SOPHIE BINET, DIRIGEANTE DE LA CGT

« Je ne désespère jamais de convaincre »

CRISE SOCIALE Trois idées pour sortir de la violence

MOTS Passion
N°42663 | Samedi 8, dimanche 9 juillet 2023. CPPAP 1024C85695. ISSN 0242-6056 / F : 4,50  €

,
en
CROISÉS 11 lettres
N° 42663 | CONVERSATION : SOPHIE BINET / EXPLORER : PASSION MOTS CROISÉS

AVEC
UNE GRILLE
GÉANTE

Rencontrer | Explorer | S’inspirer | Ralentir

 5. L’éditorial de Bruno Bouvet
6. Depuis la semaine dernière

Rencontrer
10. La conversation
Sophie Binet : « Je ne désespère jamais
10 de convaincre »
18. Les Français par eux-mêmes Philippe Cathala,
médecin légiste à Montpellier (Hérault)

Explorer
20. Passion mots croisés

S’inspirer
34. À vif Crise sociale : et maintenant ?
36. On l’a lu Le Monde selon Orwell.
Avez-vous bien lu 1984 ?, de Stéphane Encel
Au sommaire

20

38. Des idées pour agir

Ralentir
42. En coulisses Circus Baobab, la Guinée en acrobaties
44. Culture Nos coups de cœur de la semaine
48. L’art et la manière Icône de la Trinité, d’Andreï Roublev
50. Jardin Toutes les couleurs des abélias
52. Récit graphique Par la force des arbres (2/8),
de Dominique Mermoux et Édouard Cortès
62. Jouer Mots croisés et atelier d’écriture
64. De vous à nous
46
66. Un poème pour la route Écrits de l’arbre
dans le soleil, de Jean Lavoué

Et aussi vos chroniques hebdomadaires

8. Trait d’esprit, le dessin de Micaël
9. Si loin, si proches, par Jean-Christophe Ploquin
37. Le bloc-notes de Frédéric Boyer
40. Une foi par semaine, par Isabelle de Gaulmyn
45. Entracte, par Jean-Claude Raspiengeas
52

Sur la totalité de la difusion : encart posé La Croix L’Hebdo abonnement

Sur une partie de la difusion : encart posé La Croix semaines gratuites

L’HEBDO page 3
 Pour vous, lecteur de

Le saviez-vous ?
Vous pouvez jouer aux mots croisés
d’Arthur Gary et de Pierre Olivier
sur votre smartphone ou votre ordinateur  

Pour jouer, rendez-vous sur

la-croix.com/motscroises
 L’ÉDITO

LE PARI DES MOTS

« Je ne désespère jamais de convaincre. » À qui doit-on cette
airmation réjouissante, cette semaine, dans L’Hebdo ? À un
vieux routier de la politique, à un diplomate blanchi sous le harnais, à
une igure du centrisme hexagonal ? Eh bien non, c’est Sophie Binet,
41 ans, nouvelle « patronne » de la CGT depuis le 31 mars, qui le dit.
Finis les grèves massives et les blocages d’usine ? Pas tout à fait, quand
même. « Je crois au compromis. Mais la négociation doit se faire sur la
base d’un rapport de force, car c’est ce dernier qui permet d’améliorer les
droits des salariés. »
L’entretien que cette militante, athée mais formée à la Jeunesse ouvrière
chrétienne (notamment pour bousculer des parents trop anticléricaux à
son goût !), nous a accordé a eu lieu dix jours avant le début des émeutes
et des pillages qui viennent de secouer le pays. Ces violences signent tra-
Quentin Vijoux est giquement l’absence de tout dialogue. Et c’est bien à ce dialogue – même
l’auteur de la une musclé, même conlictuel – auquel Sophie Binet veut encore croire. Tant
de cette semaine. mieux pour la démocratie sociale dans notre France chancelante.
Illustrateur Il y a un an, L’Hebdo se demandait justement comment « répa-
indépendant rer la France », après la lambée de l’abstention à l’élection présiden-
diplômé des écoles tielle et la poussée des votes extrémistes. Nous avons retrouvé trois des
d’art Duperré acteurs de terrain qui témoignaient alors pour leur demander, une nou-
et Estienne (Paris), velle fois, ce qui peut être tenté pour recoudre un lien social déchiré. La
il dessine depuis résorption d’une partie des diicultés passe par un langage commun
plus de dix ans pour retrouvé, pour dessiner un avenir collectif. Puissent ces mots ne pas
différentes agences sonner creux dans les mois qui viennent.
de communication
et institutions Des mots joyeux et ludiques, il y en a aussi dans ce numéro, sous
culturelles, mais la plume gourmande et délicieuse d’Emmanuelle Giuliani qui se délecte
aussi pour la presse de la passion française pour les… mots croisés. Elle décortique les res-
internationale. sorts de cette manie de se triturer les méninges pour remplir des petites
Il vit aux Pays-Bas cases blanches. Plaisir intellectuel de triompher de déinitions qui sont
et mène différents autant de traits d’esprit ? Pas seulement. Les grilles peuvent être aussi
projets autour un outil pédagogique pour des élèves en délicatesse avec le maniement
de l’édition jeunesse de notre langue. L’essentiel, c’est d’accéder aux mots.
et du jeu vidéo. Bruno Bouvet

Une citation pour commencer

« Même quand je vois la pire des ordures, je me dis qu’il
y a forcément un peu d’humanité dans cette personne. »
Dr Philippe Cathala (p. 19)

L’HEBDO page 5
 NE DERNIÈRE
L A SEMAI
DEPUIS

VINCENT ISORE/IP3 PRESS/MAXPPP

REMKO DE WAAL/EPA/MAXPPP
ALAIN JOCARD/AFP

Patrimoine Justice Droits humains

Restitutions facilitées Départ à la retraite
pour les biens spoliés de François Molins
aux Juifs
Jeudi 29 juin. C’est à l’unanimité que
l’Assemblée nationale a approuvé un texte
visant à faciliter la restitution des œuvres
d’art appartenant aux Juifs spoliés en
France durant l’Occupation. Désormais,
les œuvres en question pourront être
extraites des collections des musées et
rendues aux ayants droit des propriétaires
sans passer par le Parlement, comme
c’est le cas aujourd’hui. « Rien ne saurait
réparer la tragédie de la Shoah. Mais
nous pouvons faire tout ce qui est
en notre pouvoir pour que ces biens
culturels puissent être rendus », a affirmé
la ministre de la culture Rima Abdul Malak.
Aux Pays-Bas,
le pardon d’un roi
Vendredi 30 juin. Un grand serviteur
de l’État s’en va. À bientôt 70 ans, François
Samedi 1er juillet. « Aujourd’hui,
je vous présente mes excuses
Molins, procureur général près la Cour personnellement », a déclaré Willem-
de cassation, part à la retraite. La fin Alexander, l’actuel souverain des Pays-
d’une carrière entamée 46 ans plus tôt, Bas, devant des milliers de descendants
toujours avec « le même enthousiasme d’esclaves à l’Oosterpark d’Amsterdam.
et la même passion ». « J’adresse Durant la célébration marquant
mes vœux les plus sincères de réussite, les 150 ans de la fin de l’esclavage dans
de courage et d’idéal pour tous ceux les anciennes colonies néerlandaises,
qui œuvrent au quotidien de la Justice », le monarque a demandé pardon pour
a écrit sur Twitter le magistrat, l’inaction des rois de la maison d’Orange
que L’Hebdo avait rencontré dans – dynastie dont il descend – en rappelant
son numéro du 4 janvier 2020. Le nom que « la traite des esclaves et l’esclavage
de son successeur est déjà connu : sont reconnus comme crimes contre
Rémy Heitz, 59 ans, qui exerçait en tant l’humanité ». En décembre 2022,
que procureur général près la cour d’appel le gouvernement avait lui aussi présenté
de Paris depuis septembre 2021. des excuses officielles.

Le cancer en France Chez les enfants

LE RAPPORT
Hommes Femmes Hommes Femmes et adolescents
57% 43% 57% 43% Moins de 15-
Les cancers
433136
nouveaux 157 400
15 ans
1843
17 ans en hausse en France
décès 440
cancers 2 283 Entre 1990 et 2023, le nombre de nouveaux
en 2023 en 2018 nouveaux cas de cancers a presque doublé en France
cas / an* métropolitaine, avec une tendance plus
Âge médian au diagnostic (en 2023) défavorable chez les femmes, précise
Homme 70 ans Femme 68 ans un rapport de Santé publique France publié
Les plus fréquents
chez les enfants le 4 juillet. Cette hausse est principalement
Les cancers les plus fréquents en 2023 liée à des évolutions démographiques
Chez l’homme Chez la femme Leucémies ainsi qu’à une augmentation des facteurs
Prostate Sein Tumeurs du système de risque dont les plus connus sont
59 885 nouveaux cas 61 214 nerveux central
les facteurs hormonaux, l’alcool, le surpoids,
Lymphomes.
Poumon Colorectal la sédentarité et le tabac. Baisser cette
33 438 21370 incidence passerait, logiquement, par
Colorectal Poumon une meilleure prévention et un changement
VISACTU

*sur la période 2012/2016.

26 212 19 339 Source: Institut national du cancer.
de nos modes de vie.

L’HEBDO page 6
// NOYÉS DANS L’ACTUALITÉ ? L’HEBDO VOUS AIDE À TRIER LES INFORMATIONS
QUI ONT MARQUÉ LES 7 DERNIERS JOURS // ÉDITION BOUCLÉE LE 5 JUILLET À 17 H 32

NASSER ISHTAYEH/ZUMA PRESS/MAXPPP

SEBASTIEN NOGIER/EPA/MAXPPP

CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
Émeutes urbaines Médias Conflit israélo-palestinien
Mesures exceptionnelles Jours de grève au JDD Tsahal se retire de Jénine
pour les commerçants Mercredi 5 juillet. Se dirige-t-on vers
un troisième week-end sans Journal
Mercredi 5 juillet. Après trois jours
d’opération militaire à Jénine, l’armée
Mardi 4 juillet. Vitrines cassées, locaux du dimanche ? La rédaction a refusé israélienne a fait savoir que ses soldats
incendiés, rayons pillés : des centaines de rencontrer Geoffroy Lejeune, nommé quittaient la ville du nord de la Cisjordanie
de commerces ont été ciblées à sa tête le 23 juin par Lagardère News, occupée. Cette incursion est la plus
par les participants aux émeutes urbaines aux mains de Vincent Bolloré. importante menée dans la région depuis
survenues après la mort de Nahel, Les journalistes ont reconduit la grève 2002. Le camp de réfugiés, bastion
ce jeune garçon tué par un policier débutée il y a deux semaines afin de de groupes armés palestiniens, a été
à Nanterre suite à un refus d’obtempérer. protester contre l’arrivée de l’ex-directeur ciblé à plusieurs reprises par les forces
À situation exceptionnelle, mesures de la rédaction du magazine d’extrême israéliennes, appuyées par des drones
d’exception : les assureurs se disent prêts droite Valeurs actuelles. « La ligne qui et des bulldozers de l’armée.
à faire des gestes envers les entreprises est la sienne va à l’encontre de l’identité Douze Palestiniens et un soldat israélien
victimes. Parmi les facilités évoquées, du JDD », a déclaré Bertrand Gréco, ont péri durant l’opération. S’en sont
la prolongation de cinq à trente jours coprésident de la Société des journalistes. suivies des attaques en Israël.
du délai de déclaration des sinistres, Le JDD est absent des kiosques depuis Les violences en Israël et en Cisjordanie
l’accélération du processus deux dimanches d’affilée, une situation « doivent cesser » avait déclaré mardi
d’indemnisation et la réduction inédite pour le titre qui n’avait cessé Volker Türk, haut-commissaire de l’ONU
des franchises pour les indépendants de paraître qu’une semaine lors aux droits de l’homme.
les plus durement touchés. d’une précédente grève, en 2016.

L’ANIMAL LA CITATION
120 ans et toujours les crocs « La plus mauvaise chose
Le Guinness World Records le considère comme le plus grand crocodile qu’on puisse voir,
en captivité encore en vie. Cassius – nommé ainsi en hommage au boxeur
américain Mohamed Ali, né Cassius Clay – compte parmi les plus âgés c’est une guerre.
de son espèce. Le reptile de plus de 1 tonne et de près de 5,5 mètres de long Parce qu’on tue des gens
vient de souffler (ou d’avaler) ses 120 bougies. Depuis plus trente-cinq ans,
il vit au Marineland Crocodile Park, sur l’île australienne de Green Island. en face qui n’ont jamais
Il avait été capturé dans un ranch en 1984 suite à des attaques de bétail. rien fait, qui ont une famille,
des enfants. »
Léon Gautier
Décédé le 3 juillet, il était le dernier membre
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du commando Kieffer, un bataillon de 177 fusiliers

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marins qui avait participé au Débarquement.

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Pages réalisées par Alice le Dréau et Joseph Le Fer

L’HEBDO page 7
TRAIT D’ESPRIT
 , s i proches
Si loin

APRÈS LES ÉMEUTES,

L’HUMILITÉ OBLIGÉE
Des émeutes éclateront- de développement. Le
elles le 14-Juillet ? La ques- contraste est saisissant,
tion hante les autorités mais il est surmonté dans
françaises. Cela pourrait les milieux diplomatiques
en effet signifier un nou- par un nouveau récit pre-
veau cycle de violences, nant en compte les fragi-
extrêmement domma- La chronique internationale lités internes du pays. Un
geable pour les quartiers de Jean-Christophe Ploquin, discours qui relativise les
concernés. Et cela entre- rédacteur en chef à La Croix logiques de puissance et
tiendrait à travers le monde s’appuie sur une nouvelle grille
l’image d’un pays instable et pro- d’analyse.
fondément clivé, alors même que D’une part, tous les États et leurs
le défilé et les célébrations de la Fête régimes ont des failles –  que l’on
nationale sont devenus des instruments pense à la prise d’assaut du Capitole par
de communication importants à destination de l’opi- les partisans de Trump le 6 janvier 2021 ou à la ré-
nion internationale. On se souvient de Donald Trump, volte de Wagner contre le Kremlin le 24 juin dernier…
alors président des États-Unis, invité d’honneur sur Dans cette situation, il faut savoir reconnaître
les Champs-Élysées en 2017. Cette année, il s’agira ses limites, renoncer à une attitude en surplomb.
de Narendra Modi, premier ministre d’Inde, pays D’autre part, sur des enjeux globaux et vitaux, plus
devenu le plus peuplé de la planète et grand ache- aucun pays ne peut éviter de s’inscrire dans des
teur d’armements. coalitions, ni se montrer condescendant envers de
Le mal est de toute façon déjà fait. Les troubles qui « petits » pays. Par exemple, le Vanuatu a une grande
ont suivi l’homicide du jeune Nahel par un policier à capacité d’influence dans le Pacifique, tout comme
Nanterre ont été rapportés par les médias du monde La Barbade dans les Caraïbes… Pour faire progresser
entier. L’image de la France a été affectée de deux des causes communes, une logique partenariale
façons. Elle apparaît comme une société éruptive, est indispensable, qui exige souvent un rapport
cédant régulièrement au conflit, peu portée au com- d’égal à égal, au moins sur certains sujets.
promis. Et elle est considérée, dans des cercles plus Sans renoncer à ses attributs de puissance – ses
étroits, notamment à l’ONU, comme une nation atouts économiques, la dissuasion nucléaire, son
ne prenant pas suffisamment à bras-le-corps poids au sein de l’Union européenne, son statut
la question du racisme et des discriminations de membre permanent du Conseil de sécurité des
ethniques, notamment dans des institutions Nations unies –, la France s’inscrit dans cette dé-
comme la police. marche de co-construction. Elle le fait d’autant plus
Ces perceptions contrastent avec les efforts volontiers que ce mouvement prolonge son engage-
déployés pour jouer un rôle influent et positif sur la ment en faveur du multilatéralisme, système de rela-
scène internationale. Cinq jours avant le début des tions coopératives entre États. Vu de Paris, un nou-
émeutes, Paris accueillait un sommet pour un nou- veau monde s’élabore, dans lequel on peut être fort
veau pacte financier mondial, qui aura vu des délé- et fragile à la fois. Cela demande de temps en temps
gations de toute la planète discuter d’une meilleure une bonne dose d’humilité. Celle-ci n’est pas consi-
mobilisation des ressources pour lutter contre le dérée comme une vertu française. Mais ces derniers
changement climatique et relancer les politiques jours, nécessité faisait loi.

L’HEBDO page 9
Rencontrer
 A CONVERSATION
L

Sophie Binet

« Je ne désespère
jamais de
convaincre »
Élue le 31 mars à la tête de la CGT, Sophie Binet
apporte un nouveau soule à la plus ancienne centrale
française. Mais au-delà de l’image rajeunie et féminisée,
elle porte aussi un regard acéré sur le travail,
ses rapports avec l’environnement ou les luttes
féministes. L’Hebdo a voulu mieux connaître
celle qui considère que ses cinq années passées
à la Jeunesse ouvrière chrétienne ont été
son « école de militantisme ».

