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:
l’identification de la juridiction ;
la formation et la fonction dans le cadre de laquelle l’arrêt a été rendu ;
la date de l’arrêt ;
la détermination des faits ;
l’identification des parties, de leurs prétentions et de la solution rendue dans
chaque étape procédurale ;
l’identification de la solution contenue dans l’arrêt (notions, règles et sources
utilisés pour rendre l’arrêt respectif).
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 juin 2018 (*)
Asociaţia Accept
contre
en présence de :
– pour Asociaţia Accept, par Mme R. Iordache et M. R. Wintemute, consilieri, ainsi
que par Me R.-I. Ionescu, avocat, assistés de Mme J. F. MacLennan, solicitor,
rend le présent
Arrêt
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Relu Adrian
Coman et Robert Clabourn Hamilton ainsi que l’Asociaţia Accept (ci-après, ensemble,
« Coman e.a. ») à l’Inspectoratul General pentru Imigrări (inspection générale chargée
de l’immigration, Roumanie) (ci-après l’« Inspection ») et au Ministerul Afacerilor
Interne (ministère de l’Intérieur, Roumanie) au sujet d’une demande relative aux
conditions d’octroi à M. Hamilton d’un droit de séjour de plus de trois mois en
Roumanie.
« (31) La présente directive respecte les droits et libertés fondamentaux et observe les
principes qui sont reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne ; en vertu du principe de l’interdiction des discriminations
qui y figure, les États membres devraient mettre en œuvre la présente directive
sans faire, entre les bénéficiaires de cette dernière, de discrimination fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les
caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions
politiques ou autres, l’appartenance à une minorité ethnique, la fortune, la
naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »
[...]
2) “membre de la famille” :
a) le conjoint ;
[...] »
a) tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalité, qui n’est pas
couvert par la définition figurant à l’article 2, point 2), si, dans le pays de
provenance, il est à charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union
bénéficiaire du droit de séjour à titre principal, ou lorsque, pour des raisons de
santé graves, le citoyen de l’Union doit impérativement et personnellement
s’occuper du membre de la famille concerné ;
b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a une relation durable, dûment
attestée.
6 L’article 7 de la même directive, intitulé « Droit de séjour de plus de trois mois », se lit
comme suit :
« 1. Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État
membre pour une durée de plus de trois mois :
a) s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil ; ou
b) s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes
afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance-maladie complète
dans l’État membre d’accueil ; ou,
c) – s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par
l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique
administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une
formation professionnelle et
3. Aux fins du paragraphe 1, point a), le citoyen de l’Union qui n’exerce plus
d’activité salariée ou non salariée conserve la qualité de travailleur salarié ou de non
salarié dans les cas suivants :
a) s’il a été frappé par une incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie
ou d’un accident ;
b) s’il se trouve en chômage involontaire dûment constaté après avoir été employé
pendant plus d’un an et s’est fait enregistré en qualité de demandeur d’emploi
auprès du service de l’emploi compétent ;
« 1. Le mariage est l’union librement consentie d’un homme et d’une femme,
conclue dans les conditions prévues par la loi.
4. Les dispositions légales relatives à la libre circulation sur le territoire roumain des
citoyens des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique
européen sont d’application. »
11 Au mois de décembre 2012, MM. Coman et Hamilton se sont adressés à l’Inspection
afin que leur soient communiquées la procédure et les conditions dans lesquelles M.
Hamilton, non ressortissant de l’Union, pouvait, en sa qualité de membre de la famille
de M. Coman, obtenir le droit de séjourner légalement en Roumanie pour une durée de
plus de trois mois.
12 Le 11 janvier 2013, en réponse à cette demande, l’Inspection a informé MM. Coman et
Hamilton que ce dernier bénéficiait seulement d’un droit de séjour de trois mois, car,
s’agissant de personnes de même sexe, le mariage n’est pas reconnu, conformément au
code civil, et que, par ailleurs, la prolongation du droit de séjour temporaire de
M. Hamilton en Roumanie ne saurait être accordée au titre du regroupement familial.
13 Le 28 octobre 2013, Coman e.a. ont introduit devant la Judecătoria Sectorului 5
București (tribunal de première instance du secteur 5 de Bucarest, Roumanie) un
recours contre l’Inspection visant à faire constater l’existence d’une discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’exercice du droit de libre
circulation dans l’Union, et à obtenir la condamnation de l’Inspection à mettre fin à
cette discrimination et à leur verser une indemnisation au titre de leur préjudice moral.
16 La Curtea Constituţională (Cour constitutionnelle) relève que la présente affaire porte
sur la reconnaissance d’un mariage légalement conclu à l’étranger entre un citoyen de
l’Union et son conjoint de même sexe, ressortissant d’un État tiers, au regard du droit à
la vie de famille et du droit à la libre circulation, vus sous l’angle de l’interdiction de la
discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Dans ce contexte, cette juridiction
éprouve des doutes sur l’interprétation qu’il convient de donner à plusieurs notions
visées dans les dispositions pertinentes de la directive 2004/38, lues à la lumière de la
charte des droits fondamentaux (ci-après la « Charte ») et de la jurisprudence récente
de la Cour ainsi que de la Cour européenne des droits de l’homme.
3) En cas de réponse négative à la première question, un ressortissant d’un État non
membre de l’Union européenne, de même sexe que le citoyen de l’Union
européenne avec lequel il est légalement marié, conformément à la loi d’un État
membre autre que l’État d’accueil, peut-il être qualifié d’“autre membre de la
famille” au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/38 ou
de “partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a une relation durable, dûment
attestée”, au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, avec
l’obligation qui en découle, pour l’État membre d’accueil, de favoriser l’entrée et
le séjour de l’intéressé, même si cet État ne reconnaît pas les mariages entre
personnes de même sexe et ne prévoit aucun mode alternatif de reconnaissance
juridique, tel que le partenariat enregistré ?
