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ORPHELINS

Marie Neven

Roman

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« Parfois, il suffit d’une rencontre pour que votre
vie bascule. »
Aurélie Valognes
« Né sous une bonne étoile »

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CHAPITRE 1

18h00 . Vendredi. Fin de la semaine.


Olivia s’apprêtait à fermer son cabinet. Son
dernier patient venait de partir après une heure de
consultation. Elle ouvrit les battants de la fenêtre
qui donnaient sur la rue. Elle se laissa aller à
observer la vie du dehors : la circulation, les bruits,
les gens qui vont et viennent. Qui sont ’ils tous ?
Quelle est leur vie ? Leur joie ? Leurs drames ? Puis
son esprit s’évada au –delà de l’horizon, pour se
détacher de cette vie grouillante et trépidante, et se
réfugier dans un autre univers. Elle resta ainsi,
pensive et rêveuse durant quelques minutes, et prit
sur elle pour rejoindre la vraie vie.

Elle devait encore gérer quelques tâches


administratives avant de pouvoir enfin retrouver
son foyer et son mari, l’amour de sa vie. La fin de
semaine, c’était pour eux le moment de se retrouver,
de fermer la porte de leur vie professionnelle
jusqu’au lundi matin, et de prendre du temps, se
concocter un weekend en amoureux à la maison ou
quelque fois ailleurs ; son mari aimant lui réserver
des sorties surprises.

Après quinze ans de vie commune, leur amour


était toujours aussi fort, leur complicité toujours la
même : ils étaient très fusionnels et on les voyait
rarement l’un sans l’autre en dehors de leurs
métiers.
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Pourtant, ils avaient vécu des moments
extrêmement violents, le pire que puissent vivre un
couple et s’il n’y avait pas eu cet amour intemporel
entre eux, ils n’auraient pas survécu à leur malheur.
Leur unique enfant âgé de 8 ans était décédé il y a 5
ans d’un cancer foudroyant. Un tsunami dans leur
vie. Ils avaent sombré et cru ne jamais se relever.
Dans ces moments-là, le cercle des intimes se
rétrécit. Seule, Azilis, leur amie fidèle, ne les avait
pas abandonnés et avait su leur apporter le soutien
dont ils avaient besoin. Il faut dire que tous les trois
parlaient le même langage, elle avait, un an plus tôt,
été confronté au décès de son mari. Amie d’Olivia
depuis fort longtemps, ces drames les avaient
encore plus rapprochés et ils savaient pouvoir
compter les uns sur les autres.
Le temps avait fait le reste. C’est à ce moment
qu’Olivia avait décidé de changer de métier. Le
commerce, elle ne pouvait plus… Trop fatigant, les
clients trop exigeants. Elle n’y avait plus sa place.
Elle avait depuis fort longtemps ce désir d’exercer
un métier où elle pourrait aider les autres, se sentir
utile. Suite au décès de leur fils, ils avaient consulté
une psychologue qui les avait accompagnés dans
leur douleur, dans leur deuil et les avait aidés à
remonter la pente, doucement. Cela avait été
déterminant pour elle. Elle avait donc décidé de
reprendre ses études.
Alexandre, ambulancier de métier, avait lui aussi
eu besoin de changer de vie. Il ne parvenait plus à
accompagner des personnes malades, cancer,
Alzheimer, dépression, handicap… Cela le ramenait
trop à leur cher petit Romain. A chaque fois qu’il

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transportait un enfant malade, il revivait ce
cauchemar et cela lui devenait insupportable. Il ne
souffrait plus le milieu médical. Il souhaitait avoir
plus d’indépendance dans sa vie professionnelle et
après en avoir longuement discuté avec Alexandra,
il décida de prendre un congé formation pour
devenir web master, l’objectif étant, à l’issue, de
créer son entreprise.

Ce soir, il ne fallait pas qu’elle finisse trop tard ;


ils partaient à Plougrescant, petit village dans le
Trégor en Bretagne. Elle venait d’hériter de la
maison de sa mère et, après avoir hésité entre « on
la garde – on la garde pas », ils avaient opté pour le
« on la garde », et donc décidé de la restaurer.
L’occasion de passer du temps dans cette région
qu’ils adoraient.
Déva, sa chienne Saint Bernard, était prête elle
aussi ; postée devant la fenêtre depuis déjà quelques
minutes. Elle passait ses journées couchée près du
bureau. Elle faisait partie intégrante de
l’environnement professionnel d’Olivia. Sa présence
apaisait les patients, les aidait à parler, à se libérer.
Il n’était pas rare qu’elle aille poser délicatement sa
tête sur leurs genoux. Et bien souvent, le patient se
laissait aller à la caresser.
Elle venait de vérifier l’emploi du temps de la
prochaine semaine qui s’annonçait bien remplie,
sans compter les rendez-vous de dernière minute.
Elle tenait à garder des plages de libre en fin de
journée, pour les urgences envoyées par les

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médecins ou autre. Après avoir fait une sauvegarde,
elle éteignit son ordinateur.
Elle attrapa son sac et ses clés. Soudain Déva se
précipita vers la porte en gémissant, ce qu’elle ne
faisait pas d’habitude. Olivia ouvrit et se trouva face
à un homme, le doigt sur la sonnette.
Il fit un pas en arrière quand il vit la chienne : un
gros chien, ça impressionne toujours.
- Vous cherchez quelqu’un ? demanda Olivia
en tenant Déva par le collier
- Bonsoir, pardon de vous importuner, vous
êtes Olivia Martin, la psychologue ?
- Bonsoir, oui c’est moi, mais je viens de
fermer le cabinet et je ne reçois plus à cette heure.
Grand, brun grisonnant, les yeux bleus, le visage
ovale, deux rides profondes sur le front, elle lui
donnait 60 ans environ. L’homme semblait fatigué,
perdu et elle crut un instant qu’il allait s’effondrer.
Sans pouvoir expliquer pourquoi, sa détresse l’émut.
Elle avait pourtant l’habitude de rencontrer des gens
cabossés avec de lourdes valises et elle savait faire
preuve d’empathie, mais sans jamais se laisser
dominer par l’affect afin de pouvoir prendre du
recul et se protéger.

Elle regarda sa montre : 18h15. Alexandre devait


déjà être rentré.
- Euh ! Je comprends répondit l’homme d’une
voix hésitante, mais j’ai vraiment besoin de parler à

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quelqu’un. Juste quelques minutes, s’il vous
plait l’implora ‘t’il.
Elle sentit qu’elle devait le recevoir : jamais elle
ne laissait repartir un patient en peine. Quelques
minutes suffisaient pour un premier contact et
programmer un rendez-vous.
- Laissez-moi deux minutes, le temps d’avertir
mon époux qui m’attend et je vous reçois, à titre
exceptionnel. Installez-vous dans la salle d’attente et
j’arrive. N’ayez pas peur de ma chienne, elle
participe à tous mes rendez-vous. Tu viens Déva ?.
La chienne la suivit et se coucha, les yeux rivés
vers le siège où s’était installé l’homme.

Elle appela Alexandre qui n’accueillit pas la


nouvelle avec joie, mais il la connaissait…
- Bon, je passe te prendre dans une demi-heure.
Je prépare tout ce qu’il faut, pour nous et aussi pour
Déva.

- Entrez monsieur, asseyez-vous.


L’homme s’assit. Elle l’observait et elle eut
l’impression qu’il portait tout le poids du monde sur
ces épaules. Il se recroquevilla dans le fauteuil,
comme un enfant chagriné.
- Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous semblez
épuisé ?
Déva se leva et alla se coucher à côté de l’homme,
comme si elle ressentait sa détresse.
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- Je m’appelle Christophe Le Royer, j’ai 65 ans et
je viens d’apprendre, cet après-midi, que je suis
atteint d’un cancer. Le médecin me l’a annoncé,
comme ça, au téléphone. J’ai cru que le ciel me
tombait sur la tête. Je l’avais consulté pour quelques
douleurs au niveau du dos. On a fait une IRM et
voilà …. J’ai très peur. Il m’a dit que c’était un
cancer des os et que j’en étais au stade 2. Je dois
commencer la radiothérapie dès la semaine
prochaine.

Il débita ce flot de paroles d’un bloc, comme s’il


récitait une leçon apprise par cœur, les mains
croisées, posées sur ses genoux.
Encore une fois, Olivia pensa que les médecins
feraient bien de prendre des cours de psychologie :
c’est monnaie courante d’annoncer une maladie
grave, comme une grippe, comme ça, au détour d’un
couloir, entre deux rendez-vous, ou pire, par
téléphone. C’est insupportable ! Songea-t-elle.

- Je comprends votre désarroi, et je vais vous


dire des choses très banales, mais le stade 2 laisse
beaucoup de chances de guérison, surtout que vous
commencez le traitement très vite.
- Je sais, c’est que m’a dit mon médecin. Mais, j’ai
terriblement peur. On croit toujours que cela
n’arrive qu’aux autres, mais… Je ne sais pas
comment je vais gérer ça. Ça me panique, ça
m’angoisse.

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- C’est normal d’avoir peur. Mais c’est ce qui va
vous donner de la force aussi, celle de vous battre et
vous savez qui est votre ennemi. Avez-vous des
proches ? Une famille ? C’est important d’être
soutenu.
Et là, Olivia le vit se décomposer… Une larme
roula sur sa joue et chuta sur ses mains crispées. Et
il lui dit, d’une voix tremblante :
- Je suis seul. Ma femme, enfin, ma compagne, on
n’était pas mariés, a disparu il y a trente-cinq ans
avec ma fille. Elle est partie, comme ça, du jour au
lendemain, la petite avait deux ans…. Je n’ai plus eu
de nouvelles. J’ai cherché, cherché, sans succès. J’ai
fait un signalement à la gendarmerie qui m’a
simplement dit que toute personne a le droit de
disparaitre… Oui, mais, avec notre enfant…?
Et l’annonce de ma maladie vient de me renvoyer
à ce passé si douloureux que j’ai voulu enfuir très
profondément en moi. Je me suis forgé une
carapace pendant toutes ces années, pour ne pas
m’écrouler, mais je savais qu’un jour ou l’autre, tout
reviendrait. Je vais mourir et je n’aurai jamais
connu ma fille. Je donnerai n’importe quoi pour la
retrouver. Vous comprenez, n’est-ce pas ?
Olivia réfléchissait. Que dire ? Que répondre ?
Elle en avait vu des situations compliquées, telles
que celle-ci. Elle se demandait souvent pourquoi elle
avait embrassé cette profession qui la confronte
chaque jour à la détresse humaine, où elle n’a pas
les réponses et pas de baguettes magiques. Il faut
trouver les mots justes, aider les gens à gérer leur
douleur, leur difficulté et à les appréhender

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différemment. Et ne pas toujours dire ce qu’ils ont
envie d’entendre. Mais, malgré tout, elle adore son
métier et se sent à sa place et ne changerait pour
rien au monde.

- Je comprends. Vous avez bien fait


d’entreprendre cette démarche, celle de consulter. Il
va vous falloir du temps, d’une part pour digérer ce
qui vous arrive, et d’autre part, pour mettre en
place votre combat et peut être … aussi pour
entreprendre de nouvelles recherches sur votre fille.
Il y a peut-être des associations qui pourraient vous
aider.
Discrètement, elle jeta un coup d’œil à la pendule
située sur le mur au dos du visiteur.
- Je suis désolée, mais je vais devoir y aller. Si
vous voulez, je vous propose de vous revoir ce lundi
à 17h00. Essayer de vous poser ce weekend,
l’annonce de votre maladie est toute récente. Et c’est
tout à fait normal d’avoir peur. On se voit donc
lundi, d’accord ?
- Ça va être difficile. Mais je serai là lundi et je
vous remercie d’avoir pris du temps pour
m’écouter. Il posa sa main sur la tête de Déva qui le
regardait.
- C’est normal. Donc, je vous attends lundi Et
Deva aussi, je crois qu’elle a des choses à vous dire,
elle aussi.
Elle lui tendit la main qu’il prit avec beaucoup de
respect et il sortit.

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Olivia referma la porte et s’assit, vidée, touchée
par cet homme. Elle regarda sa chienne :
- Toi aussi, il t’a touchée, hein ? Déva lui donna
la patte.
Elle resta ainsi songeuse. Elle avait une étrange
sensation, comme si elle le connaissait depuis
toujours, pourtant, elle était sûre de ne l’avoir
jamais rencontré. Pourquoi se sentait ’elle si
proche, si impactée par ce début d’histoire dont elle
ne connaissait pourtant pas grand-chose ?
Son téléphone la ramena à la réalité. Oh ! Mon
Dieu ! Alexandre ! Il l’attendait.

Elle prit ses affaires et rejoignit son mari, garé


devant son cabinet. Elle ouvrit la porte arrière et
Déva sauta sur le siège.
- Ça va ? lui demanda t’il.
Il la connaissait par cœur et rien qu’à voir son air
soucieux, il comprit qu’elle avait eu un entretien
difficile. Mais elle ne racontait jamais ce qu’elle
vivait avec ses patients.
- Oui, ça va aller. Je viens de recevoir un patient
sans rendez-vous, en urgence.
Conformément à leurs habitudes, elle décida de
mettre de côté, jusqu’à lundi, ce qu’elle venait de
vivre.
- Merci d’avoir tout préparé. Ce weekend loin là-
bas va nous faire du bien. Allez, c’est parti…
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Elle se cala dans le siège de la voiture. Ils avaient
3h de route environ. On était au mois de mai, les
jours rallongeaient toujours un peu plus. La météo
promettait du beau temps.

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Chapitre 2

Olivia avait toujours eu des rapports très


compliquées avec sa mère. Elle ne lui a jamais parlé
de son père, et malgré ses questions, elle refusât
toujours de l’évoquer... Elle lui avait simplement dit
qu’il les avait abandonnées quand elle avait deux
ans, ils avaient vécu ensemble quelques mois, puis il
était parti. Il ne l’avait même pas reconnue.
Elle a été très dure avec elle. Très possessive,
surprotectrice, la privait de tout, de sortie, d’avoir
des amies. Elle voulait gérer et contrôler sa vie :
décider de son avenir professionnel, de ses petits
copains,… jusqu’à tenter de la séparer de son futur
mari au prétexte que ce dernier n’était pas assez
bien pour elle. Ce qu’Olivia n’a pas supporté.

Suite à une énième dispute, encore plus violente


verbalement que les autres, elle avait coupé les
ponts avec elle. Ce qui s’est passé ce jour-là lui
revint en mémoire. Quelques jours avant, sa mère
avait contacté Alexandre pour le dissuader de se
marier avec Olivia
- Ce n’est pas quelqu’un pour vous, elle est
instable, perturbée psychologiquement.
Et elle lui avait dépeint un portrait de sa fille qui
aurait fait fuir n’importe qui. Mais Alexandre, qui la
connaissait à travers ce que lui racontait Olivia, ne
se laissa pas impressionné. Et en parallèle, elle
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avait mis en place le même travail de sape pour
l’éloigner Olivia de son futur mari
- Ce garçon n’est pas pour toi, trop
influençable. Et puis, ce métier, toujours sur la
route, toujours absent. Ce n’est pas une vie pour toi.
Dans ces moments-là, Olivia prenait sur elle, ne
répondait pas et tournait le dos, laissant sa mère
dans son délire et sa paranoïa.
Mais quand Alexandre lui raconta son entrevue,
Olivia explosa
- Comment ! Elle a osé !! Figure-toi qu’elle a
fait pareil avec moi pour me dissuader de te
fréquenter. C’est trop et ça commence à bien faire !
Elle m’a pourri la vie et elle continue encore ! Je vais
régler ça très vite et ça va être radical. Si je n’y mets
pas un terme, ça va être quoi notre vie avec elle dans
les parages ? L’enfer ! On est trop bien ensemble et
je ne la laisserai pas détruire ce qu’on est en train de
construire. Après tout, ma vie, c’est avec toi, pas
avec elle. Il va falloir qu’elle s’y fasse !
Elle était hors d’elle ; Alexandre ne l’avait encore
jamais vu ainsi.
Avant qu’il ait pu répondre, elle avait déjà pris ses
clés de voiture et fonçait chez sa mère.
Elle entra sans frapper.
- Bonjour ma chérie, c’est gentil de passer me
voir. Tu n’as pas l‘air d’aller bien ? dit ’elle en voyant
son air renfrogné.
- Tu ne crois pas si bien dire. A quoi tu joues ?
Tu essaies de détruire ma relation avec Alexandre ?
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Tu joues sur les deux tableaux ! Mais enfin, jusqu’à
quand vas-tu me pourrir l’existence !
- Mais, ma chérie, c’est pour ton bien. Tu sais,
tous les hommes sont des salauds et ne pensent qu’à
une chose, c’est te sauter. Il n’y a que le cul qui
compte pour eux et le reste, ils s’en foutent. Je ne
veux pas que tu souffres, comme j’ai souffert. Tu
comprends ? répondit ’elle en larmoyant et en
s’approchant d’elle.
Olivia, qui n’avait jamais entendu sa mère parler
aussi crument, fut choquée. Et cette façon qu’elle
avait de dire « c’est pour ton bien » avait le don de
l’agacer. Elle fit deux pas en arrière, prit sur elle
pour rester calme.
- Alors, écoute-moi bien. Je suis assez grande
pour gérer ma vie. C’est ce que tu fais à ma place
depuis des années… Tu m’empêches de vivre. Tu
m’étouffes. Je n’en peux plus. Je vais épouser
Alexandre que tu le veuilles ou pas.
- Ma chérie, écoute moi, attends, tu vas faire la
plus grosse bêtise de ta vie et….
- Tais-toi, hurla Olivia, tais-toi et lâche moi, tu
comprends ce mot, lâche moi !
- Ne me parles pas sur ce ton ! Je suis ta mère !
Et je sais ce qui est bien pour toi. Je te connais
mieux que tu ne te connais toi-même.
Et elle leva la main pour la gifler. Olivia
intercepta son bras, agrippa son poignet et la
regarda droit dans les yeux.

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- Ne t’avise pas de me toucher. Je ne suis plus
une enfant ! Tu es peut-être ma mère, mais cela ne
te donne pas tous les droits. Alors maintenant,
stop ! Ça suffit ! Quant à ce qui est bon pour moi, je
suis encore capable de faire la part des choses.
Alors, regarde-moi bien, car c’est la dernière fois
que tu me vois. et je ne veux plus avoir à faire à toi
pour quoique ce soit. Tu m’oublies, t’as compris ?
- Après tout ce que j’ai fait pour toi…..
Et, Olivia, sans lui laisser le temps de finir sa
phrase, attrapa son sac et sortit en claquant la porte,
hors d’elle. Elle monta dans sa voiture et démarra
en trombe. Mais elle s’arrêta quelques kilomètres
plus loin : elle enrageait et pleura toutes les larmes
de son corps, à la fois soulagée d’avoir enfin pu vider
son sac, et furieuse.

Cela faisait maintenant bientôt 18 ans qu’elle ne


l’avait pas revue. Cela fut un soulagement pour elle.
Elle respirait enfin. Et elle n’en a jamais ressenti le
manque…. Le manque, c’est surtout de ne pas avoir
connu son père dont elle ne savait rien…. Souvent
elle s’était interrogée : comment était ’il ? L’avait ’il
aimé ? Sa mère lui avait ’elle tout dit ? Il lui arrivait
parfois de penser que la vérité était ailleurs, une
impression fugace, comme ça… .
Elle était décédée il y a un an. Olivia avait été
avertie par son notaire qui en même temps lui
révélait l’existence d’une maison en Bretagne dont
elle était l’héritière. Elle n’avait jamais eu
connaissance de ce bien.

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Alexandre et Olivia connaissaient bien cette
région : ils y venaient souvent pour un weekend ou
des séjours plus longs. Ils en étaient tombés
amoureux dès leur première venue. Tous les deux,
très sensibles aux ambiances des lieux, des maisons,
s’étaient sentis chez eux, comme un retour aux
sources, aux origines. Mais ni l’un ni l’autre
n’avaient de racines bretonnes, à leur connaissance.
Et étaient loin d’imaginer qu’ils y seraient un jour
propriétaires, même si ils avaient évoqué la
possibilité de franchir le pas, pour leur retraite, plus
tard…. Voilà que le destin s’en chargeait,
maintenant.

On rentre dans une maison comme on rentre


dans un livre. Ouvrir la porte, c’est démarrer une
nouvelle histoire, et déjà, le décor s’impose. Au fur
et à mesure de son exploration, des émotions
prennent le dessus, les odeurs, les murs, les
meubles, les objets, les photos parlent, interpellent,
accrochent, tout comme les phrases d’un livre que
l’on découvre page après page.
C’est ce que ressentit Olivia en franchissant le
seuil de cette maison la première fois. . Les lieux
étaient comme figés dans le temps, comme si sa
mère était partie la veille et avait laissé les choses en
l’état. Là, un vieux magazine ouvert sur la table du
salon, une plante desséchée, un verre abandonné
sur l’évier, un torchon posé sur le dos d’une chaise…
Une odeur de renfermé, de secrets. Olivia ne
reconnaissait aucun objet, aucun meuble. Cette
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sensation d’être étrangère à la vie qui fut celle de sa
mère, ne pas avoir fait partie de cet univers. Et
malgré tout, une douce impression de bien être la
saisie, de chaleur, comme la certitude de retrouver
sa place, celle qu’elle a cherché toute sa vie.
C’était une ancienne maison de pêcheur typique,
en granit, aux volets gris bleus, entourée d’une
clôture en bois fané par le vent et les tempêtes.
Derrière, un petit terrain qui avait dû être un
potager, mais à présent envahi par les herbes. Des
hortensias et des agapanthes avaient tout de même
réussi à survivre et dévoilaient leurs camaïeux de
bleu, de mauve, de rose. La nature reprend vite le
dessus dès que l’humain lui laisse la place. Au fond
du jardin, un petit portail en fer forgé rouillé,
donnait sur un chemin cerné de rochers qui menait
à la mer. A côté, un cabanon au toit en tôle terni.
Cinq pièces : une cuisine, deux chambres, une
salle et un petit espace salle de bain. Et puis, les
combles qui servaient de greniers.
Les meubles anciens, de style breton. Des
armoires pleines de vaisselles, de vêtements. Des
papiers dans les tiroirs. Et des photos anciennes,
jaunies et racornies par les années, oubliées au fond
d’une boîte. Il va falloir trier tout cela, prendre le
temps. Des réponses peut-être.

Cela fait plusieurs weekends qu’ils y viennent : ils


ont commencé à trier, jeter, mettre de côté…Il y en a
tellement. Sa mère a-t-elle vécu ici longtemps ?
Depuis quand en était ‘elle partie ? Vivait ’elle avec
quelqu’un d’autre ? Elle venait de réaliser qu’elle ne
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savait rien sur elle. Selon le notaire, elle était
décédée à l’hôpital de Rennes. Elle était malade
depuis quelques années et avant d’être hospitalisée,
elle vivait dans une maison de retraite. Avant d’y
entrer, elle avait rencontré Maitre Bozic et avait
donné pour consignes de ne contacter Olivia qu’une
fois qu’elle serait morte.
Ces volontés avaient été également transmises à
la directrice de l’établissement.

Olivia se dit qu’il faudra qu’elle aille se présenter


aux voisins ; le premier doit être à environ cinq cent
mètres. Peut-être pourront ‘ils lui parler d’elle ?

Depuis qu’ils y viennent, Olivia et Alexandre se


sont aménagés un coin chambre. On était loin de
leur confort habituel. Mais ils s’y sentaient bien et
cela avait été déterminant dans leur décision de la
garder. On sentait que, bien que cette maison fût
imprégnée du passé, il n’y avait pas de mauvaises
ondes.

Ce weekend, l’objectif était de finir d’enlever tout


ce qu’ils ne voulaient pas garder. Des vieux meubles,
des livres, des objets, à emporter à la recyclerie ou à
la déchetterie. C’est très déstabilisant de prendre
possession de lieux que l’on ne connait pas, de
toucher des objets, des meubles, des choses très
personnelles qui sont imprégnés d’une histoire qui
ne nous appartient pas. Sorte de violation de

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domicile légale. Aussi, presque culpabilisant de jeter
tous ces objets, derniers témoins du passé.

Après avoir dégagé tout cela, et pour se libérer de


cette charge émotionnelle, ils décidèrent d’aller
marcher sur la plage avec Déva. Ils passèrent par le
jardin et le petit portail du fond. Quelques centaines
de mètres plus loin, la maison du premier voisin. Ils
décidèrent de s’y arrêter au retour.
Il faisait beau, quelques promeneurs sur la grève,
des pêcheurs à pied parmi les rochers. Déva courait
sur le sable, peu habituée à ce genre de promenade ;
le gout de la liberté. Alexandre prit la main d’Olivia :
- Comment te sens-tu ? Pas trop dur de revenir
sur les pas de ta mère ?
- Ca va … un peu bizarre. J’ai l’impression de la
découvrir…et faire connaissance avec une étrangère
Tu te rends compte, cela fait 18 ans que j’ai coupé
les ponts et pendant tout le temps que j’ai passé
chez elle, je n’ai jamais entendu parler de cet
endroit… D’ailleurs, on ne partait jamais en
vacances, faute de moyens, disait ’elle. Et il y a peu,
j’apprends qu’elle possède cette maison… ! C’est
quand même fort ! Et j’ai de plus en plus la
sensation qu’elle m’a menti sur tout : elle, mon père,
…Pourquoi ? Quelque fois cela me fait peur. Peur de
ce que je vais apprendre. Mon pauvre amour, tu vas
devoir supporter tout cela lui dit ’elle en
l’embrassant et en remontant le col de sa veste.
- Tu sais bien que tu peux compter sur
moi…Je t’aime et il n’est pas question que je te laisse
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vivre tout cela seule. Tu risques peut être de
découvrir des choses qui vont te bousculer, rouvrir
des blessures que tu as enfouies….
- Je sais, je m’y prépare. Dire que c’est ce que
je fais toute la journée : accompagner les personnes
dans leur cheminement. Et je commence à prendre
conscience combien cela doit être déstabilisant,
dérangeant, angoissant. On dit bien que c’est le
cordonnier le plus mal chaussé !

Après deux heures de balades, ils reprirent le


chemin du retour et s’arrêtèrent chez le voisin.
C’était une belle maison des années cinquante sur
deux étages, avec un grand jardin arboré et fleuri.
Sur un banc, à l’ombre d’un buisson d’hortensias,
un monsieur âgé lisait son journal.

Ils activèrent la cloche à côté de la grille en fer


forgé. L’homme leva la tête, se leva et s’approcha :
- Bonjour. Je peux vous renseigner ?
- Pardon de vous déranger, nous sommes vos
voisins, la maison aux volets bleus plus haut. Nous
venons juste nous présenter.
- Ah ! C’est vous. J’avais entendu du bruit et je
m’apprêtais à aller jeter un coup d’œil… Une maison
abandonnée, ça peut attirer quelques mauvaises
personnes » dit l’homme en se levant et en
s’avançant vers eux. Je suis Charles Le Dantec
- Enchanté. Nous, c’est Alexandre et Olivia
Martin. Je suis la fille de Mme Le Bihan Louise et je
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viens d’hériter de sa maison. Vous avez dû la
connaître ? s’empressa de demander Olivia
-Ravi de faire votre connaissance et d’avoir de
nouveaux voisins. Je ne l’ai pas beaucoup connue.
On la voyait peu par ici. Et quand elle venait, elle ne
se montrait pas beaucoup. Une personne discrète.
Vous allez habiter ici maintenant, alors ?
- Pas pour le moment, nous vivons à Laval en
Mayenne, mais nous allons venir les fins de semaine
pour y faire quelques travaux, mais ce sera notre
projet de retraite.
- C’est bien. La région est très agréable ici, les
gens sont gentils. Vous allez vous plaire. Moi, je suis
né ici. J’ai connu les anciens propriétaires de votre
maison, je m’entendais bien avec leur garçon. Bon
courage pour les travaux. Et si vous avez besoin
n’hésitez pas, même si je ne bricole plus beaucoup,
j’ai encore quelques outils.
Alexandre et Olivia le remercièrent et le
saluèrent. Ils rappelèrent Déva qui furetait dans le
chemin et remontèrent l’allée jusqu’au petit portail.
- Sympa le voisin.il faudra l’inviter à prendre un
verre quand on aura fait un peu de place. Peut-être
pourrait-il m’en dire un peu plus. Il semblerait qu’il
y a longtemps que ma mère ne venait plus ici.
- Ne te torture pas trop l’esprit… Les réponses
vont venir d’elles même.
Alexandre et Olivia étaient des adeptes du « Il n’y
a pas de hasard », que les choses se mettent en place
toutes seules quand c’est l’heure et ils étaient
convaincus de la synchronicité des événements, les
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rencontres que l’on fait qui amènent les réponses
que l’on attend

Pourquoi sont ’ils tombés sous le charme de cette


région ? Cette sensation de déjà vécu, de s’y sentir à
leur place … de revenir aux racines.
Arrivés devant la maison, ils la contemplèrent,
main dans la main.
- Elle a quand même beaucoup de charme. On va
s’en faire un petit bijou. Ce sera notre nid. dit
Alexandre en regardant Olivia.
- Bon, eh bien on n’a plus qu’à se retrousser les
manches, mon amour.

La journée était déjà bien avancée et un peu


fatigués, ils décidèrent d’aller diner au village. Déva,
capable de rester seule, s’était déjà bien installée
dans le vieux fauteuil, roulée en boule, style « faites
ce que vous voulez, moi, je vais dormir ». Elle aussi,
avait adopté cette maison.

Ils allèrent jusqu’à Tréguier et découvrirent une


petite auberge dans une petite rue pavée face à la
grande cathédrale ; maison à colombage datant du
moyen âge, poutres apparentes, murs en granit,
témoin du long et riche passé de cette cité. La dame
les accueillit avec beaucoup de gentillesse… . Elle les
avait installés au fond de la salle, près de la
cheminée. Ils passèrent une soirée délicieuse et

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réconfortante. Ils prirent le chemin du retour et
retrouvèrent Déva là où ils l’avaient laissée.

Chapitre 3

Comme tous les soirs, Olivia eut du mal à


s’endormir. Trop de choses se bousculaient dans sa
tête, trop de questions, pas de réponses et du coup
tout un tas de scénarios. Ses nuits ressemblent à la
tempête : des pensées obsessionnelles qui
s’entrechoquent, qui la hantent, des mots qui vont et
viennent, tout tourne dans son esprit sans qu’elle
puisse jamais trouver un instant de répit. Et cela
depuis toujours. Un combat qu’elle rejoue chaque
soir sans jamais gagner.

Elle percevait le clapotis des vagues en bas sur la


plage et le chuchotement du vent dans les arbustes
du jardin... Entendre les éléments la rassurait. Elle
aimait ces moments à elle toute seule, où la nuit,
tout est possible.

Elle se remémora les instants vécus ces derniers


semaines, depuis l’annonce du décès doublé de celle
de cet héritage.
Lors du premier rendez-vous chez le notaire, elle
avait dû fournir un livret de famille sur lequel,
concernant sa naissance, figurait la mention « né de
père inconnu ».

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Olivia avait souvent posé des questions, mais
Louise s’arrangeait toujours pour les esquiver et
répondait :
- C’est du passé. Il ne faut pas le remuer, ça ne
sert à rien. Et elle s’enfermait dans son silence et
retournait vaquer à ses occupations comme si tout
était normal.

