métier en pleine découverte, un métier de funambule et de provocation car s’attaquant à


ce qui a conditionné tout un système de pensée depuis Descartes, le dualisme corps/esprit.
Nous avons atteint l’âge de la maturité, une maturité qui se dégage dans chacun des articles.
Grâce à nos mères et pères fondateurs, ainsi qu’à ceux qui, dans leur sillage, ont poursuivi
et approfondi une réflexion toujours plus riche, la psychomotricité se trouve actuellement
en pleine expansion, non seulement par la grande diversité de ses interventions – et cela
nous le constaterons particulièrement dans les différentes pratiques et dispositifs exposés –
mais aussi par cette place particulière qu’elle occupe, au cœur des débats contemporains.
En effet, notre intérêt pour le corps – disons-le comme ça, même si le corps en lui-même
est un continent aux multiples facettes – devient cet objet éclairé et éclairant qui intéresse
autant les psychanalystes – ceux dont les travaux les plus récents placent le corps comme
le lieu des premières fondations du psychisme – que les neuroscientifiques qui ont besoin
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de nous pour apporter de l’eau au moulin de leur recherche fondamentale.
Un ouvrage comme celui-là contribue largement à cette recherche sur l’humain et son
fonctionnement. Et il est de première nécessité de considérer que cette démarche
de description et d’analyse fine des processus thérapeutiques n’est pas seulement
« anecdotique ». L’essence même d’une démarche de recherche est bien de s’appuyer sur des
processus en cours qui se découvrent et se déroulent au fil du temps, sans a priori.
Il y a quelques années, à la demande de Dr Serge Perrot (éditeur d’Inpress), j’avais coordonné
un ouvrage où plusieurs psychomotriciens – choisis par moi pour leur diversité de lieux
d’exercice, de formations et d’options théoriques – décrivaient leurs pratiques. En demandant
VI à ces auteurs qui travaillaient dans des secteurs très différents, auprès de populations de
différentes tranches d’âge (de la naissance à la personne âgée), avec des médiations et
techniques variées, je voulais non seulement rendre compte de la diversité des champs
cliniques en psychomotricité, mais également lancer un pari. Celui de penser que, malgré
toutes ces différences, ils pouvaient se retrouver et se reconnaître dans l’expérience des
autres, liés qu’ils sont par un terreau commun : leur formation psychocorporelle, base de
leur savoir faire.
Le pari a été repris 15 ans plus tard, sans le savoir, par Éric Pireyre. Et il est gagné ! En
effet, il est extrêmement intéressant de constater que, malgré les différentes conceptions
théoriques que nous trouverons exposées ici, le terreau commun subsiste.
Suspension d’un ballon dans l’air, discordances puis concordances de regards, contact d’une
main qui touche, rythmes désaccordés qui s’écoutent et qui s’entendent, jeux des formes
qui donnent forme, résistance, densité et permanence, souffle et voix, mots chantés ou
mis en gestes, intentions jouées et émotions vécues, rêveries partagées qui font barrage
à la violence crue des passages à l’acte, toutes ces expériences décrites tiennent le corps
comme le premier récepteur/effecteur de sens.
Préface

Ces textes nous offrent, chacun à leur manière, de suivre le chemin thérapeutique en cours,
dans ce tissage de symbolisations primordiales qui est la condition indispensable à toute
maturation humaine, au développement et à l’intelligence du sujet. Ce tissage, via la voie
du corps, est l’objet même d’un travail dynamique d’intégration psychique.
L’art thérapeutique n’est pas une science exacte. Et c’est cela même qui donne de la saveur
aux mots qui racontent cette expérience. Cette mise en expérience du corps devient l’acte
fondateur qui construit le sujet dans son humanité pour peu qu’il soit contenu dans le
langage d’un autre.
C’est ce que réussit cet ouvrage : donner des mots au corps.
Et je suis fière d’en ouvrir les premières pages.
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Paris, le 13 juillet 2014.

VII
Liste des auteurs
Cet ouvrage est dirigé par Éric W. PIREYRE. Il est psychomotricien et directeur de l’Institut
de Formation en Psychomotricité de l’ISTR-Lyon 1. Il enseigne la psychomotricité à Lyon,
à l’ISRP-Paris, à Lille et à Paris VI (UPMC). Il a exercé également en services de pédiatrie,
néonatologie et pédopsychiatrie. Il est l’auteur de Clinique de l’image du corps (Dunod,
2011). Il a initié l’ouvrage : Les liens corps esprit (Dunod, 2014) et en est l’un des coauteurs.
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Avec la participation de :
Beatriz ARANDA, psychomotricienne, Madrid.
Leïla BOURGUIBA, psychomotricienne.
MichaëL COUTOLLEAU, psychomotricien.
Carine DA FONSECA, psychomotricienne, exerçant depuis 4 ans auprès d’enfants et adolescents
au sein d’une crèche, d’une halte-garderie et d’un service d’oncologie pédiatrique.
Pierre DALARUN, psychomotricien-psychothérapeute.
Brigitte FEUILLERAT, psychomotricienne, thérapeute en relaxation, rééducatrice des fonctions
logicomathématiques (Hôpitaux de Saint Maurice, 94), Enseignante (ISRP, Boulogne, 92).
Nicole GIRARDIER, psychomotricienne et coordinatrice pédagogique à l’IFP de Lyon 1.
Françoise GIROMINI, psychomotricienne et ancienne directrice de l’IFP de l’UPMC (Paris VI –
Pitié-Salpétrière).
Camille GOLDMAN, psychomotricienne.
Adrien HILION, psychomotricien.
Magalie RAMO, psychomotricienne.
Chantal RÉMOVILLE, psychomotricienne et enseignante à l’ISRP (Boulogne, 92) et à l’IFP de
l’UPMC (Paris VI).
Marie ROSSIGNOL, psychomotricienne.
Christiane TANCRAY, psychomotricienne, sophrologue et responsable des stages au départe-
ment psychomotricité de l’Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation (ISTR).
Marie THÉRAIN, psychomotricienne et enseignante à l’ISRP (Boulogne, 92).
Alina VEESER, psychomotricienne.
Introduction
Éric Pireyre
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LE PRÉTEXTE

La rédaction d’un ouvrage d’études de cas en psychomotricité s’imposait mais est une vraie
gageure. S’imposait car, il faut bien le dire, peu avait été fait auparavant en ce domaine. Et
pourtant, quelle mine pour de jeunes professionnels qui se questionnent parfois de longues
années après leurs études à propos de la psychomotricité !
• Comment exercer ce métier ? Comment le conceptualiser ? Comment l’expliquer aux
autres ? Comment se l’approprier ?
• Quel est ou quels sont les points communs et les différences entre les modes d’exercice
professionnel des différents enseignants et maîtres de stage rencontrés au cours des trois
années d’études ?

Combien de fois n’avons-nous pas entendu des collègues, jeunes ou moins jeunes, dire leur
questionnement :
• Est-ce que je suis un « vrai » psychomotricien ?
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• Finalement, c’est quoi, la psychomotricité ?


• Est-ce qu’elle est enseignée de la même façon dans toutes les écoles1 ?

Quelle importance aussi pour les plus chevronnés d’entre nous qui ne disposons que
de très peu d’éléments pour penser la profession au-delà de notre quotidien clinique
hyperspécialisé ! Plus à l’aise dans le métier, les plus expérimentés n’en seraient pas moins
contents de voir confirmées – ou pas ! – certaines intuitions. Combien de questions nous
taraudent-elles, plus ou moins en arrière-fond de notre quotidien clinique ?

1. La réponse est constamment oui. Le CEDIFP (Collège des Équipes de Direction des Instituts de Formation de
Psychomotriciens) le clame haut et fort lors de chacune de ses réunions annuelles.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

• Si ce que je constate avec mes patients habituels est fondé, alors, compte tenu des
circonstances, la problématique qu’ils présentent doit se présenter de telle ou telle façon
chez certains autres. Mais qu’en est-il réellement ?
• Ce phénomène que je constate fréquemment, comment se développe-t-il ? Peut-il trouver
ses origines dans la première enfance, et, si oui, relève-t-il de la maturation physiologique
ou du développement psychoaffectif ? Cette question même est-elle pertinente ?

L’articulation des phénomènes mentaux et corporels, également, représente une probléma-


tique omniprésente et presque existentielle en psychomotricité :
• Ces fameux liens du corps et de l’esprit, qui représentent une profonde motivation à la
poursuite des études de psychomotricité, sont-ils les mêmes quels que soient les âges et
les pathologies ?
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• Comment les appréhender ?
• Comment « désintriquer » les éléments de la psychopathologie de ceux de la pathologie
organique ? Cette question est-elle vraiment pertinente ?
• Comment travaillent les collègues du soin somatique ? Et ceux du soin psychique ?
« Qu’est-ce que je peux bien représenter pour eux ? »

L’évolution de la profession et des connaissances est aussi le champ d’un vaste questionne-
ment :
• Dois-je me former à ces nouvelles pratiques ? Oui, mais que sont-elles au fond ? Que vont-
2 elles m’apporter ? Vais-je m’y perdre ? Sont-elles « solubles » dans la psychomotricité ?
Sont-elles compatibles avec mon mode actuel de conceptualisation de ce métier ?
• Est-il vraiment de mon devoir de psychomotricien de connaître ou d’adhérer à des théories
différentes qui risquent de modifier mes valeurs ?
• Si je fais le choix de respecter les collègues affiliés à d’autres courants théoriques,
eux-mêmes raisonneront-ils de la sorte par rapport à moi ?

Autour de quels concepts le corps professionnel des psychomotriciens pourrait-il se fédérer ?


Le corps, le dialogue tonico-émotionnel, la prise de conscience du corps, l’image du corps ?
Combien d’autres ? Et de quel droit l’auteur de ces lignes pourrait-il s’arroger le droit de
représenter à lui seul sa profession ? Nous reconnaissons-nous, tous, spontanément et
pleinement et tout au long de notre carrière, à chaque fois que nous lisons un article de
presse qui présente la psychomotricité ?
Quelle gageure donc de se lancer dans la rédaction d’un tel ouvrage devant toutes ces
questions ! Disons-le tout de suite, il n’est pas question de répondre de façon univoque à
ces interrogations. Est-ce seulement possible ? Est-ce souhaitable ? Non, le but d’un tel
projet est « simplement » de voir des – et non pas les – psychomotriciens au travail. Les
voir s’impliquer corporellement, affectivement et émotionnellement. Les entendre parler
Introduction

à leurs patients. Approcher un peu leurs raisonnements et leurs victoires mais aussi leurs
doutes, leurs questionnements et leurs échecs.

LE CONTEXTE

La profession de psychomotricien n’est plus aussi jeune qu’on se plaît encore à le dire et
à le répéter. Elle tire ses origines de la neurologie, de la psychologie et de la pédagogie.
Depuis des décennies elle s’affirme. Désormais elle explose. Ses écoles de formation se
multiplient. Ses débouchés s’élargissent. Ses médiations se diversifient. Elle est écoutée
dans les instances nationales et européennes. Elle se mondialise. Elle sait poser les questions
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consensuelles car elle s’adapte aux flux et reflux des théories dominantes. Sa position de
non inféodation à LA théorie du moment lui permet son effervescence et son dynamisme.
Chaque psychomotricien peut, s’il le désire, se dire libre de ses choix théoriques. De cela
découle cette idée centrale : la psychomotricité est très complexe à cerner dans sa diversité.
Aucun psychomotricien ne peut la représenter à lui seul. Aucun ouvrage ne peut parler d’elle
exhaustivement. Aucun livre ne peut balayer la totalité des mécanismes du développement de
l’enfant ou de l’image du corps, l’entièreté des pathologies ou des âges de la vie qui peuvent
être concernés, et ni la palette complète des médiations que nous utilisons. Aucun texte ne
peut rendre compte de l’infinie richesse de notre discipline. Car elle nous renvoie à l’infinie
diversité des capacités communicationnelles du corps, à l’infinie richesse et complexité
des mécanismes de l’image du corps, en bref à l’extrême variété de l’humain. Tous ces 3
éléments expliquent peut-être l’explosion de la psychomotricité ces dernières années. Non
seulement les modes d’exercice anciens ont été confortés (psychiatrie, handicap...) mais de
nouvelles pratiques apparaissent régulièrement. On les appelle « pratiques avancées ». Elles
sont prises en compte dans les projets de modernisation de la profession, particulièrement
par les travaux de réingéniérie en cours. Quelques-uns des textes présentés ici pourraient
refléter ces champs nouveaux.
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C’est pourquoi cet ouvrage ne se donne aucune prétention de représentativité de la


profession. Il n’en couvre qu’un faible champ. Il n’est pas exhaustif. Il se donne pour seul
objectif d’illustrer certains aspects de ce métier passionnant. La conception de cet ouvrage
a tenté de varier les exemples en termes de pathologies, d’âge des patients, de techniques
de soin ou d’intervention utilisées.
En termes de pathologies, on trouvera les apports de ces collègues qui se sont lancés dans
la narration de leur pratique quotidienne. Il s’agit de récits de maladies, de handicaps ou
de troubles différents les uns des autres.
Il en est ainsi des troubles du spectre autistique (TSA) qui sont maintenant appréhendés
comme des troubles du développement et pour la prise en charge desquels la place de la
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

psychomotricité s’est vue récemment confirmée par la Haute Autorité de la Santé (HAS). Les
enfants décrits ici présentent des comportements et des angoisses, reliés à leur corps, qui
justifient leur prise en charge en institution. Les psychomotriciennes qui racontent leurs
séances avec ces patients gardent en tête, puisque c’est l’objet des polémiques actuelles,
que des méthodes éducatives pourront être proposées dans l’avenir. Ce n’est pas encore –
mais parfois également ce n’est plus – d’actualité pour ces patients-là, certains parents
pourraient en témoigner. Par ailleurs, il n’est pas dans le rôle des psychomotriciens de
participer à l’acquisition ou à l’apprentissage de ces méthodes par leurs patients. Leur rôle
est éventuellement de les utiliser pour exploiter ce qu’elles permettent dans un objectif
précis, déterminé et en lien avec la prise en charge en psychomotricité.
Quels que soient nos patients, nous nous devons de leur proposer une aide psychomotrice
adaptée, ajustée, individualisée et respectueuse. Plus le patient est en difficulté pour
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exprimer par la parole ses difficultés, plus la psychomotricité apporte de réponses1 . Elle se
donne alors souvent comme objectif d’aider le patient à reconnaître dans ses perceptions,
son vécu émotionnel ou ses gestes des manifestations subjectives, signifiantes et inscrites
– ou à inscrire – dans son univers relationnel.

LES TEXTES

Le parti a été pris de présenter au lecteur les seize textes en respectant un ordre d’âge
4
chronologique. Nous partirons donc des bébés et des enfants2 pour aborder l’adulte puis la
personne âgée.
Marie THÉRAIN nous expliquera comment la prématurité bouleverse une vie familiale.
Bouleversement devant lequel la psychomotricité peut réagir adéquatement en prônant une
approche corporelle judicieuse.
Elle montrera à quel point la maladie – éventuellement grave – affecte les aptitudes
relationnelles, développementales et psychomotrices d’une jeune enfant. Et comment à
force de patience et de compétence, elle aidera l’enfant à s’autoriser à réinvestir un corps
en devenir. En « devenir grande. »
Brigitte FEUILLERAT nous exposera son travail minutieux dans le cadre de pathologies
neurologiques graves également. Elle racontera son aptitude à jongler entre les outils
d’évaluation, les médiations, les objectifs thérapeutiques, les approches cognitives et les
personnalités de ses petits patients.

1. Le corollaire n’est pas forcément faux.


2. Anne-Lise, de Christiane Tancray, n’est pas si éloignée de l’adolescence qu’on pourrait le penser à première vue.
Introduction

Marie ROSSIGNOL s’est chargée de la lourde tâche, là aussi très minutieuse, de raconter une
séance. « Comment ça commence, comment ça finit, par quels moments ça passe ? » Que
vit la psychomotricienne au décours de ce temps passé à côtoyer un patient en difficulté ?
Que ressent-elle ? Comment raisonne-t-elle ?
Nicole GIRARDIER souhaite nous montrer comment la psychomotricité peut désormais
développer et recourir à sa propre conceptualisation. À partir de théories différentes,
« non propriétaires » pour utiliser des termes utilisés dans le monde de l’informatique, elle
nous expose ses capacités de synthèse, d’écoute, de réactivité, de créativité et de pensée.
Prosper, suivi de longues années, évolue en même temps que sa psychomotricienne qui
s’adapte à lui séance après séance.
Chantal RÉMOVILLE nous entraîne dans le monde des contes et nous confie sa méthode de
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travail dans laquelle l’individualisation de la prise en charge est poussée à l’extrême. La jeune
patiente assiste à ses séances de relaxation sans dire un mot pendant de longues périodes.
Sans solliciter sa thérapeute, elle s’approprie pourtant son suivi et fait état de progrès
étonnants. Preuve que l’approche corporelle spécifique des psychomotriciens, couplée à leur
patience infinie et à leurs fortes capacités d’empathie, est totalement thérapeutique. Si le
besoin d’affirmer cela en était encore nécessaire !
Beatriz ARANDA, Espagnole de Madrid et francophone, nous confie ses questionnements,
ses doutes mais aussi ses victoires, face à des familles en grande souffrance. Comment le
psychomotricien, confronté à des dysfonctionnements familiaux pourtant en arrière-fond
de la demande d’aide, parvient-il à accompagner la prise de conscience de ses difficultés et
souffrances par le couple parental ? Comment réussit-il à faire tranquillement « mûrir » la 5
famille, en sorte de recentrer, ou même décentrer, l’enfant et ses souffrances dans la prise
en charge ? Loin de chercher à culpabiliser les parents, Beatriz Aranda montre son aisance à
prendre pour un temps sur ses épaules psychiques, comme dirait Pierre Delion, la souffrance
d’adultes d’abord préoccupés uniquement des performances scolaires insuffisantes de leur
enfant.
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Alina VEESER s’intéresse, elle, à la fonction contenante du psychomotricien. Ce faisant, elle


nous narre le suivi mère/enfant de Goran et Mme F. D’abord dévalorisée dans sa fonction
maternelle, Mme F. va s’ouvrir à la relation avec son fils en utilisant, à son insu, les capacités
de contenance physique et psychique de la psychomotricienne. La conceptualisation qui
s’ensuit nous permet de comprendre les ressorts d’une prise en charge difficile et cruciale
pour l’avenir de Goran. On en sort étonnés du sens de l’observation d’Alina Vesser !
Chez les adultes, Magali RAMO exerce dans un champ nouveau. Son patient alcoolique défie
sa résistance. Elle ne le lâchera pourtant pas et M. B. en sortira grandi. Nous aurons au
passage eu l’occasion de comprendre certains des mécanismes de l’alcoolisation et la place
de l’approche corporelle dans ces pathologies.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Leïla BOURGUIBA, elle aussi dans un domaine peu fréquent, raconte comment des femmes
enceintes sans pathologie particulière peuvent tirer profit de séances de psychomotricité
dans l’eau. On voit alors se déployer toute l’habileté de la psychomotricienne qui fait face à
des personnes qui ne demandent officiellement pas d’aide mais qui bénéficient d’une vraie
approche préventive.
Camille GOLDMAN doit s’occuper d’une jeune adulte malade, allant et venant régulièrement
dans les services de psychiatrie. Porteuse d’une effroyable histoire qui pourrait la conduire
à ne plus donner sa confiance à qui que ce soit, cette patiente va peu à peu investir
sa thérapeute et son propre corps à elle. Au point de modifier considérablement son
habitus. La parole, les sensations et les émotions s’inscrivent dans les rouages du suivi en
psychomotricité, soulagent la patiente et lui redonnent espoir.
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Christiane TANCRAY, psychomotricienne et sophrologue, nous propose un mode d’exercice
original. En libéral et recourant à une véritable « double prise en charge » (psychomotricité
et sophrologie), elle parvient à faire évoluer sa jeune patiente qui passe par bien des étapes
qui sollicitent très fortement notre empathie. Ce faisant, la psychomotricienne nous décrit
l’adaptabilité thérapeutique dont elle est dotée.
Pierre DALARUN, exerçant lui aussi en cabinet, trace le portrait de l’une des souffrances les
plus criantes de notre société, la problématique du surpoids. Il replace cette souffrance à
sa place. Le plus souvent celle d’un symptôme qu’il est inutile de chercher à annihiler « vite
et par n’importe quel moyen. » La primauté du corps et de l’approche corporelle fixe alors
des objectifs réalistes et, en apparence, modestes mais qui sur le long terme permettent la
6 stabilisation d’abord puis un relatif mais pérenne amaigrissement.
Carine DA FONSECA travaille en crèche. Elle expose ici un aspect de sa pratique quotidienne :
le rôle de formation du psychomotricien. Les équipes de proximité ont besoin de temps de
réflexion sur leurs pratiques. Elles peuvent profiter de mises en situation pensées par la
psychomotricienne. De la sorte, elles peuvent infléchir leurs gestes, leurs représentations
et leurs capacités empathiques. Les témoignages concrets et très vivants que Carine Da
Fonseca nous apporte devraient encourager les psychomotriciens, en général, à développer
leurs activités de formation. Dans leur institution ou ailleurs.
Adrien HILION, pour sa part, adopte un double point de vue : il accompagne des patients
souffrant de la maladie d’Alzheimer et déploie un dispositif d’aide aux familles (les
« aidants ») de ces malades. On sait (plans Alzheimer) que la psychomotricité a été placée à
l’avant-scène des outils de soins pour les pathologies démentielles. Montrer les compétences
de ces malades (particulièrement dans le cadre du dialogue tonico-émotionnel), soutenir les
aidants et s’insérer solidement au sein des équipes soignantes représente un défi humain
crucial pour la société française et notre système de soin.
Introduction

Françoise GIROMINI et Mickaël COUTOLLEAU ont accepté de se charger de la discussion finale. Ils
proposent une synthèse à deux plumes des concepts exposés par nos auteurs et ouvriront à
leur façon les débats. Ils replaceront les seize textes dans une perspective épistémologique
et en analyseront à leur façon les concepts sous-jacents.
Toutes ces histoires exhalent fortement émotions intenses, passions professionnelles et
questionnement approfondis. Elles nous permettent de « voir » travailler des psychomo-
triciens, de les écouter parler à leurs patients, de partager leurs questionnements, leurs
doutes et leurs choix. Pas d’idéal pour autant bien sûr. Nous sommes dans l’Humain.
Au moment de la finalisation cet ouvrage, l’intérêt est grand de repérer dans les seize
textes les concepts récurrents et les mots clés communs. Sortent du lot les mots émotions,
sensations, représentations, prise de conscience du corps, dialogue tonico-émotionnel,
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image du corps, développement psychomoteur, thérapie psychomotrice. On trouvera peu de
liens vers une psychomotricité exclusivement tournée vers les aptitudes ou les performances
psychomotrices « pures1 ». Biais lors du « recrutement » des auteurs ? Pas si sûr... Au
lecteur de se faire son point de vue !

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1. D’ailleurs, existent-elles ? Si on le croit, alors on oublie l’humain derrière la fonction. Le « Sujet. »


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Chapitre 1

Marie Thérain
S’éveiller et grandir

Histoires d’Eliot et de Valentine


à l’hôpital
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SOMMAIRE

Comment inscrire le corps de l’enfant comme support


de son développement en réanimation pédiatrique ? . . . . . . . . . . . . . . 10
Histoire d’Eliot, d’un corps machine à un corps vécu . . . . . . . . . . . . 11
Bilan d’observation en psychomotricité (28 octobre) . . . . . . . . . . . . 18
Continuer à grandir avec la psychomotricité dans un corps
souffrant en hématologie oncologie pédiatrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Valentine, ou comment maîtriser ce qui se passe sur le corps ? . . 20
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9
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L
A PSYCHOMOTRICITÉ, en s’immergeant dans des services médicaux spécialisés,
instaure une nouvelle relation au corps et favorise un vécu corporel
sur lequel l’enfant pourra s’appuyer pour grandir malgré la maladie et
l’hospitalisation. La psychomotricité s’ouvre de plus en plus à des domaines
d’intervention variés. Le champ médical traitant le corps souffrant est un univers
particulièrement intéressant pour les psychomotriciens. Créer un poste dans un service
médical spécialisé, c’est aussi développer, promulguer et parler de la psychomotricité
en trouvant des mots et des ponts entre les différentes pensées et personnalités
scientifiques.

C’est ainsi que je souhaite vous faire partager mon intervention dans deux services de
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pédiatrie, l’un en réanimation et l’autre en hématologie oncologie, par le récit d’histoires
vécues. La question du corps reste centrale, partagée tant par les médecins que par les
autres intervenants, tout comme la question de l’enfant et de son développement dans
un tel univers. Dans ces moments aigus où le temps est suspendu à l’action médicale, les
soignants sont amenés à porter un intérêt plus prononcé sur l’organe défaillant ; le regard
sur le corps est clivé et morcelant. Comment penser l’enfant dans ces moments de vie où
tout tient à un fil ? Comment garder en tête son bien-être et son développement et le situer
comme « un futur marcheur » (Bullinger) alors que tant de techniques viennent envahir son
environnement et interférer dans la relation ? Pour ces deux histoires, nous cheminerons
donc au gré des progrès de l’enfant, en passant pour Eliot du corps ressenti au corps en
10 relation ; pour Valentine, du corps objet des soins au corps sujet dans la relation.
Quant à la question de savoir pourquoi j’ai choisi ces deux enfants-là...
Sans doute quelque chose de leur histoire a résonné en moi...

COMMENT INSCRIRE LE CORPS DE L’ENFANT


COMME SUPPORT DE SON DÉVELOPPEMENT
EN RÉANIMATION PÉDIATRIQUE ?

Le service de réanimation est situé dans un nouveau bâtiment de l’hôpital. Il comprend


trois unités :
1. une unité de réanimation néonatale accueillant des prématurés à partir de 26 semaines ;
2. un service de réanimation pédiatrique polyvalente ;
3. une unité de soins continus.
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

Les 15 enfants accueillis nécessitent des soins intensifs et constants. Une grande équipe
médicale et paramédicale prend soin d’eux. Les parents sont accueillis et accompagnés
lors de certains soins et il n’existe pas de limitation des visites. L’intégration de la
psychomotricité s’est faite il y a deux ans, conjuguée avec un projet d’intégration des soins
de soutien au développement.

Histoire d’Eliot, d’un corps machine à un corps vécu


« Eliot, tu ne peux pas aller le voir. Il est instable, sédaté et on va bientôt le brancher. »
Voilà ce que j’apprends en faisant « mon tour » ce matin-là en réanimation pédiatrique.
Exercer là, c’est entrer dans un nouvel univers, avec un langage particulier qui nous fait
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travailler l’imaginaire.
En plus d’apprendre une nouvelle langue, une technique, il s’agit aussi d’apprivoiser les
réanimateurs et leurs représentations de la psychomotricité, de vivre les bruits qui font
courir tout le monde et de rencontrer les regards de solitude et de détresse des parents.
C’est un entre-deux où la vie semble ne tenir qu’à un fil (ou plutôt, soyons exacts, plusieurs
fils de couleurs et de tailles différentes), où tout ce qui se passe se vit selon les fluctuations
de l’état somatique de l’enfant. Il est d’ailleurs très fréquent que les parents répondent à
notre question « Comment allez-vous ? » en nommant leur état physique et émotionnel en
rapport avec celui de leur bébé : « Moi, quand Louise va bien, je vais bien... » me dira un
jour une jeune maman.
11
Devant tant de craintes et de réticences, je reste en retrait : que pourrait faire un
psychomotricien devant un bébé qui « dort », donc qui ne sent pas et n’entend pas ?
Posées ainsi, leurs questions semblent légitimes ! Mais est-on sûr qu’il ne sente pas ?

! Ensemble, apprenons à mettre du sens à nos sensations


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Deux semaines plus tard, une infirmière m’interpelle dans le couloir. Eliot est difficile à
installer et les soins deviennent de plus en plus difficiles à réaliser. Les soins, c’est le
tour que les infirmières réalisent toutes les 4 heures (voire moins lorsque l’enfant n’est
pas stable). Il s’agit d’un relevé en temps réel des indices de vie et de santé de l’enfant
(température, saturation en oxygène, fréquences cardiaque et respiratoire, tension, débit
d’oxygène et réglages de l’assistance respiratoire). Puis les soins s’intéressent au corps réel
du bébé : soins des yeux et de la bouche, aspirations nasales et trachéales, changes de
couche, massages des points d’appuis et/ou massages lymphatiques et réinstallation dans
le lit. L’infirmière m’apprend qu’Eliot tolère de moins en moins le toucher des soignants et
qu’il lui est difficile de réaliser ces soins auprès de cet enfant qui manifestement ressent
ce qui se passe sur et dans son corps. Les médecins sont informés de cette demande. Ils
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

sont dubitatifs mais me laissent approcher Eliot sur une indication posturale et de soutien
contenant pendant les soins.
Lorsque je m’approche d’Eliot, la porte de sa chambre est grande ouverte. Les lumières
illuminent un tout petit lit (une table radiante). Le dispositif autour de l’enfant est
impressionnant : 2 hauteurs de pousses-seringues à gauche du lit ; le respirateur, grosse
machine qui sonne régulièrement, occupe le côté droit du lit. Et au-dessus de tout cela,
trône le « scope » avec ses tracés colorés. J’aperçois derrière le lit une autre grosse machine
avec 2 disques qui tournent : c’est la CEC ou Circulation Extra Corporelle. Les poumons
d’Eliot sont très malades. La machine fait donc office de poumons. Elle est reliée au corps
du bébé par deux canules accrochées à son cou et au creux fémoral. Il y a un enfant dans
cette chambre, mais il semble démesurément plus petit que tout ce qui l’entoure. Je l’avais
d’ailleurs un temps oublié, accaparée que j’étais par cette technique, ces lumières et ces
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bruits. Que de stimulations agressantes ! Eliot est un petit garçon qui semble avoir 4 mois,
blond, tout petit, maigre et allongé dans son petit lit. Sa tête est grosse face à ce petit
corps. Elle est gonflée d’œdèmes par la position allongée permanente. Un tube sort de son
cou. Il est rempli de sang. Les extrémités des membres sont un peu gonflées. Encore des
œdèmes visiblement. Ils sont comme posés à côté du corps et paraissent « gêner ». Eliot a
les yeux entrouverts et de petites larmes coulent parfois. Son thorax est aplati contre le
matelas. Son ventre est un peu gonflé. Rien n’habille cet enfant à part une couche et les
nombreux fils et capteurs qui nous assurent de sa présence. De sa vie. Je me sens démunie
devant ce corps douloureux et par ce bébé en souffrance. Comment et par où commencer ?
12 L’infirmière et moi décidons de débuter les soins par ce qui est le moins invasif. Je serai là
en soutien, support contenant et observateur des manifestations corporelles d’Eliot. De là,
nous écrirons son histoire du soin pour ritualiser ce moment-là et afin d’offrir des repères
dont Eliot pourra se saisir peu à peu.
L’inscription des soins de soutien de développement mis en place dans le service est
l’occasion pour tous les soignants de réfléchir à l’accompagnement de l’enfant dans un lieu
de haute technicité médicale. En effet, il s’agit de concilier l’impératif de soins, souvent
très invasifs mais indispensables à la survie, avec le souci d’inscrire l’enfant dans un futur
en respectant son développement. Ce projet de service est donc le support nous permettant
de penser le tout-petit comme acteur du soin qui lui est fait en intégrant les parents
comme partenaires actifs. L’observation du comportement de l’enfant pendant le soin est le
préambule indispensable pour écrire son projet de soins qui donnera la tonalité du suivi
apporté.
Aujourd’hui les parents d’Eliot sont absents. Mais l’infirmière me les décrit comme très
souvent présents auprès de leur petit garçon. Pour le moment, leurs deux enfants aînés
sont confiés à la grand-mère maternelle. Cela leur permet d’être présents tous les deux
dans la journée. Nous prendrons donc le temps, l’une ou l’autre, de leur présenter ce projet
lorsqu’ils reviendront dans le service.
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

Ces premiers soins ensemble sont difficiles, tant pour lui que pour moi. Dès que mes mains
sont posées sur son ventre ou sa tête, Eliot mobilise un peu ses doigts et ses orteils. Il
grimace. Nous travaillons sur une gestuelle lente, un toucher le plus contenant possible,
accompagné de verbalisations. Nous ralentissons le temps du soin en fonction de ses signes
de désaturation. Des mots sont mis sur l’inscription sensorielle de ce qu’il peut ressentir :
« La compresse est un peu froide, c’est humide... » Nous prenons le temps de toucher la
partie du corps concernée avant de la solliciter. Les soins qui mobilisent tout le corps,
comme le change de couche, sont les plus difficiles à vivre pour Eliot. De plus, la CEC
entrave l’installation de l’enfant dans un contenant qui lui permettrait d’être soutenu dans
ses appuis. L’environnement sonore et visuel est intrusif, bruyant et parasite l’intégration
sensorielle qu’Eliot est censé acquérir dans ses premiers mois de vie.
Il me semble perdu dans son corps et dans ses sensations. Il vit toute forme de toucher
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associée aux soins comme négative et agressante. Cette crainte et cette anticipation du
contact l’amènent à moduler ses réactions physiologiques (il diminue sa saturation en
oxygène et/ou ralentit son rythme cardiaque par exemple). Ceci s’observe beaucoup chez le
tout-petit dont l’environnement est source d’agressions ; peu voire pas encore armé pour
répondre à ces dystimulations, le bébé se protège en se repliant sur lui-même et, si les
stimulations sont trop difficiles à intégrer, en modulant son système physiologique1 . Cette
vulnérabilité lui impose de s’appuyer sur l’adulte qui prend soin de lui (Lamour, Barraco,
1998). De plus, avec la sédation et le curare, il n’est pas possible pour Eliot de trouver de
lui-même soutiens et appuis rassurants.
Nous distinguons plusieurs étapes dans le projet de soins : 13
1. Au niveau de l’installation, il est possible de proposer une position un peu plus regroupée
avec un cocon notamment sur le côté gauche, celui qui est libéré des fils et canules.
Un soutien est mis sous la tête, permettant un léger enroulement de la nuque et un
relâchement de la ceinture scapulaire et des tensions dorsales. Les bras sont rassemblés
sur le ventre, dans l’axe du corps. Ainsi ses mains peuvent toucher son ventre. Ses jambes
sont légèrement repliées, notamment la jambe gauche sur laquelle aucun cathéter n’est
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présent. Un appui des pieds est proposé également par le cocon. Nous insistons sur
l’importance d’installer Eliot avant de commencer les soins. Il trouvera ainsi quelque
soutien pour mieux supporter les différentes stimulations.
2. De plus, nous conseillons les soins en binôme, avec deux adultes, l’un soignant et
l’autre contenant, ce dernier permettant d’unifier le toucher du corps. Les parents,
particulièrement investis et demandant à être présents pendant les soins, prendront
rapidement cette place. Nous essayerons d’effectuer les soins en respectant un ordre

1. Cf. NIDCAP.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

sensiblement identique afin de permettre à Eliot d’anticiper chaque soin, mobilisation


et toucher.
3. Nous insistons sur l’accompagnement de la parentalité. Ainsi, les temps de massage
peuvent être réalisés également par les parents. Peu à peu, ils réaliseront eux-mêmes
certains soins (prise de la température, soins des yeux etc.). Cependant, l’importance
de l’équipement technique ne leur permet pas de porter leur petit bébé.
4. Parallèlement, l’environnement d’Eliot devient personnalisé. Les lumières vives sont
éteintes. Une veilleuse est éventuellement allumée. Les alarmes sont coupées le plus
vite possible. Les parents ont rapidement apporté les dessins de la grande sœur et du
grand frère. Avec l’autorisation et l’appui de l’équipe, ils ont aussi mis à disposition
d’Eliot la musique qu’ils ont l’habitude d’écouter et les produits de toilette utilisés à la
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maison. De nombreux jeux viendront ensuite ponctuer l’évolution psychomotrice d’Eliot.
La chambre d’hôpital, blanche et froide, deviendra un espace de vie agrémenté d’un
tapis, d’une baignoire portable et de nombreux éléments sensoriels la transformant en
chambre personnalisée où peu à peu chaque soignant changera sa perception : d’un
espace qui leur appartient, ils seront ensuite comme invités dans une chambre d’enfant.
Et les éléments médicaux indispensables encore à la vie d’Eliot apparaîtront de plus en
plus secondaires.

La première rencontre avec les parents s’effectue une semaine plus tard. Les poumons
d’Eliot peuvent maintenant se passer de la « machine extracorporelle ». Pour autant, il a
encore besoin d’un support respiratoire par l’intermédiaire d’un petit masque sur le nez1 .
14 Nous pouvons donc l’installer plus confortablement et lui apporter ainsi les supports dont
il a besoin. Les soins sont toujours anxiogènes pour Eliot qui commence à se réveiller
doucement. Son papa arrive dans la chambre après le soin, alors que nous terminons
d’installer Eliot dans son cocon.
L’accompagnement des parents et le soutien à la parentalité sont le quotidien des
professionnels de pédiatrie. Ce travail pas à pas se construit avec l’enfant au cœur des
préoccupations de chacun. Ainsi, tout au long des nombreuses séances de psychomotricité,
les parents seront impliqués en fonction de leurs demandes et de leurs possibilités.
Le papa cherche sa place auprès de son petit garçon. Il se questionne souvent sur les
manifestations de son bébé, sur sa capacité à lui à contenir les angoisses d’Eliot et sur
son positionnement pendant les soins face à ces gens qui « savent ». Mais la réanimation
ne serait-elle pas plutôt l’espace des gens qui cherchent et où les questions demeurent
sans réponses certaines ? Ainsi, par mes mots échangés sur les signaux corporels que nous
donne Eliot, je cherche à soutenir cette paternité qui m’apparaît naissante dans un univers

1. VNI : Ventilation Non Invasive, dispositif d’aide respiratoire permettant d’insuffler de l’air dans les narines de
l’enfant.
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

médicalisé. Le père deviendra donc, au fur et à mesure, le partenaire privilégié et passeur


d’histoire entre les frères et sœurs (par l’intermédiaire d’une tablette tactile et des films
réalisés). C’est en discutant de son histoire, de l’arrivée d’Eliot dans sa vie et de son idée
de la paternité, que le papa s’autorise à s’apaiser et de ce fait Eliot aussi. Nous faisons
ici référence à l’importance de l’imprégnation de l’environnement dans l’état émotionnel
de l’enfant (Vasseur, Delion, 2011, p. 91). Les séances avec ce partenaire thérapeutique
deviennent donc des moments de rencontre entre père et fils, où chacun fait la connaissance
de l’autre et de ses capacités. Je suis en quelque sorte l’intermédiaire et le décodeur des
messages de l’enfant, cherchant toujours à valoriser et accompagner les propositions du
papa dans une attitude bienveillante. Il deviendra ainsi capable d’installer son fils seul dans
le cocon et sera autonome pour le porter. C’est d’ailleurs dans les bras du papa, dans un
enroulement proche de celui du tout-petit, qu’Eliot s’endort souvent.
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! Du corps senti au corps vécu, l’engagement corporel
dans la relation
Peu à peu, Eliot fait des progrès respiratoires certains. La temporalité des séances, tant dans
leur fréquence que dans leur durée, sera toujours adaptée à son évolution médicale. L’équipe
soignante, de l’infirmière qui prend soin de lui dans la journée à l’auxiliaire de puériculture –
plus rarement les médecins – passera régulièrement dans la chambre, moins pour interrompre
que pour comprendre ce qui se joue en psychomotricité. Et les séances deviendront des
moments d’éveil sensorimoteur où Eliot sera amené à percevoir les différentes sollicitations
15
et à y répondre. C’est ainsi que le bain devient un moment de partage sensoriel. Le portage
étant encore difficile à supporter pour Eliot, nous mettons en place le bain enveloppé. Il
est installé nu dans son lit, enveloppé d’un lange puis porté par sa maman. Dans cette
position regroupée et contenu par le lange qui est retiré progressivement, il est doucement
plongé dans l’eau. Eliot apprécie ce moment et la maman prend rapidement ses marques.
Nous jouons avec le bruit de l’eau, le mouvement des vagues et l’appui des pieds contre la
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baignoire pour pousser et gigoter. Eliot essaie d’attraper quelques jeux qui flottent. Après
le bain, un temps de massage est ensuite proposé, toujours dans un enroulement dont
Eliot ne peut pas encore se passer. Il a maintenant cinq mois mais garde une importante
hypotonie axiale qui semble faire de ses déplacements des contraintes. Encore fragile au
niveau respiratoire, il peut alors parfois désaturer1 . Néanmoins, c’est un enfant éveillé et
charmeur qui s’ouvre peu à peu au monde, notamment lorsqu’il est dans les bras de ses
parents. Le toucher contenant réalisé rapidement de manière autonome par la maman lui
permet de prendre conscience de son enveloppe corporelle. Il peut progressivement mettre
les mains à la bouche, les rassembler autour de l’axe et faire ainsi connaissance de cet

1. Diminution de l’apport en oxygène.


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

espace oral, premier espace de découverte et d’investissement du bébé. La psychomotricité


a ainsi permis à la maman de s’autoriser à garder ses préoccupations propres face à son
petit garçon. Elle prendra rapidement une place d’interlocutrice privilégiée pendant les
soins et initiera des séances de psychomotricité pendant mes absences. Il y a ainsi une
sorte de continuité dans le suivi.
Une troisième personne sera particulièrement impliquée dans le suivi en psychomotricité : la
grand-mère maternelle. En effet, une réorganisation familiale a lieu plusieurs fois au cours
de la longue hospitalisation d’Eliot. Lors de leur absence, les parents confient leur enfant
aux bons soins de sa grand-mère. Ravie de s’occuper de son petit-fils, la mamie déborde
d’imagination pour l’occuper et l’ouvrir au monde. Les séances de psychomotricité, toujours
en présence de l’adulte accompagnant, deviennent pour elle l’occasion d’être dans l’action,
parfois un peu trop stimulante mais débordante d’envie et de vie pour Eliot. Attentive, elle
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nous demande spontanément de l’aider à mieux percevoir les signaux de fatigue d’Eliot et
de ne pas hésiter à l’interdire d’agir parce que « ma fille et mon gendre ont peur que je le
sur-stimule et vous demandent de me surveiller ! ». Afin de rassurer cette spirale interactive,
il y a donc des cercles d’attention dont le cœur reste Eliot. Les parents, rassurés de voir
notre préoccupation constante du respect du rythme de leur enfant, s’autorisent quelques
jours d’absence pour se retrouver avec le grand frère et la grande sœur. De son côté, la
mamie se sait accompagnée et soutenue par l’équipe soignante, elle qui a la lourde tâche
de prendre soin de son petit-fils sans avoir eu réellement le temps de faire sa connaissance.
C’est au cours d’une séance de psychomotricité orientée sur la sollicitation visuelle et
l’accompagnement des premières coordinations, que la mamie me confie son envie passée
16
de devenir psychomotricienne. Les aléas de la vie l’en ont éloignée. Elle cherchera donc à
copier et reproduire mes mouvements et mes sollicitations, les parasitant parfois. Durant
ses moments de présence, elle finira par souvent demander d’avoir Eliot dans ses bras. Il
finira par s’y endormir.
Le suivi en psychomotricité se poursuit au fil de l’hospitalisation d’Eliot. L’adaptabilité
est permanente, tant aux impératifs médicaux qu’à l’état de santé de l’enfant. C’est ainsi
que les séances ne peuvent parfois être anticipées, que nous pouvons être appelés pour
des missions aussi diverses qu’un accompagnement des soins, une aide au positionnement
(portage, enveloppement, peau à peau...) ou une recherche d’apaisement ou de gestion
de la douleur pour les plus grands. La créativité est donc constante, faisant de chaque
moment d’éveil un temps de sollicitation et de découverte sensorimotrice. Les soignants
sont tous invités à participer ou à être présents pendant mes séances. Ils sont des relais
quotidiens auprès de l’enfant au même titre que ses parents. Ensemble, nous apprenons à
découvrir l’enfant et à organiser les temps de soins selon ce qu’il nous donne à observer et
ce qui est le mieux pour lui. Cette implication de l’équipe, respectueuse de trouver la juste
mesure entre le soutien et l’accompagnement de l’enfant et de ses parents, permet de faire
de la psychomotricité un espace-temps où l’enfant se situe acteur de ce qui se joue pour
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

lui. L’accompagnement des soignants au quotidien dans la réalisation des temps de soin
ainsi que le décodage avec eux des comportements de l’enfant représentent un partenariat
constant où l’attention qui lui est portée devient plus pertinente. Ainsi, peu à peu, des
modifications sont visibles dans le « prendre soin » de l’autre.

Eliot a maintenant 7 mois. Il respire seul mais a encore besoin la nuit d’un apport en
oxygène par des « lunettes » positionnées en permanence sous son nez. Les soins sont
presque entièrement réalisés par la maman. Eliot est de moins en moins craintif du toucher
et de l’approche des soignants. Les séances peuvent maintenant se réaliser à plat dans le
lit. Eliot n’a plus ces réactions de peur de l’espace qui majorent ses difficultés respiratoires.
Nos rendez-vous sont maintenant placés sur un temps précis de la journée d’Eliot, à
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distance des soins ou du bain. Ils ont lieu trois fois par semaine et comprennent un temps
d’éveil sensori-moteur et de mouvements plus globaux sollicitant le sens vestibulaire et le
recrutement tonique. La séance se finit par un temps plus calme de sollicitation visuelle, de
comptines et de jeux de doigts. Un tapis est mis à disposition de la famille lors de la visite
de la fratrie le week-end. En effet, la réanimation n’est pas fermée à la présence de la fratrie.
Néanmoins, celle-ci est souvent vue au préalable par la psychologue pour accompagner la
première visite. Eliot récupère peu à peu une motricité spontanée fluide. La dernière IRM est
rassurante quant à d’éventuelles lésions cérébrales. La maman reproduit tous les jours les
propositions expérimentées pendant les séances. Eliot gagne en confiance. Il sourit même
aux déstabilisations vestibulaires. Un meilleur recrutement tonique lui permet d’attraper
et de mettre à la bouche les jeux qu’on lui présente. Son hypotonie axiale est encore 17
présente. Nous n’abordons donc pas encore la verticalisation. Néanmoins, nous observons
des mouvements de type répétitifs : Eliot tape le matelas de sa main lorsqu’il est allongé à
plat sur le dos. Le papa remarque souvent une tension lors de l’endormissement du soir. Ces
réactions n’existent pas toujours mais suffisent à questionner sur leurs significations. Or
Eliot ne montre pas d’autre moment d’angoisse et sa motricité se complexifie peu à peu.
Nous posons donc l’hypothèse que la position en appui asymétrique proposée pendant son
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long moment d’immobilisation a entraîné une certaine asymétrie tonique. Ainsi, lorsque le
tonus est équilibré en décubitus dorsal, Eliot se sent différent et perdu dans ces nouvelles
sensations. Il teste donc sa motricité sur le côté généralement en appui, celui qui est le
plus difficilement mobilisable. En effet, en raison de sa fragilité pulmonaire, Eliot a toujours
été installé en appui sur son côté gauche. Et ce n’est que depuis peu qu’il supporte de
longs moments d’allongement sans autre support ni appui que son propre corps. En effet, le
corps en souffrance est l’objet de soins constants et souvent douloureux. L’enfant grandit
donc dans un corps qui lui échappe. Comment le considérer alors comme le support de base
de son développement psychomoteur et psychoaffectif ? La psychomotricité pourrait ainsi
être le moyen d’établir un nouveau rapport au corps. Elle donne du sens aux sensations
reçues, aux expressions corporelles et aux mouvements de l’enfant. Et dans une présence
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

bienveillante, elle encourage le bébé en le situant comme acteur de son développement.


Cette confiance mise dans l’appétence à grandir de l’enfant permet un respect du rythme
d’évolution et un soutien adapté à chaque situation clinique rencontrée :
« C’est [...] en faisant appel à sa participation qu’on l’aide à se percevoir lui-même, à se connaître et à
s’exprimer donc à s’affirmer en tant que personne » (David, Appel, 1973, p. 29).

Les médecins parlent de plus en plus régulièrement d’un transfert dans un autre service de
l’hôpital. Les parents me font part, chacun à leur tour, de cette inquiétude face au futur
changement. Lors d’une hospitalisation longue, les transferts sont une nouvelle source
d’angoisse. Il s’agit, pour les parents comme pour l’enfant, de faire la connaissance d’une
nouvelle équipe et de se familiariser avec d’autres pratiques soignantes. Le passage d’un
service de soins intensifs comme la réanimation, à un service de suivi plus chronique
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avec une présence soignante moins continue donne souvent l’impression aux parents d’être
« lâchés ». Certains utilisent parfois le terme « d’abandon ». Ils doivent refaire connaissance
avec leur enfant et ces moments les déstabilisent dans leurs compétences parentales.
Ce nouvel environnement impose de penser à une autre temporalité dans le suivi. En
l’absence d’une psychomotricienne en pneumologie pédiatrique, il est convenu que je
poursuive les séances avec Eliot. Cependant, compte tenu de mon emploi du temps, les
séances devront être plus espacées. C’est ainsi que nous n’avons pu nous revoir que deux
fois. Dans la perspective d’un retour prochain dans leur maison de province, la maman
s’inquiète de la poursuite du suivi en psychomotricité. En accord avec le médecin référent
de l’enfant, je réalise un bilan d’observation d’Eliot. Ce sera également le moment de faire
18 une synthèse du travail effectué ensemble et de se dire au revoir. En voici la restitution.

Bilan d’observation en psychomotricité (28 octobre)


Eliot est âgé de 8 mois et 22 jours.
• Anamnèse
Eliot est un petit garçon né à terme. Il est le 3e d’une fratrie de trois (une grande sœur
de 5 ans et un grand frère de 3 ans).

Son suivi en psychomotricité débute le 26 juin en réanimation pédiatrique.


• Posture
De manière générale, Eliot se tourne et tourne plus facilement sa tête à gauche. Cela
peut être dû à la fois aux longs mois d’hospitalisation en position asymétrique gauche
et à sa fragilité pulmonaire. On observe donc une discrète et stable plagiocéphalie à
gauche n’entraînant a priori pas de raccourcissement musculaire au niveau cervical. En
décubitus dorsal, Eliot peut basculer le bas du corps sur le côté gauche. Le côté droit
est peu investi. Eliot n’arrive pas encore à se retourner sur le côté mais il participe de
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

plus en plus activement aux manœuvres de retournement. En décubitus latéral gauche,


il maintient la posture et peut se remettre sur le dos. Néanmoins cette bascule semble
peu maîtrisée. En décubitus ventral, Eliot redresse sa tête quelques secondes à 45°. Il
ne prend pas appui sur ses avant-bras et ne présente pas le tonus nécessaire au long
maintien de cette position. Lorsqu’il est assis, une cyphose dorsale est observable. Cette
hypotonie axiale ne permet pas à Eliot de tenir seul cette position. Il maintient sa tête et
peut la tourner à gauche et à droite en fonction des sollicitations auditives ou visuelles.
La position debout n’a pas été testée, semblant trop prématurée compte tenu de son
tonus axial encore trop faible.
• Coordinations
Eliot attrape les jeux préférentiellement de la main gauche. Il passe aisément l’objet
d’une main à l’autre. La préhension est encore parfois hésitante. Elle s’effectue avec une
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pince digito-palmaire ou cubito-palmaire. Les index ne sont pas utilisés et restent raides.
Eliot joue avec ses mains et les porte à la bouche. Depuis peu, il attrape ses pieds et
peut croiser son axe.
• Socialisation/langage
Eliot est un enfant très souriant qui montre peu d’anxiété à l’approche des soignants. Il
cherche sa maman du regard, suit des yeux et regarde ce qu’on lui montre du doigt. On
ne retrouve plus cette crainte du toucher et de la mobilisation encore présente en fin
d’hospitalisation. Il babille, tourne la tête pour regarder la personne qui parle et vocalise
quand on s’adresse à lui. Il exprime corporellement différentes émotions et réagit à
l’appel de son nom.
19
• Oralité
Eliot montre également une progression significative dans ce domaine. Sa manière de
vivre et d’investir son corps ainsi que son plaisir dans les jeux corporels sont autant
d’éléments rassurants dans le développement de l’oralité. Il porte de plus en plus ses
mains à la bouche et peut aussi y porter des jeux. La succion est présente. Il tète
ses doigts. Il accepte la cuiller. Qu’il manipule. Eliot participe au moment de partage
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

familial qu’est le temps du repas. Il montre une préférence significative pour le sucré
mais accepte quand même quelques cuillers de salé.
• Conclusions
Eliot fait des progrès quotidiennement sur les différents plans du développement
psychomoteur. Sa longue hospitalisation en réanimation explique ce retard de déve-
loppement psychomoteur plus important sur le plan postural, tonique, de l’oralité et
des coordinations. Lors de mouvements demandant un recrutement tonique important,
comme les retournements ou le tiré-assis, Eliot participe en bloquant sa respiration et
réalise ces mouvements majoritairement en apnée. Il recourt donc au tonus pneumatique.
Son tonus axial est encore faible, tout comme la mobilisation de sa sangle abdominale.
Malgré cela, avec un suivi régulier en psychomotricité, ce retard devrait rapidement
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

se voir comblé. Et ce d’autant plus que l’environnement contenant et sécurisant de


la maison, avec les parents comme partenaires et alliés thérapeutiques, représente un
soutien stable. Les déstabilisations vestibulaires et la crainte du toucher observées à la
fin de son hospitalisation ont disparu. Eliot vit et habite son corps dans le plaisir de la
découverte. Il peut donc maintenant plus sereinement s’ouvrir à la découverte du monde
qui l’entoure.

Ce temps de bilan et sa restitution aux parents nous a permis de nous dire au revoir. La
psychomotricité continue pour Eliot à domicile. Les parents me donnent régulièrement de
ses nouvelles. Ils souhaitent garder un lien avec l’hôpital. Ils ont encore besoin de conseils
et de réassurance. Le retour à la maison, tellement souhaité, peut devenir anxiogène si
cette sortie n’a pas été préparée en amont. En effet, les parents nous confient souvent se
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sentir démunis lorsqu’ils doivent « reprendre » leurs marques avec leur enfant, lorsqu’il n’y
a plus personne désormais à bout de sonnette... C’est pourquoi un lien a été mis en place
rapidement avec la psychomotricienne s’occupant d’Eliot au domicile. Puis, à la demande
des parents, nous avons convenu de nous revoir lors d’une consultation dans le cadre d’un
suivi à long terme
Comme souvent lorsque nous partageons un moment de vie, nommer la fin d’un suivi est
complexe à envisager pour les parents et les soignants. Maintenir le lien soignant, même
à distance, en se rendant disponible aux questions, en étant une « sonnette de secours »
ne serait-ce pas se saisir du rôle de mémoire de ce qui a été vécu ? Autrement dit, ne
serions-nous pas, soignants, dépositaires d’un temps vécu et partagé, d’un lieu de vie où
20 l’humanité côtoie la technique ?

CONTINUER À GRANDIR AVEC LA PSYCHOMOTRICITÉ


DANS UN CORPS SOUFFRANT EN HÉMATOLOGIE
ONCOLOGIE PÉDIATRIQUE

Valentine, ou comment maîtriser ce qui se passe


sur le corps ?
Le service d’hématologie oncologie pédiatrique fait partie d’un hôpital pédiatrique. Constitué
de 4 unités (secteur protégé, hospitalisation conventionnelle, hospitalisation de semaine
et hospitalisation de jour), il peut accueillir chaque jour 30 enfants hospitalisés et une
dizaine d’enfants en hospitalisation de journée. L’équipe regroupe différents professionnels,
tant médicaux que paramédicaux et psycho-sociaux, afin de garantir un accompagnement
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

le plus complet possible de l’enfant et de sa famille. Le service est spécialisé dans le suivi,
24h/24 et 7J/7, de patients atteints de maladies hématologiques malignes de type leucémie
ou lymphome ainsi que de pathologies oncologiques de type sarcome.
Le poste de psychomotricité a été créé en 2004 sur proposition du chef de service dans
le cadre du plan cancer. C’est dans ce cadre-là que j’ai été amenée à faire vivre la
psychomotricité dans le service en impliquant tous les partenaires déjà présents.
Un médecin pédiatre responsable de l’hôpital de jour souhaite que je rencontre une petite
fille de 3 ans et demi et que j’assiste aux soins qui lui sont dispensés. Ceux-ci sont prévus à
10 heures. Soit 30 minutes après son appel téléphonique. Une telle demande est fréquente
dans ce service de soins aigus dont les gestes médicaux, nombreux et douloureux, ponctuent
l’hospitalisation des enfants. Dans le cadre d’une anxiété des soins, prendre le temps d’un
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bilan psychomoteur est rarement possible. Il nous faut donc développer nos capacités
d’observation et de créativité au contact de l’enfant, de sa famille et des soignants, autour
du soin. Et réfléchir à la possibilité d’une posture thérapeutique dès la première séance ou
n’envisager qu’une seule séance qui pourra pour autant s’avérer thérapeutique. Valentine
vient une fois par semaine en HDJ1 pour des soins divers allant de la piqûre dans le PAC2 à
la ponction lombaire. C’est une enfant décrite comme mature mais difficile à raisonner lors
des soins. L’équipe utilise le terme de « bouton on/off » pour décrire leur perception de son
comportement. Les soignants sont de plus en plus démunis devant une enfant charmante
mais dans l’opposition et visiblement très anxieuse.
Lorsque je viens me présenter, c’est Valentine elle-même qui m’ouvre la porte de sa chambre.
Sa première question est directe. Elle se positionne d’emblée comme actrice de ce qui se 21
passe pour elle aujourd’hui : « Tu es qui toi ? Et qu’est-ce que tu viens me faire ? ». La
maman, présente derrière, s’excuse du regard de l’attitude de sa fille. Valentine a les cheveux
courts (plus tard, la maman me confiera les avoir coupés en prévision d’une perte des
cheveux). Ses grands yeux noirs me fixent, semblant attendre une réponse. Je comprends
qu’il faut que je m’adresse à elle. Je m’accroupis donc. J’explique à Valentine mon métier, et
lui donne les raisons de ma visite dans ce contexte de soin. Je lui dis que le Dr A., voyant
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’elle trouve tous ces soins difficiles, s’inquiète pour elle et m’a demandé de réfléchir pour
trouver une solution. Je lui raconte aussi que je n’ai pas de baguette magique, mais que
je vais essayer de comprendre ce qui se passe pour elle et qu’on verra ensemble tout ce
que l’on peut faire pour l’aider. Parce que « ce n’est pas très agréable tous ces moments
à l’hôpital, mais on peut tous avoir de petites idées magiques qui font que petit à petit
cela se passe mieux ». Je la rassure sur le fait que je ne fais pas de soins médicaux et que

1. Hôpital de jour.
2. Port A Cathéter, dispositif intraveineux sous cutané permettant de respecter le capital veineux pendant tout le
temps du traitement, avec possibilité de piquer à l’intérieur pour positionner une aiguille et permettre le passage de
la chimiothérapie.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

je venais me présenter et discuter avec elle aujourd’hui. Le papa est en retrait, lisant un
magazine. Il s’absentera plusieurs fois pendant l’entretien. La maman est attentive à sa
fille et leur ressemblance au niveau de la coupe de cheveux me frappe. Elle semble à la fois
rassurée et anxieuse de me voir et me raconte l’arrivée de Valentine dans leur vie.

! Raconter le passé, pour inscrire le présent dans le corps


Valentine est née le 12 mai 2007. Comme le papa est de 10 ans plus âgé que la maman,
elle me dit que ce sera leur seule enfant. Rien n’est à signaler dans la grossesse hormis
une hospitalisation au 7e mois pour une varicelle conjuguée à de nombreuses migraines. La
maman retient des premiers mois avec Valentine le souvenir d’une enfant facile mais pour
laquelle « rien n’est jamais gagné, tout est toujours à prouver. » Elle me confie ainsi avoir
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eu des difficultés à comprendre ce petit bébé au sommeil toujours aléatoire et très sensible
à la disponibilité de son environnement.
Valentine rentre en première année de maternelle en septembre 2010. En avril 2011, elle
attrape la varicelle avec de fortes fièvres, des douleurs abdominales et une toux non
productive. Un traitement symptomatique est proposé par le pédiatre mais la persistance
des symptômes amène les parents à consulter les urgences pédiatriques d’un hôpital
d’Île-de-France. À l’examen clinique, on retrouve une pâleur et une asthénie associées à une
tachycardie et une éruption varicelleuse. Des examens complémentaires sont nécessaires et
Valentine est hospitalisée le jour même dans un service de pédiatrie spécialisé à Paris. Des
22 gestes plus invasifs sont réalisés1 et se prononcent en faveur d’une leucémie. Le diagnostic
de Leucémie Aiguë Lymphoblastique est posé le 18 avril 2011. Valentine a besoin d’un
environnement protégé puisqu’elle est en aplasie médullaire2 . Elle est alors âgée de 3 ans
et 11 mois.
Valentine ne reçoit pas de traitement d’induction demandant une hospitalisation prolongée.
Elle sort donc du service au bout de 3 semaines mais doit venir toutes les semaines en
HDJ pour bilans sanguins et autres examens médicaux. Durant ce temps à l’hôpital, aucune
personne de l’équipe ne m’a sollicitée pour rencontrer cette enfant souvent décrite comme
très intelligente, vive et « rigolote » avec du caractère. Valentine se montre néanmoins
dans l’opposition et agitée pendant les soins. Elle présente également des moments de
tristesse et d’apathie. Ces modifications comportementales sont reliées aux fortes doses de
corticoïdes qu’elle reçoit en plus de la chimiothérapie.

1. Myélogramme : prélèvement de moelle osseuse au niveau de la crête iliaque antérieure.


Ponction Lombaire : prélèvement de liquide céphalo-rachidien entre deux vertèbres lombaires.
2. Appauvrissement plus ou moins important de la moelle osseuse avec réduction des cellules souches hématopoïé-
tiques (cellules à l’origine des globules rouges et blancs, et des plaquettes).
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

Le 11 juillet 2011, Valentine est en rémission complète1 . Un relais est décidé avec l’HAD2
afin d’espacer les visites en HDJ à une fois par mois. Toutefois, les piqûres dans le PAC
et les ponctions lombaires sont de plus en plus difficiles à réaliser. À la demande de la
maman, un suivi par la psychologue de l’HAD débute mais Valentine refusera rapidement de
la voir et de lui parler. L’enfant négocie de longs moments avant les gestes. Les soignants
se voient souvent contraints de la maintenir pour éviter les mouvements et, en quelque
sorte, de passer de force le traitement. Ils sortent du soin épuisés et insatisfaits d’avoir dû
contenir et maîtriser physiquement une enfant. C’est dans ce contexte de soins mal vécus
(par l’enfant, les parents et les soignants) que l’on me demande d’intervenir.
La maman revient longtemps pendant l’entretien sur ce moment fort de l’attente du
diagnostic. Elle me dira ainsi à plusieurs reprises au cours des séances suivantes qu’elle
« a failli perdre Valentine d’une varicelle ». Elle semble marquée par le temps suspendu
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pendant lequel ils « savaient qu’elle allait avoir une leucémie sans savoir quand celle-ci
se déclarerait. » En parallèle de cet échange, Valentine cherche à solliciter mon attention
en me montrant ses jeux et en m’interpellant. Je me trouve donc entre deux personnes en
demande d’écoute. Je propose à Valentine de faire un dessin du bonhomme. Elle refuse
dans un premier temps. Puis demande à sa maman de faire à sa place. Finalement, elle le
réalisera seule.
Valentine m’interpelle après son dessin du bonhomme, interrompant cette longue restitution
de la maman. Son dessin est rapidement exécuté de la main droite. Elle a ajouté un soleil qui
sourit. Quelques mimiques ont accompagné sa réalisation. Le bonhomme est tout bleu, avec
de longs cheveux touchant le sol (la maman me dit, en voyant son dessin, que Valentine 23
avaient de longs cheveux avant la maladie). Il sourit, n’a ni cou ni mains ni pieds mais
« tu as vu ce qu’il a là ? », me demande Valentine, « c’est un nombril. » Elle semble fière de
son dessin, ne souhaite rien ajouter et inscrit son prénom dessous à ma demande. Comme
je réponds à une question de sa maman, Valentine, si résistante à ma proposition initiale,
prend une feuille et dessine d’elle-même un deuxième bonhomme dont la différence réside
dans les cheveux encore plus longs que sur le premier dessin.
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Une infirmière arrive dans la chambre pour le soin. Valentine se tourne vers sa mère et lui
dit qu’elle essaiera de faire la statue mais qu’elle a peur de ne pas y arriver. Face à mon
incompréhension concernant « la statue », la mère m’explique pendant que Valentine mime
en s’allongeant sur le lit : elle pose ses mains sur son ventre et se met en apnée. Lorsque
l’infirmière s’approche d’elle, sa posture se raidit, ses yeux se mettent à scruter ce qui
l’entoure. Le débit verbal s’accélère. Soudainement, elle se redresse et s’agite. Ses pensées
passent d’une idée à une autre sans liens apparents entre elles. Elle parle ainsi du badge de

1. Les cellules cancéreuses, appelées blastes, ne sont plus observables à l’œil nu dans la moelle osseuse ni dans le
LCR.
2. Hospitalisation À Domicile.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

l’infirmière, réclame son doudou, trouve un surnom à tout le monde et choisit un feutre à
odeur pour le masque de MEOPA1 . La porte de la chambre s’ouvre et se ferme en fonction
des allers et venues du personnel soignant et des stagiaires. Cet espace perméable ainsi
que la logorrhée de Valentine me font perdre toute notion de temps et d’espace rassurant.
Je me positionne spontanément en retrait. Je me sens de trop. La suite du soin semble
objectivement fluide, les paroles douces et calmes. Tout le monde semble parfaitement
savoir quel est son rôle et chacun est à son poste : le papa tient le masque, la maman est
à côté et met des mots sur tout ce qui se passe. Valentine se détend et accepte facilement
de prendre le masque qui sent bon la fraise ; elle tient fermement le tube que lui a donné
l’infirmière et qui, à la fin du soin, contiendra « M. Sang ». Les parents font preuve de
créativité. La pensée magique est très présente dans leur verbalisation. Progressivement,
la maman s’allonge sur sa fille en sorte de pouvoir contenir et les jambes et les mains. Ce
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geste s’avère nécessaire : dès qu’elle sent que l’infirmière pose ses doigts sur elle, Valentine
change de ton et s’agite. Elle se débat et bouge son épaule droite au creux de laquelle se
trouve la capsule sous la peau. Comme on vient de lui enlever le patch antidouleur2 , il est
peu probable qu’elle sente quelque chose dans cette zone-là. Son mouvement est stéréotypé
et gagne en amplitude. L’infirmière se voit donc obligée de « piquer au hasard », prenant
ainsi le risque de faire réellement mal à l’enfant. Cependant, Valentine semble « protéger »
« Mme Capsule » puisque, lorsque l’aiguille est à l’intérieur, elle pleure mais interrompt son
mouvement. Le reste du soin se passe très vite. La difficulté principale consiste à ce que
Valentine « rende » à l’infirmière le tube avec son « M. Sang. » Puis, à l’arrêt du MEOPA
et du masque, elle crie plusieurs fois : « NON ! » et pleure. Les parents s’éloignent du lit,
24 la laissant exprimer sa colère et m’expliquant : « à chaque fois c’est pareil, elle est accro
au MEOPA. » Je m’approche de Valentine : « j’ai bien compris que tu n’étais pas d’accord
avec ce qui s’est passé et maintenant j’ai l’impression que tu es en colère. Tu as le droit
d’être en colère et de ne pas être contente. Si tu veux, nous pouvons refaire un dessin
ensemble pour faire passer la colère. » Valentine ne parle pas et ses yeux sont noirs, mais
elle accepte de prendre la feuille que je lui tends. Son dessin est rapidement exécuté. Ses
gestes sont brusques. Elle dessine mon physioball qui est surnommé « Robert. » Son dessin
me semble plus brouillon et régressif que les précédents : les traits sont appuyés, coloriant
le ballon sans respect des limites du dessin. Elle me dira que Robert est malade, qu’il a lui
aussi une « Mme Capsule » et qu’il n’aime pas les piqûres. Nous prenons rendez-vous pour la
prochaine journée en HDJ et il est prévu que nous allions dans la salle de psychomotricité
du service pour une séance après ce temps de soin. Valentine me dira d’ailleurs qu’elle ne
veut plus que j’assiste aux soins et que l’on se voit uniquement dans la salle de jeux. Ainsi,
Valentine m’indique la place qu’elle veut bien me donner dans son histoire avec la maladie.

1. Mélange Equimolaire d’Oxygène et Protoxyde d’Azote.


2. Patch d’EMLA® : patch rempli de crème anesthésiante afin de prévenir la douleur due à des effractions corporelles
cutanées.
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

La douleur est une préoccupation constante des équipes de pédiatrie. En effet, les
traitements et la maladie cancéreuse en elle-même provoquent des douleurs diverses.
La spécificité de l’accueil de l’enfant dans un tel service est qu’il est au centre des
relations. Les parents sont des relais et de fins observateurs du comportement de
leur enfant. La douleur, si elle est prolongée, a un impact sur le développement
psychomoteur de l’enfant, en brouillant les pistes sensorielles, par exemple en
s’imprimant sur le tonus de l’enfant. Elle limite les amplitudes des mouvements et
modifie le tonus de fond par exemple. C’est pourquoi la psychomotricité développe
aussi son influence dans la manière de penser l’enfant et de le situer comme acteur de
ses soins. Les médecins ont d’ailleurs souvent l’habitude d’expliquer le parcours de la
maladie comme une suite de batailles où l’enfant est le chef de la stratégie militaire.
Ainsi, il n’est plus réduit à la passivité dans la réception des chimiothérapies, mais
il est encouragé à nous aider (par exemple dans l’autoévaluation de la douleur1, en
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sonnant pour demander quelque chose, en participant à son niveau aux gestes). Les
explications lui sont toujours données, à la mesure de ce qu’il peut comprendre, en
s’aidant notamment de la pensée magique2 pour des enfants ayant l’âge de Valentine.

! Du corps exprimé au corps maîtrisé, reprendre confiance


Les séances de psychomotricité se mettent en place de manière chaotique, jonglant entre les
temps prévus en HDJ et annulés car souvent les différents bilans sanguins n’autorisent pas
le passage de la chimiothérapie mais aussi en raison du traitement contre la leucémie qui
dure plusieurs années (par voie veineuse les premiers temps avant de passer par voie orale 25
pour la fin) et de la disponibilité de Valentine. Le cadre de la séance est donc régulièrement
mis à mal. Valentine teste constamment mes limites et ma présence. Elle découvre l’espace
de jeu et me demande une disponibilité permanente, refusant même les temps d’échange
que je peux avoir avec la maman. Elle s’oppose à ce qu’on la touche lorsqu’on lui impose
des jeux. Si on insiste, elle se ferme à la relation. Dans le même temps, la prise en charge
se fait de plus en plus difficile au domicile. Une réunion pluridisciplinaire est mise en place.
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Nous décidons d’arrêter le suivi par l’HAD, les parents étant prêts à venir plusieurs fois par
mois à l’hôpital et se sentant visiblement rassurés par cet endroit qu’ils connaissent très
bien. Par ailleurs, les séances de psychomotricité se dérouleront une fois par semaine en

1. Cf. site www.pédiadol.fr, avec les échelles d’autoévaluation EVA ou l’échelle des visages.
2. À cet âge, la cause et la conséquence de la douleur sont mélangées et l’enfant ne peut pas faire le lien entre
le traitement et le soulagement de la douleur. Celle-ci peut donc apparaitre et disparaitre par magie (par exemple
le bisou magique qui fait partir la douleur lorsque l’enfant est tombé). Les enfants entre 2 et 5 ans utilisent deux
phénomènes pour expliquer la survenue de la douleur : le phénoménisme et surtout la contagion : la douleur s’attrape
par magie. Connaitre cette étape d’interprétation et s’en saisir permet aux soignants d’approcher l’enfant et de le
soutenir lors d’un geste potentiellement douloureux. In « la douleur de l’enfant et de l’adolescent », cours donné par
C. Rousseau-Salvador, docteur en psychologie, IFP Salpêtrière, 2013.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

dehors des soins et de manière régulière. Nous proposons également à Valentine et à sa


maman de rencontrer la psychologue qui vient d’arriver dans le service. En effet, tous les
intervenants ont constaté le besoin d’échange et de réassurance que demande la maman
concernant son positionnement face à sa fille. Ce soutien nous paraît adapté à la demande
non formulée de la famille dans son quotidien face à la maladie et à une enfant qui grandit.
Cette nouvelle organisation durera six mois environ. Comme la séparation avec la maman
est difficile pour Valentine, nous continuerons de proposer les séances en sa présence.
Elle s’absentera quelques fois à sa demande pour échanger plus particulièrement avec la
psychologue mais cela sera anticipé pour permettre à Valentine de s’adapter. Cette période
permet d’aborder une nouvelle étape dans la structuration des séances. Peu à peu, Valentine
testera le cadre moins souvent et nous mettrons en place trois temps différents : du jeu,
seule, pendant l’installation, de l’échange avec la maman sur la semaine passée et, enfin,
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un moment de jeu libre auquel je participe. La séance se termine sur un temps de jeu que
je propose. Chaque transition a lieu en un temps prédéfini que Valentine peut anticiper
en tant que « gardienne du temps » : comme elle connaît les chiffres jusqu’à 10, nous lui
demandons de surveiller les minutes. Lorsque les 15 minutes environ du jeu sont dépassées,
elle doit nous avertir. Ainsi, Valentine peut anticiper la fin du jeu. Même si le rangement
est difficile pour elle, elle devient de plus en plus actrice de sa séance. Les propositions de
Valentine tournent autour des jeux de règles et de société. Au bureau, là où le corps est mis
à distance. Ses jeux se ressemblent et sont peu diversifiés. Ce sont plutôt les mêmes d’une
séance à l’autre. Mes jeux, mettant en situation et en mouvement le corps dans l’espace, la
déstabilisent. Elle me dira ainsi plusieurs fois, vraisemblablement à la hauteur de sa peur :
26
« C’est nul ce jeu, et puis t’es moche, je ne veux pas jouer, c’est nul ton jeu ». Je lui réponds,
d’une voix calme et posée : « J’ai l’impression que ce jeu ne te plaît pas du tout et même
que ça te fait un peu peur. Tu sais, je te l’ai déjà dit, tu as le droit de me dire que ça ne te
plaît pas, que tu n’as pas envie, que tu as peur. Tu n’as pas besoin de pleurer et d’aller te
cacher dans un coin. Sans doute j’ai proposé ce jeu un peu trop tôt et on n’était pas prêtes
à le faire toutes les deux. Alors on ne le fait pas, je suis d’accord. On essayera une autre fois,
lorsqu’on se sentira prêtes à le découvrir. » Valentine ne quitte pas mon regard et accepte
de revenir, avec mon aide, jouer au centre de la pièce. L’amener à bouger dans l’espace, à
faire de son corps un instrument de jeu n’est pas encore possible. Son déplacement reste
raide, le tronc mobilisé dans un même mouvement, avec des transferts de position parfois
instables et un manque de fluidité des gestes. De petits jeux autour de la relaxation ou
du schéma corporel sont systématiquement mis en échec avec une forte opposition et de
l’angoisse. De plus, Valentine montre parfois une attitude régressive au moment de la fin
de la séance, jouant avec des jeux de bébé et avec le mur sensoriel, ou parlant dans un
langage de tout-petit. Ainsi, les séances continuent dans un espace-temps que Valentine
apprend peu à peu à maîtriser mais dont les limites sont encore floues. Valentine me dira
encore souvent en fin de séance : « Tu viens dans ma maison ? Tu viens, on va manger
chez mon papi. J’aimerais bien que tu viennes dans ma maison ! Pourquoi tu ne peux pas
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

venir chez moi ? » Comment répondre à ces propositions ? Je la remercie, mais lui explique
que ce moment et cet espace sont les siens, en dehors de l’hôpital. Que de mon côté, je
dois accompagner d’autres enfants comme elle. Et que l’on se revoit comme d’habitude la
semaine prochaine dans la salle de jeux, où, si elle veut, elle pourra me raconter ce qu’elle
a fait la semaine précédente.

Une leucémie est généralement dépistée de manière anodine, suite à des épisodes
de fièvre, de fatigue et de pâleur. La vie de l’enfant, mais plus généralement la vie
familiale et sociale, bascule brutalement. Les parents doivent s’organiser rapidement.
Leur attention se focalise sur l’état de santé de l’enfant au jour le jour. Bien souvent,
le passé est peu parlé, le futur ne peut être envisagé parce qu’anxiogène. Seul le
présent existe. De plus, la structuration du temps à l’hôpital n’est pas la même et les
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enfants deviennent dépendants des soins. Ils en subissent le rythme. Réintroduire
des rituels et permettre à l’enfant d’anticiper ce qui va venir l’aidera à s’installer à sa
façon dans le traitement et les soins qui lui sont proposés.

Avec Valentine, par la maîtrise ritualisée et progressive des différents temps de séance et
par la possibilité de dire non et de tester le cadre sans le voir s’effondrer, le temps est petit
à petit devenu un rempart structurant. Et nous allons bientôt pouvoir reprendre le chemin
du corps en mouvement. Le cadre contenant proposé par le service autour de cette famille,
avec les séances régulières de psychomotricité et la possibilité du suivi psychologique en
fonction de la demande de la maman est un support structurant pour Valentine. Les soins
27
en HDJ se passent un peu mieux. Cela s’observe aussi en séance où Valentine montre moins
d’attitudes régressives que l’on pouvait mettre avant en lien avec sa difficulté à vivre et
supporter les différents gestes invasifs. La maman acceptera de remettre Valentine à l’école
puis de partir en vacances. Elle s’autorisera également l’annulation de quelques séances
pour des raisons d’organisation familiale.
Les séances reprennent en septembre, Valentine est alors âgée de 4 ans et demi. Le cadre de
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la séance est le même : divisé en trois temps, dont le dernier sera maintenant un moment
dédié à la relaxation ou petit temps de « silence corporel. » Les deux mois de coupure
ont permis à Valentine et à ses parents de partir en vacances auprès de leur famille en
ayant au préalable vérifié la proximité d’un grand hôpital avec un service de pédiatrie. La
maman est prévenue de la présence d’une étudiante auprès de moi cette année. Elle accepte
qu’elle participe à nos séances. À l’arrivée dans la salle de jeux, Valentine s’interrompt
en voyant une nouvelle personne. Elle lui tourne le dos et se met à jouer seule avec des
petits bonhommes Playmobil®. Ce n’est qu’avec mon intermédiaire que chacune a pu se
présenter à l’autre. Nous nous asseyons autour de la table. J’invite Valentine à reprendre
possession de l’espace de jeu pendant que je réponds aux nombreuses questions de la
maman. Après cinq minutes de jeu de voitures, Valentine fait un signe pour que l’étudiante
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

en psychomotricité vienne jouer avec elle. Elles inventent donc un jeu de voitures : celle de
Valentine est cassée et elle est très en colère d’être cassée. Alors parfois elle crie et parfois
elle pleure. Elle ne peut plus avancer et a besoin d’un garage pour la réparer. Parfois aussi
les réparations font peur et font mal. À la fin de l’histoire, sa voiture est réparée et elle
est toute contente. Valentine modifie maintenant les règles du jeu en orientant dorénavant
ses propositions autour des jeux de chevaliers puis progressivement autour des animaux
et autres petits bonhommes symboliques. Néanmoins, elle montre encore des difficultés
à imaginer des situations de jeux et à créer des histoires. Sans intervention de l’adulte,
elle se contente souvent de classer les animaux. Les temps de rangements, si âprement
négociés auparavant, sont réalisés en les détournant en moments de jeu. Ainsi par exemple,
les animaux doivent venir dans leur boîte de rangement par un déplacement particulier ou
en poussant leur cri. Valentine participe volontiers mais sans arriver à créer par elle-même.
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Elle cherche plutôt à imiter les propositions des adultes. Le corps devient mobilisable dans
l’espace et peut être également un instrument de jeu, devenant l’animal que l’on range ou
le bonhomme qui rentre chez lui.
Le deuxième temps de la séance comporte une obligation avec laquelle Valentine est
d’accord. Celle de ne pas utiliser d’autres matériels que le corps. Il devient ainsi un
moment d’expérimentation pour Valentine qui présente encore des difficultés et des peurs.
Accompagnée par l’adulte, elle s’autorise à essayer tout en se montrant paralysée par la
crainte de l’échec. Nous allons donc modifier l’espace de la salle. Celle-ci deviendra tour à
tour une forêt où l’on doit se déplacer de manière à éviter les obstacles. Nous inventerons
diverses courses (à genoux, en rampant ou en imitant un animal par exemple). Nous jouerons
28
au mime ou à « un, deux, trois, soleil ». Au fur et à mesure, cette création corporelle se
fera avec l’aide active de Valentine qui se montrera de plus en plus inventive et habile
dans l’espace. Ses mouvements sont plus amples et plus fluides. Les coordinations sont
meilleures tout comme les dissociations entre les hémicorps supérieur et inférieur. Son axe
corporel devient de plus en plus sûr. Il lui arrivera à de rares moments de venir coller son
dos au corps de l’adulte pour chercher un maintien et un soutien supplémentaire pendant
une action. Ce travail autour de l’intégrité et de la prise de conscience corporelle permet
peu à peu à Valentine de restaurer ses limites corporelles et de partir à la conquête de
son corps et de l’espace environnant. Ainsi tout l’espace de la salle sera habité de notre
présence psychocorporelle. Cette aide permanente de l’adulte couplée au cadre rassurant et
ritualisé de la séance aidera Valentine à progresser et à réclamer ces moments. En cours
d’année, la maman nous fera ainsi le retour d’un entretien avec l’institutrice pour qui la
place de Valentine dans la classe et dans son corps a grandement évolué. Cette observation
est en lien avec la participation grandissante de Valentine dans la créativité des séances.
Le troisième temps de la séance, moment d’écoute du corps en silence, est resté longtemps
difficile pour Valentine. Nous n’abordons pas le corps en statique dans un premier temps
mais cherchons des formes de mobilisation du corps dans un rythme plus lent. Nous
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

expérimenterons également l’équilibre corporel avec le gros ballon. Valentine joue à se faire
peur et à s’équilibrer le plus tard possible. De même, des jeux de maîtrise de la respiration
avec une plume sont réalisés avec plaisir et rires. Valentine apprend les sensations corporelles
positives. Elle réinvestit son corps sur un mode agréable et accepte même de petits jeux de
toucher dans son dos tout en verbalisant sa peur de ne pas voir et sa crainte de ce qui se
passe dans son dos. Peu à peu, elle accède à une relative immobilité et se permet alors de
s’allonger. La proposition préférée de Valentine reste d’être balancée au creux d’un matelas.
Nous la verrons donc furtivement prendre son pouce et avoir les yeux dans le vague ou au
contraire s’accrocher à mon regard. Le silence apparaîtra pour quelques secondes. Ce sont
de vrais premiers instants de lâcher prise qu’elle semble découvrir au sein de l’hôpital. Elle
verbalisera d’ailleurs : « en fait, je dois me laisser faire et c’est tout ! » Le plus compliqué
pour elle reste le temps de silence relatif à l’écoute d’une musique. Elle peut alors pleurer
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ou partir bouder dans un coin de la pièce. C’est pourquoi ces moments de calme ne sont pas
couplés à un corps statique. Elle garde la liberté de choisir si elle souhaite expérimenter
le « gros ballon » ou le « tapis volant. » Néanmoins, c’est un temps de séance qu’elle a
investi, puisque lorsqu’il ne peut être proposé pour des raisons diverses, elle me demande
même pourquoi on ne peut pas le faire. Et notamment : « c’est n’importe quoi là, on ne fait
jamais comme ça d’habitude ! »
Au début du deuxième trimestre, la maman nous apprend qu’elle recherche du travail et
qu’elle ne sait pas réellement comment va se passer la nouvelle organisation familiale. Nous
en prenons donc acte compte tenu des progrès constants de Valentine dans la séance mais
aussi au cours des soins (la piqûre dans le PAC se passe désormais sans difficulté, la PL
29
est encore aléatoire et l’équipe souhaite proposer un nouveau médicament) et convenons
d’espacer les séances et de se voir dorénavant tous les 15 jours. C’est ainsi que, peu à
peu, la famille peut s’éloigner de l’hôpital et que Valentine réclame du temps pour elle en
manifestant un désir moins prononcé de venir en psychomotricité. Les séances s’espaceront
alors de plus en plus et seront mises entre parenthèses pendant trois mois. Il est temps de
songer à nous dire au revoir. Ce qui est encore difficile pour la maman. Elle me dira ainsi :
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« vous restez encore là pendant deux ans ! Ensuite ce sera fini ! » En effet, même si le
suivi médical s’espace, Valentine reviendra voir son médecin référent 5 ans durant après la
rémission complète par intervalle de 3 mois puis 6 mois.
La dernière séance s’organise après la dernière PL dans l’idée de se dire au revoir et clore
ainsi ce long moment passé ensemble. Cette PL « ne s’est pas trop mal passée, mieux que
d’habitude » dira la maman. Dès l’arrivée dans la salle, Valentine reprend ses jeux de tri
et de classement des animaux. La séance a lieu en présence de la mamie qui a l’habitude
de jouer avec elle et de se mettre à sa hauteur sans pouvoir lui dire non. La maman
s’inquiète de cette fin de suivi à l’hôpital, du moment proche où on enlèvera le PAC et où
les quelques prises de sang seront faites par un laboratoire de ville. Elle souhaite mettre en
place une thérapie pour sa fille, disant que Valentine en a besoin. Elle me semble perdue
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

elle aussi dans son rôle de maman face à un futur qui s’envisage dorénavant en dehors de
l’hôpital. Maintenant que cette urgence de soins et que ce temps de la maladie s’éloigne,
nous voyons apparaître tout ce que ce moment de l’aigu du traitement peut faire surgir
comme traumatismes tant dans le corps de l’enfant que dans l’espace psychique familial.
Valentine écoute tout en jouant, puis participe à la conversation en disant qu’elle a du
mal à choisir et qu’elle a toujours peur de se tromper et de ne pas faire le bon choix. Elle
devient particulièrement attentive lorsque je réponds à la maman avec optimisme en disant
que c’est plutôt une très bonne nouvelle d’enlever ce PAC et de bien refermer toute sa peau.
Je lui explique que je fais confiance à Valentine : elle a bien grandi et peut tout à fait
réussir maintenant des choses qui étaient difficiles avant. Et enfin, en me tournant vers
Valentine, je lui dis : « Tu sais, tu peux toujours m’appeler si tu as envie que l’on se revoit.
Maman connaît mon numéro et peut m’appeler pour toi si tu préfères. De mon côté, je
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te félicite. Je trouve que tu as fait beaucoup de progrès et que tu sais faire beaucoup de
choses. Nous avons passé de bons moments ensemble et je garderai plein de souvenirs dans
ma tête. Je ne t’oublierai pas. Mais maintenant, je crois que tu as tellement grandi que tu
n’as plus besoin de moi ! Tu as ton papa, ta maman et tes grands-parents qui sont là et qui
te soutiennent ! Alors j’ai confiance en toi et en toute ta famille ! »
Eliot et Valentine nous questionnent, chacun à leur manière, sur la place du corps dans le
développement mais aussi comme support de l’identité, de la construction de soi. Lorsque
l’urgence, la douleur et la peur côtoient un enfant et lorsque des soins vitaux et intrusifs
entrainent un désordre de sensations, comment continuer à le penser comme support
pour grandir ? La psychomotricité s’intéresse alors très tôt au vécu corporel, s’implique
30
au quotidien dans l’accompagnement des soins potentiellement douloureux et pose un
regard global sur l’enfant accueilli. En cherchant à solliciter le senti, elle cherche à mettre
du sens à ce qui est vécu afin que l’enfant grandisse dans un équilibre et une harmonie
sensori-tonique. Enfin, elle est un maillon dans la relation de confiance qui s’établit entre
l’enfant, son corps, ses parents et l’équipe soignante.
1 • S’éveiller et grandir à l’hôpital

RÉFÉRENCES

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NOTES
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NOTES
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Chapitre 2
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Hyperactivité, dyspraxie
et phobie scolaire
Histoire d’Arthur,
34
l’enfant tout feu tout flamme

Brigitte Feuillerat
SOMMAIRE

Antécédents et premières rencontres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36


L’histoire d’une impulsivité qui court-circuite le temps . . . . . . . . . . 36
Des chutes sur un espace éclaté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Socialisation et prise en charge antérieure : à la recherche du
temps télescopé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Comportement et synthèse des compétences et difficultés
psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Projet thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
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Suivi en psychomotricité : reconstruisons l’espace-temps corporel 42
Évolution du suivi en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Conclusion du suivi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Évolution du suivi sur cette deuxième année scolaire . . . . . . . . . . . . . 46
Évolution scolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Évolution du langage écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Évolution de l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
35
Évolution psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
La poursuite du suivi en psychomotricité : gérons le temps et son
déroulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
L’approche logico-mathématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L
dans lequel Arthur est suivi en prise en charge pluridisciplinaire
E SERVICE HOSPITALIER
est situé en banlieue parisienne. Il s’agit d’un service accueillant des enfants
présentant majoritairement des pathologies neurologiques congénitales. Un tiers
des enfants admis est porteur de troubles des apprentissages scolaires pouvant
s’accompagner, pour certains, de troubles moteurs et/ou de troubles cognitifs et/ou du
comportement.

