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CHAPITRE II : LA LIBÉRALISATION DES FACTEURS DE PRODUCTION

La libéralisation des facteurs de production est envisagée dans la CEDEAO par le biais de la libre circulation des
personnes (Section.1) et de la libre circulation des capitaux (Section.2).

SECTION.1 : LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES


La libre circulation des personnes suppose un ensemble de libertés dont certaines peuvent être considérées
comme des libertés préalables, à savoir le droit d’entrée et le droit de séjour, et d’autres, des libertés subsidiaires,
à savoir le droit de résidence, le droit d’établissement et la libre prestation des services.

§.1- Les libertés préalables : le droit d’entrée et le droit de séjour


Rappelons au préalable que la libre circulation des personnes est une expression polysémique recouvrant en
réalité plusieurs droits ou libertés : le droit d’entrée, le droit de résidence, le droit d’établissement et la libre
prestation des services. A ce sujet, l’article 59 du Traité révisé dispose que « les citoyens de la Communauté ont
le droit d’entrée, de résidence et d’établissement et les Etats membres s’engagent à reconnaître ces droits aux
citoyens de la Communauté sur leurs territoires respectifs conformément aux dispositions des protocoles y
afférents.
Les Etats membres s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées en vue d’assurer aux citoyens de la
Communauté, la pleine jouissance des droits visés au paragraphe 1 du présent article. Les Etats membres
s’engagent à prendre, au niveau national, les dispositions nécessaires pour assurer l’application effective des
dispositions du présent article ». La CEDEAO a organisé la libre circulation des personnes en trois étapes à
travers trois protocoles correspondants aux droits d’entrée, de résidence et d’établissement.
Préalable à la jouissance des autres droits, le droit d’entrée est celui qui donne le libre accès au territoire d’un
Etat membre. C’est la première étape de la libre circulation des personnes organisée par la CEDEAO. Ce droit
résulte du Protocole A/P1/5/79 de Dakar du 25 mai 19791. Le droit d’entrée dans la CEDEAO se traduit
concrètement par la suppression des formalités de visa et de permis d’entrée et un droit de séjour limité. Aux
termes de l’article 3 du protocole de Dakar en effet, « tout citoyen de la Communauté, désirant entrer sur le
territoire de l’un quelconque des Etats membres, sera tenu de posséder un document de voyage et des certificats
internationaux de vaccination en cours de validité.
Tout citoyen de la Communauté, désirant séjourner dans un Etat membre pour une durée maximum de quatre-
vingt-dix (90) jours, pourra entrer sur le territoire de cet Etat membre par un point d’entrée officiel, sans avoir à
présenter un visa. Cependant, si ce citoyen se propose de prolonger son séjour au-delà des quatre-vingt-dix (90)
jours, il devra, à cette fin, obtenir une autorisation délivrée par les autorités compétentes ». Le protocole définit
lui-même la notion de document de voyage en cours de validité : « un passeport ou tout autre document en cours
de validité, établissant l’identité de son titulaire, avec sa photographie, délivré par ou au nom de l’Etat membre
dont il est citoyen et sur lequel les cachets de contrôle des services d’immigration ou d’émigration peuvent être
apposés. Est également considéré comme document de voyage en cours de validité, un laissez-passer délivré
par la Communauté à ses fonctionnaires et établissant l’identité du porteur »2.A cette liste, il faut ajouter le carnet
de voyage CEDEAO institué par la Décision A/DEC.2/7/85, signée à Lomé le 6 juillet 1985. L’institution d’un
formulaire harmonisé d’immigration et d’émigration de la CEDEAO par Décision C/DEC.3/12/92 du 5 décembre
19923 vise également à faciliter et simplifier les formalités de mouvement des personnes au passage des
frontières.

