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Frontière

La frontière est surement ce qu'il y a de plus précieux qui existe, que ce soit aux yeux des mortels ou
des immortels. Ce lieu si particulier existe depuis la nuit des temps. C'est là-bas que se réunissent
tous ceux qui le veulent bien, et est accessible depuis le monde des hommes une fois tous les cent
ans. Si quasiment personne ne connait cet endroit parmi les mortels, c'est une tout autre chose pour
les créatures surnaturelles. Quoi qu'il arrive, quel que soit l'heure ou la date, il y aura toujours une
foule noire dans les ruelles éclairées par les lanternes rouges des différents bar, restaurants et
boutiques.
C'était surtout là-bas que se retrouvaient les dieux pour enfreindre quelques règles à l'abris de tout
châtiment divin, ou les différents groupes d'esprits, de démons ou d'anges pour discuter des
dernières nouvelles. On y retrouvait souvent, par exemple, les esprits élémentaires au grand
complet, les esprits démoniaques, mais très loin les uns des autres, ou encore les dieux saisonniers.
Le monde est cruel, et tout vivant se trouvant dans la frontière ne peux pas rester plus de vingt-
quatre heures sous peine de se voir transformer en fantômes. C'est le châtiment imposé par les
esprits maitres, soit l'esprit du feu et de l'eau.

***

Le soleil se couchait à l’horizon, le soir pointait le bout de son nez et le monde s’endormait. Weyan
observait la scène, l’esprit ailleurs. Cela faisait longtemps qu’il n’était plus revenu au sein même de la
frontière, qui était pourtant son territoire partagé avec Coburn. Grosso modo, l’esprit du feu n’avait
plus pris contact avec quelqu’un depuis le dernier festival de la frontière, ce qui remontait à plusieurs
dizaines d’années. Mais à l’idée même de quitter ce lieu que les mortels avaient nommé la "nuit de
sang", qui était l'endroit exact de sa mort, le révoltait. Mais, bien décider à prendre des nouvelles de
son ami, Weyan créa tout de même une brèche dans laquelle il s'engouffra. Cette sensation d'eau
glacée le surprenait toujours.
Lorsqu'enfin, il posa les pieds dans la frontière, en haut d'une falaise, un vertige soudain le saisit alors
qu'il observait la foule à ses pieds. Cette sensation désagréable lui échappa vite en se rendant
compte que tous se dirigeait dans le sens opposé du Sanctuaire. C'était une chose plutôt étrange,
mais Weyan, ayant pour principe de ne parler à personne tant qu'il ne jugeait pas que ceux qui
l'entouraient étaient fiables. Puis même, tous l'auraient évité en sachant qui il était et quelle était sa
position. Ainsi, l'esprit du feu se retrouva à traverser la foule en contre-courant.
Etant mort assez jeune, Weyan avait gardé son allure enfantine et sa petite taille, ce qui faisait que
parfois, un dieu ou un démon lui lançait des injures en le bousculant sans même savoir qui il était.
Weyan s'en fichait clairement tant que cette personne ne l'empêchait pas de progresser. Et bien
évidemment, puisque tout le monde semblait fuir le Sanctuaire, il n'y avait plus personne dans les
environs. Des moments comme celui-ci où cette place était vide, c'était rare.
Weyan franchit le seuil du temple. Il n'y avait pas de garde à l'entrée et aucun serviteur à l'intérieur.
Un silence de mort régnait sur les lieux. Et aussi discret qu'un fantôme, l'esprit millénaire gravit les
différents étages jusqu'à atteindre le dernier. C'est là qu'il trouva Coburn, lui tournant le dos, en train
de lire.
- C'est calme ici, pour une fois, lâcha Weyan.
L'esprit de l'eau sursauta, et, croyant faire face à un ennemi, dégaina son sabre qui fut contré vite fait
par le nouveau venu.
- Je ne re pensais pas aussi discret.
- Weyan ? Je te croyais à la nuit de sang. Tu n'es quand même pas venu pour me dire que tu as
encore besoin de mon aide car tu as incendié un village ?
L'esprit du feu hocha négativement la tête dans un sourire à donner froid dans le dos. Coburn,
soupira, mais ne répondit rien d'autre. Weyan, quant à lui, alla s'asseoir en face de son ami. Depuis
qu'il avait créé ce lieu après être un esprit dévastateur, c'était la première fois qu'il le voyait aussi
calme. Habituellement, ce quartier de la Frontière, sous la tutelle de Coburn, était toujours bien
animée. C'était d'ailleurs l'esprit de l'eau qui organisait le Festival de la Frontière tous les centenaires.
- Pourquoi est-ce si calme ici ? Toute le monde avait l'air de fuir. Même les dieux, qui d'habitudes
font tout à l'inverse des autres, suivait la foule. Est-ce que tu leur à demander de partir.
Coburn secoua la tête.