ANTÉCÉDENTS ET PREMIÈRES RENCONTRES

L’histoire d’une impulsivité qui court-circuite le temps


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Arthur, âgé de 7 ans et demi, est orienté par le médecin scolaire de son école de quartier
vers une première consultation hospitalière auprès d’un médecin de médecine physique
et réadaptation dans le service hospitalier précédemment cité. Il est accompagné de ses
deux parents qui souhaitent trouver une aide pour accompagner leur fils dans ses difficultés
scolaires. Ils s’interrogent sur un diagnostic de dyspraxie.

La dyspraxie est un trouble de l’acquisition de la coordination du geste souvent associé


à un trouble du regard ou de la construction de l’espace (Mazeau, 1995). Les enfants
36 dyspraxiques sont « des enfants d’intelligence normale, ayant une relative facilité
dans le domaine du langage, mais présentant par ailleurs des difficultés importantes
sur le plan moteur et sur celui de l’organisation spatiale » (Stamback et coll., 1964).

Des chutes sur un espace éclaté


Les renseignements relevés lors de l’entretien par le médecin auprès des parents fournissent
des données sur l’anamnèse de leur fils. On peut ainsi lire qu’il est le premier enfant
du couple. La grossesse de la mère a été marquée par un diabète gestationnel insulino-
dépendant. Arthur est né 10 jours avant terme avec un poids de naissance de 2 700 g, une
taille de 47 cm et un apgar de 9/10. Il a eu un développement staturo-pondéral satisfaisant
sans aucun antécédent médico-chirurgical. La propreté a été acquise à 32 mois de jour et
de nuit, la marche avant un an mais il chute encore assez souvent. Il a parlé précocement
en faisant des phrases complètes avec une bonne prononciation. Une énurésie nocturne
est cependant apparue depuis un an et demi et, depuis cette même période correspondant
à l’entrée en cours préparatoire, il se réveille presque toutes les nuits. Un traitement
homéopathique pris depuis un an a bien agi sur l’anxiété et l’enfant a ainsi retrouvé un
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

sommeil paisible. Toutefois, les parents signalent que, depuis environ 6 mois, les moments
d’anxiété se manifestent non seulement par des troubles digestifs sous forme de douleur
abdominale et de diarrhée particulièrement le matin avant de partir en classe mais aussi
par un « besoin » d’occuper ses mains, de bouger ainsi que par une phobie du noir et de la
solitude. Il est facilement émotif.
Arthur est scolarisé en CE1 dans son école de quartier. Les difficultés principales évoquées
par la famille lors de cette première rencontre sont la maladresse et l’agitation avec un retard
dans l’acquisition de l’écriture et de la lecture, mais de bonnes capacités de compréhension
et de mémoire.
Les parents évoquent aussi des difficultés de coordination pour jouer au ballon. Arthur est
autonome pour l’habillage mais garde des difficultés pour le boutonnage, le déboutonnage
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et les lacets. La maman signale aussi une brusquerie dans le brossage des dents.

Socialisation et prise en charge antérieure : à la recherche


du temps télescopé
Arthur a été gardé par sa maman jusqu’à son entrée en petite section de maternelle à l’âge
de 2 ans 8 mois. C’est au cours de cette année que la maman situe une recrudescence de
l’anxiété, de l’agitation, de la maladresse, des chutes et des difficultés face à une institutrice
jugée sévère.
Il se montre distrait avec des difficultés attentionnelles et rencontre aussi des difficultés de 37
motricité fine (coloriage, découpage, collage) qui s’aggravent tout au long de la maternelle
alors que les compétences orales sont bien meilleures.
En 3e année de maternelle, il bénéficie d’un suivi psychothérapique pendant quelques mois
en raison de la phobie scolaire grandissante et du manque de confiance en lui.
L’évaluation du 3e trimestre du cours préparatoire note très peu de points « acquis » ou
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« en cours d’acquisition », notamment dans la maîtrise de la langue et les mathématiques.

! Examen clinique et premières évaluations pluridisciplinaires


Lors de la première consultation hospitalière relatée ci-dessus, l’examen clinique du médecin
met en évidence les troubles anxieux, de l’impulsivité, des troubles de la structuration
spatiale avec un retard graphique et des troubles de l’acquisition de la lecture.
Trois mois plus tard, Arthur, scolarisé en fin de CE, est reçu dans notre service pour trois
journées d’hospitalisation de jour pour une évaluation pluridisciplinaire comportant des
évaluations psychologique, psychomotrice, orthophonique et ergothérapique.
Lors de la synthèse avec le médecin prescripteur, les données suivantes sont retenues :
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

• Compétences cognitives, efficience intellectuelle


La réussite observée aux épreuves verbales témoigne d’une intelligence dans la moyenne
de son âge. Les connaissances culturelles ainsi que les acquisitions pratiques et
sociales reflètent une curiosité, un goût d’apprendre et des possibilités d’adaptation à
l’environnement. Le raisonnement est facilité par le recours au concret.

Les réalisations dans le domaine spatial et graphique sont bien plus faibles et comparables
à celles d’enfants âgés de 4 à 5 ans.
L’instabilité psychomotrice décrite plus haut pénalise Arthur mais il semble également gêné
par une immaturité dans le développement de ses capacités d’orientation et d’organisation
dans l’espace. On peut, à ce stade, encore discuter entre un diagnostic d’immaturité, de
déficit psychomoteur ou de dyspraxie visuo-spatiale. Arthur fait preuve de maladresse
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dans ses constructions (légos) et présente une pauvreté dans ses dessins spontanés.
Ses représentations grapho-perceptives de formes géométriques sont significativement
inférieures à celles attendues à son âge.
• Approche complémentaire en ergothérapie et psychomotricité
Les évaluations des deux thérapeutes concluent à une certaine hétérogénéité entre :
– un bon niveau de coordination globale (roulade, échange de balle, dribble) et de
réalisation des gestess, des capacités d’activités bimanuelles assez fines, une bonne
connaissance des parties de son corps et une bonne organisation temporelle ;
– des difficultés extrêmement importantes dans le maintien de l’attention et dans le
38 contrôle de ses actions (impulsivité) ; un niveau faible (plutôt proche de 4 à 5 ans)
pour la représentation graphique, l’écriture et l’orientation spatiale.

On note cependant qu’Arthur est désireux d’apprendre et sensible aux encouragements, à la


canalisation par l’adulte ou à la décomposition par étape. Sur ordinateur, on remarque qu’il
connaît très bien ses lettres sur clavier alors que la production manuelle est quasi illisible
en dehors de son prénom.

! Bilan orthophonique
Le langage oral est tout à fait dans la moyenne des enfants de 7-8 ans y compris pour
les concepts spatiaux. En revanche, le trouble d’hyperactivité et le déficit attentionnel
retentissent sur d’autres aspects du langage (le nombre de syllabes « mémorisables » à
court terme ainsi que la reproduction de rythme, le traitement et la manipulation des mots
= métaphonologie).
Ces différents déficits constituent classiquement des freins aux apprentissages du langage
écrit. Ceci peut expliquer le retard dans les acquisitions scolaires observées chez Arthur
dans ce domaine.
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

! Conclusions et préconisations
Elles sont posées à l’issue de la réunion de synthèse avec l’équipe pluridisciplinaire
coordonnée par le médecin spécialisé dans les troubles des apprentissages.
À l’issue de ces premiers bilans, il est difficile de poser un diagnostic définitif quant à
l’origine des difficultés constatées chez Arthur. Néanmoins la symptomatologie constatée
conduit à plusieurs hypothèses qui justifient de mettre en place différentes thérapeutiques
et un accompagnement spécifique.
Arthur est gêné par une instabilité psychomotrice et un trouble attentionnel qui peuvent
rentrer dans le cadre d’un trouble d’hyperactivité et déficit de l’attention (THADA).
Le profil psychologique, l’anxiété, le manque de confiance en soi et les antécédents de
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phobie scolaire jouent parallèlement un rôle majeur.
Plusieurs arguments et notamment une dissociation entre un niveau intellectuel normal sur
le plan langagier et une faiblesse significative des compétences spatiales et graphiques
évoquent une dyspraxie visuo-spatiale. Il nous paraît urgent que la situation de « handicap
caché » d’Arthur liée à ses troubles d’apprentissages soit identifiée par la MDPH (maison
départementale du handicap).

En effet, la dyspraxie est un trouble développemental qui se manifeste surtout quand


l’enfant entre dans les apprentissages scolaires. Les signes cliniques ne sont pas
visibles sur le corps de l’enfant. Ce dernier se montre maladroit et peu habile dans les 39
tâches motrices de coordination globale et fine. Les difficultés spatiales se reflètent
dans les constructions avec des cubes et dans le graphisme en général.

Arthur est quant à lui à l’aise dans la coordination globale mais il a du mal à former
des lettres et à dessiner. Son geste graphique s’automatise difficilement et nécessite un
contrôle volontaire extrêmement coûteux sur le plan attentionnel, ce qui génère une grande
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fatigue et une lenteur. Le programme personnalisé de scolarisation qui sera alors établi
permettra de mettre en place les aménagements jugés nécessaires par l’équipe éducative. De
notre point de vue, la mise à disposition d’un outil informatique avec accompagnement
de son apprentissage est un des éléments à prévoir. De même, les aménagements des
temps de scolarisation et de rééducation, la présence éventuelle d’une AVS (aide à la vie
scolaire) ainsi que la définition de besoins pédagogiques spécifiques sont à prévoir. Comme
valoriser les points forts de l’enfant en s’appuyant sur ses compétences langagières, étayer
ses apprentissages au moyen d’informations non visuelles, respecter sa lenteur (moins
d’exercices, temps supplémentaire lors des examens etc.), limiter les situations de double
tâches et veiller à une présentation simple, claire, épurée (format portrait, un exercice par
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

feuille, photocopies des cours, prévoir des caches pour la lecture de textes et de cartes
géographiques et un ordinateur à l’école et à la maison).
Le médecin prévoit également un suivi thérapeutique coordonné par le CMPP (centre
médico psychopédagogique) du fait de la composante psychologique dans l’instabilité
psychomotrice constatée. Une prise en charge en psychomotricité pourrait être la première
aide thérapeutique tant sur le plan du contrôle émotionnel et attentionnel que de la
structuration spatiale.
La prise en charge orthophonique permettra (dans la mesure où l’instabilité psychomotrice
est mieux contrôlée) de soutenir les apprentissages en langage écrit.
Un travail en ergothérapie sera aussi à prévoir pour initier Arthur à une bonne pratique du
clavier informatique et pour l’aider à envisager l’écrit plus sereinement.
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Enfin, il sera légitime de tenter un essai médicamenteux par Ritaline qui s’articulerait
avec les autres interventions thérapeutiques permettant à Arthur de mieux bénéficier des
dispositifs mis en place. L’électroencéphalogramme décrit quelques bouffées synchrones
d’ondes aiguës amples parfois encochées ne justifiant pas de traitement anti-épileptique.
La Ritaline est introduite quelques mois. Une amélioration est notée sur le contrôle de
l’impulsivité et la qualité de la concentration. Mais, du fait d’une augmentation de l’anxiété
d’endormissement, elle sera arrêtée.
Revenons plus précisément sur le bilan psychomoteur effectué à cette période. Arthur a
alors 7 ans et demi.
40

Comportement et synthèse des compétences et difficultés


psychomotrices
Arthur est bien coopérant et volontaire face aux différentes épreuves proposées malgré une
agitation continuelle mais toutefois canalisable. Il se montre bavard en faisant beaucoup
de commentaires, disant qu’il aime se dépenser physiquement, qu’il pratique le rugby avec
son père et qu’il adore jouer aux billes avec ses copains. Il aime beaucoup courir et sait
plonger en piscine. Il tombe souvent et se nomme le « roi des bobos. » Arthur a besoin de
se rassurer tout au long du bilan et n’est pas mécontent de ce qu’il fait : « je ne suis pas si
nul que ça ! », dit-il souvent.
En motricité globale et fine et sur le plan des praxies, au questionnaire du M-ABC (test
de motricité) rempli par la maman, on peut relever une impossibilité à nouer ses lacets et
des difficultés à se tenir dans une position stable pour enfiler son pantalon. Au niveau des
problèmes de comportement liés aux difficultés motrices, la maman nous informe qu’il se
tortille, gigote, tripote ses vêtements et bouge quand il écoute les consignes. Son agitation
s’amplifie lors d’une situation stressante. Il se montre alors impulsif et commence avant
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

la fin de la consigne. Il se laisse facilement distraire par les bruits extérieurs. Lors de la
passation du test M-ABC 7-8 ans, on observe des coordinations globales et fines de bonne
qualité. Il a cependant tendance à aller trop vite pour être précis dans les jeux de balles.
Il n’a pas non plus conscience de sa force. Quand elle est excessive, il se désorganise
corporellement et chute.
Le niveau praxique, évalué lors du test EMG (Evaluation Motricité Globale), est correct lors
de la reproduction de gestes simples. Pour effectuer les gestes complexes des mains et des
doigts, il est cependant moins habile. Il fait des erreurs d’orientation auxquelles s’ajoutent
des difficultés de concentration dès que la tâche se complique.
Lors de l’évaluation du tonus, on constate qu’Arthur a beaucoup de mal à se relâcher. On
note des tensions musculaires au niveau des membres supérieurs et des syncinésies toniques
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à l’effort.
La représentation du corps dans le dessin du bonhomme témoigne d’une immaturité affective
et dans la perception de son corps. La conscience du corps manque d’élaboration et peut
influer sur les chutes observées précédemment.
En graphomotricité, le mouvement n’est pas harmonieux. Arthur est crispé et se plaint de
douleurs au poignet en fin d’épreuve. « Ça arrive souvent en classe », dit-il. L’écriture est
grande, saccadée et illisible. L’écriture de son prénom est peu lisible, mais il est capable de
réalisations bien meilleures lorsqu’il prend le temps de se concentrer. Un discours défaitiste
accompagne ses productions écrites et il a tendance à faire l’exercice le plus rapidement
possible pour s’en débarrasser. 41
Au test Laby 5-12 évaluant l’hyperactivité, Arthur veut faire vite, « plus vite que les
autres qui auraient passé le test avant lui », dit-il. Il essaie de négocier pour ne pas être
chronométré. Le temps total dépensé pour réaliser ces 10 labyrinthes est court. L’indice
général d’erreurs est élevé. Il a du mal à contrôler son impulsivité et à prendre du temps
pour réfléchir avant de s’engager dans des voies sans issues. Il coupe aussi beaucoup les
lignes. Ce test confirme bien un degré d’hyperactivité important.
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Arthur a besoin d’être soutenu tant sur le plan psychologique que psychomoteur. D’autant
plus qu’il est bien réceptif aux apprentissages et capable de concentration quand on l’aide
à se canaliser sur les tâches proposées. Il est conscient de ses difficultés et se dévalorise
constamment. Il craint l’échec et redoute le jugement d’autrui. Ses capacités attentionnelles
sont fragiles et le travail en double tâche compliqué. Les compétences graphiques sont
faibles et peu investies.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Projet thérapeutique
À court et moyen terme :
• favoriser la conscience du corps ;
• lui apprendre à relâcher ses tensions ;
• favoriser ses éprouvés corporels ;
• apprendre à canaliser ses débordements tant attentionnels que moteurs ;
• améliorer la structuration spatiale et développer le graphisme.

Un programme thérapeutique est envisagé en suivi individuel hebdomadaire : à travers des


exercices de coordination motrice, le travail sur l’imagerie mentale favorisera l’affinement
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du geste. On lui proposera des exercices au cours desquels il doit prendre conscience de sa
force et l’adapter aux différentes situations. Cela contribuera à une meilleure conscience
corporelle. Grâce à des exercices ludiques de graphisme visant à donner l’envie d’exprimer
ses débordements moteurs et attentionnels par le dessin et aussi à travers des temps de
détente autour des ressentis corporels.
À long terme, l’objectif sera une maîtrise de son attention pour avoir un maximum
d’autonomie dans ses activités quotidiennes et scolaires.
Nous lui proposerons également de s’exprimer à travers des temps de reprises et de choix
d’activités de manière non suivie afin de mettre en avant son implication, la gestion et le
déroulement du temps, selon son imaginaire et ses souvenirs des séances précédentes.
42
L’objectif principal qui sera poursuivi tout au long de la prise en charge sera le maintien du
cadre et du déroulement de la séance.

SUIVI EN PSYCHOMOTRICITÉ : RECONSTRUISONS


L’ESPACE-TEMPS CORPOREL

Le suivi en psychomotricité s’est effectué de septembre à juin pendant son année de CE2
à raison d’une séance hebdomadaire individuelle dans le cadre d’un suivi externe au sein
du service hospitalier. Il est venu régulièrement accompagné par un de ses parents. Il
bénéficiait aussi d’une prise en charge individuelle en orthophonie dans le cadre hospitalier
et en ergothérapie dans le cadre scolaire.
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

Évolution du suivi en psychomotricité


! Une meilleure conscience du corps pour bien appréhender
l’espace-temps
Arthur vient avec beaucoup d’enthousiasme à ses séances de psychomotricité. La maman
nous rapporte très vite qu’il parle beaucoup de ce qu’il y fait et souhaite venir pendant les
vacances scolaires. La durée d’une séance est de 60 minutes.
Pour l’aider à canaliser ses actions tant motrices que cognitives et mobiliser son attention
face à ses angoisses et sa mésestime de soi, j’établis avec lui un cadre précis avec des
objectifs à atteindre en lui proposant à chaque début de séance de réaliser soit un « contrat »
où on notera les activités à réaliser et le temps nécessaire pour chacune de ses activités, soit
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de tirer trois papiers de la boîte à idées et de les réaliser dans l’ordre du tirage toujours en
tenant compte du temps dévolu à chacune. Ceci permet de travailler le cadre et d’apprendre
à le respecter tout en amenant Arthur à être le « maître » de son propre comportement.
« Dis-moi Arthur, souhaites-tu ajouter un papier dans la boîte à idée ?
– Oui, raquète, écrit-il.
– Tu veux bien faire le dessin de ta raquette de tennis ?
– Voilà, ça va ce que j’ai dessiné ?
– Oui, c’est bien ! Sors deux papiers de la boîte maintenant ; bien, tu choisis quoi en
43
premier ?
– Tennis.
– Tu classes les cartes sur la table et on va commencer les activités. »
Les activités proposées à Arthur sont nombreuses et varient selon les séances. Elles
portent sur la régulation tonique, l’adresse corporelle, l’orientation du corps dans l’espace
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et l’élaboration mentale : les parcours psychomoteurs sont construits pour apprendre à


s’orienter et à s’organiser, l’expression corporelle (mimes, jeu du sculpteur etc.) afin de
développer son expressivité corporelle pour mieux appréhender son espace corporel et son
espace propre.
« Je vais modeler ton corps, place-toi devant moi, ferme les yeux et concentre-toi bien sur
les mouvements que je donne à tes bras, tes jambes et ta tête. Garde bien les yeux fermés,
pas de triche ! »
Arthur aime beaucoup cette activité et fait beaucoup d’efforts de concentration pour
mémoriser les mouvements imprimés à son corps. Il se montre plutôt performant pour les
reproduire sur moi quand je lui demande d’ouvrir les yeux. Nous faisons aussi cet exercice
en inversant les rôles.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Les jeux de graphomotricité (rubans de GRS, peinture à doigts, méthode du bon départ etc.)
lui permettent d’affiner ses performances graphiques. Les jeux de ballon l’aident à améliorer
sa coordination motrice et sa régulation tonique. Toute tâche effectuée réclame à Arthur
une grande attention. Il ne peut pas être suffisamment disponible pour une autre tâche. Il
a ainsi du mal à bien comprendre l’effet spatial du geste dont il n’a pas intégré la finalité.
On peut l’aider en psychomotricité à dépasser la consigne spatiale.

Une tâche est facilitée non par le modèle ou la démonstration mais par la consigne
verbale séquencée. La verbalisation permet, par la précision des mots, de mettre du
sens sur les actions effectuées. La parole du thérapeute structure et stimule dans la
relation thérapeutique les prises d’initiative tant verbales que motrices. Elle rassure
et met en confiance. Les mots permettent d’établir un lien symbolique entre les actes
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et les affects. C’est une aide pour intérioriser les sensations, les sentiments, et parfois
aussi pour atténuer l’angoisse.

Enfin, le temps de détente permet de mobiliser son attention pour une meilleure conscience
corporelle en état de repos et d’accéder à l’écoute de ses ressentis corporels. Lors de
ces temps, nous proposons à Arthur des pressions par le biais du toucher thérapeutique
ou par des sacs posés progressivement sur différentes parties du corps. Cela procure des
stimulations sensorielles qui affinent sa mémoire corporelle en l’associant à un ressenti
verbal. Effectivement, les pressions permettent de travailler la connaissance et la conscience
du corps et aident à se sentir unifié. La proprioception, définie par Bullinger (2004) comme
44
une coordination entre les signaux issus de la sensibilité profonde et les signaux sensoriels
tactiles et visuels, et une bonne régulation tonique favorisent une bonne construction
du corps, une amélioration du niveau de la vigilance ainsi qu’une meilleure disponibilité
de l’enfant face aux activités instrumentales. Ainsi une mauvaise maîtrise du corps peut
engendrer des difficultés proprioceptives, posturales, praxiques, de coordination statique
et dynamique et concerner l’espace du corps et les déplacements. Et face à une mauvaise
interprétation des informations sensorielles provenant du corps et de l’environnement,
l’apport de diverses stimulations vestibulaires, proprioceptives et tactiles vise à produire
des réponses motrices adaptées.
Ensuite nous proposons à Arthur des exercices avec le ballon de « gymnastique » afin
d’explorer son équilibre et sa régulation tonique ou bien nous l’invitons à créer des images
mentales de quiétude et de détente qu’il pourra ensuite évoquer avant de s’endormir ou
quand il se sent « énervé ». Lors de ces moments de calme, il est important d’encourager
Arthur dans la verbalisation de son vécu corporel.
Ce temps est un moment fortement apprécié par Arthur. Il arrive réellement à se poser et à
se détendre. Son agitation cesse et il arrive de mieux en mieux à verbaliser ses angoisses,
ses gênes et ses ressentis.
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

Conclusion du suivi
Malgré les efforts de concentration que lui demandent les exercices proposés, Arthur reste
volontaire et motivé pour répondre aux exigences que l’on attend de lui. Il est souvent
en lutte avec son impulsivité qui contrarie sa stabilité tant psychique que physique. Les
progrès sont lents mais rapidement visibles cependant. L’objectif à long terme de ce suivi
thérapeutique est qu’Arthur puisse contrôler son impulsivité et ses capacités attentionnelles
pour être plus réceptif aux apprentissages. Effectivement, cette évolution permettrait à
Arthur de se réapproprier son corps, de mieux maîtriser ses limites corporelles et de mieux
connaître ses capacités d’action afin d’améliorer sa confiance en lui pour parvenir à un
plaisir d’agir et d’interagir.
Arthur a fait des progrès incontestables dans le graphisme, dans l’orientation corporelle et
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la manipulation des concepts spatiaux. Il a également progressé dans l’apprentissage du
langage écrit. Mais ses acquisitions restent en dessous de ce qu’on attend en classe de CE2.
Dans des conditions d’évaluation individuelle en confiance et en dehors d’épisodes
d’agitation motrice, ses capacités graphiques sont proches de 6 ans. Les capacités de
déchiffrage (lecture) correspondent à un enfant de 6 ans 10 mois avec une grande lenteur.
La compréhension de l’écrit correspond à un enfant en premier trimestre de CE2. Il est plus
en difficulté pour la transcription.
Arthur n’est pas toujours capable d’exploiter ses capacités et de montrer ses compétences
du fait d’une grande impulsivité, d’une faiblesse de l’attention et de la mémoire de travail.
L’anxiété joue un grand rôle dans cette instabilité motrice et psychique. On a noté des 45
comportements évoquant une phobie scolaire à certains moments de l’année.
Après une année scolaire où l’équipe pédagogique a tenté d’accompagner Arthur dans ses
apprentissages dans le cadre d’un PPS1 en lien avec un suivi en rééducation dans notre
service, une orientation en classe à petit effectif, adaptée aux troubles spécifiques est
préconisée : CLIS (I ou IV ou classe pour Trouble Spécifique des Apprentissages). Le tableau
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clinique continue à nous apparaître mixte avec, au premier plan, l’instabilité motrice et les
aspects anxieux et, au second plan, la dyspraxie.
Face à l’absence de place disponible ou adaptée en classe spécifique, le médecin envisage
un projet d’admission pour une prise en charge globale dans notre service. Pendant une
semaine, en juin au cours de son CE2, Arthur a été accueilli dans le service en hôpital de
jour du lundi au vendredi avec scolarisation dans une classe à petit effectif (classe des
apprentissages fondamentaux, début de cycle 3). Arthur a également été reçu à plusieurs
reprises par le médecin et la psychologue et ses parents par les infirmières et la directrice
de l’école. Il a poursuivi sa rééducation en psychomotricité et en orthophonie.

1. Projet Personnalisé de Scolarisation.


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’expérience a été extrêmement positive : Arthur a fait face à cette situation, s’est investi
dans les activités proposées (de français niveau CE2, de mathématiques niveau CE1) et s’est
intégré au groupe d’enfants.

Une école est intégrée au sein de l’hôpital et permet à tout enfant admis et relevant
d’une scolarisation de garder un contact essentiel avec les apprentissages et le milieu
scolaire. C’est très valorisant sur un plan narcissique car les enfants ne sont pas
scolarisés en fonction de leur pathologie mais selon des critères de compétences
scolaires, d’âge et d’autonomie. Cela garantit une mixité sociale et motrice ainsi qu’un
développement personnel riche et soucieux du respect de chacun et de ses difficultés.
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Arthur et ses parents ont exprimé au médecin leur adhésion au projet proposé : une
admission pour une année de prise en charge globale avec :
• scolarisation en classe spécialisée (Classe des Apprentissages Fondamentaux, introduction
progressive de temps scolaire en classe de CM1) ;
• rééducation pluridisciplinaire (psychomotricité deux fois par semaine, ergothérapie une
fois par semaine, orthophonie une fois par semaine) ;
• suivi psychologique (une fois par semaine).

Ce projet se réalisera en hôpital de jour avec transports matin et soir en taxi.

46

ÉVOLUTION DU SUIVI SUR CETTE DEUXIÈME ANNÉE


SCOLAIRE

Évolution scolaire
L’institutrice note des progrès :
• dans l’apprentissage du langage écrit : lecture et compréhension écrite niveau fin CM1,
notions de grammaire de CE2 à consolider ;
• en mathématiques (niveau fin CE2) : nécessité de compenser les troubles praxiques en
géométrie ;
• meilleure autonomie de travail dans une classe à petit effectif en utilisant les aides
techniques informatiques.

Le passage d’Arthur, âgé maintenant de 8 ans et demi, dans cette classe à petit effectif
lui a permis de reprendre confiance en lui et de réaliser des progrès incontestables. Le
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

retour en milieu ordinaire est à accompagner si possible par une auxiliaire de vie scolaire
(AVS) en soutenant Arthur pour qu’il puisse exploiter ses capacités : canaliser son attention,
compenser ses difficultés de copie et l’aider à gérer son impulsivité dans le respect des
règles de vie.

Évolution du langage écrit


La rééducation orthophonique une puis deux fois par semaine a d’abord porté sur la
canalisation de l’attention puis sur la qualité de la lecture et l’acquisition de l’orthographe.
Le dernier bilan confirme le niveau de CM1 en lecture mais avec une fragilité attentionnelle :
la lecture silencieuse est beaucoup plus laborieuse pour Arthur. La lecture à haute voix
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l’aide à canaliser son attention (rôle du feed-back auditif). Le décalage des compétences
en orthographe phonétique et en orthographe d’usage et grammaticale correspond à une
dysorthographie malgré les progrès réalisés.

Évolution de l’écriture
L’écriture manuscrite est possible pour une phrase ou quelques mots (texte à trous) mais
demeure très coûteuse en temps et en attention. Le recours à l’outil informatique est
indispensable avec introduction récente d’un logiciel spécifique (Word Q) et éventuellement
plus tard d’une dictée vocale (Dragon). Arthur connaît bien son clavier. Il est autonome
dans la gestion de ses dossiers sous surveillance bienveillante de l’adulte. La rééducation 47
ergothérapique doit se poursuivre.

Évolution psychologique
La phobie scolaire initiale s’est estompée et Arthur s’est épanoui dans le service avec une
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meilleure estime de lui-même. On observe néanmoins une tendance à tester la solidité du


cadre et les limites de chaque intervenant. Il reste une grande susceptibilité au regard
d’autrui (adultes ou copains) pouvant générer des situations de conflit. Arthur a été suivi
une fois par semaine dans le service par la psychologue et a poursuivi les entretiens avec
un psychiatre de ville une fois toutes les trois semaines.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

LA POURSUITE DU SUIVI EN PSYCHOMOTRICITÉ :


GÉRONS LE TEMPS ET SON DÉROULEMENT

Le médecin a donc prescrit deux séances de psychomotricité hebdomadaires en prise en


charge individuelle. Le projet thérapeutique initial de la première année est reconduit
avec un temps supplémentaire consacré à une rééducation logico-mathématique. Les
améliorations sont notables sur le plan de la stabilisation du comportement et de la reprise
de confiance en lui d’Arthur pour ce qui concerne les acquisitions scolaires. Lors de cette
seconde année de suivi, Arthur est scolarisé dans le service. Maux de ventre et phobie
scolaire ont disparu.
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Une des deux séances est similaire à celle déjà décrite précédemment avec un temps de
détente introduisant des mobilisations passives des membres supérieurs pour apprendre
à ressentir le relâchement musculaire, particulièrement des bras et des poignets ; des
exercices de tracés-glissés sur grand tableau sont aussi proposés pour délier les mouvements.
L’approche graphique s’est appuyée cette année sur des principes issus de la méthode CO-OP
qui se montre souvent efficace pour redonner confiance aux enfants et favoriser leur
autonomie de travail.

Les bases théoriques de la méthode CO-OP (cognitive orientation to daily occupationnal


performance) reposent sur le programme d’auto-instruction verbale de Meichenbaum
48 (1977). L’approche s’adresse aux enfants qui ont des difficultés de développement
et d’apprentissage dans les situations qui engagent le corps dans l’action et dans
la représentation de l’action. Il s’agit d’une approche cognitive orientée vers la
performance. Ce n’est pas l’adulte mais l’enfant qui choisit l’activité à travailler. Pour
Polatajko (2001), permettre à l’enfant de choisir lui-même les habiletés motrices à
travailler favorise sa motivation et le caractère écologique de la tâche mais également
la généralisation et le transfert des apprentissages.
L’idée est la suivante : guider l’enfant dans une découverte des stratégies spécifiques
à l’activité.
La résolution d’un problème se déroule en quatre étapes :
1. Déterminer le but de l’action : le thérapeute incite l’enfant à se poser la question :
2. « Qu’est-ce que je veux faire ? » à chaque fois qu’il devra exécuter une
action. L’enfant reformule le but (compréhension) et s’en souvient (encodage,
mémorisation).
3. Déterminer la stratégie qu’il entend utiliser (planification et organisation
en verbalisant) : le psychomotricien entraîne l’enfant à se poser la question
« Comment vais-je faire ? ». Le thérapeute doit l’inciter à ne faire qu’une chose à
la fois, l’aider et non pas le juger, l’orienter vers la réponse et non pas lui donner
directement la solution pour ainsi rendre celle-ci évidente pour l’enfant. Cela

2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire


participe à une meilleure estime de soi, une auto-efficacité ainsi qu’une meilleure
réutilisation des stratégies tout en sollicitant aussi la mémorisation.
4. Exécuter la stratégie en question.
5. Faire le point sur l’efficacité de la stratégie : le psychomotricien amène l’enfant à
se poser la question : « Comment ai-je fait et est-ce cela que je voulais faire ? »
La trame est toujours la même et s’applique à des situations diverses et variées. On
utilise des termes qui sont propres à l’enfant comme moyen mnémotechnique ou
pour guider l’exécution. On pose des questions après l’exécution pour permettre une
découverte guidée des raisons de l’échec et amener une modification des stratégies.
Les objectifs sont :
• d’améliorer la performance et d’ajuster le sentiment d’efficacité ;
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• de réduire progressivement l’importance et la fréquence des interventions des
adultes pour travailler de plus en plus en autonomie. On aide l’enfant à visualiser
les aides apportées par des marques sur un tableau. La diminution des aides sera
alors un indice d’amélioration des contenus de pensée.

En s’appuyant sur cette approche cognitive, Arthur a choisi un personnage illustré qui
l’intéresse et nous réalisons la copie du dessin en travaillant à deux sur la même feuille.
La production est ensuite conservée pour la remettre avec d’autres que nous regrouperons
pour créer une frise des personnages de mangas. Naruto, son préféré, est fait en pâte à
sel. Un soutien et des encouragements sont donc nécessaires. Nous avons un rôle de coach
qui est très captivant pour lui. Tout au long de la séance basée sur la méthode cognitive 49
CO-OP, j’observe Arthur dans ses apprentissages en stimulant ses intérêts et en prenant en
compte son rythme de travail et ses capacités. Ainsi, nous sommes en mesure d’adapter
nos exigences face aux progrès de l’enfant et de réajuster les objectifs avec lui. Le coach
développemental représente une personne de référence pour écouter, expliquer et aider à
comprendre les difficultés et/ou le trouble de l’enfant. Arthur apprend ainsi à planifier et
vérifier, à s’autocritiquer et à se féliciter aussi bien sûr.
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L’approche logico-mathématique

Cette approche cognitive permet de compléter et développer les capacités d’analyse


du raisonnement tant logique que mathématique et spatial bien souvent perturbées
chez les enfants en grande difficulté d’apprentissage scolaire. Par une approche
ludique et solide sur le plan théorique, le psychomotricien formé aux fondamentaux
de la rééducation logico-mathématique repère l’aptitude du sujet à mobiliser sa
pensée, à rentrer dans un codage et à fonctionner dans celui-ci ainsi qu’à retrouver un
parcours spatio-temporel à partir de traces laissées. Il en est de même pour la faculté
de manipuler plus aisément la combinatoire (exploration des différents possibles,

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


coordination des points de vue, spatial, numérique, linguistique...), de construire
des liens et de favoriser l’enracinement des schèmes de raisonnement dans la réalité
(Feuillerat et Hivert, 2006).

En logico-mathématique, avec Arthur, nous avons travaillé sur la classification avec un


support de jeu de cartes de familles (jeu construit ensemble au cours des séances). Arthur est
très motivé pour reprendre les personnages des mangas qu’il a choisis de représenter. Il est
maintenant efficace pour classer les cartes en changeant de critère et évolue progressivement
vers la maîtrise de la combinatoire. Les activités ludiques à l’aide de son jeu de cartes
(Uno, Qui-est-ce ?, Domino...) développent ses compétences de logique. Il maîtrise bien
les critères (formes, couleurs, attributs de type chapeau, lunettes, pouvoir magique) et
nous abordons les formules décrivant les liens de cause à effet ainsi que l’élaboration d’un
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raisonnement hypothético-déductif (« puisqu’il y a un ticket de remonte-pente attaché
derrière la carte, alors c’est quelqu’un qui a été faire du ski », « puisqu’il n’a ni chapeau
ni baguette magique, alors c’est un... », etc.). Arthur s’investit beaucoup dans ce jeu de
familles qu’il emporte chez lui pour jouer avec ses parents.

CONCLUSION

La motricité et les capacités d’habileté corporelle globale constituent un point fort chez
50
Arthur. La prise en charge en psychomotricité deux fois par semaine a consisté à développer
une meilleure conscience et représentation du corps pour une meilleure organisation spatio-
temporelle ainsi qu’un travail autour de l’impulsivité, de l’attention et des compétences
logico-mathématiques.
L’évolution favorable d’Arthur dans le domaine psychique comme dans le domaine cognitif
avec progression des apprentissages scolaires permet un retour en milieu scolaire ordinaire
soutenu par un programme personnalisé de scolarisation en lien avec la MDPH :
• CM2 à l’école de son quartier avec une demande d’AVS pour accompagner la transition
entre une classe à petit effectif et une classe ordinaire ;
• ergothérapie sur le temps scolaire pour une poursuite de l’entraînement sur outil
informatique ;
• poursuite du suivi pédopsychiatrique ;
• « fenêtre thérapeutique » en orthophonie et psychomotricité compte tenu des progrès
et de l’évolution vers de plus en plus d’autonomie ;
• une prise en charge psycho-comportementale est envisagée en libéral avec une
psychologue.
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

À la demande de la famille, notre service reste référent pour le suivi plus ponctuel des
troubles praxiques avec des consultations médicales voire des évaluations pluridisciplinaires
en fonction des attentes scolaires et parentales.

RÉFÉRENCES

BULLINGER, A. (2004). Le dialogue sensori- POLATAJKO, H.J. et al. (2001). Cognitive


moteur et ses avatars. Toulouse : Érès. orientation to daily occupational perfor-
FEUILLERAT, B. et HIVERT, R. (2006). Les mance (CO-OP) : part II – “the evidence”.
Physical & Occupational Therapy in Pedia-
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pratiques logico-mathématiques et la psy-
chomotricité. Évolutions Psychomotrices, trics, 20, 83-106.
18 (74), 171. STAMBAK, M. L’HÉRITEAU, D. AUZIAS, M. BER-
MAZEAU, M. (1995). Déficits visuo-spatiaux GÈS, J. et DE AJURIAGUERRA, J. (1964). Les
et dyspraxies de l’enfant. Du trouble à la dyspraxies chez l’enfant. La psychiatrie de
rééducation. Paris : Masson. l’enfant, 7, 381-497.

MEICHENBAUM, D. (1977). Modification du


comportement cognitif : une approche
intégrative. New York : Harper & Row.
51

TESTS

MARQUET-DOLÉAC, J. (1999). Laby 5-12. VAIVRE-DOURET, L. (1997). EMG.


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Paris : Hogrefe. « Évaluation de la Motricité Gnoso-


MELJAC, C., FAUCONNIER, E. et SCALABRINI, praxique distale ». Paris : ECPA.
J. (2010). Épreuve de Schéma Corporel
Révisé. Paris : ECPA.
SOPPELSA, R. et ALBARET, J.M. (2004). Adap-
tation française du Movment ABC. Paris :
ECPA.
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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
2 • Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire

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Chapitre 3
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Syndrome cérébelleux,
troubles attentionnels
54
et difficultés scolaires
Histoire de Max, l’enfant qui aime que l’on parle
à son corps

Brigitte Feuillerat
SOMMAIRE

Histoire, antécédents et première rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56


Max craint son ombre dans le regard des autres . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Examen clinique et premières évaluations pluridisciplinaires . . . . 57
Comportement et synthèse des compétences et difficultés
psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Suivi en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Évolution de la prise en charge individuelle en psychomotricité . 60
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Évolution de la prise en charge groupale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Maîtrise des notions abordées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

55
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L
E SERVICE HOSPITALIER dans lequel Max est suivi en prise en charge pluridisciplinaire est
situé en banlieue parisienne. Il s’agit d’un service accueillant des enfants présentant
majoritairement des pathologies neurologiques congénitales. Un tiers des enfants
admis est porteur de troubles des apprentissages scolaires pouvant s’accompagner, pour
certains, de troubles moteurs et/ou de troubles cognitifs et/ou du comportement.

HISTOIRE, ANTÉCÉDENTS ET PREMIÈRE RENCONTRE

Max craint son ombre dans le regard des autres


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Max est actuellement âgé de 9 ans et demi et bénéficie d’un suivi en psychomotricité depuis
deux années. En début de redoublement du cours préparatoire, à 7 ans et demi, il est adressé
par le médecin scolaire à un service de neurologie infantile pour avis quant à une rééducation
et un accompagnement scolaire. Lors de cette rencontre, un entretien avec Max et sa famille
est proposé ainsi qu’un examen médical. Les renseignements relevés lors de l’entretien par le
médecin auprès des parents fournissent des données sur l’anamnèse de leur fils. Max est le
deuxième enfant du couple. Il est né proche du terme avec des signes de souffrance fœtale
aiguë conduisant à une césarienne. Pour répondre aux inquiétudes parentales face au retard dans
les acquisitions motrices vers 11 mois, l’examen neurologique effectué relève plusieurs signes
cérébelleux (hypotonie globale, ataxie statique, légère dysmétrie et poursuite oculaire perturbée
56 par des saccades) accompagnés d’une progression irrégulière des acquisitions. Une imagerie
cérébrale vient diagnostiquer une malformation de Dandy Walker. Il s’agit d’une malformation
congénitale du cerveau impliquant le cervelet et les espaces liquides autour de lui. « Elle se
produit entre les 7e et 12e semaines de gestation et touche une grossesse sur 25 000 à 35 000 »
(Ebbing, 2004).
Les parents ont relevé très tôt un retard des acquisitions motrices avec une tenue assise vers 9
mois et un début de marche à 22 mois. Ils signalent aussi un manque d’adresse pour jouer au
ballon, au football et au tennis ainsi que des chutes fréquentes jusqu’à l’âge de 5 ans. L’enfant
manque de précision dans ses gestes. Une certaine lenteur est notée dans l’usage des couverts
et de la brosse à dents.
Ses premiers mots sont apparus vers l’âge de deux ans, mais avec un début un peu « laborieux ».
Il écoutait beaucoup. Il a ensuite fait de rapides progrès.
On apprend que Max est un garçon sensible, parfois rêveur, très volontaire, conscient de ses
difficultés et capable de se comparer aux autres enfants. Il fait parfois le bébé ou le clown
en classe pour détourner l’attention de ses difficultés. Il aime beaucoup se balader en famille,
dessiner et construire avec des légos.
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

Examen clinique et premières évaluations


pluridisciplinaires
Max présente un syndrome cérébelleux dont le retentissement est discret sur la motricité
globale mais plus gênant sur la motricité fine des membres supérieurs. Il semble présenter
des difficultés d’oculomotricité gênant le repérage et la prise d’informations. La motricité
fine et la perception visuelle apparaissent donc au premier plan des difficultés alors que les
capacités cognitives verbales, de conception du geste et de structuration spatiale semblent
satisfaisantes. Il n’y a pas de trouble attentionnel majeur mais un manque d’estime de
soi et un évitement des difficultés qui peuvent également pénaliser les apprentissages en
situation scolaire.
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Le médecin prescrit des bilans orthoptique et ergothérapique pour préciser le mieux possible
les besoins de Max et dans un second temps une évaluation plus cognitive par un bilan
neuropsychologique, orthophonique et psychomoteur.
• Le bilan ergothérapique retrouve les anomalies motrices dans le cadre du syndrome
cérébelleux sous forme de tremblements discrets lors du maintien postural et des
mouvements fins. La précision du graphisme et le découpage sont perturbés. La
proposition est de poursuivre la découverte et la maîtrise de l’écriture manuelle
parallèlement à l’apprentissage du clavier sur ordinateur, guidées par une prise en
charge en ergothérapie. La mise à disposition d’aide technique de type lettre mobile ou
de conseil pour développer les compensations sera également guidée par l’ergothérapeute
qui interviendra sur le temps scolaire à l’école. 57
• Le bilan neuropsychologique (observations cliniques et WIPPSI III, observations et
tests en psychomotricité, bilan orthophonique) indique des compétences intellectuelles
dans la moyenne des enfants de son âge et réparties de façon homogène entre les
compétences verbales et non verbales.

Les difficultés relatives observées concernent la vitesse de traitement, l’évocation et le


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maintien de l’attention qui paraissent clairement en lien avec les aspects psychoaffectifs
plutôt qu’avec le trouble neurologique : investissement et disponibilité difficiles à obtenir
chez Max qui semble préoccupé et gêné par de l’anxiété ainsi que par une importante
dévalorisation et une grande appréhension de l’échec. Les compétences en langage oral sont
tout à fait bonnes. Un bon nombre de prérequis nécessaires à la mise en place de la lecture
sont présents. La faiblesse observée en mémoire de travail est à mettre en lien avec le
manque de disponibilité attentionnelle et motivationnelle évoqué plus haut. Les difficultés
rencontrées dans les apprentissages scolaires n’apparaissent pas en lien avec des troubles
neurocognitifs mais plutôt avec une fragilité psychique limitant son investissement et la
mobilisation de ses compétences.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Un projet personnalisé scolaire est mis en place avec une assistante à la vie scolaire (AVS)
lors du redoublement du cours préparatoire.
Revenons plus précisément sur le bilan psychomoteur effectué à cette période. Max a 7 ans
et demi.

Comportement et synthèse des compétences et difficultés


psychomotrices
Max vient au bilan accompagné de sa mère. Durant l’entretien, il découvre la salle de
psychomotricité. Il sort tout le matériel et shoote avec beaucoup de force dans les ballons
sans faire attention à la direction. Très agité, il semble néanmoins fier de ses prouesses
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et réclame l’attention de sa mère. Celle-ci lui rappelle, mais en vain, d’être prudent. Elle
parle des difficultés de son fils dans différents secteurs (école, motricité fine et blocage
face à l’écriture), et de ses difficultés dans les interactions sociales dans lesquelles il n’a
pas toujours des paroles adaptées (un peu trop désinhibé). Elle exprime ainsi l’envie d’aider
son fils.
Max accepte bien la séparation pour rester seul avec la thérapeute durant la passation des
épreuves du bilan. Il se plie de bon cœur aux exercices proposés avec toutefois un manque
d’enthousiasme bien palpable pour le travail à table. Il exprime vite le besoin de bouger
et de se défouler. Ses capacités attentionnelles et de concentration sont fragiles. Il est
58 facilement distrait par le matériel et semble parfois utiliser ce comportement pour fuir une
situation dans laquelle il se sent mal à l’aise. Il abandonne rapidement devant la difficulté
et peut alors perdre tous ses moyens (pleurs, énervement). Il se dévalorise fréquemment et
recherche alors approbation et encouragements de l’adulte.
Ce bilan nous montre que les difficultés motrices sont au second plan. Il a une conscience
corporelle élaborée lui permettant de mettre en place des compensations pour les activités
motrices dynamiques complexes. La motricité fine, bien que plus atteinte, peut s’avérer
efficace (graphisme) aux dépens d’un effort attentionnel important.
Les principales difficultés psychomotrices de Max concernent les domaines de l’orientation
temporelle, de la structuration spatiale et de la mémoire, notamment auditivo-verbale ainsi
qu’un blocage face à l’écriture pour laquelle il dit être lent. « Écrire », dit-il, « me fait mal
au poignet. »
Max est un garçon fragile, conscient et souffrant de ses difficultés. Sa crainte de l’échec
ou du jugement d’autrui lui fait perdre tous ses moyens. Il peut s’effondrer, abandonner,
s’énerver ou fuir la tâche par un comportement débordant ou distrait. Le manque d’attention
observé durant le bilan correspondait tantôt à une réelle distractibilité, notamment lors des
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

activités motrices, tantôt à une stratégie d’évitement lors des épreuves jugées irréalisables.
Max manque de confiance en lui et a besoin d’être valorisé et rassuré sur ses capacités.

Projet thérapeutique

Remplaçons cette ombre imaginaire et anxiogène de lui-même par l’image de son


corps en mouvement dans le miroir et dans la relation aux autres.
À court et moyen terme, le projet consistera à :
• améliorer l’orientation spatio-temporelle et la structuration spatiale ;
• lui donner le goût de l’écriture ainsi qu’une meilleure conscience de ses éprouvés
corporels ;
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• lui apprendre à canaliser ses débordements tant attentionnels que moteurs.

Un suivi individuel hebdomadaire est proposé avec pour médiations l’élaboration


de trajets évoluant dans l’espace et le temps et s’appuyant sur de courtes histoires
lues ou inventées puis l’introduction du graphisme et de l’écriture pour aboutir à la
création d’une bande dessinée. Des temps de relaxation et de parole autour de ses
ressentis corporels lui seront également proposés.
À long terme, il s’agira de :
• contribuer à développer son attention et sa concentration ;
• l’aider à formuler ses idées et son jugement et à prendre confiance en lui en
sollicitant notamment des échanges avec les autres ;
• améliorer l’expression de ses émotions en apprenant à les identifier, les mimer et 59
évaluer leur intensité. Cela contribuera à une meilleure qualité des interactions pour
parvenir à une insertion sociale plus harmonieuse.

Un suivi groupal est proposé sous forme d’un atelier de théâtre encadré par deux
psychomotriciennes lors de la première année de suivi, puis sous forme d’un groupe
d’habiletés sociales encadré par une psychologue et une psychomotricienne lors de la
deuxième année de suivi.
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SUIVI EN PSYCHOMOTRICITÉ

J’ai effectué le suivi en psychomotricité sur deux années civiles à raison de deux séances
hebdomadaires dans le service hospitalier. Il est venu régulièrement le mercredi et vendredi
après midi accompagné de l’un de ses parents puis, rapidement, en taxi. Il bénéficiait aussi
d’une prise en charge individuelle en orthophonie.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Évolution de la prise en charge individuelle


en psychomotricité
La séance d’une durée d’une heure se compose de deux temps de durée égale : un temps
cognitivo-moteur et un temps de relaxation privilégiant aussi un espace de parole et
d’expression des ressentis corporels, des doutes et des satisfactions.
Nous commençons par le temps cognitivo-moteur qui réclame le plus de concentration. Max
a besoin du soutien de l’adulte pour choisir une histoire et réfléchir à la mise en place
de tous les ingrédients : le choix des modules psychomoteurs et des accessoires (lunettes,
livres, ballon...) ainsi que la succession des activités. Il est motivé par cet exercice dans
lequel il se sent impliqué d’autant plus qu’on prend en compte ses propositions. Cependant,
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il est vite submergé par son manque d’attention et perd le déroulement de l’histoire dans
l’espace et le temps dès qu’on le laisse sans sollicitation. Malgré une forte motivation
pour s’aventurer dans le contexte d’une histoire élaborée ensemble et faisant appel à ses
thèmes et personnages favoris autour de la chevalerie ou des sous-marins, il rencontre des
difficultés à repérer la succession des lieux. Son attention peut se laisser distraire par les
personnages (marins, soldats) qu’il reste un long moment à manipuler en oubliant la suite
de l’aventure et en se laissant envahir par une agitation motrice dont il n’a conscience que
lorsque je lui en fais la remarque. Il est alors capable de se ressaisir et de regretter son
égarement. Comme il a perdu du temps, il déplore que la fin du jeu arrive trop rapidement.
Dans la mise en situation corporelle, il apprécie beaucoup les chutes volontaires sur les
60 modules psychomoteurs. Il ressent ainsi ses limites en cherchant le contact des tapis et des
modules et en expérimentant des sensations différentes. Il est invité ensuite à représenter
sur une feuille les différents éléments du parcours de l’histoire et à se dessiner en action
à l’endroit de son choix. L’expérimentation corporelle facilite beaucoup la représentation
mentale. Il se dessine à travers un enchaînement de postures (à genoux, debout, au sol). Il
est capable de rester bien concentré pendant ce temps graphique.
Il est toutefois conscient qu’il a souvent besoin de l’adulte pour l’aider à se canaliser. L’un
des objectifs de cette prise en charge en psychomotricité est aussi de favoriser l’autonomie,
ce qu’il souhaite, mais il s’agit là d’un objectif à long terme qui devra bénéficier du
développement de sa maturité et d’une meilleure confiance en soi. En effet, Max présente
une fragilité psychoaffective et une peur de l’échec amplifiée par ses difficultés scolaires.
Après une dizaine de séances, on note cependant une moins grande appréhension de l’échec
ainsi qu’une meilleure canalisation sur l’activité qu’il souhaite refaire quand il n’est pas
satisfait. Comme pour se lancer un défi.
Nous avons poursuivi ce travail en introduisant le graphisme et l’écriture. Si Max aime
beaucoup dessiner, il rechigne à écrire. Il est pourtant désireux de progresser et l’idée de
faire une bande dessinée le motive beaucoup. Il a réfléchi au contexte et aux personnages
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

qu’il souhaite y intégrer. Max s’est beaucoup appliqué à écrire le déroulement de l’histoire
et à l’illustrer avec ses dessins. Il se rend compte que son graphisme et son écriture ne
sont pas parfaits mais il ne se décourage pas. Son imaginaire s’enrichit même si le thème
de prédilection est toujours centré sur les sous-marins. Il crée des échanges entre eux et
d’autres groupes de sous-marins sous forme de combats, de rencontres festives et de projets
communs avec une fin d’histoire basée sur la réconciliation des groupes. Ses dessins sont
bien évocateurs des situations décrites.
« Dessine un peu plus lentement et prends le temps de bien réfléchir avant de commencer »,
lui dis-je régulièrement car il lui est difficile de freiner son mouvement.
Max écrit aussi les dialogues entre les personnages sans jamais se plaindre de douleurs au
poignet. Il est très heureux d’avoir écrit une BD. Je lui propose de relier les pages et de
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faire une page de garde. « Sa BD » finie, il est très heureux de l’emporter chez lui.
Durant le second temps, je lui propose de la relaxation. Elle s’appuie sur la méthode Soubiran
(Soubiran et Coste, 1974).

Cette relaxation psychomotrice est une technique de régulation tonique qui a pour
objectif de trouver le comportement tonique optimal et de mettre la personne dans
un état d’équilibre sur le plan émotionnel. Modulée en fonction de chaque patient,
elle prend en compte le tonus de fond et d’action, la préparation et la réalisation
du geste et l’émotion. Elle vise une transformation de la personne afin que celle-ci
puisse vivre son corps et l’impliquer au mieux dans la relation aux autres.
61

La détente psychocorporelle que je lui propose commence par un exercice destiné à enrichir
la conscience du corps et à préparer à la détente. En danse psychomotrice, je demande
à Max : « Tu vas faire tous les mouvements possibles avec tes poignets, tes coudes, tes
épaules et enfin avec tes deux bras l’un après l’autre, puis ensemble. Je te montre, regarde
bien. »
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« C’est bien, montre-moi, Max, comment on peut poursuivre avec les membres inférieurs. »
Max expérimente bien ses mouvements d’étirement et propose ensuite à son tour : « Tu
fais comme moi avec tes chevilles, tes genoux, tes hanches, puis tes deux jambes. Regarde
bien ! » Il pense toujours à me rappeler de bien regarder car c’est certainement ce qu’on
lui dit souvent !
Pour finir, il doit associer les mouvements des quatre membres. Max effectue ces exercices
les yeux ouverts en regardant son corps en mouvement dans le miroir. Il jubile de voir son
corps se libérer ainsi et de ressentir l’espace occupé par son corps en mouvement. Vient
ensuite le temps de la détente pendant lequel j’invite Max à fermer les yeux puis je lui
propose des inductions en rapport avec les sensations corporelles et la respiration. Quand il
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

est bien installé dans sa relaxation, je pratique des mobilisations passives qui permettent
de « contrôler » son état tonique, c’est-à-dire l’état de tension de ses différents muscles. En
verbalisant mes observations, je donne à Max la possibilité de comparer sa perception à la
mienne. « Ton poignet est bien relâché, encore un peu de résistance au niveau de l’épaule
gauche, l’épaule droite est plus détendue. » Les mobilisations passives des premières séances
mettent en évidence des tensions au niveau de l’épaule gauche et des blocages au niveau
des jambes. Au fil des séances, une quinzaine environ, Max a relâché ses résistances. Tout
d’abord au niveau des yeux qu’il avait du mal à garder fermés (il avait besoin de retrouver
son regard dans le miroir, en tournant la tête). Puis, après 3 séances, il s’est senti sécurisé
et a pu les fermer. Il est très sensible aux inductions corporelles et, au fil de mes paroles, il
bouge légèrement ses doigts, ses bras et ses jambes. Il est bien concentré sur son corps, à
l’écoute des paroles du thérapeute. Un sourire se dessine sur son visage. La respiration est
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ample et forte. À la reprise, il verbalise son bien-être et le fait que je lui parle de son corps
sans lui demander d’efforts physiques. Max s’investit beaucoup dans cette relaxation. Il se
détend plus facilement, les blocages disparaissent et la verbalisation s’enrichit. « J’aime
que tu parles à mon corps », dit-il. Je sens que son corps prend plus de valeur à ses yeux.
Il évoque aussi ses difficultés à prendre la parole en classe car il a peur que l’on se moque
de lui en raison de ses mauvaises notes. Ces temps de parole le rassurent en lui offrant un
espace d’expression dans lequel il dévoile son mal-être, ses tourments liés à ses relations
aux autres, le regard que l’on porte sur lui ainsi que sa peur de grandir et de ne plus être
protégé. Il fait allusion aux soutiens qu’il a en psychomotricité et en orthophonie, mais
aussi à son AVS à l’école.
62
Concernant les relations à l’autre, on note une nette amélioration en fin de prise en charge :
• il peut être calme et présent dans la relation ;
• il attend que les questions lui soient posées et y répond de façon plus adaptée sans se
perdre dans un « bain de paroles. »

Si le début de la prise en charge individuelle était marqué par son besoin de bouger et
s’agiter, il s’est progressivement installé en début de séance un temps de parole. Max y est
attentif et partage les moments forts de ses weekends.

Évolution de la prise en charge groupale


La première année, un groupe « théâtre » lui a été proposé avec pour principaux objectifs
la stimulation de la mémoire, la planification des idées, l’amélioration des capacités
attentionnelles, de la régulation des émotions ainsi que de la gestion des échanges entre
les différents acteurs. Max est intégré dans un groupe constitué de six enfants avec des
troubles des apprentissages associés pour certains à de l’hyperactivité et pour d’autres à
des troubles des fonctions exécutives. Ce groupe est encadré par deux psychomotriciennes
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

et une stagiaire en psychomotricité. Sur deux séances, nous imaginons avec les enfants le
scénario de la pièce que nous allons jouer ensemble. Max a du mal à présenter et à organiser
temporellement ses idées. Ce temps permet aux enfants de se connaître et occasionne de
nombreux échanges pour s’accorder sur le déroulement des scènes. Max est bien investi
dans cette aventure théâtrale. Toutefois, il est très différent entre les répétitions et le
moment où l’on filme. Pendant les répétitions, il parle, essaie de distraire les autres et de
se faire remarquer par un vocabulaire châtié et des fous rires. Il cherche à capter l’attention
des adultes et des autres enfants. Mais quand on filme, c’est un autre Max, intimidé et peu
bavard voire même maladroit (car il tremble davantage). Il faut même parfois lui souffler
son texte... Mais quel bonheur pour lui de jouer son rôle au fil des séances et d’être valorisé
et applaudi par les autres quand il a bien joué ! Quand on visionne le film en fin d’année
scolaire avec les enfants, Max se montre enjoué et l’estime qu’il avait de lui s’est modifiée :
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« je suis content », dit-il. Je lui demande : « Es-tu fier de toi ? » C’est en rougissant qu’il
répond « oui » d’autant plus que les autres l’approuvent en applaudissant.
Les propos souvent inadaptés tenus par Max à l’école ou en famille nous ont conduits à lui
proposer un groupe d’entraînement aux habiletés sociales lors de sa deuxième année de
suivi. Ce groupe est encadré par une psychomotricienne et une psychologue et constitué de
trois enfants du même âge que Max. Tous trois présentent des difficultés d’apprentissage
ainsi que des troubles relationnels.

Le groupe d’entraînement aux habiletés sociales est basé sur un programme


comportemental et cognitif (Liberman, 2005) et (Baghdadi et Brisot-Dubois, 2011) 63
s’appuyant sur les principes suivants :
• proposer instructions et consignes verbales précises indiquant comment répondre
à une situation ;
• passer par l’imitation des saynètes jouées par les animateurs ou visionnées ;
• répéter afin de consolider les nouveaux comportements ;
• donner un feedback sur la performance (rôle tenu par les animateurs et les membres
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du groupe) ;
• utiliser des renforcements sociaux (félicitations, encouragements et applaudisse-
ments).

La participation des enfants à un groupe d’entraînement aux habiletés sociales leur


permet d’acquérir des connaissances théoriques au plan des relations sociales puis de
les mettre en application dans le contexte familial et social.

Différents objectifs ont été poursuivis :


• Autour des émotions (de base et complexes) : apprendre à les reconnaître sur autrui, les
exprimer et les mimer ;
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

• Enrichir la communication non verbale (regard, gestes, attitudes et voix) ;


• Développer les habiletés conversationnelles (respecter le tour de parole, écouter l’autre,
tenir compte du contexte et éviter de changer, sans raison, de sujet de conversation),
apprendre à engager une conversation, à la maintenir par des questions, des critiques ou
des compliments et à la finir de façon positive.

Dans un premier temps, Max se montre excité et peu dans l’observation des comportements
et propositions des autres membres du groupe. Il cherche à nouveau comme dans le groupe
théâtre à capter l’attention des autres et à mobiliser un adulte pour lui.
Au fil des séances, Max a un comportement plus adapté. Il est plus à l’écoute des autres et il
participe davantage. Mais il a toujours besoin d’un soutien adulte lorsqu’il s’agit d’expliquer
ses propos. Face à un camarade qui distribue des invitations pour son anniversaire et alors
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que lui n’en reçoit pas, il ne sait pas comment aborder cette situation : « Et moi alors, je ne
compte pas pour toi ? » dit-il avec un sourire. Le camarade qui s’attendait à de la tristesse
de sa part est surpris et répond « Non, mais toi t’es pas déçu ? »
Au fil des séances, il maîtrise mieux les situations et devient capable de donner des exemples
et de répondre de façon pertinente. En revanche, face aux nouvelles situations, il est moins
à l’aise et cherche à nouveau à distraire les autres en faisant le pitre.

Maîtrise des notions abordées


64 Max est dans l’ensemble attentif aux explications apportées par les adultes concernant les
différents thèmes étudiés. Il se montre curieux et particulièrement intéressé par les vidéos
des saynètes jouées par les enfants avec les thérapeutes.
Au cours du travail sur les émotions, il s’est montré capable de retenir et de décrire un certain
nombre de manifestations émotionnelles. Il devient plus à l’aise pour les reconnaître sur
différents supports (photos, vidéos, jeux de mimes). En revanche, exprimer les différentes
émotions en passant par le mime reste un exercice plus compliqué pour lui. Max est capable
de bien différencier et nuancer ses propres mimiques ainsi que ses attitudes (qui sont bien
comprises par les autres) alors que son corps reste globalement assez figé.
La mise en contexte des émotions et notamment les liens avec des événements personnels
étaient, dans un premier temps, assez difficiles pour Max. Progressivement, il se montre
plus attentif à ses ressentis et peut plus facilement identifier ses émotions et en faire part.
Concernant les aspects non verbaux de la communication, Max investit le contact visuel et
regarde toujours son interlocuteur. En revanche, il n’est pas encore très à l’aise dans son
corps. Sa posture reste assez figée. Il a souvent des comportements de prestance (fous rires
et mimique figée). Les gestes à visée communicative sont présents et Max peut prendre des
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

initiatives adaptées au contexte : tendre la main pour dire bonjour (lors d’un jeu de rôle
qui met en scène une rencontre).
Max fait preuve d’habiletés conversationnelles. Il est plus à l’écoute des autres et respecte
mieux le tour de parole. Il tient compte du contexte et change rarement sans raison le sujet
de la conversation.
Il a pu s’exercer avec les autres membres du groupe à engager, maintenir et finir une
conversation de façon positive. Max, comme les autres membres du groupe, a eu besoin
de soutien et d’entraînement avant de mettre en application les différentes étapes de cet
exercice.
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CONCLUSION

Max a bien investi ces deux années de suivi en psychomotricité. Les progrès les plus
marquants sont apparus rapidement dans les séances individuelles avec un adulte qui
pouvait le soutenir et lui renvoyer le regard positif tant attendu par lui. Le suivi en groupe
est aussi très important car il est moins centré sur lui et il a dû apprendre à composer avec
les autres, à les écouter et à échanger positivement avec eux. Max va changer de région et
d’école. Il sera dans une classe à petit effectif de type CLIS (classe pour l’inclusion scolaire)
avec des inclusions ponctuelles en CE2 et un soutien maintenu par une AVS collective pour
la classe. Les progrès constatés dans les différents groupes permettent d’être optimiste pour 65
cette nouvelle intégration scolaire. Les suivis en psychomotricité et orthophonie devraient
se poursuivre et le travail effectué dans le groupe d’entraînement aux habiletés sociales est
à continuer lors des activités quotidiennes afin de permettre à Max d’exercer ces nouvelles
compétences dans le cadre des relations familiales, amicales et sociales.
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RÉFÉRENCES

BAGHDADLI, A. et BRISOT-DUBOIS, J. (2011). Liberman, R. (2005). Entraînement aux


Entraînement aux habiletés sociales appli- habiletés sociales pour les patients psy-
qué à l’autisme. Paris : Elsevier-Masson. chiatriques. Paris : Retz.
Ebbing, A. (2004). Le syndrome de SOUBIRAN, G.B. ET COSTE, J.C. (1974). Psy-
Dandy-Walker. Thèse en médecine. 10373. chomotricité et relaxation psychosoma-
Genève. tique. Paris : Masson.
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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

66
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NOTES
3 • Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés scolaires

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Chapitre 4

Marie Rossignol
Habiter son corps,

développemental
un processus

complexe
Histoire de Milo
68
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SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Le travail du psychomotricien au Centre Médico-Psychologique
(C.M.P) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Étude de cas : Milo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Anamnèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Quelques éléments du bilan d’observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Historique des premières séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
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Narration d’une séance importante... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Conclusion : l’espace de thérapie psychomotrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

69
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

« Toc, toc, toc, il y a quelqu’un ? »

INTRODUCTION

« Psychomotricienne ? Ah oui, tu rééduques des personnes accidentées, tu leur réapprends


à marcher ?
– En fait, je travaille en psychiatrie de l’enfant, c’est « un peu » différent. On ne parle pas
de rééducation mais plutôt de thérapie psychomotrice.
– En psychiatrie de l’enfant ? Mais de quoi ils peuvent avoir besoin pour leur corps si c’est
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dans leur tête le souci ? »
Au fil du temps, de ce genre d’échanges et des questions plus ou moins originales de
mes interlocuteurs « qui n’y connaissent rien », j’ai quasiment développé un second
métier : expliquer le mien ! En matière de représentations, j’ai eu droit à tout ! Animatrice
monomaniaque d’un jeu de société, kinésithérapeute qui s’essaie à des interprétations
sauvages, sauveuse des accidentés de la route capable de refaire marcher les paraplégiques
etc. La palette d’images, aussi erronées que divertissantes, est large.

La psychomotricité n’est pas encore connue de tous. Selon les axes prédominants et
70 suivant les populations concernées, notre métier change de visage. Ainsi, l’exercice
de style auquel nous nous employons pour décrire ce que nous faisons est aussi
complexe que passionnant, car il permet de travailler sur les représentations. Dans
une société où la psychose est avant tout perçue comme dangereuse et à cloisonner,
il me paraît important que le regard des thérapeutes participe à une ouverture de
points de vue. Cela permet de rendre compte de la porosité des frontières entre normal
et pathologique et, ainsi, d’éviter la stigmatisation de la folie. Tout en appréhendant
les différences « d’être au monde. »

Pour en revenir à ma discussion première, j’ai bien souvent opté pour des réponses du
type : « ils ont de grandes angoisses corporelles. Ils ne perçoivent pas leur corps comme
nous percevons le nôtre et l’idée en psychomotricité est de refaire le “lien” entre le corps
et l’esprit. » Cela dit, je me rends compte que la curiosité de mes interlocuteurs « qui n’y
connaissent rien » est vite aiguisée. Ils me demandent souvent d’approfondir et d’étayer.
C’est alors que je me réfère à la clinique. En donnant des exemples de ce que l’on vit au
cœur même d’une séance, nous pouvons aider à imaginer ce qu’est vraiment notre métier.
Mais cette illustration devient aussi le support de nouvelles questions.
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

C’est en ce sens qu’il me plaît de vous raconter ici l’histoire d’une séance en psychomotricité.
Ces termes ne sont pas choisis au hasard car je vous parlerai justement, au travers d’une
vignette clinique, d’un conte connu de tous : Les trois petits cochons. À travers cette histoire
et de ce qu’elle suscite dans le corps, des émotions et du dialogue tonico-émotionnel,
nous verrons comment Milo, un jeune garçon diagnostiqué « autiste atypique », s’approprie
l’espace de thérapie psychomotrice. Nous serons attentifs à ce qu’il donne à voir, à ce qui
me permet de mieux comprendre son être-au-monde, puis à ce que je peux lui en restituer
et enfin à ce qui, à son tour, vient infirmer ou confirmer ce que j’en comprends de par ses
verbalisations ou ses attitudes corporelles.
Formulée ainsi, la thérapie psychomotrice en pédopsychiatrie paraît être un labyrinthe où
le psychomotricien, main sur l’épaule de son patient, avance avec lui, rebrousse parfois
chemin, mais l’accompagne dans les méandres de son Moi corporel et de sa construction.
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Après une brève présentation du contexte institutionnel et la narration de la séance, je
vous présenterai Milo, à travers un résumé de son histoire. Enfin, cette étude de cas sera le
support de liens théorico-cliniques permettant de mieux saisir les enjeux psychocorporels
de ce jeune patient.

LE TRAVAIL DU PSYCHOMOTRICIEN
AU CENTRE MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE (C.M.P)
71

Le lieu, les professionnels

Les CMP (dans les villes de plus de 20 000 habitants) sont rattachés à un centre
hospitalier. Celui dans lequel se déroule la séance est destiné aux enfants et
adolescents (jusqu’à 18 ans). Il fonctionne sous forme d’un service hospitalier, où
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des parents de jeunes patients peuvent venir consulter différents membres d’une
équipe pluridisciplinaire : psychiatre, psychologue, assistante sociale, orthophoniste
et psychomotricienne. Il est coordonné par un médecin psychiatre. Chaque membre de
l’équipe (dont le psychomotricien) peut être amené à faire les premiers entretiens. Les
prises en charge en psychomotricité qui s’ensuivent se font sur prescription médicale.
Le CMP a pour rôle d’accompagner la prise en charge des enfants présentant des
difficultés affectives, psychologiques et/ou familiales. Le suivi en psychomotricité
peut être couplé à une psychothérapie avec un psychologue, à une prise en charge
orthophonique et/ou à un groupe thérapeutique.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Comment travaille le psychomotricien en CMP ?

Le psychomotricien est le spécialiste du langage corporel. Puisqu’il ne s’agit pas de


rééducation, en psychiatrie l’attention est particulièrement tournée vers l’image du
corps. Les premières séances servent à élaborer le projet thérapeutique au regard de
l’être au monde corporel de l’enfant et de ses problématiques. Cela peut se faire à
partir d’un bilan constitué de tests et d’épreuves ou bien d’observations. Ce qui sera
le cas pour Milo.
La mise en place du cadre thérapeutique est particulièrement importante. On désigne
par là l’ensemble des dispositions, principalement humaines mais aussi matérielles
et organisationnelles, permettant l’émergence, puis l’accompagnement du processus
thérapeutique. Souple et ajusté à chaque patient, il lui permet de vivre l’expérience
d’un espace-temps où pourra se mettre en place le jeu, principale médiation de la
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thérapie psychomotrice en pédopsychiatrie. Winnicott (1975) distingue le jeu pouvant
être organisé socialement, structuré autour de règles (« game ») de l’activité beaucoup
plus essentielle de jouer (« playing »), qui se déploie librement. C’est ce jeu spontané
qui nous intéresse plus particulièrement. Il s’agit pour le thérapeute de partir de ce
que l’enfant va proposer et des objets et jeux qui vont susciter son intérêt, pour aider,
à partir de ceux-ci et au travers du dialogue tonico-émotionnel, la prise de conscience
des éprouvés corporels. La prise de conscience du corps est souvent l’objectif recherché
pour parvenir à recréer une « corrélation entre le corps et l’esprit. »

C’est dans ce contexte institutionnel et à partir de ce cadre de travail que je vais à présent
72 vous parler de Milo. Pour commencer, voici quelques éléments de son histoire.

ÉTUDE DE CAS : MILO

Anamnèse
Adressé par son ancien C.M.P. à la suite d’un déménagement, Milo présente, dans les
comptes-rendus, un tableau d’« autiste atypique1 ». Pour parler plus simplement, il est

1. Selon le DSM IV ; F84.9 (299.80) : trouble envahissant du développement non spécifié (y compris l’autisme atypique).
On doit se servir de cette catégorie quand existent soit une altération sévère et envahissante du développement de
l’interaction sociale réciproque ou des capacités de communication verbale et non verbale, soit des comportements,
des intérêts et des activités stéréotypés. Il ne faut pas alors que les critères d’un trouble envahissant du développement
spécifique, d’une schizophrénie, d’une personnalité schizoïde ou d’une personnalité « évitante » soient remplis. Par
exemple, cette catégorie inclut sous le terme « d’autisme » atypique » des tableaux cliniques qui diffèrent de celui
du trouble autistique par un âge de début plus tardif, par une symptomatologie atypique ou sous le seuil, ou par
l’ensemble de ces caractéristiques. Dans la CIM-10, l’autisme atypique est codé F84.1.
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

atteint de troubles du développement affectant la relation et la communication. L’absence


de place dans l’hôpital de jour du secteur me conduit à commencer seule les entretiens et à
définir le projet thérapeutique de l’enfant. Je fais sa rencontre en septembre 2012. Il a alors
juste cinq ans. C’est un jeune garçon d’origine congolaise. Son physique est harmonieux et
élancé. Les traits de son visage sont doux mais son expression est sérieuse, comme s’il ne
pouvait être traversé d’affects. Il peut regarder dans les yeux mais très furtivement. Alors
que j’écoute sa mère me retracer son histoire, j’observe les jeux de Milo qui commence par
nous tourner le dos. Il a sorti les éléments de dînette de leur panier sans les utiliser à
des fins de jeu symbolique. Il les explore par le toucher, s’intéressant principalement aux
formes rondes. Il s’intéresse aussi aux petits cerceaux en les touchant et en plaçant sa
main dedans. Il sort aussi les cubes qu’il éparpille au sol. Ce qui me frappe immédiatement
c’est qu’il ne semble pas prendre de plaisir à jouer. Il garde son expression sérieuse et
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impassible. Lorsqu’il ne s’intéresse pas aux objets précédemment cités, il s’agite dans la salle,
grimpe sur le canapé et décroche le téléphone. Je l’entends jargonner un peu, reprendre
quelques « non ! » de sa mère en écho, et prononcer quelques mots : « caca », « maman »
et « papa. » Il ne semble pas pouvoir mener à bien une activité. Il est happé par un besoin
irrépressible de se mouvoir. C’est d’ailleurs son agitation qui semble le plus préoccuper sa
maman. Nous évoquons ensemble le sens de cette agitation et en venons vite au constat
qu’elle pourrait dénoter une angoisse existentielle. Nous nous posons ensemble, la mère
et moi, la question de ce qui arriverait à Milo si son agitation s’arrêtait. On peut faire
l’hypothèse que cet enfant n’a, pour le moment, pas trouvé d’autre façon de se sentir exister
qu’en mettant son corps en mouvement quasi continuellement. Arrivée en France il y a à
peine une dizaine d’années, Madame a déjà vécu en foyer d’hébergement. Elle a rencontré 73
le père de Milo puis est tombée enceinte. Ce dernier ne lui ayant pas fait de promesse
d’engagement, elle a vécu sa grossesse et les premiers mois de son fils dans un contexte
social et affectif très précaire. Elle a ensuite vécu dans un premier logement insalubre puis
en appartement. Aujourd’hui, la situation a changé : Le père de Milo qui a toujours gardé
contact avec Madame s’est, au fil des années, de plus en plus impliqué. Particulièrement
en raison des difficultés de leur fils. L’idée de construire un foyer commun, puis l’arrivée
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

prochaine d’un second enfant a conduit Madame à déménager et Monsieur à trouver une
maison pour pouvoir vivre ensemble. Monsieur me dira, lors du second entretien, qu’il a
envie de prendre un nouveau départ avec sa compagne et ses enfants. Cela fait donc peu de
temps que la famille est réunie lorsque commence la prise en charge en psychomotricité.

Quelques éléments du bilan d’observation


Avant tout, Milo tient à ce que l’espace dans lequel il se trouve soit bien fermé. Il présente
une grande agitation psychomotrice. Il a, par conséquent, beaucoup de difficultés à se
concentrer et à rester au même endroit pour mener à bien une tâche. Mais au-delà de ça, le
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

fait de se mouvoir en permanence semble être pour lui quelque chose d’existentiel. Milo
ne fait pas attention à l’espace-sol lors de ses déplacements. Il ne regarde pas où il met
les pieds ni ne fait attention aux obstacles matériels ou humains. Il peut tomber sans
manifester de signe de douleur et en se relevant dans la seconde qui suit. Il peut heurter
mon corps sans prêter une once d’attention à mon éventuelle douleur ni même m’entendre.
Son agitation est ponctuée d’importantes décharges toniques pouvant faire penser à des
électrochocs.
Dans ce tourbillon moteur, Milo montre toutefois qu’il est capable de construire une petite
tour de cubes. Il peut aussi encastrer des légos. Sa préhension en pince est fine et délicate
mais ne présente pas toujours le bon ajustement moteur. Il tente de recourir à la force pour
parvenir à ses fins. La trace graphique est possible mais pauvre. Milo n’investit pas l’espace
de la feuille. Il n’exerce quasiment pas de pression sur l’outil scripteur et fait rapidement
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quelques allers-retours de traits horizontaux (zigzags) et verticaux. La feuille est ensuite
déchirée ou froissée.
Milo ne prête aucune attention à mes sollicitations pour évaluer sa connaissance des parties
du corps. En revanche, il investit d’emblée le dialogue tonique, particulièrement par des
jeux de « pousser-tirer » (comptine « bateau sur l’eau »). La chute semble cependant être
source d’angoisse.
Au niveau du langage, on note de nombreuses écholalies.

74 Historique des premières séances


Milo ouvre et ferme les yeux des poupées, les couvre et découvre avec une couverture. Il
vide des caisses puis les remplit. Il montre vite un grand intérêt pour les livres (l’objet
en tant que tel et les images). Avant de s’intéresser à l’histoire des trois petits cochons, il
s’est longtemps intéressé à un autre livre décrivant et illustrant la grossesse et les premiers
temps de la vie. À chaque séance, l’image qui retient le plus son attention est celle du bébé
rouge et criant venant de sortir du ventre. Il saisit mon doigt et me la fait pointer en me
disant « bébé. »
Une relation complice s’installe rapidement. À travers la manifestation d’émotions, même
confuses, Milo me montre parfois un autre visage, plus animé.
Je vois Milo depuis six mois lorsqu’a lieu une séance charnière.
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

Narration d’une séance importante...


! Où es-tu quand tu n’y es pas ?
La plupart du temps, Milo me voit dès qu’il franchit la porte du C.M.P. Mais ce jour-là, je
suis occupée au secrétariat. J’entends la mère de Milo s’assurer de ma présence auprès d’un
collègue. Je profite de cela pour aller les saluer, tout en leur signifiant leur avance et en
leur expliquant que je termine de remplir un document et reviens dans cinq minutes pour la
séance. Je retourne au secrétariat dans lequel se trouve mon collègue. Nous échangeons
quelques mots, puis ce dernier ressort, seul.
J’entends alors des pleurs s’apparentant à ceux d’un tout petit. Je ne reconnais pas Milo.
Quelques instants plus tard, je me présente à nouveau dans la salle d’attente. Dès qu’il me
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voit, il s’arrête net et me regarde. Ses yeux n’ont pas de larmes mais son regard est empli
d’inquiétude. « C’est toi qui pleurais Milo ? Je ne reconnaissais pas ta voix ! » Et sa mère
de me répondre : « Il pensait que vous étiez partie, il avait peur. » Sous-entendu : peur de
ne pas me retrouver, de ne pas me revoir.
Je me place alors à sa hauteur et lui précise : « quand je dis : “je reviens”, je reviens Milo.
Tu n’as pas à t’inquiéter de cette salle, c’est le secrétariat. Je n’ai pas disparu, je suis
là. » Je me demande ce que Milo a pu imaginer de cette courte absence et me pose même
la question d’un éventuel fantasme de dévoration, mon collègue étant entré avec moi et
ressorti seul du même espace.
75
! La séance peut commencer...
Il reprend son air sérieux, se lève, prend ma main et m’entraîne devant la porte de mon
bureau1 . Il m’a retrouvée. La séance peut avoir lieu. À peine a-t-elle commencé, Milo
reprend Le château des histoires. Il s’agit d’un grand livre à l’intérieur duquel se trouvent
diverses enveloppes cartonnées contenant des contes traditionnels. Il s’assied sur le tapis,
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l’ouvre et constate, non sans stupéfaction, que l’histoire des trois petits cochons n’y est
pas. Il regarde l’enveloppe vide, « palpe l’absence » et se tourne alors vers moi en disant
seulement : « Mais... » Je m’approche du livre et reprends son « MAIS, où sont passés les
trois petits cochons ? » Depuis plusieurs séances, Milo s’intéresse vivement à cette histoire.
Me souvenant qu’un autre enfant l’a regardée peu avant, je peux le rassurer : « Le livre
n’a pas disparu Milo, mais il n’est pas à la même place que d’habitude. Voyons voir... où
peut-il être caché ? » Milo me regarde et balaie lui aussi la pièce du regard à la recherche

1. La salle dans laquelle j’exerce se trouve être l’endroit où la psychiatre du C.M.P. reçoit elle aussi ses patients. Elle ne
ressemble pas vraiment à une salle de psychomotricité à proprement parler mais dispose d’une étagère sur laquelle j’ai
placé de nombreux jeux et objets qui servent à mes séances. L’environnement est plutôt chaleureux et de nombreux
parents m’ont déjà évoqué des ressemblances avec un salon, un endroit dans lequel on se sent rapidement « chez soi ».
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

de l’objet disparu. « Ah ! Tiens ! Je le vois, il est sur l’étagère (je la pointe alors du doigt).
Tu le vois, toi aussi ? » Sans me répondre, Milo va dans la direction indiquée et retrouve,
parmi plusieurs petits livres, celui de son conte favori. Il sourit. Il semble rassuré d’avoir
retrouvé l’objet. Deux disparitions-réapparitions en si peu de temps... ça fait tout de même
beaucoup ! Il me tend le livre et s’assied tout près de moi, collant la moitié gauche de
son corps à la moitié droite du mien. Je lui demande : « On la lit ? » Il répète alors cette
phrase sur le même ton interrogatif et prend ma main pour tourner la première page. « Il
était une fois, trois petits frères cochons qui parcouraient le vaste monde à la recherche
d’un toit à leur convenance. »

! Histoire répétée, histoire apprivoisée


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Au fil des séances, j’en arrive à connaître par cœur chaque mot de cette histoire. Je me
permets parfois quelques fantaisies en vue de l’étoffer, en vue de faire du « même » en
y introduisant du « pas tout à fait pareil ». Cependant je respecte scrupuleusement le
déroulement du récit et en conserve les phrases clés ainsi que les voix des différents
personnages. Je me suis en quelque sorte approprié le récit. La théâtralisation qui en
découle semble convenir à Milo qui écoute à présent l’histoire d’un bout à l’autre. Au début
de son intérêt pour le conte, il pouvait se lever dès les premiers mots du récit et virevolter
dans la pièce sans revenir s’installer pour écouter. Je doutais alors de son attention mais
prenais le parti de continuer à raconter, me disant qu’il ne me donnait et redonnait, séance
après séance, certainement pas cette histoire par hasard. Cependant, elle semblait susciter
76 des émotions trop intenses pour ne pas déborder et s’agiter. C’est d’ailleurs un corps liquide
et en ébullition que je voyais alors se disperser dans la pièce.
Aujourd’hui, Milo restera près de moi. L’histoire, apprivoisée, peut à présent être appréhendée
plus calmement et dans sa globalité. Les ritournelles1 donnent aussi à Milo l’occasion de
participer.
Nous sommes au début de l’histoire et Milo vérifie que les petits cochons sont bien
trois. Il prend mon doigt pour pointer les personnages les uns après les autres. Nous
les comptons ensemble. Milo écoute attentivement la construction des trois maisons
successives. Il anticipe même les mots « paille », « bois » et « briques ». La répétition a
permis l’intégration de la structure temporelle du récit. Les matériaux sont mémorisés et
cités dans l’ordre.
Au premier « toc toc toc ! » du loup voulant entrer dans la maison de paille, Milo reprend
en mimétisme la ritournelle après moi. Il se décolle alors de mon corps et va taper trois
coups sur un livre posé par terre avec sa main. Il me regarde et sourit. Moi qui me suis

1. Petites phrases identiques ponctuant différents temps de l’histoire.


4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

souvent sentie seule avec cette histoire (Milo s’agitant dans la pièce), aujourd’hui nous
sommes bien deux et la complicité de cette répétition en miroir dans laquelle il semble
prendre plaisir me ravit !

! Entrer dans ta maison


Je change ma voix pour imiter le loup : « Je veux entrer dans ta maison. » Milo plonge
alors dans mes bras, place sa tête contre mon ventre et se met à appuyer fort, à pousser
comme s’il voulait lui aussi « entrer dedans. » La pression qu’il exerce avec sa tête, sans
me regarder, me donne l’impression de « n’être qu’un ventre ». Je lui dis alors : « Milo, tu
pousses très fort ! C’est comme si tu voulais rentrer dans mon ventre ! » Il me regarde alors
et me sourit. Il reste très près de moi mais se met à s’agite comme s’il n’y avait pas de
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bonne place. Peut-être comme s’il n’y avait de bonne place ailleurs que dans le ventre. Je
décide de poursuivre l’histoire en plaçant une main rassurante sur son dos. Puis, je change
ma voix pour faire celle du plus jeune cochon : « Non, non, non, tu n’entreras pas dans ma
maison. » Il répète cette dernière phrase et s’apaise un instant.

! « Je soufflerai, je gronderai, et ta maison s’écroulera »


Les menaces du loup qui font suite déclenchent des rires. Rires qui paraissent néanmoins
plutôt nerveux. Milo s’agite à nouveau. Il semble avoir un peu peur. « Alors je soufflerai, je
gronderai, et ta maison s’écroulera... » Et lorsque le loup souffle, je souffle moi aussi. Milo
77
place alors sa main devant ma bouche, ni trop près (pour la boucher), ni trop loin. Il peut
ainsi faire l’expérience sensorielle de mon souffle sur sa peau. Le regard de Milo navigue
plusieurs fois entre ma bouche et sa main comme s’il voulait vérifier qu’elle ne pouvait,
comme la maison de paille, s’écrouler. Comme s’il voulait vérifier qu’elle était bien toujours
là et entière. Je place alors ma main devant sa bouche. Il souffle lui aussi sur elle et me
regarde en souriant. Il semble rassuré. Je lui dis alors : « Oui, ton corps, comme le mien,
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ce n’est pas comme la maison de paille, ça ne s’écroule pas comme ça ! »


Pour la seconde maison, les réactions et les mêmes jeux complices ne différent pas mais la
répétition consolide la première expérience.

! Une maison solide


Arrive enfin le temps du loup voulant s’introduire dans la troisième maison, la maison de
briques, la plus « solide ». Ce troisième petit cochon peut se voir comme étant le même
que les deux premiers, mais avec l’expérience de premières enveloppes d’habitation trop
fragiles pour résister aux tentatives de destruction du loup. C’est le temps et l’expérience
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

de la faille qui a permis la prise de conscience de la nécessité de construire une enveloppe


contenante et suffisamment solide.
Pour la maison de briques, Milo reste assis mais son agitation semble témoigner de la
même peur que lors des précédentes menaces de destruction faites par le loup. Mais cette
maison-là tient bon. Alors que le loup se questionne sur la stratégie à employer pour
s’y introduire, Milo s’apaise, et son regard, interrogatif, navigue entre le mien et le livre.
Comme à la recherche d’une réponse. Qu’est-ce qui fait donc tenir cette maison-là ? Le loup
réussira-t-il à y entrer ? Comment s’y prendra-t-il ?
Au moment où le loup grimpe jusqu’à la cheminée, Milo prend ma main et la pose sur la
sienne en la faisant avancer le long de son bras jusqu’à son épaule. Lors d’une séance
précédente, j’avais en effet proposé l’accompagnement de l’ascension de la maison par
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le loup en faisant grimper ma main jusqu’au sommet de la tête de Milo pour symboliser
corporellement le sommet de la maison. Milo rit et me regarde. Même s’il se sert de ma
main, je sens bien que j’existe comme différente de lui pour lui. Il semble à la fois apprécier
et appréhender ce passage. J’accompagne la chute du loup d’un geste de chute de ma main,
de sa tête vers le sol. Il regarde fixement l’image du loup atterrissant dans la marmite d’eau
bouillante et dit avant moi : « Aïe aïe aïe ! » Son visage traduit une douleur comme si
c’était son propre corps qui vivait cette expérience. La séance précédente, c’est le moment
où il était parti s’agiter et déborder sans attendre le dénouement de l’histoire. Comme si lui
aussi avait « le feu aux fesses ! » Cette fois-ci, il reste près de moi. Je peux alors terminer
tranquillement en lui disant que le loup s’enfuit dans la forêt sans avoir mangé les trois
78 petits cochons qui profitent de ce dénouement pour faire la fête. La dernière image montre
le loup s’enfuyant au loin dans la forêt et les trois petits cochons formant une ronde devant
leur maison en riant. « Ils sont contents et peuvent danser et chanter, ils ont échappé au
loup. » Milo a été particulièrement attentif à cette fin. Il marque un temps d’arrêt, reprend
le livre et l’ouvre à nouveau en plaçant mon doigt au début de l’histoire. « Tu aimerais
que je la lise encore ? » La répétition semble installer en lui, au fil des séances et des
récits, quelque chose qui semble véritablement le « nourrir. » Cependant, je demande à
Milo de marquer une pause. Je me sens moi-même « rassasiée » et j’ai besoin de « digérer »
le premier récit comme pour mieux prendre conscience du poids de son écoute et de la
résonance de l’histoire. Il est possible de faire vivre le récit autrement qu’en le racontant à
nouveau.