Recueilli par Sarah Dupont et Nicolas Senèze

Photo : Albert Facelly pour La Croix L’Hebdo

L’HEBDO page 11
 LE
POURQUOI EL
Ce matin de juin,
Sophie Binet arrive
en retard à la rencontre
avec l’Association
des journalistes
d’information sociale.
Problème de garde
d’enfant. « C’est bien
ERIC GAILLARD/REUTERS

la première fois qu’un

secrétaire général
de la CGT a ce genre
de souci », sourit
un briscard de la vie
syndicale. Si cette
mère connaît
les tracas quotidiens
de nombreuses algré la mobilisation intersyndicale, le gou-
travailleuses, elle vernement n’a pas reculé sur la réforme des
a une vision large retraites. Doit-on parler de « défaite » ?
des enjeux du travail Diicile de parler de victoire quand, au 1er sep-
et s’est engagée tembre, une réforme régressive va s’appliquer
d’emblée dans dans notre pays. Mais il ne s’agit déinitivement
la bataille contre pas d’une défaite. D’abord parce que le match
la réforme des retraites, n’est pas ini : Emmanuel Macron a certes ga-
depuis qu’elle gné la première mi-temps, mais en changeant
a remplacé Philippe les règles en cours de route avec l’utilisation du
Martinez à la tête de 49.3. Et il remporte le point avec un gros carton
la centrale, le 31 mars. rouge de la part de l’opinion publique.
Avec elle, une nouvelle Du côté syndical, la seconde mi-temps va du-
génération monte sur rer quatre ans, jusqu’à la in du quinquennat.
la scène sociale, plus Dans un premier temps, nous exigeons dès
consciente des enjeux à présent l’ouverture de négociations dans les
environnementaux branches et les entreprises pour des départs an-
et sociétaux. Pas ticipés, prenant en compte la pénibilité ou les
moins combative, elle années d’études. À la rentrée, nous allons aussi
s’est formée à l’action nous battre sur les négociations Agirc-Arrco,
militante non plus dans la retraite complémentaire des salariés du
les usines, mais dans privé, pour améliorer le taux de remplacement
le syndicalisme étudiant, des pensions.
à la Jeunesse ouvrière
chrétienne (JOC). Allez-vous continuer de vous opposer à l’appli-
Si son élection à la tête cation de la loi et demander son retrait ?
du plus vieux syndicat Nous examinerons, pour chaque décret d’ap-
français marque plication de la loi, les possibilités de recours au
un changement de style, Conseil d’État pour dénoncer la mise en œuvre
il serait caricatural à marche forcée de cette réforme. Nous jugeons
de la résumer le gouvernement complètement irresponsable
à « la première femme de prétendre l’appliquer au 1er septembre quand
secrétaire générale seuls deux des 31 décrets ont été publiés.
de la CGT ». L’Hebdo Ensuite, nous ne laissons pas tomber la
est allé à sa rencontre. contestation législative de la réforme : nous

L’HEBDO page 12
 La conversation Sophie Binet

continuons de travailler Vous semblez être le

avec les parlementaires
pour utiliser toutes les
« Le match seul syndicat convaincu
de la nécessité de chan-
possibilités à notre dis-
position, comme un nou-
n’est pas ini : ger les modalités de né-
gociation. Pensez-vous
pouvoir faire changer
veau référendum d’ini-
tiative partagée d’ici à Emmanuel d’avis vos homologues ?
un an. Et puis, ce qu’un Cela fait partie des
gouvernement a fait, Macron a certes échanges que nous au-
un autre gouvernement rons pour voir com-
peut le défaire. gagné la première ment faire fructifier
le rapport de force. Si
Cette mobilisation na-
tionale a-t-elle fait souf-
mi-temps, notre unité syndicale ne
sert pas à cela, on pas-
fler un vent nouveau sur sera à côté d’opportuni-
le syndicalisme ? mais en changeant tés très importantes. Je
Ce regain d’intérêt existe ne désespère jamais de
à chaque grande mobi- les règles convaincre et je pense
lisation, mais grâce à la que les autres organi-
lutte contre la réforme
des retraites, nous avons
en cours de route sations bougent sur ce
point. Tout le monde est
accueilli environ 35 000
nouveaux adhérents à la avec l’utilisation d’accord pour dire que
« rien ne sera plus jamais
CGT depuis le 1er janvier. comme avant  », c’est
Avec eux, nous avons de du 49.3. » quand même très fort.
l’or entre les mains car Cela révèle aussi le véri-
ils ont adhéré pour mili- table ras-le-bol des orga-
ter avec nous. Nous comp- nisations syndicales vis- L’accord des partenaires
tons bien élargir considérablement ce mouve- à-vis de l’infantilisation et du mépris de la part sociaux sur la
ment de syndicalisation, car ce qui a manqué à du patronat et du gouvernement. branche accidents
l’intersyndicale dans cette mobilisation a juste- du travail-maladies
ment été sa capacité à étendre les grèves. Il y a La CGT vient pourtant de signer l’accord entre professionnelles
encore trop de déserts syndicaux en France : 40 % syndicats et patronat sur les accidents du tra- (AT/MP)
des salariés du secteur privé n’ont pas de syndicat vail et les maladies professionnelles (AT/MP). Après la CFDT
dans leur entreprise. Renforcer les organisations Pourquoi ? et la CFTC, la CGT
est donc un levier central dans le rapport de force Parce que nous avons réussi à arracher quelques a signé le 1er juin 2023
avec le patronat et le gouvernement : à moyen et avancées sur la question. À commencer par la l’accord national
long terme, c’est ce qui changera – ou non – la création d’environ 200 postes. Cela renforce le interprofessionnel (ANI)
donne et le quotidien des travailleurs. paritarisme et sécurise la branche AT/MP face concernant la branche
aux velléités de l’État de s’emparer de ses excé- AT/MP de la Sécurité
Pour vous, le syndicalisme est-il plutôt révolu- dents pour inancer d’autres choses. En France, sociale. Le texte prévoit
tionnaire ou réformiste ? nous avons le triste record européen des acci- notamment
Je crois au compromis. Mais la négociation doit dents du travail, autour de 2 500 par jour. Il n’y a que ce système
se faire sur la base d’un rapport de force, car c’est donc pas trop d’argent dans la branche AT/MP d’indemnisation,
ce dernier qui permet d’améliorer les droits des et il doit servir à faire de la prévention. actuellement géré
salariés. Nous ne signerons jamais un accord ré- Nous avons aussi obtenu une légère baisse des par la Caisse nationale
gressif : le « donnant-donnant » n’appartient pas taux d’incapacité et l’intégration progressive d’assurance maladie
au vocabulaire de la CGT. Le problème est que, des critères psychologiques, qui permettront (Cnam), passe
aujourd’hui, ce rapport de force est très défavo- de prendre en compte cette forme de pénibilité. sous la gouvernance
rable aux organisations syndicales : il faut donc Nous voyons exploser les burn-out et les arrêts d’un conseil
changer en profondeur les règles des négocia- maladie, notamment chez les managers : c’est d’administration
tions collectives pour rééquilibrer la balance. révélateur de la dégradation des conditions de paritaire composé
travail dans les entreprises. de partenaires sociaux.
Comment faire concrètement ?
Par exemple, il n’est plus possible de négocier Quelle vision portez-vous sur le travail ?
au siège du patronat, que ce dernier préside les Aujourd’hui, le travail reste un moment et un lieu
négociations et qu’il assure le secrétariat des d’exploitation. D’abord parce qu’il n’est pas rému-
séances… Il faut transformer la négociation néré à sa juste hauteur. Une part de plus en plus
collective et nous pensons que le Conseil écono- importante de notre travail sert à rémunérer les
mique, social et environnemental (Cese) doit actionnaires et cela s’appelle de l’exploitation.
être davantage utilisé, par exemple, comme lieu Mais il s’agit aussi d’un levier d’émancipation.
neutre pour avoir des négociations, ou comme Collectif, parce qu’il nous permet de transfor-
base de diagnostic commun. mer la société.

L’HEBDO page 13
 Mais le travail est aussi
un levier d’émancipa-
tion individuel. C’est
d’ailleurs pour cela que
le fait d’en être privé
est la première des vio-
lences, cela revient à
priver quelqu’un de son
utilité sociale. C’est
d’autant plus vrai pour
les femmes  : ces cin-
quante dernières an-
nées, leur émancipa-
tion passe avant tout par
leur salarisation.

À l’issue du congrès qui

vous a élue à Clermont-
Ferrand, vous affirmiez
que «  la fin du monde
et la fin du mois, c’est le
même combat », même
si vous avez reconnu
des « contradictions »
à ce propos à l’inté-
rieur même de votre
syndicat. Où en est la
réflexion de la CGT sur
le sujet ?
Nous allons construire
un plan syndical pour
l’environnement, avec
un traitement des pro-
b léma t iques é co lo -
giques à l’échelle de
chaque territoire, de
chaque profession, de
chaque entreprise. Avec
un postulat de base : il
n’est plus possible de
traiter la question envi-
ronnementale sans trai-
ter la question sociale et
du travail, c’est-à-dire
de l’appareil productif.

Quelle démarche pro-

Sophie Binet, secrétaire Le travail est un des derniers lieux où l’on se
générale de la CGT, mélange socialement, ce qui n’est plus le cas
à Paris, le 16 juin. dans l’habitat ou à l’école  : la question de la
mixité sociale et du lien social est donc cen-
trale. Malheureusement, avec la sous-traitance
et l’externalisation, on ne se mélange plus et,
avec le développement du télétravail, des fossés
inquiétants se creusent entre les cols blancs et
les cols bleus.
posez-vous ?
Tout d’abord, nous sou-
haitons une planifica-
tion pour sécuriser la
situation des salariés.
Aujourd’hui, j’entends
par exemple que le sec-
teur de l’automobile va supprimer près de
50 000 postes dans les années à venir. Et c’est
tout ? La discussion s’arrête là ? Il faut pourtant
mettre les bouchées doubles dans la formation
professionnelle pour assurer la réorientation
de ces travailleurs.
Ensuite, nous souhaitons favoriser au maximum
la construction de projets alternatifs pour trans-
former les sites industriels menacés. Et là, les

L’HEBDO page 14
 La conversation Sophie Binet

salariés ont un rôle majeur à jouer : il faut leur les expressions du pape François, même s’il y a
en donner les moyens et éviter les licenciements des choses qui, chez lui, me semblent aller dans
comme nous avons pu le voir dans les fonderies. le bon sens sur le plan social. Un peu moins sur
les questions sociétales…
Ces projets alternatifs ne relèvent-ils pas un
peu du mythe ? Vous avez pourtant fait un passage à la Jeu-
Les cinq ans de lutte pour assurer l’avenir de nesse ouvrière chrétienne (JOC)…
la centrale thermique de Gardanne (Bouches- Sans être ni baptisée, ni croyante !
du-Rhône) sont un bel exemple. La CGT s’y est
mobilisée pour maintenir l’outil industriel et Mais alors, comment vous y êtes vous re-
construire un projet alternatif. Cette longue mo- trouvée ?
bilisation a permis la naissance d’un projet de On arrive en général à la JOC par ses amis.
production de gaz et d’électricité, reposant sur la C’est comme cela que je l’ai rejointe : grâce
biomasse et la méthanation, un procédé inexis- à un copain de classe, lorsque j’avais 15 ans.
tant en France à l’heure actuelle. Nous avons ob- C’est à cette époque que je me suis vraiment
tenu satisfaction à la suite de nos interpellations rendu compte des inégalités sociales. Dans
et la relance à 100 % du site en 2024 ou 2025. Cette ma classe de seconde, il y avait encore de la
grande victoire de la CGT est symbolique de ce que mixité, mais elle s’arrêtait en première : les
nous voulons faire partout. Mais l’épisode a éga- meilleurs élèves, issus des bonnes familles, al-
lement montré que ce savoir-faire salarial n’était laient en ilière scientiique, les moins bons,
que trop peu reconnu. les enfants des classes
populaires, en filières
Pourquoi est-ce si technologiques. J’ai
important de traiter alors compris que j’avais
conjointement les pro- eu une enfance très fa-
blématiques sociales et
environnementales ?
« J’ai compris vorisée, notamment
grâce au capital cultu-
Aujourd’hui, une justice
environnementale est in-
que j’avais eu rel de mes parents. Cela
a été assez violent pour La Jeunesse ouvrière
dispensable au niveau na-
tional et international car une enfance moi  : je ne savais plus
où me mettre. Je trou-
chrétienne (JOC)
D’abord créée
nous savons que la ques- vais cela très injuste, en Belgique en 1925,
tion écologique est intrin- très favorisée, mais j’étais aussi actrice la Jeunesse ouvrière
sèquement liée aux inéga- de ce système. chrétienne voit le jour
lités sociales : plus on est
riche, plus on pollue. Si
notamment La JOC m’a permis de
me rendre compte de
en France deux ans
plus tard sous l’égide
les mesures environne-
mentales que nous pro-
grâce au capital cette reproduction so-
ciale et du fait que j’étais
d’un prêtre, le père
Guérin. Aujourd’hui,
posons pèsent sur les plus sur des rails : classe pré-
faibles, nous n’arriverons culturel paratoire, grande école,
l’association compte
6 000 « jocistes », âgés
pas à faire face aux déis. élite… Or, je voulais de 13 à 30 ans et issus
À l’inverse, et c’est un de mes parents. faire dérailler le sys- de milieux ouvriers
point sur lequel nous de- tème. Il était impor- et populaires, répartis
vons encore progresser
à la CGT, nous ne pou-
Cela a été tant pour moi d’être en
contact avec des jeunes
dans 120 fédérations
locales. Dans ce
vons plus être crédibles si
nous abordons les enjeux
assez violent de milieux ouvriers.
C’était aussi une double
mouvement apostolique
et d’éducation populaire,
sociaux sans les relier aux transgression par rap-
défis écologiques. Qu’il pour moi. » port à ma famille, anti-
les jeunes
sont responsables
s’agisse de projets in- cléricale et plutôt bour- du mouvement,
dustriels ou de réformes geoise intellectuelle. qu’ils gèrent et animent
comme celle des retraites, eux-mêmes.
ce sont des exercices de Vous y êtes restée cinq
projection de moyen et long terme que nous ne ans. Que retenez-vous de cette expérience ?
pouvons pas penser sans nous poser, en même Cela a été mon école du militantisme. L’action
temps, la question de la viabilité de la planète. était très collective, partait d’en bas, avec une dé-
marche de consultation forte et un véritable tra-
Cette façon de lier fortement le social et l’envi- vail d’équipe. Cet engagement m’a appris l’humi-
ronnemental rappelle ce qu’écrit le pape Fran- lité, le respect de la parole des autres et l’écoute.
çois, notamment dans Laudato si’. Avez-vous Je me souviens de carrefours avec de jeunes han-
lu ce texte ? dicapés de centres d’aide par le travail. Nous
Cela relève plutôt du hasard car j’avoue ne pas étions à égalité : je parlais, ils notaient ; puis
avoir eu le temps, ces dernières années, de lire ils parlaient et je notais. Les écouter, sans être

L’HEBDO page 15
 dans une posture dominante, a été très impor-
tant pour moi. Si je n’avais pas été à la JOC, je
n’aurais jamais connu cela.
Avez-vous retenu quelque chose du message
de l’Église ?
« Aide-toi, le ciel t’aidera », cela me parle beau-
coup. La JOC portait cette vision-là, et surtout
pas celle de la charité, une vision humiliante
de l’homme qui m’a toujours rebutée. La dé-
marche « voir, juger, agir » a aussi été très for-
matrice et m’a aidée à prendre le temps d’ana-
lyser mon quotidien  :
je regarde ce qui est nor-
mal, ce qui ne l’est pas,
je m’organise pour ne
surtout pas rester dans
le fatalisme mais pour
« Les militantes
Avez-vous toujours été féministe ?
Ma mère était féministe, j’ai donc eu une éduca-
tion relativement féministe, mais quand j’étais
jeune, je considérais que ce combat était le sien
et non le mien : pour moi, c’était un acquis.
J’ai pourtant été confrontée à des violences
dans mon parcours professionnel. En tant
que conseillère principale d’éducation, j’ai eu
beaucoup d’élèves qui, parfois dans une même
classe, avaient été victimes de harcèlement,
d’agressions, voire de viols… Mais si j’y étais
confrontée, ce n’était pas encore complètement
conscientisé.
Ma prise de conscience
fut progressive et s’est
faite en arrivant à la CGT
en 2013, lorsque j’ai ren-
contré les militantes syn-

La 190e convention
changer les choses.
Cette bataille de la di- syndicales dicales féministes. Elles
m’ont formée et m’ont
de l’Organisation gnité rejoint le message initiée à ce syndicalisme
internationale du travail de Marx sur l’émanci- féministes féministe, ce féminisme
Adoptée en juin 2019 pation des travailleurs de lutte des classes qui
par l’Organisation
internationale
par eux-mêmes.
Enfin, à la JOC, la fin
m’ont initiée fait la particularité de la
CGT, où nous mettons au
du travail (OIT),
puis entrée en vigueur
ne justifiait jamais les
moyens. C’est d’ailleurs
à ce féminisme de même niveau domina-
tion patronale et domi-
en juin 2021,
la convention n°190
pour cela que, au bout de
cinq ans, j’ai fait le choix lutte des classes qui nation patriarcale.

vise à mettre in d’aller dans l’action syn- Que vous ont-elles

à la violence dicale : j’avais besoin de fait la particularité appris ?
et au harcèlement choses plus immédiates, Que les acquis étaient
dans le monde
du travail. Les pays
plus efficaces, plus
fortes. Mais ce passage
de la CGT : des conquis et qu’ils
doivent être défendus
la ratiiant sont tenus
de voter des lois
m’a appris à prendre
le temps de bien faire,
nous mettons et protégés. Mais, plus
encore, nous sommes
d’impliquer les autres, aujourd’hui dans une
et prendre des mesures
politiques pour traiter de travailler la forme au- au même niveau nouvelle lutte  : celle
ces problématiques. tant que la inalité. contre les violences
Parmi la trentaine
de signataires, La lutte pour l’égalité
dominations sexistes et sexuelles.
Une grande victoire de
on retrouve le Canada,
l’Afrique du Sud,
entre les femmes et les
hommes et contre les
patronale mon parcours à la CGT
fut d’ailleurs la cam-
le Mexique, la France
et récemment
violences sexistes et
sexuelles est très pré- et patriacale. » pagne menée avec la
Confédération syndicale
la Belgique. sente dans votre dis- internationale pour faire
cours. Cela sera-t-il un voter une loi mondiale
chantier prioritaire de contre ces violences. Le
votre mandat ? résultat fut l’adoption de la 190e convention de
Les femmes forment 50 % du salariat en France. l’Organisation internationale du travail contre
Il y a des inégalités persistantes, dans la rému- la violence et le harcèlement dans le monde du
nération, dans les conditions de travail : elles travail (ratiiée oiciellement par la France le
sont inacceptables. Or elles persistent non pas 12 avril dernier, NDLR).
parce que nous ne pouvons rien faire, mais Nous nous sommes coordonnés avec tous les
parce que le patronat et le gouvernement re- pays du monde pour faire monter le rapport de
fusent d’agir. Ils refusent de desserrer les cor- force, pour pousser les gouvernements à se po-
dons de la bourse : l’égalité salariale, cela coû- sitionner en faveur d’une telle convention. J’ai
terait environ 25 % d’augmentation de salaire. suivi la négociation à Genève de A à Z, et nous
L’égalité salariale, la in des violences sexistes avons gagné. C’était un peu une concrétisation
et sexuelles en entreprise, garantir aux de #MeToo, et c’est l’unique législation mon-
femmes de pouvoir travailler dans la dignité : diale à l’heure actuelle. Car si les consciences
c’est une priorité des salariés, et donc une ont beaucoup changé, c’est beaucoup moins
priorité actuelle de la CGT. le cas des institutions.