Olivia s’est construite ainsi, mais avec un


sentiment lointain et profond qu’il existait une autre
vérité.
Et elle était convaincue maintenant que cette
maison détenait des réponses.
Demain, il faudra que je trie les papiers, peut-être
vais-je les emporter, les photos aussi, pensait elle
en se tournant et retournant dans le lit.

Somnolente, le visage de Christophe Le Royer, le


patient de dernière minute lui apparut. Elle repensa
à ce qu’il lui avait confié et elle comprit pourquoi il
l’avait tant émue : leur histoire est parallèle. Lui
recherche sa fille, qui, d’ailleurs, doit avoir à peu
près le même âge qu’elle, elle recherche son père
qui, d’ailleurs, doit avoir à peu près le même âge que
le sien… Hasard ? Peut-être pas... . Cet homme,
cette maison…

Serait-ce le signe que le moment de rencontrer la


vérité est arrivé ?

24
Alexandre dormait profondément. Il était cinq
heures. Le jour commençait à peine à chasser la
nuit. Olivia se leva, et prit Déva avec elle pour une
balade sur la côte. A cette heure-ci, tout est calme.
Seul, le chant des oiseaux dans les buissons et le cri
des mouettes volant de rochers en rochers qu’elle
aime tant. Marcher pied nu sur le sable, sentir les
grains si fins s’enfoncer sous ses pieds, se remplir
les poumons de l’air iodé. Des instants de bonheur
si furtif, profiter pleinement de l’instant présent qui
déjà appartient au passé.

Un heure plus tard, elle fut de retour à la maison


et s’installa dans le jardin avec son carnet qui ne la
quittait jamais. Chaque jour, elle avait pour
habitude d’y noter ses pensées, des citations qui la
touchaient, des titres de livres qu’elle se promettait
de se procurer au plus vite, très vite complétés par
d’autres, ce qui grossissaient considérablement sa
liste.

Puis, elle prépara le plateau du petit déjeuner en


attendant qu’Alexandre se réveille. Elle fit le tour de
la salle principale, ouvrait quelques tiroirs, laissait
courir ses doigts sur les meubles, les murs de
granit. Tant de souvenirs sont ancrés dans ce lieu.
S’ils pouvaient parler…

Ce matin, ils devaient aller à la déchetterie pour y


déposer tout ce qu’ils avaient trié la veille.
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Elle entendit un bruit de pas, Déva releva la tête
et remua la queue. Alexandre était levé.
- Bonjour ma chérie… As-tu bien dormi ? lui
demanda-t-il en se penchant pour l’embrasser et
l’entourant de ses bras.
- Bonjour mon amour, comme d’habitude J’ai
refait le monde. Du coup, je me suis levée aux
aurores et nous sommes allées « entre filles » faire
une balade sur la plage dit ’elle en jetant un coup
d’œil à Déva . C’était génial, il n’y avait personne, et
là, on a vraiment la sensation d’être seul au monde
et on peut profiter égoïstement et pleinement de ces
lieux.
- C’est le charme de la Bretagne. Tu sais, une idée
m’est venue cette nuit. Si on déménageait
définitivement ici ? Pourquoi attendre la retraite ? Il
nous reste au minimum encore vingt-cinq ans.Ca va
être long. Pourquoi ne pas accélérer les choses ? Toi,
avec ton métier, tu peux t’installer où tu veux, ce
n’est pas un problème. Et moi, en tant que web
master, je peux travailler à distance et réinstaller ma
société ici. Qu’en penses –tu ? Et en plus, on serait
sur place pour les travaux, ce qui nous éviterait de
faire tous ces allers et retours chaque weekend,
somme toute assez fatigant. On adore cette région…
Cette maison, c’est l’opportunité qu’on attendait…
Alexandre la regardait et connaissait sa réponse
- Ben, j’avoue que cela ne me déplairait pas. Je
n’y avais pas pensé, mais je ne peux pas laisser mes
patients comme ça du jour au lendemain. Certains
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ont entamé de longues thérapies et tu sais combien,
j’ai à cœur d’aller jusqu’au bout des choses .C’est
tentant, mais il faut y réfléchir.. Répondit ’elle,
toujours prudente dans leur choix de vie. Alexandre
la connaissait par cœur et s’attendait à sa réponse.
- Je reconnais bien là ton côté « balance ». Bien
évidemment, on ne va pas partir du jour au
lendemain. Il faut commencer à se renseigner, à
explorer les offres d’emploi, les besoins en praticien
sur le territoire. Côté logement, on a ce qu’il
faut…On pourrait aménager une salle pour tes
consultations ou mieux retaper le cabanon… Et moi,
je pourrais installer mon bureau dans les combles.
Et puis, il faut profiter de la vie, de ce qu’elle nous
offre et dans le cas présent, c’est un rêve qui devient
réalité. Et puis regarde Déva, elle a déjà adopté la
maison le fauteuil et la plage ajouta-t-il en souriant
en la montrant du doigt.

Olivia le reconnait bien là : Alexandre avait ce


côté fonceur, un brin aventurier, toujours positif,
prêt à tout plaquer pour aller commencer une autre
vie ailleurs, dès l’instant où elle allait faire partie de
l’aventure. C’est vrai que depuis quelques mois, une
certaine lassitude s’était installée dans sa vie
professionnelle et il avait déjà évoqué l’idée de
reconstruire quelque chose ailleurs.
Elle, elle était toujours plus hésitante dans ce
genre de décisions qui remettent en cause la sécurité
du quotidien. Elle était d’ascendant balance, et elle
pesait toujours le pour et le contre. En fait, elle a un
besoin de sécuriser, de garder le contrôle et la

27
maitrise de sa vie et l’inconnu a tendance à
l’angoisser. Et pourtant, combien de fois, a-t-elle eu
aussi envie de tout plaquer, recommencer à zéro,
découvrir d’autres univers. Et c’est aussi en cela,
qu’ils sont connectés tous les deux.
- Tu as raison, on va y réfléchir sérieusement,
après tout, personne n’est indispensable. Bon, en
attendant, on a une virée à faire à la
déchetterie ! Dit ’elle en se levant pour l’embrasser

Olivia avait mis de côté tout ce qu’elle voulait


conserver. Quelques meubles qu’ils allaient
relooker. Elle avait rassemblé les papiers et les
photos trouvés dans des tiroirs. Elle souhaitait
prendre du temps pour les explorer.

Elle songea à la proposition d’Alexandre… Après


tout, pourquoi pas… Ils avaient une bonne situation
financière, ce qui leur avait permis de faire des
économies ; cela leur assurait un coussin pour
redémarrer une nouvelle vie, le temps qu’elle ré
ouvre son cabinet.
Puis, ses pensées allèrent vers ses patients. Elle
allait devoir les mettre en relation avec un de ses
amis, psychothérapeute, dont elle appréciait le
sérieux et le professionnalisme et avec qui elle
partageait la même vision du métier.
Olivia s’étonna de ne ressentir aucune
appréhension à l’idée de refaire leur vie, ici en
Bretagne. Presque une évidence. Cette sensation

28
d’avoir enfin trouver la bonne place pour poser ses
valises.
Elle s’approcha de son mari qu’elle enlaça et lui
murmura à l’oreille.
- Chéri, c’est d’accord. On emménage ici… »
Alexandre sursauta et se retourna surpris.
- Tu es sûre ? Je ne t’ai jamais vu prendre une
décision aussi rapidement ... .
- C’est vrai. Je ne peux pas t’expliquer, mais j’ai
ma petite voix intérieure qui me dit de foncer… . Je
sens que c’est juste. On est à notre place ici, tu le
sens toi aussi, et je sais que depuis quelques temps
la vie en ville te pèse…La vie ne nous a pas fait de
cadeau et ce qui nous arrive aujourd’hui en est peut-
être un… Et ici, c’est comme une évidence, je me
sens à ma place.
- Ecoute, on va finir notre weekend sans trop se
prendre la tête, rentrer chez nous demain et on en
reparle.
- Ça me va. Aujourd’hui, on aurait pu réfléchir
aux travaux que l’on va démarrer. Qu’est ce qui est
le plus urgent ?
- Il me semble que restaurer le cabanon devrait
être la priorité, pour que tu puisses y recevoir tes
patients dans de bonnes conditions, si tel est notre
projet. » Dit ’il en faisant allusion à la décision
soudaine de sa femme.
Le cabanon ressemblait à une cabane de pêcheur.
Certes il y avait pas mal de travail de nettoyage,
d’isolation, revoir la toiture… Rien qui ne les
29
effrayait, Alexandre avait des mains en or et ce
genre de chantier ne l’impressionnait pas. Et Olivia
avait un goût certain pour l’aménagement et la
décoration.
- On va commencer par le vider, et on aura
déjà une vision de l’espace plus réaliste. Qu’en
penses –tu ?
Olivia lui sourit et déjà, se projetait dans cet
espace, se voyait recevoir ses patients, ici, en dehors
de la ville, loin de toutes nuisances sonores, de tous
le stress de la vie citadine.

Ils passèrent leur dernière journée à élaborer des


plans, noter des idées. Et ils reprirent la route, la
tête pleine de projets, enthousiastes et en ce qui
concernait Olivia, un peu préoccupée quand même
de ce changement de vie si vite décidé.

30
Chapitre 4

Le retour à la réalité fut plus difficile que les


autres fois. Leur esprit était resté en Bretagne…

Olivia retrouva son cabinet, parcouru son agenda.


Six rendez-vous planifiés. C’est beaucoup. Qu’elle
idée ai-je eu de rajouter celui de 17h00 pour
Monsieur Le Royer, se dit-elle.

Elle enchaina donc ses rendez-vous ; que des


patients qu’elle connaissait et suivait depuis
quelques semaines. Tout en les écoutant, elle songea
que bientôt, elle officierait dans sa maison en
Bretagne. Elle allait devoir leur expliquer et les
mettre en contact avec son confrère, ce qui, à priori,
ne devrait poser de problèmes.

M. Le Royer était ponctuel. Il avait la même


posture que lors de leur premier contact. Beaucoup
de tristesse et de dignité en même temps, les traits
tirés.
Il s’installa sur le fauteuil et Déva alla
spontanément se coucher à ses côtés.
- Comment allez-vous, M. Le Royer ?

31
- Merci de me recevoir si rapidement.
J’attendais cet entretien avec impatience et cela m’a
fait du bien de savoir que j’allais vous rencontrer.
- Voulez-vous me parler de vous, de votre vie ?
- Oh, il n’y a pas grand-chose d’intéressant à
dire. J’ai 65 ans, je suis à la retraite depuis 3 ans.
J’étais chef de cuisine dans un grand hôtel
restaurant en Bretagne.
- En Bretagne ?
- Oui, à Perros Guirrec, sur la côte de Granit
Rose, une belle région. J’y ai fait pratiquement toute
ma carrière.
Olivia faillit sursauter et eu du mal cacher son
trouble. Tiens, c’est curieux…. En Bretagne et pas
très loin de notre maison. Elle se transporta
quelques instants dans sa maison à Plougrescant…
Elle revint à elle très vite et enchaina son entretien.

- Aviez-vous des projets pour votre retraite ?


C’est important de pouvoir se projeter, de donner
un sens à cette nouvelle vie. C’est une étape difficile
qu’on espère quelque fois, mais quand l’heure
approche, on réalise que c’est un nouveau chapitre
qui commence.
- Des projets ? Quels projets ? Dans ma vie, je
n’ai eu de cesse que de retrouver ma fille, comme je
vous l’ai expliqué l’autre jour. Et je vais continuer
tant que j’en aurai la force. Je n’ai jamais accepté sa
disparition ; sa mère qui s’enfuit, comme ça, du jour

32
au lendemain, sans laisser d’adresse, rien… Comme
si elle voulait me rayer de sa vie.
- Votre épouse avait ’elle de la famille ?
- Nous n’étions pas mariés. Oui elle avait une
sœur, mais elles étaient fâchées depuis des années.
Elle avait aussi coupé les ponts avec ses parents.
- Savez-vous pourquoi ?
- Non, je n’ai jamais su. En fait, je ne les ai
jamais rencontrés et à chaque fois que j’ai voulu
abordé le sujet, elle l’a esquivé en me disant que tout
ça était derrière elle et qu’elle ne voulait plus en
entendre parler. Elle est tombée enceinte très vite et
Hélène est arrivée au monde. Une belle petite fille.
Un grand bonheur. Mais qui hélas n’a pas duré
longtemps. Deux ans. Avec mon métier, je rentrais
tard le soir et un jour, j’ai trouvé la maison vide.
Nous habitions une petite maison dans un village
non loin de la côte.

Olivia sursauta en entendant le prénom de la fille


de M. Le Royer : Hélène. C’était son deuxième
prénom… et le village … Cela fait beaucoup de
coïncidences. Mais elle n’osa pas en demander le
nom.

- Avez-vous une idée de ce qui aurait pu


l’obliger à partir ? Avez-vous eu une dispute ? Aviez-
vous des problèmes de couple,

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- Euh, non, oui… enfin, comme tout le monde.
On se disputait quelque fois, mais rien de grave. Elle
avait du mal avec mes horaires de travail, vous
savez, dans l’hôtellerie, on vit en décalage avec le
reste du monde, mais elle le savait au départ et cela
ne m’empêchait pas de m’occuper de la petite
lorsque j’étais de repos. Mais, c’est vrai, que depuis
la naissance, elle était plus distante. Elle refusait
pratiquement tout rapport sexuel, prétextant qu’elle
était fatiguée. Et je pense que je me suis laissé croire
que c’était normal. J’avais entendu parler des
dépressions que font les jeunes mamans.
- Oui, cela arrive fréquemment, mais cela ne
dure, en principe, pas très longtemps. Comment
avez-vous vécu cette disparition ? Avez-vous
culpabilisé ?
- Oui, au début, j’ai vraiment cru que c’était de
ma faute, que je n’étais pas assez attentif, que c’était
à cause de mes horaires de travail. En même temps,
j’étais en colère… Je lui en ai voulu longtemps.
- Et maintenant ? Avez-vous refait votre vie ?
- Cela va faire 35 ans que je me pose toujours
les mêmes questions. J’ai eu quelques aventures,
sans lendemain. Je n’ai pas voulu m’investir dans
une nouvelle relation, de peur de tout perdre à
nouveau. Après tout, c’est peut-être de ma faute. Je
ne suis pas assez intéressant, à part mon métier que
j’adore, je ne sais rien faire d’autres. Je ne suis pas
bricoleur, je n’ai pas d’amis.
- Vous avez vécu tout ce temps sans avoir de
vraie vie sociale ?

34
- Bon, j’ai quelques copains, comme ça, mais
personne à qui j’aurai pu me confier. Et j’ai du mal à
parler de moi. Après tout, les gens ont leurs
problèmes et je ne veux pas embêter les autres avec
les miens. Et puis, ça intéresse qui, un homme qui
pleure et qui se plaint ?
- Vous m’avez dit avoir fait des recherches ?
Quels genres de recherches ?
- A l’époque, il n’y avait pas Internet, les
réseaux sociaux, comme maintenant. J’avais alerté
la gendarmerie, mais ils m’ont dit que chacun avait
le droit de disparaitre et quand il s’agit d’adulte, il
faut de bonnes raisons pour ouvrir une enquête. Ce
qu’ils ont fait quand même, quand j’ai insisté sur le
fait qu’elle était partie avec ma fille. mais sans
résultat et cela a été classé sans suite. Puis, plus
récemment, je me suis inscrit sur des sites espérant
pouvoir retrouver leur trace. Je me suis imaginé
plein de scénarios : décès, départ à l’étranger,
enlèvement…J’ai même diffusé des photos dans des
petites annonces.
En disant cela, il sortit de la poche de sa veste une
ancienne photo : un jardin, un homme assis avec
une fillette sur ses genoux à côté d’un arbre.
- La voilà et à coté ; c’est moi, elle avait 18
mois. On était heureux… enfin, moi je l’étais… . dit
’il en rangeant la photo. Voyez comme elle était belle
ma petite Hélène ! ajouta-t-il avec fierté.
Olivia la regarda sans trop y prêter attention.
- Oui, c’est une belle enfant. Mais, avez-vous
pensé au changement d’identité ? Cela arrive. Il y a
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des réseaux mafieux qui moyennant finances,
peuvent procurer de nouveaux papiers.
- Oui, mais alors, comment faire ? Mes jours
sont comptés, je le sais. Je vais mourir et mon vœu
le plus cher est de revoir ma fille.
- Comment appréhendez-vous la mort ? Je suis
un peu direct peut-être, mais elle s’est matérialisée à
travers l’annonce de votre cancer. C’est un choc qu’il
faut absorber. Et vous allez devoir mener un
combat. Et la quête de votre fille va être un moteur
supplémentaire pour vous battre.
- J’espère…. Ce cancer bouscule ma façon
d’envisager l’avenir. J’ai même pensé à en finir et
maintenant, que j’ai cette épée au-dessus de la tête,
j’ai peur. Mais, j’ai envie de vivre, pour deux.
- Vous m’avez dit commencer la radiothérapie
cette semaine ?
- Oui, jeudi, premier rendez-vous.
- Qu’est-ce qui a fait que vous avez décidé de
consulter ?
- Oh, il y a longtemps que j’y songe… mais je
n’y arrivais pas. C’est dur de se déshabiller devant
quelqu’un, vous savez… Mais l’annonce de ma
maladie a provoqué un déclic en moi, comme une
évidence et je ne sais pas pourquoi, j’ai erré dans la
ville, je suis passé dans cette rue, alors que je n’y
viens jamais… et j’ai vu votre plaque et je suis entré.
- C’était le moment… la vie nous guide et nous
amène là où il faut…. Je vous propose de vous
revoir la semaine prochaine, lundi à la même heure,
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si vous voulez. Prenez le temps de réfléchir à notre
échange, de vous reposer et nous reparlerons de
tout cela.

Tout en parlant, il regardait Déva, couché à côté


de lui, la tête entre ses pattes et ne le lâchait pas du
regard. Par moments, il posait sa main sur sa tête.
Quand il se leva, elle fit de même et lui tendit la
patte. Olivia sourit et dit :
- Vous savez, les animaux sentent des choses.
Déva a cette faculté d’être très à l’écoute, à sa façon
bien sûr. C’est pour cela qu’elle est toujours avec
moi et j’ai remarqué que cela apaisait les patients.
- Oui, j’adore les animaux et longtemps, j’ai eu
un chien, un leonberg qui a été une présence
précieuse et un fidèle compagnon. D’ailleurs, j’y
pense, nous avions aussi un St Bernard quand nous
étions encore ensemble et Hélène passait beaucoup
de temps avec lui. Elle était encore bébé, mais ce
chien veillait sur elle. Il y avait une grande
complicité entre eux et malgré sa grande taille, il
faisait très attention, comme s’il savait qu’elle était
fragile. J’avais oublié ce moment. Mais il est mort
très vite et Hélène l’a réclamé souvent. « Le wou » ,
disait ’elle

Il lui tendit la main.


- Merci pour votre écoute, cela me fait beaucoup
de bien.

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M. Le Royer parti, Olivia se laissa tomber dans
son fauteuil, Déva à côté d’elle, sa tête sur ces
genoux. Elle se sentait vidée, épuisée. Cet homme la
touche… Son parcours, sa détresse, sa maladie. Elle
sait qu’elle doit prendre de la distance avec les
histoires de ses patients, mais…Et puis, ils ont des
points communs, tous les deux… Le prénom de sa
fille, son âge, la maison dans un petit village sur la
côte bretonne, sa vie en Bretagne, le Saint
Bernard….Cela fait beaucoup de hasards…. Une idée
commençait à germer dans sa tête.
Lors de leur prochain entretien, il faut qu’elle en
sache plus sur cet homme et son passé.

« Non, Olivia, reviens sur terre… Tu es en train


de franchir les limites du cadre ».

Elle décrocha son téléphone.


- Azilis, coucou, comment vas-tu ?
- Olivia ! Mais ça fait longtemps que je n’ai pas
eu de tes nouvelles. Tout va bien ?
- Pardon, j’ai eu des moments un peu
compliqué… Mais je ne t’oublie pas. Je suis libre
samedi, si tu veux, je passe te voir ?
- Super, je t’attends en fin de matinée et je
t’emmène déjeuner.
- Merci, bisous, bisous

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Azilis et Olivia étaient amies depuis leur enfance.
Elles étaient voisines et ont partagé les mêmes
classes. Elles ont suivi des parcours professionnels
différents. Azilis est généalogiste successorale,
métier qu’elle adore. Ce parcours n’a pas étonné
Olivia car, déjà, plus jeune, elle passait son temps
dans les livres d’histoires, à la recherche de vieux
documents, à retracer l’histoire de sa famille. Elle
avait même construit l’arbre généalogique des rois
de France, ce qui amusait beaucoup Olivia.
Et lorsque Erwan, le mari d’Azilis est décédé
brutalement, il y a 7 ans. Olivia lui a tenu la main
durant des semaines, elle l’a accompagnée dans sa
douleur. Il ne pouvait en être autrement. Ce qui a
renforcé leur lien. Puis, c’est elle qui a été présente
quand leur enfant est mort. Chaque jour, elle a été
là, à les soutenir, à les aider à avancer.
Olivia s’en veut : depuis combien de temps n’a-t-
elle pas pris du temps pour son amie..

39
Chapitre 5

- Chéri, je t’ai préparé le repas de midi, il n’y a


plus qu’à réchauffer. J’essaierai de ne pas rentrer
tard, mais tu nous connais…
- Oui, je sais… vous avez plein de choses à vous
raconter. Tu la salueras de ma part. De toute façon,
je ne vais pas bouger, à part pour sortir Déva. J’ai du
retard dans mes dossiers et je dois rendre le tout
avant lundi. Autant te dire que j’ai de quoi faire.
Passe une bonne journée.
Olivia le prit par la taille et l’embrassa
tendrement.
- Merci, je t’aime tant.

Quand Olivia arriva chez Azilis, celle-ci l’attendait


avec impatience.
- Eh bonjour, ma belle. Depuis tout ce temps !
Je suis heureuse de te revoir, tu m’as manqué.
- Oh, oui, toi aussi, tu m’as manqué…
- Tout va bien, tu sembles fatiguée…Des
soucis ?

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Azilis pouvait lire en elle comme dans un livre
ouvert. Elles se connaissaient si bien et elle sentit
que quelque chose préoccupait Olivia.
- C’est ma mère …
- Quoi ta mère, qu’a-t-elle encore fait ?
- Elle est morte.
- Oh pardon… je suis désolée pour toi.
- Ne t’inquiète pas. Cela ne m’a pas affectée,
mais juste ré ouvert des blessures que je tentais
d’enfouir. Tu connais mon histoire… Mais le passé
finit toujours par nous rattraper, n’est-ce pas ?
- Que s’est-il passé ?
- Assieds-toi bien : j’ai hérité de sa maison en
Bretagne en même temps que j’apprenais son
décès…
Et Olivia lui relata : le notaire, la maison, la
Bretagne et aussi le projet de déménager…

- Bah, si on m’avait dit ça… Cela fait beaucoup


en même temps…Mais je suis heureuse pour toi. Toi
qui mets du temps pour prendre des décisions… cela
ne te ressemble pas !
- C’est vrai, je ne me reconnais pas. Mais, ma
petite voix intérieure me dit que c’est là-bas que l’on
doit poser nos valises.
- Pourtant, cette maison doit être chargée de
tous les souvenirs de ta mère… ?

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- Oui et curieusement, je n’ai pas eu de
mauvaises sensations. Quant à Alexandre, il est sous
le charme et tu le connais, toujours prêt à relever un
nouveau défi…. Jusqu’à Deva qui s’y est installée
comme si elle y avait toujours habité. Oui, c’est ça :
c’est comme si on y avait toujours vécu… C’est une
évidence. Ça arrive entre humain : quand j’ai
rencontré Alexandre, j’ai eu l’impression de
reprendre la conversation qu’on avait laissée la
veille… Eh bien, cette maison, c’est pareil, c’est
comme si j’en connaissais chaque recoin, alors que
j’en ignorais l’existence il y a encore peu. Tu
comprends ça ?
- Oui, je crois. Et peut-être que cela va amener
des réponses à tes questions, ton père ?
- Tu ne vas pas le croire, mais en même temps,
j’ai rencontré un monsieur dans le cadre de mes
entretiens….Et elle lui raconta sa rencontre avec M.
Le Royer.

Azilis marqua un temps et regarda son amie :


- Oh La la ! Tu te rends compte que tu es en
train de te faire un film, là ? Prends du recul.
- Oui, je sais, mais cet homme m’a émue et ce
n’est pas dans mon habitude de mélanger le
professionnel et le privé. Tu sais que j’accorde
beaucoup d’importance au hasard qui n’en sont pas.
- Oui, il y a des coïncidences, mais ce n’est
quand même pas le seul homme qui a vécu en
Bretagne et qui est à la recherche de sa fille…

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- Ecoute, je dois savoir et je le reçois à nouveau
cette semaine.
- Fais attention, tu dépasses les limites de ton
champ d’intervention. Comment vas-tu t’y prendre ?
Euh, bonjour, je crois que je suis votre fille, et ma
mère était votre compagne et elle m’avait dit que
vous nous aviez abandonné, etc….T’imagines le choc
pour lui, surtout si cela n’était pas le cas… Tu ne
peux pas lui donner de faux espoir. C’est trop tôt.
- Mais non, je ne sais pas…. Je suis un peu
perdue. Je suis en boucle là-dessus… Ça me hante.

Olivia regarda, comme si elle cherchait en elle la


bonne réponse, Azilis qui sourit.

- Oui, tu as raison, ce n’est pas la bonne


méthode.
Et elle s’emballa à nouveau.
- Ou alors, je te donne son nom et le peu
d’infos que j’ai recueilli sur sa vie et tu pourrais faire
des recherches.
Azilis leva les mains en signe d’apaisement.
- Olivia, on se calme. Je veux bien t’aider, mais
je suis tenue au secret professionnel et je ne peux
pas divulguer des infos sur des gens, même si tu es
mon amie et que j’ai envie de t’aider. Tu
comprends ?

43
- Oui, tu as raison, je t’en demande trop…
pardon. Mais j’ai tellement besoin de retrouver mon
père… Je suis de plus en plus certaine que ma mère
m’a menti sur ma naissance, mon père, peut-être
une famille que je dois avoir quelque part…
Azilis sans rien dire se leva, ouvrit un tiroir de son
bureau et en sortit un bout de papier qu’elle lui
tendit.
- Par contre, tu peux lui donner ma carte. Je
veux bien le recevoir. Mais ce sera à lui de te faire
part de mes trouvailles… On est d’accord ?
- Oui, oui, merci, merci. Bon, on parle de moi,
mais toi, comment vas-tu ?
- Ça va. Mon travail me prend beaucoup de
temps. Mais Erwan me manque terriblement. Cela
fait bientôt 7 ans, mais ma douleur est toujours
aussi vive. On était si bien, si heureux ensemble.
Heureusement que je t’ai eu, car je ne sais pas si
j’aurai pu survivre à son départ. Tu as été là pour
moi, à me porter, me bercer sans jamais
m’abandonner.
- Tu as été là aussi pour nous à la disparition
de Romain. Nous avons partagé notre douleur…je
sais combien tu souffres. A nous aussi, notre petit
enfant nous manque affreusement. La vie ne nous a
pas fait de cadeau, mais il faut avancer, on n’a pas le
choix. Même si on va déménager, je ne vais pas
t’abandonner pour autant. On reste en contact… et
puis, tu viendras te ressourcer quand tu veux. Tu
verras, c’est une région fantastique..

44
- Je suis un peu triste de te voir partir, mais,
bon, ainsi va la vie et promis, on ne se perd pas de
vue ?
- De toute façon, on ne part pas de suite…

Olivia serra son amie dans les bras. L’une et


l’autre pensèrent en même instant qu’elles avaient
beaucoup de chances de pouvoir compter l’une sur
l’autre

A son retour, Alexandre était toujours au bureau,


Déva à ses pieds. Elle s’approcha et l’embrassa dans
le cou.
- Oh, si tu me parles comme ça, je ne garantis
pas de finir mon travail ce soir… dit ’il en la prenant
par la taille. J’ai bien avancé et j’avais prévu de
garder le dimanche pour toi…
- Azilis te transmets le bonjour. Elle va bien
mais reste encore fragile. Son mari lui manque
beaucoup…
- A moi aussi, il me manque beaucoup. Erwan
était un gars très chouette et nous faisions une belle
équipe. C’était un ami, un vrai, dit-il avec nostalgie
et tristesse.
Alexandre et Erwan avait noué une belle relation
d’amitié. Ils pouvaient passer de longues heures
ensemble à faire du sport, à aller à la pêche ou à
parler, tout simplement. Alexandre avait perdu ses
parents très tôt et avait été élevé par l’une de ses
tantes, aujourd’hui décédée. A ce jour, il n’avait plus
45
de famille. Fils unique, il avait trouvé en Erwan le
frère qu’il aurait aimé avoir.
- Oui, la vie est cruelle par moment. On en sait
quelque chose ! dit ’elle avec émotion. Bon, Je te
laisse finir. Je vais me rafraichir. Et tous ces papiers
qui m’attendant dans le carton. Pour aujourd’hui, ça
va. Je m’y mettrai dès demain matin.

46
Chapitre 6

Olivia s’installa sur le tapis, le carton ramené de


Plougrescant ouvert à ses côtés. Elle en sortit un tas
de feuillets plus ou moins jaunis. Elle commença
par les trier : des relevés de banque, des factures,
des notes, etc… des papiers manuscrits.
Une enveloppe retint son attention : elle
contenait des documents notariés, des fiches d’états
civils.
Elle déplia le premier. Il s’agissait de l’acte de
propriété de la maison de Plougrescant dont sa
mère avait fait l’acquisition il y a 10 ans. Elle se
connecta sur Google pour vérifier si le notaire qui
avait rédigé l’acte de vente exerçait toujours. Celui-
ci vivait à Perros Guirrec et effectivement, l’étude
existait encore. Elle se promit d’y faire un saut dès
leur retour en Bretagne.
Le deuxième document contenait des
photocopies du livret de famille de sa mère. Y
figurait les noms et prénoms de ses grands-parents
qu’elle n’avait jamais connus ; puis l’extrait de son
acte de naissance avec la mention « père inconnu ».
Et sur la page suivante, apparu le nom d’un autre
enfant, un garçon né un an après elle, Olivier avec
toujours la même mention « né de père inconnu ».
47
Olivia surprise, sous le choc, parlait toute seule.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? J’aurai un frère ?
s’écria-t-elle ? sans entendre son mari rentrer.
- Voilà que tu parles toute seule maintenant.
Que t’arrive-t-il ?
- Mais c’est dingue cette histoire. Regarde ce
que je viens de trouver : j’aurai un frère ! Comment
est-ce possible ? Il aurait deux ans de moins que
moi. Je n’en ai jamais entendu parler. C’est quoi
tous ces mensonges ?
Et tout en balbutiant tellement elle était troublée,
elle continuait à déplier les documents.
- Oh, deux actes de décès, ceux de mes grands-
parents. Mais, ils sont morts bien après ma
naissance ! Lui en 1990 et elle en 2000 ! Alors
qu’elle m’a toujours dit qu’ils étaient décédés avant.
Mais, je rêve ! Qu’est-ce que cela signifie ? Je nage
en plein délire !
Olivia eut la nausée. Ces découvertes la mettaient
mal à l’aise, un goût amer … Elle dut se lever pour
aller chercher un verre d’eau.
Alexandre sentit le malaise de sa femme.
- Veux-tu faire une pause ? C’est violent tout
ça.
- Non, il faut que je sache. Plus ça va, plus je
me dis que ma mère m’a raconté une histoire qui
n’est pas la mienne… Et vois, on a encore tout ça à
explorer dit ’elle en laissant tomber tout ce qu’elle
avait en main. Il faut que j’aille au bout.

