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réussir à régler la température de la douche d’un hôtel, à utiliser une télévision ou une
plaque de cuisson sans consulter la notice. À ce propos, dès la première publication de
cet ouvrage, en 1988, Don Norman expliquait avec un ton provocateur que le problème
n’est pas en nous et ne vient pas de nous, mais qu’il provient d’une conception qui
ignore les besoins et la psychologie des personnes.
Les mauvaises conceptions sont légion, mais on peut heureusement y remédier
aisément en créant des objets faciles à prendre en main. Cette édition, soigneusement
révisée et (enfin) traduite en français, rappelle les principes intemporels de la
psychologie qui vous donneront les clés pour élaborer des objets adaptés à leurs
utilisateurs. Vous comprendrez enfin pourquoi certains produits sont si satisfaisants
alors que d’autres ne peuvent que décevoir.
Résumé
Avec le temps, la psychologie des gens reste la même, mais les objets et
les outils autour changent. Les cultures changent. Les technologies
changent. Les principes de conception tiennent toujours, mais la façon
dont ils sont appliqués doit être modifiée pour prendre en compte les
nouvelles activités, technologies et méthodes de communication et
d’interaction. The Psychology of Everyday Things était appropriée pour le
XXe siècle : Design des objets du quotidien l’est pour le XXIe.
Don Norman
Silicon Valley, Californie
www.jnd.org
Table des matières
CHAPITRE 1
Psychopathologie des objets du quotidien
La complexité des appareils modernes
Conception centrée utilisateur
Principes fondamentaux de l’interaction
Affordances
Signifiants
Affordances et signifiants : une conversation
Mapping
Feedbacks
Modèles conceptuels
L’image système
Le paradoxe de la technologie
Le défi de la conception
CHAPITRE 2
La psychologie des actions quotidiennes
Le fossé entre l’exécution et l’évaluation
Les sept étapes de l’action
La pensée humaine : essentiellement subconsciente
Cognition humaine et émotion
Le niveau viscéral
Le niveau comportemental
Le niveau réflexif
La conception doit prendre en compte tous les niveaux : viscéral,
comportemental et réflexif
Les sept niveaux d’action et les trois niveaux de traitement
Se raconter des histoires
Accuser à tort
Impuissance acquise
Psychologie positive
Se blâmer faussement
Comment accommoder la technologie au comportement humain
Fournir un modèle conceptuel pour un thermostat
Saisir des dates, des horaires et des numéros de téléphone
Les sept principes fondamentaux de la conception
CHAPITRE 3
Le savoir dans notre mémoire et dans le monde
Comportement précis et savoir imprécis
Connaissance extérieure
Quand la précision est nécessaire de façon inattendue
Les contraintes simplifient la mémoire
La structure de la mémoire
Mémoire à court terme ou mémoire de travail
Mémoire à long terme
Les souvenirs pour les choses arbitraires et les choses importantes
Modèles approximatifs : la mémoire dans le monde réel
Exemple 1 – Convertir des températures entre degrés Fahrenheit et
Celsius
Exemple 2 – Modèle de la mémoire à court terme
Exemple 3 – Diriger une moto
Exemple 4 – Arithmétique « suffisante »
La théorie scientifique contre la pratique quotidienne
La connaissance intérieure
Comment les pilotes se souviennent de ce que leur disent les
contrôleurs aériens
Se rappeler : la mémoire prospective
L’échange entre les connaissances extérieure et intérieure
La mémoire dans plusieurs esprits, plusieurs appareils
Le mapping naturel
Le mapping varie en fonction de la culture
CHAPITRE 4
Savoir quoi faire : contraintes, découvrabilité et
feedback
Quatre types de contraintes : physiques, culturelles, sémantiques
et logiques
Contraintes physiques
Contraintes culturelles
Contraintes sémantiques
Contraintes logiques
Normes culturelles, conventions et standards
Appliquer des affordances, des signifiants et des contraintes aux
objets du quotidien
Le problème avec les portes
Le problème des interrupteurs
Commandes centrées sur l’activité
Contraintes qui forcent le comportement souhaité
Systèmes anti-erreur
Interlock
Lock-in
Lockout
Conventions, contraintes et affordances
Les conventions sont des contraintes culturelles
Quand les conventions changent : le cas des ascenseurs à gestion
de destination
Réactions aux changements de convention
Le robinet : un cas de conception
Utiliser le son comme signifiant
Quand le silence tue
CHAPITRE 5
Erreur humaine ? Non, mauvaise conception
Comprendre l’origine des erreurs
Analyse de la cause originelle
Les cinq pourquoi
Dépassements délibérés
Deux types d’erreurs : les ratés et les méprises
Définitions : erreurs, ratés et méprises
Ratés
Méprises
L’erreur et les sept étapes de l’action
La classification des ratés
Ratés de capture
Ratés de description similaire
Ratés dus à une défaillance de la mémoire
Ratés dus à une erreur de mode
La classification des méprises
Méprises fondées sur la règle
Méprises dues à la connaissance
Méprises dues à des défaillances de la mémoire
Pressions sociales et institutionnelles
Checklist
Rapporter les erreurs
Étude de cas : Jidoka, comment Toyota gère les erreurs
Poka-yoke : protection contre les erreurs
Système de rapport de la NASA
Détecter les erreurs
Expliquer les méprises
Le cas d’une erreur sur l’autoroute
Après coup, les événements semblent logiques
Concevoir pour l’erreur
Tirer des leçons de l’étude des erreurs
Ajouter des contraintes aux erreurs de blocage
Annuler
Confirmation et message d’erreur
Contrôle de la sensibilité
Minimiser les ratés
Le Swiss cheese model ou comment les erreurs conduisent aux
accidents
Quand une bonne conception ne suffit pas
Quand les personnes sont vraiment fautives
Ingénierie de la résilience
Le paradoxe de l’automatisation
Principes de conception pour traiter les erreurs
CHAPITRE 6
Design Thinking
Résoudre le bon problème
Le modèle de conception à double-diamant
Le processus centré utilisateur
Observation
Conception vs marketing
Génération d’idées
Prototypage
Test
Itérations
Conception centrée sur l’activité vs centrée utilisateur
La différence entre les tâches et les activités
Conception itérative vs étapes linéaires
Qu’est-ce que je viens de dire ? Cela ne fonctionne pas vraiment de
cette façon
La loi Don Norman de développement de produit
Le défi de la conception
Les produits ont des besoins conflictuels
Conception pour des personnes spéciales
Le problème de la stigmatisation
La complexité est bonne, c’est la confusion qui est mauvaise
Normalisation et technologie
Établir des normes
Illustration de la nécessité d’une norme
Une norme trop longue à venir, la technologie l’écrase
Une norme jamais adoptée : l’heure décimale
Rendre délibérément les choses difficiles
Conception : développer la technologie pour les gens
CHAPITRE 7
Conception dans le monde de l’entreprise
Forces en compétition
Fontionnalitite : une mortelle tentation
Les nouvelles technologies forcent le changement
Quel est le délai pour introduire un nouveau produit ?
Vidéophone : créé en 1879, toujours inexistant
Le long processus du développement du clavier de machine à
écrire
Deux formes d’innovation : incrémentale et radicale
Innovation incrémentale
Innovation radicale
Le design des objets du quotidien : 1988-2038
Avec le changement technologique, les personnes restent-elles
identiques ?
Ce qui nous rend intelligent
Le futur du livre
L’obligation morale de la conception
Fonctions inutiles, modèles inutiles : bon pour les affaires, mauvais
pour l’environnement
Design Thinking and Thinking about design
L’ascension des petits
Le monde change, alors qu’est-ce qui reste immuable ?
Notes générales
Lectures générales
Chapitre 1 – Étude des objets du quotidien
Chapitre 2 – La psychologie des actions quotidiennes
Chapitre 3 – Le savoir dans notre mémoire et dans le monde
Chapitre 4 – Savoir quoi faire : contraintes, découvrabilité et
feedback
Chapitre 5 – Erreur humaine ? Non, mauvaise conception
Chapitre 6 – Design Thinking
Chapitre 7 – Conception dans le monde de l’entreprise
Index
1
Psychopathologie des objets
du quotidien
Faites une recherche sur le Web avec les mots-clés « Norman doors » en utilisant
les guillemets.
La conception d’une porte doit indiquer comment l’utiliser sans qu’il soit
nécessaire d’ajouter des explications pour éviter de multiples tentatives
d’ouverture.
Un ami m’a raconté qu’il s’est retrouvé coincé dans l’entrée d’un bureau
de poste d’une ville européenne. Cette entrée était composée de deux
séries successives de six imposantes portes battantes. C’est une installation
standard pour réduire la quantité d’air qui entre dans le bâtiment et ainsi en
maintenir la température. Il n’y avait pas d’huisserie visible et il paraissait
évident que les portes pouvaient s’ouvrir dans les deux sens ; il suffisait de
pousser le côté de l’une d’elles pour entrer.
Mon ami est entré dans le bâtiment en poussant l’une des portes, mais
avant qu’il atteigne la deuxième série, il a été distrait et s’est retourné un
instant. Il ne l’a pas réalisé sur le coup, mais il s’est légèrement déplacé
vers la droite. Quand il est arrivé à la porte suivante, il l’a poussée et rien
ne s’est produit. Il a alors pensé qu’elle était verrouillée et a poussé le bord
de la porte adjacente. Rien. Intrigué, il a décidé de ressortir ; il s’est encore
retourné et a poussé devant lui. Rien ; la porte par laquelle il était entré ne
fonctionnait plus. Il s’est retourné pour essayer à nouveau la porte
intérieure ; toujours rien. Il commençait à s’inquiéter et à sentir la panique
arriver. Il était enfermé. C’est alors qu’un groupe est sorti du bâtiment et a
passé les deux rangées de portes. Mon ami s’est empressé de le suivre.
Comment cela peut-il se produire ? Une porte battante a deux côtés : un
qui est supporté par le pilier et les gonds et l’autre qui n’est pas rattaché.
Pour ouvrir la porte, vous poussez ou tirez le côté libre. Si vous le faites du
côté des gonds, rien ne se passe. En ce qui concerne mon ami, le
concepteur des portes préférait la beauté à l’utilité. Il n’y avait aucune
ligne, aucun pilier et aucun gond visible. Par conséquent, comment un
utilisateur lambda peut-il savoir quel est le côté à pousser ? Quand il a été
distrait, mon ami s’est déplacé devant le pilier (invisible) et, donc, il
poussait les portes du côté des gonds. De jolies portes stylées qui ont sans
doute obtenu un prix pour leur design.
Les deux plus importantes caractéristiques d’une bonne conception sont la
découverte et la compréhension. On doit pouvoir découvrir quelles actions
sont possibles et comment les réaliser. On doit également comprendre la
fonction du produit, comment l’utiliser et comment se servir des
différentes commandes et des différents paramètres.
Les portes citées en exemple illustrent le problème de la découverte. Qu’il
s’agisse d’une porte, d’une cuisinière, d’un téléphone mobile ou d’une
centrale nucléaire, les éléments essentiels doivent être visibles et
communiquer le bon message : quelles sont les actions possibles et
où/comment doit-on les effectuer ? En ce qui concerne des portes
battantes, le concepteur doit indiquer, de façon naturelle, où pousser. Cela
ne signifie pas qu’il faut sacrifier l’esthétique. Il suffit d’installer un
plateau vertical sur le côté à pousser. On peut aussi rendre les piliers
visibles. Les plateaux verticaux et les piliers sont des indications
naturelles, facilement interprétables ; il n’est pas nécessaire d’ajouter de
label.
Avec les produits complexes, la découverte et la compréhension de ces
derniers nécessitent un apprentissage personnel ou l’utilisation de
manuels. C’est acceptable si le produit est vraiment complexe, mais ça ne
l’est pas pour des objets simples du quotidien. Certains produits sont
difficilement compréhensibles parce qu’il y a trop de fonctions et de
commandes. Je ne pense pas que les produits de la maison (cuisinière,
lave-linge, téléviseur et HI-FI) doivent ressembler au poste de commande
d’un vaisseau tout droit sorti des studios d’Hollywood. Ce qui, hélas, est
déjà le cas. Devant un ensemble déroutant de commandes et d’afficheurs,
nous mémorisons seulement un ou deux réglages prédéfinis qui
s’approchent de ce que l’on souhaite.
En Angleterre, j’ai visité une maison équipée d’un nouveau lave-
linge/sèchelinge italien. Il était équipé de commandes arborant de
nombreux symboles et il était capable de faire tout ce que l’on peut
imaginer avec un appareil qui lave et sèche le linge. Le mari (un
ergonome) disait qu’il refusait de s’en approcher. La femme (une
physicienne) disait qu’elle avait simplement mémorisé un réglage et
ignorait tout le reste. J’ai demandé à voir le manuel et il était aussi
déroutant que l’appareil. L’objectif principal de la conception est anéanti.
Design d’expérience
Design industriel Il s’agit des zones de concentration.
Design d’interaction
Conception centrée utilisateur Le processus qui assure que la conception
respecte les besoins et les capacités des
personnes concernées.
Affordances
Nous vivons dans un monde rempli d’objets ; beaucoup sont naturels,
d’autres artificiels. Tous les jours, nous voyons des milliers d’objets et
nous en découvrons beaucoup. Certains se ressemblent, mais d’autres sont
uniques et nous parvenons tout de même à les maîtriser. Comment faisons-
nous ? Pourquoi estce courant avec de nombreux objets fabriqués par
l’homme ? La réponse est assez simple : grâce à certains principes de
bases et en particulier à l’affordance.
L’affordance fait référence à la relation entre un objet physique et une
personne (ou, en ce qui nous concerne, n’importe quel agent qui interagit,
qu’il s’agisse d’un animal, d’un humain, d’une machine ou d’un robot).
L’affordance décrit la relation entre les propriétés d’un objet et les
capacités de l’agent à déterminer comment l’objet peut être utilisé. Une
chaise permet de soutenir (elle a l’affordance) ; par conséquent, elle
permet de s’asseoir. Pour la plupart, les chaises peuvent être transportées
par une seule personne (elles permettent le transport) ; toutefois, certaines
chaises ne peuvent l’être que par une personne musclée ou par un groupe.
Si une personne frêle n’est pas capable de déplacer une chaise, alors, pour
cette personne, la chaise n’offre pas l’affordance d’être déplacée.
L’affordance est directement liée à la qualité de l’objet et aux capacités de
l’agent qui interagit. Cette définition relationnelle pose des problèmes à de
nombreuses personnes. Nous avons l’habitude de penser que les propriétés
sont associées aux objets, mais l’affordance n’est pas une propriété ; il
s’agit d’une relation. Le fait que l’affordance existe dépend aussi bien de
l’objet que de l’agent.
Une vitre offre la transparence. En même temps, sa structure physique
empêche le passage d’un grand nombre d’objets. Par conséquent, le verre
a l’affordance de laisser voir à travers tout en empêchant le passage de
l’air ou d’objets physiques (hormis les particules). Ce dernier point
pourrait être considéré comme une anti-affordance, l’empêchement de
l’interaction. Pour être efficaces, les affordances et les anti-affordances
doivent être « découvrables » et perceptibles. Cela pose un problème avec
le verre. Si nous aimons ce matériau, c’est qu’il offre une relative
invisibilité. Toutefois, cet aspect très utile pour une fenêtre cache aussi
l’anti-affordance du passage ; par conséquent, les oiseaux tentent parfois
de passer à travers les fenêtres. De plus, tous les ans, de nombreuses
personnes se blessent en se cognant dans des portes en verre. Si une
affordance ou une anti-affordance n’est pas perçue, il est nécessaire de
signaler sa présence par ce que j’appelle les signifiants (présentés dans la
section suivante).
J.J. Gibson est à l’origine de la notion d’affordance et des informations
qu’elle fournit. Cet éminent psychologue a permis de nombreuses
avancées sur la compréhension de la perception humaine. J’ai été en
contact avec lui pendant de nombreuses années, parfois de manière
formelle dans des séminaires mais, la plupart du temps, de façon
fructueuse autour de bouteilles de bière, tard le soir, simplement à discuter.
Nous n’étions pratiquement jamais d’accord. J’étais un ingénieur devenu
psychologue cognitif et j’essayais de comprendre le fonctionnement du
cerveau. Lui a commencé comme psychologue gestaltiste, puis a
développé une méthode qui porte aujourd’hui son nom, une approche
écologique de la perception. Selon lui, le monde contient des pistes que les
gens peuvent suivre à l’aide de la « perception directe ». Pour moi, au
contraire, rien ne peut être direct : le cerveau doit traiter l’information qui
arrive aux organes sensoriels afin d’obtenir une interprétation cohérente.
« Non-sens », me rétorque-t-il, « il n’est pas nécessaire d’interpréter ; la
perception est directe ». Puis il porte ses mains à ses oreilles, la mine
triomphante, déconnecte ses appareils auditifs et mes contre-arguments
tombent, au sens propre, dans l’oreille d’un sourd.
Lorsque je réfléchis à ma question – de quelle manière les gens savent
comment agir face à une situation nouvelle –, je réalise qu’une grande
partie de la réponse se trouve dans le travail de Gibson. Il a mis en avant le
fait que tous les sens fonctionnent ensemble et que nous récupérons
l’information sur le monde en combinant leurs résultats. Gibson pensait
que la récupération d’informations combinées de tous nos sens (vue, ouïe,
odorat, toucher, équilibre, kinesthésie, accélération, position du corps)
détermine nos perceptions sans qu’un traitement interne ou une
connaissance soit nécessaire. Même si nous n’étions pas d’accord sur le
rôle du traitement par le cerveau, son génie a été de porter l’attention sur la
grande quantité d’informations présentes dans le monde. De plus, les
objets physiques transmettent de nombreuses informations sur la manière
dont on peut interagir avec eux ; c’est une propriété que l’on appelle
affordance.
Les affordances existent même si elles ne sont pas visibles. Pour les
concepteurs, la visibilité est essentielle puisque des affordances visibles
donnent des pistes solides pour le bon fonctionnement d’un objet. Les
boutons de porte peuvent être tournés, poussés et tirés. Les fentes
permettent d’insérer quelque chose. Les balles se jettent et rebondissent.
La perception des affordances aide les gens à découvrir les actions
possibles sans qu’il soit nécessaire d’afficher des consignes d’utilisation.
Les affordances sont signalées par ce que je nomme les signifiants.
Signifiants
Est-ce que les affordances sont importantes pour les concepteurs ? La
première édition de cet ouvrage a introduit le terme affordance dans le
monde du design. La communauté des designers a aimé le concept au
point qu’il s’est diffusé dans les cours et les articles traitant de design. J’ai
rapidement vu le terme mentionné partout, hélas, pas toujours à bon
escient.
De nombreuses personnes ont du mal à comprendre le concept
d’affordance parce qu’il définit des relations et non des propriétés. Les
concepteurs gèrent des propriétés bien définies et sont tentés de dire
qu’une propriété est une affordance. Toutefois, ce n’est pas le seul
problème.
Les concepteurs font face à des problèmes pratiques. En effet, ils doivent
concevoir un élément en faisant en sorte qu’il soit compris par tout le
monde. Ils ont par exemple découvert que lorsqu’ils travaillaient sur la
conception graphique d’un écran, il était nécessaire de trouver comment
indiquer les parties qui pouvaient être touchées, qui pouvaient glisser vers
le haut, le bas ou sur les côtés ou sur lesquelles on pouvait appuyer, toutes
ces actions étant réalisables avec une souris, un stylet ou les doigts.
Certains systèmes répondaient au mouvement du corps, aux gestes ou à la
parole, sans qu’il soit nécessaire de toucher l’appareil. Comment les
concepteurs pouvaient-ils décrire ce qu’ils faisaient ? Il n’y avait pas de
mot pour expliquer leur démarche, d’où le choix du mot existant le plus
proche : « affordance ». Sauf que non, pour moi, il ne s’agit pas
d’affordance mais d’un moyen d’indiquer où l’on peut toucher.
L’affordance de toucher existe sur la totalité de l’écran alors qu’ici on se
contente d’indiquer où il faut toucher, et non pas quelle action est possible.
Non seulement mon explication ne convenait pas à la communauté de
concepteurs, mais je n’en étais moi-même pas satisfait. J’ai fini par
abandonner : les concepteurs voulaient un mot pour décrire ce qu’ils
faisaient, et ils ont choisi le mot « affordance ». Quelle autre option
avaient-ils ? J’ai donc décidé d’offrir une meilleure réponse :
« signifiants » (signifiers). Les affordances déterminent les actions
possibles tandis que les signifiants indiquent à quel endroit l’action doit
être réalisée. Nous avons besoin des deux termes.
Il est nécessaire d’avoir un moyen de comprendre le produit ou le service
que l’on souhaite utiliser, d’avoir une indication sur son utilité, ce qu’il
produit et les actions qui sont réalisables. On recherche toujours des
indices, des indications qui permettraient de se débrouiller et de
comprendre. Le travail des concepteurs est de les mettre en place. Ce qu’il
nous faut et que les concepteurs doivent nous donner, ce sont des
signifiants car leur rôle est, entre autres, de communiquer correctement la
finalité, la structure et le fonctionnement de l’appareil.
Le terme « signifiant » a un long et illustre passé dans le champ de la
sémiotique, l’étude des signes et des symboles. De la même manière que
je me suis approprié « affordance » pour l’utiliser dans le domaine du
design – en lui donnant une signification autre que celle prévue par son
créateur –, j’emploie « signifiant » d’une manière différente de celle
adoptée en sémiotique. Pour moi, ce terme fait référence à n’importe
quelle marque ou son, à n’importe quel indicateur visible qui communique
le comportement correct.
Les signifiants sont souvent ajoutés délibérément, comme avec
l’indication « Poussez » sur une porte. Ils sont également parfois
accidentels, par exemple lorsque le meilleur chemin à suivre sur un terrain
enneigé est indiqué par les traces laissées par des passages précédents. On
peut également s’appuyer sur la présence ou l’absence de personnes
attendant sur un quai de gare pour savoir si nous avons raté le train.
Figure 1–2 Problème de porte : des signifiants sont nécessaires. Le matériel qui
soutient la porte peut indiquer s’il faut pousser ou tirer, sans ajouter d’indication.
Toutefois, la conception des deux portes montrées dans la photo A les rend identiques,
même si l’une doit être poussée et l’autre tirée. La barre horizontale laisse penser qu’il
faut pousser les portes. En revanche, la signalisation indique que celle de gauche se
tire et celle de droite se pousse. Dans les photos B et C, il n’y a ni matériau, ni
affordances de visibles. Comment savoir quel côté pousser ? En testant et en se
trompant. Lorsque des signifiants externes (des indications) doivent être ajoutés à
quelque chose d’aussi simple qu’une porte, on peut dire que la conception est
mauvaise. Photographies de l’auteur.
Les affordances, celles que l’on perçoit, et les signifiants ont beaucoup en
commun. Faisons le point pour être certain que tout est clair pour vous.
Les affordances représentent toutes les possibilités permettant à un agent
(une personne, un animal ou une machine) d’interagir avec quelque chose.
Certaines affordances sont perçues et d’autres sont invisibles. Les
signifiants sont des indications qui prennent la forme d’étiquettes ou de
dessins (par exemple avec les instructions « Pousser », « Tirer » ou
« Sortie » sur les portes). On trouve aussi des flèches et des dessins
indiquant ce qui doit être manœuvré et dans quelle direction. N’importe
quelle autre instruction est possible. Certains signifiants sont tout
simplement les affordances que l’on perçoit, comme la poignée d’une
porte ou la nature physique d’un interrupteur. Notez que les affordances
peuvent ne pas être vraies : elles ressemblent par exemple à des portes ou
à des endroits où pousser, mais en réalité ce n’est pas le cas. Il s’agit
d’affordances trompeuses, parfois accidentelles, parfois intentionnelles,
par exemple pour éviter que certaines personnes fassent des actions pour
lesquelles elles ne sont pas qualifiées ou, dans les jeux, lorsque l’un des
défis est de trouver ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.
Figure 1–6 Signifiants sur un écran tactile. Les flèches et les icônes sont des
signifiants. Elles indiquent les actions possibles avec ce guide de restaurant. En
balayant vers la gauche ou la droite, on affiche de nouvelles recommandations. En
allant vers le haut, on obtient le menu du restaurant affiché et, en allant vers le bas, on
voit les amis qui ont recommandé le restaurant.
Mapping
Le mapping est un terme technique, emprunté aux mathématiques, qui
indique la relation entre deux éléments. Supposons de nombreuses lampes
au plafond d’une classe ou d’un auditorium, ainsi qu’une rangée
d’interrupteurs sur le mur de la pièce. Le mapping de ces interrupteurs
indique quel bouton contrôle quelle lampe.
Le mapping est une notion importante pour la conception et la disposition
des commandes et affichages. Lorsqu’il fait correspondre la disposition
des commandes et des appareils, il est facile de comprendre comment
utiliser ces derniers. Avec une voiture, on tourne le volant à droite pour
aller à droite et les roues de devant tournent dans la même direction, ainsi
que la voiture. Notez que l’on aurait pu faire d’autres choix. Au début de
l’automobile, la direction était manœuvrée par de nombreux dispositifs,
dont des barres, des guidons ou des rênes. Aujourd’hui, certains véhicules
utilisent des joysticks, comme dans les jeux vidéo. Avec les véhicules
équipés de barres, la direction fonctionne comme sur les bateaux : il faut
pousser la barre à gauche pour tourner à droite. Les tracteurs, certains
équipements de chantier et les chars militaires utilisent des commandes
séparées pour la vitesse et la direction de chaque chenille ; pour tourner à
droite, la chenille de gauche doit accélérer et celle de droite ralentir, voire
être inversée. C’est aussi de cette manière que l’on dirige un fauteuil
roulant.
Ces mappings pour manœuvrer les véhicules fonctionnent parce qu’ils
imposent un modèle conceptuel indiquant comment les commandes
affectent le déplacement. Par conséquent, il est facile d’imaginer comment
le fauteuil roulant pivote vers la droite, lorsque l’on bloque la roue droite
et que l’on actionne la gauche. Sur un petit bateau, il est simple de
comprendre qu’en poussant la barre vers la gauche, le gouvernail va vers
la droite et que la force de l’eau ralentit le bateau du côté droit, ce qui le
fait pivoter dans cette direction. Peu importe si ces modèles conceptuels
sont précis ; ce qui est important, c’est qu’ils fournissent une méthode
simple pour comprendre le mapping. La relation entre une commande et
son résultat est plus simple à apprendre lorsqu’il y a un véritable mapping
entre les commandes, les actions et le résultat attendu.
