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Volume 6 – N°1
TEXTES ET DISCOURS :
ANALYSES ET MODÈLES D’ANALYSE
Mohammed ESSBAI
Mohammed ATMANI
Publication du Laboratoire
Langues, Cultures et Communication
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Université Mohammed Premier
Oujda, Maroc
Le discours partenarial dans l’espace universitaire :
enjeux du dit et du non-dit
RESUME
L’université marocaine connait une dynamique partenariale qui
ancre l’enseignement supérieur dans son écosystème. Un
partenariat est défini comme une relation d’échange et de partage.
Il est matérialisé par des conventions écrites, engageant les acteurs
universitaires et les acteurs socioéconomiques dans un projet
commun. Cette contribution interroge le partenariat à travers les
conventions conclues à l’université Mohammed Premier. Notre
problématique est : dans quelle mesure le discours conventionnel
sur le partenariat est-il compatible avec les pratiques
professionnelles à l’université ? L’impact du partenariat est
examiné à travers une triple focale : les nouveaux rôles de
l’enseignant, l’évolution des pratiques enseignantes et l’émergence
de nouveaux défis organisationnels et relationnels, orchestrés par
le travail collaboratif.
ABSTRACT
The Moroccan university has a partnership dynamic that anchors
higher education in its ecosystem. A partnership is defined as a
relationship of exchange and sharing. It is materialized by written
conventions, committing the university and socio-economic actors
in a common project. This contribution examines the partnership
through the agreements concluded at Mohammed I University. Our
problem is: to what extent is the conventional discourse on
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partnership compatible with professional practices at the
university? The impact of partnership is examined through a triple
focus: the new roles of the teacher, the evolution of teaching
practices and the emergence of new organizational and relational
challenges, orchestrated by collaborative work.
1 Introduction
Avec le pacte ESRI 2030, l’université marocaine est entrée dans
une période de transformation accélérée (Miraoui, 2021 : 28). Des mots
comme coopération et partenariat scandent le discours des responsables
du secteur. L’articulation université - acteurs socioéconomiques
s’impose aux chercheurs et devient un sujet d’actualité, non seulement
au Maroc mais dans le monde entier, suite aux profondes mutations qui
impactent la vie moderne : sur les plan social, politique, économique et
éthique. Pourtant, cette coopération entre l’enseignement supérieur (ES)
et son environnement n’est pas évidente. Des rapports de tension et de
malentendus surgissent dans les pratiques professionnelles. Force est de
rappeler que l'enceinte de la production du savoir et l’arène de la
production matérielle ont souvent été éloignées l'une de l'autre. Or
depuis quelques décennies, la coopération université-société s’intensifie
et la logique managériale envahit les sphères de l’enseignement dans le
monde entier, de sorte que l'institution éducative cherche, tant bien que
mal, à aligner son enseignement sur les besoins du marché.
Le cadre théorique de la présente réflexion est l’ingénierie
collaborative en éducation. Elle questionne l’apport pédagogique du
partenariat entre l’Université Mohammed Premier à Oujda (UMP) et les
acteurs socioéconomiques, dans un contexte qui promeut
l’interdisciplinarité autant que l’intersectorialité. Pour ce faire, cette
réflexion est construite à partir de la problématique suivante : comment
le dispositif du partenariat entre l’université marocaine et son
écosystème impacte-t-il les pratiques professionnelles de l’enseignant
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universitaire ? Le corpus interrogé est puisé des discours partenariaux :
conventions cadre, communiqués de presse et rapports des assises. La
variété des données collectées a pour but de renforcer la représentativité
du corpus analysé sous l’angle d’une approche triangulaire qui interroge
trois paramètres : ce qui est envisagé, ce qui est dit et ce qui est fait.