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Alexandre s’assit à ses côtés et se fit rassurant.
- Bon, on va prendre le temps. Et puis, on va
devoir vérifier toutes ces informations. On peut
commencer par tes grands-parents. Que dit leur
acte de décès ?
Olivia s’était arrêtée à la date de leur mort mais
n’avait pas été jusqu’au bout du document et
découvrit qu’ils étaient morts tous les deux à
Rennes. Peut-être est-ce là qu’ils vivaient ?
- Tu devrais solliciter Azilis, c’est son métier et
elle pourrait t’être d’une aide précieuse.
- En fait, je ne t’ai pas tout dit… et elle raconta
sa rencontre avec M. Le Royer et ce qu’elle avait
déjà demandé à son amie. Ne m’en veux pas, mais
j’ai besoin de savoir, tu peux comprendre ça ?
- Oui, je comprends bien sûr, mais fait
attention de ne pas sortir du cadre de ton métier.
- Je sais, mais ce monsieur m’a touchée et cela
me hante depuis.
- Je comprends que tu veuilles retrouver ton
père, mais protège toi, prends de la distance. Ta vie
privée est en train d’empiéter sur ta vie
professionnelle… . Je suis sure qu’Azilis va faire son
possible pour t’aider, laisse là faire et laisse venir les
choses.
Olivia lui caressa la main et songea qu’il avait
toujours le bon mot pour la remettre sur les rails.
- Tu te rends compte que je suis psychologue,
je reçois toute la journée des personnes qui se

49
battent avec leur maladie, leur mal être, leurs
histoires … et voilà que je vais me battre moi aussi
pour les mêmes choses. Sauf que c’est plus facile de
guider les autres que de se guider soi-même. Je ne
sais pas si je suis capable d’affronter tout ça. Je vais
avoir besoin de toi … car je pense que je ne suis pas
au bout de mes surprises.
- Tu sais que tu peux compter sur moi. On a
déjà affronté des moments douloureux et je suis
convaincu que ce que tu vis actuellement va
t’emmener vers des instants plus heureux.
- J’espère. Cela me fait penser au titre d’un
livre d’Angélique Barberat « L’instant précis où les
destins s’entremêlent ». Eh bien, j’ai la sensation
que j’y suis.

Elle relut les documents, les plia et les rangea


dans une chemise sur laquelle elle nota « documents
familiaux ». Puis elle parcourut quelques factures
sans intérêt qu’elle jeta.
Une grosse enveloppe, sur laquelle était écrit à la
main son prénom, attira son attention. Elle l’ouvrit
et en sortit une liasse de feuilles. Sur la première
page, un titre « Le prédateur » écrit à la main. Elle
reconnut l’écriture de sa mère, simple, lettres
régulières et assez larges. Cela ressemblait à un
manuscrit.
Elle se rappelait que sa mère écrivait des poèmes.
Elle la revoit, assise sur le banc dans leur jardin,
penché sur son cahier bleu. Alors, il ne fallait
surtout pas la déranger, au risque de se faire
50
rabrouer. Dans ces moments-là, elle semblait
s’envoler dans une autre réalité. Et quelque fois, la
petite fille qu’elle était alors avait aperçu des larmes
couler sur les joues de sa mère qu’elle essuyait
furtivement pensant ne pas être vue. Elle cachait ce
cahier : elle n’était pas autoriser à le feuilleter.
Elle mit ces écrits de côté et se promis de les lire
plus tard.
Alexandre, de son côté, continuait à trier les
documents qui ne révélèrent rien de plus. Il les mit
de côté et laissa à Olivia le soin de les jeter ou pas.
Il ouvrit le deuxième carton remplit de photos en
noir et blanc, en couleur… des lettres aussi. Et un
petit cahier bleu au fond de la boite.
- Chérie, regarde… Un cahier…
Elle le prit et reconnut le cahier bleu sur lequel sa
mère écrivait ses poèmes.
- Mon dieu ! Le cahier bleu ! C’est son cahier
de poème. Cela vient de me revenir. Tu sais, elle
écrivait de temps en temps, mais je n’avais pas le
droit de les lire. Elle eut les larmes aux yeux…. Un
flot de souvenirs refaisaient surface… J’ai
l’impression de faire connaissance avec quelqu’un
qui m’étais complètement étranger. Elle a été
tellement dure avec moi, que je n’ai jamais pu
concevoir qu’elle eut pu avoir des sentiments.
- Je sais que tu as beaucoup souffert, mais
peut-être elle aussi, peut-être était-elle incapable de
montrer ses sentiments. La question est pourquoi ?

51
- Plus ça va, plus je me dis que je suis passée à
côté d’elle. J’ai coupé tous les liens qui me
retenaient à elle sans me poser de questions, sans
me demander si elle en avait souffert. Elle ne m’a
jamais contactée après mon départ, moi non plus
d’ailleurs…
- Tu ne vas pas commencer à culpabiliser. On
n’est pas responsable de ce qu’on vécut nos parents.
Quand tu es partie, tu as fait ce que tu pensais bon
pour toi et certainement qu’à ce moment-là, c’était
ce qu’il fallait. On ne va pas rejouer l’histoire, donc,
maintenant, tu avances, tu vas découvrir
certainement l’histoire de ta mère. Si ces documents
viennent à toi aujourd’hui, ce n’est pas par hasard.
Elle aurait pu les détruire, elle ne l’a pas fait et
regarde l’enveloppe, il y a ton nom dessus. C’est
bien qu’elle voulait que tu découvres votre histoire à
toutes les deux après son décès.
- Oui, c’est vrai… Qu’a-t-elle vécu de si terrible
pour m’avoir tenue à l’écart de ma famille ? Et ne
pas m’avoir fait confiance pour me parler ?
- Rien ne sert de te torturer, il y a des
questions auxquelles tu n’auras pas les réponses…

Elle feuilleta le cahier bleu : un recueil de poèmes …


Elle en parcourut quelques-uns. C’était beau. Elle
fut émue, mais eut la sensation de violer le jardin
secret de sa mère, de pénétrer dans son univers. La
poésie n’est ’elle pas un refuge, un langage, pour
exprimer des émotions. Tous reflétaient une
certaine mélancolie, de la tristesse, des états d’âme,
… peut être la nostalgie d’une époque révolue.
52
Elle referma le cahier et le rangea dans son sac. Elle
commençait à entrevoir en sa mère une autre
femme qui avait aimé à sa manière et qui avait
certainement aussi beaucoup souffert.

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L’âme

Elle cherche un cœur


L’âme du bonheur.
Elle cherche l’amour
Pour aimer toujours.

Souvent elle a peur ;


Ici rôde le malheur,
Son aimé est mort.
C’est un coup du sort.

Alors, elle gît


Au bord de la vie.
Agonisante,
S’enfuit, perdante

Mais elle lutte.


Elle rechute.
Alors elle prie.
Elle aime la vie.
54
Elle s’accroche,
Et se reproche
D’être fragile.
Moments futiles.

Un ange passe
Et il l’enlace.
Elle s’envole.
La vie la frôle.

Elle revit d’espoir


Le bonheur d’un soir…

55
Chapitre 7

C’est avec fébrilité qu’Olivia recevait aujourd’hui


Monsieur Le Royer. Elle tenta de ré endosser le
costume de professionnelle pour ne pas superposer
sa vie sur celle de ce monsieur.

M. Le Royer, toujours ponctuel, se leva avec


entrain quand elle ouvrit la porte de son cabinet.
Malgré ses traits tirés, effets secondaires de la
maladie et du traitement, il paraissait moins abattu.
Il lui tendit la main avec un large sourire.
Comme d’habitude, il s’installa dans le fauteuil,
Déva couchée à ses pieds. Il tendit la main avec un
sourire pour la caresser.
- Comment allez-vous Monsieur Le Royer ?
- Ça va. Fatigué par le traitement, mais le
médecin m’a dit que c’était normal.
- Le moral ?
- Curieusement, pas trop mal. Notre dernier
entretien m’a fait du bien. J’ai pris un peu de
distance et je me surprends à penser à la mère de
ma fille sous un angle nouveau… Je ne sais pas
pourquoi, j’ai tout focaliser sur ma petite Hélène,
mais j’ai toujours refusé de penser que sa mère avait
peut-être des problèmes … Mais pourquoi ne m’en
a-t-elle pas parlé ?
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Olivia saisit l’occasion pour le guider habilement
vers ce qu’elle avait en tête.
- Là, je n’aurai pas de réponse à vos questions.
Mais, c’est bien d’essayer d’envisager les choses
différemment. Avez-vous tenté de faire appel à un
généalogiste pour vous aider à retrouver leur trace ?
Vous savez, ils ont des outils, surtout maintenant
avec Internet, on parvient à retrouver des personnes
plus facilement.
- J’y ai pensé, mais je ne connais personne et
puis, je me suis dit qu’ils allaient me répondre
comme la gendarmerie autrefois…
- Ça vaudrait peut être le coup d’essayer ?
Qu’en pensez-vous ? Ah autre chose à laquelle j’ai
pensé. J’ai une amie, Azilis Boulay, qui est
généalogiste successorale… autant vous dire que les
situations compliquées font partie de son quotidien.
Voici ses coordonnées, vous pouvez l’appeler de ma
part. Mais rassurez-vous, elle est tenue au secret
professionnel et tout ce qui sera dit, évoqué ou
trouvé restera dans son cabinet. Libre à vous de
m’en parler ou pas… Mais en aucun cas, elle ne me
fera de compte rendu.
Maintenant que vous avez entamé ce protocole,
comment vous sentez-vous ? Avez-vous remarqué
que vous n’avez pas évoqué le sujet depuis le début
de cette séance ?
- Ah oui ! C’est vrai… Comment je me sens ?
J’ai envie de vous dire, comme tous les gens qui ont
cette épée au-dessus de la tête… J’ai peur, bien sûr,
mais depuis notre dernière conversation et mes
consultations avec mon médecin, j’arrive à me dire
57
que j’ai toutes mes chances de guérir. Et, pour une
fois, j’ai envie de me battre. C’est aussi pour cela que
je vais contacter Mme Boulay. Je ne sais pas où cela
va me mener, mais il faut que j’aille au bout de mon
histoire, quel qu’en soit l’issue.
Il la regarda tout en rangeant la carte d’Azilis
dans son portefeuille et ajouta :
- C’est drôle, mais depuis que je vous ai
rencontrée, j’ai la sensation que le monde est plus
beau, que tout n’est pas aussi noir. Je …
Il hésitait à finit sa phrase.
- Oui, vous vouliez ajouter quelque chose.
- Non, ce n’est rien….
- Vous savez, je peux tout entendre..
- C’est idiot, mais …. Oh, vous allez trouver cela
ridicule…. J’ai l’impression qu’on s’est déjà
rencontré…. Ce n’est, bien sûr, pas possible car
j’habite Laval depuis peu et je ne viens jamais dans
ce quartier…. D’ailleurs comme je vous l’ai déjà dit,
je ne sais pas pourquoi je suis passé par là, l’autre
soir.
Olivia hésita… elle brûlait d’envie de lui dire
qu’elle avait ressenti la même chose…mais elle ne
pouvait pas et ne devait pas….. Pas encore.
- Non, je ne crois pas vous avoir déjà vu….
Peut-être que je vous rappelle quelqu’un que vous
avait connu par le passé…
- Vous avez certainement raison…

58
Elle ne résista pas à la tentation de lui poser la
question qui la taraudait depuis quelques instants.
- Vous m’aviez dit que vous aviez travaillé à
Perros Guirrec et que vous êtes à la retraite depuis 3
ans. Vous êtes resté à Perros Guirrec après ?
- Non, j’ai eu besoin de mettre de la distance.
Cela a été dur pour moi d’arrêter de travailler, mais
le poste de cuisinier est très dur physiquement et je
commençais à être vraiment fatigué. Donc, j’ai
emménagé à Rennes. Mais j’avais un loyer très cher
et cela devenait compliqué financièrement ; ma
retraite n’est pas très élevée. Il y a un an, j’ai trouvé
un appartement ici à Laval, plus abordable et
finalement, j’y suis bien.
- Je comprends. Puis-je vous demander où
vous habitiez quand vous étiez avec votre
compagne.. ?
- A l’époque, je travaillais dans un restaurant à
Tréguier. Et elle, était secrétaire à la mairie. Nous
habitions une petite maison dans la vieille ville.
J’ai embauché après son départ à Perros Guirrec.
Je ne pouvais plus rester dans notre ancien
appartement, c’était trop dur, je les voyais partout.

Olivia eut une bouffée de chaleur et eut du mal à


cacher son trouble. Sa mère était secrétaire ; elle ne
lui avait jamais parlé de Tréguier, mais quelque
chose lui revint à l’esprit….Elle avait environ dix ans
et comme tous les enfants, elle fouillait quelque fois
les tiroirs…. Les enfants adorent ça.. Elle avait
trouvé une carte qui représentait une bretonne avec
59
sa coiffe typique et elle revoit l’inscription en –
dessous « Tréguier ». Cela lui revint tout d’un
coup…. Peut-être cette carte est’ elle encore dans les
papiers que nous avons ramenés, pensa-t-elle.

Pour donner le change, elle lui conseilla de


contacter dès qu’il le pourrait Azilis et à sa
demande, data un nouveau rendez-vous pour la fin
du mois de juin.

- Vous allez avoir beaucoup de choses à faire :


votre traitement, l’entretien avec Mme Boulay qui
risque de réveiller en vous de mauvais souvenirs,
sans compter que vous devez aussi vous reposer, les
traitements sont lourds.
- Oui, je sais, puis-je vous appeler si je ne me
sens pas bien ? Bien sûr, j’ai envie d’avancer, mais je
sais que remuer le passé va réveiller ma douleur…
- Pas de problèmes. On peut échanger par
téléphone.
- Merci beaucoup…et il la fixa un moment de
ce regard si profond qui la transperçait, avant de se
lever en donnant une légère caresse à Déva qui ne le
quittait pas des yeux. A bientôt.

Il mit la main sur la poignée de la porte, mais


avant de l’ouvrir, il se retourna et lui dit
doucement :

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- Prenez soin de vous, vous êtes une belle
personne.
Et il sortit.

Olivia se laissa tomber dans son fauteuil,


tremblante. Ce regard…ces yeux…et toi, Déva, si tu
pouvais me dire ce que tu penses…La chienne la
regarda et émit un léger « waouf ».
- Merci, j’ai compris… Tu l’aimes bien, c’est
ça…Tu sais, il m’émeut cet homme…. Et puis, toutes
ces coïncidences, ce n’est pas qu’un hasard…
Elle envoya un message à Azilis pour l’informer
que Monsieur Le Royer allait la contacter très
prochainement.

De retour chez elle, elle se précipita vers le


carton. La carte postale… elle pourrait être au milieu
de tout ce fatras. Elle renversa le carton sur le tapis
au milieu du salon et s’installa à même le sol.. Ayant
tout passé un par un, il fallait se rendre à l’évidence :
pas de carte postale. Pourtant, son souvenir était
très précise : elle revoyait la carte avec la coiffe de la
bretonne et cette inscription « Tréguier »…

Elle décida alors de trier les photos : un carton à


chaussures. Des photos en noir et blanc…par
centaines. Elle les retournait pour voir s’il y avait
des noms, des dates.

61
Elle trouva, bien sûr, des clichés de sa mère :
c’était une belle femme, brune, les traits fins, mais
durs, une certaine tristesse aussi. Elle ne souriait
sur aucune de ses photos. Une attira son attention :
sa mère, qui devait avoir une vingtaine d’année, à
côté d’une autre jeune femme qui lui ressemblait
beaucoup, plus petite, qui souriait. Derrière elle, un
couple…La jeune femme ressemblait à la dame plus
âgée. En fond, des rochers et une plage…. Elle
retourna la photo et il était inscrit :

« Papa, Maman, Dominique et moi. Port


Blanc ».

C’était donc ses grands-parents. C’était en


Bretagne. Et cette Dominique serait donc sa tante
dont elle n’avait jamais entendu parler.
Elle sentit son cœur battre de plus en plus fort.
Elle continuait à regardait les photos une par une,
beaucoup n’avaient aucune indication de noms au
dos. Elle les mit de côté. Quand une petite photo en
noir et blanc tomba de la poignée qu’elle avait en
main. Un jardin, un homme assis avec une fillette
sur ses genoux à côté d’un arbre. Elle eut la
sensation de l’avoir déjà vue…
- Mais, c’est bien sûr, ….ce n’est pas possible
pensa-t-elle tout haut…
C’est la photo que m’a montrée M. Le Royer….
Une vague de chaleur l’envahit. Elle ne put retenir
ses larmes … Comme si tout lâchait tout d’un coup…
Alexandre venait de rentrer, mais plongée dans ses
62
pensées, le visage inondé, elle ne l’entendit pas
s’approcher. Quand il la vit dans cet état, il se
précipita vers elle.
- Mais, mon amour, que se passe-t-il ? Quelque
chose est arrivé ?
- Oh si tu savais ! Si tu savais ! Et elle n’arrivait
pas à parler…
- Quoi, si je savais ? Parle-moi.
Elle inspira profondément et en lui montrant la
photo en tremblant, lui dit :
- Tu vois cette photo, eh bien figure toi que je
l’ai déjà vu il y a peu de temps. Tu sais, je t’ai parlé
de ce patient…
- Oui, ce monsieur qui a vécu en Bretagne et
qui est à la recherche de sa fille… ?
- Oui, eh bien, il m’a montré la même …
Alexandre la regarda et compris où elle voulait en
venir…
- Comment c’est possible ? Que t’a-t-il dit ? Qui
est sur cette photo ?
- L’homme c’est lui et la petite fille, c’est sa
fille… Et cette photo est dans les affaires de ma
mère…. Tu vois le rapport… C’est moi sur la photo,
tu comprends, c’est moi !!! cria-t-elle en tapant du
doigt sur la fillette de la photo.
Et elle s’effondra dans les bras de son mari qui
prit la photo et la retourna. Olivia n’avait même pas
eu ce réflexe, tant elle était focalisée sur cette image

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- Hélène et Christophe à Tréguier en mai 1987.
Tu es née le 6 septembre 1984, et en mai, tu aurais
eu 18 mois…Les dates concordent. Mais il y a un hic

- Lequel ?
- Eh bien, tu t’appelles Olivia !
- Mais chéri, mon deuxième prénom, c’est
Hélène.
- Bon, d’accord, mais on va comparer la photo
avec celles de toi qui sont dans notre album.
Et Alexandre alla chercher l’album et mis côte à
côte la photo et une d’elle où elle avait à peu près le
même âge..
Olivia le regarda et murmura :
Mon amour, je crois qu’il n’y a plus aucun doute.
Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que je dois l’appeler ?
Olivia se sentait perdue. Depuis tant d’années
qu’elle cherche son père, voilà que le destin se
manifestait. Mais en même temps, elle avait
tellement peur d’être déçue, de se tromper, qu’elle
ne savait plus trop si elle voulait aller plus loin. Ne
voyait-elle pas ce qu’elle voulait y voir ? Son esprit
lui jouait ’il des tours ?
- Et si c’était qu’une série de coïncidences…
- Bon écoute, on va prendre le temps. Il faut
vérifier tout cela avant de le contacter.

64
- Il faut que je voie Azilis. Elle a l’habitude de
ce genre de situation et elle va me dire par où
commencer.
- Excellente idée. Si on l’invitait ce soir….On
pourrait lui montrer les documents et les photos ?
- Super ! Je vais l’appeler.

Quelques instants plus tard, ils s’apprêtaient à


recevoir Azilis.

65
Chapitre 8

Azilis arriva les bras chargés d’une boîte de


chocolat pour Olivia et d’une bouteille de Saint
Emilion, le vin préféré d’Alexandre. C’était une fin
de journée ensoleillée et ils avaient prévus de faire
des grillades.

- Bon, je n’ai pas tout compris, mais je crois


que vous avez fait de nouvelles découvertes ?
- Tu ne crois pas si bien dire…
Et Olivia lui fit un compte rendu détaillé de ses
investigations : photos, documents d’état civils, etc
… et brûlant d’envie de savoir si Monsieur Le Royer
l’avait contacté, elle lui posa la question, même si
c’était certainement trop tôt : elle l’avait quitté il y a
quelques heures
Eh bien, oui, il m’a appelé et je dois le voir en fin
de semaine. Il m’a fait un bref résumé de sa
situation et m’a paru assez perturbé au téléphone.
- Oh, super ! Il n’a pas trainé s’exclama Olivia
avec élan
- On ne s’emballe pas…. C’est vrai que tout cela
est fort troublant, mais j’ai rencontré tant de
situations compliquées que je ne voudrais pas que
tu sois déçue.

66
- Oui, oui, je sais, j’essaie de garder la tête
froide et puis il y a quelqu’un qui se charge de me le
rappeler dit ’elle en regardant son mari.
- Tu peux compter sur moi, répondit ’-il avec
un clin d’œil.

Alexandre proposa de diner d’abord. Ils


partagèrent leur repas en discutant et bien sûr,
comme à chaque fois qu’ils se retrouvaient, se
remémorèrent les bons moments d’une autre
époque où ils étaient heureux, où le malheur ne
s’était pas encore abattu sur eux. Ils évoquèrent avec
nostalgie et tristesse leurs chers disparus. Ces deux
décès les avaient liés à jamais. Ils se comprenaient ;
ils avaient besoin d’en parler.

Le repas terminé, les filles s’installèrent dans le


salon, sur le tapis pendant qu’Alexandre, qui s’était
proposé pour la vaisselle, vaquait dans la cuisine.

Azilis examina attentivement les papiers que lui


remis Olivia ainsi que les photos.

- La première chose à faire est d’aller en mairie


consulter les registres d’état civils. Il faut vérifier
toutes les dates, les lieux. Sur les actes de décès de
tes grands parents, il y a leurs dates et lieux de
naissance, donc on va pouvoir avoir accès à leurs
actes de naissance complets sur lesquels en
principe, lorsqu’ils sont mis à jour, doit y figurer
67
leur date de mariage. Ainsi, on pourra remonter
jusqu’à ta mère et leurs autres enfants éventuels…
Tu comprends ?
- Oui, et ainsi, jusqu’au mien…
- C’est ça, car je ne comprends pas pourquoi
sur le livret de famille de ta mère, tu figures avec
« né de père inconnu » alors que Monsieur Le Royer
parle de sa fille… ce qui supposerait qu’il l’a
reconnue à sa naissance… . Voyons…
Et Azilis repris les copies du livret de famille.
- Il faut vérifier tout cela dit ‘elle songeuse.
Un doute s’immisçait dans son esprit, mais elle ne
voulait pas alerter Olivia pour le moment. Cette
histoire lui rappelait une affaire dont elle avait eu à
s’occuper il y a quelques années et qui avait
chamboulé toute une famille. Des histoires de
papiers falsifiés. Une sale affaire .Quand on met à
jour des secrets, il y a toujours des dommages co-
latéraux et il vaut mieux préparer les personnes
concernées. C’est pour cela qu’elle préférait s’en
assurer avant de faire quelques déductions.
- Quand retournez-vous en Bretagne ?
demanda-t-elle
- Normalement la semaine prochaine.
Alexandre a posé quelques jours et moi aussi. On
doit commencer les travaux et ce n’est pas en un
weekend qu’on va y arriver.
- Parfait, alors voilà ce que tu vas faire…

68
Et Azilis expliqua à son amie comment consulter
un acte d’état civil, en demander une copie à la
mairie.
- Il faut que tu récupères les actes de décès et
de naissance de tes grands parents, si possible, celui
de leur mariage (tu verras bien dans quelle
commune ils se sont mariés), puis l’acte de
naissance de ta mère. Déjà, à partir de ces éléments,
on va pouvoir avancer. Ça va aller ? Tu penses avoir
le temps ?
- Je vais commencer par ça dès notre arrivée.
Et je te tiendrais au courant. Et pour monsieur Le
Royer, que vas –tu faire ?
- Comment ça, qu’est-ce que je vais faire ?
- Eh bien, tu vas lui parler de la photo ?
- Non, je vais l’écouter, et je vais voir quelles
tournures prennent les choses. Il faut que je te dise
une chose : il est évident, d’après ce que je viens de
voir et ce que tu me dis, qu’il y a un secret dans ta
famille, des histoires qui se sont construites sur des
non-dits et cela risque de t’affecter plus que tu ne le
penses. Tu es bien placée pour le savoir. Il va falloir
que tu le gères…
- J’y ai pensé aussi et je me prépare
psychologiquement déclara Olivia avec assurance.

Azilis prit congé tard dans la soirée… Ces


moments partagés avec eux lui faisaient tellement
de bien. Cela la reliait à son mari. Elle n’avait pas
refait sa vie, comme on dit… Refaire sa vie ? Faire
69
son deuil ? Elle détestait ces expressions. Qu’est-ce
que ça veut dire ? Tout effacer et recommencer à
zéro… Elle aurait eu l’impression de tromper son
mari, de l’effacer de sa vie… Elle lui resterait fidèle
jusqu’à la mort. Olivia avait bien compris cela et
jamais elle ne lui a parlé en ces termes. Et eux-aussi,
ont souffert avec la perte de leur enfant… Jamais,
jamais, ils n’ont employé ces mots «faire son
deuil »… Est-ce qu’ont fait son deuil ? Est-ce qu’à un
moment, on tourne la page ? Non, on avance pas à
pas, comme on peut…. Avec les souvenirs comme
béquilles.

Les souvenirs…. . Cela la ramena à l’affaire de son


amie. Cette histoire avec cet homme qui surgit, on
ne sait d’où, avec tellement de similitudes avec
l’histoire d’Olivia. Elle songea :
- Je ne voudrais pas qu’elle se trompe, qu’elle
soit déçue. Il va falloir que je fasse attention. Cette
histoire d’enfant déclaré et pas déclaré n’est pas
claire…

Olivia et Alexandre se couchèrent tard ce soir-là,


chacun dans ses pensées. Alexandre, comme Azilis,
craignait que sa femme ne soit déçue et Olivia, elle,
espérait tellement de ce qui allait suivre dans les
prochaines semaines.

70
Chapitre 9

Olivia et Alexandre retrouvèrent avec bonheur


leur maison en Bretagne. Ils avaient hâte d’entamer
les travaux, afin de pouvoir s’y installer
définitivement. Ils n’avaient encore prévenu
personne dans leur entourage professionnel. On
était en juin et ils pensaient pouvoir s’y installer en
début d’année suivante.

Ils avaient prévu, cette semaine, de commencer à


nettoyer la maison et détapisser, et si tout se
déroulait bien, entamer les premières couches de
peinture. Ça, c’était pour Olivia. Quant à Alexandre,
ils devaient s’occuper du cabanon destiné à être le
cabinet de consultation de sa femme, où le travail
s’avérait un peu plus physique. Il lui laisserait
l’aménagement et la décoration.
Mais Olivia avait aussi prévue de se rendre à la
mairie de Tréguier dès le lundi matin pour
récupérer les documents demandés par Azilis.

Une fois, la voiture vidée des bagages et outils, ils


décidèrent d’aller faire un tour sur la plage avec
Déva. Ils empruntèrent le sentier qui passait
derrière le cabanon, au fond du jardin. En passant
71
devant la maison de leur voisin, ils le virent dans
son jardin et le saluèrent.
- Ah vous voici de retour. Heureux de voir un
peu de vie dans ce quartier où le trois quart des
maisons sont des résidences secondaires et ne sont
habitées qu’un mois par an, l’été. Et par des gens
que l’on ne voit même pas. Je me sens bien seul
quelque fois…
- C’est vrai que c’est très calme par ici ; cela
doit être assez impressionnant les jours de tempête
répondit Alexandre
- Ah, il faut y être né pour comprendre. C’est la
Bretagne…mais, même si je suis seul, je ne quitterai
pour rien au monde ma maison et cette région. Il y a
une âme et tellement de souvenirs, ici. Toute ma vie.
- Oh, je comprends, c’est ce que l’on a ressenti
dès la première fois que nous avons visité la nôtre.
Et puis, on peut vous le dire, on a prévu de
s’installer ici dès le début de l’année prochaine. On
est là pour une semaine et on va commencer les
travaux. Ma femme est psychologue et va créer son
cabinet et moi, je suis web master, donc, je peux
travailler à distance.
- Ah bien. Je suis très heureux que vous soyez
mes nouveaux voisins. C’est vrai que maintenant,
avec tout ce modernisme, on peut travailler depuis
chez soi…. Ce n’était pas comme ça à mon époque.
- Que faisiez-vous comme métier ?
- Moi, j’étais comptable et je travaillais dans
une entreprise de Tréguier. Et votre chien est bien
beau, comment s’appelle-t-il, demanda le vieil
72
homme qui avança sa main pour la caresser et celle-
ci ne se fit pas prier.
- C’est Déva, une femelle St Bernard, qui
partage toutes nos aventures et elle m’assiste aussi
pendant mes consultations.
- Comment ça ?
Et Olivia lui expliqua le rôle et la place de
Déva dans son métier.
- Passez à la maison cette semaine. On vous
fera visiter et vous montrera les plans des
aménagements que nous envisageons de réaliser.
- Je connais la maison, j’avais dépanné votre
mère une fois… une histoire de gouttière, je crois.
Mais c’est avec plaisir que je viendrais.

Ils continuèrent leur promenade. Quel bonheur


d’avoir accès à la côté si vite…

De retour, ils se posèrent quelques instants.


Olivia s’imaginait recevoir ses patients dans le
cabanon nouvellement aménagé et Alexandre se
projetait aussi dans son bureau dans les combles.
C’était dimanche soir, fin de l’après-midi. Ils
déambulèrent dans le jardin qui, bien qu’un peu
envahi par la végétation, se révélait très agréable.
- On pourrait mettre un banc ici, sous l’arbre,
et puis là, une petite terrasse avec un coin barbecue
proposa Alexandre

73
- Vendu ! Tu vas nous faire cela très bien
répondit Olivia qui connaissait les talents de
bricoleur de son mari et heureuse de le voir investit
dans leur projet.
- En attendant, il y a plus urgent. Dès demain,
on va à Tréguier acheter tout ce qu’il nous faut et on
démarre. Je suppose que tu vas passer à la mairie ?
- Oui, je vais récupérer les documents que m’a
demandés Azilis et je lui transmettrai aussitôt. J’ai
hâte d’avancer dans cette histoire.