! Un dessin révélateur
Il tolère plutôt bien cette frustration et se tourne alors vers l’étagère où il prend une feuille
et des crayons de couleurs. Je suis non seulement surprise mais presque sidérée. Il y a
encore peu de temps, Milo ne répondait jamais à mes sollicitations à utiliser ce matériel.
Son instituteur me l’a encore dit il y a peu de temps : « Il ne parvient pas à laisser une
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

trace et, s’il le fait, c’est dans la contrainte et en la détruisant ensuite. » Je reste alors
assise. J’attends en m’interrogeant sur la suite des événements. Milo s’installe à plat ventre
et commence par prendre un crayon bleu. Il dessine alors un rond fermé puis le colorie
à l’intérieur. Ça déborde un peu mais qu’importe, ça existe ! Il y a un contenant et un
contenu. L’enveloppe est fermée et elle « contient. » Je suis émue. C’est la première fois
qu’il décide de livrer spontanément une trace graphique et... quelle trace ! Elle semble me
restituer comme un cadeau la résonance directe de ce conte. Milo utilise ensuite plusieurs
couleurs différentes pour faire des ronds fermés au-dedans et colorés. Je note qu’il prend
quatre couleurs tenant une place importante dans le récit :
• le bleu de la salopette des cochons, l’enveloppe externe ;
• le jaune paille de la première construction ;
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• le noir du loup (qui se trouve aussi être sa couleur de peau) ;
• le vert de la forêt et de la végétation qui borde chaque image du livre.

À la suite de ce premier dessin il se dirige à nouveau vers l’étagère...

! Maintenir le dedans, construire au dehors


Il sort une petite balle contenant des billes que l’on entend tinter. Il l’agite plusieurs fois
et de plus en plus fort. « On dirait que tu vérifies que les petites billes que tu entends
resteront bien à l’intérieur. » Il me regarde, sourit et pose la balle. Je prends ça comme
une confirmation. Il prend alors les cubes gigognes et réalise une tour, seul. Elle est 79
particulière car mal organisée dans sa construction. Certains éléments sont placés avant
d’autres. D’autres sont mis sur le côté à la hâte. La tour terminée, il la fait rapidement voler
en éclat en la poussant de ses mains et de son buste. Je lui dis alors : « Celle-ci me fait
penser aux premières maisons des petits cochons, elle n’avait pas l’air bien solide ! » Je
vais m’asseoir près de lui et ramasse quelques cubes. Il m’invite alors à participer et nous
construisons ensemble une tour haute avec une base solide. Je m’attends à une nouvelle
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destruction mais Milo la contemple, retourne prendre l’histoire et revient s’asseoir près de
moi sans toutefois se coller à mon corps.

! Vivre à nouveau l’expérience, seul


Nous approchons de la fin de la séance et je le lui signifie. Je lui propose mon aide pour
ranger les cubes mais, alors que je suis en train de commencer ce rangement seule, j’entends
Milo, resté à la même place, dire : « Il était une fois, trois petits frères cochons qui
parcouraient le vaste monde à la recherche d’un toit à leur convenance » ... ! Je continue
mon rangement, attentive au récit qu’il semble plus se faire à lui-même qu’à mon intention.
Si la première phrase est entièrement mémorisée, les suivantes mélangent jargon et mots
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

extraits du récit. En remplaçant les mots jargonnés pour conserver ce qu’il en dit, j’obtiens :
« Le premier petit cochon... maison de paille... Le deuxième petit cochon... Maison de bois...
Le troisième petit cochon... Maison de briques... » Je n’en reviens pas ! Il poursuit : « Toc
toc toc ! C’est le loup, je veux rentrer dans ta maison ! Non, non, non ! Tu rentreras pas
chez nous ! » Il souffle, recommence puis dit « tout en haut la cheminée » et « plouf ! Aïe !
aïe ! aïe ! » Il tourne la dernière page et dit : « Au revoir » en regardant le loup s’enfuir.
« Ça alors Milo, tu la connais par cœur toi aussi cette histoire ? Elle est vraiment importante
pour toi ! Mais maintenant c’est la fin de la séance, on continuera la semaine prochaine ! »
Milo lâche alors le livre et grimpe sur le canapé. Il s’y place debout et me regarde. « Ah
non, ça c’est interdit ! Tu descends du canapé ! » dis-je fermement. Son regard se teinte
d’inquiétude. Il ne bouge pas et me tend ses bras. Je me rapproche. Il sourit. Je le porte
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brièvement pour le poser au sol. Il reste un peu collé contre moi puis se décolle et me dit
« Au revoir ! »
Au sortir de la séance, je signifie à la maman que Milo semble avoir besoin d’être porté. Elle
dit qu’il est grand, que ce n’est plus un bébé mais pose sa main sur sa tête, lui adresse un
regard attendri et me dit : « Il voit peut-être sa petite sœur être portée et il en a peut-être
envie lui aussi... » Milo la regarde... et sourit.

Discussion
80 De cette séance, nous pouvons dégager plusieurs axes de réflexions.

! La résonance de l’histoire avec le vécu


« Par les songes, les diverses demeures de notre vie se compénètrent et gardent les trésors des jours
anciens. Quand, dans la nouvelle maison, reviennent les souvenirs des anciennes demeures, nous allons
au pays de l’enfance immobile, immobile comme l’Immémorial. Nous vivons des fixations, des fixations
de bonheur. Nous nous réconfortons en revivant des souvenirs de protection. Quelque chose de fermé
doit garder les souvenirs en leur laissant leurs valeurs d’images. Les souvenirs du monde extérieur
n’auront jamais la même tonalité que les souvenirs de la maison. » G. Bachelard, La poétique de l’espace.

Milo a tout d’abord connu la réalité de la « maison-ventre » puis s’est trouvé hors de celui-ci
sans véritable « maison » (foyer d’hébergement) avec sa maman. Il a ensuite connu une
« maison » seul avec elle et s’est enfin retrouvé dans une « maison » entouré de ses deux
parents. Ces mouvements ont été, dans un premier temps, source d’instabilité affective et
synonyme de précarité. Nous pouvons supposer que l’enveloppe du foyer familial que Milo
connaît depuis peu lui permettra peut-être de se constituer des repères plus stables et de
ressentir la sécurité d’une plus solide contenance environnementale.
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

! Quelle peut-être la symbolique de la maison et sa résonance


psychocorporelle ?

Symbolique du corps-maison et constitution


des enveloppes psychocorporelles

« La maison est un prolongement de l’enveloppe psychique dont je peux d’autant plus


jouer que je dispose d’enveloppes psychiques solides : je pourrai alors être partout
chez moi, me construire un habitat là où les chemins de ma vie m’emmènent, je
pourrai y faire entrer des autres et partager ma maison en fondant à mon tour une
famille » Le Run (2006).
Dans les trois petits cochons, la maison occupe une place prépondérante. Pour nous
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autres, psychomotriciens, particulièrement attentifs à l’image du corps, ce conte peut
se lire comme une illustration des différentes étapes de la constitution du « Moi-peau. »
Anzieu définit cette notion comme « une figuration dont le Moi de l’enfant se sert
au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même
comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la
surface du corps. »

Or, si nous résumons le conte, nous pourrions dire : « Si tu construis solidement ton chez-toi,
tu pourras y être à l’abri. Il ne sera pas menacé de destruction et ne se réduira pas en
miettes. »
81

D’un point de vue psychocorporel et en référence à Anzieu, cela revient à soutenir la


construction d’une enveloppe corporelle capable, avant tout, de remplir les fonctions
suivantes :
• contenir l’intérieur du corps. Anzieu ajoutera : « retenir à l’intérieur le bon et le
plein » fournis par « l’allaitement, les soins et le bain de paroles » ;
• délimiter le dedans du dehors par une interface maintenant le dehors à l’extérieur.
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« C’est la barrière qui protège de la pénétration par les avidités et les agressions
en provenance des autres, êtres ou objets. » ;
• devenir un « lieu et un moyen primaire de communication avec autrui, d’établisse-
ment de relations signifiantes » et « une surface d’inscription des traces laissées
par celles-ci ».

Si ces fonctions du « Moi-peau » ne sont pas remplies, le psychisme ne sera pas « maintenu »
et on peut imaginer que le corps sera le support d’angoisses mettant en relief les failles de
cette bonne constitution (angoisses en lien avec le milieu liquide, angoisse d’effondrement,
de séparation, de dévoration, de morcellement...).
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

! L’idée d’une maison-ventre ; de la fusion à l’individuation


« Je dis ma Mère. Et c’est à vous que je pense, ô Maison ! Maison des beaux étés obscurs de mon
enfance. » O. V. de L. Miłosz, Insomnie.

Dans ces deux vers, Miłosz unit les images de la mère et de la maison. Or, au moment où
Milo appuie sur mon ventre, je fais le parallèle entre le loup voulant entrer dans la maison et
Milo tentant d’entrer dans le ventre. Cette recherche de fusion manifeste vraisemblablement
un désir de retour à la vie intra-utérine. On peut alors se poser la question d’une fixation1 ,
moment clé du développement psychoaffectif de l’enfant où le psychisme serait resté
« bloqué », à un stade antérieur et plus archaïque.
Colette Jacob (2001) nous dit d’ailleurs que : « les fixations et régressions à cet état verront donc
l’expression de la tendance à la fusion avec l’objet idéal et tout sera mis en œuvre pour maintenir l’illusion
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de se sentir comme « hébergé » dans la psyché de l’autre ; les patients présentant ces pathologies
vont exprimer comme une nécessité impérieuse de se loger à l’intérieur de l’autre, (fantasmes de peau
commune) pour se défendre d’une extériorité extrêmement menaçante et pour préserver un moi fragile
et dur à la fois qui est toujours en danger de se casser en morceaux. »

Dans la version originale des trois petits cochons, ces derniers commencent à construire
leurs propres maisons après avoir quitté le foyer familial. Parvenir à habiter son propre corps
après avoir habité le corps de la mère est la condition d’un développement psychocorporel
harmonieux. Cependant, Gauthier (2001) nous dit qu’« il n’est pas automatique de posséder
un corps qui nous appartienne personnellement. » En d’autres termes, il ne suffit pas
d’être doté d’un organisme qui fonctionne. Si le sujet ne parvient pas à s’approprier cet
82 organisme pour en faire son corps, alors son image du corps est pathologique. Et c’est
justement de cela dont il s’agit pour Milo. Les angoisses corporelles archaïques abordées
dans le point précédent sont des angoisses que vivent tous les bébés. Seulement, chez la
plupart d’entre nous, l’image du corps a continué d’évoluer. Même si nous pouvons encore
brièvement sentir le goût de certaines de ces angoisses au travers de rêves notamment
ou d’expériences sensorielles particulières, nous ne les vivons pas pour autant comme des
dangers insurmontables. Gauthier et Harlé2 pointent le caractère processuel de la psychose
qui « affecte les assises mêmes de l’identité, le sentiment d’exister, la possibilité de se
sentir soi-même, de se représenter, de se penser. »
Milo est particulièrement intéressé par l’image du bébé venant tout juste de naître. On
peut aussi noter plusieurs passages où l’effondrement est source d’angoisse. Nous pouvons
imaginer à quel point, pour un nouveau-né, le passage d’un milieu liquide à un milieu aérien

1. Terme psychanalytique désignant le « fait que la libido s’attache fortement à des personnes ou à des imagos,
reproduit tel mode de satisfaction, reste organisée selon la structure caractéristique d’un de ses stades évolutifs.
La fixation peut être manifeste et actuelle ou constituer une virtualité prévalente qui ouvre au sujet la voie d’une
régression. » Laplanche et Pontalis (2002).
2. Dans l’ouvrage de J. Boutinaud, Psychomotricité, psychoses et autismes infantiles (2009).
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

est vertigineux. Il entraîne une perte de repères dans un premier temps. Bachelard parle,
au travers d’une phrase du poète Supervielle, d’un échange de vertiges entre l’immensité
du dedans et l’espace extérieur : « Trop d’espace nous étouffe beaucoup plus que s’il n’y en
avait pas assez. »
Ainsi, la recherche de portage de la part de Milo peut être vue comme un moyen par défaut
de lutter contre ce vertige. Le portage décrit pendant la séance arrive au moment de la
séparation. Les émotions qu’elle suscite semblent ne pas permettre à l’enfant de quitter
l’espace de thérapie facilement.
S’individuer, se séparer du corps de l’autre pour se constituer sa propre enveloppe est donc
un processus développemental complexe. Dans la thérapie psychomotrice, le professionnel
accompagne le patient dans cette voie.
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CONCLUSION : L’ESPACE DE THÉRAPIE PSYCHOMOTRICE

Nous avons vu que, chez Milo, le lien entre corps et esprit est attaqué et que l’image du
corps est emprunte d’angoisses corporelles archaïques. La psychomotricité trouve donc
une place incontestée auprès du patient psychotique. Dans le décret de compétences des
psychomotriciens1 , il est dit que le psychomotricien est habilité à la « contribution, par
des techniques d’approche corporelle, au traitement (...) des troubles de la représentation
du corps d’origine psychique ou physique ». 83
Parmi ces « techniques », le jeu (« playing ») et le dialogue tonico-émotionnel constituent
des points d’appuis majeurs de la thérapie. Au sein du cadre thérapeutique, le patient pourra
vivre des expériences sensorielles et motrices. Grâce à celles-ci et à la prise de conscience
du corps, le psychomotricien tentera d’aider son patient à « mieux vivre dans son corps »
(Pireyre, 2011).
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Son rôle est d’amener le patient à transformer ses sensations en perceptions, ses émotions
en vécu émotionnel et ses mouvements en gestes afin d’accéder à la meilleure représentation
possible de lui-même dans sa globalité. Avec Milo, l’espace thérapeutique a permis
d’appréhender la frontière dedans/dehors. Freud disait : « Le Moi est avant tout un Moi
corporel ». En travaillant sur l’image du corps de nos patients, nous guettons l’émergence
du sujet et veillons à son développement et son épanouissement.
L’implication du psychomotricien est grande et l’aventure est avant tout humaine. En faisant
la rencontre de jeunes patients comme Milo, nous sommes amenés à vivre des instants
particulièrement forts. Le « bruit » des répercussions du fonctionnement archaïque peut

1. Décret n° 88-659, du 6 mai 1988.


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

cependant retentir sur le thérapeute et, de façon plus large, sur les équipes et sur les
institutions.
Il est donc prépondérant d’articuler les différents espaces, d’établir des liens, de « penser
ensemble » et de confronter les ressentis, afin de ne pas être happé par des émotions
confuses et un tourbillon mortifère. Prendre du recul par la pensée ne fait pas l’économie
des émotions. Cela permet, en revanche, de les sublimer. Tout l’art du psychomotricien sera
d’articuler cette pensée à une spontanéité vitale pour ne pas se situer uniquement dans
l’intellectualisation.

RÉFÉRENCES
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ANZIEU, D. (1986). Le Moi-peau. Paris : LAPLANCHE, J., & PONTALIS, J.-B. (2002).
Dunod. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris :
PUF.
BACHELARD, G. (1961). La poétique de l’es-
pace. Paris : PUF. LE RUN, J-L. (2006). L’enfant et l’espace
de la maison. Enfances et Psy, 4, n° 33 :
BAILLY, R. (2001) Le jeu dans l’œuvre de 27-36.
D.W. Winnicott, Enfances & Psy (n°15),
p. 41-45. PANKOW, G. (1969). L’homme et sa psy-
chose. Paris : Flammarion.
84
BOUTINAUD, J. (2009). Psychomotricité, PIREYRE, E. (2011). Clinique de l’image du
psychoses et autismes infantiles. Paris : corps. Paris : Dunod.
In Press.
ROLLAND, A (2011). La Maison, corps et
GAUTHIER, J.-M. (1999). Le corps de l’en- âme : http://www.ricochet-jeunes.org/
fant psychotique. Paris : Dunod. le-livre-en-analyse/article/162-rolland-
maison-corps
JACOB, C. (2001). Les transferts
archaïques. Imaginaire et Inconscient, WINNICOTT, D.W. (1975). Jeu et réalité ;
p. 47-69. l’espace potentiel, Gallimard.
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NOTES
4 • Habiter son corps, un processus développemental complexe

85

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Nicole Girardier
Chapitre 5

Tricoter les liaisons


psychomotrices
Histoire de Prosper
86
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SOMMAIRE

Tableau clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Premières observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
L’évolution du diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Les grands axes de la prise en charge en psychomotricité . . . . . . . . 92
La construction de l’axe corporel et la verticalisation . . . . . . . . . . . 92
La construction d’un espace tridimensionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
La motricité manuelle et les activités de manipulation . . . . . . . . . . 95
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Le tissage d’une couverture « cosensorielle » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Le problème de la transformation de l’excitation . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Conclusion : l’associativité sensori-motrice, vecteur du travail
en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

87
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

À
PARTIR DE LA PRÉSENTATION du cas de Prosper, je vais tenter d’illustrer la construction
de liaisons psychomotrices que nous pouvons conduire chez certains de nos
patients. Cette construction consiste en un travail souvent long de prise en
compte et de mise en forme des sensations dont l’enfant est le sujet pour les
lui rendre perceptibles et représentables et par conséquent moins invasives et moins
imprévisibles. J’essayerai de montrer que ce tricotage des sensations, des perceptions et des
représentations entre elles comporte tout un travail de liaison de l’excitation et des affects.
Bien entendu soutenu par le langage, ce processus est aussi nourri par tout un registre
d’interactions et d’échanges essentiellement non-verbaux qu’il me semble important de
connaître et de cultiver en psychomotricité. Ils sont en effet à la source des premières
capacités de représentation permettant à l’enfant d’intégrer ce qu’il vit. J’en viendrai donc
à proposer à la fin de cet exposé l’idée que notre pratique est soutenue par une forme
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d’associativité que je qualifierai d’associativité sensori-motrice se déployant au sein d’une
dynamique transférentielle où transitent des vécus non intégrés psychiquement par le
patient.
Mais d’abord je vais présenter ce petit garçon et décrire les grandes lignes du travail
psychomoteur conduit avec lui.

Prosper
Je rencontre Prosper dans le cadre d’un centre médico-psychologique petite enfance recevant
des enfants de 0 à 3 ans. Il est âgé de 11 mois lorsqu’il vient avec sa maman pour une première
88 consultation. Au terme d’une première année de vie difficile pour ce benjamin d’une fratrie de
trois garçons, les parents sont inquiets et la maman se dit épuisée. Pendant cette première
année, Prosper connaît des événements somatiques bénins mais fréquents. Son alimentation
est difficile. Son transit intestinal est capricieux. La constipation est source d’inconfort et
de douleurs. Les choses se compliquent lorsqu’il a 8 mois : il fait un épisode de convulsions
hyperthermiques qui entraîne chez lui une régression comportementale (il n’accepte plus de
dormir seul et ne mange plus à la cuillère). De plus, Prosper se développe lentement sur le plan
psychomoteur : à 11 mois, il commence tout juste à tenir assis lorsqu’on le place dans cette
position et ne se retourne pas seul du dos sur le ventre.
L’orientation en pédopsychiatrie est proposée par le neuropédiatre consulté suite aux convulsions.
Devant un EEG normal et un tableau clinique sans signe saillant, il émet l’hypothèse d’une
dépression du nourrisson avec syndrome anxieux. Dès la première consultation au CMP, la
nécessité d’un soutien de la relation parents-enfant et d’une aide au développement de ce petit
garçon est évidente. Aussi la pédopsychiatre propose-t-elle un cadre de travail avec un entretien
pédopsychiatrique parents-enfant mensuel et un suivi en psychomotricité en présence de l’un
des deux parents.
La prise en charge en psychomotricité se poursuit pendant trois ans et demi à raison d’une à
deux séances hebdomadaires selon les périodes. Par conséquent, le matériel clinique dont je
dispose est très volumineux et le cadre de cette étude ne permet pas d’en rendre compte dans
son ensemble. Il en est de même pour tout le travail entrepris auprès de Prosper et de sa famille
5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

par différents acteurs. La prise en charge en psychomotricité prend en effet place au sein de tout
un dispositif thérapeutique et éducatif qui s’intensifie progressivement face aux importantes
difficultés de développement de cet enfant. Pour respecter le format de cette présentation, je
m’intéresse donc exclusivement aux grands axes de travail en psychomotricité. Les parents y ont
eu une part active et soutenante pour leur fils. Mais c’est un des aspects qui demanderait des
développements trop longs pour la présente étude. Je fais donc le choix de ne pas m’y arrêter
car j’estime que cela n’empêche pas d’appréhender le travail conduit avec l’enfant.

TABLEAU CLINIQUE

Premières observations
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Revenons donc à Prosper. Dès notre première rencontre1 , il m’apparaît comme un bébé
hypervigilant, hypersensible et très réactif au moindre événement. Sur le plan moteur, qu’il
soit assis ou allongé sur le sol, il est peu actif et peu entreprenant pour explorer ce qui
l’entoure. Lorsqu’il est assis, position qu’il n’atteint pas seul, il recherche régulièrement un
appui du dos contre les coussins ou contre sa maman comme s’il voulait se coller à elle
tout en la repoussant. Spontanément, il ne montre pas de mouvements de redressement ni
de rotation du buste. Mais lorsque je le sollicite en lui présentant des objets, il peut mettre
en œuvre un répertoire moteur somme toute assez riche. Par contre, comme avec un tout
petit, je dois faire preuve d’une adaptation de tous les instants pour qu’il ne lâche pas son 89
attention : ce n’est pas lui qui trouve les moyens de poursuivre son intérêt, c’est moi qui
dois trouver comment le susciter et le maintenir. Alors, il peut bouger le haut de son corps
dans des mouvements de rotation, d’enroulement et de redressement de l’axe vertébral.
Progressivement, il peut se détendre, sa « mélodie kinétique » (selon la belle expression
proposée par Julian de Ajuriaguerra) devient plus fluide, il sourit et peut même rire aux
éclats. Les interactions visuelles sont faciles et l’intérêt de Prosper pour son partenaire de
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jeu est patent. Par contre, il est difficile de dégager un profil tonique chez cet enfant :
il semble tout à fait capable de recruter un tonus élevé lorsque cela lui est nécessaire et
de se détendre lorsque les conditions le permettent. La régulation tonique semble donc
correcte. C’est par contre l’organisation tonique au profit de conduites organisées qui est
compliquée. Prosper présente donc un tableau d’inorganisation tonique plutôt que celui
d’une réelle hypotonie comme pourraient le laisser penser ses difficultés de verticalisation.
Ces premières observations se confirment au cours des premiers mois de prise en charge.
Les capacités interactives de Prosper sont réelles. Mais s’il se montre très réceptif aux

1. Du fait de son très jeune âge, je ne propose pas de bilan psychomoteur mais je conduis une observation
psychomotrice de Prosper en situation de motricité libre spontanée.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

interactions ludiques, les attend et y réagit avec plaisir, il ne les provoque guère. De mon
côté, je dois toujours faire preuve d’une adaptation de tous les instants pour être et rester
une partenaire de jeu possible, non intrusive et inventive. D’autre part, le plaisir que Prosper
trouve dans les interactions est vite débordant et source d’une excitation qui le dépasse.
Alors, il s’agite, gesticule, notamment au niveau des jambes et s’agrippe des deux mains
à un objet qu’il porte devant son visage en gardant les yeux fermés. Ce type de réaction
m’apparaît comme une forme de retrait, si ce n’est de repli, dans une excitation qui ne
trouve pas d’issue auto-érotique ou motrice plus organisée.
Prosper est donc peu entreprenant spontanément sur le plan moteur. En revanche, son
expression corporelle est riche. Par exemple, lorsque nous nous retrouvons en début de
séance, son corps est un théâtre particulièrement expressif : une partie me montre de la
méfiance, de l’hésitation, voire carrément du refus tandis qu’une autre partie, un pied, un
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œil, une main ou un mouvement du buste m’invite et se rapproche de moi, mouvement
souvent accompagné d’un sourire plus ou moins fugace.
Ses initiatives motrices varient aussi en fonction de son installation et de son humeur :
lorsqu’il est bien installé sur les genoux de l’un de ses parents et s’il est d’humeur tranquille,
il s’intéresse à ce qui l’entoure, attrape les objets qui sont placés à sa portée et les
observe avec attention. Les mouvements de son axe vertébral (rotation, extension, flexion,
inclinaison latérale) qui, comme l’a montré André Bullinger1 , organisent et supportent la
motricité manuelle, sont alors bien présents et coordonnés.
Son humeur est extrêmement labile : le moindre désagrément, souvent invisible aux yeux
90 du parent qui l’accompagne comme aux miens, peut le faire passer d’un état de détente
joyeuse propice au jeu à un état de total inconfort où il gémit et se tortille comme s’il
voulait se soustraire à une source d’irritation mais ne trouvait aucune solution pour résoudre
la tension qui l’envahit. Ses capacités d’auto-apaisement sont quasiment inexistantes et la
seule issue pour retrouver le calme est le recours aux bras des parents.
L’amélioration des capacités d’auto-apaisement est un des points d’évolution positive
au cours des premiers mois du suivi en psychomotricité. Prosper se montre aussi plus
entreprenant et utilise plus ses possibilités motrices. Il parvient à se retourner sur le ventre
mais revient bien vite sur le dos. Par contre, il ne cherche toujours pas à s’asseoir de
lui-même et reste intolérant à la perte de ses appuis dos et aux stimulations plantaires. Ses
mimiques sont expressives et ses vocalisations s’enrichissent avec l’apparition de syllabes
répétées.
Ce tableau montre que Prosper fait partie de ces enfants assez énigmatiques dont
le fonctionnement a un aspect paradoxal : leurs fonctions psychomotrices paraissent
opérationnelles, leur système neuromoteur ne présente pas d’anomalie particulière, en

1. Bullinger A., 2004.


5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

revanche les difficultés se situent dans « le fonctionnement des fonctions » comme le


propose Fabien Joly à la suite de Julian de Ajuriaguerra. Pour ces enfants, tout se
passe comme si leur corps était un objet dont ils ne connaissent pas l’usage et dont le
fonctionnement leur échappe sans cesse alors que leurs compétences potentielles semblent
intactes. La construction d’une image du corps stable et la mise en service des fonctions
instrumentales au profit de l’exploration de l’environnement, de la communication, de la
cognition et des relations s’en trouvent fortement contrariées.

L’évolution du diagnostic
Les premiers mois de prise en charge apportent donc une légère embellie de l’état de Prosper.
Mais une période de crise va venir tout bouleverser et entraîner chez lui une régression
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importante : il est alors âgé de 18 mois et, de nouveau, il ne peut plus quitter les bras de
ses parents qui sont épuisés. Il a du mal à s’alimenter. Son sommeil est difficile. Il pleure
et gémit à la moindre contrariété. Ses toutes nouvelles capacités d’auto-apaisement ne
sont plus utilisables. Devant cette situation de grande tension, l’inquiétude des parents
et des soignants est extrême. La pédopsychiatre préconise alors une hospitalisation au
cours de laquelle les investigations médicales reprennent. Elles aboutissent à la découverte
d’une anomalie génétique qui se précise quelques mois plus tard avec le diagnostic d’un
syndrome de Potocki-Lupski, maladie rare dont la description varie selon les cas et dont
le degré d’atteinte est très différent d’un sujet à un autre. Certaines particularités sont
cependant repérées qui se retrouvent chez Prosper : un petit poids de naissance, des
difficultés alimentaires, un retard des acquisitions motrices et du langage, des troubles du 91
comportement, des difficultés d’adaptation aux situations nouvelles ainsi que des traits
autistiques.
L’annonce de ce diagnostic est une nouvelle très bouleversante pour l’ensemble de la famille.
Mais, d’un autre côté, la découverte d’une étiologie objective aux troubles de Prosper libère
ses parents de l’incertitude et de la culpabilité ressentie face aux difficultés jusque-là
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incompréhensibles de leur petit garçon. Prosper, qui a maintenant 22 mois, fait quant à lui
de gros progrès pendant quelques semaines, comme s’il était lui aussi libéré d’une chape
d’incertitude : il s’assoit seul, peut quitter le giron parental et commence à se mettre à
quatre pattes.
Avant d’approfondir le travail conduit en psychomotricité, il est nécessaire de préciser que,
pendant toute la durée du suivi, la vie de Prosper est marquée par une alternance de périodes
de crises comme celle décrite plus haut et de périodes de progrès et d’accalmie comporte-
mentale. Généralement, un problème somatique bénin est identifiable comme déclencheur
de la crise : poussée dentaire, épisode de constipation, rhinopharyngite... Prosper paraît
alors totalement envahi par des sensations insupportables et incompréhensibles qui le
désorganisent. Ces crises s’accompagnent toujours de difficultés comportementales qui
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

évoluent au fil du temps : les difficultés alimentaires deviennent moins prégnantes tandis
que les troubles du sommeil s’accroissent. Les conduites autistiques, jusque-là relativement
discrètes, se renforcent avec des accrochages auto-sensoriels de plus en plus fréquents
auxquels s’ajoutent vers l’âge de 3 ans des comportements auto-agressifs très envahissants
et compulsifs sur lesquels je reviendrai plus loin.
Les progrès moteurs se font cependant peu à peu : Prosper se déplace en rampant à 2 ans
et 3 mois, à 4 pattes vers 2 ans et demi. Il se met debout seul à 34 mois et retourne au
sol sans aide à 3 ans. Il marche en étant tenu dans la suite de cette verticalisation et sans
aide un peu avant ses 4 ans.

LES GRANDS AXES DE LA PRISE EN CHARGE


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EN PSYCHOMOTRICITÉ
La construction de l’axe corporel et la verticalisation
C’est un des objectifs de travail prédominant pendant tout le début de la prise en
charge. Comme nous l’avons vu, les mouvements de flexion, d’extension, de rotation
et d’inclinaison du buste sont présents dans le répertoire moteur de Prosper, mais ils ne
sont pas mis au service d’une verticalisation progressive. L’orientation du corps en fonction
des flux sensoriels qui l’atteignent ainsi que la coordination des différents mouvements
92 contribuant au redressement sont aussi acquises. Par contre, du fait d’une organisation
tonique axiale paradoxale, les mouvements de repousser vers l’arrière semblent se substituer
aux mouvements de redressement.

André Bullinger1 a montré que le passage de la vie intra-utérine à la vie aérienne


contraint le nouveau-né à lutter contre la pesanteur tout en étant privé des appuis
qu’il trouvait auparavant contre la paroi utérine. Cette lutte contre la gravité et la
sollicitation du système vestibulaire qu’elle entraîne ont, d’après Bullinger, des effets
organisateurs fondamentaux dans le développement de l’enfant qui trouve d’abord
un relais dans le portage que lui offre son environnement humain et s’en émancipe
progressivement pour s’ériger par lui-même. Ce processus semble par contre souvent
problématique chez les enfants souffrant de troubles envahissants du développement.

Prosper est un exemple de cette difficulté. Il s’agit donc de trouver les moyens de l’aider à
se tenir et se porter par lui-même pour se redresser de façon progressive tout en évitant de
le solliciter d’une façon trop contraignante et trop directe qui le ferait se rigidifier.

1. Bullinger A., 2004.


5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

Le travail se fait de diverses manières, Prosper étant allongé sur le sol ou assis sur les
genoux du parent qui l’accompagne :
• en exploitant toutes les modifications des appuis du dos sur le sol ;
• en sollicitant les mouvements de reptation ;
• en cultivant les rotations de la ceinture scapulaire puis de l’ensemble du buste et du
bassin par le biais de la poursuite oculaire dans un champ de plus en plus large et de
la préhension dans toutes les dimensions de l’espace notamment dans l’hémi-champ
controlatéral ;
• en intégrant les mouvements spontanés d’enroulement et d’extension du buste souvent
associés chez Prosper au flux respiratoire.
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Les travaux menés à l’Institut Loczy1 de Budapest montrent que tous ces mouvements sont
les précurseurs du retournement du dos sur le ventre et de l’accès autonome à la position
assise. Mais, pour être tolérables par Prosper, toutes ces sollicitations doivent d’une part
être soutenues par un plaisir ludique et d’autre part respecter son rythme. Un exemple
(Prosper a 22 mois) :

C’est le début de la séance et nous nous trouvons assis au sol face à face. Prosper est sur les
genoux de sa maman. J’observe chez lui des mouvements de tassement et de redressement du
buste, mouvements qui l’amènent à se coller contre ou à se décoller du corps de sa mère. Lorsqu’il
se tasse, il perd l’appui de ses pieds sur le sol et se trouve dans un équilibre un peu instable
sur les fesses, les abdominaux très contractés, en recherche d’un appui dans le dos qu’il semble
repousser en même temps qu’il le trouve. Lorsqu’il se redresse, il émet des bruits et des soupirs, 93
son abdomen se dégage et il est perceptible dans ses émissions sonores que la tension au niveau
de son diaphragme se dégage. J’accompagne ces mouvements du buste en les imitant de façon
exagérée et en les sonorisant. Prosper poursuit avec plaisir et reprend en les imitant mes sons et
mes mouvements axiaux. Et très vite, je ne sais plus lequel de nous imite l’autre, lequel initie des
nouveautés dans l’échange.
Sur un plan proprement psychomoteur, j’observe au bout d’un moment que l’axe vertical et le
rapport entre le haut et le bas du corps sont rétablis : Prosper est redressé, il n’y a plus de barrière
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dure au niveau de son diaphragme, sa bouche est active et laisse sortir des sons. Ses mains et
ses pieds sont libérés. Cela lui permet de commencer à s’intéresser à ce qui l’entoure : il prend les
objets situés à sa portée et les jette en se penchant et en se tournant dans tous les sens. Quand
il n’y a plus rien devant lui, il pivote sur lui-même, engageant le bas de son corps de façon plus
active, pour retrouver les objets jetés sur le côté. Progressivement, il se dégage ainsi des genoux
de sa maman et se retrouve assis sur le sol.

1. Par les recherches et les observations qu’ils ont conduites auprès des jeunes enfants, Emmi Pikler et ses disciples
de l’Institut Loczy de Budapest ont apporté des connaissances fondamentales sur le développement psychomoteur.
Leurs descriptions de toute la variété des mouvements et postures dits intermédiaires qui précèdent et préparent
l’acquisition de chaque grand mouvement et de chaque posture constituent selon moi une source précieuse pour
observer la motricité d’un enfant et l’aider à la développer sans le contraindre.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

La construction d’un espace tridimensionnel


On le sait, dans le développement psychomoteur, la verticalisation participe pleinement à
la construction tridimensionnelle de l’espace. Les difficultés de verticalisation de Prosper
ne sont donc pas sans effet sur sa façon d’appréhender l’espace. Certes, la description
précédente montre qu’il est capable d’orienter son corps dans différentes directions et
d’avoir une première conception de l’espace. Mais l’espace relationnel est assez restreint :
non seulement la distance par rapport au corps d’autrui peine à s’installer mais de plus
les interactions se déroulent principalement dans un plan frontal. Le besoin de sécurité
est probablement à la base de ce fonctionnement. Cependant, comme les observations des
interactions précoces l’ont montré, les interactions ont tendance à s’appauvrir lorsqu’elles se
déroulent sur un mode uniquement frontal. Notamment, elles ne favorisent pas l’alternance
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rythmique des regards qui se trouvent et se détournent ; la capacité à prendre des temps
de pause dans l’interaction et la régulation de l’excitation s’en trouvent compliquées et la
fatigabilité s’accroît.
Ce travail d’élargissement de l’espace avec Prosper se fait d’abord à partir de l’espace de
préhension. Puis c’est en me mobilisant moi-même dans tout l’espace de la salle que je
l’invite à porter son regard plus loin et à diriger ses gestes dans différents plans et à
différentes distances. Les jeux de ballon sont propices à ce travail : varier la distance à
laquelle je me situe, changer de place dans la salle amène progressivement Prosper à se
dégager du corps parental et à bouger dans l’espace de la salle.

94 C’est aussi le jeu avec les objets que l’on cache et que l’on retrouve et toute leur chorégraphie
entre nous qui contribue à la construction de l’espace. Un exemple (Prosper a 30 mois) :

Prosper est assis sur mes genoux face au miroir. Sa maman est derrière nous légèrement de côté
si bien que son fils ne peut pas la voir dans le miroir. Assis bien droit sur mes genoux, les pieds au
sol, il tourne la tête pour regarder sa maman, ce que je commente ; il regarde de nouveau devant
lui. Je prends deux anneaux que je joue à rapprocher, éloigner et placer l’un devant l’autre. Tantôt
nous les regardons en réalité, tantôt nous les observons dans le miroir. Prosper est très attentif à
la chorégraphie de ces deux objets. Cette attention aux anneaux alterne avec des moments où il
se retourne pour voir sa maman ou lève la tête pour me regarder.

On peut penser que le jeu de ces deux anneaux constitue une reprise symbolisant
l’éloignement et le rapprochement entre Prosper et sa maman, éloignement qui prend
un sens particulier à ce moment puisqu’il sort d’une crise d’agitation et de pleurs qu’elle
vient de calmer et dont chacun est en train de se remettre. Je reprendrai plus loin l’aspect
symbolisant du jeu avec les objets.
Je souhaite par contre m’attarder sur la façon dont les interactions visuelles se jouent
entre nous trois. Il y a une alternance entre une attention conjointe en direction des deux
anneaux et la rencontre des regards (avec la maman ou moi) qui me paraît très structurante
5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

sur le plan spatial. Les différentes dimensions de l’espace concret (devant, derrière, en
haut...) sont présentes. Mais aussi, on peut voir dans ce jeu des anneaux qui s’approchent
et s’éloignent, alternant avec l’interpénétration des regards, une matérialisation de la
profondeur de l’espace visuel qui se creuse en même temps que se constitue une première
forme d’intériorité. Comme le propose Geneviève Haag, cette première conception d’un
espace interne est perçue chez l’autre tout en étant ressentie par l’enfant comme un vécu
de contenance. Je pense que l’on peut rapprocher cette séquence de ce que propose cette
auteure dans sa représentation graphique de la formation d’un vécu de contenance chez un
enfant autiste1 où elle montre « ... que le jeu du regard dans la communication empathique
avait un effet spatialisant et créateur de formes ». Elle ajoute que « les formes rythmiques
et fermées sont les premières représentations de contenance et de squelette interne ».
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La motricité manuelle et les activités de manipulation
Lorsque nous commençons à travailler ensemble, les capacités de préhension de Prosper
sont en rapport avec son âge : il peut saisir un objet à deux mains, le passer d’une main
à l’autre, le lâcher volontairement, le porter à sa bouche et l’explorer du bout de ses
doigts qui sont bien déliés. Les coordinations oculo-manuelles sont bonnes. La préhension
pouce-index est en place. Par contre, s’il peut tendre son index pour toucher une petite
aspérité ou explorer le trou d’un objet, il n’a pas de geste de pointage.
D’autre part, ses manipulations d’objets sont moins riches que ce que l’on peut attendre de
son âge si l’on se réfère aux observations des activités de manipulation menées à Loczy2 . 95
Ces travaux montrent que vers la fin de la première année, des changements importants se
produisent dans les activités de manipulation du jeune enfant :
• d’une part, l’enfant commence à s’intéresser à un objet non tenu et ceci Prosper en est
tout à fait capable ;
• d’autre part, il porte son intérêt sur deux objets à la fois et sur leur mise en relation, ce
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qui est alors étranger à Prosper. Ce n’est que plus tard qu’il commence à s’intéresser aux
relations entre les objets.

Pour Myriam David et Anna Tardos3 , l’activité manuelle est un véritable langage préverbal
chez le jeune enfant, support de représentations et moyen d’intégration psychique de ses
expériences émotionnelles et relationnelles. On peut penser que, malgré une motricité
manuelle fonctionnelle, l’avancée de Prosper dans son processus d’individuation est trop
précaire pour qu’il accède à ce langage préverbal et à ce type de représentations.

1. Haag G., 2009.


2. David M., Tardos A., 1991.
3. Ibid.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Son jeu avec les objets se développe cependant au cours de ses deuxième et troisième
années : il joue à jeter les objets et à les retrouver. Avec mon aide, il peut vider et remplir
un contenant, partir à la recherche d’un objet que j’ai caché sous ses yeux, s’intéresser
au fonctionnement d’une voiture à friction, imiter mon jeu de faire rouler un anneau... Il
peut aussi comparer deux objets entre eux et faire preuve d’une attention de grande qualité
accédant alors à cette fonction préverbale et représentative du jeu avec les objets évoqués
ci-dessus. Un exemple (il a 22 mois) :

Prosper est assis de profil entre sa maman et moi qui parlons ensemble. Il s’intéresse à deux
objets : à sa gauche, il trouve une chenille constituée de boules de peluche dans l’une desquelles
se trouve un grelot ; à sa droite, il repère une balle de golf dont le diamètre est sensiblement le
même que celui des boules de peluche constituant la chenille. Plusieurs fois de suite, il prend la
chenille, la serre entre ses doigts à l’endroit du grelot, la pose, prend la balle de golf et fait de même.
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Il semble comparer avec une grande attention ces objets dans leurs similitudes et leurs différences.

Ici, l’attention de Prosper est totale et il est probable qu’il se livre à une activité mentale
intense par l’intermédiaire de cette manipulation. On peut y voir un travail de mise en
représentation de la situation relationnelle qui nous unit : je suis placée à sa gauche,
Prosper tient dans sa main gauche la chenille à grelot et je viens moi-même d’avoir tout un
échange musical avec lui. Il tient la balle de golf dans sa main droite du côté de sa maman
qui l’a justement soutenu de façon assurée sur ses genoux pendant tout le début de la
séance. On peut penser que, par l’intermédiaire de ces objets, il se représente la situation
d’être entre sa maman et moi, chacune avec ses qualités et sa fonction auprès de lui.
96
Cet exemple illustre le soutien de l’activité cognitive, de l’attention et des capacités de
représentation qui sont d’autres aspects importants de la prise en charge psychomotrice
d’un enfant comme Prosper.
Ses activités de manipulation se développent donc mais ses acquisitions ne sont pas
suivies d’autres formes de symbolisation plus avancées, tout au moins pendant le temps où
nous avons travaillé ensemble. Et même, l’activité manuelle semble disparaître lorsque les
conduites auto-agressives apparaissent ; alors, ses mains ne lui servent plus qu’à se frapper
de façon répétitive1 . À chaque séance, il faut donc réanimer chez Prosper un autre usage de
ses mains que celui de se frapper, passage souvent difficile à frayer. Un exemple pourtant
où cela est possible (Prosper a 4 ans et demi) :

1. Une description des conduites auto-agressives de Prosper s’impose ici : il se donne des coups sur le front en se
cognant avec l’articulation entre la 2e et la 3e phalange d’un de ses doigts replié ; d’ailleurs, ses doigts finissent par
se couvrir de cals. Il peut aussi utiliser ses genoux pour se frapper le front ou encore se cogner la tête contre le sol
s’il est par terre. Ces comportements prennent à certaines périodes une allure compulsive et le front de Prosper se
couvre de bleus et de bosses.
5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

C’est notre dernière séance. Depuis quelques séances, je propose à Prosper de la pâte à modeler.
Ce jour-là, après plusieurs tentatives d’approche, il commence à s’intéresser au manège que je
fais avec deux boules de pâte à modeler : je les cache dans mes mains, les fais réapparaître et
les écrase ostensiblement pour les reformer ensuite. Il en vient peu à peu à toucher ces boules de
pâte à modeler et, suivant mon exemple, il y imprime une pression du doigt et y laisse une trace. Il
peut aussi prendre une boule et la jeter mais c’est moi qui dois la retrouver. Reprise de mon jeu
de faire disparaître les boules ? Mise en représentation de la fin de nos rencontres ? Peut-être.
Toujours est-il que Prosper est très attentif et même si, comme souvent, l’instant est fragile, nous
partageons un temps de jeu et d’attention intense et précieux au cours duquel il réinvestit ses
mains dans un usage autre que celui de se frapper.

Il faudrait aussi parler des vocalisations. J’ai évoqué au début de cette présentation les
vocalisations de Prosper et l’apparition chez lui de syllabes répétées. Mais comme pour les
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activités de manipulation, les productions vocales et langagières ne se développent pas et
même semblent totalement disparaître à certaines périodes. Pourtant, à d’autres moments,
elles ressurgissent accompagnant par exemple un moment de motricité joyeuse.

Le tissage d’une couverture « cosensorielle »


Vers l’âge de 3 ans Prosper développe des comportements auto-agressifs très envahissants.
Il montrait jusque-là des conduites autosensorielles et des accrochages visuels aux reflets
lumineux et aux lignes verticales mais les comportements auto-agressifs n’étaient que très
rares et isolés. Il lui arrivait aussi parfois de saisir le visage d’autrui et de le pincer comme
pour s’y accrocher. Mais ces conduites restaient isolées et surtout relativement faciles à 97
contenir et à détourner.
Les comportements auto-agressifs apparaissent suite à une hospitalisation en urgence en
raison d’une constipation résistante et très douloureuse qui se résout avec l’administration
d’un lavement. J’ai indiqué l’hypersensibilité de Prosper aux événements somatiques et on
peut penser que cet épisode a sur lui un effet dévastateur. De plus, cela se produit au
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moment même où il commence à développer une conscience de son activité sphinctérienne.


Cependant, si l’élément déclencheur de ses comportements auto-agressifs est bien
identifiable, cela ne suffit pas à les expliquer ni à comprendre pourquoi et comment
ils se sont installés de façon envahissante et durable. Face aux difficultés gigantesques
de la vie quotidienne que de tels comportements engendrent, les parents recherchent
légitimement des réponses éducatives et comportementales. Mais, force est de constater
que les propositions qui leur ont été faites dans ces domaines restent à ce jour sans effet.
Pour ma part, je ne suis pas en mesure d’apporter de telles réponses. Je fais par contre
l’hypothèse que, même si elles prennent une tournure très violente et compulsive jusqu’à
en devenir addictives à certaines périodes, ces conduites auto-agressives constituent pour
Prosper une stratégie pour se « sentir » et stabiliser son image du corps dans un recrutement
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

sensoriel permanent. Sur la base de cette hypothèse, je tente à chaque séance de dégager
une voie pour l’aider à retrouver un autre usage de son corps et un tissu sensoriel plus
souple, plus varié et plus continu que celui qu’il se procure en se frappant.
Comme les sensations dures et vibratoires sont au centre de son comportement, je reprends
prioritairement ces caractéristiques dans mes propositions : un serpent vibrant dont je
l’entoure et des objets durs que nous manipulons ensemble. Puis, pour faire varier les
sensations, j’introduis des objets de différentes consistances, par exemple des cordes que
je fais glisser dans ses mains. Parfois il tire la corde et je la retiens ou la laisse filer,
alternant résistance et relâchement. Je place un coussin lesté sur ses épaules ou sur
ses jambes... J’essaie aussi de me décentrer de ses mains en proposant des expériences
engageant l’ensemble du corps : enjamber, grimper, se balancer, etc. Et surtout, j’ai recours
à la musique par le biais de chansons, de rythmes et de comptines qui nous font explorer
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l’ensemble du corps, le toucher, le caresser et en nommer les différentes parties. Dans ce
travail de remaillage des sensations entre elles, la musique offre un fond calmant et continu
dont la fonction d’unification cosensorielle est irremplaçable.
Ces tentatives sont plus ou moins efficaces selon les séances et je n’ai pas la prétention de
faire céder les comportements auto-agressifs de Prosper par mon seul travail mais j’observe
souvent une sédation passagère. Bien entendu, les composantes environnementales et
conjoncturelles sont à prendre en considération pour aborder et comprendre ces conduites
mais, dans le cadre qui est le mien et avec les outils dont je dispose, j’essaie de les aborder
au-delà de leur strict aspect comportemental en essayant notamment de comprendre quelle
98 est leur fonction. Comme je l’ai évoqué plus haut, on peut penser qu’elles cherchent à
maintenir une image du corps déstabilisée chez Prosper par la moindre montée d’excitation.

Le problème de la transformation de l’excitation


Dès le début de la prise en charge, la question de l’excitation est présente avec Prosper.
Qu’elle soit d’origine interne ou externe, il ne sait pas faire face à la montée d’excitation et
il reste totalement dépendant de sa gestion par autrui qui va tantôt la réguler, tantôt la
transformer et tantôt l’apaiser. Chez lui, l’excitation ne sait pas trouver d’issue auto-érotique
(que ce soit sous la forme de suçotement ou « d’auto-érotisme moteur joyeux » comme l’a
décrit Michel Fain1 ). Il y substitue des manœuvres auto-sensorielles ou auto-agressives par
lesquelles on peut penser qu’il tente de se réunir lorsque l’excitation est trop forte et/ou de
s’en défendre car il n’en maîtrise pas la survenue. Ce serait en quelque sorte une tentative
de réunir dans une zone précise du corps le lieu et l’origine de l’excitation pour la rendre
plus maîtrisable.

1. Kreisler L., Fain M., Soule M., 1981.


5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

Mais ces stratégies rudimentaires ne permettent aucune transformation de l’excitation. Elle


revient sans fin à son origine. Elle ne trouve ni but ni d’objet et sa décharge n’aboutit
jamais à un apaisement. Il me semble que cette transformation de l’excitation ne peut
s’envisager sans s’intéresser aux affects qui traversent l’enfant. Il s’agit dès lors de chercher
à approcher le vécu de l’enfant, généralement peu identifiable, pour l’aider à le surmonter
et à se le représenter. C’est pourquoi je tente de repérer ce qu’éprouve Prosper pour qu’en
lui se creuse l’espace de l’affect. Un exemple (il a 4 ans et 4 mois) :
Après quelques semaines d’accalmie, Prosper se frappe de nouveau de façon compulsive et
son visage est marqué par les coups. Je lui demande ce qui se passe et je lui rappelle le
contexte d’apparition de cette façon de se faire mal. Je l’interroge : est-ce que de nouveau
il sentirait des choses étranges dans son ventre ? Je remarque d’autre part que ce, jour-là,
s’il est nécessaire de lui tenir les mains pour qu’il ne se frappe pas, je n’ai pas besoin de le
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faire de façon contraignante et que le contact reste facile et doux entre nos mains. Je lui
fais différentes propositions mais rien ne prend vraiment. Il pleure et semble se plaindre.
Je lui dis qu’il a l’air malheureux et j’ajoute « dis-moi, explique-moi ce qui ne va pas »,
façon de faire de ce malaise diffus un message potentiellement adressé. Puis je chante :
« Chabri chabra mon p’tit cœur est malade... »
Les chansons et comptines offrent en effet une grande diversité « d’interprétations » des
affects qui valent bien des commentaires.
Ce travail d’identification et de partage du vécu de Prosper passe aussi par l’accueil et le
jeu des mouvements agressifs avec par exemple des rugissements et autres claquements de
dents d’animaux, des simulacres de combat, etc. Un autre exemple (il a 3 ans et demi) : 99

Après un début de séance où Prosper reste près de son père qui lui tient les mains, je l’invite
à évoluer dans la salle avec moi. Prosper se tient d’une façon un peu instable et élastique. Il
recherche ses appuis sur moi plutôt que sur le sol. Cela teinte nos jeux : nous devenons deux
acrobates qui se soutiennent et s’équilibrent l’un l’autre. Dans ce jeu de corps à corps, je peux
progressivement lâcher les mains de Prosper. Mais subitement, le voilà qui se frappe de nouveau.
Je réagis instinctivement avec une certaine colère : « Ah non, ce n’est pas possible, je ne te
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laisserai pas te faire mal ! » Paroles vaines et sans effet. Puis de façon non réfléchie mais sur
un mode associatif, j’enchaîne en me plaçant devant lui : « Tu veux boxer, d’accord, on peut faire
la bagarre si tu veux, je suis sûre qu’avec papa tu joues à la bagarre ! » Et je joue à lui donner
des semblants de coups qui, bien sûr, n’aboutissent pas et en prenant garde de signifier par mes
mimiques, par l’amplitude de mes gestes, par le ralenti que je leur impose, qu’il s’agit bien d’un jeu.
Tout d’abord surpris, Prosper rit. Je redirige ensuite le jeu entre le père et le fils que je soutiens
dans ce simulacre de combat.

Il existe encore d’autres modalités, plus primaires qui ne cherchent pas à résoudre
l’ébranlement affectif ni à le nommer mais à lui donner une représentation dans/par
le corps et le corps à corps. On peut les rapprocher du dialogue tonico-émotionnel cher à
Julian de Ajuriaguerra. La façon dont le corps de l’enfant est porté, soutenu, contenu par
les bras parentaux est très variable selon son état et lui restitue, en deçà des mots, quelque
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

chose de cet état. En psychomotricité, faire de ce type d’échanges primaires un véritable


théâtre corporel me semble une voie particulièrement intéressante. Un exemple (il a 3 ans
et demi) :

Prosper est irrité, se tortille, gémit et pousse des cris. Je lui demande ce qui ne va pas et où
ça se passe dans son corps tout en lui proposant diverses mises en forme de son corps : très
regroupé contre moi, en épousant ou en résistant à ses mouvements de repousser, en suivant
et en amplifiant ses mouvements d’ouverture qui se dispersent pour regrouper de nouveau ses
membres. À plusieurs reprises, il commence à se calmer mais ne laisse pas l’apaisement s’installer
et reprend ses cris associés à un raidissement axial attendant visiblement que je reprenne mon
jeu de mise en forme de son corps auquel il est très attentif.

Dans cet exemple, je propose à Prosper tout un jeu de mises en forme de son vécu par
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l’intermédiaire de mises en forme de son corps : peut-être se sent-il dispersé, trop ouvert,
béant ou écartelé dès lors qu’il s’ouvre à l’extérieur ? Ou au contraire tout ficelé par les
tensions lorsqu’il se regroupe sur lui-même ? Ce jeu comporte donc une tentative de mise
en représentation, au sens théâtral du terme, de ce qui affecte l’enfant. Il n’y a pas de
qualification de l’origine ni de la nature de ce qui le traverse. Par contre, c’est une façon de
partager et de reconnaître ce qui se vit et donc de ne pas laisser l’enfant seul face à ce qui
l’irrite ou l’envahit.
Le traitement de l’excitation nécessite donc un travail d’intégration des affects. Il passe
en premier lieu par un partage, une reconnaissance et une restitution dans toutes sortes
de transformations agies de ce que l’on perçoit du vécu de l’enfant. Comme dans le cadre
100 des interactions précoces entre mère et bébé, ce partage a lieu sur un fond de relative
indifférenciation subjective des protagonistes de l’interaction. À ce sujet, les écrits de René
Roussillon1 sur le partage d’affect sont particulièrement éclairants. Je laisse le lecteur s’y
reporter.

CONCLUSION : L’ASSOCIATIVITÉ SENSORI-MOTRICE,


VECTEUR DU TRAVAIL EN PSYCHOMOTRICITÉ

Dans cette étude de cas, j’ai tenté d’illustrer le tricotage des sensations, des perceptions et
des représentations permettant d’établir des liaisons psychomotrices afin d’aider l’enfant
à stabiliser son image du corps, à développer ses fonctions instrumentales et à se les
approprier. Ce travail de liaison concourt aussi au processus de construction de la subjectivité
du patient. Cette appropriation subjective première ne peut se faire qu’en présence et par

1. Roussillon R. (1), 2002.


5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

le truchement d’autrui, ici le psychomotricien. Elle passe par le partage, la connaissance, la


reconnaissance et la représentation de l’expérience vécue. Un des vecteurs de ce processus
est ce que je propose d’appeler associativité sensori-motrice dont je pense avoir donné
plusieurs exemples à travers les séquences de jeux que j’ai décrites.
J’emploie le terme d’associativité pour décrire cette forme de saisie première, de première
mise en représentation de ce qui se présente. Dans lasituation des deux anneaux que je
fais jouer devant le miroir, ce jeu advient sans avoir été prévu ni organisé. Il résulte de
tout un travail de frayage et de recherche qui se déroule sur toute la séance et dont on ne
sait pas à l’avance où il va aboutir, sous quelle forme et à quel moment. Car comme la libre
association d’idées qui est à l’œuvre dans la cure analytique, l’associativité sensori-motrice
ne peut se déployer que dans un espace de liberté et d’indétermination qui suppose la mise
en suspens des attentes de résultat et de compréhension immédiate. On pourra se référer
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ici aux travaux de René Roussillon1 qui propose de considérer l’activité libre spontanée du
bébé décrite par Emmi Pikler, activité de nature typiquement sensori-motrice, comme une
première forme d’association libre.
C’est la disponibilité psychique du psychomotricien et sa capacité à laisser libre cours
à ses associations jouées qui sont à la base de cette associativité sensori-motrice. Elle
est nourrie par la réceptivité du psychomotricien aux manifestations psychomotrices de
l’enfant. Parce qu’elle propose une mise en forme au plus près de ce qu’il vit, elle confère à
l’expression motrice de l’enfant une valeur messagère2 . Elle se déploie au sein d’une relation
transférentielle entre patient et psychomotricien où sont partagés des vécus très primaires
qui se manifestent sur un mode corporel et agi. Les situations psychomotrices sont en effet 101
sources de vécus qui transitent entre l’enfant et le psychomotricien de façon immédiate,
c’est-à-dire sans passer par le truchement des mots ou des images. Ce sont des impressions,
des sensations, qui se manifestent par et dans le corps et n’accèdent à la conscience que
par le fruit du travail auto réflexif du psychomotricien.
C’est pourquoi j’ai essayé de montrer que les voies de représentation en psychomotricité
sont en grande partie non verbales. Elles sont de ce fait frappées du sceau de l’immédiateté
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et de l’évanescence. C’est parce que les expériences se reproduisent et se retrouvent sous


différentes formes que l’enfant peut progressivement les reconnaître, s’en donner des
représentations sensori-motrices et les intégrer psychiquement. Nous cherchons aussi à
les stabiliser dans des représentations plus pérennes, notamment par le langage, afin de
donner lieu à un véritable travail d’intériorisation.
Mais, comme c’est le cas avec Prosper, ce travail d’intériorisation ne va pas toujours de soi.
Alors, cent fois et même plus, il faut remettre notre ouvrage sur le métier pour tricoter

1. Roussillon R. (2), 2002.


2. Girardier N., 2008.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

ensemble sensations, perceptions et représentations dans le but de stabiliser ce fragile tissu


des liaisons psychomotrices et rendre intégrables par l’enfant les éprouvés qui le traversent.

RÉFÉRENCES

BULLINGER A., (2004), Le développement rage clinique des étapes évolutives de


sensori-moteur de l’enfant et ses avatars, l’autisme infantile, in revue Enfance, n°1,
Érès, Ramonville Saint-Agne. p. 121-132.
DAVID M., TARDOS A., (1991), « De la valeur KREISLER L., FAIN M., SOULE M., (1981), L’en-
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de l’activité libre du bébé dans l’éla- fant et son corps, PUF, 3° éd.
boration du self », Revue Devenir, n° 4,
ROUSSILLON R., (2002), L’homosexualité pri-
p. 9-33.
maire et le partage de l’affect, in Mellier
GIRARDIER N., (2008), « Musicalité et D. (ed), Vie émotionnelle et souffrance du
motricité messagère », in Revue Théra- bébé, Dunod, Paris.
pie psychomotrice et recherche, n°153,
ROUSSILLON R., (2002), Le transitionnel et
p. 70-79.
l’indéterminé, in Chouvier B.(ed), Les pro-
HAAG G., (2009), Place de la structura- cessus psychiques de la création, Dunod,
tion de l’image du corps et grille de repé- Paris.
102
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NOTES
5 • Tricoter les liaisons psychomotrices

103

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Chapitre 6
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Relaxation
thérapeutique
Ou comment la relaxation est une danse de l’immobilité
104
qui permet de fermer les yeux

Chantal Rémoville
SOMMAIRE

La princesse aux yeux ouverts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106


Adapter la méthode à l’enfant ou l’enfant à la méthode ? . . . . . . . . . 113
Silence et respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
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105
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

LA PRINCESSE AUX YEUX OUVERTS

Il était une fois un roi et une reine qui eurent une fille. Elle était belle avec des cheveux
blonds comme l’or et des yeux immenses qui s’ouvraient comme des fenêtres sur le monde.
La princesse grandissait dans son royaume, entourée de ses parents. Le roi et la reine
commencèrent à s’inquiéter car ils se rendaient compte que leur fille parlait très peu. Moins
elle parlait, plus ses yeux devenaient immenses et plus son corps devenait raide. Et parfois
son ventre lui faisait mal.

**
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Les médecins
Ils demandèrent aux médecins du royaume d’examiner leur fille. Les médecins regardèrent
le corps de la princesse de haut en bas, devant et derrière, avec des instruments qui voient
au-dedans du corps. Pendant ce temps la princesse ne bougeait pas, la bouche fermée et
les yeux ouverts. Les médecins découvrirent que des boules sèches bouchaient ses boyaux.
Les médecins déclarèrent qu’il était urgent de déboucher tout ça ! Alors ils concoctèrent
des breuvages puissants afin de dissoudre ces boules et « il n’y aurait plus de problèmes. »
La princesse but le breuvage sans fermer les yeux. C’était si puissant que toutes les boules
106 sortirent dans un grand fracas malodorant. Tout ceci soulagea le royaume. Puis le roi et la
reine retournèrent s’occuper de leurs affaires de monarques.
Après quelque temps, les souverains se rendirent compte que leur fille ne parlait toujours
pas plus ! Ils rappelèrent les médecins qui recommencèrent les examens, refirent un breuvage
puissant et redébouchèrent les boyaux dans un grand fracas malodorant. Et cela recommença
encore peu de temps après. Le roi et la reine étaient contrariés, inquiets pour la santé de la
princesse et en même temps en colère contre leur fille qui faisait peu d’effort pour changer !
Le roi et la reine pensèrent qu’ils devaient consulter d’autres docteurs que ceux du corps.
Ils allèrent voir celui des mots. Le docteur des mots reçu le roi, la reine et la princesse. Le
médecin des mots utilise les différents mots : les mots histoire, les mots émotions, et parfois
aussi les médicaments pour s’occuper de ses patients. Tous parlèrent sauf la princesse qui
resta bouche fermée et yeux ouverts. Le docteur des mots resta un moment en silence et,
après quelque temps, déclara qu’il pensait savoir ce qui se passait : les boules sèches dans le
ventre de la princesse étaient tous les mots qui disent les émotions de devenir « grand. » Les
mots-émotions restaient aux bords des lèvres et étaient ravalés par la princesse et là, au fond
du corps, ils s’asséchaient, ne sortaient pas et devenaient nauséabonds. Le médecin des mots
déclara au roi et à la reine que c’était une malédiction puissante et que seul il ne pourrait
rien faire. Il lui fallait de l’aide...
6 • Relaxation thérapeutique

Cette annonce fit grand effet sur le roi et la reine ! Le « grand » médecin des mots n’avait
pas la solution et avait besoin d’aide ! Eux, le « grand » roi et la « grande » reine avaient
toujours pensé que tous les « grands » quelque chose trouvaient toutes les solutions !
Le médecin des mots dit au roi, à la reine et à la princesse qu’il allait demander de l’aide à
la fée de la forêt. Elle travaillait avec des elfes dans une jolie cabane au fond des bois. Les
elfes concoctaient des danses et invitaient à danser avec eux ceux qui avaient des soucis. Ces
danses permettaient de sentir son corps d’une autre manière et les mots-émotions pouvaient
souvent trouver ainsi le chemin de la sortie !

**
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Un traitement différent : la proposition de la fée
Le roi, la reine et la princesse allèrent donc rencontrer la fée de la forêt, dans sa cabane.
Celle-ci prévenue par le médecin des mots les invita à s’asseoir tous les trois en face d’elle. La
fée de la forêt utilise aussi les mots, mais jamais les médicaments ! Ceci rassurait le roi et la
reine qui voyaient bien que leur fille souffrait beaucoup avec les breuvages puissants !
La fée leur déclara ces deux choses :
Tout le monde avait été si souvent examiné depuis le début qu’elle, la fée de la forêt,
n’examinerait pas la princesse. Les elfes non plus !
107
Tous les médecins, le roi et la reine avaient pensé à des traitements pour la princesse. Mais
maintenant c’était à elle de décider de la solution !
C’était la première fois que le roi et la reine entendaient cela ! Ils sentaient de la colère
monter en eux : comment une princesse pas « grande » pourrait-elle décider ! Et trouver la
solution, de surcroît !
La princesse aussi entendit tout cela. Tout en restant la bouche fermée et les yeux grands
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ouverts !
Malgré leur surprise et leurs doutes, le roi, la reine et la princesse continuèrent d’écouter la
fée des elfes. Car ils faisaient confiance au médecin des mots.
Elle proposa que la princesse choisisse entre deux « danses des elfes » : la danse des histoires
et celles de l’immobilité. Pour choisir, la princesse devait se rendre aux deux danses l’une après
l’autre. Elle y participerait avec les autres enfants. L’elfe et elle choisirait ensuite laquelle elle
danserait. En connaissance de cause !
Le roi et la princesse rencontrèrent l’elfe dansant qui leur redit exactement la même chose
pour être sûre qu’ils avaient bien compris et l’elfe donna à la princesse un petit parchemin de
la taille de sa main avec les dates de ses rendez-vous.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

La reine était retournée s’occuper des affaires extérieures du royaume pendant ce temps. Le
roi trouvait ces remèdes un peu farfelus et considéra qu’ils n’avaient pas l’air de bien « grands
remèdes ! »
Le roi et sa fille se rendirent au premier rendez-vous : la princesse alla à la danse des histoires,
cela ressemblait à ce qu’elle faisait à l’école pendant son cours de théâtre. Elle ne dit pas
un mot durant toute la danse et ressortit de la salle toute droite. Puis vint le deuxième
rendez-vous, celui de la danse de l’immobilité. La princesse arriva jusqu’au pas de la porte.
Mais une fois devant elle voulut repartir rejoindre sa mère toujours occupée aux affaires du
royaume. Le roi se mit alors dans une colère noire, il menaça sa fille de la faire rentrer de force.
La princesse tremblait à l’intérieur, toujours raide et les yeux grands ouverts, lorsqu’apparut la
fée de la forêt. Elle s’adressa à la fillette et lui dit, d’une voix douce et audible par le roi, que
ce n’était peut-être pas le bon jour pour elle pour essayer cette danse de l’immobilité, que
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peut-être, elle pouvait avoir un peu peur ; ou peut-être autre chose... mais qu’en aucun cas
ce n’était l’affaire du roi ! Et elle lui redonna un autre rendez-vous sur un petit parchemin.
La princesse pris son parchemin le serra fort dans sa main et toute droite elle repartit.
La semaine suivante, la princesse revint avec un page mandaté par le roi et la reine.
Les souverains avaient décidé qu’ils n’avaient plus de temps à perdre avec ces histoires. Ils
retournèrent s’occuper des affaires du royaume.

**
108

Le début du traitement
La princesse monta doucement jusqu’à la salle de l’elfe. Elle frappa tout doucement à la porte
et entra. Sa place l’attendait. D’autres enfants étaient là, couchés, immobiles et les yeux
fermés. L’elfe s’approcha et lui expliqua comment se passait la danse, les règles.
On s’occuperait d’une partie du corps l’une après l’autre dans l’ordre pour la rendre immobile.
On était aidé par l’elfe au début pour apprendre comment commencer et finir la danse.
Ensuite, on s’intéresserait à tout le corps. Là chacun était capable de faire sa danse seul.
Enfin, c’était le danseur qui déciderait quand il avait fini d’apprendre sa danse.
Sachant tout cela, à son rythme, elle s’allongea, ferma les yeux et commença. Elle resta
très droite. On voyait à peine qu’elle respirait. Elle était comme morte ! Lorsque la danse se
termina, elle ouvrit les yeux, se releva et écouta l’elfe lui demander de refaire toute seule chez
elle. L‘elfe lui dit qu’elle l’attendrait la semaine prochaine et lui dit au revoir. La princesse
repartit doucement, sérieuse, droite et les yeux ouverts.
6 • Relaxation thérapeutique

Une semaine passa. Tout le monde dans la forêt se demandait ce que la princesse avait
décidé mais surtout, surtout, on attendait sans rien faire car la danse devait rester un choix
personnel de la princesse.
Le jour de la danse des histoires tout était prêt. L’elfe et les enfants commencèrent. Puis
terminèrent. La princesse n’apparut pas.
Le jour de la danse de l’immobilité, l’elfe installa la place de la princesse et tout le monde
commença sa danse quand tout à coup ils entendirent trois petits coups sur la porte. Qui
s’ouvrit. La princesse était là. Elle se glissa à sa place et commença à son rythme. Elle ne dit
rien à l’elfe venu la voir pour lui dire bonjour et s’occuper d’elle. Elle ferma juste les yeux et
commença.
La semaine suivante, elle revint. Puis la suivante et la suivante... Pendant des semaines et
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des mois, elle trouva sa place, ferma les yeux et pratiqua la danse de l’immobilité. Pendant
des semaines et des mois, tandis qu’elle pratiquait et avançait, la princesse semblait comme
morte. Elle ne disait jamais un mot ni en entrant alors que l’elfe lui demandait si elle se
souvenait de sa danse d’avant, ni en quittant la danse alors que l’elfe lui disait qu’elle pouvait
refaire la danse chez elle toute seule.
Les danses se succédèrent ainsi et on voyait juste que sa place était devenue un peu plus petite
car les jambes de la princesse arrivaient au bord. Elle ne disait toujours rien et continuait à
venir. Elle était maintenant la plus avancée de la danse. Les enfants du début avaient fini
leur danse. D’autres étaient arrivés.
Pendant ce temps, tandis que la princesse venait danser la danse de l’immobilité, les choses 109
se mettaient à valser au royaume : la reine décida, quelques mois après le début de la danse
de la princesse, qu’elle laisserait le roi s’occuper seul des affaires extérieures du royaume et
qu’elle, la reine, prendrait ce temps pour s’occuper des affaires intérieures du palais et passer
plus de temps avec la princesse, chose qu’elle avait toujours voulu faire sans jamais oser le
dire.
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Elles venaient toutes les deux voir de temps en temps la fée de la forêt. La reine parlait pour
deux, elle voyait des progrès chez sa fille : c’était mieux à l’école, la princesse acceptait enfin
d’apprendre des choses par cœur. Avant c’était impossible, c’était comme si on l’obligeait
à gober ces lignes de mots tout crus. La princesse avait plus d’amies. À la maison cela se
passait mieux aussi : elle parlait plus souvent pour dire ce qu’elle voulait.
Jamais, la reine ne reparla des boules sèches et des lavements. Les boules avaient enfin laissé
la place aux mots dans la famille. C’était comme si les mots circulaient mieux entre le roi, la
reine et la princesse. Mais il restait encore des endroits muets.
La fée écoutait et regardait la princesse tandis que la reine expliquait. Quand la reine
terminait, elle se tournait toujours vers la princesse et lui demandait ce qu’elle en pensait.
Celle-ci acquiesçait de la tête mais ne donnait toujours pas ses mots à elle.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’elfe aussi reçut la reine avec sa fille. L’elfe voyait les enfants et les parents s’ils le lui
demandaient. S’ils ne demandaient rien, elle les invitait au solstice d’été. Ce fut le cas pour la
reine et la princesse. La reine là aussi parla pour deux et elle expliqua aussi les progrès de sa
fille. La princesse entendit encore toutes ces bonnes choses de la bouche de sa mère, la reine.
Et cela lui faisait du bien comme une bonne crème sur sa peau. La reine expliqua que sa fille
trouvait les séances de danse de l’immobilité un peu longue. L’elfe écouta. Quand la reine eut
fini, il se tourna vers la princesse et lui demanda ce qu’elle en pensait. Celle-ci acquiesça de
la tête. Alors l’elfe lui demanda de se souvenir des règles de la danse. Et la princesse baissa
la tête pour réfléchir. Elle retrouva dans sa tête les règles et surtout la dernière : le danseur
décide pour lui quand la danse est finie. Comme c’était l’été, l’elfe proposa de faire une pause
comme pour tous les enfants et dit à la reine et à la princesse qu’à la fin de l’été, si la
princesse voulait reprendre la danse de l’immobilité, elle devait la prévenir personnellement
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avant le début de l’automne, moment ou recommençaient les séances.
L’automne arriva. Tout était prêt. Aucune nouvelle de la princesse...

**

La princesse revient et s’en va


Le jour de la danse de l’immobilité, l’elfe installa la place de la princesse. Tout le monde
commença la danse quand, tout à coup, ils entendirent trois petits coups sur la porte qui
110
s’ouvrit. La princesse était là. Elle se glissa à sa place et commença à son rythme. Elle ne dit
rien à l’elfe venu la voir pour dire bonjour et prendre de ses nouvelles. Elle ferma juste les
yeux et commença. La séance dura très longtemps. Et pour la première fois, allongée à sa
place elle ne semblait pas morte mais endormie.
Elle ressemblait aux princesses qui ont besoin du sommeil pour sentir dans leur corps les
changements et pouvoir habiter leur corps devenu plus « grand. »
À la fin de la séance avant de se quitter, l’elfe vint la voir et lui rappela la séance avec la reine
sa mère, ainsi que les règles. La princesse repartit doucement, silencieuse et les yeux ouverts.
La semaine suivante, elle revint. Puis la suivante et la suivante... À chaque fois, la princesse
semblait endormie. L’elfe lui disait de moins en moins de choses. À chaque fois, la princesse
écourtait sa séance d’elle-même.
L’elfe annonça à la fée de la forêt que de grandes choses se passaient pour la princesse.
La reine et la princesse demandèrent à voir la fée de la forêt. Celle-ci les reçut. La reine dit
que la princesse allait tellement mieux qu’elle voulait arrêter la danse de l’immobilité. La
fée de la forêt écouta et quand la reine eut fini, elle se tourna vers la princesse pour lui
demander ce qu’elle en pensait. Celle-ci acquiesça de la tête. Alors, en la regardant dans les
6 • Relaxation thérapeutique

yeux, elle lui demanda si elle l’avait dit à l’elfe avec ses mots à elle. La princesse baissa la
tête pour réfléchir puis releva les yeux vers la fée et lui répondit un NON que l’on entendit très
distinctement. La fée très contente lui dit alors que pour elle, si la danse se terminait, il lui
semblait que c’était le moment d’arrêter de venir dans la cabane de la forêt. Elles échangèrent
un « au revoir » que l’on entendit très distinctement.
Le jour de la danse de l’immobilité, l’elfe installa la place de la princesse et tout le monde
commença la danse quand, tout à coup on entendit trois petits coups sur la porte. Qui
s’ouvrit. La princesse était là. Elle entra dans la salle, toute droite et gracieuse. Elle dit très
distinctement à l’elfe qu’elle voulait arrêter la danse de l’immobilité. L’elfe lui sourit et lui
dit qu’il recevait avec « grand » intérêt et « grand » respect ses « grandes » paroles et qu’il
saluait la « grande » princesse qu’elle était devenue. La princesse et l’elfe échangèrent un au
revoir que l’on entendit très distinctement dans toute la forêt.
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Fin

111
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Éléments du suivi
Toute ressemblance entre cette histoire et des faits réels est totalement volontaire. En effet, l’action
se situe dans le royaume qui est, dans la vraie vie, une ville de la région parisienne. La princesse
est une fillette de 9 ans souffrant d’encoprésie depuis l’âge de trois ans et demi. Le roi et la reine
sont ses parents. Tous deux cadres supérieurs.
Explorations médicales
Les médecins du corps sont la cohorte de pédiatres, gastro-entérologues et services hospitaliers
qui ont pris en charge la résorption des fécalomes que l’enfant présentait. Le médecin des mots
est la pédopsychiatre de ville que la famille consulta et qui est restée la référente de l’enfant et
avec qui la fillette avait des entretiens thérapeutiques. La fée de la forêt est la psychologue du
centre médico-psychologique (représentée dans le conte comme la cabane au fond des bois) de
la ville. Et l’elfe est moi-même, la psychomotricienne du centre, qui propose deux dispositifs de
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soin au choix de l’enfant :
• d’une part, la danse des histoires qui était du jeu dramatique en groupe, sur indication de la
pédopsychiatre de ville ;
• d’autre part, la danse de l’immobilité qui était une prise en charge individuelle au sein d’un
groupe de relaxation thérapeutique pour enfant de J. Bergès, à mon initiative.
Je présenterai dans un premier temps l’intérêt de ce dispositif original pour cette enfant puis le
choix d’avoir exposé le cas sous forme d’un conte.

La relaxation
112
La relaxation thérapeutique de J. Bergès est inspirée du training autogène de J.H.
Schultz dont Jean Bergès a suivi la progression mais qu’il a adapté à l’enfant. Il
reprend l’évolution de la cure sous sa forme segmentaire et progressive suivant trois
étapes clairement définies :
1. Dans une première étape le corps est progressivement investi selon un ordre
prédéfini par zones organo-fonctionnelles successives : les bras, les jambes,
les muscles fessiers, le dos, les épaules et le cou jusqu’à « généralisation ». Le
thérapeute invitera le patient à se concentrer et à sentir ses diverses zones calmes,
lourdes et détendues. Des inductions corporelles, sous la forme de palpations et
nominations puis de mobilisations passives, aideront le patient à repérer et se
représenter la zone intéressée et à éprouver la sensation de tension ou de détente
de son corps.
2. La deuxième étape concerne l’intérieur du corps avec la respiration et le plexus
solaire. S’ajoute aux sensations de calme et de lourdeur, celle de chaleur. Là, c’est
le système neuro-végétatif qui est convoqué.
3. La dernière phase concerne le visage, les yeux et le front.
Tout au long de la cure, s’effectue un va-et-vient entre travail sur le corps, travail sur
l’image et représentation par le biais d’images mentales.
6 • Relaxation thérapeutique

ADAPTER LA MÉTHODE À L’ENFANT OU L’ENFANT


À LA MÉTHODE ?

Cette enfant, présentait d’emblée une hypertonie importante et une inhibition massive,
ne disant aucun mot et se figeant dès que l’on s’approchait d’elle. Ce tableau clinique
appelait à une grande précaution dans le type d’induction corporelle que l’on pouvait lui
proposer. Le toucher thérapeutique, par son aspect enveloppant et en tant que support de
représentation des états de tensions, me semblait indispensable. Mais ce toucher avait été
l’objet d’explorations extrêmement invasives pour cette enfant. La précaution était de mise
et ceci explique que j’ai délibérément évincé le bilan psychomoteur lors de la rencontre
avec l’enfant. Cette enfant avait subi, depuis l’apparition de son symptôme, un nombre
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important de bilans et d’examens. Son corps était sur le devant de la scène en tant qu’objet
d’évaluation par son entourage et objet à contrôler pour elle. Je craignais en faisant le
bilan psychomoteur d’entrer dans la cohorte des médecins du corps alors qu’il s’agissait
d’établir un dialogue tonico-émotionnel avec cette enfant. Je devais faire un pas de côté
et me situer du côté de la surprise.
D’emblée, j’ai choisi la relaxation thérapeutique de J. Bergès pour son aspect segmentaire
et progressif avec un toucher très délimité et jamais envahissant. Il ne me semblait pas
adéquat dans la situation de proposer une relaxation mettant en jeu le corps dans sa
globalité et proposant un toucher de tout le corps. Il me semblait important de ménager
les défenses corporelles de la fillette en ne touchant qu’une partie du corps à la fois ce qui 113
lui permettait de garder le contrôle du reste si elle le souhaitait. J’essayais ainsi d’éviter
qu’elle ne se sente « engluée » dans un « maternage baveux » comme le décrit J. Bergès.
Enfin, c’est la seule méthode à ma connaissance qui aborde directement la zone des muscles
fessiers et les yeux, deux zones hautement investies pour cette enfant.
Un autre aspect original de la méthode est qu’elle peut se pratiquer en groupe, mais
qu’il s’agit d’une prise en charge individuelle au sein d’un groupe. Il s’agit d’un groupe
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ouvert : les enfants qui viennent ont un thérapeute attitré et qui sera toujours le même. La
relaxation ne s’adresse pas à tout le groupe d’enfants présents en même temps. En effet,
chacun peut être à un stade différent de la cure. Ils entreront dans la salle à leur rythme,
s’installeront et attendront que leur thérapeute s’occupe d’eux. Puis lorsque sa séance se
termine, l’enfant repart de la salle. C’est le niveau « individuel » de la prise en charge. Un
aspect important est que le thérapeute, même s’il est le même pour l’enfant, ne lui est pas
attaché de façon exclusive. L’enfant aura à le partager avec un ou deux autres enfants de la
salle. C’est l’aspect « groupal » de la cure.
Ce double aspect me paraissait particulièrement pertinent pour cette enfant. Jusque-là elle
avait été « objet de soin » et son corps était instrumentalisé. D’abord par elle dans un
hyper-contrôle des intestins. Puis par ses parents qui l’ont mise entre les mains du corps
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

médical. Il s’agissait pour elle de se réapproprier sa prise en charge en lui laissant le choix
du dispositif puis, dans le dispositif, du moment où elle rentrerait dans la salle, jusqu’au
moment où elle pourrait lâcher prise et enfin décider de la fin de sa cure.
Nous faisions le pari, ma collègue psychologue et moi-même, qu’en laissant le choix du
côté de l’enfant, nous lui montrions que nous n’attendions rien d’elle pas même, à l’extrême,
qu’elle vienne. De cette façon, elle pourrait peut-être s’autoriser à lâcher son symptôme,
son inhibition et son agressivité tournée vers elle-même et son entourage.
La fillette ne s’y est pas trompée puisqu’elle a choisi spontanément la relaxation alors
que sa pédopsychiatre préconisait plutôt du jeu dramatique. Ce choix montre bien que,
d’emblée, elle s’est saisie du cadre thérapeutique de ce travail qui, par le biais du corps,
allait la mettre au travail de l’expression de son désir et de l’investissement de son corps.
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Le cheminement individuel de l’enfant était ainsi préservé et l’aspect groupal lui permettait
d’emblée de ne pas être captive d’une relation duelle.

SILENCE ET RESPIRATION

J’ai pu observer le moment où enfin elle lâchait prise dans son corps, où enfin elle le
laissait vivre, au retour des vacances scolaires lorsque le rythme de sa respiration fut
visible. Jusque-là, elle ne laissait rien transparaître : elle rentrait dans la salle silencieuse,
114 s’installait, me saluait de la tête et répondait un bien timide « ça va » quand je lui demandais
comment elle allait. Et « oui » lorsque je lui demandais si elle se souvenait ce qu’elle avait
fait la semaine précédente. Jamais elle n’en a dit plus. Jamais elle ne s’est adressée aux
autres enfants ou à mes stagiaires si ce n’est pour dire un « au revoir » presque inaudible en
franchissant la porte. Pendant toute la cure, ce silence pesait comme une chape sur notre
capacité d’élaboration. Lors des échanges post-groupe, il apparaissait pour moi, thérapeute
et mes stagiaires observateurs, que nous étions comme « sidérés » par son immobilité qui
nous renvoyait à tous des images de dépouille dans son cercueil. Nous éprouvions dans nos
corps comme « caisse de résonance » la rigidité du corps de cette enfant.
Ce qui nous surprenait et rassurait à la fois, c’était que malgré une incapacité de résolution
tonique palpable lors des mobilisations passives, jamais elle n’ouvrait les yeux. Cette
fermeture signait une volonté de se couper de nous et du monde environnant. Alors qu’à
l’extérieur de la séance c’était sa façon de nous tenir hors de portée en nous fixant sans
arrêt sans parler. Cette fermeture des yeux durable me semblait primordiale et annonciatrice,
par la désafférentation visuelle, d’un lâcher prise et d’un retour vers son monde interne.
Vers ses éprouvés corporels.
6 • Relaxation thérapeutique

Cette séance, après la pause des vacances, faisait suite, elle-même, à une rencontre entre
l’enfant, sa mère et moi-même « au solstice d’été. » Cette séance avait permis de reprendre
la règle évoquée dès le début de la cure qui disait que c’était à l’enfant de choisir le moment
de la fin de sa participation à ses séances de relaxation et non à moi.
Au retour, alors que je me préparais à supporter encore la rigidité cadavérique de la fillette,
quelle ne fut pas ma surprise de la voir s’animer par sa respiration enfin visible ! À ce
moment-là, j’ai été traversée par l’image de La Belle au bois dormant. Le conte s’est imposé
à moi et je l’ai laissé prendre place.

En effet, je reprends les propos de R. Kaës (1984) pour qui « la figurabilité est au
confluent de tout travail de liaison et de transformation, donc de pensée. L’exigence de
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figurabilité nous confronte à devoir créer cette modalité spécifique de représentation
pour que la pensée se déploie et cesse d’être en proie au mutisme, quand nous sommes
[...] soumis à des phénomènes de sidération psychique ou d’énigme. [...] Le [...]
conte est tout entier mobilisable dans le travail de la mise en figurabilité. »

Je me suis laissée alors porter par « La belle au bois dormant. » Reprenant ce conte sous
l’angle symbolique, je réalisais que le sommeil est, par excellence, la représentation dans le
conte de la condition de passage et de la transformation, de la réalisation du désir.
Cette fillette avait donc pu, grâce à cette mise en suspens du corps que propose la relaxation,
le mettre, ce corps, en « sommeil » et lui permettre de redevenir désirant. Elle pouvait 115
enfin être sujet, capable de dire ses envies et ses refus avec des mots plutôt que de tout
bloquer dans son ventre.
Enfin, le conte devient support de représentation pour le thérapeute lorsque tout est bloqué
par le symptôme. Il devient un maillage symboligène et un tremplin pour animer la pensée
et maintenir le lien avec le patient.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

RÉFÉRENCES

KAËS, R. et al. (1984). Contes et divan, BERGÈS-BOUNES, M., BONNET, C., GINOUX, G.,
Dunod, Paris, 2012, 4e éd. PECARELO, A.M. et SIRONNEAU-BERNADEAU, C.
LAFFORGUE, P. (1995). Petit poucet devien- (2008). La relaxation thérapeutique chez
dra grand, soigner par le conte. Petite l’enfant, corps, langage, sujet. Masson,
bibliothèque Payot, Paris. Paris.
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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
6 • Relaxation thérapeutique

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Beatriz Aranda
Chapitre 7

L’enfant messager
Histoires de Pedro, Aldo et Dora

118
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SOMMAIRE

Pedro : la rétention comme signe identitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121


Premier entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Le bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Les séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Les rencontres avec les parents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Aldo : l’agitation comme moyen d’expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Premier entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
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Le bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Les séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Dora : le silence, comme moyen de communication . . . . . . . . . . . . . . . 129
Premier entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Le bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Les séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
119
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

« J’ai encore besoin de disciples de mon vivant,


et si mes livres précédents ne sont pas des hameçons, ils ont raté leur vocation.
Le meilleur et l’essentiel ne peut se communiquer que d’homme à homme. »
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

L
’EXERCICE EN LIBÉRAL du métier de thérapeute en psychomotricité présente plusieurs
particularités. La première est le fait d’être choisi par des interlocuteurs (école,
parents, médecins...) qui reconnaissent cette profession où prise en charge du
corps, psychisme et créativité sont imbriqués. La seconde – puisque ce sont les
parents qui décident volontairement de la prise en charge de l’enfant et non l’institution –
implique une relation privilégiée entre le praticien et la famille. Le travail avec celle-ci est
en effet une dimension fondamentale car la famille reste souveraine dans la continuation
ou l’arrêt de la thérapie. Enfin, l’exercice en libéral présente également la particularité
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d’être une activité en solitaire où la collaboration avec les autres partenaires (école,
pédiatre, orthophoniste, psychologues...) n’est pas automatique et même parfois inexistante.
Cependant, on doit imaginer des choix thérapeutiques sur mesure lorsqu’apparaissent
certains éléments familiaux qui justifient l’intervention d’autres professionnels (thérapeute
conjugal, avocat, institutions spécialisées).
Parmi les différents patients que j’ai pu rencontrer dans mon cabinet de consultation à
Madrid, j’ai observé des enfants en souffrance et dans une demande d’aide authentique. Ils se
sentent « en danger » dans leur propre famille et n’ont que leur « corps-enveloppe tonique »
pour exprimer leur problématique. Ils présentent des difficultés scolaires identifiables et en
120 étroite relation avec des dysfonctionnements familiaux qui s’apparentent à des désordres
émotionnels davantage qu’à une pathologie reconnue. La plupart de ces familles sont
extrêmement sensibles à la réussite scolaire de leur enfant. Par conséquent, si c’est l’école
qui pointe les difficultés, en général les parents répondent positivement aux propositions de
prise en charge. Surtout si celle-ci ne leur semble pas trop déstabilisante pour leur équilibre
personnel et familial. Les trois enfants choisis pour illustrer mes propos, Pedro, Aldo, Dora,
sont des enfants normalement intelligents voire plus. Ils présentent des difficultés installées
et relativement anciennes, conséquences de choix familiaux particuliers (temporisation
principalement). Il était donc d’autant plus important de développer et préserver des
liens avec la famille pour travailler avec ces enfants. Ces trois enfants ont des troubles
en apparence distincts bien que la qualité de leur tonus soit en fait similaire. Ils sont
hypertoniques, peu investis dans les processus d’apprentissage, remarquables car se faisant
remarquer et rigides ou agités. Ils « dénoncent corporellement » les difficultés familiales. Ce
sont des enfants bilingues avec un bon développement du langage oral. Mais paradoxalement,
ils présentent des difficultés relationnelles et dans l’acte de l’écriture comme élément de
communication. L’évolution de la prise en charge a été très bénéfique dans ces trois cas
et d’autres professionnels ont pu intervenir par la suite auprès des parents car le terrain
avait été en quelque sorte préparé. À travers ces trois enfants, je présenterai un aspect non
7 • L’enfant messager

négligeable de l’exercice du psychomotricien en libéral et qui va au-delà de nos séances


classiques.