1
Protocole A/SP. 1/5/79 de Dakar du 25 mai 1979, J.O. vol.1, Rec. PCD, p.3.
2
Article 1 du protocole de Dakar.
3
Décision C/DEC.3/12/92 du 5 décembre 1992 relative à l’institution d’un formulaire harmonisé d’immigration et
d’émigration, J.O. vol.24, Rec. PCD, p.50.
1
L’exception au droit d’entrée figure à l’article 4 du protocole de Dakar : « …les Etats membres se réservent le
droit de refuser l’entrée sur leurs territoires à tout citoyen de la Communauté entrant dans la catégorie des
immigrants inadmissibles aux termes de leurs lois et règlements en vigueur ». Cette exception, bien que n’ayant
pas encore été utilisée par les Etats membres, est fortement critiquable parce que l’appréciation de la notion
d’immigrants inadmissibles est laissée à la discrétion des Etats membres ; cette situation pourrait constituer une
source d’abus. Il faut également relever qu’à ce jour, certains Etats n’ont pas encore imprimé les carnets de
voyage CEDEAO. En dehors de ces obstacles et craintes, le droit d’entrée est, dans l’ensemble, une réalité dans
la CEDEAO, ce qui est loin d’être le cas pour le droit de résidence.

§.2- Les libertés subsidiaires : le droit de résidence, le droit d’établissement et la libre prestation des services
Dans les lignes qui suivent, il est intéressant d’examiner successivement chacun des éléments constitutifs de ces
libertés subsidiaires.

A)- LE DROIT DE RESIDENCE


Le droit de résidence ou libre circulation des travailleurs constitue la deuxième étape du processus de
libéralisation de la circulation des personnes dans la CEDEAO, aux termes de l’article 2 du protocole de Dakar.
Ce protocole précisait, en outre, que la Communauté, se fondant sur l’expérience acquise au cours de l’exécution
de la première étape, fera des propositions au Conseil des ministres pour une libéralisation plus poussée durant
les étapes du droit de résidence et d’établissement des personnes à l’intérieur de la Communauté.
Le droit de résidence est organisé par le Protocole A/SP.1/7/86 du 1er juillet 19864, signé à Abuja. Aux termes
dudit protocole, le droit de résidence est le droit reconnu à un citoyen, ressortissant d’un Etat membre, de
demeurer dans un Etat membre autre que son Etat d’origine et qui lui délivre une Carte ou permis de Résidence
pour y occuper un emploi. L’article 2 du protocole d’Abuja oblige chacun des Etats membres à reconnaître aux
citoyens de la Communauté le droit de résidence sur son territoire en vue d’accéder à une activité salariée et de
l’exercer. Le droit de résidence n’est donc pas un principe général de libre circulation de tous les ressortissants
de la CEDEAO mais concerne seulement des travailleurs. Ces derniers peuvent continuer de séjourner dans le
pays d’accueil après y avoir exercé un emploi. Le droit de résidence est donc lié à l’exercice d’une activité
professionnelle. En d’autres termes, le droit de résidence exclut toute discrimination fondée sur la nationalité dans
la recherche et l’exercice d’un emploi. C’est donc le principe de l’assimilation aux nationaux qui prévaut. Pour
renforcer cette égalité entre citoyens de la Communauté, l’article 61 paragraphe 2 (b) du Traité révisé de 1993
prévoit une harmonisation des législations et des régimes de sécurité sociale des Etats membres.
Cependant, il convient de souligner – et de rappeler – que le droit de résidence est subordonné à l’obtention d’une
carte ou permis de résidence de la part du pays d’accueil. On se rappelle, en effet, que le droit d’entrée ne
conférait qu’un séjour limité de 90 jours et qu’une autorisation était nécessaire pour un séjour prolongé. Cette
autorisation se matérialise par l’octroi de la carte ou d’un permis de résident. L’article 5 du protocole d’Abuja de
1986 le prévoit expressément : « Les citoyens de la Communauté, ressortissants des Etats membres, admis sans
visa sur le territoire d’un Etat membre sont soumis, s’ils désirent résider sur le territoire de cet Etat membre, à la
formalité de l’obtention d’une carte de résident, ou d’un permis de résident ».
La carte de résident des Etats membres de la CEDEAO a fait l’objet de la Décision A/DEC.2/5/90 du 30 mai 1990,
signée à Banjul. Aux termes de l’article 3 de cette décision, « Tout citoyen de la CEDEAO, ressortissant d’un Etat
membre, doit solliciter une carte de résident auprès des autorités compétentes de l’Etat membre d’accueil ».
L’article 6 paragraphe 2, poursuit : « La carte de résident vaut permis de séjour et de résidence et doit être
présentée à toute réquisition des autorités compétentes de l’Etat d’accueil ». Potentiellement, les conditions
d’obtention d’une telle carte risquent d’être un obstacle à l’exercice du droit de résidence. En effet, les conditions