Le mapping naturel, c’est-à-dire qui utilise une correspondance spatiale,
aide à comprendre immédiatement. Il s’agit par exemple de presser le
bouton du haut pour déplacer l’objet vers le haut. Pour qu’il soit simple de
déterminer quelle commande correspond à quelle lampe (dans une grande
pièce ou un auditorium), il suffit de placer les interrupteurs en suivant le
même schéma que les lampes. Le mapping naturel peut être culturel ou
biologique, comme avec le standard universel où, lorsque l’on lève la
main, on dit « plus » et, quand on la baisse, on dit « moins ». C’est pour
cela que l’on utilise le déplacement vertical pour représenter l’intensité ou
la quantité. D’autres mappings naturels tirent profit des principes de la
perception en groupant ou en créant un motif avec les commandes et le
résultat. Le regroupement et la proximité sont des principes importants de
la psychologie Gestalt que l’on peut utiliser pour mapper les commandes
par rapport à leurs fonctions : les commandes avec des fonctions
identiques doivent être regroupées et les commandes doivent être proches
des éléments qu’elles contrôlent.
Figure 1–7 Un excellent mappage des commandes de réglage du siège sur une
voiture. Les commandes ont la forme du siège et le mappage est évident. Pour
déplacer vers le haut, le bord avant du siège, il suffit de pousser vers le haut la partie
avant du bouton. Pour régler l’inclinaison du dossier, il suffit de bouger le bouton
représentant le dossier. Le même principe peut s’appliquer à de nombreux objets du
quotidien. Les commandes de la photographie sont de Mercedes-Benz, mais de
nombreux autres constructeurs utilisent maintenant ce type de mapping. Photographies
de l’auteur.
Feedbacks
Vous avez déjà vu des gens dans un ascenseur qui appuient
continuellement sur le bouton de leur étage, ou qui appuient de manière
répétée sur le bouton à un passage piéton. Vous vous êtes peut-être déjà
arrêté à un feu rouge équipé d’une détection de véhicule et avez attendu en
vous demandant si vous aviez suffisamment avancé pour être détecté. Un
feedback est l’élément manquant dans toutes ces situations. Il faut indiquer
que le système fonctionne et traite votre demande.
Le feedback – qui communique le résultat d’une action – est un concept
bien connu en science du contrôle et en théorie de l’information. Imaginez
que vous devez toucher avec une balle une cible que vous ne voyez pas.
Même une tâche simple, comme prendre un verre en main, demande des
feedbacks pour effectuer le mouvement correctement ; si la main est mal
placée, on renverse le contenu, si on serre trop fort, le verre risque de
casser et, avec une prise trop faible, le verre risque de glisser et tomber. Le
système nerveux humain est équipé de plusieurs mécanismes de
feedbacks : la vue, l’ouïe et le toucher, mais aussi les systèmes vestibulaire
et proprioceptif qui surveillent la position et les mouvements du corps.
Quand on voit l’importance du feedback, il est étonnant de voir à quel
point certains produits n’en tiennent pas compte.
Le feedback doit être immédiat. Même un délai d’un dixième de seconde
peut être perturbant. Lorsque le délai est trop long, les utilisateurs
abandonnent et passe à une autre activité. Si c’est ennuyeux pour les
utilisateurs, c’est également un gaspillage de ressources quand le système
passe un temps considérable et produit beaucoup d’efforts pour satisfaire
la demande alors que le destinataire n’est plus là. Le feedback doit,
comme son nom l’indique, fournir des informations. De nombreuses
sociétés essaient d’économiser en utilisant des voyants ou des avertisseurs
sonores premier prix. Ces voyants clignotent et les avertisseurs bipent et
ils sont souvent plus dérangeants qu’utiles. Ils indiquent qu’il se passe
quelque chose, mais pas ce qui se passe réellement, ni ce qu’il faut faire en
retour. Avec un signal audio, il est même souvent difficile de savoir quelle
machine produit le son. On risque aussi de ne pas voir les voyants, sauf à
avoir le regard dessus au bon moment. Un mauvais feedback peut être pire
qu’aucun feedback, parce que c’est perturbant, désinformant et, dans de
nombreux cas, irritant et déclencheur de stress.
Trop de feedbacks peut aussi être gênant. Mon lave-vaisselle bipe à trois
heures du matin pour me dire que le lavage est terminé, alors que je le
mets en marche la nuit pour ne pas être embêté par le bruit (et pour payer
moins cher l’électricité). Les feedbacks inadaptés ou incompréhensibles
sont encore pires que tout. On a tous été agacé par un « donneur de leçon »
et c’est souvent l’origine de nombreuses blagues. Les donneurs de leçon
ont souvent raison, mais leurs remarques et leurs commentaires sont
tellement nombreux que, au lieu d’aider, ils irritent et perturbent. Les
machines qui renvoient trop d’informations sont comme des donneurs de
leçon. Non seulement il est perturbant de supporter de nombreuses
lumières clignotantes, des indications textuelles, des voix ou des bips et
des bops, mais cela peut être dangereux. Lorsqu’il y a trop
d’avertissements, les utilisateurs ont tendance à les ignorer, à les
désactiver et les informations essentielles risquent de ne pas être vues. Le
feedback est essentiel, mais pas quand il est écrasé par d’autres éléments,
voire par un environnement calme et relaxant.
Une mauvaise conception du feedback vient parfois du souhait de réduire
les coûts, même si cela complique la tâche des utilisateurs. Plutôt que
d’utiliser plusieurs types de voyants, des affichages d’information ou des
sonneries avec plusieurs sonorités, la réduction des coûts conduit à
l’utilisation d’un seul voyant ou un seul son pour donner plusieurs types
d’information. Lorsque le choix se porte sur un voyant, il s’allume une
fois pour signifier une chose, deux fois pour autre chose, longtemps pour
encore autre chose. Si le choix se porte sur un avertisseur sonore, c’est
souvent le périphérique le moins cher qui est utilisé, un modèle qui n’émet
que des bips à haute fréquence. Comme avec les voyants, la seule manière
de donner différentes informations consiste à moduler les sons. À quoi
correspondent tous les motifs sonores ? Comment peut-on apprendre à les
reconnaître et les apprendre ? C’est plus compliqué quand les différentes
machines utilisent différents types de sonnerie, pire quand deux machines
utilisent les mêmes sonneries mais pour des informations contradictoires.
Tous les bips se ressemblent et il est parfois difficile de savoir quelle
machine nous interpelle.
Le feedback doit être pensé. Toutes les actions doivent être confirmées.
Une information peu importante doit être discrète ; en revanche, lorsqu’il
y a une urgence, même les signaux importants doivent avoir des priorités.
Lorsque tous les appareils signalent un problème majeur, une cacophonie
n’arrange pas la situation. Les bips et les alarmes continuelles des
équipements risquent d’être dangereux. Lors d’urgence, les travailleurs
perdent du temps à couper les alarmes parce que le bruit empêche la
concentration. Pensez aux salles d’opération, aux urgences, aux centrales
atomiques et aux cabines de pilotage des avions. La surabondance
d’alarmes peut mettre des gens en danger. Le feedback est essentiel mais il
doit être correctement mis en place.
Modèles conceptuels
Un modèle conceptuel explique, généralement de façon très simplifiée, le
fonctionnement de quelque chose. Cela n’a besoin d’être ni long, ni précis
dès lors que c’est utile. Les fichiers, les dossiers et les icônes que vous
voyez sur l’écran d’un ordinateur nous permettent de créer un modèle
conceptuel de documents et de dossiers dans l’ordinateur ou d’applications
qui se trouvent sur l’écran. En fait, il n’existe aucun dossier dans
l’ordinateur, il s’agit de conceptualisations très efficaces qui facilitent
l’utilisation. Il arrive que des représentations soient perturbantes.
Lorsqu’on lit un courriel ou que l’on visite un site web, le contenu semble
être sur l’écran, là où il est affiché et manipulé. Toutefois, dans de
nombreux cas, il se trouve sur le cloud, dans un ordinateur distant. Le
modèle conceptuel utilise une image cohérente alors que le contenu peut
se trouver réparti dans plusieurs machines du monde entier. Ce modèle
simplifié est cohérent lors d’une utilisation normale mais, si la connexion
au serveur cloud est interrompue, le résultat est troublant : l’information se
trouve à l’écran alors que l’utilisateur ne peut plus enregistrer, ni charger
de nouvelles informations. Le modèle conceptuel ne fournit pas
d’explications. Les modèles simplifiés fonctionnent tant que les
hypothèses sont vérifiées.
On trouve souvent plusieurs modèles conceptuels pour un produit ou un
appareil. Les modèles conceptuels du freinage régénératif, des voitures
électriques ou hybrides, vont être différents pour le conducteur moyen,
pour le conducteur techniquement au fait et pour toute personne faisant
l’entretien du système.
Les modèles conceptuels que l’on trouve dans les manuels techniques sont
souvent détaillés et complexes. Ici, ceux qui nous intéressent sont les
modèles conceptuels plus simples, qui restent dans la mémoire de
l’utilisateur et sont nommés des modèles mentaux. Comme le nom
l’indique, il s’agit de modèles dans l’esprit des utilisateurs et qui
représentent ce que ces derniers comprennent du fonctionnement de
l’objet. Différentes personnes auront des modèles mentaux différents pour
un même élément. De plus, une personne peut avoir plusieurs modèles
différents pour un même élément, chacune des versions traitant un aspect
de l’utilisation et entrant même parfois en conflit avec les autres.
Les modèles conceptuels dérivent souvent des appareils eux-mêmes.
Certains modèles sont transmis de personne à personne et d’autres
proviennent de manuels. Généralement, l’appareil lui-même offre peu
d’aide ; par conséquent, le modèle est créé par expérience. Assez souvent,
ces modèles sont erronés, ce qui est source de difficultés lors de
l’utilisation de l’appareil.
Figure 1–8 Montre Junghans Mega 1000 radio-pilotée. Il n’y a pas de bon modèle
conceptuel pour comprendre le mode opératoire de ma montre. Elle possède cinq
boutons sans aucune indication sur leur fonction. Oui, les boutons ont différentes
fonctions selon les modes. Néanmoins, c’est une belle montre et elle est toujours à
l’heure parce qu’elle est radio-pilotée. Photographies de l’auteur.
La structure que l’on perçoit d’un objet (provenant des signifiants, des
affordances, des contraintes et du mapping) est l’élément essentiel pour
comprendre son fonctionnement. Les outils pour le jardinage ou la maison
ont généralement les parties essentielles suffisamment visibles pour qu’on
comprenne instantanément la manière de s’en servir. Par exemple, avec
une paire de ciseaux, on remarque rapidement que le nombre d’opérations
est limité. Les trous sont clairement là pour qu’on y mette quelque chose
et en toute logique, c’est adapté pour les doigts. Les trous sont à la fois des
affordances (ils permettent d’insérer les doigts) et des signifiants (ils
indiquent où doivent se placer les doigts). Leur taille est une contrainte
pour limiter le nombre de doigts utilisés : un grand trou suggère plusieurs
doigts, un petit trou seulement un. Le mapping entre les trous et les doigts
(l’ensemble des opérations possibles) est signifié et contraint par les trous.
De plus, la manipulation ne limite pas le placement des doigts : si on
utilise les mauvais doigts (ou l’autre main), les ciseaux fonctionnent quand
même, même si ce n’est pas aussi facile à manipuler. On peut imaginer
comment utiliser les ciseaux parce que les parties servant à la
manipulation sont visibles et les implications sont claires. Le modèle
conceptuel est évident avec une parfaite utilisation des signifiants, des
affordances et des contraintes.
Que se passe-t-il lorsque l’appareil ne propose pas un bon modèle
conceptuel ? Prenons l’exemple de ma montre équipée de cinq boutons ;
deux en haut, deux en bas et un sur le côté gauche (figure 1-8). À quoi
servent-ils ? Comment régler l’heure ? Il n’y a aucun moyen de le savoir
parce qu’il n’existe pas de lien évident entre les boutons et les
fonctionnalités. On ne trouve aucune contrainte et aucun mapping évident.
De plus, les boutons ont chacun plusieurs fonctions. Deux d’entre eux ne
donnent pas le même résultat si on appuie rapidement ou si on appuie
pendant quelques secondes. Certaines opérations nécessitent d’appuyer
simultanément sur plusieurs boutons. Pour savoir comment utiliser la
montre, il est nécessaire de consulter le manuel à chaque fois. Avec les
ciseaux, en bougeant les poignées, les lames bougent. La montre n’offre
aucune relation visible entre les boutons et les actions possibles, aucune
relation visible entre les actions et les résultats finaux. J’aime vraiment
cette montre ; dommage que je ne me souvienne jamais de toutes ses
fonctions.
Les modèles conceptuels servent à comprendre comment les éléments vont
se comporter et à savoir ce qu’il faut faire quand les choses ne se passent
pas comme prévu. Un bon modèle conceptuel prévoit le résultat des
actions. Sans modèle conceptuel, on opère à l’aveugle, en respectant les
consignes sans vraiment comprendre pourquoi, sans savoir quels seront les
effets et sans pouvoir agir si rien ne se passe comme prévu. Lorsque tout
se déroule normalement, on peut gérer. Quand rien ne se passe comme
prévu, nous nous trouvons devant une situation nouvelle et nous avons
besoin de bien comprendre et d’avoir un bon modèle.
Pour les choses du quotidien, les modèles conceptuels n’ont pas à être
complexes. Après tout, les ciseaux, les stylos et les interrupteurs sont des
appareils assez simples. Il n’est pas nécessaire de comprendre la physique
ou la chimie mise en œuvre par les appareils que nous possédons ; il suffit
de connaître la relation entre les commandes et les résultats produits.
Lorsque le modèle que l’on nous présente est inexact ou mauvais (voire
inexistant), on est en difficulté. Je vais vous parler de mon réfrigérateur.
Je possédais un réfrigérateur/congélateur tout à fait ordinaire. En revanche,
régler la température correctement était un véritable problème. Il fallait
faire deux manipulations : une pour la partie réfrigérateur et une autre pour
la partie congélateur. Pour cela, on utilisait deux boutons qui indiquaient la
partie qu’ils réglaient.
Il faut savoir que les deux commandes n’étaient pas indépendantes. Celle
du congélateur avait une influence sur la température du réfrigérateur et
inversement. De plus, le manuel indiquait qu’il fallait attendre vingt-quatre
heures pour que la température se stabilise après modification des
réglages.
Il était très difficile de réguler la température de cet appareil, parce que les
boutons indiquaient un modèle conceptuel erroné. Il y a deux
compartiments, deux boutons, on peut donc penser que les boutons règlent
la température du compartiment dont ils portent le nom. Ce modèle
conceptuel est illustré figure 1-10A. En fait, il n’y a qu’un thermostat et
qu’un seul système de réfrigération. Un bouton règle le thermostat et
l’autre commande la répartition relative du froid dans chacun des
compartiments. Les deux commandes interagissent ; le modèle conceptuel
est montré figure 1-10B. De plus, il doit y avoir un capteur de température,
mais il n’existe aucun moyen de savoir où il se trouve. Avec le modèle
conceptuel suggéré par les commandes, il est impossible de régler la
température. Avec le bon modèle, c’est beaucoup plus simple.
On ne saura jamais pourquoi le constructeur a suggéré le mauvais modèle
conceptuel. Depuis la première édition de cet ouvrage, il y a plus d’une
vingtaine d’années, j’ai reçu de nombreux courriers de personnes me
remerciant de les avoir éclairées sur les fonctionnements étranges de leur
réfrigérateur. En revanche, il n’y a eu aucune réaction du constructeur
(General Electric). Sans doute les concepteurs ont-ils estimé que le bon
modèle était trop complexe et que celui qu’ils fournissaient était plus
simple à comprendre. Toutefois, avec le mauvais modèle conceptuel, il
était impossible de régler le réfrigérateur. Même si je pense avoir trouvé le
modèle conceptuel correct, je ne suis pas parvenu à ajuster correctement
les températures parce que la conception ne permettait pas de savoir quelle
commande pilotait le thermostat, laquelle pilotait la quantité d’air froid, ni
de savoir dans quel compartiment se trouvait le thermostat.
Figure 1–10 Deux modèles conceptuels pour le réfrigérateur. Le modèle A est suggéré
par les commandes de l’appareil, car chacune porte le nom de la partie qu’elle
contrôle. Cela suggère que chaque compartiment possède son propre thermostat et
son propre système de refroidissement. Le véritable modèle conceptuel est celui
illustré en B. Il est impossible de savoir où se trouve le thermostat, il est donc dessiné
en dehors du réfrigérateur. La commande du congélateur règle la température du
congélateur. La commande du réfrigérateur détermine la quantité d’air qui va dans
chaque partie de l’appareil.
Le paradoxe de la technologie
La technologie a pour but de faciliter la vie et chaque avancée
technologique apporte son lot de bénéfices. Toutefois, en même temps,
l’ajout de complexité augmente nos problèmes et nos frustrations face à la
technologie. Le problème de conception posé par les avancées
technologiques est énorme. Prenons l’exemple d’une montre. Il y a
quelques dizaines d’années, les montres étaient simples. Il suffisait de les
mettre à l’heure et de les porter au poignet. Le remontoir sur le côté de la
montre était la commande standard. En tournant le bouton, on fournissait
l’énergie nécessaire au fonctionnement du mécanisme. En tirant sur le
remontoir et en le tournant, on faisait bouger les aiguilles. Les opérations
étaient simples à apprendre. Il y avait une relation entre le fait de tourner
le remontoir et celui de faire tourner les aiguilles. La conception prenait
même en compte l’erreur humaine. Dans la position normale, en tournant
le remontoir, on agissait sur le ressort de la montre. Le remontoir devait
être tiré pour faire tourner les aiguilles. Si l’on tournait accidentellement le
remontoir, cela ne posait pas de problème.
Il y a très longtemps, les montres étaient chères parce que fabriquées à la
main. Elles s’achetaient dans les bijouteries. Avec le temps et l’arrivée de
la technologie numérique, leur coût a fortement baissé alors que la
précision et la fiabilité augmentaient. Les montres sont devenues des
outils, proposées dans différents styles, différentes formes et avec de plus
en plus de fonctions. Les montres sont vendues partout, dans les magasins
locaux, de sport ou de matériel électronique. De plus, des montres sont
maintenant installées dans de nombreux produits, du téléphone jusqu’au
clavier musical, ce qui ne rend plus nécessaire d’en porter. Leur prix a
également fortement baissé et il n’est pas rare qu’une personne en possède
plusieurs. Les montres sont devenues des accessoires de mode que l’on
change en fonction de l’activité ou de sa tenue vestimentaire.
Avec les montres numériques actuelles, plutôt que de remonter un ressort,
on charge la batterie ou, dans le cas d’une montre solaire, on l’expose à la
lumière. La technologie permet l’ajout de fonctions : la montre donne le
jour de la semaine, le mois et l’année, elle sert de chronomètre, de
minuteur et d’alarme, elle affiche l’heure dans différents fuseaux horaires.
Ma montre (figure 1-8) possède même un récepteur radio pour la régler
avec l’heure officielle des stations du monde entier. Certains modèles
intègrent des boussoles, des baromètres, des accéléromètres et des capteurs
de température. D’autres sont équipés de récepteurs GPS et Internet afin
d’afficher la météo, les actualités, les messages ou de suivre l’activité sur
les réseaux sociaux. Certaines possèdent des caméras. Ces montres
peuvent fonctionner à l’aide de boutons, de remontoirs, de mouvements ou
de la voix. On en trouve qui utilisent les gestes. La montre n’est plus un
instrument pour donner l’heure ; c’est une plate-forme pour améliorer les
différentes activités.
L’ajout de fonctions pose un problème : comment peuvent-elles entrer
dans un objet aussi petit que l’on porte au poignet ? Il n’existe pas de
réponse simple. De nombreuses personnes ne portent plus de montre et
utilisent plutôt leur téléphone. Ce dernier offre de meilleures conditions
que celles d’une petite montre et, de plus, il donne l’heure.
Maintenant, imaginez un futur où, à la place du téléphone qui remplace la
montre, les deux éléments fusionnent. Le nouveau produit pourrait se
porter au poignet ou comme des lunettes. Nous aurons des écrans flexibles
qui n’affichent qu’une petite partie de l’information dans la position
normale et qu’on déroule pour avoir un écran de grande taille. Les
projecteurs seront si lumineux et si petits qu’ils seront intégrés aux
montres, aux téléphones, aux bagues ou à tout autre bijou afin de projeter
des images sur n’importe quelle surface. Peut-être que les appareils
n’auront pas d’écran et nous chuchoteront les informations dans l’oreille.
Ils pourraient aussi utiliser les écrans à disposition comme ceux que l’on
trouve sur le dossier d’un siège de voiture ou d’avion, dans les hôtels ou
n’importe où ailleurs. Les appareils seront en mesure de réaliser de
nombreuses tâches, mais je crains qu’ils soient aussi des sources
d’énervement : il y aura tant d’éléments à régler avec peu d’espace pour
les commandes et les signifiants ! La solution évidente consiste à utiliser
des gestes exotiques ou à commander avec la voix, mais comment
apprendre et retenir les commandes ? Le mieux consiste à utiliser des
standards afin que l’on apprenne les commandes une seule fois.
Néanmoins, j’en conviens, c’est un processus complexe mettant en œuvre
des forces rivales qui empêchent de trouver rapidement une solution.
La technologie qui simplifie la vie en fournissant plus de fonctions dans
chaque appareil est aussi celle qui complique la vie en rendant
l’apprentissage et l’utilisation plus difficiles. C’est le paradoxe de la
technologie et le défi pour le concepteur.
Le défi de la conception
La conception demande de réunir plusieurs disciplines. Pour produire un
excellent produit, le nombre est impressionnant. Les grandes conceptions
exigent un grand concepteur, mais ce n’est pas suffisant. Il faut également
une excellente gestion car la partie la plus difficile est de coordonner
toutes les disciplines, sachant que chacune possède son propre objectif et
sa propre priorité. Chacune des disciplines voit de manière différente les
divers éléments qui composent un produit. L’une va dire que le produit
doit se comprendre et être utile, une autre qu’il faut que le produit soit
beau et une autre qu’il soit abordable. De plus, le produit doit être fiable,
facile à produire et à réparer. Il doit être différent des produits concurrents
et meilleur en ce qui concerne le prix, la fiabilité, l’aspect et les fonctions
qu’il offre. Enfin, il doit se vendre. Peu importe la qualité d’un produit s’il
ne se vend pas.
Assez souvent, chaque discipline pense que sa contribution est la plus
importante. « Le prix » dit le service commercial, « le prix avec ces
fonctionnalités ». « Fiable » insistent les ingénieurs. « Nous devons
pouvoir le fabriquer dans nos usines existantes », dit le service fabrication.
« Nous recevons des appels de clients », dit le service client, « nous
devons régler les problèmes de conception ». « Vous ne pouvez pas
assembler tout cela et avoir un produit raisonnable » dit l’équipe de
concepteurs. Qui a raison ? Tout le monde. Un produit réussi doit répondre
à tous ces impératifs.
Le plus dur reste de convaincre les gens de comprendre le point de vue de
chacun, de ne plus regarder avec les œillères de leur discipline et de penser
la conception en prenant en compte les acheteurs et les utilisateurs du
produit (souvent, il s’agit de personnes différentes). Le point de vue des
commerciaux est également important ; en effet, si la société ne vend pas
assez, il faut arrêter la fabrication, même s’il s’agit d’un excellent produit.
Quelques sociétés peuvent se permettre le coût important du maintien en
vie d’un produit qui ne rapporte rien. En général, cela se compte en année
ou, dans le cas par exemple de la télévision haute définition, en dizaines
d’années.
Il n’est pas simple de concevoir correctement. Le fabricant souhaite un
produit peu coûteux à produire. Les commerçants veulent un produit
attrayant pour leurs clients. Les acheteurs ont de nombreuses attentes.
Dans la boutique, ils se focalisent sur le prix, l’aspect et peut-être sur le
prestige social. Chez eux, ces mêmes acheteurs font plus attention à la
fonctionnalité et la facilité d’utilisation. Le service après-vente se soucie
de la maintenance et de la facilité avec laquelle on peut intervenir sur le
produit. Tous ces besoins sont différents et souvent contradictoires. Quoi
qu’il en soit, si l’équipe de concepteurs intègre des personnes de toutes les
disciplines, il est souvent possible de trouver un compromis satisfaisant.
C’est essentiellement quand les disciplines fonctionnent de façon
indépendante que les problèmes se produisent. Le défi consiste à utiliser la
conception centrée utilisateur pour obtenir des résultats positifs, des
produits qui facilitent la vie et apportent de la satisfaction. L’objectif est de
produire un excellent produit, qui rencontre le succès et que les
consommateurs adorent. Ce qui est réalisable.
2
La psychologie des actions
quotidiennes
Figure 2–1 Les fossés de l’exécution et de l’évaluation. Lorsque l’on est confronté à un
appareil, on est face à deux fossés : celui de l’exécution, où on essaie de comprendre
le fonctionnement, et celui de l’évaluation, où on se demande dans quel état est l’objet
et si les actions vont produire le résultat souhaité.
Nous avons nos sept étapes, dont une pour l’objectif, trois pour la
réalisation et trois pour l’évaluation (figure 2-2) :
1 objectif (le but à atteindre) ;
2 planifier (l’action) ;
3 préciser (la séquence des actions) ;
4 effectuer (la séquence des actions) ;
5 percevoir (l’état du monde) ;
6 interpréter (la perception) ;
7 comparer (le résultat avec l’objectif).
Le cycle en sept étapes est une simplification, mais il fournit un cadre pour
comprendre l’action humaine et sert aussi de guide à la conception.
Chaque étape n’est pas obligatoirement consciente. Les objectifs ont plutôt
tendance à l’être mais on peut réaliser des actions en répétant les étapes
sans être vraiment conscient de ce que l’on fait. Ce n’est que lorsque l’on
rencontre quelque chose de nouveau ou un problème qui trouble le cours
normal de l’activité qu’il est nécessaire d’être attentif.
