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Avis d’experts

Métrologie

Erreur de mesure, erreur des instruments, incertitude


d’étalonnage

Comment s’y retrouver ?


Saint-Louis (Haut-Rhin), une conférence

L’expert dont le titre était un peu provocateur : « Et


si le VIM s’était trompé ? ». Il s’agissait, à
l’époque, de comparer les définitions de
Jean-Michel POU « Erreur de mesure » et « Erreur d’indi-
Président fondateur de Deltamu cation d’un instrument de mesure ».
Ambassadeur Auvergne Rhône- Objectivement, il était assez facile de met-
Alpes de l'Alliance Industrie du Futur
Vice-Président Mont-Blanc Industrie
tre le doigt sur le problème et même d’es-
quisser la réponse : oui, le VIM se trompe
sur ce sujet car « la valeur mesurée » et « la
valeur indiquée par l’instrument de
lus le temps passe et plus je depuis toujours. Ils pensent donc natu- mesure » sont les mêmes, et les consé-
trouve notre métier archaï- rellement que cela est normal. Mais quences ne sont pas neutres…
P que. J’écrivais récemment
que la métrologie avait loupé
quelques mots d’explications s’appuyant
sur des publications officielles devraient
Si, à l’époque, je n’avais pas été vraiment
écouté, deux documents de la littérature
sa 3e révolution et je mesure à quel point tout de même finir par nous réveiller col- officielle de la métrologie française ont
ce fiasco est puissant lorsque j’anime des lectivement… Ce réveil, que j’appelle de finalement reconnu que, pour le coup, je
formations. tous mes vœux, devrait conduire à des ne me trompais pas ! Le VIM l’a aussi en
J’interviens avec bonheur dans le mas- modifications profondes des prestations quelque sorte reconnu en supprimant,
tère spécialisé « Data Science pour des “étalonneurs” qui ne les ont malheu- dans sa version de 2008, la définition de
l’ingénierie », porté par l’école Sigma Cler- reusement pas beaucoup fait évoluer en « Erreur d’indication d’un instrument de
mont. Il s’agit de former de jeunes ingé- 30 ans. Personnellement, je ne vois pas de mesure »… (images 1 et 2).
nieurs aux techniques de la data science. différences fondamentales avec mes
La véracité des données mesurées, ma dis- débuts dans le métier, en 1988… Ces deux documents provenant de deux
cipline, est évidemment au cœur de ces groupes d’experts distincts, on devrait
nouvelles technologies. Le 4e V du Big Point 1. Les étalonneurs nous pouvoir en conclure que les étalonneurs
Data, socle de la Data Science, est là pour doivent les erreurs des professionnels savent depuis longtemps
nous le rappeler… instruments mais ils ne voient en que ce qu’ils mesurent n’est pas exacte-
Seulement voilà, comment expliquer à ces réalité que des erreurs de ment ce qu’ils indiquent (à moins qu’ils
jeunes gens brillants l’espèce de tambouille mesure… ne s’instruisent pas auquel cas ce serait
dans laquelle la pratique “ISO 9000” de la J’ai donné, lors du Xe Congrès internatio- plus que grave). Ils évaluent donc, dans
métrologie nous a tous collectivement nal de métrologie qui s’est tenu en 2001 à leur laboratoire et dans des conditions
plongés ? Je peux comprendre que les pra-
ticiens ne soient pas choqués par ce qui
suit car ils le vivent, comme moi-même,

Image 1. Image 2.

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particulièrement bien maitrisées, des