4
Protocole A/SP.1/7/86 d’Abuja du 1er juillet 1986, J.O., vol.9, Rec. PCD, p.26.
2
d’obtention de cette carte ne sont pas définies au plan communautaire ; la décision de Banjul laisse sa délivrance
à la discrétion des autorités d’accueil. Selon l’article 15 de cette décision en effet, « la délivrance d’une carte de
résident peut être refusée discrétionnairement. En cas de refus de délivrance dûment notifié, l’intéressé doit quitter
l’Etat membre d’accueil dans le délai qui lui est imparti ». Le droit de résidence est donc perçu comme une
concession des autorités d’accueil plutôt qu’un véritable droit reconnu aux citoyens.
A côté de cet obstacle que pourrait constituer l’exigence de la carte de résident, des exceptions sont prévues à
l’exercice du droit de résidence. Ces exceptions sont fondées sur des motifs de sécurité, de santé ou d’ordre
publics. Les emplois de l’administration publique constituent également une limitation à l’exercice du droit de
résidence. La notion d’emploi dans l’administration publique n’ayant pas fait l’objet d’une définition, il reviendra
certainement à la Cour de Justice de la Communauté de le faire. Il faut noter que le Traité de Rome, fondant la
Communauté Européenne, prévoyait également cette exception dans les mêmes termes. Appelée à se prononcer
sur un tel concept, la CJCE a décidé que les emplois concernés sont ceux « qui comportent une participation,
directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des
intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques »5. La carte de résident, préalable à l’exercice du
droit de résidence n’est imprimée par aucun Etat membre. Ceci rend, évidemment, ineffectif l’exercice de ce droit.

B)- LE DROIT D’ETABLISSEMENT


Le droit d’établissement est la troisième étape de la libéralisation de la circulation des personnes dans la CEDEAO
aux termes du protocole de Dakar de 1979. Cette liberté a été organisée par le Protocole A/SP.2/5/90, du 29 mai
1990 signé à Banjul6. Aux termes de ce protocole, il faut entendre par droit d’établissement le droit reconnu à un
citoyen, ressortissant d’un Etat membre, de s’installer ou de s’établir dans un Etat membre autre que son Etat
d’origine, d’accéder à des activités économiques, de les exercer ainsi que de constituer et de gérer des
entreprises, notamment des sociétés, dans les conditions définies par la législation de l’Etat membre d’accueil
pour ses propres ressortissants7. Autrement dit, c’est le droit d’accéder à des activités indépendantes à titre
individuel ou en tant que sociétés civiles ou commerciales. Dans l’exercice de ces activités, les Etats membres
doivent accorder aux citoyens de la Communauté le même traitement qu’ils accordent à leurs nationaux. Cette
disposition exclut donc les pratiques discriminatoires fondées sur la nationalité8.
Les exceptions au droit d’établissement sont celles également fondées sur les motifs d’ordre public, de sécurité
publique, de santé publique ainsi que des activités, relevant dans un Etat membre, même à titre occasionnel, de