PEDRO : LA RÉTENTION COMME SIGNE IDENTITAIRE

Pedro a 8 ans, il est en CE2. Il a un comportement inhibé avec peu d’intégration sociale. Ses
difficultés portent notamment sur l’écriture. Ses résultats scolaires sont irréguliers alors qu’il a
des facilités intellectuelles.
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Premier entretien
Les parents tiennent à être reçus seuls d’abord, malgré le protocole expliqué. Ceci se
reproduira plusieurs fois au cours de cette prise en charge où la question de la place
de l’enfant est d’emblée posée. Ils décrivent un enfant sage, irrégulier, peu investi dans
les relations aux autres, solitaire, qui écrit mal, qui a l’air souvent absent, passif mais
qui est très intelligent (il a déjà été testé par un professionnel). Cependant, ils sont
très inquiets de ce que dit l’enseignante. Pedro est un enfant déconcertant qui présente
des difficultés scolaires. D’emblée, je sens une tension entre eux, un affrontement non
ouvert ainsi que leurs regards accusateurs au sujet de l’histoire de leur enfant. C’est un
peu comme s’ils superposaient ou essayaient de coller deux anamnèses. En somme deux 121
projets parentaux initialement distincts. Le père ne cessera de changer de position et de
montrer des signes de nervosité importante. Je recueille les données de l’histoire avec
une « neutralité bienveillante » essentielle, à mon avis, dans ce cas. Je perçois beaucoup
d’émotions paradoxales. Pedro est fils unique. Il a été attendu 4 ans. Finalement conçu in
vitro, il fut très investi par ses deux parents. La mère, jeune, fusionnelle et projective avec
son fils et le père, assez âgé et autoritaire, tenaient surtout à « fonder une famille solide »,
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dira ce dernier. Les deux parents veulent montrer tout ce qu’ils font avec leur enfant. Comme
s’ils devaient plaider non coupables devant moi. La mère partage avec son fils un aspect
intellectuel. Le père organise avec Pedro des séjours de chasse et fait beaucoup de sport
car il faut qu’il « devienne un homme, un vrai », dit-il. Entre coupures et interruptions
dynamiques et vives, les parents ne comprennent pas ce qu’ils ont « fait de mal » disent-ils,
pour que leur enfant soit comme il est à l’école et ce qu’ils devraient faire pour qu’il soit
comme l’école « l’exige » – un élève aux bons résultats puisqu’il en a les capacités. Ce récit
se déroule sous la forme d’une collection d’événements et une suite de résultats concernant
la vie de leur enfant. Tout ceci dans un climat de tension mais qui sous-tend une demande
implicite de leur part. L’attitude parentale montre cependant une confiance fragile mais
certaine. Je les rassure, car l’alliance thérapeutique avec ces parents est indispensable pour
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

offrir à Pedro un espace de mouvement libre et épanouissant. Avant d’avoir vu l’enfant, je


ressentais déjà de l’empathie pour lui, le sachant vivre dans ce contexte aussi tendu.

Le bilan
Je rencontre donc Pedro et je lui explique : « Tes parents sont venus me voir parce qu’ils
sont inquiets de ce qui t’arrive à l’école avec l’écriture, tes copains etc. » Je le trouve éveillé
et méfiant mais avec un contact visuel soutenu comme s’il avait besoin de contrôler ce
qui l’entoure. Il est figé comme sa maman. « Pedro, ici c’est un endroit pour les enfants. »
De mon point de vue, un lien thérapeutique s’établit d’emblée. Au travers du regard – ce
regard chargé de demandes – reflet d’un intérieur intense. Le bilan comme prise de contact
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et de repérage des difficultés et des compétences s’est donc ainsi déroulé. L’évaluation du
tonus sera indispensable bien que ces épreuves soient passées en fin de bilan pour laisser
Pedro investir l’espace thérapeutique où la confiance doit être un point crucial.
Pedro présente une hypotonie de fond mais aussi une hypertonie d’action avec un ballant
très limité. De fortes syncinésies de diffusion tonique sont mises en évidence. Des difficultés
tonico-émotionnelles sont présentes. La régulation tonique est peu harmonieuse. Je constate
même des paratonies, au sens de Dupré, dans les épreuves où il doit faire preuve d’initiative.
Les changements tonico-posturaux sont très rigides.
Aux épreuves graphomotrices, la qualité de l’écriture est défaillante : trop de pression
sur l’outil scripteur et un manque de lisibilité sont notés. Cependant, aucun trouble
122
neuro-moteur n’est détecté. La représentation du schéma corporel est très immature. Le
dessin spontané comme représentation du schéma corporel est terriblement pauvre. La
trace est dépourvue d’implication de sa part. Il ne dessine pas mais « laisse une marque
figurative. » Cependant, il exécute lentement tout ce qui est proposé sans aucun refus.
Pendant les épreuves de rythme, Pedro montre également beaucoup de tension, d’irrégularité
et de dysrythmie. On remarque des saccades et de l’impulsivité.
La distance interindividuelle semble être pour lui inconfortable et d’ailleurs de nombreuses
réactions de prestance apparaissent ainsi qu’un regard figé. Tout se passe comme si je
l’agressais et que son enveloppe corporelle, au sens du Moi-peau d’Anzieu, manquait de
consistance et d’assurance. Ceci étant un point important, j’en tiendrai compte pour le projet
thérapeutique. Pedro présente des compétences d’ordre praxique mais elles ne semblent pas
investies. Il cherche l’approbation de l’adulte sans montrer aucune initiative. À ma demande :
« Voudrais-tu revenir pour que l’on joue tous les deux et que tu puisses te sentir mieux dans
ta peau ? », Pedro répondra : « On lancera le gros ballon ? » A sa manière, il avait accepté
la relation thérapeutique ainsi que notre « objet transitionnel », le gros ballon.
7 • L’enfant messager

Une prise en charge hebdomadaire est décidée avec l’accord des parents qui écouteront avec
attention les résultats du bilan que j’ai présentés de façon à ne pas mettre cette famille en
péril et de pouvoir m’allier à eux.

Les séances
Le projet thérapeutique s’organisera autour de trois axes : sensori-motricité, relaxation et
graphisme. Éléments qui ont en dénominateur commun le ressenti, l’enveloppe tonique et
la communication.
Pedro vient après l’école, son cartable sur le dos comme « se portant lui-même » et
accompagné de sa maman. En avance, souriant et motivé pour donner une place à son
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corps en séance. Sa mère arrive systématiquement en retard le chercher. Pedro reste assez
silencieux. Cependant son contact visuel est toujours très intense et constant, comme
si le transfert entre lui et moi passait à travers ce regard, un des premiers éléments de
relation, de genèse de socialisation, selon J. de Ajuriaguerra. Il « récitera » le déroulement
de la séance que j’ai établi avec lui (pour le rassurer par rapport au cadre), marquant sa
passivité et son détachement comme moyens de défense : Puisque Pedro avait remarqué
dès le départ le gros ballon, je l’utiliserai beaucoup pour favoriser notre relation, base sur
laquelle peut être construit le dialogue tonique entre nous. « Je fais plus fort que toi. »
« Je fais plus vite que toi. », dira-t-il en jouant, marquant tout de même une comparaison
que je reprends : « Ah oui ! En effet, qu’est-ce que tu es fort, mais nous ne sommes pas en
train de nous battre alors... » « Mais comme ça, je ne pleurerai pas si je suis plus fort... » 123
Ce ballon qu’il avait investi dès le départ sera un élément crucial dans l’évolution de la
prise en charge. Il permettra entre autre des échanges verbaux.
La mobilisation passive de Wintrebert est choisie comme outil de travail pour le renforcement
du Moi narcissique et l’édification de l’image du corps. Tout en sachant que le processus
met très mal à l’aise cet enfant car il réveille en lui une certaine anxiété. Il produit même
de la méfiance. Il sera nécessaire d’adapter le support. Pedro se raidit. Il demande l’heure.
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Va aux toilettes et tremblote. « Je comprends que tu sois tendu mais j’apprécie que tu
veuilles essayer chaque séance. » La construction de l’enfant en tant que sujet est, pour ne
citer que Winnicott ou Anzieu, un élément essentiel, conséquence de l’attention maternelle
indispensable pour la construction de la subjectivité. Pedro est loin de ceci. Le gros ballon
sera donc de nouveau le médiateur utilisé et même apprécié, puisqu’il lui donne même un
surnom, « la Patate. » C’est notre « objet transitionnel », utile pour réinvestir l’image du
corps, pour la prise de conscience des tensions et de la détente du corps et pour la mise
en confiance. Un parcours sur le corps sera réalisé avec le gros ballon et les différentes
balles aux tailles et textures différentes. Au fil des séances, Pedro sera avide de ce moment :
« Alors maintenant tu me fais les trucs avec les mini-patates (balles), comme si j’étais un
bébé. » « Alors je ferais comme si j’étais une maman... » Ne fait-il pas allusion à la figure
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

d’attachement... ? « Ma maman me serre trop... » Son corps épousera progressivement le


mouvement réalisé avec les balles. Les tensions musculaires qui montraient une attitude
défensive de Pedro, donnant au tonus tout son rôle de traducteur de ses émotions, en
venaient au fil des séances à se dissiper. L’émotion, comme premier moyen de communication
de l’enfant, lui permet enfin d’agir et c’est par son intermédiaire qu’autrui peut agir sur lui.
Les règles du dialogue commençaient à se transformer.
Plus tard, Pedro acceptera le toucher presque direct puisque la relaxation se fera au moyen
de tissus. Et là évidemment « le toucher-portage », si bien décrit par C. Potel, prend toute
sa mesure. Au fil des séances, Pedro retrouve la « sécurité psychique » non seulement
dans ses dimensions classiques d’espace-temps mais à l’intérieur de la salle avec moi, la
psychomotricienne, figure affective très investie. Dans les moments dits de relaxation,
il exprimera davantage sa souffrance enfouie, me laissant parfois déconcertée, comme
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l’avaient souligné les enseignantes au moment de la demande de prise en charge. Même si
nous ne sommes pas en train de parler du même niveau de désarroi. L’état de relâchement
musculaire permet une baisse de retenue émotionnelle. Par conséquent, Pedro va s’investir
différemment dans la nature de sa communication dans la salle de psychomotricité qui
représentera pour lui un lieu d’épanouissement.
Les propositions graphomotrices étaient très mécaniquement exécutées par Pedro au départ.
Autant sur des supports scolaires – papier de grands formats avec des jeux de lancers
toniques, différents outils ou approches – que non scolaires (tissus, bois...). Progressivement,
Pedro rentrera dans le jeu, découvrant le plaisir de faire, le plaisir sensori-moteur comme
124 lien entre lui et son monde environnant. « C’est beau tu ne trouves pas ? » La parole
et le rythme fredonné venant même accompagner le geste. « Après, on fait encore un
dessin ? » « Bien entendu, surtout si tu en as envie. » Il se relâche. Surtout lorsque les
« compétences-exigences » seront mises de côté. Je lui propose le jeu de « squiggle » qui
sera une révélation. Pedro commence à s’exprimer. Même s’il ne raconte que les misères
qui lui arrivent. La salle devient également lieu de parole. « Untel m’a jeté mon manteau
pendant la récréation... je mange tout seul. » Parallèlement, son geste graphique comme
témoignage de son identité s’affirme de plus en plus. Pedro s’amusera étonnamment à
chercher sa signature. L’approbation de l’adulte – qu’il recherchait de manière excessive
comme signe de manque identitaire propre – a évolué dans l’espace thérapeutique, espace
propice pour prendre confiance et devenir plus autonome. L’investissement de la figure de la
thérapeute a également changé, Pedro devenant un sujet différencié de l’autre. Il ose dire
que sa maman ne lui dit jamais que « c’est bien », « qu’il ne veut pas aller à la chasse avec
son papa » car il n’aime pas que son père « tue les animaux », qu’il n’aime pas attendre
sa maman dans la salle d’attente « pour si jamais elle ne revenait pas. » Le moment de
relaxation devient pour Pedro un moment attendu. Il propose des jeux symboliques comme
le cache-cache (jeu immature pour son âge). Il est là, il n’est plus là mais continue à
« être » dans une logique de permanence de l’objet : je devais le trouver grâce aux sons qu’il
7 • L’enfant messager

émettait : « Tu vas me chercher comme si on était dans la forêt parce tu m’avais perdu ! »
« Et finalement tu me retrouves, même si par moments tu ne me vois pas ! » Le noir et
l’obscurité, quand cette dernière apparaît dans le jeu, vont être associés à son quotidien :
La nuit, il a peur parce que ses parents crient très fort et qu’il a peur de son père comme
sa maman. « Comment je peux t’aider ? Tu me permets que je leur raconte ? », lui dis-je.
Les séances se déstructurent pour être finalement plus en lien avec la relation. Le contenu
symbolique des séances deviendra beaucoup plus riche. Pedro grandit dans un corps « qui
parle. »
À l’école, les progrès semblent spectaculaires. Cependant, les séances passant, la mère,
trouve Pedro beaucoup moins obéissant. Certes, son écriture est plus lisible. Mais il ne
veut plus lire avec elle. Il préfère lire seul avant de s’endormir. Alors, elle dira : « Si c’est
ce prix-là qu’il faut payer... ! » Puis : « Accepter que les enfants grandissent, c’est aussi
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pouvoir établir d’autres types d’activités, c’est bon signe... » Comme si l’épanouissement
de son enfant se faisait d’abord contre elle. Comme si elle perdait Pedro. Cependant, elle
n’en rend pas responsable pour autant la thérapeute, qu’elle aussi a investie comme aide
pour son propre rôle de mère. Paradoxalement, Pedro devient de plus en plus expressif et
spontané en séance : « J’ai une idée pour aujourd’hui » dit-il, à peine entré dans la salle.
« Je vois que tu as pensé à notre séance et que tu as envie de venir. C’est un endroit où
tu sembles te sentir bien... » Son registre moteur est beaucoup plus en accord avec les
situations. Pedro devient plus habile. Ses praxies sont plus précises. D’ailleurs, la découverte
du ruban pour la gestuelle est magique pour lui. Nous ferons des chorégraphies avec de
la musique. Son registre facial s’enrichira. Nous sommes loin de la chasse. Il dira devant
125
moi à sa mère qu’il n’aime pas quand elle arrive en retard pour le chercher. Il relatera des
moments entiers de conflits entre ses parents.

Les rencontres avec les parents


Après trois mois de prise en charge et d’évolution plus que positive, mon intention est de
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conforter l’alliance thérapeutique pour qu’ils acceptent les progrès de leur fils. Je voudrais
pouvoir parler de l’atmosphère familiale qui est au cœur de la demande initiale. Père et
mère seront d’accord sur le fait que l’enfant est plus rebelle. Autrement dit plus extraverti.
« Il grandit trop vite » dira la mère. Je souligne que Pedro, se sentant plus sûr de lui, se
découvre des aspects créatifs mais qu’il exprime un malaise familial important. Le père se
tourne automatiquement vers sa femme et commence à lui reprocher de trop le protéger et
de ne pouvoir se séparer de lui. Il dit qu’elle a besoin de voir quelqu’un. Elle pleure et lui
rappelle que Pedro n’aime pas aller à la chasse. Puis qu’il crie trop. L’entretien est difficile.
Cela tourne à la thérapie conjugale. J’essaie de les écouter. Je reconnais l’agressivité que
Pedro décrit. Je sens qu’il est très difficile pour cet enfant de prendre sa place. Face à
ces disputes, ne pas avoir d’avis, être sans opinion depuis toujours ou prendre sur soi
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

en s’exprimant par le tonus, le graphisme, l’irrégularité, le manque de socialisation et


la rétention émotionnelle accompagnée de peur, c’était sans doute la seule chose qu’il
pouvait faire. Dans un premier temps, choisir l’écoute me permettait de programmer d’autres
rendez-vous pour lesquels j’espérais des changements. Je voulais mettre les parents en
confiance et qu’ils ne se sentent pas accusés. En tant que thérapeute de Pedro et garante
de son bien-être, je devais chercher à traduire à ses parents ce qu’il avait corporellement
installé comme symptômes. Plus tard, la mère me demandera des contacts pour violences
conjugales. Je fus étonnée sans l’être.
L’entretien suivant est évidemment plus difficile car la mère ose raconter des éléments
importants. Elle se décrit comme Pedro. Celle qui n’ose pas dire son opinion. Les cris
l’intimident. Les choses vont mal la maison. Ils se sont « perdus ». Cela fait plusieurs
années qu’ils font chambre à part. Le père est agité, en transpiration. Je me tourne vers lui :
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« C’est difficile d’entendre cela dans le lieu ou Pedro vient jouer. C’est sans doute ce qu’il
avait à vous dire lui aussi à tous les deux depuis longtemps. Il ne savait pas comment faire
face. » À ma grande surprise, le père, dans un premier temps, répète que Pedro continue à
être plus désobéissant, qu’il faut le rappeler à l’ordre etc., bien qu’il écrive mieux. Je lui
demande directement de nouveau son opinion sur l’atmosphère à la maison. Il minimise
la situation. Sa femme « exagère ». Elle est « en fusion » avec lui. Le père reconnaît qu’il
n’a pas la famille qu’il voulait, qu’il travaille beaucoup pour éviter d’être chez lui puisqu’il
n’est pas reconnu à sa juste valeur. La mère travaille comme hôtesse de l’air. Elle reconnaît
également qu’elle est mieux au travail. Les deux parents avouent en parallèle qu’ils sont
insatisfaits de leur famille et qu’ils ont échoué. Mais ils ne veulent pas se séparer. Je les
126
rassure mais les encourage à envisager une aide pour eux. Pedro ne pourra pas s’épanouir et
devenir un enfant à part entière, si ses parents sont en conflit. Ils continuent : « Ma femme
surprotège Pedro, elle le féminise, il va devenir une t... ! » ; « Tu devrais te regarder un peu
avec ton côté macho ! » ; « Il dort avec elle. » « Dans ma chambre, il ne vient jamais. »
J’interviens enfin : « Vous semblez vivre comme un couple séparé. Vos disputes affectent
beaucoup Pedro. Il vous protège car il a peur de vos réactions à tous les deux, de la violence
et de l’abandon. Il serait donc nécessaire de consulter un thérapeute familial. » Le père
refuse. Il insiste et accuse la mère d’être pathologique. Cependant, cette dernière parle
ouvertement de la violence conjugale. Mon intervention de psychomotricienne s’arrête là.
Les séances avec Pedro continuent. Les parents demandent des entretiens que je me sens
devoir accepter pour Pedro. Qui paradoxalement s’épanouit. Après plusieurs mois de prise en
charge, c’est un véritable succès. Pendant l’été, le père a décidé de consulter un spécialiste
pour ses propres difficultés comportementales.
7 • L’enfant messager

ALDO : L’AGITATION COMME MOYEN D’EXPRESSION

Aldo a 9 ans. Il est en CM1 dans une école bilingue anglaise. Il présente des difficultés de
comportement, une irrégularité de résultats scolaires ainsi qu’une agitation importante en classe.

Premier entretien
C’est la mère, très décidée, qui prend rendez-vous. Je rencontre la famille complète quelques
jours plus tard. Les parents sont très élégants et viennent avec leur fils, Aldo, et leur fille
aînée de 13 ans, prépubère et en surpoids. Les deux enfants viennent chacun avec leur
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« Nintendo » (leurs objets transitionnels de nouvelle génération ?). À peine entrés dans la
salle, la mère pose la problématique. C’est une femme autoritaire et déterminée. L’équipe
enseignante de l’enfant demande à ce qu’il soit fait quelque chose en urgence. « Aldo
n’arrête pas ! » L’anamnèse sera compliquée car les deux parents n’ont pas l’air de parler
du même enfant. La mère dit : « Aldo a été en avance. Il était très gentil, sensible et
très expressif. Il a certes besoin qu’on lui dise les choses mais... » Le père : « Aldo est un
enfant difficile, rebelle et qui provoque les situations, désobéissant, pas spécialement en
avance. Il ne comprend pas toujours ce qu’on lui demande. » Ce qui est d’emblée rejeté par
la mère. Pendant ce premier entretien, Aldo tiendra à garder sa Nintendo. Le père semble
se fâcher. La mère insiste gentiment pour que l’enfant range la machine. Je demanderai à
Aldo de dessiner pendant notre entretien. Il bâclera une Nintendo. Je remarque d’emblée 127
son agitation, sa distraction permanente, mais aussi ses coups d’œil à la salle. Il est assis
près de sa mère. Le contact visuel avec moi est fuyant. Il ne cesse de regarder son père. La
représentation graphique ne semble pas investie par Aldo. À la suite de sa naissance, on a
diagnostiqué chez la mère une fibromyalgie qui l’oblige à passer de grands moments alitée.
Les deux parents ont des postes à grandes responsabilités. Ils sont souvent absents. Aldo a
peur de rester seul dans une pièce, ce qui met le père hors de lui. Sa mère l’excuse : il est
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encore jeune et elle est souvent absente. Aldo ne cessera de l’interrompre pour commenter
ce qui est décrit ou pour parler d’autre chose. Le père le reprend. La mère reproche au père
d’être « toujours sur lui. » Il est difficile de mener un entretien organisé, chacun ayant
besoin de se mettre en avant. À part la fille, au fond de la salle et inexistante. Les capacités
de contenance ainsi que la place de chacun vont être des éléments à prendre en compte
pour le projet thérapeutique. Bien que la demande concerne la problématique d’attention et
le comportement - ce qui ressort certes d’emblée - il me semble que les parents se cachent
derrière leur enfant.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Le bilan
Le bilan d’Aldo, pendant lequel commencera à s’établir une relation privilégiée, montrera
l’agitation, la défaillance de la régulation tonique et une hypotonie de fond avec
une hypertonie d’action. Les épreuves d’équilibre et d’immobilité seront en échec. Des
mouvements parasites apparaîtront. L’impulsivité est présente et il y a peu d’autocontrôle
car trop de tension émotionnelle. Le schéma corporel et l’image du corps d’Aldo ne sont
pas en relation avec son âge. Il présente des difficultés praxiques et spatio-temporelles.
Le graphisme est de mauvaise qualité et très peu investi. Cependant malgré les difficultés
apparentes, Aldo est en demande d’aide et collabore. Il décide de refaire les épreuves qu’il
estime ratées. Lors de la deuxième séance de bilan, Aldo sera déjà plus posé. « Tu vas jouer
avec moi ? » Ce bilan montre un enfant agité pour qui l’immobilité est anxiogène, comme
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si son corps partait plus vite que lui et le trahissait.

Les séances
Dès les premières séances, Aldo investit la salle comme cadre rassurant. Il laisse sa Nintendo
avec son manteau. Un travail global classique est proposé autour de la régulation du tonus
et de la représentation graphique. La relaxation de type Bergès sera proposée en raison de
la particularité de la cure qui combine toucher, nomination et immobilité. Mais ceci en fin
de séance, à la suite de jeux, pour que l’enfant puisse expérimenter son corps à travers des
activités motrices qui lui faciliteront l’intégration du schéma corporel et de l’image du corps.
128
Je cherche une représentation du corps plus adéquate dans une atmosphère de valorisation
et de contenance. Cette structure rythmique du déroulement des activités produira, chez
Aldo, l’effet anticipatoire rassurant et manquant chez lui.
Le père accompagnera Aldo les premières séances, mais très vite il cédera la place à la
nounou. Cet enfant semble livré à lui-même et chercher à tout prix de la reconnaissance. « Tu
joues avec tes propres enfants... » (remarquant une petite photo dans l’entrée du cabinet).
Il acceptera avec plaisir les moments de relaxation. Le dessin proposé ensuite s’enrichira
tant par ses contenus qui reprennent son quotidien que par sa qualité. Aldo évoque : « papa
me tape quand je rentre dans son bureau sans frapper, quand je fais mes devoirs avec lui...
Maman est dans son lit le dimanche... » À mesure qu’il acquiert davantage de contrôle sur
lui et que le cadre thérapeutique est intégré, il retrouve la construction laissée la dernière
fois, malgré le passage d’autres enfants, « tu l’as gardée ! » « Bien évidemment puisque
nous devions la terminer, n’est ce pas ? » Il exprime mieux ses ressentis de la maison. Le
langage récupère son rôle de communication et de verbalisation plutôt que de vocifération.
Il a du mal à trouver sa place entre la maladie de sa mère, le tempérament de son père,
leurs rôles respectifs et leur vie personnelle. « Alors quand tu bouges, tes parents font
davantage attention à toi, si ce n’est pas comme tu le veux. » Par ailleurs, les parents sont
7 • L’enfant messager

ravis de la prise en charge car l’école ne se plaint plus autant du comportement d’Aldo.
L’enfant est moins source de conflit entre ses parents. Par contre, apparaît le conflit des
parents. Le symptôme semble s’être déplacé. Le père avouera en entretien que la mère a
eu un amant depuis la naissance de l’enfant et qu’il a accepté cette situation car il aime
sa femme même s’il l’a culpabilisée. Peu de temps après, la mère découvre que le père a
une maîtresse depuis un certain temps et qu’elle s’en veut de s’être sentie coupable. Elle le
confie entre deux séances. « Et Aldo, dis-je, dans tout ça, vous croyez qu’il est en dehors ?
La peur d’être dans une chambre seul, les différents appels d’attention, qu’en est-il de votre
couple parental ? Votre fils a besoin de figures stables, constantes et invariables. »
Je sens que ces propos ne peuvent pas rentrer dans le champ de compétence du
psychomotricien.
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L’enfant porte un corps plus harmonieux. Il parle plus posément. Ses gestes sont plus
adaptés pendant que nous construisons des mondes imaginaires en pâte à modeler et dans
lesquels il y a toujours une maison avec un papa, une maman et un bébé. Les séances
s’orientent davantage vers la relaxation où l’immobilité ne sera plus vécue comme facteur
d’anxiété et la représentation graphique sera infiniment plus riche. Les parents finalement
acceptent de voir un conseiller conjugal et peu de temps après entameront une procédure
de divorce. Aldo est finalement « soulagé » bien que triste : chacun lui consacrera un temps
de qualité car ils ne seront plus obligés de se cacher de l’autre en utilisant leur fils comme
tampon.

129

DORA : LE SILENCE, COMME MOYEN DE COMMUNICATION

Dora, 6 ans est en classe de CP et présente des difficultés à entrer dans les apprentissages, surtout
lecture et écriture. Elle est très fortement inhibée et montre des signes de phobie scolaire.
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Premier entretien
Très jolie petite fille aux grands yeux, longs cheveux blonds, elle vient avec ses deux
parents séparés actuellement après plusieurs tentatives de vie commune. Elle a une tenue
vestimentaire d’adolescente. Elle refuse d’aller l’école depuis plus de 3 mois. Même si elle
y va quand même moyennant des crises terribles. Elle est tyrannique à la maison, avec la
mère surtout avec qui elle vit. « Elle décide de tout », dit la mère qui est épuisée. Mais elle
continue à céder à ses « caprices » (repas, vêtements, heure de coucher, loisirs). Elle a des
difficultés d’endormissement et dort avec sa mère. Elle présente également des problèmes
alimentaires : elle mange la nuit. Cette année de CP est compliquée. Elle ne parvient pas
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

à rentrer dans la lecture. Elle refuse de parler au maître et est leader avec ses copines.
Le père, directeur d’une grande entreprise, a dû changer son rythme de travail. Il passe
tous les matins chez la mère pour emmener Dora à l’école car la mère n’en peut plus. La
petite fille se plaint régulièrement de maux de ventre. Les grands parents traversent la
ville tous les jours pour aller la chercher à midi car elle refuse de manger à la cantine.
Les parents décident de consulter sur les conseils de l’enseignant qui détecte beaucoup
d’anxiété derrière cette attitude de refus. La demande conjointe est basée sur le souci des
résultats scolaires de Dora et non pas sur ses désordres comportementaux. « Le CP est une
classe très importante pour le reste de la scolarité ! » diront-ils. Au moins, l’école les réunit
pour venir consulter et se faire aider.
Dora ne cesse de m’observer depuis son entrée. Elle semble très contrariée d’être là. Elle
gardera les crayons de couleurs dans la main pendant tout le premier entretien, silencieuse
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avec un air fâché par ce que disent ses parents sur elle. « Qu’est-ce que ça doit être dur pour
toi de maintenir cette attitude, sensible comme tu es ! » dis-je. Une ébauche de sourire est
esquissée : un début d’échange ? J’ose penser à une sorte de « lapsus émotionnel ! »

Le bilan
Il se fera en présence des parents, et je devrai complètement l’adapter. Elle réalisera
certaines consignes comme désincarnée, mais je suis étonnée qu’elle en réussisse certaines
néanmoins. Les épreuves d’équilibre, quant à elles, seront à peine esquissées car il lui
130 faudrait se décoller de l’espace proche de sa mère. Elle est d’une hypertonie excessive et
le ballant est impossible à réaliser. Elle est farouche et craintive sous son aspect fermé.
Les épreuves de rythmes sont saccadées avec une telle pression qu’elle laisse une trace sur
la table. Les parents se contredisent sur tous les aspects du développement de leur fille
unique et sur la situation actuelle. Ils s’interrompent, se reprochent et racontent qu’ils
se sont séparés trois fois et ce pendant la passation même du bilan. La mère reprend
l’enfant, s’interpose entre sa fille et moi. Le bilan est certes incomplet, mais ce qui me
semble important c’est de la rassurer suffisamment pour qu’elle puisse venir en séance
volontairement, pour installer une relation thérapeutique entre autre. Elle repart avec
un crayon de couleur sans avoir dit un seul mot. Notre premier lien ? La couleur rose...
Les parents, en recherche d’approbation au moment de la consultation, ont besoin de se
sentir également tranquillisés et contenus pour pouvoir prendre leur place de parents qu’ils
semblent avoir perdue.

Les séances
Dora se dirigera automatiquement vers les poupées et nous monterons des scénarios.
Toujours les mêmes. Elle reprendra les mêmes gestes, les mêmes pauvres dialogues. Elle ne
7 • L’enfant messager

s’exprimera dans un premier temps qu’à travers les poupées. Le côté répétitif et rassurant
est mis en scène, « c’est un anniversaire et les invités arrivent... » Elle dirige le scénario.
Je me place en « neutralité bienveillante », contenante, constante et peu loquace pour lui
permettre de « se savoir exister » autrement que dans l’opposition. Le père rapporte qu’elle
vient volontiers. Quelle victoire ! Je lui propose-impose des séances de relaxation type
Jacobson avec des moments de contraction-détente pour l’aider dans ses apprentissages
et pour ses difficultés d’endormissement. Sa curiosité pour la méthode la fait accepter de
s’allonger avec une poupée. Un travail sensori-moteur et de régulation tonique est proposé
pour dissiper son anxiété, source en partie de ses maux de ventre.
En parallèle, je conseille aux parents de consulter un thérapeute conjugal. Ils acceptent.
De grands changements sont conseillés. La famille se restructure. Les parents se séparent
vraiment, laissant clairement un espace conjugal rompu. Cependant, l’espace parental est
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maintenu. Dora commence à parler en classe. Elle s’intéresse aux apprentissages et devient
moins anxieuse que sa mère.
Le scénario évolue : la pâte à modeler apparaît pour nourrir les invités qui partent dormir
chez eux. La relaxation est un moment attendu et elle s’étonne de s’entendre l’exprimer.
Nous sommes vraiment en train de rentrer dans un processus thérapeutique où le lien
reprend sens pour Dora. En parallèle, la lecture pourra être investie scolairement. Il faudra
revoir les parents pour les déculpabiliser et les recentrer : ce sont toujours eux, les parents.
Peu de mois après, Dora commence à lire timidement. Elle redevient petite fille. Sa tenue
vestimentaire change. Ses parents reprennent leur rôle de protecteurs et de garants de
l’interdit. Le mutisme et l’opposition de Dora à l’école avait conduit les parents à se 131
laisser prendre en charge et à se réapproprier leurs fonctions parentales noyées dans leurs
problématiques personnelles.

CONCLUSION
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J’ai choisi ces trois cas car ils présentent outre des troubles psychomoteurs classiques une
dimension causale qui va bien au-delà. Ces enfants sont les « dénonciateurs manifestes. »
Ils choisissent la voie utilisée par leurs familles, ces familles qui préfèrent dans un premier
temps confier à l’école le rôle de « révélatrice » de malaises. Du reste, pour les parents
les vrais demandeurs, ce sont ces enfants-là. Ces enfants intelligents, mal dans leur
peau, tendus, agités ou inhibés, silencieux ou opposants proviennent de milieux familiaux
complexes où le non-dit est évident. Ils ont, certes, besoin d’une prise en charge pour se
recentrer, se réguler toniquement et se donner - ou redonner - le goût de la représentation
graphique, reflet d’un niveau de maturation psychique et cognitif. Le psychomotricien veut
les amener vers le plaisir de l’écriture et des apprentissages. Mais ils ont beaucoup plus
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

besoin de figures parentales cohérentes, enveloppantes et non infantilisantes. Ils doivent


être déchargés de leur carapace tonique. Ils prennent sur eux, ces enfants-là ! Le transfert
thérapeutique ne se fait pas avec l’enfant en premier lieu mais surtout avec ces parents-là.
Ainsi la psychomotricité au cabinet est un lieu de passage. Parfois un intermédiaire pour que
les images parentales exercent pleinement leur rôle. Leur symptomatologie est particulière
car ces trois enfants expriment leur malaise à travers leur enveloppe tonique. Leur tonus -
qui sort de la définition académique et que nous connaissons bien dans notre pratique -
revêt, chez ces trois enfants, trois formes distinctes : hypertonie, paratonie, hyperkinésie,
synonymes de carcan tonique qui restreint le potentiel physique, l’état somatique et l’état
émotionnel. Chacun présente également un important fond commun d’anxiété. De plus,
dans les trois prises en charge, différentes méthodes de relaxation ont été utilisées comme
support de réaffirmation de l’image du corps, d’harmonisation posturale et de régulation
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émotionnelle. Elles traitent en profondeur le trouble psychomoteur et affectif et donnent
au psychomotricien toute sa spécificité. L’espace thérapeutique, le rythme des séances ainsi
que la continuité de la figure de la psychomotricienne ont également contribué à affirmer
le Moi, initialement en déficit malgré de hautes capacités intellectuelles. Leur trace écrite
appauvrie était désinvestie. Sans pour cela présenter les difficultés neuro-motrices pouvant
intervenir dans l’écriture. Ainsi donc, selon Tajan (1982) : « L’écriture est chargée d’une
signification qui dépasse le geste, elle est porteuse de sens. » La communication avec le
monde environnant était délicate pour eux qui n’avaient pas une place d’enfant, malgré la
place centrale que leur avait attribuée leur famille.
132 Les symptômes relationnels de ces enfants donnent au psychomotricien tout son rôle.
Cependant, il doit savoir passer le témoin à qui revient de traiter des troubles d’une autre
nature. Le fait que ces enfants vivent dans des familles en dysfonctionnement et qui ont
besoin d’une attention particulière convertit l’enfant en messager. Et c’est parfois à nous
de savoir déchiffrer au mieux son message.
7 • L’enfant messager

RÉFÉRENCES

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comme relation. Revue de psychologie tion thérapeutique. Paris : Masson.
pure et appliquée, 21, 2.
NEUBURGER, R. (1995). Le mythe familial.
AJURIAGUERRA, (DE) J., AUZIAS, M. DENNER, Paris : ESF.
A. (1971). L’écriture de l’enfant, 1. L’évo-
lution de l’écriture et ses difficultés. Dela- POTEL, C. (2000). Psychomotricité : entre
chaux et Niestlé. théorie et pratique. Paris : In Press, 2008.
ANZIEU, D. (1985). Le Moi-peau. Paris : WALLON, H. (1925). L’enfant turbulent.
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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
7 • L’enfant messager

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Alina Veeser
Chapitre 8

en psychomotricité
Accueillir l’autre pour l’aider à se révéler...
Contenance

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SOMMAIRE

Une définition de la contenance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138


Contexte clinique : le cadre de la réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
L’expression d’un manque de contenance psycho-corporelle chez
Goran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Une contenance psychique mise à mal chez Madame F. . . . . . . . . . . 141
La contenance en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
La contenance du cadre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
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Des expériences sensori-motrices contenantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
L’engagement et la disponibilité corporelle du psychomotricien
associés à une écoute sensible du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
La capacité de rêverie maternelle et la fonction alpha
du psychomotricien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
Rôle pare-excitateur et adaptation du psychomotricien . . . . . . . . . . 149
Le dialogue tonique et tonico-émotionnel en psychomotricité . . . 150

137
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

« Se sentir réel, c’est plus qu’exister, c’est trouver un moyen d’exister soi-même,
pour se relier aux objets en tant que soi-même et pour avoir un soi
où se réfugier afin de se détendre », D.W. Winnicott, 1971.

L
E CHAMP DES PRATIQUES en psychomotricité est très vaste. Il existe autant de façons
de travailler que de psychomotriciens. Néanmoins un aspect fondamental paraît
commun à toutes ces pratiques : la fonction contenante du psychomotricien. Cette
notion me semble essentielle car elle s’applique à tout type de patients, de
pathologies (troubles de la motricité, cognitifs ou pathologies dites psychiatriques par
exemple) ou de prises en charge, « rééducatives » ou « thérapeutiques » auprès d’enfants,
d’adultes ou de personnes âgées. Cet article propose une conceptualisation de la contenance
en psychomotricité à travers la mise en lumière des « actes contenants » du psychomotricien.
La perspective présentée ici cherche à décrire les moyens qu’utilise le psychomotricien
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pour favoriser l’accès à et la structuration d’une enveloppe contenante. J’illustrerai mon
propos en m’appuyant sur l’expérience clinique d’une prise en charge mère-enfant ainsi que
certains concepts théoriques, non exhaustifs, de contenance.

UNE DÉFINITION DE LA CONTENANCE

La notion de contenance renvoie à la fois au réceptacle renfermant un volume et accueillant


138 un contenu mais également à la manière d’être et à la capacité de maintenir en soi un
contenu. Un certain nombre de termes fait résonance à la contenance : les notions, entre
autres, de limite, de capacité, de volume, d’allure, de maintien, de prestance ou d’assurance.
Ici, il s’agira d’aborder la notion de limite qui sous-tend les concepts d’enveloppe, de
contenant et de contenu permettant au psychomotricien d’aborder l’articulation psyché-soma
face aux problématiques de la contenance.
Pour de nombreux auteurs, le développement du Moi se constitue à partir d’expériences
corporelles. Ils donnent donc une place primordiale au corps dans la constitution du
psychisme. À travers ses interactions avec l’environnement et ses expériences corporelles,
motrices et sensorielles, l’enfant construit progressivement une enveloppe psychocorporelle
contenante permettant la différentiation Moi et non-Moi, tant au niveau corporel que
psychique. Il élabore une sécurité interne corporelle et psychique et il accède ainsi
progressivement à la subjectivité puis à l’individuation et enfin à la symbolisation.
Par contenance physique, nous entendons un sentiment d’avoir un corps qui est délimité
par rapport à l’extérieur. Un corps qui peut contenir, qui peut accueillir les stimulations
sensorielles – tant internes qu’externes – sans se « désintégrer », pour finalement agir sur
l’environnement.
8 • Contenance en psychomotricité

La contenance psychique, fonction consistant à contenir et à transformer, est indissociable


de la notion d’enveloppe psychique. L’enveloppe psychique correspond à une surface
intériorisée psychiquement qui délimite le monde interne du monde externe, c’est-à-dire une
interface permettant la distinction dedans et dehors. A. Ciccone (2001) suppose que « ce qui
soigne est l’expérience selon laquelle la vie émotionnelle troublée, perturbée, douloureuse,
trouve un espace dans lequel elle puisse être reçue et contenue ». Cette fonction de
contenance, apportée par l’environnement au quotidien, confère progressivement à l’enfant
un sentiment continu d’exister permettant secondairement au Moi de se développer.
En psychomotricité, la contenance se pense non seulement en référence au corps, c’est-à-dire
à l’enveloppe corporelle, mais également en référence au psychisme c’est-à-dire à l’enveloppe
psychique. La fonction contenante du psychomotricien est une approche qui se veut
globale : elle touche les fonctions sensorielles, toniques, proprioceptives ainsi que le
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psychisme et les interactions avec le milieu (objets et environnement). Au moyen du cadre
thérapeutique, de l’engagement corporel, des prises de paroles, des verbalisations du vécu
corporel, des mises en situation corporelles adaptées et des stimulations proposées, la
prise en charge psychomotrice cherche à favoriser l’émergence d’une enveloppe contenante.
Par ses interventions psychiques et corporelles, le psychomotricien transforme ce qui
est difficilement supportable et angoissant en éléments assimilables, base de la sécurité
corporelle et psychique.

CONTEXTE CLINIQUE : LE CADRE DE LA RÉFLEXION 139

Goran, 2 ans et 4 mois, m’est adressé pour des difficultés relationnelles et des troubles de
l’image du corps. Ses parents ont été orientés vers une prise en charge en psychomotricité à
la suite du diagnostic de syndrome du spectre autistique. Suite au bilan, un suivi mère-enfant
hebdomadaire est proposé afin de restaurer une relation contenante dans la dyade mère-enfant.
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L’objectif est d’encourager les interactions et de favoriser des échanges adaptés. Il s’agit
d’apporter une contenance à l’enfant en encourageant son appropriation corporelle (notion de
contenance physique), en stimulant ses capacités d’interaction, d’échange et de communication
et en favorisant son développement psychomoteur. Du côté de la mère, Madame F., les objectifs
sont de soutenir et revaloriser son statut et de faciliter sa compréhension des manifestations
corporelles de son fils afin d’améliorer ses réponses et de favoriser son rôle contenant.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’expression d’un manque de contenance psycho-corporelle


chez Goran
Je rencontre un petit garçon très agité. Son pas est impulsif et ses gestes vifs. Sa
marche paraît comme déstabilisée par un trop plein d’émotions. Il présente d’importantes
stéréotypies. Les angoisses corporelles sont importantes et la relation ne permet de retrouver
ni stabilité et ni assurance. Il s’intéresse de façon intermittente aux propositions et ne
répond que partiellement aux sollicitations.
Goran semble être dans une recherche active de stimulations proprioceptives et vestibulaires
qui s’accompagnent d’une sorte de « prurit moteur » important. Cette motricité erratique
est marquée par un recrutement tonique important qui peut s’envisager comme un moyen
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de pallier à un manque de contenance corporelle.

Le mouvement participe à une tentative de prise de conscience d’une enveloppe


corporelle unifiée : il stimule les récepteurs de sa peau ainsi que les propriocepteurs.
Rigidifier son tonus musculaire peut apparaître comme une défense face à des
angoisses extérieures, défense permettant de se former une carapace rigide, tonique,
une sorte de « seconde peau musculaire » décrit par E. Bick (1967). Seconde peau
musculaire qui vient colmater et renforcer la première peau défaillante. Pour A.
Bullinger (2011) la proprioception, qui émerge de la coordination entre sensibilité
profonde et signaux issus des flux sensoriels, participe à la constitution du corps
propre au travers des éprouvés en lien avec le milieu : elle soutient la qualité de
140
l’engagement de l’organisme dans le monde.

Pour Goran, tout ce qui est de l’ordre du tactile semble difficile et générateur d’angoisses.
Je note dans le comportement de Goran des éléments d’inquiétude par rapport à ses
mains. Après chaque contact tactile, qu’il s’agisse d’une manipulation d’objet ou d’une
interaction avec autrui, il semble happé par des angoisses envahissantes. Elles s’illustrent
par l’émergence de stéréotypies (vocalises et mouvements erratiques) avec vérification
visuelle importante de la zone ayant été en contact. On peut se demander si, à cet instant,
Goran se questionne sur l’intégrité de son enveloppe-peau. Un jour, Goran s’assoit sur le
gros ballon et prend appui sur mes mains pour impulser des rebonds. La pression qu’il
exerce augmente, sa main écrasant de plus en plus la mienne. À mesure que l’amplitude des
rebonds augmente, il relâche son tonus. Après quelques instants, il regarde sa main. Très
précautionneusement, il la « décolle » de la mienne, doigt après doigt. Je sens l’angoisse
l’envahir : son souffle est saccadé, son seuil tonique augmente, son regard est fixe, son
visage exprime de la crainte. Lorsque le contact est rompu, il rapproche sa main de son
visage, l’observe longuement comme à la recherche d’une éventuelle trace laissée par le
contact précédent. Le même type de comportement s’observe lors des propositions de porter.
8 • Contenance en psychomotricité

Cette vérification visuelle systématique suite à un toucher continu questionne sur l’influence
des stimulations tactiles dans la perception d’une enveloppe corporelle unifiée. Un toucher
global et prolongé engendrerait-il chez Goran une confusion des limites corporelles ?
Les manifestations stéréotypées de Goran émergent après chaque conduite dirigée vers
l’environnement. Elles sont brutales et explosives. Elles engagent le corps dans sa globalité :
augmentation explosive du seuil tonique, mouvements des mains, déambulations et
nombreuses vocalises. Ces moments-là doivent être solitaires et laissent penser qu’ils lui
permettent de se « récupérer » dans le mouvement. Ces mouvements stéréotypés semblent
répondre à un besoin immuable d’auto-réassurance corporelle et psychique lui permettant
ensuite de se réengager dans des interactions et des manipulations. Ils peuvent se penser
comme des autostimulations proprioceptives permettant de lier les parties du corps entre
elles afin de ressentir le corps comme unifié.
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Les demandes de communications sont restreintes : les temps solitaires sont importants,
les échanges par le regard pauvres, les expérimentations solitaires et les sollicitations rares.
Les interactions, lorsqu’elles sont possibles, ne prennent pas valeur de communication :
elles ne sont ni dirigées ni organisées. Elles n’ont pas d’objectif d’échange. Goran semble
plus utiliser l’autre comme un objet ou un support lui permettant d’atteindre un but. Il
ne semble pas le considérer comme un être différentié. De brefs moments de relation sont
possibles. Mais on sent que, sur la durée, l’inquiétude monte. Dans ces cas-là, Goran se
retire de la relation et se met à déambuler dans la salle en agitant sa main devant son
visage. Tous ces aspects questionnent quant à la différentiation soi/non-soi : entrer en
relation et communiquer impliquent de prendre en considération l’autre dans son altérité. 141

Une contenance psychique mise à mal chez Madame F.


Au début de la prise en charge, Madame F. montre des aspects très contrastés dans son
comportement, alternant surinvestissement et désinvestissement de son enfant et de la prise
en charge. Elle oscille entre des moments d’agitation motrice anxieuse et des moments plus
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passifs de retrait. Une grande souffrance émane donc de cette femme qui donne l’impression
d’être désemparée et dévalorisée. Ses propos sont teintés de culpabilité, d’incertitude et de
questionnements. Madame F. semble mise à mal dans son rôle de mère.
L’angoisse est au premier plan tant dans ses prises de paroles qu’au niveau de son langage
corporel. Elle présente d’importantes réactions de prestance (signes parasympathiques,
évitement du regard, crispation au niveau des mains). Elle est vite submergée par ses
émotions. Elle exprime de grandes difficultés à l’idée, croit-elle, d’être rejetée par son fils.
Se surajoute son incompréhension des conduites de Goran. Elle ne trouve pas les moyens
de le calmer, de le rassurer ni même d’interagir avec lui.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Son parcours révèle une recherche frénétique d’aide, une sorte de « nomadisme médical »
sollicitant un grand nombre de professionnels (une approche éducative a ainsi été démarrée
il y a quelques temps). Elle s’inscrit difficilement dans la continuité de la prise en charge et
annule un certain nombre de séances. Elle oscille entre surinvestissement et rejet complet
de la relation thérapeutique : elle exprime le désir d’être « aidée » (je reprends ses mots),
pose un grand nombre de questions puis se met en retrait et se renferme.
Prise dans une problématique aux aspects dépressifs, elle raconte éprouver des difficultés
à regarder et à porter son fils. Elle parle peu à son enfant. Les mouvements affectifs
(encouragements, réassurance, mots doux et gestes affectueux) sont rares. Le dialogue
tonico-émotionnel défaillant entrave l’accordage tonique entre la mère et son enfant.
Lorsqu’elle le porte, ses gestes sont maladroits. Elle est hypertonique, hypervigilante et
dans une anticipation anxieuse. Lorsque Goran refuse le contact, on la sent prise d’une
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importante agressivité. Je me souviens de ce moment où Goran s’est défait avec violence
d’un mouvement de tendresse imposé par sa mère : Madame F. cherche tout d’abord à le
contenir avec force puis le repousse brutalement en exprimant avec colère et sa déception.
Elle m’exprime alors, je cite, son « incapacité à assurer son rôle de mère. » Ces brefs
moments d’agressivité illustrent-ils le désarroi de Madame F. à ne pas trouver un canal de
relation adapté pour entrer en communication avec son fils ?
Elle ne s’intègre pas spontanément dans les interactions et jeux instaurés avec son enfant
mais a besoin d’y être sollicitée, encouragée et simulée. Ses gestes sont hésitants. Elle
intervient « du bout des doigts » et paraît craintive et mal à l’aise. Lorsqu’elle initie un
142 contact, ses gestes sont brusques, non prévisibles et teintés d’une certaine « violence ».
Il s’agit principalement de manipulations ou de soins effectués machinalement. Ceux-ci
s’effectuent sans prise en considération des désirs ou de la disponibilité de Goran, engendrant
majoritairement des mouvements de retrait violents et hypertoniques de sa part.
Tous ces éléments laissent penser que Madame F. trouve difficilement en elle ressources
nécessaires et sécurité intérieure qui lui permettraient d’envisager la relation avec son fils.
Elle n’est pas sereine face à ses propres capacités. Ses propos laissent penser qu’elle prête
difficilement une vie psychique à son enfant. Son appareil à penser ses propres émotions
ainsi que les émotions de son fils paraît mis à mal.

LA CONTENANCE EN PSYCHOMOTRICITÉ

Dans son développement, l’enfant s’appuie sur les capacités de contenance corporelle et
psychique de sa mère pour pouvoir construire son propre espace corporel et psychique. En
psychomotricité, on peut penser à une analogie de la fonction maternelle : par le cadre de
la prise en charge, les mises en situations corporelles proposées, ainsi que l’implication et
8 • Contenance en psychomotricité

l’engagement tant corporel qu’émotionnel, le psychomotricien apporte de la contenance


à son patient. Dans le cadre d’une prise en charge mère-enfant le travail de contenance
doit pouvoir se rapporter tant à la mère qu’à l’enfant : il faut trouver le juste équilibre pour
ne pas ignorer l’un des participants. Il s’agit de pouvoir trouver les moyens adaptés afin
d’instaurer un cadre contenant favorisant le développement des interactions ainsi qu’un
sentiment de contenance.

La contenance du cadre

Le cadre d’une prise en charge psychomotrice inclut le lieu (la salle), le temps
(jour, horaire, durée), l’investissement de chacun, le matériel (les objets supports
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des intégrations) et l’institution (son fonctionnement, la présence contenante de
l’équipe et la prise en charge globale du patient). « Le cadre thérapeutique est ce qui
contient une action thérapeutique dans un lieu, dans un temps, dans une pensée »
(C. Potel, 2012). L’espace de la salle peut s’apparenter à un contenant, un réceptacle
qui permet de contenir les expériences sensorielles et motrices. Symboliquement le
cadre peut aussi être considéré comme le lieu d’expression, de partage et d’échange
des sensations et des émotions. Les patients se sentent écoutés et regardés, en
un mot : contenus. Le cadre peut s’envisager comme un espace transitionnel dans
lequel on peut déposer problématiques et angoisses. En se référant aux travaux
de Winnicott, on dira que le cadre constitue une aire transitionnelle et un espace
d’échange permettant de délimiter le Moi du non-moi. Il favorise la découverte de
sensations nouvelles pour ressentir son intégrité corporelle. La notion de rythmicité 143
participe à la contenance du cadre. Il s’agit non seulement de la durée des séances et
de leur rythme hebdomadaire, mais aussi de la constance de certains éléments faisant
partie intégrante du cadre thérapeutique. Cette rythmicité contribue au sentiment de
continuité d’être et à la construction d’une enveloppe.

La constance des participants et du matériel participe à maintenir un cadre thérapeutique.


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Toute absence se doit donc d’être prévenue afin de permettre au patient d’anticiper les
changements et d’éviter toute émergence d’angoisses (d’abandon par exemple) pouvant
créer une rupture du lien thérapeutique préalablement établi. Il a été fréquent que les
séances soient annulées à la dernière minute par Madame F., sans que cette absence ne
puisse être anticipée et mise en mots. Outre le questionnement que cela fait émerger quant
à l’implication de Madame F. au sein de la prise en charge, ces absences ont été sources
d’angoisse pour Goran. Il était clair que les comportements stéréotypés, les comportements
autocentrés, l’agitation motrice ainsi que l’intolérance à la frustration étaient plus prégnants
après les absences.
La constance du matériel à disposition permet au patient de progressivement s’approprier
un espace, un objet médiateur qui pourra servir d’appui pour un jeu, un échange ou
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

une interaction. Au sein de la prise en charge mère-enfant, l’importance du maintien


de ces éléments a été perçue comme fondamental dans la mise en place d’un espace
contenant privilégiant les interactions. La plateforme a été rapidement investie par
Goran comme un lieu d’explorations multiples qui ont progressivement laissé émerger
des conduites plus dirigées. Elle a constitué un lieu contenant privilégié qui a favorisé les
expériences sensori-motrices : Goran y explore de manière autonome et intense l’espace
et les objets ainsi que leur permanence, leur solidité et leur effet sur l’environnement.
Je perçois également la mise en place d’un jeu de caché-trouvé et de transvasement.
L’enfant a pu progressivement expérimenter les oppositions fondamentales : dedans/dehors,
dessus/dessous, intérieur/extérieur, dur/mou, mais aussi vu/non vu, présent/absent et
contenant/contenu. Le ressenti de ces nombreuses expériences mobilisant les fonctions
toniques et motrices permet d’offrir à l’enfant une contenance corporelle, de percevoir son
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corps en tant que volume et d’accéder à la symbolisation et à la formation d’un contenant
psychique. Cet espace qui semble avoir assuré un rôle contenant et sécurisant lui a permis
d’orienter ses conduites vers l’environnement. Ce phénomène m’a indiqué l’émergence d’une
enveloppe. Goran y instaure un dialogue organisé qui vient soutenir son évolution : il initie
progressivement un échange, entre en relation avec autrui et interagit dans une perspective
communicationnelle.

Des expériences sensori-motrices contenantes


Le psychomotricien propose d’accompagner l’enfant dans des expériences sensori-motrices
144
lui permettant d’affiner la conscience de son unité corporelle. Cette construction ne peut se
faire que si l’enfant est contenu dans une relation, c’est-à-dire qu’il puisse, dans l’interaction
et grâce aux mises en mots et au dialogue tonico-émotionnel, s’approprier ces expériences
vécues.

Selon A. Bullinger (2011), la dimension tonique ainsi que les interactions avec
l’environnement jouent un rôle fondamental dans l’établissement de l’enveloppe
corporelle à double feuillet (face interne et externe). Pour que s’établissent des
représentations stables (comme une représentation du corps et d’une enveloppe
corporelle), des coordinations sensori-motrices doivent se mettre en place selon
trois niveaux d’intégrations. Une enveloppe corporelle stable permet d’introduire
une différentiation Soi/non-Soi et de constituer un début de subjectivité. Au
départ, ni l’organisme ni le milieu ne sont déterminés : ce sont les interactions
régulières qui alimentent l’activité psychique et qui créent « des habituations à des
configurations stables des signaux sensoriels » (Bullinger, 2011). La répétition d’une
même configuration sensori-motrice permet de modifier une conduite, comme par
exemple de baisser l’amplitude de la réaction tonique à un flux sensoriel.
8 • Contenance en psychomotricité

Lors des premières séances, Goran réagissait au contact tactile par un recrutement tonique
important. Peu à peu et en répétant cette stimulation dans la même intensité, les réactions
toniques en réponse au contact se sont réduites.

A. Bullinger (2011) précise que « ce sont les coordinations entre les diverses boucles
sensori-motrices engagées dans l’action qui créent les premières représentations de
l’organisme. » Ces « proto-représentations » ont la particularité de n’être présentes
que lorsque l’action est engagée, lorsqu’il y a un mouvement. A. Bullinger (2011)
ajoute que « le sentiment d’unicité, base de l’image corporelle, est créé par une
variation brusque du tonus, un « ébranlement tonique » puis : « la mobilisation
tonique suscitée entraîne une réaction émotionnelle qui permet de ressentir les limites
de l’organisme ». Ces variations toniques forment la face interne de l’enveloppe et
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contribuent à l’image corporelle naissante.

Ainsi l’augmentation brusque du seuil tonique perçue chez Goran lors de ses mouvements
erratiques et de ses stéréotypies pourrait s’entendre comme un moyen de mettre en action le
feuillet interne de l’enveloppe et de percevoir les frontières de l’organisme. Il pourrait, par
cet « ébranlement tonique », pallier à son manque d’intégration de l’enveloppe et ressentir
une contenance physique. Tout du moins temporairement.

Les coordinations sensori-motrices indépendantes de l’action permettent la mise en


place de représentations stables de l’organisme, des objets et de l’espace qui les 145
contient. Lorsque les dimensions spatiales et temporelles des gestes sont prises en
compte, le milieu se structure. C’est alors que « l’organisme est conçu comme articulé
et mobile » (Bullinger, 2011). Ce troisième niveau permet la permanence des moyens
instrumentaux indépendants de l’action qui « est une autre façon de parler d’une image
corporelle stabilisée » (Bullinger, 2011). Ces coordinations permettent de délimiter et
de contenir les variations toniques.
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Chez Goran, c’est par la mise en place de conduites dirigées que l’on pourrait percevoir la
progressive constitution du feuillet externe de l’enveloppe. Le renforcement des regards, la
demande active de stimulations ainsi que la communication dirigés vers l’un des adultes
présents souligneraient l’intégration de l’organisme comme point d’appui pour des actions
sur le milieu.
L’immuabilité du cadre, la répétition des expérimentations ainsi que la mise en mot
des expériences sensori-motrices permettent de renforcer cette appropriation progressive.
Peuvent se mettre alors en place des repères stables pour favoriser l’émergence de nouvelles
expérimentations conduisant vers une autonomie motrice et psychique.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’engagement et la disponibilité corporelle


du psychomotricien associés à une écoute sensible
du corps
L’écoute du psychomotricien s’étaye sur l’échange d’émotions à partir de canaux tonico-
posturaux. C’est une forme d’écoute qui se veut empathique : nous mettons à disponibilité
tous nos sens afin d’être à l’écoute des manifestations psychocorporelles de notre patient.
Il est nécessaire, pour ce faire, d’être attentifs à tous les indices non verbaux (postures,
déplacements, mimiques, regards, changements toniques, engagement ou désengagement
corporel, émissions sonores et réponses apportées aux diverses stimulations et manipulations
d’objets) permettant de comprendre ce qui se joue et ainsi de pouvoir adapter notre
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propre posture. Ceci permet d’identifier les moments opportuns pour interagir, échanger
ou au contraire laisser explorer le patient de façon autonome. L’engagement corporel, les
propositions, les stimulations et nos mises en mots peuvent ainsi s’ajuster à la disponibilité
ainsi qu’aux demandes et aux capacités d’intégration de nos patients.
C’est au travers de cette écoute des conduites et comportements de Goran qu’un sens a pu
être dégagé de ses manifestations. Assis sur la plateforme il explore tactilement les surfaces :
il caresse, griffe, tapote les rambardes et le sol avec ses mains. Le bruit qu’il provoque
semble l’interpeller : il rapproche son visage de sa main et griffe la rambarde avec force en
émettant un son bref et sourd puis me regarde. Il recommence à plusieurs reprises toujours
en me regardant avec insistance. Il donne l’impression d’attendre de moi une explication
146 à l’effet sonore de ses explorations tactiles. Je lui exprime alors que lorsqu’il gratte la
plateforme cela fait du bruit et que c’est lui qui provoque ce bruit. Il sourit. Je gratte la
plateforme. Il se lève précipitamment et se penche vers moi. Il semble rechercher la source
sonore, son regard alternant entre ma main et mon visage. Il prend ma main puis gratte
lui-même la structure et me regarde à nouveau comme dans l’attente de ma réponse. Un
échange sonore se met en place. Goran est à l’aise. Son regard, sa posture et ses mimiques
sont adaptés. Je perçois à ce moment-là l’émergence d’un dialogue. Goran se dirige vers
le tableau noir et y réitère l’échange sonore : à chaque réponse de ma part, il oriente son
corps et son regard vers moi puis sourit. Progressivement, cet échange se transposera à
d’autres espaces et objets à l’intérieur de la salle mais également à l’extérieur, tel qu’a pu
le relater Madame F... Plus tard, Goran initiera ce dialogue à plusieurs reprises de façon
très adaptée. Je remarque également que son langage non verbal s’affine progressivement :
les échanges par le regard sont plus orientés, les gestes, intentionnels par définition, sont
plus nombreux et ses postures plus adaptées. J’observe plus de mimiques.
8 • Contenance en psychomotricité

Ces éléments peuvent être comparés à ce que met en œuvre le bébé lorsqu’il
communique avec son entourage sans avoir acquis le langage. C’est à travers sa
prédisposition psychique, sa « préoccupation maternelle primaire » pour reprendre
les termes de D.W. Winnicott (1956), que la mère peut comprendre et ainsi répondre
aux sollicitations de son enfant. En séance, il s’agit de nous mettre dans cette
prédisposition particulière afin de pouvoir comprendre les conduites de nos patients,
en particulier ceux qui n’ont pas acquis le langage verbal. Cette écoute particulière
permet un accordage entre les besoins du patient et les réponses que nous pouvons
lui apporter. Dans ses travaux sur le rôle du regard de la mère dans le développement
du moi de l’enfant, D.W. Winnicott (1971) envisage le visage ainsi que le regard
de la mère comme un miroir renvoyant une image et simultanément un premier
contenu à l’enfant. Il précise que cette fonction favorise l’accès à une contenance
psychique et « progressivement, le processus de séparation du non-moi et du moi
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s’accomplit » (Winnicott, 1971). En psychomotricité, on dirait que d’autres situations
peuvent également assurer ce rôle de miroir : le dialogue tonico-émotionnel en est
un exemple : accompagné d’un bain sonore, il permet aussi ce « réfléchissement
en miroir ». Il assure ainsi le développement d’une bonne contenance psychique.
Revenons à Winnicott : il envisage de même la tâche thérapeutique comme un miroir :
« ce dont il s’agit c’est de donner à long terme en retour au patient ce que le patient
apporte [...] le patient trouvera son propre soi, sera capable d’exister et de se sentir
réel » (Winnicott, 1971).

Au sein des séances de psychomotricité, les réponses apportées aux conduites de Goran se
font à travers différentes modalités : les prises de paroles créent une enveloppe sonore, le 147
porter une enveloppe tonique, les regards une enveloppe visuelle.

D. Stern parle à ce sujet « d’accordages affectifs comme des échanges dans lesquels
la mère traduit par son comportement un éprouvé affectif ou émotionnel du bébé
dont elle reproduit les propriétés (l’intensité, le rythme, la forme) ce qui donne au
bébé non seulement une représentation de son état subjectif mais aussi et surtout
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l’expérience d’un partage intersubjectif de l’affect, de l’état émotionnel » (Ciccone et


Lhopital, 2001). On retrouve l’idée du dialogue tonico-émotionnel entre la mère et
son enfant et, dans le processus thérapeutique, entre le psychomotricien et le patient.

Dans le cas de difficultés d’accordage au sein de la dyade mère-enfant, c’est le


psychomotricien qui, par ses propositions, permet ce partage tonico-émotionnel. En se
mettant à la hauteur de Goran, en apportant une enveloppe visuelle par le regard lors
des interactions, en verbalisant les différents vécus lors des échanges et en proposant les
différents porters, je suis dans un partage et dans un échange tonico-émotionnel. Nous
nous engageons, lui et moi, dans une relation où sollicitations et besoins de l’autre sont
pris en compte. Proposer à Madame F. de s’inclure dans les interactions l’a mise en confiance
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

et lui a permis une progressive compréhension des conduites de son enfant. Elle a pu
progressivement investir la relation de façon spontanée. Elle s’est mise à accompagner ses
gestes de la parole et du regard. Elle a verbalisé progressivement son vécu, s’est autorisée
davantage de mots sur les comportements de son enfant et a appris à y mettre du sens
en émettant des hypothèses. J’ai noté également qu’elle a tenté de mettre en lien ses
observations quotidiennes et les comportements de Goran en dehors des séances avec
ceux de nos séances. Ces éléments laissent penser qu’elle a prêté graduellement une vie
psychique à son enfant.

La capacité de rêverie maternelle et la fonction alpha


du psychomotricien
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À l’instar de la « fonction alpha » de la mère décrite par W.R. Bion (1979)
qui transforme les contenus anxiogènes de l’enfant exprimés corporellement, le
psychomotricien, en accueillant et mettant des mots sur les messages corporels - en
« détoxiquant » les « éléments bêta » - va contenir en mettant à disponibilité son
propre appareil psychique. Il s’agit là de tenter de donner un sens aux comportements
corporels afin de les rendre assimilables : la fonction contenante assure une fonction
symbolisante permettant une différenciation et l’accès à une conscience d’un soi
et d’un non-soi. Le sujet intériorise le modèle contenant/contenu et développe
son propre « appareil à penser ». Il tisse l’enveloppe psychique à condition que
148 les capacités d’attention requises et que le désir de l’objet soit présents. Face aux
conduites de nos patients, nous prenons le parti de mettre des mots afin d’accueillir
et de contenir leurs messages corporels en y mettant du sens. Ainsi nous tentons de
représenter et de symboliser ce qui est vécu corporellement.

Pour Goran, il semble que ces mises en mots et cette symbolisation soient un moyen
d’assimiler ce qui se joue et ainsi progressivement de pouvoir faire évoluer ses explorations.
En renvoyant à Goran que quelque chose se jouait autour de ses mains comme une sorte de
réceptacle de son vécu angoissant, il a pu se sentir contenu psychiquement. Lors de ses
explorations, les mises en mots ont pu répondre à certains questionnements et permettre
l’évolution de ses conduites. Il s’agissait d’accueillir le vécu angoissant de Goran et de le
métaboliser. Il a été alors rendu plus assimilable, « détoxiqué » pour reprendre l’image de
Bion.
Cette fonction semble avoir permis à Madame F. de mettre progressivement un sens sur
certains comportements de son fils et ainsi d’y apporter des réponses adaptées. En outre, en
accueillant le vécu de Madame F. sans jugement et en agissant comme un réceptacle de ses
« éléments beta », je l’ai aidée à investir la relation différemment : les mouvements agressifs
ont été moins fréquents. Elle a abordé la relation à son fils de façon plus sereine et adaptée.
8 • Contenance en psychomotricité

Elle a davantage accompagné les explorations de son enfant à travers son regard, ses paroles
et son engagement corporel. Elle a semblé plus à même d’apporter une enveloppe sonore
et visuelle. Elle a pu ajuster son dialogue tonique. Elle a repris progressivement confiance
en ses capacités contenantes et s’est sentie revalorisée dans sa fonction maternelle.

Rôle pare-excitateur et adaptation du psychomotricien


« Le pare-excitation correspond à une fonction qui « consiste à protéger l’organisme contre les excitations
en provenance du monde extérieur qui, par leur intensité, risqueraient de le détruire » (Laplanche et
Pontalis, 2007).

Cette fonction peut s’illustrer par le rôle de tiers « séparateur » qu’occupe le psychomotricien
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au sein de la prise en charge : il organise et délimite. À la manière de la mère « suffisamment
bonne » de Winnicott, il ajuste ses interventions en fonction des besoins, de la disponibilité
et de la disposition du patient. En ce sens, il est important de laisser l’enfant expérimenter
seul, de proposer des stimulations adaptées (au niveau de leurs propriétés, de leur fréquence
et de leur amplitude), de générer et accompagner les moments de manque et de frustration
afin que le patient puisse développer ses propres potentialités. Cette fonction s’illustre
par l’adaptation du psychomotricien : adaptation aux rythmes de l’enfant mais aussi à ses
sollicitations. Être suffisamment bon ne signifie pas être constamment présent mais savoir
ajuster nos interventions afin de pouvoir représenter un appui solide pour les symbolisations.
On permet ainsi le développement psychique nécessaire à l’ouverture aux autres. Au sein de
la prise en charge, le thérapeute assure un rôle de tiers séparateur. Proposer des stimulations 149
lorsque Goran est disponible aux interactions permet d’assurer le rôle pare-excitateur. Il
s’agit fondamentalement de pouvoir identifier chez nos patients les moments de disponibilité
tant corporelle que psychique et ainsi adapter notre comportement, notre engagement et
nos sollicitations. Il est également important d’introduire au besoin des temps de silence
et de « repos » permettant au patient d’intégrer les stimulations. Il ne s’agit ni de sur- ni
de sous-stimuler le patient mais bel et bien de s’adapter à ses besoins. Lors de la prise
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en charge de Goran, il a été nécessaire dans un premier temps de le laisser aller dans
ses stéréotypies (survenues suite à des sollicitations inappropriées pour lui). Celles-ci lui
permettaient alors de se retrouver. Peut-être même de se rassurer. Progressivement, les
manifestations stéréotypées devenant moins prégnantes, davantage d’expérimentations et
d’échanges ont alimenté les séances. Goran sollicitait davantage l’adulte : les échanges
par le regard se sont intensifiés. Ses gestes et postures se sont adaptés aux propositions.
Par exemple, il s’approchait de l’adulte en soutenant le regard, lui tendant une main et
l’emmenant vers un espace ou il initiait un jeu. Ainsi, il a progressivement été possible
d’introduire d’autres médiateurs (notamment des balles et ballons) et de solliciter Goran de
façon plus soutenue.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Dans la prise en charge mère-enfant, ce rôle s’illustre également par les échanges médiatisés
par le psychomotricien. Au début de la prise en charge, les stimulations de la mère s’avéraient
être sur-, sous- ou dys-stimulantes selon les cas, ce qui provoquait des réactions toniques
importantes chez l’enfant ainsi qu’un retrait de la relation. En mettant en lumière les
moments de disponibilité de Goran et en introduisant la mère dans les interactions avec
Goran, il s’agissait d’assurer ce rôle de « régulateur » des stimulations. Ainsi, Mme F. a pu
progressivement identifier les moments opportuns pour interagir avec son enfant. Cela a
favorisé les échanges et la relation. Elle s’est sentie revalorisée dans sa fonction maternelle.

Le dialogue tonique et tonico-émotionnel


en psychomotricité
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Le dialogue tonique correspond à un aller-retour incessant d’émissions et de ressentis
des états toniques respectifs des deux partenaires, généralement la mère et le bébé.
« Le bien-être se traduit par une détente qui est ressentie à travers l’autre, les tensions
deviennent de véritables messages d’appel. C’est de ce dialogue tonico-émotionnel
que naît le langage » (Potel, 2012). La dimension tonique et les interactions avec
l’environnement jouent un rôle fondamental dans la constitution des représentations
de l’organisme.
De par sa formation spécifique qui allie théorie et vécu du dialogue tonico-émotionnel,
le psychomotricien est particulièrement à même de détecter, comprendre, entendre et
150 mettre en mots les modifications du tonus de relation du sujet. Il apporte ainsi, par
des interventions corporelles et/ou verbales, une régulation des états émotionnels
bruts exprimés toniquement chez le sujet. Il lui permet ainsi d’intégrer les expressions
toniques de ses états émotionnels et avoir une incidence sur ses comportements qui
peuvent parfois être dévastateurs. Selon A. Bullinger (2011), la variation des états
toniques en lien avec le milieu humain (dialogue tonique, réaction tonique) participe
à la progressive distinction entre les deux faces de l’enveloppe corporelle. En premier
lieu, les variations toniques et ce qui les provoque sont fusionnés, indifférenciés.
L’anticipation du milieu va progressivement permettre de distinguer ce qui est de
l’ordre du propre ressenti (face interne) de ce qui le provoque (face externe). Les
variations toniques peuvent désormais être ajustées selon les situations.

C’est en intégrant les expressions toniques de ses états émotionnels à travers le dialogue
tonique et les mises en mots, que Goran a progressivement pu « moduler » son tonus en
fonction des stimulations. Les réactions toniques se sont graduellement tempérées laissant
penser que l’investissement émotionnel de ce contact a pu être atténué.
8 • Contenance en psychomotricité

La fonction contenante du psychomotricien trouve sa source dans l’articulation entre corps


et psychisme. Le psychomotricien, par son regard spécifique, son approche particulière du
corps dans ses aspects moteur et relationnel ainsi que par son engagement corporel au
sein de la prise en charge, aborde la problématique de l’enveloppe psychocorporelle par
un travail sur la contenance. À travers sa disponibilité psychocorporelle soutenue par le
cadre, ainsi que grâce à ses propres capacités de contenance, il tente de montrer au sujet
sa propre capacité à contenir tant son corps que ses pensées et ses émotions. La thérapie
psychomotrice vise ainsi à développer un sentiment de contenance psychocorporelle.
Dans la prise en charge mère-enfant, ce processus s’inscrit dans une double perspective pour
favoriser les interactions et la relation. En proposant un étayage de la fonction contenante
de la mère, celle-ci peut progressivement se réapproprier son rôle structurant dans le
développement de son enfant. En favorisant la contenance psychocorporelle de l’enfant,
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une relation peut s’engager et se dynamiser.
Ce travail peut s’étendre à tous les champs de la psychomotricité qu’il s’agisse d’enfants,
d’adultes ou de personnes âgées. Ces dernières peuvent présenter des pathologies
de la contenance émanant de troubles psychiques, neurologiques ou moteurs. Dans
le cas de la démence, les modifications corporelles et psychiques engendrées par le
vieillissement pathologique peuvent venir fragiliser l’enveloppe corporelle et psychique. Un
travail de contenance en psychomotricité pourrait permettre, notamment par la fonction
pare-excitatrice du psychomotricien, de retrouver une enveloppe psychocorporelle.

151
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES
8 • Contenance en psychomotricité

153

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Chapitre 9
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De la dépendance
à l’autonomisation
154
chez le sujet
alcoolo-dépendant
Vers une reconstruction de soi par la psychomotricité

Magalie Ramo
SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Illustration clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Quand le schéma corporel et l’image du corps se rencontrent . . . . . 158
Le retour de la libido . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
La richesse du vécu corporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Affirmation de soi, différenciation et distanciation . . . . . . . . . . . . . . . 165
Conclusion : de l’enfant... à l’adolescent... à l’adulte . . . . . . . . . . . . . 166
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155
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

INTRODUCTION

L’addiction montre et signifie une « contrainte par corps ». En effet, en dépit des
répercussions néfastes dans les différents domaines de la vie, le corps est pris dans et par
la répétition d’un comportement irrépressible, visant à la fois à produire du plaisir et à
éviter ou diminuer une tension interne.
Au contact de patients alcoolo-dépendants, il est évident de constater les dommages causés
par l’absorption répétée de grande quantité d’alcool sur le corps et le psychisme. Les
troubles de la mémoire, de l’équilibre, de la gestuelle et du tonus musculaire sont les plus
apparents pour un psychomotricien. Toutefois, en allant plus loin, on découvre que les
patients portent en eux les traces de traumatismes anciens comme des violences en tout
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genre, des abus sexuels, des sévices corporels, des abandons et des deuils. Mais ils peuvent
aussi avoir subi des défaillances répétées dans les interactions précoces et des carences
affectives pendant leur enfance. Ces expériences traumatiques ont pu générer des troubles
psychocorporels et psychoaffectifs.

Précisément, on observe chez les alcooliques, des troubles majeurs du schéma corporel
et de l’image du corps. Ils semblent enfermés dans un corps désaffecté qu’ils n’arrivent
pas à se représenter, à organiser dans sa motricité dans l’espace-temps, à ressentir,
presque anesthésié, et à s’approprier comme le leur. L’angoisse et le sentiment de
vide sont très présents.
156
De plus chez eux, l’excès de l’agir dans une recherche de sensations corporelles pour
se sentir exister dans l’immédiateté marque l’absence d’élaboration psychique mettant
en évidence une immaturité psychique et affective. Cette immaturité psychomotrice
s’accompagne de troubles de la régulation émotionnelle et relationnelle, et maintient
ainsi le sujet dans la dépendance, ce qui rend difficile la permanence d’une identité
propre et sécurisée.

La prise en charge psychomotrice peut permettre de revisiter l’histoire psychocorporelle du


patient alcoolique et ainsi l’aider à retrouver une sécurité interne et un équilibre sur le
chemin de l’indépendance.
Je vais ainsi vous parler de ma rencontre avec M. B., alcoolo-dépendant, suivi en psycho-
motricité encore aujourd’hui, pour illustrer l’accompagnement vers une (re)construction
psychocorporelle, c’est-à-dire pour lui vers une maturation du processus de séparation-
individuation.
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

ILLUSTRATION CLINIQUE

Cas clinique M. B.
M. B. âgé de 45 ans, célibataire sans enfant, a toujours vécu chez sa mère avec qui il entretient
une relation quasi fusionnelle. Il a un frère aîné avec qui les liens sont distendus et qu’il voit
une fois par semaine pour déjeuner chez leur mère. Son père est décédé d’un infarctus suite à
une embolie pulmonaire il y a 10 ans. Depuis son plus jeune âge, M. B. présente une importante
scoliose qui a nécessité de la kinésithérapie avec le port de plusieurs corsets et coques rigides
pour soutenir son dos jusqu’à son adolescence. Aujourd’hui il est reconnu professionnellement
en invalidité.
Après un premier contact avec l’alcool à 18 ans, il évolue progressivement vers une alcoolo-
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dépendance avec une consommation régulière, massive et nocive d’alcool à visée anxiolytique
entraînant une dépendance physique et psychologique. Ce n’est qu’en 2009, qu’il prendra
conscience de son addiction à l’alcool et entamera plusieurs cures de sevrage dans différents
centres. Ces cures sont marquées d’épisodes de crises convulsives généralisées et de rechutes
importantes. En février 2012, après une hospitalisation de sevrage d’urgence pour intoxication
éthylique aigüe, il arrive à la clinique S.S.R addictologie (Soin de Suite et Réadaptation) pour
une durée de cinq semaines en internat, afin de consolider son sevrage alcoolique. Lors de
ce premier séjour en postcure, adviennent de nombreuses complications somatiques rendant
sa présence très discrète lors des ateliers de groupe. À sa sortie, il est orienté en Hôpital de
jour mais son assiduité ne dura pas. Il rechute huit mois plus tard. Il revient en Mars 2013
pour un second séjour au S.S.R addictologie. Plus motivé et investi dans le soin, il participe à
tous les ateliers proposés et profite d’un suivi psychologique. J’entretiens plusieurs échanges
157
cliniques avec sa psychologue qui me décrit l’environnement et la personnalité de M. B. Avec
l’aval de son médecin référent, M. B. est orienté en psychomotricité pour un travail individuel
centré sur la gestion de ses angoisses, la diminution de ses tensions internes, la communication
émotionnelle, la stimulation des sensations corporelles et de son schéma corporel ainsi que sur
le réinvestissement positif du rapport à son corps avec la revalorisation de son image corporelle.
Lors de notre première rencontre en individuel, M. B. apparaît courbé, petit et la tête enfoncée
dans ses épaules avec une nette déviation de son axe vers la droite en raison de son importante
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scoliose. Les bras sont croisés. Le regard est fuyant. Ses vêtements sont larges et peu soignés.
Ses sourcils sont froncés, exprimant l’inquiétude. Il m’évoque un être fragile, insécure et apeuré
à l’idée de cette rencontre et de ce qui pourrait arriver ou lui être demandé. Je le rassure
en faisant le lien avec sa psychologue. Lors de ce premier entretien, me connaissant déjà en
groupe dans les ateliers de relaxation, il me parle d’emblée librement de son anxiété débordante,
accompagnée régulièrement de crises d’angoisse impossibles à réguler face à un environnement
extérieur jugé dangereux, persécutant et qu’il ne peut anticiper que négativement. L’anxiété et
les pensées négatives sont majorées face à des événements imprévus et aucune rationalisation
n’est possible. Il se dit constamment tendu et se plaint de douleurs corporelles associées. Son
seul remède est l’alcool qu’il consomme seul chez sa mère, lui donnant le sentiment de toute
puissance, la capacité de se défendre et la possibilité de ne plus « subir » son enveloppe
corporelle. Il fait le lien, brièvement, avec les violences physiques et morales subies en rapport
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

à son aspect physique ainsi qu’avec la souffrance vécue. Dans son discours, M. B. n’a pas de vie
sociale extérieure à sa mère et semble s’en contenter pleinement. Toujours très présente pour
lui, elle apparaît comme surprotectrice, omnipotente et omniprésente, lui conférant un statut
d’enfant. Son père, décédé, reste absent de son discours. Il ne semble pas avoir été un tiers
suffisant dans la relation mère-fils.
Suite à ce riche entretien qui me donne déjà de nombreuses informations sur M. B. dans son
rapport au monde et à son corps, je lui propose une courte évaluation psychomotrice. Face à
l’absence de critères d’évaluation spécifique et d’échelle psychomotrice pour le sujet adulte,
j’oriente mon examen psychomoteur essentiellement sur l’évaluation du tonus, du schéma
corporel et de l’image du corps.
À l’épreuve du ballant et d’extensibilité des membres, j’observe énormément de résistances et
des participations à la mobilisation. Il y a peu de ballant et d’extensibilité surtout au niveau
des membres supérieurs. Son corps est tendu et résistant. L’épreuve des bras tendus permet
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d’observer chez M. B. de nombreuses paratonies associées à des tremblements des extrémités. Le
relâchement se fait en « dent de scie » et les bras présentent une certaine raideur. Les réactions
tonico-émotionnelles sont importantes. Il est dans un désir de bien faire. Sa respiration est
saccadée et il transpire.
Pour évaluer son schéma corporel et son image du corps, je me base particulièrement sur son
discours autour de son corps et sur l’épreuve du dessin du bonhomme. Son tracé est tremblant
et très appuyé. Je constate un dessin peu évolué et simpliste. Le bonhomme est petit et mince,
dessiné de face en bas de la feuille. Les détails du visage sont absents. Les bras ne sont pas
proportionnés. La scoliose est apparente. Les vêtements ne sont pas représentés. Le bonhomme
est asexué. De même, la nomination des différentes parties du corps reste simple et parfois il
rencontre un manque du mot.
158 Cet examen psychomoteur vient illustrer le discours de M. B. pendant l’entretien. Il présente
des troubles importants de la régulation tonico-émotionnelle. L’anxiété est constante et
disproportionnée face aux situations. Son besoin de maîtrise est majeur. De plus, je note
un désinvestissement psychocorporel notable avec des troubles du schéma corporel et une image
négative de lui-même.

QUAND LE SCHÉMA CORPOREL ET L’IMAGE


DU CORPS SE RENCONTRENT

Au regard de l’examen psychomoteur et à l’écoute de ses propos, je me questionne sur la


construction du schéma corporel de M. B., sa place identitaire ainsi que sur l’existence et
la place de ses envies et sensations psychocorporelles. Monjauze rappelle que « le schéma
corporel est la manière dont on se représente et dont on situe son corps dans l’espace
[...] il peut avoir été bloqué dans son développement ou encore se trouver altéré par des
perturbations psychologiques ». (2001, p. 74). M. B., avec cette mère omnipotente, n’a pas
pu avoir d’espace à lui où s’approprier et habiter une enveloppe corporelle différenciatrice
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

pour construire son identité psychocorporelle. Merleau-Ponty précise que « le schéma


corporel est finalement une manière d’exprimer que mon corps est au monde » (1947, cité
dans Manuel d’enseignement de psychomotricité, 2011, p. 182). Avec l’alcool, M. B. semblait
remplir un espace corporel vide, prendre de la contenance et se réapproprier un corps perçu
comme le sien et non comme un objet lui permettant ainsi d’être entier et d’exister pour soi.
C’est pourquoi, lors des premières séances, en m’orientant autour d’un travail de relaxation,
je m’attache à lui proposer de trouver un espace à lui. Cet espace est d’abord matérialisé
par le cadre de la séance (hebdomadaire, en salle de relaxation et sur des tapis de sol avec
des coussins). Je l’accompagne dans l’organisation de cet espace de relaxation pour qu’il
soit des plus confortables et qu’il puisse s’y sentir bien et en confiance. De même, je l’invite
à prendre conscience de son espace corporel par ses points d’appuis du corps au sol, ses
limites ainsi que le mouvement et le poids des différentes parties de son corps. Un temps
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de respiration est consacré à prendre connaissance de son espace interne, du volume, de
la mécanique respiratoire et de ses conséquences sur le tonus. Au début, la mise en mot
du vécu corporel est difficile et l’élaboration psychique pauvre. « Je ne ressens rien, sauf
le mouvement de ma respiration. » ; « C’est comme si mes bras, mes jambes étaient creux,
vides. » Je constate qu’il se représente son corps comme neutre, comme un contenant en
hypertonie constante et sans contenu.
Le travail de relaxation se poursuit. Sa respiration devient plus profonde et régulière. Elle
s’automatise. Il est capable de reprendre les exercices seul et ressent, en séance, un bénéfice
sur l’abaissement de son tonus musculaire. Toutefois, il se présente toujours aussi anxieux
dans son quotidien avec des troubles du sommeil accompagnés de cauchemars fréquents 159
et de crispations intenses. Je décide de lui proposer de l’envelopper dans des couvertures
polaires pour le rassembler et recréer un environnement régressif, sécurisant et enveloppant.
Les premiers temps, je me suis surprise à prendre plaisir à l’envelopper. Je prenais une
position de mère bienveillante qui emmaillotait son bébé durant les soins. Ses premières
réactions n’ont fait que confirmer mon ressenti. Il me décrit son vécu : « J’ai eu chaud
J’étais bien pendant un moment. Puis j’ai vu une lumière forte et je me suis trouvé dans
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une salle d’opération. À ce moment-là, je n’étais pas à l’aise. J’ai eu besoin de sortir des
couvertures. Mais je n’y arrivais pas alors je me suis un peu débattu. Une fois sorti de la
couverture, ça allait mieux. J’ai ouvert à nouveau les yeux et j’ai respiré profondément.
C’est comme si je réapparaissais. » Je lui fais part de mon impression : il me racontait une
(sa) naissance. Il sourit : « C’est presque ça, je suis re-né. » Il ajoute, après un temps de
silence, qu’il n’était pas un enfant désiré par ses parents et l’accouchement de sa mère fut
compliqué. Les fois suivantes, l’enveloppement lui procurait de mauvaises sensations avec
des images négatives de cercueil et d’enterrement, générant un état d’angoisse. Dans une
visée de réassurance, j’y répondais par des inductions corporelles sous la forme de pressions
contenantes tout le long du corps en nommant chaque partie. Presque comme un bercement.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

À la fin de son séjour au S.S.R, M. B. poursuivit le soin en hôpital de jour quatre fois par
semaine dans la même structure. Ainsi, j’ai pu continuer le suivi.
Un jour, M. B. se présente agité et en colère. Il me raconte s’être fait violemment agressé
verbalement pour une cigarette sur le chemin de l’hôpital de jour. Cet événement l’a
particulièrement affecté, lui faisant revivre des moments douloureux de racket endurés
au quotidien durant son adolescence. Il raconte son passé de « souffre-douleur » et les
violences physiques et morales (moqueries, insultes, coups) de la part de ses camarades
de classe. Il m’exprime encore ému, dans une attitude crispée avec les poings serrés, avoir
eu peur durant des années avec un sentiment d’impuissance : « Je me sentais faible. »
Encore aujourd’hui il ressent des envies de vengeance : « S’il pouvait mourir d’un cancer du
poumon des cigarettes achetées avec mes sous, je serais content et vengé. » J’étais sidérée
et tendue dans l’ensemble de mon corps par l’évocation de ces violences. En même temps, je
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ressentais un fort sentiment d’empathie. J’imaginais les traces corporelles laissées par ces
attaques qui pouvaient se rejouer lors de ses alcoolisations. Je ne savais que dire. J’avais
la sensation d’être impuissante. Rapidement je me redresse et respire longuement, tentant
de retrouver une mobilité tonique ajustée.
J’oriente la discussion sur le rapport qu’il entretient avec son corps et son image. « Je
n’aime pas mon corps. Personne ne peut s’intéresser à moi », me dit-il. Je le questionne
sur les raisons et sur la façon dont il se perçoit. « Je suis trop petit et pas assez musclé,
c’est tout. », puis il ajoute : « Mon dos n’est pas beau », surtout sa « bosse » qui l’empêche
d’être libre de ses mouvements et notamment de séduire. Il précise que pendant son
160 enfance, il ne se préoccupait pas autant de son image alors qu’il devait supporter d’enfermer
son corps « déformé » dans différents corsets rigides. À 18 ans, période de racket et
début de consommation d’alcool, il abandonna tous les soins et appareillage. Le regard
d’autrui commençait à avoir un impact sur lui. Sa confiance diminuait. Il se renfermait
et s’auto-dépréciait de plus en plus. En l’écoutant, je fais le lien entre les corsets et
l’enveloppe corporelle protectrice au sens d’Anzieu. Une enveloppe dure qui le protégeait à
la fois de l’extérieur mais qui pouvait aussi le priver de soins corporels agréables (holding,
handling) au sens de Winnicott. Une enveloppe investie de manière objectale. En l’absence
de cette coque, le corps doit se protéger. Comme pour le bébé, si le corps n’a pas intériorisé
suffisamment de sécurité, il se crée en retour une enveloppe musculaire tonique insensible.
De plus, lorsque sont présentes des traces de traumatismes infantiles récurrents, l’image
du corps est fragilisée et peut devenir défaillante. C’est le cas chez M. B. pour qui chaque
reviviscence de ses traumatismes amenait à l’alcoolisation pour se défendre de ses angoisses
archaïques.
« L’objet addiction sert de prothèse à une élaboration corporelle non accomplie et permet de faire face
à l’intériorisation d’une image dévalorisée du corps et d’éviter la confrontation à toute représentation
intolérable » (André, Bénavides et Giromini, 2004, p. 95).
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

Monjauze précise que « l’image du corps dépend de nos relations maternelles précoces »
(2001, p. 79) et évolue en fonction de nos expériences psychosensorielles. Cette auteure
avait fait le constat d’une image du corps alcoolique désorganisée sans pour autant parler
de dissociation ou de morcellement. Par conséquent, face à l’hypertonie défensive et à
l’image corporelle négative de M. B., j’oriente les séances vers l’exploration des sensations
corporelles afin d’enrichir son vécu d’expériences corporelles positives, agréables, apaisantes
et structurantes. Je veille à consacrer une attention particulière sur tout le corps lors
des inductions corporelles. J’observe ce que Mijolla et Shentoub appellent « des zones
corporelles muettes » (1973, cité par Monjauze, 2001, p. 80), situées au niveau des jambes
et de l’hémicorps supérieur gauche. Ces zones quasi insensibles s’apparentent à ce qu’on
peut observer chez certains hémiplégiques. « Le corps alcoolique semble comme vide de
sensations » (Ibid., 2001). Monjauze émet trois hypothèses étiologiques au défaut de
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sensations chez le sujet alcoolique :
« Il est possible que certains alcooliques aient été des bébés peu sollicités, dont l’entourage n’a pas
rempli sa fonction maternante de nomination [...]. Les sensations de plaisir ou de déplaisir n’auraient
pas été établies » ; « Les mauvais traitements répétés anesthésient le corps, la douleur s’émousse » ;
« Défaut manifeste chez les alcooliques d’érogénéisation de la zone buccale, [...] l’alcool servirait chez
certains à tenter en vain de créer une zone corporelle sensible » (Ibid., 2001).