Observations liminaires
20 À cet égard, ainsi que la Cour l’a jugé à plusieurs reprises, il résulte d’une
interprétation littérale, systématique et téléologique des dispositions de la directive
2004/38 que celle-ci régit uniquement les conditions d’entrée et de séjour d’un citoyen
de l’Union dans les États membres autres que celui dont il a la nationalité et qu’elle ne
permet pas de fonder un droit de séjour dérivé en faveur des ressortissants d’un État
tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, dans l’État membre dont celui-ci
possède la nationalité (voir, en ce sens, arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12,
EU:C:2014:135, point 37 ; du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15,
EU:C:2017:354, point 53, ainsi que du 14 novembre 2017, Lounes, C-165/16,
EU:C:2017:862, point 33).
21 En l’occurrence, ainsi qu’il a été exposé aux points 9 à 11 du présent arrêt, M. Coman,
citoyen roumain et américain, et M. Hamilton, citoyen américain, se sont adressés à
l’Inspection afin que leur soient communiquées la procédure et les conditions dans
lesquelles M. Hamilton pouvait, en sa qualité de membre de la famille de M. Coman,
obtenir un droit de séjour dérivé en Roumanie, État membre dont M. Coman possède la
nationalité. Il s’ensuit que la directive 2004/38, dont la juridiction de renvoi cherche à
obtenir une interprétation, n’est pas susceptible de fonder un droit de séjour dérivé en
faveur de M. Hamilton.
22 Cela étant, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, même si, sur le plan formel, la
juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation des dispositions de la
directive 2004/38, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui
fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles
au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou
non dans l’énoncé de ses questions (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2017, Chavez-
Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 48, ainsi que du 14 novembre 2017,
Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 28 et jurisprudence citée).
23 À cet égard, la Cour a déjà reconnu, dans certains cas, que des ressortissants d’États
tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, qui ne pouvaient pas bénéficier,
sur le fondement des dispositions de la directive 2004/38, d’un droit de séjour dérivé
dans l’État membre dont ce citoyen possède la nationalité, pouvaient toutefois se voir
reconnaître un tel droit sur le fondement de l’article 21, paragraphe 1, TFUE (arrêt du
14 novembre 2017, Lounes, C-165/16, EU:C:2017:862, point 46).
24 En particulier, la Cour a jugé que, lorsque, à l’occasion d’un séjour effectif du citoyen
de l’Union dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, en vertu et dans
le respect des conditions prévues par la directive 2004/38, une vie de famille s’est
développée ou consolidée dans cet État membre, l’effet utile des droits que le citoyen
de l’Union concerné tire de l’article 21, paragraphe 1, TFUE exige que la vie de famille
que ce citoyen a menée dans ledit État membre puisse être poursuivie lors de son retour
dans l’État membre dont il possède la nationalité, par l’octroi d’un droit de séjour
dérivé au membre de la famille concerné, ressortissant d’un État tiers. En effet, en
l’absence d’un tel droit de séjour dérivé, ce citoyen de l’Union pourrait être dissuadé de
quitter l’État membre dont il a la nationalité afin d’exercer son droit de séjour, en vertu
de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, dans un autre État membre, en raison du fait qu’il
n’a pas la certitude de pouvoir poursuivre dans l’État membre dont il est originaire une
vie de famille ainsi développée ou consolidée dans l’État membre d’accueil (voir, en ce
sens, arrêt du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12, EU:C:2014:135, point 54 ainsi que
jurisprudence citée).
25 En ce qui concerne les conditions d’octroi de ce droit de séjour dérivé, la Cour a
souligné que celles-ci ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la
directive 2004/38 pour l’octroi d’un tel droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers,
membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui a exercé son droit de libre circulation
en s’établissant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité. En effet,
cette directive doit être appliquée par analogie à la situation visée au point précédent du
présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C-456/12,
EU:C:2014:135, points 50 et 61 ; du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15,
EU:C:2017:354, points 54 et 55, ainsi que du 14 novembre 2017, Lounes, C-165/16,
EU:C:2017:862, point 61).
26 En l’occurrence, les questions posées par la juridiction de renvoi reposent sur la
prémisse selon laquelle M. Coman a, lors de son séjour effectif en Belgique au titre de
l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38, développé ou consolidé à cette
occasion une vie de famille avec M. Hamilton.
27 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux
questions posées par la juridiction de renvoi.
28 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans une
situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation, en
se rendant et en séjournant de manière effective, conformément aux conditions prévues
à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38, dans un État membre autre que celui
dont il a la nationalité, et a développé ou consolidé à cette occasion une vie de famille
avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, auquel il s’est uni par un mariage
légalement conclu dans l’État membre d’accueil, l’article 21, paragraphe 1, TFUE doit
être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État
membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de
séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit
État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe.
29 Il y a lieu de rappeler que, en tant que ressortissant roumain, M. Coman jouit, en vertu
de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, du statut de citoyen de l’Union.
30 À cet égard, la Cour a relevé à maintes reprises que le statut de citoyen de l’Union a
vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (arrêts du
20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, EU:C:2001:458, point 31 ; du 8 mars 2011,
Ruiz Zambrano, C-34/09, EU:C:2011:124, point 41, et du 2 juin 2016, Bogendorff von
Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 29).
34 La notion de « conjoint », visée à cette disposition, désigne une personne unie à une
autre personne par les liens du mariage (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2008,
Metock e.a., C-127/08, EU:C:2008:449, points 98 et 99).
