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2022

Langues et Langage
Volume 6 – N°1

TEXTES ET DISCOURS :
ANALYSES ET MODÈLES D’ANALYSE

Le discours partenarial dans l’espace universitaire :


enjeux du dit et du non-dit

Mohammed ESSBAI
Mohammed ATMANI

Edition électronique Edition imprimée


https://revues.imist.ma/index.php?journal=2L Dépôt légal : 2017PE0076
ISSN : 2550-6498 ISSN : 2550-648X

Publication du Laboratoire
Langues, Cultures et Communication
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Université Mohammed Premier
Oujda, Maroc
Le discours partenarial dans l’espace universitaire :
enjeux du dit et du non-dit

Mohamed ESSBAI et Mohammed ATMANI


Laboratoire : Langues, Cultures et Communication
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Université Mohammed Premier_Oujda, Maroc
mohamed.essbai@ump.ac.ma / atmanimed1@ump.ac.ma

RESUME
L’université marocaine connait une dynamique partenariale qui
ancre l’enseignement supérieur dans son écosystème. Un
partenariat est défini comme une relation d’échange et de partage.
Il est matérialisé par des conventions écrites, engageant les acteurs
universitaires et les acteurs socioéconomiques dans un projet
commun. Cette contribution interroge le partenariat à travers les
conventions conclues à l’université Mohammed Premier. Notre
problématique est : dans quelle mesure le discours conventionnel
sur le partenariat est-il compatible avec les pratiques
professionnelles à l’université ? L’impact du partenariat est
examiné à travers une triple focale : les nouveaux rôles de
l’enseignant, l’évolution des pratiques enseignantes et l’émergence
de nouveaux défis organisationnels et relationnels, orchestrés par
le travail collaboratif.

Mots clés : partenariat ; pédagogie universitaire ; instances


d’énonciation ; discours institutionnel.

ABSTRACT
The Moroccan university has a partnership dynamic that anchors
higher education in its ecosystem. A partnership is defined as a
relationship of exchange and sharing. It is materialized by written
conventions, committing the university and socio-economic actors
in a common project. This contribution examines the partnership
through the agreements concluded at Mohammed I University. Our
problem is: to what extent is the conventional discourse on

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partnership compatible with professional practices at the
university? The impact of partnership is examined through a triple
focus: the new roles of the teacher, the evolution of teaching
practices and the emergence of new organizational and relational
challenges, orchestrated by collaborative work.

Words: partnership; university pedagogy; instances of enunciation;


institutional discourse.

1 Introduction
Avec le pacte ESRI 2030, l’université marocaine est entrée dans
une période de transformation accélérée (Miraoui, 2021 : 28). Des mots
comme coopération et partenariat scandent le discours des responsables
du secteur. L’articulation université - acteurs socioéconomiques
s’impose aux chercheurs et devient un sujet d’actualité, non seulement
au Maroc mais dans le monde entier, suite aux profondes mutations qui
impactent la vie moderne : sur les plan social, politique, économique et
éthique. Pourtant, cette coopération entre l’enseignement supérieur (ES)
et son environnement n’est pas évidente. Des rapports de tension et de
malentendus surgissent dans les pratiques professionnelles. Force est de
rappeler que l'enceinte de la production du savoir et l’arène de la
production matérielle ont souvent été éloignées l'une de l'autre. Or
depuis quelques décennies, la coopération université-société s’intensifie
et la logique managériale envahit les sphères de l’enseignement dans le
monde entier, de sorte que l'institution éducative cherche, tant bien que
mal, à aligner son enseignement sur les besoins du marché.
Le cadre théorique de la présente réflexion est l’ingénierie
collaborative en éducation. Elle questionne l’apport pédagogique du
partenariat entre l’Université Mohammed Premier à Oujda (UMP) et les
acteurs socioéconomiques, dans un contexte qui promeut
l’interdisciplinarité autant que l’intersectorialité. Pour ce faire, cette
réflexion est construite à partir de la problématique suivante : comment
le dispositif du partenariat entre l’université marocaine et son
écosystème impacte-t-il les pratiques professionnelles de l’enseignant