Dans le cas de M. B., j’émettrais une quatrième hypothèse complémentaire selon laquelle
son trouble du rachis peut entraîner un étirement des nerfs et causer un défaut sensitif.
J’utilise alors plusieurs médiateurs (balles sensorielles, coussin chauffant, objet vibrant)
pour stimuler dans leurs différentes couches sensorielles ces zones silencieuses et offrir à 161
M. B. la sensation d’un corps unifié et organisé. Ainsi, au fur et à mesure des séances et en
fonction des médiateurs utilisés, M. B. ressent de plus en plus l’ensemble de son corps et
peut même découvrir et identifier des zones plus agréables. Il investit progressivement son
dos longtemps délaissé et apprécie le passage appuyé sur ces parties douloureuses que sont
les lombaires et les cervicales. Avec un large sourire, tout en mobilisant de façon dissociée
son dos, il s’étonne et dit : « Je ne pensais pas que je pouvais bouger et ressentir mon
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dos comme ceci ! » Avec l’évolution de ses sensations, j’utilise de moins en moins d’outils
médiateurs et je me consacre au toucher thérapeutique. Dans l’histoire de M. B., je note
un corps peu investi dans le toucher et peu materné. Le toucher va exercer une fonction
contenante et apaisante et, au travers des sensations agréables qui émergent, M. B. peut
réinvestir son enveloppe et retrouver un sentiment de sécurité interne. Sur sa demande, je
centre mon travail sur son dos en pratiquant des points de pressions, des lissages et du
modelage. Son axe corporel reprend sens à ses yeux.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

LE RETOUR DE LA LIBIDO

Au cours de la prise en charge psychomotrice et en collaboration avec le travail de psy-


chothérapie qu’il mène avec sa psychologue, le travail de « reconnexion psychocorporelle »
permet à M. B. de se sentir mieux et retrouver du désir dans les différents domaines.
Au fur et à mesure des séances, il retrouve des sensations corporelles agréables qui
s’inscrivent en lui : une diminution de son anxiété et un plaisir à venir en séance. D’abord
plutôt introverti au début, passif dans sa prise en charge et dans une attente de la
demande et du désir de l’autre tel un enfant, il est aujourd’hui plus en confiance. Il prend
de plus en plus d’assurance et d’aisance pour s’installer. Il s’autorise à verbaliser ses
envies et préférences concernant le déroulement de la séance jusqu’à parfois prendre des
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initiatives sur les espaces/temps repérées dans la séance : « Bon maintenant, on passe
aux mobilisations ! » Il ose également exprimer ce qui le dérange, parfois à la limite des
familiarités : « Il serait bien que vous vous coupiez votre frange car je ne vous vois plus. »
Que venait-il signifier par cette remarque ? Était-il dans une confusion des limites générée
par un excès de confiance ? Amenait-il un début de séduction ? Ou venait-il questionner
sur la portée du regard de l’autre ? Plutôt très surprise au début, je me suis vue me tendre
physiquement et lui rappeler l’objet des séances. Avec du recul, j’ai réfléchi sur la fonction du
regard comme portage psychique dans la relation aidant l’autre à se construire en confiance.
Winnicott évoquait, dans les premières étapes du développement psychoaffectif de l’enfant,
l’importance du regard bienveillant de la mère qui, par un rôle de miroir, assure une fonction
162 d’étayage du moi. Monjauze précise que la plupart des alcooliques souffrent d’une image
corporelle incertaine et désaffectée. Ils « ne peuvent se voir dans leur réalité entière »
(2001, p. 86). Ainsi, M. B. semblait avoir besoin de la sécurité d’un regard soutenant et
probablement de se voir positivement à travers mes yeux.
En dehors des séances, il a de nouveau envie de réaliser des projets à l’extérieur (repasser
son permis, avoir un téléphone portable, aller sur internet et faire de la photo) et de
retravailler.
De plus, nous notons, sa psychologue et moi-même, un retour massif de sa libido. Monjauze
note une délibidinalisation du corps chez les personnes alcooliques en lien avec une pauvreté
de l’imaginaire corporel. M. B. a une vie sexuelle pauvre et n’a quasi jamais eu de relation.
Les psychanalystes parlent de « sexualité archaïque » axée sur le caractère auto-érotique
de la sphère orale chez les personnes alcoolo-dépendantes (André, Benavides, et Giromini,
2004, p. 100). Chaque séance est marquée par un temps de verbalisation, où M. B. exprime
avec intensité son désir de rencontrer une femme et de partager d’autres choses. Pas les
mêmes qu’avec sa mère. « J’ai beaucoup d’amour à donner. » Il commence à se rendre
compte des limites de sa relation à sa mère et qu’elle n’est plus suffisante à ses nouveaux
« besoins d’homme. » Cette poussée libidinale est majorée le soir et l’envahit dans sa tête
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

et dans son corps. Mais il semble démuni. Il ne sait quoi en faire. « J’y pense très souvent,
ça me pèse parce que je pense que ça ne m’arrivera pas [...] l’idéal serait de rencontrer
quelqu’un qui comprend la maladie alcoolique. » Face à cette nouvelle excitation débordante
et peu contenue, je me suis questionnée plusieurs fois sur le transfert de M. B. dans la
relation thérapeutique. Surtout lorsque le toucher est engagé. Passant de soignante à mère
puis à femme ? Mal à l’aise par moments, je restais en alerte quant aux éventuels signes
et allusions présentes dans son discours et dans son comportement et quant à tout ce qui
pourrait venir signifier une tentative de séduction de sa part. J’ai alors eu besoin, de manière
défensive, de redéfinir mon rôle de soignante et remettre un cadre précis dans les séances.
Physiquement d’une part, j’ai pris plus de distance spatiale lors des échanges verbaux. Ma
posture était plus tonique et fermée. J’ai réintroduit par moments des objets médiateurs
lors des mobilisations corporelles. Que j’ai davantage orientées sur les limites du corps. Ou
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j’adoptais un toucher plus ferme, moins long et accompagné de paroles. Verbalement, ma
voix était plus tonique et grave. Je tentais de recadrer les moments de verbalisations pour
les centrer davantage sur son vécu psychocorporel dans l’ici et maintenant, en le laissant
moins se disperser dans son récit. Lorsque je le questionnais sur ses désirs, je cherchais
le plus souvent à réintroduire de l’extérieur dans le discours. Je lui signalais ma place de
soignante dans l’établissement et je veillais à lui indiquer le déroulement de la séance ainsi
que le travail envisagé pour les prochaines séances. J’utilisais ma parole, ma voix et la mise
en mot dans l’idée d’une mise à distance du pulsionnel. Mais tout en restante contenante.
Dans sa théorie sur le processus de séparation-individuation, Margaret Malher montre les
différents modes d’attachement et de séparation de l’enfant envers ses parents. Elle met
en évidence outre le regard, l’importance de l’accompagnement par la parole permettant à 163
l’enfant une séparation plus sécure. De même, Défiolles-Peltier (2010) affirme que dans la
relation thérapeutique, la voix est un toucher à distance. Selon l’ajustement tonique de la
voix, celle-ci peut être perçue dans l’ensemble du corps et ainsi peut devenir enveloppante
et contenante. De ce fait, la parole participe au processus de prise de conscience mais
également de séparation-individuation.
Son réinvestissement corporel est notable également dans son évolution. Ceci est possible
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par le portage, le soutien, la contenance et le vécu d’expériences positives qu’offre le


toucher thérapeutique. Notamment dans le dos pour M. B. « Le travail autour du dos apporte
une sorte d’étayage postérieur, de holding » (Exposito, 2010, p. 132). Au fil des séances,
M. B. est beaucoup plus soigné et propre. Ses cheveux sont coiffés au gel. Il est parfumé
et rasé de près avec de nouveaux vêtements à sa taille. Il m’apparaît plus grand, redressé,
plus à l’aise dans sa gestuelle ainsi que plus ouvert et souriant après chaque fin de séance.
Un jour, il me montre deux photos de lui, une à son entrée en poste cure et l’autre récente.
Il les regarde. Je lui demande ce qu’il voit. « Je vois le changement chez moi. Je me sens
différent. Je suis moins bouffi, moins tiré, moins fatigué. Avec plus de couleur sur cette
dernière photo. Je me trouve mieux et les autres le remarquent. » Il continue à préciser,
souriant et plus droit, qu’il prend plaisir à présent à s’occuper de lui, à prendre soin de
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

son corps et à se faire « beau. » Il accepte de plus en plus sa nouvelle image. Sans crainte
de se regarder dans le miroir. « J’aime me regarder dans le miroir et voir tous les travaux
que j’ai à faire, surtout le weekend où j’ai plus de temps. » Il termine par se questionner
« comment une femme ne pourrait-elle pas voir et s’intéresser à un homme comme moi
tendre, affectueux et généreux ? »

LA RICHESSE DU VÉCU CORPOREL

Ce réinvestissement corporel s’accompagne chez M. B. d’une attention particulière et


régulière portée à son corps, ses postures, ses douleurs et ses tensions qu’il peut corriger
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seul par un relâchement volontaire sans contact. Une meilleure écoute de lui-même et
une meilleure aisance gestuelle et posturale s’observent. Avec le temps, une relation de
confiance s’est instaurée. Assis, il a même un jour relâché complètement son dos dans mes
mains. Il a pu profiter d’un étayage corporel offert par l’appui de mes mains soutenant
tout son axe corporel de manière sécure. Il s’est alors libéré à ce moment précis de son
enveloppe tonique. « Le relâchement tonique est nécessaire pour qu’il y ait ressenti de
sensations agréables et intériorisation du bon » souligne S. Robert-Ouvray (2008, cité par
Exposito, 2010, p. 133). M. B. verbalise s’être laissé bercer, complètement ancré. Comme
dans les bras d’une mère, ai-je pensé. Je poursuis le travail de relâchement corporel et
de portage sur les membres via des mobilisations passives. La participation au geste et
164 d’importantes paratonies restent encore présentes. Mais avec une meilleure conscience.
En séance, les verbalisations autour de son vécu corporel s’affinent, se précisent et
s’enrichissent. Elles sont de plus en plus profondes et liées. Il parle d’une « résonance,
une vibration qui me traverse. » Il peut sentir les différences entre tension/relâchement,
les différences de pressions ainsi que les sensations osseuses et musculaires. De même,
aujourd’hui il dit ressentir le besoin immédiat d’exprimer de plus en plus son vécu émotionnel.
Ce qu’il n’arrivait à faire avant. Cependant, je constate qu’il met, inconsciemment et
probablement de manière défensive, ses émotions à distance des faits marquants. Ceci
confère à M. B. des épisodes de « déprime » qu’il ne réussit pas à relier à des faits passés.
Cela le rend fragile face à une émotion qu’il ne comprend pas. Il a besoin d’étayage psychique
pour faire le lien entre ses sensations corporelles, ses émotions et ses représentations
émergentes. Toutefois, il se sent moins rapidement débordé par ses émotions et peut mieux
appréhender les situations jugées déstabilisantes sans anticiper négativement sur le futur.
M. B. retrouve peu à peu confiance en lui et estime de soi.
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

AFFIRMATION DE SOI, DIFFÉRENCIATION


ET DISTANCIATION

« L’enfant en recherche d’affection, qui ne s’est pas approprié son corps, ses limites, qui
ne peut reconnaître ses états tensionnels, n’est pas en capacité de s’opposer à la loi toute
puissante de l’adulte qui décide pour lui. » Exposito (2010, p. 134) résume bien la position
de M. B. dans sa relation à sa mère. Il évoque une relation fusionnelle et conflictuelle avec
sa mère. L’emprise de celle-ci sur sa vie ne lui a pas permis de se construire une identité
psychocorporelle établie, d’intégrer une sécurité affective et de s’affirmer. Cet enfermement
dans une position d’enfant, rend M. B. immature, insécurisé et dépendant. Avec l’alcool, il
recherchait un vécu de toute puissance et d’indépendance ainsi qu’un sentiment d’exister
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et de réappropriation de soi. Dans son incapacité de représentation et d’intériorisation de
bons objets internes, il utilisait l’alcool comme une « bonne mère. » Il remplissait ainsi le
vide interne et calmait ses angoisses. De plus, M. B. explique les enjeux et la fonction tiers
que prenait l’alcool dans la relation maternelle : « Je buvais par vengeance des interdits et
limites que m’imposait ma mère. Plus elle fermait les portes et cachait les bouteilles, plus
j’avais envie de boire et je buvais. » Il souligne, comme l’enfant qui cherche les limites en
bravant les interdits parentaux, son besoin de s’affirmer, de se différencier et se distancier
de sa mère. Cette distanciation/séparation ne devenait possible pour lui que lorsqu’il était
alcoolisé.
Aujourd’hui, M. B. est abstinent. La communication avec sa mère s’est améliorée. Au fil 165
des séances, à travers son discours, il montre qu’il s’impose et affirme sa place chez lui. Il
prend des initiatives et des décisions pour lui sans crainte des réactions et émotions de
sa mère. Celle-ci lui fait plus confiance et l’autonomise. De même, il a renoué des liens
plus forts avec son frère. Celui-ci lui témoigne plus d’affection. L’inscription du travail
psychocorporel chez M. B., le sécurise et lui apporte de l’autonomie pendant les séances et
à l’extérieur. Dorénavant, il manifeste des demandes en séance. Les temps de mobilisations
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corporelles sont plus courts. Les temps de séparation sont moins chargés affectivement.
Il réutilise dans son quotidien les outils acquis en relaxation et s’est même acheté une
balle sensorielle. Il porte des intérêts plus orientés vers l’extérieur et se projette dans des
activités de loisirs. Il y a quelques mois, le changement et l’inconnu lui était anxiogènes.
Aujourd’hui, il commence à pouvoir envisager sans anxiété des rencontres extérieures. Il
veut renouer du lien social. Bien que le cadre de l’hôpital de jour reste encore un repère
important et nécessaire pour lui, il commence doucement à s’en détacher. Récemment,
il a demandé à ne venir que trois jours par semaine pour pouvoir se rendre à des cours
d’informatique près de chez lui.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

CONCLUSION : DE L’ENFANT... À L’ADOLESCENT...


À L’ADULTE

« Je ne vois pas le sens d’être abstinent, si je ne peux pas évoluer comme un homme. »
Cette phrase de M. B. montre toute la problématique de dépendance du sujet alcoolo-
dépendant. Exposito (2010) précise que le maintien du sujet dans la dépendance résulte
d’un échec partiel de son évolution vers la maturité affective et d’un processus de séparation-
individuation inachevé. Avec l’histoire psychocorporelle de M. B., nous voyons comment la
prise en charge en psychomotricité l’a aidé à s’approprier son corps, à le ressentir, à prendre
du plaisir et à recouvrer une sécurité interne et dans l’espace. Les angoisses sont désormais
réduites. Il y a une meilleure harmonie psychocorporelle.
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Tout au long du suivi avec M. B., et encore aujourd’hui, j’ai la plaisante sensation d’être
un témoin accompagnant du développement d’un enfant vers l’adolescence puis vers l’âge
adulte, l’aidant à passer de la régression à d’autres étapes du développement psychomoteur
jusqu’à l’autonomisation. Ainsi cette reconstruction identitaire psychique et corporelle peut
éloigner la nécessité de boire. Être abstinent, c’est pouvoir se séparer et grandir.

RÉFÉRENCES
166
ANDRE P., BENAVIDES T., GIROMINI F. (2004). semble impossible... » Thérapie psycho-
Corps et psychiatrie. Paris : Heures de motrice et recherches, 162, p. 126-135.
France.
MONJAUZE, M. (2001). Comprendre et
DEFIOLLES-PELTIER, V. (2010). Les vérités du
accompagner le patient alcoolique. Paris :
corps dans les psychoses aiguës. Paris :
Éditions In press, 3e ed. 2011.
Vernazobres-Grego.
EXPOSITO, C. (2010). « De l’emprise mater- SCIALOM P., GIROMINI F., ALBARET J-M.
nelle à l’inceste chez le sujet alcoolo- (2011). Manuel d’enseignement de psy-
dépendant : quand le dialogue corporel chomotricité. Marseille : Solal.
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NOTES
9 • De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet alcoolo-dépendant

167

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Chapitre 10

Leïla Bourguiba
de femmes enceintes
en psychomotricité
Accompagnement

dans l’eau
168
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SOMMAIRE

Les propriétés physiques de l’eau et les transformations


corporelles de la grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Les enveloppes sensorielles dans l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
L’eau, source d’équilibration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
Resistance hydrodynamique et prise de conscience du corps en
mouvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
L’immersion et la respiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Les portages dans l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
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Maternage et naissance de la vie psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
Les relations entre les femmes enceintes au sein du groupe . . . . . 175
Au sein de l’intimité du couple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Les proto-communications avec l’enfant in utero . . . . . . . . . . . . . . . . 177
La place spécifique de la psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
La réactualisation de l’image du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Quand le portage psychique prend corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
169
Réflexions sur le cadre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L
A GROSSESSE est une étape particulière qui symbolise le passage du féminin au
maternel. Les bouleversements physiques et psychiques de la femme préparent
l’accueil d’un enfant. La relation intime entre la future mère et le bébé, dans
un espace corporel partagé, se tisse pendant neuf mois. Progressivement, le
maternage prend corps. La naissance d’un enfant est à l’origine d’une identité nouvelle
pour les parents, modifiée par un changement de génération irréversible. Au cours de la
grossesse, la dialectique entre le « dedans » et le « dehors » questionne sur la naissance
de la vie psychique d’un individu.
Dans un cadre de natation loisirs, le groupe « prénatal » accueille en piscine des femmes
enceintes qui souhaitent une activité dynamique et de détente dans l’eau. Il ne s’agit
pas de préparation à l’accouchement, réservée aux sages-femmes, mais d’un moment
privilégié pour elles-mêmes. Pour être avec le futur père et préparer la venue de leur enfant.
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Par ses différentes propriétés physiques, le milieu aquatique anime les remaniements
psychocorporels qui rendent plus présente la venue du bébé. Pour la femme enceinte, l’eau
permet alors d’affiner des repères corporels qui sont continuellement modifiés.
Ainsi, l’accompagnement de la grossesse « normale » est une approche innovante de la
psychomotricité. Dans ce cadre démédicalisé, le psychomotricien s’intéresse aux transfor-
mations corporelles de la femme, transformations qui réactualisent ses représentations
de son corps. Il accompagne la prise de conscience corporelle par la mise en mots des
vécus somato-psychiques. Sur ce chemin de la parentalité, ses modalités d’écoute et
d’accompagnement vont étayer les futurs parents dans l’élaboration et l’intériorisation d’une
170 enveloppe tonico-émotionnelle contenante, support de la proto-communication dans la
dyade mère-bébé.

Le cadre « L’aquagym prénatale » se déroule dans un petit bassin (profondeur entre 70 et 120
cm afin d’avoir toujours pieds) pendant 45 minutes. Les femmes enceintes sont accueillies chaque
semaine dans une eau chauffée à 32° environ. Ce groupe ouvert est composé de 10 à 20 femmes
qui peuvent venir accompagnées du futur père, si elles le souhaitent, dès l’annonce de la grossesse
jusqu’au terme. Les séances sont encadrées par un maître-nageur et une psychomotricienne. Cette
collaboration permet de proposer des activités variées dans une co-création d’exercices associant
l’expérience du milieu aquatique et l’accompagnement de la prise de conscience du corps. Le
maître-nageur représente la garantie d’une sécurité. Il propose une certaine mise en forme du
corps adaptée à ce milieu. La psychomotricienne apporte l’écoute du dialogue tonico-émotionnel
ainsi que l’accompagnement des transfigurations psychocorporelles et des ressentis. Un temps de
parole est proposé après la séance afin d’évoquer les sensations apprivoisées.
Chaque séance se compose d’une série d’échauffements et d’étirements. Une position initiale
sert de point de départ pour les exercices : pieds à plat, genoux fléchis, jambes en abduction,
rétroversion du bassin afin de réduire la lordose lombaire accentuée par la prise de poids et de
volume du ventre. Cette posture assise et en appui sur l’eau, est un repère pour conserver la
référence plantaire. Elle favorise le relâchement musculaire au niveau de l’axe corporel sollicité
pour soutenir l’enceinte utérine. Proposés sur un rythme lent, les mouvements amples favorisent
une détente et ainsi une meilleure disponibilité pour une écoute perceptive fine du corps. Les
exercices s’organisent sur les schèmes moteurs primaires d’enroulement-allongement, base de
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

la motricité. Sur l’alternance de mouvements d’extension et de regroupement, l’inspiration et


l’expiration s’installent autour d’un espace intérieur, l’enceinte utérine. Un temps de détente par
différents portages clôt systématiquement chaque séance. Pendant cette relaxation à l’aide de
« frites », de draps ou simplement dans les bras du futur papa, la femme confie son corps à l’eau
pour se laisser porter.

LES PROPRIÉTÉS PHYSIQUES DE L’EAU


ET LES TRANSFORMATIONS CORPORELLES
DE LA GROSSESSE
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« Certaines matières transportent en nous leur puissance onirique, une sorte de solidité poétique qui
donne une unité aux vrais poèmes. Si les choses mettent en ordre nos idées, les matières élémentaires
mettent en ordre nos rêves » (Bachelard, 2005).

Le médiateur eau, privilégié en psychomotricité, prend tout son sens dans l’accompagnement
de femmes enceintes.
« Dans l’eau se ravivent les empreintes que nous ont laissé notre première enfance et nos premiers
contacts avec le corps d’une autre, notre mère » (Potel, 1999).

Les enveloppes sensorielles dans l’eau


171
Pendant la grossesse, les modifications hormonales (principalement HCG, progestérone,
oestrogènes) sont responsables de divers maux, comme les nausées du premier trimestre,
d’une hypersensibilité olfactive et d’un changement gustatif. « Je n’aime plus le café. Les
parfums trop forts me dérangent. Ma peau est différente » décrit Maud. Les changements
corporels liés à la grossesse impactent en premier lieu le feuillet cutané par une
augmentation de pigmentation et de pilosité et surtout du volume abdominal. Les femmes
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enceintes évoquent une différence de sensibilité tactile en parallèle à la modification de la


silhouette. À la piscine, le changement du maillot de bain témoigne des transformations
visibles de la grossesse.

Par sa douceur et son aspect cotonneux, l’eau offre une palette de sensations
(température, odeur, goût, toucher...). La peau a la première place dans ce contact
sensoriel. Cet élément prend immédiatement la forme du corps et matérialise ainsi une
enveloppe essentiellement sensorielle et tonique. De plus, la pression hydrostatique
crée un massage globalisant. Cette stimulation multisensorielle extéroceptive, associée
aux étirements qui impriment un allongement musculaire et ligamentaire, met en
relation les faces internes et externes de la peau. Première barrière protectrice,

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


l’enveloppe cutanée garantit l’unité du corps en délimitant l’espace intérieur du
monde extérieur.
En parallèle, les informations du tact léger et profond ainsi que celles transmises
par les récepteurs thermiques vont enrichir la représentation spatiale du corps. Cette
prise de conscience du corps en volume réactualise le schéma corporel de la femme.
« Le miroir de l’eau est moins de l’ordre du regard, du spéculaire, qu’un miroir à dominante
cénesthésique, lié à la sensibilité interne du corps et du mouvement » (Fernandez, 2003).

L’eau, source d’équilibration


La prise de poids au cours de la grossesse modifie l’organisation posturale. Des tensions
musculaires apparaissent. Une hyper-extension lombaire et une tension au niveau de la
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ceinture scapulaire tentent de compenser le poids abdominal. La poussée d’Archimède
atténue alors la sensation de lourdeur. Mélanie souffle : « Dans l’eau on se sent bien,
allégée. » À l’extérieur du bassin, les femmes enceintes marchent lentement. Une main
soutient le ventre. Le centre de gravité, déplacé vers l’avant, induit une augmentation du
polygone de sustentation. Les pas se raccourcissent pour réajuster ce nouvel équilibre. Or,
dans l’eau, l’association des deux forces, Archimède et pesanteur, pousse à la verticalisation.
En décubitus ventral, le corps immobile est amené spontanément à se redresser. En effet,
le point vertébral où les deux poussées exercent leur force est légèrement décalé. En
position allongée, le centre de gravité peut se situer vers la zone lombaire L5 et la poussée
d’Archimède en L1. Ainsi, ce phénomène physique est à l’origine d’un redressement spontané
172
pour aligner ces forces. L’eau permet donc de réactualiser la perception de la verticalité.
De plus, le milieu aquatique recrée l’effet d’apesanteur qui permet d’explorer les trois
dimensions de l’espace. Par exemple, l’atelier en petit groupe de « la machine à laver »
stimule le sens vestibulaire. Une femme s’installe en position d’enroulement fœtal, le dos
arrondi est présenté à la surface de l’eau. En tenant ses genoux, les hanches toujours
en ouverture, elle est invitée à se laisser balloter par des vagues produites par un petit
cercle de personnes autour d’elle. Le corps, plus ou moins relâché, tangue au gré de ces
mouvements subaquatiques. Ces courants massent l’ensemble du corps et participent à une
détente globale. « J’adore cet exercice, j’ai l’impression de flotter » poursuit Mélanie. Le
contrôle de l’équilibre aquatique affine alors les repères proprioceptifs ce qui développe
une certaine sécurité intérieure.
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

Resistance hydrodynamique et prise de conscience


du corps en mouvement
Les mouvements effectués dans l’eau vont être ralentis, plus amples et moins violents. La
consistance de ce milieu permet de créer des points d’appui afin de se laisser porter et
de se propulser. Ces appuis sont néanmoins fuyants et mobiles. La flottaison est donc un
équilibre nécessairement dynamique. « Ici, je peux de nouveau m’allonger sur le ventre
et me retourner plus facilement » décrit Marion. L’eau devient un espace de liberté de
mouvement et d’exploration. La « fusée » est un exercice d’allongement et d’étirement.
Les femmes sont invitées à se propulser sous l’eau en décubitus ventral par une poussée
contre la paroi du bassin. Lorsque la vitesse diminue, le roulis en position horizontale est
amplifié. Dans un ajustement tonique fin, la femme enceinte cherche à conserver l’équilibre
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à la surface de l’eau. Ici, la conscience de l’axe corporel, confondu avec l’axe vertébral, est
stimulée. Pour se redresser ensuite, la femme utilise l’eau en appuyant avec la face de ses
mains et simultanément elle bascule son bassin. Une fois l’appui plantaire retrouvé, elle
déroule ses vertèbres les unes après les autres, la tête émergeant de l’eau en dernier.
Parallèlement, la pression hydrodynamique provoque une résistance frontale aux mouve-
ments. Elle intensifie les informations extéroceptives et proprioceptives et donne des
informations sur la surface du corps. La femme enceinte peut ici vivre les changements de
position avec davantage d’aisance. À l’instar de l’enfant qui, à l’aube de la vie, apprend à
se mouvoir, la femme peut réexpérimenter les retournements, le passage à une position
assise puis debout. Cette résistance aux déplacements va permettre une meilleure prise de 173
conscience du corps en mouvement.

L’immersion et la respiration

Au cours de la grossesse, l’appareil respiratoire est concerné par les modifications


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anatomiques et physiologiques. Les changements de la configuration thoracique dus à


l’augmentation du volume abdominal, le diaphragme comprimé par l’utérus et l’action
de la progestérone modifient la fonction respiratoire. Durant le dernier trimestre de la
grossesse, les femmes se plaignent souvent d’être essoufflées.

Dans le milieu liquide, la respiration est troublée : l’expiration est la phase active. Or dans
le milieu aérien elle est plus passive. L’immersion peut également accentuer une sensation
d’oppression car les viscères sont appuyés et le diaphragme remonte. Néanmoins, l’eau permet
d’augmenter la capacité respiratoire. Lors des séances, la coordination entre les différentes
séquences gestuelles et les phases d’inspir-expir aide à créer un réflexe d’association entre
le souffle et le mouvement. Progressivement, la respiration devient plus profonde, lente et
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

consciente. Différentes approches permettent de la visualiser comme à l’aide d’une petite


balle flottante à déplacer ou par un trajet à effectuer sur une seule expiration. Les femmes
sont par exemple invitées à former un grand cercle et à le resserrer en avançant doucement.
Des vocalises graves nommées « grand ON » accompagnent l’expiration. Ces bulles sonores
aquatiques sont fréquemment associées à des mouvements d’étirements et de relaxation.
Car le son grave vibre le long de la colonne d’air et se diffuse dans l’eau ce qui détend le bas
du corps. L’eau intensifie ici l’écoute des perceptions corporelles depuis une action externe
(audition, vibrations tactiles) et également interne (vibration interne, respiration). Cette
concentration mobilise la tonicité globale en lien avec l’état affectif de la femme enceinte.

Les portages dans l’eau


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L’eau enveloppe, l’eau porte. Le temps de relaxation en fin de séance correspond à différents
portages par des « frites », des draps ou les bras d’une autre femme enceinte ou du
compagnon. Un soutien au niveau de la nuque et du bassin est systématiquement proposé.
La colonne vertébrale ainsi maintenue amène la perception de l’axe corporel. Annouk
explique préférer un soutien au niveau du coccyx dans un portage avec son compagnon :
« J’ai l’impression que tout mon corps est porté. » Ces points sont des références pour
un sentiment de sécurité de base. De plus, ces bercements dans l’eau engagent le corps
dans sa fluidité. Les courants deviennent des caresses qui impriment le feuillet externe
de l’enveloppe cutanée et offrent à la fois des sensations proprioceptives et vestibulaires.
Cette détente dans l’eau invite à une déconnexion mentale avec les références du monde
174
aérien. Dans ce moment d’introspection, la mère et l’enfant sont en communion, les mains
caressent le ventre et l’enfant y répond.

MATERNAGE ET NAISSANCE DE LA VIE PSYCHIQUE

« Enceinte » est un nom féminin qui définit ce qui entoure, protège un espace. À l’image
des poupées russes, l’eau délimite un premier espace autour des femmes, à l’intérieur duquel
le futur père enveloppe la future mère et l’enfant. Au sein de ces vacuoles, l’attention est
tournée sur le ventre de la femme, cette « enceinte » où l’enfant a élu domicile pendant 9
mois.
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

Les relations entre les femmes enceintes au sein du groupe


Lorsque la grossesse devient visible, la maman devient aux yeux de tous une femme porteuse
de vie. Le groupe de femmes enceintes suscite beaucoup d’intérêt. Pour les personnes
extérieures, ce groupe est fermé : la condition d’admission est d’attendre un enfant.
Au cours de l’année, de nouvelles participantes sont régulièrement accueillies. Un tour de
présentation permet de faire connaissance. « Nous avons fait l’échographie hier et c’est un
garçon » énonce fièrement Julia. « Mon mari voulait un garçon alors je suis contente pour
lui. » Marc sourit. Ses premiers échanges participent à la création d’un moment convivial et
complice. Ces témoignages spontanés nous font entrer dans ce moment si intime pour une
femme, un couple.
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Rencontrer d’autres femmes enceintes renvoie en miroir le propre état de grossesse. Cette
fonction spéculaire au sein du groupe permet d’intérioriser cette grossesse qui au départ
est peu visible. « Ça ne se voit pas du tout et d’être ici j’y crois davantage » pouvait dire
Amandine. Un sentiment d’incrédulité habite souvent la femme lors des premiers temps
de gestation. Être entourée d’autres femmes, dont le terme rend plus visible la grossesse,
permet à la future mère de se familiariser avec les modifications progressives de son corps.
« Au départ, j’étais contente, ça ne se voyait pas du tout, je pouvais encore faire comme
tout le monde. À la première échographie, j’ai réalisé que j’étais enceinte vraiment ! Et
venir ici, faire partie du "groupe des femmes enceintes" me permet de me rendre compte
que oui je suis bien enceinte » poursuit-elle.
Pendant les séances, les exercices proposés favorisent les échanges corporels entre les 175
participantes. La proximité corporelle et la relation au toucher sont des invitations à une
communication infra-verbale. Peu à peu, la main se pose entièrement dans un toucher
globalisant. En se portant entre elles, ces futures mères participent à instaurer un climat de
confiance, élaborant en groupe une enveloppe contenante. Prendre soin d’une autre femme
et veiller à sa sécurité développe les attitudes de maternage. Elles revisitent une forme de
holding et handling selon les termes de Winnicott. L’eau devient un support d’interaction. Le
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mouvement se propage par vagues entre les différents membres du groupe et transmet un
message de nature tonico-émotionelle. Les activités à deux ou en petit groupe favorisent
des échanges plus privés. La parole émerge spontanément pour partager les ressentis, les
émotions éveillées et souvent les inquiétudes autour de la future naissance. Les pères se
retrouvent parfois pour discuter, souvent rire et créent une complicité masculine dans ce
bain de femmes.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Au sein de l’intimité du couple


Le verbe « être » caractérise l’état dans lequel se trouve la mère « je suis enceinte » ; tandis
que le père ne peut exprimer son émotion qu’à travers le verbe « avoir » : « je vais avoir un
enfant ». Ils assistent souvent comme des spectateurs extérieurs aux chamboulements du
corps de leur compagne, presque exclus de la grossesse. Or, le père fait pleinement partie du
processus de maternité. L’accompagnement aux rendez-vous médicaux et à la piscine permet
de se familiariser avec la venue de l’enfant et de préparer leur futur rôle. Témoin privilégié
de ce passage de la femme à la mère, le père doit être un soutien pour sa compagne puis
un tiers dans la relation mère-enfant. Dans cette proximité affective, certains hommes ont
pu décrire faire une couvade. Mikaël raconte : « j’ai grossi comme ma femme. Parfois j’ai
des aigreurs d’estomac au même moment qu’elle » comme si tout semblait vécu à l’unisson.
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À la piscine, les hommes sont de plus en plus nombreux. Ils peuvent se montrer plutôt
réticents dans un premier temps à expérimenter ces activités aquatiques au même titre
que les femmes. Progressivement, ils trouvent une place plus active en veillant à la bonne
posturation de la future mère et lui réexpliquant éventuellement les consignes. Les bras du
futur père sont un support rassurant pour certaines femmes qui ont des craintes à l’idée de
mettre la tête sous l’eau.
Puis en fin de séance, le portage à deux est un moment privilégié attendu par le couple.
La mère s’installe en position allongée grâce à une « frite » placée sous les genoux, la
nuque repose sur l’épaule du père. Dans cette installation, il peut l’emmener simplement
176 « en balade » à la surface de l’eau ou s’allonger en dessous pour la porter. Ainsi enlacés,
ils se détendent, les mains posées ensemble sur le ventre maternel. Circulant dans le
bassin, je propose des vagues massantes qui réchauffent, témoignent d’une présence
attentive et favorisent une déconnexion mentale. À la fin de ce temps calme, je questionne
« Qu’avez-vous ressenti ? » « J’étais bien, ailleurs » explique Maud. « Je ne sentais plus
vraiment mon corps. » « Je ne me suis pas aperçu qu’on s’était déplacé » ajoute Guillaume,
son mari. « Je crois qu’il aime bien aussi ce temps, il n’a pas arrêté de bouger » complète-t-il.
Lorsqu’il s’approche du giron maternel, le futur père tisse une première relation avec
son enfant. Cette rencontre, par la voix et le toucher, représente pour le bébé in utero
la présence du monde extérieur. La peau de la mère devient l’interface d’échange entre
le père et son enfant. Pendant la séance en piscine, le fœtus bouge fréquemment et
particulièrement lorsque la mère se détend. Le père prend alors plaisir à faire de grosses
bulles sonores qui vibrent plus intensément dans le milieu eau et qui agitent l’enfant. Il
peut l’inviter à venir se blottir contre la paroi utérine, là où ses mains sont positionnées.
Ces gestes haptonomiques, développés par Frans Veldman, permettent aux futurs parents
de communiquer avec leur enfant et de créer une première complicité à trois. En effet, les
mouvements fœtaux, répondant aux qualités thymo-tactiles de la paroi utérine, nourrissent
les rêves du papa. Guilhem se confie pendant un temps de parole : « c’est étrange, mais
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

je rêve souvent de mon enfance, je repense à des personnes que j’ai connues enfant. »
Progressivement, cette communication infra-verbale s’affine. Le père peut proposer au fœtus
de se déplacer en suivant ses mains et ainsi de le bercer.

Les proto-communications avec l’enfant in utero

« L’utérus maternel fournit l’ébauche d’un contenant psychique ; il est vécu comme
le sac qui maintient ensemble les fragments de conscience du début de la vie »
(Anzieu, 1985). L’enfant se développe dans un espace unique entre lui et son enceinte
maternelle sous une peau commune. Au cours du développement embryonnaire, l’un
après l’autre, les sens s’éveillent. Dans le giron maternel, le fœtus perçoit la paroi
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utérine comme limitant ses mouvements en lui imprimant une posture d’enroulement.
Il n’y subit pas la loi de la gravité car le liquide amniotique dans lequel il baigne
est de densité comparable à celle de son corps. Or, le « traitement du flux gravitaire
par l’enfant comme soubassement de sa présence au monde » prend son origine
précocement au sein de la matrice originelle (Bullinger, 2012). Dans cette activité
aquatique, la femme bouge. Elle est ballotée et bercée. Ces balancements, perçus par
l’oreille interne du fœtus, vont stimuler son sens vestibulaire qui suit le développement
du système tactile. Dans cette communauté spatiale, la mère et l’enfant développent
une complicité sur des modalités toniques. Dans cet état fusionnel, la femme amorce
un travail représentatif qui lui permet de se glisser dans son rôle de mère.

À la piscine, l’évolution du positionnement des mains des femmes enceintes semble traduire 177
l’émergence de la préoccupation maternelle primaire. En début de grossesse, elles se laissent
porter. Les bras restent en flottaison à la surface de l’eau. Elles verbalisent alors qu’il s’agit
d’un moment agréable pour elles-mêmes et qui tranche avec les désagréments du quotidien.
Puis le ventre s’arrondit. Elles vont alors le caresser en réponse aux mouvements foetaux.
En fin de grossesse, les bras s’installent en position d’enroulement sous le ventre. La mère
semble déjà se préparer à porter son futur bébé. Ces gestes feront traces mnésiques et
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empreintes du vécu émotionnel de la maman dans le vécu corporel du futur nouveau-né.


« Il y a certainement avant la naissance une amorce du développement affectif et il est probable qu’il
existe antérieurement à la naissance une capacité à aller de l’avant dans le développement émotionnel »
(Winnicott cité par Golse, 2008).
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

LA PLACE SPÉCIFIQUE DE LA PSYCHOMOTRICITÉ

Les repères corporels habituels sont modifiés par l’état de grossesse et réinterrogés par le
milieu eau. Ici à la piscine, en tant que psychomotricienne, j’accompagne cette prise de
conscience du corps comme support du remaniement identitaire de la femme. Mon regard
se porte sur l’investissement corporel et la réorganisation de l’image du corps. L’émergence
des ressentis favorise la verbalisation des affects.

La réactualisation de l’image du corps


Les nouvelles perceptions corporelles de la grossesse étayent la construction d’une nouvelle
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identité. En posant mes mains sur les épaules de Laure, j’accompagne la prise de conscience
de son état tonique : « Laissez vos bras à la surface de l’eau. ». Elle peut alors se détendre.
Ces commentaires attirent l’attention de la femme sur ses tensions et sa posturation. Ce
moment du constat s’appuie sur une observation attentive afin que les vécus ne restent pas
uniquement pris dans le corporel et puissent nourrir la représentation du corps.
Souvent sous forme de plaintes somatiques, la femme enceinte doit faire un travail de
deuil de ses capacités passées pour accepter ces chamboulements. « Je ne peux plus faire
de sport. Les longs trajets à pied m’essoufflent. Je me sens fatiguée » disait Amandine.
« J’aime le fait d’attendre un enfant mais comme j’ai toujours été fine, cette prise de poids
178 me dérange » explique Virginie. La société véhicule une image de la grossesse où règnent
les sentiments de plénitude et de bonheur. Or, la réorganisation de l’image corporelle est
vécue de manière différente selon les femmes enceintes en fonction des représentations
corporelles antérieures et du vécu actuel de la grossesse. Certaines femmes expriment
vivre un sentiment de dépersonnalisation. Au fur et à mesure, Laure a pu exprimer « Je
me sens tendue, je ne reconnais plus mon corps, il ne m’appartient plus vraiment. » Ces
verbalisations indiquent un sentiment d’étrangeté face aux bouleversements corporels. En
interrogeant le reste du groupe, j’invite les participantes à rebondir à ces propos. Dans
cette dynamique relationnelle de confiance, un espace de parole libre s’instaure au sein
du groupe au sein duquel les ressentis peuvent se partager. « Moi, j’ai remarqué que je
me tiens plus éloignée pour parler, comme pour mettre une distance de sécurité » évoque
Déborah. La nouvelle silhouette modifie l’investissement spatial et la distance relationnelle
avec les autres. Par ailleurs, le giron maternel occupe une grande place dans la cartographie
de l’image du corps. À l’instar de l’homonculus sensitif, la représentation des différents
espaces corporels semble se réorganiser autour de cet espace ventral. Ainsi, les différents
exercices psychomoteurs permettent d’apprivoiser les modifications corporelles et de faire
les liens perceptions-émotions-représentations.
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

À « fleur de peau », les femmes prennent progressivement conscience de leur enveloppe


corporelle comme réceptrice des tensions et actrice du dialogue tonico-émotionnel entre
elles et leur bébé. Dans cette indifférenciation corporelle, la rêverie maternelle va alimenter
les premiers liens d’attachement. Ainsi, dans une communication pré-langagière avec la
mère, l’enfant prépare la symbolisation de son corps. Le regard du psychomotricien porte
donc sur ce dialogue corporel originel. Claire paraît émue après un exercice. Je le lui signifie.
Elle peut alors exprimer son inquiétude en fin de grossesse : « En ce moment, je le sens
moins bouger. » En réponse, celui-ci gigote. Elle sourit et semble être rassurée par son
enfant qui lui signifie sa présence vivante. Ainsi, l’« adaptation et les affects maternels sont
la matrice vitale de sa maturation, comme l’utérus l’a été pendant la grossesse » (Gauberti,
1993). En travaillant la mise en place, le maintien ou la consolidation du contenant
psychique à partir de l’expérience corporelle, le psychomotricien rend active la mère pour
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l’engager dans le langage corporel avec son nourrisson. Qualifier alors les états émotionnels
qui se manifestent permet d’affecter la situation et de les relier aux vécus corporels et aux
représentations.

Quand le portage psychique prend corps

Freud considère que l’enfant in utero se situe à la fois à un niveau d’investissement


narcissique et à un niveau d’investissement d’objet. « Habituellement, le narcissisme
de la femme est renforcé dans les premiers mois de la grossesse qui représentent le plus
souvent un "blanc d’enfant" c’est-à-dire que la représentation du bébé est souvent 179
absente. Progressivement, l’enfant apparaît dans le psychisme maternel sur un plan
imaginaire et fantasmatique » (Soubieux et Soulé, 2005). Cette grossesse psychique
est étroitement liée au vécu réel, à l’histoire personnelle ainsi qu’aux transformations
physiques de la maman. Elle revit de nombreux conflits qui ont traversé sa vie
notamment infantile (conflits archaïques et œdipiens). Certains psychanalystes comme
M. Bydlowski parlent de « transparence psychique caractérisée par une levée partielle
du refoulement habituel. » D’autres comme Racamier comparent la maternité à « une
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étape du développement psychoaffectif semblable à l’adolescence » (ibid.). Pendant


cette période, des réminiscences et des fantasmes habituellement oubliés affluent en
force à la mémoire sans être barrés par la censure. Les régressions archaïques de la
femme enceinte alimentent un état de fusion/confusion avec l’enfant. Il est étonnant
d’écouter les femmes enceintes parler avec grande liberté de leurs sensations, de
leurs émotions et de leurs rêves.

Le portage enveloppée dans un tissu est un moment fort qui invite à une forme de
régression. Un temps d’échange spontané est laissé au sein du petit groupe afin d’évoquer
les ressentis. Puis je leur propose de partager leurs vécus avec le reste du groupe. Les
femmes verbalisent : « Je me sens comme un fœtus dans son liquide amniotique », « peut
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

être que c’est ce que le bébé ressent. » Dans ce hamac flottant, certaines expriment :
« J’ai l’impression d’être comme le bébé. Comme si j’étais moi-même dans le ventre de
quelqu’un. » Cet atelier est une confrontation entre le bébé qu’était autrefois la femme
enceinte et la maman qu’elle devient. L’eau et le tissu remobilisent des images premières
du corps. Ce fantasme revivifié d’une peau commune peut être à la fois source d’un vrai
lâcher prise et extrêmement inquiétant. Carine pleure « je ne sais pas pourquoi, je me sens
tendue » explique-t-elle. Les sensations corporelles peuvent faire surgir une émotion qui
n’est pas toujours consciemment reliée à une représentation. Ici, l’investissement corporel
du psychomotricien dans la rencontre avec la femme enceinte permet d’ancrer le dialogue
corporel en faisant des liens entre les mouvements tonico-émotionnels jusqu’aux mots
qui vont organiser le discours. Carine s’est isolée. Je lui propose de prendre le temps
de respirer. Je l’invite à suivre mon rythme respiratoire et progressivement elle s’apaise.
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« Que d’émotions, vous paraissez fatiguée. » Elle me répond : « En ce moment, je n’arrive
pas à dormir. » Elle raconte ensuite son inquiétude face à l’accouchement. Elle craint que
son enfant ne reste bloqué par le cordon comme ce fut le cas pour sa propre naissance.
La verbalisation de l’ambiance émotionnelle qui se dégage à ce moment lui permet de
remettre en lien sensations, émotions et représentations. Alors que l’empathie entre la
mère et l’enfant est une capacité intuitive, elle devient compétence professionnelle pour le
psychomotricien qui la pense comme un outil thérapeutique.

Réflexions sur le cadre


180
La grossesse est une période où le temps est suspendu à la future naissance de l’enfant.
Cette fête prévue s’accompagne d’un renoncement pour la femme enceinte : celui d’accepter
que cet enfant poursuive son développement hors de son sein. Les dernières séances à la
piscine préparent progressivement l’arrivée prochaine du jour J. « J’ai du mal à m’y faire,
j’ai l’impression que c’était hier mon premier cours à la piscine » décrit Victoria. Les cours
hebdomadaires s’inscrivent dans une rythmicité qui ponctue le quotidien du couple. La fin
de l’activité en piscine symbolise également la fin de la grossesse. Les femmes enceintes
sont très émues au dernier cours. Elles ont du mal à quitter le bassin. Les angoisses face à
l’accouchement et aux douleurs des contractions sont évoquées. Puis elles peuvent aborder
leurs inquiétudes de l’après naissance : « vais-je savoir m’occuper de mon enfant ? »,
« va-t-il m’aimer ? »
« La gestation humaine fait partie des gestations longues... elle n’est pas terminée à la naissance et
l’utérogestation se prolonge en extérogestation » (A. Montagu, 1979).

Dans ce cadre de natation-loisir, les cours peuvent s’inscrire dans un cadre « éducatif » où
l’eau favorise les expériences perceptivo-motrices. La présence du psychomotricien dans
l’eau permet de dépasser le cadre de « gym prénatale. » Il invite les femmes enceintes et
les couples à développer une attention perceptive fine de leur corps. Par le rythme lent
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

imposé, il les accompagne vers une revalorisation de leur capacité d’écoute corporelle, de
maîtrise gestuelle et d’autonomie.
Cette activité peut représenter également un travail de prévention. Certaines mères vivent
une grossesse difficile (menace d’accouchement prématuré par exemple). Ce moment en
piscine soulage aussi les douleurs et apaise les contractions utérines. L’accompagnement
à la parentalité implique la prise en considération de la vulnérabilité psychique au cours
de la grossesse pour la femme et pour l’homme. Certaines grossesses non programmées,
des histoires personnelles difficiles, certaines fragilités émotionnelles de la future mère ou
des inquiétudes face à la santé de l’enfant sont des situations qui peuvent faire émerger
des angoisses latentes. Dans un cadre prophylactique d’éventuels écueils de la relation
parent-enfant, le psychomotricien accompagne l’émergence des conduites de maternage à
travers les différents ateliers proposés.
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Parfois, un soutien thérapeutique se dessine afin d’accompagner plus spécifiquement la
venue prochaine de l’enfant et la relation précoce qui se noue. Le regard de dépistage du
psychomotricien permet alors d’orienter précocement vers des lieux d’écoute une femme,
un couple, lorsque des difficultés d’investissement corporel et du futur enfant semblent
s’installer.

CONCLUSION
181
Durant 9 mois, les corps de la femme et de l’enfant se métamorphosent à l’unisson. Au
cours de la grossesse, la future mère doit constamment s’adapter aux remaniements de
ses repères somatiques. L’enfant rencontre des proto-sensations qui vont s’ancrer dans sa
mémoire corporelle. L’enceinte utérine est à la fois un premier contenant imperméable et
une surface d’échange avec ce milieu extra-utérin représenté par le père.
« Le début de la vie psychique se situe dans un espace qui préexiste à la réalité corporelle de la
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naissance, à savoir dans la pensée des parents » (Boscaini, 2004).

La maternité est un domaine où la psychomotricité est encore méconnue. À la piscine, avec


l’eau comme médiateur, le psychomotricien accompagne la réactualisation de l’image
du corps de la femme enceinte. Cette dernière est entendue à la fois à un niveau
d’épanouissement individuel et dans son processus identitaire de future mère. Le giron
maternel qui occupe une place centrale dans sa représentation somatique est investi comme
milieu au sein duquel la vie peut se développer. Ainsi, des perspectives d’accompagnement
en psychomotricité pourraient se développer pour soutenir en amont l’investissement
corporel chez la femme en situation d’infertilité.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Pendant cette maternogénèse, la femme élabore ses capacités d’adaptation pour son futur
enfant dans ce moment qui pousse à une introspection d’origine physique. La psychomotricité
soutient les transfigurations de sa perception corporelle et sensibilise au langage infra-verbal
originel avec le bébé. Grâce au dialogue tonico-émotionnel, qui s’inscrit notamment dans
le toucher et le portage, elle favorise l’émergence des ressentis et des éprouvés dans une
sécurité émotionnelle. Elle pourrait alors trouver sa place en maternité dans des propositions
de relaxation lors de l’accouchement et dans la rencontre avec le nouveau-né.
Dans cette dialectique entre le dedans et le dehors, le psychomotricien touche au mystère
de l’origine de la vie. Freud disait déjà : « Il y a plus de continuité entre la vie intra-utérine
et la toute petite enfance que l’impressionnante césure de l’acte de naissance ne nous
donnerait à le croire. » La psychomotricité est une démarche inédite qui prend sens dans le
chemin vers la maternité. Ainsi, elle pourrait également accompagner la femme enceinte
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qui présente des difficultés psychoaffectives s’inscrivant dans des troubles de la perception
du corps.
Sur les voies de la parentalité, la psychomotricité est un lieu privilégié où prennent sens les
liens entre éprouvés, affects et représentations. Ces articulations permettent l’exploration,
la réactualisation de l’image du corps et le tissage d’un premier langage au sein de la
dyade parent-bébé. Ainsi, par sa disponibilité corporelle et psychique, le psychomotricien
représente une présence physique, un support contenant, une enveloppe symbolisante.

182
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

RÉFÉRENCES

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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
10 • Accompagnement en psychomotricité de femmes enceintes dans l’eau

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Chapitre 11

Camille Goldman
Langage du corps,
langage verbal
Le corps des mots
186
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SOMMAIRE

Corps et mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188


Corps et blessures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
La rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
Violences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
La relation s’installe peu à peu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Le projet thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Les premières séances : entre sensations et verbalisations . . . . . . 194
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Évolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
Postures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Les liens entre sensations et narrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198

187
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

CORPS ET MOTS

Nous gardons tous dans un coin de notre mémoire le souvenir des contes d’enfants. Ces
histoires qui nous étaient racontées et portées par la voix et le corps de l’Autre. Et bien que
parfois nous en connaissions chaque mot, l’émoi intérieur restait palpable, comme si les
mots avaient une texture vibrant à notre corps, comme si chaque mot offrait tout un monde
de possibilités à même de tisser une toile de fond symbolique et porteuse de notre monde
imaginaire. Ce même monde que nous convoquons parfois dans l’écoute de nos patients.
Tout au long de ce récit, un certain nombre de mots seront inscrits les uns à la suite des
autres. Des mots qui tisseront un langage, celui d’un corps à qui il arrive une histoire. Celle
d’un corps pris dans le mouvement de la rencontre thérapeutique. Il s’agit de témoigner
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du lieu de la thérapie psychomotrice, de la dimension du corps dans les mots et des mots
imprégnés de l’expérience du corps. L’être humain est un être de langage. Le corps propre
ainsi que la réalité extérieure sont d’emblée saisis par le sujet comme porteurs d’un message.
L’histoire du corps résonne dans la vie psychique du sujet tout au long de son existence. Le
sujet tente d’« historiser » ses éprouvés corporels en une narration. S’interroger sur le corps
des mots, c’est poser la question du corps des origines, d’un corps imprégné de la présence
de l’Autre et ancré dans une histoire. Le corps des mots, c’est le corps qui rencontre le désir
de la parole. Qui devient « porte-parole ». Un corps imprégné de la présence charnelle,
vibrante et symbolique à la présence de l’Autre. Un corps éminemment relationnel. Un corps
porté par une mémoire qui tisse une trame narrative à l’intérieur d’un cadre symbolique qui
188 permet que s’inscrive un langage.

CORPS ET BLESSURES

Mais que se passe-t-il quand les mots nous racontent une toute autre histoire ? Celle
d’un sujet pris dans le trou béant laissé par la blessure de l’inceste ? Il suffit d’un geste
incestueux pour ravager tout l’espace du symbolique. Créer des trous de mémoire et des
trous de langage. C’est alors une autre langue qui se parle, une langue énigmatique qui
selon l’expression de Rioult (2013) dessine des hiéroglyphes à la surface du corps. De
véritables équivalents à des impasses réelles du corps. Un corps saisi dans l’enfermement
de la répétition, dans la temporalité autophage de la compulsion et de l’immédiat coupé
de l’ancrage d’un corps mémoire. Un corps courant après des miroirs invisibles du côté
de l’Autre pour chercher désespérément à se représenter. Un corps qui crie ce que des
mots désaffectés et vides ne peuvent dire ou mettre en forme. Les mots comme le lieu
intermédiaire entre le langage du corps et le langage verbal. Mais il arrive, en certains
territoires psychiques, que le langage du corps et celui des mots ne se rencontrent pas. Il se
11 • Langage du corps, langage verbal

tisse alors en coulisse un drame silencieux que le corps tente de déchiffrer dans des agirs et
des passages à l’acte. Dans cette économie traumatique, les mots sont une matière inerte,
sans texture ni relief, laissant le sujet soumis aux terreurs de l’informe selon l’expression de
Sylvie Lepoulichet. Ici il s’agit d’un corps où se tisse la trame de l’absence, celle de l’Autre
qui nomme et qui reconnaît, laissant la chair à vif, en attente d’être nommée, soumise aux
vagues du pulsionnels. Un corps qui ne trouve ni contours ni bords en un corps érogène.
Qu’est-ce qu’un corps qui ne soit pas psychique ? Et que nous dit ce terme à la mode de
psychosomatique : « comme si la chair n’était pas une mémoire et la psyché une physique »
pour reprendre les termes de Daniel Sibony.

Madame B.
C’est en racontant le suivi en psychomotricité de Mme B. que je me propose de réfléchir à cette
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question du langage du corps et du langage verbal, dans une tentative d’articuler un travail de
mise en sens, là où les attaques inconscientes de la patiente viennent détruire toute possibilité
d’inscription du corps vers un ailleurs, celui du monde symbolique. Nous verrons comment une
« poétique du corps », dans un langage métaphorique, permet une rêverie créative qui tisse
une enveloppe narrative nécessaire pour « survivre » à ce type de patient et qui crée un lieu
intermédiaire entre le langage du corps et le langage des mots. Et permet un lieu dans lequel
le corps peut s’éprouver à travers l’expérience de la sensorialité, espace dans lequel le corps
du thérapeute est largement engagé. C’est ce lieu que je me propose d’explorer à travers mon
expérience de psychomotricienne dans cette rencontre thérapeutique.
Retisser le parcours de cette patiente à travers son anamnèse m’a semblé difficile. Comme si
le procédé de mise en histoire était chaotique, tant les hospitalisations et le suivi de cette
patiente m’ont semblé fragmentés et discontinus. Il était difficile de pouvoir s’appuyer sur une 189
chronologie. En mettant en lien les hospitalisations avec le suivi de mes collègues du CMP, nous
avons pu rassembler des éléments de son histoire. Mme B. est suivie en psychiatrie depuis l’âge
de 12 ans environ pour des troubles graves du comportement, notamment alimentaires, et des
troubles de l’humeur. Cette entrée en pédopsychiatrie correspond entre autre à la séparation puis
au divorce de ses parents. Ils se séparent quand elle a douze ans. Sa mère, médecin généraliste,
et son père, pédiatre, ont eu quatre enfants ensemble. Mme B. est la seconde de la fratrie. Elle a
une soeur et deux plus jeunes frères. Mme B. a révélé à sa famille avoir été victime d’abus sexuels
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de la part de son père durant sa jeune enfance. Il semblerait que cette problématique n’a pas été
soutenue par la famille. Il faudra que Mme B. y soit incitée par un psychiatre pour qu’elle porte
plainte contre son père. Mais la procédure judiciaire entraînera un non-lieu. Débutent également
les hospitalisations successives. Mme B. se scarifie : coupures et brûlures nettement visibles
encore aujourd’hui au niveau des avant-bras. Elle tente de se suicider à de nombreuses reprises.
Ce sont d’ailleurs ces tentatives de suicide qui motivent bon nombre de ses hospitalisations. Elle
est régulièrement hospitalisée dans notre unité.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

La rencontre
Je rencontre Mme B. pour la première fois à l’occasion d’une prescription médicale de
psychomotricité lors d’une hospitalisation dans notre Unité de psychiatrie générale. Mme B.
est diagnostiquée comme état limite. Le médecin pense qu’elle a besoin d’un suivi à
médiation corporelle. Je vais donc à sa rencontre dans le service afin de lui proposer un
premier entretien. Mme B. est en pleine discussion avec un infirmier. Elle débite son flot de
paroles d’une voix monocorde et dans une importante agitation. Elle donne l’impression
qu’elle va arrêter de respirer à la fin de chaque phrase comme si elle manquait d’air en
permanence. Mme B. exprime une plainte somatique de manière très détaillée à l’infirmier.
J’éprouve alors un sentiment d’inquiétude. Elle entre dans les détails, se plaignant de
douleurs du dos car, suite à une tentative de suicide par défenestration quelques mois
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auparavant, elle a subi une opération nécessitant la pose de broches le long de sa colonne
vertébrale. C’est de cela dont elle parle là... au milieu d’un couloir... des broches dans son
dos... qui lui font mal... La scène est particulière, presque chirurgicale. Cela donne froid
dans le dos justement. Je me sens saisie dans mon corps par les mots que j’entends et
qui me glacent, comme s’il s’agissait d’une chair à vif alors que la blessure est pourtant
cicatrisée. La patiente, elle, semble de marbre. Elle est toute occupée à parler de sa chair
qui lui fait mal. Pourtant j’ai l’impression que c’est d’autre chose dont nous sommes en
train de parler, là. Mon collègue tente de mettre fin à cela. La patiente reste comme
accrochée à sa plainte. Elle ne semble pourtant rien vraiment demander. Elle n’entend
pas. J’interviens alors pour me présenter. À nouveau mais à mon intention cette fois-ci,
190 Mme B. reprend son discours plaintif, comme s’il n’y avait ni d’avant ni après. Une plainte
en suspens. Elle semble déverser cette parole à qui veut bien l’entendre. Je suis interpelée
par la dimension impénétrable de cette première rencontre. Je lui propose un rendez-vous
pour un premier entretien. Sortir de ce couloir... de ces mots qui se déversent me semble
alors nécessaire comme pour venir border cette parole agitée... Proposer un autre lieu pour
pouvoir l’accueillir.
Mme B. arrive à son entretien comme nous l’avions convenu ensemble. Elle fait irruption
dans la salle, s’agite et s’installe en face de moi. Je retrouve le sentiment éprouvé lors de
notre première rencontre, celui de ne pas pouvoir l’accueillir. Mme B. ne semble pas disposée
pour le moment à nous en laisser le temps. C’est un corps fermé qui ne peut rien recevoir.
Il semble que le temps et l’espace sont comprimés en un bloc compact et hermétique dont
la fonction serait de ne pas éprouver comme de ne pas ressentir. Comme s’il s’agissait de ne
pas se laisser traverser par la vie. Sa gestualité s’organise autour d’une « gesticulation »
comme un halo d’agitation qui l’entoure en permanence et qui semble avoir pour fonction
le brouillage et la confusion. Mme B. n’a ni centre de gravité ni point d’ancrage. Elle paraît
sans cesse éparpillée. Tout comme ses mots qu’elle jette les uns à la suite des autres. Une
parole qui tombe à plat. Il semble que les séances pourraient permettre d’offrir un sol à
cette parole dont le message est comme haché et éclaté. Comme s’il y avait du brouillage sur
11 • Langage du corps, langage verbal

la ligne. Que quelque chose s’invitait dans la conversation et rendait le message inaudible.
Comme si son discours, tout comme son corps, s’attaquait lui-même. Ainsi semble être la
force autodestructrice en œuvre dans l’univers psychique de Mme B... Non pas que les mots
ne veuillent rien dire... Mais de quoi parlent-ils ? Cela me procure la sensation étrange qu’ils
viendraient de l’extérieur. Comme s’il y avait de l’étrangeté dans cette parole qui pourtant
semble cohérente au premier abord. Ce sentiment d’étrangeté donne l’impression qu’elle
n’habite pas sa parole. Comme si celle-ci ne lui appartenait pas. Ou comme si elle venait
d’ailleurs.

Violences
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Elle me raconte alors d’une voix grave et sans relief des éléments de son histoire. Elle
commence par me parler des violences sexuelles qu’elle a subies enfant et qui, comme je
l’apprendrai plus tard, ont donné lieu à ce terrible verdict de non-lieu. Elle raconte cela
de façon détachée. Comme si ce n’était pas à elle que c’était arrivé. Pour la première
fois, je suis saisie par ce que son corps donne à voir : un corps écorché, scarifié, brûlé,
étranglé. Non pas bien évidemment que je n’avais pas rien remarqué auparavant. Mais à
présent, son corps semble occuper le devant de la scène et raconter quelque chose qui
échappe au discours. Le grand absent de la conversation semble être l’affect. Mme B. parle
beaucoup. Elle remplit l’espace d’un flot de paroles, comme dans une logorrhée sans espace
entre les mots, sans une respiration. Pourtant, dans tout cela, il me semble qu’elle ne
parle pas d’elle. Sa mère chez qui elle vit depuis son retour de l’appartement thérapeutique 191
semble le personnage principal d’un scénario dont la patiente se décrit comme rejetée
en permanence. Mme B. me dépeint le portrait d’une mère narcissique, effrayante et qui
prend tout l’espace. D’ailleurs elle dit que si elle est hospitalisée c’est parce que sa mère
« n’en peut plus d’elle. » J’imagine alors une figure du rétrécissement. Comme si Mme B.
devait rétrécir en face de cette mère et se faire la plus invisible possible. Pour ne pas la
déranger. Cette image contraste avec celle de Mme B. faisant irruption dans la salle de
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psychomotricité et dont le corps raconte à même la peau la souffrance à être que cette
parole agitée ne semble pouvoir dire. J’ai l’impression d’un corps en irruption qui fuit de
toutes parts. En plus de ses comportements automutilatoires, Mme B. souffre d’un cortège
de maladies somatiques : maladie de peaux diverses, asthme et insuffisance rénale. Bien
qu’il semble qu’autour de cette patiente la mort « rôde » dans une mise en tension entre la
vie et la mort, c’est à ce moment-là que Mme B. s’anime au cours de l’entretien. Sa posture
change. Elle se redresse et me regarde, ce qu’elle n’avait pas fait auparavant. Sa voix paraît
plus vivante. Dans l’évocation de ses maladies somatiques, elle peut alors prendre corps.
Paradoxe dans lequel le corps du sujet est pris : exister dans la tension de la mort et de la vie,
comme un funambule au-dessus du vide. Ainsi, sans qu’elle en soit consciente, le langage
du corps de Mme B. me mettait sur la voie de quelque chose d’essentiel : ses symptômes
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

somatiques semblaient avoir une fonction en tentant malgré tout un mouvement libidinal.
Je me rappelle alors cette scène à l’occasion de laquelle je rencontre Mme B. Scène dans
laquelle elle raconte à un infirmier combien la « chair de son corps » lui fait mal. Peut-être
faut-il rencontrer son corps à même la chair. Une chair béante qu’il faudrait sans cesse
réparer et recoudre. Comme si son corps habitait aussi un corps étranger et persécutant
contre lequel il fallait sans cesse livrer bataille. Comme si la phrase « tu es la chair de ma
chair » était prise au pied de la lettre. Peut-être était-ce de là que venait l’étrangeté de
son discours, cette impression de magma verbal que j’évoquais précédemment. La plainte
somatique viendrait-elle de là ? Dans une tentative de déchiffrer un message énigmatique
inscrit à même la chair. Comme si Mme B. convoquait sans cesse cette répétition mortifère :
« Est-ce que j’existe ? » Ce premier entretien m’avait laissée dans un sentiment de grande
inquiétude face au cri silencieux de ce corps. En même temps il m’est apparu pendant
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l’entretien que les paroles que j’avais pu prononcer pendant notre rencontre avaient glissé
sur elle. Cette impression d’être devant une véritable forteresse impénétrable ne m’avait
pas quittée. Je me rappelle d’ailleurs que j’avais eu très froid à la fin de cet entretien et que
j’avais éprouvé l’envie d’écouter de la musique. Je compris plus tard, au fil des séances, que
Mme B. me faisait l’effet d’une petite fille désœuvrée dans le froid glacial de son monde
interne. Fallait-il que je m’anime ? Que je m’agite moi aussi pour ne pas tomber dans le
vide ? Les figures de la chute se révéleront éminemment présentes dans ce suivi.
Je lui fais part du cadre que le médecin et l’ensemble de l’équipe ont pensé mettre en place
pour le suivi en psychomotricité. Et je lui propose que nous nous rencontrions deux fois
par semaine pour des séances de relaxation. Mme B. formule une demande du côté d’une
192
revalorisation de l’estime de soi.

La relation s’installe peu à peu


Pour sa première séance en individuel, Mme B. arrive maquillée. Elle donne à voir quelque
chose de nouveau. Elle porte des vêtements achetés récemment car elle a perdu du poids.
Mais alors qu’il s’agit de parler de son corps à elle, très vite sa mère apparaît sur la scène
car elle me dit : « Ma mère va encore me dire que je suis maquillée comme une pute mais
bon c’est pas grave je m’en fiche. » Je suis interpelée par le contenu violent de ce discours.
Mme B. jette cette phrase en séance, comme si cela lui avait été jeté à la figure. Que peut
lui renvoyer ce regard maternel ? Et comment peut-elle s’y retrouver et s’y reconnaître ?
Sans compter ce que cela dit du côté du corps sexué et féminin. Y aurait-il un danger à être
femme ? En disant cela Mme B. s’est blottie dans un coin de la salle derrière un gros ballon
qui la fait « disparaître ». Je la perds de vue. Elle est recroquevillée dans une posture de
fermeture, comme une petite fille inconsolable. Cette posture régressive rentre en paradoxe
avec ce qu’elle amène aujourd’hui en séance autour de ce maquillage et de ses nouvelles
tenues. Par ailleurs Mme B. s’est installée dans un espace qui semble la coincer. Comme
11 • Langage du corps, langage verbal

dans une impasse. Elle est immobilisée et coincée dans l’angle du mur, derrière ce gros
ballon qui la cache. Image saisissante que son corps agissant donne à voir : coincée et
bloquée dans son corps par une représentation maternelle toute puissante et dévorante
qui lui barre la route. Derrière cette façade de maquillage et de nouveaux vêtements qui
fait illusion, la petite fille qui se sent comme jetée au regard de l’autre – comme dans un
jugement – est toujours là, prête à disparaître face à la menace que ce regard désapprobateur
pourrait lui faire subir. Mme B. semble amener en séance un corps « déchet » investi sur
le registre d’un narcissisme négatif. Investi comme une surface d’inscription d’un message
énigmatique, cherchant désespérément une langue maternelle sur laquelle s’appuyer et se
nourrir. Effectivement, sa peau est marquée par les traces d’automutilations comme si les
mots étaient à la frontière de la peau. À fleur de peau. J’avais par ailleurs remarqué que
Mme B. se grattait souvent la peau pendant les séances, ce qui fait apparaître des marques
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rouges, certainement irritatives, à la surface. Ce surinvestissement de la surface semble
faire écran à ce qui me paraît représenter un manque de fond, un manque du côté de son
monde interne. D’ailleurs Mme B. a-t-elle un intérieur ? Cette chair à vif qu’elle donne à voir
semble nous convoquer dans sa détresse d’un espace interne vivant et sécurisant sur lequel
elle pourrait se reposer. J’avais été interpelée à plusieurs reprises par la difficulté pour
Mme B. à nommer ses sensations. Les séances tourneront donc autour de cela. Proposer à
Mme B. un espace d’étayage autour de ses éprouvés sensoriels avec différents médiateurs.
J’étais mise à cette place de mère « good enough » qui se préoccupe. Je lui renvoyais mon
inquiétude ainsi que celle de l’équipe, créant un espace où il s’agit de prendre soin. Il est
difficile pour Mme B. de porter attention à son corps.
193

LE PROJET THÉRAPEUTIQUE

Je proposais à la patiente un travail de relaxation qui s’appuyait essentiellement sur la prise


de conscience du corps. Compte tenu des difficultés perceptibles chez Mme B. à investir
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son corps propre, il me paraissait important de partir de ce qui semblait être la base :
l’aider à investir sa sensorialité d’une part et d’autre part l’accompagner, elle, vers une
représentation de l’installation en relaxation. Comment pouvait-elle engager son corps
dans cet espace ? Je lui proposais un endroit de la salle qui lui paraissait confortable. Je
mettais à sa disposition différents supports : tapis, draps, couvertures, tissus de textures
différentes dont elle pouvait disposer pour s’installer. Durant les premières séances, cela
semblait la laisser dans une grande perplexité, comme si elle ne savait pas quoi faire de son
corps. Comment l’engager dans l’espace et les objets qui l’entourent ? Il s’agissait alors de
pouvoir explorer sensoriellement. La petite fille dans son corps d’adulte ne semblait avoir pu
expérimenter ce plaisir teinté d’une dimension autoérotique. Il fallut que je l’accompagne
dans la nomination de ces éprouvés sensoriels car elle semblait bloquée.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Les premières séances : entre sensations et verbalisations


Voici quelques extraits de nos échanges lors des premières séances :
Psychomotricienne : « Vous vous rappelez les différents tissus la semaine dernière ? Je vous
propose de fermer les yeux vous allez tenter de les reconnaître au toucher et de raconter ce
qu’ils vous évoquent.
Mme B. : D’accord... Mais bon j’avais pas trop l’habitude de jouer quand j’étais petite.
Psychomotricienne : Ah bon ? Que faisiez-vous ?
Mme B. : J’étais souvent malade et puis comme je suis asthmatique je faisais attention... Ma
mère, elle m’engueulait parce que quand je m’excitais trop j’avais du mal à respirer alors elle me
disait : tu vois je te l’avais dit. Je lisais beaucoup et puis je m’ennuyais aussi.
Psychomotricienne : Vous avez des frères et sœurs ?
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Mme B. : Oui, mais à la maison c’était chacun de son côté. Non je n’ai pas le souvenir d’avoir
joué.
Il semblait que c’est bien ce que son corps donnait à voir. Un corps qui ne peut pour le moment
être médiatisé. Figé dans une inhibition.
Psychomotricienne : Alors si vous voulez bien fermer les yeux... Je vais vous proposer de toucher
ces différents tissus et de me dire à quoi ils vous font penser.
Mme B. : Oui mais quand je ferme les yeux ça me fait peur... C’est comme j’ai peur la nuit dans
le noir... J’ai toujours peur que quelqu’un rentre dans ma chambre pendant que je dors.
Psychomotricienne : Vous savez ce que l’on va faire ? Nous allons jouer chacune notre tour. Si
vous ne pouvez pas fermer les yeux vous pouvez mettre vos mains derrière le dos et je vous ferai
toucher les tissus.
194
Il me semblait important de soutenir cette expérience en m’engageant dans une relation
d’étayage car cela suscitait chez la patiente des résistances qui la protégeaient d’une angoisse
de perdre le contrôle par la fermeture des yeux.
Psychomotricienne : Alors, allez-y installez-vous... Voici le premier...
Mme B. : Je sais pas moi... Ca me fait penser à quand je fais des câlins à mes chats... C’est tout
doux... Et un peu soyeux... C’est le tissu vert ! J’aime bien parce que ça donne envie d’être toute
molle, blottie dedans.
Psychomotricienne : Mais vous pouvez... Si vous le souhaitez.
Mme B. : Oui... Mais bon il faudrait que je ferme les yeux... Et ça je peux pas...
Psychomotricienne : Vous pouvez simplement être assise ou allongée, en contact avec ce tissu
qui vous donne envie d’être “blottie dedans”... »

Évolutions
Nous voyons là l’ambivalence de la patiente. Qui au fil des séances est capable de nommer
ses éprouvés sensoriels et d’y associer des représentations, mais qui ne peut pour le moment
lâcher prise. Au fur et à mesure elle semble avoir pu expérimenter un étayage suffisamment
11 • Langage du corps, langage verbal

contenant dans une relation de miroir. Elle semblait pouvoir prendre appui sur un regard qui
n’allait ni la juger ni la condamner. Ce qui bien évidemment ne lui permettait pas de lâcher
prise. Pourtant, Mme B. évolua dans les séances. Voici de manière étonnante comment elle
se saisit de ce travail de sensorialité :

Mme B. : « Vous savez Camille, il y a quelque chose qui a changé... Maintenant je fais super
attention aux matières de mes vêtements...
Psychomotricienne : Ah oui ? Vous pouvez me raconter ?
Mme B. : Avant ça n’existait pas pour moi... Je veux dire d’être entourée par des sensations, j’y
faisais pas attention... Alors que là j’ai fait attention... Je me suis rendue compte que ça me
plaisait mes pulls, mes tuniques un peu soyeuses, douces...
Cette remarque de la patiente m’évoqua une image : c’était comme si elle était en train de me
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dire qu’à présent il y avait un corps, un sujet, qui éprouvait et habitait ses vêtements. Comme si
ce mouvement à travers la sensorialité avait permis de faire exister une enveloppe et de l’animer.
Au fur et à mesure qu’un travail d’appropriation s’opérait – vers la quatrième séance – il
me semblait qu’au fur et à mesure, l’“installation” en relaxation pouvait donner lieu à une
représentation plus contenante.
Mme B. : Je vais m’installer dans l’angle là-bas. En fait, je préfère. Je vais poser le tapis près du
mur.
Psychomotricienne : Ah oui ? C’est nouveau... Habituellement vous étiez plutôt installée près de
la porte.
Mme B. : Oui, mais en fait je suis dans le passage... Et puis y a plein de courants d’air alors que
là à côté du mur, c’est plus rassurant.
Psychomotricienne : Rassurant, c’est important comme ressenti... 195
Mme B. : Oui, ça fait comme si j’étais dans une cabane.
Psychomotricienne : Une cabane ? Vous en construisiez quand vous étiez petite ?
Mme B. : Pas vraiment... Mais je me rappelle qu’avec les draps de mon lit je faisais comme une
cabane. Une cabane pour se cacher dedans. »

Il semblait, dans les verbalisations de la patiente, que la petite fille en elle avait pu se
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montrer créative en transformant les draps de son lit en cabane ! C’est à nouveau cette
petite fille en elle qu’elle retrouvait en séance. Celle qui fait une cabane pour se « cacher
dedans. » Il semblait qu’en séance elle pouvait expérimenter un espace pour elle dans
lequel elle pouvait se « cacher ». Comme si à présent elle pouvait s’autoriser à lâcher et à
se créer une espace pour elle, ébauche d’un espace interne, vivant. Par ailleurs, cette notion
d’aller chercher un espace qui délimite (le mur) semblait aller vers une représentation dans
laquelle la patiente cherchait à présent à s’appuyer sur quelque chose qui puisse tenir et la
protéger. Quelque chose de « rassurant » qui lui permettait de ressentir ses limites. Elle ne
souhaitait plus « être dans le passage et les courants d’air. » Ainsi, elle pouvait s’installer
et engager son corps dans quelque chose qui semblait « constructif. » Elle s’était tout de
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

même construit une cabane ! Elle semblait faire là une autre expérience avec son corps.
Une autre que celle du passage à l’acte.

Postures
À présent, la patiente semblait plus réceptive aux différents tissus qui lui étaient proposés.
Au cours d’une séance où elle se plaignait d’être fatiguée, elle alla chercher un drap de danse
dans la salle. Elle se mit à l’intérieur et le remonta jusqu’au niveau du ventre. Elle garda les
bras à l’extérieur. Ce drap était couleur « chair » et la matière élastique collait à son corps.
Cette nouvelle initiative semblait teintée de colère. Elle me faisait penser à une petite fille
boudeuse et agacée. Je lui fis remarquer la posture dans laquelle elle s’était installée :
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Psychomotricienne : « Vous êtes allongée avec les bras croisés... Et il me semble que vous avez
toute la zone des mâchoires bien serrées aujourd’hui.
Mme B. : Oui ! Je me sens énervée ! J’en ai marre ! Personne ne m’écoute ici ! D’ailleurs je me
suis fait mal. Je me suis cogné le pied contre la porte de ma chambre (à nouveau la plainte
somatique qui réapparaît). Je me suis fait mal à l’orteil. Je boite maintenant !
Psychomotricienne : Il me semblait, à travers la posture dans laquelle vous vous êtes installée,
que vous semblez contrariée et en colère. Pourtant j’ai remarqué que pour la première fois vous
avez pris un drap pour vous envelopper...
Mme B. : Oui... Je sais pas... Ca fait plusieurs séances que j’ai envie d’utiliser ce drap... Mais
bon j’osais pas... Et là... Comme ça... Je sais pas.
196 À nouveau elle croise ses bras, et laisse un silence...
Psychomotricienne : Qu’est-ce que vous ressentez au contact de ce tissu ?
Mme B. : J’adore la couleur, et puis il est un peu brillant... Il est beau, il attire l’œil !
Psychomotricienne : Vous avez pris ce tissu aujourd’hui car vous le trouvez beau ? Il vous attire
l’œil... ?
Mme B. : Oui ! On le remarque tout de suite quand on rentre dans votre salle.
Psychomotricienne : Vous ne me parlez pas de la sensation de toucher que vous avez avec ce
drap mais de la vue !
Mme B. : Oui c’est vrai... Je sais pas... C’est bien quand c’est beau... On vous remarque...
Mme B. était entrée dans la salle en colère car elle ne se sentait pas entendue... Par personne.
Et elle choisit ce jour-là un “beau tissu”, “brillant”, “que l’on remarque tout de suite pour mettre
sur son corps”, à même la peau, un tissu couleur chair ! Il me semblait que Mme B. était comme
ces petites filles qui cherchent dans les malles à déguisement une belle robe de princesse. Elle
amenait en séance ce corps qui hurle qu’on l’écoute pour le draper dans un tissu qui attire l’œil !
Ici elle voulait que je la remarque ?
Psychomotricienne : Aujourd’hui, il ne s’agit pas de se cacher à l’intérieur de la cabane...
Mme B. : Vous savez, j’ose jamais porter des vêtements voyants... Alors que pourtant ça me
donne envie. Mais je me sens moche dedans... Je préfère être transparente. »
11 • Langage du corps, langage verbal

Mme B. évoque là des éléments de dévalorisation importants par rapport à l’image qu’elle a de
son corps. À nouveau le « vêtement » prend une place importante. Il représente ce qui habille
ce corps vécu comme « à vif » mais aussi comme une seconde peau. « Être transparente. » Par
ailleurs, la patiente restait dans une tension importante au niveau de sa mâchoire et de ses bras
qu’elle gardait fermés et croisés.

Les liens entre sensations et narrations


Par la suite, il sera question de cette dévalorisation du corps propre et de ce vécu chez
la patiente de se vivre comme « transparente ». Elle relie cela à un sentiment de honte
devant le regard de l’Autre qu’elle vit comme désapprobateur. Au fur et à mesure des séances
individuelles, Mme B. semble investir un espace interne plus consistant à travers un travail
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de prise de conscience du corps dans lequel elle nomme ses ressentis sensoriels que nous
relions à des souvenirs et à des affects. Les tentatives d’accompagner la patiente dans un
travail de liaison des expériences sensorielles, de ressenti d’un corps investi de l’intérieur
comme lieu possible d’un investissement autoérotique et de liaison libidinale semblent avoir
permis un processus de « narration » tissant une véritable enveloppe narrative et permettant
d’ancrer le vécu corporel de Mme B. De lui permettre de prendre de la densité. Dans les
verbalisations de Mme B., la problématique de la transparence se fait moins présente.
Après deux mois de suivi individuel à raison de deux séances par semaine, Mme B. me fait
part de son désir de mettre fin à l’hospitalisation. Je lui propose un entretien de fin de suivi.
Lors du dernier entretien, Mme B. me fait part de son inquiétude par rapport à l’arrêt des 197
séances. Le projet de mettre fin à son hospitalisation semble faire resurgir chez la patiente
une ambivalence par rapport à la question de la séparation. Je remarque qu’elle se gratte à
nouveau beaucoup la peau au niveau des bras.

Mme B. : « Oui, je sais pas pourquoi mes plaques sont revenues là depuis le début de la semaine,
c’est bizarre mais bon j’ai l’habitude... Je mettrai de la crème et puis voilà !
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Psychomotricienne : Cela me rappelle la séance où vous me disiez que votre mère ne s’occupait
de vous que quand vous étiez malade.
Mme B. : Oui... Depuis quelques jours je suis angoissée... J’ai envie de sortir mais bon... J’ai
peur... ! De recommencer mes bêtises. Vous savez, j’ai eu une permission hier et je suis allée
voir pour des CD de relaxation. J’aimerais en trouver un pour chez moi... Avec une voix qui
ressemble un peu à la vôtre.
Psychomotricienne : c’est comme si vous cherchiez à prendre avec vous une partie de ce que
nous avons travaillé ensemble... Ce vécu, il est à l’intérieur de vous maintenant ! »
Cet entretien de fin de suivi laisse apparaître les processus d’introjection en cours dans le travail
avec cette patiente qui souhaite « conserver » une partie du corps de la psychomotricienne.
Le projet d’investir dans ce CD pouvait être une tentative de se rassurer par rapport à cette
séparation. Il semble en effet que Mme B. a particulièrement investi ma voix comme la voix d’une
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

mère bienveillante, lui racontant des histoires avant qu’elle ne puisse s’endormir en sécurité.
Ainsi, le suivi de Mme B. m’a permis de comprendre que les mots sont un matériau éminemment
symbolique que nous pouvons manier avec une grande jubilation expressive lorsqu’ils se font les
porte-paroles d’une rencontre entre le corps et le désir de la parole. Nous rencontrons alors des
mots affectés qui ont une couleur ainsi qu’une texture vibrante et résonnante dans la relation à
l’Autre. Des mots qui permettent de partager un langage avec un Autre.
Mme B., dans son corps fermé, hermétique et mouvementé, raconte l’absence d’une rencontre.
Celle d’un Autre bienveillant et protecteur qui nomme et qui identifie dans un dispositif
spéculaire. La question du langage du corps et du langage verbal prend place dans cet écart
entre l’évènement-corps qui fait acte, laisse des trous dans le symbolique et vide la parole de
son sens. Laissant les mots exsangues tels une matière inerte. Des mots qui seraient peut-être
suspendus en un « non-lieu ».
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CONCLUSION

Pour finir, je dirais que bon nombre de ces réflexions sont le fruit d’un après-coup dans le
travail d’écriture et de mise en forme. Après-coup qui me semble nécessaire tant certains
patients nous amènent à une grande proximité des contrées psychiques du traumatique.
La clinique est toujours une rencontre singulière à laquelle ce travail d’écriture permet de
donner corps en tissant la trame de cette rencontre. Si parfois j’ai pu être floue et répétitive,
j’ai choisi de laisser les choses comme telles car ce travail m’a mise à l’épreuve. Après
198 réflexion il me semble que cela fait partie de l’histoire de cette rencontre thérapeutique et
de cette mise au travail. Car même si avec certains patients nous avons le sentiment de
ne pas y arriver et que nous traversons des sentiments de désespoir, nous avons au moins
la possibilité de partager notre sentiment d’inquiétude et d’incompétence. C’est peut-être
pour cette raison que nous écrivons des articles, que nous participons à des colloques et
que nous publions des livres. Nous pouvons partager entre nous notre expérience clinique
même lorsque des patients qui résistent au processus thérapeutique éveillent en nous la
terreur d’un travail interminable et la frustration narcissique de l’impuissance. Ils ouvrent
en nous des espaces potentiels et créatifs. Nous pouvons leur en être reconnaissants.
11 • Langage du corps, langage verbal

RÉFÉRENCES

MCDOUGALL, J. (2007). Théâtre du Je, Rioult, C. (2013). Ados, scarification et


Mesnil-sur-l’Estrée : Folio essais. guérison par l’écriture, Paris : Odile Jacob.
MCDOUGALL, J. (2008). Théâtre du corps, ROBERT-OUVRAY, S. (2007). L’enfant tonique
Mesnil-sur-l’Estrée : Folio essais. et sa mère, Paris : Desclée de Brouwer.
MCDOUGALL, J. (1996). Éros aux mille et un
SIBONY, D. (1995). Le corps et sa danse,
visages, Paris : Gallimard.
Lonrai : Éditions du seuil essais.
PIREYRE, E. (2011). Clinique de l’image du
corps du vécu au concept, Paris : Dunod. WINNICOTT, D. (2007). Le bébé et sa mère,
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Paris : Payot et Rivages.
LE POULICHET, S. (2003). Psychanalyse de
l’informe, Dépersonnalisations, addictions, WINNICOTT, D. (1971). Jeu et réalité, Mesnil-
traumatismes, Paris : Flammarion. sur-l’Estrée : Folio essais.

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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

200
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NOTES
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Chapitre 12
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À la recherche
d’un équilibre
202
entre corps et psyché
Sur la route de l’émotion au bonheur, comment trouver
sa place dans la vie et la confiance intérieure

Christiane Tancray
SOMMAIRE

Histoire d’Anne-Lise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205


Projet thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Entretien avec le psychiatre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Les deux premières séances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Les séances suivantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
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203
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

A
NNE-LISE est adressée à mon cabinet de psychomotricité et sophrologie par son
psychiatre. Cette indication est bien ciblée : il s’agit de travailler avec cette jeune
femme sur l’image du corps au moyen de mes outils thérapeutiques : la prise de
conscience du corps par la psychomotricité et la sophrologie.

