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CEM 39 FEVRIER 21.

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AVIS D’EXPERTS | OPTIQUE

Comprendre et maîtriser les concepts


de la métrologie

QU’EST-CE QUE LA CAPABILITÉ ?


Si ce terme est souvent utilisé en métrologie, il n’est pas défini à ce jour
dans le V.I.M [1]. Aucune norme de métrologie ne le définit formellement
même si certaines, notamment la NF E 02-204 [2], en posent les principes.

En revanche, cette notion est parfaite- Ces deux paramètres (dispersion et


ment établie dans le monde de la pro- Jean-Michel POU décentrage) se traduisent par des indi-
duction dans lequel la maîtrise statis- Président fondateur de la société cateurs numériques (nommés générale-
Delta Mu, très impliqué dans
tique des procédés (M.S.P. ou encore ment Cp et Cpk mais il en existe beau-
la métrologie nationale, il est
S.P.C.) s’est largement imposée à partir également membre des commis- coup d’autres, tous basés sur les mêmes
des années 1970. Ces techniques nous sions AFNOR et vice-président principes) à partir desquels il est possi-
du Collège français de métrologie.
arrivent, semble-t-il, de l’industrie auto- ble de fixer des valeurs limites qui per-
mobile américaine. Il s’agit, dans ce cadre, mettent de statuer sur le taux de valeurs
de s’assurer de l’aptitude des processus minimum inférieure !) avec la tolérance non conformes que peut produire le pro-
de fabrication à pouvoir réaliser les pièces à réaliser ; cessus analysé. Ces valeurs limites pour
dans les tolérances exigées par le bureau les indicateurs Cp et Cpk peuvent deve-
d’étude. Cette aptitude est déterminée - que la valeur moyenne de la production nir contractuelles, le client maîtrisant
en s’appuyant sur des propriétés statis- est suffisamment éloignée des valeurs alors son risque, c’est-à-dire le pourcen-
tiques connues et sur l’observation de la limites de la production pour que la tage de pièces « hors tolérances » que
production. Il s’agit de s’assurer : dispersion inhérente au processus ne son fournisseur sera « autorisé » à lui
- que la dispersion du processus de fabri- génère pas (ou peu) de valeurs indivi- livrer (cf. figure 1).
cation est compatible (c’est-à-dire au duelles en dehors de la tolérance.
Toute cette stratégie fonctionnerait par-
faitement s’il était possible de mesurer
« juste » ce qui n’est malheureusement
pas le cas. Nous en avons expliqué les rai-
sons dans ces pages, dans le dernier
numéro de Contrôle Essais Mesures. Ainsi,
lorsque nous mesurons la production du
processus en cours d’analyse pour défi-
nir ses performances (Cp et Cpk), nous
introduisons des erreurs de mesure qui
participent à la dispersion « apparente »
(au travers des variances « court terme »
du processus de mesure, lire encadré) et
au décentrage « apparent » (au travers
des variances « long terme », voire des
Figure 1 : Représentation graphique des indicateurs Cp et Cpk. biais, du processus de mesure) dont il
conviendrait de tenir compte. Or, puisque