L’HEBDO page 16
 inet
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op
A
S UNE MUSIQUE
EN AP
SES DATES
1982 Naissance à Metz (Moselle).
2006 Membre du bureau national de l’Unef,
mobilisée contre le contrat première embauche (CPE).
2008-2013 Conseillère principale d’éducation
dans les quartiers Nord de Marseille et au Blanc-
Mesnil, en Seine-Saint-Denis. Élue en 2013 au bureau
confédéral de la CGT.
2016 Lance, avec Caroline De Haas et Elliot Lepers,
la pétition en ligne « Loi travail : non, merci ! »
qui recueille 1,35 million de signatures.
2018 Secrétaire générale de l’Union générale
des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ugict).
31 mars 2023 Élue secrétaire générale de la CGT.
LA SYMPHONIE
DU PREMIER-MAI,
DE DMITRI
CHOSTAKOVITCH
« J’aime beaucoup la
SOVFOTO/OPALE
musique classique,
mais si je dois retenir
un compositeur, ce se-
rait Chostakovitch avec son œuvre très variée,
avec des moments à la fois beaux et violents. C’est
une musique qui se regarde, et c’est quelque chose
que j’adore : voir ses symphonies, pas seulement
les écouter. Ainsi sa Symphonie n° 3 du Premier-
Mai : on a l’impression d’être à la manif ! »
UN FILM
CITIZENFOUR,
DE LAURA POITRAS
«  Voir ce film documentaire sur
Edward Snowden a été une révélation.
Quand j’étais secrétaire générale de
l’UGICT, nous nous sommes beaucoup
engagés auprès des lanceurs d’alerte.
Pour moi, quelqu’un comme Edward Snowden est
aussi un résistant. Tout comme Naomi Klein qui
analyse les transformations du capitalisme et fait
le lien entre le social et l’environnemental. »
DES FIGURES HISTORIQUES
BENOÎT FRACHON, GEORGES SÉGUY
ET HENRI KRASUCKI
« Il y a d’abord celles des résistants. Ceux de la CGT notam-
ment, dont mes prédécesseurs Benoît Frachon (au centre de
la photo, NLDR), Georges Séguy (à droite) et Henri Krasucki
(à gauche). C’est un peu intimidant d’être à leur place : je me
dis avec humilité qu’il me sera diicile d’être à leur hauteur. »
KEYSTONE/GAMMA
L’HEBDO page 17
 R E UX-MÊM ES
A I S PA
LES FRA NÇ  » part
, « La Croix L’Hebdo ndre
maine de pre
Chaque se tre des Français afinns et entendre
à la renconsaisir leurs aspiratio otidien.
leur pouls, pour améliorer le qu
leurs idées

Philippe Cathala
Médecin légiste à Montpellier (Hérault)

« Notre système de santé

est une chance, dont nous ne
sommes pas assez conscients »
Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?
Chaque jour, je me dis que la journée aura son lot de
surprises, de découvertes, de problèmes à résoudre,
de patients à accompagner, de victimes à conseil-
ler. Ça, c’est pour la partie médico-légale. Au quo-
tidien, sous ma casquette de président du conseil
de l’Ordre, j’aide des confrères, j’apaise des conlits
entre les médecins et les patients. Parfois, je préfé-
rerais rester dans mon lit ! Ces jours-là, je ressens
davantage la fatigue physique, le rythme et la charge
de travail. Il y a bien sûr des autopsies routinières,
mais d’autres demandent beaucoup plus d’enga-
gement émotionnel, de rélexion, de temps. C’est
le cas des afaires criminelles, des homicides, des
violences sexuelles. Les gros dossiers, comme l’at-
tentat de Nice en 2016, pour lequel j’ai été appelé, ar-
rivent inalement plus souvent que je ne le pensais.
Ils m’occupent le cerveau, depuis la première autop-
sie jusqu’à la reconstitution pour la cour d’assises,
puis le procès, souvent plusieurs années plus tard.
Au travail, ça se passe comment ?
J’ai plusieurs casquettes (lire ci-contre). Mon tra-
vail, à 80 %, consiste à m’occuper des vivants. Je ne
me penche pas que sur des morts, comme le font les
médecins légistes américains. Mon métier pourrait
plutôt s’appeler le médecin des violences, qu’elles
soient intrafamiliales, touchent des femmes, des
enfants, des personnes âgées. Mon service, à l’hôpi-
tal de Montpellier, est appelé par la police ou la gen-
darmerie pour ausculter des victimes et des gardés à
vue. Nous avons aussi des consultations en dehors du
cadre judiciaire pour des personnes souhaitant faire
constater des violences corporelles, ou des deman-
deurs d’asile victimes de sévices et de tortures.
En parallèle, j’ai régulièrement des gardes à assurer.
Cet exercice est usant, car il oblige à un décalage ho-
raire biologique permanent. Mais ça fait partie du
job… En vingt-quatre heures, je réalise en moyenne
une quinzaine d’actes, souvent la nuit, et au commis-
sariat. En médecine légale, il n’y a pas assez de bras
pour s’occuper de toutes les victimes, et répondre
à la préoccupation sociétale que sont les violences.
Pour les autopsies après décès, ça passe encore.
Mais les consultations augmentent de plus en plus,
et notre rétribution est sous-estimée. La valorisa-
tion des actes médicaux est insuisante, comparée
à d’autres métiers. Les médecins français sont clai-
rement sous-payés. Personnellement, je ne manque
de rien, je n’ai pas des goûts de luxe, je suis céliba-
taire, sans enfant, j’ai une petite Citroën, mais j’ap-
précierais une augmentation.

L’HEBDO page 18
 Philippe Cathala
est médecin légiste
au centre hospitalier
universitaire
de Montpellier.
Par atavisme familial,
il devient d’abord
pharmacien, après
avoir décroché
son bac à 17 ans.
Puis, il décide
de reprendre
des études : un DEA
(diplôme d’études
approfondies)
en chimie, du droit
et enfin plusieurs
NANDA GONZAGUE POUR LA CROIX L’HEBDO
années de médecine.
En 2010, il choisit la
En qui avez-vous confiance ? Émotionnellement, je n’étais pas tranquille. filière de médecin
À titre personnel, je fais coniance à mes amis, à Depuis, je suis un peu plus imperméable. légiste. Au début
ma famille. À titre professionnel, malgré toutes de ce nouveau cursus,
les violences auxquelles je suis confronté, je fais Quelque chose qui vous changerait la vie, là, Philippe Cathala
coniance à l’humain. Je suis quelqu’un d’assez op- tout de suite ? a suivi une formation
timiste. Même quand je vois la pire des ordures, Avoir des journées de quarante-huit heures ! à Los Angeles
je me dis qu’il y a forcément un peu d’humanité à la morgue des stars,
dans cette personne. Parfois, je me suis trompé : Et pour demain, une idée pour changer le lieu où ont été
je m’étais engagé en politique, au conseil munici- monde ? pratiquées
pal de ma ville. J’ai eu plus de déceptions dans ce Le monde, je ne sais pas. Mais une idée pour chan- les autopsies
monde-là que dans mon milieu professionnel. ger la France, ce serait que chacun se rende compte de Marilyn Monroe,
de notre chance d’avoir ce système de santé. En Janis Joplin, et où
Une scène qui vous a marqué récemment ? France, la médecine n’est pas considérée comme il a assisté à celle de
Un jour, j’ai été menacé de mort par un de mes un bien de consommation. La santé des gens est un la chanteuse Whitney
patients. C’était lors d’une garde à vue. Je ne droit fondamental. Mais nous sommes à un tour- Houston. À 47 ans,
lui donnais pas ce dont il avait envie, puisqu’il nant, au regard de la démographie de notre pays. il est aussi président
n’en avait pas besoin. Il s’est montré très agres- Depuis la crise du Covid, il y a une soufrance réelle du conseil de l’Ordre
sif. J’ai interrompu la consultation. Un peu plus et justiiée dans notre profession, qui nécessiterait des médecins
tard, je l’ai recroisé à Montpellier, pas loin de de la part de l’ensemble de la société et surtout des de l’Hérault, élu
chez moi. Je suis passé devant mon domicile politiques, une prise de conscience. La pénurie de au conseil national
sans entrer. J’ai changé de trottoir pour qu’il médecins, la pression plus grande sur nos épaules, où il est délégué aux
ne me voie pas. J’ai fait le tour du pâté de mai- le manque de bras, l’augmentation préoccupante affaires européennes
sons, et là, je suis retombé sur lui. Il est venu des violences à notre encontre… Il ne faudrait et internationales.
vers moi et m’a lancé : « Salut toubib, je suis dé- pas que l’on tende vers un modèle à l’américaine.
solé pour ce que je vous ai dit ! » et il est reparti. C’est le danger qui nous guette.
J’ai fait un sourire et j’ai continué ma route. Recueilli par Ysis Percq

L’HEBDO page 19
Explorer

L’HEBDO page 20
MOTS CROISÉS
Passion en onze lettres
,
Les croisés des mots croisés partagent
ou gardent jalousement pour eux
ces moments tout dévoués à la langue,
ses merveilles et ses astuces.
Les grilles ont le pouvoir d’ensoleiller
le quotidien des enfants comme
des anciens, attisant leur curiosité,
enrichissant leur culture, exerçant
leur mémoire et leur sagacité.
Emmanuelle Giuliani · Illustration : Quentin Vijoux

L’HEBDO page 21
POURQUOI S FAIT
NOUS L’AVON
Pour avoir d’enfantins
souvenirs, certes un peu flous,
de ma grand-mère, journal
et crayon en main ; pour chérir
la mémoire, elle très précise,
de ma mère plongée dans
les mots croisés de L’Obs
– et à vrai dire dans toute grille
qui passait sous ses yeux.
Pour, aujourd’hui, m’étonner
sans cesse de la rapidité
avec laquelle ma sœur
résout des mots croisés
que je mettrais une semaine
à (ne pas) achever si j’avais
la patience nécessaire…
Les motivations premières
de ce dossier sont très
personnelles, face à une passion
que, sans la partager, je devine
beaucoup plus complexe,
beaucoup plus riche que
la simple résolution d’un jeu
destiné à passer agréablement
le temps. Au-delà, la subtilité
de certaines définitions,
petits bijoux dont les pierres

Q
précieuses sont issues
de la mine inépuisable
de la langue française, incite
à s’intéresser de plus près
à ceux qui les concoctent
comme à ceux qui en cherchent
ardemment la solution.
Mobilisant l’humour, la culture
générale, l’astuce, les cases
blanches et noires célèbrent
les mots, leurs multiples sens,
du plus courant au plus inusité.
N’exigeant qu’un matériel
minimaliste, à savoir un crayon
et une gomme, les grilles
quadrillent ainsi un vaste
univers dont l’exploration
s’est avérée captivante.
Emmanuelle Giuliani

uand on lui a annoncé que, désormais, son club de

lecture proposerait une fois par mois une séance
MAXIME MATTHYS

consacrée aux mots croisés, Ludivine n’a pas été

très enthousiaste. Un peu fâchée même : « Les mots
croisés, cela ne m’inspirait pas vraiment, pas du
tout même, pour être franche ! Si je m’étais inscrite
au club, c’était pour partager mes enthousiasmes
de lectrice et découvrir de nouveaux ouvrages
 Passion mots croisés

« Suit le cours des rivières »

DIAMANTAIRE
Tristan Bernard (1866-1947)
Romancier et auteur dramatique à l’humour vif et caustique.
D’origine juive, il fut arrêté en 1943 et interné à Drancy,
mais libéré grâce à l’intervention de Sacha Guitry et Arletty.
Il fut pionnier des mots croisés littéraires.

conseillés par les autres membres. Chercher la solu-
tion de déinitions, plus ou moins vaseuses, pour ali-
gner des mots sur une grille, très peu pour moi… »
Benjamine de cette petite collectivité littéraire de
huit personnes installées en Normandie, la trente-
naire ne se voyait pas devenir une adepte de ce « jeu
pour seniors ». Mais, comme l’amitié nouée avec ses
compagnons était plus profonde que son mouve-
ment d’humeur, elle a tout de même essayé. Et, un
an plus tard, elle reconnaît ne pas regretter. « J’ai
abordé en rechignant une activité beaucoup plus
variée, stimulante, et surtout plus amusante que je
ne l’imaginais. Parce qu’elle fait appel à la culture
générale des uns et des autres et qu’elle révèle nos
diférentes tournures d’esprit, elle m’a semblé rapi-
dement très agréable », conie Ludivine qui se sur-
prend à noircir régulièrement des cases, « toute
seule en dehors du club ».
Lorsque la jeune femme qualiiait sa nouvelle pré-
dilection de « jeu pour seniors », avait-elle entiè-
rement tort ? Sans doute non. Un magniique té-
moignage de l’engouement cruciverbiste à un âge
respectable nous est donné par Claude Larpin, qui
ne fait pas mystère de ses 92 ans. « C’est mon mari,
grand amateur de jeux de lettres et champion de
Scrabble, qui m’a initiée aux mots croisés, évoque-
t-elle. Depuis son décès, j’en fais beaucoup, ceux
du Canard enchaîné et de L’Obs en particulier.
Cela me change les idées, entretient ma mémoire
et ma curiosité, un peu comme la lecture de polars
et la résolution d’énigmes (1). J’aime chercher
dans le dictionnaire, et même dans un fascicule
de mots d’argot que je garde à portée de main car
il m’est souvent utile ! » Si le vocabulaire informa-
tique n’est guère sa « tasse de thé » – elle sollicite
alors l’aide de ses enfants –, Claude Larpin mo-
bilise avec entrain ses souvenirs littéraires, son
apprentissage du latin « mais aussi des sciences
naturelles, fréquemment convoquées via les noms
de plantes ou d’animaux ». Et elle ne se lasse pas
de s’émerveiller de la faculté de notre cerveau à
« faire remonter, sans que l’on sache comment, des
connaissances très anciennes ».

ESPRIT
Comme elle, de nombreux passionnés des cases
noires et blanches ont été convertis par leurs
proches. Gabriel Choudens, fraîchement retraité,
ne fait pas exception, ayant voulu partager avec
son père cette étrange manie qui créait une fas-
cinante bulle invisible autour de lui. « J’ai com-
mencé en participant, timidement, puis plus assu-
rément, à ses recherches. Je me rappelle très bien
la première grille que j’ai achevée alors que mon
père l’avait laissée reposer, butant sur une déini-
tion. Le virus m’avait gagné. » Gabriel analyse i-
nement les ressorts de son penchant, depuis l’abo-
lition du temps jusqu’au plaisir de savourer jeux de
mots et associations d’idées subtiles. « À ce titre,
j’aime beaucoup Michel Laclos, dont les déinitions
correspondent à ma forme d’esprit, en mieux !

L’HEBDO page 23
 Voyez la déinition “le bleu de la mer”, à laquelle
répond le mot “moussaillon” : n’est-ce pas juste, vif
et poétique ? »
En bon cruciverbiste qui se respecte, Gabriel noue
une relation avec un auteur, sa personnalité, sa ma-
nière de penser. Et même s’il admet avoir parfois
peiné sur des mots léchés « qui peuvent se révéler
eux aussi très diiciles », cet ex-documentaliste re-
vient sans cesse aux mots croisés classiques. Mais
alors qu’il les a abordés en tant que « collaborateur »
de son père, il conie « ne pas aimer partager. C’est
vraiment un moment personnel, solitaire, une
forme de retrait passager de la vie et du monde. Il y
a un peu d’addiction là-dedans, une manière d’éva-
sion comme lorsque j’écoute du Bach… ou une brèche
ouverte sur l’inconscient. D’ailleurs le psychana-
lyste Jacques Lacan ne recommandait-il pas à l’un
de ses jeunes confrères de faire des mots croisés ? »
Cette dimension rituelle, ce cérémonial adopté
par les as des petites grilles n’étonne pas Marie-
Ève Gualbert. Rédactrice en chef déléguée de
Notre temps Jeux (publiés par Bayard, éditeur de
La Croix L’Hebdo), elle conirme que le courrier
des lecteurs trace la cartographie d’une popula-
tion de « passionnés qui aiment avant tout jouer
avec les mots, mettre leur mécanique intellectuelle
au service de la langue. Ils nous écrivent jouir de
ces instants où ils se retrouvent avec leur maga-
zine, leur crayon (gomme intégrée ou séparée), et
c’est tout. Un retraité qui, pourtant, passe ses jour-
nées tout seul est allé jusqu’à dire que les mots croisés
constituaient “son moment à lui” ».

« Concerne triplement un curé

officiant de bonne heure à Troyes »
AUBE
Georges Perec (1936-1982)
Romancier, membre de l’Oulipo, auteur d’une œuvre singulière
qui joue avec la forme autant qu’avec le sens. Son amour du langage
ne pouvait ignorer l’art des mots croisés.

L’HEBDO page 24

REPÈRES
Petite histoire de mots entrecroisés
C’est dans l’Antiquité que seront débusquées les origines du jeu
de lettres. Il prit cependant son visage actuel beaucoup plus tard.
C
ertes, les « mots croisés » antiques
étaient bien différents des grilles
modernes. Pourtant, hommage doit être
rendu aux « mots carrés » ou « carrés
magiques de lettres » inventés par
nos antiques aïeux, de la Mésopotamie
à l’Empire romain. On retrouva dans les ruines de Pompéi
un jeu consistant à croiser les mêmes mots sur une grille.
On pouvait y lire, de gauche à droite comme de droite
à gauche et de haut en bas comme de bas en haut :
SATOR
AREPO
TENET
OPERA
ROTAS
Ce qui se traduit : « Le laboureur Arepo prend soin
des roues » (de sa charrue).
Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’apparaissent
« nos » mots croisés… ou presque. Le 21 décembre
1913, le violoniste et journaliste Arthur Wynne publie
dans le New York World une première grille en losange,
le Fun’s Word-Cross Puzzle. Peaufinant son invention,
il passera du losange au carré et introduira, selon un plan
symétrique, des cases noires pour séparer les mots.
Ces mosaïques mystérieuses traversent l’Atlantique
pour gagner l’Angleterre, puis la France, dès 1924.
Aussitôt, des auteurs s’en saisissent, mettant leur
humour au service de définitions sophistiquées, quitte
à s’affranchir des codes anglo-saxons privilégiant
l’esthétique et la symétrie des grilles. Notamment,
Passion mots croisés
ENRICO SPETRINO/ADOBESTOCK
Tristan Bernard, avec ses Problèmes de mots croisés
dès 1925, tandis que Renée David fonde la même
année la première revue spécialisée, Le Journal des mots
croisés. Elle avait d’ailleurs remporté le concours de mots
croisés organisé par… Tristan Bernard ! C’est à cette
pionnière que l’on doit la reine des définitions : « Vident
les baignoires et emplissent les lavabos », dont la solution
est : « entractes » ! Plus sérieusement, les mots croisés
seront utilisés durant la guerre pour transmettre
des messages codés.
Les mots croisés s’installent dans la presse en locataires
permanents. Les principaux titres ont « leur » verbicruciste :
Max Favalelli, Guy Brouty, Michel Laclos… Tous
s’emploient à poser des défis toujours plus délicats
aux amateurs, en usant du minimum de cases noires
ou, comme Robert Scipion, en imposant de longs mots
assortis de définitions piquantes et complexes. Georges
Perec ajoutera son nom à la liste des écrivains aux grilles
savoureuses, ce qui n’étonne pas de la part d’un joueur
de mots aussi fantaisiste et virtuose. En 1969, Jacques
Capelovici, alias Maître Capello, importe d’Allemagne
les mots fléchés, dont il améliorera d’ailleurs la formule.
Le développement de l’informatique transforme
la fabrication des grilles, les logiciels prenant la main
pour, en quelques secondes, croiser les mots et placer
les cases noires. Mais les passionnés argueront que seul
un véritable auteur, femme ou homme d’esprit fort
de sa culture, de ses liens avec la langue française
et de la singularité de son intellect, saura polir
les meilleures définitions. Gourmandes énigmes,
capables de pousser les plus fins cruciverbistes
dans leurs retranchements…
L’HEBDO page 25
 Comme on est loin de l’ambiance juvénile et col-
lective du Festival des mots croisé d’Is-sur-Tille en
Côte-d’Or. En 1990, la ville s’est joyeusement auto-
proclamée « Capitale cruciverbiste ». À l’origine de sa
décision, le nom même de la localité, ces deux petites
lettres, Is, qui, comme celles d’Eu (Seine-Maritime)
et Aÿ (Marne), reviennent à l’envi dans les grilles,
eicaces chevilles entre des mots plus longs.
PÉDAGOGIQUE
Après avoir organisé des tournois destinés aux
adultes, la municipalité a concentré ses eforts sur
les plus jeunes : depuis 2001, les collégiens sont
à l’honneur, une compétition opposant en toute
convivialité des binômes d’élèves de cinquième
de toute la région. « Chaque année, les grilles qui
les départagent sont élaborées autour d’un thème,
explique Christine Nunes, responsable de la com-
munication de la ville d’Is. Le 13 mai dernier, nous
« Ne va plus à Monte-Carlo »
RIEN
Max Favalelli (1905-1989)
Journaliste sagace, converti aux mots croisés par Tristan Bernard,
il fut aussi l’inoubliable présentateur du jeu télévisé « Des chiffres et des lettres ».
L’HEBDO page 26
avions choisi le sujet de l’information. Il a rassem-
blé 32 équipes, donc 64 enfants venus le plus sou-
vent avec leurs parents et les enseignants qui les pré-
parent à l’épreuve. » S’est ajoutée une compétition
des champions où rivalisèrent les huit meilleures
équipes de l’année précédente, désormais en classe
de quatrième. Entre 50 et 60 bénévoles accueillent
les candidats et veillent au bon déroulement de la
journée, qui s’achève, pour ceux qui peuvent res-
ter à Is, par une soirée gastronomique où gougères,
jambon au miel, époisses et chaource rivalisent de
pouvoir gustatif et calorique !
Certains collèges sont des idèles « inscrits depuis
vingt ans, se réjouit Jean Ben Aïm, président de l’as-
sociation Is mots croisés. Les mots croisés font par-
tie de leur arsenal pédagogique. Parallèlement, les
parents se prennent au jeu, soulant parfois les so-
lutions à leurs enfants, au mépris des règles ! » Les
jeunes apprennent « à toute allure à s’organiser,
 Passion mots croisés