Pour la plupart, les comportements ne nécessitent pas d’effectuer toutes les
étapes en séquence. Toutefois, les activités ne se satisfont généralement
pas d’une action unique. Il doit y avoir un grand nombre de séquences et
l’activité complète peut durer des heures, voire des jours. Il y a plusieurs
retours pour une seule action, qui conduisent à déterminer une nouvelle
activité et à en déclencher d’autres. L’objectif est décomposé en sous-
objectifs et le plan en sous-plans. Il existe des activités où les objectifs
sont oubliés, abandonnés ou reformulés.
Revenons à mon exemple : allumer la lumière. Il s’agit d’un cas de
comportement causé par un événement : la séquence commence par le
monde qui produit une évaluation de l’état et formule un objectif. Le
déclencheur est un événement environnemental : le manque de lumière qui
rend la lecture difficile. Cela va à l’encontre de l’objectif qui est de lire et,
par conséquent, fait apparaître un nouvel objectif qui est d’avoir plus de
lumière. Pour autant, la lecture n’était pas un objectif au plus haut niveau.
Pour chaque objectif, on doit s’interroger. Pourquoi est-ce un objectif ?
Pourquoi lisais-je ? J’essayais de préparer un repas en suivant une recette
et il était nécessaire que je la relise avant de commencer. La lecture était
donc un sous-objectif. Cependant, cuisiner était aussi un sousobjectif. Je
cuisinais afin de manger, ce qui avait pour objectif de satisfaire ma faim.
Voici donc l’ordre des objectifs : satisfaire la faim, manger, cuisiner, lire
une recette, obtenir plus de lumière. Cela s’appelle l’analyse de la cause
originelle : se demander pourquoi jusqu’à atteindre la cause ultime et
fondamentale de l’activité.
Le cycle des actions peut démarrer par le haut, en établissant un nouvel
objectif, ce que nous appelons dans ce cas un comportement centré sur
l’objectif. Dans cette situation, le cycle commence par l’objectif et passe
par les trois étapes de l’exécution. Toutefois, le cycle d’actions peut
également démarrer par le bas, déclenché par un événement dans le monde
et, dans ce cas, on parle de comportement centré sur les données ou de
comportement centré sur les événements. Dans cette situation, le cycle
démarre avec l’environnement, le monde, et passe par les trois étapes de
l’évaluation.
Pour de nombreuses tâches quotidiennes, les objectifs et les intentions ne
sont pas spécifiés ; ils sont plus opportunistes que planifiés. Les actions
opportunistes sont celles dont le comportement utilise les circonstances.
Plutôt que de nous engager dans de longues planifications et analyses,
nous vaquons à nos activités quotidiennes et réalisons d’autres choses
lorsque les opportunités se présentent. Nous n’avons sans doute pas
planifié d’essayer un nouveau café ou de poser une question à un ami. À la
place, nous réalisons notre routine quotidienne et il se trouve que nous
passons devant le café ou croisons notre ami. Nous permettons alors à
l’opportunité de déclencher l’activité appropriée. Dans le cas contraire,
nous n’aurons pas la possibilité d’essayer le café ou de parler à notre ami.
En ce qui concerne les tâches essentielles, nous nous efforçons de les
réaliser. Les actions opportunistes sont moins précises et plus incertaines
que celles dont on a spécifié l’objectif et les intentions, mais elles
demandent moins d’effort mental, posent moins de problèmes et, peut-être,
sont plus intéressantes. Certaines personnes organisent leur vie autour des
opportunités. Parfois, pour le comportement centré sur l’objectif, nous
essayons de créer des événements afin de nous assurer que la séquence se
déroule jusqu’au bout. Par exemple, quand je dois réaliser une tâche
importante, je demande à quelqu’un de me donner une date butoir. J’utilise
l’approche de cette date pour faire le travail. Il arrive que je ne m’y mette
que quelques heures avant la date butoir, mais le plus important, c’est de
faire le travail. Ce déclencheur extérieur est parfaitement compatible avec
l’analyse en sept étapes.
Les sept étapes sont un guide pour le développement de nouveaux produits
ou services. Il paraît évident de commencer à partir des fossés, qu’ils
soient de l’exécution ou de l’évaluation ; c’est excellent pour améliorer un
produit. Pour la plupart, les innovations proviennent de l’amélioration de
produits existants. Qu’en est-il des idées neuves qui amènent de nouveaux
produits sur le marché ? Ils prennent vie en reconsidérant les objectifs et
en se demandant en permanence quel est le véritable objectif. C’est ce que
l’on appelle l’analyse de la cause originelle.
Theodore Levitt, de l’école de commerce d’Harvard, a dit un jour, « Les
bricoleurs ne veulent pas acheter un foret de 6 mm ; ils veulent un trou de
6 mm. » Toutefois, cet exemple, qui implique que le trou est l’objectif,
n’est pas tout à fait juste. Il s’agit clairement d’un objectif intermédiaire.
Peut-être les bricoleurs veulent-ils accrocher des étagères sur un mur.
Levitt n’a pas poussé assez loin son raisonnement.
Une fois que vous comprenez qu’ils ne veulent pas le foret, vous réalisez
qu’ils ne veulent pas non plus vraiment le trou. Au lieu de cela, ils
cherchent à installer leurs étagères. Pourquoi ne pas développer des
méthodes ne nécessitant pas de trou ? Pourquoi pas des livres qui ne
nécessitent pas d’étagères (des livres électroniques, par exemple) ?
Subconscient Conscient
Rapide Lent
Automatique Contrôlé
Multiples ressources Ressources limitées
Comportement contrôlé par l’expérience Utilisé dans de nouvelles situations, lors
d’apprentissage, en cas de danger ou
quand tout va de travers.
Un état émotionnel positif est idéal pour la créativité, mais pas pour
réaliser des choses. Quand il y a trop d’émotions, la personne passe d’un
sujet à l’autre, incapable de terminer une pensée avant d’en attaquer une
nouvelle. Un esprit dans un état émotionnel négatif produit de la
concentration ; c’est ce que l’on recherche pour maintenir l’attention sur
une tâche et la terminer. Si l’état émotionnel négatif est trop fort, la
personne est incapable de voir autre chose que son point de vue restreint.
L’état positif et relaxé ainsi que l’état anxieux et négatif sont tous deux des
outils puissants pour la créativité et l’action ; toutefois, poussés à
l’extrême, ils peuvent être dangereux.
Figure 2–3 Les trois niveaux de traitement : viscéral, comportemental et réflexif. Les
niveaux viscéral et comportemental sont dans le subconscient et le siège des émotions
de base. Le niveau réflexif est l’endroit où se trouvent la pensée consciente et la prise
de décision ; il correspond au plus haut niveau des émotions.
Le niveau viscéral
Dans le traitement, la partie de base s’appelle le traitement viscéral,
parfois nommé cerveau reptilien. Tout le monde possède des réponses de
base viscérales. Il s’agit du mécanisme fondamental de protection du
système affectif humain, qui réalise des jugements rapides sur
l’environnement : bon, mauvais, sûr, dangereux. Le système viscéral
répond rapidement et inconsciemment. Sa biologie de base réduit sa
faculté à apprendre, qui fonctionne essentiellement par sensibilisation et
désensibilisation à l’aide de mécanismes tels que l’adaptation et le
conditionnement. Les réponses viscérales sont rapides et automatiques.
Elles suscitent le réflexe de surprise lors d’événements nouveaux et
inattendus. Elles gèrent aussi le comportement génétiquement programmé,
par exemple la peur de la hauteur, l’inconfort dans les environnements
sombres ou très bruyants, l’aversion pour les goûts amers et l’attirance
pour le sucré. Notez que le niveau viscéral répond immédiatement à un
événement et produit un état affectif relativement peu influencé par le
contexte ou le passé. Il évalue simplement la situation sans attribuer de
cause, de jugement, ni de responsabilité.
Le niveau viscéral est étroitement lié à la musculature du corps, le système
moteur. C’est ce qui permet aux animaux de combattre, de fuir ou de se
relaxer. L’état viscéral d’un animal (ou d’une personne) se voit souvent en
analysant le corps : une tension indique un état négatif alors qu’un corps
détendu indique un état positif. Notez que l’on détermine souvent l’état de
notre propre corps en regardant la musculature. On dit souvent en parlant
de son corps : « J’étais tendu, les poings serrés et je transpirais. »
Les réponses viscérales sont rapides et totalement inconscientes. Elles sont
uniquement sensibles à l’état actuel de l’environnement. De nombreux
scientifiques ne les appellent pas des émotions, mais des précurseurs aux
émotions. Placezvous au bord d’un ravin et vous expérimenterez une
réponse viscérale. Vous pouvez aussi essayer de profiter de la luminosité
chaude et réconfortante après une expérience agréable, comme un bon
repas.
Pour les concepteurs, la réponse viscérale correspond à la perception
immédiate : admirer une prairie, savourer l’écoute d’une musique
harmonieuse ou subir les sons irritants des ongles sur une surface
rugueuse. À ce niveau, le style est important. Les apparences sonores,
visuelles, tactiles ou odorantes pilotent la réponse viscérale. Cela n’a rien à
voir avec la manière dont le produit est utilisable, efficace et
compréhensible. C’est simplement une question d’attraction ou de
répulsion. Les excellents designers utilisent leur sensibilité esthétique pour
gérer ces réponses viscérales.
Les ingénieurs, et d’autres personnes purement logiques, ont tendance à
écarter la réponse viscérale parce qu’elle n’est pas pertinente. Les
ingénieurs sont fiers des qualités intrinsèques de leur travail et sont
consternés lorsque des produits inférieurs se vendent mieux parce qu’ils
sont plus jolis. Nous faisons tous ce type de jugement, même eux. C’est
pour cela qu’ils aiment certains de leurs outils et d’autres non. La réponse
viscérale est pertinente.
Le niveau comportemental
Le niveau comportemental est le siège des techniques que l’on a apprises,
déclenchées par des situations qui correspondent à des schémas précis. À
ce stade, les actions et les analyses se font dans le subconscient. Même si
nous sommes généralement conscients de nos actions, nous ne le sommes
pas des détails. Lorsque nous parlons, souvent nous ne savons pas ce que
nous allons dire jusqu’à ce que notre esprit conscient (la partie réflexive)
nous entende prononcer des mots. Lorsque nous faisons du sport, nous
sommes prêts pour l’action, mais les réponses sont trop rapides pour être
consciemment contrôlées ; c’est le niveau comportemental qui prend le
contrôle.
Lorsque nous effectuons une tâche parfaitement maîtrisée, il suffit de
penser à l’objectif et le niveau comportemental s’occupe de tous les
détails. L’esprit conscient ne sait rien sur la réalisation de l’acte. Bougez le
bras droit, puis le gauche, tirez la langue ou ouvrez la bouche. Qu’avez-
vous fait ? Vous n’en savez rien. Tout ce que vous savez, c’est que vous
avez voulu l’action et qu’elle s’est produite. Vous pouvez même réaliser
des actions plus complexes. Prenez une tasse puis, avec la même main,
attrapez-en d’autres. Vous ajustez automatiquement les doigts et
l’orientation de la main pour que la tâche soit possible. Vous devez le faire
consciemment, si la tasse contient du liquide, pour ne pas le renverser.
Cependant, même dans ce cas, le contrôle des muscles se fait
inconsciemment. Il suffit de se concentrer pour ne pas renverser de liquide
et les mains s’adaptent immédiatement.
Pour les concepteurs, l’aspect essentiel du niveau comportemental, c’est
que chacune des actions est associée à une attente. Vous attendez un
résultat positif et vous obtenez une réponse positive (on parle de valence
positive dans la littérature scientifique). Vous espérez un résultat négatif et
vous obtenez une réponse négative (on parle de valence positive). Les
informations en retour confirment ou infirment les attentes et impliquent
une satisfaction ou un soulagement, une déception ou une frustration.
Les états comportementaux sont appris et donnent naissance à une
impression de contrôle lorsque l’on comprend et connaît les résultats. En
revanche, cela produit de la colère et de la frustration quand rien ne se
passe comme prévu et tout particulièrement quand il n’y a aucune raison
ou remède connu. Une absence de retour d’information donne
l’impression d’un manque de contrôle. Le retour d’information est
essentiel pour gérer les attentes et les objets bien conçus fournissent cela.
La connaissance des résultats résout les attentes et est importante pour
l’apprentissage et le développement des techniques comportementales.
Les attentes ont un rôle important dans nos vies émotionnelles. C’est pour
cela que les conducteurs deviennent tendus quand ils essaient de passer à
un carrefour avant que les feux ne passent au rouge, ou que les étudiants
sont stressés avant un examen. Le relâchement de la tension créée par
l’attente donne une impression de soulagement. Le système émotionnel est
tout particulièrement sensible aux changements d’états. Par conséquent, un
changement ascendant est considéré comme positif, même si on passe de
l’état « très mauvais » à l’état « pas si mauvais ». De même, un
changement est interprété négativement, même d’un état « extrêmement
positif » vers un état « un peu moins positif ».
Le niveau réflexif
Le niveau réflexif est le lieu de la cognition consciente. Par conséquent,
c’est l’endroit où se développe la compréhension profonde et où la prise
de décision consciente et réfléchie prend place. Les niveaux viscéral et
comportemental sont dans le subconscient ; par conséquent, la réponse est
rapide mais sans analyse. La réflexivité est cognitive, profonde et lente.
Elle se produit souvent une fois que l’événement est passé. C’est une
réflexion ou un retour en arrière sur ce qui s’est passé pour analyser les
circonstances, les actions et souvent pour blâmer ou chercher une
responsabilité. Les plus grandes émotions se produisent dans le niveau
réflexif ; c’est là que l’on attribue les causes et que l’on fait des prévisions
pour le futur. En ajoutant des éléments à des événements déjà vécus, on
obtient des états émotionnels tels que la culpabilité ou la fierté (lorsque
l’on en est à l’origine) et le reproche ou le compliment (lorsqu’une autre
personne en est à l’origine). Dans l’ensemble, nous avons tous
expérimenté les hauts et les bas, extrêmes, en pensant à un événement à
venir. Toute l’imagination provient d’un système cognitif réflexif, mais
suffisamment intense pour créer des réponses physiologiques associées à
la colère ou au plaisir extrêmes. L’émotion et la cognition sont intiment
liées.
La conception doit prendre en compte tous les niveaux :
viscéral, comportemental et réflexif
Pour le concepteur, le niveau de traitement le plus haut est certainement le
niveau réflexif. La réflexion y est consciente et les émotions produites y
sont les plus longues, ce sont elles qui déterminent les éléments tels que la
culpabilité, le reproche, la fierté ou le compliment. Les réponses réflexives
font partie de nos souvenirs des événements. Les souvenirs durent plus
longtemps que l’expérience immédiate ou le temps d’utilisation. C’est la
réflexivité qui nous conduit à recommander ou à dire d’éviter un produit.
Les souvenirs réflexifs sont souvent plus importants que la réalité. Si nous
éprouvons une forte réponse viscérale positive, mais rencontrons des
problèmes d’utilisation au niveau comportemental, lorsque nous repensons
au produit, le niveau réflexif peut très bien donner suffisamment de poids
à la réponse positive pour faire oublier les difficultés d’utilisation (d’où
l’idée que les choses attrayantes fonctionnent mieux). De même, trop de
frustrations, en particulier au dernier niveau d’utilisation, couplées à nos
réflexivités sur l’expérience, sont capables de faire oublier les qualités
viscérales positives. Les publicitaires espèrent qu’une forte valeur
réflexive associée à une marque réputée nous fera oublier notre jugement,
même si l’utilisation du produit était frustrante. On se souvient des
vacances avec bonheur, même si au quotidien c’était un manque de confort
et des angoisses.
Les trois niveaux de traitement fonctionnent ensemble. Ils jouent tous un
rôle essentiel pour déterminer ce qu’une personne aime ou n’aime pas
concernant un produit ou un service. Une mauvaise expérience avec un
fournisseur de service peut ruiner toutes les expériences futures. Une
excellente expérience peut compenser les mauvaises expériences du passé.
Le niveau comportemental est le siège de l’interaction, mais aussi de
toutes les émotions liées à l’attente, l’espoir et la joie ou la frustration et la
colère. La compréhension se produit grâce à une combinaison du niveau
comportemental et du niveau réflexif. La joie met en jeu les trois niveaux.
Concevoir en tenant compte des trois niveaux est tellement important que
j’ai réalisé un ouvrage complet sur le sujet : Emotional design.
En psychologie, un long débat s’est tenu pour savoir ce qui apparaît en
premier : l’émotion ou la cognition. Est-ce que l’on court et s’enfuit parce
que quelque chose nous a effrayés ou est-ce que l’on a peur parce que
notre esprit, conscient et réfléchi, s’aperçoit que l’on court ? L’analyse des
trois niveaux indique que ces deux idées peuvent être correctes.
Parfois l’émotion arrive en premier. Un bruit fort inattendu peut provoquer
automatiquement des réponses viscérales et comportementales qui nous
font fuir. Ensuite, le système réflexif s’observe en train de courir et en
déduit qu’il est effrayé. L’action de courir et de fuir se produit en premier
et enclenche l’interprétation de la peur.
Parfois, la cognition apparaît en premier. Supposez que vous marchez dans
une rue qui devient sombre et qui se rétrécit. Notre système réflexif
imagine toutes les menaces que l’on peut y rencontrer. À un certain stade,
ce que l’on imagine est suffisamment fort et nous fait nous retourner,
courir et nous enfuir. C’est ainsi que la cognition déclenche la peur et
l’action.
Pour la plupart, les produits ne suscitent pas la peur, ni la fuite en courant.
Cependant, des appareils mal conçus provoquent des frustrations, des
colères, l’impression de ne pas être aidé, du désespoir, voire de la haine.
Les appareils bien conçus provoquent de la fierté, de la joie, la sensation
de contrôler et du plaisir. Cela va parfois jusqu’à de l’amour et de
l’attachement. Les parcs d’attractions sont experts pour trouver un
équilibre entre les réponses opposées des niveaux émotionnels qui
déclenchent la peur à l’aide des niveaux viscéral et comportemental, tout
en recevant le réconfort du niveau réflexif qui dit que le parc ne met
personne en danger.
Les trois niveaux de traitement fonctionnent ensemble pour déterminer
l’état cognitif et l’état émotionnel. Un fort niveau de cognition réflexive
peut déclencher des émotions à un bas niveau. Un bas niveau d’émotion
peut déclencher un haut niveau de réflexivité cognitive.
Accuser à tort
Nous avons tendance à attribuer une relation de cause à effet lorsque deux
événements se succèdent. Si quelque chose d’inhabituel se produit chez
moi, immédiatement après que j’ai effectué une action, je suis en position
de conclure que j’ai provoqué l’événement, même si les deux ne sont pas
liés. De même, lorsqu’une action doit provoquer un résultat et que rien ne
se passe, je tends à en conclure que ce manque de retour d’information se
produit parce que j’ai fait quelque chose de travers. Dans ce cas, la plupart
du temps, je pense qu’il faut recommencer en y allant plus fort. On pousse
une porte pour l’ouvrir et elle ne s’ouvre pas ; on la pousse alors plus fort.
Avec les appareils électroniques, si le feedback n’est pas immédiat, on a
tendance à imaginer que l’appui n’a pas été pris en compte. Par
conséquent, on recommence l’opération en appuyant plus fort, souvent à
plusieurs reprises, sans se rendre compte que toutes les actions ont été
prises en compte. On obtient souvent des résultats inattendus. En répétant
les appuis, on peut intensifier la réponse de façon non souhaitée. Il est
possible aussi qu’une deuxième pression annule la précédente ; par
conséquent, un nombre pair d’appuis donne le résultat souhaité alors qu’un
nombre impair ne donne aucun résultat.
Répéter l’action à la suite d’un échec est parfois catastrophique. Cela a
provoqué la mort de nombreuses personnes qui essayaient de fuir un
incendie et ont tenté de sortir par des portes qui s’ouvraient vers l’intérieur
et non vers l’extérieur. Par conséquent, dans de nombreux pays, les portes
doivent être poussées et, de plus, être ouvertes à l’aide de ce que l’on
appelle une barre antipanique. Il s’agit d’un excellent exemple d’un bon
usage des affordances (figure 2-5).
Figure 2–5 Barre antipanique. Les personnes qui fuient un incendie risquent de
mourir si elles rencontrent des portes s’ouvrant vers l’intérieur, parce qu’elles vont
essayer de les pousser, de plus en plus fort puisque cela ne fonctionne pas. Selon la
loi de plusieurs pays, il convient d’adopter une conception où la porte se pousse. Voici
un exemple qui met en jeu un bon usage des affordances. La barre noire indique où
pousser.
Photographie de l’auteur au Ford Design Center, Northwestern University.
Impuissance acquise
Le phénomène appelé impuissance acquise (impuissance apprise ou
résignation acquise) explique le fait de se culpabiliser. Ce phénomène fait
référence à une situation dans laquelle on essuie des échecs répétés pour
une tâche. On estime alors que la tâche ne peut pas être accomplie ; tout
du moins, on ne peut pas l’accomplir et on est impuissant. On finit par
arrêter d’essayer. Si ce sentiment concerne un ensemble de tâches, il en
résulte parfois de sévères difficultés tout au long de la vie. Dans des cas
extrêmes, cela conduit à la dépression et au sentiment que l’on est
incapable de gérer la vie au quotidien. Parfois, un tel sentiment
d’impuissance naît à la suite de quelques mauvaises expériences
accidentelles. Le phénomène a été le plus souvent étudié en tant que
précurseur du problème clinique de la dépression, mais je l’ai vu se
produire après quelques mauvaises expériences avec des objets de la vie
quotidienne.
Est-ce que les phobies des technologies sont le résultat d’une sorte
d’impuissance acquise ? Est-ce que quelques cas d’échecs dans ce qui
semble être des situations simples se généraliseraient à tout ce qui est
technologique et tout ce qui est problème de mathématiques ? Peut-être.
En fait, la conception des objets du quotidien (et des cours de
mathématiques) semble pratiquement garantir les problèmes. On devrait
appeler cela le phénomène d’impuissance enseignée.
Quand on a du mal à utiliser la technologie, surtout quand on pense
(généralement à tort) que personne d’autre ne rencontre ce problème, on a
tendance à se blâmer. Pire encore, plus on rencontre de problèmes, plus on
se sent impuissant et on croit que l’on est techniquement incompétent. On
est à l’opposé de la réaction normale où l’on tient l’environnement
responsable de nos difficultés. Cette fausse accusation est ironique parce
que le coupable est généralement la mauvaise conception de la
technologie. Il serait donc parfaitement adapté d’accuser l’environnement
(la technologie).
Prenez un cursus normal pour l’enseignement des mathématiques. Les
cours progressent invariablement en considérant que, à chaque nouvelle
leçon, on a compris et on maîtrise tout ce que l’on a appris précédemment.
Même si chaque point est simple, une fois que l’on prend du retard, il est
difficile de se rattraper. C’est là que naît la phobie des mathématiques :
non pas parce que les cours sont difficiles, mais parce qu’ils sont
enseignés de manière qu’une difficulté à un moment précis empêche tout
progrès ultérieur. Des processus similaires existent avec la technologie. Le
cercle vicieux démarre : si on rate quelque chose, on pense que c’est notre
faute. Par conséquent, on imagine que l’on ne peut pas réaliser la tâche.
Donc, lorsque l’on doit de nouveau la réaliser, on ne tente même pas
d’essayer parce que l’on pense qu’on n’en est pas capable. Et comme on le
pense, on ne parvient pas à accomplir la tâche et on entre dans une boucle
sans fin que l’on crée soi-même.
Psychologie positive
De la même manière que l’on apprend à abandonner après de multiples
échecs, on peut apprendre des réponses optimistes et positives. Pendant
des années, les psychologues se sont penchés sur le sombre récit de
l’échec, sur les capacités humaines et les psychopathologies (dépression,
manie, paranoïa). Toutefois, le XXIe siècle voit une nouvelle approche qui
consiste à se concentrer sur une culture de la pensée positive et de se sentir
bien dans sa peau. En fait, l’état émotionnel normal de la plupart des gens
est positif. Lorsque quelque chose ne fonctionne pas, on le prend comme
un défi intéressant ou comme une expérience d’apprentissage positive.
Nous devons supprimer le mot échec de notre vocabulaire et le remplacer
par l’expérience d’apprentissage. Échouer, c’est apprendre : nous
apprenons plus de nos échecs que de nos succès. Avec le succès, nous
sommes certes ravis, mais souvent nous ne savons pas pourquoi nous
avons réussi. Avec l’échec, il est souvent possible de comprendre
pourquoi, afin de s’assurer que cela ne se reproduira plus.
Les scientifiques savent cela. Ils font des expériences pour connaître le
fonctionnement du monde. Parfois, leurs expériences fonctionnent comme
prévu, mais souvent ce n’est pas le cas. S’agit-il d’échecs ? Non, ils
apprennent de leurs expériences. Un grand nombre de découvertes
scientifiques parmi les plus importantes proviennent de ces soi-disant
échecs.
L’échec peut devenir un outil d’apprentissage si puissant que de nombreux
concepteurs sont fiers des échecs qui surviennent lorsqu’un produit est
encore en développement. Une entreprise de conception, IDEO, a pour
credo « échouons souvent, échouons vite ». Ils savent que chaque échec
leur apprend beaucoup sur la manière de bien faire. Les concepteurs
doivent échouer, tout comme les chercheurs. Depuis longtemps, j’ai la
conviction que les échecs sont un élément essentiel de l’exploration et de
la créativité. Si les concepteurs et les chercheurs n’échouent pas parfois,
c’est un signe qu’ils ne font pas assez d’efforts. Ils ne pensent pas aux
grandes idées créatives qui apporteront des percées dans la façon dont
nous faisons les choses. Il est possible d’éviter les échecs, d’être toujours
en sécurité, mais c’est aussi la voie vers une vie terne et sans intérêt.
La conception de nos produits et services doit suivre cette philosophie.
Pour les concepteurs qui lisent ces lignes, voici quelques conseils :
Ne blâmez pas les personnes qui n’arrivent pas à utiliser correctement
vos produits.
Servez-vous des difficultés des gens comme indications des points à
améliorer sur vos produits.
Éliminez les messages d’erreur sur tout produit électronique ou
informatique. Fournissez plutôt de l’aide et de l’assistance.
Essayez autant que possible de corriger correctement les problèmes
avec des messages d’aide et d’assistance. Permettez aux utilisateurs de
continuer leur tâche. N’empêchez pas leur progression, ne les obligez
pas à recommencer au début.