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universitaire ? Le corpus interrogé est puisé des discours partenariaux :
conventions cadre, communiqués de presse et rapports des assises. La
variété des données collectées a pour but de renforcer la représentativité
du corpus analysé sous l’angle d’une approche triangulaire qui interroge
trois paramètres : ce qui est envisagé, ce qui est dit et ce qui est fait.
Nous partons de l’hypothèse que la réussite du partenariat entre
l’université et son écosystème dépendrait de l’existence d’une pédagogie
universitaire favorable au travail collaboratif. Ce travail opte pour
une méthodologie descriptive, fondée sur le mode qualitatif. Il
vise àdécrire et comprendre le fonctionnement du partenariat, en tant
que phénomène humain complexe, pour en détecter les points forts et
les points faibles.
La démarche qualitative invoque habituellement trois instruments
de collecte de données: l’observation, l’entretien et l’analyse
documentaire. Pour notre travail, la méthode de la triangulation a
servi au traitement du matériau empirique : les documents écrits
(conventions, textes officiels) et les déclarations des responsables.
Mais pour appréhender le sens et la symbolique du texte
conventionnel (le dit et le non-dit), une perspective discursive
particulière est convoquée. Il s’agit de la théorie des instances
énonçantes développée par J-C Coquet (Coquet, 1997) et d’autres
travaux sur les discours institutionnels. Selon Coquet, les instances
de l’énonciation sont : le prime actant (le sujet ou le non-sujet), le
second actant (=l’objet) et le tiers actant (=le destinateur). Cette
théorie (dite aussi sémiotique subjectale) analyse surtout le sujet et
son discours (assomption, incorporation...) et se réfère à
Benveniste qui définit le discours comme une « mise en action du
langage, et nécessairement entre partenaires » (Coquet, 1997 :
148).

2 Articulation des instances d’énonciation dans la convention de


partenariat : le non-dit dans la mise en discours

2.1 Le non-dit sur la relation tertiaire et sur la lourdeur de


l’Administration

L’analyse du corpus fait ressortir une similitude dans la rédaction


des contrats de partenariat obéissant à des règles conventionnelles. Ils

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sont conformes au modèle proposé par le ministère, avec un préambule
en tête qui renvoie au cadre référentiel de chaque projet partenarial. En
voici un exemple extrait d’une convention signée en 2016 entre l’UMP et
l’ANAPEC (l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des
Compétences).

Tableau N°1 : Exemple de préambule d’un partenariat (Source : convention


entre l’UMP et l’ANAPEC, 2016)

Les sept occurrences du terme « considérant », suivis de la


proposition (Il est convenu ce qui suit) rendent compte de la dimension
performative de la convention. Le participe présent, apposé au sujet,
véhicule une valeur causale, accentuée par l’emphase de l’anaphore. C’est
une causalité qui légitime les engagements qui forment le corps du texte.
Le préambule renvoie à des lois antérieures et des discours de hautes
instances de l’Etat. Il cadre le projet partenarial et rappelle les principes
qui l’orientent. Cette mise en texte de la convention formalise le rapport
entre les trois parties (université, partenaire (s) et objet). En tant que «
personnes morales », les contractants, sur le devant de la scène,
concluent et signent l’accord. On peut les considérer comme un Prime-
actant (sujet ou non sujet), selon Coquet. Le Second-actant est figuré par
l’objet de la convention (projet et engagements). Mais il y a un Tiers-
actant transcendant représenté par les énoncés consignés dans le
préambule et qui tiennent lieu d’argument d’autorité. Solennel, le Tiers-
actant Etat tient la modalité du pouvoir (central) qui s’articule dans le
discours avec celle du savoir qui est l’apanage de l’instance université et