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ces erreurs sont aléatoires (sauf les biais), ment, un objectif différent : définir les pour la capabilité de mon (mes) proces-
il n’est pas envisageable de les corriger limites de l’incertitude de mesure face à sus de mesure ?
totalement et les initiateurs des méthodes une tolérance à vérifier (dans le cadre Cette question est d’autant plus légitime
M.S.P, conscients de ce problème, ont donc du contrôle d’une pièce, indépendam- que, extrait de son contexte originel, le
cherché à faire en sorte, faute de mieux, ment de sa fabrication) et non plus face concept de capabilité n’a plus vraiment de
qu’elles soient négligeables… à une tolérance à fabriquer (comme dans sens. En effet, fixer une valeur limite (8, 4,
le cas de la M.S.P.). Cette notion de capa- 10, 3.33, π,…) ne permet plus de répondre
Le concept de la capabilité des processus bilité d’un processus de mesure à analy- à l’exigence initiale et compréhensible
de mesure est donc né ici, son objectif ser un processus de fabrication a, de ce d’évaluer le risque client, c’est-à-dire le
étant alors de pouvoir négliger « l’effet fait, “glissé” vers une capabilité “tout risque que le client accepte de recevoir
Mesure » lors de l’étude d’un processus court”, déconnectée dudit processus de des produits « non conformes ». Pour s’en
de fabrication. fabrication et qui pose un certain nom- convaincre, il suffit de constater (Figure 2)
bre de questions, notamment sur la que la capabilité (telle qu’elle est définie
L’industrie automobile américaine a alors valeur limite à retenir. pour les processus de mesure) ne permet
naturellement intégré dans sa méthode pas, à elle seule, de définir le risque client.
d’analyse des processus un outil qui per- Quelle valeur choisir ?
met de s’assurer, au préalable, que la Feu la norme NF E 02-204 [2] proposait de Le métrologue doit intégrer, dans sa
mesure est négligeable dans les obser- déterminer l’aptitude (autre nom de la réflexion, que le produit mesuré n’est pas
vations des produits dudit processus, le capabilité) d’un processus de mesure par le pur fruit du hasard, mais qu’il provient
fameux M.S.A. [3]. Ce dernier est souvent le ratio entre la tolérance à vérifier et d’un processus dont les « pilotes » mettent
plus connu pour l’un de ses piliers, les l’incertitude de mesure. Dans cette tout en œuvre pour faire en sorte qu’il
études dites R&R (répétabilité et repro- norme, ce ratio devait être contractuel. génère des produits conformes. Ainsi, le
ductibilité), mais il va, en réalité, bien Elle suggérait, si aucune valeur n’était risque client n’est pas lié uniquement à la
au-delà de cette évaluation partielle des arrêtée entre les cocontractants, de rete- mesure (hypothèse sous-tendue par la
problèmes liés aux mesures. En fixant là nir la valeur de 8, voire de 4 si 8 était trop figure 2), mais il est le produit – la conjonc-
encore des valeurs limites pour la dis- grand, comme valeur « par défaut » pour tion – de deux phénomènes indépendants :
persion des mesures, il est possible de ce ratio. La méthode CNOMO évoquée le risque de fabriquer « non conforme »
conclure sur la capabilité d’un proces- précédemment fixe, quant à elle et en (propre au processus de fabrication) et,
sus de mesure à participer à l’étude de la fonction de la tolérance à vérifier, 4 ou 8 concomitamment, le risque de mesurer
capabilité d’un processus de fabrication, également. Le M.S.A, lui, impose 10 (apte), conforme ce produit non conforme.
c’est-à-dire à maîtriser le risque de pro- voire 3,33 (acceptable, mais devant être
duire du « non conforme ». Probablement amélioré). Ces différences peuvent s’ex- Mathématiquement, l’estimation du
entraînée par les Américains, l’industrie pliquer dans la mesure où ces valeurs risque client prend une allure peu sym-
française a, elle aussi, développé une ne visent pas les mêmes objectifs. Mais pathique où les intégrales font une appa-
méthode d’analyse de la capabilité des puisque tout a été mélangé par l’histoire, rition en masse (Formule 1). Au-delà de
processus de mesure (connue sous le elles troublent aujourd’hui le métrologue ce formalisme, le métrologue va devoir
nom de « méthode CNOMO ») avec une qui finit par se poser l’inévitable question s’adapter au concept même qui est
approche différente, mais aussi, finale- : quelle valeur dois-je choisir finalement exprimé par cette formule. Son monde
déterministe s’effondre devant la com-
plexité des phénomènes qu’il doit affron-
ter. D’un côté, des processus de fabrica-
tion qu’il faut maîtriser et de l’autre des
mesures, inexorablement fausses, qui ne
servent encore trop souvent aujourd’hui
qu’à déclarer la conformité…

Figure 2 : Suivant cette “vision”, pour une valeur mesurée sur une borne de la spécification, le Formule du risque client, produit du risque
risque de non-conformité semble être égal à 50%, quelle que soit l’incertitude. process et du risque mesure.