Olivia se rendit compte que tout lui était tombé


dessus depuis le décès de sa mère : cet héritage
inespéré et aussi sa rencontre avec M. Le Royer. Les
choses s’accéléraient. Elle repensa à ce que son amie
lui avait dit au sujet d’un secret de famille et le fait
qu’elle devait se préparer à des découvertes qui
risquaient de la perturber. C’est drôle, tous les
jours, je dois aider des personnes à affronter
certaines vérités et voilà qu’aujourd’hui, c’est moi
qui me trouve dans cette situation… Vais-je être
capable de recevoir et de gérer ce que je vais
découvrir ? pensa-t-elle.

Dès le lendemain matin, Alexandre et Olivia se


rendirent à Tréguier. Alexandre se chargea des
achats et Olivia se rendit à la mairie. Elle demanda à
consulter des archives. La secrétaire de mairie la
conduisit dans la salle réservée à cet effet et lui
expliqua comment trouver les actes qui
l’intéressaient.
74
Elle trouva sans difficultés les actes de décès de
ses grands-parents qu’elle prit en photo
Les grands-parents maternels d’Olivia : décédés
en 1990, mariés en 1955 nés en 1920 (lui) et 1921
(elle) :
Charles Le Bihan décédé le 11 juillet 1990 à
Tréguier né le 04 juillet 1920 à Plouguiel
Françoise Le Bihan née Gouriou décédée le 15
juillet 2000 à Tréguier née le 25 octobre 1921 à
Plouguiel.
Mariés le 09 novembre 1955 à Penvénan.

Ce qui signifiait qu’elle allait devoir aller à


Penvénan, le village voisin, récupérer leur l’acte de
mariage. Ce qu’elle fit dans la matinée. Et en même
temps, elle s’arrêta à Plouguiel pour récupérer l’acte
de naissance de sa mère : le notaire lui en avait
remis une copie, mais Azilis avait demandé la copie
des originaux des registres des mairies.
Grace aux tables décennales, elle n’eut aucun mal
à accéder à l’acte de naissance de sa mère sur lequel
étaient inscrit en marge la date et le lieu de son
décès. Jusque-là, rien d’anormal. Elle parcourut le
registre à partir des années 1955 et sur une
quinzaine d’années. Et là, elle découvrit que sa mère
avait une sœur née en 1960 qui apparemment serait
toujours en vie, et aussi un frère ainé, François, né
en 1966 qui lui est mort un an plus tard en 1967. Pas
d’autres enfants ensuite.

75
Elle transmit le tout à Azilis.

Ils passèrent la semaine à travailler. Les choses


commençaient à prendre forme. De plus en plus,
Olivia se sentait appartenir à cette région. Les gens
qu’ils ont rencontrés çà et là sont gentils, simples et
facile. Tout le contraire de leur vie en ville où tout
n’est que bruit, vitesse ; chacun pour soi. Même s’ils
ont quelques relations, la vie est plus trépidante.
Malgré un climat qui peut paraitre hostile, entre
pluies et tempêtes qui régissent la vie l’hiver, la
région est attachante. On sent une empreinte très
forte du passé, les monuments, les maisons en
granit, pierre dure, les paysages vallonnés, très
boisés, caillouteux. Voilà, c’est un pays fort, bien
ancré et les gens qui y vivent sont à cette image.

Un jour en fin d’après-midi le voisin, Charles le


Dantec, vint leur rendre visite. C’était un homme
charmant avec qui ils passèrent un moment fort
sympathique. Celui-ci avait bien connu les anciens
propriétaires, bien avant ceux qui avaient précédé
Louise Le Bihan.
- C’était une famille de marin, le père faisait
partie de ces gens de mer qui partaient de long mois
sur les bancs de Terre-Neuve pêcher la morue, dans
des conditions extrêmement difficiles, sans être
certain d’être de retour. Quant à sa femme, elle
élevait leur enfant, un petit garçon gentil, dont le
prénom ne me revient pas, un peu plus jeune que
moi et avec qui nous allions pécher au bord de la
76
mer. Il aidait sa mère qui cultivait un petit lopin de
terre pour aller vendre ses légumes sur les marchés
de Tréguier. Il faut savoir qu’à cette époque la
Bretagne était une région très pauvre ; les hommes
étaient pour la plupart marins et les femmes
faisaient tourner la maison en leur absence.
- Savez-vous ce qu’ils sont devenus ? demanda
Alexandre
- Non, le monsieur est décédé en mer et après
ce drame, sa femme a dû vendre la maison et je ne
les ai plus jamais revus. Je ne me rappelle plus de
leur nom, c’est si loin tout ça.
Puis il ajouta :
- Il y a un musée très intéressant, non loin
d’ici, à Ploubazlanec qui retrace l’histoire des Terres
Neuvas et à côté, au cimetière, le mur des disparus,
en hommage à tous ces hommes qui ont péri en mer
avec leur nom et celui des bateaux. C’est très
émouvant. Toute une époque. Si ça vous intéresse…
Bon, je vais vous laisser. Merci pour votre accueil.
N’hésitez à passer me voir quand vous êtes de
passage. Et si vous avez besoin…

La veille de leur départ, Olivia, mue par une


soudaine curiosité, alla dans les combles. Ils y
avaient laissé une vieille armoire de style breton
qu’ils s’étaient promis de restaurer. Olivia parcourut
du regard ce grenier où pendaient encore quelques
toiles d’araignée. Elle laissa ses doigts parcourir le
bois, en songeant que ce meuble avait tant de choses
à raconter. Soudain, elle aperçut, entre le mur et le
77
dos de l’armoire une enveloppe. Elle se retourna,
cherchant du regard un bâton ou quelque chose de
fin pour attirer l’enveloppe. Elle trouva une baguette
en métal et put la faire venir à elle.
C’était une enveloppe marron, poussiéreuse qui
devait être là depuis fort longtemps. Elle était
fermée, pas d’écriture dessus. Elle la tint dans ses
mains et ferma les yeux quelques instants, comme si
elle essayait d’en deviner le contenu. Une émotion
l’envahit, elle sentait tout son corps battre en elle.
Elle s’assit par terre et l’ouvrit. Elle en ressortit un
livret…. Elle porta sa main à sa bouche, sous le choc.
Un autre livret, a priori identique. Deux livrets de
famille.
Quand elle ouvrit, le premier, elle reconnut
l’original de la copie qu’elle avait trouvé dans les
documents de sa mère. Elle le parcourut, reconnu
l’état civil de ses grands-parents, celui de sa mère, et
la page consacrée aux enfants de sa mère. Et cette
mention « née de père inconnu ».
Elle ouvrit le deuxième livret et les compara :
qu’elle ne fut pas sa surprise de découvrir que c’était
le même avec les mêmes mentions…. Sauf qu’à la
dernière page, celle qui concernait sa naissance, ses
prénoms étaient inversés, Hélène Olivia au lieu
d’Oliva Hélène et à la place de « née de père
inconnu », le nom d’un homme. Cet homme. Son
père. Monsieur Christophe Le Royer né le 14 mai
1957 à Plougrescant. Le tout d’une écriture
différente qui ressemblait à celle de sa mère.
Les livrets lui tombèrent des mains. Tout se
bousculait dans son esprit. Qu’est ce ça veut dire ?

78
Deux livrets, donc un vrai et un faux. Elle venait de
réaliser la gravité de la situation. Toute sa vie, elle a
fourni un faux livret… Qui donc a réalisé cette
falsification ? Soudain, quelque chose lui revint à
l’esprit. Sa mère travaillait à l’époque de sa
naissance à la mairie de Tréguier, à l’état civil. Elle
était donc en mesure de produire de faux
documents… Mais pourquoi ?
Elle reprit les deux livrets qu’elle compara à
nouveau. Sa mère avait bien eu un deuxième enfant
nommé Olivier, déclaré lui aussi « de père
inconnu », mais sur les deux livrets. Il était né le 03
février 1986 à Tréguier. Ce qui confortait ce qu’elle
avait déjà découvert dans les documents qu’elle
avait chez elle.
Elle remit les livrets dans l’enveloppe et rejoint
son mari à qui elle montra sa découverte.
- Tiens , lis
- Qu’est-ce que c’est ? Où as-tu trouvé
ça ?demanda Alexandre en la regardant.
- Derrière l’armoire, dans les combles. Ouvre,
lis... dit ’elle en tremblant
Alexandre parcourut les livrets, plusieurs fois.
- Nom de Dieu ! s’exclama t’il Comment s’est
possible ?
- Tu te rends compte. Monsieur Le Royer est
bien mon père… Je le savais, je le sentais ! Mais
pourquoi a-t-elle eu besoin de falsifier mon acte de
naissance ? Mon nom ? Je porte celui de ma mère.
Mon prénom ? Tu te rends comptes, elle a changé
79
mon prénom ! Qui suis-je ? Quel est le secret qui se
cache derrière tout ça ? Et maintenant, qu’est-ce que
je fais de tout ça ?
- Je ne sais pas, je suis abasourdi. Oh, ma
chérie, dit ’il en la prenant dans ses bras… Je ne sais
pas quoi te dire. Comment te sens-tu ?
- Eh bien, comme si j’avais pris un TGV en
pleine gueule… D’un côté, j’ai la réponse à la
question que je me pose depuis toujours et d’un
autre, tous ces mystères me laissent un gout amer et
j’ai peur de tout ce qui s’y cache. En arriver au point
de rayer et de modifier l’identité de quelqu’un sur
un livret de famille… . c’est grave… Il y a forcément
une explication. Et ce frère qui me tombe du ciel ?
Où est ’il ? Qui est ‘il maintenant ? Que sait ’il ?
Je fais comment avec ça ? Qui suis-je ? J’ai
construit toute ma vie là –dessus et la nôtre aussi.
- Pour moi, cela ne change rien, tu es la femme
de ma vie. Tu es Olivia. Et si tu es Hélène, eh bien, je
ferai connaissance avec elle. Ecoute, il est tard. On
rentre demain. On va ramener tout cela avec nous et
les montrer à Azilis.

La nuit fut longue. Impossible de trouver le


sommeil. Elle imagina tout un tas de scénarios. Son
esprit travaillait à 100 à l’heure. Elle revoyait cet
homme, dans son cabinet, si malheureux, si abattu…
Il ne semblait pas être un mauvais homme. Qui est
’il en vrai ? Est-il au courant ? Bien sûr, qu’il ne
pouvait pas me retrouver. Il cherche une « Hélène
Royer » alors que je m’appelle « Olivia Le Bihan ».
80
Elle a inversé mes prénoms et supprimer le nom de
mon père. Qui suis-je vraiment ? Et lui, cache-t-il
aussi un secret ? Elle pensa à Azilis qui avait dû le
recevoir cette semaine… Elle n’avait pas de
nouvelles et en même temps, elle n’avait pas le droit
de lui rendre compte de leur échange…

Ils se levèrent de bonne heure et prirent la route


du retour. Ils laissèrent la maison à regret. Olivia
perdue dans ses pensées, avec l’étrange sensation
d’y laisser une partie d’elle-même. Puis quelque
chose lui revint en tête. Ce manuscrit qu’elle avait
trouvé … . Elle l’avait presque oublié. La clé devait
se trouver là. Elle se promit de le lire dès leur retour.

81
Chapitre 10

« Ma fille, quand tu liras ces lignes, c’est que je


ne serai plus de ce monde. Je sais que nos relations
furent compliquées, tu as coupé les liens avec moi,
il y a déjà longtemps. J’ai eu si mal. Je te demande
pardon d’avoir été si dure avec toi, si possessive et
pardon pour tout ce que tu vas découvrir.

Toute ma vie, j’ai fui. J’ai fui ma vie, j’ai fui ceux
qui ont essayé de me rendre heureuse, j’ai fui
l’amour, jusqu’à enfreindre les lois pour me cacher,
me protéger et je pensais à travers tout ça, te
protéger aussi. J’ai abandonné aussi.
Ne me juge pas. J’étais incapable d’agir
autrement. C’était au-dessus de mes forces. Je t’ai
fait souffrir et j’ai fait souffrir un homme qui
m’aimait, mais à qui je n’arrivais pas à donner de
l’amour, en qui je n’arrivais pas à avoir confiance.
Cet homme, c’est ton père. J’ai dû l’abandonner,
lâchement. Je sais que je l’ai détruit, mais la vie
normale, ce n’était pas pour moi. Mais je voulais te
protéger des hommes. C’est un homme qui m’a
détruite. J’avais peur que ton père agisse avec toi
comme le mien avec moi. Aussi, j’ai fui, je me suis
construite une autre vie pour lui échapper. Mais, en
fait, c’était pour échapper à moi-même… On a vécu
toutes les deux. Je sais que je t’ai éloignée de tout,
de tes amies, de tes premiers amoureux… Je ne
voulais pas que les autres hommes te fassent
souffrir. Pardon pour tout cela. Je n’ai pas pu te

82
parler : j’en étais bien incapable. Et depuis que tu
m’as reniée, j’ai beaucoup réfléchi, j’ai eu mal.
Tu sais, que j’écrivais des poèmes. Alors, j’ai
commencé à écrire mon histoire à travers ce début
de manuscrit que tu vas découvrir ensuite et dont je
n’ai pas eu assez de courage pour en écrire la suite.

Les personnes dont il est question dans ces écrits


et que je ne nomme pas sont tes grands-parents et
ta tante, ma sœur. A l’heure où je dépose ces mots,
mes « parents » sont morts. Lui d’abord, puis elle,
quelques années plus tard. Quant à ma sœur, elle
est toujours en vie, mais je n’ai jamais cherché à la
revoir et elle non plus d’ailleurs. Mon cousin doit
être très âgé maintenant. J’ai toujours regretté de
ne pas avoir eu de contact avec lui. Il a dû
beaucoup souffrir lui aussi. C’est vrai, j’ai coupé
tout lien avec cette famille, pour tenter d’oublier.
Seulement, on n’oublie jamais. Ça reste enfoui
quelque part. Ça vous ronge et puis un jour, ça
vous revient vous hanter.

Et puis, j’ai laissé une autre enveloppe à ton


nom. Tu l’as peut être déjà trouvée …. Tu vas
apprendre que tu as un frère. Olivier est né en
1986. Ce que je vais te révéler va certainement te
choquer. J’ai quitté ton père quelques mois avant sa
naissance. Il ne l’a jamais su. Cet enfant est né
handicapé et je n’ai pas pu le garder auprès de moi.
Pas le courage. Pas la force. Je l’ai placé dans un
établissement spécialisé. Il y est toujours.
J’envoyais de l’argent chaque mois pour lui. Et il
83
était prévu qu’à mon décès, tu hérites de la maison
et lui de l’argent que j’avais économisé. C’est le
notaire qui etait chargé de contacter l’ESAT à mon
décès, mais il avait une consigne, c’est de ne pas
évoquer vos existences respectives à l’un et l’autre
de vous. Je sais que tout cela va te bouleverser, que
cela va confirmer ce que tu pensais de moi déjà : je
suis une mère indigne, une mauvaise mère. J’ai
abandonné mon fils et je t’ai écarté de ton père à
qui j’ai menti durant notre vie commune.
Aujourd’hui, je suis à la fin de ma vie. Je me
repens de toutes ces fautes. Vas-tu me pardonner ?
Je ne le saurai jamais. Je vais quitter ce monde et
peut être que depuis l’autre monde, je vais enfin
pouvoir veiller sur toi et t’envoyer de l’amour.

Si tu lis ces lignes, c’est que tu as décidé de


garder la maison de Bretagne, qui fut celle de ton
père il y a longtemps, avant qu’on se connaisse,
mais que j’ai pu racheter à la retraite. Ton père est
un homme bon et je m’en veux tellement de l’avoir
abandonné, d’avoir douté de lui. J’espère que ta
route va enfin croiser la sienne et que vous
trouverez la paix tous les deux. »

84
11 juillet 1990

Le prédateur est mort. Voilà. C’est fait. Dans sa


famille, presque tout le monde l’avait abandonné.
Celui par qui le scandale arrive…

La Grande, sa fille ainée, comme on l’appelle


depuis son enfance, a été avertie par son oncle, qui
lui l’a appris par son fils, qui lui a été contacté par
la petite…

La Grande a simplement dit « d’accord ».


Aucune émotion. Son cœur est vide de sentiment
vis-à-vis de cet homme. Mais le regret et la
culpabilité subsiste depuis toujours, de ne pas avoir
eu le courage de l’affronter. Elle a parlé. Toute la
famille est au courant. La plupart la soutienne,
mais certains ont appliqué la politique de
l’autruche, voire même mis en doute sa parole.
Comment est-ce possible ? Il aurait abuser de ses
filles, de sa sœur.. ? Ce n’est pas possible, un
homme si gentil, si serviable, tout le monde
l’aimait, etc…Ça dérange.
Il est parti avec sa conscience, oui, mais laquelle
?

Et la mère, dans tout ça ? La voilà seule


maintenant. La Petite, fidèle jusqu’au bout, a dû
s’en occuper. Et sa conscience, que lui dit ‘elle ?

85
La grande n’éprouve aucun sentiment vis-à-vis
de ses géniteurs. Surtout pas de l’amour, que de
l’indifférence. Elle a essayé, mais c’était au-dessus
de ses forces. Non, juste de l’indifférence.

Juin 1983

La dernière fois qu’ils se sont vus, c’était pour le


1er de l’an. Toujours la tradition. On fait semblant,
on y va. Ça c’était mal passé. Le Père avait été
odieux, critiquant tout ce qu’elle faisait. Le jour du
départ, dans la voiture, elle a éclaté en pleurs et
elle s’est dit :
« C’est la dernière fois : je ne remettrai plus
jamais les pieds ici. »

Tous les dimanches soir, c’est la tradition aussi.


On doit, une fois sur deux, s’appeler. C’est comme
ça, pour donner des nouvelles. On parle de la pluie
et du beau temps, de la santé et du travail…. Mais
rien de profond. La Grande n’a rien à leur dire,
rien à raconter. Vide.

Cela fait des semaines que la Grande n’appelle


plus quand c’est son tour. Et elle ne décroche pas
quand c’est la mère qui appelle. Jusqu’au jour, où,
excédée, à bout, la Grande se leva, prit le combiné
et prononça ces mots terribles :

86
« Tu me laisses tranquille, je ne veux plus avoir à
faire à vous ».
Il s’en suivi une discussion violente au cours de
laquelle la Grande cracha sa révolte, vida son sac
tellement lourd à porter depuis si longtemps. Mais
sans être capable d’employer les vrais mots…C’est
tellement difficile, ça ne sort pas. Ils sont présents
dans son esprit, restent bloqués dans sa gorge et ne
parviennent pas à s’en extraire. Elle a juste dit :
« Ce qu’il nous a fait pendant des années.. »
Et la réponse terrible de la Mère :
« Il y en a une qui a fait bien pire dans la famille
! ». Elle faisait allusion à l’une de ses tantes qui
voulait coucher avec le Père. Bien pire !! Mai, ça,
c’est entre adulte consentant…on s’en fout…
« Bien pire ! » Et la Grande comprit que la mère
était au courant. Elle eut envie de vomir. Et pour
couronner le tout, elle entendit à travers le
combiné, une voix qui hurlait, sa voix à lui :
« Tu es une saloperie ! »
Voilà ce qu’elle était « une saloperie ».
Puis s’en suivirent les éternels « tu te laisses
monter la tête, tu es manipulée par la famille, etc ».
Elle répondit simplement :
« J’ai un avantage sur vous, c’est que je peux me
présenter chez n’importe qui dans la famille, je
serai bien reçue ! Et cela n’est pas votre cas. On n’a
donc plus rien à se dire. Je ne veux plus voir. Je ne

87
veux plus rien avoir à faire avec vous. Vous
n’existez plus pour moi. »
Et elle raccrocha, prostrée quelques instants,
mais enfin soulagée d’avoir mis fin à cette
situation. Elle était en rage, tremblante…. Toutes
ces années qu’elle expulsait enfin. Elle avait fait
semblant pendant trop longtemps.
Quelques jours plus tard, elle reçut un appel de
la Petite, sa sœur qui lui dit :
« Maman m’a dit que vous aviez eu un petit
différent ».
Petit différent ! Voilà à quoi se résumait leur
altercation.
La Grande éclata de rire nerveusement, et lui
résuma la situation. Bien sûr, le soutien qu’elle
attendait de la petite ne vint. Mais, en même temps,
elle n’en n’était pas étonnée.
La Petite lui dit « Moi, j’ai pardonné ».
« Parfait. Désolée, je n’ai pas ta grandeur d’âme.
Tu as fait ton choix et je ne te demande pas d’en
faire un non plus, mais juste de respecter ma
position. Pour moi, c’est simple, je ne veux plus
avoir à faire à eux. Je n’ai aucun sentiment pour
eux et je crois que je n’en ai jamais eu. Je ne peux
plus faire semblant ».

Puis, quelques temps plus tard, la Grande reçut


des lettres, de la Mère, de la Petite, auxquelles elle
ne répondit jamais. On lui reprochait son

88
indifférence, tout ce qu’on avait fait pour elle. Eux,
les gentils, elle la méchante.
Et la Mère continuait à appeler régulièrement et
la Grande lui raccrochait au nez.
Puis, elle envoyait des cartes pour les
anniversaires ou les fêtes qu’elle n’ouvrait même
plus. A chaque fois, elle vivait cela comme une
agression et elle devait s’en protéger.

L’annonce de son décès fut, pour la Grande, un


retour vers le passé. Tout est revenu, tout est
remonté, tout ce dont elle ne parlait jamais. Tout ce
qu’elle avait essayé d’enfermer dans quelques
tiroirs de sa mémoire. Ceux-là se sont ré ouverts.
Elle savait qu’on jour, tout cela lui reviendrait à la
figure, comme quand on est trop près du rivage et
qu’une déferlante vient vous gifler.

Elle culpabilise de ne pas avoir eu le courage de


parler, de dire les vrais mots. Ceux qu’elle n’a
jamais pu prononcer. Ces mots autour desquels elle
tourne sans jamais leur donner vie. Elle aurait pu
le dénoncer, l’affronter, mais n’a jamais eu ce
courage. Il est mort sans être inquiété. Il a gagné.

Et si elle avait parlé, qui l’aurait soutenue ? La


Petite, certainement pas : on ne remue pas le passé,
on pardonne.
Sa marraine, la sœur du Père, qui a dû subir
aussi ses agressions quand elle était adolescente?
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Elle n’en n’était pas sûre… Elle aussi a porté et
porte toujours ce traumatisme comme elle peut et
a perdu toute confiance en elle
Et il aurait fallu donner des détails, encore et
encore… Ils aiment ça les détails ! C’est
croustillant !
Aurait-elle pu supporter cela ? C’était revivre ce
qu’elle s’efforce de remiser.
Et sa parole, à elle, contre la sienne, à lui …

Il y a quelques mois, elle apprit qu’un de ses


cousins avait été aussi sa victime. Elle avait un
doute depuis longtemps quand sa tante, un jour,
lui avait dit :
« Il a toujours dit qu’il ne fallait pas que ton Père
se mette sur sa route, ». Mais il n’avait jamais dit
pourquoi.
L’aurait ’il soutenu si elle avait parlé ?
Et qu’aurait-elle fait si c’est lui qui avait parlé en
premier ?

Et depuis, ça tourne en boucle dans sa tête… .


Y a-t ‘il eut d’autres enfants, dans la famille, ou
ailleurs ? Ça la hante tous les jours. Pleins de
choses remontent. Elle se souvient qu’à l’époque où
elle vivait encore dans la région, il y avait un
réseau de pédophiles. Cela avait défrayé la
chronique à l’époque. En faisait ‘il partie ? Il y
avait ces faits divers d’enfants qui
90
disparaissaient…. Ces petites filles que l’on a
retrouvées mortes et violées… Et cette petite fille
M…. qui a disparu il y a 35 ans et que l’on n’a
jamais retrouvée… Elle habitait une ville où il allait
souvent… Qu’allait ’il faire là-bas ?
Tant de questions qui n’auront jamais de
réponse. Il a eu de la chance, on ne saura jamais. Il
est parti avec ses secrets. Et à cause de lui, elle
porte cette responsabilité.

Tant de fois, elle a imaginé écrire des histoires,


des scénarios où elle aurait mis en scène sa mort.
100 fois, elle l’a tué. Elle avait même trouvé le titre
« Comment éliminer un prédateur en dix leçons ».

*****

91
Chapitre 11

Olivia referma le manuscrit. Elle était anéantie.


Tout se mélangeait dans sa tête. Ce qu’elle venait de
découvrir remettait en question l’image qu’elle avait
de sa mère. Tous les scénarios qu’elle avait
échafaudés pour essayer de comprendre, mais ps
celui-là. Mais pourquoi donc, n’a-t-elle pas pu me
parler ? Je pouvais l’entendre, j’aurai pu l’aider, on
aurait pu se reconstruire toutes le deux. Quel dégât,
quel gâchis !

Olivia songea à Azilis qui l’avait alertée sur ce


qu’elle pouvait découvrir… Et elle pensa à M. Le
Royer qui la cherchait depuis si longtemps. Il est si
fragile maintenant avec sa maladie….

Elle rejoignit son mari qui travaillait sur son


ordinateur et lui fit un rapide résumé de ce qu’elle
venait d’apprendre.
Il l’a pris dans ses bras et ils restèrent ainsi de
longues minutes, sans parler. Il ne trouvait pas les
mots pour la réconforter. Que dire ?
Elle desserra leur étreinte, le regarda dans les
yeux ; des larmes coulaient sur son doux visage. La
douleur s’était incrustée sur ces traits. Elle avait
mal. Il l’embrassa tendrement. Il l’aimait tant et ne
supportait pas de la voir souffrir. Elle avait réussi,
ces dernières années, à avancer… Et voilà que tout
d’un coup, une nouvelle rafale la giflait …
92
- C’est tellement dur… Je suis passée à côté de
ma mère pendant toutes ces années. Comment je
n’ai pas vu, pas senti, qu’elle n’allait pas bien ?
Comment ? Et mon frère ?
- Ma chérie, tu n’as pas de reproche à te faire.
Tu ne pouvais pas t’imaginer qu’elle portait un tel
secret. C’est un fardeau si lourd…Tu es bien placée
pour le savoir…Tu en rencontres des cas comme cela
dans ta profession. Et, malheureusement, tu ne
pourras pas réécrire l’histoire. Et puis, tu étais si
jeune…
- Oui, tu as raison, mais c’est un tel choc… Et
elle a vécu tout cela toute seule, car, d’après ce que
j’ai compris, sa sœur a occulté toute cette histoire.
C’est terrible. Quel cauchemar elle a enduré …
- Tu ne m’as jamais parlé de ta tante …. L’as-tu
déjà rencontrée ?
- Ben non, de mémoire, je ne l’ai jamais vue.
Elle est peut-être morte…. Il faudrait que je me
renseigne, car je voudrais bien la connaitre, celle-
là... . J’ai tellement de questions à lui poser. Je ne
sais pas si elle accepterait de me recevoir et de
parler. Et il faut que je retrouve mon frère. Je dois
contacter le notaire.
Olivia était tellement secouée qu’elle partait dans
tous les sens, sa tante, son frère, elle aurait voulu
tout mener de front en même temps, que son mari
du la calmer.
- Hé ! Calme –toi. On va s’en occuper et pour
ta tante, on va faire des recherches sur Internet et
solliciter Azilis
93
- Azilis ! Oui, il faut que je l’appelle et que la
mette au courant. Dit-elle en prenant son téléphone
qu’elle raccrocha aussitôt.
On était dimanche soir, il était déjà tard et elle
décida de la contacter dès le lendemain matin.

Quand elle arriva au bureau le lendemain matin,


il y avait des messages sur son répondeur. Des
demandes de rappel de la part de ses patients, des
demandes de rendez-vous… Et parmi de tout cela,
elle reconnut la voix de Monsieur Le Royer.
- Bonjour Mme Martin. Il faut que je vous
parle, c’est urgent. Pouvez-vous me rappeler pour
convenir d’un rendez-vous, s’il vous plait ?

Olivia ne s’attendait pas à être aussi vite


recontacter par son patient. Elle ne savait pas
comment l’aborder, comment lui dire qu’elle était sa
fille…Et puis, qu’avait ’il à lui dire ? Savait ’il ? Et,
professionnellement parlant, elle ne pouvait plus le
recevoir comme un patient lambda.
Elle décida de ne pas le rappeler de suite. Elle
avait besoin de réfléchir, de remettre de l’ordre dans
son esprit. Ce n’était plus la psychologue qui allait
lui parler.

Elle disposait d’un peu de temps avant de


recevoir son premier patient. Elle appela son amie .
Azilis lui confirma qu’elle avait bien examiné les
actes d’états civil qu’elle lui avait communiqués et
94
que de son côté elle avait fait des recherches dont
elle devait l’entretenir.
Elles convinrent de déjeuner ensemble.

Olivia avait amené avec elle le manuscrit de sa


mère et Azilis, un dossier la concernant. Elle
comprit, en voyant Olivia, que quelque chose
clochait. Elle avait les traits tirés, l’air soucieux.
- Oh tu m’as l’air bien fatiguée. Que se passe-t-
il ? Votre semaine ne s’est pas bien passée ? Vous
avez beaucoup travaillé ?
- Oui, tout s’est bien passé. Les travaux
avancent. Non, c’est autre chose. J’ai découvert dans
la maison, derrière un meuble, cette enveloppe.
Et elle sortit de l’enveloppe les deux livrets de
famille, le vrai et le faux…
- C’est bien ce que je craignais, lui répondit
Azilis, mais je ne voulais pas t’en parler avant d’en
avoir la preuve. Tu l’as trouvée avant moi… mais ma
question est : pourquoi ?
- Eh bien figure toi que j’ai la réponse…Et
Olivia lui remit le manuscrit. Il y a là-dedans toute
l’histoire, enfin presque, car j’ai encore tellement de
questions, mais je sais pourquoi ma mère a falsifié
le livret de famille.
Azilis la regarda, interdite.
- Tu peux m’éclairer ?

95
- Eh bien, ce n’est pas facile. Ma mère a été
violée par son père, donc mon grand-père, pendant
des années. Il semblerait qu’elle ne fut pas la seule
de la famille. C’est sordide. Mais, en bref, elle s’est
construite sur ce traumatisme, d’où son attitude
hyper possessive et hyper protectrice avec moi, que
je ne comprenais pas… . Et elle parle aussi de cet
enfant qu’elle a eu, mon frère… Alors, travaillant à
l’état civil de la mairie de Tréguier, elle n’a eu aucun
mal à éditer un deuxième livret de famille …. Afin de
pouvoir disparaitre et espérer ne pas être retrouvée.
Enfin, c’est ce que j’en conclue. C’est hallucinant.
Azilis la regarda.
- Bah ! Quel cauchemar ! Ça fait beaucoup en
une seule fois. Ça va, toi ?
- Je ne sais pas. C’est terrible. C’est brutal
d’apprendre ça ainsi… à travers des écrits. Mais je
ne peux m’empêcher de penser que si…
Olivia ne finit pas sa phrase et ne put retenir ses
larmes.
- Ecoutes, tu sais bien que tu ne pourras pas
revenir en arrière. Mais, je comprends que cela te
fasse un choc. Il va te falloir du temps pour digérer
tout cela et surtout prendre de la distance. Bon,
maintenant, concernant ton père …
- Tu as découvert quelque chose ?
- Oui et non. Tu sais qu’il est venu me voir.
- Comment l’as-tu trouvé ? Que t’a-t-il dit ?