À la suite de mes études de psychomotricité, je me suis formée à la sophrologie, ces deux


techniques me paraissant intimement liées. En effet, la psychomotricité vise l’harmonie de
la psyché et du corps. La sophrologie peut être présentée, de par son étymologie grecque,
comme « l’étude de la conscience en harmonie ». Ces deux pratiques ont des objectifs
communs dans la prise de conscience globale de la personne : meilleure compréhension et
acceptation de soi, le tout conduisant à un état de mieux-être.
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Après de nombreuses années d’exercices auprès de populations très différentes, j’ai pu
repérer et utiliser les liens et la complémentarité de ces deux approches. L’expérience m’a
permis de comprendre l’incidence des mécanismes et les enjeux de la sophrologie pour
pouvoir les adapter et les intégrer à mon métier de psychomotricienne. Les indications sont
donc particulièrement ciblées et visent à faire interagir à la fois le regard et la pratique du
psychomotricien et du sophrologue. L’un sans l’autre ne me permettant ni d’appréhender ni
de comprendre la situation pour pouvoir la faire évoluer.
Il relève donc bien de chaque professionnel de savoir se forger sa « propre identité » de
psychomotricien, en fonction de sa personnalité, de ses compétences et de la place qu’il
souhaite trouver dans le « monde du soin ».
204
Tout au long du travail que je vais présenter ci-dessous, vous pourrez appréhender cette
articulation entre psychomotricité et sophrologie. Dans ce suivi, la prise de conscience
du corps est bien l’affaire du psychomotricien mais aussi du sophrologue : mes séances
se déclinent au gré du temps par une approche purement psychomotrice et un travail en
sophrologie adapté à la situation ainsi qu’à mon expérience professionnelle.
Cette articulation est vraiment fondamentale pour trouver la spécificité de chaque approche.
La sophrologie m’est indispensable pour avancer dans mon métier de psychomotricienne.
Seule, elle ne me permettrait pas de comprendre dans leur globalité les enjeux de la prise
en charge.
Chaque psychomotricien se construit au fil de ses formations et de ses expériences. Il fait
en sorte de trouver les meilleurs « outils », ceux qui lui permettront d’exercer et de faire
évoluer sa pratique.
Chaque sophrologue agit dans le cadre qu’il connaît et qu’il maîtrise selon sa « formation
de base. » Ce qui, à mes yeux, paraît important, ce sont les places et limites de chaque
technique dans l’espace de thérapie.
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

HISTOIRE D’ANNE-LISE

Lorsque nous nous rencontrons pour la première fois en mai 2011, Anne-Lise est une jeune
femme brillante et âgée de 22 ans et demi. Elle termine ses études d’ingénieur. De son histoire,
nous retiendrons une naissance trois semaines avant terme dans un contexte douloureux. Décès
de son grand père maternel, la veille du mariage de ses parents, deux ans avant sa naissance. Ce
décès a réactivé chez sa mère le traumatisme de la perte de son jeune frère à l’âge de deux ans
et demi. Pour celle-ci, l’arrivée d’Anne-Lise ne se fait pas dans le bonheur et la sérénité. Mais
plutôt dans le « manque » et la tristesse.
Au moment de la naissance de leur fille, chacun des deux parents est en souffrance et réagit
différemment à cette situation douloureuse. Dans ce qui est dit, on a le sentiment que toute la
famille est restée figée autour de la souffrance. Qu’en est-il du désir de vivre ? Quelque chose
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s’est installé dans la famille d’Anne-Lise qui évoque ce qu’écrivait Françoise Dolto (1984) dans
L’image inconsciente du corps : « ...L’enfant est héritier symbolique du désir des géniteurs qui
l’ont conçu. »
Lors du premier entretien, Anne-Lise m’explique le chemin chaotique qu’elle a suivi et l’analyse
qui l’a conduite à venir consulter une psychomotricienne aujourd’hui. Au plus loin de ses
souvenirs, elle se souvient du stress qui l’envahissait en grande section de maternelle. À l’époque,
la rencontre ne l’angoissait pas. Par la suite, elle a été diagnostiquée « précoce » en primaire.
C’est à l’âge de 14 ans (en classe de 3e ), que, suite à une pneumopathie sévère, Anne-Lise démarre
un TCA (Trouble Compulsif Alimentaire) : une anorexie mentale qui nécessite une hospitalisation
d’un mois. Transférée ensuite en neurologie, elle va entreprendre une thérapie avec le médecin
psychiatre qui l’adresse en psychomotricité ce jour.
L’anorexie va involuer, pour laisser place à des TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs) vers l’âge
205
de 15 ans. Ces TOC se manifestent par une obligation de vérification excessive additionnée à une
pensée magique : dans les gestes de la vie quotidienne ainsi qu’au collège, elle doit se répéter
sans fin. C’est le domaine scolaire qui est surinvesti : il existe une réelle sublimation de l’intellect
au détriment du corps (corps qui n’existe pas à ses yeux) : « Avant, je n’étais qu’une tête », me
confie-t-elle après quelques séances. On retrouve là, le déni du corps caractéristique de cette
pathologie. Au suivi thérapeutique, s’ajoutent successivement des traitements médicamenteux
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de plus en plus lourds : zoloft® (antidépresseur), risperdal® (anti psychotique pour les troubles
bipolaires) et enfin dépakine® (antiépileptique). Parallèlement aux T.O.C, l’anxiété a grandi et
est devenue totalement envahissante.
En janvier et mars de son année de terminale, Anne-Lise doit à nouveau être hospitalisée, deux
fois deux mois. Mais le cadre d’hospitalisation est cette fois, beaucoup plus souple.
Ce parcours épuisant est tenu par le seul objectif de réussir brillement sa scolarité. Elle obtient,
dans ce contexte, son BAC avec 19 de moyenne. Ce qui lui permet d’intégrer ensuite sans aucune
difficulté une école d’ingénieur. La question de l’orientation ne se pose même pas : elle fait ce
que tout le monde (famille et enseignants) attend et pense qu’elle doit faire. De toute façon,
elle ne peut pas faire de choix : elle n’a pas de projet. Anne-Lise subit sa vie ! Elle est brillante
dans tous les domaines, scientifiques comme littéraires. Elle est acceptée dans cette voie et suit
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

donc un parcours tout tracé. Sans même s’interroger sur ce qui pourrait donner sens à « sa vie »
et l’intéresser. Ses préoccupations sont ailleurs.
Sa première année en école d’ingénieur est extrêmement difficile. Elle ne se sent pas à l’aise
dans le groupe. Si en fin d’année, les T.O.C régressent et ont pratiquement disparu et si elle
arrête le zoloft®, pour autant les symptômes évoluent vers des crises d’angoisse et de tétanie.
En fin de deuxième année, elle commence à s’intégrer dans le groupe. Elle part étudier quatre
mois à New York. Là-bas, elle ressent une nette amélioration.
Lors des trois dernières années d’études, les repères sont pris. Elle pense sortir de toutes ses
difficultés. La prise en charge médicamenteuse diminue progressivement. Elle prend uniquement
du lexomyl® et souhaite arrêter tout traitement.
Quand nous nous rencontrons, Anne-Lise est donc en fin d’étude. La moitié de son temps est
consacrée aux cours et l’autre à son stage avec la réalisation d’un projet d’étude. Très satisfait de
son travail, son employeur lui propose une embauche à l’issue du stage. Tout paraît se dessiner
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au mieux pour cette jeune « femme » mais ce projet de changement de statut, de « devenir
adulte » et d’entrer dans la vie professionnelle fait ressurgir toutes ses angoisses... « Je n’y
arrive pas, j’ai toujours peur de grandir... » En effet, cette peur envahissante de ne pas y arriver,
d’être confrontée à la (sa) réalité et de devenir autonome et indépendante est terriblement
angoissante pour Anne-Lise.
En reprenant toute son histoire, j’en viens à l’idée que la peur de grandir mais aussi les
changements dans sa vie ont été sources de « décompensation » et de souffrance.
Anne-Lise m’explique les ressentis qui l’empêchent de vivre sereinement une vie qui semble
pourtant se dérouler sans nuage. Jeune ingénieur, elle a le projet d’emménager avec son ami.
Inquiète, elle s’interroge. Ou a besoin d’être rassurée sur ce que je pense d’elle : « Vous devez
me trouver ridicule, une petite fille gâtée... ! »
206
De même, le médecin psychiatre qui m’a adressé cette jeune femme me questionne : Au début
de la prise en charge, ne me suis-je pas demandée les raisons d’une telle indication ? En effet,
en apparence, tout va bien. Anne-Lise « présente bien »... Rigoureuse et logique, elle met des
mots sur ses maux. Et pourtant, je ressens ce mal-être et ce décalage entre deux discours très
préoccupants. Ce besoin d’être accompagnée pour arriver, au-delà de la compréhension, vers
l’acceptation pour pouvoir vivre sa vie dans toutes ses dimensions. Quelque part, j’ai le sentiment
qu’elle est amputée d’une partie d’elle-même. Là, je pense que l’on peut parler de handicap.
Alors que ce type de difficulté n’est pas encore reconnu par la société comme tel.
Elle exprime cette difficulté à vivre avec son corps, qu’elle n’a pas rencontré ou qu’elle a oublié
depuis longtemps : « J’ai un esprit qui pense et un corps à côté. J’ai souvent l’impression de
marcher à côté de moi. »
Là aussi, elle reste figée psychiquement. « J’aurais voulu rester une enfant », me dit-elle en
précisant combien elle a vécu douloureusement toutes les modifications pubertaires. C’est à
l’adolescence que l’anorexie s’est développée, en lien avec ce refus de voir évoluer ses formes
et sa féminité. Encore actuellement, elle avoue cacher son corps. Elle ne supporte pas son
apparence. Il lui est encore très difficile de rester sur une plage en maillot de bain. Elle exprime
très clairement et très explicitement son mal-être. Elle ressent de plus en plus fortement ce
clivage entre son corps et son esprit. Cela lui devient insupportable. Elle a l’impression de « vivre
à côté d’elle ». Se sentant toujours mal à l’aise et n’osant pas non plus entrer en relation avec les
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

autres, elle ressent des moments de dépression et de grande détresse. C’est pour ces différentes
raisons qu’aujourd’hui elle consulte une psychomotricienne. À plusieurs reprises, depuis quelques
années, son médecin lui a parlé de la psychomotricité dans l’idée de travailler directement « sur
son corps ». Mais elle ne pouvait entendre cette proposition. Cette démarche ne pouvait faire
écho car son corps n’existait pas à ses yeux. Elle était trop aux prises avec le déni de celui-ci.
Comme s’il lui manquait un souffle de vie, Anne-Lise dit que souvent elle ne sait pas quoi faire.
Elle n’a ni projet, ni envie. Elle a essayé différentes activités : guitare, piano, tennis, escalade,
gymnastique et danse. Mais elle n’arrive pas à s’investir. Elle ne parvient pas à poursuivre ses
projets. Seul le ski lui procure des sensations et du « plaisir ». En fait, elle n’arrive à trouver sa
place ni dans une activité ni dans ses relations. Elle suit les propositions des autres en pensant
qu’elle ne peut rien apporter.
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PROJET THÉRAPEUTIQUE

Suite à ces observations, il ressort qu’Anne-Lise a un défaut massif de représentation de


son corps : des troubles de l’image du corps et du schéma-corporel sont associés à une
anxiété majeure.
Le cadre thérapeutique convenu ensemble reposera sur un suivi bimensuel en alternance
avec les consultations chez son psychiatre. Le projet thérapeutique, en lien avec cette
problématique, reposera sur la perception et la mise en jeu de son corps dans l’espace tout
en s’appuyant sur une technique de relaxation : la sophrologie. Notre approche visera la prise 207
de conscience du corps dans ses dimensions proprioceptive, perceptive et sensorimotrice.
Pouvoir vivre des éprouvés et reconnaître cette vie cachée qui est à l’intérieur d’elle-même.
Nous encouragerons et développerons le lâcher prise afin de l’aider à découvrir et investir
cet inconnu qu’est toujours à ce jour son corps.
Chaque séance démarre toujours par un entretien et, au vu de ce qui s’est déroulé dans la
quinzaine et des besoins d’Anne-Lise, j’adapte notre travail.
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ENTRETIEN AVEC LE PSYCHIATRE

L’activité libérale a cet inconvénient de travailler et donc de penser seule. Il est important et
nécessaire de garder régulièrement contact avec les différents acteurs de soin qui participent
au suivi du patient. Ces échanges aux moments clefs des prises en charge permettent de
maintenir et de réorienter nos projets si besoin.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Suite à la première rencontre, j’échange donc avec le psychiatre et nous reprenons les
points de fragilité d’Anne-Lise, son histoire, son manque d’investissement du corps ainsi
que son désir aujourd’hui de changer dans ses fonctionnements et de vivre autre chose.
« Aujourd’hui, elle est vraiment dans ses ressentis et a une grande envie de vivre ! »
Dans cette famille, la problématique de la séparation est très importante. Chacun est
resté figé dans sa souffrance. Anne-Lise reste très liée à sa mère. Toutes deux semblent
très fusionnelles. Un travail au niveau familial et au niveau individuel a donc été réalisé
mais reste à poursuivre. S’installer avec son compagnon dans les mois à venir paraît pour
Anne-Lise encore bien compliqué et s’associe à toutes sortes de questionnements. Son
médecin m’explique qu’au moment de la rencontre amoureuse elle a perdu 5 kg.
Cette jeune femme est fascinante par son évolution, son travail, l’analyse de ce qu’elle a pu
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vivre et vit encore ainsi que par ses ressentis. Je garde en tête que cette fascination ne
doit pas m’aveugler. Car si effectivement tout semble clair dans ses explications, Anne-Lise
est aux prises avec un profond désarroi et une profonde tristesse. Tout est loin d’être si
explicite !

LES DEUX PREMIÈRES SÉANCES

Suite à ce premier entretien, la quinzaine a été vécue péniblement avec des sentiments
208 de vide, de doute, de remise en question et de culpabilité. Elle prend un traitement en
phytothérapie pour calmer ses crises de larmes. Encore étudiante, elle est souvent obligée
de sortir de cours pour s’isoler et pleurer. C’est ce sentiment de tristesse sans raison qui
revient sans cesse depuis des années, même encore aujourd’hui dans cette vie où tout
semble si parfait.
Anne-Lise aborde ensuite son fonctionnement et cette nécessité de réfléchir avant d’agir
qui la culpabilise de ne pas laisser place à la spontanéité.
Nous démarrons donc une première séance de sophrologie. Après quelques informations sur
le travail et le principe de la respiration, je propose trois exercices dynamiques simples
pour réveiller la prise de conscience corporelle :
• le pompage au niveau des épaules pour libérer les tensions du haut du corps et débloquer
la respiration. Il s’agit d’effectuer des mouvements énergiques en haussant et abaissant
les épaules (« on pompe »), tout en synchronisant la respiration. Cet exercice permet la
prise de conscience du haut du corps, de la ceinture scapulaire et des bras. Ce travail
dynamique permet de ressentir son corps en prenant soin de soi. Il est possible d’avoir
un vécu douloureux, de retrouver de « vieilles douleurs oubliées » et de ressentir des
émotions ;
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

• les petits sauts sur place pour détendre tout le corps et se laisser aller en respiration
libre. Je lui demande d’effectuer de petits sauts sur place sur la pointe des pieds tout en
se relâchant globalement. Cet exercice permet de prendre conscience des jambes ;
• je lui propose, enfin, de se faire un cadeau : le geste consiste à élever les bras devant
soi dans un mouvement ample et harmonieux, la paume des mains ouvertes, puis de
rapprocher les mains au niveau des épaules avant de replacer les bras le long du corps.
Anne-Lise doit faire comme si elle voulait prendre beaucoup d’air ou se faire un cadeau :
se remplir de « bonnes choses ». Cet exercice se fait en respiration libre mais peut être
fait également en synchronisant respiration et geste.

Tous ces exercices sont accompagnés de mon discours. Je reprends les consignes et
j’accompagne le geste. Les exercices sont réalisés avec beaucoup de sérieux par Anne Lise
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même si les gestes sont un peu étriqués. Comme si elle avait peur de tenir trop de place
dans cette salle.
Je lui propose ensuite de s’allonger sur le tapis et de démarrer une sophrologie de base
(détente des différentes parties du corps suivie du relâchement mental). Le premier objectif
que nous nous fixons est de relâcher son corps. De ma place, je constate que s’allonger
et laisser son corps sous le regard de l’autre ne va pas de soi. Progressivement, dans un
accompagnement « bienveillant », elle parvient à faire abstraction de ma présence et à
détendre les différentes parties de son corps. Certaines tensions aux niveaux des épaules
et du thorax sont bien visibles. Mais, dès cette première séance, j’observe sa capacité à
mobiliser sa respiration malgré les tensions et le mal-être que lui procure ce nouveau travail.
209
Cette respiration qui doit être investie et maîtrisée pour gérer son stress !
Pour terminer, je lui demande d’écrire trois mots décrivant l’état dans lequel elle se trouve
à l’issue de cette première séance. D’une belle écriture Anne-Lise écrit : écriture, projet,
fraîcheur.
À la suite du temps de relaxation, le temps de verbalisation est très important. Il permet
à Anne-Lise de parler de son ressenti et de son vécu et de donner sens à ses éprouvés.
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Il s’agit d’un passage de l’infra-verbal (du vécu corporel) à la symbolique verbale. Dans
un premier temps comme spectateur. Au fil des séances, le travail se fait et Anne-Lise
prend conscience de son fonctionnement et de ses mécanismes de défense. L’histoire va se
construire et prendre sens dans cet espace entre veille et sommeil. Histoire conduite par le
son de ma voix – appelé le « terpnos logos » mode verbal doux et apaisant, sans notion
de lieu ni d’espace – lorsque lâcher prise sera possible, Anne-Lise aura accès à toute son
imagerie mentale. Je me dis souvent qu’il faut accepter de se laisser surprendre et recevoir
ce qui survient dans ces moments bien particuliers de détente où plus rien n’a de prise sur
nous et n’est plus maîtrisé. Il faut pouvoir accéder à cette disposition d’esprit pour avancer
dans la compréhension de nous-mêmes. Lors de cette première séance et des suivantes, le
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

vécu sera le même : le corps « présent » se détend mais l’esprit reste en bouillonnement.
Le clivage entre la tête et le reste du corps est toujours prégnant.
La deuxième séance sera axée sur une approche simple de psychomotricité. Modelage avant
et après mobilisation globale du corps.
– Modelage : la consigne est de réaliser son corps en pâte à modeler. On perçoit très bien
dans les réalisations d’Anne-Lise comment les exercices débouchent sur une perception
plus fine et plus précise de son corps. Globalement, le résultat est un bonhomme dissocié
avec des parties distinctes : la tête (une petite boule avec des yeux, une bouche souriante
et un nez), les membres supérieurs, une petite boule pour le thorax et l’abdomen et
enfin les membres inférieurs. Les mains et les pieds ne sont d’abord pas représentés.
La réalisation commence toujours par le haut du corps et la tête puis les trois autres
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parties qu’elle accole les unes après les autres. Sa représentation semble non unifiée. On
y repère uniquement des parties accolées. Le travail est propre et soigné. Nous verrons
plus tard combien le travail réalisé en psychomotricité lui permet de conquérir une
globalité corporelle.
– Mobilisations globales du corps : il s’agit d’exercices d’imitation de posture et de
coordinations. Cette approche est difficilement supportable car il faut cette fois bouger et
évoluer dans l’espace en présence de l’autre et se positionner sans réfléchir, simplement
en observant l’autre comme dans un miroir. Ici, elle ne peut plus se cacher.
Les coordinations exigent de la spontanéité. Tout comme lorsque l’on apprend à danser
et à se laisser guider par l’autre. Cet exercice renvoie Anne-Lise à son fort penchant pour
210 la maîtrise. Le vécu est négatif. Elle se sent gauche et maladroite. Elle a l’impression
d’être handicapée - « un pantin désarticulé » - et de ne pas pouvoir faire ce qu’elle veut
de son corps. La verbalisation est difficile et très dévalorisante : « Je sens une fermeture,
un certain dégoût et j’ai beaucoup de tristesse. » Nous pouvons parler de cette difficulté,
du manque de plaisir et de ce qu’elle aimerait mais n’a jamais pu faire avec son corps.
Elle ne se souvient pas d’avoir jamais pu s’amuser et explorer avec son corps. Dans ses
souvenirs, sa représentation est plus liée à une activité assise à une table. Je ne l’oblige
à rien. Je m’astreins à la douceur. Il y en a tant en elle ! Elle doit apprendre à « exister
corporellement. »

Ces deux premières séances sont révélatrices des difficultés d’Anne-Lise, d’une part
« l’hypercontrôle » où elle ne peut s’autoriser à lâcher prise mentalement. Et, d’autre
part, ces difficultés de représentations et d’ajustement à une consigne lorsqu’il s’agit de
son corps.
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

LES SÉANCES SUIVANTES

Dès la deuxième séance de relaxation, survient beaucoup d’agitation corporelle. J’ai


l’impression qu’Anne-Lise s’est endormie. Pendant la verbalisation, elle exprime ce flux
d’idées qui défilent et la perturbent et la difficulté à effectuer le « vide mental. » Cependant,
son vécu est très différent de la première séance. Elle ressent transitoirement une réelle
déconnexion : elle a « lâché » brutalement. Le retour est calme avec une sensation de froid
glacial dans son corps. Ce travail sur elle a fait resurgir des souvenirs qui lui ont permis
d’entraîner un autre travail en dehors de nos séances dans la quinzaine qui a suivi. Elle a
beaucoup parlé avec ses parents à propos de sa naissance et de son enfance. Par rapport à
son corps, elle se sent différente : elle a envie de danser et elle a l’impression d’être moins
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mal à l’aise bien qu’elle se sente gauche. Globalement, le vécu est plus positif. Les T.O.C ont
disparu. Les crises d’angoisse s’atténuent. Les séances de relaxation se poursuivent avec
un sentiment particulier de glisser à l’intérieur d’elle. Le relâchement corporel s’installe
avec de courts moments de lâcher prise mental. Les retours sont lents. Après quelques
séances, elle dit se sentir mieux. La fin des études approche. Le temps est bien occupé
par les nombreux devoirs surveillés et le projet de fin d’études à valider. Dans sa tête, elle
commence à envisager l’année à venir.
Les séances suivantes en relaxation sont marquées par une bonne détente corporelle mais
l’esprit reste toujours vigilant. Les idées fusent. Les pensées envahissantes sont toujours
en lien avec le travail. Vient alors la prise de fonction dans ce premier poste qui génère
naturellement beaucoup d’angoisse. Les nuits d’Anne-Lise sont agitées. Elle rêve de son 211
travail. Elle se questionne en permanence. Elle ressent un manque total de confiance en elle.
En psychomotricité, nous travaillons doucement : enracinement, postures, articulations et
coordinations. Nous prenons soin de son positionnement afin qu’elle ne soit pas sous mon
regard. Nous évoluons parallèlement.
Après quatre mois de prises en charge, je lui demande d’écrire à nouveau trois mots
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traduisant son état de fin de séance : action, frustration et agitation cérébrale.


Nous sommes en début d’année. Son nouveau poste vient de démarrer. Elle a le projet plus
précis de s’installer avec son ami. Dans sa tête, tout se bouscule : il y a de « l’action », de
la « frustration » - de ne pouvoir vivre pleinement ces changements - et de l’agitation :
« vais-je être à la hauteur ? »
Ses termes sont le reflet d’une nouvelle écoute d’elle-même. Progressivement, elle investit
son corps et se centre sur ses ressentis. Elle peut maintenant exprimer son désir de bouger,
ses difficultés à parvenir à faire ce qu’elle voudrait de son corps et cette difficulté à
lâcher prise. Il y a du mouvement et de la déception. Avant, elle était uniquement dans
l’intellectualisation. Maintenant quelque chose de nouveau la dérange au niveau de ce
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

corps auparavant oublié : elle s’est surprise, au travail, à ressentir le besoin de bouger
régulièrement. Avant, elle s’installait derrière son ordinateur le matin et pouvait rester
sans bouger jusqu’au soir. Maintenant elle a un besoin naturel de se réajuster, de se lever,
de se déplacer et de bouger ses jambes. Son corps « l’énerve », dit-elle, il la gêne. Elle
parle même de « douleurs corporelles. » Son corps est en train de prendre vie et d’exister.
Elle le ressent et s’y intéresse. Elle sent en effet que cette mise en mouvement gêne sa
concentration. Elle dit qu’elle perd en efficacité au travail. Cela semble générer un surcroît
d’anxiété qui côtoie toutefois un début de « plaisir » à vivre dans et avec son corps. Elle
dort également mieux et ressent la fatigue corporelle.
Le travail de sophrologie fait son chemin.
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Concernant la prise de conscience corporelle, le premier principe fondamental posé
par Alfonso Caycedo (neuropsychiatre d’origine colombienne et fondateur de la
sophrologie) est le principe du schéma corporel comme une réalité vécue. L’équilibre
de l’individu passe avant tout par la prise de conscience de son schéma corporel.
Il s’agit d’un concept de base développé et travaillé aussi en psychomotricité. Ce
travail s’effectue en sophrologie par la relaxation dynamique, succession d’exercices,
synchronisés ou non avec la respiration, qui aide à renforcer la conquête de la
corporalité par la conscience.
« L’intégration progressive du schéma corporel au niveau de la conscience consolide
les structures de celle-ci et contribue à élargir son champ perceptivo-affectif »
(Etchelecou, 1990).
212
En séances de sophrologie, Anne-Lise oublie son corps. Toutes ses sensations sont localisées
au niveau de la tête. La séparation du corps et de l’esprit reste présente sur un certain
nombre de séances. Puis un jour, le lâcher prise est possible : « Mon corps était détendu,
mais c’est surtout mon esprit, je n’ai pensé à rien, je crois que ça ne m’était jamais arrivé,
c’est la première fois que je me laisse aller... ! »
A la demande d’Anne-Lise, je propose des exercices à la maison pour prolonger notre travail.
C’est aussi la démarche de la sophrologie : le patient doit pouvoir accéder à l’autonomie
et gérer seul ses émotions et ses ressentis corporels. D’elle-même, elle arrive à réguler
son sommeil et peut cesser tout traitement pour dormir. Globalement, il y a une nette
amélioration.
Parallèlement, les séances de psychomotricité sont difficiles à vivre lorsqu’il s’agit de
se déplacer dans la salle. Nous travaillons donc plus autour de réalisations au bureau :
bricolage, dessin et représentations graphiques. Pour mieux la contenir et ne pas la mettre
en difficulté.
Anne-Lise décide de s’inscrire à un cours d’aïkido pour prolonger notre travail. Mais elle
s’aperçoit rapidement qu’elle est en grande difficulté pour ce qui est de sa représentation et
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

utilisation de son corps dans l’espace. Notamment pour reproduire des postures et apprendre
des mouvements. Elle se sent à nouveau gauche et maladroite. Nous poursuivons la double
prise en charge mais mettons l’accent sur des exercices d’enracinement. Anne-Lise se pose.
L’équilibre s’améliore, physique, émotionnel et mental. À l’aïkido, progressivement, elle perd
ses complexes et se sent plus proche des autres participants. Mais, elle est tout de même
gênée et envahie par la proximité corporelle lors des exercices.
Toujours demandeuse, elle reprend à son compte mes incitations à s’ouvrir et à faire des
sorties en vélo, du tennis ou de la natation. Elle écrit et met en place un blog de lectures
partagées. C’est une période où tout semble s’apaiser. Son travail est plutôt gratifiant. Les
tâches qui lui sont confiées l’intéressent. Elle fait un peu de management. L’envol est là,
avec juste un peu d’appréhension.
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La première année de cette prise en charge voit donc un nouvel investissement corporel. La
représentation de son corps en pâte à modeler n’est plus morcelée mais dorénavant unifiée.
Elle part d’un bloc et sculpte les formes de son corps. Elle ne dissocie plus les différentes
parties. Dans sa représentations, il y a une réelle « animation » le corps prend vie. « Je suis
plus à l’écoute de mes sensations », dit-elle. Elle se trouve plus calme, arrive mieux à gérer
son corps et prend plaisir à être en relation avec son entourage. En sophrologie, elle est
arrivée à avoir accès aux images spontanées qui deviennent plus riches.
Après l’emménagement avec son ami, il y a un contre coup : « Je n’arrive pas à accepter
cette indépendance. » Le virage est difficile à appréhender. À nouveau, il y a une sortie
de route. Comme si toute l’évolution était remise en question. Comme si on repartait en
arrière, cette nouvelle autonomie génère des angoisses qui se concentrent sur le travail. 213
Alors que tout se stabilisait, les doutes reviennent : « On peut toujours faire mieux... être
plus efficace... je suis perfectionniste et dans mon travail, je ne peux pas y arriver. »
Toutes sortes de ressentis qui vont progressivement se manifester par des maux divers et
variés : estomac, genou et sommeil. Du nouveau : elle somatise et ressent son mal-être au
travers de son corps. Car désormais, celui-ci existe !
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L’évolution d’Anne-Lise est loin d’être linéaire. Sans cesse, elle doit se réajuster, revenir en
arrière avant d’avancer à nouveau. Et tenter de trouver un nouvel équilibre. Les différentes
étapes pour se différencier, accéder à l’autonomie et devenir adulte ne sont pas faciles à
franchir. S’il y a régression et retour en arrière, il y a cependant de l’acquis. Elle avance.
À ce moment, en séance de sophrologie, les vécus sont très explicites : « Je me suis sentie
comme sur une coquille de noix sur l’eau, je dérivais mais je n’ai pas coulé. » Elle sent
que tout devient insurmontable : le travail devient envahissant. Le rythme s’intensifie.
Le cerveau est en pleine ébullition. Le stress monte en puissance. Elle doit prendre des
décisions, mais ne s’en sent pas capable.
« Je manque totalement de confiance en moi. » Elle n’arrive pas à s’affirmer. Elle se sent
sans expérience. Elle se sent débordée et cela retentit sur son travail et la bloque. Mais
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

face à ses collègues, elle prend sur elle pour ne pas montrer ses fragilités. Parallèlement, à
la maison un mal-être se développe : elle reste de longs moments assise dans un fauteuil à
attendre. En séance, le calme a du mal à s’installer. Elle ressent le besoin de bouger pendant
la relaxation. Son corps existe et n’arrive plus à s’immobiliser. Le vécu est particulier :
« Comme si j’étais deux, un qui agit (le corps) et l’autre qui regarde (esprit qui contrôle). »
Durant les séances, son investissement et son engagement vont de plus en plus loin.
Jusqu’au jour où elle s’effondre au retour de relaxation. Elle sent qu’elle ne peut pas
s’en sortir seule au travail et qu’elle doit agir pour sortir de cette spirale. Ensemble nous
échangeons. Elle prend conscience qu’elle ne peut plus faire semblant et qu’il est temps de
parler des difficultés qu’elle rencontre avec sa hiérarchie.
Le retour au travail, le lendemain, est difficile. Comme nous en avions convenu, elle parle
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directement avec ses supérieurs. Elle s’explique : « Je me sens désemparée, débordée, j’ai
perdu confiance, je suis insatisfaite, je ne me sens pas à la hauteur et pense à mon travail
en permanence ! » Elle craque ! Le corps « explose » : crise d’urticaire, pertes de mémoire
et manque de concentration. Le retour de ses collègues à la société est élogieux. Ils sont
surpris de cette situation car ils sont entièrement satisfaits de son travail. Ils sont prêts
à l’aider et, pour la soutenir, lui donne des objectifs précis à la semaine. En séance, nous
travaillons sur l’organisation de son temps, visons un rééquilibrage et mettons en place un
planning pour la rassurer avec un certain nombre de rituels et de repères pour lui permettre
de retrouver un équilibre entre le travail, sa vie de couple et sa vie sociale. Pour Anne-Lise,
c’est une grande étape que de pouvoir parler de ses difficultés en dehors de la thérapie. Elle
214 veut arrêter de faire semblant et être authentique pour trouver une issue à son mal-être. Mais
le travail se poursuit tout de même et elle se rend compte qu’avec son ami elle commence à
prendre sa place. Elle peut donner son avis et même dire non. De même avec son entourage
elle exprime ce qu’elle ressent. Elle peut s’opposer. Elle se découvre des envies et des désirs.
« J’ai le sentiment qu’il faut que je travaille sur un autre équilibre, les autres ne décident
plus pour moi et c’est également compliqué pour eux à vivre : ma mutation ! »
Parallèlement elle se sent plus agressive avec l’extérieur. Ce qui est nouveau. Le début de
l’affirmation de soi. Elle commence également à prendre du recul par rapport aux réflexions
de son entourage.
Elle prend conscience qu’elle peut exister en dehors de la réussite intellectuelle et qu’elle
peut avoir des projets. Je la sollicite pour qu’elle organise ses week-ends et ses vacances.
Elle devient actrice de sa vie. Elle ne la « subit » plus. De même en séance, progressivement,
Anne-Lise prend possession de son suivi et vient avec des demandes plus précises : travailler
sur ses émotions, sur la confiance en elle-même et l’affirmation de soi pour pouvoir donner
son point de vue en réunion. De ce travail sur ses émotions débouchent des ressentis qui
ne sont pas forcément agréables : elle commence à connaître la frustration car elle a des
envies. De même, un nouveau sentiment apparaît : la déprime. Qui retourne sa colère contre
elle-même. Elle accorde maintenant plus d’importance au ressenti des autres à propos de
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

l’image qu’elle peut leur renvoyer. Elle se décentre et a toujours l’impression de ne pas
être à la hauteur. Avant, tout était centré sur elle. Les autres n’existaient pas. Maintenant,
elle se tourne vers les autres. Elle est énervée par rapport à eux et moins par rapport à
elle. Ce qui est nouveau. Elle veut donner une « belle » image en dehors de ses capacités
intellectuelles.
Dix-huit mois après le démarrage de notre suivi, le corps d’Anne-Lise lui a fait vivre le
déni et l’hyperesthésie dans la douleur. Maintenant, elle se sent moins fatiguée et moins
douloureuse. Elle bouge plus. Elle pense qu’elle peut réussir et demande à travailler la
constance : être plus stable dans ses émotions et mettre de la distance. Au niveau corporel,
elle est plus posée. Elle a besoin de se dépenser et de faire du sport : tennis, ski... Elle
parle plus et essaye de trouver sa place. Parfois, elle a même peur d’envahir les autres.
En séance, je ressens cette évolution. Il y a une nette amélioration du lâcher prise. Nous
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réajustons ensemble son projet de soin à sa demande : « Je veux travailler sur ce que je
suis et sur l’image idéale de moi. »
Après cette phase euphorique, du printemps à l’été, Anne-Lise se déstabilise et progressi-
vement doute : « Je sens que je repars, je m’enfonce. » Nous assistons, en la soutenant
chacun à notre façon, à cet « effondrement psychique ». Sa vie, à nouveau, lui échappe
alors qu’elle évoluait vers un mieux-être. Anne-Lise ne se sent pas à sa place. Autour d’elle
tout se défait. Elle n’arrive plus à gérer son stress au travail. Ses missions sont éprouvantes.
Elle sent qu’elle perd pied et qu’elle déprime. Elle ne se sent pas à la hauteur. Le travail
l’envahit à nouveau nuit et jour. Elle a le sentiment d’être submergée par les événements.
Se sentant en grande difficulté, elle augmente sa charge de travail. Elle installe également 215
des rituels de contrôle pour se rassurer. Elle n’arrive pas à anticiper. Ses obsessions pour
atteindre la perfection sont incontrôlables. Dans sa vie privée, elle n’arrive pas à investir
son appartement. Elle ne se sent pas chez elle. Il lui est difficile de s’engager. Dans cette
période, elle se tourne vers sa vie sociale en ayant l’impression d’en être passée à côté
jusqu’à présent. Naturellement, la culpabilité l’envahit par rapport à son compagnon. Dans
le mouvement de sa vie, il ressort toujours une « angoisse de vie où je me sens rongée
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dans mon esprit. » Notre travail d’accompagnement psychomoteur se base sur les concepts
propres à la psychomotricité en sorte de trouver sa place physique et psychique dans l’espace
et dans le temps. En séance, nous travaillons sur ses représentations de sa vie. De même,
elle réalise son emploi du temps pour concrétiser son organisation et visualiser les priorités
qu’elle se donne dans sa vie de tous les jours. C’est également pour pouvoir projeter ce
qu’elle fera dans la semaine et avoir une « obligation » qu’elle se donne cet équilibre. La
séance suivante, elle désire teinter de différentes couleurs son planning. « Pour rendre la
vie en couleur ! » Cette matérialisation lui permet de mieux gérer son temps de travail et
la rassure. Elle va un peu mieux et se sent plus flexible.
En sophrologie, nous poursuivons le travail de confiance en soi pour accéder à la possibilité
de faire des choix. Suite à une séance de relaxation, je lui demande de noter cinq qualités.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Elle n’en trouve que trois : perfectionniste, consciencieuse et organisée. À nouveau, c’est
l’aspect intellectuel et le travail qui prend le dessus sur sa vie. C’est ainsi que, à l’arrivée
des vacances d’été et après un trimestre éprouvant, elle fait le choix d’arrêter son travail
pour se faire soigner. Anne-Lise décide de donner sens à tous les efforts qu’elle fournit
depuis de nombreuses années. Elle sera donc suivie par un service spécialisé en psychiatrie
qui prend en charge des adultes traversant une période de crise sur une durée limitée. Il
s’agit d’une mobilisation à temps plein. Cette association fonctionne tel un hôpital de jour
avec différents ateliers et groupes de parole. Elle bénéficie également d’entretiens réguliers
avec des psychiatres. Cette prise de décision ne va pas sans difficulté ni culpabilité. Mais
elle est épuisée et pense avoir atteint le paroxysme de son mal-être. Elle a vraiment besoin
d’être soutenue. Elle peut à présent mettre en retrait son travail pour se consacrer à sa
santé. Et là c’est une avancée importante ! Le travail n’est plus l’objectif unique de sa vie.
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Elle veut investir sa vie. Elle envisage également un bilan de compétence pour adapter
son travail à ses désirs. À la rentrée suivante, elle reprendra la poterie, activité qu’elle a
beaucoup pratiquée et appréciée plus jeune.
Cette prise en charge globale se poursuivra durant l’été avec des moments d’intenses
satisfactions, de remords et de détresse. Il en ressort une prise de conscience de la réalité
de sa souffrance. Elle ne veut plus continuer ainsi. Ce travail est dur et épuisant. Les crises
d’angoisse lui donnent l’impression d’étouffer et de ne plus pouvoir respirer. Des sensations
extrêmes et multiples l’envahissent. Durant cette période, différents entretiens à l’hôpital
de jour ont pu se faire. Avec ses parents notamment. Anne-Lise avance et comprend la
difficulté pour chacun à trouver sa place et comment cette relation fusionnelle avec sa mère
216
était plus une relation de soin. Qui s’est reproduite dans la relation qu’elle a maintenant
avec son compagnon. Comme il est difficile d’accéder à l’autonomie et de grandir dans
ce contexte ! De même, elle a pu réaliser la nature de sa relation à son père. Père idéal
et inaccessible : « comme s’il était à une telle hauteur qu’il n’était pas humain ». Dans
son positionnement maintenant elle peut décider de sa vie et ne plus être en attente :
« Maintenant, c’est moi qui peux juger et évaluer quand j’ai besoin de leur aide ou de les
voir », dit-elle en parlant de ses parents. Ce travail a fait ressortir également l’importance
de son couple et la solidité de son compagnon. Pendant l’été, ils se sont peu vus. Lui est
beaucoup sorti. Elle restait à la maison et se consacrait à ses suivis. Pour elle, il y eut
beaucoup de frustrations, mais elle a pu dire les choses. Ce qui était impossible avant. Elle
a pu exprimer son mécontentement. Elle a pu se disputer – exister –, ce qui a renforcé
son couple. Au final, Anne-Lise est plutôt satisfaite du chemin parcouru même si elle a
l’impression que tout s’est cassé en elle. Elle a été entendue et reconnue dans ses difficultés
par sa famille, son compagnon et son employeur. Mais elle se sent en « morceaux ».
À la fin de l’été, la prise en charge à l’hôpital de jour se termine. Anne-Lise a beaucoup
d’appréhension : tout cet étayage la rassurait. Elle a peur du vide de l’après. La reprise du
travail se fera progressivement avec un arrêt de travail d’un mois pour se reposer. Puis une
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

reprise à temps partiel avec objectif de reprendre progressivement le cours de sa vie après
cette parenthèse thérapeutique. Côté professionnel, le Directeur des Ressources Humaines
lui confirme sa place au sein de l’entreprise et lui propose une rencontre tous les 15 jours
pour faire le point. Son poste sera aménagé, compatible avec son mi-temps thérapeutique
et « maillé », pour ne pas prendre de risque de dépression, avec des tâches précises et
plus fines. Le bilan de compétence est programmé. La reprise se fera tout de même dans
l’angoisse du changement de rythme, de la peur de l’échec et du regard des autres. Elle
anticipe et commence à renouer quelques liens avant la reprise.
Pendant les deux mois d’été, notre suivi est moins soutenu pour laisser place à la prise en
charge en hôpital de jour. Nous redémarrons régulièrement la prise en charge à la fin de
l’été. Dans notre travail, elle a maintenant des représentations de ce qui se passe en elle :
« Maturation de cette crise qui s’est exprimée, car il y avait des germes qui ont pu évoluer. »
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Après cet été de labeur, il s’agit de « mettre en pratique » ce qu’elle a reçu et de retrouver
une motivation pour se réintégrer dans sa vie. Elle est maintenant prête à réfléchir sur
elle-même et adapte le suivi avec son psychiatre. Une psychothérapie en alternance avec
les séances de psychomotricité est débutée. Les séances avec le psychiatre s’espaceront
pour qu’elle devienne autonome.
En séance, nous axons à nouveau notre prise en charge sur le corps. Avec des exercices
d’étirement et de respiration. Elle a des ressentis très différents et se sent parfois vide,
honteuse et désorientée. À d’autres moments, elle a des projets et de l’énergie et se sent
fière du chemin parcouru. Actuellement elle fait plus facilement des choix. Ce qui ne lui
pose plus de problème. Mais elle est beaucoup plus inquiète par rapport à elle. Elle s’observe. 217
Elle a toujours des craintes quant à sa santé : ulcère, problème cardiaque, respiratoire,
cancer de la gorge... Elle somatise et reste très angoissée par rapport à des épiphénomènes
concernant son corps. Elle a dorénavant des peurs et des phobies qu’elle n’avait pas avant.
Elle a déplacé ses angoisses. De son travail vers son corps. C’est un sentiment d’étrangeté
par rapport à elle. Elle à l’impression qu’elle est à l’opposé de ce qu’elle était avant. « C’est
comme un déracinement alors que j’ai toujours mes racines. »
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Elle est dans ce qu’elle appelle une nouvelle étape, en « crise maturative. » Elle avait
conscience de ce qui se passait mais ne pouvait avoir prise. Elle est actuellement dans une
dynamique d’ouverture. Elle le sent. Et il est vrai que son visage s’ouvre. Le passage d’une
crise à l’autre, elle le sait, lui permet d’évoluer et d’avancer.
Parallèlement les séances de sophrologie se font avec beaucoup plus de lâcher prise. Elle
peut même être très proche du sommeil. Voire y plonger un court instant. La sophrologie
l’aide à accueillir ce qui vient. Il faut faire des pauses, faire son chemin, ne pas se crisper
ni se fermer. Je m’aperçois en séance que, lorsqu’il se passe quelque chose comme des
mouvements de papillonnement des yeux qui traduisent une manifestation d’angoisse, elle
peut se calmer seule et gérer la situation par les outils enseignés en sophrologie. Elle
retrouve alors la sérénité.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

La reprise du travail la vide. C’est très dur physiquement. L’effort de motivation la fatigue. Il
lui faut sortir quelque chose d’elle-même. Il y a donc toujours des oscillations : les choses
s’arrangent et se fluidifient puis, dans les moments de désarroi, tout se cristallise. Elle
se sent alors envahie et paralysée des heures durant, hébétée sur son fauteuil. Elle ne
peut alors ni agir ni penser. Elle met en place ce qu’elle nomme ses « ruminations » qui
correspondent a des pensées intrusives qui émergent stérilement. Elle se sent à nouveau
diminuée mentalement avec cette somatisation envahissante et avec deux types de pensée :
la première qui construit et organise, la deuxième qui tourne en boucle. Toujours ces
allers/retours. Elle se questionne : « Pourquoi autant d’enjeu par rapport à mon travail ?
Est-ce que ça ne correspond pas à une angoisse de mort ? »
En sophrologie, nous poursuivons avec des exercices dynamiques qui symbolisent la
destruction de ce qui dérange et des mises en situation propices à l’évacuation des
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tensions : pompage et étirements pour bien ressentir son corps, suivi de relaxation avec
sophronisation de base et visualisations.
En séance de psychomotricité, nous travaillons sur les représentations de sa vie : ce qui
lui semble important : travail, famille, couple, amis et relations sociales. Son schéma
représentatif de ce qu’elle vit est maintenant coloré. Les espaces sont moins délimités et
plus équilibrés. Elle clive moins et se sent plus harmonieuse.
Dans ce travail, nous lui fixons des objectifs détaillés dans les différents cadres (travail,
maison) :

218 • objectifs de mise en confiance, faire confiance aux autres et s’y tenir ;
• s’occuper de soi en sortant du travail : objectifs précis pour ne pas laisser place aux
ruminations ;
• ne pas se dévaloriser après avoir vu ses amis et ne pas comparer ;
• Trouver une citation par jour à méditer chaque fois qu’une rumination vient puis écrire
ou dessiner sur cette phrase.

Ces différents points ont été efficaces sur cette quinzaine-là. Anne-Lise a pu tenir ses
objectifs. Elle a besoin de cet étayage et de ce cadre que nous posons ensemble. La
quinzaine suivante, nous privilégions autonomie et mise en confiance. Nous rajoutons
des objectifs de mobilité et de souplesse dans le travail. C’est dans ce contexte que nous
poursuivons la prise en charge.
Sa dernière représentation en trois dimensions est totalement révélatrice de son position-
nement et de son avancée : son corps – global et unifié – est représenté au centre. Les
angoisses et les « ruminations » sont bien présentes également. Elles sont placées au niveau
des points de jonctions avec son entourage. Car effectivement maintenant, il existe des
liens avec le monde extérieur. Elle insiste sur la nécessité de ces liens, de leurs différentes
origines et formations. Elle dit ces liens « indispensables » entre ce que l’extérieur lui
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

apporte et ce qu’elle peut apporter aux autres également. Ce sont bien ces notions de dedans
et dehors et de contenance, qui sont en jeu et qui lui permettent d’exister pleinement.
Le travail se poursuit dans cette continuité et sur cette note optimiste. Tout en sachant
que c’est à nous, soignants, de tenir. Que le chemin est tortueux et qu’il ne faut pas baisser
les bras.

CONCLUSION
À travers le cheminement d’Anne-Lise, il est apparu combien la tâche de découvrir son corps
est ardue. Combien ce processus est laborieux lorsqu’il n’a pu se faire dans les premières
années.
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C’est dans la première modalité de structuration de l’image du corps, que Françoise
Dolto (1984) a identifié comme « l’image de base », qu’il semble, pour Anne-Lise,
y avoir défaillance. Elle ne peut se sentir exister et vivre sa vie dans sa globalité :
« L’image de base est ce qui permet au sujet de se ressentir comme une “mêmeté d’être”
c’est-à-dire dans une continuité narcissique ou dans une continuité spatio-temporelle
qui demeure et s’étoffe depuis sa naissance [...]. C’est de cette “mêmeté”, fortement
ou ténument pérenne, que vient la notion d’existence [...]. Le sentiment d’exister
d’un être humain [...] vient de cette conviction, sans doute illusoire de continuité. »

219
Cette évolution non linéaire montre que les choses bougent, ont bougé et bougeront
encore pour atteindre l’objectif d’être « bien dans son corps. » Il s’agit de trouver un
nouvel équilibre entre les différentes instances : ça, surmoi et moi. Afin de vivre le plus
harmonieusement possible avec soi-même mais aussi avec les autres. De trouver sa place et
pouvoir s’affirmer (le moi) tout en se détachant de sa culpabilité (le surmoi).
Notre suivi en psychomotricité se poursuit. Anne-Lise peut maintenant prendre du plaisir
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dans ce travail corporel. Elle apprend à accueillir les jours et à avancer. Elle se sent plus
authentique dans sa relation aux autres et plus en harmonie avec elle-même. Ce vécu
corporel et cette écoute lui permettent d’accéder à une nouvelle dimension dans sa vie, de
vivre autre chose, d’accueillir les émotions et ne plus être uniquement dans la pensée, le
raisonnement et la maîtrise. Elle peut se distancier de ses angoisses et les reprendre en
psychothérapie. Ce travail de réorganisation du corps et de l’esprit donne sens et éveille
d’autres pulsions : la pulsion de vie. Maintenant, elle dit se sentir libre. Elle n’avait pas
conscience auparavant de cette privation de liberté. Elle est même très en colère et révoltée
contre ce comportement figé qui était en place. Anne-Lise, poursuit donc sa croisade avec
réflexion et écoute de ce qui se passe à l’intérieur d’elle. Elle avance. Après plus de dix
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

ans de thérapie, elle entrevoit l’espoir d’une vie « paisible et harmonieuse. » Elle semble
trouver un équilibre et donner sens à sa vie.

RÉFÉRENCES

ANZIEU, D. (1985). Le Moi-peau. Paris : GAUBERTI, M. (1993). Mère-enfant à corps


Dunod. et à vie. Analyse et thérapie psychomotrice
BERGERET, J., ACHAINTRE, A., BECACHE, A., des interactions précoces. Paris : Masson.
BOULANGER, J.J., CHARTIER, J.P., DUBOR, P., GAUCHER-HAMOUDI, O., FAURY, T. ET CARROT,
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HOUSER, M. et LUSTIN, J.J. (1986). Psycho- G. (2011). Anorexie, boulimie et psycho-
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Paris : Masson.
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corps. Paris : Le Seuil. RUFO, M. (2007). La vie en désordre.
Voyage en adolescence. Paris : Anne Car-
ETCHELECOU, B. (1990). Manuel de Sophro- rière.
220 logie. Pédagogie et thérapeutique. Paris :
Maloine.
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NOTES
12 • À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché

221

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Chapitre 13
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Apports de la thérapie
psychomotrice au
222
traitement de l’obésité
et du surpoids
Histoire de Christelle

Pierre Dalarun
SOMMAIRE

Maigrir : du rêve à la réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224


Histoire de poids, parcours de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Prologues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
De la quête désespérée à l’acceptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
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223
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

« Tout trouble dans la capacité de ressentir pleinement son corps attaque la confiance en soi
aussi bien que l’unité du sentiment corporel ;
il crée en même temps le besoin de compensation. »
(Reich, 1952, p. 277)

MAIGRIR : DU RÊVE À LA RÉALITÉ

Nombre des patientes qui viennent vers moi me consultent pour un excès de poids, réel
ou imaginaire, un corps encombrant ou encombré, un corps souvent rejeté, parfois nié,
quelquefois absent.
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Ou bien encore comme me l’a dit un jour l’une de celles-ci : « un corps abstrait. »
Je parle de patientes et non de patients. Non pas que les hommes ne soient pas concernés
par l’obésité. Non pas que les femmes soient plus en surpoids que les hommes. Mais parce
qu’elles consultent beaucoup plus que les hommes pour traiter ce problème.
À la lumière de ce constat, il apparaît que la pression socioculturelle s’exerce beaucoup
plus sur le corps de la femme que sur celui de l’homme (Saint Pol, 2010, p. 110-113).
Si les co-morbidités associées à l’obésité ne sont pas négligeables et font même de cette
maladie une priorité de santé publique, elles ne sont pas une source de motivation première
quand on est en surpoids. En effet l’obésité et le surpoids sont avant tout considérés comme
224
l’effet d’un laisser-aller, d’un manque de volonté et de contrôle de soi ou d’une sédentarité
confinant à la paresse.
Enfermés dans ce stéréotype stigmatisant, les obèses ont moins de chances de plaire, de
séduire et même de trouver un emploi. Pour sortir de cette image de soi dégradée par la
société, beaucoup de femmes sont prêtes à tout. À commencer par faire un régime, ce qui
a priori tombe sous le sens. Et si on ajoute un surplus d’activité physique, nous aurions là
une combinaison gagnante.
Pas si simple...

J’ai moi-même souscrit au principe : « Manger moins et bouger plus. » C’était il y a vingt
ans.
À cette époque, j’entraînais des personnes en surpoids à courir tandis qu’elles suivaient un
régime hypocalorique prescrit par un nutritionniste. Mais s’alimentant peu, elles n’avaient
pas l’énergie suffisante pour pratiquer une activité physique aussi intense que la course à
pied : nombreux ont été les malaises hypoglycémiques et les déficits métaboliques induisant
des états de fatigue et de découragement.
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

Il s’avère qu’un régime drastique entraîne fatalement une perte de 25 % de masse


musculaire (Oppert & Dalarun in Basdevant, Guy-Grand & al., 2004, p. 222). Or il se
trouve que la masse musculaire aide à la régulation du poids car le muscle est une
masse active même au repos. Autrement dit, le muscle dépense de l’énergie même
sans rien faire.

Alors comment faire pour ne pas perdre trop de muscle lors d’un régime ? La réponse est
simple : faire du sport et la perte de masse musculaire ne sera que de 12 %. Sauf qu’un
régime drastique ne le permet pas sans risque de surmenage ou d’épuisement : c’est la
quadrature du cercle !
Mon expérience hospitalière m’a ensuite fait rencontrer des personnes en situation d’obésité
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massive, et dans un état de grande souffrance physique et de grande détresse psychologique.
Certaines au bout du rouleau... à force d’avoir fait des régimes. Pas un, pas deux ou trois
mais 10, 20 ou plus.
Certaines patientes « s’amusaient » à calculer le nombre de kilos perdus et repris au cours
de leur vie : les chiffres étaient impressionnants, parfois de l’ordre de plusieurs centaines
de kilos.
Comme me l’avait dit l’une d’elles avec humour : « Moi à chaque fois que je fais un régime,
je perds des kilos que je reprends tous ensuite, la TVA en plus ! » Cela illustre l’effet yoyo.
Cette patiente avait doublé son poids : partie de 60 kg, elle était arrivée à 120 kg au bout
de 20 ans. 225
Ce qui m’est apparu c’est qu’à surpoids égal, pour des personnes du même sexe et du même
âge, celles qui s’en sortaient le mieux d’un point de vue physique et psychologique étaient
les personnes qui n’avaient jamais fait de régime. Leur corps s’était adapté à l’excès de
poids et leur psychisme n’était pas miné par la culpabilité et la dévalorisation.
En revanche les personnes ayant fait moult régimes présentaient de réelles difficultés à
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se mouvoir, avec de nombreuses douleurs articulaires. Elles n’arrivaient plus à porter leur
corps. Elles présentaient de véritables troubles du schéma corporel et s’enfonçaient dans le
découragement, la dépression et la haine de soi.
Toutes ces observations confirmaient ce que m’avaient appris mes études de psychomotricité.

Dans toute action, tout comportement, il y a le « pouvoir », le « savoir » et le


« vouloir ». Pour bien signifier que la volonté ne contrôle pas tout, dans la motricité
comme dans les comportements.
Le « pouvoir » désigne la potentialité organique (dont génétique) de l’individu.
Le « savoir », lui, s’établit sur les sensations et les perceptions qui génèrent les
cognitions. Il ne s’agit donc pas d’un savoir théorique « hors sol » mais d’une

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


connaissance, fruit de l’expérience vécue. Enfin le « vouloir » est le fruit d’une
intentionnalité et d’un désir dirigé vers un but par la mobilisation des énergies
vitales.
Les trois notions sont indissociables. La seule volonté, surtout quand elle se transforme
en volontarisme, ne suffit pas à réaliser nos mouvements et gérer nos comportements
et, en particulier, le comportement alimentaire.
Pire, le seul usage de la volonté pour régir notre alimentation finit par désorganiser
celle-ci et produire un symptôme que les spécialistes appellent la « restriction
cognitive » (Waysfeld, 2013, p. 74-82), une forme de comportement auto-répressif
où l’alimentation est intellectualisée au gré des préceptes diététiques du moment.

Après la dictature, c’est l’anarchie : compulsions, grignotages incessants voire anorexie et


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puis surtout l’obsession permanente de la nourriture qui envahit tout le champ de la pensée.
Bref mieux vaut n’avoir jamais fait un régime de sa vie ! Le bon sens et la discipline ne
sont pas toujours le meilleur choix. Dans 80 % des cas c’est même le pire car il aboutit à
ce qu’on appelle un rebond pondéral (« la TVA en plus ») (Anses, 2010, p. 57).
Que faire alors ?
Si les consignes diététiques sont inefficaces voire nocives, la plupart des spécialistes,
nutritionnistes en tête, s’accordent pour affirmer que seule une diminution des apports
caloriques peut faire espérer une perte de poids.
Si on élimine les régimes, il ne nous reste que deux pistes :
226
1. Les chirurgies digestives (réservées normalement aux obésités sévères) dont le résultat
peut être spectaculaire autant que les complications peuvent être graves ou invalidantes.
2. L’approche Bio-Psycho-Sensorielle (Apfeldorfer & Zermati in Apfeldorfer, Waysfeld,
Zermati & al., 2010, p. 131-150) qui consiste à rétablir un contrôle sensoriel de
ses apports alimentaires mais qui présente une grande variabilité dans ses résultats
pondéraux : les personnes peuvent perdre du poids mais aussi en prendre si elles sont
en restriction sévère.
On le voit bien, perdre du poids de façon conséquente et durable n’est pas chose facile.
Ce qui ne fait qu’accroître le rêve de minceur de nombreuses femmes et, en contrepartie,
diversifier les offres d’un marché de l’amaigrissement qui ne connaît pas la crise.
Dans bien des cas, cet idéal de minceur masque la profondeur d’une souffrance existentielle
qui ne se traite pas exclusivement par une perte de poids.
Car les kilos ont une histoire : l’histoire de la personne qui les porte. Et on ne se débarrasse
pas comme ça de son passé. Surtout s’il est douloureux.
La notion qui semble centrale, pour moi psychomotricien-clinicien, c’est celle du corps vécu,
du corps charnel. Autrement dit de la corporéité.
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

Car la difficulté de mes patientes est bien de s’incarner dans le corps qu’elles ont, de vivre
leur corps, de le mobiliser, de lui trouver sa place dans l’espace et dans le temps, mais aussi
d’en éprouver des sensations et des émotions, de les identifier, de savoir y répondre, de les
exprimer et de les partager.

Derrière le corps réel, le corps imaginaire n’est jamais très loin. Et il peut entraîner
une grande souffrance même dans un corps aux normes parfaites. Pour preuve, les
personnes qui ont perdu tous les kilos escomptés mais qui n’ont pas trouvé le bonheur
espéré.
Nombre de problématiques pondérales et alimentaires s’originent dans le passé
préverbal des relations précoces, une période où la conscience n’était faite que de
sensations, de perceptions et d’images.
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L’approche psychomotrice présente cet intérêt d’établir une relation non-verbale. De
ce corps-à-corps avec le patient, une parole authentique pourra peut-être émerger et
l’aider à avancer sur son chemin.

Mais dans quel but précisément ? Pour aider à une perte de poids ? Pour pacifier le
comportement alimentaire ? Pour restaurer l’image du corps ? Pour accéder à ses émotions
et à sa vie psychique ?

227
HISTOIRE DE POIDS, PARCOURS DE VIE

Prologues
Afin d’apporter des réponses à ces questions, voici l’histoire d’une patiente que j’ai
accompagnée durant quelques années. Nous l’appellerons Christelle.
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Adressée par l’une de mes correspondantes nutritionnistes, Christelle est une jeune femme de 29
ans, célibataire et manager dans une grande entreprise.
Quand elle vient me voir, elle pèse 95 kg pour 1,75 m, ce qui lui donne un Indice de Masse
Corporelle de 31 et la classe dans la catégorie « obésité modérée. »
Après un an de suivi nutritionnel avec ma correspondante qui pratique une approche bio-psycho-
sensorielle, elle a arrêté de grossir alors qu’elle se trouvait dans une phase pondérale ascendante.
Elle avait pris 25 kg en quelques mois. Même si elle ne fonctionne plus avec des interdits et
même si elle s’autorise à manger de tout aujourd’hui, l’alimentation reste une préoccupation
prégnante. Elle a toujours des compulsions alimentaires. En moyenne trois par semaine.
N’étant pas satisfaite de ce résultat, développant une tendance dépressive et exprimant parfois
des idées suicidaires, elle fut dirigée vers un psychiatre par ma correspondante nutritionniste.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Celui-ci établit un traitement antidépresseur mais Christelle fut hostile à toute idée de
psychothérapie, n’ayant pas envie de « fouiller son passé. » Son problème était avant tout
son excès de poids. D’ailleurs, avant sa prise de poids, « tout allait au mieux » dixit.
Elle accepte néanmoins de venir me voir, reconnaissant qu’elle est stressée et qu’elle a du mal à
dormir. Elle a lu que le stress et le manque de sommeil contribuent à la prise de poids.
Je la reçois donc dans ce contexte et nous faisons connaissance.
J’ai pour habitude de fixer trois rendez-vous à mes nouvelles patientes avant d’aller plus loin. C’est
assez classique avant d’entreprendre une démarche psychothérapeutique. Là particulièrement, il
s’agit d’évaluer si la patiente est suffisamment réceptive à elle-même, si elle se sent en confiance
avec moi et si nous pouvons nous accorder sur un projet commun.
Voici ce qui ressort de la première entrevue :
Elle a une belle prestance. Sa prise de poids de type gynoïde est harmonieusement répartie, mais
quelque chose dans sa mimique et dans sa voix sonne faux. Elle fait le récit de son histoire avec
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trop d’emphase. Ce qui m’empêche de développer une attitude empathique.
Elle est la cadette d’une sœur de trois ans son aînée. Cette dernière est mariée et mère de
deux jeunes enfants. Christelle, elle, était brillante à l’école. Ce qui l’amena à faire des études
supérieures. Elle put ainsi, à 27 ans, devenir cadre dans une entreprise de renom.
Elle présente en fait une tendance à l’embonpoint depuis l’enfance sans jamais aller au-delà de la
catégorie « surpoids ». Le terrain génétique et l’alcoolisme du côté paternel sont certainement
des éléments à charge et la préoccupation maternelle de la minceur en est aussi un autre.
Elle considère que sa sœur aînée, bien que moins brillante dans les études, a réussi sa vie : elle
est mariée, a des enfants et surtout elle, elle n’a jamais eu de problème de poids. Ce qui lui a
permis de se réaliser.
228 Tout son discours est centré sur son excès pondéral. Si elle est stressée et qu’elle a du mal à
s’endormir, c’est pour cette seule et unique raison.
Elle justifie sa prise de poids récente de 25 kg par un changement d’environnement, quand
elle a dû s’installer seule à Paris après avoir quitté la province et le domicile familial où son
alimentation (et celle de son père) était « cadrée » par sa mère.
Je lui explique ma méthode de travail en lui signifiant bien que nous n’allons pas nous centrer
sur l’aspect pondéral mais sur son stress et ses insomnies. Intriguée par cette démarche
thérapeutique inédite et méconnue, ayant l’idée que la psychomotricité s’adressait exclusivement
à des enfants handicapés, elle écoute l’étendue des champs d’application et des populations
concernées par notre profession. Je lui dresse un aperçu des médiations corporelles que j’utilise :
de la relaxation à la danse en passant par le yoga.
Pour qu’elle apprécie les choses corporellement, je l’engage à deux séances supplémentaires pour
tester la relaxation et aviser ensemble de la suite à donner à cette démarche.
Lors de notre deuxième séance, je l’invite donc à s’allonger pour se détendre et « faire le tour
du propriétaire. » Il s’agit, pour moi, d’évaluer si la patiente tolère bien cette situation, si elle
arrive à se détendre, à accueillir ses sensations et si elle arrive ensuite à exprimer son vécu.
Je l’invite ainsi à ressentir les différentes structures de son corps : la peau, les muscles, les os
et les viscères.
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

Une image de son corps s’impose à elle : elle perçoit son corps comme une masse liquide. Avec
l’inquiétude que sa peau ne puisse pas contenir tout ce volume. Comme un barrage qui risquerait
de céder sous la pression de l’eau.
Cette image actuelle renvoie à un vécu ancien où les structures corporelles internes sont
majoritairement molles y compris le squelette, tandis que la peau n’a pas encore acquis toute
son épaisseur.
Ce ressenti pose aussi la problématique de la contenance (du corps et des émotions) dont
Christelle a sans doute dû manquer dès son plus jeune âge.
Malgré le discours que je lui tiens, elle se demande quand même si la relaxation va l’aider à
maigrir.
À notre troisième séance, Christelle me raconte dans quel mal-être elle a été plongée à l’issue
de la séance de relaxation quand elle s’est retrouvée dans le métro. C’est une impression qu’elle
a souvent : se sentir isolée au sein d’un groupe et se sentir étrangère aux autres et à elle-même.
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Jusqu’à avoir envie de se cacher, voire de disparaître.
Elle me parle spontanément de sa mère qu’elle décrit à la fois comme possessive et
« dépossédante » de son ressenti : « Il ne faut pas s’écouter ! » lui disait-elle souvent. Mais
comment faut-il l’entendre ? Car elle me dit que sa mère lui fait la conversation depuis des
années sans jamais l’écouter !
Incidemment, elle me livre que le soir même elle a eu un « accès boulimique » « sans
vomissements », me précise-t-elle. Ce qu’elle aurait voulu souvent faire dans de telles
circonstances mais elle ne s’y est jamais résolue.
Ce que Christelle appelle un « accès boulimique » est identifié dans la sémiologie des troubles des
conduites alimentaires comme un « accès hyperphagique » ou bien « compulsion alimentaire »
et s’apparente à ce que les Anglo-Saxons appellent « Binje Eating Disorder » (BED).
229
Lors de cette troisième séance, je propose à Christelle des exercices de stimulation osseuse pour
l’amener à percevoir ce qu’il y a de solide en elle : en position assise, nous pratiquons ensemble
des auto-percussions manuelles sur tous les trajets osseux. Puis nous reprenons la relaxation.
Après un temps d’écoute orienté sur le squelette, je pratique des mobilisations passives pour
lui faire percevoir ses articulations. Ce qui met donc en jeu le contact avec moi. Contact qui
est bien vécu. Elle le décrit comme sécurisant et apaisant. Mais lui reviennent en mémoire les
nombreuses fois où sa mère l’a « traînée » chez le médecin pour ses problèmes de poids (qui en
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fait n’en était pas d’un strict point de vue médical, même si sa courbe pondérale était à la limite
supérieure de la normalité). Elle se rappelle notamment que vers l’âge de 12 ans, alors que sa
puberté démarrait, le médecin avait palpé ses seins naissants avec une insistance malsaine et,
ce, devant sa mère qui était restée muette. Après cette consultation, elle a dit à sa mère que
ce médecin lui avait fait mal et mise extrêmement mal à l’aise. « Mais non tu te fais des idées.
C’est toi qui as de mauvaises pensées ! » lui avait répondu sa mère.
À l’issue de cette troisième séance préliminaire, elle a pris conscience que son excès pondéral
n’explique pas tout son malaise. Elle accepte de continuer ce travail à raison d’une séance d’une
heure par semaine sans se donner de limite temporelle. Son souhait est d’avoir plus confiance
en elle et peut-être, par ce biais perdre les 25 kg qu’elle a pris.
Je la trouve plus authentique. Sa souffrance me touche. je trouve son souhait réaliste et
recevable. Nous programmons les séances à venir.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Méthodologie1
D’un point de vue méthodologique, la trame que j’ai toujours en tête est le développement
psychomoteur de l’enfant. Cette trame est appliquée à la clinique de l’adulte. Voici très
schématiquement les trois étapes du cheminement thérapeutique :

1. L’accueil de soi : il s’agit de réveiller les différents constituants organiques de


l’image du corps (peau, os, muscles, liquides, viscères) par le toucher, les vibrations
et les tapotements ; de créer (notamment par la relaxation) une disponibilité
sensorielle et de recueillir ses éprouvés corporels et émotionnels.
2. La structuration de soi : il s’agit de structurer le corps fonctionnel en travaillant
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sur les notions d’ancrage, de verticalité et d’horizontalité. Sont explorées les
situations motrices et posturales les plus banales : se tenir debout, marcher,
s’asseoir et respirer. Les exercices proposés par Jacques Dropsy (Dropsy, 1984) me
sont précieux ainsi que les quelques notions de yoga et de qi gong que j’ai pu
acquérir.
3. L’expression de soi : il s’agit d’amener le corps à trouver sa place dans le temps
et dans l’espace mais aussi à devenir l’outil global de la communication avec
autrui. Cette étape représente l’ouverture vers l’altérité. De ce fait un travail en
groupe peut être proposé. La danse associée au chant et à la musique, tels qu’on
les enseigne dans la tradition africaine, sont pour moi des outils de choix (Zébila,
1973, 2002). J’utilise aussi quelques rudiments de Kinomichi appris avec Maître
230 Noro (Murcia, 1996).

De la quête désespérée à l’acceptation


Revenons à Christelle. La première étape, qui dura environ 6 mois, lui a permis d’intégrer son
histoire. À travers la relaxation, les mobilisations passives et les différentes stimulations
organiques, des sensations corporelles se réveillent. L’histoire de son corps se révèle en lui
faisant toucher des points douloureux vécus dans sa chair. Comme par exemple ce kyste
au sein, vers l’âge de 16 ans, dont elle n’osa pas parler à sa mère durant des semaines. Ou
bien encore cet accident de voiture, alors que son père conduisait et que sa mère vociférait
contre lui. Elle reçut un choc à la tête qui lui donne depuis des épisodes migraineux.
Toutes ces histoires qui remontent à la surface l’amènent à déprimer davantage et à
augmenter les compulsions (qu’elle appelle souvent « régressions »), au point d’envisager
une hospitalisation. Ce qui ne se fit pas.

1. (Dalarun in Zermati, Apfeldorfer, Waysfeld & al., 2010, p. 244-258)


13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

Au décours d’un travail comme le nôtre, il faut s’attendre à des réactions de ce type où les
patients dépriment, mangent davantage et prennent du poids. Christelle à ce stade et à
son grand désespoir a dépassé la barre symbolique des 100 kg. Dans ces moments-là, le
dispositif co-thérapeutique qui comprend, en l’occurrence, la nutritionniste, le psychiatre
et le psychomotricien, est indispensable pour contenir un possible éclatement du patient.
À cette période, je la dirigeai aussi vers une ostéopathe pour traiter ses migraines autrement
que par les médications qu’elle prenait habituellement. Ce qui fût assez efficace en quelques
séances.
Puis Christelle remonta peu à peu la pente. Nous pûmes alors aborder l’étape suivante, celle
du « corps debout » et de la structuration fonctionnelle.
Si l’étape précédente constitue l’étape de la consolidation du moi, celle-ci, par la mise
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en jeu de la verticalité physique et psychique, constitue celle de l’affirmation du moi. Du
« moi-je » pourrions-nous dire.

Pour travailler la verticalité, j’utilise souvent un poids de tête car la verticalisation de l’enfant
commence par le contrôle du port de tête et organise toute la posture, selon une direction
céphalo-podale.
Avec un poids sur la tête, nous explorons toutes les capacités posturales et dynamiques : se
tenir debout, se tenir assis, se déplacer, etc.
Puis nous mettons l’accent sur l’ancrage au sol qui lui permet de prendre conscience de la pose
de son pied, du rôle de la cheville et de la hanche alors que jusque-là elle vivait ses jambes
comme deux poteaux. Malgré ses 100 kg, elle put ainsi prendre plaisir à la marche et éprouver 231
une certaine légèreté.
Si l’excès de poids a tendance à endommager les articulations (notamment les genoux), les
sensations de lourdeur ou de légèreté ne sont pas forcément indexées sur le poids réel de la
personne. Cela dépend beaucoup de la qualité de la coordination gestuelle, de la précision de
l’ancrage au sol et de la justesse de la verticalité de la posture.
Christelle n’est pas encore arrivée à un poids où elle subit d’importantes distorsions sur le plan
des alignements articulaires. Mais il est évident que, dépassés un certain poids et un certain
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volume, l’encombrement du corps perturbe grandement la biomécanique humaine. Christelle


commence quand même à être inquiète de ne plus pouvoir se chausser avec la même aisance
qu’auparavant. Et comme elle présente un terrain laxe (elle s’est fait déjà plusieurs entorses de
la cheville), elle ressent parfois une instabilité de ses genoux.
Depuis sa rapide prise de poids de 25 kg, Christelle fuit tous les miroirs. Si bien qu’elle ne sait
plus à quoi elle ressemble. Un jour, elle souhaita affronter le miroir qui est dans ma salle pour
se voir de pied en cap.
Le choc fut rude. D’abord elle ne se reconnut pas, puis se prit la tête dans les mains et se mit à
sangloter. Le soir, chez elle toute la nourriture de son placard y passa. À la suite de cet épisode
compulsif, la tentation de se remettre au régime fut très forte.
Après un week-end en famille, elle me dit : « Ils sont tous fous ! Ils sont tous au régime Dukan.
Moi, je ne veux plus tomber là-dedans. Je sais que ce n’est pas la solution pour moi. Je ne
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

suis pas comme eux. Ma démarche est différente mais ils ne le comprennent pas. » Elle exprime
beaucoup de colère vis-à-vis de sa mère. Elle se rend compte qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y
aura sans doute jamais de courant émotionnel entre elles deux mais uniquement un rapport de
forces. Étant née hémolytique, elle conclut : « Ma mère m’a empoisonnée. »
Elle se souvient qu’elle était toujours collée à sa mère : « ma maman à moi toute seule » comme
elle disait, alors que sa mère n’avait jamais un mouvement vers elle. Ce jour-là elle commença à
faire le deuil de la mère idéale qu’elle avait toujours espérée pour accepter sa mère telle qu’elle
est.
Dans les séances suivantes, Christelle était toujours au bord des larmes et nous sommes revenus
à quelques séances de relaxation. Ce qui nous permit aussi d’approfondir le travail respiratoire
qu’elle apprécia et qu’elle intégra dans son quotidien (même dans le métro !) pour mieux gérer
ses émotions et ses efforts. Peu à peu ses compulsions s’espacèrent. Son poids commença à
diminuer pour revenir à 95 kg. Par le biais d’une association de personnes obèses, elle s’inscrit à
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un cours de gym aquatique et fit aussi quelques randonnées.
Cela fait maintenant un an que nous travaillons ensemble. Elle est au même poids que lorsque
nous nous étions rencontrés la première fois. Mais elle me précise que ce ne sont plus les même
95 kg : elle a pris du muscle. Elle le ressent. D’ailleurs, comment expliquer qu’elle n’est plus
aussi serrée dans les mêmes vêtements qu’elle portait il y a un an ?
Avec la graisse et le muscle, c’est l’histoire des kilos de plumes et des kilos de plomb car le
muscle est cinq fois plus dense que la graisse. Ce qui explique les observations de Christelle.
Lors de la deuxième année de travail, nous avons consolidé les acquis mais la barre des 95 kg
ne cédait pas. A son grand désespoir.
Elle traversa de nouveau un épisode dépressif, suite à une entorse du genou qu’elle se fit pendant
une randonnée. Elle resta cependant stable au niveau pondéral mais prit du volume : les muscles
232 se « retransformaient » en graisse.
Là, elle voulut se faire une « sleeve gastrectomie ». C’est-à-dire une réduction chirurgicale de
l’estomac. Elle en débattit avec la nutritionniste qui lui signifia que, d’une part, les compulsions
étaient une contre-indication majeure à ce genre d’intervention et, d’autre part, que son IMC
était nettement inférieur aux critères recommandés. Christelle lui fit remarquer que cela faisait
bien longtemps qu’elle n’avait pas eu de compulsions mais qu’elle ne se sentait pas à l’abri d’une
reprise de poids. Elle rencontra un chirurgien qui était prêt à l’opérer. Finalement, elle renonça
à son projet.
Si les compulsions semblaient avoir disparu, il est probable que Christelle surévaluait ses besoins
caloriques. De fait elle mangeait parfois trop pour deux raisons : d’une part, elle ne ressentait
pas la satiété et, d’autre part, la peur du manque la faisait parfois manger sans faim. Manger
sans faim et sans fin. Elle travailla donc ses deux aspects avec la nutritionniste.
De mon côté, le travail fut accentué sur la sphère digestive. Notamment avec des exercices
de pranayama dont des bandhas empruntés au yoga : ce sont des exercices respiratoires avec
apnées et des exercices de rétraction abdominale (Van Lysebeth, 1971, 1981). Ces exercices
permirent d’abord de travailler sur le plein et le vide, sur le remplissage et la vidange du ventre,
puis de vivre le vide avec moins d’inquiétude et le trop-plein avec plus d’inconfort.
Ce travail conjoint porta ses fruits : Christelle passa sous la barre des 95 kg. Enfin !
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

Elle m’avoua que l’enjeu de ce cap symbolique était de renouer l’espoir de trouver l’âme sœur.
Bien que vivant seule, Christelle a toujours eu une vie sociale. Elle a un groupe d’amis qu’elle
voit régulièrement et au moins deux amies à qui elle peut se confier. Mais elle a conscience
que quelque chose « cloche » dans son comportement relationnel. Surtout quand un homme lui
plaît : « J’en fais trop ! Je me mets en compétition avec les autres filles. Je crie. Je gesticule.
Tout ça n’est pas très féminin, et à la fin je me retrouve seule ! »
Sur ce constat, je lui propose d’intégrer un groupe de travail que je co-anime une fois par
mois avec une chorégraphe et des musiciens. Ce groupe, ouvert, est constitué de patients et de
patientes (dix à quinze maximum) qui viennent de ma consultation mais aussi de celle d’autres
thérapeutes. Ce groupe permit à Christelle de trouver sa place au sein d’un groupe, d’apprendre
à s’exprimer avec son corps et, de trouver son « style », gestuel et vocal.
Le groupe est un élément dynamisant dans un parcours comme celui-ci, pourvu qu’il arrive à point
nommé. Le groupe a sa propre contenance et permet des identifications collatérales. Christelle
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se fit donc sa place dans ce groupe auquel elle participa assidûment durant deux années. Cela
permit parallèlement d’espacer progressivement nos séances individuelles jusqu’à les interrompre
finalement, sachant qu’à tout moment, si elle le souhaitait, elle pourrait revenir me voir.

Épilogue
Elle arrêta les anti-dépresseurs et cessa aussi de voir la nutritionniste.
Côté poids, la décrue continua avec des paliers. Parfois de courtes reprises. Elle se stabilisa
aux alentours des 85 kg, ce qui n’était pas son objectif. Mais elle su s’en contenter sans
perdre son rêve de minceur pour autant. 233
Ces 85 kg, qui maintiennent Christelle dans la catégorie « surpoids », représentent sans
doute ce que certains spécialistes appellent le « set-point », c’est-à-dire la valeur de
consigne à laquelle le poids se stabilise quand on respecte ses sensations alimentaires. Tout
comme la température corporelle est régulée par un thermostat, le poids corporel serait
donc régulé par un « pondérostat » (Waysfeld, 2013, p. 67).
À bientôt 33 ans, Christelle se donne encore un peu de temps pour chercher l’âme-sœur,
qu’elle n’a toujours pas trouvée.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

CONCLUSION

L’histoire de ce cheminement thérapeutique nous amène à retenir quelques points :


• la notion d’objectif pondéral est à bannir. Il s’agit, tant pour le patient que pour
le thérapeute, d’accepter l’incertitude du résultat et de se donner du temps pour
avancer ;
• les bienfaits d’une perte de poids corporel sont souvent déçus quand on ne s’occupe
que du corps réel. (Duret-Gossart & Peuteuil, 2010) ;
• les personnes en surpoids, voire obèses, n’ont pas obligatoirement un trouble des
conduites alimentaires, même hyperphagique ;
• les obésités peuvent être constitutionnelles ou réactionnelles mais peuvent être
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aussi le résultat des régimes et de l’obsession de la minceur ;
• les problématiques pondérales s’originent parfois dans les interactions précoces
mère-enfant (Waysfeld, 2013, P. 83-92). Dans ce cas, elles justifient le recours à
une approche corporelle ;
• le constat précédant nous invite en tant que thérapeutes à avoir une attitude
contenante, sans tomber dans le nursing ou la séduction ;
• la co-thérapie semble indispensable pour traiter des problématiques aussi
complexes et singulières que les troubles pondéraux et alimentaires (Dalarun,
Duret-Gossart, Peuteuil, 2008) ;
• ce qui permet de perdre du poids (dans les proportions que la physiologie nous
impose) est a priori de moins manger mais pas par n’importe quel moyen ;
234
• l’activité physique est un élément important de la stabilité pondérale. Mais
l’individu est extrêmement dépendant de ses capacités physiques et de son
environnement pour l’inciter à bouger ;
• la voie de l’acceptation est finalement la seule issue pour s’auto-ré-organiser sur
les plans sensoriel, psychologique et comportemental. Sans pour autant modifier
son poids dans les proportions espérées.

L’acceptation de soi commence par l’accueil de soi.


L’accueil de soi, c’est accueillir son corps à chaque instant, dans ses éprouvés physiques
et émotionnels. C’est arrêter de ruminer le passé et d’anticiper l’avenir. C’est modifier la
perception que l’on a de soi et du monde.
Le point de départ d’une évolution possible, y compris sur le poids du corps, passe par cet
accueil de soi. Il s’agit donc de déposer les armes et de se poser, d’écouter, d’observer, de
changer de focale. Car l’élément catalyseur d’un changement possible n’est pas l’action mais
la perception.
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

La question n’est pas « Que dois-je faire ? » mais « Qu’est-ce que je ressens là, mainte-
nant ? »

RÉFÉRENCES

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NOTES
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
13 • Apports de la thérapie psychomotrice au traitement de l’obésité et du surpoids

237

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Chapitre 14
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La psychomotricité
dans la formation
238
de professionnels
d’établissements
d’accueil du tout-petit
Ateliers de mise en situation corporelle

Carine Da Fonseca
SOMMAIRE

Le regard du psychomotricien : un apport à la réflexion


pluridisciplinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Au sein même des sections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Au cours des réunions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
Atelier de mise en situation corporelle : une approche
théorico-pratique à la réflexion pédagogique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
Apports et mise en place d’un atelier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Retours d’expériences : le point de vue des professionnels . . . . . . 246
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Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250

239
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Contexte professionnel Établissements d’accueil de jeunes enfants, la halte-garderie et la


crèche accueillent les enfants de 3 mois à 4 ans selon des modalités propres à chaque institution.
Les familles sont accompagnées par des équipes pluridisciplinaires auxquelles s’intègre le
psychomotricien. Son rôle est pluriel et se compose différemment selon son temps de présence.
Il accompagne les enfants, les familles et les équipes auprès desquelles il peut avoir un rôle de
formateur.

Les trois premières années de la vie de l’enfant sont marquées par d’importantes acquisitions
psychomotrices, psychoaffectives et cognitives. L’accompagner et le soutenir dans ses
découvertes en lui offrant un cadre sécurisant et suffisamment propice à son éveil au
quotidien est essentiel. Au sein des établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE),
une équipe pluridisciplinaire veille au développement et au bien-être psychocorporel de
l’enfant dans le cadre du projet pédagogique qu’elle a établi. Le psychomotricien est intégré
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à ces équipes généralement composées d’éducateurs de jeunes enfants, d’auxiliaires de
puériculture, d’auxiliaires « petite enfance », d’un infirmier, d’un médecin, d’un psychologue
et d’agents techniques. Les enfants sont accueillis en groupes, répartis en fonction de
l’organisation de la structure et accompagnés par une équipe multidisciplinaire. La place du
psychomotricien au sein de l’établissement diffère s’il est à temps plein ou à temps partiel,
intégré à une section ou intervenant transversalement dans tous les groupes. Son rôle se
décline toujours sous différentes formes : auprès des enfants, des parents et des équipes.
Accompagner les parents au cours du développement de leur enfant et de l’acquisition de son
autonomie est l’une mission du psychomotricien en EAJE. Informer sur les différentes étapes
de l’évolution psychomotrice et répondre aux questionnements qui sont parfois empreints
240 d’anxiété est essentiel dans l’accueil des familles. Le regard spécifique du psychomotricien
vient compléter celui de l’équipe. Il observe l’enfant en section, dans sa motricité et son jeu
spontané, puis propose des situations ludiques adaptées à leurs besoins. Ces temps d’éveil
et de découvertes sensori-motrices mettent en jeu le corps, la sensorialité, l’exploration
sensori-motrice, l’investissement spatial et encore la découverte de l’autre.
Le psychomotricien a également pour mission de soutenir les équipes dans le cadre
de sa spécificité. Le projet pédagogique d’un EAJE rassemble et porte les valeurs de la
structure pour l’ensemble des pratiques quotidiennes (comme par exemple les temps d’éveils,
l’accompagnement au sommeil et le déroulement des repas). Ce projet est pensé et élaboré
par l’équipe pluridisciplinaire. Une fois rédigé, il devient le socle des pratiques quotidiennes
et oriente l’accueil du tout-petit et de sa famille. Il peut bien sûr faire l’objet de réflexions
régulières et donc être remanié. Les professionnels assurent sa mise en œuvre et son respect
au quotidien. Le psychomotricien porte également ses valeurs et soutient les équipes dans
leurs démarches quotidiennes. Ce qui donne ainsi tout son sens à son intervention.
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

LE REGARD DU PSYCHOMOTRICIEN :
UN APPORT À LA RÉFLEXION PLURIDISCIPLINAIRE

Au sein même des sections


Participer à la vie du groupe d’enfants me semble être un pré-requis essentiel au soutien
des équipes. En effet, il ne s’agit pas de prôner de « bonnes pratiques » pour accompagner
les équipes dans leurs relations quotidiennes à l’enfant. Chaque professionnel porte en
lui son vécu, sa formation, son savoir et sa manière propre d’être et de faire. Le défi
principal au sein des équipes est l’articulation des pratiques de chacun dans le respect
du projet pensé et partagé par tous. Le psychomotricien intervenant dans l’ensemble
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de la structure est en dehors de la dynamique groupale propre à chaque « équipe » de
section. Il amène ainsi un regard extérieur. S’installer en observation ou participer à un
moment de vie (ex. : repas, accompagnement au sommeil ou temps d’éveil) permet au
psychomotricien de saisir les enjeux, les difficultés et les besoins liés à chaque instant.
Pourquoi et comment observer et/ou agir ? Le débat « changer les couches fait-il partie du
rôle du psychomotricien en crèche ? » est ouvert. Il me semble que l’essentiel est de trouver
sa place et sa spécificité de psychomotricien en EAJE sans être happé par les habituels soins
propreté/repas/sommeil/éveil portés au tout-petit. Ce quotidien au rythme effréné rend
la peur de perdre notre spécificité omniprésente. Trouver cet espace et cette place entre
agir et observer est un véritable jeu d’équilibriste sans cesse remanié mais fondamental.
241
Pouvoir porter un regard sur les pratiques quotidiennes de nos collègues et leur en faire un
retour qui devienne un soutien bienveillant et non un jugement implique une place et une
relation de confiance. Celle-ci s’établit progressivement dans les échanges quotidiens et
dans le « faire ensemble » vers un objectif commun : le bien-être et le respect de l’enfant.

Ces temps passés auprès des enfants et des équipes en sections dévoilent les difficultés
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et les besoins de chacun : questionnements de l’équipe sur la mise en place du projet


pédagogique, divergence des pratiques, difficultés ou besoins particuliers d’un enfant...
Les retours spécifiques de chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire conduisent à
la mise en place de réunions à thèmes permettant d’approfondir et débattre de sujets
précis.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Au cours des réunions


Il existe plusieurs types de réunions :
• les réunions de sections où sont présents tous les professionnels d’une section sont
menées par les responsables de sections (souvent un éducateur de jeunes enfants). Les
thèmes sont divers et ne concernent que le groupe en question ou un projet spécifique ;
• les réunions concernant l’ensemble des professionnels de la crèche et de la structure –
toutes sections confondues – sont menées par l’équipe de direction. Le psychomotricien,
le psychologue, le médecin et l’infirmière peuvent être présents à ces réunions, amenant
ainsi leur regard spécifique aux situations/projets évoqués ;
• les réunions à thème particulier qui peuvent être également menées par le psychomotricien.
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La parole est donnée à une section en particulier ou à l’ensemble de l’équipe selon les
besoins spécifiques de la structure. On y partage de façon plus formelle des connaissances
spécifiques liées au métier de psychomotricien ;
• enfin, les journées pédagogiques sont des journées dédiées à l’étude approfondie d’un
sujet précis comme le moment du repas, les transmissions à l’accueil et au départ de
l’enfant, le portage physique et psychique ou le jeu. L’équipe est présente en totalité
et participe à la réflexion. Au cours de ces journées, différents intervenants amènent
des outils théoriques et/ou pratiques permettant d’aborder le sujet dans sa globalité.
Par exemple, la journée peut être introduite par la psychologue expliquant la notion de
portage psychique. Le psychomotricien peut intervenir également et proposer un atelier
242 théorico-pratique sur la façon dont ce portage psychique s’enracine dans le portage
physique.

ATELIER DE MISE EN SITUATION CORPORELLE :


UNE APPROCHE THÉORICO-PRATIQUE À LA RÉFLEXION
PÉDAGOGIQUE

Les thèmes choisis pour les réunions découlent le plus souvent de l’observation des pratiques
quotidiennes. Les temps de réflexion et d’élaboration communs ont pour objectifs d’amener
chacun à questionner son positionnement et d’harmoniser les pratiques globales de l’équipe.
Ainsi, chaque moment de la journée de l’enfant au sein de la structure est pensé et réfléchi
d’un point de vue pédagogique par l’équipe pluridisciplinaire. Le partage des connaissances
est essentiel dans la dynamique d’équipe. Chaque professionnel, quelque soit son expérience
et son rôle, enrichit l’équipe de ses compétences et de ses analyses. Il existe ainsi de
nombreux sujets et thèmes pouvant être abordés lors de réunions ou journées pédagogiques.
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

Le psychomotricien va pouvoir y apporter sa spécificité. Il est généralement sollicité pour


les sujets touchant le développement psychomoteur, la relation au corps de l’enfant, l’intérêt
et les différents types de portage, l’éveil sensori-moteur et l’aménagement de l’espace.
Quel que soit le thème choisi, une question fondamentale se pose : comment partager ses
connaissances dans le souci de faire évoluer les pratiques quotidiennes ?

