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La scène
d’énonciation
7.2. La scénographie
7.2.1. Une boucle paradoxale
Ce n’est pas directement au cadre scénique qu’est confronté le
lecteur, c’est à une scénographie. Les auteurs de cette publicité
auraient très bien pu vanter leur produit à travers une tout autre
scénographie : de la poésie lyrique, un mode d’emploi, une devi-
nette, une description scientifique, etc. La scénographie a pour
effet de faire passer le cadre scénique au second plan ; la lec-
trice de notre publicité est ainsi prise dans une sorte de piège,
puisqu’elle reçoit le texte d’abord comme une conversation télé-
phonique, et non comme une publicité d’un genre déterminé.
Tout discours, par son déploiement même, prétend convaincre
en instituant la scène d’énonciation qui le légitime. La marque qui
donne la parole à une employée de bureau au téléphone impose
cette scénographie en quelque sorte d’entrée de jeu ; d’un autre
côté, c’est à travers cette énonciation même qu’elle peut légitimer
cette scénographie qu’elle impose ainsi : si elle touche son public,
si elle parvient à faire accepter aux lectrices la place qu’elle prétend
leur assigner dans cette scénographie. Toute prise de parole est en
effet, à des degrés divers, une prise de risque ; la scénographie
n’est pas simplement un cadre, un décor, comme si le discours
survenait à l’intérieur d’un espace déjà construit et indépendant
de ce discours, mais l’énonciation en se développant s’efforce de
mettre progressivement en place son propre dispositif de parole.
La scénographie implique ainsi un processus en boucle para-
doxale. Dès son émergence, la parole suppose une certaine situa-
tion d’énonciation, laquelle, en fait, se valide progressivement à
travers cette énonciation même. La scénographie est ainsi à la fois
ce dont vient le discours et ce qu’engendre ce discours ; elle légitime un
énoncé qui, en retour, doit la légitimer, doit établir que cette scé-
nographie dont vient la parole est précisément la scénographie
requise pour énoncer comme il convient, selon le cas, la poli-
tique, la philosophie, la science, ou pour promouvoir telle mar-
chandise… Plus on avance dans la lecture de la publicité « Week-
End » et plus on doit se persuader que c’est le coup de téléphone
d’une amie qui constitue la meilleure voie d’accès à ce produit.
Ce que dit le texte doit permettre de valider la scène même à
86 Analyser les textes de communication
7.3. Scènes validées
7.3.1. La « Lettre à tous les Français »
Ces trois plans de la scène d’énonciation, on peut les voir à
l’œuvre dans la « Lettre » rédigée par François Mitterrand lors de
la campagne présidentielle de 1988. Pour favoriser sa réélection
on publia dans la presse et on adressa par la poste à un certain
nombre d’électeurs cette « Lettre à tous les Français ».
Le sens de cet énoncé politique ne se réduit pas à son seul
contenu, il est inséparable de sa mise en scène épistolaire, sou-
lignée par le fait que la formule d’adresse (« Mes chers compa-
triotes ») ainsi que la signature (« François Mitterrand ») sont
manuscrites. La mise en page renforce cet effet de correspon-
dance privée : à gauche du texte est laissée une marge matériali-
sée par un trait, un peu comme dans un cahier d’écolier :
J’ai choisi ce moyen, vous écrire, afin de m’exprimer sur tous les
grands sujets qui valent d’être traités et discutés entre Français,
sorte de réflexion en commun, comme il arrive le soir, autour de
la table, en famille.