35 Quant au point de savoir si cette notion inclut le ressortissant d’un État tiers de même
sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage à ce dernier a été conclu dans un État
membre conformément au droit de celui-ci, il convient de souligner, tout d’abord, que
la notion de « conjoint », au sens de la directive 2004/38, est neutre du point de vue du
genre et est donc susceptible d’englober le conjoint de même sexe du citoyen de
l’Union concerné.
36 Il importe ensuite de relever que, tandis que, aux fins de déterminer la qualification de
« membre de la famille » d’un partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté
un partenariat enregistré sur le fondement de la législation d’un État membre, l’article
2, point 2, sous b), de la directive 2004/38 renvoie aux conditions prévues par la
législation pertinente de l’État membre dans lequel ce citoyen entend se rendre ou
séjourner, l’article 2, point 2, sous a), de cette directive, applicable par analogie en
l’occurrence, ne comporte, en revanche, pas un tel renvoi en ce qui concerne la notion
de « conjoint », au sens de ladite directive. Il en découle qu’un État membre ne saurait
invoquer son droit national pour s’opposer à la reconnaissance sur son territoire, aux
seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, du
mariage conclu par celui-ci avec un citoyen de l’Union de même sexe dans un autre
État membre conformément au droit de ce dernier.
37 Certes, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au mariage, est une
matière relevant de la compétence des États membres, et le droit de l’Union ne porte
pas atteinte à cette compétence (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2003, Garcia
Avello, C-148/02, EU:C:2003:539, point 25 ; du 1er avril 2008, Maruko, C-267/06,
EU:C:2008:179, point 59, ainsi que du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul, C-353/06,
EU:C:2008:559, point 16). Les États membres sont ainsi libres de prévoir ou non le
mariage pour des personnes de même sexe (arrêt du 24 novembre 2016, Parris,
C-443/15, EU:C:2016:897, point 59).
38 Toutefois, il ressort d’une jurisprudence bien établie que les États membres, dans
l’exercice de cette compétence, doivent respecter le droit de l’Union et, en particulier,
les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de
circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (voir, en ce sens, arrêts du
2 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02, EU:C:2003:539, point 25 ; du 14 octobre
2008, Grunkin et Paul, C-353/06, EU:C:2008:559, point 16, ainsi que du 2 juin 2016,
Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 32).
40 Il s’ensuit que le refus, par les autorités d’un État membre, de reconnaître, aux seules
fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, le mariage
de ce dernier avec un citoyen de l’Union de même sexe, ressortissant de cet État
membre, conclu, lors de leur séjour effectif dans un autre État membre, conformément
au droit de ce dernier État, est susceptible d’entraver l’exercice du droit de ce citoyen,
consacré à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le
territoire des États membres. En effet, un tel refus aura pour conséquence que ledit
citoyen de l’Union pourra se voir privé de la possibilité de retourner dans l’État
membre dont il est ressortissant, accompagné de son conjoint.
43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE,
l’Union respecte l’identité nationale de ses États membres, inhérente à leurs structures
fondamentales politiques et constitutionnelles (voir également, en ce sens, arrêt du
2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 73 et
jurisprudence citée).
44 Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que la notion d’« ordre public » en tant que
justification d’une dérogation à une liberté fondamentale doit être entendue strictement,
de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États
membres sans contrôle des institutions de l’Union. Il en découle que l’ordre public ne
peut être invoqué qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un
intérêt fondamental de la société (voir, en ce sens, arrêts du 2 juin 2016, Bogendorff
von Wolffersdorff, C-438/14, EU:C:2016:401, point 67, ainsi que du 13 juillet 2017, E,
C-193/16, EU:C:2017:542, point 18 et jurisprudence citée).
45 À cet égard, il convient de constater que l’obligation, pour un État membre, de
reconnaître un mariage entre personnes de même sexe conclu dans un autre État
membre conformément au droit de celui-ci, aux seules fins de l’octroi d’un droit de
séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers, ne porte pas atteinte à l’institution du
mariage dans ce premier État membre, laquelle est définie par le droit national et
relève, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, de la compétence des États
membres. Elle n’implique pas, pour ledit État membre, de prévoir, dans son droit
national, l’institution du mariage entre personnes de même sexe. Elle est limitée à
l’obligation de reconnaître de tels mariages, conclus dans un autre État membre
conformément au droit de celui-ci, et cela aux seules fins de l’exercice des droits que
ces personnes tirent du droit de l’Union.
46 Ainsi, une telle obligation de reconnaissance aux seules fins de l’octroi d’un droit de
séjour dérivé à un ressortissant d’un État tiers ne méconnaît pas l’identité nationale ni
ne menace l’ordre public de l’État membre concerné.
47 Il importe d’ajouter qu’une mesure nationale qui est de nature à entraver l’exercice de
la libre circulation des personnes ne peut être justifiée que lorsque cette mesure est
conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte dont la Cour assure le respect
(voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C-165/14,
EU:C:2016:675, point 66).
53 Ainsi qu’il a été rappelé aux points 23 et 24 du présent arrêt, lorsque, à l’occasion d’un
séjour effectif du citoyen de l’Union dans un État membre autre que celui dont il a la
nationalité, en vertu et dans le respect des conditions prévues par la directive 2004/38,
une vie de famille s’est développée ou consolidée dans ce dernier État membre, l’effet
utile des droits que le citoyen de l’Union concerné tire de l’article 21, paragraphe 1,
TFUE exige que la vie de famille que ce citoyen a menée dans cet État membre puisse
être poursuivie lors de son retour dans l’État membre dont il possède la nationalité, par
l’octroi d’un droit de séjour dérivé au membre de la famille concerné, ressortissant
d’un État tiers.