« Du vieux avec du neuf »

NONAGÉNAIRE
Robert Scipion (1921-2001)
Journaliste, auteur de romans policiers, scénariste, il fut notamment la plume verbicruciste
du Nouvel Observateur au cours des années fastes du magazine.

vont de plus en plus vite. C’est étonnant et grati-
iant de voir combien ils progressent dans la mé-
thode pour compléter les grilles qui leur sont sou-
mises. Et quelle ierté pour eux une fois toutes les
cases remplies ! » Jean Ben Aïm y voit un signe en-
courageant pour détacher les mots croisés « de leur
image liée à Papi-Mamie dans son fauteuil, ses lu-
nettes sur le nez ».
Les vertus pédagogiques du jeu de lettres sont in-
déniables, si l’on en croit les enseignants. Dès la
prime jeunesse, il contribue aussi, de manière lu-
dique et non stigmatisante, à détecter d’éventuels
problèmes de vue, de latéralisation, de concentra-
tion, sans parler de la relation étroite entre la ri-
chesse du vocabulaire à disposition et le contexte
social et culturel de chacun. Professeure de lettres
au collège Le Parc, à Dijon, Sylvie Matrat est une
idèle du tournoi d’Is-sur-Tille, depuis que sa ille,
aujourd’hui trentenaire, y a participé. « Je pré-
pare mes élèves et ceux d’autres classes à la sélec-
tion du concours. Mais, au-delà, j’utilise les mots
croisés comme outil d’apprentissage et de révision
de la grammaire, des conjugaisons, du lexique. Je
fais travailler les enfants par deux, puis seuls, et
je constate qu’ils adorent cela. » L’enseignante in-
siste sur l’embellie apportée auprès des élèves en
diiculté : « Une dictée sur les participes va les té-
taniser, alors qu’une grille contenant exactement
les mêmes mots et les mêmes accords leur semblera
abordable. »
Audrey Monnette, quant à elle, professe une ma-
tière « qui produit souvent un efet réfrigérant, les
mathématiques ». Désireuse avant tout d’ouvrir
l’esprit et le cœur de ses élèves, elle voit dans les
mots croisés une analogie avec les maths. Les uns
et les autres font appel à la logique, exigent de

L’HEBDO page 27
 l’organisation pour résoudre pas à pas les pro-
blèmes. « Surtout, ils proclament le droit à l’er-
reur, que l’on identiie, corrige, pour mieux repar-
tir, fort de cette première expérience, qui n’est pas
un échec mais un essai », plaide-t-elle avec convic-
tion. En 2006, elle avait également participé au
tournoi d’Is et, de son propre aveu, n’y avait guère
brillé. « À l’adolescence, j’ai complètement délaissé
les mots croisés, mais y suis revenue depuis mes
années de fac. À 27 ans, j’en fais désormais six ou
sept par semaine, une formidable décompression
après une journée où l’on a vu passer une centaine
d’élèves ! »
CONNEXION
Les verbicrucistes sont-ils conscients des trésors
intellectuels, voire existentiels, qu’ils dispensent
à leurs adeptes ? Sont-ils, à leur mesure, d’ardents
célébrants du pouvoir magique des mots ? L’auteur
des grilles du quotidien La Croix, sous le nom d’Ar-
thur Gary, et de son Hebdo, sous celui de Pierre
Olivier, confesse le plaisir qu’il éprouve à pousser
le déi le plus loin possible. « Mon objectif, via une
pointe d’humour, une astuce ou une allitération, est
de créer une connexion avec le joueur. Si je réalise de
« Risque d’être mal comprise à l’Opéra »
DÉRATISATION
Michel Laclos (1926-2013)
Journaliste et écrivain, il collabora notamment au Figaro et à ses magazines.
Une référence pour maints cruciverbistes et verbicrucistes.
L’HEBDO page 28
nombreux mots léchés, je pense que les mots croisés
sont plus “cérébraux”, plus complets dans la pano-
plie de connaissances et de rouages mentaux qu’ils
sollicitent. » Il applique parfois ses déinitions à
des grilles « prêtes à croiser » fournies par des logi-
ciels spécialisés, mais, in ine, ne s’en satisfait pas
pleinement, préférant combiner à la main mots et
cases noires. « Je me souviens de mes premières ten-
tatives, maladroites, bourrées de répétitions et de
déinitions approximatives. Mais on progresse et,
comme la langue est inépuisable, nos ressources le
sont aussi », explique cet adepte de Roger La Ferté
et Max Favalelli : « Ce dernier avait une culture his-
torique et théâtrale phénoménale qui rendait ses
grilles très diiciles. » Souvent en référence à l’ac-
tualité, elles gagnent en complexité le temps pas-
sant, aiguillonne la mémoire du cruciverbiste, ra-
vivant les noms d’hommes politiques bien oubliés
ou ceux d’artistes sur lesquels le rideau s’est baissé
depuis des lustres…
Plutôt qu’à l’histoire, Pierre Olivier, lui, fait appel
à la géographie, sa spécialité, au il de ses « hori-
zontaux » et de ses « verticaux ». « Travailler sur
un thème donné est très excitant et formateur »,
assure-t-il. Une excitation admirablement

ÉCONOMIE
Des lettres… et des chiffres
Dominé par le leader européen Keesing, le marché des mots croisés
s’inscrit dans l’immense univers éditorial du jeu de lettres.
L
ivrets qui tiennent dans la poche
ou cahiers souples ravivant
les années d’école, les recueils
de jeux de lettres se déclinent sous
des formats divers et des collections
multiples. « C’est bien pratique
pour les transports », reconnaît Marie-Lise, qui,
avant de prendre son train, hésite entre « Fléchés »
force 4-5 édité par Megastar ou les grilles de « Mots
croisés niveau confirmé » de la collection Cogite. « Je
sais que l’on peut jouer en ligne, mais je reste attaché
au papier », explique cette quadragénaire, qui va ainsi
occuper ses trois heures de voyage vers Marseille.
Le marché du jeu en général et singulièrement
des mots croisés, « est saturé et ultra-concurrentiel,
souligne Marie-Ève Gualbert, rédactrice en chef
déléguée de Notre temps Jeux (édité par Bayard),
leader en France sur le marché de l’abonnement
avec environ 45 000 clients. Il faut distinguer les titres
de presse, où Femme actuelle se place en tête, et les
produits d’édition, avec une multitude de livrets de
tous niveaux et de tous genres vendus en kiosque. »
Ce dernier secteur est dominé par le groupe Keesing,
fondé en 1911 à Amsterdam, qui a publié sa première
revue de mots croisés dans les années 1930,
Passion
Xx Xxxxxxxxxx
mots croisés
SMART FUTURE/ADOBESTOCK
et que les habitués retrouvent en France sous les
marques Sport cérébral et Megastar. Développant
« une quantité industrielle de propositions »,
indique Marie-Ève Gualbert, Keesing s’enorgueillit
de diffuser plus de 100 millions d’exemplaires
par an sur le marché européen, avec une gamme
de 500 recueils différents où l’on trouve, au côté
des mots croisés, mots fléchés ou mêlés,
cryptogrammes et logigrammes, sans oublier les
sudokus… À ce titre, la marque Sport cérébral affiche
un catalogue de 130 produits différents et quelque
11 millions d’exemplaires vendus chaque année.
Des éditeurs comme Marabout et Hachette publient,
eux, des produits plus luxueux, et donc plus onéreux,
aux allures de cahiers de vacances pour adultes,
tandis que les célèbres verbicrucistes, Michel Laclos
en tête (chez Zulma), font l’objet de recueils au look
soigné rassemblant leurs meilleures grilles.
Les amateurs seront, par ailleurs, intéressés de savoir
que les grilles qu’ils résolvent dans leurs journaux
et recueils préférés sont en large part fournies par
RCI-Jeux, première société française de création de
jeux de chiffres et de lettres, dont les clients sont aussi
bien la presse papier (comme c’est le cas de L’Hebdo)
que les sites Internet et applications mobiles.
L’HEBDO page 29
 A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V

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A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V

L’HEBDO page 30

Problème 001
Horizontalement. – 1. Produit de synthèse.
Bestioles. 2. Il est doré sur tranche. Peintre cubain.
Donneras un coup de pouce. 3. Moyenne sur un
parcours. Préoccupés. Haut et Bas en Alsace. Rapport
circonstancié. Tête à thête. 4. Il traîne souvent sur le
champ. Frappé de stupeur. Privée de sommet. 5. Finit
toujours bien. Passer au rouge. Fait peut-être acte de
piété. Elle a un homonyme marin. 6. Dose pour malade.
Tintin en Amérique. Il implique un risque. Dévorée
par un rat. 7. Sans précédent. Tirant des plans sur la
comète. Acquis sans autorisation. 8. Elles préfèrent les
bouquets aux dragées. Autour des pieds ou sur sabots.
Elles ne sont pas canalisables. Dimension d’un grand
pays. 9. Appellation de barde. Tour avec mètre. Butte. Il
est souvent sur le chemin du fer. 10. Paradoxalement,
elle est propice à l’invention des frères Lumière… Agence
qui vise haut. Tours de ilin. 11. Tour de taille. Berceau
d’Abraham. Gaz rare. Qui n’est pas de ceux qui canent.
Ressort usé. 12. Concert lors de rodéos urbains. Signala.
Il a gardé sa clef. Grande épée. 13. Refuge protégé. La
proie pour l’ombre. Un dur que rien n’arrête ou presque.
A chaud. 14. L’arme fatale. Supericie abrégée. Il met ses
adeptes en selle. Sourd des Alpes. 15. Muet de naissance. Il
est connu pour son appétit féroce. Partie rétrécie du gosier.
Pas la mais plus haut. 16. Papier de luxe avec du lin. Mise
au jour. Éclisse. Des mouettes pas muettes. 17. Retourné
à l’envoyeur. Plantation royalement chère à Tournier…
Tas de glace durcie. 18. Il cache parfois plus vaste que
lui ! Partie d’Italie du Nord. Dame de jeu. 19. Se fait
entendre dans une clairière. Proprement lessivées.
Ce n’est pas très galant pour des dames. 20. Présentée
comme une perle. Elle préparait divinement un plat
froid. Sur la boussole. 21. Ouverte par nécessité. Terme
de billard ou de mode. C’est souvent une raison sociale.
Bu de travers… 22. Nécessaire à l’élaboration d’un plan.
On y use des souliers. Premier sur cent un… N’ayant guère
envie de rire. Passer. 23. Badine. Qualiie une allumette.
Imprégné de fumée. Abrégé d’histoire en latin. 24. Tire
sur la corde. Donnée pour certaine. Est dans un état
de repos. 25. Aide à tout éliminer. C’est pas trop tôt.
Bien humée. Mesure approximative. Paragraphe à ne
pas rater. 26. Qui fonctionne de loin. Terre à un Tell.
Point lisse. 27. Amazonien bariolé. Il fait de jolis cocos.
Refuge de corniauds. Dans la parentèle. Victoire de la
musique. 28. Brésilien qui quitta malheureusement le
circuit. À vite ramasser. Recueil drôle. Prend in avec la
mine. Il vit le mauvais côté de l’afaire. 29. Ne garde pas.
Substance composant la cuticule de certains insectes.
Vents impétueux du poète. 30. Ouverture en baleine.
Un genre très cité… Résultats d’une opération contre le
maquis. Elle est mise à sac.
de Pierre Olivier
Verticalement. – A. Mise de fonds. Proposition
intéressée. Parfois bardé de diplômes. Langue des
afranchis… Arrive à faire masse. B. Ce fut un tremplin
pour une carrière. Efectué des travaux de sape. Il a
fait perdre la tête à bien des gens. Comme une huître
précieuse. C. Ils se remplissent après les visites.
Diminution d’activité. Source de bière sombre. Vache
sacrée. Étendue pour ajoncs et genêts. D. Il a un jour
sur plusieurs centaines. Ville sur la Loire. Enfermer
sans raison. Couvert comme un couvert… Il n’y a que
les opposants à militer pour lui. E. Relatives à une
fête chrétienne. Ce sont des moments pour rejoindre
la station. Entraîner. Pariant. F. Il a une tendance
égalitaire. Elle engendra des titans. Assainit. Les pays
de l’or noir. Vieille tondeuse… Parfois injecté pour savoir
la vérité. G. Traiter chaudement. Atteinte à la justice.
Mate à mort. Article. Changer la note. H. Toucher au
vif. Constellations de horions. Elles n’invoquent pas la
légitime dépense. Restant à donner. I. Liquide des traites.
Pieux à l’écart. Corrigée. Demeure stoïque. Certains
y trouvent leur compte. J. Douloureuse. Voisine du
Tréport. Parfaitement maîtrisé par Merlin. Elles font
ceinture. K. Insigne. Elle cacarde. Fait appel. Il est facile
d’y créer des liens. Feuille d’oseille. L. Coin de Bourgogne.
Quand la main passe. Appareil de levage. Révolutionnaire
comme germinal. Vraiment exécrables. M. Comme un
jour propice au pont. Bonne sœur et femme dévouée. Sujet
à l’acné. La clé est une solution pour la gagner. Faire le
mort. Planchettes de bois. N. À leur pied, on peut trouver
des trufes. Pianiste biterrois ou actrice née à Bonifacio.
Un homme de sol comme Ré. On a mis du gaz dans
son eau en 1914. Il s’accroche à une bouée. L’insolence
des agneaux. O. Égal à ego. Fait pas sur le pas. Ils n’ont
jamais été dans les comptes d’apothicaire. Activité sur
des aiguilles. Projet à Cadarache. P. Faisant partie du
patrimoine foncier… Peu âgée. C’est une question de bon
sens. Témoin d’un lever. Conduite. Q. Galette musicale.
Anglaise avec une solide mâchoire. À l’état brut. Ils furent
porteurs de doléances. Retournée. Donnas une teinte
de terre. R. Celles qu’on envoie au diable. Préservé de
l’oxydation. Réservé aux initiés uniquement. S. Lézard
apode vivipare de nos jardins. Durs à articuler. C’est le
cours qui fait suer au lycée ! Groupée. Additif naturel. Mis
en rapport. Lettre grecque. T. Elle est à la fois gratuite
et à louer. As de carreau. Elle est très eicace en somme.
Bien construit. Du même tonneau. Mercenaire venu de
l’Est. U. Sa villa est souvent louée. Coule en Afrique. Lente
au départ. Elle ne circule guère en hiver. Elles peuvent
griller des circuits. V. Crises de foi. Sur le gâteau, c’est le
détail qui termine bien. Compagnon du ménestrel.
Elle fait gafe…
L’HEBDO page 31
 LUS LOIN
POUR ALLER P
Sur Internet
Des éléments très intéressants sont
à glaner sur divers sites Internet dont :
· cruci2.com, qui propose des grilles
pour adultes et pour enfants, organise
des concours, favorise les échanges
entre les passionnés.
· cruciverbiste.club se décline sur
un modèle analogue, qui se complète
d’un « musée des mots croisés » plein
d’archives savoureuses et surprenantes.
· fortissimots.com offre des
ressources sur la langue et répertorie
les compétitions en France.
· motscroises.fr affiche sa fonction :
« des solutions gratuites en un clic ».
· cruciverbe.fr rend ce même service.

décrite par l’écrivain Georges contraire, puisqu’elle en a fait son mé-

Perec, verbicruciste talentueux : « La
recherche des déinitions est un travail
luide, impalpable, une promenade au
pays des mots où il s’agit de découvrir,
dans ces alentours imprécis qui consti-
tuent la déinition d’un mot, le lieu fra-
gile et unique où il sera à la fois révélé et
caché. » (2)
SENS
La confection de mots croisés n’est
pas réservée aux seuls professionnels.
Géraldine Moinard, lexicographe aux
Éditions Le Robert, en est l’exemple.
Bonne élève, elle s’ennuyait souvent
en cours et, pour tromper le temps, in-
ventait des grilles, les petits carreaux
Des dictionnaires
tier. Et si cette mère de deux jeunes en- En version papier
fants n’a guère le temps de se consacrer ou numérique, il existe
actuellement à la résolution de jeux de de nombreux dictionnaires
lettres, elle élabore toutefois des grilles de mots croisés (Larousse,
personnalisées pour les mariages ou les Robert, Marabout) classant
anniversaires de ses proches. « C’est les mots selon leur nombre
un cadeau unique, très intime, qui de lettres et le placement
touche beaucoup les gens et ranime en de celles-ci. Ils sont d’une
eux l’idée que l’on peut dire beaucoup aide précieuse pour
en peu de mots. » Et qui dit mots croi- « débloquer » une grille complexe.
sés dit dictionnaire, ces ouvrages mer-
veilleux où l’on débusque à l’inini des
Chez Bayard
termes inconnus. « Et où l’on apprend À noter que Notre temps, magazine
aussi le double, le triple, voire plus, sens publié par Bayard (éditeur de La Croix
de ceux que l’on croit connaître sur le L’Hebdo), publie sa ligne de titres
bout des doigts. » Notre temps Jeux, où les mots croisés
sont associés à d’autres
J
NOUVEAU
(1) Certains détectives de iction résolvent leurs
eu x
JOUER, SE CULTIVER, S’AMUSER

N° 452

de ses copies lui fournissant un cane- jeux de lettres, de chiffres

Juillet 2023
3,50 €

enquêtes grâce aux mots croisés où ils excellent.

MOTS
vas tout trouvé ! « Je remarquais que les
TÉLÉGRILLE
Ainsi du policier Morse ou des Dames de Marlow, et d’esprit, ainsi qu’à
SUDOKU
FLÉCHÉS
✹ MOTS CROISÉS
✹ MÉLANGÉS ✹ CODÉS MAXIMOT

professeurs n’osaient pas trop me répri- personnages imaginés par des auteurs 53 grilles inédites
FORCE 1 FORCE 2
FORCE 3 FORCE 4 des articles de culture
QUATRO

du Royaume-Uni (Colin Dexter et Robert

mander, l’activité ayant quelque chose Thorogood), grande nation cruciverbiste… 275 SPÉCIAL générale, d’histoire,
de sérieux, voire de scolaire », sourit- (2) Les Mots croisés, précédés de considérations
JEUX BORD DE MER évasion… Une nouvelle
+ leurs solutions

100
CPPAP
0926K85742

elle. Avec les années, son amour de la de l’auteur sur l’art et la manière de croiser du mois
gamme est attendue HISTOIRES
POUR DÉCOUVRIR
L’OCÉAN

langue ne s’est pas amoindri, bien au

L’invitée enoy

à l’automne prochain.
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les mots (Mazarine, 1979).