5
CJCE, 17 décembre 1980, aff. 149/79, Commission c/. Belgique, Rec. 1979, p. 3881.
6
Protocole A/SP.2/5/90 du 29 mai 1990, J.O. vol.17 ; Rec. PCD, p.39.
7
Article 1 du protocole de Banjul.
8
Aux termes de l’article12 du protocole, en effet, les Etats membres s’engagent :
« a) à éliminer les procédures et pratiques administratives découlant soit de la législation et de la réglementation internes,
soit d’accords antérieurement conclus entre les Etats membres, dont le maintien ferait obstacle à la liberté d’établissement ;
(il y a là, manifestement, l’affirmation du principe de la primauté de ce droit sur les normes nationales ou résultant des
autres conventions antérieurement conclues par les Etats membres) ;
b) à éliminer les restrictions à la liberté d’établissement dans chaque branche d’activité, d’une part aux conditions de
création sur le territoire d’un Etat membre, d’agences, de succursales ou de filiales, et d’autre part aux conditions d’entrée
du personnel du principal établissement, dans les organes de gestion ou de surveillance de celle-ci ;
c) à coordonner dans la mesure nécessaire en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats
membres, des sociétés pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ; (ceci suppose une uniformisation ou du
moins une harmonisation des législations sur les sociétés) ;
d) à rendre possible l’acquisition et l’exploitation de propriétés foncières ;
e) à faciliter les mouvements de capitaux qu’engendre ce droit ; (ceci implique une interdiction des réglementations de
change incompatibles avec le droit d’établissement) ;
f) à prendre des décisions visant à une reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres ;
g) à promouvoir et protéger les investissements et même à financer conjointement les investissements avec le secteur
privé ».
3
l’exercice de l’autorité publique9. La notion d’activités relevant de l’exercice de l’autorité publique n’a pas non plus
fait l’objet de définition par le protocole. Ceci peut être source de controverses, car certains Etats pourront en
avoir une conception restrictive et d’autres, extensive. Toute chose pouvant aboutir à des traitements inégaux
des citoyens de la Communauté selon les pays. Il reviendra à la Cour de justice de la CEDEAO de donner une
interprétation unique de cette notion comme l’a fait son homologue européen10. Toujours en rapport avec le droit
d’établissement, il est prévu une clause de sauvegarde en faveur des Etats11. C’est dire donc qu’un Etat peut faire
échec au droit d’établissement, si les mouvements de capitaux liés à l’exercice de ce droit risquent de porter un
préjudice grave à son économie.
L’exercice du droit d’établissement suppose également l’obtention de la carte de résident pour les personnes dont
l’activité professionnelle exige une présence physique effective dans le pays d’implantation. En d’autres termes,
ces personnes doivent solliciter la carte de résident CEDEAO lorsque l’exercice de leurs activités les contraint à
un séjour de plus de quatre-vingt-dix jours dans l’Etat d’établissement.
La concrétisation du droit d’établissement passe nécessairement par une uniformisation ou une harmonisation du
droit des affaires. Tel n’est pas le cas aujourd’hui dans la CEDEAO. Les seize pays membres appartiennent à
des systèmes juridiques différents : la common law (pays anglophones), le droit civiliste (pays francophones) et
un système hybride (Guinée Bissau dont le système emprunte à la fois au droit civiliste et au droit socialiste).
C’est pour prendre en compte cette préoccupation et s’inspirant surtout de l’initiative des Etats membres de
l’OHADA que les instances de la Communauté ont entamé des études en vue de l’harmonisation du droit des
affaires dans la CEDEAO. C’est ainsi que, par une décision du Conseil des ministres en date du 27 juillet 1995, il
a été créé un comité des experts juristes de la CEDEAO chargé de faire des propositions en vue de
l’harmonisation du droit des affaires12. Si ce projet devait aboutir à la rédaction d’actes uniformes et non pas une
simple harmonisation, la question qu’on est en droit de se poser est celle de sa place, de sa compatibilité avec
les actes uniformes de l’OHADA. Tous les Etats francophones de la CEDEAO faisant déjà partie de l’OHADA,
quel sera leur droit positif des affaires ? Et même si ce projet se limitait à une simple harmonisation, il n’est pas
exclu que cette harmonisation débouche sur des incompatibilités avec les actes de l’OHADA. En tout état de
cause, une concertation entre les deux organisations s’avère indispensable. Au total, bien que des dispositions
existent, le droit d’établissement est loin d’être une réalité dans la CEDEAO.