Nous partons de l’hypothèse que la réussite du partenariat entre
l’université et son écosystème dépendrait de l’existence d’une pédagogie
universitaire favorable au travail collaboratif. Ce travail opte pour
une méthodologie descriptive, fondée sur le mode qualitatif. Il
vise àdécrire et comprendre le fonctionnement du partenariat, en tant
que phénomène humain complexe, pour en détecter les points forts et
les points faibles.
La démarche qualitative invoque habituellement trois instruments
de collecte de données: l’observation, l’entretien et l’analyse
documentaire. Pour notre travail, la méthode de la triangulation a
servi au traitement du matériau empirique : les documents écrits
(conventions, textes officiels) et les déclarations des responsables.
Mais pour appréhender le sens et la symbolique du texte
conventionnel (le dit et le non-dit), une perspective discursive
particulière est convoquée. Il s’agit de la théorie des instances
énonçantes développée par J-C Coquet (Coquet, 1997) et d’autres
travaux sur les discours institutionnels. Selon Coquet, les instances
de l’énonciation sont : le prime actant (le sujet ou le non-sujet), le
second actant (=l’objet) et le tiers actant (=le destinateur). Cette
théorie (dite aussi sémiotique subjectale) analyse surtout le sujet et
son discours (assomption, incorporation...) et se réfère à
Benveniste qui définit le discours comme une « mise en action du
langage, et nécessairement entre partenaires » (Coquet, 1997 :
148).
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sont conformes au modèle proposé par le ministère, avec un préambule
en tête qui renvoie au cadre référentiel de chaque projet partenarial. En
voici un exemple extrait d’une convention signée en 2016 entre l’UMP et
l’ANAPEC (l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des
Compétences).
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de son corps professoral. Nous pourrons schématiser l’appareil formel
de l’énonciation partenariale, pour ainsi dire, dans la figure suivante :
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communs et des différences en jeu dans la réalisation du projet. En tant
que texte de loi, la convention de partenariat relève du genre juridique et
législatif. La modalité de ce genre est souvent déontique, dès lors qu’elle
porte sur l’obligation, le devoir ou la permission : (il a été convenu que... ;
l’université Mohammed Premier s’engage à mettre à la disposition de
l’ANAPEC... ; l’ANAPEC incitera les entreprises... ; cette convention est
valable pour une durée de trois ans ...)
La modalité de ce discours normatif peut être aussi aléthique, se
rapportant à la valeur de vérité d’un énoncé. Du point de vue de
l’énonciation, ce discours a dans la société le statut de la parole de la loi
qui fait autorité. Méditons cette explication de Coquet : « la référence à la
loi donne une garantie de vérité et même de réalité. Est vrai et réel tout
fait qui s’appuie sur une décision de justice [...] tout ce qui est enregistré
officiellement [...]. Le savoir est donc bien du côté de la loi et de ses
substituts » (Coquet, 1997 :147). Ainsi, une telle réflexion sur le discours
de la convention et sa portée sémiotique et symbolique est à même de
montrer l’effet éventuel de ces relations sur les pratiques partenariales.
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D’après le tableau N°2, sur 10 conventions, 7 désignent
clairement un comité de suivi et 3 seulement font mention du comité de
pilotage. Signalons à cet égard que le Rapport du conseil supérieur
d’éducation (recommande de « mettre en place un système efficace de
suivi et d’évaluation des résultats des partenariats et mettre ces résultats
à la disposition des différents gestionnaires » (CSEFRS, 2011). Cette
évaluation est exigée dans tout programme de formation respectant les
normes universelles de qualité. Dans le même ordre d’idées, le Rapport
annuel de la Cour des comptes souligne que l’examen des relations de
coopération universitaire et scientifique avec d’autres partenaires
nationaux et internationaux appelle les observations suivantes (cas de la
FMPO) :
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Certaines actions institutionnelles sont indissociables de leur
symbolisation, à la fois parce que l’action elle-même est d’ordre
symbolique (…). Par exemple, la signature d’une convention de
partenariat entre une grande entreprise privée et un laboratoire de
recherche public fait l’objet d’un cérémonial dont les dimensions
symboliques sont longuement soupesées : personnes invitées (relevant
de l’entreprise et du laboratoire, mais aussi par exemple des
collectivités territoriales), journalistes sollicités, lieu de la signature,
décor (présence visible des noms et des logos des deux institutions, par
exemple), scénarisation d’ensemble…(Krieg-Planque, 2012 :25).