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de son corps professoral. Nous pourrons schématiser l’appareil formel
de l’énonciation partenariale, pour ainsi dire, dans la figure suivante :

Figure N°1 : Proposition d’un schéma de l’appareil formel du discours


partenarial

C’est une énonciation écrite dont le discours est différé puisqu’il


parvient à son destinataire à un autre moment et généralement en un
autre lieu que ceux où il est énoncé. On note l'absence des première et
deuxième personnes. L’instance tiers-actant Etat est le destinateur du
programme partenarial dont l’exécutant présupposé est paradoxalement
occulté, ou du moins implicite. Le non-dit est que la relation n’est pas
binaire, mais plutôt tertiaire. Un partenariat implique une gestion de
rapports, parfois conflictuels, entre institutions ou instances
décisionnaires (donc actants collectifs). L’usage du passif impersonnel
dans la formule fréquente « il a été convenu » accentue la confusion,
voire la tension. Les interactions (dans un partenariat) reflètent les
réalités institutionnelles distinctes des acteurs en présence et les
rapports interpersonnels. Selon le sens étymologique, le partenariat
connote l’« avec » et le « contre », l’« association » et la « division »
(Mérini, 2001 :2). Ces oppositions révèlent la dimension des intérêts

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communs et des différences en jeu dans la réalisation du projet. En tant
que texte de loi, la convention de partenariat relève du genre juridique et
législatif. La modalité de ce genre est souvent déontique, dès lors qu’elle
porte sur l’obligation, le devoir ou la permission : (il a été convenu que... ;
l’université Mohammed Premier s’engage à mettre à la disposition de
l’ANAPEC... ; l’ANAPEC incitera les entreprises... ; cette convention est
valable pour une durée de trois ans ...)
La modalité de ce discours normatif peut être aussi aléthique, se
rapportant à la valeur de vérité d’un énoncé. Du point de vue de
l’énonciation, ce discours a dans la société le statut de la parole de la loi
qui fait autorité. Méditons cette explication de Coquet : « la référence à la
loi donne une garantie de vérité et même de réalité. Est vrai et réel tout
fait qui s’appuie sur une décision de justice [...] tout ce qui est enregistré
officiellement [...]. Le savoir est donc bien du côté de la loi et de ses
substituts » (Coquet, 1997 :147). Ainsi, une telle réflexion sur le discours
de la convention et sa portée sémiotique et symbolique est à même de
montrer l’effet éventuel de ces relations sur les pratiques partenariales.

2.2 Le non-dit sur le système de suivi et d’évaluation


En rapport avec notre problématique, cette tension révèle
combien l’évaluation du partenariat devient difficile à la fin de la durée
de la convention. La démarche qualité exige la désignation d’un comité
de pilotage et un comité suivi qui veillent à l’exécution des clauses. Qu’en
est-il dans le corpus des conventions objet de cette étude ?
Dans le tableau ci-dessous, nous mentionnons l’existence ou non
des comités de pilotage et de suivi dans 10 partenariats récents entre
l’UMP et le secteur public.

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D’après le tableau N°2, sur 10 conventions, 7 désignent
clairement un comité de suivi et 3 seulement font mention du comité de
pilotage. Signalons à cet égard que le Rapport du conseil supérieur
d’éducation (recommande de « mettre en place un système efficace de
suivi et d’évaluation des résultats des partenariats et mettre ces résultats
à la disposition des différents gestionnaires » (CSEFRS, 2011). Cette
évaluation est exigée dans tout programme de formation respectant les
normes universelles de qualité. Dans le même ordre d’idées, le Rapport
annuel de la Cour des comptes souligne que l’examen des relations de
coopération universitaire et scientifique avec d’autres partenaires
nationaux et internationaux appelle les observations suivantes (cas de la
FMPO) :

- Non-approbation du conseil de l’UMP des deux conventions de


coopération avec la Commission universitaire pour le
Développement de la France, et avec l’école nationale de santé
publique conformément aux dispositions des articles 12 et 21 de
la loi n°01.00 ;
- Non-évaluation des conventions de partenariat ;
- Les relations internationales de la FMPO se résument à la
participation des enseignants aux congrès internationaux à
l’étranger, essentiellement en France et aux stages de
perfectionnement à l’étranger au bénéfice des professeurs et des
étudiants (2018 : 14)

Par conséquent, la contractualisation en tant que pratique


administrative évoquerait à l’ésprit du contractant l’idée de
responsabilité devant la justice.