96
- Il m’a parlé de son enfance, de sa vie avec la
mère de sa fille…les lieux où il a vécu, où ils ont
vécu. Il m’a parlé d’une maison à Plougrescant. Son
métier. Il espère beaucoup de notre rencontre pour
retrouver sa fille. Je ne devrais pas te le dire, mais
vu la tournure des événements, il m’a confié qu’il
t’appréciait beaucoup et que vos entretiens le
rassuraient et lui faisaient du bien, qu’il aurait aimé
avoir une fille comme toi.
- Il est en train de faire un transfert sans
savoir…. Nos inconscients ont dû se reconnaitre.
C’est curieux quand même la vie, les rencontres.
Cela m’étonnera toujours.
- Je lui ai demandé la date de naissance de sa
fille et …
- Et ?
- La même que la tienne.
- Voilà, ça confirme tout ce que j’avais déjà
découvert … Son nom sur le vrai livret de famille. La
maison à Plougrescant appartenait à ses parents et
ma mère l’a rachetée il y a quelques années. Tu te
rends compte. Cette maison a abrité mon père, puis
ma mère -je ne crois pas qu’elle l’ait rachetée par
hasard, sa manière à elle de me rapprocher de lui-.
C’est certainement pour ça qu’on se sent si bien là-
bas. Tu verras quand tu viendras, car tu viendras
n’est-ce pas ?
- Oui, bien sûr. A présent, qu’est-ce qu’on fait ?
- Comment vais-je lui annoncer cela ? Il y a
trop de choses ? C’est violent. Et où ? Je ne peux

97
pas faire cela dans mon cabinet. Il m’a laissé un
message et veut me parler. Il dit que c’est urgent.
Qu’a-t-il de si important à me dire ?
- Bon, si j’ai bien compris, je crois que mes
recherches vont s’arrêter là le concernant. Ce n’est
pas dans mes habitudes de procéder ainsi, mais
nous sommes trop liées toi et moi et je dois te laisser
la place. C’est ton histoire, enfin, la vôtre
maintenant.
- J’ai encore quelque chose à te demander. Ma
mère avait une sœur, plus jeune qu’elle. Tu verras,
elle en parle dans le manuscrit.
Et elle lui remit une copie de tous les documents.
- Est-il possible de savoir si elle vit toujours, de
la retrouver ? J’ai besoin de lui parler, de la voir.
- Oui, c’est possible, enfin, je vais essayer. Je te
tiens au courant. Désolée, mais, il faut que je file,
j’ai un client qui doit passer. Bon courage et tiens
moi au courant. N’oublie pas, je serai toujours là
pour toi. Fais attention à toi.
- Merci pour tout. Je suis vraiment désolée de
te solliciter autant.
- Ça sert à quoi les amis ?
Et elle lui remit une copie de tous les documents.

Olivia rejoignit son cabinet, pensive en se


demandant quelle stratégie elle allait mettre en
place pour annoncer à Monsieur Le Royer qu’il est
son père et tout le reste. Cela va lui faire un choc.
98
Le soir, elle fit part de son hésitation à Alexandre.
Ce dernier, après quelques secondes de réflexion, lui
suggéra :
- Demande-lui de passer à ton cabinet en fin de
semaine et en fin de journée. Tu auras tout le temps
pour parler avec lui. Vous risquez d’en avoir besoin.
- J’y avais pensé, mais je me demandais si cela
était une bonne idée de le recevoir dans mon
cabinet ?
- Ben, tu voulais le voir où ? Tu n’allais pas
aller frapper à sa porte ou lui proposer d’aller
prendre un verre ?
Olivia sourit : son mari avait raison. D’autant
plus qu’elle eut soudain une autre idée.
- Je sais comment je vais l’aborder. La photo,
tu sais celle que j’ai où il est avec moi petite…Il a la
même. Cela va faire une bonne entrée en matière.
- Oui, tout à fait. Très bonne idée.
- Je l’appelle demain et je lui fixe un rendez-
vous pour vendredi fin d’après-midi.
Et tu sais ce qui me plairait maintenant, c’est
qu’on aille se faire un petit restau, histoire de se
changer les idées. J’ai besoin de mettre tout cela
entre parenthèse, l’instant d’une soirée.
- Mais mon amour, tu as lu dans ma tête !
j’allais te le proposer.

99
Ils s’embrassèrent sous le regard de Déva qui
avait bien compris qu’elle avait la maison pour elle
toute seule ce soir…

Ils passèrent une soirée tranquille dans leur


restaurant préféré, dans le centre historique de la
ville qu’ils aimaient beaucoup. Ils discutèrent de
tout et de rien, de leurs projets, du futur
déménagement et de leur vie là-bas dans ce qu’ils
appelaient maintenant « la maison du bonheur ».

Ce soir -là, ils firent l’amour comme si c’était la


première fois en écoutant leur chanson fétiche,
« Still loving you » de Scorpions. Et tous les deux
s’endormirent dans les bras l’un de l’autre, avec un
rêve secret, celui d’avoir un autre enfant. Sans se
l’avouer, ils se sentaient à présent prêt pour être
parents à nouveau.

100
Chapitre 12

Vendredi 17h30 : prochain rendez-vous : M. Le


Royer.

Olivia était fébrile. Elle avait entendu la porte de


la salle d’attente et savait qu’il était là. D’ailleurs,
Déva elle aussi avait eu un mouvement de la tête.
Cette chienne l’étonnait toujours : elle avait une
sensibilité particulière, comme si elle pressentait les
choses avant tout le monde.

- Bonjour Monsieur Le Royer. Toujours aussi


ponctuel.
- Bonjour Madame Martin dit ‘il en lui tendant
la main avec un sourire.
- Vous semblez aller bien ? Je me trompe ?
- Non, vous ne vous trompez pas. Côté santé, je
supporte bien le traitement et d’après mon médecin,
tous les signaux sont aux verts.
- Oh, c’est une très bonne nouvelle. Vous
vouliez me rencontrer ?

Olivia avait du mal à cacher sa nervosité. Déva se


leva et alla se coucher aux pieds de Monsieur Le
Royer, qui machinalement posa sa main sur sa tête.

101
- Oui. J’ai rencontré votre amie, la
généalogiste. Nous avons beaucoup parlé et elle va
donc entreprendre des recherches concernant ma
fille. Je voulais vous remercier pour votre soutien.
Cela m’a fait beaucoup de bien. Vous êtes si
bienveillante et vous avez montré beaucoup
d’empathie à mon égard. Je tenais à vous manifester
ma reconnaissance à travers ce petit cadeau.
Et il lui tendit un petit coffret. Olivia, troublée et
émue, l’ouvrit. Une broche en ambre en forme de
triskèle.
- C’est un porte bonheur et vous le méritez.
- C’est très gentil à vous, je suis très touchée,
mais il ne fallait pas. Je ne peux pas accepter. Vous
savez, c’est mon travail d’être à l’écoute.
- Oui, mais tout le monde n’a pas autant à
donner que vous.
Et il insista pour qu’elle prenne le bijou. Ce
cadeau… il ne savait pas encore à qui il l’offrait.

Elle sentait qu’elle devait maintenant amorcer le


sujet. Elle avait sur son bureau le dossier avec les
actes d’états civils, le manuscrit et la photo.
- Je dois vous dire quelque chose. Je ne sais
pas par où commencer, c’est un peu… délicat
- Oui, qu’est ce qui se passe ?
Elle ouvrit le dossier et en sortit la photo qu’elle
glissa devant lui. Un silence. Même Déva ne
bougeait plus et ne le quittait pas des yeux, comme
102
si elle était prête à intervenir à la moindre de ses
réactions.
Il la prit, la regarda…
- Mais c’est la photo que je vous avais
montrée ! Je l’ai oubliée chez vous ? Pourtant je la
garde toujours dans ma poche
Et il porta sa main à sa veste pour vérifier, et en
ressortit la même en la regardant d’un air
interrogateur.
- Vous m’expliquez ? Comment pouvez-vous
avoir cette photo en votre possession ?
- La petite fille dessus, murmura-t-elle
doucement en le regardant, les larmes aux yeux,
c’est moi.

Il pâlit, resta quelques instants, les yeux rivés sur


la photo, sans voix. Il passait et repassait ses mains
sur son visage.
- Je ne comprends pas. Ce n’est pas possible….
D’où tenez-vous cette photo ?
- De ma mère
L’émotion qui s’emparait d’eux était palpable. Ils
se regardaient, incapable de prononcer un mot.
- Je suis votre fille, celle que vous cherchez
depuis si longtemps. Nous nous cherchons depuis
tant d’années.
- Oh ! Mon dieu ! Comment est-ce possible ?

103
Il s’écroula, en sanglot et Olivia ne put elle aussi
retenir ses larmes. Elle se leva de son fauteuil et alla
s’asseoir à côté de lui, mais n’osa pas lui prendre la
main, pourtant elle en crevait d’envie.
- Mais comment avez-vous su ? Depuis
quand ?
- Lors de nos différents entretiens, vous m’avez
relaté votre vie, les endroits où vous avez vécus. Et il
y avait plein de points communs avec ma vie. Et j’ai
retrouvé cette photo il y a quelques semaines dans
les affaires de ma mère, par hasard.
- Attendez, il y a quelque chose que je ne
comprends pas. Ma fille s’appelait Hélène et sur
votre plaque, il y a écrit « Olivia Martin ».
- C’est une longue histoire que je viens de
découvrir ce weekend. Et j’ai retrouvé, dans sa
maison dont j’ai hérité, des documents que ma
mère avait conservés pour moi. Oh, c’est très
compliqué et cela va l’être aussi pour vous.
J’ai fait des recherches à l’état civil sur les
conseils de mon amie.
- Vous êtes en train de me dire que quand vous
m’avez donné les coordonnées de votre amie, vous
aviez déjà des doutes et qu’elle était au courant ! dit
’il sur un ton un peu sec.
Il eut un mouvement de recul. Olivia se fit
rassurante.
- Oui, mais, je ne pouvais pas vous en parler
tant que je n’étais pas sûre. Cela aurait servi à quoi
de vous donner de faux espoir. Vous comprenez ?
104
Il se reprit.
- Pardonnez mon emportement. C’est
tellement inattendu tout ça. J’ai tellement rêvé,
espéré, ce moment. Je n’y croyais plus.
- J’en suis au même point que vous. Ecoutez, je
crois que ce bureau n’est plus approprié. Je ne peux
plus être votre thérapeute, vous comprenez ? Mais
vous devez connaitre la vérité. Voyez ce dossier là et
elle posa la main dessus, eh bien, là-dedans, il y a
toute, enfin, presque toute l’histoire. Ma mère a
laissé des écrits.
Elle cherchait ses mots et devait le préparer à
tout ce qu’il allait découvrir. Devait ’elle le laisser
seul avec ce dossier ? Elle n’en était pas sûre.
- C’est une histoire de fou. Quand je refais le
chemin, comment me suis-je retrouvé devant chez
vous ? Qu’est-ce qui m’a poussé à venir vous
consulter ?
J’ai une question : comment dois-je vous appeler
Olivia ou Hélène ? C’est compliqué, pour vous aussi,
certainement ?
- Pour vous, c’est Hélène, mais moi, je suis
Olivia et Hélène, je ne la connais pas, même si c’est
mon deuxième prénom, enfin je croyais. Il va falloir
que je m’y habitue. Et je comprends que cela soit
aussi dur pour vous. Il va falloir laisser faire le
temps.
Elle le vit tellement désemparé, perturbé qu’elle
ne pouvait pas le laissait repartir ainsi. Pas après
toutes ces révélations.

105
- Ecoutez, je ne peux pas vous laisser repartir
comme ça. Accepteriez-vous de passer la soirée chez
nous ?
- Oh, c’est très gentil dit ‘il un peu gêné, mais je
ne voudrais pas déranger. N’est-ce pas un peu
prématuré ? Tout cela va si vite. Et votre mari, que
va-t-il penser ?
- Vous savez, Alexandre est au courant, bien
sûr. Il m’a toujours beaucoup soutenu et il va être
très heureux de faire votre connaissance. Et, enfin,
vous devez vous douter que vous allez apprendre
des choses qui vont vous bousculer… . Je vous
propose qu’on le fasse ensemble.

Ils se levèrent en même temps, un peu gênés. Il


n’était pas préparé à la retrouver aussi vite. Il s’était
fait plein de films de leurs retrouvailles. Devait ’il la
prendre dans ses bras ? Devait ’il la tutoyer ? C’est
difficile après toutes ces années. Elle avait 38 ans et
la dernière image qu’il avait d’elle, c’était celle d’une
enfant de 2 ans.
Olivia se posait les mêmes questions : ce père
qu’elle retrouve enfin, qui lui a tant manqué. Elle
n’avait aucun souvenir de lui… Elle était trop jeune.
Tout ce qu’elle ressentait depuis des semaines
devenait réalité.
Ils allaient devoir apprendre à se connaitre,
dorénavant. Mais elle l’aimait déjà.
Déva se leva et se mit à côté de lui.

106
- Elle est étonnante votre chienne. Elle me
rappelle celle que nous avions lorsque nous étions
encore tous les trois. Vous ne pouvez pas vous en
rappeler, bien sûr. Je dois avoir des photos. Il faut
que je les cherche.
- J’ai toujours aimé cette race de chien. Leur
regard si expressif qui leur donne l’air malheureux -
toute la misère du monde - leur caractère à la fois
placide, gentil, dévoué, mais un peu cabochard. Et
c’est un réel bonheur de l’avoir chaque jour avec
moi. Elle m’aide, n’est-ce pas Déva ? Et c’est
curieux, d’habitude, elle met du temps pour aller
vers les gens, mais, avec vous, ce fut immédiat. Et
elle vous a adopté depuis le début. Peut-être qu’elle
avait tout compris. On dit que les animaux ont un
sixième sens.

Ils partirent ensemble, Déva les suivait.

Alexandre accueillit cet homme qui était donc son


beau-père avec beaucoup de gentillesse et
d’émotion. Il prit en charge la préparation du repas
et les laissa dans le salon. Il savait que ces instants
étaient précieux : ils avaient besoin de faire
connaissance. Elle lui raconta la maison, leur projet.
Il lui raconta cette même maison dans laquelle il
avait passé toute son enfance, mais dont sa mère
avait dû se séparer très vite au décès de son père,
faute de moyen pour la garder.
- Quand j’étais avec votre mère, nous allions
souvent nous promener sur cette côte si sauvage et
107
je lui avais montré la maison de mon enfance. Mon
père était marin et je n’y ai que des bons souvenirs.
C’est étrange que votre mère ait voulu la racheter
plus tard.
- J’ai hésité avant de décider de la garder. Vu
mon passif avec elle, je ne tenais pas vraiment à
cohabiter avec ses fantômes, mais quand on l’a
visitée, je n’ai eu aucun doute. Ce fut comme une
évidence. On s’y sentait si bien et je comprends
maintenant pourquoi. Il n’y avait pas que l’âme de
ma mère, mais aussi celles de mes ancêtres dans ces
murs.
Maintenant, il faut que je vous montre quelque
chose. Vous êtes prêt à tout entendre ?
- Oui, oui, ça va aller. Vous savez, j’ai eu le
temps de me préparer au pire. Et que peut ’il
m’arriver de plus grave ?

Elle lui montra l’acte de naissance de son frère.

Puis, Olivia lui remit le manuscrit et tout le


dossier révélant les secrets de sa naissance. Ce fut
une bombe pour son père. Il prit conscience qu’il
avait partagé la vie de cette femme sans savoir qui
elle était vraiment. Tous ces mensonges. Jusqu’à
falsifier des documents pour effacer toute trace de
leur vie sur cette terre. Une sorte de suicide
administratif. Des pensées contraires
l’envahissaient : de la colère, de l’incompréhension,
de la douleur, et presque de la compassion pour
cette femme qui semblait avoir tant souffert et qui
108
avait mené, comme elle avait pu, son combat, seule,
pour protéger sa fille, leur fille. C’est insensé. Et ce
fils qu’elle avait abandonné. Comment a-t-il pu
passer à côté de sa grossesse ? Il est vrai qu’à
l’époque, leurs rapports intimes étaient très espacés
et ils faisaient chambre à part. Il travaillait
beaucoup. Il lui en a voulu quand même de ne pas
lui avoir fait assez confiance pour se confier. On
aurait fait face ensemble dit ‘il tout haut. Je vous
aurai tous protégés.

Des silences, des larmes, des sourires, le bonheur


de se retrouver. Tous ces sentiments qui
s’entremêlaient dans leur esprit, qui se lisaient sur
leur visage.
Alexandre était resté en retrait, spectateur de leur
bonheur et de leur douleur aussi.
Déva était, comme à son habitude, couchée au
pied de Christophe.

Quand fut venu l’heure de rentrer chez lui,


Christophe se leva et prit la main de sa fille :
- Hélène, pardon, Olivia, je…, vous.., tu… Oh,
je suis maladroit…je ne sais pas…
- Ne dis rien, papa, et elle se surprit de
l’appeler ainsi, de le tutoyer aussi spontanément, on
est ensemble maintenant murmura-t-elle en se
blottissant dans ses bras.
Il caressa ses cheveux, ses joues.

109
- Tu m’as appelé papa. J’ai tellement rêvé de
cet instant Oh, ma chérie, ma fille chérie. Merci,
mon Dieu de me l’avoir rendue.
Et ce fils que je ne connais pas..
- On va le chercher ensemble, je te le promets
lui dit ’elle en lui prenant les mains.
Et il déposa un baiser sur son front et la regarda
dans les yeux, ces yeux si bleus.
- Tu as les mêmes beaux yeux que ma mère. Tu
l’aurais aimée. Elle était si douce.
Tu sais, la première fois que je suis venu sonner à
ta porte, ce fameux vendredi soir, j’ai eu cette
sensation étrange de te connaitre. Je t’en avais parlé
quelque temps plus tard. Tu me semblais si
familière. Tu sais, cette impression de déjà vécue,
comme si on reprenait la conversation commencée
la veille.
- Pour ne rien te cacher, tu m’avais touchée,
bien sûr par ce que tu me révélais de toi, mais pas
que… Je suis habituée, je partage tous les jours les
drames, les angoisses de mes patients, et leur joie
aussi, quelque fois. Mais, avec toi, j’avais en face de
moi un homme qui me rattachait à mon vécu par
toutes ces coïncidences…et aussi cette même
impression de parler à quelqu’un qui m’était
familier.
La vie est étrange quand même, aussi cruelle que
généreuse. A très vite, papa. Tu viens quand tu veux.
N’hésite pas à nous demander, si tu as besoin de
quelque chose.

110
- Ah, je vais quand même rappeler Mme
Boulay, ton amie, pour la remercier d’avoir accepté
de me recevoir.
- Il faut que je l’appelle aussi, on va avoir
besoin de son aide pour retrouver ma tante, la sœur
de ma mère.
- Pourquoi, veux-tu la retrouver ?
- J’ai besoin de comprendre, pourquoi n’a-t-
elle pas soutenu sa sœur ?
- Ce n’était peut-être pas aussi simple pour elle
aussi. Enfin, c’est toi qui vois. Tu es courageuse, ma
fille. Je t’aime fort.
- Moi aussi, papa, je t’aime depuis toujours,
même si je ne te connaissais pas. Et je te promets de
retrouver ton fils, mon frère.
- Va-t-il vouloir de nous ?
- Je ne sais pas… Mais on va tout faire pour
que cela fonctionne. Il n’y a pas de raison. Il faut y
croire. J’ai quelque chose à te demander…
- ….
- Ce bijou que tu m’as offert, pourquoi ?
- Je ne saurai pas te l’expliquer mais j’ai senti
qu’il était pour toi….Et je voulais te remercier. Nos
échanges me faisaient tellement de bien. Et puis nos
retrouvailles le confirment : il t’était destiné. Et
puis, je peux te l’avouer.
Elle serra la broche dans ses mains et se promit
de ne jamais la quitter.

111
Ils se quittèrent, heureux bien sûr, mais tellement
perturbés. Olivia se laissa tomber dans le fauteuil, la
tête entre ses mains.
- Ça va, chérie ? lui demanda Alexandre
- Oui, oui, ça va aller. Ça va si vite. Mais je
pense à lui, maintenant. Il va falloir l’aider. Il n’a
pas évoqué sa maladie, mais elle est là. On va devoir
vivre avec. Il va y avoir des moments extrêmement
difficiles. Mais peut être que maintenant qu’on s’est
retrouvé, cela va le stimuler pour se battre ?
- Ne t’inquiète pas. C’est un homme fort, ça se
voit. Je l’ai trouvé tellement touchant dans ses
émotions, tellement pudique en même temps. Tu
sais, je vous ai beaucoup observés ce soir : tu lui
ressembles. Cette façon de vous exprimer, je ne sais
pas comment dire…. Il y a déjà tellement d’amour
entre vous.
- C’est drôle, car je n’ai aucun souvenir de lui,
ma mère a bien pris garde de ne pas me laisser de
photos, mais c’est comme si je le connaissais depuis
toujours. C’est fort, les liens du sang. Il n’a jamais
cessé de m’aimer et moi, sans le connaitre, je l’ai
aimé aussi.
- C’est le miracle de l’amour.
- Mais dis donc, j’y pense. Notre voisin,
Charles le Dantec, a donc connu mon père. Tu sais,
ce petit garçon, dont il parle…
- Oh, mais tu as raison, on lui fera la
surprise…quand il viendra chez nous.

112
- Oui, oui, c’est une super idée. Pour le
moment, je ne lui en parlerai pas… On a autre chose
à se dire.
Olivia et Alexandre se couchèrent tard ce soir-là
et eurent du mal à trouver le sommeil. Trop
d’émotions.

113
Chapitre 13

Olivia n’eut aucun mal à retrouver son frère.


Profitant d’un séjour prolongé dans leur maison,
elle avait pris rendez-vous avec le notaire qui lui
avait remis le nom et l’adresse de l’établissement qui
avait pris en charge son frère, Olivier.
Sa mère n’avait pas précisé de quel handicap il
était atteint. Maitre Bouzic, à qui Olivia avait
expliqué la situation et à qui elle avait montré les
documents pour attester de sa bonne foi, lui confia
que suite à une malformation congénitale, il
souffrait d’une atrophie des membres inférieurs,
avec une paralysie partielle. Il avait été placé en
famille d’accueil, puis adulte, vivait dans un ESAT
dans le Trégor depuis toujours. Il avait maintenant
36 ans.
De retour à Plougrescant, elle fit part à son mari
de ses informations. La question était maintenant :
que savait ’il de son histoire ? Comment l’aborder ?
Elle décida de prendre rendez-vous avec le directeur
de l’établissement. Comment il va ? Comment il vit ?
Le directeur accepta de la recevoir dès le
lendemain.

Elle se présenta un peu en avance devant la grille


d’entrée. C’était un château avec un grand parc
boisé et des dépendances. Cela semblait agréable.
Elle entendait des rires, des gens qui parlaient. Elle
avait déjà été confrontée au monde du handicap lors
d’un de ses stages dans le cadre de ses études. Mais,
114
à l’idée de savoir que son frère y vivait, elle sentit
monter en elle une certaine appréhension, un nœud
à l’estomac. Elle respira à fond plusieurs fois et
sonna.

Elle remonta l’allée qui menait au château. Elle


sentait les regards des résidents sur elle. Sur sa
gauche, sous un arbre, trois hommes en fauteuil
discutaient en riant. Lequel d’entre eux est Olivier ?

Le directeur l’attendait dans le hall. Il la reçut


très chaleureusement dans son bureau.
- Merci de me recevoir. Je suis la sœur
d’Olivier le Bihan.
- Enchanté de vous rencontrer. J’ai été quelque
peu surpris par ce que vous m’avez appris au
téléphone. Nous pensions tous qu’Olivier n’avait pas
de famille. Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris.
Pouvez-vous m’en dire plus ?
Olivia lui fit un résumé de l’histoire et exprima
son désir de rencontrer son frère et ses craintes
aussi.
- Va-t-il accepter de me rencontrer ? Je suis
consciente que je suis une parfaite étrangère pour
lui.
- Oui, effectivement, Olivier s’est construit
chez nous, il travaille dans les ateliers. Il n’a jamais
évoqué le souhait de faire des recherches sur sa
famille. Il ne parle jamais de son passé. Cela va être
un choc pour lui, vous le comprenez, n’est-ce pas ?
115
- Bien sûr. Vous savez, je suis psychologue et
j’ai l’habitude de gérer des situations difficiles. Mais,
vous avez raison, cela me touche trop et je vais avoir
besoin de votre aide.
- J’ai une question : que comptez-vous faire
quand vous aurez établi un contact ?
- Ecoutez, je conçois que vous ayez des doutes.
Dans l’instant, ce qui m’importe, et à mon père
aussi, c’est de tenter de nouer une relation. Nous
savons qu’il faudra certainement du temps, peut-
être même beaucoup.
- Dans un premier temps, je vais vous
présenter son éducateur référent. Il le connait bien
et pourra davantage vous parler de lui.
- Je veux bien. Merci beaucoup.
Olivia prit conscience que cela pourrait être
beaucoup difficile qu’elle ne l’avait imaginé. Le
directeur appela l’éducateur qui arriva quelques
minutes plus tard. C’était un homme d’une
cinquantaine d’années, grand, au regard franc.
- Yvan, je vous présente Mme Olivia Martin, la
sœur d’Olivier le Bihan.
L’homme la regarda, surpris et la salua.
- J’ignorais qu’Olivier avait une sœur… Il ne
m’en a jamais parlé.
Olivia lui résuma la situation rapidement.
- Pourriez-vous me parler de lui. Comment est
’il ? Comment va-t-il ?

116
- Il a passé son enfance en famille d’accueil,
plusieurs à vrai dire, où cela ne s’est pas toujours
bien passé. Puis, de concert avec les services
sociaux, il a été décidé qu’il intégrerait cet
établissement. C’est un homme gentil, mais fragile.
Il a bien évolué et malgré son handicap, mène une
vie quasi normale. Il a suivi des études et a obtenu
un diplôme de menuisier, puis celui d’éducateur
spécialisé. Il est très habile. Nous l’avons donc
embauché et nous lui avons confié un groupe de
jeunes trisomiques qu’il initie au travail du bois :
fabrication de petit meubles, d’objets de décoration.
Il est très impliqué et possède de vrais qualités
humaines ; il est très apprécié des handicapés. Cela
lui a permis de prendre confiance en lui et d’avoir
un vrai rôle social dans cet établissement. D’ailleurs,
il a le projet de valider ces compétences pour
devenir éducateur technique. Il en a largement les
capacités.
- Donc, il travaille et réside ici ? C’est un beau
parcours, je croyais qu’il était chez vous en tant que
patient.
- Il a bénéficié d’un concours de circonstances.
Suite à un départ à la retraite, un poste d’éducateur
s’est libéré. Il se trouve qu’à ce moment-là, votre
frère venait d’obtenir son titre. Après concertation
avec l’équipe éducative, nous lui avons proposé un
contrat. Et il dispose d’un appartement dans les
dépendances du château, ce qui lui permet d’avoir
son autonomie.
- C’est magnifique. A-t-il déjà évoqué l’idée de
faire des recherches sur ces origines ? Que sait ’il de
notre mère ? Je sais qu’au décès de celle-ci, il a
117
hérité d’une somme d’argent. Comment a t’il vécut
cela ? Rassurez-vous je ne suis pas là pour faire
main basse sur son héritage, j’ai moi-même hérité
d’une maison à Plougrescant que nous sommes en
train de rénover avec le projet de nous y installer
définitivement en début d’année prochaine.
- Loin de moi cette idée. Pour répondre à votre
question, il savait que sa mère l’avait placé car elle
ne pouvait pas s’occuper de lui. Il lui en voulait de
l’avoir abandonné. L’annonce de ce décès ne l’a pas
affecté particulièrement, même si, il y a peu de
temps, il a échappé « Si ça se trouve, j’ai des frères
et sœurs et de la famille, mais ils n’ont certainement
pas envie de s’encombrer d’un handicapé » Et ce fut
la seule fois où il a fait ce genre d’allusions. Je pense
qu’il s’est fait à l’idée qu’il n’avait pas de famille.
C’est plus simple pour lui. Vous savez, il est plutôt
introverti et ne montre pas ses émotions.
- C’est souvent le cas des personnes qui ont
souffert dans leur enfance. Une forme de résilience.
Mais, je suis heureuse du parcours qu’il a fait chez
vous et je vous en remercie.
A votre avis, comment dois-je l’aborder ? Je ne
vous cache pas que je suis un peu angoissée à l’idée
de le rencontrer, peur qu’il me rejette, et je pourrais
le comprendre, mais en même temps, mon désir le
plus cher est de construire quelque chose avec lui.
- Soyez patiente avec lui. Au cours de ses
années, il est devenu mon meilleur ami et je ne
voudrais pas qu’il souffre à nouveau. Il a beaucoup
d’amour à donner, mais il s’est forgé une sacré
carapace qu’il va falloir percer. Il peut réagir de
118
manière, comment vous dire, violente
verbalement quand il sent agressé ou quand la
situation lui échappe.
- Ne vous inquiétez pas. J’ai moi-même eu
mon lot. Faites- moi confiance. Quand puis-je le
rencontrer ?
Yvan et le directeur échangèrent un regard et se
tournèrent vers Olivia :
- Dans une heure si vous voulez. Il est
actuellement en atelier avec un groupe. Je vais vous
indiquer où il habite et vous l’attendrez là-bas.
- Je vous remercie beaucoup. Puis-je attendre
dans le parc ?
- Pas de souci. Nous allons le prévenir que
quelqu’un l’attend devant chez lui après son cours.

Olivia prit congé d’eux et Yvan l’accompagna


pour lui indiquer où habitait son frère. Les
dépendances se situaient dans un coin du parc.
Yvan lui expliqua que ces bâtiments, autrefois des
écuries, avaient été entièrement rénovés et
aménagés. L’appartement d’olivier était au rez de
chaussée, d’accès facile. Tout avait été bien sûr
pensé pour lui faciliter la vie au quotidien.
- Voilà, je vous laisse. Voici mes coordonnées
dans le cas où… et bonne chance.
- Merci beaucoup.