54 En ce qui concerne les conditions d’octroi de ce droit de séjour dérivé, la Cour a
souligné, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, que celles-ci ne doivent
pas être plus strictes que celles prévues par la directive 2004/38 pour l’octroi d’un tel
droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un citoyen de
l’Union qui a exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un État membre
autre que celui dont il a la nationalité.
55 À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/38, le
droit de séjour prévu au paragraphe 1 de cet article s’étend aux membres de la famille
n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent
dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfait
aux conditions énoncées au paragraphe 1, sous a), b) ou c), du même article.
57 Eu égard à la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de
répondre aux troisième et quatrième questions.
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident
soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites
parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
2) L’article 21, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans
des circonstances telles que celles en cause au principal, le ressortissant d’un
État tiers, de même sexe que le citoyen de l’Union, dont le mariage avec ce
dernier a été conclu dans un État membre conformément au droit de celui-ci
dispose d’un droit de séjour de plus de trois mois sur le territoire de l’État
membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité. Ce droit de séjour dérivé
ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à
l’article 7 de la directive 2004/38.
Signatures
Introduction
L’arrêt Coman, rendu par la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne le
5 juin 20182, est l’une de ces décisions qui ont attiré l’attention non seulement des juristes
mais également de la société civile. En effet, la CJUE affirme qu’un mariage homosexuel,
légalement célébré, doit être reconnu dans tous les États membres aux fins des droits des
citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire de ces États.
1. Le contexte factuel de l’affaire
Relu Adrian Coman est un citoyen roumain et américain qui épouse à Bruxelles en 2010
Robert Hamilton, citoyen américain, son compagnon depuis 2002. Après des années de
relation à distance, le couple décide de s’établir en Roumanie et demande aux autorités
roumaines d’octroyer à Mr Hamilton un droit de séjour de plus de trois mois, en tant que
membre de la famille d’un national roumain. Les autorités refusent, arguant du fait que le
mariage entre personnes du même sexe n’est pas reconnu en droit civil interne. Contestant
cette décision devant les juridictions roumaines, le couple soulève en première instance une
exception d’inconstitutionnalité des dispositions du code civil roumain en question. La Cour
constitutionnelle roumaine, saisie de la question, actionne donc le mécanisme de renvoi
préjudiciel et demande à la CJUE des clarifications concernant l’interprétation à donner à la
directive 2004/38 (relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles
de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres) lue à la lumière de la
1
Edoardo Stoppioni, Une analyse critique de l’arrêt Coman: déconstruction de la consécration de
l’obligation de reconnaissance du droit de séjour du conjoint homosexuel, European Papers, Vol. 4,
2019, No 1, European Forum, Insight of 27 February 2019, pp. 377-388.
2
Cour de justice, arrêt du 5 juin 2018, affaire C-673/16, Coman e.a. [GC].
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (Charte) et de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle demande à la CJUE de
clarifier: 1) si la notion de conjoint retenue par la directive s’applique à un ressortissant d’un
État non-membre légalement marié avec un citoyen de même sexe, conformément au régime
juridique d’un État membre ; 2) et si, dans l’affirmative, un État membre est tenu par la
directive d’accorder un droit de séjour de plus de trois mois au conjoint de même sexe à ce
titre ou si 3), dans la négative, il doit avoir bénéficié de ce droit de séjour en tant qu’ “autre
membre de la famille” ou “partenaire” au sens de la directive.
2. Le contexte historique de l’affaire
Resituant l’arrêt dans une perspective plus large, celui-ci s’inscrit dans un contexte historique
particulier où plusieurs juridictions suprêmes et supranationales ont contesté l’attitude du
pouvoir à l’égard des droits des individus LGBTIQA+.
Un premier type de discours juridictionnel est illustré par l’opinion dissidente du juge Dedov
à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bayev c. Russie en
juin 2017, concernant les manifestations d’individus qui s’opposaient aux lois russes
interdisant la “promotion des relations sexuelles non traditionnelles”3. Celui-ci argumente
que:
“en l’espèce, la démonstration répond à la finalité inverse: informer sur les relations sexuelles
non traditionnelles, en exposant ainsi davantage les enfants au risque d’abus sexuels. […]
Chacun sait que les enfants sont vulnérables et crédules du fait de leur manque d’expérience
et de leur incapacité à juger. Les enfants peuvent facilement s’intéresser à toutes sortes
d’informations ou d’idées, en particulier celles ayant trait aux relations homosexuelles, sans
en comprendre la nature. L’idée que les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont
normales engendre de fait chez l’enfant une situation dans laquelle il se sent prêt à s’engager
dans ce type de relations simplement en raison de la curiosité qui caractérise son esprit”.
Ce type de discours désigne l’individu homosexuel comme déviant, comme anormal; son
orientation sexuelle ne mériterait même pas de protection juridique.
À l’inverse, le discours juridictionnel de réaffirmation des droits fondamentaux tend à donner
une image différente de l’individu homosexuel. Le 6 septembre 2018, la Cour suprême
indienne déclare inconstitutionnelle la section 377 du code pénal, loi coloniale 4 qui
criminalisait les rapports homosexuels comme étant “contre-nature” (“carnal intercourse
against the order of nature”). Dès les premières lignes de cette décision d’environ 500 pages,
le ton de la Cour est celui du libre cours de l’identité individuelle: la Cour commence en citant
Goethe (“I am what I am, so take me as I am”) et Schonephauer (“No one can escape from
their individuality”), pour terminer en déclarant la disposition en contradiction avec le droit à
la vie privée, à l’égalité et à la dignité et que “Members of the LGBT community are entitled,
as all other citizens, to the full range of constitutional rights including the liberties protected
3
L. LAVRYSEN, Bayev and Others v. Russia: on Judge Dedov’s outrageously homophobic dissent,
in Strasbourg Observers, 13 juillet 2017, strasbourgobservers.com.