2.3 Cérémonie de signature du partenariat : le non-dit dans la


médiatisation
La mise en discours dans le document écrit est suivie d’une mise
en scène symbolique de l’action partenariale sur les médias. A ce propos,
les commentaires de Alice Krieg-Planque sur les discours institutionnels
semblent éloquents :

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Certaines actions institutionnelles sont indissociables de leur
symbolisation, à la fois parce que l’action elle-même est d’ordre
symbolique (…). Par exemple, la signature d’une convention de
partenariat entre une grande entreprise privée et un laboratoire de
recherche public fait l’objet d’un cérémonial dont les dimensions
symboliques sont longuement soupesées : personnes invitées (relevant
de l’entreprise et du laboratoire, mais aussi par exemple des
collectivités territoriales), journalistes sollicités, lieu de la signature,
décor (présence visible des noms et des logos des deux institutions, par
exemple), scénarisation d’ensemble…(Krieg-Planque, 2012 :25).

Le lexique fréquent dans cette médiatisation (communiqués de


presse, déclarations, reportages, statuts sur les réseaux sociaux...)
s’articule sur les termes : signature, accord, projet, budget, inauguration...
Mais, une fois le partenariat conclu, il tombe dans l’oubli et l’écho du
tapage sur l’université s’apaise. Méditons cette remarque de Krieg-
Planque :

Cet événement est ensuite valorisé, dans la communication de ces


institutions, au moyen de représentations iconiques et de discours. Au
minimum, sera produite et reproduite une photographie des deux
représentants assis côte à côte, en train d’apposer leur signature sur le
document. Quant aux textes produits, et mis en circulation au moyen de
communiqués ou dans des articles de la presse interne, par exemple, ils
valoriseront l’entente et la convergence de points de vue quant aux
mots d’ordre, ils mettront en avant l’utilité sociale de l’action
partenariale, et ils assureront du caractère pérenne de la démarche
ainsi mise en avant. Le communiqué sera ainsi rédigé par exemple de la
façon suivante : Les deux signataires ont souligné d’une même voix
l’importance de la collaboration recherche publique et entreprise, et de
l’engagement commun au service du partage de la connaissance. Il
s’agit de contribuer par des actions concrètes au débat science-société.
La convention signée témoigne de la volonté des acteurs d’inscrire
ensemble leur action dans la durée (Krieg-Planque, 2012 :26).

En revanche, rares sont les publications qui se centrent sur l’effet


d’un partenariat à la fin de sa durée. Les termes de: impact visible, bilan,
rendement de compte, responsabilité, transparence, gouvernance,
sanctions... s’éclipsent. La couverture médiatique est mobilisée pour
annoncer le démarrage de la coopération mais le suivi n’est évoqué que

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dans les quelques rapports nationaux du CSEF ou de la Cours des
comptes. Ce qui contredit les principes de base de la gouvernance
décentralisée (tiers-actant Valeurs).
La médiatisation du partenariat se sert d’un discours élogieux du
Business model (présenté comme mondial). La logique entrepreneuriale
juge parfois la productivité des universités en fonction de leur présence
dans le web (Webometrics par exemple). Les organismes internationaux
orientent implicitement les pratiques professionnelles des enseignants
et l’ouverture de chaque université sur son écosystème. D’un côté la
gouvernance décentralisée est recommandée depuis la Charte nationale
(levier 15) qui sollicite aussi une évaluation régulière du système
d’éducation et de formation, (levier16). De l’autre côté, les mécanismes
de sa consolidation dans les pratiques professionnelles manquent encore
d’efficience (Bourqia, 2009). Parfois, le discours de la responsabilisation
émerge dans les médias sociaux lorsque l’opinion publique est secouée
par un scandale en rapport avec la gestion d’un service public
quelconque.