119
Olivia disposait d’une heure environ avant de le
rencontrer, et tout en se promenant dans le parc,
réfléchissait à la manière dont elle allait aborder son
frère. Plus le temps passait et plus elle sentait
monter en elle de l’inquiétude. Elle repensa à ce que
lui avait dit l’éducateur. Et s’il refusait de
m’écouter ? Et si… Et si… elle respira à fond, se
persuada que tout irait bien. Elle avait fait une copie
du manuscrit et comptait le lui remettre.
L’heure approchait et elle se dirigea doucement
vers le studio. Elle attendit un peu en retrait, car elle
voulait l’apercevoir avant et lui laisser le temps de
rentrer chez lui. Elle se dissimula derrière un arbre
qui lui permettrait de voir sans être vue.
C’est alors qu’elle vit arriver un homme en
fauteuil, brun, cheveux longs attachés. Malgré son
handicap, il avait une belle carrure et ressemblait à
son père. Les yeux, le visage. C’était troublant. Il
introduisit sa clé dans la porte d’entrée, et avant de
la refermer, jeta un coup d’œil derrière lui.
Olivia se dirigea vers le studio et appuya sur la
sonnette. Quelques secondes plus tard, qui lui
parurent une éternité, la porte s’ouvrit. Olivier la
regarda.
- Bonjour, on m’a dit que vous souhaitiez me
rencontrer, mais on ne m’a pas donné votre nom.
On se connait ?
- Bonjour. Je m’appelle Olivia. Olivia Martin.
Elle avait décidé d’être directe.
- Enfin, mon nom de naissance est Olivia Le
Bihan.
120
Olivier resta quelques secondes interloqué, la
dévisagea. Il fit pivoter son fauteuil et lui fit signe
d’entrer. L’appartement était très lumineux,
sobrement décoré, bien tenu.
- Que voulez-vous ? On porte le même nom,
et….. Que venez-vous faire ici ? C’est un jeu ? Vous
faites des recherches sur votre arbre généalogique ?
- Je sais que ma visite est inattendue, mais je
ne me moque pas de vous. Je suis votre sœur.
Olivier, méfiant, lui répliqua :
- Ma sœur, quelle sœur ? Mais je n’ai pas de
sœur ! J’avais une mère, il parait, si on peut
l’appeler comme ça, qui n’a pas été foutu de
s’occuper de moi … !
- Oui, je sais tout cela. Elle est morte
récemment. Et j’ai découvert toute notre histoire
après son décès. J’ai été averti comme vous par
Maitre Bozic.
Elle sentait son frère très ému, mais il ne laissait
rien paraitre. Seul son silence parlait pour lui. Elle
reconnut la retenue qu’avait son père lors qu’il était
submergé par l’émotion.
Quand il revint à lui, il la regarda. Son regard
avait changé et Olivia reconnut dans ses yeux une
petite lueur… . Il fallait le rassurer.
- Vous savez, c’est une longue histoire. Je
comprends que vous soyez surpris. Je ne veux pas
vous mettre mal à l’aise. Quand j’ai eu connaissance
de votre existence, j’ai tout de suite voulu vous
connaitre et …
121
Elle hésita un peu
- Et…
Olivier ajouta
- Je suppose que je ne suis pas au bout de mes
surprises
- Vous avez raison. Votre père, notre père,
meurt d’envie de vous connaitre aussi.
Il fit un demi-tour avec son fauteuil.
- A parce que j’ai un père aussi ! Et lui, aussi, il
était d’accord pour m’abandonner ? Vous aussi, ils
vous ont balancé aux services sociaux ? Si c’est pour
me dire ça, ce n’était pas la peine, vous pouviez
rester chez vous et continuer votre vie. Voyez, moi,
je suis là, condamné à vivre dans ce fauteuil que je
hais et que j’ai 100 fois eu envie de balancer par-
dessus les rochers et moi avec ! J’ai trouvé dans cet
établissement, une famille et grâce à eux, à présent,
je suis devenu cet homme que vous avez devant
vous. Ils m’ont aidé, donné confiance en moi et j’ai
pu croire en la vie. Aujourd’hui, vous, vous
débarquez ! Vous me livrez tout ça en vrac !
Pourquoi ?
- Je comprends que vous soyez en colère, mais
c’est plus compliqué que ça. Laissez-moi au moins
vous expliquer et après vous déciderez si vous
souhaitez ou pas que nous apprenions à nous
connaitre.
Elle le sentait sur la défensive, et elle le
comprenait. Mais elle devait absolument rompre
cette barrière qu’il était en train d’installer entre
122
eux. Réflexe normal d’auto protection. La vie lui
avait appris à se blinder.
Et Olivia entreprit de lui raconter toute l’histoire
– son enfance, son mari, son métier, ce père qu’elle
cherchait, la maison, sans pour le moment faire
allusion au manuscrit, et au fur et à mesure de son
récit, elle voyait son frère se décomposer. Ses traits
étaient crispé, il pâlit et s’effondra, la tête entre les
mains. Il lui apparut si vulnérable. Elle avait envie
de le prendre dans ses bras, mais elle se retint. Elle
s’avança vers lui et mit sa main sur son épaule. Il se
ressaisit et eut un mouvement pour se dégager de ce
contact.
- Ce n’est pas possible ! Quelle mère peut faire
ça à ses enfants ? Pardon de vous avoir parlé ainsi,
mais vous savez, j’ai enfoui toute mon enfance
quelque part dans une valise et je n’ai pas envie de
la rouvrir. Mais, je me rends compte que pour vous
aussi, ce fut compliqué.
- Vous savez, moi aussi, je suis passée par tous
les états d’âmes. De la colère, de la révolte, de
l’incompréhension et puis j’ai un peu évolué.
Il fit reculer son fauteuil.
- Evolué ? Ne me dites pas que vous lui avez
trouvé des circonstances atténuantes !
- Je ne dirai pas cela, mais notre mère a eu une
enfance chaotique aussi. Ce qui n’excuse en rien la
façon dont elle a agi, bien sûr. Je vous laisse ça.
Vous prendrez le temps de le lire. Je ne vais pas
vous importuner davantage.

123
Et elle sortit de son sac les feuillets qu’elle avait
photocopiés et les posa sur la table. Elle mit la main
sur la poignée de la porte et se retourna :
- Tout ce que je vous demande, c’est de lire ce
qu’elle a écrit. Après, vous déciderez de ce que vous
voulez faire. Voici mon numéro de téléphone.
Elle posa sa carte sur la table. Il tournait et
retournait son fauteuil dans la salle, les mains
agitées.
- Oui, je vais lire tout ça. Qu’est-ce qui me dit
que c’est la vérité ? Quand elle m’a abandonné, j’ai
vécu en famille d’accueil où j’ai subi des
maltraitances. Et puis, je suis arrivé ici. Je vous le
redis, ma famille, c’est eux. On se ressemble : on a
tous quelque chose en moins. Et c’est ce qui nous
relie. On parle le même langage. J’ai des amis ici.
Alors, vous, vous débarquez, comme ça. Vous croyez
quoi ? Que je vais tomber dans vos bras ? Qu’on va
démarrer une relation frère/sœur comme s’il ne
s’était rien passé. On ne se connait pas et jusqu’à
maintenant, j’ai vécu sans vous. Alors, s’il vous plait,
laissez-moi ! Partez !
- Je comprends murmura Olivia, pâle comme
un linge, au bord des larmes.
- Non, vous ne comprenez rien. Vous, vous êtes
debout sur vos deux jambes. Tout va bien pour vous.
Sortez d’ici ! hurla-t-il

Il était dans un tel état de rage, de haine. Toute


son enfance remontait avec tout ce qu’elle avait de

124
violence, tout ce qu’il avait contenu pendant toutes
ces années.
Olivia resta interdite. Elle ne s’attendait pas à
tant d’animosité, tant de colère. Mais, au fond d’elle,
elle reconnaissait qu’il avait raison. Que croyait
’elle ? Elle contint ses larmes et partit sans se
retourner.

125
Chapitre 14

Olivia parcourut les 20 km qui la séparaient de


Plougrescant en mode « pilotage automatique ».
Elle conduisait de façon mécanique Son esprit était
resté chez son frère. Cet homme l’avait bouleversée.
Il dégageait une telle souffrance, une certaine
fragilité, une colère qui lui avait fait presque peur.
Elle était désemparée.

Elle n’eut aucun souvenir du trajet qu’elle fit pour


rentrer. Quand il entendit la voiture, Alexandre
sortit pour l’accueillir suivi de Déva qui bondissait
de joie autour d’eux. Il l’a pris dans ses bras.
- Je commençais à m’inquiéter. Est-ce que tout
va bien ? Tu l’as vu ?
Olivia se garda bien de lui dire de quelle façon
elle avait conduit sa voiture ce soir et le rassura.
- Oui, ça va. Je l’ai vu. Ce fut très intense. Ça va
être difficile.

Et elle lui relata leurs retrouvailles. Ce soir-là, elle


pleura beaucoup, consciente tout à coup de cet
immense gâchis, de la souffrance de son frère, de
leur souffrance à tous, dont l’origine était… sa mère.
Oui, mais pas seulement sa mère… . Cela remontait
à plus loin.
Elle se prit à imaginer ce qu’aurait pu être leur vie
à tous si tout avait été différent, des parents
126
normaux qui aiment leurs enfants, des grands
parents normaux, une vraie vie de famille.
Il fallait maintenant réparer ce qui restait de cette
famille. Elle songea au moment où elle avait décidé
de se reconvertir vers le métier de psychologue. Elle
avait à l’époque ressentit le besoin d’aider les autres.
Et son frère qui lui s’occupait des personnes
handicapées. C’est drôle, quand même, ce parcours
en parallèle. Ce besoin de se réaliser à travers
l’autre, peut-être pour conjurer le sort. On dit que
les métiers liés à la psychologie sont une thérapie
pour les praticiens.
Soudain, comme une évidence, elle sut ce qu’elle
allait faire ici. Elle allait suivre une formation pour
devenir psycho généalogiste. Rien n’arrive par
hasard. Réparer les familles, voilà ce qu’elle voulait.
Casser les « malédictions », éviter que les drames se
répètent. Voilà ce qui la passionnait. D’ailleurs,
quand elle repensait à tous les patients qu’elle eut à
accompagner, beaucoup, pour ne pas dire, la
plupart des leurs histoires étaient liées à leur
enfance, des non-dits, des secrets, et des histoires
qui se répètent de génération en génération … . De
façon intuitive, elle travaillait déjà dans ce sens.
Mais, elle savait qu’elle avait besoin de renforcer ses
connaissances et sa pratique et se promis de se
renseigner très vite sur les formations possible.
Sa vie professionnelle avait besoin d’un nouvel
élan et c’était le moment. Elle adorait son métier,
mais au fond d’elle, il lui manquait ce petit plus qui
lui permettrait de s’épanouir pleinement.

127
On était en juillet, le soir tombait et à cette
époque, les jours sont encore longs et ils décidèrent
de diner dans le jardin. Alexandre avait aménagé
une tonnelle sous un arbre avec un coin barbecue.
Ils savourèrent cet instant en se répétant pour la
énième fois qu’ils avaient quand même beaucoup de
chance. D’un commun accord, ni Olivia, ni
Alexandre n’évoquèrent les derniers événements.
Olivia fit part à son mari de son projet qui, comme à
son habitude, montra beaucoup d’enthousiasme.
- Super idée ! Je suppose que ce que tu es en
train de vivre n’est pas étranger à ta décision, je me
trompe ?
- Bien sûr, cela a été un accélérateur. J’ai
compris à quel point le mensonge peut être
dévastateur. Moi, j’ai eu de la chance quelque part…
- Comment ça ?
- Notre rencontre, notre amour. Tu es mon roc,
mon pilier et c’est grâce à toi que j’ai pu avancer. Et
c’est pareil pour Olivier, heureusement qu’il a été
placé dans cet ESAT… Je n’ose pas penser à ce qu’il
serait devenu. Tu sais, il m’a confié avoir souvent
songé à en finir avec la vie… C’est terrible. Alors,
oui, si je peux aider tous ceux qui sont malades de
leur histoire, alors, je pense que j’aurai accompli ma
mission.
Il la contemplait en souriant.
- Moi aussi, j’ai eu une chance terrible de
t’avoir… N’est-ce pas Déva, qu’on a de la chance de
l’avoir notre « maman » ? dit ’il en caressant sa
chienne. Comment vas-tu t’y prendre ?
128
- Je vais me renseigner sur les formations
existantes, contacter des confrères qui pratiquent
déjà. Et cela rentre dans le cadre de notre
changement de vie… . Cela tombe à point nommé.
Les travaux avancent bien. Tu penses qu’on sera
prêt pour le début de l’année, comme prévu ?
- Je pensais, pour les congés d’été, on pourrait
….
- Les passer ici, poursuivit Olivia en riant.
- Tout à fait, on pourrait avancer sur ce qui
reste à faire, tout en découvrant un peu plus la
région. J’ai pensé aussi à autre chose …
- A quoi donc ?
- Eh bien, on pourrait trouver un logement
pour ton père… ça vous permettrait de vous
retrouver et pour ton frère aussi… Vous retrouver
tous les trois, je crois que c’est le moment.
- Oh, ça me touche. D’autant plus que mon
père est malade… Il dit que ça va, mais qu’en est ’il
en réalité ? On a été pris dans un tourbillon et avec
tout ce qui vient de se passer, il n’a jamais reparlé de
son cancer.
- Quand vas –tu lui parler d’Olivier ?
- Pas tout de suite. Olivier est dans un tel déni,
une telle haine. Il va lui falloir du temps, beaucoup
de temps je pense. J’espérais tellement de cette
rencontre. Il m’a assuré qu’il lirait le manuscrit.
Peut-être que cela va provoquer chez lui un déclic. ?
Maintenant, c’est lui qui a les cartes en main et je
n’attends plus qu’une chose : qu’il me contacte.
129
Alexandre se voulait réconfortant, mais au fond
de lui, il se demandait si elle n’avait pas ouvert là la
boîte de Pandore. Qu’allait ’il en sortir de positif ? A-
t-on le droit de bousculer la vie de quelqu’un ? Mais,
il garda pour lui ses réflexions :
- Ecoute, il faut y croire. N’est-ce pas toi qui dis
toujours qu’il faut rester positif ? On en a vu
d’autres, il me semble, non ?
- Oui, mais, là, je me demande si j’ai bien fait.
- Tu sais quoi, on va aller faire un tour. Cela va
te faire du bien et il y en a une qui n’attend que ça.

Le lendemain, Alexandre fut le premier levé et


comme d’habitude alla voir Déva. Qu’elle ne fut pas
sa surprise de trouver son panier vide. Il examina
toutes les pièces de la maison. Elle était introuvable.
Quand il se rendit compte qu’ils avaient mal fermé
la porte d’entrée, hier soir, il se précipita dans le
jardin, fit le tour de la maison… La chienne n’était
plus là. Il courut réveiller Olivia.
- Chérie, vite ! Lève –toi ! Déva a disparu !
Olivia se redressa, à peine réveillée :
- Qu’est- ce qu’il se passe ?
- Déva a disparu ! On a mal fermé la porte hier
soir et elle n’est pas dans le jardin.
Oliva bondit hors du lit, enfila un jean, un Tshirt,
une veste et ses baskets. Ils prirent leurs portables
et s’élancèrent vers le jardin. C’est alors qu’ils virent
le petit portail entrouvert.
130
- Le portail, elle est passée par là. C’est de ma
faute, dit Alexandre, je devais changer la poignée.
- Bon, réfléchissons. Déva n’est pas une
chienne fugueuse. Il a dû se passer quelque chose
pour qu’elle parte ainsi. Maintenant, la question
est : où est ’elle allée ?
Alexandre était en panique. Olivia tenta de le
raisonner.
- Le seul chemin qu’elle connaisse, c’est celui
qui mène sur la côte… . On pourrait essayer de ce
côté-là. Elle ne doit pas être bien loin.
- Et si on nous l’avait volée ?
- Mais non, il y a peu de chance, elle est
méfiante avec les gens qu’elle ne connait pas. Bon,
allez, ne perdons pas de temps, on y va.

Ils partirent en courant vers la côte. Le chemin


faisant le tour de la presqu’ile : elle avait pu prendre
à gauche comme à droite. La côte était jalonnée de
rochers, énormes blocs de granit sculptés par les
éléments depuis des millénaires. Un lieu magique,
mystérieux, où l’imaginaire flirte avec le réel. A tout
moment, on s’attend à croiser un korrigan, une fée,
un personnage des légendes celtes, mais lieu de tous
les dangers aussi, quand la tempête fait rage, quand
les rochers sont humides, les chutes sont faciles.
Alexandre proposa de partir chacun dans une
direction opposée.

131
- Moi, je vais vers le gouffre et toi vers la pointe
du château. Le premier qui la trouve appelle l’autre.
- Ok. Ça va aller, le rassura Olivia. Son
intuition lui disait que leur chienne n’était pas
perdue.

Alexandre emprunta le sentier qui menait au site


du gouffre. C’est un amas de rocher séparés par une
énorme faille qui donne directement dans la mer.
C’est un endroit très dangereux ; on peut glisser
facilement et il priait le ciel que Déva n’est pas eu
l’idée d’aller fureter par là. Le sentier formait une
boucle. Tout en courant, il appelait sa chienne. Elle
répondait toujours à son nom. Rien.
Il continua en direction de Pors Scaff, zone
jalonnée d’un amas de rochers et d’une plage. Plus
facile d’y repérer quelqu’un. On était à marée basse
et cela permettait d’avoir une vision plus large.
Toujours rien. Il examina tous les recoins, tous les
rochers. L’inquiétude commençait à le gagner. Mais
peut-être qu’Olivia aura eu plus de chance de son
côté.
Olivia prit le chemin à droite, vers l’Est qui
menait vers la pointe du château. Le sentier montait
un peu, elle arriva sur un plateau qui ouvrait sur une
large vue vers la mer. Elle contourna la maison
qu’on appelait le château et le sentier la conduisit à
travers la forêt vers une petite anse de sable et de
cailloux.
- Déva, Déva, criait ’elle

132
Soudain, elle entendit un aboiement et reconnu
celui de leur chienne. Cela venait de derrière un
rocher. Elle se précipita et trouva Déva à moitié
couchée sur un corps.
Son cœur bondit dans sa poitrine. Ce corps,
c’était celui de son père. Il était allongé sur le dos,
ses vêtements trempés. Elle hurla :
- Papa, mais qu’est que tu fais là ? Que s’est ’-il
passé ? Tu m’entends ? Réponds –moi !
Il était inconscient et respirait faiblement. Elle
lui prit la main, la serra fort contre elle, le couvrit
avec sa veste. Elle envoya un message à son mari
pour qu’il appelle les secours. Elle regarda Déva, elle
avait posé sa tête sur les jambes de Christophe.
Celui-ci tremblait de froid. Elle priait pour que les
pompiers arrivent rapidement.
Elle ne cessa de lui parler jusqu’à l’arrivée de
l’ambulance qui en chemin avait récupéré
Alexandre.
- Ma chérie, mais que s’est ‘-il passé ? Que fait
Déva ici ?
- Je ne sais pas. Je l'ai trouvé, Déva couché sur
Papa, ici. Il est trempé. Il respire. J’ai eu si peur !
- Mais que fait Déva ici ?
- Je ne sais pas, je ne comprends pas.
Ils interrogèrent les pompiers sur l’état de
Christophe qui les rassurèrent.
- Il est en hypothermie. Savez-vous ce qu’il
faisait là ?
133
- Non, en fait notre chienne s’est enfuie dans la
nuit et c’est en la cherchant qu’on les a trouvés la
tous les deux.
- Quoi qu’il y ait eu, il lui doit la vie, car en se
couchant sur lui, elle lui a communiqué un peu de
chaleur et heureusement qu’on n’est pas en
hiver….Nous allons le transporter à Paimpol pour
des examens complémentaires.

Oliva les accompagna et Alexandre rentra à la


maison avec Déva qui le suivit docilement. Il
regardait sa chienne. Il connaissait l’instinct
sauveteur de cette race de chien, mais il lui
manquait quand même quelques éléments pour
comprendre comment elle avait pu se retrouver à
côté de lui. Peut-être que quand Christophe serait
en état de parler, il pourrait leur en dire plus.
Il caressa Déva qui lui donna la patte en le
regardant avec toujours cette même expression de
gentillesse.
La journée fut longue à attendre des nouvelles.
Olivia devait le rappeler pour qu’il aille la chercher.

Dans le milieu de l’après-midi, Olivia l’appela


pour qu’il aille la chercher à l’hôpital. Il partit de
suite. Tout le long du trajet, il ne cessait de penser à
ce qui venait de se passer. Que faisait Christophe ici
et comment leur chienne s’est retrouvée avec lui.

134
Chapitre 15

Quand elle pénétra dans le hall de l’hôpital, son


esprit fit un retour vers le passé. Elle se revit, elle et
son mari, leur cher petit, si pâle, la peau
transparente. Pourtant, il avait toujours gardé son
sourire angélique. Il était si courageux. Cela avait
été si vite. Elle se souvient comme si c’était hier le
jour de l’annonce par le pédiatre. Une bombe. En
quelques secondes, tout leur univers s’effondrait. Il
n’avait que huit ans. Trois mois plus tard, c’était
fini. Leur petit ange s’était envolé. Et aujourd’hui,
franchir à nouveau l’entrée d’un hôpital était une
torture. Cette odeur d’alcool, d’éther, les bruits des
machines, ce BIP incessant. Et toutes ces blouses
blanches qui s’affairent. Et elle pensa à son mari qui
devait la rejoindre plus tard.

Christophe reposait, une perfusion à son bras. Il


était toujours inconscient. Les premiers examens
n’avaient rien révélé au niveau fractures ou
contusions. Olivia avait pu rencontrer les membres
de l’équipe médicale et les avait informés de l’état de
santé de son père. Ceux-ci se mirent en rapport avec
l’oncologue qui le suivait.
Ils se firent rassurants quant à ce qui venait de se
passer : il ne devrait pas tarder à se réveiller. Il
semblerait qu’il soit resté longtemps sur cette plage,
mouillé.

135
Olivia attendait son mari dans le couloir et le mit
au courant des dernières conclusions des médecins.
Ils entrèrent dans la chambre et s’avancèrent
doucement vers le lit. Olivia prit les mains de son
père :
- Papa, c’est moi, Olivia… enfin, Hélène. Et
Alexandre est là aussi. Tu m’entends. papa ?
Il respirait calmement et restèrent quelques
instants ainsi, la main dans la main, quand elle
sentit une pression sur ses doigts. Puis, il ouvrit
doucement les yeux.
- Où suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ?
murmura-t-il en reconnaissant sa fille.
- Papa, tout va bien, tu es à l’hôpital. On t’a
retrouvé à Plougrescant, inconscient sur la plage.
Il mit quelques instants à répondre, comme s’il
cherchait à se souvenir…
- A Plougrescant ? Mais qu’est-ce que je … Je
me souviens, j’avais froid, j’étais mouillé…
- Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? Il semblerait
que tu y aies passé la nuit…. Tu te rappelles de
quelque chose ?
- C’est trouble, j’ai du mal…. Je me rappelle
que votre chienne était à côté de moi…. Je crois
qu’elle m’a sortie de l’eau.
- Prends ton temps. L’essentiel est que tu sois
sain et sauf. La mémoire va te revenir. Les médecins
vont te garder en observation un jour ou deux, et
puis on te ramènera à Laval.
136
Les médecins avaient échangé avec Olivia et
Alexandre sur la santé de Christophe. D’après
l’oncologue, de nouvelles métastases se
développaient et Christophe l’avait appris il y a
quelques jours, lors de son rendez-vous de suivi.
Olivia repensa à leur dernière rencontre, ce
vendredi. Il lui avait dit que tout allait bien…
Olivia sentit comme un coup de poignard dans
son corps Ce n’est pas possible On vient de se
retrouver Il ne sait pas encore qu’il doit rencontrer
son fils, peut être. Il ne peut pas mourir maintenant,
pas déjà. Un sentiment d’impuissance, d’injustice
l’envahit. Elle se refusait à envisager de perdre ce
père qu’elle attendait depuis si longtemps. Et elle se
surprit à prier. Pour lui, pour Olivier, pour eux. Elle
n’était pas forcément très croyante, mais comme la
plupart des gens qui se trouvent face à l’inéluctable,
le besoin d’invoquer Dieu ou peu importe le nom
qu’on lui donne, s’impose.
« Mon Dieu, protégez-nous. Aidez-nous. Vous
nous avez déjà pris notre enfant… Pas notre père,
pas maintenant. Il doit vivre. Il a encore des choses
à faire sur cette terre. On a besoin de lui. On a tant à
partager. »
- Papa, on va te laisser te reposer, on revient
demain. Ne t’inquiète pas, on est là.
Et elle déposa un baiser sur son front.

Alexandre et Olivia regagnèrent leur maison.


Déva leur fit la fête dès leur arrivée, s’assit à leur

137
pied en les regardant, comme si elle les
questionnait.
- Toi, tu es une drôle de bestiole. Dommage
que tu ne puisses pas parler, on aurait besoin de
quelques explications. dit Olivia en lui prenant la
patte et la caressant
Je vais appeler Olivier : il faut qu’il soit au
courant, qu’en penses-tu ? demanda-t-elle à
Alexandre.
- Attends un peu. Crois-tu que ce soit le bon
moment pour envisager une rencontre ? Tu ne sais
pas ce qu’il compte faire. Cela fait beaucoup pour
tout le monde en peu de jours. Il faut déjà
comprendre ce qu’il faisait là à Plougrescant sur
cette plage, qui plus est avec Déva. On y verra plus
clair. Ensuite, on avisera.
Elle reconnaissait bien là son mari : pragmatique
et réfléchi. Il avait raison.
- Bon, ok. On verra demain. La question est :
que fait-on s’ils le laissent sortir demain ? On rentre
à Laval et on le ramène chez lui ? Ici, la maison n’est
pas vraiment prête pour l’accueillir. Et quand est-ce
qu’à lieu sa prochaine séance de radiothérapie ?

Ils convinrent d’attendre le lendemain pour


prendre les bonnes décisions. La journée avait été
difficile. Ils s’installèrent dans le jardin et
savourèrent la quiétude qui y régnait. Au loin, on
entendait les mouettes, le bruit des vagues se jetant
sur les rochers. Ils laissèrent leur esprit vagabonder
et se projetaient dans leur vie future, ici.
138
Le lendemain, ils se présentèrent à l’hôpital dans
la matinée. Ils trouvèrent Christophe éveillé, assis
dans le lit, le dos adossé aux oreillers. Il avait les
traits tirés, mais il les gratifia d’un immense sourire
dès qu’il les vit.
- Mes enfants ! Que je suis heureux de vous
voir ! Pardon de vous avoir créé tant de soucis.
Ils s’installèrent de part et d’autre du lit.
- Papa, comment vas-tu ? Oui, on a eu bien
peur, mais il faut que tu nous expliques… Que
faisais-tu là-bas avec Déva ?
- Je me doute que vous devez vous poser bien
des questions et je vous dois la vérité. Comment
vous dire ? Quand on s’est vu vendredi, Olivia, je
t’avais dit que tout allait mieux pour moi. En fait,
j’ai refusé d’entendre ce que l’oncologue m’a dit : les
métastases ont gagné du terrain. J’ai été pris de
panique. A ce moment-là, je ne savais pas encore
qui tu étais. Et quand je suis rentré chez moi, le soir,
j’ai soudain réalisé que mes jours étaient comptés.
Et puis, tu m’as tout révélé. Tu m’avais parlé de la
maison et j’ai voulu la revoir. Mais je ne savais pas
que vous étiez là ce weekend. Je suis parti dimanche
soir. Vous comprenez, j’y ai tous mes souvenirs
d’enfance. Quand je suis arrivé, j’ai vu votre voiture.
Il était tard. Je n’ai pas voulu vous réveiller. Alors, je
suis allé garer ma voiture sur le parking du gouffre
où je me suis endormi. Il faisait nuit, mais le ciel
était clair : c’était la pleine lune. Quand je me suis
réveillé, c’était très tôt le matin, le jour commençait
à poindre. Et je suis revenu à pied chez vous. Je suis
resté un moment à contempler cette maison, à me
139
remémorer tous ces doux moments passés avec mes
parents et mes grands-parents. Puis, j’ai marché
vers la mer, j’ai refait les promenades de mon
enfance avec mes parents et mes pas m’ont mené
jusqu’à cette plage où nous allions à la pêche aux
coquillages. Je suis entré dans l’eau et j’ai glissé sur
un galet. Soudain, j’ai entendu aboyer derrière moi
et j’ai vu débarquer Déva. Je me rappelle l’avoir
entendue pleurer quand j’étais devant chez vous.
Elle a dû me reconnaitre et m’a suivi.
- On s’est rendu compte le matin qu’elle avait
disparu : la porte d’entrée était reste entrouverte et
le portillon au fond du jardin qui donne sur le
sentier ferme mal. Ce qui est hallucinant, c’est que
non seulement elle t’a reconnu, mais c’est qu’elle a
senti que tu étais en danger.
Christophe poursuivit son récit :
- Je n’arrivais pas à me relever, elle a attrapé
mon bras et m’a tiré sur le sable et puis, c’est le trou
noir…
- On était parti à sa recherche et c’est là qu’on
t’a trouvé, inconscient sur le sable, Déva couchée sur
toi. Le pompier nous a dit qu’elle t’a sauvé la vie en
te communiquant un peu de sa chaleur.
- Oh ! C’est extraordinaire. Elle me rappelle ce
chien que nous avions quand tu étais toute petite et
avec qui tu passais beaucoup de temps. J’ai lu
quelque part que ces chiens ont un instinct pour le
sauvetage particulièrement développé.
- Tu sembles aller mieux. As-tu vu les
médecins ?
140
- Non, pas encore
Et au même moment, la porte de la chambre
s’ouvrit et le médecin entra.
- Bonjour, Monsieur Le Royer. Comment vous
sentez-vous aujourd’hui ?
- Bien, enfin, mieux. Je me rappelle de ce qui
s’est passé dit ’il en jetant un coup d’œil à Olivia et
Alexandre qui acquièrent de la tête, Je peux sortir ?
- A priori, vos constantes sont bonnes. Rien ne
s’y oppose. J’ai échangé avec votre médecin. Vous
devez faire une séance de radiothérapie cette
semaine. Vous allez pouvoir rentrer chez vous. Mais,
plus d’imprudence, d’accord. Je vais demander une
ambulance, c’est préférable.
Olivia intervint :
- Ecoutez ce n’est pas la peine, nous devons
rentrer en Mayenne également et nous allons le
ramener avec vous.
- Bien. Dans ce cas, je vais signer les
documents tout de suite. Bon retour, Monsieur Le
Royer et prenez soin de vous. Et plus d’expédition
de ce genre…
- Promis. Merci docteur.

Olivia et Alexandre sortir de la chambre pour


laisser Christophe s’habiller.

141
- On va donc rentrer à deux voitures. Je
prendrais celle de ton père et toi, tu feras la route
avec lui.
- Oui, c’est mieux. On va déjeuner avant de
partir. Cela lui fera plaisir de voir la maison.

Quand, ils arrivèrent à Plougrescant, Olivia


déposa son mari au parking du gouffre où les
attendait la voiture de Christophe. Puis, ils
rentrèrent à la maison.
C’est avec beaucoup d’émotion que Christophe
franchit le seuil de la porte d’entrée. Un flot de
souvenirs l’envahit. Ils avaient bien avancé dans les
travaux, mais n’avaient pas changé la disposition
des pièces…. Pour le moment, juste un bon
rafraichissement. Il avait les larmes aux yeux.
- Oh, mes enfants, que je suis heureux que
cette maison vous revienne. Tout est intact. Comme
si c’était hier.
Il senti quelque chose d’humide lui toucher la
main. Déva les avait entendus et c’était approché
tout doucement, comme à son habitude.
- Ah, ma belle ! Merci de m’avoir sauvé, merci
d’avoir veillé sur moi.
Il s’accroupit et la caressa. Déva s’assit et lui
donna la patte tout en lui léchant la main.
- Je crois qu’elle ne va plus te lâcher,
maintenant dit Olivia en souriant. C’est un vrai
bonheur, cette chienne.