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JEU-CONCOURS : 1 800
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SOLUTIONS DE LA GRILLE GÉANTE

Horizontalement
1- Récapitulatif. Microbes. 2- Ananas. Lam. Seconderas. 3- Par.
Souciés. Rhin. P.V. Th. 4- Soc. Pétriié. Écrêtée. 5- En. Rager. Égrène.
Lote. 6- Cuillérée. No. Enjeu Lue. 7- Aînée. Irréaliste. Volés. 8- Hases.
Mules. Ruées. Li. 9- Érin. Péri. Éminence. Tee. 10- Obscurité. E.S.A.
Erses. 11- Obi. Ur. Xénon. Têtu. Pep. 12- Pétarade. Cita. Ut. Estoc.
13- Asile. Esche. Direct. Sue. 14- Poison. Ha. Polo. Aare. 15- Ciné.
Piranha. Isthme. Si. 16- Vé. Née. Attelle. Rieuses. 17- Réexpédié.
Aunaie. Névé. 18- Arbre. Piémont. Reine. 19- Rée. Ruinées. Typesses.
20- Nacrée. Némésis. E.-S.-E. 21- Opérée. Rétro. Entête. Ub. 22- Té.
G.R. Ain. Aigri. Mettre. 23- Rie. Suédoise. Saur. Etc. 24- Élonge. Sûre.
Sommeille. 25- Ni. Tard. Respirée. Q.I. N.B. 26- Téléguidée. Uri.
Noueuse. 27- Ara. Émeu. S.P.A. Nièce. Hit. 28- Senna. Sec. Ana. Ter.
Éloi. 29- Donne. Chitine. Autans. 30- Évent. Rap. Essarts. Anse.
Verticalement
A- Rapiéçages. O.P.A. C.V. Argot. Entasse. B- E.N.A. Nui.
Robespierre. Perlière. C- Cars. Inhibition. Ébène. Io. Lande. D- An.
Orléans. Aliéner. Argenté. Non. E- Pascales. Cures. Exercer. Gageant.
F- Iso. Gê. Épura. O.P.E.P. Ure. Sérum. G- Upériser. Déni. Épie. Au.
Diéser. H- Ulcérer. Rixes. Radineries. Due. I- Lait. Ermite. Châtiée.
Endure. C.C.P. J- Amère. Eu. Enchantement. Orées. K- Signalé. Oie.
Hé. Oseraies. Paie. L- Is. Frôlement. Palan. Mois. Puants. M- Férié.
Isis. Ado. Lutte. Gésir. Ais. N- Chênes. Nat. Îlien. Yser. Orin. Na.
O- Moi. Entre. Euros. Alpinisme. ITER. P- Inné. Jeunette. Tri. Est.
Amenée. Q- C.D. Clé. Écru. Cahiers. Émue. Ocras. R- Réprouvées.
Étamé. Ésotérique. S- Orvet. Os. E.P.S. Réunie. Et. Lié. Êta. T- B.a.
Tell. Tsé-tsé. Sensé. Tel. Uhlan. U- Este. Uélé. Pou. Sève. Surtensions.
V- Hérésies. Cerise. Rebec. Bêtise.

L’HEBDO page 32
 C’est tout un programme !

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Saint-François, par Mgr Jean Legrez, restauratrice du
réalisé par Virginie Berda archevêque d’Albi tapis de chœur
et Agnès Ravoyard
En partenariat avec
l’établissement public

Le Jour du Seigneur, c’est tous les dimanches matin sur , et tous les jours de la semaine sur lejourduseigneur.com
 À VIF

Crise sociale,
et maintenant ?
Émeutes et pillages ont mis à mal ces derniers jours la sécurité intérieure
du pays autant que sa cohésion sociale. Ils ont aussi montré
la persistance de problématiques qui cherchent toujours leurs solutions.
Dans cette perspective, L’Hebdo est allé revoir des acteurs de terrain
qui avaient témoigné dans notre dossier « Réparer la France »,
paru le 30 avril 2022. Ils proposent des mesures qui devraient selon eux
être mises en place pour retisser le lien social, plus que jamais.

« Repenser la façon dont

nos policiers sont armés »
H. RIBES POUR LCH

Ninon Lagarde, 26 ans, a cofondé l’association Tous élus,

en 2018, qu’elle a depuis quittée pour « monter d’autres projets ».
Elle cherche à rendre la démocratie accessible à toutes et à tous,
en particulier en s’adressant aux « oubliés de la politique ».

« À Nantes, où j’habite, beaucoup de
quartiers se sont enlammés. Mais les
émeutes y restent circonscrites. Il y a
des endroits où l’on pourrait croire qu’il
ne se passe rien. À mon sens, c’est une
révolte qui n’est pas encore présente
dans les centres-villes et qui ne l’est que
dans des lieux particuliers. Elle est mé-
diatisée mais on peut très bien ne pas la
voir si on ne regarde pas la télévision ou
la presse. Elle n’est pas encore sous les
yeux de tout le monde comme une ma-
nifestation qui passe par le centre-ville
pour se rendre visible de tous.
De mon point de vue, c’est une première
année d’un quinquennat encore plus
sécuritaire, rigide et qui ne cache plus
sa volonté de lutte contre différents
milieux sociaux, syndicaux ou écolos.
La crise sociale est un symptôme de
la crise démocratique. Quand on en
vient à des émeutes d’une telle force,
c’est qu’on a l’impression de ne plus être
entendu. Il s’agit de messages politiques
exprimés par la violence parce qu’il n’y a
plus d’autres issues que celle-ci.
Je pense que pour apaiser la situa-
tion actuelle, il y a besoin de pardon
et d’humilité de la part du gouverne-
ment, mais ce n’est pas le cas à l’heure
actuelle. Sortir de cette crise par la
force est une possibilité mais cela en-
terrera un problème qui reviendra par
la suite. Il faut des mesures. Je pense
que tout ce qui est en dehors de la ré-
paration de la faute commise et de la
remise en question des fondamentaux
de la police française n’a pas lieu d’être
aujourd’hui.
Avant même de penser démocratie, il
faut repenser la façon dont nos poli-
ciers sont armés. La démocratie est un
contrat social, la manière dont on inte-
ragit les uns avec les autres. Aujourd’hui,
le contrat social ne fonctionne plus ! Du
dialogue doit être construit et pour cela,
il y a besoin de réparation. »
Recueilli par Joseph Le Fer

L’HEBDO page 34
 « Miser sur le formidable
tissu associatif du pays »
A. MICALLEF POUR LCH

Depuis vingt ans, Brahim Timricht, directeur technique et sportif

de l’association Le Grand Bleu, à Marseille, tisse un lien de coniance
avec des jeunes dont il a l’oreille en cas de tensions. Pour lui, les leviers sont là,
de l’engagement des collectivités au savoir-faire associatif. Reste à s’en saisir.

«  Ces jours d’émeutes ont été très
durs à Marseille – et je sais de quoi je
parle, j’habite dans les quartiers Nord.
Les habitants ont eu peur. Quand vous
voyez débarquer des groupes de jeunes,
des voitures brûler juste en face de chez
vous… Certains d’entre eux ont même
réduit en cendres le magasin Aldi des
Flamants, dans le 14e arrondissement,
là même où les mères de famille font
leurs courses, parfois c’est leur seule
sortie de la journée… On voit bien que
c’est absurde. D’ailleurs, la plupart de
ces jeunes ne sont pas méchants, mais
ils se disent : “Pourquoi pas, on est en
groupe, on est super nombreux, il ne peut
rien nous arriver…”
Heureusement, ces événements
n’ont pas bousculé les activités que
nous mettons en place à la base nau-
tique de L’Estaque, dans le cadre de
la prévention de la délinquance et
des Quartiers d’été. Les jeunes de 14
à 17 ans viennent pratiquer du kayak,
du paddle, du sauvetage côtier… Et
ce n’est pas un hasard si, dans ce
contexte très tendu, le calme a régné :
les adolescents nous font coniance, ce
qui ne s’est pas fait en un jour, mais
en vingt ans de présence à L’Estaque.
Nous sommes connus et reconnus
ici ; ainsi, la parole des éducateurs
porte. Je crois énormément dans
ces liens de coniance et croyez-moi,
en France, nous disposons d’un tissu
associatif très dense et du soutien de
collectivités locales engagées. Il faut
s’en saisir, mais tout est là.
Pour autant, il me semble intéressant
de prendre en charge les enfants plus
tôt, vers 7 ou 8 ans, et pas seulement
à l’adolescence. Avec des activités pé-
riscolaires – du sport, de la culture –
jusqu’à 18 h 30. C’est très important
pour inculquer des valeurs à ces en-
fants et tisser les liens de coniance
dont je parlais. À chacun d’entre nous,
adultes, de nous mobiliser pour eux :
encore une fois, les dispositifs sont ac-
cessibles. »
Recueilli par Marine Lamoureux

« Impliquer les populations

P. GAILLARDIN POUR LCH

dans les décisions qui les concernent »

Avec son association Entourage, Jean-Marc Potdevin construit des réseaux
de soutien autour des personnes exclues. Selon lui, rapprocher des populations
qui ne se rencontrent pas permettrait de mieux vivre ensemble.

« Les images que l’on voit en boucle à la
télévision, aussi bien d’injustices que
de dégradations, sont très diiciles à
supporter. Elles génèrent beaucoup
d’émotions dont il est compliqué de se
débarrasser. D’autant que l’événement
est instrumentalisé par des politiques
de gauche comme de droite.
J’y vois le constat d’une incompré-
hension profonde entre des citoyens
qui ne se connaissent pas. Plusieurs
mondes cohabitent sans faire société,
sans jamais rien échanger. Or quand
on ne rencontre pas l’autre, il devient
une menace. Et à l’inverse, en apparte-
nant à un corps social, en participant
à un projet commun, il ne vient pas
à l’idée de détruire les biens de tous.
Une forme d’élite, à laquelle j’appar-
tiens d’ailleurs, est coupée de certaines
populations. L’administration, les mé-
dias, le monde politique comptent peu
de parcours qui permettent vraiment
de comprendre les diicultés des gens.
Une solution serait d’impliquer directe-
ment les populations dans les décisions
qui les concernent.
À Entourage, nous avons par exemple
un comité de la rue, composé de plu-
sieurs personnes ayant connu cette
très grande précarité et associées aux
rélexions. Cela nous permet de cerner
précisément les besoins et, en passant,
de constater nos erreurs de lecture.
Je crois que le plus important est de
recréer du lien. Ce n’est pas la solu-
tion à tout, mais cela peut contribuer
à améliorer la situation. L’homme est
un animal social, mais notre société
s’enferme dans des lectures individua-
listes. Nous sommes tous liés ! Il faut
mettre en avant cette interdépendance.
Avec l’association, nous menons par
exemple le programme “Linked out”
en Seine-Saint-Denis. Nous y mettons
en relation des demandeurs d’emploi
et des salariés bénévoles qui les ac-
compagnent. Les préjugés tombent,
et tout le monde y gagne en ouverture
d’esprit. »
Recueilli par Louis Faurent

L’HEBDO page 35

1984, le futur à présent
CERF/SDP
L’AUTEUR
Docteur en histoire,
spécialiste des religions,
président de la commission
mémoire, histoire et droits
de l’homme de la Licra,
Stéphane Encel s’intéresse
à la pop culture pour
en tirer des enseignements
politiques pour le monde
d’aujourd’hui.
L’ENJEU
« Peut-on échapper,
ne serait-ce que quelques
jours, à la mention
de 1984 dans les médias ? »,
ironise Stéphane Encel
en introduction de son livre.
Le roman d’Orwell sert
souvent de référence,
tant explicite qu’implicite,
dans la culture populaire
ou l’actualité. Le passe
vaccinal durant le Covid ?
Selon certains, un moyen
de contrôler la population,
comme dans 1984.
L’utilisation d’éléments
de langage en politique ?
Le retour de la novlangue,
comme dans 1984. L’emprise
de Google ? 1984. Mais
justement, l’œuvre est-elle
bien comprise ? La pensée
d’Orwell n’est-elle pas parfois
distordue pour s’adapter
à la situation et non analysée
selon le contexte de l’époque
de sa rédaction ? C’est ce que
tente de décrypter ce livre.
L’HEBDO page 36
ON L’A LU
Stéphane Encel
À
quoi reconnaît-on qu’un roman éviter toute pensée hérétique – si le mot
à succès est devenu un « clas- n’existe pas, la pensée non plus, CQFD –, elle
sique » ? Aux études universi- ressemble à s’y méprendre à la propagande
taires qui lui sont consacrées. pratiquée par les régimes autoritaires.
Aux extraits qu’en citent poli- Vestige du passé, miroir du présent, annonce
tiques, journalistes, intellectuels. À son in- du futur, qu’importe la temporalité, 1984
troduction dans les cursus scolaires. 1984 continue de résonner. La preuve, à peine la
est de ces œuvres devenues incontournables, perestroïka commençait-elle à rendre le livre
rappelle Stéphane Encel dans Le Monde selon un peu daté, et à l’inscrire dans les leçons
Orwell, un essai de décryptage pour expliquer à tirer du passé, que la robotique et les nou-
pourquoi et comment le récit orwellien reste velles technologies lui faisaient prendre une
une référence aussi vivace aujourd’hui. nouvelle jeunesse. Le danger ne vient plus tant
Pour comprendre, Stéphane des États et de leurs oppressions
Encel remonte à la genèse de que de la nouvelle ère technolo-
1984. Lorsque George Orwell gique. Les téléphones portables,
le publie, la morale qu’il es- les cartes bancaires, les GPS
père voir le lecteur en tirer nous suivent à la trace.
est simple  : «  Faites en sorte Qui sont les nouveaux Big
que cela ne se produise pas. » Brother aujourd’hui, ques-
« Cela », c’est la description gla- tionne Stéphane Encel dont
çante, clinique, d’un monde to- l’ouvrage, s’il ne contient pas
talitaire. Chez Orwell, « chaque de grandes révélations, est un
mot, chaque ligne » ont en efet bon guide de lecture et rappelle
été écrits « directement ou in- utilement quelques évidences.
directement contre le totali- Qui ? Certains régimes comme
tarisme  », détaille Stéphane la Corée du Nord ou la Chine.
Encel. George Orwell, qui Mais aussi les Gafam, même si
s’était engagé durant la guerre Le Monde selon cette emprise est plutôt nom-
d’Espagne, y avait découvert le Orwell. Avez-vous mée Big Mother, car c’est avec
pire ennemi du socialisme dé- bien lu 1984 ?, l’accord des individus que leurs
mocratique auquel il aspirait : Cerf, 192 p. , 19 € informations personnelles
« le communisme soviétique ». sont collectées et vendues par
Puis la folie nazie avait déferlé sur l’Europe. les géants du Net. « Tout peut alors deve-
Or, 1984 a été écrit en 1948. Le titre n’est pas nir orwellien », constate Stéphane Encel,
une prophétie, mais l’inversion des deux der- ajoutant que la vérité, l’une des obses-
niers chifres de cette année-là. sions d’Orwell, est plus que jamais mena-
Dès lors, le lecteur peut bien projeter que cée. C’est Donald Trump et son concept de
1984 a été pensé comme une dystopie, « en post-vérité, dans lequel les faits objectifs
réalité, Orwell ne décrit qu’un présent, fort ont moins d’inluence que les croyances per-
des deux totalitarismes qu’il a vécus et subis », sonnelles. Ce sont les iltres utilisés sur les
estime Stéphane Encel. Big Brother, le fa- réseaux sociaux. Ce sont les intelligences
meux œil, qui voit et surveille tout, repré- artificielles telles ChatGPT, qui raconte
sente alors la igure archétypale du régime, beaucoup de bêtises, ou Midjourney, qui gé-
du système. L’identiication à Hitler/Staline nère de toutes pièces des photos. De quoi
est «  outrancièrement évidente  », pointe contribuer à « louter la notion du réel ». La
Stéphane Encel. Quant à la novlangue ima- réalité n’est plus un socle commun et rassu-
ginée par Orwell, toujours, qui entend sup- rant. Et si Orwell avait eu raison ?
primer des mots et en créer d’autres pour Alice Le Dréau
 otes
Le bloc-n
UNE GRÂCE
DANS L’ABANDON
Frédéric Boyer, écrivain
Je viens te voir maman comme chaque
semaine, tant que je peux. Tu sais, je
dois rassurer une lectrice de ce billet,
Christiane, qui m’a écrit : « Je vous en-
courage à continuer d’aller la voir. » Et
qui ajoutait dans ce bref mot touchant
qu’elle m’adresse : « Permettez-moi de
vous poser une question : quand vous rentrez
dans la chambre de votre maman, prenez-vous
le temps de la prendre dans vos bras et de l’em-
brasser ? » Oui, la dernière fois, j’ai dû te prendre
dans mes bras pour t’aider à descendre de ton fau-
teuil roulant et t’allonger sur le lit. Tu ne pèses plus
guère. Tu es maigre et toute pâle. Avec ce regard
noir perdu dans le vague comme accroché à l’objet
d’une espérance perdue. Tu me demandes de pré-
venir ta sœur Marie-Thérèse. Je te réponds douce-
ment que Marie-Thérèse n’est plus là, depuis long-
temps. Elle est morte, maman, tu étais présente
avec nous à son enterrement à Cannes. Tu répètes
que Marie-Thérèse doit s’inquiéter. Je dois la ras-
surer, me dis-tu. Il faut l’appeler et lui annoncer
que tu reviendras bientôt la voir. Qu’elle t’attende.
Marie-Thérèse n’est plus, maman.
Tu dis que le docteur est passé te voir hier et qu’il
t’a promis que tu sortirais bientôt, demain sans
doute. D’ailleurs, où est passée ta veste ? Et tes
chaussures ? Je ne parviens pas à te dire que tu
ne sortiras pas, maman. Je répète Marie-Thérèse
n’est plus. Je dis aussi ne t’inquiète pas pour ta
veste. Elle est dans la penderie de la chambre. Elle
est accrochée à un cintre. Elle ne bouge plus. Elle
restera là dans le noir de la penderie. Près de toi si
maigre sur ton lit.
Je pourrai voyager encore, me dis-tu. Je pourrai re-
voir Marie-Thérèse. Je pourrai marcher, oui, le mé-
decin me l’a dit. Ou bien c’est elle qui viendra chez
nous. Mais Marie-Thérèse n’est plus, maman. Et
quand tu te lèves, tu tombes, maman, tu tombes,
et on ne veut plus te voir tomber comme ça. Et puis
tu me vouvoies de nouveau, tu me demandes :
Connaissez-vous Marie-Thérèse ? Je te
BRUNO LEVY
réponds oui. Je l’ai connue, elle s’est si
bien occupée de moi enfant. Je l’aimais
beaucoup.
Alors tu me souris. Quelque chose ad-
vient d’imperceptible. Un très léger vent
de grâce dans le crépuscule. La grâce
est la réponse à une demande que nous
ne formulons pas, une réponse à une ques-
tion impossible qui nous déchire. Un don ou
un secours gratuit qui nous est proposé dans
toute la fragilité de ce qui s’offre à nous sans
demande. C’est ainsi, me suis-je dit alors, que
je devais accepter la situation non pas « sans is-
sue » comme je pouvais le penser si souvent en
venant voir ma mère, mais précisément gratui-
tement, sans chercher d’autre issue que la gra-
tuité du don d’amour au cœur de cette situation.
Et en dépit de cette situation. L’expérience de
cette grâce est un peu différente de ce que j’ai
pu apprendre en théologie. Elle ne rachète rien
ni personne et n’est pas la condition nécessaire
pour nous faire agir mais plutôt le secours inat-
tendu qui nous fait accepter ce que nous pour-
rions refuser, ou accueillir ce que nous ne pen-
sions pas pouvoir accueillir.
Cette grâce en réalité est une présence dans la dé-
sorientation, une présence dans l’absence, quand
nous-mêmes doutons de notre propre présence à
autrui. Ou de son efficience. Cette grâce n’est pas
précisément l’efficacité d’un secours supérieur
mais la toute présence abandonnée et gratuite
jusque dans la nuit ou le doute. Et tant que cette
petite grâce-là se montrera dans un sourire, une
parole, un geste, même le plus simple ou le plus
insignifiant des gestes, jusqu’aux limites confuses,
tremblantes, de notre humanité, nous resterons
ensemble. Nous vivrons notre humanité. Morts et
vivants. Blessés et valides. Désespérés et coura-
geux. Et dans la grâce qui se tient au plus près de
nos abandons et de nos absences.
L’HEBDO page 37
 S POUR AGIR
DES IDÉE