3 Partenariat et pédagogie universitaire : le non-dit dans les


engagements professionnels
L’incidence du partenariat sur la pédagogie universitaire a été
examinée à travers une triple focale : les nouveaux rôles de l’enseignant,
l’évolution de l’offre de formation et l’émergence de nouveaux défis
organisationnels et relationnels orchestrés par le travail collaboratif. Le
champ de la « pédagogie universitaire » s’est progressivement élargi
depuis quelques décennies pour embrasser tous les phénomènes en
rapport avec le fonctionnement de l’acteur universitaire. L’incidence du
partenariat sur la pédagogie universitaire a été examinée à travers une
triple focale : les nouveaux rôles de l’enseignant, l’évolution de l’offre de
formation et l’émergence de nouveaux défis organisationnels et
relationnels.

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3.1 Partenariat et nouveaux rôles de l’enseignant

Quelle figuration de l’enseignant-chercheur dans le discours partenarial


? Le tableau ci-dessous énumère les énoncés des engagements de l’UMP
dans des conventions établies avec des acteurs locaux, régionaux ou
nationaux. Le choix de cet angle d’analyse vise l’examen du statut de
l’enseignant et l’impact du partenariat sur les pratiques professionnelles
enseignantes.

Partenaire (s) Engagements de l’UMP Date


Wilaya -Accueillir temporairement l’ENAO dans le 2020
(Création de Campus du savoir
l’ENAO) -Participer à l’encadrement pédagogique
-Organiser des sessions de formation au
profit des formateurs
AREFO -Participer au renforcement des compétences 2020
des acteurs administratifs et pédagogiques de
l’AREFO ;
-Accompagner les étudiants du CRMEF dans
leur recherche-action en éducation et
formation ;
-Consolider les filières pédagogiques à
l’UMP ;
-Renforcer les capacités des acteurs
pédagogiques du CRMEF selon les sujets
arrêtés par le comité mixte et dans les
domaines mentionnés dans l’article3
« domaines de coopération » ;
-Préciser les thèmes et les études communs ;
- Participer aux études et les recherches
diverses ;
-Permettre à l’AREFO d’utiliser les ressources
matérielles (salles, ressources humaines,
laboratoires, ... ) conformément aux lois en
vigueur.

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CRO -Héberger, gérer et assurer le fonctionnement 2021
(l’incubateur) de l’incubateur ;
-Organiser des formations pratiques à
travers l’activation de l’expertise externe ou la
mobilisation des enseignants appartenant à
divers établissements universitaires (…)
-Organiser des ateliers de formation et de
sensibilisation sur le leadership, le climat des
affaires, le flux des investissements, les
chances d’emplois qui en découlent;
-Mettre à la disposition des porteurs de projets
des conseillers juridiques experts en
fonction de leurs besoins ;
-Contribuer à la dynamique de l’expertise
externe (…)