Il est important de débuter la réflexion par l’analyse des pratiques « actuelles »


en amont de la réunion. L’importance du travail pluridisciplinaire est ici à noter.
Chaque membre de l’équipe peut s’impliquer dans l’analyse des pratiques. La place
du psychomotricien au sein de la dynamique groupale est essentielle sur ce point.
Son regard est mis à l’épreuve lors des moments d’observation en section. Les
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relations établies avec les membres de l’équipe, la bienveillance et le non jugement
offrent la possibilité d’échanges constructifs sur les pratiques étudiées. En effet,
l’ensemble des observations apporte des éléments sur lesquels réfléchir : les pratiques
qui fonctionnent et qu’il faut soutenir et maintenir et celles qui ont besoin d’être
repensées ou changées. Cet état des lieux est un préalable indispensable à l’élaboration
d’une réunion.
Le thème défini et les pratiques analysées, l’ensemble des éléments à réfléchir
prend forme. Des apports ou des rappels théoriques sont nécessaires afin de
recentrer la réflexion dans son cadre professionnel. Selon le thème choisi, ces
précisions peuvent être amenées par différents professionnels : éducateurs de jeunes
enfants, psychologue, psychomotricien, intervenants extérieurs... Si l’intervention du
psychomotricien se justifie, une intervention théorique et/ou pratique est envisagée.
243

Apports et mise en place d’un atelier


Le positionnement de l’adulte dans l’accueil du jeune enfant requiert une analyse fine
de toutes les interactions qui en découlent. L’idée principale est de venir solliciter le
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vécu corporel de l’adulte pour mettre en évidence les enjeux émotionnels des situations
quotidiennement rencontrées à la crèche. La mise en pratique corporelle amène un autre
point de vue, une réflexion qui n’est plus simplement théorique. Se mettre en situation
peut impliquer l’investissement corporel, psychique et affectif, des professionnels dans leur
propre histoire. Il est important de noter que cet investissement est proposé à tous les
professionnels dans le respect de leurs propres limites et qu’ils participent de manière libre
sans contraintes ni jugement. Cet aspect essentiel est rappelé à chaque proposition d’atelier
pratique afin que tout se passe dans un cadre contenant et respectueux. Sans notion de
« bien » faire.
Les expériences vécues au cours de ces ateliers offrent la possibilité de recentrer la réflexion
sur le vécu du jeune enfant accueilli dans un EAJE. À partir des émotions vécues et
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

partagées lors des temps de verbalisations, la réflexion professionnelle va pouvoir s’étayer.


En effet, en amenant le lien entre l’émotion ressentie et la situation vécue, nous ouvrons
les perspectives d’une pensée empathique. Cette approche nous permet, en partant d’une
situation et de son expérimentation, de créer une nouvelle représentation, plus juste et
mieux adaptée au soin porté à l’enfant.
Afin d’illustrer de manière plus concrète la mise en place d’un atelier pratique, nous allons
prendre comme exemple la mise en situation proposée au cours d’une journée pédagogique
dont le thème était le jeu : Qu’est-ce que le jeu ? Quelle est la relation adulte/enfant dans
le jeu ? La crèche où s’est donc déroulée cette intervention accueille 60 enfants au sein
de 5 sections et compte 19 professionnels de terrain. Le déroulement de la journée a été
élaboré par la directrice, la coordinatrice petite enfance, la responsable pédagogique, les
éducatrices de jeunes enfants, la psychologue et la psychomotricienne.
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Le jeu représente un vaste sujet au sein des structures accueillant le jeune enfant. La
journée s’est déroulée en deux temps : une matinée de mise en pratique et expérimentation
autour du jeu libre suivie d’un après-midi d’intervention théorique menée par la responsable
pédagogique. Nous avons choisi de centrer l’un des ateliers de pratique sur la place et le
positionnement de l’adulte dans le jeu dit « libre » de l’enfant et notamment sur les moments
de transitions impliqués par le quotidien. Imaginons simplement un jeune enfant occupé
avec un petit train quand l’heure de se préparer pour le repas arrive. Comment intervient
l’adulte dans le jeu de l’enfant à ce moment précis ? Qu’implique cette intervention pour le
jeune enfant en pleine exploration ludique ? Comment accompagner au mieux les émotions
244 qui découlent de ce moment de transition ?
Au quotidien et au sein du groupe, la place de chaque enfant peut parfois être oubliée.
Nous pouvons alors entendre « allez, on range, tu joueras plus tard, c’est l’heure d’aller
manger ! » Les réactions émotionnelles des enfants face à ces moments de transition sont
nombreuses : pleurs, retrait, agitation... peuvent être observés.
À partir de cet exemple, l’idée principale de la mise en pratique a donc été de recentrer les
professionnels sur l’investissement affectif et émotionnel qu’implique le « jouer ». L’atelier,
animé par moi-même, a été élaboré en collaboration avec une éducatrice de jeunes enfants
sous l’aval de la directrice de la structure.
Afin d’amener les professionnels à vivre et ressentir le plaisir de jouer, nous avons choisi de
leur proposer de jouer aux cartes. Divisées en trois groupes, elles devaient convenir d’un
jeu et exposer par écrit les règles et le déroulement d’une partie. Cette première étape avait
pour objectif d’impliquer un travail d’équipe, de collaboration et de mise en commun des
idées. La notice rédigée, la partie pouvait commencer. Aucune notion de temps de jeu n’a
été énoncée. Nous avions choisi de laisser libre cette contrainte temporelle tant prégnante
dans leur quotidien professionnel et fondamentale dans le cadre de cet atelier. Le rythme
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

du jeu s’est donc imposé de lui-même et nous avons laissé chaque groupe jouer un bon
moment laissant ainsi place aux rires et à la bonne humeur générale.
Le binôme de direction1 et moi-même, restées en dehors des groupes, sommes ensuite
intervenues. Notre rôle était de perturber le déroulement du jeu d’un groupe. S’immiscer
dans le jeu, redistribuer les cartes, mélanger les jeux... autant d’interventions pouvant
déstabiliser l’ordre du jeu et son résultat.
À mon arrivée dans le groupe, je devais donc « perturber » la partie qui était alors en plein
déroulement. Une professionnelle avait d’ores et déjà gagné : elle n’avait plus de cartes.
Fière d’elle, souriante, elle suivait la suite de la partie tranquillement et le sourire aux
lèvres. Toutes étaient détendues mais affichaient une certaine concentration témoignant
leur envie de gagner. Certaines, prises dans leur jeu tant psychiquement que corporellement
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ne m’ont même pas regardée lorsque je me suis assise à leur table. J’ai tout de suite imposé
ma présence en signifiant que je voulais jouer et j’ai pioché aléatoirement des cartes
dans les mains de chacune des joueuses. Leur réaction tonique et posturale, empreinte
de surprise et d’incompréhension, fut immédiate. Tous les regards se sont tournés vers
moi cette fois-ci. Certaines ont eu un mouvement tonique de recul pour protéger leur jeu,
d’autres ont écarquillé les yeux. Puis rapidement ont éclaté les ressentis : « Mais non !
C’est de la triche ! », « Arrête ! », « J’étais en train de gagner ! », « Pourquoi tu fais ça ? »,
« J’ai même plus envie de jouer ! » Les mots, qui peuvent parfois manquer aux enfants,
sont venus exprimer la violence émotionnelle de cette intrusion.
Après ce bouleversement, nous sommes reparties en laissant de nouveau les groupes jouer
librement avant de revenir plus tard mettre précipitamment un terme à ce moment ludique 245
en ramassant simplement les cartes.
Ensuite, nous nous sommes réunies afin d’échanger les ressentis et expériences de chacune.
Ces moments de verbalisation où les émotions sont mises en mots et partagées sont
essentiels. Ils viennent donner un sens au vécu et étayent la réflexion. Voici quelques
émotions partagées :
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• « Beaucoup de communication ;
• C’est agréable de jouer ensemble ;
• Ça crée des liens, ce sont de bons moments ;
• On apprend à se connaître ;
• Rigoler un peu, ça détend l’atmosphère !
• J’étais énervée quand le jeu a été chamboulé ! Je n’avais plus envie de jouer !
• J’ai ressenti de la frustration à la fin ! Nous prévenir 10 secondes avant aurait été bien !
• Ca fait comme à un enfant : je n’ai pas compris parce que ça n’a pas été dit. »

1. Il s’agit de la directrice et de son adjointe.


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’une des émotions partagées par l’ensemble des professionnels est le bien-être et le plaisir
d’avoir pu « jouer ensemble. » Le sentiment d’apprendre à connaître l’autre et d’avoir
passé un bon moment dans la convivialité est partagé par tous. Favoriser l’échange et les
interactions entre professionnels afin de fédérer l’esprit d’équipe est un objectif commun à
chaque atelier. En effet, le partage de ces moments de convivialité offre aux équipes un
espace de détente facilitant la communication et les échanges. L’expression des émotions
peut ainsi se faire dans un climat serein et respectueux.

Les émotions évoquées sont progressivement associées aux situations pratiques


quotidiennes pendant la discussion. En effet, les fortes émotions suscitées lors
du « chamboulement » et « l’arrêt brutal » du jeu amènent les professionnels à
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questionner leurs pratiques. Elles deviennent soucieuses de ce qui peut être provoqué
chez l’enfant avec un comportement similaire souvent inconscient. Nous avons évoqué
la difficulté pour les enfants d’être interrompus dans leur jeu et le manque de sens
que cela peut avoir pour eux. Ainsi, l’importance de prévenir en amont les enfants
lors des temps de transition a été soulignée.
Partant des vécus exprimés et de leurs confrontations, les liens se font au fur et à
mesure avec la pratique professionnelle. L’empathie pour ce que l’on peut parfois faire
vivre aux enfants vient soudainement à la conscience collective. C’est cette prise de
conscience liée à l’affect qui s’ancre dans le vécu. Ainsi, l’émotion vient se lier à la
situation et convoque le souvenir : « C’est comme pour les enfants quand... ». De
ce constat peut alors naître le désir d’améliorer l’intervention et l’accompagnement
professionnel auprès du jeune enfant : « Je ne le referai plus. Il faut prévenir », nous
246 dit A. De même, le souvenir de ce qui a été ressenti au cours d’un atelier pratique
peut émerger au regard d’une situation vécue par la suite auprès des enfants. Le
positionnement du professionnel va alors se remanier au quotidien par la mémoire de
ce qui a pu être ressenti, exprimé et ainsi pensé.

Retours d’expériences : le point de vue des professionnels


Quelle mémoire reste-il de ces ateliers pratiques au quotidien ? Il n’est pas simple de
l’évaluer de manière concrète. Néanmoins, après plusieurs années d’intervention dans
les journées pédagogiques, je crois intéressant d’essayer d’estimer leur impact. Certaines
collègues ont accepté de rapporter leurs expériences concernant ces ateliers pratiques. Du
cheminement de pensées ayant permis l’élaboration des ateliers à la mise en mots des
ressentis éprouvés après leur mise en pratique, voici leurs témoignages :

Sophie, éducatrice pour jeunes enfants


Sophie est directrice d’une crèche accueillant 60 enfants. L’équipe de cette structure compte 19
professionnels de terrain répartis dans 5 sections.
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

« En tant que directrice de crèche, j’organise deux journées pédagogiques par an. Ces journées
visent plusieurs objectifs :
• formation des professionnels ;
• remise en question et réajustement des pratiques ;
• cohésion et resserrage des liens au sein de l’équipe.

Le rôle de la psychomotricienne est tout à fait précieux. Tout d’abord, l’élaboration du programme
de ces journées se réalise en équipe pluridisciplinaire : directrice, éducatrices de jeunes enfants,
psychologue et psychomotricienne. Cette dernière, de par sa formation, apporte un regard
complémentaire et riche. Cette complémentarité vient justement se tisser entre le regard de la
directrice et de la psychologue.
Mes attentes sur les propositions de la psychomotricienne lors de ces journées portent sur :
• les moyens mis en œuvre : ateliers de mise en situation corporelle ;
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• le contenu : liens théorie-pratique très concrets à partir du vécu et du ressenti des profession-
nels ;
• l’angle d’approche : version ludique et conviviale.

Ces ateliers, au travers des émotions qu’ils suscitent, ont un impact très fort. Les professionnels
peuvent ensuite verbaliser et comparer leurs ressentis à ceux supposés des enfants. C’est la base
de notre travail en crèche !
Les attentes formulées auprès de la psychomotricienne s’appuient sur la place et le rôle qui lui
sont propres au sein de l’équipe. Elle occupe un rôle transverse sur les cinq sections et intervient
auprès des enfants de toutes les tranches d’âge. Ses observations sont utiles à l’équipe auprès de
qui elle assure un retour.
Elle a su faire sa place, entre la direction (elle permet de porter les valeurs pédagogiques sur le
terrain) et l’équipe. Ses liens et sa présence en section permettent d’accompagner l’équipe de 247
manière très professionnelle, pertinente et adaptée.
Ces ateliers sont à chaque fois une vraie réussite et permettent une réflexion et une prise de
conscience des pratiques grâce à une approche riche, agréable et ciblée. »

Véronique, psychologue
Véronique nous fait partager son ressenti sur l’intérêt et la complémentarité de l’approche corporelle
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lors des journées pédagogiques :


« La collaboration en amont est extrêmement intéressante. Penser ensemble aux thèmes à travailler
est un travail précieux lors duquel sont échangés les observations et les ressentis, qui permettent
l’émergence des axes de travail à mener. Cette mise en commun permet l’échange sur ce qu’il
se passe pour les enfants et pour les équipes, les difficultés repérées et les points sur lesquels
un travail pourrait se réaliser. Cette élaboration conjointe permet d’établir une cohérence entre
les différentes parties de la journée, donnant un sens global à l’alternance entre un travail plus
théorique et une mise en œuvre concrète et ludique lors des ateliers pratiques. La journée se
déroule autour de ces différents espaces de travail où le bien-être et le plaisir sont présents. »
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Les ateliers théorico-pratiques sollicitent d’une certaine façon l’enfant chez l’adulte :
les professionnels vont être amenés à réfléchir et à éprouver aussi ce que l’enfant
peut vivre et ressentir. Il y a la notion de jeu qui traverse tous les ateliers : se mettre
au travail par le jeu. Cela réveille le ludique chez les professionnels dans ce que peut
apporter le jeu et le plaisir d’être ensemble dans un jeu sans enjeu. C’est un travail
plaisant qui procure du bien-être, qui permet aussi de rire et donc de devenir un vrai
moment ressourçant. Ces ateliers apportent une certaine légèreté grâce aussi aux
consignes simples et inhabituelles qui forment l’enveloppe de ces moments originaux
et décalés du travail quotidien. Ce cadre de travail est une autre façon de travailler le
« corps » groupal de l’équipe avec bienveillance.
Cette approche est précieuse dans sa dimension de travail en groupe avec une modalité
ludique. Elle est portée par le regard et le savoir-faire du psychomotricien dans la
mise en œuvre de ces ateliers. »
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Véronique a pu participer aux mises en situations corporelles proposées lors des ateliers.
L’évocation de ces journées se fait pour elle au travers de souvenirs liés aux personnes avec
lesquelles elle a partagé ces moments et par les lieux où ils se sont déroulés.

Valérie, auxiliaire de puériculture dans la section des bébés


Elle nous raconte comment elle a vécu un atelier proposé sur le thème du portage physique de
l’enfant. Cette mise en pratique s’est déroulée en deux temps. Nous avons d’abord fait un tour
de table afin que chacun puisse évoquer son expérience du portage. Des poupons étaient à
248 disposition afin de permettre une analyse du positionnement corporel proposé à l’enfant et adopté
par le professionnel. Nous avons ainsi distingué plusieurs types de portage utilisés au quotidien
et rappelé leurs bienfaits. Dans un second temps, nous avons expérimenté la sensation d’ « être
porté. »

Ateliers
Un premier jeu était orienté sur les notions de confiance et de lâcher prise
Ce jeu implique trois personnes, dont une au centre les pieds joints qui se laisse aller en avant
puis en arrière et autant que possible accompagnée et soutenue par les deux autres personnes
placées devant et derrière elle.

La seconde proposition testait les appuis pendant le portage


Assise au sol, une personne est ramenée en position debout grâce à un lange passé dans un
premier temps sous ses aisselles puis dans un second temps sous ses aisselles et sous son
bassin.
« Les ateliers proposés sont très intéressants. Ils sont vraiment en rapport avec notre travail auprès
des enfants, avec ce que nous vivons au quotidien dans notre section. Les exercices utilisés sont en
adéquation avec nos pratiques. J’ai vécu ces moments comme un temps de réflexion, de prise de
conscience et de remise en question sur moi et mon travail. Également comme un rappel des bons
gestes et comportements à garder en mémoire et qui doivent devenir un réflexe tout à fait naturel.
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

Il y a un atelier qui a particulièrement retenu mon attention : "le portage". Lorsqu’on travaille dans
la section des bébés, c’est un geste que l’on répète plusieurs fois au cours d’une journée. D’où
l’intérêt d’acquérir les bons réflexes et aussi de comprendre en quoi c’est important pour eux.
C’est exactement ce que m’a apporté cet atelier : il m’a poussée à réfléchir et à améliorer mes
pratiques. Les mises en situation proposées m’ont permis de mieux comprendre ce que pouvaient
ressentir les enfants. À la suite de cette formation, mon comportement a bien évidemment changé.
Il m’importe énormément de bien faire mon travail et de savoir les enfants en confiance. Je suis
donc plus attentive au bien-être et à la sécurité des enfants dès l’instant ou je suis amenée à les
porter. »

Géraldine, auxiliaire petite enfance


Géraldine nous raconte comment elle perçoit les ateliers pratiques lors des journées pédagogiques
et évoque ensuite le même atelier que Valérie sur le portage :
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« Les ateliers sont une bonne façon d’aborder les sujets tant sur le plan théorique que sur le plan
pratique. L’idée “des jeux de rôles” nous permet de nous positionner à la place des enfants et donc
par la même occasion de nous faire une idée de leurs ressentis. J’ai bien vécu les ateliers à la
fois parce qu’ils étaient bien amenés et bien menés. Les notions étant abordées de façon subtile,
on ne se sent pas gêné d’être en position d’enfant. Ils permettent de mettre en lumière les points
positifs et les points négatifs de notre pratique. Ils agissent comme "des piqûres de rappel" en
ce qui concerne les points négatifs afin d’en faire des points positifs. L’atelier auquel j’ai participé
était sur le portage. Il a débuté par un tour de table pour savoir ce que chacune d’entre nous
entend par “portage”. Nous sommes ensuite passées à la pratique avec différents “jeux de rôles”
accompagnés d’un questionnement sur nos ressentis entre chaque jeu. L’atelier en lui-même était
bien parce qu’il ne se résumait pas simplement à la notion de portage d’un point de vue physique.
Il a permis d’aborder d’autres notions liées directement ou indirectement comme la confiance avec
l’exercice qui consistait à se laisser tomber et faire confiance aux collègues pour nous rattraper. » 249

Lucie, éducatrice de jeunes enfants


Lucie raconte son expérience d’un atelier pratique sur le « doudou », objet transitionnel cher à
l’enfant. Nous questionnions la relation de l’adulte au doudou de l’enfant :
« Je me souviens notamment de l’atelier sur l’importance de l’objet transitionnel, le doudou. Les
professionnelles avaient mis de côté un objet, une photo... quelque chose qui avait une valeur
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sentimentale. Je me souviens notamment de l’effet produit sur moi lorsqu’une professionnelle m’a
rendu mon objet en me le jetant. J’étais fâchée et en "colère" contre cette personne car mon objet
avait beaucoup d’importance. Ces ateliers théorico-pratique permettent une remise en question
quotidienne et de se rendre compte de la manière dont les enfants peuvent vivre ou voir les choses.
Ce qu’en tant qu’adulte on a tendance à oublier. »
Les témoignages de ces professionnelles, ayant participé à divers ateliers, nous montrent « la
trace qu’ils ont laissée » plusieurs mois voire quelques années plus tard : la colère pour Lucie, la
confiance accordée à ses collègues pour Géraldine, la sécurité que l’on apporte à l’enfant en le
portant pour Valérie et le partage d’un moment avec cette collègue pour Véronique. La diversité de
ces souvenirs est à l’image de la singularité de chacun, de ce qui a été important à ce moment-là
et s’est inscrit dans le vécu et dans le positionnement professionnel.
L’ensemble de ces retours d’expériences illustre la dynamique mise en jeu dans les réflexions
pédagogiques. De la mise en commun des observations et ressentis chemine le travail d’élaboration
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

qui permet de structurer et orienter le raisonnement collectif. L’aspect ludique et convivial est
toujours recherché afin de faire de ces moments de réflexion des temps agréables renforçant les
liens entre professionnels.

CONCLUSION

Les ateliers de mises en situations pratiques proposés sont déclinés en fonction des sujets
à travailler au sein des équipes pluridisciplinaires. Quand vient le temps de l’approche
corporelle, les mises en jeu sont plurielles. À l’investissement psychocorporel viennent
se lier les affects, actuels ou passés, qui donnent sens au vécu dans le moment présent.
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L’émergence des émotions permet de mettre en lumière ce qui est en jeu dans la situation
illustrée. La mise en mots de ce qui est ressenti crée l’établissement de liens avec les
pratiques quotidiennes. C’est au regard de ce qui est partagé qu’émergent les souvenirs
des pratiques quotidiennes. Les émotions ressenties et analysées s’ancrent dans la mémoire
pour être rappelées plus tard quand la situation (re)vécue fait écho et ramène le souvenir.
L’ensemble des interventions proposées lors des journées pédagogiques, qu’elles soient
théoriques ou pratiques, se lie pour amener l’équipe pluridisciplinaire à tisser un projet
commun vers des pratiques réactualisées.
L’approche corporelle, spécifique au psychomotricien, offre un nouvel axe de réflexion sur
l’accueil du tout-petit en EAJE. Les ateliers pratiques auprès de l’équipe amènent le regard
250
de l’adulte à se tourner sur son propre ressenti dans une situation où les émotions véhiculées
peuvent résonner avec celles exprimées par les enfants. La prise de conscience devient
corporelle. Portée par l’affect, elle étaye et enrichit la réflexion pédagogique.

RÉFÉRENCES

MELLIER, D. (2004). L’inconscient à la THOLLON BEHAR, M-P. (sous la dir.). (2011).


crèche. Ramonville Saint-Agne : Érès. Accueillir l’enfant entre 2 et 3 ans. Tou-
PINELLI, A. (2010). Porter le bébé vers son louse : Érès.
autonomie. Toulouse : Érès. VASSEUR, R. DELION, P. (2010). Périodes sen-
POTEL, C. (sous la dir.). (2010). Psychomo- sibles dans le développement psychomo-
tricité : entre théorie et pratique. Paris : teur de l’enfant de 0 à 3 ans. Toulouse :
In Press. Érès.
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NOTES
14 • Formation des professionnels d’établissements d’accueil du tout-petit

251

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Chapitre 15
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Maladie d’Alzheimer
et psychomotricité
Un engagement tripartite garant de l’identité
252
des patients atteints de la maladie d’Alzheimer

Adrien Hilion
SOMMAIRE

La maladie d’Alzheimer et ses répercussions psychomotrices . . . . . . 254


Les structures de soin et d’accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Analyse de cas et soin psychomoteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Projet thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
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253
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

« Habiter son corps suppose que l’on maîtrise les sensations


qui arrivent aux frontières de l’organisme.
Savoir cela, c’est, à travers les sensations, délimiter une “zone habitable”. »
Bullinger A., 2004.

L
E SOIN PSYCHOMOTEUR dans la problématique du vieillissement pathologique
est particulièrement original dans sa pratique et son approche. La
géronto-psychomotricité ne place pas seulement l’individu au centre d’un
système de soin complexe et lourd, elle l’accompagne aussi dans son cadre
environnemental de vie qui comprend le patient, l’aidant familial et son domicile.
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Dans ce chapitre, nous allons pouvoir observer la démarche de soin dans sa globalité pour
une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Malgré les avancées aux niveaux de la prévention et du dépistage développées par les
différents plans Alzheimer (Plan Alzheimer 2008/2012), la démarche de soin des patients
reste longue et compliquée. Mon propos portera sur le travail d’accompagnement du
psychomotricien en termes d’identité au sein de différentes structures de soin.

254 LA MALADIE D’ALZHEIMER ET SES RÉPERCUSSIONS


PSYCHOMOTRICES

La maladie d’Alzheimer est une affection neurodégénérative qui touche les cellules du
tissu cortical. Principalement le système hippocampo-amygdalien et le néocortex associatif
pariéto-temporal. Les lésions entrainent la perte irréversible des fonctions cognitives, en
particulier de mémoire. L’apparition des troubles est progressive et insidieuse. L’évolution
des atteintes corticales conduit à une réelle désinstrumentalisation de la vie quotidienne,
touchant principalement la mémoire épisodique (encodage de nouvelles informations),
les fonctions exécutives (par exemple : l’attention, la planification, la programmation,
le jugement et le raisonnement), les fonctions instrumentales (gnosique, phasique et
praxique) et l’orientation spatio-temporelle, conduisant à une perte totale de l’autonomie.
Ce processus est souvent accompagné, dans les stades avancés de la maladie, de troubles
du comportement (apathie, agressivité et comportements moteurs aberrants).
La maladie d’Alzheimer a de nombreuses répercussions sur les fonctions psychomotrices et
réduit considérablement les capacités de la personne à interagir avec son environnement.
Tous les items de la psychomotricité (tonus, espace, temps, schéma corporel, coordinations,
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

équilibres, praxies et motricité fine) sont touchés et participent à la désafférentation


du tissu social et à la dissolution des habiletés motrices nécessaires aux actes de la vie
quotidienne.
Il ne faut pas oublier que ces symptômes se surajoutent au vieillissement normal du
patient (déficits des systèmes sensoriels, cardiopathies, troubles ostéo-articulaires, troubles
labyrinthiques, disparition des réflexes d’équilibration, des ajustements posturaux entre
autres). Les remaniements morpho-physiologiques que le corps subit se répercutent sur
l’image du corps. Cette dernière perd de sa superbe. Autrefois étendard et porte-parole
inconscient dans lequel s’enracinait le Moi, elle est à cette période de la vie le miroir du
déclin des capacités et de la séduction. Le corps est marqué par la fuite du temps. Le
Moi doit, une fois de plus dans son évolution, s’adapter et se réorganiser afin de pouvoir
élaborer une nouvelle organisation de la personnalité. Le fonctionnement de base antérieur
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et le rôle de l’entourage vont être déterminants dans l’adaptation du narcissisme et de
l’estime de soi. L’important va être de redonner vie à ce corps qui a perdu de sa fiabilité et
qui se dresse comme un rempart face à l’avenir. La difficulté est de dépasser la diminution
d’estime de soi qui se base sur des performances passées en recrutant ses qualités de
sublimation qui pourront faire toute la différence. Cette image altérée, beauté perdue,
qui s’introjecte à l’intérieur du sujet doit être sublimée à l’extérieur pour être source de
renarcissisation. Continuer à s’aimer soi-même, telle pourrait être la réponse au repli sur soi,
au sentiment d’insécurité et de dévalorisation qui suit les innombrables « coups de vieux. »
Malheureusement, ce travail est mis à mal par l’avancée de la maladie d’Alzheimer qui coupe
petit à petit la personne d’elle-même, de son histoire, de sa famille, de son environnement
255
et de son corps.
La géronto-psychomotricité permet de lutter contre ces atteintes. C’est une méthode de
rééducation des désordres psychomoteurs, cognitifs et affectivo-émotionnels au moyen de
techniques psychocorporelles. Dans ce contexte, cette approche se fonde principalement
sur la communication non-verbale (la communication du corps reste longtemps efficiente
chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer) et le dialogue tonico-émotionnel. Chez
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le patient malade, le trouble émotionnel qui accompagne la confrontation aux difficultés


aggrave les restrictions fonctionnelles au niveau des gestes de la vie quotidienne. Il lui
enlève ses moyens et potentialités d’être acteur de sa vie. Cependant, ces personnes gardent
les mêmes capacités à percevoir les émotions mais ne disposent plus des outils cognitifs
pour les réguler et les élaborer. Ces constatations mettent au premier plan une notion
essentielle dans la problématique Alzheimer, celle de l’identité.
« L’identité est un ensemble de critères, de définitions d’un sujet et un sentiment interne.
Ce sentiment d’identité est composé de différents sentiments : sentiment d’unité, de
cohérence, d’appartenance, de valeur, d’autonomie et de confiance organisé autour d’une
volonté d’exister » (Mucchielli A., 1986, p. 5).
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

L’identité se construit dynamiquement et évolue tout au long de la vie d’une personne.


Certains auteurs parlent de périodes charnières délicates à surmonter. Ces crises dont
fait partie le vieillissement déstabilisent l’essence même de la personne. Ainsi, l’identité
correspond à une succession « de remaniements et de tentatives d’intégration plus ou moins
réussies » (Lipianski E.-M., 1998).
Le vieillissement est une période charnière dans l’histoire de vie de chacun et initie de
nombreux remaniements identitaires majorés par l’annonce de la maladie. Adopter le point
de vue identitaire dans l’étude du vieillissement efface la dichotomie normal/pathologique
pour se recentrer sur les spécificités du vécu de chacun. Chaque individu, quelque soit le
développement de sa personnalité et sa constitution psychique, est soumis aux implications
du passage du temps et à l’ébranlement identitaire qui en résulte. L’arrivée sur la scène
mentale d’une maladie neurodégénérative, comme la maladie d’Alzheimer, signe une véritable
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souffrance psychique et une désorganisation totale de la vie du patient et de sa famille sur
un fond tragique de délitement de l’histoire personnelle, des repères, des connaissances et
des habiletés motrices avec une incapacité progressive à élaborer une angoisse envahissante
et destructrice du lien social. La perte d’adaptabilité due aux troubles cognitivo-moteurs
est très anxiogène pour le patient qui perd confiance en lui-même et en son propre corps.
Ce sentiment d’insécurité est fortement lié à une restriction d’activité et à une baisse des
performances consciente ou non (l’anosognosie va souvent de pair avec l’avancée de la
maladie d’Alzheimer). Le patient est donc fortement atteint dans son narcissisme et dans la
reconnaissance de son identité propre.
256 La psychomotricité est donc un point central du soin et permet de faire vivre le corps dans
ce qu’il garde encore d’efficient et d’original. Mais il n’est pas le seul garant de l’intégrité
existentielle du malade. L’aidant principal est la clé de voûte du processus de soin et du
maintien à domicile du patient.

La position d’aidant représente un lourd investissement en temps et en énergie durant


plusieurs années. Elle participe à la détérioration de la qualité de vie des aidants
eux-mêmes au quotidien. Les études réalisées (l’étude PIXEL par exemple) ont montré
les répercussions négatives de ce contexte sur la santé physique et psychique de
l’aidant. La littérature souligne, quant à elle, la diversité des conséquences de ces
troubles sanitaires : stress et attitudes inadaptées, maltraitances ainsi que sentiment
d’incompétence associé à une perte d’estime de soi (Thomas et al., 2005).
Les causes de stress chez l’aidant peuvent être multiples et diverses (et cela de
manière croissante avec l’avancée de la maladie) :
• l’accompagnement quotidien rythmé par la maladie, une surveillance de chaque
instant avec un manque de recul inhérent à la proximité affective ;
• le manque de repos et/ou de sommeil ;
• la difficulté de constater et d’accepter l’évolution de la maladie et de faire le deuil
de la personne que l’aidant a côtoyée ;

15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité


• l’appréhension de l’avenir ;
• la compréhension des troubles liés à la maladie ;
• la gestion des troubles du comportement associés à la maladie ;
• la relation ou les situations conflictuelles avec le patient et/ou la famille ;
• l’isolement social et familial ;
• la nature des soins à accomplir (hygiène, traitement...) ;
• les sentiments d’impuissance face à l’avancée de la maladie, de colère liée à
l’incompréhension de la pathologie et de honte vis-à-vis du regard de l’autre.
L’ensemble des souffrances physiques et psychologiques évoquées, mais également les
sentiments de honte et de culpabilité, les difficultés sociales, familiales, financières
même, constituent ce qui est désormais désigné par le terme de fardeau (développé
par Zarit S.H.). Enfin, les aidants familiaux pensent rarement à demander de l’aide pour
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eux-mêmes. Ils mettent donc parfois en péril leur propre santé. Ce qui compromet la
qualité de l’aide apportée et la capacité à accompagner le proche tout au long de la
maladie.

Les objectifs de l’accueil de Jour, des Équipes Spécialisées Alzheimer ainsi que les
programmes de formation des « Plateformes d’accompagnement et de répit des aidants »
s’inscrivent directement dans cette perspective. Il est indispensable d’accompagner les
aidants familiaux afin d’améliorer leur qualité de vie ainsi que celle des malades en prenant
en charge leur souffrance mais aussi leur transmettre un ensemble de connaissances leur
permettant d’adapter leur environnement aux spécificités symptomatologiques du malade,
257
de mieux comprendre les difficultés de leur proche et de maintenir ainsi leur relation avec
celui-ci.

LES STRUCTURES DE SOIN ET D’ACCOMPAGNEMENT


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Les prémices symptomatologiques de la maladie d’Alzheimer peuvent être longues et


insidieuses. Le patient ainsi que sa famille mettent parfois plusieurs années avant de mettre
un nom sur ce drame de vie et à en accepter les conséquences.
Le dépistage et le diagnostic sont réalisés, dans notre cas, au sein d’un hôpital de jour
gériatrique (HDJ), comprenant une consultation mémoire avec des médecins gériatres,
des neurologues et des neuropsychologues. Différents tests d’évaluation cognitive sont
soumis au patient ainsi qu’à l’aidant familial (par exemple : l’AGGIR : grille d’autonomie,
gérontologique, groupes iso-ressources, l’échelle de Zarit ou inventaire du fardeau, le NPI :
Inventaire Neuropsychiatrique). Le diagnostic posé et compte tenu de l’avancé des troubles,
le patient et sa famille sont orientés dans les méandres du système de soin. Ils sont
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

maintenant libres de faire les démarches ou non. La liste des possibilités est assez large et
je ne développerai que celles qui nous occupent dans ce cas :
• L’Equipe Spécialisée Alzheimer (ESA) ;
• L’Accueil de Jour (ADJ) ;
• La plateforme d’accompagnement et de répit des aidants.

Les Équipes Spécialisées Alzheimer (ESA) proposent des soins de réhabilitation et


d’accompagnement à domicile pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou
apparentées dans le cadre de la mesure 6 du plan Alzheimer 2008/2012. Les critères
d’orientation concernent des patients dont la maladie en est au stade léger à modéré
de son évolution et dont les répercussions sur la vie quotidienne sont débutantes. Ces
équipes sont constituées d’un infirmier coordinateur, de psychomotriciens et d’assistants
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de soin en gérontologie. Les objectifs de soin sont définis après un bilan réalisé par les
psychomotriciens. Le but de l’accompagnement à domicile concerne trois pôles : le patient,
l’aidant et le soin en lui-même :
• du côté du patient, l’objectif est de maintenir les habiletés motrices dans les actes
de la vie quotidienne ainsi que de préserver les capacités cognitives et motrices. La
communication et l’échange sont favorisés de même que la prévention des troubles du
comportement ;
• concernant l’aidant, le but est de lui transmettre des informations et compétences
adaptées à cette nouvelle situation, de mettre en place d’éventuels relais et d’adapter le
258 cadre de vie ;
• le soin va permettre, enfin, de coordonner les actions avec les partenaires médico-sociaux.

Cette intervention sur prescription médicale peut nécessiter jusqu’à 15 séances réparties
sur trois mois maximum.
L’Accueil de Jour (ADJ) offre aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer – ou
apparentées – la possibilité de soins proches de leur domicile. Il répond à des objectifs
précis concernant le maintien des capacités relationnelles de la personne dans le cadre d’une
stimulation cognitive adaptée afin de solliciter non seulement les capacités sensorielles
et intellectuelles mais aussi les ressources émotionnelles. Les possibilités créatrices sont
aussi mises en avant ainsi que les gestes de la vie quotidienne.
L’accueil de jour permet aussi d’accompagner et de soutenir les familles en donnant écoute
et assistance sous différentes formes (bilan d’étape, entretien individuel, groupe de parole
et réunion des familles) afin que chaque famille trouve la réponse appropriée à son attente
au cours de la prise en charge. Les équipes sont pluridisciplinaires et font intervenir des
aides médico-psychologiques (AMP), des aides-soignants (AS), des neuropsychologues, des
infirmiers coordinateurs, des médecins et des psychomotriciens.
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

La Plateforme d’accompagnement et de répit des aidants a été créée dans le cadre de la


mesure n°1 du plan Alzheimer 2008-2012 avec pour objectif d’offrir sur chaque territoire
une palette diversifiée de dispositifs de répit correspondant aux besoins des malades et
aux attentes des aidants en garantissant l’accessibilité à ces structures. La notion de répit
peut se définir comme la prise en charge temporaire physique, émotionnelle et sociale
d’une personne dépendante dans le but de soulager son aidant familial et ainsi d’éviter son
épuisement qui compromet aussi bien sa santé que le maintien à domicile de son parent
malade. Les aidants familiaux de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ou
de pathologies neuro-dégénératives apparentées occupent une place fondamentale dans le
maintien à domicile de leurs proches. La perte d’autonomie croissante de leur parent et la
multitude des tâches à accomplir sont souvent à l’origine d’une grande source de stress qui
peut conduire l’aidant à l’épuisement. Fort de ce constat, la plateforme d’accompagnement et
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de répit propose une palette d’aides afin de soutenir l’aidant dans son rôle. Composée d’une
coordinatrice sociale et d’un psychologue, la plateforme est dédiée à l’accompagnement
des familles de personnes désorientées en perte d’autonomie en leur offrant un accès direct
(cellule téléphonique) aux différentes possibilités de soutien et de répit proches de leur
domicile. La plateforme propose aussi un service de répit à domicile, des formations aux
aidants et des activités culturelles.
Ces trois structures collaborent et s’articulent autour d’une famille touchée par la maladie
d’Alzheimer et maladies apparentées. Nous allons pouvoir observer maintenant comment ce
système de soin accompagne une famille en prenant le cas particulier de Monsieur C.
259

ANALYSE DE CAS ET SOIN PSYCHOMOTEUR

Au moment du soin en Accueil de Jour, Monsieur C. est alors âgé de 83 ans. Le diagnostic de
maladie d’Alzheimer est posé par un neurologue mais le choix de la famille est de ne pas évoquer
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la pathologie en présence du patient.


Monsieur C. est un ancien ingénieur mais sa principale activité professionnelle et passion est la
peinture. Qui reste un de ses seuls centres d’intérêt. Avec son chat.
Il vit à son domicile avec sa femme. Leur fille est très présente et accompagne ses parents dans
les diverses démarches et soins notamment auprès de la Plateforme d’accompagnement et de
répit des aidants.
Monsieur C. bénéficie de soins extérieurs auprès d’un orthophoniste et d’un kinésithérapeute.
La prise en charge à l’Accueil de Jour fait suite à l’intervention de l’Equipe Spécialisée Alzheimer
au domicile. Le travail réalisé par la psychomotricienne et l’assistante de soins en gérontologie a
permis à Monsieur C., après évaluation, d’améliorer l’autonomie de vie au domicile en ciblant les
troubles de l’équilibre, les repères spatio-temporels par le biais d’un calendrier et la mise en place
de stratégies pour pouvoir reprendre la peinture. L’intervention de l’ESA a aussi permis d’adapter
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

l’environnement du domicile en terme d’ergonomie mais aussi de proposer une continuité à


leur action en offrant une ouverture sur l’extérieur par le biais de l’Accueil de Jour et de la
participation à la Plateforme d’aide aux aidants.
Monsieur C. est une personne agréable et assez calme. Il a le contact facile et discute volontiers
afin de partager ses passions : la peinture, donc, et son chat. Monsieur C. a un léger manque
du mot. Son discours est sujet à de nombreuses digressions, parfois incohérent et n’est pas
toujours adapté. Ses intérêts reviennent à tout propos et malgré le fait qu’il ne peigne plus
depuis longtemps, cette activité est pour lui actuelle. L’autonomie au domicile est de plus en
plus limitée et nécessite une aide et un accompagnement quasi permanents pour les actes de la
vie quotidienne (repas, toilette, habillage et gestion du traitement).
L’évaluation psychomotrice montre une désorientation spatio-temporelle, des troubles du langage
et de la compréhension ainsi qu’un ralentissement psychomoteur. L’attention soutenue est
perturbée mais Monsieur C. est capable de se concentrer sur les consignes. Il a une faible
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conscience de ses difficultés. Les troubles du jugement accentuent les contraintes d’adaptation
au milieu.
La motricité générale suffisamment préservée lui permet d’interagir avec son milieu de manière
assez adaptée pour les gestes simples de la vie quotidienne. Les praxies idéomotrices et idéatoires
sont plus difficiles à mobiliser. La régulation tonique du geste volontaire est, de plus, peu
efficiente en termes de vitesse et d’intensité réduisant la qualité et la précision de celui-ci.
Monsieur C. montre une hypertonie axiale et périphérique qui limite son adaptation posturale
ainsi que la motricité manuelle fine (hormis l’acte graphique qui est de meilleure qualité). La
marche est très ralentie et précautionneuse : à petits pas glissés avec une absence de ballant
des bras et des flessums des genoux. L’équilibre dynamique est précaire et souvent compensé
par le ralentissement moteur. Il n’a pas d’antécédent de chute.
260 L’évaluation cognitive corrobore les troubles du langage, la désorientation spatio-temporelle
ainsi qu’une perturbation de la mémoire de travail et de l’attention. Les tests cognitifs mettent
en évidence une atteinte importante des mémoires épisodique et sémantique.

PROJET THÉRAPEUTIQUE

Le projet thérapeutique mis en place dans le soin psychomoteur interviendra sur 2


versants en lien avec la situation actuelle de Monsieur C. :
• Rééducation/réadaptation psychomotrice :
– maintien des capacités psychocorporelles à travers la mobilisation des différents
segments pour favoriser une certaine aisance corporelle, vectrice d’autonomie
(amélioration de la qualité de vie) ;
– prévention des chutes en favorisant une conscience corporelle fiable et les réflexes
d’équilibration.
• Thérapie psychomotrice :
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

– valorisation de l’estime de soi à travers la redécouverte d’un corps plaisir (donner la


possibilité de redevenir acteur de son corps) ;
– acquisition d’une sécurité interne (psychocorporelle), confiance en soi et expérimen-
tation de ses capacités et de ses limites ;
– diminution des tensions et des angoisses liées à la perte des facultés psychocorporelles,
à la désorientation et au déliement de la personnalité ;
– donner la possibilité de mettre du sens et des mots (ou communication implicite via le
dialogue tonique et la communication non-verbale) aux vécus corporels tant positifs
que négatifs ;
– favoriser et maintenir la relation à l’autre en termes d’interaction sociale.

La psychomotricité pourra offrir un temps pour soi où la globalité du corps sera valorisée,
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s’adaptant à son unicité selon ses capacités, ses attentes et ses limites. Le cadre groupal
des ateliers va permettre à Monsieur C. de trouver sa place au niveau relationnel et d’être
tour à tour acteur et spectateur selon ses envies du moment. Il viendra une fois par semaine
à l’ADJ pour bénéficier du cadre et des activités proposées.
L’enjeu sera de valoriser les productions motrices de Monsieur C., de lui permettre d’exister
au-delà de son vécu antérieur et d’accepter/de redonner une place, sa place, à ce héros
familial – déchu – auprès de sa famille.
« Autrui est, aux différentes étapes de la vie, un miroir dont chacun a besoin pour se reconnaître
lui-même » (Marc E., 1997).
261
Mon intervention auprès de Monsieur C. s’est organisée simultanément à deux niveaux. Le
premier concerne l’accompagnement psychomoteur du patient au sein de l’Accueil de Jour (à
la suite de l’intervention de l’équipe spécialisée Alzheimer à son domicile). Le deuxième me
place au côté de sa famille (épouse et fille) au cours d’une session de formation proposée
par la plateforme d’accompagnement et de répit des aidants.
La rencontre avec Monsieur C. s’est déroulée au sein de l’ADJ en présence de sa famille et
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d’une psychomotricienne de l’ESA qui fait le lien entre le domicile et le centre. Au premier
contact, Monsieur C. semble content de venir à l’ADJ et adhère assez bien au projet global de
soin. Notre première salutation reste singulière et met en exergue la façon qu’a Monsieur C.
d’être au monde. Cela donnera une ligne de conduite à ma démarche de soin. Il a le regard
de celui qui rêve, de l’artiste : un regard « flottant ». Il est là sans être vraiment présent
à l’autre. « Le soleil ne fonctionne pas très bien aujourd’hui, il doit avoir des problèmes
mécaniques », me dira-t-il en me serrant la main de manière détachée. Cette faible poignée
de main ainsi que sa démarche et son allure vont dans le sens d’un corps sans accroche
mondaine et en marge de la relation à l’autre.
Au fil des journées, les locaux et les membres du personnel sont investis et reconnus. Les
interactions sociales avec les autres patients sont plus fugaces. Monsieur C. initie peu la
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

conversation. Il participe néanmoins avec plaisir aux différents temps proposés (soins et
temps informels) et notamment de psychomotricité. Les séances se déroulent en groupe
homogène (sur le plan cognitif) de six personnes dans la salle de psychomotricité. La durée
des séances varie d’une heure à une heure trente selon le moment de la journée. Les thèmes
proposés sont maintenus tout au long du mois sur un même créneau horaire afin de protéger
l’orientation spatio-temporelle et de favoriser les automatismes moteurs ainsi que l’ancrage
psychocorporel des ressentis perçus.
Au cours de la première séance, Monsieur C. est amené à se présenter à l’ensemble du groupe.
Durant ce temps, chacun est libre de se dévoiler comme bon lui semble : de la présentation
succincte (nom, prénom) à la présentation détaillée de ce qui a compté ou compte dans
sa vie. La situation n’amène pas de réponse de la part de Monsieur C. Je décide donc de
mener un bref entretien en étayant sa démarche de présentation et en l’orientant sur les
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thèmes suivants : « Comment vous appelez-vous ? Dans quelle ville habitez-vous ? Quel a
été votre métier ? Qu’est-ce qui vous plaît dans la vie ? » Le regard dans le vague, il me dit
son prénom et « mon chat s’appelle Figaro. » Cette deuxième phrase nous montre un regard
bleu intense et une présence qui ne m’est pas familière de sa part. Il s’en suit un grand
sourire. Sa présentation ne parlera pas de sa carrière d’ingénieur ni même de la peinture.
D’ailleurs, elle ne sera que très rarement évoquée par la suite.
Pour les premières séances de psychomotricité, Monsieur C. intègre un groupe dans lequel
les personnes expérimentent la prise de conscience corporelle et la détente. L’objectif de ces
séances est de s’approprier/expérimenter son corps à travers l’intégration et la verbalisation
262 de ressentis induits par le toucher thérapeutique (dos et voûtes plantaires) et des exercices
de respiration inspirés du Tai-chi. On y retrouve aussi en filigrane l’aspect relationnel qui
sera fortement sollicité dans les échanges, la prévention de chute ainsi que les positions
de recentrage ou d’enroulement et de redressement.
Les exercices de toucher thérapeutique prennent la forme suivante : après un échauffement
(pressions ou frictions de l’ensemble du corps) chaque membre du groupe choisit un
partenaire puis, en position assise, la personne parcourt le dos de l’autre à l’aide d’une
balle à picots. À la fin des exercices proposés et d’un temps d’échange, les personnes
intervertissent les rôles. Le « masseur » devient « massé » et inversement.
Cet exercice est intéressant à plusieurs niveaux. Il permet de stimuler positivement une zone
souvent délaissée et douloureuse, de prendre soin de soi comme de l’autre dans un échange
tonico-émotionnel et de favoriser le redressement par la stimulation de l’axe corporel.
En effet, chez la personne âgée, le haubanage musculaire avant-arrière du buste offrant
une stabilité et un maintien de la posture est fortement atteint par la diminution de la
force musculaire, la rigidification des différentes articulations, la pathologie (AVC, chutes
par exemple) et la baisse des activités physiques. Les schémas d’enroulement sont perdus
au profit d’un schéma d’extension ou d’effondrement avant (posture en cyphose dorsale).
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

La dissociation des ceintures scapulaire et pelvienne nécessaire à l’unification des espaces


corporels gauche et droit fait défaut, rendant compliquée la rotation du buste. Cette dernière
est indispensable dans la relation à l’autre au niveau du regard par exemple. Elle rend la
personne disponible posturalement pour accueillir l’autre et permettre l’échange.
La perte des schémas d’enroulement va avoir une répercussion directe sur les capacités
d’entrer en relation avec l’espace extérieur du fait de l’impossibilité de passer d’une posture
à une autre. Cette régression va avoir des conséquences sur le regard, tant dans l’exploration
que dans le contact relationnel. En effet, le regard a une fonction d’ancrage postural
afin de maintenir un contrôle stable de l’équilibre. Cet accrochage visuel va de pair avec
l’agrippement (réapparition du réflexe d’agrippement dans les stades avancés de la maladie
d’Alzheimer) des mains à la surface d’appui rendant difficile l’utilisation de celles-ci, et
la non-coordination de l’espace de préhension en termes de capture et de manipulation
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d’objets. De plus, la difficulté de régulation tonique va être, entre autres, une des causes
des limitations motrices observées chez les patients.

Les travaux de Bullinger sur les enfants donnent un éclairage intéressant sur les
observations faites chez la personne âgée. On y retrouve des similitudes au niveau
développemental. En effet, chez l’enfant, les difficultés de mobilisation du tonus axial
entraînent une désorganisation profonde du schéma corporel qui débouche souvent
sur des difficultés praxiques. Les difficultés de régulation tonique n’entravent pas la
constitution de l’axe corporel mais perturbent la stabilité des points d’appui. Cette
instabilité détermine une difficulté majeure dans le contrôle du mouvement affectant
particulièrement le contrôle de l’adresse finale du geste. 263
De plus, la rigidification ostéo-articulaire du bassin et la perte d’appuis stables des
pieds vont avoir des conséquences sur l’investissement des membres inférieurs et
l’ajustement tonique de ces derniers. Cette coordination de faits va altérer grandement
la marche et les interactions sociales.
Enfin, la stimulation positive de cette surface du corps induit une certaine sécurité
interne - une solidité - celle que l’on retrouve dans le portage des premiers mois de
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la vie entre la mère et l’enfant et qui favorise la station érigée et l’ouverture sur le
monde. Ce principe est décrit par Haag chez le nourrisson mais trouve une résonance
chez la personne âgée. L’auteur montre le besoin de l’enfant de retrouver une relation
de forte attention avec la concomitance de l’éprouvé tactile du contact du dos et
l’interpénétration des regards à condition que cette pénétration s’allie à la douceur.
Grâce à cela, cette conjonction va contribuer à créer un espace arrière. Cet espace
arrière ou fond permettrait de surmonter la peur d’explorer l’espace externe et serait
le ciment assurant la cohésion de l’identité personnelle.

Le temps d’échange et de verbalisation qui vient ensuite donne la possibilité à chacun de


valider dans le partage avec les autres les sensations perçues (positives ou négatives) et de
s’approprier les ressentis au niveau corporel mais aussi mnésique. Ces échanges permettent
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

aussi de créer une histoire, un contexte à la séance et un ancrage mnésique qui vont
constituer un lien temporel entre les séances dans lequel la personne va pouvoir se projeter.
Au cours de ces échanges, Monsieur C. a trouvé la capacité de faire du lien entre ses ressentis
et son vécu personnel. Chaque exercice lui rappelle sa relation avec son chat. Il me dit :
« C’est comme quand mon chat vient se frotter à ma jambe. » Ce jour-là, j’ai pu observer
un changement dans le regard de Monsieur C. Il a pu contextualiser ses mouvements et
ressentis afin d’y trouver un sens – son propre sens. Straus a introduit dans cette acception
l’expérience sensible qui transcende l’aspect purement sensoriel intrinsèque pour lui donner
une valeur plus globale et non localisée du rapport de notre être entier en communication
et en contact avec le monde. C’est Le sentir.
L’émotion partagée se diffuse rapidement dans le groupe et chacun propose une anecdote ou
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son expérience avec un animal domestique qu’il a pu avoir. C’est donc une réelle rencontre
avec son corps et les autres où chacun prend dans le regard de l’autre. Mais c’est aussi
la possibilité d’un renforcement identitaire. La psychomotricité offre la perspective de
continuer à exister et à faire exister un corps trop souvent dévalorisé, oublié et douloureux.
Par la suite, tous les exercices proposés seront en lien avec ce contexte (s’étirer comme
un chat, se baisser comme pour caresser son chat...) dans lequel il trouvera beaucoup de
plaisir et le moyen de faire exister son corps et sa mémoire : son identité.

Ce contexte facilite l’émergence de conduites valorisantes jusque-là non usitées


ou peu valorisées par l’entourage. Cette situation peut donner lieu à une certaine
264
limitation inconsciente des habiletés qui accentue la dépendance et par là entretient
un enkystement du système relationnel (Personne M., 2011). La psychomotricité
mobilise un ensemble de possibilités jusque-là trop coûteuses et coupées du système
d’organisation du geste et motivationnel.

La peinture est, pour la famille de Monsieur C., le seul lien avec lui et source de
reconnaissance.
Les échanges et le plaisir partagés au cours de ces séances ont permis à Monsieur C.
d’entretenir ses capacités d’interaction avec l’environnement sur le plan moteur et relationnel
mais aussi de lui redonner l’envie de faire et d’exister. C’est une réelle affirmation de soi,
de son vécu et de son histoire personnelle qui s’est joué pour lui, donnant une résonance
positive sur le contexte familial.
Mon intervention auprès des aidants lors des sessions de formation prend le parti de
présenter les troubles psychomoteurs liés à la maladie d’Alzheimer, leurs manifestations
ainsi que leurs répercussions sur la vie quotidienne. Des échanges informels concernant
les expériences personnelles des aidants jalonnent la présentation et enrichissent le débat.
Ce n’est pas seulement un lieu de formation rigide où l’exposé du professionnel tient lieu
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

de cours magistral. C’est surtout un lieu d’échange et d’écoute où chacun donne et reçoit
selon son envie et l’avancée de sa démarche personnelle. Les familles peuvent ainsi mettre
des mots concrets sur leur vécu personnel et au domicile. « Le mettre en mots » est une
démarche importante dans la compréhension et l’acceptation des troubles qui sont souvent
surprenants et difficiles à objectiver verbalement. Leur vécu prend donc un sens dans le
partage d’expériences de vie permettant souvent de se projeter dans l’avenir. C’est une
petite victoire sur l’inconnu. Ces échanges favorisent aussi la prise de recul nécessaire à
une meilleure gestion des situations conflictuelles au domicile. La valence émotionnelle du
partage collectif oscille entre situations fortement marquées émotionnellement et situations
cocasses où le rire devient thérapeutique.
Au cours d’une session de formation (en présence de la famille de Monsieur C.), des mots
et des anecdotes du quotidien ont pu émerger et être échangés dans le groupe ainsi que
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cette phrase de Madame C. : « Mon mari ne sait plus peindre, il ne fait plus rien... ». Je lui
réponds alors : « La psychomotricienne de l’ESA a travaillé avec votre mari pour continuer
la peinture non ? » Cette question amène Madame C. à prononcer la phrase suivante : « Oui
mais ce n’est plus comme avant, c’est différent... »
« C’est différent... » : la différence est une notion véritablement intéressante et singulière
dans notre cas. Accepter l’autre et le reconnaître dans le changement ou peut-être dans
son évolution permanente.

Ricœur parle à juste titre concernant cet exemple d’« Ipse et Idem » (Ricœur P., 1990)
et situe l’homme dans une dialectique entre même et autre, une identification de soi 265
comme ce qui perdure et donc peut se reconnaître, mais aussi qui chemine et peut
évoluer ou s’altérer. Être soi-même consiste à assurer une continuité, une permanence
dans le temps, à vaincre l’éclatement et à assurer une stabilité. Position qui risque
de se scléroser en refus de la multiplicité et de la discontinuité.

La discussion se poursuit donc sur la reconnaissance de l’autre dans ce qu’il a d’immuable


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et de changeant et sur la difficulté et la dureté du regard des autres. Mais aujourd’hui au


sein du groupe, les regards sont bienveillants et empathiques et racontent « la même »
histoire. Chacun a son niveau de compréhension et chacun se trouve à différentes étapes
du chemin vers l’acceptation de ce que l’être aimé est aujourd’hui.
Je poursuis avec la fille de Monsieur C. : « Les productions artistiques de Monsieur C. sont
aujourd’hui moins précises et moins assurées mais le génie est là, la magie opère sous son
pinceau lorsqu’il étale les couleurs. » Elle semble acquiescer avec un sourire. Elle me parle
ensuite de la relation entre son père et son chat avec lequel il a noué une relation très forte.
Elle me dit alors : « Il s’en occupe très bien, mieux que de lui-même, c’est déjà ça. » Elle
prend peut-être conscience à ce moment-là que la passion de son père est en fait toujours
intacte mais différente. Elle raconte ensuite que ce qui la faisait rêver autrefois chez son
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

père, ce n’était pas forcément son talent mais sa passion, sa force et que c’était peut-être
à son tour d’être animée de la même force. Cette force qui pousse les gens à transcender
le plaisir de la relation au-delà des conséquences de la maladie sur les liens affectifs. Le
plaisir est garant de l’intégrité et du respect de l’autre dans ce qu’il a d’unique. C’est un
bénéfice inconscient avec en toile de fond un ancrage identitaire.
L’identité familiale étant fortement marquée par la peinture, la fille de Monsieur C. reprend
sur ce thème en a parte à la fin de la session : « Pourquoi ne peignez-vous pas avec mon père
alors si c’est ce qui fait tenir notre lien ? » Je lui explique alors : « Chaque structure de soin
intervient main dans la main, dans une intention commune et avec des objectifs différents.
Ce projet a déjà été mis en place par l’ESA au domicile dans la continuité de l’histoire de
vie de votre père et sur sa volonté. La peinture a pris une place importante à votre domicile
durant des années mais ce contexte a évolué. L’accompagnement de votre père à l’ADJ est
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tout autre. Nous lui offrons une ouverture sur l’extérieur où l’aspect relationnel et social
est valorisé ainsi que l’expérience du corps à travers les notions de plaisir et de bien-être à
l’instar de ce qu’il vit avec son chat. L’approche psychocorporelle permet un travail en amont
afin d’entretenir les capacités et habiletés nécessaires aux gestes de la vie quotidienne. »
En effet, le maintien de capacités permettant le lien social ainsi que l’autonomie me
semble essentiel dans l’émergence d’un système relationnel actuel au domicile. Le plaisir
du jeu et la réhabilitation positive du corps participent à la sécurité psychocorporelle et
garantissent l’élaboration d’un Moi actuel et présent à l’autre. Cette affirmation identitaire
est indissociable de la valorisation narcissique et de l’estime de soi prodiguées par la
266 psychomotricité. Monsieur C. peut se retrouver et exister dans un autre contexte où la seule
contrainte est de vivre pour soi à travers le regard de nouvelles personnes, en marge du
contexte artistique, du domicile et de ses capacités antérieures. Ce nouveau vécu pourra être
transposé inconsciemment au domicile par résonance, non pas comme rupture mais comme
prolongement de ce qu’il était/est. De plus, cette envie n’a pas été formulée (verbalement
ou implicitement) lors de mes entretiens avec Monsieur C. Le chat de Monsieur C. est le lien
entre ce que je propose en séance et sa présence au monde.
Je conclus donc en lui expliquant que cette médiation à base psychocorporelle permet de
mettre du sens aux mouvements en leur donnant un but afin de les ancrer dans le corps et
l’esprit. Elles donnent la possibilité d’explorer son corps et de mettre un cadre à la prise en
charge. Ce cadre est adapté à chacun, bienveillant et vecteur de sécurité interne. Il offre
aussi une continuité spatio-temporelle permettant de vivre pleinement l’ici et maintenant
et de se projeter d’une séance à l’autre afin de lutter contre la désorientation, source
d’angoisse majeure pour les patients.
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

CONCLUSION

Les familles sont souvent étonnées de ce qui peut se passer au sein de l’Accueil de Jour
ou même en séance. Certains patients donnent à voir des capacités jusqu’ici enfouies car
trop coûteuses cognitivement ou psychiquement. Ici et maintenant, à son rythme et selon
son envie, chacun parvient à franchir la barrière de son corps et de l’apathie. C’est très
certainement l’émulation interactionnelle qui, au-delà d’une stimulation instrumentale et
sensorielle, va favoriser l’émergence de ces conduites mais aussi la conscience de soi et par
là un renforcement identitaire. C’est une présence vivante au monde qui donne la possibilité
aux comportements d’apparaître. La nécessité d’adaptation à un nouvel environnement ainsi
qu’à un nouveau système relationnel va générer une certaine énergie dans un mouvement
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de spirale et créer une stimulation cognitive favorisant l’apprentissage ou la résurgence de
schèmes moteurs acquis ou oubliés. Cette prise de conscience de ce que la personne est
et fait ne passe pas que par l’interaction entre le monde et sa conscience mais dans les
possibilités qui lui sont offertes. C’est ce phénomène social qui est le point de départ de nos
coordinations sensori-motrices ouvrant la voie à la communication et au langage (verbal
ou corporel). L’Être existe à travers l’intentionnalité de nos sens et s’en fait l’expression
créatrice de nos actions. La corporéité induit la possibilité de se mouvoir. L’Homme est
mouvement et se révèle dans sa rencontre avec l’autre. Le mouvement corporel, c’est-à-dire
vivant, constitue la détermination propre de la corporéité et, puisque cette possibilité
codétermine dans son sens l’existence en son entier, il constitue l’existential premier de la
vie en tant que cette existence est incarnée. L’identité est présence au monde. 267
Au terme de cette étude de cas, nous arrivons donc à nous poser les questions suivantes :
Qu’est ce qui permet aux patients de se reconnaître à travers leur vécu ? Qu’est ce qui est
thérapeutique pour eux et leur famille ? Comment favoriser l’émulation et la motivation
nécessaire pour garder un système de régulation des habiletés suffisamment fiable pour
maintenir une autonomie au domicile ?
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cette attention et ce questionnement donnent certainement une légitimité à notre soin


dans le contexte de la maladie d’Alzheimer.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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NOTES
15 • Maladie d’Alzheimer et psychomotricité

269

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Chapitre 16
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Discussion finale
Histoire de la psychomotricité et actualité
de ses concepts

270 Françoise Giromini, Michaël Coutolleau


SOMMAIRE

Histoire de l’émergence de la clinique psychomotrice . . . . . . . . . . . . . 272


Le contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
La 1re période (1950-1965) : conceptualisation et constitution de
la psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
La 2e période (1963-1980) : l’institutionnalisation
de la psychomotricité en tant que discipline paramédicale . . . . . . 274
La 3e période (1980-1995) : la diversification de la clinique
psychomotrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
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La 4e période (1995 à nos jours) : la place de l’image et des
neurosciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
Et maintenant ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
La notion de globalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
La conscience corporelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
La corporéité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Corps et conscience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Corps, conscience et représentation : l’image composite du corps 289 271
Corps et environnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Corps et expressivité : bouger ou agir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
Éthique et responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
L’attitude éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
La responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

É
RICPIREYRE nous a confié le soin de lire l’ensemble des textes afin de prendre en
compte ces écrits comme des produits de l’histoire de la psychomotricité. Car les
métiers de la santé se créent et évoluent en fonction des contextes politique,
culturel et social d’un pays. En effet, le législateur décide de leur création et
les découvertes scientifiques justifient leurs applications pratiques et techniques. C’est
pourquoi il nous a semblé opportun de contextualiser notre propos en retraçant brièvement
l’histoire de la psychomotricité française (sa création et son évolution) comme profession
de soin. Non seulement parce qu’elle est la plus jeune des professions paramédicales mais
aussi parce que son originalité réside dans le fait qu’elle articule dans ses concepts et dans
sa clinique les sciences humaines à la médecine. Ce qui justifie sa grande diversité aussi
bien dans ses références théoriques que dans sa clinique.
Notre deuxième mission était, sans être exhaustifs, de repérer les principaux concepts,
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notions et valeurs qui sous-tendent la clinique psychomotrice telle qu’elle nous a été
présentée ici. C’est ainsi qu’il nous est apparu que tous les textes sont traversés par
les mêmes notions complexes de conscience corporelle, de processus de symbolisation,
d’approche globale du soin dans un grand respect de soi et de l’autre. Ce qui nous a conduits
à développer les particularités de l’éthique du soin et la responsabilité qui s’engagent
entre le patient et son thérapeute. L’analyse des textes, in fine, nous a montré que c’est
la formation psychocorporelle que les psychomotriciens reçoivent dans le cadre de leurs
études qui leur confère une spécificité au regard des autres approches corporelles de soin.

272
HISTOIRE DE L’ÉMERGENCE DE LA CLINIQUE
PSYCHOMOTRICE1

Le contexte
C’est à l’hôpital Henri Rousselle à Paris dans les années 1950 que se rencontrent Julian de
Ajuriaguerra, neuropsychiatre basque, réfugié politique, cultivé, imprégné de philosophie
et spécialisé dans les troubles du tonus et Giselle Soubiran, kinésithérapeute formée à la
psychologie. Elle va diriger le service de psychomotricité qu’il vient de créer et c’est ensemble
qu’ils inventeront la psychomotricité. C’est ainsi qu’une clinicienne et un théoricien se
mettent à travailler ensemble sur les questions de la corporéité et de la relation à l’autre en
neuropsychiatrie. Cette psychomotricité naissante se fonde sur l’idée que corps et psychisme
sont intimement mêlés et que l’un ne saurait exister sans l’autre. Ce que va confirmer Giselle

1. Françoise Giromini.
16 • Discussion finale

Soubiran à partir de son expérience clinique. La question des liens entre corps et psyché
est alors posée dans une pratique de soin et la particularité de la relation à autrui ne peut
s’envisager que d’une façon éthique. Parce que, justement, il y est question du sujet engagé
corporellement dans sa relation à autrui.
Pour comprendre la psychomotricité d’aujourd’hui, nous faut retourner aux fondements de
la médecine et de la philosophie de notre monde occidental. Ils se trouvent à Athènes
au temps de Périclès. Temps où les philosophes sont médecins et où les médecins sont
philosophes. On y débat de la vie, du désir, de la mort, de la maladie, de l’anatomie et de la
physiologie. Bref de l’humain, de son origine et de son devenir tant physique que psychique
comme l’indique Hippocrate dans son traité. Le professeur Julian de Ajuriaguerra se situe
dans cette lignée. Médecin humaniste, il connaît aussi la psychologie, la philosophie, la
politique, l’histoire, l’épistémologie et la sociologie. Il a mis ces disciplines en lien les
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unes avec les autres car il les trouvait cliniquement indissociables. Depuis la rencontre
à l’hôpital Henri Rousselle à Paris de nos deux personnages il y a 65 ans, nous pouvons
diviser l’évolution du métier de psychomotricien en 4 périodes de quinze ans.

La 1re période (1950-1965) : conceptualisation


et constitution de la psychomotricité
C’était comme s’il fallait, en cette seconde partie du vingtième siècle, à une médecine
très spécialisée et qui se relevait à peine d’une guerre mondiale meurtrière, envisager une
nouvelle pratique de soins destinée, essentiellement, à certains enfants de l’après-guerre. 273
Ceux qui étaient auparavant diagnostiqués déficients ou à troubles du caractère ou du
comportement. Julian de Ajuriaguerra changera ce schéma et s’intéressera particulièrement
aux troubles du tonus qu’il qualifiera de troubles « neuropsychiques. »
La clinique psychomotrice se construit également à partir d’adultes hospitalisés en
neuropsychiatrie. Plutôt des femmes – une trentaine – que l’administration a confiées
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à Julian de Ajuriaguerra et qui présentent toutes des troubles du tonus ainsi que des
manifestations émotionnelles et psychosomatiques.
Les techniques qu’utilise alors Giselle Soubiran sont d’une part la relaxation, qu’elle met au
point en s’inspirant des travaux de Schultz et, d’autre part, une technique graphomotrice
élaborée progressivement dans le service même avec Marguerite Auzias.
C’est tout. Mais c’est suffisamment nouveau pour intéresser des médecins étrangers,
des psychologues, des kinésithérapeutes et d’autres encore qui viennent de plus en
plus nombreux assister aux séances. Si bien que Julian de Ajuriaguerra et Giselle
Soubiran décident de créer un petit enseignement de sémiologie psychomotrice. Les
tests psychomoteurs s’élaborent dans le laboratoire de psychologie de René Zazzo. Julian
de Ajuriaguerra va confirmer que les troubles du tonus sont liés aux manifestations des
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

émotions humaines. C’est une période féconde de création, d’inventivité, de dialogue et de


débats. Un peu ce qu’on imagine de l’Athènes platonicienne...

La 2e période (1963-1980) : l’institutionnalisation


de la psychomotricité en tant que discipline paramédicale
Qui dit école dit théorisation et conceptualisation des pratiques. Comme le grand successeur
de Platon, Aristote, fondant l’académie et l’enseignement de la philosophie. Le législateur
inscrit donc la rééducation psychomotrice dans le paramédical à côté et du côté de la
médecine, à ses côtés, dirons-nous. En effet, cette dernière, compte tenu de l’explosion
des savoirs, ne peut désormais plus détenir à elle seule théories et expérience clinique
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spécifiques.
Pour des raisons essentiellement politiques, Mai 68 signe en France la séparation de la
neurologie et de la psychiatrie. C’est ainsi que le cerveau et la psyché s’installent dans un
magnifique dualisme en acte, si l’on peut dire, aussi bien au niveau des indications que
des soins. Les rééducations dites fonctionnelles comme la kinésithérapie et l’ergothérapie,
plus anciennes, se retrouvent plutôt du côté de la neurologie alors que l’orthophonie et la
psychomotricité, qui sont des approches plus nouvelles, globales et développementales se
retrouvent plutôt du côté de la psychiatrie et notamment auprès de la jeune pédopsychiatrie
naissante. Les psychomotriciens trouvent alors naturellement une place dans ses nouvelles
structures car ce sont celles qui s’intéressent aux problématiques psychocorporelles et
274 relationnelles.
Si les bases de l’enseignement en psychomotricité restent médicales, comme l’anatomie, la
neuro-anatomie ou la physiologie, les théories enseignées se réfèrent essentiellement à la
psychanalyse, dans la lignée de l’enseignement de la nouvelle pédopsychiatrie. Néanmoins,
la psychomotricité est également issue du système éducatif que la France a mis en place
dès le début du XXe siècle. Ce fait justifie également une approche comportementale. Du
côté de la pratique, on utilise la danse, l’expression corporelle, les arts martiaux, le sport ou
bien les fameux parcours perceptivo-moteurs ciblés pendant que certains psychomotriciens
en fonction de leur pratique clinique mettent au point des techniques plus globales de jeu
avec l’enfant ou de jeu dramatique avec les adolescents ou les adultes.
On s’écharpe sur les notions de transfert et de relation. On essaie de faire coïncider ou
d’établir des liens et des correspondances entre des théories parfaitement contradictoires
et des pratiques totalement différentes. On appartient à une école de pensée plutôt qu’à
une autre. On est du côté de la maîtrise du corps ou du côté d’une expression corporelle
plus libre et interprétable. Ou bien, ou bien... Chacun vient se dire et témoigner au moyen
de la théorie qui lui semble la plus juste. Bref, on est en parfaite harmonie avec le clivage
instauré par le monde médical. Les psychomotriciens sont donc là, entre Corps et Psyché,
16 • Discussion finale

à essayer de tisser d’hypothétiques liens théoriques entre les deux instances. Et ce ne


sont pas les diverses références théoriques utilisées qui vont construire l’identité de la
psychomotricité. C’est la clinique psychomotrice, elle-même, qui s’en chargera.

Nous retrouvons dans les études de cas présentées dans ce livre le socle sur lequel
s’est constituée la clinique psychomotrice des enfants à travers les exposés de Brigitte
Feuillerat, de Béatriz Aranda et de Chantal Rémoville autour de l’hyperactivité, des
troubles attentionnels, des phobies scolaires et de la dyspraxie. La clinique des
troubles psychomoteurs des adultes en psychiatrie est traitée ici par Camille Goldman
et Christiane Tancray. Pour les conduites addictives, la tâche est assumée par Magali
Ramo et Pierre Dalarun.
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La 3e période (1980-1995) :
la diversification de la clinique psychomotrice
L’exercice de la profession s’étire du côté du nourrisson et du troisième âge. Cela conduit
les cliniciens à réfléchir aux concepts qui sous-tendent leur travail. Si la psychanalyse a
donné un formidable outil de travail et de réflexion sur l’aspect relationnel du métier ainsi
que sur les processus de représentation et de symbolisation, elle ne peut répondre – car ce
n’est pas son objet – sur les concepts qui interrogent encore les professionnels actuels :
corps, corporéité, expressivité du corps, espace et temps. 275
C’est vers la philosophie que se tournent alors les psychomotriciens pour trouver des soutiens
théoriques en réponse à leurs interrogations sur les notions de vécu corporel, de conscience
corporelle, de schéma corporel et de temporo-spatialité. Ces concepts leur apportent alors
des éléments de réponse satisfaisants. Notamment la philosophie phénoménologique de
Husserl et de Merleau-Ponty. Pourquoi ? Parce que la phénoménologie est la science de
l’expérience non seulement de la pensée et de l’acte de conscience mais aussi de l’expérience
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d’autrui, de l’expérience corporelle, de l’expérience affective, de l’expérience esthétique


voire de la transcendance et des valeurs du sacré. Il s’agit de comprendre et d’expliquer ce
qu’est un vécu à travers le regard, la parole, le temps et l’espace. Elle était enfin là cette
réflexion sur l’indissociable liaison corps-psyché, celle qui se laissait approcher au moyen
de l’analyse des vécus. Car, de la sorte, on était au plus près de l’analyse de la constitution
de soi, du monde et de l’expérience corporelle.
En 1990, Paul Ricœur va plus loin dans son ouvrage intitulé Soi-même comme un autre car
il pose la question non seulement de la nature de l’expérience mais aussi celle de la saisie
de cette expérience. Il va consacrer sa recherche à la médiation qui permet d’accéder à
cette expérience. Pour lui, l’opérateur - le médiateur - de cette expérience, c’est le récit.
Si l’on comprend la structure du récit, on accède non seulement à la structure du temps
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

humain mais aussi, en retour, en racontant la chose et le vécu, à la subjectivité. Nous nous
élaborons comme sujet. Ricœur développe ainsi un art de comprendre, une herméneutique
qui veut expliquer les règles par lesquelles nous construisons le sens d’une manifestation
humaine. Que ce soit un geste, un regard, une parole. Cette pensée vient alors éclaircir la
compréhension de la notion de globalité dans la clinique psychomotrice.
Dans le champ des sciences humaines, c’est la psychomotricité qui est la plus concernée par
la phénoménologie car elle aborde la sensorialité, la gestualité et la parole. Elle procède
d’un « je peux faire » – que ce soit toucher, bouger, sentir, regarder, qu’il s’agisse d’un
mouvement ou une intentionnalité – que nous retrouvons chez le nourrisson et que nous
tentons de garder chez la personne âgée.
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C’est ici que s’inscrit le monde de la petite enfance avec les exposés cliniques de
Nicole Girardier, de Marie Rossignol ainsi que les récits de Marie Thérain en oncologie
pédiatrique et en néonatologie.
Le grand-âge est traité par Adrien Hilion sous la forme de la « globalité » du soin
dans la maladie d’Alzheimer.

La 4e période (1995 à nos jours) :


la place de l’image et des neurosciences
276
Il est temps de repenser les études de psychomotricité et de les actualiser devant la
déferlante technologique (l’informatique et les outils multimédias) : Pour les plus âgés, il
s’agit de se recycler et de tout apprendre « de novo. » Quant aux plus jeunes, ils commencent
à évoluer, à penser et à vivre avec cet outil dont on dit à la fois le plus grand bien et le plus
grand mal. Désormais au-delà de l’imaginaire, c’est l’image qui intéresse. On est pour, on est
contre. On pense l’image avec Serge Tisseron. L’espace se temporalise. Le temps se spatialise.
Le réel et le virtuel s’entrelacent et nous perdent. L’imagerie médicale se développe et nous
montre ce que l’on n’avait jamais vu dans le cerveau humain. Certains neurones se révèlent
miroirs avec les travaux de Rizzolati, Sinigaglia et Gallese. Alain Berthoz, (professeur de
physiologie de la perception et philosophe) dans Le sens du mouvement paru en 1997, nous
aide à comprendre comment le cerveau anticipe et prédit l’orientation d’un geste ou d’un
regard. Il nous dit que le cerveau est capable de produire des hypothèses. Il propose même
une imagerie cérébrale du schéma corporel.
Avec Damasio, nous détenons la preuve formelle de l’influence des émotions sur le cerveau
et le comportement. Car dix ans après Paul Ricœur, Antonio Damasio, professeur de
neurosciences de l’université de Californie, publie en 1999 Le sentiment même de soi : corps,
émotions, conscience. Puis en 2010 L’autre moi-même. Il démontre que la conscience n’est
16 • Discussion finale

pas une entité en soi comme on l’a longtemps pensé mais que la fabrique de la conscience
est un processus dynamique qui est au cœur de la biologie humaine.
Si bien que l’univers des certitudes dans lequel nous étions confortablement installés
bascule au profit de nouvelles théories scientifiques. La théorie psychanalytique de la
psyché ne disparaît pas – et n’a pas à disparaître – mais elle s’endort doucement, subsumée
par les découvertes de l’imagerie cérébrale. Alors, n’avons-nous plus qu’un cerveau ? Non !
Nous avons désormais un cerveau-créateur de psyché qui va nous permettre de penser le
« psychocorporel », les relations à autrui et la niche écologique. Et donc peut-être aussi la
psychomotricité.
La philosophie rejoint ici les neurosciences puisque celles-ci démontrent « scientifiquement »
le bien-fondé de la pensée philosophique de Spinoza et des phénoménologues en général.
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Les psychomotriciens commencent à élaborer leurs propres références théoriques comme
Éric Pireyre qui revisite le concept psychanalytique d’image du corps à l’aune des avancées
scientifiques pour en faire une image « composite » du corps.
Dans la même période, apparaît sur la scène de la psychomotricité André Bullinger, successeur
de Jean Piaget à Genève et très influencé par H. Wallon et J. de Ajuriaguerra, qui développe
un surprenant bilan sensori-moteur dont la richesse et la complexité résonnent bien chez
les psychomotriciens qui s’occupent désormais du sensoriel, des émotions et de la mémoire.
Il propose un examen à multiples entrées qui prend en compte à la fois le patient, sa famille,
les soignants et l’équipe institutionnelle dans un projet de soin concerté. C’est une grande
nouveauté où l’humanisme et la créativité sont à l’œuvre. Mais ne nous y trompons pas,
277
c’est une investigation. Ce n’est pas directement un modèle de soin dont il est possible de
s’inspirer. Ce que font désormais les psychomotriciens dans leur pratique clinique, comme
nous l’avons retrouvé dans un grand nombre des textes présentés dans cet ouvrage.

La prophylaxie entre désormais dans le champ de compétence des psychomotriciens.


Elle est abordée ici par Leila Bourguiba ainsi que la formation professionnelle
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décrite par Carine Da Fonseca qui nous montre l’intérêt de l’Analyse des Pratiques
Professionnelles dans un cadre institutionnel. Les psychomotriciens commencent
à théoriser leurs pratiques. Nous en avons un exemple avec Alina Veeser qui
conceptualise la notion de contenance en psychomotricité et évoque le savoir-faire
spécifique aux psychomotriciens : accueillir par l’approche corporelle, sur un plan
thérapeutique, la souffrance d’autrui.

Et maintenant ?
Nous savons que la conscience de soi s’étaye sur le vécu corporel des différents états
toniques agrégé à un travail de représentation symbolique qui construit selon Pireyre
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

(2011) « l’image composite du corps. » C’est le travail sur l’ajustement et l’accordage


psychocorporel entre un dedans et un dehors de soi sous forme d’engagement, de retrait ou
de résonance qui nous questionne aujourd’hui. Dans cette perspective, où se trouve alors
la frontière entre le psychique et le corporel ? Car le sens de soi est en même temps celui
d’un corps-psyché engagé dans la relation, avec une propension à construire, à inventer et
à créer.
Il faut donc partir de la clinique pour construire et structurer un cadre, une nouvelle
méthodologie de travail car sans sa dimension corporelle, le travail psychique n’existe pas.
Il faut alors découvrir de nouvelles pratiques psychocorporelles qui s’étayent sur la clinique
des pathologies actuelles. Il faut aussi mettre en lien de nouveaux concepts issus des
neurosciences. Relier donc ceux qui n’ont pas mis de côté notre humanisme, voire notre
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humanité, faite de pensées, de rêves, d’émotions, de sentiments partagés avec des théories
plus anciennes mais toujours pertinentes, comme l’approche psycho-dynamique freudienne
et la philosophie.
Voici, brièvement esquissée, une histoire de la psychomotricité comme pratique de soins.
Elle s’est progressivement diversifiée à partir de la réalité clinique et des supports théoriques
dont elle s’est successivement nourrie et enrichie. Cette contextualisation va nous permettre
non seulement de comprendre l’étendue de la clinique psychomotrice à travers la diversité
des pratiques actuelles mais aussi de suivre leur évolution en fonction des classes d’âge et
des pathologies exposées.

278 Nous allons dégager maintenant les notions et les concepts généraux qui sous-tendent
la clinique psychomotrice en analysant les formes du discours utilisées par les praticiens
eux-mêmes. En d’autres termes, nous tenterons de mettre en évidence les notions et concepts
récurrents des cas cliniques, y compris dans l’analyse des pratiques de C. Da Fonseca et dans
l’essai théorique d’A. Veeser. Il s’agit des notions de globalité, de conscience corporelle, de
conscience, d’image du corps, d’environnement, d’expressivité et d’éthique. Cette dernière
notion donnera lieu à un approfondissement plus conséquent.

LA NOTION DE GLOBALITÉ

Nous avons observé que la notion de « globalité » ou « d’approche globale de la personne


dans le soin psychomoteur » est le premier élément qui apparaît dans toutes les études
présentées dans cet ouvrage. On peut donc affirmer qu’il constitue une spécificité de la
psychomotricité.
16 • Discussion finale

Cette « globalité » comprend un ensemble indissociable d’éléments qui entrent simultané-


ment dans le soin psychomoteur à savoir que :
• Le patient est toujours considéré comme sujet et non comme objet. Ce qui veut dire qu’il
participe activement à sa thérapie. Il est acteur de son soin. Pour cela, quelles que soient
les médiations ou les techniques utilisées, le thérapeute demande systématiquement au
patient ce qu’il a ressenti et comment il a vécu la séance. La mise en mots permet la
mentalisation de l’expérience corporelle. Du sens lui est ainsi donné.
• La globalité se situe précisément dans l’articulation du vécu corporel avec l’élaboration
psychique que fait le patient en présence du thérapeute, « l’autre ».
• Le corps du patient n’est pas vu par les psychomotriciens comme une entité isolée de
sa pensée. Le travail corporel que le patient entreprend et dans lequel il s’engage aura
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toujours une résonance psychique. On pourrait dire qu’il s’agit d’une sorte d’intégration
psychique de la sensorialité, des émotions et de la motricité qui va se subjectiver et donc
participer à construire ce qu’on appelle « la conscience de soi. » Dans cette « globalité »
de la conscience de soi, le corps est compris en tant qu’il est incarné par l’esprit qui
l’habite.

Sur le plan philosophique, la globalité dont parlent les psychomotriciens fait référence à
Spinoza puisque celui-ci pense précisément l’homme dans sa globalité corps-esprit. Car
corps et esprit sont pour lui deux aspects d’une seule réalité, celle de la Nature (qu’il nomme
aussi Substance), qui s’exprime simultanément chez l’humain sous forme de deux attributs,
la Pensée et l’Étendue. Ainsi l’esprit n’est pas considéré comme supérieur au corps mais sa
279
fonction est de penser le corps1 dans le sens où il saisit ce qui déséquilibre le corps. Ce qui
l’« affecte. » Pour conserver cet équilibre, (on peut dire cette homéostasie), corps et esprit
travaillent ensemble à « persévérer dans l’être » c’est-à-dire à tendre inlassablement vers le
bien-être. Spinoza pense d’ailleurs que c’est le Désir qui donne à l’homme sa force d’agir (il
le nomme Conatus). « Le désir est l’essence de l’homme », dira-t-il dans l’Éthique. Freud
s’en inspirera plus tard pour construire le concept de « libido. » Nous voyons à travers tous
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les cas cliniques présentés ici que les psychomotriciens prennent naturellement en compte
cette dimension du désir humain, du « conatus », en le découvrant, en le suscitant et en
l’encourageant comme une force de vie qui pousse chaque être à se dépasser lui-même par
son engagement dans sa vie. Au-delà de la souffrance que la maladie physique ou psychique
suscite et qui se manifeste souvent par le retrait ou l’explosion comportementale.

1. Damasio confirme cela dans Spinoza avait raison (2005).


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

LA CONSCIENCE CORPORELLE1

La notion de « conscience corporelle » revient souvent dans les textes. Comme la globalité,
elle est une base de l’approche thérapeutique des psychomotriciens. C’est pourquoi nous en
proposons ici un développement plus conséquent.

« La prise de conscience du corps est souvent l’objectif recherché pour parvenir à


recréer une corrélation entre le corps et l’esprit », nous dit Marie Rossignol.

Cette assertion invite à se poser la question suivante : Pourquoi le psychomotricien


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cherche-t-il à créer ou recréer cette « corrélation ? » Donner une réponse simple et définitive
à cette question est peut-être aussi complexe que d’expliquer le métier de psychomotricien.
Pourtant, la perspective offerte par la possibilité de cette « corrélation » sonne quelque
part en nous comme une évidence. Comme une nécessité. Peut-être même comme une
condition à notre bien-être ou à notre santé.
Trouver les moyens d’une cohérence psychocorporelle est l’un des axes majeur des
psychomotriciens. Pour nombre de ceux-ci, c’est même le cœur de l’activité clinique
quotidienne. Par un essai de réponse à la question posée, tentons de comprendre pourquoi.
Nous pouvons considérer le corps comme une interface entre la psyché et le monde. La
280 qualité de notre présence au monde, mais surtout à nous-mêmes, repose alors en grande
partie sur l’attention que nous portons aux infinies variations perceptives qui frappent
à la porte de notre conscience. Ces variations peuvent nous laisser indifférents ou bien
s’assortir de sentiments, phénomènes psychocorporels qui se manifestent à la conscience
par des perceptions internes résolument physiques allant du plaisir à la douleur. Si elles sont
suffisamment intenses, ces perceptions internes attirent notre attention et peuvent alors
faire l’objet d’un traitement cognitif, se frayant ainsi un chemin à travers les méandres de la
psyché pour alimenter l’océan de nos représentations mentales. On peut alors se demander
ce qu’il advient de toutes ces perceptions et sentiments qui ne franchissent jamais le seuil de
la conscience ? Ont-ils jamais existé ? Disparaissent-ils purement et simplement ? Ou bien
vont-ils grossir les eaux souterraines de l’inconscient ? Comment ce seuil à partir duquel le
sujet se saisit d’un phénomène est-il établi relativement à son histoire personnelle ?
En dehors d’un état pathologique particulier, être conscient de son corps est un phénomène
naturel résidant à tout instant dans la rencontre perceptive entre le sujet et son organisme.
C’est une succession de microphénomènes nerveux variables en quantité, en qualité et en
fréquence qui nous permet d’expérimenter la réalité subjective d’une interrelation entre les

1. Michaël Coutolleau.
16 • Discussion finale

dimensions psychique et corporelle du soi. Cependant, le fait que le sujet jouisse d’un état
de santé qui ne lui demande pas d’être soigné ne veut pas dire que la conscience qu’il a de
son corps soit optimale. L’inconfort lancinant que peut générer le « hiatus somato-psychique
ordinaire » appelle souvent une démarche personnelle orientée vers une discipline corporelle
ou psychocorporelle qui relève alors de ce que l’on nomme couramment le bien-être ou le
mieux-être. Parfois, ce sont des changements corporels naturels, comme ceux occasionnés
par une grossesse, qui poussent le sujet à se tourner vers une démarche de conscience du
corps.

Les séances en piscine décrites par Leïla Bourguiba offrent un exemple de cet espace
privilégié d’attention au corps qui permet à la femme enceinte de se situer dans
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l’actualité des changements physiologiques qu’elle traverse. Il lui est alors permis de
vivre ses changements dans un cadre doux, contenant et favorable à la mise en mot
du vécu corporel et psychique. Elle peut ainsi verbaliser ses représentations, entre
autre celles d’une future parentalité souvent anxiogène. Cela donne à cette démarche
une dimension prophylactique.

Mais la mise à distance du corps par le psychisme peut aussi, lorsqu’elle devient extrême, être
à l’origine de symptômes et de pathologies variées. Cette situation se trouve particulièrement
bien illustrée par le cas d’Anne-Lise décrit par Christiane Tancray :

La patiente raconte s’être trouvée dans l’incapacité d’accepter, probablement en raison 281
de son histoire, les changements corporels liés à la puberté. Elle se réfugie alors dans
une intellectualisation forcenée et tente inconsciemment de maîtriser ce corps qui
lui échappe en développant une anorexie mentale qui la conduit à l’hospitalisation.