Supposez que ce que font les utilisateurs n’est pas totalement correct
et fournissez l’aide suffisante pour corriger le problème et continuer.
Pensez positif pour vous et les personnes avec qui vous êtes en
interaction.
Se blâmer faussement
J’ai étudié des personnes commettant des erreurs (parfois graves) avec des
appareils mécaniques, des interrupteurs, des fusibles, des systèmes
d’exploitation et des traitements de texte, même des avions et des centrales
nucléaires. Invariablement, elles se sentent coupables et soit elles
cherchent à cacher leur erreur, soit elles s’accusent d’être stupides ou
maladroites. J’ai souvent des difficultés à obtenir la permission de les
regarder. Les gens n’aiment être observés quand ils ne font pas
correctement quelque chose. Je mets en avant le fait que la conception est
en faute et que d’autres personnes font les mêmes erreurs. Toutefois, si la
tâche est simple ou banale, les gens continuent de se sentir coupable. On a
l’impression qu’ils sont « fiers » d’être incompétents.
Un jour, une grande société d’informatique m’a demandé d’évaluer un
nouveau produit. J’ai passé une journée à apprendre comment l’utiliser et
à l’essayer sur divers problèmes. Lors de la saisie au clavier, il était
nécessaire de différencier la touche Retour de la touche Entrée. Si on
appuyait sur cette dernière, les dernières minutes de travail étaient
irrémédiablement perdues.
J’ai fait part de ce problème au concepteur, en expliquant que je faisais
fréquemment l’erreur et que mon analyse indiquait que les utilisateurs en
feraient autant. Sa réponse fut la suivante : « Pourquoi avez-vous fait cette
erreur ? Vous n’avez pas lu le manuel ? » Il continua en expliquant les
différentes fonctions de ces deux touches.
Je lui expliquai que je comprenais les deux touches mais que je les
confondais. Elles ont une fonction similaire et sont placées dans des
emplacements similaires. En tant qu’utilisateur expérimenté du clavier,
j’appuie souvent sur Retour de façon automatique, sans y penser. D’autres
ont certainement des problèmes semblables.
« Pas du tout » dit le concepteur. Pour lui, j’étais la seule personne à m’en
plaindre et les employés de la société utilisaient le système depuis des
mois sans problème. J’étais sceptique et nous sommes donc partis
interroger des salariés pour savoir s’ils confondaient les deux touches et
s’ils avaient déjà perdu leur travail.
Elles répondirent « Oh, oui, souvent ».
Pourquoi personne ne s’en était-il plaint ? Après tout, ces personnes
étaient encouragées à informer de tous les problèmes rencontrés avec le
système. La raison en était simple : lorsque le système cessait de
fonctionner ou faisait quelque chose d’étrange, elles signalaient
consciemment le problème, mais quand elles confondaient Retour et Entrée,
elles se tenaient pour responsables. Après tout, on leur avait dit quoi faire
et elles s’étaient tout simplement trompées.
Penser qu’une personne est fautive lorsque quelque chose ne va pas est
profondément ancré dans la société. C’est pourquoi nous accusons les
autres, voire nousmême. Malheureusement, le système judiciaire intègre
l’idée selon laquelle une personne est responsable. En cas d’accident
majeur, des tribunaux sont mis en place pour évaluer la faute. De plus en
plus souvent, la faute est attribuée à une « erreur humaine ». La personne
impliquée peut être condamnée à une amende, être punie ou renvoyée.
Peut-être que l’on en profite pour revoir les procédures de formation.
Pourtant, selon mon expérience, l’erreur humaine est généralement le
résultat d’une mauvaise conception. Il faudrait parler d’erreur système.
Les humains se trompent continuellement ; c’est dans notre nature. La
conception du système devrait en tenir compte. Faire porter l’erreur à une
personne est une façon de procéder, mais pourquoi le système a-t-il été
conçu de manière qu’un seul acte d’une seule personne puisse causer une
catastrophe ? Pire, blâmer la personne sans réparer la cause sous-jacente
ne résout pas le problème. La même erreur est susceptible d’être répétée
par quelqu’un d’autre.
Bien entendu, les gens font des erreurs. Les appareils complexes
demandent toujours de prendre connaissance d’instructions et ceux qui les
utilisent sans connaître ces instructions doivent s’attendre à commettre des
erreurs. Toutefois, les concepteurs doivent suffisamment travailler pour
réduire les erreurs autant que possible.
Éliminez le terme d’« erreur humaine ». Ce que nous appelons une erreur
est généralement une mauvaise communication ou interaction. Lorsque
des gens collaborent, le mot « erreur » n’est jamais utilisé pour caractériser
ce que dit une autre personne, parce que chacun essaie de comprendre
l’autre et de réagir. Lorsque quelque chose n’est pas compris ou semble
inapproprié, on s’interroge et on clarifie ; ainsi, la collaboration se
poursuit. Pourquoi l’interaction entre une personne et une machine ne
peut-elle pas être considérée comme une collaboration ?
Les machines ne sont pas des personnes. Elles ne peuvent pas
communiquer et comprendre de la même manière que nous le faisons.
Cela signifie que les concepteurs doivent absolument s’assurer que le
comportement de la machine est compréhensible par les personnes qui
l’utilisent. La collaboration demande que chaque partie fasse des efforts
pour se comprendre. Lorsque nous utilisons des machines, c’est à nous, et
uniquement à nous, de nous adapter. Pourquoi les machines ne seraient-
elles pas plus conviviales ? Elles doivent accepter le comportement
humain normal. De la même façon que les personnes évaluent
inconsciemment la justesse des propos tenus, les machines doivent être en
mesure de juger de la qualité des informations qui leur sont fournies. Dans
notre cas, il s’agit d’aider les opérateurs à éviter les erreurs (chapitre 5).
Aujourd’hui, les gens doivent accomplir leurs tâches de manière anormale,
afin de s’adapter aux exigences des machines, ce qui implique de toujours
fournir des informations précises et exactes. Or, les humains sont
particulièrement mauvais en la matière et, quand ils ne répondent pas aux
exigences arbitraires et inhumaines des machines, nous appelons cela une
erreur humaine. Non, c’est une erreur de conception.
Les concepteurs doivent tout d’abord s’efforcer de minimiser les risques
d’actions inappropriées en utilisant des affordances, des signifiants, un bon
mapping et des contraintes pour guider les actions. Si une personne
effectue une action inappropriée, la conception doit maximiser les chances
que cela soit découvert et rectifié. Cela nécessite un feedback intelligible
associé à un modèle conceptuel simple et clair. Lorsque les gens
comprennent ce qui s’est passé, dans quel état se trouve le système et
quelle est la série d’actions la plus appropriée, ils sont plus efficaces.
Les gens ne sont pas des machines. Les machines n’ont pas à
s’interrompre continuellement, contrairement aux humains. Nous sommes
souvent contraints de passer d’une tâche à l’autre, nous obligeant à nous
adapter. Il n’est donc pas étonnant que nous oubliions où nous en étions
lorsque nous revenons à la tâche initiale.
Lorsque les gens interagissent avec des machines, les choses ne se passent
pas toujours bien. Les concepteurs doivent en tenir compte. Il est facile de
concevoir des appareils qui fonctionnent bien lorsque tout se passe comme
prévu. La partie difficile, mais nécessaire, est de faire en sorte que tout
fonctionne bien même lorsque les choses ne se passent pas comme prévu.
Figure 3–1 Quelle est la pièce de un centime américain ? Des étudiants à qui on a
posé la question se sont trompés. En revanche, ils n’ont aucun mal à utiliser cette
monnaie. Dans la vraie vie, on doit choisir entre un centime et d’autres pièces et non
pas entre plusieurs versions d’une même pièce. Même si le test date de plusieurs
années, il est facile à reproduire avec n’importe quelle pièce de n’importe quel montant.
Connaissance extérieure
Quand la connaissance nécessaire pour réaliser une tâche est directement
accessible dans le monde, la nécessité de l’intégrer diminue. Par exemple,
on ne mémorise pas les détails des pièces les plus communes, même si on
les reconnaît sans problème (figure 3-1). On ne se rappelle pas tous les
détails, mais uniquement ceux nécessaires pour différencier les valeurs les
unes des autres. Peu nombreuses sont les personnes qui doivent
suffisamment connaître les pièces pour identifier les contrefaçons.
Un autre exemple est d’écrire sur un clavier. Pour la plupart, les gens ne
mémorisent pas l’ordre des touches, mais chacune d’elles est étiquetée
pour que ceux qui n’ont pas l’habitude de taper sur un clavier puissent
écrire lettre par lettre. En se basant sur les connaissances extérieures, on
réduit le temps nécessaire pour apprendre. Le problème est qu’écrire lettre
par lettre en cherchant la suivante est lent et difficile. Avec de
l’entraînement, les gens apprennent la position des lettres, même sans
instructions, et la vitesse de dactylographie augmente considérablement.
Elle dépassera même souvent la vitesse d’écriture manuscrite et, pour
certaines personnes, atteindra des vitesses respectables. La vision
périphérique et la sensation du clavier donnent des indices quant à la
position des touches. Celles utilisées le plus fréquemment sont apprises
complètement. En revanche, celles utilisées moins fréquemment ne sont
pas très bien apprises et les autres ne le sont que peu. De toute façon, tant
qu’on a besoin de garder un œil sur le clavier, la vitesse est limitée. Dans
ce cas, la connaissance est principalement extérieure, plutôt qu’intérieure.
Si quelqu’un écrit beaucoup au clavier, et de façon régulière, des
investissements deviennent intéressants : un cours, un livre ou un
programme interactif. Le plus important est d’apprendre où placer ses
doigts sur le clavier, d’écrire sans regarder, d’intégrer la connaissance du
clavier dans sa mémoire. Apprendre le système prend plusieurs semaines
et il y a besoin de plusieurs mois de pratique pour devenir un expert.
Toutefois, cet investissement paye à la fin avec une plus grande vitesse
d’écriture, une plus grande précision et un effort mental moindre pour
écrire au clavier.
On n’a pas besoin de retenir plus de connaissances que ce qui nous est
nécessaire pour accomplir nos tâches. Il y a tant de connaissances
disponibles autour de nous qu’on apprend étonnamment peu. C’est une des
raisons pour lesquelles les gens parviennent à fonctionner sans problème
dans leur environnement sans être capables de décrire ce qu’ils font.
Les gens utilisent deux types de connaissance : celle du quoi et celle du
comment. La connaissance du quoi (ce que les psychologues appellent la
connaissance déclarative) contient tous les faits et toutes les règles. « Il
faut s’arrêter au feu rouge. » « New York est plus au nord que Rome. »
« La Chine compte deux fois plus d’habitants que l’Inde. » « Pour sortir
les clés du contact d’une voiture Saab, le levier de vitesse doit être sur la
marche arrière. » La connaissance déclarative est facile à écrire et à
apprendre. Il faut noter que la connaissance des règles ne veut pas
forcément dire qu’on les respecte. Les conducteurs de beaucoup de villes
connaissent souvent suffisamment le Code de la route, mais ne s’y tiennent
pas toujours. De plus, les connaissances ne sont pas toujours correctes.
New York est en réalité légèrement plus au sud que Rome. La Chine
compte à peine plus d’habitants que l’Inde (autour des 10 %). On peut
savoir beaucoup de choses, mais ces choses ne sont pas forcément vraies.
La connaissance du comment (ce que les psychologues appellent la
connaissance procédurale) est celle qui permet à quelqu’un d’être un
musicien talentueux, de renvoyer un service au tennis ou de ne pas
s’embrouiller en récitant des virelangues. Elle est difficile voire impossible
à écrire et difficile à enseigner. Il est plus simple de l’enseigner par
démonstration et elle s’apprend surtout avec la pratique. Même les
meilleurs professeurs ne savent le plus souvent pas décrire ce qu’ils font.
La connaissance procédurale est principalement subconsciente et traitée
par le cerveau comme un comportement.
La connaissance externe est en général facile à trouver. Les signifiants, les
contraintes physiques et le mapping naturel sont tous des signaux
perceptibles qui servent de connaissances externes. Ces connaissances sont
si communes qu’on les croit acquises. Elles sont partout : la position des
lettres sur le clavier, les lumières et les étiquettes sur les boutons qui nous
rappellent leur utilité et nous donnent des informations sur l’état de
l’appareil. L’équipement industriel est rempli de signaux lumineux,
d’indicateurs et d’autres rappels. On fait un usage intensif de pense-bêtes.
On place certains objets à des endroits précis pour servir de rappels. En
général, les gens organisent leur environnement pour se donner une grande
quantité de connaissance nécessaire à l’exécution d’une tâche.
Beaucoup organisent leurs vies de façon spatiale, faisant une pile ici et une
autre là, chacune indiquant quelque activité à réaliser ou un événement en
cours. Il est probable que tout le monde utilise une stratégie similaire, à
divers degrés. De nombreux styles sont possibles mais, invariablement,
l’agencement et la visibilité des objets transmettent un degré d’importance
relative à chaque chose.
La structure de la mémoire
Dites à voix haute les chiffres 1, 7, 4, 2, 8. Ensuite, sans les relire, répétez-
les. Essayez encore si besoin, peut-être en fermant vos yeux, la meilleure
façon « d’entendre » les mots qui continuent de résonner dans votre tête.
Demandez à quelqu’un de vous lire une phrase au hasard, n’importe
laquelle. Quelle était cette phrase mot pour mot ? La mémoire du passé
immédiat est disponible immédiatement, claire et entière, sans avoir
besoin de faire un effort mental.
Qu’avez-vous mangé dans la soirée il y a trois jours ? D’un coup,
l’expérience est différente. Il faut du temps pour se souvenir de la réponse
et elle n’est ni aussi claire ni aussi complète que les souvenirs de ce qui
vient juste de se passer. Cet exercice demande plus d’effort et le résultat
est moins clair. Et ce « passé » n’a pas besoin d’être lointain non plus.
Sans regarder, quels étaient les chiffres ? Pour certaines personnes, s’en
souvenir demandera de l’effort et du temps.
Extrait de Learning and Memory, Norman, 1982.
Les psychologues font la distinction entre deux catégories de mémoire :
celle à court terme, aussi appelée mémoire de travail, et celle à long terme.
Les deux sont plutôt différentes avec des implications différentes pour la
conception d’objets.
Vous trouverez une liste complète sur Internet en cherchant « code chiffres-sons ».
Les motards expérimentés feront remarquer que ce modèle conceptuel est erroné :
pour faire un virage à moto, on tournera d’abord le guidon dans la direction opposée
à celle où l’on veut se diriger. On en reparlera dans l’exemple 3 de la section
suivante.
La connaissance intérieure
La connaissance extérieure, celle qui se trouve dans l’environnement, est
un outil précieux pour se souvenir des choses, mais seulement si elle est
disponible au bon moment, au bon endroit et dans la bonne situation.
Sinon, la connaissance intérieure, celle qui se trouve dans notre tête, est
nécessaire. Nous avons déjà vu qu’en combinant les connaissances
extérieure et intérieure, on peut fonctionner sans problème même si,
d’elle-même, chaque source est insuffisante.
Comment les pilotes se souviennent de ce que leur
disent les contrôleurs aériens
Les pilotes doivent écouter les instructions données très rapidement par les
contrôleurs aériens et y répondre fidèlement. Leur vie dépend de leur
capacité à suivre ces instructions. Sur un site Internet, un exemple
d’instruction pour un pilote au décollage était le suivant :
Frasca 141, autorisé décollage vers Mesquite, tournez 090 degrés gauche,
radar pour Mesquite. Monter et maintenir 2 000 pieds. Prévoir 3 000
pieds 10 minutes après départ. Fréquence 124.3, transpondeur 5 270.
Séquence classique de contrôleur aérien, généralement récitée très
rapidement. Texte de « ATC Phraseology », sur de nombreux sites, pas de
source d’origine.
« Comment se souvenir de tout ça, alors qu’on est concentré pour le
décollage ? » a demandé un pilote débutant. Il est vrai que c’est un
moment dangereux et que beaucoup de choses se passent en même temps,
à l’intérieur et l’extérieur de l’avion. Cela veut-il dire que les pilotes ont
une super-mémoire ?
Les pilotes utilisent trois grandes techniques :
ils écrivent l’information importante ;
ils rentrent les données dans leur ordinateur de bord lorsqu’ils les
reçoivent, opération nécessitant peu de mémoire ;
ils se souviennent des phrases qui ont un sens.
Si tout ceci paraît compliqué pour un néophyte, les données sont assez
simples et familières. « Frasca 141 » est le nom de l’avion, le contrôleur
indique qui est concerné par le message. La première information dont il
faut se souvenir est qu’il faut tourner à gauche vers la direction 090 sur la
boussole, puis monter à 2 000 pieds. Une fois ces données écrites, on
passe à la fréquence radio. Elle est généralement déjà entrée et il s’agit
simplement de vérifier que la fréquence est de 124,3 MHz. Le
transpondeur 5 270 est le code que renvoie l’avion lorsqu’il apparaît sur le
radar. Il suffit, encore une fois, de l’écrire ou de l’entrer sur le tableau de
bord en l’entendant. Et enfin, pour « prévoir 3 000 pieds 10 minutes après
départ », il s’agit juste de savoir qu’on recevra sûrement cette instruction
après 10 minutes et qu’il faut donc attendre une nouvelle communication.
Pour se souvenir, les pilotes transforment donc les informations reçues en
connaissance extérieure, en les écrivant ou en les entrant dans les
instruments de bord.
L’implication pour la conception est que, plus l’information sera facile à
saisir au fur et à mesure dans l’appareil correspondant, moins il y aura de
risques de commettre des erreurs. Ainsi, le contrôle aérien évolue et les
informations seront bientôt envoyées numériquement, donnant aux pilotes
la possibilité de les garder à l’écran aussi longtemps qu’ils le désirent.
Ainsi, grâce aux transmissions numériques, les instruments se régleront
automatiquement sur les bons paramètres. L’inconvénient est que seul
l’avion à qui le message est destiné recevra ces messages, tandis que les
pilotes ne sauront pas ce que font les autres avions. Les chercheurs en
sécurité de l’aviation et contrôle aérien cherchent des solutions et il s’agit
en effet d’un problème de conception.
Le mapping naturel
Le mapping est un bon exemple de combinaison des connaissances
intérieure et extérieure. Avez-vous déjà allumé ou éteint la mauvaise
plaque de cuisson ? On pense que c’est facile : un seul bouton allume la
plaque, contrôle sa température et l’éteint. C’est tellement facile que,
quand les gens se trompent, ce qui arrive beaucoup plus souvent qu’on ne
le croit, ils pensent que c’est de leur faute. Ce n’est ni si facile que ça, ni
de leur faute : même un objet aussi simple qu’une cuisinière peut être si
mal conçu que des erreurs sont garanties.
La plupart du temps, on a quatre plaques de cuisson et quatre boutons
correspondants.
Figure 3–2 Faire correspondre les boutons avec les plaques de cuisson. Avec
l’arrangement classique montré dans les images A et B, les plaques sont placées en
rectangle et les boutons sont en ligne. En général, il y a un mapping naturel partiel,
avec deux boutons de gauche contrôlant les deux plaques de gauche, et vice versa.
Même dans ce cas, il y a quatre possibilités de mapping différentes, qui sont utilisées
sur des cuisinières commerciales. La seule façon de savoir quel bouton correspond à
quelle plaque est de lire les étiquettes. Si les boutons étaient aussi en rectangle (image
C) ou si les plaques étaient décalées, aucune étiquette ne serait nécessaire ;
l’apprentissage serait facile et les erreurs réduites.
Figure 4–2 Pile traditionnelle : les contraintes sont nécessaires. La figure A montre une
pile standard qui demande à être correctement orientée dans le compartiment (pour
fonctionner correctement et pour éviter d’endommager le matériel). Regardez la photo
B montrant le logement des piles. Les instructions sont affichées en superposition.
Elles sont plutôt simples mais, dans l’obscurité, réussissez-vous à voir dans quel sens
les piles s’installent ? Les lettres sont noires, sur fond noir.
Figure 4–3 Rendre inutile l’orientation des piles. Cette photo montre une pile pour
laquelle l’orientation n’a pas d’importance. On l’insère dans le sens que l’on veut.
Chaque extrémité de la pile est constituée de trois anneaux concentriques identiques.
Au centre, on trouve le positif (+) et celui du milieu est le négatif (–).
Une autre solution consiste à inventer des contacts qui tolèrent que nos
piles traditionnelles soient insérées dans n’importe quel sens. Microsoft a
inventé ce type de contacts, appelés InstaLoad et la société essaie de
convaincre les fabricants d’adopter le système.
Une troisième solution consiste à concevoir une forme de pile qui ne
s’insère que dans un sens. Pour la plupart, les matériels qui se branchent
utilisent correctement ce principe à l’aide de formes, ou de tout autre type
de système. Pourquoi les piles que nous utilisons au quotidien n’adoptent-
elles pas un système de détrompeur ?
Pourquoi une conception aussi mal adaptée persiste-t-elle aussi
longtemps ? Cela s’appelle le problème de l’héritage et il en sera question
plusieurs fois dans cet ouvrage. Trop d’appareils utilisent des standards ;
c’est l’héritage. Si l’on changeait la forme des piles, il faudrait également
apporter des modifications importantes à un grand nombre de produits.
Les nouvelles piles ne fonctionneraient plus dans les anciens appareils et
les anciennes piles ne seraient pas compatibles avec les nouveaux
équipements. Les connecteurs conçus par Microsoft nous permettent
d’utiliser les mêmes piles, mais les appareils doivent être équipés de ces
contacts. Jusqu’à présent, je n’en ai vu aucun, même dans les produits
Microsoft.
Les serrures et les clés rencontrent le même problème. Même s’il est
souvent facile d’en distinguer la partie lisse de la partie dentelée, il est
malaisé de voir sur la serrure dans quel sens la clé doit être insérée, surtout
s’il fait sombre. De nombreuses prises et connecteurs d’équipements
électriques ou électroniques rencontrent les mêmes problèmes. Même si
l’on trouve des contraintes physiques pour éviter une mauvaise insertion, il
est souvent compliqué de déterminer l’orientation correcte, en particulier
quand les connecteurs et les prises sont difficiles à atteindre, dans un
recoin mal éclairé. Une prise USB, par exemple, présente des contraintes
mais il est souvent nécessaire de la tourner et retourner pour trouver
l’orientation correcte. Pourquoi tous ces appareils ne sont-ils pas
utilisables quelle que soit l’orientation ?
Il n’est pas difficile de concevoir des clés et des prises qui fonctionnent
quel que soit le sens dans lequel on les insère. Les clés pour les
automobiles et de nombreux connecteurs électriques sont insensibles à
l’orientation depuis des années, mais tous les fabricants ne les utilisent
pas. Pourquoi une telle résistance ? Une partie de la réponse se trouve dans
le coût lié à une modification massive. Toutefois, c’est sans doute plutôt
un problème de volonté de l’entreprise : « Nous avons toujours fait les
choses ainsi alors pourquoi faire autrement pour faire plaisir aux
clients ? »
Bien entendu, il est vrai que les difficultés à insérer les clés, les piles ou
les prises ne guident pas la décision au moment de l’achat. Toutefois,
l’absence d’attention envers les besoins du client est souvent le symptôme
de problèmes plus importants qui ont bien plus d’impacts.
Notez qu’une meilleure solution consisterait à résoudre les besoins
fondamentaux à la racine. Après tout, on n’est pas intéressé par les
serrures et les clés ; tout ce que l’on souhaite, c’est que seules les
personnes autorisées puissent accéder à ce qui est fermé. Plutôt que de
refaire les formes des clés physiques, il faut les rendre inutiles. Une fois
que l’on envisage cela, de nombreuses possibilités apparaissent. Des
fermetures à combinaison qui ne demandent pas de clé, des fermetures
sans clé manœuvrables uniquement par des personnes autorisées. Une des
méthodes consiste à utiliser un appareil électronique sans fil, comme un
badge d’identification qui déverrouille les portes lorsqu’il est approché
d’un capteur. Il y a aussi l’exemple des clés de voiture qui restent dans la
poche ou dans une sacoche. Les appareils biométriques identifient une
personne à l’aide de la reconnaissance faciale ou vocale, par l’empreinte
des doigts ou toute autre mesure biométrique (par exemple, l’iris des
yeux). Cette approche a été présentée au chapitre 3.
Contraintes culturelles
Chaque culture définit un ensemble d’actions autorisées dans des
situations sociales. Par exemple, nous savons comment nous comporter
dans un restaurant de notre culture, même dans un établissement où nous
ne nous sommes jamais rendus auparavant. C’est de cette manière que
nous parvenons à nous en sortir lorsque notre hôte nous laisse seuls dans
une pièce étrange, lors d’une fête étrange avec des personnes étranges.
C’est aussi la raison pour laquelle nous nous sentons frustrés et incapables
d’agir lorsque nous sommes confrontés à un restaurant ou à des personnes
issues d’une culture inconnue, là où notre comportement, normalement
accepté, est clairement inapproprié et mal vu. Les problèmes culturels sont
également à la base de nombreuses difficultés que nous rencontrons avec
les nouvelles machines. Il n’existe pas encore de convention
universellement acceptée pour les gérer.
Ceux d’entre nous qui étudient ces éléments pensent que des lignes
directrices du comportement culturel sont représentées dans l’esprit par
des schémas, des structures de connaissance qui contiennent les règles et
les informations nécessaires pour interpréter les situations et guider le
comportement. Dans certains cas stéréotypés (par exemple, un restaurant),
les schémas peuvent être spécialisés.
Les spécialistes en sciences cognitives Roger Schank et Bob Abelson
proposent que, dans de tels cas, nous suivions des scripts qui guident le
comportement. Le sociologue Erving Goffman appelle les contraintes
sociales des cadres et il montre comment ces cadres régissent le
comportement, même lorsqu’une personne se trouve dans une situation ou
une culture nouvelle. Le danger attend ceux qui violent délibérément les
cadres d’une culture.
La prochaine fois que vous serez dans un ascenseur, essayez de violer les
normes culturelles ; vous constaterez à quel point vous, et les autres
personnes se trouvant dans l’ascenseur, vous sentirez mal à l’aise. Cela ne
prend pas beaucoup de temps : mettez-vous face au mur du fond, pour
tourner le dos. Vous pouvez aussi regarder directement certains passagers.
