Vous êtes sur la page 1sur 2

5/1/23, 11:00 AM Le Monde

Intelligence artificielle, la bataille des pionniers

TALI RANDALL

Claire Legros

Précurseurs des réseaux de neurones artificiels, Yann Le Cun et Yoshua Bengio


portent des regards opposés sur les enjeux éthiques que soulèvent les applications
d’IA

C
es deux-là sont amis dans la vie et ont longtemps fréquenté les mêmes laboratoires, depuis l’époque où
ils travaillaient au sein du Bell Labs d’AT & T dans le New Jersey (Etats-Unis), dans les années 1980. Leur
intérêt pour les réseaux de neurones artificiels était alors moqué par la communauté scientifique, qui
les considérait comme les « doux dingues » du deep learning, ou apprentissage profond, cette
technologie qui permet désormais à des systèmes d’intelligence artificielle d’apprendre à classer des
mots ou des images grâce à des milliards de données pour répondre aux questions qui leur sont posées.

Le Français Yann Le Cun et le Québécois Yoshua Bengio ont depuis été récompensés, aux côtés du Canadien
Geoffrey Hinton, par le prix Turing 2018 (considéré comme le Nobel de l’informatique) « pour leurs percées
conceptuelles et techniques qui ont fait des réseaux neuronaux profonds une composante essentielle de
l’informatique ». Leurs chemins professionnels se sont séparés, mais ils restent des « amis proches », dit Yann Le
Cun.

Yoshua Bengio, défenseur opiniâtre de la recherche publique, enseigne à l’université de Montréal, où il a fondé le
MILA, l’institut québécois d’intelligence artificielle, qui accueille des chercheurs du monde entier. Il a été l’un des
maîtres d’œuvre, en 2018, de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence
artificielle (IA).

Yann Le Cun a rejoint, en 2013, la maison mère de Facebook, Meta, où il dirige le laboratoire FAIR (Facebook AI
Research), dont une antenne est implantée à Paris. Titulaire de la chaire Informatique et sciences numériques au
Collège de France (2015-2016), il a publié Quand la machine apprend, réédité en avril (Odile Jacob, 400 pages,
11,50 euros).

Depuis que l’agent conversationnel ChatGPT a créé la surprise en répondant de façon impressionnante – mais pas
toujours fiable – à toutes sortes de questions, les deux chercheurs s’opposent sur les enjeux éthiques de ces
nouveaux outils. Quand Yoshua Bengio considère que ChatGPT « passe haut la main le test de Turing », et réclame
une pause dans le déploiement de ces systèmes, Yann Le Cun estime, au contraire, que l’outil n’est « pas
révolutionnaire » et qu’« il faut accélérer (…) pour que ces technologies fonctionnent de façon plus fiable et
puissent servir au bien commun ».

Le premier a signé la lettre ouverte de l’Institut Future of life qui, le 22 mars, réclamait un moratoire de six mois
pour « développer et mettre en œuvre un ensemble de protocoles de sécurité », tout en précisant qu’il ne partage

https://journal.lemonde.fr/data/2872/reader/reader.html?t=1682931537007#!preferred/0/package/2872/pub/4030/page/24/alb/166219 1/2
5/1/23, 11:00 AM Le Monde

pas la vision « long-termiste » de ceux qui l’ont rédigée (le long-termisme est un courant de pensée qui donne la
priorité à l’amélioration de l’avenir à long terme de l’humanité au détriment du présent). Pour le second, vouloir
ralentir la recherche relève de l’obscurantisme : c’est en progressant dans les connaissances sur l’IA que l’on
pourra garder la main, même si des réglementations sont nécessaires.

Quand l’un s’inquiète, l’autre s’enthousiasme. A la croisée de l’éthique des sciences, de l’économie et du politique,
leur débat met en lumière les enjeux cruciaux de gouvernance de l’IA, alors que le développement d’applications,
telles que ChatGPT, est aujourd’hui réservé à une poignée d’entreprises, seules capables de mettre en œuvre la
puissance de calcul nécessaire. Faut-il s’inquiéter du risque de ces outils pour la démocratie ? Comment les
réguler ? Si leur analyse diffère sur de nombreux sujets, les deux chercheurs s’accordent néanmoins sur un point :
l’IA pourra sans doute un jour égaler l’intelligence humaine et ressembler aux mécanismes de la conscience. Ils
s’en expliquent.

https://journal.lemonde.fr/data/2872/reader/reader.html?t=1682931537007#!preferred/0/package/2872/pub/4030/page/24/alb/166219 2/2

Vous aimerez peut-être aussi