- Ce n'est pas ça, la Frontière est un lieu qui a été créée par toi, tu en ais donc le créateur depuis la
nuit des temps. Or, tu as décidé de ma légué une partie de ta création, comme mienne. Je ne sais pas
gérer un tel lieu, et tout est devenue instable. J'allais te contacter pour régler deux trois soucis, mais
en sachant que ces lieux étaient défectueux, tous ont décidé de quitter les lieux pour un temps.
Weyan se leva, et partit, sous le regard intrigué de Coburn. Ce que disait celui-ci n'était pas tout à fait
faux, mais il y avait quelque chose qu'il avait oublié de mentionner. Quelque chose de primordial, qui
se trouvait au sein même du Sanctuaire. L'esprit du feu revint quelques instants après avec un
morceau de parchemin entre les mains. Il resta debout face à son camarade et lui tendis le rouleau.
- N'oublie jamais ce que tu viens de rater dans tes explications. En effet, la Frontière est ma création,
je t'ai légué une partie de mes pouvoir sur les lieux, faisant de toi un Maitre de la Frontière, comme
moi. Mais sache que, bien que tu sois l'un des deux maitres, tu ne peux qu'à peine déstabiliser. Tout
ceci n'a rien à voir avec toi. Si la Frontière devait être perturbée, ce serait car je suis en difficulté ou
proche de la disparition, or ce n'est pas le cas. Tu connais l'unique loi que j'ai imposé ici, non ? Eh
bien si je l'ai prescrite, c'est car tout individu l'enfreignant ce voit détruit. C'est ce que j'ai constaté
peu après avoir conçu cet endroit. C'est également pour cela que les mortels ne peuvent plus vivre
plus de vingt-quatre heure ici. La Frontière est instable de par sa création. Je ne suis pas un dieu et je
n'ai pas initialement le pouvoir de créer ce genre de lieux. Or, il se trouve que dans ma rage, une
brèche c'est créé.
- Je ne connaissais pas cette partie de l'histoire, souffla Coburn. Il y a de nombreuses rumeurs là-
dessus, mais jamais je n'aurais imaginé ça.
Weyan désigna du doigt le parchemin.
- Ça, ce sont les lois de la Frontière.
L'esprit de l'eau plissa les yeux.
- "Les" ? Mais il n'y en a qu'une, non ?
Weyan sourit avant de lui reprendre le rouleau.
- C'est ce que j'essaie de faire croire à tous ceux qui viennent ici, mais l'unique loi dont on parle tant
ne concerne que le festival de la Frontière et le Sanctuaire et ses alentours. En réalité, la Frontière est
bien plus grande que tu ne pourrais l'imaginer, c'est pour cela que l'une des lois est de ne jamais
franchir la ligne qui délimite l'espace du sanctuaire tant que je ne l'autorise pas. Ensuite, tout village
se trouvant en dehors de cette limite est sous mon pouvoir, j'en fait ce que je veux. Je pourrais tous
les incendier si je le souhaite. En clair, tout m'appartient, même la vie de ceux qui habitent ici. C'est
l'unique condition pour pouvoir loger en ces lieux. Puis enfin… Il est interdit que créer une brèche par
sois même, quel que soit les moyens utiliser. Moi seul gère les entrées et les sorties de la Frontière,
ça évite tout problèmes avec le monde mortel.
Coburn sursauta en remarquant la lueur rouge qui s'était allumé dans son œil gauche. C'était le sceau
qui désignait Weyan comme étant un esprit dévastateur. L'esprit de l'eau se sentit soudainement mal
à l'aise face à son ami. Son regard, particulièrement, était étouffant. Le rouge de ses pupilles semblait
être les flammes qui dévoraient les villages qu'il brulait. Finalement, Weyan finit par s'en aller,
estimant qu'il avait assez traumatiser Coburn.
Les ruelles autours du Sanctuaires étaient de nouveau encombrée par la foule. C'était comme si, la
venue de Weyan avait arrangé la situation, or, celui-ci n'avait absolument rien fait. Soudainement, le
ciel devint blanc, c'était irréel. Les passants levèrent la tête et furent submergés par la beauté de ce
spectacle.
L'esprit du feu voyait maintenant de qui ou de quoi venait le problème. Cela lui fit un haut le cœur.
Sans plus tarder, il s'empressa de se rendre à la limite du territoire de Coburn. Une simple personne
n'y aurait vu que du feu. Cette limite n'était en réalité qu'une immense muraille rouge. Elle semblait
s'étirer jusqu'au ciel et faisait le tour du quartier du Sanctuaire. Mais ce n'était qu'une illusion.
L'esprit d'une personne est fort : s'il pense qu'il y a un mur, alors il y aura un mur. C'est le principe
d'une illusion, tromper l'esprit. Mais ceux qui sont assez malin pour contrer ses leurres ferment
simplement les yeux. Weyan, lui, n'avait même pas besoin de faire cela. Etant le créateur des lieux, il
savait que c'était une illusion, bien que de traverser un mur lui était toujours bizarre.
A peine eut-il franchis la limite qu'il avait imposé que le paysage changea du tout au tout. C'était ici
que Weyan se sentait bien. La forêt qui l'entourait était sombre. La vie était rare en dehors des petits
villages. Ce silence permanent était si lourd qu'il en devenait effrayant. L'esprit du feu avait fait ces
lieux à son image. La solitude, les ténèbres et la mort étaient ce qu'il préférait.