Dans un bus ou dans le métro, laissez votre siège à une personne d’aspect
sportif (c’est particulièrement efficace si vous êtes une personne âgée,
enceinte ou handicapée).
En ce qui concerne la maquette Lego de la figure 4-1, des contraintes
culturelles déterminent l’emplacement des trois feux de la moto (ils sont
parfaitement interchangeables). Le rouge est la norme qui définit
culturellement le feu stop placé à l’arrière. De plus, un véhicule de police
possède souvent un éclairage bleu clignotant sur le dessus. L’élément
jaune est un exemple intéressant de changement culturel. Aujourd’hui, peu
de personnes se souviennent que le jaune était une couleur de phare
standard dans les pays d’Europe (Lego vient du Danemark). Actuellement,
les normes européennes et nord-américaines exigent des phares blancs. Par
conséquent, il n’est plus aussi simple qu’avant de déterminer que la pièce
jaune représente le phare à l’avant de la moto. Les contraintes culturelles
sont susceptibles de changer avec le temps.
Contraintes sémantiques
La sémantique étudie la signification. Les contraintes sémantiques sont
celles qui se fondent sur la signification d’une situation pour contrôler
l’ensemble des actions possibles. Dans le cas de la moto, il n’y a qu’un
seul endroit où cela fait sens d’installer le pilote, qui doit être assis et
dirigé vers l’avant. Le parebrise est là pour protéger le visage du pilote ; il
doit donc se trouver devant lui. Les contraintes sémantiques reposent sur
notre connaissance de la situation, mais aussi du monde. Une telle
connaissance peut être une clé importante et puissante. Cependant, comme
les contraintes culturelles, les contraintes sémantiques ont la possibilité
d’évoluer avec le temps. Les sports extrêmes repoussent les limites de ce
que nous considérons comme raisonnable. Les nouvelles technologies
changent le sens des choses. Et les créateurs changent continuellement la
manière dont nous interagissons avec nos technologies et nos semblables.
Lorsque les voitures deviendront entièrement automatisées et
communiqueront entre elles grâce à des réseaux sans fil, quelle sera la
signification des feux stop à l’arrière ? Que la voiture freine ? Mais à qui
le signal sera-t-il destiné ? Les autres voitures le sauront déjà. Ce feu stop
perdra tout son sens et devra être supprimé ou revu pour indiquer autre
chose. Les significations actuelles ne perdureront peut-être pas.
Contraintes logiques
La lumière bleue sur la moto Lego pose un problème particulier. De
nombreuses personnes n’ont pas la connaissance qui les aiderait.
Toutefois, après avoir monté toutes les autres pièces de la moto, il ne reste
qu’une seule pièce et un seul endroit pour l’installer. La lumière bleue a
été logiquement contrainte.
Les contraintes logiques sont par exemple souvent utilisées par les
personnes qui effectuent des réparations à domicile. Supposons que l’on
démonte un robinet qui fuit afin de changer un joint. Lorsque le robinet est
remonté, on s’aperçoit qu’il reste une pièce. C’est évidemment une erreur,
cette pièce aurait dû être installée.
Les mappings naturels présentés au chapitre 3 fonctionnent à l’aide de
contraintes logiques. Ici, on ne trouve pas de principes physiques ou
culturels, mais plutôt une relation logique entre la disposition spatiale ou
fonctionnelle des composants et des éléments liés. Si deux interrupteurs
contrôlent deux lumières, l’interrupteur de gauche doit actionner la
lumière de gauche ; l’interrupteur de droite, celle de droite. Si l’orientation
des voyants diffère de celle des commutateurs, le mapping naturel n’a
aucun sens.
Jadis, j’ai vécu dans une magnifique maison sur les falaises de Del Mar en
Californie. La maison a été conçue pour nous par deux jeunes architectes
primés. Elle était magnifique et les architectes ont prouvé leur valeur par
l’emplacement spectaculaire de la maison et les larges fenêtres qui
donnaient sur l’océan. Cependant, ils aimaient le design moderne, soigné
et épuré. À l’intérieur de la maison se trouvaient, entre autres, de jolies
rangées d’interrupteurs : une ligne de quatre (identiques) dans le hall
d’entrée, une colonne de six dans le salon. Lorsque nous nous sommes
plaints, les architectes nous ont répondu que nous finirions par nous y
habituer. Nous n’avons jamais réussi. La figure 4-4 montre une rangée de
huit interrupteurs que j’ai vue dans une maison que je visitais. Qui pourrait
se rappeler la fonction de chacun d’eux ? Ma maison n’en avait que six au
maximum et c’était déjà assez difficile.
Un manque de communication claire entre les personnes et les sociétés qui
construisent des parties d’un système est, sans doute, la cause la plus
courante de conceptions compliquées et confuses. Une bonne conception
commence par des observations minutieuses de la manière dont les tâches
sont réellement exécutées ; c’est l’analyse de la tâche. S’ensuit un
processus de conception qui correspond bien à ces méthodes d’exécution :
la conception centrée utilisateur (CCU), présentée au chapitre 6.
Pour résoudre le problème posé par les interrupteurs de ma maison à Del
Mar, il convient d’utiliser le mapping naturel. Avec six interrupteurs
placés dans une matrice unidimensionnelle, verticalement sur le mur, il
n’est pas possible de représenter naturellement les lumières placées à
l’horizontale sur le plafond. Pourquoi placer ces interrupteurs à plat sur le
mur ? Pourquoi ne pas les installer horizontalement, par analogie exacte
avec les objets contrôlés ? Nous avons monté un plan du salon sur plaque
et l’avons orienté par rapport à la pièce ; les interrupteurs ont été placés
sur le plan de l’étage de sorte que chacun soit situé dans la zone qu’il
contrôle (figure 4-5). La plaque était montée avec une légère inclinaison
par rapport à l’horizontale pour faciliter la visualisation et rendre la
cartographie claire. Si la plaque avait été verticale, la cartographie serait
restée ambiguë. Elle était également inclinée pour décourager les gens
(nous ou les visiteurs) de placer des objets dessus : c’est un exemple
d’anti-affordance. Nous avons simplifié les manipulations en déplaçant le
sixième commutateur vers un emplacement isolé, où sa signification était
claire.
Figure 4–5 Un mapping naturel de l’éclairage. J’ai placé cinq petits interrupteurs en
correspondance avec les lumières de mon salon. J’ai utilisé un plan du salon, du
balcon et du hall de la maison, chaque interrupteur étant placé à l’endroit où se trouvait
la lumière. Le X à côté du commutateur central indiquait où se situait la plaque sur le
plan (« Vous êtes ici ! »). La surface de cette plaque était inclinée pour en faciliter le
déchiffrage, mais aussi comme anti-affordance en empêchant les gens de poser des
objets sur les interrupteurs.
N.D.T. : les trois expressions se traduisent par verrouillage, mais l’auteur utilise ces
termes pour différencier les trois méthodes de verrouillage.
Interlock
L’interlock oblige à effectuer les opérations dans un ordre précis. Les fours
à micro-ondes et les appareils dont l’intérieur est exposé à une tension
élevée utilisent des fonctions de verrouillage pour empêcher les gens de se
mettre en danger. Le verrouillage coupe l’alimentation dès l’ouverture de
la porte ou dès que l’arrière de l’appareil est enlevé. Dans les automobiles
à boîte automatique, un verrouillage empêche de quitter la position de
stationnement sauf si on appuie sur la pédale de frein.
L’interrupteur homme-mort est une autre forme de verrouillage. Il est
utilisé pour assurer la sécurité, entre autres par les opérateurs de trains, les
tondeuses à gazon, les scies à chaîne et de nombreux véhicules de loisir.
Ce type de sécurité exige souvent que l’opérateur maintienne un
interrupteur à ressort pour que l’équipement fonctionne. Si l’opérateur
décède (ou perd le contrôle), l’interrupteur est relâché, ce qui arrête
l’équipement. Comme certaines personnes contournaient la sécurité en
attachant l’interrupteur (ou en plaçant un poids lourd sur les modèles à
commande au pied), diverses méthodes ont été développées pour
déterminer que la personne est vraiment vivante et alerte. Certains
modèles nécessitent un niveau de pression moyen, d’autres demandent
d’appuyer puis de relâcher. Certains encore nécessitent des réponses à des
requêtes. Dans tous les cas, il s’agit de verrouillages de sécurité destinés à
empêcher le fonctionnement lorsque l’opérateur n’en a pas la capacité.
Lock-in
Lockout
Figure 4–7 Un système lockout pour une sortie de secours. La grille, placée dans les
escaliers au niveau du rez-de-chaussée, évite que des personnes se précipitent au
sous-sol en cas d’urgence.
Alors qu’un système lock-in conserve une personne dans un espace précis
ou empêche toute action tant que les opérations souhaitées n’ont pas été
effectuées, un lockout empêche une personne d’entrer dans un espace
dangereux ou évite qu’un événement ne se produise. Un bon exemple de
lockout se trouve dans les escaliers de certains bâtiments (figure 4-7). En
cas d’incendie, les gens ont tendance à fuir paniqués. Ils descendent les
escaliers encore et encore et, arrivés au rez-de-chaussée, continuent vers le
sous-sol. La solution consiste à interdire le passage entre le rez-de-
chaussée et le sous-sol.
Les systèmes lockout sont généralement utilisés pour des raisons de
sécurité. Par exemple, pour les enfants, on protège l’ouverture des
armoires par des serrures, on met des caches sur les prises électriques ainsi
que des bouchons spéciaux sur les bouteilles de médicaments et de
substances toxiques. La goupille qui empêche l’activation d’un extincteur
d’incendie jusqu’à son retrait est aussi une fonction de verrouillage qui
empêche toute décharge accidentelle.
Les systèmes anti-erreur sont parfois pénibles en utilisation normale. Par
conséquent, beaucoup de gens vont délibérément les désactiver, se privant
ainsi de la sécurité. Le concepteur doit minimiser les nuisances tout en
conservant la fonction de sécurité. La porte de la figure 4-7 est un
compromis astucieux : suffisamment de retenue pour que les gens sachent
qu’ils quittent le rez-dechaussée, mais pas un obstacle puisqu’il suffit
d’ouvrir la grille pour passer.
D’autres dispositifs font un usage intéressant du système anti-erreur. Dans
certaines toilettes publiques, une étagère escamotable est placée sur le mur
juste derrière la porte des toilettes et elle est maintenue en position
verticale par un ressort. On abaisse l’étagère en position horizontale et le
poids d’un paquet ou d’un sac à main la maintient. Sa position est un
système anti-erreur : lorsque l’étagère est abaissée, la porte est
complètement bloquée. Donc, pour sortir de la cabine, on doit reprendre ce
qu’on y a posé.
Ceci, bien sûr, est similaire au problème que j’ai eu pour vider l’eau du lavabo de
mon hôtel (chapitre 1).
Question Réponse
Q1 – Pourquoi l’avion s’est-il écrasé ? Parce qu’il a fait une plongée non contrôlée.
Q2 – Pourquoi le pilote n’a-t-il pas récupéré Parce qu’il n’a pas pu faire une récupération
la plongée ? dans les temps.
Q3 – Pourquoi ? Parce qu’il était certainement inconscient
(ou privé d’oxygène).
Q4 – Pourquoi ? Nous ne savons pas, nous devons
chercher.
Etc.
Ici, l’exemple des cinq pourquoi n’offre qu’une analyse partielle. Par
exemple, nous avons besoin de savoir pourquoi l’avion plongeait (le
rapport l’explique, mais c’est trop technique pour en parler ici ; il suffit de
savoir qu’il était suggéré qu’il y avait un manque d’oxygène).
Cette procédure ne garantit pas le succès. La question « pourquoi ? » est
ambiguë et conduit à différentes réponses selon les enquêteurs. On est
également confronté à une tendance à arrêter trop tôt, sans doute lorsque la
limite de compréhension de l’enquêteur est atteinte. Cela met également
en avant le besoin de trouver une cause unique pour un incident alors que
les événements importants ont souvent plusieurs raisons complexes. Quoi
qu’il en soit, c’est une puissante technique.
Arrêter les recherches dès qu’on découvre une erreur humaine est une
tendance grandement répandue. Une fois, j’ai examiné plusieurs accidents
dans lesquels des ouvriers d’une société d’électricité, excellemment
formés, ont été électrisés lorsqu’ils sont entrés en contact ou se sont trop
approchés de lignes à haute tension. Toutes les enquêtes concluaient que
les ouvriers étaient fautifs, des conclusions que personne, pas même les
ouvriers (qui étaient encore en vie), n’a mises en doute. Pourquoi le
comité d’enquête n’a-t-il pas continué pour savoir pourquoi l’erreur s’est
produite et dans quelles circonstances ? Il n’est jamais allé suffisamment
loin pour trouver les causes profondes de l’accident. Il n’a pas, non plus,
été envisagé de revoir le système et les procédures pour que l’incident soit
impossible ou peu probable.
Je n’ai pas eu de mal à suggérer de simples changements de procédures
qui auraient évité la plupart des incidents dans la société. Le comité n’y
avait jamais pensé. Le problème, c’est que, pour suivre mes
recommandations, il convenait de ne pas encourager les ouvriers à se
prendre pour des super-héros capables de réparer tous les problèmes
d’électricité sans faire d’erreur. Il n’est pas possible d’éliminer l’erreur
humaine si elle est vue comme un échec personnel et non pas comme le
signe d’une faible conception des procédures ou des équipements. Mon
rapport rendu à l’exécutif a été reçu poliment. Plusieurs années après, j’ai
contacté un ami dans la société pour savoir quels changements avaient été
apportés. Il n’y en avait eu aucun et les accidents se produisaient toujours.
Le gros problème, c’est que la tendance à blâmer une personne pour une
erreur est également partagée par cette personne. Or, quand quelqu’un dit
« c’est de ma faute, je ferai mieux », ce n’est pas une analyse correcte du
problème. Cela ne résout pas le problème de la récurrence. Lorsque
plusieurs personnes rencontrent le même problème, ne serait-il pas bon de
trouver une autre cause ? Si le système laisse passer une erreur, c’est qu’il
est mal conçu. Si le système vous induit en erreur, c’est qu’il est très mal
conçu. Lorsque je tourne le mauvais bouton des plaques chauffantes, ce
n’est pas parce que je manque de connaissance, c’est à cause d’un mauvais
mapping entre les commandes et les foyers. Apprendre la relation
n’empêche pas de commettre des erreurs ; il faut revoir la conception des
plaques chauffantes.
Il n’est pas possible de corriger les problèmes tant que les gens
n’admettent pas qu’ils existent. Lorsque l’on accuse des personnes, il est
difficile de convaincre les sociétés de revoir la conception afin d’éliminer
les problèmes (après tout, si un individu est fautif, il suffit de le
remplacer). C’est rarement le cas. Généralement, le système, les
procédures et les pressions sociales ont conduit aux problèmes et rien ne
sera résolu sans régler tous ces facteurs.
Pourquoi les gens commettent-ils des erreurs ? Parce que la conception se
concentre sur les besoins du système et des machines et non pas sur ceux
des humains. Pour la plupart, les machines nécessitent des commandes
précises, forçant les utilisateurs à saisir à la perfection des informations
numériques. Or, les humains ne sont pas très bons en ce qui concerne la
précision. On commet fréquemment des erreurs lorsque l’on nous
demande de saisir des séquences de chiffres ou de lettres. Cela est
parfaitement connu, donc pourquoi les machines sont-elles toujours
conçues pour nécessiter une grande précision quand appuyer sur la
mauvaise touche peut provoquer de gros dégâts ?
Nous sommes des êtres créatifs, constructifs et des explorateurs. Nous
sommes particulièrement doués avec la nouveauté, dans la création de
nouvelles méthodes pour réaliser les choses et pour découvrir de nouvelles
opportunités. Des exigences ennuyeuses, répétitives et précises vont à
l’encontre de ces traits. Nous sommes attentifs aux changements de
l’environnement, nous remarquons les nouveautés et nous réfléchissons à
toutes les implications. Ce sont des vertus, mais elles ne le restent pas
quand nous sommes forcés de servir les machines. Nous sommes alors
punis pour un manque d’attention, pour ne pas suivre à la lettre les
consignes.
Le stress des délais est l’une des causes majeures. Le temps est un facteur
important, surtout dans les manufactures, dans les usines de traitement
chimique ou dans les hôpitaux. Même les tâches quotidiennes peuvent être
soumises à des délais. Si l’on ajoute des facteurs environnementaux,
comme une mauvaise météo ou des bouchons sur la route, le stress lié au
temps augmente. Une forte pression est exercée afin de ne pas ralentir le
processus parce que, dans une entreprise commerciale, un ralentissement
conduirait à une perte financière et, dans un hôpital, on pourrait avoir une
baisse de la qualité des soins. Il y a beaucoup de pression pour aller plus
loin dans le travail, même lorsqu’un observateur extérieur dit qu’il est
dangereux de procéder ainsi.
Dans de nombreuses industries, si les opérateurs suivaient toutes les
procédures, le travail ne serait jamais fait. Nous repoussons donc les
limites et nous restons debout plus longtemps que nous le devons. Nous
essayons de faire trop de tâches en même temps et nous roulons plus vite
que ce qui est permis. La plupart du temps, nous arrivons à gérer. On peut
même être félicité pour nos efforts héroïques. Cependant, quand les choses
tournent mal et que nous faisons une erreur, ce même comportement est
blâmé et sanctionné.
Dépassements délibérés
L’erreur n’est pas le seul type d’échec humain. Parfois, on prend des
risques en toute connaissance de cause. Lorsque le résultat est positif on
est souvent récompensé. Lorsque le résultat est négatif, on est sanctionné.
Comment classifier ce comportement conduisant à des dépassements
délibérés ? Dans la littérature de l’erreur, les violations des règles ont
tendance à être ignorées. Dans la littérature des accidents, ce sont pourtant
des composants importants.
Les dépassements délibérés jouent un rôle important dans de nombreux
accidents. Ils sont définis comme des cas où des personnes ont sciemment
violé les procédures et les règles. Pourquoi fait-on cela ? On peut dire que
nous avons probablement tous violé au moins une fois la loi, les règles ou
même notre propre système de valeurs. N’avez-vous jamais dépassé la
vitesse limite ? N’avez-vous jamais garé votre voiture sans payer le
stationnement ? N’avez-vous jamais accepté d’agir dangereusement,
même lorsque vous pensez qu’il faut être fou pour agir ainsi ?
Dans de nombreuses entreprises, les règles sont écrites plutôt pour être en
conformité avec la loi que pour prendre en compte les besoins des
travailleurs. Par conséquent, si ces derniers suivaient les règles, ils ne
parviendraient pas à réaliser leur travail. N’avez-vous jamais conduit en
étant trop fatigué ? N’êtesvous jamais allé travailler en étant malade (et
peut-être contagieux) ?
La violation des routines survient lorsque la non-conformité est si
fréquente qu’elle est ignorée. Les violations de situation se produisent
dans des circonstances spéciales (par exemple, griller le feu rouge parce
que l’on voit bien les autres voitures et que l’on est en retard). Dans
certains cas, violer une règle ou une procédure est la seule façon de mener
à bien un travail.
Les règles et les procédures inappropriées invitent à leur violation. Pire
encore, lorsque les ouvriers sentent qu’il est nécessaire de violer les règles
pour effectuer le travail et que c’est un succès, ils sont très probablement
félicités et reçoivent une prime. Ceci, bien entendu, entretient la non-
conformité. Les cultures qui encouragent et recommandent de telles
violations créent de mauvais modèles.
Même si les violations sont des formes d’erreur, il s’agit d’erreurs
organisationnelles et sociétales ; elles sont intentionnelles et connues pour
être potentiellement dangereuses. Cela va au-delà du sujet de la conception
des objets du quotidien. L’erreur humaine dont il est question ici n’est pas
intentionnelle.
Ratés
Un raté se produit quand une personne tente de réaliser une action et finit
par en faire une autre.
Il y a deux classes majeures de ratés : ceux fondés sur l’action et les
défaillances de la mémoire. Dans la première catégorie, l’action effectuée
n’est pas la bonne. Avec une défaillance de la mémoire, l’action prévue
n’est pas réalisée ou les résultats ne sont pas évalués. Les ratés peuvent
être encore classifiés en fonction de leurs causes.
Exemple d’un raté fondé sur l’action : je verse du lait dans mon café,
puis je range la tasse de café dans le réfrigérateur. Il s’agit de la bonne
action appliquée au mauvais objet.
Exemple d’une défaillance de la mémoire : j’oublie d’éteindre ma
plaque de cuisson après avoir préparé le repas.
Méprises
Une méprise se produit lorsque le but établi n’est pas le bon ou lorsque le
plan n’est pas correct. À partir de là, même si les actions sont exécutées,
elles font partie de l’erreur parce qu’elles sont inappropriées, le plan
d’exécution étant faux.
Les méprises se décomposent en trois classes majeures : fondées sur les
règles, fondées sur la connaissance et la défaillance de la mémoire. Dans
une méprise fondée sur les règles, la personne a correctement apprécié la
situation, mais elle choisit un mauvais enchaînement d’actions en suivant
la mauvaise règle. Avec une méprise fondée sur la connaissance, le
problème n’est pas correctement diagnostiqué à cause d’un manque de
connaissance. Une méprise par suite d’une défaillance de la mémoire se
produit quand il y a un oubli de l’objectif, du plan ou de l’évaluation.
Deux de ces méprises ont conduit à l’atterrissage d’urgence du Boeing 747
« Gimli Glider » :
Exemple de méprise fondée sur la connaissance : le poids du carburant
était indiqué en livres et non pas en kilogrammes.
Exemple de méprise par suite d’une défaillance de la mémoire : un
mécanicien n’a pas réussi à résoudre le problème en raison d’une
distraction.
L’erreur et les sept étapes de l’action
Les erreurs s’expliquent en faisant référence aux sept étapes du cycle de
l’action présentées au chapitre 2 (figure 5-2). Les méprises sont des
erreurs commises lors du choix de l’objectif ou de la planification et dans
la comparaison des résultats avec les attentes (les hauts niveaux de
cognition). Les ratés se produisent pendant l’exécution du plan ou dans la
perception ou l’interprétation de la sortie (les bas niveaux). Les
défaillances de la mémoire peuvent se produire dans n’importe laquelle
des huit transitions entre les étapes comme le montrent les X dans la figure
5-2 B ; une défaillance à l’un de ces emplacements empêche le
déroulement du cycle et l’action souhaitée ne s’accomplit pas.
Les ratés résultent des actions subconscientes que l’on réalise en chemin.
En revanche, les méprises proviennent de délibérations conscientes. C’est
le même processus qui nous rend créatifs et perspicaces en nous montrant
des relations entre des choses apparemment sans liens. Ce processus, grâce
auquel nous sommes capables de tirer des conclusions sur la base
d’éléments partiels, voire défectueux, nous conduit également à des
méprises. Notre faculté à généraliser à partir de peu d’informations est une
aide dans des situations nouvelles mais, parfois, on généralise trop vite en
regroupant une nouvelle situation avec une ancienne qui, en fait, est
totalement différente. Ceci conduit à une méprise qui peut être difficile à
découvrir et à éliminer.
Figure 5–2 Origine des ratés et des méprises dans le cycle d’action. La figure A
montre que les ratés se produisent dans les quatre étapes inférieures du cycle de
l’action et les méprises se placent dans les trois étapes supérieures. Les trous de
mémoire ont une influence sur les transitions entre les étapes (comme le montrent les
X de la figure B). Les trous de mémoire conduisent aux ratés quand ils sont placés aux
plus hauts niveaux et aux méprises quand ils sont placés aux plus bas niveaux.
Ratés de capture
J’utilisais un photocopieur et je comptais les pages. Je me suis retrouvé à
compter « 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, Valet, Dame, Roi ». J’avais
récemment joué aux cartes.
Les ratés de capture se définissent comme des situations où, au lieu de
réaliser l’activité souhaitée, on en effectue une autre, fréquente ou faite
récemment. L’activité est capturée. Les ratés de capture nécessitent qu’une
partie des séquences de l’action de départ et de l’autre action soient
identiques, une séquence étant plus familière que l’autre. Après avoir fait
la même chose, l’activité la plus fréquente ou la plus récente se poursuit et
l’activité prévue ne se réalise pas. La séquence inconnue capture rarement
la séquence familière. Si jamais elle le fait, il suffit de porter son attention
sur l’action souhaitée au moment où les séquences divergent entre les deux
activités. Les erreurs de capture sont donc des erreurs partielles de
mémoire. Fait intéressant, elles sont plus fréquentes chez les personnes
expérimentées que chez les débutants, en partie parce que la personne
expérimentée a automatisé les actions requises et peut ne pas être attentive
lorsque l’action envisagée s’écarte de l’action plus fréquente.
Les concepteurs doivent éviter les procédures qui commencent par les
mêmes étapes et qui divergent ensuite. Dans la mesure du possible, les
séquences doivent être conçues de manière à être différentes dès le début.
Checklist
Les checklists (listes de contrôle) sont des outils puissants ayant fait leurs
preuves pour améliorer la précision du comportement et pour réduire les
erreurs, en particulier les ratés, et les défaillances de la mémoire. Les listes
sont particulièrement importantes dans les situations avec de nombreux
besoins et, plus encore, quand on est sans cesse interrompu. Lorsque
plusieurs personnes sont impliquées dans une tâche, il est essentiel que les
niveaux de responsabilité soient clairement définis. Il est toujours meilleur
d’avoir deux personnes qui effectuent le contrôle de la liste en équipe :
l’une qui lit les instructions et l’autre qui les exécute. Lorsque, à la place,
un seul individu effectue le contrôle, puis que, plus tard, un deuxième
vérifie les éléments, le résultat n’est pas aussi fiable, chacun des deux
risquant de passer les étapes trop rapidement, persuadé que toute erreur
serait repérée par l’autre.
L’un des paradoxes des groupes c’est que, très souvent, l’ajout de plus de
deux personnes pour vérifier une tâche rend moins probable son exécution.
En effet, lorsque vous devez vérifier des valeurs sur une rangée de
cinquante afficheurs, mais que vous savez que deux personnes les ont déjà
vérifiées avant vous et qu’une ou deux personnes vont passer après pour
vérifier votre travail, vous risquez de ne pas prêter très attention aux
chiffres. Après tout, avec tant de personnes qui vérifient, il devrait être
impossible qu’un problème existe sans qu’il ne soit détecté. Pourtant, si
tout le monde pense la même chose, en ajoutant plus de contrôles on peut
en réalité augmenter les risques d’erreur. Une liste de contrôle suivie en
collaboration est un moyen efficace de contrecarrer ces tendances
humaines naturelles.
