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de Rennes
Espace et rapports de domination | Anne Clerval, Antoine
Fleury, Julien Rebotier, et al.
Le féminisme
matérialiste, une
analyse du
patriarcat comme
système de
domination
autonome
Anne Clerval and Christine Delphy
p. 217-229
Full text
1 Dans le cadre d’une réflexion sur la place de l’espace dans les
rapports de domination, il importe de revenir sur la pluralité
des rapports de domination. On oppose souvent en effet
l’approche marxiste du capitalisme et des rapports de classe
et les autres rapports de domination, mis en évidence
ultérieurement, que sont les rapports sociaux de race et de
sexe. Cette opposition est fondée sur deux arguments : d’un
côté, l’analyse des rapports de classe les a longtemps pensés
(et continue de le faire parfois) comme hégémoniques et
déterminants en dernière instance, les autres rapports de
domination étant pensés comme des dérivés des premiers.
Cette vision des choses fait pendant aux stratégies politiques
de lutte, liées à l’histoire du mouvement ouvrier, dont la
lutte anticapitaliste a longtemps été la colonne vertébrale, les
luttes de libération des femmes ou les revendications des
étrangers étant d’abord vues comme une division de la classe
ouvrière. Mais d’un autre côté, même en voulant au
contraire montrer l’importance des ces luttes non
directement anticapitalistes, on oppose souvent la
domination de classe, qui serait matérielle (ou économique),
et les autres dominations, qui seraient culturelles et dont on
oublie ainsi la base matérielle.
2 C’est pourquoi nous avons voulu faire connaître aux
géographes une approche féministe matérialiste, dont les
apports sont à la fois heuristiques et politiques. Cette
approche, développée en particulier par Christine Delphy,
mais aussi par d’autres chercheuses françaises ou
étatsuniennes1, montre que la hiérarchie de genre relève
d’abord, comme toutes les hiérarchies, d’une domination
économique et plus largement matérielle. Cette approche
féministe matérialiste proposa aussi une déconstruction
radicale du genre et du sexe, bien avant les théories queer, et
paraît peu ou mal connue en géographie. Ainsi, dans son
ouvrage sur les pratiques de l’espace des femmes à
Bordeaux, Guy Di Méo (2011) assimile les féministes
matérialistes aux féministes essentialistes auxquelles elles
s’opposent pourtant complètement. Le féminisme
matérialiste est en effet résolument constructiviste : il
montre comment les catégories de femmes et d’hommes sont
socialement construites. Mais que ces catégories soient
construites ne signifie pas qu’on puisse les déconstruire
facilement, et surtout qu’on puisse « sortir »
individuellement de ces catégories, comme le prétendent
certaines théories post-modernes ou queer. Car ces
catégories ne reposent pas sur une lubie culturelle des
sociétés mais font partie d’une structure sociale entière,
comportant des aspects économiques, juridiques et
politiques, dont chacun doit être changé et ne peut l’être
qu’au terme d’une longue lutte collective. Forgée par des
chercheuses féministes de la deuxième vague2, l’approche
féministe matérialiste s’inscrit pleinement dans un
mouvement politique (Delphy, 1975). Dans le courant des
années 1960 aux États-Unis et au tournant des années 1970
en France, la deuxième vague féministe porte des
revendications radicales, remettant en cause le système
d’oppression des femmes, qui dépasse la seule « inégalité
des droits ». C’est dans un contexte de pensée polarisé par le
marxisme (et ses interprétations plus ou moins rigides)
qu’est né le Mouvement de libération des femmes (MLF) en
1970 et l’analyse du patriarcat comme système de
domination autonome désigné la même année comme
« l’ennemi principal » (Delphy, 1970). Le féminisme
matérialiste ou radical est aussi un courant qui traverse le
MLF et se distingue à la fois du féminisme réformiste (qui
continue de lutter principalement pour l’égalité des droits,
c’est-à-dire l’égalité formelle devant la loi), du féminisme
lutte de classes (qui subordonne la lutte des femmes à la
lutte anticapitaliste), et du féminisme différentialiste ou
essentialiste, qui finit par s’opposer à tous les autres et à se
définir pour ce qu’il est : antiféministe3.
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Références bibliographiques
Clerval A., Brunner P., « Des lieux aux pratiques de
l’espace lesbien », A. Alessandrin, Y. Raibaud (dir.),
Géographie des homophobies, Paris, Armand Colin, 2013,
p. 25-43.
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Dorlin E., Sexe, genre et sexualités, Paris, Presses
universitaires de France, 2008.
DOI : 10.3917/puf.dorli.2008.01
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Notes
1. En France, les chercheuses qui ont élaboré cette approche sont
principalement Christine Delphy, Colette Guillaumin, Nicole Claude-
Mathieu, Paola Tabet et Monique Wittig.
2. La première vague féministe date de la fin du XIXe siècle et du début
du XXe siècle. On en a surtout retenu le mouvement des suffragettes
pour le droit de vote des femmes, mais ce mouvement concernait aussi
les conditions matérielles d’existence des femmes.
3. Ce courant est principalement représenté par le groupe Psychanalyse
et politique, fondé par Antoinette Fouque en 1968 et faisant partie des
premiers groupes à converger pour former le MLF en 1970. Il milite pour
les droits des femmes au nom d’une spécificité féminine qu’il s’agirait
seulement de revaloriser après des siècles de dédain. Les fondements
essentialistes de l’approche de Psych et Po ont conduit ce groupe à
s’opposer complètement aux féministes matérialistes, au point de se
nommer lui-même antiféministe à partir de 1973, défendant comme un
enjeu de civilisation la différence des sexes.
4. Tous types d’emploi confondus, les femmes gagnent 27 % de moins
que les hommes. Le salaire horaire des femmes est inférieur de 14 % aux
hommes. Et toutes choses égales par ailleurs, un écart de 10 % reste
inexpliqué (« Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes »,
Dares Analyses no 16, ministère du Travail, mars 2012).
5. Le viol conjugal est reconnu par la loi depuis deux arrêts de la Cour de
Cassation en 1990 et en1992. Depuis 2006, c’est même une circonstance
aggravante.
6. L’exploitation consiste en une extorsion de la plus-value par le patron,
elle se mesure par l’écart entre la valeur produite par un salarié et son
salaire.
7. Mais pas nécessairement suffisante, voir Ferrand A., « La “libération
sexuelle” est une guerre économique d’occupation », Genre, sexualité et
société, 3, printemps 2010, mis en ligne le 18 mai 2010.
8. Voir par exemple les travaux de Rachele Borghi, Marianne Blidon,
Nadine Cattan, Boris Grésillon, Emmanuel Jaurand ou Stéphane Leroy.
Author(s)
Anne Clerval
Enseignante-chercheuse en
géographie, université Paris-Est
Marne-la-Vallée (ACP – Analyse
comparée des pouvoirs).
By the same author
Espace et rapports de
domination, Presses
universitaires de Rennes, 2015
Introduction in Espace et
rapports de domination,
Presses universitaires de
Rennes, 2015
Introduction in Espace et
rapports de domination,
Presses universitaires de
Rennes, 2015
Christine Delphy
Chercheuse émérite en sociologie,
CNRS.
© Presses universitaires de Rennes, 2015