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(et les mesures participent à cette maî-


trise…), un processus produit des pièces
non conformes suivant un taux contrac-
tuel qu’il ne sert plus à rien de vérifier au
final, surtout s’il s’agit de quelques ppm...
La confiance dans les mesures doit être
obtenue au niveau du pilotage du pro-
cessus (régler au bon moment et à bon
escient) et non, car c’est trop tard, au
moment du contrôle précédant la livrai-
son. La valeur ajoutée des mesures, donc
du métrologue, n’est pas dans le constat
de produits non conformes (pour les écar-
ter), mais dans la réalisation de produits
conformes, chacun pourra en convenir et
s’en faire un objectif ! ●

Probablement entraînée par les Américains, l’industrie française a, elle aussi, développé une méthode Bibliographie
d’analyse de la capabilité des processus de mesure (connue sous le nom de « méthode CNOMO ») [1] V.I.M (2012) : Vocabulaire international
avec une approche différente, mais aussi, finalement, un objectif différent. de métrologie – Concepts fondamentaux
et généraux et termes associés (JCGM
Un monde s’effondre demain s’intéresser aussi à la dispersion 200 : 2012)
Cette approche innovante, voire boule- des processus de fabrication qui participe [2] NF E 02-204 (1993) : Vérification des
tolérances des produits – Déclaration de
versante, est d’ores et déjà inscrite dans également au risque client. À partir de conformité
le devenir de la profession. Le JCGM* est cette nouvelle « contrainte » qui imposera [3] M.S.A : Measurement Systems
Analysis
sur le point de publier le Guide 98-4 [4] qui aux métrologues un niveau de compé-
[4] G.U.M (1995) : Évaluation des données
traite de la prise en compte des incerti- tences plus important en statistiques, de mesure – Guide pour l'expression de
tudes de mesure dans la déclaration de on peut parier qu’à l’avenir, les efforts l'incertitude de mesure

conformité suivant l’approche « risque en matière de mesures s’orienteront plus


client ». S’il suffisait, jusqu’à aujourd’hui, naturellement vers l’analyse/maîtrise *JCGM : Joint Commitee for Guides in Metro-
de fixer, souvent arbitrairement, une des processus de fabrication plutôt que logy. Les membres du JCGM sont : BIPM, IEC,
valeur pour la capabilité, il faudrait vers le contrôle. En effet, une fois maîtrisé IFCC, ILAC, ISO, IUPAC, IUPAP and OIML

INTRODUCTION AU CONCEPT DES VARIANCES “COURT TERME” ET “LONG TERME”

L’évaluation des incertitudes de mesure, sui- varier. Elles prennent une valeur donnée qu’elle reste constante tant que cet opérateur
vant les préconisations du G.U.M [4], consiste (mais inconnue puisqu’aléatoire) et restent réalise les mesures... Ce caractère particulier
en l’estimation des participations (variances) constantes (ou presque) pendant les est à l’origine de la covariance entre des
de chaque facteur (ou cause) contribuant à la mesures. Par exemple, si la température mesures successives réalisées à l’aide d’un
mesure. Dans les cas les plus simples impacte un processus de mesure et que le même processus.
(modèle de mesure additif), le métrologue métrologue a envisagé qu’elle puisse varier
estime les variations maximales que peuvent dans un intervalle de ± 10°C, il est peu proba- Chaque cause d’incertitude a donc un carac-
subir les facteurs identifiés (sous la forme ble qu’elle varie dans un tel intervalle entre tère « court terme » ou « long terme », voire
d’étendues ou d’écarts-types), les ramène des mesures successives réalisées sur intermédiaire suivant qu’elle ait ou non l’op-
tous sous la forme de variances (via des 2 échantillons d’une même production, pour portunité de varier entre des mesures suc-
méthodes de type A et/ou de type B) et les rester dans les analyses M.S.P. De même, si cessives. Il est possible de quantifier ce
additionne. Si cette approche est acceptée par un effet interopérateurs est détecté pour un caractère à l’aide d’un paramètre Lk qui est
la communauté, elle “oublie” un caractère processus de mesure, des mesures réalisées en relation avec la part (le pourcentage) de
important de chaque cause d’incertitude. En par un même opérateur ne “voient” pas cette variation possible, pour chaque cause et dans
effet, il est aisé de constater que, dans le cas cause s’exprimer. L’opérateur fait une erreur le temps des mesures, par rapport à leur
de mesures répétées dans un court laps de différente des autres opérateurs, erreur aléa- variation totale estimée par le métrologue sur
temps, certaines causes n’ont pas le temps de toire que nul ne connaît, mais on peut dire du long terme.

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