142
Ils lui montrèrent les travaux qu’ils avaient
effectués, expliquèrent leur projet.
- C’est un beau projet. Vous avez raison, on n’a
qu’une vie et il faut aller au bout de ses rêves.
Et son visage s’assombrit tout à coup.
- Qu’est-ce qu’il y a Papa ? Tu ne te sens pas
bien ?
- Si, si, ça va. C’est juste que je viens de réaliser
que l’on se verra moins souvent. Pardon, c’est très
égoïste de ma part. Ma vie est finie et vous avez la
vôtre à vivre.
C’est Alexandre qui prit la parole.
- Christophe, vous permettez que je vous
appelle Christophe ?
- Oh bien sûr, vous, enfin, tu peux aussi me
tutoyer..
- Merci. Alors, je pense à quelque chose …
Pourquoi ne viendriez –vous pas vous installer par
ici ?
Olivia ajouta
- Mais oui, on va te chercher un petit
appartement en ville pour que tu aies tout ce qu’il te
faux et tu pourras de la même façon continuer ton
traitement. Qu’en dis-tu Papa ?
- Justement, puisqu’on en parle, concernant
mon traitement, il faut que je vous dise…
- Oui, on est au courant. Le médecin nous a dit
pour l’évolution de ta maladie.
143
- Ce fichu cancer gagne du terrain, je sais que
je suis fichu. Je ne veux pas que l’on s’acharne et je
ne veux pas servir de cobaye.
- Papa ! s’écria Olivia malgré elle. Rien n’est
jamais définitif, dans un sens comme dans l’autre.
Tu vas me faire le plaisir de te battre ! On va le
combattre ensemble, ce putain de cancer ! Je suis là
maintenant. Tu n’es plus tout seul. Tu connais la
région, tu as tes souvenirs ici, oui, je sais, pas que
des bons... Mais ce qui compte c’est comment on va
avancer maintenant. On va faire en sorte que tu
puisses déménager en même temps que nous.
- C’est gentil de vous préoccuper de moi, mais
je n’ai pas de gros moyens..
- Ne t’inquiète pas pour ça. L’important, pour
l’instant c’est que tu te soignes, d’accord ?
- Je voulais te demander, pour Olivier, est-ce
que tu as quelque chose ?
Olivia échangea un regard avec son mari et
répondit avec un peu d’hésitation :
- Euh, non pas pour le moment, mais…
- Mais, quoi, tu sais quelque chose ?
- Je ne peux rien te dire encore. J’ai des pistes,
mais rien de sûr. Je dois vérifier avant. Pas la peine
de se donner de faux espoir, n’est-ce pas ? Ne
t’inquiètes pas, tu seras le premier au courant,
promis lui assura-t-elle en lui prenant les mains.

144
- Tu sais, mon vœu le plus cher maintenant est
de vous voir réunis, lui et toi. Après, je pourrai
partir tranquille.

Olivia ne supportait pas d’entendre son père


évoquer la mort. Il en parlait si sereinement. Elle se
remémora l’homme qui avait débarqué un soir dans
son cabinet, désespéré. Il avait fait tant de chemin
en si peu de temps. Cela lui paraissait si loin, et
pourtant c’était il y a deux mois à peine.

Ils rentrèrent en Mayenne ce soir-là. Olivia


conduisit la voiture de son père qui l’accompagnait
et Alexandre les suivait avec Déva à l’arrière.
Olivia et Christophe échangèrent peu de mots,
chacun dans ses pensées. Christophe, fatigué par
son aventure, somnolait et Olivia tout en restant
vigilante sur sa conduite, était envahie par un flot
incessant de pensées.
Elle eut soudain conscience que la vie avait
ouvert un nouveau chapitre de leur existence. Elle
repensa à Olivier. Que faisait ’il en ce moment, avait
’il lu les feuillets ?

145
Chapitre 16

Cela faisait trois semaines qu’ils étaient rentrés.


Olivia rendait visite à son père régulièrement. Il
avait recommencé son cycle de radiothérapie et
semblait vouloir se battre. Il avait même passé les
weekends chez eux. Alexandre et lui s’entendaient
bien, ce qui ravissait Olivia. Une vie de famille… Ils
n’étaient pas revenus en Bretagne depuis cette
histoire, Alexandre avait des dossiers à traiter en
urgence. Ils avaient prévu de s’y rendre ce weekend.
Mais pas de nouvelles d’Olivier…

Ce jeudi soir, elle venait de raccompagner son


dernier patient. Elle consulta son téléphone : un
message d’Azilis qui lui proposait de passer un
moment avec elle et trois d’un numéro inconnu qui
n’avait rien laissé sur le répondeur. Elle se promit
de rappeler plus tard. Elle espérait que ce soit
Olivier, mais elle appréhendait aussi cet appel.

Olivia rejoignit Azilis à son bureau. Elle trouva


son amie fatiguée, les traits tirés. Son métier lui
prenait beaucoup de temps et elle avait du mal à
prendre du temps pour elle.
- Oh, je vois quelqu’un qui n’est pas dans ses
meilleurs jours… Que se passe-t-il ? Tu as mauvaise
mine, ma chérie.
Azilis sourit.

146
- On ne peut rien te cacher. Juste un peu
fatiguée. J’ai eu des dossiers compliqués qui m’ont
obligée à beaucoup de déplacements. Mais ça va
aller.
Son métier l’obligeait à de fréquents
déplacements, parfois à l’étranger pour consulter
des registres d’états civils, rencontrer des familles.
- Tu sais, il y a quelque chose qui s’appelle « les
vacances »… tu connais ?…demanda Olivia
- Oui, je sais, mais ce n’est pas à l’ordre du
jour. Et toi, comment ça va ? Tu as des nouvelles de
ton frère ?
- Non, toujours pas. Cela fait maintenant trois
semaines… Je pensais, enfin, j’espérais qu’il aurait
réagi à la lecture des écrits de notre mère. Mais, tu
l’aurais vu, il était tellement remonté, il m’a presque
fait peur. Mais, je comprends. Son chemin de vie
n’a pas été simple. Son handicap, les maltraitances
en famille d’accueil. Et moi, qui débarque pour
déterrer un passé qu’il avait enfoui !
- Que vas-tu faire ?
- Que veux-tu que je fasse ? Le recontacter ?
Non, c’est lui qui a les clés maintenant et je dois lui
laisser le temps.
- Et ton père comment il va ?
Olivia lui avait raconté ses péripéties.
- Aussi bien qu’il peut. On se voit souvent. Tu
sais, j’ai enfin la sensation d’avoir une vraie famille,
enfin presque.

147
- Tant mieux, je suis heureuse pour vous dit
Azilis en se levant. Elle sortit une enveloppe d’un
tiroir du bureau et la remit à son amie qui la
regarda, interloquée.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Tiens. Ouvre, j’ai fait ce que tu m’as
demandé. Les recherches sur ta tante…

Oliva prit le dossier, tremblante.


- Oh, je l’avais momentanément oubliée celle-
ci ! Bon, que vais-je encore découvrir ?
- Rien de particulier. Juste son adresse.
La sœur de sa mère, Dominique vivait au Mans,
dans le centre de la ville. D’après les informations
qu’avait obtenues Azilis, elle vivait seule. Elle était
divorcée et avait 2 enfants, fille et garçon.
Olivia connaissait bien cette ville. Elle adorait la
vieille cité, ses ruelles pavées, ses maisons à
colombage, ses anciennes échoppes transformées en
boutiques occupées par des artisans d’art.
Passionnés d’histoire, amoureux des vieilles
demeures, Ils y allaient de temps en temps. Et dire,
qu’elle habitait là, celle qui n’avait pas été capable
de soutenir sa sœur… songea Olivia.
- Merci beaucoup. Je ne sais pas comment tu
as fait, mais c’est la pièce qui manquait au puzzle.
- Que vas-tu faire maintenant ?

148
- Pour le moment, je mets cela de côté. Le
moment n’est pas encore venu pour moi de lui
demander des comptes.
- Tu as raison. Chaque chose en son temps.
Olivia dévisagea son amie ; elle n’aimait pas la
voir ainsi. Pas que de la fatigue, mais un certain
coup de blues. On approchait de la date anniversaire
de la mort de son mari.
- Dis-moi, je pensais, tu pourrais venir passer
un peu de temps avec nous en Bretagne ? Cela te
ferait le plus grand bien.
Azilis avoua à Olivia ce que celle –ci avait
pressenti.
- Tu sais, cette période m’angoisse toujours, tu
sais pourquoi. J’accepte ton invitation, mais après.
J’ai besoin de me retrouver seule. Ne t’inquiète pas,
ça va aller. Promis, après je viens.
- Compte sur moi pour te le rappeler.

Quand elle rentra chez elle, Alexandre était


occupé sur son ordinateur. Elle lui fit part des
appels qu’elle avait reçus. Il s’apprêtait à lui
conseiller de rappeler, quand au même moment,
son téléphone sonna. Toujours le même numéro.
Elle respira à fond et décrocha.
- Olivia ?
Elle reconnut sa voix.
- Olivier ?
149
- Oui, c’est moi. Ecoutez, j’ai mis du temps
pour vous appeler. Après la séance que je vous ai
faite l’autre jour, je ne savais pas trop comment vous
alliez réagir. Je ne sais pas ce que vous avez pensé
de moi…Je m’excuse et je souhaiterai que l’on se
rencontre. Est-ce possible ?
Olivia, surprise et très émue, sentait son cœur
battre très fort. Enfin, pensa-t-elle, il a fait un pas…
Pourvu que ce soit dans le bon sens.
- J’avoue que votre réaction m’a perturbée et
en même temps, je peux comprendre. Nous pensons
venir en Bretagne ce weekend, si vous avez un peu
de temps…
- Cela me va. Disons, dimanche après-midi…
- Très bien, à dimanche alors et bonne journée.
L’échange fut bref. Olivia raccrocha très vite. Elle
n’était pas très à l’aise au téléphone, surtout dans ce
genre de situation.
Alexandre qui avait suivi de loin la courte
conversation demanda :
- Alors, c’est Olivier, n’est-ce pas ? Il veut te
voir ?
- Oui, c’est ça. Il s’est excusé pour son
comportement. Ouf ! On va peut-être pouvoir enfin
repartir sur de nouvelles bases.

Le dimanche suivant, comme prévu, Olivia se


rendit chez son frère. Celui-ci l’attendait. Il ouvrit la

150
porte avant qu’elle ait eu le temps de sonner.
Visiblement, il devait guetter son arrivée.
Il l’accueillit avec un large sourire et ce regard qui
lui rappelait leur père, et la pria d’entrer. Ils se
regardèrent un peu gênés, ne sachant pas quelle
attitude adoptée, leur altercation passée étant
encore très présente dans leur esprit. Après
quelques banalités, ce fut lui qui rompit la glace le
premier.
- Merci d’être venu Olivia, je n’étais pas
sûr….après ce qui s’est passé…
- N’en parlons plus, pour ma part, c’est oublié.
Bien sûr, j’ai été meurtrie, car je m’étais faite une
autre idée de nos retrouvailles… mais je comprends,
vous savez.
- Merci. Je vous en prie, asseyez-vous. Voulez-
vous un café ou autre chose ? J’ai fait des biscuits.
- Un café, ç’est parfait. Oh, vous êtes pâtissier ?
- A mes heures, ça me détend et les résidents
aiment bien mes gâteaux.
- Vous vous plaisez bien ici, n’est-ce pas ?
- Oui, ils sont toute ma vie. Je ne sais pas ce
que je serai devenu si je n’avais pas eu la chance
d’intégrer cet établissement. Cela a tout changé pour
moi : le regard des autres, la confiance en moi que je
n’avais jamais eu, une place dans la société, enfin,
dans cette société. A l’extérieur, c’est encore difficile.
Mais, bon on n’est pas là pour s’apitoyer sur mon
sort. J’ai lu les feuillets que vous m’avez laissés.

151
- Et ?
- C’est violent. Vous savez, dans ma dernière
famille d’accueil, j’ai été victime d’agressions
sexuelles, j’avais 10 ans et cela a duré 4 ans. J’ai fait
une tentative de suicide. Et après la rencontre avec
un psychologue, J’ai osé en parler à mon éducateur
qui a alerté l’ASE et c’est suite à cela que je suis
arrivé ici. Et là je découvre que notre mère a été
victime de son propre père …. C’est horrible. Je
comprends ce qu’elle a dû ressentir… Quel
cauchemar, pas de soutien. Le déni de la part de sa
mère et de sa sœur, pourtant victime elle aussi.
Olivier avait détourné le regard vers la fenêtre qui
donnait sur le parc ; elle le sentait très ébranlé par
ces révélations.
- Vous savez, quand j’ai lu ces pages, j’étais
comme vous. Si vous saviez comme je lui en voulais,
de m’avoir « coupée » des autres pendant mon
enfance et mon adolescence, de m’avoir empêchée
d’avoir des amis, jusqu’à dissuader mes petits
copains. Elle gérait ma vie. Je ne comprenais pas
pourquoi. Pourquoi elle m’a menti, pourquoi, elle
refusait de me parler de mon père, enfin de notre
père.
Elle lui raconta la dispute de trop et sa décision
de couper définitivement les ponts.
Olivier s’approcha d’elle et lui prit la main :
- Pardon, pardon, j’ai étais tellement injuste
envers vous. Je pensais qu’au moins, vous, vous
aviez vécu avec elle, mais je me rends compte que
cette vie-là vous a détruite aussi.
152
Puis, il prit les papiers, pensif et lui demanda :
- Et mon père ? C’est terrible ce qu’elle lui a
fait subir… Pour ça, j’ai plus de mal à lui trouver des
circonstances atténuantes. Comment a-t-elle pu lui
cacher sa grossesse et m’abandonnr ensuite ?
D’après ce que j’ai compris, il a appris tout cela il y a
peu aussi. Comment va-t-il ? Comment est ’il ?
- Ce fut une vraie bombe pour lui. Il a pris
conscience qu’il avait vécu à côté d’elle et non avec
elle. Vous voyez la différence ? il a beaucoup
souffert, mais, c’est un homme bien. Vous savez, il
est malade, un cancer et il est en cours de
traitement. Vous lui ressemblez vraiment beaucoup.
Lui aussi, il a hâte de vous connaitre.
Et elle lui confia leur projet de venir s’installer à
Plougrescant dès le début de la prochaine année.
- Et on va aussi chercher un appartement pour
Papa dans le secteur, afin qu’il ne soit pas tout seul.
Il a besoin de soutien. Son moral n’est pas au mieux.
Mais je pense que le fait de nous avoir retrouvés va
lui donner un coup de fouet.
- C’est une merveilleuse idée. Je vais demander
à mon ami, Yvan, il possède un bon réseau et des
amis dans l’immobilier.
- Super ! Nous revenons dans 15 jours et s’il va
bien, on va l’emmener avec nous. Je vous tiendrais
au courant.
Et ils passèrent une partie de la fin de la journée à
partager leurs souvenirs, leurs vies respectives, leur
chagrin et leurs joies. Olivia lui parla de son enfant.
Ils se confièrent, comme si les liens du sang tout à
153
coup les reconnectaient l’un à l’autre, comme s’ils
se retrouvaient après une longue absence. Olivier fut
touché du malheur de cette sœur qu’il ne
connaissait pas il y a encore quelques semaines. Il
eut besoin de mettre une touche un peu légère, afin
de masquer son trop plein d’émotions, et dit :
- Bah ! Si on m’avait dit un jour que la vie me
livrerait un père et une sœur !
- Pour ma part, je suis très heureuse de vous
avoir retrouvé.
L’heure tournait. Elle devait rentrer. C’est avec
un peu de tristesse qu’elle se décida.
- Bon, je vais devoir y aller.
- Merci, grande sœur. Peut-être peut- on se
tutoyer ? Ça se fait entre frère et sœur, non ? Lui dit-
il avec ce sourire.
- Oui, ça se fait, petit frère répondit ’elle avec
ce même sourire. Elle sentait qu’elle l’aimait déjà.
Et, promis, on se quitte plus maintenant.
Elle se pencha pour l’embrasser et elle sentit sa
main lui serrer le bras. Il planta ses yeux bleus dans
les siens, puis la raccompagna vers la sortie. Il la
regarda traverser le parc pour reprendre l’allée, les
larmes aux yeux. Merci mon Dieu murmura-t-il, se
peut ’-il que les miracles existent ?

Cette fois-ci, elle partit à regret, mais heureuse.


On ne contrôle pas tout dans la vie, mais on va peut-
être enfin poser nos valises si lourdes et se libérer de
ce joug familial. La vie n’est pas une fatalité. Il faut
154
lui faire confiance. Elle se surprit à remercier les
cieux de tout ce bonheur, même s’il restait encore
des zones ombrageuses.
Quand son mari la vit rentrer, souriante, les traits
détendus, comme si elle avait largué un fardeau, il
comprit que tout c’était bien passé.
Il n’eut pas le temps de lui poser la question que
déjà, elle était dans ses bras.
Elle lui confia son bonheur :
- Je suis si heureuse. J’ai la sensation de
renaitre. Tu comprends, j’ai un frère et il a demandé
à voir notre père !
- C’est magnifique. Je suis vraiment très
heureux pour toi, tu sais. Comment vas-tu faire pour
ton père ?
- Je pensais que lors de notre prochaine venue
ici, il pourrait nous accompagner. On va acheter un
lit d’appoint qu’on installerait en haut. Ainsi, père et
fils pourront faire connaissance. Ils ont tant à se
dire…
- Tu sais, pendant ton absence, je n’ai pas
perdu mon temps. Viens voir.
Il lui demanda de fermer les yeux et il l’entraina
dans le jardin, dans le cabanon. Il lui demanda de
fermer les yeux et la fit entrer.
- Tu peux ouvrir. Bienvenue dans votre bureau,
madame Martin ! annonça-t-il en s’effaçant pour la
laisser entrer.

155
Olivia regarda autour d’elle : le cabanon était
terminé. Tout était propre, repeint, ne manquait que
la déco et quelques meubles pour en faire une salle
de consultation confortable et agréable.
- Oh ! Mais c’est magnifique ! Merci, merci
mon amour.
- Attends. Ce n’est pas tout. Tu n’as pas vu le
dehors et il l‘entraina vers l’extérieur. Il avait fini le
désherbage qu’Olivia avait commencé et préparé un
massif qui n’attendait plus que quelques fleurs pour
l’agrémenter.
- Mais, tu as fait un travail de malade !
- Mais oui ! Reste quelques achats… Mais je te
laisse faire, la déco, c’est ton truc…
- Bon, du travail pour la prochaine fois.
Ils restèrent quelques instants dans le jardin à
contempler leur maison et les travaux accomplis.
- On est quand même parti de loin ? Tu te
rappelles la première fois qu’on l’a visitée…
- Oh oui, il y avait tant à faire. Qu’est-ce qu’on
va être heureux ici s’exclama-t-elle en lui prenant la
main.

Comme à chaque veille de départ, ils dinèrent


dans leur restaurant préféré à Tréguier, où comme
d’habitude, Laurence, la patronne, leur réserva son
meilleur accueil.

156
Chapitre 17

L’été s’avançait déjà et on sentait un changement


dans l’atmosphère : la rosée du matin, des
températures moins élevées, quelques brumes, tous
les signaux annonciateurs de l’automne, déjà. Plus
que 4 mois avant leur déménagement.

Ce dimanche après-midi, Olivia et Alexandre


rendirent visite à Christophe qu’ils trouvèrent un
peu plus amaigri, les traits tirés, quelques rides en
plus.
- Comment te sens-tu Papa ?
- Ça va. Je garde le moral et j’attendais avec
impatience votre visite. Cela me rend heureux de
vous voir tous les deux. Je me sens fatigué. Le
médecin me dit que c’est normal. Le traitement est
lourd. Ils m’ont proposé un nouveau protocole. Je
ne sais pas si je vais l’accepter.
- Je comprends, c’est dur ce que tu vis, le
combat est dur. J’ai suivi assez de malades dans le
cadre de ma profession pour savoir que tu dois
livrer une vraie bataille contre le cancer. Mais tu vas
avoir une nouvelle bonne raison pour accepter
ajouta Olivia avec le sourire.
Il les regarda tous les deux. Il n’osa pas penser à

- Ah bon ! Laquelle ?
- Je l’ai retrouvé….
157
Christophe la regarda, interloqué. Olivia soutint
son regard, comme si elle lui transmettait
mentalement l’image d’Olivier.
Il eut un éclair dans le regard.
- Ne me dis pas que…. Tu l’as retrouvé ?…
- Oui ! Olivier vit pas très loin de chez nous
dans un ESAT. Je l’ai rencontré. Ce fut un peu
compliqué pour lui de voir débarquer une sœur,
d’apprendre l’existence d’un père, tout ça en même
temps. Je ne lui ai rien caché. Je lui ai remis une
copie du manuscrit. J’ai préféré qu’il prenne le
temps de le lire ; ce qu’il allait apprendre n’était pas
facile… Notre première entrevue ne s’est pas très
bien passée, c’était, comment te dire, très tendu. Il
était dans la colère. C’est normal. Il lui a fallu un
peu de temps pour reprendre contact.
Elle lui relata leur rencontre.
Christophe ressentit un élan de bonheur l’envahir
et d’appréhension aussi.
- Il souhaite faire ta connaissance. C’est aussi
pour ça que je lui ai remis les écrits de notre mère,
pour qu’il comprenne pourquoi il n’a jamais
entendu parler de nous. Même si c’est compliqué à
concevoir.
Il resta silencieux quelques instants, perdus dans
ses pensées.
- A quoi penses-tu Papa ?
- Quel gâchis tout ça ! Je viens de te retrouver
et en plus j’apprends que j’ai un fils…Si seulement,

158
elle m’avait fait confiance, tout cela aurait pu être
évité. Quel père vais-je pouvoir être maintenant ?
- Reste comme tu es. On ne peut pas faire
marche arrière. Il faut donc avancer. On va
apprendre à se connaitre. Tu sais, Olivier te
ressemble traits pour traits. Lui aussi, il est meurtri.
La vie ne lui a pas fait de cadeau, comme pour
chacun d’entre nous.
- Quand pourrais-je le voir ?
- Alors, si tu es d’accord et si c’est possible
pour toi, nous t’emmenons avec nous ce vendredi
après-midi en Bretagne et tu vas pouvoir le
rencontrer.
- Oui, bien sûr. Mais comment allez-vous faire,
la maison est petite…
- Ne t’inquiète pas. On a tout prévu et on t’a
aménagé un espace nuit à l’étage.
Christophe éclata de rire.
- Qu’est-ce qui t’amuses ainsi ? J’ai dit une
bêtise demanda-t-elle en interrogeant du regard son
mari ?
- Mais non, mais c’est drôle. Quand j’étais
petit, c’est là que j’adorais me réfugier et je m’étais
construit une sorte de cabane dans les combles…. Je
me racontais des histoires.
Plus sérieusement, merci beaucoup. J’ai hâte d’y
être et de faire la connaissance de mon fils.

159
Ils arrivèrent le vendredi soir comme d’habitude,
Christophe installé à l’arrière et Déva couchée à côté
de lui sur la banquette.

Après le diner, ils allèrent comme d’habitude


promener Déva en empruntant le chemin menant
vers la côte qu’ils connaissaient tous bien. Les
températures étaient plus fraîches déjà.
Olivia regardait son père qui marchait lentement,
en assurant chacun de ses pas avec sa canne. Il ne se
plaignait pas, mais il devait certainement souffrir. Il
semblait heureux. Elle se refusait à envisager que
ces moment-là puissent s’arrêter prochainement. Ils
arrivèrent en haut de la pointe du château, sur le
plateau qui dominait la mer. Ils s’assirent là, à
même le sol, face à l’horizon. Le soleil se couchait.
C’en était émouvant de se trouver là tous les trois à
admirer cette nature qui leur offrait un tel
spectacle : les touristes étaient partis. Ils aimaient à
croire qu’ils fussent seuls au monde à profiter de cet
instant magique. A cet instant précis, rien ne
pouvait bouleverser cette harmonie.
Olivia ressentait la force de cet amour universel
qui les enveloppait. Elle songea au lendemain où le
père et le fils allaient se retrouver. Elle décida
qu’elle n’assisterait pas à leur encontre. Elle devait
les laisser faire ce chemin seuls.

Ils rentrèrent, Olivia et Alexandre, main dans la


main, Christophe et Deva, à côté, accordant sa
marche au même rythme que lui. Elle ne le lâchait
160
pas d’une seconde, comme si elle se sentait investie
d’une mission : celle de veiller sur lui.

Quand ils passèrent devant la maison de Charles


le Dantec, Christophe la désigna du doigt :
- Tu vois, cette maison, j’y venais quand j’étais
petit.
- Figure –toi qu’on a déjà eu l’occasion de
parler avec lui.
Christophe fixait la maison, comme s’il cherchait
à faire remonter des souvenirs, quand Charles le
Dantec qui les avaient aperçus, sortit de chez lui et
s’avança vers eux pour les saluer.
- Bonjour M. Le Dantec. Heureux de vous
revoir !
- Je vous présente mon père, Christophe Le
Royer annonça Olivia.
- Bonjour, monsieur. Enchanté de faire votre
connaissance. Vous savez, vous avez des enfants
forts sympathiques.
Sur le coup, il ne fit pas attention, puis, il
s’interrompit et demanda à Christophe.
- Le Royer, Le Royer… ah, mais oui, ça y est. Ça
me revient ! C’était le nom des gens qui habitaient
là. Vous êtes le petit garçon avec qui je pêchais…
s’écria-t-il avec enthousiasme.
Christophe, tout à coup, replongea dans ses
souvenirs.

161
- Mais oui ! Charles ! C’est ça ?
- Oui c’est moi. Ça alors ! Je suis heureux de te
revoir. Je ne savais pas ce que tu étais devenu… Bien
du temps est passé. Mais qu’est-ce qui fait que tu
reviennes par ici ?
- Oh, c’est une longue histoire, un peu
compliquée. Je vis en Mayenne maintenant et je
suis ici pour quelques jours.
- Eh bien, le monde est petit. Je n’en reviens
pas. On se connait déjà un peu avec vos enfants et
ils ont fait du beau travail dans la maison.
- Ça c’est vrai.
- Ecoute, reviens me voir quand tu veux… On
se remémorera le bon vieux temps. Il faut que je
cherche, mais je dois avoir quelques photos.
- Promis. Je repars en fin de semaine, mais je
vais essayer de passer avant de partir. Cela me ferait
plaisir d’échanger nos souvenirs.

Et Ils reprirent leur chemin.

Le lendemain, Alexandre avait prévu


d’entreprendre des travaux de jardinage. Olivia
avait convenu avec son frère qu’elle viendrait avec
Christophe dans l’après-midi.
Christophe était fébrile. Olivia le déposa devant
l’appartement d’Olivier.

162
- Voilà, tu m’appelles quand tu voudras rentrer
dit ’elle en l’aidant à descendre de la voiture
- Tu ne viens pas ?
- Non, je préfère vous laisser seuls tous les
deux, vous avez des choses à vous dire et cela vous
appartient. Olivier est au courant. On se verra tous
après…
- Merci, ma chérie. A tout à l’heure.

Olivia regardait son père s’avancer vers la porte.


Il s’était un peu vouté depuis leur première
rencontre. Elle le trouvait plus fragile, plus
vulnérable à chaque fois. Elle aperçut Olivier qui lui
fit un signe de la main. Lorsqu’elle l’avait appelé,
elle lui avait expliqué pourquoi elle ne serait pas
avec eux.

Quand Olivier ouvrit la porte, il eut un choc. Bien


qu’Olivia l’ait prévenu, il ne s’attendait pas à voir cet
homme si marqué par la maladie. Il lui sourit et
l’invita à entrer.
Christophe eut du mal à contenir son émotion :
son fils, là devant lui, dans ce fauteuil, mais il était si
beau. Il ne sut quoi dire et ce fut Olivier qui vint à
son secours.
- Bonjour, je crois que les présentations ne
sont pas nécessaires.
Et Olivier lui fit signe de le suivre dans le couloir
qui menait jusqu’au salon.
163
- Vous êtes bien installé ici.
- Oui, l’appartement est aménagé spécialement
pour les personnes comme moi, à mobilité réduite.
Ne put s’empêcher de souligner Olivier.
Il l’invita à s’asseoir et lui offrit un
rafraichissement. Comme souvent dans ces cas-là,
ils devisèrent sur tout et rien, l’un et l’autre ne
sachant pas comment rentrer un peu plus dans le
vif du sujet. Ce fut Christophe qui alla droit au but.
- Je suis désolé pour … enfin, je ne connaissais
pas votre existence. C’est Olivia qui m’a tout révélé.
Vous savez…
Olivier l’interrompit :
- Oui, j’ai, comme vous, pris une grosse claque.
A mille lieux d’imaginer que je retrouverai une
famille dont j’ignorais l’existence. Et toute cette
souffrance pour chacun d’entre nous.
Et ils se livrèrent, longtemps, avec beaucoup de
pudeur et de bienveillance. Christophe souffrait de
ce que son fils avait enduré durant toute son
enfance. Quant à Olivier, il se sentait plein
d’empathie pour cet homme qui a passé sa vie à
chercher son enfant, en ignorant qu’il en avait deux.
- Je suis tellement désolé. Si j’avais su… Je
vous demande pardon.
- Pardon de quoi ? Vous ne pouviez pas savoir.
Cela ne sert à rien de culpabiliser maintenant…
Olivier avait une question qui lui brûlait les
lèvres.

164
- Pardon, mais j’ai une question un peu,
comment dirais-je, personnelle … Comment n’aviez-
vous pas pu voir la grossesse de ma mère ?
- Pour tout vous dire, après la naissance
d’Olivia, nous n’avions pratiquement plus de vie
intime, nos rapports étaient épisodiques, si vous
voyez ce que je veux dire. Elle était dépressive.
Nous ne partagions plus la même chambre. Et
quand je me refais le film et je compare votre date
de naissance et celle où elle a disparu, elle a dû me
quitter dès le début de sa grossesse.
- Et vous ne saviez pas où elle est allée… ?
- Non, en tout cas, certainement pas dans sa
famille… Tout a été très vite. Je suis rentré un soir
du travail et il n’y a avait plus personne. Je suppose
qu’elle avait tout programmé. Vous avez lu comme
moi ses écrits. Elle voulait fuir son passé… Quel
cauchemar, cette histoire !
Vous savez, je suis vraiment très heureux, bien
sûr le temps perdu ne se rattrape jamais, mais mon
vœu le plus cher est de faire partie de votre vie, si
vous le voulez bien. Olivia et vous, vous êtes tous les
deux ce que j’ai de plus cher. On est une famille
maintenant. Et merci d’avoir accepté de me
rencontrer.
- Je ne vous cache pas que j’ai mis un peu de
temps pour digérer tout ça. Au début, je vous en ai
voulu de débarquer ainsi dans ma vie, de bousculer
mon existence. Et puis, j’ai réfléchi et ce qui m’a
aidé, c’est ce que ma mère, enfin j’ai quand même
du mal à l’appeler ainsi, a écrit. Et j’ai réalisé que

165
nous étions tous les trois des victimes et que la vie
nous faisait un formidable cadeau.
Christophe, en entendant ces mots, se sentit
envahit d’amour pour ce fils qui lui tombait du ciel.
Olivier pivota sur son fauteuil, pour cacher son
émotion et lui tourna le dos. Il avait du mal à retenir
son émotion, puis se ravisa et dit sur un ton plus
léger :
- Eh, bien dans ce cas, on se tutoie ? Papa..
Il s’avança vers son père et le prit dans ses bras.
Ils ne purent retenir leurs larmes, celles contenues
depuis des années, des larmes libératrices, laissant
échapper leurs souffrances, pour ne retenir que
celles du bonheur.
Christophe se redressa et regarda son fils.
- Je suppose qu’Olivia t’a dit pour le cancer…
- Oui, elle m’en a parlé. Je suis vraiment
désolé, mais il faut te battre. On est là maintenant.
Tu dois t’accrocher. Dit-il en posant sa main sur le
bras de son père.
- C’est dur, tu sais. Je me sens tellement
fatigué, épuisé. Mais, ça va devrait aller.
- Olivia m’a dit aussi pour leur projet de
s’installer à Plougrescant. J’ai parlé de vous à mon
meilleur ami et il te cherche un appartement.
- J’espère juste que j’aurai le temps d’en
profiter un peu. J’ai beaucoup de chance de vous
avoir tous les deux ! Olivia doit venir me chercher.