4
A. HUSSAIN, Being Gay under India’s Constitution, in Verfassungsblog, 15 juillet 2018,
verfassungsblog.de
by the Constitution”.5 Ce type de posture inscrit le sujet homosexuel dans une logique de
“normalité“
En revanche, le 24 novembre 2017, la Cour interaméricaine a adopté une opinion consultative
fondamentale sur l’identité de genre et les droits des couples de même sexe. 6 La Cour y
définit l’identité de genre comme le “vécu intérieur et individuel du genre de la manière dont
chaque personne le ressent, ce qui peut correspondre ou pas avec le sexe attribué au moment
de la naissance”.7 Elle y réitère que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont des
catégories protégées par la Convention, ce qui interdit toute norme ou pratique discriminatoire
à leur égard. Elle souligne que l’absence de consentement au sein des pays membres quant à
l’octroi de certains droits à ces catégories ne permet pas pour autant de restreindre leurs droits
ou de perpétuer la discrimination historiquement et structurellement manifestée à leur
encontre.8 La Cour affirme clairement que la Convention ne protège pas un modèle donné ou
figé de famille et que l’idée de famille ne saurait certainement pas être limitée au schéma de
couple hétérosexuel. Les États ont donc une obligation internationale de protection des droits
patrimoniaux, mais pas exclusivement, découlant de tout lien familial, sans discrimination au
profit du lien hétérosexuel.9 En allant au-delà d’une logique de normalité, le discours de la
Cour tend davantage à protéger le sujet homosexuel de toute forme de discrimination, sans
pour autant en banaliser l’identité.
Dans ce contexte s’inscrit la décision Coman de la CJUE, qui vient consacrer en droit de
l’Union l’interprétation neutre du point de vue du genre de la notion de conjoint et le fait que
les droits issus des libertés de circulation du citoyen de l’Union s’étendent donc au conjoint
homosexuel. Comme l’affirme l’AG Wathelet 10, “le problème juridique au centre du litige
dans l’affaire au principal n’est pas celui de la légalisation du mariage entre personnes de
même sexe mais celui de la libre circulation d’un citoyen de l’Union”. En raison de la
morphologie du contentieux de l’Union, l’affaire se distingue des décisions qui portent
exclusivement sur la perspective des droits fondamentaux, ce qui sera au cœur de cette mise
en abyme.
Plan
Introduction
I. Une articulation contestable entre droit primaire et secondaire en matière de libre
circulation
5
Cour suprême indienne, arrêt du 6 septembre 2018, W. P. (Crl.) No. 76 of 2016, Navtej Singh Johar
& Ors. v. Union of India thr. Secretary Ministry of Law and Justice, par. 158
6
Cour interaméricaine des droits de l’homme, opinion consultative OC-24/17 du 24 novembre 2017,
Identité de genre et égalité et non-discrimination des couples du même sexe (obligations étatiques en
relation au changement de nom, identité de genre et droits dérivés du lien entre couples du même sexe
– interprétation des articles 1.1, 3, 7, 11.2, 13, 17, 18 et 24)
7
Ibid., par. 32: “la vivencia interna e individual del género tal como cada persona la siente, la cual
podría corresponder o no con el sexo asignado al momento del nacimiento”
8
Ibid., par. 79-84: “se debe entender que toda expresión de género constituye una categoría protegida
por la Convención Americana en su artículo 1.1”.
9
Ibid., par. 173-199.
10
Conclusions de l’AG Wathelet présentées le 11 janvier 2018, affaire C-673/16, Coman e.a., par. 38.
III. L’invocation de l’identité constitutionnelle à l’encontre de son propre citoyen
Conclusion
Introduction
L’arrêt Coman du 5 juin 201812 était très attendu et la presse internationale s’en est, du reste,
largement fait l’écho. Pour la première fois, la question du mariage entre personnes de même
sexe s’invitait à la Cour de justice de l’Union européenne, dans un contexte où le rythme des
évolutions en la matière ne cesse de s’accélérer depuis le tournant du millénaire. Si les
PaysBas furent le premier pays au monde à ouvrir l’institution du mariage aux personnes de
même sexe en 2001, les initiatives en ce sens se sont ensuite succédées. En janvier 2019, seize
pays du Conseil de l’Europe autoriseront les personnes de même sexe à se marier dont
quatorze sont membres de l’Union européenne13. Ils seront vingt-six dans le monde14. En
outre, vingt-six pays européens (dont vingt-deux de l’Union européenne) organisent une
reconnaissance juridique sous la forme d’un partenariat enregistré ou d’un partenariat civil au
bénéfice des couples de même sexe. Seuls six pays de l’Union européenne, concentrés en
Europe centrale et orientale, ne prévoient aucune forme de reconnaissance juridique pour ces
couples15.
Dans la majeure partie des cas, c’est au parlement que la réforme s’est concrétisée 16, parfois
au prix de débats de société très clivants comme pour l’adoption de la loi dite « sur le mariage
pour tous » en France17. La voie référendaire a été également utilisée, avec des objectifs
différents. Après un travail exemplaire d’une Convention constitutionnelle établie sur une
11
Emmanuelle BRIBOSIA et Isabelle RORIVE, L’arrêt Coman : quand la Cour de justice contribue à
la reconnaissance du mariage homosexuel, Centre Perelman de philosophie du droit, article accepté
pour publication dans le Journal de droit européen (novembre 2018), ULB, www.philodroit.be.