Tableau N°3 : Enoncés des engagements de l’UMP dans les conventions cadre

A la lumière de cet échantillon de partenariat effectués par l’UMP,


l’engagement socio-économique traduit une volonté de mettre
l’université dans la voie de la Troisième mission. Cet engagement envers
les partenaires est d’ordre professionnel : formation, encadrement et
recherche (21 sur 34 énoncés). C’est le lexique des pratiques
enseignantes qui l’emporte dans les textes des conventions signées,
comme il est montré dans les énoncés de la rubrique des engagements
de l’université. 61,7 % des énoncés sont performatifs (l’obligation).
L’ambition envisagée de la réforme de 2022 « Pacte ESRI 2030 », selon le
ministère de tutelle, est d’initier une nouvelle génération de partenariats
pour l’accélération de la transformation de l’écosystème. Le tableau
montre que l’offre de formation évolue en fonction des besoins des
partenaires. Le partenariat impacte aussi le mode de travail
(distanciel…)
Dans le même ordre d’idées, la recherche scientifique comme
pratique professionnelleà l’université sera ainsi orientée vers la voie de la
(R&D), généralement définie comme « un type de recherche ayant des
objectifs pratiques, cherchant à répondre à certains besoins des

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praticiens ou « intervenants de terrain ». Ce qui caractérise le nouveau
projet de réforme de 2022 (Pacte ESRI 2030), selon le ministère de
tutelle, c’est l’approche participative fondée sur des rencontres
consultatives avec les acteurs concernés : élus, enseignants-chercheurs,
entreprises, autorités territoriales etc. L’ambition envisagée est d’initier
une nouvelle génération de partenariats pour l’accélération de la
transformation de l’écosystème.
Pour surmonter certains dysfonctionnements observés par les
praticiens, comme c’est le cas de la coordination CRMEF-Université-
Académie, la Loi-cadre 51.17 stipule certaines mesures
organisationnelles :

la mise en place d’un mécanisme de mutualisation des ressources, des


biens et des équipements affectés ou mis à la disposition des
établissements d’éducation, d’enseignement, de formation et de
recherche scientifique au niveau territorial, afin de garantir leur
meilleure utilisation et leur exploitation conjointe par lesdits
établissements ; (Loi-cadre 51.17: 14)

3.2 L’émergence de nouveaux défis organisationnels et relationnels


Si l’enseignant universitaire n’est pas impliqué dans le processus
du partenariat depuis la construction du projet, comme le révèle le
tableau ci-dessus, il ne serait pas assez motivé pour s’investir pleinement
dans cette coopération. En effet, le partenariat est d’abord une définition
conjointe des objectifs et des moyens à mettre en œuvre pour les
atteindre. Signalons à ce sujet que le Rapport du CSEF 2008 recommande
d’« Instaurer des règles claires à même de faciliter l’adhésion des
partenaires et leur implication dans toutes les phases du processus
(définition des programmes, formation, évaluation) » (CSEFRS, 2011 :
26).
Rappelons, au surplus, que les principes de base de la gestion
participative sont : l’information, la consultation, la participation (dans la
décision) et la cogestion. Dans la littérature spécialisée dans ce domaine,
certains auteurs préfèrent à la notion de gouvernance, le terme anglais
empowerment dont la charge sémantique dépasse celle des concepts de
motivation ou de mobilisation :

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Dans sa vision la plus large, les modalités de gouvernance doivent
favoriser l’empowerment dans les établissements scolaires, c’est-à-dire
le pouvoir d’agir des enseignants (Hargreaves et Hopkins, 1991).
L’objectif est de donner davantage de capacité d’action aux enseignants
afin qu’ils puissent élaborer eux-mêmes les réponses éducatives
appropriées aux besoins de leurs élèves. Cela suppose que les
enseignants aient la capacité de penser par eux- mêmes (posture de
praticiens réflexifs) et qu’ils aient la capacité de décider. Le pouvoir
d’agir dans un domaine suppose d’avoir l’autonomie de décision, d’être
responsabilisé et d’être mis en capacité d’agir en disposant notamment
des informations nécessaires en toute transparence.
Il s’ensuit qu’un enseignant efficient et réflexif se développerait
dans une ambiance favorable à l’autonomisation et la capacitation,
impliquant l'octroi de plus de pouvoir aux acteurs universitaires afin
qu’ils puissent agir sur les conditions de vie auxquelles ils sont
confrontés (CSEFRS, 2021 :42). L’université (actant collectif), ne peut
offrir à ses partenaires qu’un service public en rapport avec ces deux
missions fondamentales : l’enseignement et la recherche. Des
pratiques qui ont pour acteur principal l’enseignant (actant
individuel), habilité pour l’exécution des clauses dominantes.
Un autre fait complique la situation : le débat sur la
professionnalisation. Dans l’acception courante, elle préconise tout
simplement le montage de formation à destination du marché de
l’emploi. La question des engagements professionnels de l’université
vis-à-vis de ses partenaires communique avec un autre problème :
celui du statut et du rôle de l’enseignant - chercheur dans le projet de
partenariat. Si la mission d’enseigner met le professeur universitaire
en relation avec ses étudiants (planifier, expliquer, évaluer, surveiller,
encadrer les travaux de recherche et coordonner avec les collègues) et
son administration (évaluer les étudiants, participer à la gestion de
l’établissement…), le partenariat le met en relation de partage avec
d’autres acteurs (universitaires étrangers, entrepreneurs,
innovateurs…). Ce qui implique l’apparition de nouveaux rôles et de
nouvelles pratiques professionnelles (monter un projet de