Dans l’aviation commerciale, les checklists sont considérées comme des
outils essentiels pour la sécurité. Elles sont établies par deux personnes,
généralement les deux pilotes de l’avion (le commandant de bord et
copilote). En aviation, les listes de vérification sont désormais obligatoires
pour tous les vols commerciaux américains. Cependant, malgré les
preuves solides qui confirment leur utilité, de nombreuses industries
continuent farouchement de ne pas les utiliser car cela donne l’impression
aux responsables que leur compétence est mise en doute. De plus, lorsque
deux personnes sont impliquées, une personne jeune (dans l’aviation, le
copilote) est invitée à surveiller l’action de la personne plus gradée ; c’est
une violation flagrante de la hiérarchie dans de nombreuses cultures.
Les médecins et autres professionnels de la santé ont fermement lutté
contre l’utilisation de checklists. Elles sont perçues comme une insulte à
leurs compétences professionnelles. C’est bien dommage, parce que
l’erreur est humaine. Nous sommes tous sujets à des ratés et à des
méprises lorsque nous sommes stressés, sous la pression horaire ou sociale
ou après avoir été soumis à de multiples interruptions. Être humain ne
constitue pas une menace pour la compétence professionnelle. Les
critiques de listes particulières servent de mise en accusation du concept
dans son ensemble. Par chance, les checklists commencent à être
acceptées dans le domaine médical. Lorsque les cadres insistent sur
l’utilisation de telles listes, cela renforce leur autorité et leur statut
professionnel. Il a fallu des décennies pour qu’elles soient acceptées dans
l’aviation commerciale ; espérons que la médecine et les autres
professions changeront plus rapidement.
Il est difficile de concevoir une checklist efficace. La conception doit être
itérative, sans cesse affinée et, dans l’idéal, prendre en compte les
principes de conception centrés sur l’humain (chapitre 6), en s’ajustant
continuellement jusqu’à ce qu’elle couvre les éléments essentiels sans
toutefois être fastidieuse à exécuter. De nombreuses personnes qui
s’opposent aux checklists s’opposent en fait à celles qui sont mal conçues.
Il est préférable que la checklist pour une tâche complexe soit établie par
des concepteurs professionnels en collaboration avec des experts en la
matière.
Les checklists imprimées présentent un défaut majeur, puisqu’elles
obligent à suivre les étapes dans un ordre séquentiel, même lorsque cela
n’est ni nécessaire, ni même possible. Dans le cas de tâches complexes,
l’ordre dans lequel de nombreuses opérations sont exécutées peut ne pas
avoir d’importance, dans la mesure où elles sont toutes terminées. Parfois,
des éléments ne peuvent pas être contrôlés au moment où ils apparaissent
dans la liste. Par exemple, dans l’aviation, l’une des étapes consiste à
vérifier la quantité de carburant dans l’appareil. Que se passe-t-il si
l’opération de remplissage n’est pas encore terminée lorsque cet élément
de la checklist apparaît ? Les pilotes la survoleront, dans l’intention d’y
revenir après le plein des réservoirs. C’est une faille évidente risquant de
créer une défaillance de mémoire.
En général, c’est une erreur de conception lorsque l’on impose une
structure séquentielle, sauf quand la tâche elle-même l’exige. C’est l’un
des principaux avantages des checklists électroniques. En effet, il est
possible de conserver une trace des éléments ignorés et on peut s’assurer
que la liste ne sera pas marquée comme complète tant que tous les
éléments n’auront pas été contrôlés.
Annuler
L’outil le plus puissant pour minimiser l’impact des erreurs est sans doute
la commande Annuler que l’on trouve dans les systèmes électroniques
modernes. Dans la mesure du possible, elle annule l’opération précédente
en supprimant les opérations effectuées. Les meilleurs systèmes ont
plusieurs niveaux d’annulation ; il est donc possible d’agir sur toute une
séquence d’actions.
Évidemment, il n’est pas toujours possible d’annuler des tâches. Parfois,
ce n’est possible qu’immédiatement après l’action. Néanmoins, cela reste
un outil puissant pour minimiser l’impact des erreurs. Il est toujours
étonnant pour moi que de nombreux systèmes électroniques et basés sur
ordinateur ne fournissent pas un moyen d’annuler même lorsque cela est
clairement possible et souhaitable.
Contrôle de la sensibilité
Les systèmes électroniques ont un autre avantage sur les systèmes
mécaniques. En effet, ils peuvent s’assurer que l’opération demandée n’est
pas sensible.
Il est stupéfiant que, dans le monde actuel, le personnel médical puisse
accidentellement choisir une dose de radiations des dizaines de fois
supérieure à la normale et que l’équipement la délivre sans broncher. Dans
certains cas, il n’est pas possible à l’opérateur de s’apercevoir de l’erreur.
De même, des erreurs dans la saisie de sommes monétaires risquent
d’avoir des résultats désastreux, même si un rapide coup d’œil sur la
valeur montre que quelque chose ne va pas. Par exemple, prenons un
change de 1 000 wons coréens pour un dollar américain. Supposons que je
veuille transférer 1 000 dollars sur un compte bancaire coréen en wons
(soit environ 1 000 000 de wons). Imaginons que j’entre la valeur en wons
coréens dans le champ pour les dollars. Oups ! J’essaie de transférer un
million de dollars. Les systèmes intelligents prendraient note du montant
anormal de mes transactions et me demanderaient de confirmer ce dernier.
Les systèmes moins intelligents suivraient aveuglément les instructions,
même si je n’ai pas un million de dollars sur mon compte (de plus, des
frais de découvert seraient probablement facturés).
Bien entendu, les contrôles de sensibilité sont également une solution
contre les graves erreurs causées par la saisie de valeurs inappropriées
dans les systèmes de traitement hospitalier, que ce soit pour des
médicaments ou des rayons X. C’est aussi un bon outil dans les
transactions financières.
Figure 5–3 Swiss cheese model. Les accidents ont généralement de multiples causes.
Si aucune de ces causes ne s’était produite, l’accident n’aurait pas eu lieu. Le
chercheur britannique sur les accidents James Reason décrit cela à travers la
métaphore des tranches de gruyère. Si les trous ne sont pas parfaitement alignés, il n’y
aura pas d’accident. Cette métaphore fournit deux leçons : premièrement, il n’est pas
nécessaire de trouver « la » cause d’un accident et, deuxièmement, nous pouvons
réduire les accidents et rendre les systèmes plus résilients avec des précautions
supplémentaires (plus de tranches de fromage), moins de risques de ratés, de
méprises ou de pannes d’équipement (moins de trous) et des mécanismes très
différents dans les différentes sous-parties du système (les trous ne s’alignent pas).
Dessin basé sur celui de Reason, 1990.
Ingénierie de la résilience
Dans les applications industrielles, les accidents dans de grands systèmes
complexes (puits et raffineries de pétrole, usines de traitement chimique,
systèmes d’alimentation électrique, transports, services médicaux) risquent
d’avoir des impacts majeurs sur l’entreprise et la communauté
environnante.
Parfois, les problèmes ne surgissent pas dans l’organisation, mais en
dehors de celle-ci, par exemple lors de violentes tempêtes, de
tremblements de terre ou de raz-de-marée, provoquant la destruction d’une
grande partie de l’infrastructure existante. Dans les deux cas, la question
est de savoir comment concevoir et gérer ces systèmes de manière à
pouvoir restaurer les services avec un minimum de perturbations et de
dommages. Une approche importante est l’ingénierie de la résilience, avec
pour objectif la conception de systèmes, de procédures, de gestion et de
formation des personnes afin qu’elles soient en mesure de réagir aux
problèmes qui se posent. Il faut s’efforcer de garantir que la conception de
tous ces éléments (équipements, procédures et communication, aussi bien
entre travailleurs que de manière externe avec la direction et le public) soit
continuellement évaluée, testée et améliorée.
Ainsi, les principaux fournisseurs d’ordinateurs provoquent parfois
délibérément des erreurs dans leurs systèmes afin de vérifier dans quelle
mesure la société est capable de réagir. Cela se fait en fermant
délibérément les installations critiques afin de garantir le bon
fonctionnement des systèmes de sauvegarde ou redondants. Bien que cela
semble dangereux de procéder ainsi lorsque les systèmes sont en ligne et
servent de vrais clients, c’est le seul moyen de tester ces grands systèmes
complexes. Les petits tests et les simulations ne prennent pas en compte la
complexité, les niveaux de stress et les événements inattendus qui
caractérisent les défaillances d’un système réel.
Erik Hollnagel, David Woods et Nancy Leveson, auteurs d’une première
série influente de livres sur le sujet, ont habilement résumé cela :
L’ingénierie de la résilience est un paradigme pour la gestion de la
sécurité qui se concentre sur la façon d’aider les gens à faire face à la
complexité sous la pression de la réussite. Cela contraste fortement avec
ce qui est typique aujourd’hui – un paradigme d’erreurs de tabulation
comme s’il s’agissait d’une chose, suivi d’interventions destinées à réduire
ce nombre. Une organisation résiliente considère la sécurité comme une
valeur fondamentale et non comme un produit de base. En effet, la sécurité
ne se manifeste que par les événements qui ne se produisent pas ! Plutôt
que de considérer les succès passés comme une raison de réduire les
investissements, ces organisations continuent d’investir dans
l’anticipation du potentiel d’échec car elles savent que leur connaissance
des lacunes est imparfaite et que leur environnement évolue constamment.
Une mesure de la résilience est donc la capacité à prévoir, à anticiper la
forme changeante du risque, avant que l’échec et le dommage ne
surviennent.
Reproduit avec la permission des éditeurs.
Hollnagel, Woods et Leveson, 2006, p. 6.
Le paradoxe de l’automatisation
Les machines deviennent intelligentes et de plus en plus de tâches sont
entièrement automatisées. On a tendance à croire que de nombreuses
difficultés liées au contrôle humain vont disparaître. Dans le monde entier,
les accidents de la route tuent et blessent des dizaines de millions de
personnes chaque année. Lorsque nous aurons finalement généralisé
l’utilisation de voitures autonomes, le taux d’accidents et de victimes sera
probablement considérablement réduit, tout comme l’automatisation dans
les usines et l’aviation a permis d’accroître l’efficacité tout en réduisant à
la fois les erreurs et le taux de blessures.
Lorsque l’automatisation fonctionne, c’est merveilleux ; cependant, en cas
d’échec, son impact est généralement inattendu et, par conséquent,
dangereux. Aujourd’hui, les systèmes d’automatisation et de production en
réseau ont considérablement réduit la durée pendant laquelle l’électricité
n’est pas disponible pour les habitations et les entreprises. Néanmoins,
lorsque le réseau électrique tombe en panne, cela affecte parfois de vastes
régions d’un pays et met plusieurs jours à se rétablir. Avec les voitures
autonomes, je prédis que nous aurons moins d’accidents et de blessures,
mais que, s’il y a un accident, il sera énorme.
L’automatisation devient de plus en plus capable. Les systèmes
automatiques savent prendre en charge des tâches autrefois effectuées par
des humains : maintenir une température appropriée, piloter
automatiquement une voiture (dans la voie qui lui est assignée et à la
bonne distance de sécurité du véhicule précédent), un avion (hormis le
décollage et l’atterrissage) ou un bateau. Lorsque l’automatisation
fonctionne, les tâches sont généralement effectuées aussi bien, voire
mieux, que par des personnes. De plus, cela évite des tâches routinières et
ennuyeuses et réduit la fatigue et les erreurs. Cependant, lorsque la tâche
devient trop complexe, l’automatisation a tendance à baisser les bras. Bien
entendu, c’est précisément au moment où on en a le plus besoin. Le
paradoxe est que l’automatisation peut prendre en charge les tâches
fastidieuses, mais échouer avec les tâches complexes.
Lorsque l’automatisation échoue, c’est souvent sans avertissement. C’est
une situation que j’ai décrite de manière très détaillée dans mes autres
livres et dans beaucoup de mes articles, à l’instar de nombreuses autres
personnes travaillant dans le domaine de la sécurité et de l’automatisation.
Lorsque l’échec survient, l’être humain n’est pas au courant : la personne
n’a pas accordé beaucoup d’attention à l’opération et il lui faut un certain
temps pour remarquer et évaluer l’échec, puis pour décider comment
réagir.
Dans un avion, lorsque l’automatisation échoue, les pilotes ont
généralement beaucoup de temps pour comprendre la situation et réagir.
Les avions volent assez haut, à plus de 10 km au-dessus de la terre. Même
si leur appareil commence à tomber en panne, les pilotes disposent de
plusieurs minutes pour réagir et sont extrêmement bien entraînés. Lorsque
l’automatisation échoue dans une automobile, il n’y a qu’une fraction de
seconde pour éviter l’accident, ce qui est extrêmement difficile, même
pour un expert de la conduite ; or, les conducteurs ordinaires ne sont pour
la plupart pas bien formés.
Dans d’autres circonstances, telles que sur un bateau, il peut y avoir plus
de temps pour réagir, mais à condition de remarquer l’échec de
l’automatisation. Dans un cas dramatique, l’échouement du paquebot de
croisière Royal Majesty en 1995, l’échec a duré plusieurs jours et n’a été
détecté que dans l’enquête postaccident, causant plusieurs millions de
dollars de dommages. Dans cet accident, la position du navire était
normalement déterminée par le système de positionnement global (GPS),
mais le câble qui reliait l’antenne du satellite au système de navigation
avait été déconnecté (personne n’a trouvé comment). Par conséquent, le
système de navigation est passé de l’utilisation des signaux GPS à la
« méthode du calcul », qui consiste à estimer la position du navire à partir
de la vitesse et de la direction du trajet ; toutefois, à cause de la conception
du système de navigation, ce changement n’a pas été indiqué. Alors que le
navire se dirigeait des Bermudes vers sa destination de Boston, il s’est trop
éloigné au sud et s’est échoué à Cape Cod, une péninsule émergeant de
l’eau au sud de Boston. L’automatisation fonctionnait parfaitement depuis
des années, ce qui a accru la confiance et le respect des utilisateurs ; ainsi,
la vérification manuelle normale de la position ou la lecture attentive de
l’affichage n’ont pas été faits. Ce fut une énorme défaillance d’erreur de
mode.
Principes de conception pour traiter les
erreurs
Les gens sont flexibles, polyvalents et créatifs. Les machines sont rigides,
précises et leurs opérations relativement fixes. Il y a une disparité entre les
deux qui peut, utilisée correctement, conduire à une amélioration de la
capacité. Pensez à une calculatrice électronique. Elle ne raisonne pas sur
les problèmes de mathématiques comme une personne, mais elle est
capable de mener sans erreur des calculs très complexes. Un humain plus
une calculatrice donnent une collaboration parfaite : le premier découvre
quels sont les problèmes importants et comment les énoncer, tandis que la
seconde calcule les solutions.
Des difficultés surviennent lorsque nous ne considérons pas les personnes
et les machines comme des systèmes collaboratifs, mais assignons toutes
les tâches automatisables aux machines et laissons le reste aux humains.
Cela finit par imposer aux gens de se comporter comme des machines ; ils
doivent surveiller les machines (ce qui signifie rester vigilant pendant de
longues périodes) et répéter des opérations avec une extrême précision et
avec l’exactitude exigées par les machines. Lorsque nous divisons de cette
manière les composants humains et machines d’une tâche, nous ne
parvenons pas à tirer parti des forces et des capacités humaines, mais nous
nous basons plutôt sur des domaines dans lesquels nous sommes
génétiquement, biologiquement inadaptés. Pourtant, quand les gens
échouent, ils sont blâmés.
Ce que nous appelons « erreur humaine » est souvent simplement une
action inappropriée aux besoins de la technologie. En conséquence, cela
marque un déficit dans notre technologie. Cela ne devrait pas être
considéré comme une erreur. Nous devrions éliminer ce concept et nous
rendre compte que les personnes peuvent utiliser de l’aide pour traduire
leurs objectifs et leurs plans sous une forme appropriée pour la
technologie.
Compte tenu du décalage entre les compétences humaines et les exigences
technologiques, les erreurs sont inévitables. Par conséquent, les meilleures
conceptions prennent ce fait pour acquis et cherchent à minimiser les
risques d’erreurs tout en atténuant les conséquences. Supposez que chaque
incident possible se produise, alors protégez-vous contre eux. Rendez les
actions réversibles pour que les erreurs soient moins coûteuses. Voici des
principes clés de conception.
Indiquez les connaissances nécessaires à travers le monde pour utiliser
la technologie. Ne demandez pas qu’elles soient forcément sues.
Permettez un fonctionnement efficace pour des experts capables de
travailler sans cette aide extérieure, mais également pour des
débutants qui en ont besoin. Cela aidera également les experts qui
doivent effectuer une opération qui l’est rarement ou revenir à la
technologie après une absence prolongée.
Appuyez-vous sur les contraintes naturelles et artificielles, physiques,
logiques, sémantiques et culturelles. N’hésitez pas à forcer des
fonctions et des mappings naturels.
Créez une passerelle entre les fossés de l’exécution et de l’évaluation.
Rendez les choses visibles, à la fois pour l’exécution et l’évaluation.
Fournissez des informations complémentaires et rendez les options
facilement disponibles. Pour l’évaluation, fournissez un feedback,
faites ressortir les résultats de chaque action. Facilitez l’estimation du
statut du système, avec précision et sous une forme compatible avec
les objectifs, les plans et les attentes de la personne.
Nous devrions traiter les erreurs en les englobant, en cherchant à
comprendre les causes et en veillant à ce qu’elles ne se reproduisent plus.
Nous devons aider plutôt que punir ou réprimander.
6
Design Thinking
Observation
La recherche initiale pour comprendre la nature du problème concerne le
client et les personnes qui utiliseront les produits en question. Cela n’a rien
à voir avec les recherches que mènent les scientifiques dans leurs
laboratoires pour essayer de trouver de nouvelles lois de la nature. Le
concepteur s’adresse aux clients potentiels, observe leurs activités, tente de
comprendre leurs intérêts, leurs motivations et leurs véritables besoins. La
définition du problème pour la conception du produit proviendra de cette
profonde compréhension des objectifs que les utilisateurs essaient
d’atteindre et des obstacles qu’ils rencontrent. L’une des techniques
consiste à observer les clients potentiels dans leur environnement naturel,
dans leur vie normale, quel que soit le lieu d’utilisation du produit ou du
service conçu. On les observe chez eux, dans leurs écoles et leurs bureaux.
On les regarde lors de soirées, au moment des repas ou avec des amis au
bar du quartier. Si nécessaire, on les suit sous la douche, car il est essentiel
de comprendre les situations réelles dans lesquelles ils se trouvent et non
une expérience purement isolée. Cette technique s’appelle l’ethnographie
appliquée, une méthode adaptée du domaine de l’anthropologie.
L’ethnographie appliquée diffère de la pratique plus lente, plus
méthodique et axée sur la recherche des anthropologues universitaires, car
les objectifs sont différents.
D’une part, les concepteurs ont pour objectif de déterminer les besoins
humains auxquels de nouveaux produits seront capables de répondre.
D’autre part, les cycles de produit sont déterminés par le calendrier et le
budget, les deux nécessitant une évaluation plus rapide que celle habituelle
des études universitaires pouvant durer des années.
Il est important que les personnes observées correspondent au public cible.
Notez que les mesures traditionnelles, telles que l’âge, le niveau
d’instruction et le revenu, ne sont pas toujours pertinentes. Ce qui compte
le plus, ce sont les activités à effectuer. Même lorsque nous examinons des
cultures très différentes, les activités sont souvent étonnamment similaires.
En conséquence, les études peuvent se concentrer sur les activités et la
manière dont elles sont effectuées, tout en restant sensibles à la manière
dont l’environnement et la culture locale les modifient. Dans certains cas,
tels que les produits largement utilisés dans les affaires, l’activité domine.
Ainsi, les automobiles, les ordinateurs et les téléphones sont assez
normalisés dans le monde entier, car leur conception reflète les activités
prises en charge.
Des analyses détaillées du groupe visé sont parfois nécessaires. Les
adolescentes japonaises sont très différentes des femmes japonaises et, à
leur tour, très différentes des adolescentes allemandes. Si un produit est
destiné à de telles catégories culturelles, il faut étudier la population
exacte. En suivant la même idée, on pourrait dire que différents produits
répondent à des besoins différents. Certains produits sont également des
symboles de statut ou d’appartenance à un groupe. Ici, bien qu’ils
remplissent des fonctions utiles, ce sont aussi des objets de mode. C’est là
que les adolescents d’une culture diffèrent de ceux d’une autre et même
des enfants plus jeunes et des adultes de la même culture. Les concepteurs
doivent adapter soigneusement leurs observations au marché et aux
personnes auxquels le produit est destiné.
Le produit sera-t-il utilisé dans un pays autre que celui où il est conçu ?
Pour le savoir, il faut y aller et inclure des natifs dans l’équipe. Ne prenez
pas de raccourci en restant dans votre élément et en discutant avec des
étudiants ou des visiteurs du pays. Ce que vous apprendrez est rarement le
reflet fidèle de la population cible ou de la manière dont le produit proposé
sera utilisé. Il n’y a pas de substitut à l’observation directe et à
l’interaction avec les utilisateurs.
Le premier diamant, qui consiste à trouver le bon problème, nécessite une
compréhension profonde des véritables besoins des personnes. Une fois le
problème défini, pour trouver une solution appropriée, cela nécessite de
nouveau une compréhension approfondie de la population visée, de la
manière dont ces personnes exercent leurs activités, de leurs capacités et
de leur expérience antérieure, ainsi que des problèmes culturels qui
risquent d’apparaître.
Conception vs marketing
La conception et le marketing sont deux parties importantes du groupe de
développement du produit. Ces deux éléments sont complémentaires, mais
ils ont chacun un objectif différent. Le concepteur souhaite savoir de quoi
les gens ont réellement besoin et comment ils vont utiliser le produit. Le
marketing cherche à savoir comment ils vont prendre leur décision
d’achat. Les deux groupes ont donc leur propre méthode d’analyse.
Les concepteurs se servent de méthodes d’observation qualitatives qui
montrent comment les utilisateurs se comportent dans leur environnement.
Ces méthodes sont très chronophages ; par conséquent, l’échantillon
observé est petit.
Le marketing est plus axé sur les clients. Il étudie qui serait susceptible
d’acheter le produit et quels sont les facteurs qui inciteraient à l’achat. Le
marketing utilise traditionnellement des études quantitatives à grande
échelle, faisant largement appel à des groupes de discussion (jusqu’à des
centaines de personnes), des enquêtes et des questionnaires (dizaines de
milliers).
L’avènement d’Internet et la possibilité d’évaluer d’énormes quantités de
données ont donné lieu à de nouvelles méthodes d’analyse de marché. On
appelle cela le big data ou parfois marché analytique. Avec les sites web
populaires, il est possible d’effectuer des tests A/B. Ils consistent à fournir
deux variantes potentielles d’une offre. On propose un ensemble A de
pages web à une fraction de visiteurs sélectionnée au hasard (peut-être
10 %) et une alternative B à un autre groupe de personnes. En quelques
heures, des centaines de milliers d’internautes peuvent avoir été exposés à
chaque série de tests, ce qui montre facilement lequel donne les meilleurs
résultats. En outre, le site web peut capturer une mine d’informations sur
les personnes et leur comportement : âge, revenus, adresses personnelle et
professionnelle, achats antérieurs et autres sites visités. Les vertus de
l’utilisation du big data pour les études de marché sont fréquemment
vantées. Les lacunes sont rarement signalées, sauf en ce qui concerne les
atteintes à la vie privée. Outre ces dernières, le véritable problème c’est
que les résultats n’indiquent en rien les besoins réels des gens, ni leurs
désirs, ni les raisons de leurs activités. En conséquence, ces données
numériques donnent une fausse image de la population. Malgré tout,
l’utilisation du big data et des analyses de marché est séduisante : il n’y a
pas de déplacements, peu de dépenses, des chiffres énormes, des
graphiques parlants et des statistiques impressionnantes. Tout cela est très
persuasif pour l’équipe de direction qui doit décider des nouveaux produits
à développer. Après tout, qu’est-ce qui vous inspirerait confiance ? Des
graphiques colorés, des statistiques et des niveaux d’importance bien
présentés, basés sur des millions d’observations, ou les impressions
subjectives d’une équipe hétéroclite de concepteurs travaillant, dormant et
mangeant dans des villages isolés et des infrastructures médiocres ?
Les différentes méthodes ont des objectifs qui divergent et produisent des
résultats très variés. Les concepteurs se plaignent du fait que les méthodes
utilisées par le marketing ne traduisent pas un comportement réel. Ce que
les gens disent et ce qu’ils font ne correspond ni à leur comportement ni à
leurs désirs. Les spécialistes du marketing se plaignent du fait que, même
si les méthodes des concepteurs fournissent des informations
approfondies, le faible nombre de personnes observées est une source de
préoccupation, alors que les méthodes de marketing traditionnelles
fournissent des informations peu profondes sur un grand nombre de
personnes.
Le débat est inutile. Tous les groupes sont nécessaires. Les études auprès
des clients sont un compromis. Elles donnent une connaissance
approfondie des besoins réels d’un petit groupe de gens, par opposition à
des données d’achat vastes et fiables provenant d’un large éventail de
personnes. Nous avons besoin des deux. Les concepteurs comprennent de
quoi les utilisateurs ont vraiment besoin. Le marketing comprend ce que
les gens achètent réellement. Ce ne sont pas les mêmes choses ; c’est
pourquoi les deux approches sont nécessaires et devraient travailler
ensemble.
Quelles sont les exigences pour un produit réussi ? D’abord, si personne
n’achète le produit, rien d’autre n’a d’importance. La conception du
produit doit prendre en charge tous les facteurs qui poussent les personnes
à effectuer l’achat. Ensuite, une fois que le produit a été acheté et mis en
service, il doit répondre à des besoins réels pour que les utilisateurs
puissent s’en servir, le comprendre et en profiter. Les spécifications de
conception doivent inclure les deux facteurs, le marketing et la conception,
l’achat et l’utilisation.
Génération d’idées
Une fois les exigences de conception définies, l’étape suivante consiste à
trouver des solutions. Ce processus s’appelle génération d’idées ou
idéation.