12
C.J. (G.C.), 5 juin 2018, arrêt Relu Adrian Coman, Robert Clabourn Hamilton, Associatia Accept c.
Inspectoratul General pentru Imigrari, Ministerul Afacerilor Interne, C-673/16, ECLI :EU:C:2018:385
(ci-après arrêt Coman).
13
Toute l’Europe, « Le mariage homosexuel en Europe. Carte et comparatif », 12 décembre 2017, en
ligne : https://www.touteleurope.eu/actualite/le-mariage-homosexuel-en-europe.html. Voy. aussi la
carte « Droit à l’orientation sexuelle dans le monde – Reconnaissance », publiée en ligne chaque année
par ILGA.
14
Au sein du Conseil de l’Europe, dans l’ordre chronologique : Pays-Bas, Belgique, Espagne, Suède,
Norvège, Portugal, Islande, Danemark, France, Grande-Bretagne, Luxembourg, Irlande, Malte,
Allemagne, Finlande, Autriche. Au-delà du Conseil de l’Europe : Afrique du Sud, Argentine,
Australie, Brésil, Canada, Colombie, ÉtatsUnis, Mexique, Nouvelle-Zélande, Uruguay. Voy. aussi,
infra, la note 7 pour le Costa Rica et Taïwan.
15
4 Il s’agit de la Slovaquie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne.
16
K. Kollman, « Same-sex Partnership and Marriage : the Success and Cost of Transnational Activism
», in D. Paternotte and M. Tremblay (eds), The Ashgate Research Companion to Lesbian and Gay
Activism, Surrey/Burlington, Ashgate, 2015, pp. 307-322.
17
Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF
n° 0114 du 18 mai 2013 p. 8253.
base de participation citoyenne, c’est l’Irlande qui y a recours pour la première fois avec
succès en 2015 pour permettre aux couples de même sexe de se marier. La même année, en
Slovénie, un référendum est, au contraire, mis sur pied pour contrer un texte de loi adopté par
le parlement et bloquer la réforme. En Roumanie, une coalition de la société civile pour le
soutien de la famille traditionnelle a recueilli trois millions de signatures, l’appui de l’Église
orthodoxe ainsi que de la plupart des partis représentés au parlement, en vue d’organiser un
référendum visant à inscrire dans la Constitution que le mariage célèbre uniquement l’union
entre un homme et une femme. Il s’est tenu en octobre 2018 mais n’a pas atteint le quorum de
participation requis pour permettre une réforme constitutionnelle.
Dans certains pays, comme au Canada, en Afrique du Sud et, plus récemment, aux États-Unis
et en Colombie, les juges ont joué un rôle déterminant pour permettre aux couples de même
sexe de se marier18. Il n’en avait pas été ainsi en Europe jusqu’à une décision de la Cour
constitutionnelle autrichienne rendue en décembre 2017. Dans un jugement unanime, cette
juridiction considère que régler le statut juridique des relations hétérosexuelles et
homosexuelles par deux institutions différentes – le mariage et le partenariat enregistré – viole
le principe d’égalité et de non-discrimination, peu importe que ces deux régimes soient
quasiment identiques. Et de conclure que, pour le 1er janvier 2019, le mariage doit être ouvert
aux personnes de même sexe et le partenariat enregistré accessible aux personnes de sexe
différent19.
Au niveau régional, la Cour interaméricaine des droits de l’homme est la première juridiction
à consacrer, par une décision historique rendue en novembre 2017, l’obligation pour
l’ensemble des États parties à la Convention américaine des droits de l’homme de permettre
aux couples de même sexe de se marier20. Outre le Costa Rica qui avait introduit la demande
d’avis consultatif devant la Cour interaméricaine, ce ne sont pas moins de quinze pays
d’Amérique centrale et du Sud qui devraient légaliser le mariage homosexuel pour se
conformer à cette décision.
Comme nous le verrons, la Cour européenne des droits de l’homme a, jusqu’ici, été plus
timorée que son homologue interaméricaine, tout en resserrant progressivement la marge
d’appréciation des États membres au nom du respect du droit à la vie privée et familiale (I.) À
défaut de compétence de l’Union européenne dans le domaine de l’état civil, la Cour de
justice de l’Union européenne n’était pas a priori appelée à jouer un rôle majeur sur ce thème.
C’était sans compter la mise en œuvre de la liberté de circulation sur laquelle la Grande
Chambre de la Cour de justice fut appelée à se prononcer à l’occasion de l’affaire Coman
(II.).
Plan
Introduction
18
Notez que la Cour suprême du Costa Rica (arrêt du 8 août 2018) et la Cour Constitutionnelle de
Taïwan (arrêt du 24 mai 2017) ont respectivement laissé dix-huit mois et deux ans au parlement de
leur pays pour réformer la législation.
19
Voy. Communiqué de presse G258/2017 du Verfassungsgerichtshof Österreich, 5 décembre 2017, «
Distinction between marriage and registered partnership violates ban on discrimination », en ligne:
https://www.vfgh.gv.at/downloads/VfGH_G_258-2017_Press_release_same-sex_marriage.pdf.
20
Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif OC-24/17 du 24 novembre 2017,
sollicité par la République du Costa Rica, « Identité de genre, égalité et non-discrimination pour les
couples de même sexe », notifié le 9 janvier 2018, en ligne (en espagnol) :
http://www.corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_24_esp.pdf.
I. LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME ET LA TECHNIQUE DES
PETITS PAS
Conclusion
3. Obligation de reconnaissance d’un mariage de personnes de même sexe aux fins d’octroi d’un
droit de séjour21
Introduction
La grande chambre de la Cour de justice se prononce, dans l’arrêt Coman du 5 juin 2018, en
faveur de l’octroi, par les autorités d’un État membre qui ignore l’institution du mariage de
personnes de même sexe autant que du partenariat enregistré, d’un droit de séjour au
ressortissant d’un État tiers conjoint d’un citoyen européen lors du retour vers l’État membre
d’origine, lorsque le mariage a été célébré dans un autre État membre lors d’un séjour effectif
conformément au droit de cet Etat.
1. Eléments de fait
Un Américain avait épousé en Belgique un Américano-Roumain travaillant comme assistant
parlementaire au Parlement européen. Suite à un déménagement vers la Roumanie, une
demande de titre de séjour de plus de trois mois est introduite pour le ressortissant américain.
Elle est rejetée par l’autorité roumaine, pour le motif que le Code civil roumain ne connaît pas
le mariage de personnes de même sexe.
Il ressort des éléments de l’espèce que le ressortissant américain n’avait jamais résidé dans
l’Union avant le mariage, et il est incertain s’il y a eu une cohabitation stable en Belgique
après la célébration du mariage, le ressortissant américain ayant continué de résider aux États-
Unis. Les parties avaient cohabité aux Etats-Unis pendant les quatre années ayant précédé la
célébration du mariage.
La validité de ce mariage pouvait s’autoriser des dispositions de la loi belge du 16 juillet 2004
portant le Code de droit international privé, aux termes duquel, en particulier, il suffit que le
droit de la nationalité ou de la résidence habituelle d’un des époux connaisse le mariage entre
personnes de même sexe (art. 46, al. 2). Par ailleurs, la célébration du mariage doit être
conforme au droit du pays de célébration (art. 47), mais il ne peut être célébré en Belgique
que si l’un des époux est belge, est domicilié en Belgique ou y réside habituellement depuis
plus de trois mois (art. 44). On peut supposer qu’en l’espèce, la condition de résidence
habituelle était remplie dans le chef de l’époux américano-roumain.
La Cour constitutionnelle roumaine s’est interrogée sur la violation du droit à la vie familiale
et du droit à la liberté de circulation au vu d’une discrimination en raison de l’orientation
sexuelle, s’interrogeant en particulier sur le sens des termes « conjoint », « partenaire » et «
autre membre de la famille » visés par la directive 2004/38, avec l’obligation en découlant
pour l’État d’accueil d’octroyer un titre de séjour de plus de trois mois, et ce, alors même que
le droit de l’État d’accueil ignore aussi bien le mariage de personnes de même sexe que tout
mode alternatif, tel le partenariat enregistré.
2. Position de la grande chambre
D’emblée, la Cour de justice corrige les termes de la question, pour les réorienter vers une
interprétation des dispositions du droit primaire sur la citoyenneté (art. 21 FUE) — sans
s’interroger pour autant sur l’applicabilité de l’article 45 TFUE alors que le déplacement du
21
M. FALLON, « Observations sous CJUE, 5 juin 2018, gr. ch., Coman, C-673/16, EU:C:2018:385 »,
Cahiers de l’EDEM, juin 2018.
ressortissant roumain en Belgique l’avait été en qualité de travailleur. En effet, selon une
jurisprudence constante résultant d’une interprétation « littérale, systématique et téléologique
» (pt. 20), la directive 2004/38 ne couvre explicitement qu’une entrave affectant un citoyen se
déplaçant hors de l’État membre de sa nationalité (art. 3 ; pt. 20). En revanche, un tel droit de
séjour dérivé peut être tiré de l’article 21 TFUE puisqu’en son absence, le citoyen regroupant
serait dissuadé d’exercer son droit à la liberté de circulation en quittant son pays d’origine afin
de développer et/ou consolider une vie de famille dans un autre État membre (pt. 24). Quant
au régime de ce droit dérivé du regroupé basé sur le droit primaire, il ne saurait faire
abstraction des conditions prévues par la directive 2004/38 afin d’éviter qu’il soit plus strict
que celles de la directive (pt. 25).
Ensuite, la structure du raisonnement suit la grille d’examen de la compatibilité d’une entrave
avec le régime de liberté de circulation.
La première phase du raisonnement s’attarde à établir l’existence d’une entrave, ici l’effet
dissuasif du refus de reconnaître en Roumanie la validité du mariage contracté dans un autre
État membre. Concrètement, il s’agit d’apprécier ce que signifie le droit fondamental d’un
citoyen à mener une « vie familiale » dans l’État d’accueil autant que dans l’État d’origine, ce
qui revient en l’espèce à qualifier de lien familial le mariage de personnes de même sexe.
Pour ce faire, la Cour « applique par analogie » (pt. 33) la directive 2004/38 qui fait appel à la
notion de « conjoint » (art. 2.2.a). Elle « souligne » que la notion est « neutre du point de vue
du genre » et « englobe » donc le conjoint de même sexe (pt. 35). Quant à savoir si l’État
d’accueil du regroupé peut opposer sa législation nationale sur la validité du lien, la Cour
emprunte a contrario à la directive le « renvoi » à cette législation à propos du « partenaire »
mais non du « conjoint », pour en déduire qu’une telle condition ne peut pas être opposée à
celui-ci (pt. 36). De plus, même si « l’état des personnes » relève bien de la compétence de
l’État, qui « reste ainsi libre de prévoir ou non le mariage de personnes de même sexe » (pt.