RURALITÉ

Inclure les adultes

porteurs de handicap
Créé en 2016 en Isère, Le Bercail Paysan permet
à une vingtaine de jeunes adultes porteurs d’un handicap
mental de progresser en autonomie en participant
à des tâches de la ferme : ramassage des œufs, entretien
des enclos, nourrissage des animaux, etc. Cette activité,
installée sur un site comprenant une exploitation agricole
et une propriété familiale à Gillonnay (Isère), dispose
de l’agrément « Service d’accueil de jour » : les bénéiciaires
y sont encadrés pour partager la vie quotidienne du lieu,
entre 8 heures et 16 heures. Mais l’association voudrait
aller plus loin en proposant un accueil permanent
pour une dizaine d’entre eux, d’ici à 2025. L’équipe
est donc à la recherche de inancements – mécénats
d’entreprise, cotisations de nouveaux adhérents, dons
ponctuels – pour transformer le reste de la propriété
et recruter des professionnels.
lebercailpaysan.fr
LE BERCAIL PAYSAN

RNATIONAL
SOUTIEN INTE

Envoyer
de l’aide médicale
en Ukraine
Depuis le début de la guerre en Ukraine, Pharmacie
humanitaire internationale (PHI) a envoyé plus de 80 tonnes
de matériel médical sur place. Alors que le conlit se poursuit,
les besoins sont toujours très importants : ses 28 antennes
locales cherchent ainsi à mobiliser les habitants de leur
territoire grâce à des campagnes comme l’« Opération
tirelire », qui vient d’être organisée en Isère, dans le Rhône
et dans la région du Berry et d’autres actions pour rassembler
dons inanciers et équipements médicaux adaptés – produits
d’hygiène courante, matériel de chirurgie de guerre, laits
infantiles, etc. – au sein de milliers de pharmacies partenaires.
Le fruit de la collecte est ensuite acheminé en Ukraine,
grâce à la contribution d’associations locales. Les équipes
de PHI sont également à la recherche de bénévoles pour
la récolte, le tri et le transport des produits.
phi.asso.fr
PHI

L’HEBDO page 38
 SOLIDARITÉ

Prêter sa maison
pour les vacances
ADOBESTOCK

Votre maison manque de vie pendant votre absence en cette

période estivale ? L’association Parents vacances lance un appel
aux propriétaires solidaires, pour accueillir des familles
en diiculté économique. Créée en 2019, reconnue d’intérêt général,
l’organisation fait ainsi le lien entre des propriétaires mettant
à disposition gratuitement leur résidence secondaire ou principale
et des familles défavorisées, suivies par le Secours catholique
ou Habitat et humanisme. Un partenariat avec Europe Assistance
prévoit la mise en place d’une assurance gratuite. Il est encore
temps de vous associer au projet, pour un été engagé !
parentsvacances.org

MIGRANTS

Pédaler solidaire !
Vous avez soif d’aventure et de fraternité pour les vacances d’été ?
Rejoignez la troisième édition du Reborn Trip, une aventure cycliste
solidaire à travers la France. Le principe ? Un peloton de jeunes
réfugiés, hebergés par Habitat et humanisme, s’élance le 2 août
de Malakof (Hauts-de-Seine), direction le mythique sommet du col
du Tourmalet dans les Pyrénées. 22 jours, 1 000 kilomètres
en 18 étapes, pour découvrir le pays, créer des liens ain de faciliter
l’insertion mais aussi… faire du bien au corps et à la tête.
Comment aider ? En les accompagnant sur quelques kilomètres
(ou plus !), en les suivant en camionnette pour l’approvisionnement,
ou en leur préparant de quoi se ravitailler sur leur lieu d’arrivée.
REBORN TRIP
reborntrip.fr

UVELLES TECHNOLOGIES
NO

DONNER
K
OC
EST
OB
AD

Utiliser les nouvelles technologies pour soulager les enfants hospitalisés :

DES AILES tel est le but de L’Envolée, une vidéo immersive réalisée par l’agence rennaise
Digipictoris. Ce ilm emporte dans les airs les jeunes patients des CHU de Rennes
et de Québec, au Canada. Équipés de casques de réalité virtuelle, ils survolent

AUX ENFANTS les paysages majestueux de Bretagne et d’Amérique du Nord, à 360°. Apprécié
des soignants, l’outil permet notamment de surmonter les moments diiciles
lors de traitements médicaux invasifs. Soutenue par la fondation Nominoë
du CHU de Rennes, L’Envolée sera bientôt difusée dans d’autres établissements.

MALADES Vous pouvez soutenir le projet grâce à vos dons.

fonds-nominoe.fr

Pages réalisées par Marine Lamoureux avec Raphaël Baldos, Louis Faurent, Eve Guyot et Clotilde Macabéo

L’HEBDO page 39
 par semaine
Une foi
L’OPTION PRÉFÉRENTIELLE
POUR LES BANLIEUES
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix
La banlieue brûle et nous regardons
ailleurs. On plagierait ainsi volontiers
Jacques Chirac (lorsqu’il parlait de l’éco-
logie) après ces journées éprouvantes
et violentes. Il a suffi d’une étincelle, la
mort tragique du jeune Nahel, pour que
tout s’embrase. Pillages de magasins,
incendies de voitures, casse des transports
en commun, et surtout agression physique des
élus : nous nous réveillons tous groggy, avec plus
de questions que de certitudes. Le fait est qu’on ne
peut dédouaner ces gamins, ni leur trouver trop
d’excuses. Ils ont une lourde responsabilité indi-
viduelle dans ce qui s’est passé, des délits graves
ont été commis et ne peuvent être tolérés dans une
société qui se donne des règles de vie en commun.
Et en même temps, on sent bien derrière ces évé-
nements l’existence de difficultés structurelles
graves. Ceux qui naissent dans ces quartiers cu-
mulent presque automatiquement un certain
nombre de handicaps, de retards, de portes qui se
ferment, d’absence de perspectives. Ce n’est pas
toujours le cas. Certaines expérimentations sont
fructueuses, et il convient d’en parler. Mais tout de
même, depuis les violences de 2005, on ne peut
pas dire que l’on soit parvenu à combler, au moins
partiellement, le fossé qui sépare aujourd’hui ces
quartiers du reste des villes. Les violences de
ces derniers jours sont, comme la drogue et les
règlements de comptes meurtriers qui gan-
grènent ces zones de non-droit, le symptôme
d’une société qui ne va pas bien.
La notion de « structures de péché », développée
par la théologie de la libération, est sans doute
pertinente pour l’analyse : elle permet de mettre
au premier plan une dimension sociale du péché,
pour désigner des situations injustes, déséquili-
brées, et qui affectent la dignité des personnes…
humaines. On ne supprime pas la responsabi-
lité de chacun. Mais on désigne ainsi un système
L’HEBDO page 40
plus global qui marginalise une partie de
BRUNO LEVY
la population, comme peuvent l’être le
trafic d’armes, la corruption ou le sys-
tème économique. C’est la réalité de
ces quartiers, pour lesquels on n’est pas
parvenu à casser la ghettoïsation, où l’on
a sans doute trop investi dans la rénovation
du bâti et pas suffisamment dans les écoles et
le tissu associatif.
Au même moment se développe tout un débat
aux États-Unis autour de la discrimination posi-
tive dans les universités, contestée désormais
par la Cour suprême. En France, nous n’avons
pas cette tradition de mettre dans les critères de
sélection la race ou l’origine ethnique. Cela s’op-
pose à notre conception universaliste de la société.
Ceci dit, il faut bien reconnaître que ces banlieues,
ou plutôt leurs habitants, souffrent de discrimina-
tion négative. Faut-il un traitement particulier ? Là
encore, rappelons une autre notion de la doctrine
sociale, l’option préférentielle pour les pauvres :
nous pouvons exiger une option préférentielle
pour ces lieux de pauvreté et de vulnérabilité que
sont les banlieues, demander des investissements
massifs en matière d’éducation, de formation pro-
fessionnelle, d’embauche… Et nous-même favo-
riser toutes les initiatives en ce sens, par le biais
de nos entreprises, de nos choix d’habitation, de
nos investissements associatifs. Une autre forme
de péché serait de se détourner de ces situations
d’injustice. Cela relève aussi de notre responsabi-
lité que l’on ne mette pas des étiquettes, que l’on
ne segmente pas les écoles, que l’on puisse mieux
mixer les populations, que l’on sorte des stigmati-
sations de part et d’autre, qui ont laissé se former
deux mondes qui s’ignorent. Nous en sommes tous
responsables. La solution n’est pas seulement in-
dividuelle. Incarcérer les jeunes ou sanctionner
les parents ne suffira pas. La réponse est aussi, et
surtout, collective. Elle relève du bien commun.
 Meilleure initiative
éditoriale
Meilleure enquête

Et demain sera tout aussi surprenant

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 D’AVIGNON
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CIRCUS
BAOBAB
Ralentir

La Guinée en C’est l’une des attractions phares du festival

« Off » d’Avignon cette année : Yé ! (L’eau),
de la troupe guinéenne Circus Baobab,

acrobaties
s’inspire des difficultés du quotidien en Afrique
de l’Ouest, qui donnent lieu à d’intenses
acrobaties, marquées par le tragique,
mais aussi par l’humour et la fraternité.

es bras nerveux les repoussent mais Gucci : « J’ai perdu un ami de la fac qui avait pris

D qu’importe, elles tentent de forcer le pas-

sage. Repoussées encore. Elles recom-
mencent. Repoussées à nouveau. Elles n’ont i-
nalement d’autre choix que de faire demi-tour.
Compressées dans un jean, leurs silhouettes mus-
clées s’éloignent vers les coulisses. Leurs pieds
nus claquent contre la scène.
Ce face-à-face brutal fait partie des nombreuses
scènes inspirées des âpretés de la réalité guinéenne
qui rythment Yé ! (L’eau), l’électrique spectacle
que les acrobates de Circus Baobab donnent, à la
Scala en Provence, durant le festival « Of » d’Avi-
gnon, après Paris, le Brésil, et avant la Finlande,
l’Espagne… Une tournée aux accents de consécra-
tion pour les treize artistes guinéens – dont deux
femmes – qui, longtemps, n’ont pas pu seulement
imaginer enjamber ainsi les frontières, applaudis
par un public toujours conquis.
Âgés de 18 à 32 ans, ils ont pour certains passé leur
adolescence dans les rues de Conakry, souvent li-
vrés à un impossible rêve d’exil. « Quand je galé-
rais, ça m’a traversé l’esprit », conie Bangaly Sylla,
grand gaillard dans un pantalon serré. À ses côtés,
son collègue, Vichy, renchérit sous un béret grifé
une pirogue. » Désiré et refusé, l’exil traverse Yé !
(L’eau) comme dans la scène décrite plus haut, où
les frontières de l’Europe se ferment aux deux can-
didates à une autre vie. Plus généralement, le quoti-
dien souvent rude de Conakry constitue la matière
première de cette heure d’intenses et bien souvent
époustoulantes acrobaties. « Quand le metteur en
scène, Yann Ecauvre, est venu en Guinée, il nous a
demandé quels problèmes on rencontrait, raconte
Vichy. On lui a parlé du manque d’eau, du chômage,
de la corruption… »
Le manque d’eau, insoutenable paradoxe pour un
pays qui doit son surnom de « château d’eau de
l’Afrique de l’Ouest » à ses formidables réserves
hydrauliques, a donné son titre au spectacle  :
« yé » signiie « l’eau » en soussou, la langue de
l’une des trois ethnies principales du pays. C’est
aussi le point de départ. Le rideau se lève en efet
sur un parterre de bouteilles en plastique vides –
l’unique accessoire du spectacle. Puis les artistes
entrent un par un, rôdent autour de l’une des deux
acrobates, qui tient un exemplaire du récipient
entre les mains devenu un Graal. Alors la parade
se transforme en pugilat, avant que l’acrobate,

L’HEBDO page 42
portée par deux collègues, devienne le sommet
d’une tour. Deux autres tours humaines se for-
ment alors de part et d’autre, mais le public n’a
pas le temps de saluer la prouesse que le tout s’ef-
fondre en un lent mouvement.
Cet enchaînement prodigieux, où la fraternité
côtoie la haine, ne doit pas faire oublier que l’hu-
mour a aussi la part belle, y compris pour décrire
la réalité guinéenne. Comme dans l’hilarante sé-
quence du courant électrique, qui fait défaut dans
bien des quartiers de Conakry. L’unique contor-
sionniste de la troupe, Amara Camara, l’incarne
en tournant sur lui-même tandis que le reste du
groupe feint de regarder un match de foot. Les
commentaires sportifs suivent le rythme de l’ar-
tiste. D’abord haletants, ceux-ci ralentissent
puis, d’un coup, cessent. Le contorsionniste, qui
a décéléré, est immobile. Panne de courant ! Les
mordus de foot s’indignent, Amara Camara refait
la toupie, les commentaires repartent… Et ainsi
de suite.
Dans une mêlée, une pyramide, la tendresse a
aussi sa place, qui jaillit lorsqu’en chœur, les
treize artistes scandent un même nom : Ngatou,
l’équivalent d’une grand-mère pour tous les acro-
bates de rue de Conakry. Avant leur entraîne-
ment à la plage, ils avaient l’habitude de faire
halte chez elle. « Elle n’avait rien, mais nous don-
nait toujours quelque chose à manger, se souvient
Mohamed Kandelya, le chef de la troupe. C’était
une légende. » Une légende, décédée aujourd’hui,
mais aussi une famille pour ceux des danseurs de
Circus Baobab qui en ont été privés. Parfois, leurs
parents les ont mis à la porte car, en dépit d’une Avec Yé ! (L’eau),
tradition acrobatique ancienne en Guinée, ce mé- les treize acrobates
tier ne fait pas partie des carrières rêvées pour de Circus Baobab
leurs progénitures. « Mes parents pensaient que font voyager
le métier que je voulais faire n’allait rien leur ap- les rues de Conakry
porter », explique Vichy, qui a persévéré en en- à travers le monde.
ilant ses tenues de scène en cachette avant les PHOTOS METLILI.NET/SDP
« shows » dans la rue.
À ceux qui n’avaient tout simplement pas de fa-
mille, le Circus Baobab a ofert une attache grâce
à son local, dans le quartier Dixinn, à Conakry. Ce
modeste toit de tôle sur des murs jaunis accueille
une centaine de jeunes d’horizons modestes, qui
s’entraînent pour devenir des artistes profession-
nels. « Le Circus Baobab est un cirque social »,
rappelle Richard Djoudi, le producteur de Yé !
(L’eau). Depuis sa création, en 1998, la troupe se
renouvelle au gré des départs. C’est la quatrième
promotion qui tourne actuellement.
Pour ses membres, la rue n’est désormais plus un
lieu de vie, mais demeure une scène de prédilec-
tion. « Le public y est plus spontané », explique
Bangaly Sylla. Mohamed Kandelya poursuit  :
« Parfois, on a un peu peur de faire certaines i-
gures sans filet, et quand la rue crie, ça nous
donne de la force. » Avec leurs collègues du Circus
Baobab, entre deux spectacles en salle, ils impro- Retrouvez
visent sur le macadam des villes de tournée. Place nos autres
du Prado, à Marseille, ou sur le parvis de l’hôtel de suggestions
ville de Paris, les passants ont pu le constater. Et, de spectacles
pour les encourager, ont beaucoup crié. dans les pages
Marianne Meunier suivantes
Du 7 au 29 juillet à 11 h 45, à la Scala en Provence
 ’AVIGNON
LE OFF D
CLARA AMSELLEM/SDP

Donner de la voix
Celle qui ne dit pas a dit. Elles sont trois femmes sur scène. Trois collègues
de travail. Il y a « celle qui dit », la grande gueule toujours prête à s’exprimer.
À côté d’elle, il y a « celle qui dit après » : c’est du suivisme, d’accord, mais
c’est moins risqué. Et puis il y a « celle qui ne dit pas ». Par peur, parce qu’elle
n’a jamais eu l’habitude qu’on la laisse parler. Seulement, un jour, celle
qui ne dit pas… dit. L’ordre des choses s’en trouve bouleversé. L’autrice
(et actrice) Sarah Pèpe montre la voie (voix ?) dans un enthousiasmant trio,
pour illustrer le pouvoir et la liberté que confère la parole. Et pourquoi
il faut parfois la prendre, sans attendre qu’on vous la donne.
Alice Le Dréau
Du 7 au 29 juillet à 17 heures (relâche les mardis), au Théâtre des Lila’s
YOANN COUETTE/SDP

Promenade aux bras
d’Anton Tchekhov
T.C.H.E.K.H.O.V. La compagnie Grand Tigre s’est fait la spécialiste
de portraits théâtraux tout à fait originaux, qui racontent la vie de grands
auteurs au fil d’une promenade à travers leurs textes. Après le très réussi
M.O.L.I.E.R.E., joué en alternance dans le même théâtre, T.C.H.E.K.H.O.V.
propose une « traversée charmante avec haltes exploratoires de la kyrielle
d’humeurs d’une œuvre vécue ». Avec beaucoup d’humour et de légèreté,
trois formidables comédiennes, Odile Ernoult, Clémentine Lebocey
et Elsa Robinne, accompagnées d’un musicien, Joseph Robinne, mènent
cette exploration inventive et généreuse. Un kaléidoscope réjouissant
qui se révèle aussi une formidable déclaration d’amour au théâtre.
Marie-Valentine Chaudon
Du 7 au 29 juillet, les jours pairs à 20 h 30, au Théâtre du Centre,
theatreducentre-avignon.com
FREDERIQUE TOULET/SDP
Du flamenco
dans le ghetto
Dolores. Le réel offre parfois des histoires que des
scénaristes n’oseraient pas inventer. Comme le destin
vrai et saisissant de Sylvin Rubinstein (Olivier Sitruk,
habité). Enfants, Sylvin et sa sœur jumelle, Maria, se
sont pris de passion pour le flamenco. Des Rubinstein ?
Qui dansent le flamenco ? Sur scène, ils deviennent
le duo Imperio et Dolores. Mais il ne fait pas bon être
artiste et juif à la fin des années 1930, à Varsovie.
Lorsque sa sœur est arrêtée, le jumeau éploré entre
dans la résistance. La douleur de la perte, le courage
et la mémoire sont au cœur de cette pièce intense,
mise en scène par la comédienne Virginie Lemoine.
Les numéros de flamenco disent tour à tour la rage
et la peine. La danse comme outil de survie.
Alice Le Dréau
Du 7 au 29 juillet à 17 h 35 (relâche les mercredis),
au Théâtre actuel Avignon, theatre-actuel-avignon.com