C’est la partie amusante de la conception, où la créativité est essentielle. Il
existe de nombreuses manières de trouver des idées. Beaucoup utilisent le
brainstorming. Quelle que soit la méthode utilisée, deux règles principales
s’appliquent :
Lancer de nombreuses idées. Il est dangereux de se limiter à une
idée ou deux, trop tôt dans le processus.
Être créatif sans égard aux contraintes. Évitez de critiquer les idées,
que ce soit les vôtres ou celles des autres. Même des idées folles,
souvent clairement fausses, peuvent receler des pistes qui serviront
lors de la sélection de l’idée finale. Évitez le rejet prématuré des idées.
J’ajoute une troisième règle :
Tout remettre en question. J’aime particulièrement les questions
stupides. Une question stupide repose sur des éléments fondamentaux
pour lesquels tout le monde pense que la réponse est évidente.
Cependant, lorsque la question est prise au sérieux, elle s’avère
souvent profonde ; la réponse n’est souvent pas si évidente que cela.
Ce que nous supposons évident est simplement la façon dont les
choses ont toujours été faites, mais maintenant que cela est remis en
question, nous n’en connaissons pas réellement les raisons. Très
souvent, la solution aux problèmes se découvre à travers des questions
stupides, en questionnant l’évidence.
Prototypage
Tester une idée est la seule façon de vraiment savoir si elle est bonne. On
construit un prototype ou une maquette rapide pour chaque solution. Dans
les premières étapes de ce processus, les maquettes seront des esquisses,
des modèles en mousse et en carton, ou des images réalisées avec de
simples outils de dessin. Il m’est arrivé de créer des maquettes avec des
feuilles de calcul, des diaporamas et des croquis sur des morceaux de
papier. Parfois, les idées sont mieux transmises par des dessins, surtout si
vous développez des services ou des systèmes automatisés difficiles à
prototyper.
Un des prototypes les plus populaires s’appelle le magicien d’Oz (Wizard
of Oz), d’après le roman de L. Frank Baum (et du film qui en est tiré). Le
sorcier n’était en réalité qu’une personne ordinaire mais, grâce à de la
fumée et à des miroirs, il paraissait mystérieux et tout-puissant. En
d’autres termes, tout était faux et le sorcier n’avait aucun pouvoir spécial.
La méthode du magicien d’Oz sert pour imiter un système énorme et
puissant bien avant sa construction. Il se montre parfois remarquablement
efficace dès les premières étapes du développement d’un produit. J’ai déjà
utilisé cette méthode pour tester un système de réservation de billets
d’avion conçu par un groupe de chercheurs au centre Palo Alto de Xerox
Corporation. Nous avons fait venir des personnes dans mon laboratoire à
San Diego, une à la fois, et nous les avons installées dans une petite pièce
isolée. Nous leur avons demandé de saisir leurs exigences de voyage sur
un ordinateur. Ils pensaient interagir avec un programme automatisé d’aide
au voyage mais, en fait, un de mes étudiants était assis dans une pièce
adjacente, lisait les questions et saisissait les réponses (recherchant les
vrais horaires de voyages, le cas échéant). Cette simulation nous a
beaucoup appris sur les exigences d’un tel système. Les demandes étaient
très différentes de celles pour lesquelles nous avions conçu le système. Par
exemple, une des personnes testées a demandé un billet aller-retour entre
San Diego et San Francisco. Une fois que le système a déterminé le vol
souhaité pour San Francisco, il a demandé la date de retour prévue. La
personne a répondu qu’elle voulait être rentrée le mardi suivant avant son
premier cours à 9 heures du matin. Nous avons vite compris qu’il n’était
pas suffisant de comprendre les phrases, mais que nous devions également
résoudre les problèmes en utilisant une connaissance approfondie, par
exemple sur les aéroports, les lieux de réunion, les habitudes de
circulation, les retards dans le retrait des bagages, la location de voitures
et, bien sûr, le stationnement. C’est bien plus que ce que notre système
était capable de faire. Notre objectif initial était de comprendre le langage.
Les études ont démontré que l’objectif était trop limité.
Pendant la phase de spécification du problème, le prototypage sert
principalement pour s’assurer que le problème est bien compris. Si la
population cible utilise déjà un outil lié au nouveau produit, cela peut être
considéré comme un prototype. Au cours de la phase de résolution du
problème, les prototypes réels de la solution proposée sont ensuite utilisés.
Test
Rassemblez un petit groupe de personnes correspondant à la population
cible du produit. Demandez-leur d’utiliser les prototypes comme s’ils
s’agissaient des produits finis. Si un appareil est conçu pour être utilisé par
une seule personne, testez-le sur une personne à la fois ; s’il est conçu pour
être utilisé par un groupe, testez sur un groupe. La seule exception à cette
règle est que, même si l’utilisation habituelle ne concerne qu’un seul
individu, il est intéressant de demander à deux personnes de s’en servir
ensemble, l’une exploitant le prototype, l’autre guidant les actions et
interprétant les résultats (à voix haute). Avec ce fonctionnement en
binôme, on amène les personnes à discuter ouvertement et naturellement
de leurs idées, de leurs hypothèses et de leurs frustrations. L’équipe de
conception doit observer, soit en s’asseyant derrière les personnes testées
(pour ne pas les distraire), soit en regardant la vidéo dans une autre pièce
(en laissant la caméra visible et en décrivant la procédure). Les
enregistrements vidéo des tests sont souvent très utiles pour les membres
de l’équipe qui n’étaient pas présents.
Une fois l’étude terminée, cherchez à obtenir des informations détaillées
sur les processus de pensée des gens. Retracez les étapes, en leur rappelant
leurs actions et en les interrogeant. Il est parfois utile de leur montrer les
enregistrements vidéo de leurs activités.
Les opinions varient sur la taille des échantillons à étudier. Mon associé,
Jakob Nielsen, défend depuis longtemps le nombre de cinq personnes,
étudiées individuellement. Ensuite, on analyse les résultats et on affine le
prototype. Généralement, cinq personnes suffisent pour faire des
découvertes majeures. Si vous voulez vraiment conduire des tests sur un
grand échantillon, il est bien plus efficace de procéder par groupes de cinq
individus en améliorant le système à chaque itération, jusqu’à ce que vous
ayez testé tout le monde.
À l’instar du prototypage, les tests sont effectués lors de la phase de
spécification du problème (pour vérifier qu’on le pose bien), puis à
nouveau lors de la phase de résolution (pour s’assurer que la nouvelle
conception répond aux besoins et aux capacités de ceux qui l’utiliseront).
Itérations
Le rôle de l’itération dans la conception centrée utilisateur est de permettre
une amélioration continue. L’objectif est de réaliser des prototypes et des
tests rapides ou, selon les mots de David Kelley, professeur à Stanford et
cofondateur de la société de design IDEO : « échouons fréquemment,
échouons vite ».
Beaucoup de cadres (et de responsables gouvernementaux) ne
comprennent pas vraiment cet aspect du processus de conception. Ils se
demandent pourquoi on voudrait échouer. Ils pensent qu’il suffit de
déterminer les exigences, puis de répondre à ces dernières. Les tests,
pensent-ils, ne sont nécessaires que pour s’assurer que les exigences sont
remplies. C’est cette philosophie qui conduit à de nombreux systèmes
inutilisables. Des tests et des modifications volontaires améliorent les
choses. Les échecs doivent être encouragés. En réalité, ils ne devraient pas
être appelés des échecs mais plutôt considérés comme des expériences
d’apprentissage. Si tout fonctionne parfaitement, il y a peu de choses à
apprendre. L’apprentissage se produit lorsque l’on rencontre des
difficultés.
La partie la plus complexe de la conception reste de répondre aux
exigences. Il faut donc s’assurer que le bon problème est résolu et que la
solution est appropriée. Les exigences abstraites, obtenues en demandant
aux personnes ce dont elles ont besoin, sont invariablement fausses. Les
exigences sont développées en observant les gens dans leur environnement
naturel.
Lorsqu’on demande aux gens de quoi ils ont besoin, ils pensent
principalement aux problèmes quotidiens auxquels ils sont confrontés,
remarquant rarement des problèmes et des besoins plus importants. Ils ne
remettent pas en question les principales méthodes qu’ils utilisent. En
outre, même s’ils expliquent soigneusement comment ils réalisent leurs
tâches et s’assurent ensuite que vous avez bien compris, ils changent
souvent leur propre description lorsque vous les regardez. On leur
demande pourquoi et ils répondent qu’ils doivent le faire différemment
parce que ça doit être un cas particulier. Il s’avère que les cas sont très
souvent particuliers. Tout système qui ne permet pas les cas particuliers
sera un échec.
Répondre aux exigences implique des études et des tests répétés, des
itérations. Observez et étudiez pour déterminer le problème et utilisez les
résultats des tests pour déterminer les parties de la conception qui
fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas. Ensuite, parcourez à
nouveau les quatre processus. Si nécessaire, relancez des recherches sur la
conception, trouvez plus d’idées, développez les prototypes et testez-les.
À chaque cycle, les tests et les observations sont plus ciblés et plus
efficaces, les idées deviennent plus claires, les spécifications sont mieux
définies et les prototypes plus proches du produit final. Après les
premières itérations, il est temps de commencer à converger vers une
solution. Les différentes idées de prototype peuvent être rassemblées en
une seule.
Quand le processus se termine-t-il ? C’est le chef de produit qui en décide.
Il doit fournir la plus haute qualité possible, tout en respectant le
calendrier. Dans le développement de produits, le calendrier et les coûts
sont des contraintes très fortes. Il incombe donc à l’équipe de conception
de répondre à ces exigences tout en parvenant à une conception
acceptable, de haute qualité. Quel que soit le temps alloué, les résultats
finaux ne semblent apparaître que dans les vingtquatre heures précédant
l’échéance.
Normalisation et technologie
Si nous examinons les progrès réalisés dans tous les domaines
technologiques au fil du temps, nous constatons que certaines
améliorations découlent naturellement de la technologie elle-même et
d’autres proviennent de la normalisation. L’histoire de l’automobile en est
un bon exemple. Les premières voitures ont été très difficiles à utiliser. Il
fallait de la force et des compétences dépassant les capacités d’un grand
nombre de personnes. Certains problèmes ont été résolus grâce à
l’automatisation : le starter, l’avance à l’allumage et le démarreur. D’autres
aspects de l’automobile et de sa conduite ont été normalisés grâce au long
processus des comités de normalisation internationaux :
le côté de la route où on conduit (constant dans un pays, mais pas
identique partout dans le monde) ;
le côté de la voiture où s’assoit le conducteur (dépendant du côté de la
route où la voiture roule) ;
l’emplacement des composants essentiels : volant, frein, embrayage et
accélérateur (identiques quel que soit le côté de la conduite).
La normalisation est une sorte de contrainte culturelle. Une fois que vous
avez appris à conduire une voiture, vous savez conduire n’importe quelle
voiture, n’importe où dans le monde. La normalisation constitue une
avancée majeure en matière de convivialité.
Forces en compétition
Aujourd’hui, les fabricants du monde entier se font concurrence et les
pressions sont fortes. Après tout, il n’y a que quelques possibilités pour un
fabricant de faire la différence ; les trois plus importantes sont le prix, les
caractéristiques et la qualité, hélas souvent dans cet ordre d’importance.
La rapidité est cruciale également, de peur qu’une autre société ne devance
sa présence sur le marché. Ces pressions font qu’il est difficile de suivre
l’intégralité du processus itératif d’amélioration continue du produit.
Même des produits relativement stables, tels que les automobiles, les
appareils de cuisine, les téléviseurs et les ordinateurs, sont confrontés aux
multiples forces d’un marché concurrentiel qui encourage l’introduction
de changements sans tests et sans améliorations suffisantes.
Voici un exemple simple et réel. Je travaille avec une nouvelle entreprise
qui démarre et développe une gamme innovante d’équipements de
cuisson. Les fondateurs ont eu des idées uniques, poussant la technologie
de la cuisine plus loin que tout ce qui est en vente pour les particuliers.
Nous avons effectué de nombreux tests sur le terrain, construit de
nombreux prototypes et engagé un concepteur industriel de classe
mondiale. Nous avons modifié le concept d’origine des produits, à
plusieurs reprises, en fonction des premières réactions des utilisateurs
potentiels et des conseils d’experts. Malheureusement, juste au moment où
nous étions sur le point de commander la première production de quelques
prototypes à montrer aux investisseurs et clients potentiels (une
proposition coûteuse pour la petite entreprise autofinancée), d’autres
sociétés ont commencé à présenter des concepts similaires dans les salons.
Ont-ils volé les idées ? Non, c’est ce que l’on appelle le Zeitgeist, un mot
allemand qui signifie « l’esprit du temps ». En d’autres termes, les idées
étaient dans l’air du temps. La compétition est apparue avant même que
nous ayons livré notre première production. Que peut faire une petite
entreprise qui démarre ? Elle n’a pas d’argent pour rivaliser avec les
grandes. Elle doit modifier ses idées pour rester en avance sur la
concurrence et proposer une démonstration capable de convaincre clients,
investisseurs et, plus important encore, distributeurs potentiels du produit.
Ces derniers sont les vrais clients et non les gens qui achètent finalement
le produit dans les magasins et l’utilisent chez eux. Cet exemple illustre les
véritables pressions commerciales exercées sur les entreprises : la
nécessité de rapidité, l’inquiétude quant aux coûts, la concurrence
susceptible de contraindre l’entreprise à modifier son offre et la nécessité
de satisfaire plusieurs catégories de clients (investisseurs, distributeurs et,
bien sûr, utilisateurs finaux). Sur quoi l’entreprise devrait-elle concentrer
ses faibles ressources ? Plus d’études d’utilisateurs ? Un développement
plus rapide ? De nouvelles fonctionnalités uniques ?
Les mêmes pressions se retrouvent également dans les entreprises établies,
qui en subissent également d’autres. Pour la plupart, les produits ont un
cycle de développement d’un à deux ans. Afin de faire émerger un
nouveau modèle chaque année, le processus de conception doit avoir
commencé avant même que le modèle précédent ait été livré aux clients.
De plus, les mécanismes de collecte et de restitution des expériences des
clients existent rarement. À une époque antérieure, les concepteurs et les
utilisateurs étaient étroitement liés. Aujourd’hui, ils sont séparés par des
barrières. Certaines entreprises interdisent aux concepteurs de travailler
avec des clients, une restriction bizarre et insensée. Pourquoi agissent-elles
ainsi ? En partie pour éviter les fuites des nouveaux développements vers
la concurrence, mais également parce que certains clients arrêteront
d’acheter les offres actuelles s’ils sont amenés à croire qu’un nouvel
article plus avancé va bientôt être commercialisé. Même en l’absence de
telles restrictions, la complexité des grandes organisations, conjuguée à la
pression incessante pour terminer le produit, rend cette interaction
difficile. Rappelezvous la loi Don Norman (chapitre 6) : le jour où un
processus de développement de produit commence, il est en retard et il
dépasse le budget imparti.
Fontionnalitite : une mortelle tentation
Chaque produit efficace est porteur d’une maladie insidieuse appelée
fonctionnalitite (de fonctionnalité), dont le symptôme principal est le
creeping featurism (la folie des fonctionnalités). La maladie semble avoir
été identifiée et nommée pour la première fois en 1976, mais son origine
remonte probablement à des technologies plus anciennes, enfouies loin
dans les siècles précédant l’aube de l’histoire. Cela semble inévitable, sans
prévention connue. Je vais vous expliquer.
Supposons que nous suivions tous les principes énoncés dans cet ouvrage
pour obtenir un produit merveilleux, centré utilisateur. Il obéit à tous les
principes de conception. Il surmonte les problèmes des gens et répond à
certains besoins importants. C’est attrayant, facile à utiliser et à
comprendre. En conséquence, supposons que le produit réussisse : de
nombreuses personnes l’achètent et conseillent à leurs amis d’en faire
autant. Quel pourrait être le problème ?
Le problème est que, dès que le produit est disponible depuis un certain
temps, de nouveaux facteurs apparaissent inévitablement, poussant la
société à ajouter de nouvelles fonctionnalités. Ces facteurs sont, entre
autres, les suivants :
les clients aiment le produit, mais souhaitent davantage de
fonctionnalités, plus de fonctions, plus de capacités ;
une entreprise concurrente ajoute de nouvelles fonctionnalités à ses
produits, créant des pressions pour répondre à cette offre et en faire
encore plus afin de devancer la concurrence ;
les clients sont satisfaits, mais les ventes diminuent car le marché est
saturé. Tous ceux qui veulent le produit l’ont déjà. Il est temps
d’ajouter de merveilleuses améliorations qui inciteront les gens à
acquérir le nouveau modèle.
La fonctionnalitite est très contagieuse. Les nouveaux produits sont
toujours plus complexes, plus puissants et de tailles différentes. Vous le
constatez avec les lecteurs de musique, les smartphones et les ordinateurs,
en particulier les smartphones et les tablettes. Les appareils portables
deviennent de plus en plus petits à chaque version, malgré l’ajout de
toujours plus de fonctionnalités (ce qui les rend encore plus difficiles à
utiliser). Certains produits, tels que les automobiles, les réfrigérateurs
domestiques, les téléviseurs et les cuisinières, deviennent de plus en plus
complexes à chaque sortie, devenant de plus en plus imposants et de plus
en plus puissants.
Que les produits deviennent plus gros ou plus petits, chaque nouvelle
édition a toujours plus de fonctionnalités que la précédente. La
fonctionnalitite est une maladie insidieuse et difficile à éradiquer, contre
laquelle il n’existe pas de vaccin. Il est facile pour les commerciaux de
faire pression pour ajouter de nouvelles fonctionnalités, mais il n’est pas
nécessaire de se débarrasser des anciennes fonctionnalités inutiles.
Comment savez-vous quand vous avez contracté la maladie ? Par son
symptôme majeur dont je vais donner un exemple. Regardez la figure 7-1,
qui illustre les changements apportés à la moto Lego depuis ma première
rencontre avec celleci pour la première édition de ce livre. La moto
d’origine (figures 4–1 et 7-1 A) ne comportait que quinze composants et
pouvait être assemblée sans instructions. Elle contenait suffisamment de
contraintes pour que chaque composant ait un emplacement et une
orientation uniques. Maintenant, elle comporte vingt-neuf pièces et j’ai eu
besoin d’instructions.
Le trait caractéristique est la tendance à augmenter le nombre de
fonctionnalités d’un produit, souvent au-delà de toute raison. Il est
impossible pour un produit de rester utilisable et compréhensible s’il
dispose de toutes les fonctionnalités spéciales ajoutées au fil du temps.
Figure 7–1 La fonctionnalitite rattrape Lego. L’image A montre la moto Lego d’origine,
disponible en 1988 et que j’ai utilisée dans la première édition de ce livre (à gauche), à
côté de la version 2013 (à droite). L’ancienne version n’avait que quinze pièces. Aucun
manuel n’était nécessaire pour le montage. Pour la nouvelle version, la boîte indique
fièrement qu’elle contient 29 pièces. La figure B montre l’avancement de la maquette
avant que j’abandonne et que je consulte les instructions. Pourquoi Lego a-t-il cru
devoir changer ? Peut-être parce que les motos de police ont été touchées par le virus,
les rendant plus grandes et plus complexes et, sans doute, Lego estimait que son jouet
devait correspondre à la réalité. Photographies de l’auteur.
Figure 7–3 Prédire l’avenir. Le vidéophone en 1879. La légende se lit comme suit :
« Le téléphonoscope d’Edison (transmet à la fois la lumière et le son). Tous les soirs,
avant de se coucher, Pater– et Materfamilias installent une caméra électrique sur le
manteau de la chambre à coucher et réjouissent leurs yeux de la vue de leurs enfants
aux Antipodes et discutent joyeusement avec eux à travers le câble. »
Publié dans le magazine Punch du 9 décembre 1878. Extrait de « Telephonoscope »,
Wikipedia.
Notez que la légende populaire affirme que les touches ont été placées de
manière à ralentir la frappe. C’est faux ; l’objectif était de minimiser les
risques de collision entre les barres de caractères. En fait, nous savons
maintenant que la configuration QWERTY (ou AZERTY) garantit une
vitesse de frappe élevée. En plaçant les lettres qui forment des paires
fréquentes relativement éloignées les unes des autres, la frappe est
accélérée car elle implique de se servir des deux mains.
Il existe une anecdote non confirmée selon laquelle un vendeur a
réorganisé le clavier pour permettre de taper le mot typewriter (machine à
écrire) uniquement avec les touches de la deuxième ligne. Cette
modification enfreignait le principe de conception consistant à séparer les
lettres tapées séquentiellement. La figure 7-4 B montre que le premier
clavier de Sholes n’était pas QWERTY, puisque la deuxième rangée de
touches comportait un point (.) où nous avons aujourd’hui R et que les
touches P et R se trouvaient sur la dernière rangée (entre autres
différences).
Il n’y a aucun moyen de confirmer la validité de l’histoire. De plus, j’ai
seulement entendu parler des changements du point et de la touche R, sans
évocation de la touche P. Pour le moment, supposons que l’histoire soit
vraie ; j’imagine que les ingénieurs ont été indignés. Cela ressemble à la
traditionnelle confrontation entre la logique des ingénieurs et
l’incompréhension de la force de vente. Le vendeur a-t-il eu raison d’agir
ainsi ? Notez que, aujourd’hui, nous appellerions cela une décision
marketing, mais cette profession n’existait pas encore. Avant de prendre
parti, sachez que, jusque-là, les autres entreprises de machines à écrire
avaient échoué. Remington allait sortir une machine à écrire avec des
touches étrangement positionnées sur le clavier. Les vendeurs avaient donc
raison d’être inquiets et d’essayer tout ce qui pourrait améliorer les efforts
de vente. Et en effet, ils ont réussi, car Remington est devenu le leader des
machines à écrire, même si son premier modèle n’a pas marché. Le public
a mis du temps à accepter son produit.
Est-ce que le clavier a vraiment été modifié pour autoriser la saisie du mot
typewriter sur une seule ligne ? Je n’en trouve aucune preuve tangible,
mais il est clair que les touches R et P ont été déplacées vers la deuxième
rangée ; comparez la figure 7-4 B avec le clavier actuel.
Le clavier a été conçu selon un processus évolutif, mais les principales
forces de l’évolution ont été la mécanique et le marketing. Même si, grâce
aux claviers électroniques et aux ordinateurs, il n’y a plus de tiges qui se
cognent, même si le style de frappe a changé, nous restons bloqués sur ce
clavier. Toutefois, ne désespérez pas ; c’est vraiment une bonne
disposition. L’un des sujets légitimes de préoccupation est la forte
incidence d’un type de blessure qui frappe les dactylographes, le syndrome
du canal carpien. Cette affection résulte de mouvements répétitifs
fréquents et prolongés de la main et du poignet. Elle est donc fréquente
chez les dactylographes, les musiciens et les personnes qui écrivent
beaucoup, font de la couture, du sport ou travaillent à la chaîne. Les
claviers gestuels, tels que ceux illustrés à la figure 7-2 D, contribuent à en
réduire l’incidence. Le National Institute of Health des États-Unis
conseille « des aides ergonomiques, telles que des claviers séparés, des
supports de clavier, des orthèses de poignet, peuvent être utilisées pour
améliorer la posture du poignet lors de la frappe. Faites des pauses
fréquentes lors de la frappe et arrêtez-vous toujours en cas de picotement
ou de douleur. »
August Dvorak, un psychologue de l’éducation, a mis au point un meilleur
clavier dans les années 1930. La disposition du clavier Dvorak est en effet
supérieure à celle du QWERTY, mais pas aussi bonne qu’annoncée. Des
études dans mon laboratoire ont montré que la vitesse de frappe sur un
QWERTY n’était que légèrement inférieure à celle d’un Dvorak, pas assez
différente pour se débarrasser de l’héritage car des millions de personnes
devraient apprendre un nouveau style de frappe. Des millions de
dactylographes devraient suivre une formation. Une fois qu’une norme est
en place, les intérêts acquis des pratiques existantes entravent le
changement, même dans les cas où le changement constituerait une
amélioration. De plus, dans le cas de QWERTY versus Dvorak, le gain ne
vaut tout simplement pas la peine.
Maintenant que nous n’avons plus de contraintes mécaniques avec le
clavier, est-ce des touches dans l’ordre alphabétique seraient plus faciles à
apprendre ? Non ; comme les lettres doivent être disposées sur plusieurs
rangées, il n’est pas suffisant de connaître l’alphabet. Vous devez
également savoir où les lignes se séparent et, aujourd’hui, chaque clavier
alphabétique divise les lignes en différents points. Un des grands
avantages du clavier QWERTY (les paires de lettres fréquentes sont
frappées avec des mains opposées) ne serait plus vrai. En d’autres termes,
on peut oublier l’ordre alphabétique. Dans mes études, les vitesses de
frappe QWERTY et Dvorak étaient considérablement plus rapides que
celles des claviers alphabétiques. Et une disposition alphabétique des
touches ne permettait pas une frappe plus rapide qu’une disposition
aléatoire.
Serait-il possible de faire mieux en utilisant plus d’un doigt à la fois ? Oui,
les sténographes judiciaires battent n’importe qui d’autre, grâce à leurs
claviers tapant des syllabes et non des lettres individuelles. Chaque syllabe
est obtenue par l’appui simultané sur les touches, chaque combinaison
étant appelée accord. Le clavier le plus courant pour les enregistreurs
judiciaires américains nécessite l’appui simultané sur deux à six touches
pour coder les chiffres, la ponctuation et les sons de l’anglais.
Bien que les claviers accords soient très rapides (couramment plus de trois
cents mots à la minute), les accords sont difficiles à apprendre et à
conserver. Approchez-vous de n’importe quel clavier AZERTY et vous
pourrez l’utiliser tout de suite ; il suffit de rechercher simplement la lettre
que vous voulez et d’appuyer sur la touche correspondante. Avec un
clavier accord, vous devez appuyer simultanément sur plusieurs touches. Il
n’y a aucun moyen d’étiqueter correctement ces dernières ni de savoir
quoi faire simplement en regardant.
Innovation incrémentale
Les conceptions évoluent pour la plupart grâce à des innovations
incrémentales, au moyen de tests et de perfectionnements continus. Dans
le cas idéal, la conception est testée, les zones à problèmes sont
découvertes et modifiées, puis le produit est continuellement soumis à un
nouveau test et à une modification. Si un changement ne fait qu’empirer
les choses, eh bien, il sera encore modifié. Finalement, les mauvaises
caractéristiques sont améliorées et les bonnes sont conservées. Le terme
technique utilisé pour désigner ce processus est l’escalade les yeux bandés.