37), l’Etat ne saurait pour autant exercer sa compétence en violation d’une liberté de
circulation. Or, cette liberté ne saurait « varier d’un État à l’autre en fonction […] de son droit
national », au risque de conduire à une interprétation stricte de la directive applicable par
analogie et de la priver de son effet utile (pt. 39). Par conséquent, est constitutif d’entrave, le
refus de reconnaître, « aux seules fins d’un droit de séjour dérivé », le mariage d’un regroupé
conclu par les parties « lors de leur séjour effectif » dans un autre État membre «
conformément au droit de ce dernier » (pt. 40).
La seconde phase porte classiquement sur l’examen de la justification combiné avec celui de
la proportionnalité du contenu de la mesure nationale à l’objectif poursuivi.
La Cour confirme sans peine deux raisons d’intérêt général invoquées par certains
gouvernements, à savoir le respect de « l’identité nationale » des États par l’Union (art. 4.2
TUE), avec l’appui de la jurisprudence relative à la détermination du nom de la personne, et la
notion d’ordre public répondant aux conditions strictes d’une menace réelle et grave.
Elle écarte ensuite la pertinence de ces objectifs en l’espèce, du fait qu’une obligation de
reconnaître le mariage aux seules fins du droit de séjour « ne porte pas atteinte à l’institution
du mariage » dans l’État d’accueil, laquelle relève de la compétence du droit de cet État (pt.
45). L’affirmation, qui semble relever du contrôle de proportionnalité, paraît assez abrupte, en
l’absence de tout développement comparable à d’autres appréciations de la Cour dans le
domaine de libertés économiques de circulation…
Ensuite, l’entrave n’est justifiable qu’en cas de conformité aux droits garantis par la Charte
(pt. 46), par déduction analogique de l’arrêt Rendon Marin (pt. 46). L’article 7 est alors
mobilisé, en lien avec l’article 8 CEDH au sens duquel les notions de « vie privée » et de « vie
familiale » englobent « la relation entretenue par un couple homosexuel » (pt. 47).
La Cour en déduit l’incompatibilité avec l’article 21 TFUE du refus d’un droit de séjour basé
sur le fait que le droit de l’État d’accueil ne prévoit pas le mariage de personnes de même
sexe, lorsque le citoyen a séjourné effectivement dans un État membre dont il n’a pas la
nationalité en conformité avec l’article 7.1 de la directive 2004/38 et y a « développé ou
consolidé » une vie de famille « par un mariage légalement conclu » dans cet État membre
d’accueil (pt. 51).
L’arrêt confirme encore, en réponse à l’une des questions préjudicielles, qu’un tel droit de
séjour du regroupé ressortissant d’un pays tiers vise bien, au sens de l’article 21 TFUE, un
séjour de plus de trois mois, par identité de motifs, dès lors que le citoyen a développé ou
consolidé une vie de famille dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité dans
le respect des conditions prévues par le droit dérivé (pt. 53 à 56).
3. Conclusions de l’avocat général M. Wathelet
L’avocat général M. Wathelet s’était montré favorable à une obligation de l’État d’origine du
citoyen de reconnaitre le mariage étranger. Pour l’essentiel, les éléments de sa démonstration
se retrouvent dans l’arrêt de la grande chambre. Certains méritent toutefois l’attention, comme
éléments d’explicitation de certains passages de l’arrêt.
Quant aux faits de l’espèce, l’avocat général estime suffisant qu’une « consolidation » de la
relation ait eu lieu en Belgique après sa constitution par quatre années de cohabitation dans un
pays tiers. L’existence d’une vie familiale ne saurait dépendre de l’absence de cohabitation, «
dans un monde globalisé » où « il n’est pas rare » qu’un couple ne partage pas le même
logement (pt. 28)…
Quant aux sources normatives pertinentes, l’avocat général s’attache essentiellement à
proposer un « choix interprétatif » (pt. 75) de la directive 2004/38, sans recours premier à
l’article 21 TFUE, qu’il ne mobilise que pour accorder un droit de séjour de plus de trois mois
(pt. 86). Pour ce faire, il évoque en particulier la notion, reprise par l’arrêt, de mariage comme
un « concept neutre du point de vue du sexe » (pt. 49). Comme la Cour aussi, il interprète a
contrario la référence de la directive 2004/38 à la législation de l’État d’accueil à propos du
partenariat pour en déduire la volonté du législateur d’omettre un tel renvoi pour le « mariage
» (50). L’explication de cette différence dans le droit dérivé résiderait dans « une certaine
universalité » que connaît le mariage en comparaison avec la diversité des législations
relatives au partenariat. Les conclusions invoquent encore en ce sens un flottement au cours
des travaux préparatoires, lorsque le Parlement avait souhaité préciser un élargissement « quel
que soit le sexe » alors que le Conseil y avait été réticent vu le nombre négligeable d’États
membres connaissant l’élargissement du mariage en 2004. L’avocat général encourage alors
la Cour, non sans emphase, à une interprétation « évolutive » de la directive, vu les
changements en droit comparé manifestant « un mouvement généralisé » dans « tous les
continents » qui corresponde à « une reconnaissance universelle de la pluralité des familles »
(pt. 58). De manière plus précise, l’avocat général évoque ensuite la jurisprudence de la Cour
EDH en faveur d’une « reconnaissance légale » des couples homosexuels (pt. 62), dans le
domaine de l’octroi d’un permis de séjour (pt. 64) comme « la garantie minimale » qui peut
leur être donnée (pt. 99).
Plan
1. Eclairage sur l’application de la directive 2004/38 à une entrave de l’État d’origine du
citoyen
2. Ecairage sur l’examen d’une entrave au sens de l’article 21 TFUE
3. Eclairage sur la reconnaissance d’un mariage international de personnes de même sexe
3.1. Quant à la définition du mariage
3.2. Quant aux conditions de reconnaissance du mariage
3.3. Quant aux effets de la reconnaissance