Une très large majorité de nos perceptions ne suscite aucun sentiment particulier. Elles
nous servent simplement de balises pour régler les comportements instrumentaux qui
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émaillent notre quotidien. Certains moments de notre vie nous procurent du plaisir, nous
n’en sommes d’ailleurs pas forcément conscients. En rentrant d’un dîner particulièrement
agréable et stimulant, nous remarquons une allégresse qui nous « nourrit » en profondeur
et nous remplit de la simple joie d’être vivant. À l’inverse, un moment déplaisant, comme
une conversation qui tourne mal, produit en nous une vague de sentiments plus ou moins
désagréables qui pourront, si nous en sommes conscients, faire l’objet d’un traitement
psychique afin d’être « digérés » par nos mécanismes défensifs.
Ces situations, nous les connaissons. Nous les avons tous vécues. Elles nous semblent à ce
titre aller de soi. Mais qu’en est-il pour celui qui, en raison de sa construction psychique
ou d’une pathologie quelconque, se retrouve dans l’incapacité à être attentif ou même à
seulement percevoir ce qui se trame en lui dans de telles situations ? Qu’en est-il aussi de
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

celui pour qui tous ces ressentis, naturels pour d’autres, prennent un caractère envahissant
ou anxiogène ?

Qu’en est-il encore de cet enfant, Eliot, décrit par Marie Thérain, qui, à peine né,
se retrouve bardé de fils et de canules, alors qu’il est dépourvu des mécanismes de
défense les plus élémentaires face à des soins invasifs mais néanmoins indispensables
à sa survie ?

À toutes ces questions, le psychomotricien apporte une réponse fondamentale : l’orientation


de l’attention sur le vécu corporel. Devenir conscient du corps, c’est d’abord ancrer le
psychisme dans une matérialité qui offre une structure à sa volatilité naturelle. C’est aussi
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devenir capable de percevoir des sentiments primordiaux et des émotions – précurseurs
d’une part importante de nos comportements – et d’acquérir ainsi progressivement la
possibilité de choisir ces comportements pour qu’ils deviennent cohérents avec les besoins,
les désirs et les aspirations du sujet. Enfin, c’est lui fournir le matériau dont il a besoin
pour se construire des représentations qui sont autant de pierres au service de l’édification
de sa pensée.
D’une manière générale, la conscience corporelle consiste à accompagner le patient dans la
découverte ou le renforcement des relations entre son corps et son psychisme. Il existe,
comme nous l’avons découvert tout au long de cet ouvrage, de très nombreuses pathologies
portant directement ou secondairement atteinte à la qualité de cette relation. L’origine du
282 trouble peut alors se situer à tous les niveaux de la chaîne perceptive mais aussi au niveau
du fonctionnement psychique lui-même. Pour faciliter la prise de conscience du corps, le
psychomotricien utilise globalement deux types d’approches décrites par Pireyre (2011) :
« avec ou sans mobilisations sensorielles. »
• La première, sans mobilisation sensorielle, invite le patient à porter simplement son
attention sur ses perceptions – ou des réminiscences de ses perceptions – en utilisant
par exemple une méthode de relaxation passive par inductions verbales ;
• La deuxième, avec mobilisation sensorielle, propose au patient de se laisser stimuler
sensoriellement et l’encourage à porter son attention sur les modifications qui se
produisent dans son corps à la suite, par exemple, d’un mouvement. Cette approche
convient mieux aux personnes les plus en difficulté car la mise en mouvement est
créatrice de perceptions dont l’intensité facilite l’acquisition par l’esprit conscient.

Le choix entre l’une de ces deux approches fait, le psychomotricien imagine et utilise
généralement une médiation adaptée qui fournit un cadre et une matière au travail
thérapeutique. Il peut s’agir de l’une des différentes formes de relaxation thérapeutique ou
bien d’une approche basée sur le mouvement ou les perceptions telles que la relaxation
dynamique ou toute autre technique de mise en mouvement du corps.
16 • Discussion finale

La corporéité
Nous pouvons considérer le corps comme la dimension matérielle du soi. C’est lui qui
ouvre à l’esprit, par le biais des perceptions, un accès à l’espace réel et tangible que nous
partageons avec les êtres vivants, les objets et les éléments physiques. Les perceptions en
provenance du corps constituent un ensemble spécifique défini par la physiologie comme la
sensibilité somato-viscérale1 . Celle-ci est d’une importance capitale car indispensable à la
construction et au maintien de l’équilibre psychoaffectif du sujet. Elle se décompose en
trois catégories de systèmes sensitifs :
1. La sensibilité somatique superficielle (ou extéroception) correspond globalement aux deux
formes de toucher (toucher léger et pression) mais aussi aux informations thermiques,
nociceptives, vibratoires aussi bien que visuelles, auditives, gustatives et olfactives,
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toutes en provenance de l’ensemble de la surface ou de la périphérie du corps.
2. La sensibilité somatique profonde (ou proprioception) nous indique l’état de tension des
muscles et des tendons ainsi que la position des articulations.
3. La sensibilité viscérale (ou intéroception) dont les récepteurs se localisent principalement
au niveau des appareils digestif, respiratoire, cardiaque et endocrinien.

Dans un travail de conscience corporelle à visée thérapeutique, mais aussi plus généralement
dans l’approche psychomotrice, toutes ces sensibilités peuvent être mises en jeu par les
nombreuses médiations utilisées. Chacune des prises en charge présentées ici raconte de
quelle manière le corps est sollicité pour offrir au sujet la possibilité d’expérimenter sa
283
corporéité.

Leïla Bourguiba utilise par exemple le mouvement dans l’eau qui stimule la peau et la
sensibilité somatique profonde. Christiane Tancray grâce à la sophrologie met en jeu
la sensibilité, profonde par les mouvements lents et viscérale à travers la respiration.
Magalie Ramo avec la relaxation accompagne son patient dans la découverte de sa
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sensibilité superficielle et viscérale.

L’infinie variété des moyens à la disposition du psychomotricien ne peut être considérée,


pour être comprise dans sa dimension thérapeutique, comme une fin en soi. Aucun
psychomotricien ne pratique la danse avec son patient pour faire de celui-ci un danseur. Pas
plus qu’un autre ne cherche, en lui proposant une médiation jonglage, à lui faire intégrer
un cirque ! Ce qui importe ici, c’est le « temps corporel vécu » par le patient car c’est cela
le matériel primaire à partir duquel se construit une thérapie psychomotrice. Il ne s’agit

1. Richard et Orsal (2001).


CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

donc pas de faire chacune de ces activités mais bien de vivre son corps à travers elles et
d’expérimenter consciemment toutes ces sensorialités.
Cette approche médiatisée, caractéristique de la thérapie psychomotrice, rend complexe sa
catégorisation au sein des professions paramédicales. En effet, la compétence du thérapeute
repose ici plus sur son habileté à intéresser le patient à ce qui se passe en lui que sur le
recours à une technicité prédéterminée et facilement identifiable qui matérialiserait l’identité
de cette profession. Cette particularité explique pourquoi, si la conscience corporelle est
un axe thérapeutique récurrent dans chacun des témoignages de cet ouvrage, la technique
qui la met en jeu peut varier du tout au tout d’un professionnel à l’autre.
Bien que le terme de sensation soit encore fréquemment utilisé, il est utile de préciser ici
qu’il n’existe pas réellement d’acquisition objective des informations sensorielles issues de
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notre milieu interne ou externe dans l’expérience humaine. En effet, notre système nerveux
sélectionne, module, amplifie ou annihile, en permanence et en fonction de son histoire, les
informations sensorielles qu’il reçoit. Ces processus, totalement inconscients, interviennent
à chaque niveau du traitement sensitif, que ce soit lors de la réception d’un stimulus par un
organe sensible, ou encore au niveau des relais médullaires ou sous-corticaux par lesquels il
transite, ou enfin même lorsqu’il est traité au niveau cortical. En conséquence, la sensation
en tant que donnée brute perçue par le sujet n’existe pas. Il n’y a que de l’interprétation,
ou plutôt, de la perception : « Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais bien tel
que nous voulons le voir » (Jaquet, Neveu, Pireyre, de Sainte Maréville et Scialom, 2014).
C’est pour cette raison que nous utiliserons préférentiellement ici le terme de perception
284 car il correspond davantage à la notion d’information sensorielle traduite par l’ensemble de
l’édifice neurologique.
La rencontre entre l’esprit et le corps semble donc avoir lieu au niveau de ce que l’on
nomme le système nerveux. À l’extrémité distale de celui-ci se trouvent les récepteurs
sensoriels capables de détecter les variations du milieu ainsi que les changements d’état de
l’organisme. Ils transmettent leurs informations aux centres nerveux grâce aux neurones
qui communiquent entre eux par émission de messages électrochimiques, formant ainsi
des réseaux de communication traversant l’ensemble du corps. Ces réseaux ne font pas que
circuler à travers le corps. Ils sont intimement liés à lui et forment une structure nerveuse
qui est, à l’image du corps, dans sa globalité.
Parmi tous les sens dits extéroceptifs et communément dénommés les « cinq sens », il
semble également nécessaire de considérer le rôle joué par la sensibilité visuelle. Car
observer son propre corps c’est pouvoir le comparer à celui d’autrui. La vue nous donne
accès à une représentation de nous-mêmes qui peut être comparée à celle que nous avons
d’autrui. À ce titre, elle ouvre un espace au sein duquel se joue la problématique de l’image
sociale de soi. Cet espace peut d’ailleurs facilement devenir un champ de bataille lorsque
cette image ne correspond pas à celle que l’on choisit de retenir - comme une norme voire
16 • Discussion finale

un idéal - parmi toutes celles qui envahissent nos espaces publics, nos revues, nos médias
ou nos écrans.

C’est le travail proposé par Pierre Dalarun autour de la question du surpoids qui va
nous aider à comprendre l’importance d’une mise en cohérence du corps réel avec
le corps imaginaire. Dans le cas de l’obésité, le hiatus entre ces deux corps peut
être considérable. Celui qui en subit les conséquences c’est le corps vécu, celui avec
lequel nous pouvons entrer en relation à chaque instant par une attention portée
aux perceptions que nous procure le corps réel. Celui-ci, rejeté – car conçu comme
disgracieux ou inconfortable – est délaissé ou investi négativement par le sujet qui va
alors tenter de fuir une relation au corps imposée par des perceptions somesthésiques
permanentes. C’est sur cette perception consciente du corps que le psychomotricien
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va orienter son travail pour ouvrir un nouveau dialogue entre corps et psychisme,
dialogue d’emblée moins directement centré sur une représentation mais bien plutôt
sur une expérience sensible.

Corps et conscience
La conscience consiste en une rencontre entre un sujet qui connaît, ressent, éprouve ou
expérimente et un objet pouvant être une perception, un sentiment, une émotion ou une
pensée. Nous retrouvons ici les points clés de la phénoménologie de Husserl pour lequel
la conscience émerge d’un vécu subjectif en relation à un objet. Rappelons qu’un objet, 285
au sens phénoménologique, se rapporte à tout événement dont la source serait externe,
interne ou psychique.
C’est le modèle de Damasio (2010) qui va nous servir de guide pour mieux comprendre
comment conscience et psyché se construisent à partir de l’organisme, mais aussi pourquoi le
corps vécu, celui qui se trouve consciemment investi par un sujet, joue un rôle fondamental
dans le processus thérapeutique engagé par les psychomotriciens avec leurs patients.
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« La conscience est un état de l’esprit qui survient lorsque nous sommes éveillés et dans lequel se
manifeste une connaissance privée et personnelle de notre existence, située relativement à ce qui
l’entoure et à un moment donné. »

Cette définition regroupe les trois éléments constitutifs de la conscience : l’état de veille,
l’esprit et le soi.

! L’état de veille
La conscience est fluctuante. Elle varie sur une échelle d’intensité qui va de l’inconscience
à l’extrême vigilance. Sa portée est également variable : elle peut rester centrée sur les
composantes de l’instant présent, c’est alors une « conscience noyau », selon le terme de
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

Damasio, ou bien s’étendre et embrasser dans un même courant de pensée des époques,
des lieux, des situations et des personnes très éloignés de la situation présente du corps. Il
s’agit alors d’une conscience à longue portée. Intensité et portée sont les deux variables qui
définissent le niveau de conscience et donc le degré d’implication d’un protagoniste dans
une situation donnée. Dans le cadre d’un travail de conscience corporelle, le psychomotricien
invite son patient à maintenir un niveau d’intensité équilibré lui permettant de percevoir ce
qui se passe en lui sans pour autant le mettre en tension. La portée de l’attention doit quant
à elle se réduire aux perceptions corporelles ou aux émotions immédiatement ressenties,
même s’il est possible d’utiliser des contenus de vécu ou des associations verbalisées
pouvant émerger au cours du processus.

! L’esprit
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La conscience a lieu dans l’esprit puisqu’elle correspond à l’un de ses états. Pour Damasio,
l’esprit résulte de la coopération d’un grand nombre de sites cérébraux formant un ensemble
doté d’une fonction cartographique, c’est-à-dire de création de réseaux neuronaux, qui
permet au cerveau de produire des représentations nerveuses de tous les stimuli captés par
l’organisme. Ces cartes ne sont pas statiques. Elles fluctuent en permanence pour traduire le
mouvement perpétuel de notre organisme et du monde qui l’entoure. L’esprit est le résultat
– « spectaculaire » – de cette activité cartographique. Il correspond à la combinaison
incessante d’images neurales passées, présentes et à venir (donc hypothétiques), mises
en relation et articulées éventuellement avec les émotions, encartées elles aussi dans les
286 différentes structures du cerveau.
Au cours du développement de l’individu, la récurrence des stimulations en provenance
du corps fait de celui-ci l’objet central de l’activité cartographique. En effet, l’organisme
bombarde en permanence le cerveau d’une multitude d’informations sensitives dont il est
d’ailleurs impossible de se couper autrement que par le sommeil profond ou le coma. En
retour, le cerveau intervient en permanence sur la perception que nous avons de notre
corps grâce à de nombreux systèmes dits de « rétrocontrôle. » Ce qui crée une boucle de
résonance somato-psychique permanente dont l’un des aspects majeurs est la modulation
perceptive précédemment décrite.
Cette représentation de l’esprit humain enracine directement celui-ci dans le vécu corporel.
Elle invite à considérer le système nerveux comme un ensemble, au-delà du clivage classique
entre ses parties centrale et périphérique. Aristote nous disait déjà en son temps : « Rien
dans notre intelligence qui ne soit passé par nos sens. » De ce point de vue, le corps est
une interface par laquelle les dimensions affective et cognitive de l’individu peuvent être
directement contactées, via la sensorialité.
16 • Discussion finale

L’esprit n’est en réalité à aucun moment dissociable de l’organisme qui le supporte.


Il se ramifie partout en lui grâce au système nerveux. C’est sur ce postulat que
le psychomotricien s’appuie lorsqu’il met en jeu le corps de son patient alors que
son objectif est éminemment psychothérapeutique. Les nombreux récits de thérapie
par la relaxation présentés ici en sont un exemple frappant. Nous voyons comment,
séance après séance, le sujet se réapproprie « de l’intérieur » son organisme en
se reconnectant aux afférences sensorielles. Celles-ci nourrissent et apaisent son
psychisme en lui redonnant un cadre spatial clair et délimité, un cadre sécurisé au
sein duquel il peut prendre le temps de retrouver son équilibre, s’actualiser et se
réorganiser en vue d’une meilleure adaptabilité.

! Le Soi
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La manifestation d’un phénomène est inévitablement liée au sujet qui en est le témoin. La
conscience attribue les cartes formées dans l’esprit à un propriétaire qui est l’organisme
singulier et bien délimité dans lequel elle apparaît. En cela, le soi est le « témoin » de
l’esprit. Il le met en mots grâce au langage. L’apparition du Soi se fait en trois étapes selon
Damasio (2010) :
1. Tout d’abord un protosoi naît du traitement, dans le tronc cérébral, de l’ensemble
des signaux sensoriels en relation avec l’organisme. Cette zone, très ancienne sur
le plan phylogénétique, traduit toute expérience directe du corps en un type de
cartes très particulier : ce sont des « états ressentis » du corps ou « sentiments 287
primordiaux » échelonnés sur une échelle de plaisir/douleur. Les sentiments primordiaux
sont précurseurs de tous les autres sentiments ainsi que des émotions plus élaborées
qui constituent notre paysage affectif. Ils sont aussi la base et le fondement de chaque
carte du corps qui apparaît à la conscience. Leur récurrence, inlassable tout au long
de la vie dès que nous sommes en état d’éveil, dessine un sentiment fondamental « le
sentiment que mon corps existe présentement, indépendamment de tout objet avec
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lequel il interagit tel un roc solide, telle l’affirmation brute que je suis vivant. »
2. Le Soi noyau naît ensuite d’un sentiment de possession, de maîtrise de l’image de l’objet
perçu et des sentiments primordiaux qu’il engendre au niveau du protosoi. Ce processus
est appelé par Damasio « pulsation du soi noyau. » C’est un sentiment de soi qui s’inscrit
dans une instantanéité et donne lieu à un début de subjectivité par la séparation entre
ce qui est soi et ce qui ne l’est pas.
3. Enfin, la récurrence des pulsations du soi noyau crée un Soi autobiographique par
accumulation d’expériences corporelles vécues. Chaque ensemble biographique de
souvenirs peut ensuite être réactivé grâce à la mémoire provoquant une modification du
protosoi et donc une pulsation du soi noyau qui le fait affleurer à la conscience. À ce
stade, l’ensemble des structures en relation avec l’apparition de la conscience, du tronc
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

cérébral au cortex, coordonne la danse de nos expériences passées et de nos aspirations,


les amenant au premier plan de notre attention en fonction de leur pertinence dans une
situation donnée.

Il existe un contraste remarquable entre la récurrence et la stabilité des informations en


provenance de notre organisme et la mouvance perpétuelle de l’infinie variété des stimuli
environnementaux.
« La combinaison du milieu intérieur, de la structure des viscères et de l’état de base des portails
sensoriels dirigés vers l’extérieur fournit un îlot de stabilité sur une mer de mouvement. C’est ce
qui préserve la cohérence relative de l’état fonctionnel au sein d’un environnement fait de processus
dynamiques dont les variations sont assez prononcées. »

Le protosoi est une appréciation constante de l’état de cet îlot qui est communiquée aux
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autres parties du soi dans le langage du plaisir et de la douleur. C’est ici que prend tout
son sens la question d’une variabilité interindividuelle dans la capacité subjective d’être
conscient des perceptions corporelles qui traduisent les événements de notre vie intérieure
comme extérieure. En effet, si nous ne sommes pas capables de ressentir ce qu’une situation
produit en nous sur le plan corporel, c’est-à-dire de devenir conscient des sentiments
primordiaux, sommes-nous capables de nous protéger d’une situation destructive ou de
récolter les bénéfices d’une situation constructive ?
La capacité d’appréciation primaire de tout ce qui est perçu par le système sous-cortical
et traité au niveau du tronc cérébral, relie l’être humain, à travers la longue chaîne de
l’évolution, aux organismes les plus élémentaires, tels que les amibes, nous dit Damasio
288
(2010). Cette capacité d’appréciation n’a jamais été supprimée ou remplacée par les
structures corticales « supérieures » pour la simple et bonne raison qu’elle est chargée,
depuis les origines de la vie, de protéger ce qu’il nomme la valeur biologique, c’est-à-dire la
vie elle même. La morale de cette drôle d’histoire qu’est l’évolution, c’est que malgré toute
la sophistication de notre mode d’existence moderne, nous ne pouvons nous passer, comme
tout être vivant, du système qui nous permet d’évaluer instinctivement ce qui est bon ou
nuisible pour nous-mêmes. Cela s’explique assez bien par le fait qu’en se modernisant, la
société humaine n’en est pas moins restée dangereuse pour l’individu.
De ce point de vue, une rupture du lien somatopsychique met potentiellement notre vie en
danger car elle nous prive des mécanismes qui nous alertent lorsque notre intégrité physique
ou psychique est menacée. À partir de là, ne soyons plus surpris qu’une telle rupture puisse
mettre à mal le fonctionnement psychoaffectif du sujet. De la même manière, ne nous
étonnons plus que le processus thérapeutique par lequel un patient est reconnecté à ce qui
conditionne en partie sa survie, c’est-à-dire ses perceptions corporelles, puisse aboutir à
un rééquilibrage psychoaffectif permettant la disparition de symptômes compensatoires et
une meilleure adaptabilité sociale.
16 • Discussion finale

Pour la plupart des patients présentés ici, le mécanisme de représentation psychique du corps
sur la base des expériences sensorielles se trouve entravé par une histoire de vie difficile,
traumatique et/ou une pathologie. Avec la conscience corporelle, le psychomotricien vise
à reconnecter le psychisme en souffrance avec les perceptions corporelles fondamentales
et ses émotions qui lui permettent de retrouver une structure et d’améliorer ses capacités
d’adaptation psychoaffectives. Chacune des expériences de détente ou de plaisir corporel
proposées au cours de la thérapie alimente ainsi positivement la biographie corporelle du
sujet et l’encourage à se relier de plus en plus aux sentiments primordiaux.

Corps, conscience et représentation : l’image composite


du corps
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Le corps et l’esprit s’entremêlent depuis les premières heures de notre existence et
dialoguent tout au long de notre vie. Cette danse somato-psychique est en grande partie
inconsciente mais elle se révèle par la saillance des sentiments primordiaux qui sont à la
base de la conscience. Leur répétition construit une représentation du corps qui se charge
progressivement de toutes nos expériences cognitives, affectives ou relationnelles :
« Notre condition de sujet humain nous conduit donc à construire des représentations affectées de notre
corps. “Affectées” signifie teintées de subjectivité » (Jaquet et al., 2014).

Cette dialectique subjective et « subjectivante » est ainsi résumée par Damasio :


« Le corps et le cerveau sont continuellement engagés dans une danse interactive. Les pensées [...] 289
peuvent induire des états émotionnels dans le corps, tandis que ce dernier peut changer le paysage
cérébral et donc le substrat des pensées » (Damasio, 2010).

Depuis un siècle, on ne compte plus le nombre de travaux qui mettent en avant le rôle
central joué par le corps et la sensorialité dans la construction de l’intelligence, de la
pensée, du sentiment d’être soi et du psychisme en général.
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Du côté de la psychanalyse, Freud avait eu l’intuition de l’importance de la dialectique


somatopsychique sans en faire pour autant l’objet de sa recherche. Plus tard, Winnicott
place la qualité du soin prodigué au corps du jeune enfant comme condition cardinale
de la construction psychocorporelle. L’absence de tels soins rend d’ailleurs impossible
l’organisation psychique, comme l’a montré Spitz par son étude du syndrome d’hospitalisme.
Dans le domaine des compétences cognitives et affectives, citons les travaux de Piaget et
de Wallon pour lesquels l’expérience sensori-motrice des premières années de la vie constitue
le socle des capacités cognitives, relationnelles et adaptatives du sujet.
L’équilibre et la fonctionnalité de la structure psychique dépendent donc de la qualité des
expériences sensorielles, émotionnelles et motrices en tant que supports de toute interaction
du sujet entre son corps et le monde qui l’entoure. Mais si le corps engendre l’esprit, celui-ci
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

doit en retour s’approprier le corps qui l’a fait naître. Ce processus est central durant l’enfance.
Il reste pourtant à l’oeuvre tout au long de la vie car le corps se transforme à chaque âge
et le psychisme doit intégrer ces transformations. Il en résulte une « image du corps »
singulière dont les nombreux paramètres traduisent la multitude des expériences corporelles
du sujet depuis sa conception jusqu’au jour où il nous fait face. Cette histoire subjective du
corps est un livre que le psychomotricien apprend à déchiffrer pour comprendre comment
le sujet a investi son organisme. Les informations qu’il en retire sont déterminantes pour
l’orientation d’un projet thérapeutique en psychomotricité. Elles résultent d’une observation
fine du mouvement, des postures, des réactions tonico-émotionnelles, des capacités de
relâchement mais aussi des mots du patient pour décrire tel ou tel type d’expérience
corporelle proposée lors du bilan ou en séance.
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Nous avons retrouvé chez tous nos psychomotriciens cette intégration dans leurs
pratiques cliniques, aussi différentes soient-elles, des connaissances très précises du
développement global de l’enfant - que ce soit au niveau de sa motricité (tonus-espace-
temps), de sa cognition (organisation, stratégie, mémoire) ou de son psychisme
(image du corps, représentation, langage). Nous retrouvons ici la notion de globalité.

La théorisation d’un investissement subjectif de l’organisme s’est longtemps adossée à


deux notions clefs : celle de schéma corporel, plutôt relatif aux capacités perceptives,
motrices et fonctionnelles, et celle d’image du corps liée à l’investissement psychoaffectif
290 de l’organisme à travers l’histoire singulière de l’individu.
Les deux notions de schéma corporel et d’image du corps ont évolué de manière parallèle
tout au long du siècle dernier. Si certains auteurs se sont attachés à les différencier, d’autres,
au contraire, ont tenté plus récemment d’en comprendre certaines caractéristiques. C’est
ce que propose Pireyre (2011) qui regroupe d’une part des points de vue psychanalytiques
hétéroclites sur la question de l’image du corps, et voudrait clarifier d’autre part le concept de
schéma corporel pour le résumer à ce qui lui semble essentiel : la notion neurophysiologique
de sensibilité somato-viscérale. Il extrait de cette synthèse une image composite du corps
en neuf sous-composantes qui nous donne un large panorama de ce que cette notion peut
englober. Les liens ontologiques entre schéma corporel, image du corps et construction
psychique sont ainsi résumés par Jaquet et al. (2014) :
« Le développement du psychisme initialisé par l’image du corps dépasse et s’autonomise vis-à-vis du
schéma corporel dont il est issu et auquel il adhère en tant que prolongement. Dès lors, le monde en
relation avec soi est représentable. Il peut-être pensé. Les pensées pourront ensuite être articulées en
paroles. »

Même dans le cadre d’une intégrité anatomo-physiologique du système nerveux, des


stimulations corporelles inexistantes ou inadaptées durant l’enfance ou encore traumatiques
quel que soit l’âge du sujet, suffisent à fragiliser la construction de l’édifice psychique tout
16 • Discussion finale

entier. En retour, ce dernier ne sera plus en mesure d’investir correctement l’organisme qui
l’héberge ce qui se traduit, entre autres, par un certain nombre de failles, voire de béances
dans l’image composite du corps, comme la présence d’angoisses archaïques, de troubles de
la construction identitaire ou encore une fragilité voire une non mise en place du sentiment
de continuité d’existence.

Une situation traumatique telle qu’un inceste comme celui que Madame B., présentée
par Camille Goldman, a pu vivre nous en fournit un exemple poignant. Ce type
d’expérience corporelle ne peut faire l’objet d’une représentation psychique dans
l’esprit d’un enfant. Celui-ci est prématurément mis face à l’impensable, à l’innommable,
et pourtant le corps a bel et bien vécu... cela. Dès lors, c’est le corps qui devient
seul témoin d’une souffrance sans nom. Il l’exprime par l’automutilation, véritable
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langage dans lequel chaque tentative de suicide est une phrase, chaque cicatrice un
mot gravé dans le marbre de sa surface et visible par tous. Le corps est un objet mis à
distance, rejeté tel un déchet par un psychisme en survie. La peau est insensibilisée.
L’identité sexuée est mal vécue. La communication corporelle désorganisée.

Les expériences sensorielles proposées par la psychomotricienne redonnent au corps une


place dans le psychisme de cette patiente. Simplement ressentir et rien de plus. Car c’est déjà
beaucoup ! Mais plus important encore, les perceptions s’accompagnent progressivement
de mots pour les décrire ce qui signe un début de réinvestissement de la sphère corporelle.

291
Corps et environnement
Pour que l’enfant puisse s’approprier son organisme, l’intégrité physiologique des systèmes
sensori-moteurs est essentielle mais insuffisante. Il faut également que son environnement
humain le stimule de manière adaptée, comme Winnicott nous l’explique par les concepts
de holding, de handling et d’object presenting. Le développement de la conscience sur la
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base de l’intégration des perceptions corporelles repose sur une dialectique permanente, dès
le plus jeune âge, entre des déterminants, innés qui correspondent à la fonctionnalité de
l’appareil neurologique et acquis correspondant à l’accumulation d’expériences perceptives
adaptées formant une continuité autobiographique dans l’esprit du jeune enfant.
La récurrence des perceptions corporelles crée dès le début de la vie des structures d’activité
persistantes (Damasio, 2010) imprimant une cartographie de l’organisme dans le cerveau.
Conjointement à ce processus, le psychisme naissant va investir l’organisme et s’en forger
une représentation qui condense l’ensemble du vécu psychoaffectif du sujet en relation
avec son corps. L’infinie variété des expériences corporelles, étayées sur les expériences
relationnelles, et leur combinaison au cours du développement crée, pour chaque individu,
une histoire corporelle singulière et un rapport au corps qui lui est propre.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

On peut ici s’interroger sur l’impact des soins intensifs reçus par un jeune enfant tel
qu’Eliot présenté par Marie Thérain. Lorsque le psychomotricien intervient dans un
tel contexte, il cherche d’abord à décoder les expressions toniques qui traduisent la
souffrance du nourrisson. Cela permet d’abord d’adapter autant que possible le soin
puis d’introduire progressivement un vécu corporel rassurant, plaisant et empreint de
tendresse dans lequel les parents peuvent s’impliquer. À cet âge, l’enjeu n’est pas de
rapprocher corps et psyché mais bien de soutenir un développement psychique qui
ne peut avoir lieu sans expériences corporelles positives.

Sur un plan plus neurophysiologique, nous savons qu’une représentation psychique du corps
prend place dans notre cerveau par l’intermédiaire de cartes neuronales et que les structures
de l’encéphale détentrices de ces cartes exercent en permanence un rétrocontrôle sur les
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systèmes perceptifs, c’est-à-dire sur notre manière singulière de percevoir le monde. Elles
sont également en relation constante avec les aires cérébrales qui sont en charge de notre
motricité et donc de notre capacité d’action sur l’environnement.

Avec le cas de Valentine, nous pouvons mesurer à quel point les intrusions corporelles
répétées depuis la petite enfance majorent à l’extrême la sensibilité mais aussi les
réactions toniques, expressions motrices inconscientes de notre émotivité. Valentine
n’est pas « propriétaire » de ce corps qui l’angoisse. Cela se traduit par une motricité
pauvre et mal investie ainsi que par une opposition anxieuse lorsqu’il s’agit de se
relâcher pour être à l’écoute de ce qui se passe en elle. L’aider à réinvestir son corps par
292 des jeux de mouvements et à ressentir ce qui se passe en elle par différentes formes
de mobilisations, c’est offrir à cette enfant la possibilité de redevenir « maîtresse »
de son corps et lui donner l’opportunité de moduler par elle-même une réactivité
corporelle et affective conditionnée par une biographie empreinte d’intrusion et de
douleur.

Corps et expressivité : bouger ou agir ?


L’hyperkinésie est souvent définie comme une forme d’hyperactivité. Au sens strict, elle
correspond à un excès plus ou moins irrépressible de mouvement. L’hyperactivité contient
par définition l’hyperkinésie puisqu’il s’agit d’une tendance pathologique à agir, ce qui passe
évidemment par une mise en mouvement du corps. Pourtant, bouger n’est pas avoir une
activité, dans le sens où celle-ci est censée impliquer une finalité et donc une planification
et une stratégie. La nuance est intéressante à établir dans la mesure où certains sujets
semblent faire du mouvement et de la sensorialité qui en découle une fin en soi. C’est
par exemple le cas du « flapping », mouvement stéréotypé et répétitif, généralement de
la main et de l’avant-bras, caractéristique des sujets atteints d’autisme. Ici le mouvement,
16 • Discussion finale

sa perception visuelle ainsi que les sons qui en découlent lorsqu’il implique des objets,
semblent être orientés vers un but. Cette forme d’hyperkinésie, sans pouvoir être strictement
considérée comme une hyperactivité, a donc comme objectif de percevoir le corps et de se
stimuler sensoriellement pour lutter contre différentes formes d’angoisse que l’on associe
dans ce cas au fait de ne pas se sentir exister physiquement de manière suffisamment stable
et continue.
Si l’on reprend le modèle de Damasio, on peut formuler l’hypothèse d’une incapacité du
sujet à dépasser l’étape du Soi noyau. L’autostimulation crée une pulsation du soi noyau qui
permet au sujet de « se sentir être » dans l’instantanéité du mouvement mais sans jamais
parvenir à s’inscrire dans une continuité autobiographique capable de le sécuriser sur la
stabilité de sa propre existence. Peut-être est-il également difficile ou impossible pour
les individus atteints d’une telle pathologie de « se sentir suffisamment être » en dessous
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d’un certain seuil d’intensité sensorielle qui autorise une conscience de leur dimension
corporelle. Dans cette perspective, le comportement inadapté que nous concevons comme
pathologique ne pourrait-il pas découler d’une configuration cartographique singulière
construite sur la base d’une neurophysiologie défaillante et/ou d’une biographie corporelle
empreinte de manques, de frustrations ou de traumatismes ? Par suite, cette configuration
« pathologique », parce qu’elle n’autorise pas le sujet à engager des expériences susceptibles
de l’épanouir, deviendrait la base d’un fonctionnement délétère qui se renforce en raison
d’une accumulation d’expériences non constructives, insatisfaisantes ou douloureuses et
créant d’autres cartes potentiellement pathogènes.
293
Le jeune Milo, présenté par Marie Rossignol, atteint d’un autisme atypique, présente
cette forme d’agitation motrice constante et apparemment non constructive. Pourtant,
« le fait de se mouvoir semble pour lui quelque chose d’existentiel », nous dit sa
thérapeute. On peut ici voir de quelle manière les perceptions corporelles s’intriquent
avec la représentation du corps mise en jeu par le conte au sein d’un même espace
thérapeutique. S’il s’appuie sur le conte des trois petits cochons pour se forger une
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représentation de contenance, il utilise également tout au long de la séance le contact


du corps de l’autre pour ressentir le sien et se construire ainsi, de séance en séance,
une représentation plus stable de sa propre enveloppe corporelle.

Pour d’autre patients ayant acquis une sécurité de base quant à la stabilité de leur existence
corporelle et psychique, l’hyperactivité se manifeste par une suite continue de petites
activités que le sujet peine à mener à terme et qui se succèdent au rythme d’une impulsivité
motrice difficile à contenir. L’agir est continuel. Le sujet semble vouloir fuir ce temps
de latence qui pourrait prendre place entre deux occupations. Ce profil psychomoteur est
fréquemment accompagné d’une forme d’anxiété définie comme une réaction somatique,
émotionnelle, comportementale et cognitive à une situation stressante perçue par le sujet
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

comme incontrôlable ou inéluctable. L’hyperactivité comportementale peut-elle alors être


considérée comme un symptôme de l’anxiété ? Mais dans ce cas, quelle est la fonction de
ce symptôme ?
L’anxiété constitue une gêne, un malaise psychique et corporel lancinant qui, lorsqu’il peut
être élaboré, recrute nos capacités cognitives en vue d’une résolution. Encore faut-il pour
cela être capable d’identifier l’anxiété ainsi que la situation anxiogène originelle. L’inconfort
qu’elle provoque induit des comportements adaptatifs très variables. Chez l’enfant, qui n’est
généralement pas en mesure d’effectuer le travail psychique précité, l’hyperactivité peut
constituer une échappatoire car elle lui permet de dévier son attention vers des objets
extérieurs qui lui permettent alors de se couper du désagrément, voire de la souffrance qui
le taraude sans qu’il puisse y apporter de solution.
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Il semble que l’anxiété joue par exemple un rôle important dans l’instabilité
psychomotrice du jeune Prosper présenté par Nicole Girardier. Très tonique, c’est
un enfant qui a du mal à se relâcher. Les séances de détente centrées sur la prise de
conscience du corps lui ont permis de développer cette capacité. C’est probablement
cela qui a entraîné sa capacité à verbaliser ses gênes, ressentis et angoisses. Ne
plus faire appel au dérivatif de l’agitation motrice a créé un espace d’attention et de
conscience intérieure favorable à la perception d’un mal-être corporel pouvant ainsi
être mis en mots avec l’aide de la thérapeute.

294 Nous venons de voir de quelle façon les savoirs théoriques (à travers les notions princeps
de globalité, de conscience corporelle et de représentation symbolique) s’articulent aux
savoir-faire des psychomotriciens dans leur clinique. Mais au-delà du savoir-faire, nous
avons repéré un fil rouge sous-tendant toute la clinique psychomotrice, à savoir l’attitude
particulière des psychomotriciens vis-à-vis d’eux-mêmes et de leurs patients. C’est le style,
le savoir-être dans la pratique que nous allons interroger maintenant à travers les notions
d’éthique et de responsabilité professionnelle comme le philosophe Emmanuel Levinas nous
l’indique :
« L’éthique est reconnaissance de l’autre comme différent de soi, une éthique de la différence, de la
tolérance. »
16 • Discussion finale

ÉTHIQUE ET RESPONSABILITÉ1

L’attitude éthique
Nous avons vu à travers tous les récits cliniques et la notion de globalité qui s’en dégage
qu’en psychomotricité la pensée n’est pas séparée de l’action. C’est en établissant des liens
entre la rigueur scientifique et la sensibilité individuelle que les professionnels cherchent à
concilier savoir et savoir-faire, recherche scientifique et clinique.
Comment penser cela ? Pourquoi n’est-ce pas si simple ? Parce que d’un point de vue
scientifique, il y a un désir légitime de connaître : c’est ce que nous apportent les bilans
et les tests. D’un point de vue thérapeutique, il y a un désir légitime de soigner : c’est ce
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que nous faisons dans la relation que nous engageons avec nos patients au moyen de la
médiation corporelle. Il ne faut donc pas confondre la recherche (y compris la recherche
clinique) et le soin. Et il faut se méfier du processus d’objectivation scientifique qui
transforme l’être humain en « objet d’analyse » en assimilant le corps à la matière dans un
désir de maîtrise du voir et du savoir. Car les règles de production scientifique commandent
de dépasser par l’abstraction l’empirisme qui, pour les scientifiques, est synonyme d’erreur
et d’illusion. La médecine factuelle reposant sur les preuves (Evidence-Based Medicine)
exclut de facto l’erreur, l’illusion et l’incertitude. Et, disons-le, c’est parce qu’aujourd’hui
on entretient une confusion entre la recherche et le soin que nous, les soignants, sommes
dans l’obligation non seulement de définir les règles éthiques qui définissent nos pratiques
295
mais qu’il nous faut aussi plaider pour une « incertitude inhérente à la clinique elle-même »
comme le dit le Docteur Michèle Lévy-Soussan dans son ouvrage consacré aux figures
actuelles du consentement et du refus de soins. (Mémoire de philosophie pratique, option
éthique médicale, 2012). Or, nous savons bien que l’incertitude génère de l’anxiété tant du
côté des soignants que de celui des soignés.
Dans les soins à médiation corporelle – et c’est là que réside leur complexité – nos patients
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sont perçus et pensés avec leurs corps dans une globalité d’être au monde. C’est cette
absence de découpage qui rend très difficile l’élaboration de tests qui pourraient rendre
compte à la fois des qualités relationnelles, du niveau des acquis et de la façon dont le
corps est utilisé dans la vie pratique.
D’autre part, en clinique, la globalité de l’abord corporel rend difficile l’objectivation des
séances. D’ailleurs, la façon d’en faire le récit pourrait, aux yeux d’un scientifique, passer
pour de l’« empirisme coloré » comme disait Bachelard. Ce qui, au bout du compte, aurait
tendance à séparer en deux les catégories de praticiens : d’une part, les « scientifiques »

1. Françoise Giromini.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

porteurs de savoirs objectivables et d’autre part les « autres », porteurs d’un savoir-faire
non objectivable.
Néanmoins, c’est l’attitude éthique – le savoir-être – qui peut permettre de dépasser cette
opposition entre savoir et savoir-faire et entre théorie et pratique afin de concilier la
sensibilité et la raison, la science et l’expérience.
Dans ce sens, qu’est-ce qu’une attitude éthique ? Un savoir être ? Par plaisir, mais aussi
par nécessité épistémologique, nous allons chercher son origine du côté de nos maîtres
à penser, en Grèce ancienne. Pour les penseurs présocratiques, l’homme fait partie d’une
totalité, la physis : il n’y a donc aucune distinction entre la théorie et la pratique. C’est
une manière d’être en correspondance et en harmonie avec le sophon, la sagesse. C’est être
en accord avec le savoir et avoir conscience d’appartenir à une totalité. Psukhé et Sôma
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ne s’opposent pas entre eux comme ce sera le cas plus tard. C’est une totalité visible et
vivante où sentiments et émotions se confondent avec les organes.

L’attitude éthique réside ici dans la sagesse de l’action en harmonie avec la


connaissance de soi et du monde. On peut dire que c’est un accordage psychocorporel
naturel. Nous retrouvons ici les bases de la philosophie orientale dont la philosophie
grecque est issue.

Nous allons donc aborder les origines de l’éthique du corps à travers l’univers de la tragédie
296 grecque car elle a pour fonction de raconter les actions humaines (et divines...) faites de
sang, de meurtres, d’incestes, de sacrifices, d’héroïsme, d’amour et de mort. Bref, c’est une
représentation de transgressions, de turpitudes, de cupidité ou de quêtes du pouvoir mais
c’est aussi une représentation de tous les actes sublimes dont les humains, pris dans les
filets de l’inconscient, entre éros et thanatos, sont capables pour leur jouissance. On y
rencontre donc de l’éthique concrète, au niveau de la praxis : qu’ai-je le droit de faire et de
ne pas faire ? Suis-je responsable de mes actes vis-à-vis d’autrui en engageant mon corps
dans une action ? Suis-je libre d’agir ?
C’est ainsi que Sophocle fut le premier penseur à s’interroger sur la question de la
responsabilité et de la liberté à travers le personnage d’Antigone1 , dont il faut retenir l’idée
de liberté, d’engagement et de responsabilité pleine et entière de ses actes. C’est faire
face à l’adversité, c’est résister par conviction morale aux lois qu’un état dicte : on peut
rapprocher cette attitude responsable d’Antigone à toutes les formes de résistance politique
et éthique de par le monde. En ce moment par exemple, devons-nous éthiquement résister
aux recommandations de la HAS de ne plus faire de packing ? Si nous sommes persuadés de
faire un soin nécessaire et bon pour le patient, comment à la fois résister et convaincre du

1. Qui inhume son frère, Polynice, bravant ainsi l’interdit posé par Créon.
16 • Discussion finale

bien fondé de cette pratique psychocorporelle ? Alors que nous venons de voir à quel point
il est difficile de concilier l’expérience clinique et les tests censés fournir scientifiquement
la preuve de l’efficacité des pratiques.
Nous venons de voir que l’éthique du corps ne peut s’inscrire que dans la praxis et dans les
actes que nous réalisons avec notre corps engagé dans l’action. Nous retenons donc l’idée
de l’implication corporelle au service du soin apporté à l’autre.

Dans notre pratique professionnelle, l’attitude éthique consiste donc à être en


harmonie avec soi-même dans un accordage psychocorporel pour pouvoir s’engager
librement dans un soin que l’on estime juste et bien-traitant pour le patient en
assumant la pleine responsabilité de ses actes.
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Dans les cas cliniques présentés, l’accordage psychocorporel est central : il se construit
sur les capacités d’observation et d’écoute du ressenti des patients en relation avec
le monde qui les entoure. Que ce soient les familles ou bien les équipes de soin. Cette
façon d’être facilite l’alliance thérapeutique comme en témoigne Marie Thérain à
travers les présentations cliniques de Valentine et d’Eliot, ou bien de Nicole Girardier
à propos de Prosper lorsqu’elle développe la notion d’associativité sensori-motrice.
Le travail dont témoigne très finement Beatriz Aranda, en cabinet libéral, dans
« l’enfant messager » illustre bien la problématique de la relation entre les familles,
les institutions et les symptômes que présentent ces enfants d’âge scolaire sur
fond d’anxiété et de manifestations tonico-émotionnelles patentes témoignant d’un
mauvais accordage psychocorporel qui se traduit par des troubles des apprentissages
et du comportement. 297

Revenons à nos anciens. Platon, par l’intermédiaire de Socrate, va conduire son interlocuteur
à prendre possession de son savoir. C’est la maïeutique. Il n’y a pas de doctrine à transmettre.
Néanmoins, on y apprend le maniement de la parole à partir de l’expérience du corps et de
l’action qui en découle. Le logos, le discours et le raisonnement créent ainsi une scission,
une distance et un écart, entre le corps et la pensée ce qui conduit Platon à définir l’éthique
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comme ce qui est bien en soi. Le bien à acquérir est un idéal, un but que l’on doit se fixer
dans la vie, quelque chose d’extérieur à soi.
C’est ainsi que la théorie, comme point de vue sur les choses du monde, va être mise au
service de l’action mais ne se confond plus avec elle. C’est le logos (le discours, dans sa
forme logique) qui est le médiateur entre le corps et la pensée.

Le maniement de la parole est souvent difficile pour les patients pris en charge en
psychomotricité qu’ils soient enfants ou adultes. Nous voyons le souci constant des
psychomotriciens à inciter et encourager la mise en mots du vécu corporel. Comme
l’évoque Brigitte Feuillerat à travers les vécus de Max et d’Arthur. En effet, le vécu

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


corporel seul ne permet pas l’accès à la représentation. Il lui faut obligatoirement
un médiateur qui est ici la parole qui instaure et restaure le lien entre le corps et la
pensée. Max l’exprime si bien lorsqu’il dit à sa thérapeute « J’aime que tu parles à
mon corps. »

Ou bien comme chez Camille Goldman qui a repéré chez sa patiente comme une sorte de
« plainte en suspens », comme si son corps était fermé et ne pouvait ni recevoir ni éprouver
ni ressentir. Il lui apparaît qu’elle « n’habite pas sa parole » et que ses mots sont « à fleur
de peau. » Elle va ainsi la convier à recréer ce qu’elle nomme une « poétique du corps »
créant ainsi « un lieu intermédiaire entre le langage du corps et le langage des mots » qui
lui permettra d’assigner un lieu à sa parole, celui de sa sensorialité.
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Pour Aristote, père de la biologie moderne, il existe une logique du corps comme il existe
une logique du langage : c’est une substance sensible et déterminée par sa matière et par
sa forme. C’est un composé fini. Comme l’ensemble du monde physique.
Il nous apprend que si l’on considère le mouvement comme inséparable du corps et comme
cause de la sensation, c’est l’analyse du mouvement qui va permettre de déterminer la nature
du corps sensible. D’autre part, dans son Éthique à Nicomaque, qui est le premier ouvrage
de philosophie de notre monde occidental consacré à ce sujet, Aristote, qui s’adresse à son
fils, définit l’éthique comme ce qui est « bon pour l’homme. » C’est une éthique qui vise à
l’harmonie du corps et de la pensée. Il convie l’homme à explorer les limites entre ce qui
est bon ou mauvais. Car, dit-il, l’homme doit être capable de discernement et de jugement
298 pour trouver un juste équilibre entre ce qui est bon et mauvais pour lui et pour autrui.
Pour ces deux philosophes grecs - Platon avec l’idée de ce qui est bien en soi comme une
idéalité, ce vers quoi nous devons tendre et Aristote avec l’idée de ce qui est bon et juste
pour l’homme - nous nous situons dans une éthique psychocorporelle réfléchie. Dans le sens
où réfléchir veut dire à la fois mettre une distance, créer un écart entre la pensée et l’acte
et à la fois les unir. Comme le cou sépare et unit en même temps la tête et le reste du corps.
Ce lien particulier que produisent les psychomotriciens pour leurs patients a pour fonction
d’unir, de relier mais aussi de séparer logiquement ce qui appartient au corps et à la pensée.
C’est paradoxal et c’est pour cela que c’est si difficile à comprendre pour nous aujourd’hui
car il faut faire exister conceptuellement deux propositions apparemment contradictoires :
unir et séparer. Deux propositions contraires mais complémentaires et indissociablement
liées, comme le concept de nuit ne peut exister sans celui de jour, comme le concept
d’union ne peut exister sans le concept de séparation. Et c’est le logos platonicien qui à la
fois sépare et unit le corps à la psyché en mettant du sens, de la structure et de la logique
dans le discours psychocorporel. C’est ce que font les psychomotriciens dans leur pratique
professionnelle.
16 • Discussion finale

On retrouve d’ailleurs ces idées particulièrement bien illustrées à travers le texte de


Christiane Tancray dans lequel Anne-Lise se vit comme « un esprit qui pense et un
corps à côté » en ayant « souvent l’impression de marcher à côté d’elle-même. » Elle
ne peut s’investir dans aucune activité, bien qu’elle ait tout essayé dit-elle. La mise
en mouvement de son corps et par là-même de sa pensée en harmonie l’un par rapport
à l’autre ne lui est tout simplement pas possible.
La thérapeute va commencer par lui « réveiller le corps » et le mettre en mouvement,
en lui proposant des exercices simples de conscience corporelle tout en ancrant au
même instant sa parole dans sa gestuelle. Elle va créer ainsi du lien entre corps et
pensée et va réaliser pour sa patiente une mise en mouvement que celle-ci percevra
comme bienveillante et bien-traitante. Car elle va éprouver petit à petit et avec
de grandes résistances - car tout changement est difficile - un véritable plaisir à
découvrir une fluidité de mouvements articulant à nouveau son corps à son esprit
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et les reliant, en quelque sorte, pour tenter d’y trouver, au terme d’un formidable
travail, un équilibre harmonieux entre ses perceptions corporelles, ses émotions et
leurs représentations. Elle a découvert petit à petit les conditions d’une possibilité à
se situer « du côté de la vie » et à exercer sa liberté d’être au monde.

L’attitude éthique de nos deux philosophes contient donc l’idée d’harmonie, de mesure, de
délibération et de choix afin de prévoir et d’agir en connaissance de cause pour soi et avec
ses semblables. Il s’agit de réfléchir avant d’agir. Réfléchir avant d’agir c’est être prudent
afin de mesurer les conséquences de ses actes.
Alors, comment acquérir cette phronesis, cette prudence ? Aristote nous dit qu’il faut une 299
expérience du sensible. Qui conduit à une conscience des limites entre ce que je peux faire
et ne pas faire et qui s’inscrit dans un cadre très rigoureux de découverte, de prise de
conscience et de mise au travail de son propre fonctionnement psychocorporel pour soi et
en soi. Sous le regard bienveillant d’autrui.
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Nous retrouvons cette préoccupation constante dans la thérapie de Milo présentée par
Marie Rossignol car c’est une véritable exploration du sensible qu’elle propose à travers
la métaphore du conte. Elle construit avec lui et pour lui un univers « composite »
fait d’expériences corporelles, de poésie et de récits. Chantal Rémoville utilise un
autre support, celui la relaxation Bergès qu’elle nomme très poétiquement « danse
de l’immobilité » avec sa princesse. Ainsi, toutes deux tissent avec leurs patients
les éléments de leur enveloppe psychocorporelle en leur permettant de délimiter
eux-mêmes un dedans d’un dehors de leur corps. Elles leur donnent ensuite les
conditions de la possibilité de passer d’un espace à l’autre. C’est-à-dire la possibilité
psychocorporelle de faire un choix d’actes responsables.
CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ

! L’éthique dans les soins à médiation corporelle


En reprenant à notre compte l’idée princeps de Kant – « bien traiter et respecter autrui en
suivant la loi de sa conscience » – nous dirons ce que la loi de notre conscience corporelle
nous dicte : « Ne jamais faire à autrui ce qu’on n’a pas vécu soi-même, dans son corps
propre, comme bien et bon pour soi. »
Ce sera notre fil rouge pour définir les conditions de possibilité d’action thérapeutique sur
le fonctionnement psychocorporel d’un patient dans le respect de soi-même et d’autrui.
Que faut-il mettre à l’œuvre ? Comment procéder pour s’engager dans une prise en charge à
médiation corporelle ? Comment en mesurer les conséquences ? Et comment faire en sorte
que le patient se responsabilise en devenant acteur de sa thérapie ?
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L’affaire est complexe car il s’agit ni plus ni moins d’utiliser sa corporéité – nom générique
donné à l’ensemble « des corps » : réel, biologique, anatomique, physiologique, imaginaire,
émotionnel, symbolique et relationnel – comme médiateur de la relation à l’autre et d’en
mesurer les effets.
Examinons comment se construit et se travaille dans notre corporéité la distanciation
nécessaire et structurelle entre ce que nous pouvons ressentir de notre propre corps –
y compris nos sensations et nos affects – et notre savoir-faire avec notre corps dans la
relation thérapeutique.
Dans la formation professionnelle, il s’agit pour l’étudiant d’expérimenter sur soi-même
300 les entours de sa propre structure corporelle, de sa fonction tonique, de sa posture, de
l’organisation du geste, de son corps engagé dans l’action – tout ce que l’on nomme
conduites motrices de base (équilibre sensori-tonique, marche, course, sauts, coordinations
dynamiques générales) - de sa latéralité, de sa relation à l’espace et au temps, de son
schéma corporel et de son image du corps. Il s’agit aussi de découvrir et d’expérimenter
ses fonctions sensorielles (les flux sensoriels, le regard, le toucher, la voix, l’écoute etc.).
Cet ensemble constitue ce qu’on appelle la conscience du corps. Mais ce n’est pas tout :
au moyen d’une variété infinie d’exercices, cette conscience du corps va s’éprouver avec
l’autre, par l’autre et pour l’autre.
C’est avec l’autre que va se construire petit à petit ce que nous appelons, à la suite de Julian
de Ajuriaguerra, la prise de conscience des caractéristiques individuelles et subjectives du
dialogue tonico-émotionnel. En nous engageant dans une action de rencontre avec l’autre,
c’est tout notre être - le corps avec l’âme, le corps avec la psyché, le corps avec la pensée -
qui s’implique dans la relation : ce qui s’éprouve alors à l’instant même de la rencontre est
une singularité et une altérité essentielle, du même et de l’autre, l’un avec l’autre dans un
espace transitionnel. Mais jamais confondu avec l’autre.
16 • Discussion finale

Se rencontrer, c’est également prendre conscience de sa difficulté ou de sa facilité


à aller vers l’autre. Difficulté qui se traduit corporellement par des réactions de
prestance et des manifestations d’ordre émotionnel. Il s’agit surtout de « se bien
traiter le corps » pour bien traiter autrui.
C’est aussi éprouver les limites de la rencontre avec autrui. C’est percevoir et respecter
l’espace et la temporalité d’autrui par rapport à soi-même. C’est construire une éthique
corporelle relationnelle.

Peu à peu, grâce à la pluralité, à la diversité et à la richesse des thèmes proposés, le futur
thérapeute va développer une conscience et une expressivité corporelle de plus en plus
vaste et de plus en plus variée. Il va également développer sa capacité à observer finement
les attitudes corporelles, à les moduler et à s’adapter à toutes les situations rencontrées.
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Sa fonction créatrice va se construire, se développer et s’enrichir.
Acquérir une conscience corporelle fine ainsi qu’une conscience émotionnelle et relationnelle
va développer le champ de la pensée et de la réflexion sur soi-même. C’est alors que la mise
en mots du vécu corporel va constituer l’étape obligée par laquelle passe la symbolisation.
Parce que la parole est chargée d’affects, on sait combien il est difficile – quelquefois
éprouvant – de parler de son vécu corporel. Surtout en groupe. Néanmoins, parler de son
ressenti corporel et écouter celui des autres va développer le processus de représentation.
C’est ainsi qu’un phénomène de distanciation va se créer entre le vécu corporel et sa
représentation. C’est le langage exprimé par la parole qui crée cet écart. En tant que tiers
symbolique, il devient le médiateur entre le corps et la psyché. Il produit du sens, du 301
raisonnement, de la logique et de la distanciation. À son tour, il va influencer le vécu
corporel.
Nous pouvons dire que l’éthique relationnelle du psychomotricien, dans sa formation
professionnelle, se construit au moyen des expériences de la continuité d’existence à
travers la sensorialité (en référence à Winnicott, à Bullinger et à Damasio pour les flux
sensoriels, le toucher, le regard, la voix etc. ainsi que pour le tonus et les émotions qui
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s’y rattachent) et du sentiment d’identité de soi (en utilisant des exercices empruntés au
travail de symbolisation et de représentation comme on le rencontre dans la formation
corporelle de l’acteur par exemple). Ces notions ont été développées par Éric Pireyre (2011).

Cette attitude éthique psychocorporelle relationnelle spécifique aux psychomotriciens


est celle que nous avons retrouvée dans tous les cas cliniques présentés ici. Elle est
particulièrement mise en lumière par Alina Veeser dans le texte théorico-clinique
qu’elle propose autour de la conceptualisation de la contenance en psychomotricité à
travers l’étude des « actes contenants » du psychomotricien. En révélant la singularité
de la thérapie psychomotrice, elle lui confère son identité. C’est aussi parce que
les étudiants en psychomotricité ont expérimenté, dans le cadre de leur cursus, ce

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


tissage entre leurs éprouvés corporels et leurs représentations symboliques, dans
une approche didactique, pour eux-mêmes et sous le regard d’un autrui bienveillant
et dénué de jugement de valeur, qu’ils sont à même d’observer et de comprendre
rapidement ce que leur dit le corps de leurs patients au-delà de leur parole. Mais aussi
et surtout, cette formation leur permet d’acquérir la distance « juste » et respectueuse
de la corporéité de leurs patients : toucher ou ne pas toucher le patient ? Parler
ou se taire ? Savoir écouter. En un sens, acquérir un savoir-être qui leur confère un
savoir-faire dans une confiance partagée avec leurs patients.

Il nous reste à questionner les notions d’engagement et de responsabilité vis-à-vis de nos


patients et de leurs proches, vis-à-vis des institutions avec lesquelles nous travaillons, et à
rendre nos patients acteurs de leurs maladies ou de leurs troubles.
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La responsabilité
Selon Hume, la responsabilité est « la question la plus épineuse de la métaphysique » car
elle renvoie à deux évidences peu conciliables : d’une part le déterminisme et d’autre part
le libre arbitre.
Il n’y a pas de responsabilité morale sans libre arbitre. Libre arbitre signifie arbitrage,
jugement et choix parmi de multiples décisions. Sans ce libre arbitre, aucun être humain ne
peut être tenu pour responsable de ses actes. C’est ce que soulignait Thomas d’Aquin en
302 affirmant le lien nécessaire entre libre arbitre et responsabilité morale.
Or du point de vue du déterminisme, l’idée d’une volonté libre n’existe pas. Comment
concilier ces deux logiques ? La moralité dit que la volonté de la personne est cause
première de son acte alors que le déterminisme ne connaît pas de cause première. En
d’autres termes, devons-nous choisir entre le libre arbitre ou la causalité ?
C’est bien évidemment un choix impossible. La responsabilité oscille en permanence entre
passion et raison, entre libre arbitre et causalité dans un débat philosophique jamais achevé.
Il y a peut-être un moyen de dépasser cette question en montrant que la responsabilisation
peut faire naître chez le sujet humain la liberté de choix et comment elle peut produire le
libre arbitre auquel elle se réfère.
Emmanuel Levinas offre une alternative entre liberté et déterminisme en faisant de la
responsabilité la condition de la liberté. En posant la question : « est-il éthique d’être
raisonnable ? », il introduit l’autre dans la question de la responsabilité morale et affirme
que la pensée prend sa source ailleurs que dans la raison pure. En effet, l’autre est toujours
là avant moi. Il questionne mon droit d’être et je lui dois une réponse. Et c’est parce que
je lui dois une réponse que je ressens le besoin de justifier ma liberté et que je me sens
responsable.
16 • Discussion finale

Après la première séance, la patiente en surpoids modéré de Pierre Dalarun a réalisé


à quel point elle se sentait « isolée au sein d’un groupe, étrangère aux autres et
à elle-même. » Il ne va alors pas lui proposer un nouveau leurre qui lui donnerait
l’illusion de maigrir rapidement. Il va plutôt la responsabiliser en lui proposant une
approche « raisonnable » au sens de Lévinas. Raisonner, c’est introduire une logique
de travail psychocorporel qui va contribuer donner au patient les structures qui lui
font défaut par rapport à son corps propre : « l’accueil de soi ainsi que la structuration
et l’expression de soi » qui ont pour fonction de remettre en mouvement le corps et
la pensée afin de favoriser les échanges entre soi et l’autre.

Prendre ses responsabilités, dit le langage quotidien, indique que celles-ci sont une charge.
Comme une prise en charge où « ma » responsabilité est engagée pour le devenir de « mon »
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patient lui-même.

C’est ce que nous montre Magali Ramo lorsque, au cours de la thérapie de son patient
alcoolo-dépendant, elle choisit d’utiliser le toucher thérapeutique plutôt que des
objets médiateurs. Elle sait à ce moment-là qu’elle pourra toucher en toute confiance
son patient et que cela lui apportera apaisement et contenance. Bien traité, il pourra
désormais se bien traiter lui-même. Ce geste – en apparence très simple mais posé de
façon très adéquate – permet au patient non seulement « de faire le lien entre ses
sensations, ses émotions et la représentation » mais aussi de devenir acteur de sa
thérapie.
303
Pour terminer, nous pouvons dépasser le problème de la responsabilité individuelle face à
autrui pour envisager notre responsabilité collective dans le soin, au niveau de l’analyse
des pratiques et de la prévention.
C’est là que l’éthique rejoint le politique. Nous pensons particulièrement aux petits enfants
et aux personnes âgées, à ces états dans lesquels nous nous retrouvons à ces deux pôles de
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la vie. Ceux où notre être a un besoin vital de bien-être psychocorporel. Ceux où « prendre
soin de » a toute sa valeur et prend tout son sens dans une société de plus en plus addictive,
hyperactive et égocentrée.

Adrien Hilion s’intéresse à la maladie d’Alzheimer, tant sur le plan éthique que politique
puisqu’il nous montre d’une part de quelle façon la psychomotricité peut prévenir et
retarder les processus de dégénérescence liés à la maladie et permet ainsi de maintenir
à domicile le plus longtemps possible les personnes qui en sont atteintes et, d’autre
part, de quelle façon il faut s’y prendre, par l’expérience « du sentir » élaboré par
Straus, dans « Du sens, des sens », pour que les patients soient le moins possible
pris dans le tourbillon de leurs émotions qui ne sont plus régulées par les processus
cognitifs défaillants. En écho au très beau texte de Paul Ricœur, « Soi-même comme

CAS PRATIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ


un autre », il propose une « valorisation de l’estime de soi à travers la découverte
d’un corps-plaisir » en donnant là aussi la possibilité au patient de « redevenir acteur
de son corps. » Il nous dira comme Aristote que « l’homme est mouvement » mais
qu’il « se révèle dans sa rencontre avec l’autre » comme nous le démontrent Lévinas
et Ricœur.
L’esprit de la philosophie ne peut que souffler dans ces contrées où l’homme reste
impuissant face aux forces de la nature. Adrien Hilion nous donne ici un exemple
saisissant de la lutte à engager contre ces forces destructrices au moyen des structures
de soin et d’accompagnement et de la psychomotricité comme maîtresse d’œuvre.
Carine Da Fonseca a « pour mission de soutenir les équipes de soin dans le cadre de
la spécificité de son approche psychocorporelle » dans un établissement d’accueil de
jeunes enfants : il s’agit là, par un regard extérieur à l’équipe, par une observation
bienveillante et dénuée de jugement de valeur et par des mises en situation pratiques,
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d’instaurer une relation de confiance afin d’articuler entre elles les différentes pratiques
pour le bien-être et le respect des enfants, des leurs parents mais aussi pour l’ensemble
des professionnels.

Comment retrouver la sagesse des philosophes, cette phronesis, cette prudence, qui demande
à l’homme de délibérer et de réfléchir avant d’agir ? Comment prévenir et maintenant guérir
ces maladies de civilisation que nous sentons et voyons venir de toutes parts de la planète
en colère ? Comment accompagner nos enfants dans un projet commun pour construire le
futur et non pas le détruire, dans un sentiment d’appartenance collective ? En retrouvant
non seulement notre propre corporéité, mais aussi en envisageant la corporéité tout entière,
304 le corps sociétal, le corps groupal et le corps inscrit de la pensée collective en reliance à
la nature. Prenons soin de nous-mêmes et d’autrui et gardons la planète en vie pour nos
enfants à venir !
Puissent les psychomotriciennes et les psychomotriciens, non seulement celles et ceux qui
ont participé à l’élaboration de ce livre consacré à la clinique psychomotrice mais aussi
tous les chercheurs, tous les enseignants, tous les étudiants et tous les praticiens participer
en toute conscience et en toute éthique au mieux possible de notre devenir.
16 • Discussion finale

RÉFÉRENCES

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306
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NOTES
16 • Discussion finale

307

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Conclusion
Éric W. Pireyre

F
INALEMENT, ces études de cas cliniques nous apportent un regard particulier sur la
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psychomotricité d’aujourd’hui. Plurielle, légitimée, installée dans le paysage de la
santé français et dorénavant incontournable auprès du patient, elle sait tirer profit
des grandes évolutions actuelles. La gériatrie en est un exemple.
Françoise Giromini et Mickaël Coutolleau nous ont expliqué comment nous en sommes
arrivés là. Historiquement, les quatre périodes d’essor de la profession ont vu :
• sa conception et sa naissance, fruit direct du travail théorico-clinique des pionniers-
défricheurs (J. de Ajuriaguerra et G. Soubiran) ;
• ses premiers pas appuyés sur de nouvelles classifications des maladies et sur les premières
techniques médiatrices pourtant développées bien antérieurement ;
• son développement – son « adolescence » – avec l’ancrage paramédical et les premiers
profonds débats théoriques (transfert, etc.) ;
• sa jeunesse avec l’explosion et l’approfondissement des connaissances ; mais aussi avec
l’extension spectaculaire des pathologies prises en charge, des populations traitées ainsi
qu’avec la diversification des médiations utilisées ;
• et enfin la maturité actuelle avec, de nos jours, des débats aussi stériles que nécessaires
(neurosciences cognitives « contre » psychanalyse) sur les modes d’approche, de
compréhension et de traitement des patients – j’y reviendrai plus loin.

À l’heure actuelle, F. Giromini et M. Coutolleau nous affirment que « le travail corporel est
indispensable » et que « sans sa dimension corporelle, le travail psychique n’existe pas ».
Ces assertions sont fondamentales et il est crucial, maintenant que la psychomotricité a
fait ses preuves, d’affirmer haut et fort que les psychomotriciens soignent leurs patients.
Si la profession a raté le coche du titre de psychothérapeute, elle n’en est pas moins
thérapeutique dans ses objectifs et dans les moyens qu’elle utilise. L’auteur de ces lignes
revendique ce rôle thérapeutique de la psychomotricité.
Conclusion

Quels que soient ses choix et dans la mesure de ses limites personnelles et de ses
compétences1 , le psychomotricien :
• aide le patient à prendre conscience de son corps en mobilisant, sensoriellement ou pas,
la personne ;
• influe sur l’image du corps en s’appuyant sur des théorisations variées qui ne sont pas
du tout hétéroclites, les neurosciences confirmant souvent les données psychanalytiques
(voir Damasio (1999) et la conscience noyau – conviction de continuité d’existence et
Bullinger (2004) et la notion d’enveloppe corporelle, par exemple) ;
• permet la mise en mots des sensations et des émotions et facilite leurs transformations
subjectivantes en perceptions et vécus émotionnels. Cela ne peut avoir un effet
thérapeutique – c’est la nature humaine – qu’en présence d’un autre capable d’accueillir
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ces ressentis, verbalisés ou non. Cet autre, c’est le psychomotricien formé à cela dès sa
première année d’études. Il peut de lui-même traduire en mots ces vécus à la place du
patient s’il le pense nécessaire ;
• porte un grand respect à son patient en en respectant le rythme et en se questionnant
sur l’éthique professionnelle et personnelle nécessaire pour l’accompagner dans une
démarche thérapeutique ;
• accompagne le patient dans la découverte et la prise en compte de son unité
psychocorporelle. Ce faisant également, elle l’aide à devenir sujet ;
• en travaillant sur la globalité de la personne, il se donne les moyens d’un travail psychique
élaboré et approfondi ;
• implique le patient comme acteur de sa thérapie et s’attache à accueillir et à transformer 309
les ressentis négatifs qu’il projette.

Pour autant, l’approche corporelle – qui implique personnellement et corporellement le


psychomotricien – peut prendre diverses formes. Chaque professionnel pratique sa discipline
avec sa personnalité et ses valeurs. En nous divisant sur des théories – en jugeant2 –
nous ne percevons pas qu’aucune n’est toute-puissante mais que sont toutes sont fondées,
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pertinentes et adaptées au cas individuel de tel patient – quelle que soit sa pathologie,
autisme inclus – à un moment donné et ne le sont pas pour tel autre. Aucun patient n’a
besoin de La Psychomotricité. Il n’a besoin « que » d’une forme d’aide, à médiation. Il a
fondamentalement besoin d’être pris en compte dans le cadre du consentement éclairé3 .
Chaque psychomotricien doit respecter l’ensemble de ses collègues différents car nos
patients ont besoin de cette différence. De même que nos patients ont droit à la liberté

1. C’est, après tout, le cas de toutes les professions.


2. Et en raisonnant de la sorte, nous oublions les valeurs prônées et transmises par nos maîtres-fondateurs.
3. Ou celui de ses parents ou des personnes responsables de lui, bien sûr.
CONCLUSION

du choix de leurs modalités thérapeutiques, nous avons, pour notre part et entre nous, le
devoir d’être libres et de respecter la liberté des autres.
Soixante ans plus tard, la psychomotricité cherche toujours à faire des synthèses. Nous en
avons l’habitude. Nous sommes nés de cela. Nous avons grandi et exerçons avec cela. Je
dirais même que nombre d’entre nous ont choisi ce métier pour cela. C’est aussi cela la
globalité.
Une cinquième période s’ouvre à nous. À nous d’en écrire les pages. Comme ces courageux
collègues qui nous ont passionnés avec leurs récits.
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310
Index
A AUZIAS, M. 273 CAYCEDO, A. 212
axe 13, 15, 19, 28, 89, 90, 92, 93, CICCONE, A. 139
AJURIAGUERRA (de), J. 89, 91, 99,
157, 161, 164, 170, cognition(s) 91, 225
123, 272, 273, 277,
173, 174, 262, 263 compétences
308
logico-mathématiques
alcool 156, 157, 159–161, 165
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49, 50
Alzheimer (maladie d’) 252, 254, B
conduites auto-agressives 97
259, 263, 264, 267
BACHELARD, G. 80, 83, 171, 295 conscience 285, 287, 289
analyse des pratiques 243
BAGHDADI, A. 63 noyau 286, 309
ANDRÉ, P. 162
BARRACO, M. 13 conscience du corps (prise de) 2,
angoisse(s) 14, 17, 44, 70, 73, 74,
BASDEVANT, A. 225 7, 41, 43, 44, 61, 72,
81, 140, 141, 143, 156,
bébé 11–14, 16, 18, 22, 26, 31, 83, 140, 170, 172,
157, 159, 165, 166,
56, 74, 80, 82, 89, 173, 178, 193, 197,
180, 181, 194, 206,
100, 102, 123, 129, 207, 208, 262, 272,
211, 213, 215–219,
147, 150, 159, 160, 275, 276, 278, 280,
256, 261, 266
170, 176, 177, 179, 282–284, 286, 289,
archaïque(s) 160, 291 293, 294, 299–301,
180, 182, 248
corporelles archaïque(s) 82, 309
BENAVIDES, T. 162
83, 140 contenance, contenant(e) 5, 12,
BERTHOZ, A. 276
anorexie mentale 205 13, 15, 20, 27, 75,
BICK, E. 140
ANSES 226 79–81, 95, 127, 128,
bilan 18, 21, 58, 72, 89, 113, 122,
anxiété 19, 21, 36, 39, 40, 45, 57, 131, 136, 138–140,
128, 130, 216, 258
129, 130, 132, 157, 143–145, 147, 148,
158, 162, 165, 205, BOSCAINI, F. 181 151, 159, 161, 163,
207, 212, 240, 294, bouche 11, 15, 17, 19, 77, 93, 95, 177, 179, 182, 195,
295, 297 210 219, 229, 233, 243,
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APFELDORFER, G. 226 bras 196, 197, 209 277, 293, 301, 303
APPEL, G. 18 BRISOT-DUBOIS, J. 63 conviction de continuité
ARISTOTE 274, 286, 298, 304 BULLINGER, A. 10, 44, 90, 92, 140, d’existence 309
attention 27, 38, 39, 42, 44, 45, 144, 145, 150, 177, coordinations 19
47, 50, 57–60, 72, 76, 254, 263, 277, 309 corporéité 272, 275, 300, 302,
89, 94, 96, 123, 127, BYDLOWSKI, M. 179 304
129, 132, 148, 174, corps 64, 68, 70, 71, 83
178, 180, 193, 195, enveloppe 120
254, 260, 263, 286,
C
COSTE, JC 61
294 cabinet 120, 128, 132
attitude(s) 64, 71, 160, 256 cadre thérapeutique 72, 83, 114,
contenante(s) 234 128, 143, 207
D
autisme(s) 72, 82, 292, 293 capacités attentionnelles 58, 62 DALARUN, P. 225, 234
INDEX

DAMASIO, A. 276, 285–289, 291, contenante 78, 138, 175 F


293, 309 corporelle 15, 122, 140, 141, FAIN, M. 98
DAVID, M. 18, 95 144, 150, 157, 158,
FERNANDEZ, P. 172
DÉFIOLLES-PELTIER, V. 163 160, 179, 293, 309
FEUILLERAt, B 50
DELION, P. 5, 15 narrative 197
figé 122
dessin du bonhomme 23, 41, 158 psychique 139, 148
FREUD, S. 179, 279, 289
détente 289, 294 psychocorporelle 151, 299
dialogue tonico-émotionnel 2, 6, psychocorporelle
7, 71, 72, 83, 99, 113, contenante 138, 139 G
142, 144, 147, 150,
170, 179, 182, 255, sensorielle 171 GALLESE, V. 276
300 sonore 149 GAUBERTI, M. 179
DOLTO, F. 205, 219 tonico-émotionelle genou(x) 61, 170, 172, 231
dos 17, 19, 28, 77, 88–90, 93, contenante 170 gériatrie 308
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157, 160, 161, 163, tonique 164 geste(s) 24–26, 36, 38, 39, 41, 42,
164, 172, 190, 262, visuelle 147, 149 44, 57, 61, 64, 83, 94,
263 95, 99, 124, 129, 130,
enveloppe-peau 140
douleur(s) 16, 25, 30, 74, 78, 88, 140, 142, 145, 146,
épaule(s) 24, 61, 62, 71, 78, 98, 148, 149, 164, 177,
157, 161, 164, 180,
157, 208, 209 188, 209, 249, 255,
181, 190, 208, 212,
215, 225, 288 équilibre(s) 29, 30, 44, 93, 128, 258, 260, 263, 264
DROPSY, J. 230 130, 156, 172, 173, GIROMINI, F. 162
213, 255, 259, 260,
DURET-GOSSART, F. 234 globalité 276, 278, 290, 294, 295,
263
dyspraxie 34, 39, 45 309
espace-temps 16, 26, 43, 72 GOLSE, B. 177
visuo-spatiale 38, 39
corporel 42 graphique 129
312
espace(s) 14, 16, 17, 24, 26–28, grossesse 22, 36, 56, 73, 74, 170,
E 30, 36, 38, 43, 44, 171, 173, 175–177,
eau 15, 168, 170–178, 180, 181 59–61, 73–75, 83, 179–181
EBBING, A 56 93–95, 122, 124, GUY-GRAND, B. 225
130–132, 142–144,
effondrement 82, 215, 262
149, 156, 158, 159,
émotion(s) 6, 7, 19, 59, 61–64, 170–172, 174, 177, H
74, 76, 83, 84, 121, 178, 188, 190, 191,
124, 140–143, 146, 193, 195, 197, 209, HAAG, G. 95
151, 164, 165, 175, 210, 213, 215, 218, Haute Autorité de la Santé 4, 296
176, 178–180, 208, 227, 230, 241, 243, HIVERT, R 50
212, 214, 227, 229, 254, 263 HUME, D. 302
232, 243–246, 250,
esprit VI, 2, 70, 72, 83, 206, HUSSERL, E. 275, 285
255, 264, 274, 276,
209–212, 214, 215,
277, 279, 282, 285,
219, 246, 266, 279,
287, 296, 299, 303, I
280, 282–287, 289,
309
291, 299, 304, 305 identité 30, 82, 124, 156, 170,
empathie 122, 160, 180, 246
état limite 190 178, 252, 255, 256,
enveloppe 77, 79–81, 83, 123,
132, 138, 143–145, éthique 272, 278, 294, 296, 298, 263, 264, 266, 267
147, 160, 161, 171, 301, 303, 309 psychocorporelle 159, 165
174, 182, 195, 248 EXPOSITO, C. 163–166 sexuée 291
Index

image composite du corps 278, M MURCIA, R. 230


289–291 musique 14, 29, 98, 125, 192, 230
main(s) 13, 15, 19, 23, 24, 37,
image du corps 2, 3, 7, 72, 81–84, 41, 77, 78, 90, 93, 95,
91, 97, 98, 100, 102, 96, 98, 99, 140, 141, N
123, 128, 139, 146, 148, 149, 164,
156–158, 160, 161, 173–177, 209, 210, neurosciences cognitives 308
178, 181, 182, 207, 231, 263 NEVEU, P. 284
219, 227, 230, 255,
MALHER, M. 163
277, 278, 290, 300,
309
MARC E. 261 O
médiat(e) 59, 72, 228, 266
impulsivité 36–38, 40, 41, 45, 47, œil, yeux 11, 12, 14, 19, 23, 29,
médiation(s), médiateur(s) 3, 143,
50, 122, 128 43, 61, 62, 73–75, 90,
149, 161, 163, 171,
106, 113, 114, 159,
181, 190, 193, 275,
162, 210, 217, 245
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282, 283, 295, 308,
OPPERT, JM 225
J 309
corporelle(s) 295, 300 organisme 285–287, 290, 291
JACOB, C 82 ORSAL, D. 283
MEICHENBAUM, D. 48
jambes 13, 24, 43, 61, 62, 90, 98, mémoire 20, 37, 44, 45, 57, 58,
159, 161, 170, 209, 62, 156, 179, 181, 188, P
212, 231 214, 246, 248, 250,
JAQUET, C. 284, 289, 290 254, 257, 260, 264 paratonie(s) 122, 132, 158, 164
jeu(x) 14, 17, 23, 25–27, 29, 43, MERLEAU-PONTY, M. 159 parentalité 14, 170, 181, 182
50, 64, 65, 70, 72–74, MIJOLLA (de), A. 161 parole 297
83, 84, 90, 94, 96, 97, mimique(s) 23, 64, 90, 99, 146, peau 16, 30, 77, 82, 140, 171,
99, 100, 124, 128, 228 176, 177, 180, 191,
143, 144, 149, 207, mobilisations passives 48, 62, 193, 197, 228–230,
291 313
231, 240–242, 244, 114, 164, 229, 230
245, 248, 249, 266 Moi-peau 81, 122 pédopsychiatrie 274
JOLY, F. 91 MONJAUZE, M. 158, 161, 162 perception(s) 41, 57, 83, 88, 100,
102, 141, 172, 174,
MONTAGU, A 180
178, 182, 207, 210,
morcellement 81, 161
225, 227, 234, 280,
K motricité 17, 40, 41, 50, 57, 58, 281, 283–286, 288,
90, 95, 97, 102, 138, 291, 293, 309
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KREISLER L. 98 156, 171, 225, 240,


PERSONNE M 264
255, 260, 279, 290,
PEUTEUIL, P. 234
292
pied(s) 90, 93, 170, 210, 231, 263
L mouvement(s) 16, 17, 19, 24–28,
43, 48, 57, 59, 61, 73, PIKLER, E. 101
lâcher prise 114, 195, 207, 80, 83, 89, 90, 92, 93, PIREYRE, É 83, 277, 282, 284, 290
209–212, 215, 217, 100, 122, 140–142, plaisir 288, 289
248 145, 159, 170, PLATON 297
LAMOUR, M. 13 172–177, 180, 188, POLATAJKO, HJ 48
209, 211–213, 217, posture(s) 18, 23, 60, 64, 93, 146,
LEPOULICHET, S. 189
226, 245, 263, 266, 149, 163, 164, 170,
LEVINAS, E. 294, 302, 303 267, 282, 290, 292, 177, 191, 192, 196,
LÉVY-SOUSSAN, M. 295 298, 299 210, 211, 213, 231,
LIBERMAN, R. 63 MUCCHIELLI A 255 260, 262, 263, 290
INDEX

POTEL, C. 143, 171 respiration 19, 29, 61, 62, 114, SPINOZA, B. 277, 279
prise en charge mère-enfant 143, 115, 158, 159, 173, SPITZ, R. 289
144, 150, 151 191, 208, 209, 212, STAMBACK, M. 36
217, 262 subjectivité 100, 138, 144, 276,
projet thérapeutique 48, 72, 122,
123, 127, 207, 260 retard 91 287, 289
RICHARD, D. 283 sujet 285, 287, 290, 309
proprioception 44, 140
RICŒUR, P. 265, 275, 303 syndrome cérébelleux 57
protosoi 287, 288
RIOULT, C. 188
psychanalyse 308 RIZZOLATI, G 276
psychisme 81, 82, 120, 138, 139, T
ROBERT-OUVRAY, S. 164
151, 156, 179, 225, ROUSSILLON, R. 100, 101 TAJAN, A. 132
272, 281, 282, 285, TARDOS, Anna 95
289–291
temps 11, 13, 14, 17, 20, 24, 26,
S 27, 29, 36, 39, 42, 47,
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SAINT POL (de), T. 224 48, 59, 60, 62, 77, 143,
165, 180, 190, 214,
R SAINTE MARÉVILLE (DE), F. 284
215, 227, 229, 230,
SCHULTZ, JH 273
RACAMIER, P.-C. 179 244, 254, 256, 265
SCIALOM, P. 284 tête 12, 13, 18, 19, 43, 62, 77,
réaction(s) de prestance 141 sensation(s) 6, 7, 11, 13, 17, 29, 78, 80, 96, 157, 162,
réactions tonico-émotionnelles 30, 44, 60, 61, 83, 88, 173, 176, 205, 210,
290, 297 91, 98, 100, 101, 143, 230, 231
réanimation pédiatrique 10, 11, 18 156–159, 161, 162, thérapie 289, 309
rééducation logico-mathématiques 164, 170, 171, 174,
psychomotrice 7, 70–72, 83,
48 179, 180, 191,
151, 188, 222, 283
193–197, 207,
regard(s) 19, 26, 29, 36, 62, 64, THOMAS, P. 256
314 75, 77, 78, 80, 94,
211–213, 216, 225,
227, 228, 230, 231, tonus 17, 19, 25, 41, 61, 89, 120,
122, 123, 140, 141, 122, 124, 126, 132,
248, 254, 263, 284,
145–149, 151, 157, 140, 145, 150, 156,
298, 300, 303, 309
160, 162, 163, 172, 158, 159, 254, 263,
sensibilité somato-viscérale 283,
179, 195, 197, 209, 273
290
211, 217, 240, 241, toucher (le) 11, 13–15, 17, 19, 29,
243, 247, 250, sensorialité 189, 193, 195, 197,
73, 98, 113, 124, 128,
261–266 240, 276, 279, 289,
141, 161, 163, 171,
292, 298
REICH, W. 224 175, 176, 182, 194,
sentiment de continuité
relaxation 5, 26, 27, 59–62, 104, 196, 230, 262, 303
d’existence 291
113–115, 123, 124, trouble attentionnel 57
SHENTOUB, SA 161
128, 131, 157, 159, troubles praxiques 46, 51
SIBONY, D. 189
165, 171, 174, 182,
192, 193, 195, 197, SINIGAGLIA, C. 276
207, 209, 211, 212, Soi 287 U
214, 215, 218, 228, autobiographique 287 unité psychocorporelle 309
230, 232, 282, 283, noyau 287, 293
287, 299 SOPHOCLE 296
représentation 244 SOUBIEUX, MJ 179
V
du corps 41, 50, 83, 144, SOUBIRAN, G. 61, 272, 273, 308 VAN LYSEBETH, A. 232
178 SOULÉ, M. 98, 179 VASSEUR, R. 15
Index

vécu corporel 277, 279, 281, 282 209–211, 244, 245, WAYSFELD, B. 226, 230, 234
VELDMAN, F. 176 262, 263 WINNICOTT, D. 143, 147, 160, 162,
ventre 12, 13, 23, 48, 74, 77, 79, verticalisation 17, 89, 92, 94, 172, 175, 177, 289, 291
80, 82, 88, 90, 93, 99, 231
106, 115, 130, 131, visage(s) 25, 73, 74, 78, 90, 97,
170, 172–174, 176, 99, 140, 141, 146, Z
177, 180, 196, 232 147, 158, 217
ZARIT S.H 257
verbalisation(s), verbaliser 13, 24,
29, 44, 62, 71, 128, ZAZZO, R. 273
W ZÉBILA, L. 230
139, 162–164, 178,
180, 194, 195, 197, WALLON, H. 289 ZERMATI, J.-P 226
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315
Table des
matières
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Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

Liste des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Le prétexte 1
Le contexte 3
Les textes 4

Chapitre 1 S’éveiller et grandir à l’hôpital . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8


par Marie Thérain
Comment inscrire le corps de l’enfant comme support
de son développement en réanimation pédiatrique ? 10
Continuer à grandir avec la psychomotricité dans un corps souffrant
en hématologie oncologie pédiatrique 20

Chapitre 2 Hyperactivité, dyspraxie et phobie scolaire . . . . . . . . . . . . . . 34


par Brigitte Feuillerat
Antécédents et premières rencontres 36
Suivi en psychomotricité : reconstruisons l’espace-temps corporel 42
Évolution du suivi sur cette deuxième année scolaire 46
Table des matières

La poursuite du suivi en psychomotricité :


gérons le temps et son déroulement 48
Conclusion 50

Chapitre 3 Syndrome cérébelleux, troubles attentionnels et difficultés


scolaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
par Brigitte Feuillerat
Histoire, antécédents et première rencontre 56
Suivi en psychomotricité 59
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Conclusion 65

Chapitre 4 Habiter son corps, un processus développemental complexe 68


par Marie Rossignol
Introduction 70
Le travail du psychomotricien
au Centre Médico-Psychologique (C.M.P) 71
Étude de cas : Milo 72
Conclusion : l’espace de thérapie psychomotrice 83 317

Chapitre 5 Tricoter les liaisons psychomotrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86


par Nicole Girardier
Tableau clinique 89
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Les grands axes de la prise en charge en psychomotricité 92


Conclusion : l’associativité sensori-motrice, vecteur du travail
en psychomotricité 100

Chapitre 6 Relaxation thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104


par Chantal Rémoville
La princesse aux yeux ouverts 106
Adapter la méthode à l’enfant ou l’enfant à la méthode ? 113
Silence et respiration 114
TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 7 L’enfant messager . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118


par Beatriz Aranda
Pedro : la rétention comme signe identitaire 121
Aldo : l’agitation comme moyen d’expression 127
Dora : le silence, comme moyen de communication 129
Conclusion 131

Chapitre 8 Contenance en psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136


par Alina Veeser
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Une définition de la contenance 138
Contexte clinique : le cadre de la réflexion 139
La contenance en psychomotricité 142

Chapitre 9 De la dépendance à l’autonomisation chez le sujet


alcoolo-dépendant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
par Magalie Ramo
Introduction 156
318
Illustration clinique 157
Quand le schéma corporel et l’image du corps se rencontrent 158
Le retour de la libido 162
La richesse du vécu corporel 164
Affirmation de soi, différenciation et distanciation 165
Conclusion : de l’enfant... à l’adolescent... à l’adulte 166

Chapitre 10 Accompagnement en psychomotricité de femmes


enceintes dans l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
par Leïla Bourguiba
Les propriétés physiques de l’eau et les transformations corporelles
de la grossesse 171
Maternage et naissance de la vie psychique 174
Table des matières

La place spécifique de la psychomotricité 178


Conclusion 181

Chapitre 11 Langage du corps, langage verbal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186


par Camille Goldman
Corps et mots 188
Corps et blessures 188
Le projet thérapeutique 193
Conclusion 198
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Chapitre 12 À la recherche d’un équilibre entre corps et psyché. . . . . . . 202
par Christiane Tancray
Histoire d’Anne-Lise 205
Projet thérapeutique 207
Entretien avec le psychiatre 207
Les deux premières séances 208
Les séances suivantes 211 319

Conclusion 219

Chapitre 13 Apports de la thérapie psychomotrice au traitement


de l’obésité et du surpoids . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
par Pierre Dalarun
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Maigrir : du rêve à la réalité 224


Histoire de poids, parcours de vie 227

Chapitre 14 La psychomotricité dans la formation de professionnels


d’établissements d’accueil du tout-petit . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
par Carine Da Fonseca
Le regard du psychomotricien :
un apport à la réflexion pluridisciplinaire 241
TABLE DES MATIÈRES

Atelier de mise en situation corporelle : une approche


théorico-pratique à la réflexion pédagogique 242
Conclusion 250

Chapitre 15 Maladie d’Alzheimer et psychomotricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252


par Adrien Hilion
La maladie d’Alzheimer et ses répercussions psychomotrices 254
Les structures de soin et d’accompagnement 257
Analyse de cas et soin psychomoteur 259
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Projet thérapeutique 260
Conclusion 267

Chapitre 16 Discussion finale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270


par Françoise Giromini, Michaël Coutolleau
Histoire de l’émergence de la clinique psychomotrice 272
La notion de globalité 278

320 La conscience corporelle 280


Éthique et responsabilité 295

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 308

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311

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