GUILLAUME SEIX/SDP
La muse du jazz
envoie valser
Pannonica, baronne du jazz. La colère fait légèrement
trembler son dos de noir vêtu. Dans ce cachot new-yorkais
de la fin des années 1950, tout chez elle, son élégance,
sa chevelure blonde, sa voix, détonne. Elle parle à son amant
dans la cellule voisine, le musicien Thelonious Monk – dont
le compositeur Raphaël Sanchez offre une formidable
interprétation musicale. Cette femme, c’est Pannonica
de Koenigswarter, née Rothschild. Blanche, riche, aristocrate.
Et d’une liberté totale, envoyant valser conventions et confort
pour soutenir la musique dont elle s’enivre dans les clubs.
Un personnage romanesque, amie et muse de nombreux
jazzmen, auquel Natacha Régnier prête toute sa sensibilité.
Béatrice Bouniol
Du 7 au 29 juillet à 15 h 45 (relâche les mardis), au Théâtre
Le petit chien, chienquifume.com
Dribbler
le destin
Diego. Certes, les amateurs
de football y retrouveront moult
références qui les feront vibrer
(ah ! les images de la finale
de la Coupe du monde 1998 !),
mais ce spectacle intime
et touchant, aux échos universels,
s’adresse à un public bien plus
large, à partir de 12 ans.
Où il est question de recherche
de sa propre vocation (artistique),
de la place du père dans ses choix,
et d’accomplissement personnel
d’un jeune homme nommé
Diego, en hommage à Maradona.
Une très jolie performance
artistique (et sportive !) assumée
par Hugo Randrianatoavina,
dans un dispositif scénique
aussi pertinent qu’original.
Bruno Bouvet
Du 7 au 25 juillet à 16 h 45 (relâche
les 12 et 19), au Théâtre Avignon-
Reine Blanche, reineblanche.com
LAURENT CHARRIER/SDP
Entracte
La vie parisienne
des animaux
Avec la transhumance massive et l’estive des Parisiens, les
animaux de la capitale vont reprendre leurs aises. Paname
est aussi leur ville. Le piéton de Paris ne peut manquer de
les voir, depuis l’Antiquité, sculptés sur les façades. Une
exposition au Pavillon de l’Arsenal retrace leur histoire intra-
muros.
Dès le Ier siècle, les combats entre animaux sauvages et face
aux gladiateurs remplissent les arènes de Lutèce.
Quand, en 1131, Philippe de France, fils aîné de Louis VI
le Gros, meurt après que son cheval a heurté un cochon
domestique, Paris est envahi de porcs errants. Dans le Paris
médiéval, les animaux sont partout, jusque dans les écuelles
où l’on découpe avec appétit chiens et chats cuits. Ou bouillis.
Pendant la guerre de Cent Ans, les loups se faufilent dans
les brèches des fortifications et attaquent les habitants.
On finit par les exterminer devant Notre-Dame.
Dès le XIIIe siècle, Paris accueille un marché aux oiseaux sur
le parvis de Notre-Dame, avant de migrer Pont-au-Change,
puis dans « la vallée de la Misère », au couvent des Grands-
Augustins.
Pour canaliser et domestiquer les animaux, les rois inventent,
au XVIIe siècle, parades et carrousels. C’est le début d’un pro-
cessus de contrôle. Chasses royales dans les forêts doma-
niales qui ceinturent Paris, ménagerie à Versailles, puis au
Jardin des Plantes pour parquer les bêtes errantes.
Déplacer la centaine d’abattoirs artisanaux occupe une
bonne partie du XIXe siècle. Napoléon les regroupe en péri-
phérie avant qu’Haussmann ne les reloge dans un lieu unique
à la Villette. Les bêtes arrivent par la gare de Paris-Bestiaux. La
prolifération des rats demeure un fléau inquiétant. Néanmoins,
les surmulots en surnombre sont recherchés pour remplir les
assiettes et repousser la famine pendant le siège de Paris.
Au XIXe siècle, les chevaux, supplétifs idéaux des activités
humaines, servent à tout. Bêtes de somme et de spectacle
avec le succès des hippodromes, des cirques d’hiver et d’été,
on en comptera jusqu’à 80 000. En 1900, 5 000 vaches lai-
tières sont traites chaque jour dans Paris. On réserve même
des cimetières pour les animaux.
Aujourd’hui, près de la moitié des Parisiens vivent avec un
animal de compagnie. Mais, en une décennie, les trois-
quarts des moineaux, emblèmes de la capitale, ont disparu.
Architectes et paysagistes sont désormais mobilisés pour as-
surer le retour et le confort des animaux, nos compagnons de
vie, visibles et invisibles.
« Paris animal. Histoire et récits d’une ville vivante »,
au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 3 septembre
 ’AFFICHE
EN HAUT DE L
FRANK BULLIT/SDP
Polar
Le polar
des beaux-arts
Mortel bouquet. Étrange
sensation que cette lecture…
L’éditeur d’art et écrivain Nicolas
Chaudun connaît son sujet
sur le bout des doigts et l’on en
apprend beaucoup sur le sort
des collections des musées
durant l’Occupation. Doté
d’un style baroque (un peu
narcissique parfois), l’expert
tisse une intrigue policière
roublarde et met en scène
des personnages bien campés.
Si l’on attend de l’empathie,
on sera déçu. Mais si l’on goûte
les désillusions grinçantes
et les rivalités impitoyables,
ce bouquet vénéneux séduira
par sa fragrance délétère
et ses cruelles épines.
Avis aux amateurs !
Emmanuelle Giuliani
Les Presses
de la Cité,
192 p., 20 €
ADOBESTOCK
Podcast
La reine du buzz
« L’abeille ». Après le loup,
le requin et le corbeau – souvent
mal-aimés –, Marc Mortelmans
butine du côté d’un insecte
apprécié… Ce quatrième volet
de la passionnante collection
« Mécaniques du vivant »
révèle les secrets de l’abeille,
guêpe préhistorique devenue
végétarienne ! De l’abeille
noire sauvage à la jaune
italienne domestiquée (l’apis
mellifera ligustica) en passant
par la « Buckfast », un hybride
massivement adopté par
les apiculteurs car plus douce
et plus productive, vous saurez
tout sur ces hyménoptères
pollinisateurs en danger.
Stéphanie Lambert-
Marcinkowski
Sur radiofrance.fr
et les plateformes
FRANCE CULTURE
ADOBESTOCK
Jazz
Robin, elle l’a
Impressions of Ella. « Je vis chaque jour comme si
c’était le dernier… », chante Robin McKelle dans
Lush Life, et son interprétation du standard immortalisé
par Ella Fitzgerald évoque « The First Lady of Song »
avec un style renouvelé. C’est le projet d’un album
de grande classe à la musicalité sensible et chatoyante.
Avec les virtuoses Kenny Barron (piano), Peter
Washington (contrebasse) et Kenny Washington
(batterie), la vocaliste reprend « Old Devil Moon »,
« Embraceable You », « Soon »… et le joyeux « I Won’t
Dance », en duo avec Kurt Elling. Elle porte ce répertoire
inoubliable en festivals, dont Chambéry (11 juillet),
Marciac (2 août) ou Annecy (13 août).
Nathalie Lacube
CD Doxie Records-Naïve/Believe, 19,99 €
Festival
Viens à Vaison, y a
le monde qui danse
Vaison Danses. La danse prend ses quartiers d’été dans
le splendide écrin du théâtre antique de Vaison-la-Romaine
(Vaucluse). Pour sa 27e édition, le festival accueille des invités
de marque : le Béjart Ballet de Lausanne avec 7 danses grecques
chorégraphiées en 1983 par Maurice Béjart sur une musique
de Mikis Theodorakis, ainsi que l’incontournable Boléro.
L’époustouflant Möbius (photo) des acrobates de la compagnie XY
est aussi à l’affiche. Vaison Danses voyage également sur le terrain
de la découverte avec Alice, donné pour la première fois en Europe
par la compagnie taïwanaise B.DANCE.
Marie-Valentine Chaudon
Du 11 au 26 juillet, vaison-danses.com
OLIVIER GENTY/SDP
 RA PPELS
L. CENDROWICZ/BBC/ARTE
DERNIERS
UN FILM
Love Life
Le réalisateur japonais Koji Fukada
signe ici un bouleversant drame

ART HOUSE DIST.

familial. Au centre de l’intrigue, Taeko,
une jeune femme qui vit avec son mari
et le fils qu’elle a eu d’une précédente
union. Alors que les beaux-parents réprouvent
cette union, un événement inattendu survient
lors d’une fête d’anniversaire et fait remonter
OCK
SÉRIES EN ST
les fantômes du passé.
2 h 04, en salles

UN CONCERT
Silly Boy Blue
Les délicieux Une voix de velours. Des inflexions
qui donnent le frisson. Une présence

marivaudages
mystérieuse et intense, sur scène.
La chanteuse Silly Boy Blue se produit
dans différents festivals cet été.

GG POSEY
de Jane Austen
Emma
Elle y promène son nouvel album,
aux ballades nourries de new wave anglaise
et d’électro française.
Le 13 juillet au festival des Vieilles Charrues,
Arte invite à revoir, au sein d’un cycle intitulé « Passions à Carhaix, le 15 juillet au Festival d’Avignon,
anglaises », une adaptation sensible et pleine de charme dans la cour du lycée Saint-Joseph
d’Emma, un classique de la romancière anglaise.
UNE PIÈCE
elle, riche, intelligente et en âge de se marier, Emma ne semble pas 20 000 lieues
B
pressée de se séparer de son père adoré, un veuf grincheux qui
compte sur elle pour adoucir ses vieux jours. Afin de tromper son ennui,
elle exerce ses talents d’entremetteuse au sein d’une petite communauté
sous les mers
Valérie Lesort et Christian Hecq, les
metteurs en scène de cette formidable
rurale du Surrey. À peine sortie de l’enfance, Emma ne connaît rien du monde adaptation de Jules Verne, ont créé
M.P. DIETERLÉ

ni de l’amour et, malgré sa vivacité d’esprit, elle a une fâcheuse tendance à un univers fabuleux, tissé d’humour,
se tromper sur les sentiments de son entourage. Résultat, ses petites mani- de poésie et de magie. Dans la salle,
gances brisent plus souvent les cœurs qu’elles ne les contentent. un large hublot ovale offre une vue imprenable
Transposition soignée du roman d’apprentissage de Jane Austen par la BBC, sur les profondeurs océanes où nagent poissons
cette mini-série datée de 2009 offre une savoureuse étude de mœurs de la multicolores et calamar rêveur. Le jeu des acteurs
gentry anglaise. Égoïste et vaniteuse, l’héroïne semble de prime abord hor- se confond avec celui des marionnettes,
ripilante, à vouloir régenter son petit monde comme une enfant gâtée son pour susciter un enchantement enfantin.
théâtre de poupées. D’autant que son jugement est faussé par ses préju- Jusqu’au 23 juillet au théâtre
gés de classe et son obsession à ne pas frayer avec les catégories sociales de la Porte Saint-Martin, portestmartin.com
jugées inférieures.
Et pourtant, très vite, la magie Austen opère et, dans le sillage d’une Emma UNE EXPO
finalement attachante dans sa volonté de bien faire et sa loyauté indéfec- « Paris, capitale
tible, on se prend au jeu des devinettes : qui aime qui ? quel mariage va être de la gastronomie »
célébré ? De petites cachotteries en révélations, l’intrigue est rythmée par De la table royale au bistrot de
les retournements de situation que l’interprétation enlevée des comédiens quartier, Paris chante l’art culinaire
(la mutine Romola Garai, en tête) et les dialogues sur tous les tons dans cette superbe
FICHE pleins d’esprit rendent follement amusants, à défaut exposition. Raconter la gastronomie
d’être totalement crédibles. parisienne revient à raconter l’histoire
TECHNIQUE Dans la foulée de cette œuvre aux décors bucoliques de la France, apprend-on. Quand les buffets
Genre Comédie et aux costumes raffinés, Arte rediffuse deux autres officiels veulent épater les hôtes venus de
romantique séries de prestige de la BBC, Orgueil et Préjugés l’étranger, l’enjeu n’est pas que diplomatique, ces
Création Jim O’Hanlon (13 et 20  juillet) et Raison et Sentiments (27  juillet), événements affirment aussi la domination de Paris,
et Sandy Welch alors que sont déjà en ligne, sur Arte.tv, l’adaptation capitale de la France, en matière d’art culinaire.
À voir sur Arte le jeudi en téléfilm de Persuasion et Le Choix de Jane, un bio- Les restaurants, eux, verront le jour en 1765. À table !
6 juillet et sur arte.tv pic avec Olivia Williams dans le rôle de la romancière. Jusqu’au 16 juillet à la Conciergerie (Paris),
jusqu’au 29 septembre Idéal pour passer un été à se promener dans la cam- paris-conciergerie.fr
1 saison de 4 épisodes pagne anglaise en compagnie de Jane Austen.
d’environ 50 minutes Cécile Jaurès Lire nos critiques sur la-croix.com
 T ET L A MANIÈRE
L’AR
Icône de la Trinité, Andreï Roublev
Tempéra sur panneau de bois, 142 × 114 cm, entre 1410 et 1427
L’icône éternelle
Chaque semaine, L’Hebdo vous donne les clés pour comprendre une œuvre
dans l’actualité. Chef-d’œuvre de l’art orthodoxe, jusqu’alors exposé dans
la galerie Tretiakov de Moscou, l’icône a été coniée le 15 mai à l’Église
orthodoxe russe, par décret de Vladimir Poutine. Un transfert qui inquiète
en raison des conditions de préservation de l’œuvre.
Le chêne de Mambré
Trois figures angéliques autour d’une table, un arbre au tronc
noueux qui s’esquisse dans le fond. Ce que l’icône représente,
c’est le chapitre 18 du Livre de la Genèse, et plus précisément
l’épisode du chêne de Mambré. Alors qu’Abraham et Sara
désespèrent d’avoir un enfant, marqués par leur âge toujours
plus avancé, trois visiteurs apparaissent et leur annoncent qu’ils
auront bientôt un fils. Motif récurrent de l’iconographie ortho-
doxe désigné sous le nom de « l’hospitalité d’Abraham », ce récit
biblique était déjà familier des artistes byzantins. En choisis-
sant de faire de ces trois pèlerins des anges ailés, allégorie de la
Trinité, Andreï Roublev s’inscrit dans cet héritage.
Une quête d’épure
« L’hospitalité d’Abraham est un modèle d’icône récurrent dans
le monde orthodoxe », explique Hélène Bléré, iconographe or-
thodoxe et autrice de l’ouvrage Le Langage de l’icône. Lumière
joyeuse (2014, Éd. Racine). « Le génie d’Andreï Roublev, c’est
d’épurer tous les détails anecdotiques pour nimber la scène
d’une aura mystérieuse, presque transcendantale. » Sur la table,
le faste du repas présenté dans le récit biblique est troqué contre
un unique calice. Les montagnes prennent la forme d’un simple
rocher courbé, le chêne de Mambré devient l’arbre de vie du
Paradis, et derrière l’ange de gauche, le campement d’Abraham,
habituellement représenté dans les autres icônes, s’est mué en
un édifice discret. Enfin, Andreï Roublev fait disparaître Abraham
et Sara, laissant tout l’espace aux trois anges. « Cette sobriété
confère un souffle spirituel indescriptible à cette icône », admire
Hélène Bléré. Dès le XVIe siècle, le concile de Moscou a d’ail-
leurs consacré l’œuvre de Roublev comme le modèle d’icône
orthodoxe à suivre. Au XXe, le théologien et prêtre orthodoxe
Alexandre Schmemann la qualifiera « d’icône des icônes ».
L’HEBDO page 48
Un cercle pour l’éternité
Par un subtil travail sur les formes et les courbures des objets, toute
la composition de l’icône s’articule autour d’un même motif géo-
métrique : le cercle. Les auréoles des anges en sont une première
et évidente manifestation. Mais il s’esquisse également par l’in-
clinaison des têtes, le drapé des tissus et la position des bras et
des pieds. Et à l’arrière-plan, comme sous l’emprise d’un souffle,
la montagne, l’arbre et les pans coupés de la toiture de l’édifice
semblent se courber vers le centre de l’icône.
Omniprésent, le cercle n’est pas là pour de seules raisons esthé-
tiques. Loin d’être de simples ornements, les icônes ont dans la
tradition orthodoxe valeur d’objets théologiques. « Andreï Roublev
était un moine animé par une vie spirituelle très forte. L’histoire ra-
conte qu’il aurait peint la Trinité après avoir jeûné et prié pendant
presque quarante jours », explique Hélène Bléré. Signe de perfec-
tion, le cercle est ici un symbole de plénitude et d’infini. Il fait écho
à l’éternité du divin, mais aussi à son unité dans la Trinité. Ces trois
anges, identiques de faciès, sont une seule et même facette d’un
Dieu unique. Dans la tradition de l’icône, les dorures se font, elles
aussi, le reflet de cette éternité. L’or ne rouille pas, préserve ces
visages jeunes et beaux, saisit un présent qui ne vieillit jamais.
Le regard d’Abraham
Fidèle à la tradition orthodoxe, Andreï Roublev utilise la perspec-
tive inversée : les lignes de fuites se rencontrent en un point situé
devant le tableau, et non pas derrière. Pour s’en rendre compte,
observez donc le tracé des trônes. Par ce procédé, l’icône permet
un point de vue subjectivé. Ainsi, Abraham n’apparaît pas car il
est celui par lequel on assiste à la scène. Le regard du spectateur
épouse celui du patriarche.
Quentin Le Van
 AKG-IMAGES

OÙ VOIR L’ŒUVRE ?
Jusqu’à peu exposée dans la galerie moscovite Tretiakov, l’icône a été confiée
par décret à l’Église orthodoxe russe, le 15 mai. Pendant un an, elle sera « exposée
pour la vénération publique » dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.
Elle sera ensuite placée dans la cathédrale de la Trinité de Serguiev Possad.
Il est possible de consulter l’œuvre sur le site de la galerie Tretiakov.
my.tretyakov.ru/app/masterpiece/8812