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dans les quelques rapports nationaux du CSEF ou de la Cours des
comptes. Ce qui contredit les principes de base de la gouvernance
décentralisée (tiers-actant Valeurs).
La médiatisation du partenariat se sert d’un discours élogieux du
Business model (présenté comme mondial). La logique entrepreneuriale
juge parfois la productivité des universités en fonction de leur présence
dans le web (Webometrics par exemple). Les organismes internationaux
orientent implicitement les pratiques professionnelles des enseignants
et l’ouverture de chaque université sur son écosystème. D’un côté la
gouvernance décentralisée est recommandée depuis la Charte nationale
(levier 15) qui sollicite aussi une évaluation régulière du système
d’éducation et de formation, (levier16). De l’autre côté, les mécanismes
de sa consolidation dans les pratiques professionnelles manquent encore
d’efficience (Bourqia, 2009). Parfois, le discours de la responsabilisation
émerge dans les médias sociaux lorsque l’opinion publique est secouée
par un scandale en rapport avec la gestion d’un service public
quelconque.
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3.1 Partenariat et nouveaux rôles de l’enseignant
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CRO -Héberger, gérer et assurer le fonctionnement 2021
(l’incubateur) de l’incubateur ;
-Organiser des formations pratiques à
travers l’activation de l’expertise externe ou la
mobilisation des enseignants appartenant à
divers établissements universitaires (…)
-Organiser des ateliers de formation et de
sensibilisation sur le leadership, le climat des
affaires, le flux des investissements, les
chances d’emplois qui en découlent;
-Mettre à la disposition des porteurs de projets
des conseillers juridiques experts en
fonction de leurs besoins ;
-Contribuer à la dynamique de l’expertise
externe (…)
Tableau N°3 : Enoncés des engagements de l’UMP dans les conventions cadre
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praticiens ou « intervenants de terrain ». Ce qui caractérise le nouveau
projet de réforme de 2022 (Pacte ESRI 2030), selon le ministère de
tutelle, c’est l’approche participative fondée sur des rencontres
consultatives avec les acteurs concernés : élus, enseignants-chercheurs,
entreprises, autorités territoriales etc. L’ambition envisagée est d’initier
une nouvelle génération de partenariats pour l’accélération de la
transformation de l’écosystème.
Pour surmonter certains dysfonctionnements observés par les
praticiens, comme c’est le cas de la coordination CRMEF-Université-
Académie, la Loi-cadre 51.17 stipule certaines mesures
organisationnelles :
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Dans sa vision la plus large, les modalités de gouvernance doivent
favoriser l’empowerment dans les établissements scolaires, c’est-à-dire
le pouvoir d’agir des enseignants (Hargreaves et Hopkins, 1991).
L’objectif est de donner davantage de capacité d’action aux enseignants
afin qu’ils puissent élaborer eux-mêmes les réponses éducatives
appropriées aux besoins de leurs élèves. Cela suppose que les
enseignants aient la capacité de penser par eux- mêmes (posture de
praticiens réflexifs) et qu’ils aient la capacité de décider. Le pouvoir
d’agir dans un domaine suppose d’avoir l’autonomie de décision, d’être
responsabilisé et d’être mis en capacité d’agir en disposant notamment
des informations nécessaires en toute transparence.