C)- LA LIBRE PRESTATION DE SERVICES


La libre prestation des services vise des cas où des personnes morales ou physiques, sont appelées à exercer,
de façon temporaire, leurs activités sur le territoire d’un Etat membre sans qu’ils y soient établis. Par exemple, un
avocat burkinabè voudrait plaider pour un client à Lagos alors que son cabinet se trouve à Ouagadougou. Le
service est défini en droit communautaire comme une prestation contre rémunération.
Le protocole de Dakar de 1979 organisant la libre circulation des personnes n’envisage pas spécifiquement la
libre prestation des services. Seul le Traité révisé contient quelques dispositions éparses et lapidaires sur cette
question. Il s’agit de l’article 55 (ii) qui enjoint aux Etats de supprimer non seulement des obstacles à la libre
circulation des personnes, des biens et des capitaux mais également des services. C’est le cas également de
l’article 34 (c) qui abolit des discriminations entre les citoyens en matière de prestations touristiques et hôtelières.

9
Article 4 §6 du Protocole additionnel A/SP. 2/5/90 de Banjul du 29 mai 1990, Rec. PCD, p. 41.
10
Sur la base de l’article 55 CE, tout à fait identique à la disposition l’article 4 §6 du Protocole de Banjul, la CJCE a précisé
que seules peuvent être exclues du droit d’établissement les “ activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une
participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (CJCE, 21 juin 1974, aff. 2/74, Reyners ; aussi CJCE
13 juillet 1993, aff.C-42/92, A. Thijssen.
11
Article 10 du protocole de Banjul. Voyez également les développements sur la libre circulation des capitaux.
12
Décision C/DEC.7/7/95 relative à l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats membres de la CEDEAO ; Décision
C/DEC.6/7/95 du 27 juillet 1995 relative à l’institutionnalisation de la réunion des experts juristes de la CEDEAO, J.O.
vol.29, p.24, p.25.
4
Ainsi les Etats membres s’engagent à « éliminer toutes mesures ou pratiques discriminatoires à l’égard des
ressortissants de la Communauté en matière de prestations touristiques et hôtelières ».
En l’absence de textes dérivés sur la libre prestation des services, faut-il convenir que ces dispositions du Traité
ont un effet direct ? La Cour de justice de la CEDEAO étant accessible désormais aux particuliers, il reste à
espérer qu’une fois saisie, celle-ci se prononce favorablement en reconnaissant un plein effet direct à ces
dispositions.
Au terme de cette étude de la notion de la libre circulation des personnes dans la CEDEAO, quelques remarques
méritent d’être faites.
1- D’abord, il faut bien remarquer que les bénéficiaires des droits d’entrée, de résidence et d’établissement sont
les citoyens de la Communauté. Que faut-il entendre par citoyen de la Communauté ? L’analyse de cette notion
appelle une distinction selon qu’il s’agit des personnes physiques ou des personnes morales.
Concernant les personnes physiques, le Protocole de Dakar de 1979 avait dans un premier temps défini le citoyen
de la Communauté comme un citoyen de tout Etat membre13. Tout national des Etats membres serait donc un
citoyen de la CEDEAO. Plus tard, cette notion a fait l’objet de controverses entre anglophones et francophones.
Pour le premier groupe de pays, tous les nationaux des Etats membres n’étaient pas citoyens de la Communauté.
Ils avaient une conception très restrictive et discriminatoire de cette notion de citoyen de la CEDEAO. Il s’agissait
d’exclure du bénéfice de la libre circulation certains nationaux des Etats membres14. Contre cette conception
restrictive, les seconds préconisaient de faire une application générale, égalitaire et non discriminatoire de cette
notion. Finalement, ce sera le point de vue du premier groupe qui l’emportera. En effet, un protocole, signé à
Cotonou le 29 mai 198215, portant code de la citoyenneté de la CEDEAO, concrétisera la conception restrictive
de la notion de citoyen de la CEDEAO. Aux termes de l’article 1er de ce code, est citoyen de la Communauté : -
« toute personne qui, par descendance, a la nationalité d’un Etat membre et qui ne jouit pas de la nationalité d’un
Etat non-membre de la Communauté ; - toute personne qui a la nationalité d’un Etat membre par le lieu de
naissance et dont l’un ou l’autre des parents est citoyen de la Communauté, à condition que cette personne, ayant
atteint l’âge de 21 ans, opte pour la nationalité de cet Etat membre ; - toute personne naturalisée d’un Etat membre
qui renonce expressément à la nationalité d’un Etat non-membre ».
En substance, la citoyenneté CEDEAO exclut la bipatridie ou la pluripatridie lorsqu’elles mettent en cause la
nationalité d’un Etat non-membre. Par contre, la bipatridie ou la pluripatridie sont acceptées lorsqu’elles
concernent les nationalités des Etats membres de la CEDEAO. Pour prendre un exemple concret, un Togolo-
Burkinabè est citoyen CEDEAO tandis qu’un Belgo-Burkinabè ne l’est pas ; si ce Belge voulait jouir de la
citoyenneté CEDEAO, il doit au préalable renoncer à sa nationalité belge. Cette conception, très restrictive de la
notion de citoyen communautaire par la CEDEAO, ne tient pas compte de la réalité actuelle. Dans un monde où
les hommes sont de plus en plus mobiles et les mariages internationaux de plus en plus fréquents, cette restriction
apparaît fortement critiquable.
En ce qui concerne les sociétés, sont considérées comme originaires de la Communauté celles constituées en
conformité des lois et règlements d’un Etat membre, ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou
leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté. Lorsqu’elles n’ont que leur siège statutaire dans la
Communauté, leur activité doit présenter un lien effectif et continu avec l’économie de cet Etat membre16.