On déplace le pied dans une direction. S’il va en descente, on teste une
autre direction ; s’il va vers le haut, on fait un pas. On continue de la sorte
jusqu’à ce que l’on atteigne un point où tous les tests iraient en descente.
À ce moment-là, on est au sommet de la colline, ou au moins à un sommet
local.
La méthode de l’escalade est le secret de l’innovation incrémentale. Ceci
est au cœur du processus de conception centré utilisateur (chapitre 6). Est-
ce que l’escalade fonctionne toujours ? Cela garantit que la conception
atteindra le sommet de la colline sur laquelle elle se trouve ; en revanche,
l’escalade ne sait pas trouver de plus hauts sommets. Seule une innovation
radicale vous conduira sur d’autres pentes, même si ce n’est pas toujours
dans le sens de la montée.
Innovation radicale
Alors que l’innovation incrémentale commence par les produits existants
et les améliore, l’innovation radicale, elle, est un nouveau départ, souvent
tiré par les nouvelles technologies. Ainsi, l’invention des tubes à vide était
une innovation radicale, ouvrant la voie à des progrès rapides de la radio et
de la télévision. De même, l’invention du transistor a permis des avancées
considérables en matière d’appareils électroniques, de puissance de calcul,
de fiabilité accrue et de réduction des coûts. Le développement des
satellites GPS a déclenché un torrent de services de localisation.
Un deuxième facteur est la reconsidération de la signification de la
technologie. Les réseaux de données modernes servent d’exemple. Les
journaux, les magazines et les livres étaient autrefois considérés comme
faisant partie de l’industrie de l’édition, très différente de la radio et de la
télévision. Et tous étaient différents des films et de la musique. Pourtant,
une fois qu’Internet s’est installé, avec une puissance informatique et de
meilleurs affichages peu coûteux, il est devenu évident que tous ces
secteurs distincts n’étaient en réalité que des formes différentes de
fournisseurs d’informations, de sorte que tout pouvait être transmis aux
clients par un seul média. Cette redéfinition regroupe les industries de
l’édition, du téléphone, de la télévision, du câble et de la musique. Nous
avons toujours des livres, des journaux et des magazines, des émissions de
télévision et des films, des musiciens et de la musique, mais la façon dont
ils sont distribués a changé, ce qui nécessite une restructuration en
profondeur de leurs industries respectives. Les jeux électroniques, autre
innovation radicale, se combinent avec le film et la vidéo, d’une part, et
les livres, de l’autre, pour former de nouveaux types de participation
interactive. L’effondrement des industries est toujours en cours et ce qui
les remplacera n’est pas encore clairement déterminé.
Beaucoup de gens recherchent une innovation radicale, car c’est la forme
de changement la plus grande et la plus spectaculaire. Cependant, la
plupart des idées radicales échouent et même celles qui réussissent y sont
arrivées après des décennies, voire des siècles. L’innovation graduelle de
produits est difficile, mais ces difficultés sont insignifiantes comparées aux
défis de l’innovation radicale. Des innovations graduelles se produisent
par millions chaque année, l’innovation radicale est beaucoup moins
fréquente.
Quelles sont les industries prêtes pour une innovation radicale ? Essayez
l’éducation, les transports, la médecine et le logement, qui sont tous en
retard pour une transformation majeure.
Le futur du livre
C’est une chose d’avoir des outils qui aident à écrire des livres standards,
mais c’en est une autre lorsque les outils transforment radicalement le
livre.
Pourquoi un livre devrait-il être composé de mots et d’illustrations
destinés à être lus de manière linéaire, du début à la fin ? Pourquoi ne
pourrait-il pas être composé de petites sections à lire dans l’ordre
souhaité ? Pourquoi ne devrait-il pas être dynamique, avec des segments
vidéo et audio, susceptibles de changer en fonction du lecteur ? Pourquoi
ne pourrait-on pas lire les notes rédigées par d’autres lecteurs, ou les
dernières idées de l’auteur ? Pourquoi le contenu du livre ne pourrait-il pas
changer en cours de lecture ? Même le concept de texte complète son
sens : voix, vidéo, images, graphiques et mots.
Certains auteurs, en particulier de fiction, peuvent encore préférer le récit
linéaire, car ils sont des conteurs ; dans les contes, l’ordre dans lequel les
personnages et les événements sont amenés est important pour garder le
lecteur captivé et gérer les hauts et les bas émotionnels qui caractérisent
les grandes histoires. En revanche, pour les ouvrages qui ne sont pas des
fictions, comme celui-ci, l’ordre n’est pas aussi important. Ce livre ne
tente pas de manipuler vos émotions, de vous faire attendre ou d’avoir des
sommets dramatiques. Vous devriez pouvoir en faire l’expérience dans
l’ordre que vous souhaitez, en lisant des éléments hors séquence et en
ignorant tout ce qui ne correspond pas à vos besoins.
Supposons que ce livre soit interactif ; si vous avez du mal à comprendre
quelque chose, vous cliquez sur la page et je surgis pour vous donner des
explications. J’ai essayé cela il y a plusieurs années avec trois de mes
ouvrages, tous combinés dans un seul livre électronique interactif.
Malheureusement, la tentative a été boudée par les démons de la
conception de produits ; les bonnes idées qui apparaissent trop tôt
échouent. Il a fallu beaucoup d’efforts pour produire ce livre. J’ai travaillé
avec une grande équipe de personnes de Voyager Books, qui sont venus à
plusieurs reprises, pendant presque un an, à Santa Monica, en Californie,
pour filmer et enregistrer mes parties. Robert Stein, responsable de
Voyager, a réuni une équipe talentueuse d’éditeurs, de producteurs, de
vidéastes, de concepteurs interactifs et d’illustrateurs. Hélas, le résultat a
été produit dans un système informatique appelé HyperCard, un outil
intelligent développé par Apple mais jamais vraiment suivi. Finalement,
Apple a cessé de le prendre en charge et, même si j’ai encore des copies
des disques originaux, ils ne fonctionneront sur aucune machine existante.
Et, même si c’était le cas, la résolution vidéo est très mauvaise par rapport
aux normes actuelles.
Remarquez la phrase « Il a fallu beaucoup d’efforts pour produire ce
livre ». Je ne me souviens même pas du nombre de collaborateurs
impliqués, mais le générique inclut les éléments suivants : éditeur,
producteur, directeur artistique, graphiste, programmeur, concepteurs
d’interfaces (quatre, moi compris), l’équipe de production (vingt-sept),
puis un merci spécial à dix-sept personnes.
Figure 7–5 Le livre électronique interactif de Voyager. La figure A, à gauche,
représente une page de l’ouvrage. La figure B, à droite, me montre expliquant la
conception des graphes dans mon livre électronique.
Oui, aujourd’hui, tout le monde est capable de filmer une vidéo et d’en
réaliser un rapide montage. En revanche, produire un livre multimédia de
niveau professionnel d’environ trois cents pages ou deux heures de vidéo
(ou une combinaison des deux), qui sera lu et apprécié par des gens du
monde entier, requiert une grande variété de compétences. Les amateurs
peuvent créer une vidéo de cinq ou dix minutes, mais tout ce qui est au-
delà nécessite des compétences exceptionnelles en montage. De plus, il
doit y avoir un écrivain, un cameraman, un preneur de son et un
éclairagiste. Un directeur doit coordonner ces activités et sélectionner la
meilleure approche pour chaque scène (chapitre). Un éditeur habile est
nécessaire pour reconstituer les segments. Un ouvrage électronique sur
l’environnement, Our choice d’Al Gore (2011), répertorie un grand
nombre de collaborateurs : éditeurs (deux), directeur de production,
éditeur de production et production, superviseur, architecte logiciel,
ingénieur d’interface utilisateur, ingénieur, graphismes interactifs,
animations, conception graphique, éditeur de photos, monteurs vidéo
(deux), cameraman, musique et concepteur de couvertures. Comment sera
l’avenir du livre ? Très cher.
L’avènement des nouvelles technologies rend les livres, les médias
interactifs et toutes sortes de matériels éducatifs et récréatifs plus efficaces
et plus agréables. Chacun des nombreux outils facilite la création. En
conséquence, nous assisterons à une prolifération de matériaux. Pour la
plupart, ils seront amateurs, incomplets et quelque peu incohérents.
Cependant, même les productions d’amateurs jouent un rôle précieux dans
notre vie, comme le montre l’immense prolifération de vidéos disponibles
sur Internet. On nous explique tout en matière de cuisson du pajeon
coréen, de réparation d’un robinet, de compréhension des équations ou des
ondes électromagnétiques de Maxwell. Cependant, pour un matériel
professionnel de haute qualité qui raconte une histoire cohérente de
manière fiable, où les faits ont été vérifiés, des experts sont nécessaires.
La combinaison de technologies et d’outils facilite la création rapide, mais
complique la création des documents de qualité professionnelle. La société
du futur, on l’attend avec plaisir, contemplation et crainte.
Dans les notes qui suivent, je commence par présenter des lectures
générales.
Ensuite, chapitre par chapitre, j’indique les sources utilisées ou citées dans
le livre.
Dans ce monde où l’accès à l’information est très rapide, vous pouvez
trouver, par vous-même, plus de détails sur les sujets présentés ici. Par
exemple, au chapitre 5, je parle de l’analyse de la cause originelle, mais
aussi de la méthode japonaise nommée les cinq pourquoi. Même si ce que
je dis sur ces concepts est suffisant pour la plupart des applications, les
lecteurs qui veulent en apprendre davantage peuvent utiliser leur moteur
de recherche préféré avec les mots-clés adéquats.
La plupart des informations peuvent donc se trouver en ligne. Le
problème, c’est que les liens Internet sont éphémères. Les emplacements
actuels ne seront pas forcément à la même place demain ou ne
fonctionneront plus, pour différentes raisons. On peut penser que, des
années après la publication de ce livre, de nouvelles méthodes de
recherche, améliorées, vont voir le jour. Il devrait même, dans l’absolu,
être plus facile de trouver plus d’information concernant les concepts
présentés dans cet ouvrage.
Ces notes sont d’excellents points de départ. Je fournis des références
essentielles, mises en relation avec chaque chapitre concerné. Les citations
ont deux fonctions. Elles fournissent d’abord le crédit aux personnes ayant
eu l’idée. Ensuite, elles sont le point de départ parmi d’autres pour obtenir
une compréhension plus poussée des concepts. Pour obtenir des
informations complémentaires, faites des recherches. De bonnes
techniques de recherche sont importantes si l’on veut réussir au XXIe
siècle.
Lectures générales
Lorsque la première édition de cet ouvrage a été publiée, la discipline du
design d’interaction n’existait pas, le champ de l’interaction homme-
machine en était à ses balbutiements et la plupart des recherches se
faisaient autour de l’utilisabilité ou de l’interface utilisateur. Des
disciplines très différentes ont tenté d’éclaircir cette entreprise mais c’était
souvent avec peu ou pas d’interaction entre elles. Les disciplines
académiques de l’informatique, de la psychologie, des facteurs humains et
de l’ergonomie, ont parfois travaillé ensemble mais jamais pour la
conception. Pourquoi ? Parce que les disciplines présentées ici font partie
des sciences et de l’ingénierie, en d’autres termes de la technologie. La
conception était plutôt enseignée dans les écoles d’art ou d’architecture, en
tant que profession et non pas comme discipline académique. Les
concepteurs avaient peu de contact avec les sciences et l’ingénierie. Cela
signifie donc que même si d’excellentes personnes étaient formées, il n’y
avait pratiquement pas de théorie. La conception s’apprenait sur le tas, à
l’aide de mentors.
Peu de personnes issues des disciplines académiques étaient au courant de
l’existence de la conception en tant que source sérieuse de réflexion. Par
conséquent, celle-ci se trouve totalement mise de côté dans l’interaction
homme-machine, cette nouvelle discipline naissante. Des traces de cette
distinction se ressentent encore aujourd’hui, même si la conception
s’appuie de plus en plus sur la recherche puisque les professeurs ont
désormais une expérience de la pratique tout comme les docteurs. Les
frontières s’estompent donc.
Cette histoire de groupes séparés travaillant sur des problèmes similaires
ne facilite pas la recherche de références qui couvrent à la fois le côté
académique de l’interaction, l’expérience de la conception et le côté
applicatif de la conception. La prolifération de livres, de textes et de
journaux sur les sujets donne un nombre de références trop important pour
les citer. Par la suite, je fournis un petit nombre d’exemples. Au départ,
quand j’ai réuni divers titres de travaux que je considérais comme
importants, la liste était trop longue. Je me suis donc servi du livre Le
Paradoxe du choix : Et si la culture de l’abondance nous éloignait du
bonheur ? de Barry Schwartz. Il est facile de trouver d’autres travaux, non
moins importants, qui seront publiés après cet ouvrage. En attendant, je
présente mes excuses à mes nombreux amis dont les travaux majeurs ont
été retirés de ma liste.
Le concepteur Bill Moggridge a eu beaucoup d’influence pour établir une
interaction dans la communauté des concepteurs. Il a joué un rôle essentiel
dans la conception du premier ordinateur portable. Il fait partie des trois
fondateurs de IDEO, l’une des entreprises de design les plus influentes. Il
a écrit deux livres où il interviewe avec les personnes clés du début du
développement de la discipline : Designing Interactions (2007) et
Designing Media (2010).
Comme cela est courant quand il s’agit de discussions au sujet de la
discipline de la conception, ses travaux se concentrent presque entièrement
sur la pratique de la conception, avec peu d’attention portée à la science.
Barry Katz est professeur de design au California College of the Arts de
San Francisco, d.school de Stanford et fellow IDEO. Il fournit un
historique très complet de la pratique de la conception au sein de la
communauté des entreprises de la Silicon Valley, en Californie. L’ouvrage
California : Ecosystem of Innovation: The History of Silicon Valley Design
(2014) fournit une très riche histoire du domaine de la conception de
produits. Le livre de Bürdek, publié à l’origine en allemand mais avec une
excellente traduction anglaise, constitue l’histoire la plus complète de la
conception de produits que j’ai pu trouver. Je le recommande vivement à
ceux qui veulent comprendre les fondements historiques.
Les concepteurs modernes aiment voir leur travail comme une source de
compréhension profonde des problèmes fondamentaux, et non uniquement
comme l’image populaire qu’on lui donne, c’est-à-dire celle de rendre les
choses jolies. Les concepteurs soulignent cet aspect de leur profession en
discutant de leur manière particulière d’aborder les problèmes, une
méthode qu’ils qualifient de « pensée conceptuelle ». Le livre L’esprit
design : Comment le design thinking transforme l’entreprise et inspire
l’innovation (2019), de Tim Brown et Barry Katz en est une bonne
introduction. Brown est PDG de IDEO et Katz membre de l’IDEO (voir
paragraphe précédent).
Hidden Plain Sight (2013) de Jan Chipchase et de Simon Steinhardt offre
quant à lui une excellente introduction à la recherche en conception. Le
livre raconte la vie d’un chercheur en conception qui étudie les gens à
travers le monde, en les observant chez eux, chez leur coiffeur et dans leur
quartier. Chipchase est directeur créatif exécutif de Global Insights chez
Frog Design, du bureau de Shanghai. Les travaux de Hugh Beyer et Karen
Holtzblatt dans l’ouvrage Contextual Design: Defining Customer-
Centered Systems (1998) présentent une méthode puissante d’analyse du
comportement ; ils sont également les auteurs d’un manuel (Holtzblatt,
Wendell and Wood, 2004).
Il existe de nombreux livres, tous excellents. En voici encore quelques-
uns :
Buxton, W. (2007). Sketching user experience: Getting the design right
and the right design. San Francisco, Morgan Kaufmann. (Consultez aussi
le livret qui l’accompagne de Greenberg, Carpendale, Marquardt &
Buxton, 2012.)
Coates, D. (2003). Watches tell more than time: Product design,
information, and the quest for elegance. New York, McGraw-Hill.
Cooper, A., Reimann, R. & Cronin, D. (2007). About face 3 : The
essentials of interaction design. Indianapolis, Wiley Pub.
Hassenzahl, M. (2010). Experience design : Technology for all the right
reasons. San Rafael, Morgan & Claypool.
Moggridge, B. (2007). Designing interactions. Cambridge, MIT Press.
http://www.designinginteractions.com. Le chapitre 10 décrit les méthodes
de la conception de l’interaction :
http://www.designinginteractions.com/chapters/10
Deux manuels fournissent des informations détaillées sur le sujet :
Jacko, J. A. (2012). The human-computer interaction handbook:
Fundamentals, evolving technologies, and emerging applications (3e
édition). Boca Raton, CRC Press.
Lee, J. D., & Kirlik, A. (2013). The Oxford handbook of cognitive
engineering. New York, Oxford University Press.
Il est difficile de dire quel livre choisir. Les deux sont excellents et même
s’ils sont chers, ce sont de bons investissements pour toute personne qui
souhaite travailler dans ces domaines.
Le livre Human-Computer Interaction Handbook, comme le suggère le
titre, se concentre sur l’amélioration des interactions avec l’ordinateur,
alors que le livre Handbook of Cognitive Engineering couvre une étendue
plus large. Quel est le meilleur livre ? Cela dépend du problème sur lequel
vous travaillez. Pour le mien, les deux sont essentiels.
Enfin, je vous recommande deux sites web :
Interaction Design Foundation, qui propose des articles
encyclopédiques : www.interaction-design.org ;
SIGCHI, le pôle de l’ACM (Association for Computing Machinery)
dont l’intérêt principal est l’interaction homme-machine :
www.sigchi.org.
A
accusation
auto 51
action
étapes 34
subconsciente 139
actions opportunistes 36
activité vs tâche 189
ADN 76
affordance 9, 14, 61, 107, 118
trompeuse 15
visible 16
Airbus
erreur de mode 144
Albert Bates Lord 71
Alexander Graham Bell 221
Alfred North Whitehead 84
alphabétisation 70
Alphonse Karr 231
analyse de la cause originelle 36
annuler 164
anthropologie 182
anthropométrie physique 197
anti-affordance 10
Apple 190, 221
Apple QuickTake 222
arithmétique suffisante 86
ascenseur 119
August Dvorak 228
automatisation
paradoxe 172
avion
F-22 133
AZERTY 218
B
Baruch Fischhoff 159
Big data 183
blâmer 54
Bob Abelson 104
Boeing 747 139, 151
brainstorming 185
C
cafetière pour masochiste 2
camera obscura 221
Carelman, Jacques 2
catalogue d’objets introuvables 2
cause originelle 132, 134
analyse 36, 133
cause sous-jacente 134
CCU 111
centrale nucléaire 6
cerveau reptilien 42
Charles Carver 190
checklist 153
Christopher Latham Sholes 225
cinq pourquoi 134
clavier 216
Dvorak 228
clé 103
cloud 21
code secret 73
cognitif 41
cognition 9
consciente 44
combinaison 73
commande centrée
sur l’activité 113
sur le dispositif 114
complexité 201
comportement 64
centré sur l’objectif 36
centré sur les données 36
centré sur les événements 36
humain 6
compréhension 3
conception 122
à double-diamant 179
besoin conflictuel 196
centrée sur l’activité 188
centrée sur l’humain 7
centrée utilisateur 179, 193, 211
compréhension 3
découverte 3
défi 29, 195
inclusive 200
itérative 190
linéaire 190
pour personne spéciale 197
spécialisations 8
universelle 200
conception orientée sur l’humain rôle 8
confirmation 164
confusion 201
connaissance
arbitraire 82
déclarative 67
du comment 67
du quoi 67
extérieure 66, 90
externe 67
intérieure 90
procédurale 67
contrainte 61, 65, 70, 107, 118
culturelle 65, 100, 104, 118
logique 100, 105
naturelle 65
physique 67, 100, 101
rime 70
sémantique 100, 105
sociale 104
convention 65, 106, 118
D
David Kelley 187
David Rubin 71
découverte 3
délais 136
délibération consciente 139
dépassement délibéré 136
design 7
champs du 4
d’expérience 4
d’interaction 4
industriel 4
développement de produit 193
divergence-convergence 180
double divergence-convergence 180
Duryea 224
E
échec 53, 187
écran tactile 216 écriture manuscrite 216
Edwin Hutchins 235 électricité
erreur humaine 134
empreinte
iris 76
rétine 76
ergonomie 4
Erik Brynjolfsson 234
erreur
attitude 132
cause originelle 132
concevoir pour 160
détecter 157
méprise 137
origine 132
protection 156
rapporter 155
raté 137
sept étapes de l’action 139
violation des règles 136
erreur humaine classification 137
erreurs de blocage 163
Erving Goffman 104
esprit humain 37
étapes
action 34
planification 34
sept 35
état
changement 44
états comportementaux 44
ethnographie appliquée 182
expérience 8
cohésive 16
utilisateur 190
F
fabrication 4
feedback 9, 19, 60
Fingerworks 221
flow 47
fonctionnalitite 213
fossé 32
de l’évaluation 32
de l’exécution 32
Freud 140
G
génération d’idées 184
George du Maurier 221
Gibson 10
Gimli Glider 139
GPS 230
H
HCD 7, 179
héritage 102
heure décimale 205
Homère 71
homme-mort 115
horloge non standard 203
Human Centered Design 7, 179
HyperCard 236
I
idée
génération d’ 184
IDEO 187
image système 25, 26
impuissance
acquise 52
apprise 52
ingénierie 4
de la sécurité 115
innovation
incrémentale 211, 230
radicale 211, 230
InstaLoad 102
interaction
homme-machine 5
principes fondamentaux 8
interlock 115
interrupteur homme-mort 115
iPod 190
itération 187
J
Jakob Nielsen 187
James Reason 137
Jeff Bezos 216
Jens Rasmussen 145
Jidoka 155
K
key loggers 76
KLM 151
L
Lego 100, 215
liste de contrôle 153
livre
futur 236
lock-in 115, 116
lockout 115, 117
loi de Stigler 221
M
magicien d’Oz 185
mapping 9, 18, 61, 107, 135
culture 96
naturel 18, 67, 83, 93, 105
spatial 113
Marc Hassenzahl 190
marché analytique 183
Marilyn Adams 63
marketing 183
mémoire 64, 70
à court terme 77, 85
à long terme 77, 80
de travail 77
déclarative 39
du futur 88
procédurale 39
prospective 88
méprise 137, 139
classification 145
défaillance de la mémoire 139, 150
due à la connaissance 149
expliquer 158
fondée sur la connaissance 139
fondée sur la règle 146
fondée sur les règles 139
message d’erreur 164
méthode
en cascade 191
gated 191
porte 191
métrique
système 122
Michael Scheier 190
Microsoft
InstaLoad 102
Mihaly Csikszentmihalyi 47
MIT 234
MLT 80
modèle approximatif 84
modèle conceptuel 9, 18, 21, 60
création 25
modèle mental 25
mot de passe 73
moto 100
multitouch 220
N
National Transportation Safety Board 152
Nest Labs 57
niveau
d’action 46
réflexif 38
normalisation 201
Norman doors 1
norme
culturelle 106
établir 202
NTSB 152
O
observation 181
orateur 70
P
paradoxe de la technologie 27
pensée
consciente 40
de conception 178
subconsciente 40
perception 51
pile 101
planification
étapes 34
poka-yoke 156
porte
conception 2
problème 107
potentialité 12, 108
visible 100
pourquoi 134
pression
institutionelle 150
sociale 150
pression concurrentielle 212
principes fondamentaux de la conception 59
problème
fondamental 178
racine 178
résoudre le bon 178
procédure
inappropriée 137
processus centré utilisateur 181
produit
délai 219
prototype 185
psychologie 6
positive 53
psychologue
cognitif 10
psychopathologie des objets du quotidien 140
pyrotechnie 146
Q
QWERTY 218
R
raté 137, 138
classification 140
de capture 141
de description similaire 141
de mode 141
défaillance de la mémoire 138, 142
erreur de mode 143
fondé sur l’action 138
raté de capture 140
Ray Nickerson 63
Reason, James 133
reconnaissance vocale 76, 216
règle
inappropriée 137
Remington 225
résignation acquise 52
résilience 171
rime 70
Robert Stein 236
robinet 122
Roger Schank 104
S
Sakichi Toyoda 134
Sam Farber 198
savoir 64
extérieur 65
intérieur 65
science du contrôle 19
sciences cognitives 6
sécurité 76
sémantique 105
sensibilité 166
sept étapes de l’action 139
sept principes fondamentaux 59
serrure 103
Shumin Zhai 218
signifiant 9, 11, 12, 14, 16, 61, 67, 107, 108
accidentel 13
sous-jacente
cause 134
souvenir explicite 39
standard 106
standardisation 201
stigmatisation 198
stress 136
subconscient 40
surapprentissage 38
Swatch Internet Time 206
Swiss cheese model 133, 168
système anti-erreur 114
système métrique 122
T
tâche
vs activité 189
technologie 230
normalisation 201
paradoxe 27
test 186
tests A/B 183
Theodore Levitt 37
théorie de l’information 19
Thomas Edison 221
Three Mile Island 6
Toyota 134, 155
traitement
comportemental 43
niveaux 46
réflexif 44
viscéral 42
travail
cognitif 41
émotionnel 41
U
US Air Force 133
UX 190
V
valence positive 44
vidéoconférence 224
vidéophone 221
violation
de situation 137
des règles 136
Voyager Books 236
W
Wanda Wallace 71
Y
Youngme Moon 215
Avez-vous remarqué la cafetière un peu particulière présente sur la
couverture du livre que vous tenez entre les mains ?
Elle est très emblématique de cet ouvrage mais aussi et surtout d’un
inventeur français méconnu : Jacques Carelman.
Si vous êtes à la recherche d’autres inventions aussi loufoques
qu’inutilisables, n’hésitez pas à consulter la référence dans ce domaine, le
Catalogue des objets introuvables, de Jacques Carelman (le cherche midi
éditeur), toujours aussi prisé depuis sa parution en 1969.
Vous y trouverez notamment une gouttière pour parapluie, un landau-
télévision (qui n’est pas sans rappeler le principe des tablettes
d’aujourd’hui) ou encore un soutien-gorge pour trapéziste.
Catalogue d’objets introuvables, Carelman, ISBN : 978-2749116761
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