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partenariat, négocier avec les partenaires, participer à des recherches
translationnelles, valoriser la recherche ou chercher un financement).
Pour se frayer un chemin vers le développement économique et
relever le défi de la compétitivité internationale, l’université
marocaine repense ses pratiques professionnelles qui sont de plus en
plus pointées du doigt. Dans ses rapports récents, le CSEFRS publie
des études comparatives et analytiques, à l’image du benchmarking,
dans lebut d’en mettre en relief les points forts et les points faibles.

4 Conclusion
Une réflexion sur le discours partenarial à l’université et sur sa
portée sémiotique montre l’écart entre une logique entrepreneuriale
prometteuse et une réalité factuelle des pratiques enseignantes dans
notre université publique.
Le texte de la convention se rattache au discours législatif,
normatif. Les enjeux du dit et du non-dit y sont porteurs de sens:
discours prescriptif autoritaire, peu d’espace de communication entre
les différentes logiques, approche descendante de la réforme,
conventions non évaluées, enseignants peu motivés et étudiants
rarement impliqués.
Les aspects du partenariat occultés sont : le bilan du partenariat,
l’approche participative, le volet juridique et la gouvernance au niveau
de l’université. En général, ce qui est mis en relief par le cérémonial, le
produit, non le processus. Un regard croisé sur l’ensemble des
discours produits à ce propos est à même de rendre compte de la
réalité complexe de nos universités.

Références bibliographiques
Boilevin, J. M. (2019). Ingénieries coopératives et recherches
collaboratives en éducation. C. Goujon (éd.), Actes du congrès La TACD en
questions, questions à la didactique, Rennes : CREAD, 2, 25-34.

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Bourqia, R. (2009). Vers une sociologie de l’université marocaine. Al-
MadrassaAl-Maghribiya, n°2.
Coquet, J. C. (1997). La quête du sens : le langage en question. Presses
Universitaires de France-PUF.
Krieg-Planque, A. (2012). Analyser les discours institutionnels. Armand
Colin.
Loi-cadre 51.17 relative au système d'éducation, de formation et de
recherche scientifique. (2019).
MEN-COSEF. (1999). Charte Nationale d'Education et de Formation.
Rabat.
MEN, CSEFRS. (2011), Colloque national sur Le partenariat institutionnel
pour l'école marocaine, Casablanca, 21-22 octobre, 2008. Rabat : CSE,
2011.
MEN, CSEFRS. (2021). Le métier de l'enseignant au Maroc à l'aune de la
comparaison internationale. Rabat.
Mérini, C. (2001). Le partenariat : histoire et essai de définition. Actes de
la Journée nationale de l’OZP, (observatoire des zones prioritaires).
Miraoui, A. (2021). L’université de demain : comment former les nouvelles
générations vers l’université 4.0 ? Deuxième édition. Rabat.

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