13
Article 1er du Protocole A/SP. 1/5/79 de Dakar du 25 mai 1979.
14
Cette discrimination concernait notamment les communautés syro-lybanaises installées dans la plupart des Etats membres
et ayant obtenu par naturalisation la nationalité de leur pays d’accueil.
15
Protocole A/P.3/5/82 de Cotonou du 29 mai 1982 portant code de la citoyenneté de la Communauté, J.O., vol.4, Rec.
PCD, p.15.
16
Article 3 du Protocole additionnel A/SP. 2/5/90 de Banjul du 29 mai 1990, Rec. PCD, p. 41.
5
2- Ensuite, il faut relever que seul le droit d’entrée (liberté d’accès au territoire avec un droit de séjour de quatre-
vingt-dix jours au maximum) concerne tous les citoyens de la Communauté, les autres libertés (résidence et
établissement) sont des droits liés à l’exercice d’une activité professionnelle.
3- Enfin, il faut relever la nature juridique des actes utilisés et les soupapes de sécurité que se sont aménagées
les Etats en matière de libre circulation des personnes. En effet, les actes juridiques utilisés sont des protocoles.
or ceux-ci sont des actes conventionnels dont la mise en vigueur est subordonnée aux procédures de
« réception » dans les ordres juridiques des Etats. Les Etats ne seront tenus de les appliquer que s’ils le veulent
bien. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ces deux libertés se soient limitées aux textes. Une libre
circulation des personnes, lorsqu’elle est effective, s’accompagne nécessairement de la libre circulation des
capitaux.

SECTION II : LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX


La libre circulation des capitaux est une des conditions d’exercice des autres libertés et recouvre en réalité les
deux aspects que sont la libération des paiements et la liberté des investissements. La réglementation de la
CEDEAO prend en compte ces deux types de mouvements de capitaux.