Le crissement des pas de Weyan ne faisait aucun bruit. C'était très étrange sachant qu'il y avait
tellement de feuilles mortes au sol. C'était, en réalité, totalement normal. On pourrait penser que
c'était car c'était le maitre des lieux, mais pas du tout. Il est vrai que cette hypothèse était plausible,
mais s'il était si discret, c'était tout simplement car son corps ne pesait rien. En tant qu'esprit, il avait
la possibilité d'influencé son corps, faux puisque le sien n'était actuellement que poussière.
Seulement, les lieux n'étaient pas si silencieux. Si Weyan ne faisait aucun bruit, ce n'était pas le cas
de l'invité surprise qui se trouvait sur les lieux. Au son des pas, l'esprit du feu pouvait en déduire qu'il
ne devait pas être bien loin. Le seul problème était qu'il ne savait pas dans quelle direction se
trouvait l'étranger. La forêt, silencieuse en temps normal, renvoyait les bruits de pas dans toutes les
directions.
Weyan, n'ayant pas du tout envie de jouer à cache-cache, eut vite fait de faire bruler la forêt. Les
flammes rependaient leur lueur rouge sur les nuages dans le ciel et leur chaleur réchauffait le corps
froid de l'esprit. Et si lui ne ressentait pas la douleur des brûlures sur sa peaux, c'était une tout autre
chose pour l'étranger qui s'aventurait en ces lieux. Ses cris d'agonie étaient amplifiés par les échos et
le silence des lieux.
Weyan, en un claquement de doigt, éteignit le feu qui était le fruit de son pouvoir. Il pouvait
désormais, commencer la chasse, puisqu'il savait précisément où se trouvait l'étranger. En fait, il ne
se trouvait pas si loin que Weyan ne l'avait imaginé en arrivant, seulement au pied du village le plus
proche.
C'était, au premier coup d'œil, un humain, tout ce qu'il y avait de plus basique. Seulement, l'esprit du
feu savait, grâce à la couleur du ciel, que s'était un esprit, puissant pour que la voute soit si blanche.
Il était entièrement vêtu de noir, et son teint était blafard. Il paraissait vulnérable, mais Weyan, plus
que quiconque, savait que les apparences étaient pour la plupart du temps, très trompeuses.
La seule chose que le jeune homme trouvait étrange, était le fait que cet intru ressentait la douleur
puisque c'était un esprit.
- Qui es-tu, souffla-t-il.
Au grand étonnement de Weyan, la personne qu'il observait l'avait entendu et avait fait volte-face.
Une crainte soudaine s'était peinte sur son visage tandis que ses yeux noirs croisaient ceux rouges du
maitre des lieux.
- Je- je ne suis qu'un humain. Je vous le jure. Je-
- Il ne te sers à rien de me mentir, esprit. Tu es chez moi ici. Qui t'as autorisé à venir en ces lieux ?
L'intru blêmit soudainement, son teint était devenu aussi blanc que celui de Weyan. Ce dernier le
regardait d'ailleurs toujours du haut de la colline où il trouvait, attendant sa réponse. Ce fut après
plusieurs minutes durant lesquelles l'étranger tremblait comme une feuille morte, qu'il répondit.
- Je me nomme Waru, j'ai traversé le mur du Sanctuaire sans le faire exprès. Comment cela se fait-il
d'ailleurs ?
S'en suivit d'une conversation seule de la part de Waru. Pour quelques raisons inconnues, l'esprit du
feu ne faisait pas grandement confiance en cet esprit. Qui était-il à la fin ? Un simple esprit ? Le
maitre des lieux y croyait moyennement, car pour que ce Waru n'ai franchi le mur en sachant qu'il
était là, c'est qu'il devait connaitre son existence. Et pour que le ciel soit si blanc, c'était qu'il n'était
pas n'importe qui, sûrement un membre de l'un des trois quatuors, or, Weyan ne connaissait
personne du nom de Waru. Peut -être était-il possible qu'il soit un esprit dévastateur dans ce cas ?
Mais lequel ?
Weyan soupira avant de saisir son sabre et de briser l'air pour créer un portail. Il saisit Waru par le col
de son manteau et le jeta dedans, avant de lui-même entrer pour retourner dans le quartier du
Sanctuaire.
A ses côtés, Waru paraissait quelques peu déboussolé.
- Où sommes nous ? demanda-t-il.
- Au quartier du sanctuaire. Tu n'as absolument rien à faire de l'autre côté du mur, sauf si c'est pour y
rester pour le reste de tes jours sous mes ordres.
Le jeune esprit recula d'un pas. Il était sur ses gardes. Mais Weyan sentait en lui de la frustration,
comme si le fait de quitter les bas quartiers l'éloignait de ce qu'il cherchait.
- Bref, souffla l'esprit du feu. Puisque tu es passé de l'autre côté, tu as l'obligation de ne plus jamais
quitter la frontière. Je t'ai à l'œil.

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