Il s’ensuit qu’un enseignant efficient et réflexif se développerait
dans une ambiance favorable à l’autonomisation et la capacitation,
impliquant l'octroi de plus de pouvoir aux acteurs universitaires afin
qu’ils puissent agir sur les conditions de vie auxquelles ils sont
confrontés (CSEFRS, 2021 :42). L’université (actant collectif), ne peut
offrir à ses partenaires qu’un service public en rapport avec ces deux
missions fondamentales : l’enseignement et la recherche. Des
pratiques qui ont pour acteur principal l’enseignant (actant
individuel), habilité pour l’exécution des clauses dominantes.
Un autre fait complique la situation : le débat sur la
professionnalisation. Dans l’acception courante, elle préconise tout
simplement le montage de formation à destination du marché de
l’emploi. La question des engagements professionnels de l’université
vis-à-vis de ses partenaires communique avec un autre problème :
celui du statut et du rôle de l’enseignant - chercheur dans le projet de
partenariat. Si la mission d’enseigner met le professeur universitaire
en relation avec ses étudiants (planifier, expliquer, évaluer, surveiller,
encadrer les travaux de recherche et coordonner avec les collègues) et
son administration (évaluer les étudiants, participer à la gestion de
l’établissement…), le partenariat le met en relation de partage avec
d’autres acteurs (universitaires étrangers, entrepreneurs,
innovateurs…). Ce qui implique l’apparition de nouveaux rôles et de
nouvelles pratiques professionnelles (monter un projet de
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partenariat, négocier avec les partenaires, participer à des recherches
translationnelles, valoriser la recherche ou chercher un financement).
Pour se frayer un chemin vers le développement économique et
relever le défi de la compétitivité internationale, l’université
marocaine repense ses pratiques professionnelles qui sont de plus en
plus pointées du doigt. Dans ses rapports récents, le CSEFRS publie
des études comparatives et analytiques, à l’image du benchmarking,
dans lebut d’en mettre en relief les points forts et les points faibles.
4 Conclusion
Une réflexion sur le discours partenarial à l’université et sur sa
portée sémiotique montre l’écart entre une logique entrepreneuriale
prometteuse et une réalité factuelle des pratiques enseignantes dans
notre université publique.
Le texte de la convention se rattache au discours législatif,
normatif. Les enjeux du dit et du non-dit y sont porteurs de sens:
discours prescriptif autoritaire, peu d’espace de communication entre
les différentes logiques, approche descendante de la réforme,
conventions non évaluées, enseignants peu motivés et étudiants
rarement impliqués.
Les aspects du partenariat occultés sont : le bilan du partenariat,
l’approche participative, le volet juridique et la gouvernance au niveau
de l’université. En général, ce qui est mis en relief par le cérémonial, le
produit, non le processus. Un regard croisé sur l’ensemble des
discours produits à ce propos est à même de rendre compte de la
réalité complexe de nos universités.
Références bibliographiques
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collaboratives en éducation. C. Goujon (éd.), Actes du congrès La TACD en
questions, questions à la didactique, Rennes : CREAD, 2, 25-34.
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Bourqia, R. (2009). Vers une sociologie de l’université marocaine. Al-
MadrassaAl-Maghribiya, n°2.
Coquet, J. C. (1997). La quête du sens : le langage en question. Presses
Universitaires de France-PUF.
Krieg-Planque, A. (2012). Analyser les discours institutionnels. Armand
Colin.
Loi-cadre 51.17 relative au système d'éducation, de formation et de
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MEN-COSEF. (1999). Charte Nationale d'Education et de Formation.
Rabat.
MEN, CSEFRS. (2011), Colloque national sur Le partenariat institutionnel
pour l'école marocaine, Casablanca, 21-22 octobre, 2008. Rabat : CSE,
2011.
MEN, CSEFRS. (2021). Le métier de l'enseignant au Maroc à l'aune de la
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Mérini, C. (2001). Le partenariat : histoire et essai de définition. Actes de
la Journée nationale de l’OZP, (observatoire des zones prioritaires).
Miraoui, A. (2021). L’université de demain : comment former les nouvelles
générations vers l’université 4.0 ? Deuxième édition. Rabat.
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