§.1 La libéralisation des paiements


L’article 51 (c) du Traité révisé dispose que les Etats s’engagent à « faciliter la libéralisation des paiements des
transactions intra-régionales et, comme mesure intérimaire, assurer la convertibilité limitée des monnaies ». Ce
n’est donc pas une liberté totale de convertibilité ; la durée de la période intérimaire n’est pas précisée non plus.
Une décision avait déjà été signée en 1992 par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement visant à
permettre l’utilisation des monnaies locales par les citoyens de la Communauté pour effectuer des paiements des
services rendus pendant les voyages, notamment les taxes d’aéroport, les factures d’hôtel et les billets d’avion17.
Elle interdit en matière de paiement, des discriminations fondées sur la nationalité. En d’autres termes, on ne peut
exiger des citoyens de la Communauté une monnaie autre que celle exigée des nationaux pour effectuer des
paiements. Par exemple, si un Burkinabè se rendait au Nigeria, il ne peut être exigé de lui autre monnaie que le
naira pour effectuer les opérations ci-dessus évoquées. Cette décision vise certainement à dispenser les citoyens
de l’exigence, dans certains pays, des devises étrangères pour certains paiements. Dans le même souci de
faciliter les paiements intra-communautaires, il a été créé et lancé, à compter du 1 er juillet 1999, un chèque de
voyage CEDEAO. Ce chèque vise à favoriser les transactions commerciales dans la Communauté. Sa délivrance
aux particuliers est confiée aux banques. Il s’agit donc de mesures transitoires en attendant la mise en place
d’une monnaie unique.

§.2 La liberté des investissements


Les mouvements de capitaux liés aux investissements (mesures d’accompagnement du droit d’établissement)
sont régis par le Protocole de Banjul du 29 mai 1990 organisant justement le droit d’établissement. Aux termes
de son article 10, paragraphe 1, « en ce qui concerne les mouvements de capitaux liés aux investissements et
les paiements courants, les Etats Membres s’abstiennent de prendre, dans le domaine des opérations de change,
des mesures qui seront incompatibles avec leurs obligations résultant de l’application du présent protocole et
d’autres dispositions communautaires antérieures dont notamment le Protocole A/P/11/84 du 23 novembre 1984
de la Conférence relatif aux entreprises communautaires ». Ce dernier protocole organise la libre circulation des
capitaux liés à l’exercice et à la cessation d’activités des entreprises communautaires. Il s’agit notamment du
transfert des fonds pour les paiements à effectuer dans le cadre normal des transactions commerciales ; du
transfert du capital y compris les intérêts et les dividendes dans les pays d’origine des actionnaires et des

17
Décision C/DEC.1/12/92 signée à Abuja le 5 décembre 1992 ; Rec. PCD, p. 278.
6
créanciers de l’entreprise communautaire en cas de cession ou de liquidation de cette dernière ; du transfert des
bénéfices, sous réserve des retenues nécessaires au réinvestissement, à l’entretien et à l’amortissement des
installations ainsi qu’au paiement de toutes taxes dues par l’entreprise communautaire ; du transfert en vue du
paiement du principal, des intérêts et de toutes autres charges financières lorsqu’un prêt a été accordé à
l’entreprise communautaire par un non résident conformément aux conditions du contrat de prêt ; du transfert des
honoraires et autres charges supportés par l’entreprise communautaire dans le cadre de ses opérations ordinaires
en dehors du lieu principal de ses activités18.
Au plan institutionnel, il faut noter que le traité révisé prévoit la création d’un comité chargé des questions relatives
aux capitaux. Ce comité est composé d’un représentant de chacun des Etats membres. Il a pour fonction de
veiller et de faciliter la libre circulation des capitaux dans la Communauté aussi bien au niveau des paiements,
des investissements que des échanges sur les marchés de capitaux. Il doit aussi encourager la création de ces
marchés financiers, qu’ils soient nationaux ou régionaux, en assurant leur coordination19. L’exception au principe
de libre circulation des capitaux, nous l’avons déjà mentionné, est une clause de sauvegarde prévue à l’article,
10 paragraphe 2, du Protocole de Banjul sur le droit d’établissement.

18
Voir article 16 §5 du A/P/11/84 du 23 novembre 1984, Rec. PCD, p. 222.
19
Article 53 du Traité révisé sur le Comité des questions relatives aux capitaux.
7

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