erreurs de mesure (versus des erreurs d’in-
dication) en observant la différence entre
la valeur portée par l’instrument et la
valeur connue de leur étalon. Cette erreur
est bien une erreur de mesure dans
laquelle se mélangent les erreurs locales
propres à l’instrument mais aussi, et par-
fois surtout, les erreurs propres au labo-
ratoire lui-même ! Pour simplifier, et
encore actuellement, ils nous vendent les
erreurs qu’ils ont observées (et qu’ils
Image 4.
appellent souvent « erreur d’indication »,
notamment en métrologie dimensionnelle
et que d’autres appellent « correction », ce une incertitude élargie de 0,00235 mm Tout étalonneur sait que si on étalonne un
qui est pire, en faisant la soustraction dans (application de la formule pour L = instrument, c’est pour tenter de quanti-
l’autre sens) et l’erreur la plus grande qu’ils 25 mm). Ainsi donc, dans ce cas, l’incer- fier ses performances métrologiques pour
risquaient d’observer du fait de leur pro- titude d’étalonnage est plus de 6 fois plus pouvoir conclure sur deux points. Il le sait
pre responsabilité, c’est-à-dire leur propre grande que l’erreur « maxi », c’est-à-dire, parce qu’il fait lui aussi étalonner ses pro-
incertitude : l’incertitude d’étalonnage plus précisément, l’erreur la plus grande pres instruments/étalons et il calcule lui
(qu’on pourrait aussi appeler « l’incerti- observée sur 6 points seulement, alors que aussi des incertitudes (de façon discutable
tude des étalonneurs »). le micromètre dispose de 25 x 1000 = si j’en crois ce qui est écrit au-dessus ;-)) :
25 000 possibilités de lecture différentes ! a- cet instrument nécessite-t-il une cor-
Point 2. Démonstration rection (cf. la modélisation qui devrait
Pour étayer cette observation, analysons Deux remarques s’imposent à ce stade : faire partie intégrante d’un étalonnage
ensemble des résultats d’étalonnage obte- 1. Comment un laboratoire d’étalonnage depuis 2008, soit depuis plus de
nus par un laboratoire Cofrac sur un peut-il encore prétendre avoir vu la plus 12 ans !). Si oui, quelle est la correction
micromètre 0–25 mm à affichage numé- grande erreur du micromètre en n’ob- à appliquer et son incertitude associée,
rique au 1/1000 de mm (exemple réel) servant que 6 points sur 25 000, soit incertitude qui sera alors intégrée dans
(image 3). seulement 0,024% des possibilités le calcul d’incertitude du processus de
offertes par le micromètre ? mesure qui utilise l’instrument. Tous les
On remarque dans ces résultats que l’er- 2. Pourquoi, alors qu’il ne voit que des étalonneurs font cela normalement
reur « maxi » est égale à 0,00038 mm (si écarts si petits devant son incertitude dans leurs propres calculs…
on ne tient pas compte de l’arrondi) avec propre, et sachant ce que je viens de b- quelle est la part aléatoire restante après
rappeler plus haut, ne statue-t-il pas correction, cette part aléatoire étant à
plus simplement sur le fait qu’il n’a rien déterminer, soit autour du modèle (cas
vu ? Et s’il n’a rien vu dans les conditions des corrections), soit directement
d’un laboratoire accrédité, en mesurant autour de « 0 » (pour les erreurs) dans
des étalons quasi parfaits confortable- le cas où il n’y a pas de correction ?
ment installé dans un fauteuil, comment
peut-on imaginer que l’instrument va Alors que ces calculs sont réalisables auto-
avoir une influence sur la qualité d’une matiquement à partir d’applications gra-
mesure industrielle dont on connait les tuites disponibles via le CFM (M-CARE)
conditions parfois compliquées ? ou le LNE (REGPOLY) ou qu’ils peuvent
Et cette situation n’est pas rare… En effet, parfaitement intégrer les méthodes dans
dans l’annexe D du FD X 07–039, on leurs logiciels d’exploitation, les labora-
peut lire quelques lignes sur le sujet toires continuent à faire comme si de rien
(image 4). n’était en proposant des « vérifications »
basées sur des erreurs de mesure (versus
Voilà donc les choses clairement dites, et des erreurs des instruments de mesure)
dans une quasi-norme, ce n’est pas rien ! Il comme nous l’avons compris plus haut.
y a un problème dans l’évaluation des incer- De plus, ces vérifications sont le plus sou-
titudes d’étalonnage mais cela ne semble vent réalisées par comparaison à des
pas émouvoir grand monde, le petit ronron limites proposées par les normes, donc le
installé depuis 1990 continue tranquille- plus souvent sans aucun rapport avec le
ment sans se soucier des besoins réels des besoin propre de chaque utilisateur. La
Image 3. utilisateurs, quelle tristesse ! norme ne peut pas satisfaire toutes les

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configurations d’utilisation, et elle ne le


prétend pas tellement c’est évident ! Cause d’incertitude Erreur maxi Loi Écart-type