L’HEBDO page 49
 JARDIN
Toutes
les couleurs
des abélias
Ces arbustes, grâce à leur taille réduite, conviennent parfaitement
aux jardins, petits ou grands ! Leur floraison ininterrompue de mai
aux gelées, et surtout leur résistance à la sécheresse, en font
des hôtes de choix et d’avenir, avec le réchauffement climatique.
N
e vous iez pas à son nom – Abelia x
grandilora – ses leurs étant des
leurettes ! Classique des haies
dans les jardins de bord de mer, car il
supporte bien le vent et les embruns, cet
arbuste à port souple et gracieux peut
être adopté pratiquement partout, car
il résiste au gel jusqu’à – 15 °C.
Il fleurit de mai à octobre en une
myriade de mini clochettes rose pâle
entourées d’une bractée colorée (petite
feuille à la base de la leur, NDLR), et son
feuillage est semi-persistant en climat
doux. On l’aime aussi pour sa croissance
rapide et son léger parfum subtil où se
mêlent le lilas et le jasmin. Son petit
frère, l’Abélia Edward Goucher, donne
des fleurs rose-mauve. Ils mesurent
entre 1,50 m et 2 m en tous sens.
Si les abélias à feuillage panaché ont la
cote, on comprend pourquoi en les ob-
servant, car ils changent de teintes au
il des saisons. Attention, pour l’harmo-
nie, aux couleurs des plantes voisines,
qu’elles soient arbustives, vivaces ou an-
nuelles. Avec ce type de feuillage, la caco-
phonie n’est jamais loin.
SHAUERMAN/ADOBESTOCK
Kaléidoscope
Jaspé de vert anis et marginé de jaune
au printemps, cette variété devient, en
été, vert vif et rose, vire à l’orange puis
à l’écarlate en automne. On l’aime non
ADOBESTOCK
seulement pour ses feuilles lumineuses,
mais aussi pour sa loraison blanc rosé,
sa silhouette buissonnante et sa rusti-
cité jusqu’à – 12, voire – 15 °C.
Comme il mesure 80 cm en tous sens,
il trouve sa place à l’avant d’un massif
d’arbustes. En mini-haie entourant le
potager, il est non seulement décoratif
mais très utile : ses leurs mellifères at-
tirent les pollinisateurs, essentiels pour
de belles récoltes.
Tricolor charm
Son feuillage oscille entre le vert, le
crème et le rose, avec une touche jaune
au printemps. Du haut de ses 1,50 m,
il arbore de mignonnes leurs roses et
blanches, qui, en fanant, laissent place à
de ravissantes bractées rouille. Il tolère
des températures jusqu’à – 15° C.
Magic Daydream
Une boule de 60 cm couverte de mini clo-
chettes blanc rosé. Sa silhouette si par-
ticulière et son feuillage panaché, rose,
crème, vert, devenant pourpre en au-
tomne donnent envie de l’adopter sans
attendre.
Comme il n’aime pas les températures
qui descendent sous – 10° C, il est pré-
cieux pour les rocailles et les potées, où
sa silhouette toute ronde donne envie de
le caresser. Un vrai doudou !
 MARIANNEPFEIL/ADOBESTOCK
Caramel Charm
Cet abélia porte bien son nom. Son
feuillage, tout d’abord caramel,
puis doré, verdit en été, lorsque
la myriade de fleurs roses, puis
blanches, le parsème. Et n’oublions
pas l’automne, où, à nouveau, il
prend des teintes rousses. Sa taille,
environ 1,50 m, et son port buis-
sonnant conviennent à son instal-
lation en haie, vive ou taillée. Il est
rustique jusqu’à – 12 voire – 15° C.
Si vous l’adoptez, jouez avec le colo-
ris du feuillage printanier, excep-
tionnel à cette période de l’année,
en l’entourant de narcisses et de
tulipes jaune pâle, pour une belle
alliance.
Et l’abélia de Chine
Si Abelia chinensis se remarque
avec sa silhouette évasée, souple,
c’est surtout in août qu’on l’adore,
TANYA/ADOBESTOCK
lorsque ses épis, composés de pa-
nicules de leurs en clochettes tu-
bulaires, se forment ! On ne voit
que lui, on ne sent que lui ! Un par-
fum de jacinthe. Et ça bourdonne
sec, tout autour ! Les papillons et
les abeilles se côtoient, se frôlent,
faisant provision pour l’hiver. Les
boutons, ainsi que les calices, ar-
borent un pimpant vieux rose.
Ces calices constituent jusqu’en
novembre un atout de charme, at-
tractif lorsque les leurs sont tom-
bées. Les mignonnes feuilles en
cœur, épaisses, brillantes et nervu-
rées, deviennent mates et bronze
avec des relets roux en in d’au-
tomne. Cet arbuste, mesurant en-
viron 2 m de haut, rustique jusqu’à
– 10, voire – 12 °C, a sa place aussi
bien en haie naturelle qu’en isolé
ou encore en fond de massif.
Noémie Vialard
FAUSTASYAN/ADOBESTOCK
Sains et beaux
Quel emplacement offrir aux abélias ? Un endroit
ensoleillé ou mi-ombré, mais les feuillages pana-
chés sont plus vifs en pleine lumière ; quant aux
couleurs automnales, elles sont spectaculaires
si les nuits de septembre sont fraîches. Installez-
les à l’abri des vents dominants. Le seuil de rus-
ticité dépend de chaque variété, mais ce qu’ils
n’aiment pas, ce sont les fortes gelées de longue
durée. Ils ont besoin d’un sol drainé, enrichi de
compost à la plantation, d’un paillage à renouve-
ler, d’un arrosage suivi, la première année de plan-
tation. Si vous souhaitez leur conserver une sil-
houette compacte et dense, pratiquez une légère
taille en mars. Pour un jardin très naturel, laissez-
les vivre à leur guise. Les abélias de petite taille
vivent très bien en potée de 40 à 60 cm de dia-
mètre. Drainez le contenant avec une couche de
5 à 8 cm de graviers ou de billes d’argile et emplis-
sez-le d’un substrat composé à parts égales de
terre végétale, de terreau et de sable. Attention,
en pot, ils sont plus sensibles au froid.
L’HEBDO page 51
 P HIQUE
RÉCIT GRA
Par la force des arbres (2/8)
Résumé de l’épisode précédent : Édouard Cortès raconte comment il a trouvé son arbre
au cœur du Périgord noir, pour bâtir sa cabane d’ermite.
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À SUIVRE
DOMINIQUE MERMOUX ET ÉDOUARD CORTÈS, ÉDITIONS RUE DE SÈVRES

JEUX
ISÉS
MOTS CRO
de Pierre Olivier
Problème 190
Horizontalement. – 1. Tricoteuses en
chaussons. Mauvais pli et expression
de la repasseuse à sa vue… 2. Buvards
des allongés. Ils ne font pas de
microsillons. 3. Qui a du chien. Comme
du velours. Possessif. Maîtrise de
fortes têtes. 4. On y « bulle » pas mal.
Symbole d’un pouvoir stupide et égoïste.
Remplacé pendant la course. Recueil
de choix. 5. Meneuse de jeu. Source de
chaleur. Attrapés. Diicile d’en donner
une durée précise. 6. Homme masqué.
Ils végètent au cimetière. Tentées pour
rompre un front. 7. On peut compter sur
eux. Faire une levée. Côté de régatier.
8. Port, lac, canal. Inventeur de la
préfabrication des navires pendant le
second conlit mondial. Es comme mort.
Cité sumérienne. 9. Discipline de fer.
Supprimée. 10. Papillon des pervenches.
Tente de faire passer. Écarta le plus gros.
11. Livre. Particule sans charge. Sa pierre
est un déodorant. 12. Permettant de voir
l’arc-en-ciel. Sur la boussole. Accepté.
13. Partie de train… Elles disparaissent en
tuerie. Elle est grillée par la résistance !
14. Place de certains fonds. Vieil accord.
On y vit ravis. 15. Agence pour l’emploi
d’ingénieurs. Légers. René pour Char.
16. État du Sahel. En Normandie. Détruite
totalement. 17. Pour la clôture ou le cloître.
Divinité égyptienne. Là passe Tille ? Là
passent les voitures. 18. Ils valaient plus de
deux as. Femme sans trop de paroles.
L’HEBDO page 62
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R
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14 14
15 15
16 16
17 17
18 18
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R
Verticalement. – A. Un agent qui se italienne dans des pièces de Dumas.
renseigne. Il est qualiié de… vernal ! Dieu gaulois. J. Lieu d’enseignement ou
B. Un homme éclairé en conte. Visionner de compétitions. Tout leur est facile à
en somme. Prophète de l’espérance avaler. Nous. K. Il s’impose quand on a
messianique. C. Sujet de méditations. choisi l’élu. Préparait l’épreuve. L. Jeu
Ils assurent une certaine sécurité. avec des pierres. Lit entre deux lignes.
Comme certaines valves. D. Public au Lanceur de bombes insulaires. Personnel.
cinéma. Pas loin d’être partis. Boîte Grandes oreilles américaines. M. Truc de
techno. E. Précurseur des sciences. Sioux. Comme une famille couronnée.
Elle a ses danseuses mais pas de Java… Tour du propriétaire. N. Conseillère
Liqueur de ménage. Le symbole du xénon. d’Achille. Qu’on ne saurait voir s’envoler.
F. Obtint. Ils chaussent grand ! Arbres Foncerais. O. Calme. Tissu végétal.
africains. G. La sensibilité y joue un rôle. Compact. P. Article. Ensemble de
Centre de tourisme. Tiers de moitiés. faits avérés. Sans soin. Q. Il en faut au
Il laisse à d’autres le progrès. H. Elle ne moins un pour se serrer la ceinture. Un
devrait pas être sans porte-bonheur. cochon peut y sommeiller. Lieux pour
Poisson à chair estimée. I. Ancienne se soulager. R. Nombreuses en chambre
ville de Lucanie. Placé à l’étude. Actrice froide. Maîtrisée. Se retrouve en tête.
Solutions du problème 189
Horizontalement. – 1. Préambules. Blesser. 2. Restaure. Ixé. Gaine. 3. Entôle. Water-
polo. 4. V.O. Là. Digérer. Info. 5. Oublieuse. Étole. 6. Yeu. Sûr. Ers. Misère. 7. Thé. Bise. Bée.
Rôt. 8. N.B. Islam. Clandés. 9. Tell. Inabrité. Veau. 10. Guano. Goûteuse. L.P. 11. Au. Rinces.
Héroïque. 12. Mêlée. Restos. Clins. 13. As. Posa. Ils. 14. L.C.D. Ars. Normée. T.S.F. 15. Go.
Aristo. Aï. Saisi. 16. Arrêtée. Vapes. Étal. 17. Mouler. Bath. Parage. 18. Ente. Ève. Hexagones.
Verticalement. – A. Prévoyant. Amalgame. B. Renoue. Bègue. Coron. C. Est. But. Lu.
Lad. Rut. D. Atoll. Hilares. A.E.L.E. E. Malaises. Nie. Arte. F. Bue. Eu. Lion. Prière. G. Ur.
Durban. Crosse. H. Lewis. Imagées. Be. I. Âgées. Bossa-nova. J. Site. Recru. Ath. K. Xérès.
Lithographe. L. Béret. Batées. Mie. M. Promeneur. Ie. S.P.A. N. Ego. Lied. Socles. Ag. O. Salies.
Éveils. Aéro. P. Sion. Erse. Q.I. Titan. Q. En. Faro. Alunissage. R. Reno. Étoupes. Files.
 ’É CRITURE
L’ATELIER D
Dans chaque numéro, nous vous proposons un atelier d’écriture. Inventez une microfiction La Croix, 18 rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex.
Tél : 01 74 31 60 60. Directeur de la publication :
ou un court dialogue à partir de cette photo. Le texte le plus original sera publié dans le numéro Pascal Ruffenach. Directeur de La Croix : Philippe
de La Croix L’Hebdo à paraître dans deux semaines. Postez votre proposition avant le jeudi Colombet. Directeur de la rédaction : Jérôme
Chapuis. Directrice adjointe de la rédaction : Anne-
suivant la semaine de parution du présent numéro sur la-croix.com/atelierdecriture Bénédicte Hoffner.
La Croix L’Hebdo. Directrice de la rédaction : Anne
Ponce. Chef de service : Bruno Bouvet. Rédaction :
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Faurent, Clotilde Macabéo, Quentin Le Van. Maquette :
Blaise Jacob (directeur artistique), Guillaume Suard
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Esquerré. Documentation, courrier : services de
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Marketing relations clients : Solène Gasser (directrice
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ANNE LUCAS, SAINT-HILAIRE-DU-HARCOUËT (MANCHE) (de France) ou 800 29 195 (du Luxembourg),
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et prenons chacun un coin du tissu, librairie-bayard.com/serviceclient
AVISHEK DAS/ZUMA-REA

vas-y, tire un peu… le bleu, les vagues…

doucement… nous y sommes…
comme des poissons dans l’eau…
rafraîchissant comme jeu.

L’HEBDO page 63
 OUS À NOUS
DE V
« Un très grand merci pour les textes d’Isabelle de Gaulmyn,
sa prise en compte de la réalité et les ouvertures
qu’elle propose… Remarquable. Puisse-t-elle être
entendue (ou lue !). Elle constate et responsabilise,

CLARISSE REBOTIER POUR LA CROIX L’HEBDO

il nous appartient de nous engager et agir dans, et pour,
la société. Dans le monde en mouvement qui nous entoure,
elle propose le christianisme comme un humanisme,
capable de jouer un rôle stabilisateur qui donne sens
à ce que nous faisons en son nom. Bravo ! »
Monika Sander
PATRICE SPINOSI
Pierre Vimont, « La diplomatie, c’est parler Merci La Croix ! Remarquable entretien
avec une personnalité qui a une hauteur
aussi avec des gens très désagréables » de vue et une lucidité rarement entendue
Article intéressant Article intéressant et instructif ! Mais ce que dit sur l’évolution de la société, du droit
que l’interview de Pierre Pierre Vimont à propos de l’Irak en 2003 donne et de la loi et sur les dérives potentielles
Vimont (L’Hebdo des envie de réagir. Il faut être diplomate pour appeler dont nous ne sommes pas forcément
24-25 juin) par ce qu’il nous ces événements-là « l’intervention américaine en conscients des implications…
apprend sur le service Irak » : il s’agit bien de ce que les gens indépendants On aimerait poursuivre et approfondir
de l’État et sur la nécessité et honnêtes appelaient « la guerre contre l’Irak » ! la conversation !
de l’écoute en diplomatie et Je trouve encore que Pierre Vimont minimise Cadou
en général. Cette dernière fait le rôle de la France : à ce moment-là, l’Allemagne
tellement défaut aujourd’hui. et Joschka Fischer (alors ministre des Affaires Patrice Spinosi s’inquiète pour nos
Cependant, il y manque étrangères, NDLR) savaient que les États-Unis libertés fondamentales. Je partage cette
des éléments importants : mentaient, qu’ils avaient falsifié les prétendues inquiétude, mais le pouvoir politique
« L’Occident ne s’intéresse « preuves » des agissements de Saddam Hussein. n’est pas seul en cause. La liberté
pas à nos difficultés », disent Compte tenu de ces connaissances, la discrétion d’expression est menacée par ceux-là
les pays d’Afrique. Il serait de l’Allemagne et de Joschka Fischer était plutôt même qui l’invoquent pour proférer
intéressant que Monsieur limite, davantage au service des États-Unis insultes, haine et menaces. La liberté
Vimont indique ce qu’il voit que celui de la vérité et des droits de l’homme. d’amendement est menacée par ceux-là
comme réponse, comment Et je ne peux pas m’empêcher de me demander même qui en jouent pour empêcher tout
il interprète les succès de si cette très honorable position de la France débat parlementaire. L’exercice de nos
Monsieur Lavrov (ministre n’est pas devenue impossible avec la réintégration libertés repose sur une exigence que l’on
des Affaires étrangères russe, de la France dans le commandement intégré néglige souvent : ne pas nuire à autrui.
NDLR) auprès des dirigeants de l’Otan en 2007. Si les événements de 2003 Comme le veut la formule populaire :
africains, par exemple du se reproduisaient aujourd’hui, probablement notre liberté s’arrête là où commence
Sénégal et d’Afrique du Sud, personne en France n’en serait informé, personne celle de l’autre. À vouloir franchir cette
mais aussi d’Amérique du Sud. en Europe ne s’y opposerait. Triste évolution ! limite, c’est notre liberté individuelle que
Yves d’Andigné Chapelain nous mettons nous-mêmes en danger.
Antoine Dubedout

Changer de nom de famille, et après ? C’est très bien de défendre les droits et le
Je réagis à vos pages « Changer de nom et après ? » (L’Hebdo des 1er-2 juillet). droit, mais si nous avons des droits, nous
Enfant martyre, sans avoir subi des maltraitances physiques, mon père, un pervers avons aussi des devoirs et l’un ne va pas
narcissique, ma mère, sous sa totale emprise, elle-même en très grande dépression sans l’autre. Peut-être y a-t-il des droits
et malade psychique, ne se sont jamais occupés de moi. Ils ne m’ont jamais adressé fondamentaux mais alors il y a aussi des
la parole. Enfant en situation de handicap, ils m’ont rejetée, cassée, rabaissée, devoirs fondamentaux que trop souvent
humiliée, haï, ma vie durant. À l’été 2020, j’ai décidé de rompre avec cette famille on oublie de rappeler. La devise de notre
toxique. C’est la raison pour laquelle vos pages sont douloureuses. Car même si État, « liberté, égalité, fraternité », définit
je voulais changer de nom (nom de mon père car je suis célibataire), nom dont j’ai en elle-même des devoirs qui sont
tellement honte, je ne pourrais pas le faire car choisir le nom de ma mère serait la même les nôtres. En ne parlant que des droits,
chose : porter la croix, le fardeau, la douleur indicible d’être une enfant non désirée. on encourage l’égoïsme de chacun. (…)
Une lectrice Daniel Petit

L’HEBDO page 64
 OS RENDEZ-VOUS
N
Un été avec
France Culture
Tout l’été, La Croix est
partenaire de la matinale
de France Culture.
Cette semaine, retrouvez
Isabelle de Gaulmyn
dans la chronique « Au jour
le jour », à écouter à partir
de 8 h 15.
À écouter sur radiofrance.fr

Soutenez le Bus du
cœur des femmes
En mai 2022, L’Hebdo vous faisait
découvrir l’action du Bus du cœur
des femmes, qui sillonne la France
pour sensibiliser et dépister les maladies
cardiovasculaires féminines. Détruit
par un incendie volontaire dans
la nuit du 28 au 29 juin, le Bus du cœur
a désormais besoin d’aide pour
reprendre la route et a lancé une collecte
de don sur
Helloasso.
Pour y participer,
flashez
le QR Code
ci-contre.
Biennale
d’Autun
Du 15 juillet au 3 août,
aura lieu la quatrième édition
du Festival international d’art
sacré contemporain à Autun.
Cette année, 23 artistes
plasticiens internationaux
sont invités à prendre
possession de 14 lieux
emblématiques de la ville
autour d’un thème
commun : « Migrations ».
biennale-autun.com
La playlist
Comme
chaque semaine, retrouvez
la playlist de L’Hebdo
sur Spotify et Deezer !
Festival de musique
ancienne
À l’occasion du Festival de musique ancienne
de l’Académie Bach, du 21 au 26 août,
La Croix vous offre une place pour assister
à un de ces deux spectacles :
• Feu
Mardi 22 août, effectuez une plongée inédite
au cœur des Pensées de Blaise Pascal. Alternant
voix et chant, le spectacle Feu, mis en scène
par Benjamin Lazar, vous fera vivre l’expérience
d’une représentation au casque audio 3D.
Rendez-vous à l’église Notre-Dame de l’Assomption
d’Arques-la-Bataille (Seine-Maritime) à 21 heures.
Pour en profiter, remplissez le formulaire à l’adresse
suivante : la-croix.com/hebdo-feu
• Haendel & Bach
Rendez-vous le samedi 26 août à 20 heures,
à l’église Notre-Dame de l’Assomption, pour écouter
et apprécier l’interprétation de l’Ode for St. Caecilia’s
Day de Haendel, suivie du Magnificat en mi-bémol
majeur de Bach, par l’ensemble Vox Luminis.
Pour en profiter, remplissez le formulaire à l’adresse
suivante : la-croix.com/hebdo-haendel-bach

NOUS CONTACTER
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Par internet : la-croix.com/abo
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L’HEBDO page 65
 UN POÈMEUTE
O
POUR LA R

Écrits de l’arbre
dans le soleil
Un poème comme un souffle,
Tu te dois d’être bref qui traverse et dépasse celui qui
tient la plume. Depuis de nom-
Pour dire la racine au présent, breuses années et plus d’une
quarantaine d’ouvrages, Jean
Lavoué use de cette parole pour
Éprouver le poids sacré témoigner d’une foi. À l’instar de
Gilles Baudry, Gérard Bocholier
De la pierre, ou Colette Nys-Mazure, il puise
ses résonances dans la tradi-
tion chrétienne mêlée de l’expé-
rience des jours, faite d’ombres
Épouser l’île au loin et d’émerveillements au fur et à
mesure de l’avancée des corps.
et ses falaises blanches, Ces écrits de l’arbre, apparem-
ment limpides, demandent à
être lentement relus, presque
Te fauiler dans le sable du chemin médités, pour se teinter de nous,
libérer leurs saveurs. Comme la
Avec le lézard, senteur des feuilles après une
pluie d’été, ils ramènent à cet es-
sentiel qui n’attend qu’une pause
et qu’un silence de nous pour re-
Guetter dans les ronces monter des sources.
Le fruit du mûrier, Stéphane Bataillon

Écarter tout mur EN PARTENARIAT

AVEC FRANCE CULTURE
Entre le réel et toi,
Chaque dimanche à 16 heures,
Manou Farine présente auteurs

Marcher d’un pas tranquille et poèmes dans son émission

« Poésie et ainsi de suite ».
Sur les traces du royaume, Disponible sur franceculture.fr
et l’appli Radio France

Écouter en toi
Battre le cœur du monde.
Jean Lavoué
Écrits de l’arbre dans le soleil, L’enfance des arbres, 130 p., 15 €

L’HEBDO page 66