Je connais bien la réponse des étalon- EMT Micromètre 0,006 Uniforme 0,0034641
neurs : « Les clients ne nous le deman-
dent pas ! » Personnellement, pas plus que U étalonnage 0,00235 Normal 95 % 0,001175
le lecteur de cet article, je n’ai rien
demandé à Apple mais je suis bien content Tableau 1.
Erreur
d’avoir un smartphone. Est-ce aux clients, mesurée
très majoritairement contraints non pas pratique ayant fini par s’installer dans les
0
par un besoin technique mais pour satis- esprits) à enseigner que dans ce cas, il fau-
faire une exigence mal comprise de la drait considérer l’EMT en loi uniforme et 0
norme, de demander des solutions ou aux considérer également leurs incertitudes 0
“experts” de les proposer ? Si les “experts” (un comble !) dans le calcul d’incertitude
0,00001
faisaient leur travail de vulgarisation (qui d’utilisation du micromètre. Cela se traduit
peut le faire sinon ?), nous n’en serions par deux lignes dans le bilan d’incertitude 0,00001
très certainement plus là depuis long- (auxquelles il faudra bien sûr ajouter 0,00001
temps… La rente doit être confortable ! toutes les autres vraies causes d’incerti- 0,00015
tude du processus industriel étudié)
Point 3. Conséquences (tableau 1). 0,00015
Pour ne pas faire le petit effort d’intégrer 0,00015
un peu de calculs dans leurs logiciels, les Or, quelques petits calculs élémentaires 0,00012
étalonneurs se contentent donc depuis auraient permis de conclure que l’instru-
0,00012
30 ans, sur la base de 0,024 % des obser- ment était tout simplement négligeable
vations possibles (dans ce cas précis, mais dans le processus de mesure (la démons- 0,00012
pas beaucoup plus dans une grande partie tration suit) et que ces deux erreurs qui 0,00038
des autres cas), de déclarer des « confor- seront probablement conséquentes dans
0,00038
mités », sans tenir compte de leurs incer- l’incertitude finale n’ont en fait pas lieu
titudes (dans de nombreux cas). En outre, d’être dans le bilan… Ceci dit, ça a le mérite, 0,00038
le fait d’indiquer « conforme » rassure pro- pour eux, de rester utile pour continuer à 0,00018
bablement beaucoup de monde mais la faire croire qu’il faudra réétalonner cet 0,00018
question est de savoir conforme à quoi ! Si instrument l’an prochain ! À qui profite le
c’est pour déclarer que le micromètre est « crime » ? 0,00018
conforme à une EMT de +/- 6 µm alors Écart-type 0,00013
même qu’ils n’ont probablement rien pu Démonstration Incertitude-type d’étalonnage 0,001
percevoir des défauts propres à l’instru- La première question à se poser, après un
Ratio en variance 1,70 %
ment, c’est un peu fort en chocolat, non ? étalonnage, est donc de savoir si l’instru-
Et en restant enfermés dans ce monde ment présente, ou non, un effet prévisible, Tableau 2.
dépassé, ils nous obligent quasiment (cette c’est à dire modélisable ce qui permet une

correction. Point a) Une simple observa-


tion graphique nous dit clairement que
non dans cet exemple (image5).

Il y a mille choses à dire sur la modélisa-


tion et nous en avons déjà dit beaucoup,
notamment au cours de webinars. Mais
ici, les choses sont très claires : l’instru-
ment ne présente pas de défauts prévisi-
bles, ou en tous cas, les incertitudes
d’étalonnage ne permettent pas de les voir.
Nous répondons donc aisément à la pre-
mière question (point a) ci-dessus) que
nous devons nous poser pour faire un bilan
d’incertitude à l’utilisation de ce micro-
mètre : il n’y a pas besoin de correction,
Image 5. donc pas d’incertitude sur la correction !

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Pour ce qui est du point b), un simple tre comme seule erreur provenant de lui ples pour me donner des conclusions per-
calcul d’écart-type sur les erreurs mesu- dans une incertitude. On aurait alors soit tinentes.
rées au cours de l’étalonnage donne le 1/(2x√3) ou 1/√3 suivant que nous consi- Si cet état de fait peut perdurer tranquil-
résultat (tableau 2). dérions l’erreur maximale due à la réso- lement dans l’univers de l’ISO 9001 (et on
lution égale à la demi-résolution ou la s’étonne que la métrologie ne soit pas
Là encore, on observe que le laboratoire n’a résolution entière. Ceci ne changerait rien reconnue !), il n’est pas tolérable que cela
rien vu. L’écart-type des erreurs qu’il a à la conclusion : les erreurs propres au continue dans l’industrie 4.0 dont les nou-
observées ne pèse que 1,7 % de l’incertitude micromètre n’ont pas été vues dans un velles technologies imposent des données
type d’étalonnage, ce qui tend à montrer contexte d’étalonnage, elles sont donc fiables. Chez Deltamu, nous prônons la
qu’elle n’est pas, une fois encore, évaluée totalement négligeables dans un contexte fiabilité des données depuis notre création,
convenablement… industriel de mesure ! il y a plus de 20 ans. Le big data et l’intel-
Il faut remarquer ici que l’écart-type des ligence artificielle nous donnent raison.
écarts n’est en réalité dû qu’aux écarts des Point 4. Conclusion J’espère que nous ne devrons pas attendre
étalons à leur valeur nominale. Il est d’ail- Tout ça pour ça ! 20 ans de plus avant d’être entendus. Le
leurs stupéfiant de constater que le Cofrac risque est grand en effet que nous devions
impose de donner les V.C.V (valeur conven- Mon instrument est quasi indétectable nous passer d’une technologie puissante
tionnellement vraie) des étalons au 1/100 dans un laboratoire Cofrac mais il fau- à cause de pratiques plus que critiqua-
de µm alors que l’instrument a dans ce cas drait que je considère, dans mes propres bles ! Amis métrologues, la balle est dans
une résolution de 1 µm. Si on regardait calculs d’incertitude d’utilisation, des votre camp. C’est à nous de jouer pour
uniquement les valeurs mesurées, l’écart- erreurs non négligeables qui ne viennent faire changer les choses, on ne peut pas
type serait égal à 0 et il conviendrait alors même pas de lui mais du prestataire d’éta- compter, je le crains, sur les acteurs his-
de considérer, par une méthode de type B, lonnage. Et ce dernier ne semble pas savoir, toriques… ●
l’erreur due à la résolution du micromè- ou ne pas vouloir, faire deux calculs sim-

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