166
Je vais l’appeler, je ne veux pas te déranger plus
longtemps.
- Mais, papa, tu ne me déranges pas. Et on va
faire mieux, c’est moi qui vais te ramener. Répondit
Olivier tout en observant la réaction de son père.
Eh oui, j’ai une voiture automatique… dit-il en
attrapant les clés de son véhicule posées sur la
console près de la fenêtre qui donnait sur le parc, et
ça elle ne le sait pas. On va leur faire la surprise et
puis, je ne connais pas encore son mari, Alexandre,
je crois ? L’occasion de le rencontrer.
- Eh bien d’accord. Oui, Alexandre est un
homme adorable. Tu vas l’aimer et ils sont tellement
fusionnels tous les deux. Tellement forts. Et puis, il
y a Déva.
- Déva ? C’est qui ?
- Leur chienne St Bernard. Elle m’a sauvé la vie
récemment. Je te raconterai. Toujours est ’il qu’elle
ne me lâche plus.
- Ah bon ?! Bien, on y va ?
- Puis-je t’aider ?
- Non, merci, je me débrouille tout seul. J’ai
l’habitude. Juste tu me guides pour aller chez eux.

Durant le trajet, Christophe lui raconta la maison,


son enfance, ses souvenirs, sa mésaventure avec
Déva. Une flamme se ravivait en lui, qu’il avait cru
éteinte à jamais. Il en avait presque oublié sa
maladie. Il pria le ciel de lui laisser un peu de répit
167
avant de s’éteindre ; ce monde qu’il avait cent fois
voulu quitter, n’ayant plus le goût de continuer à
vivre. Pour qui ? Pour quoi ? Jusqu’à ce fameux soir
où il est allé sonner à la porte d’une psychologue, ce
qui allait bouleverser sa vie.

Olivia n’ayant pas de nouvelles de son père,


s’apprêtait à l’appeler quand elle vit une voiture
bleue s‘arrêter devant le portail. Quelle ne fut pas sa
surprise quand elle vit son père et son frère en
sortir.
Olivier était en train de déplier son fauteuil et
habilement à l’aide de la seule force de ses bras, se
hissait dedans. Et tous les deux la regardaient avec
le même sourire. Déjà complice, se dit ’elle.
- Je commençais à m’inquiéter… Mais tu as
une voiture ?
- Eh oui, tu vois, répondit Olivier, je t’avais dit
que j’étais autonome.

Après avoir visité la maison, ils s’installèrent dans


le jardin à l’ombre d’un chêne où ils passèrent la fin
de la journée à échanger, comme toutes les familles
qui se retrouvent. Alexandre regardait sa femme :
elle était détendue, souriante. Il ne l’avait pas vu
ainsi depuis fort longtemps. Quant à Christophe, il
parlait, riait avec ses enfants, comme un père
comblé qu’il était devenu. Olivier et Alexandre avait
vite sympathisé. Dans l’air flottait une atmosphère
douce et chaleureuse, celle des gens heureux.

168
Déva avait conquis aussi Olivier. Elle s’était
installée entre lui et Christophe.
Olivia, passionnée de photos, sortit son appareil
et fit un cliché. Elle voyait déjà cette photo trôner
sur son bureau dans le cabanon. Elle expliqua son
projet d’évolution professionnel.
- Notre histoire m’a fait prendre conscience
combien il est important de percer les secrets de
famille qui les gangrènent. Il faut se libérer des non-
dits et ne pas en faire une fatalité.
Voilà pourquoi je vais suivre une formation qui
va me permettre d’évoluer vers le métier de psycho
généalogiste.

Ce fut Olivier qui rebondit le premier.


- C’est un beau projet. On ne se connait pas
depuis longtemps, mais quand je vois l’énergie que
tu as déployée pour nous retrouver, à recréer nos
liens, je pense que cela te correspond. Tu sais, dans
l’ESAT, il y a un poste de psychologue à mi-temps
qui va se libérer. Je pourrai en parler avec le
directeur, que d’ailleurs, tu connais déjà.
- Je n’avais pas envisagé de travailler dans une
structure, mais c’est à réfléchir. Pourquoi pas. C’est
vrai que cela pourrait au début me permettre d’avoir
une activité salariée tout en préparant mon diplôme.
- Rien ne presse, le poste est à prendre en
début d’année. Prenez le temps d’en parler tous les
deux.

169
- En ce qui me concerne, répliqua Alexandre, je
trouve que c’est une bonne idée, mais la décision
appartient à Olivia et quelle qu’elle soit, ce sera la
bonne.

Olivia songea qu’une fois encore, le destin lui


donnait un coup de pouce. Pourquoi ne pas accepter
ce poste ; elle interviendrait auprès d’un public
différent. Il est vrai que son métier la passionne,
mais ces derniers temps, elle sent une certaine
routine s’installer. Il fallait qu’elle sorte de sa zone
de confort.

Olivier les quitta un peu avant la nuit. Père et fils


s’embrassèrent avec beaucoup d’effusion et Olivia
serra fort son frère dans ses bras.
- Prends soin de toi, petit frère, dit ’elle en lui
caressant la joue. Tu nous envoies un petit texto dès
que tu es arrivé, hein ?
- Oui, oui, ne vous inquiétez pas pour moi…
Tous le regardèrent partir avec émotion.
- Quel bel exemple de résilience dit Olivia avec
admiration en voyant son frère s’installer dans sa
voiture avec une apparente facilité. Malgré tout ce
qu’il a vécu, il a su rebondir, s’adapter à son
handicap. Quelle force !
- Oui, je suis fier de vous deux, de ce que vous
êtes devenus ajouta Christophe en prenant sa fille
par les épaules. Et toi Alexandre, merci de la rendre
heureuse.
170
Vingt minutes plus tard, message d’Olivier :

Bien arrivé – Merci pour cette belle soirée – Je


vous aime fort – Câlins à Déva.

Réponse d’Olivia
Nous aussi, on t’aime fort – Léchouilles de Déva

171
Chapitre 18

La fin de l’année approchait à grand pas. L’hiver


commençait à s’installer, même si en bord de mer, il
ne fait jamais très froid. Juste un peu plus
d’humidité, et aussi des tempêtes majestueuses et
terrifiantes, duel entre le paradis et l’enfer. Olivia et
Alexandre aimaient ce déferlement des éléments,
cette puissance des vagues qui viennent se fracasser
contre les rochers, ce grondement incessant. La
Bretagne en colère disent-ils. On se sent si petit
dans ces moment-là.

Chacun avait repris sa vie. Le déménagement


avait été un peu avancé : ils avaient décidé de passer
la fin de l’année dans leur maison en famille. Elle en
avait parlé avec son frère et ils étaient tombés
d’accord sur le fait qu’ils devaient au maximum
profiter de leur père. Sans se le dire, ils partageaient
la même angoisse.
L’intervention d’Olivier auprès d’Yvan avait
permis à Christophe d’obtenir un appartement en
location à Paimpol, dans un quartier résidentiel
paisible. Il devait l’intégrer début décembre. Son
état de santé était stable. Retrouver ses enfants lui
avait donné un coup de fouet et il était plus
combattif.
Azilis, qui n’avait pas encore pu se libérer, devait
les rejoindre pour passer les fêtes de fin d’année
avec eux.

172
Olivia avait décidé de postuler pour le poste de
psychologue à temps partiel à l’ESAT, ce qui ravit
son frère. Et sans surprise, sa candidature fut
retenue. Ils s’étaient mis d’accord sur une prise de
poste au 1er février. Elle s’était inscrite à une
formation à distance et pensait pouvoir démarrer sa
nouvelle activité au printemps.

Olivia, très occupée entre son métier, leur projet,


avait mis de côté l’exploration de tous les papiers et
photos découverts lors de l’aménagement de la
maison. Il y avait des centaines de clichés à explorer
et elle voulait partager cela avec son frère et son
père et elle comptait sur les souvenirs de ce dernier
pour mettre des noms sur certaines. Azilis devait
l’initier à la généalogie et elle comptait bien retracer
l’histoire de leur famille, et pourquoi ne pas
retrouver certains membres. Cela la ramenait à sa
tante qu’elle s’était promise de rencontrer, et cela
avant la fin de l’année, tant qu’ils étaient encore en
Pays de Loire. Elle voulait qu’elle parle. Justifier son
attitude. Ce n’était pas une vengeance, juste une
revanche, celle par qui tout aurait pu être différent,
seulement si elle avait pris la défense de sa sœur.
Devait ’elle en parler à son frère et à son père ?
Elle ne pouvait pas les tenir à l’écart de cette
démarche : ils étaient aussi concernés.
Après en avoir discuté avec Alexandre, ils
convinrent qu’ils allaient aborder ce sujet lors de
leur prochain séjour à Plougrescant.

173
Ils profitèrent d’une de ces belles journées
qu’offre encore la fin de l’automne pour organiser
une journée pique-nique sur la côte de granit rose. Il
y avait un endroit accessible pour son frère à
Ploumanach.

Olivier et Christophe étaient arrivés en même


temps. Père et fils, toujours complice. Le site était
équipé de tables, et facile d’accès pour Olivier, ce
qui leur permit d’installer leur déjeuner en plein air.
Déva s’était trouvé un endroit à l’ombre sous un
arbre.
Olivia était préoccupée et elle ne put dissimuler
son tracas bien longtemps.
Ce fut Olivier, toujours aussi direct, qui s’exprima
le premier.
- Bon, Olivia, qu’est-ce qui se passe ? Un souci
?
Et Christophe renchérit :
- On voit bien que quelque chose te tracasse…
Olivia les regarda :
- Oui, il faut que je vous parle. J’ai pris une
décision mais j’ai besoin de votre approbation avant
d’entamer cette démarche.
- On t’écoute. De quoi s’agit ’il ? demanda
Olivier
- Voilà, vous avez lu tous les deux le manuscrit
et à un moment elle évoque sa sœur, Dominique
qui, bien qu’ayant été victime aussi de leur père, n’a
174
l’a jamais soutenue. Grace à Azilis, je sais qu’elle est
toujours en vie, je sais où elle vit et j’ai l’intention
d’aller lui rendre visite.

Olivier bondit presque de son fauteuil et fit un


tour sur lui –même :
- Pourquoi ? Que crois-tu qu’elle va te révéler ?
Je crois qu’on a assez encaissé. On sait d’où on
vient. A quoi bon, remuer tout ce passé ?
- Olivier a raison, enchaina Christophe, cela
risque de te ravager un peu plus. On est en train de
se reconstruire, tous les trois. C’est ce qui compte,
non ?
- Bien sûr que c’est le plus important, mais j’ai
besoin d’aller jusqu’au bout de cette histoire, de
comprendre. Notre mère a été violée par son père,
sa sœur aussi, leur tante et leur cousin et qui
d’autre ? Je ne peux pas concevoir, qu’en ayant subi
les mêmes violences, elle ait pu, malgré tout, refuser
d’épauler sa sœur. J’ai besoin de l’affronter, de la
voir …
Olivier l’interrompit :
- Olivia, en tant que psy, tu connais le
syndrome de Stockholm ?
- Oui, bien sûr, mais…
Alexandre qui les observait attentivement,
demanda :
- Pardon, mais c’est quoi le syndrome de
Stockholm ?
175
Olivia expliqua qu’il s’agit d’un lien
d’attachement, d’empathie, d’une victime pour son
bourreau, qui se développe chez des personnes
ayant vécu une période longue avec leur agresseur.
Ce fut un phénomène que l’on a remarqué chez les
victimes d’une prise d’otage qui a eu lieu à
Stockholm dans les années 70 et qui a duré
plusieurs jours. Lors du procès, certains otages
prenaient faits et causes pour les ravisseurs. Ce fut
le cas aussi de cette jeune autrichienne qui a vécu 8
ans avec son agresseur et qui avait fini par s’attacher
à lui.
Et elle ajouta
- C’est justement ce que je veux comprendre.
Christophe guettait la réaction de son fils. Il
comprenait la démarche de sa fille, mais, cela lui
paraissait tellement éloigné de la réalité, de sa
réalité.
Contre toute attente, ce fut Alexandre qui prit la
parole.
- Je ne veux pas m’immiscer dans votre
histoire à tous les trois, mais, Olivia, sois prudente.
Tu ne peux pas aller la voir avec ta posture de psy.
Mais, tu le sais, on en a déjà parlé, je comprends ta
démarche. Tu dois juste te protéger. Qu’en pensez-
vous ? ajouta-t-il en se tournant vers Olivier et
Christophe.
Christophe répondit avec beaucoup de douceur.
- Je sais, ma chérie, combien tu as souffert et je
comprends ta démarche, mais Alexandre a raison.

176
Et Olivier, d’ajouter :
- Bon, je commence à te connaitre. Tu ne vas
pas lâcher. J’aurai aimé venir avec toi, mais pour
des raisons évidentes de mobilité, cela ne va pas être
possible. Mais, tu as ma bénédiction. Par contre, je
tiens à ce que tu nous racontes tout ce qu’elle
pourrait t’apprendre.
- Merci, merci à vous. Ne vous inquiétez pas
pour moi, j’ai des ressources et je sais au fond de
moi que cette démarche est essentielle. Mais je vous
promets de me protéger. Vous savez, je me suis
construite une carapace moi aussi.
- Tu n’es pas la seule, je crois qu’on a tous agit
de la même façon. Moi aussi, je me suis immunisé
contre les personnes toxiques.
Et quand comptes-tu aller la voir ?
- Avant la fin de l’année. Je veux régler tout
cela maintenant. A partir de janvier, on démarre
une nouvelle vie ; on ne va pas se laisser encombrer
par les déchets du passé.

Olivia prit la main de son mari et plongea ses


yeux dans les siens où elle put y lire tout son amour
et son soutien. Elle avait apporté le carton des
photos trouvées dans la maison. Il était dans le
coffre, mais elle décida de laisser pour plus tard
cette exploration. Mine de rien, elle venait de
remuer le passé encore une fois. Elle se dit qu’elle
leur en avait fait assez subir pour aujourd’hui.

177
Olivia prit son père par le bras et lui proposa de
faire quelques pas sur le sentier. Olivier et
Alexandre les regardèrent partir. Ils marchaient
lentement, Christophe s’aidait de sa canne et du
bras de sa fille, et Déva marchait à côté de lui.

- Elle est épatante, votre chienne dit Olivier.


Elle l’a complètement adopté.
- Oui, c’est comme ça depuis le début. Tu sais
qu’Olivia travaille avec Déva. D’après elle, cela
rassure les patients, certains sont plus enclins à se
livrer, cela les aide.
- Elle a raison. Les animaux ont une influence
positive sur le comportement des personnes. Nous
aussi, à l’ESAT, on a des poneys et des ânes. On a
développé des activités avec les résidents. C’est une
véritable thérapie.
Ils restèrent silencieux quelques instants, à
profiter de cet arrière-saison si douce.
- Qu’est-ce qu’on est bien ici ! Tu sais, je suis
heureux de vous avoir rencontrés. Vous avez mis de
la joie dans ma vie. Je ne sors pas beaucoup se
confia Olivier.
- Je ne veux pas être indiscret, mais on est
entre homme. Tu as quelqu’un dans ta vie ?
- Non, ce n’est pas facile, tu comprends. J’ai eu
quelques aventures, sans lendemain. Je dois faire
peur. Ce n’est pas simple pour une personne
normale entre guillemets, de faire sa vie avec un
handicapé. Cela suppose pas mal de contraintes. Et
178
puis les relations de couple sont tellement
compliquées de nos jours. Les femmes recherchent
le mec parfait et je suis donc loin d’être un modèle
de perfection. Et nous, on a la réputation de sauter
sur tout ce qui bouge ! Enfin, moi, pour sauter … !
Moi, j’aspire juste à aimer et à être aimer. Ce n’est
quand même pas si extraordinaire, non ? Et pour
répondre à la question que tu n’oses pas me poser,
sexuellement, tout fonctionne, mais je suis, disons,
moins souple dit ’il en mimant des guillemets.
Alexandre sourit. C’est exactement ce à quoi il
pensait.
- Tu es un mec bien. Tu mérites de rencontrer
quelqu’un. Olivia te dirait qu’il y a quelque part une
moitié de pomme qui t’attend.
- Merci. Je veux y croire. J’approche de la
quarantaine et j’espère bien ne pas finir ma vie tout
seul. J’ai de la chance. Allez, nous nous sommes
assez épanchés sur mon sort dit Olivier en riant.
Parle-moi de ton job
Et Alexandre commença à lui expliquer en quoi
consistait son métier…

Olivia avait profité de cette promenade pour


s’enquérir de la santé de son père.
- Alors, papa, comment tu te sens ?
Il soupira et avoua :
- Je me sens fatigué. Le traitement est lourd et
j’ai la sensation de perdre de l’énergie chaque jour
un peu plus. Il me tarde d’avoir déménagé. Tu as
179
certainement raison de dire qu’on va commencer
une nouvelle vie, ici.
- Je me doute que cela ne doit pas être facile.
Tu es courageux. Dis-moi, tu n’as pas beaucoup
parlé toute à l’heure quand j’ai évoqué mon projet
d’aller rencontrer ma tante. Qu’en penses-tu
vraiment ?
- Eh bien, j’ai pris pas mal de recul par
rapport au passé. Je ne sais pas si c’est bien de le
remuer. Bien- sûr, je comprends ta démarche.
J’espère juste que tu ne vas pas trouver un mur. Et
si elle ne veut pas te voir ? Tu fais quoi ?
- J’y ai pensé, je me suis imaginée tous les
scénarios possible. Je ne sais pas. C’est vrai que
j’attends beaucoup de cette rencontre, quoi, je ne
sais pas, mais j’attends quelque chose, quelque
chose qui pourrait guérir notre famille, tu
comprends ?
- Oui. Mais, on commence déjà à guérir. On va
dire qu’on est en convalescence. Regarde ton frère.
Il est dynamique, droit dans sa tête. Elle me plait,
cette famille, un peu bancale, encore, mais, elle se
redresse doucement.
- Oui, on a fait un sacré bout de chemin, tous
ensemble. D’ailleurs, à propos de bout de chemin,
regarde qui est là-bas ?
Charles Le Dantec venait vers eux
- Eh, Christophe, je t’attendais. Je ne t’ai pas
revu depuis l’autre fois.

180
- Pardon, mais, j’ai eu pas mal de choses à
régler. Je t’expliquerai. Comment vas-tu ?
- Bien. Figure-toi que j’ai retrouvé des photos.
Vous avez cinq minutes ? leur demanda-t-il en
s’adressant aussi à Olivia.
- Oui, pourquoi pas, répondit ’elle. Cela va te
reposer un peu ajouta-t-elle en regardant son père
qu’elle sentait un peu fatigué.

Charles les fit entrer dans sa maison et après les


avoir installés dans le salon, alla chercher un vieux
carton. Il en sortit de vieux clichés en noir et blanc
et en tendit un à Christophe qui sourit.
- J’avais cette photo, mais elle a disparu dit ’il
en jetant un coup d’œil à sa fille qui compris ce à
quoi il faisait allusion. Ce sont mes parents et là,
c’est moi. Je devais avoir 5 ou 6 ans. Tiens regarde,
tu reconnais. ?
- Oh, oui, le cabanon ! Oh, c’est très émouvant.
- Tu peux la garder. Après tout, elle te revient,
ce sont tes parents et vos grands-parents. C’est
précieux. Dit Charles avec empressement. Tenez,
j’en ai d’autres où nous sommes tous ensemble, tes
parents et les miens sur celle-ci et là, nous deux …
Tu te rappelles, nos parties de pêches aux
coquillages sur la grève ?
- Oui, on a passé du bon temps…

181
Ils passèrent un grand moment à se rappeler
cette époque tout en regardant les photos. Olivia les
observait et voyait son père heureux. Charles fit
avec eux un bout de chemin. Ces souvenirs lui
avaient redonné un coup de jeune.

Quand Olivia, Christophe et Déva revinrent de


leur promenade, ils les trouvèrent en plein
discussion sur le monde du digital, sur le métier
d’Alexandre qui semblait passionner Olivier. Ce
dernier avait un projet en tête, mais pour le
moment, il préférait encore le garder pour lui.

182
Chapitre 19

Cette semaine, Olivia avait décalé ses rendez-


vous de façon à avoir une journée entière de libre
pour pouvoir se rendre au Mans. Elle avait décidé
d’y aller seule. Son mari, bien qu’inquiet à l’idée que
la rencontre puisse mal se passer, accepta malgré
tout son choix.

Elle avait repéré sur Google l’adresse de sa tante.


Celle-ci habitait un appartement dans une résidence
cossue du centre du Mans. Quand elle arriva devant
l’immeuble, elle se rendit compte qu’il y avait un
digicode à l’entrée. Elle patienta un moment jusqu’à
ce que quelqu’un en sorte et elle en profita pour
entrer en prononçant la phrase passe-partout
banale « merci, j’ai encore oublié mes clés ». Elle
repéra le nom de sa tante sur les boites aux lettres :
Dominique Le Bihan - 3ème étage.
Son cœur battait fort. Elle prit l’ascenseur et
arrivée devant l’appartement, respira à fond et
sonna sans hésiter. Elle était plus que déterminée.
Elle patienta un long moment, elle entendit un
chien aboyer et s’apprêtait à sonner de nouveau
quand elle reconnut le bruit des clés dans la serrure.
Et la porte s’ouvrit. Une femme aux cheveux blonds
apparut, élégante, vêtue d’un tailleur pantalon. Elle
était de taille moyenne. Le visage sévère
qu’accentuaient des lunettes larges et carrées. Un
caniche gris argenté l’accompagnait. Elle la
dévisagea et lui dit avec un ton autoritaire :
183
- Que voulez-vous ? Si c’est pour me vendre
quelque chose, je n’ai besoin de rien et elle
s’apprêtait à refermer la porte, quand Olivia réagit
rapidement en posant sa main sur la poignée et
déclara :
- Bonjour, je suis Hélène Le Bihan. Elle avait
choisie d’utiliser son prénom de naissance, pensant
que cela la ferait réagir.
La femme la dévisagea, interloquée. Puis, elle
porta la main à sa bouche comme si elle voyait un
fantôme et s’écria :
- Mon Dieu ! Mais, qu’est-ce que…Comment …
Elle bafouillait et Olivia sentit que sa présence la
perturbait.
- Il faut qu’on parle. Puis-je entrer ?
Pressentant qu’elle n’avait pas le choix, elle lui
ouvrit la porte et Olivia la suivit jusque dans le salon
qui donnait sur une grande baie avec vue sur la
place. Le caniche sauta et s’installa sur un petit
fauteuil. L’appartement était richement décoré. Sur
un meuble, des photos d’un garçon et d’une fille.
Certainement ses enfants songea Olivia.
- Asseyez-vous dit-elle sèchement en lui
montrant une place sur le canapé
Son visage était fermé, tendu. Elle la regarda
droit dans les yeux. Elle avait repris ses esprits et
Olivia la sentit sur la défensive.
- Bon, qu’est-ce que vous voulez ?

184
- Vous avez compris qui je suis ? Vous êtes
Dominique, la sœur de Louise et je suis sa fille,
Hélène. Elle est décédée début février.
Dominique resta stoïque, droite sur son fauteuil
et ne laissa paraitre aucune réaction face à cette
annonce.
- Et alors, en quoi cela me concerne ? Qu’est-ce
que vous voulez que cela me fasse ? Cela fait des
années qu’on ne se fréquentait plus. Elle n’existait
plus pour moi depuis fort longtemps.
Olivia accusa le coup, et prit sur elle.
- Je sais. Je ne suis pas là pour parler de son
décès, mais de ce qui s’est passé quand vous étiez
enfants toutes les deux.
- De quoi ? Il… Il ne s’est rien passé bafouilla
t’elle
Olivia l’observait : elle sentait qu’elle avait touché
un point sensible. Elle la vit se tourner vers la baie,
les mains crispées sur l’accoudoir du fauteuil. J’ai
touché là où ça fait mal songea-t-elle. Elle profita de
son silence pour enfoncer un peu plus le clou.
- Il ne s’est rien passé ? Votre père ne vous a
rien fait ? Vous avez donc tout oublié ?
Dominique la dévisagea.
- Qu’est-ce que vous voulez à la fin ? A quoi ça
sert de déterrer ces vieilles histoires ?
- Donc, vous ne niez pas.

185
Et elle choisit d’appuyer avec les mots justes,
ceux qui font mal.
- Votre père vous a violée, vous et ma mère, sa
propre sœur aussi ainsi qu’un de ses neveux.
- Comment vous savez tout ça ?
- Peu importe comment je le sais. Vous savez,
le passé vous rattrape toujours. Ce que je veux, c’est
comprendre.
- Comprendre quoi ! s’écria-t-elle. Il n’y a rien
à comprendre !
- Si ! Pourquoi vous n’avez pas soutenu ma
mère quand elle a parlé ? Quand elle a
définitivement coupé les ponts avec eux ! Quand
vous l’avez appelée pour lui dire que vous, vous
aviez pardonné… ! Quand votre grand-mère disait
qu’il y avait eu bien pire dans la famille ! Est-ce que
vous savez que cela a détruit ma mère ? Qu’à cause
de cette histoire et de votre lâcheté, elle a sombré.
Elle fut incapable d’aimer, de m’aimer. Elle m’a
isolée des autres. Pour moi, c’était la prison ! Et moi,
je l’ai abandonnée, ne comprenant pas pourquoi,
elle était si dure avec moi. J’ai reproduit la même
chose : j’ai coupé les ponts car elle était devenu
hyper possessive, j’étais sa chose. Et elle voulait
juste me protéger ! Mais je ne le savais pas ! Vous
comprenez ce que je suis en train de vous dire. !

Olivia ne se reconnaissait pas Elle avait tout


déballé, là, comme ça. Les mots sortaient tous seuls.
Un trop plein de colère.

186
Il y eut un long silence. On entendait la
circulation dans la rue en bas. Olivia regarda sa
tante. Celle-ci s’était murée, comme si elle était
partie loin, dans ses pensées. Le chien venait de se
lever et regardait sa maitresse avec intensité,
comme s’il cherchait à comprendre. Elle le repoussa
d’un geste brusque, ce qui choqua Olivia, pas
habituée à traiter les animaux ainsi.
- Voilà, je veux juste comprendre
Ajouta Olivia en chuchotant presque, « juste
comprendre ». Elle tendit la main vers le caniche
qui, tout heureux d’avoir une âme amicale,
s’approcha.
Dominique se tourna vers elle ; son visage avait
changé tout d’un coup. Ce n’était plus la femme
élégante, autoritaire, pleine d’asurance qui lui avait
ouvert la porte tout à l’heure. Elle était pâle, au bord
des larmes et semblait avoir vieillit de dix ans en
une fraction de secondes. Elle se recroquevilla
comme font les enfants pris en faute.

- Je … je suis désolée… C’était il y a si


longtemps…
- Parlez-moi, s’il vous plait, dites-moi quelque
chose… supplia Olivia.
La femme se redressa soudain et s’écria :
- Que voulez-vous entendre ? Que je regrette ?
Oui, je regrette ! Oui, cela m’a hanté toute ma vie.
Mais, j’étais incapable de les affronter. Je n’ai pas eu
le courage de Louise. Moi, je me suis réfugiée dans
187
le travail. J’ai eu une belle carrière. De l’argent. Une
belle maison. Des enfants qui ont une belle
situation. Cela m’étourdie et j’ai occulté tout le
passé. J’ai fait comme si tout allait bien. Oui, j’ai
renié Louise, ma propre sœur. C’était plus facile
pour moi. Je ne pensais pas qu’elle souffrait à ce
point…
- Il aurait juste suffit d’une parole, d’un geste
de votre part pour qu’elle aille mieux.
- Je suis désolée, voilà, c’est ce que vous
vouliez entendre. Mais qu’est-ce que vous croyez ?
Vous débarquez comme ça pour donner des leçons !
Mais, ma pauvre petite ! Vous ignorez bien de
choses..
- Ah oui ? Lesquelles ? Je suis là pour les
entendre…Et puis, je ne suis pas votre « pauvre
petite » rajouta Olivia.
- Votre mère a fait des séjours en psychiatrie
quand elle était adolescente. Elle avait fait une grave
dépression et nos parents ont dû la faire
hospitaliser.
- Mais, vous ne vous êtes pas posé la question
du pourquoi ?
- Mais si bien sûr. Je le savais au fond de moi.
Mais ils m’ont dit qu’elle était folle et je l’ai cru.
- Mon dieu, quel horreur ! Et vous n’avez
jamais rien fait pour lui venir en aide ?
- Mais, j’étais plus jeune ! Qu’est-ce que je
pouvais faire ?

188
- Mais plus tard, vous auriez pu aller vers elle.
Cela aurait changé tout le cours de sa vie, le nôtre et
certainement le vôtre aussi. A vous deux, vous
auriez pu les affronter, les dénoncer !
- Je sais, je n’ai pas eu ce courage. J’ai été
lâche. Eh bien, c’est dit, c’est ce que vous vouliez
entendre ? Et maintenant partez ! Sortez de chez
moi ! Et ne remettez plus les pieds ici ! Et elle se leva
et se dirigea vers la porte
- Juste une chose, voilà pour les détails, lisez
ceci, et Olivia sortit une enveloppe de son sac
qu’elle jeta sur la table du salon. C’est que j’ai
trouvé dans la maison de ma mère après son décès.
Et là, mes coordonnées, dans le cas où …
Et elle lui remis sa carte avec l’adresse en
Bretagne.
Et elle sortit. C’est la deuxième fois qu’elle sortait
de ses gonds, la première fut quand elle avait tourné
le dos à sa mère.
Elle se sentait vidée, mais soulagée en même
temps. Une fois en bas de l’immeuble, elle leva les
yeux vers l’appartement et vit le visage de sa tante à
la fenêtre. Olivia la fixa et Dominique disparut de sa
vision.

Elle avait besoin de temps pour se remettre de


cette rencontre qui fut brève mais si violente
verbalement.
Il y avait un grand parc non loin de là et elle
décida d’y faire quelque pas afin de se détendre
189
avant de reprendre la route. A cet instant, seule au
milieu de ces bruits de circulation incessants et de
ce brouhaha, la Bretagne lui manqua terriblement et
elle aurait payé cher pour pouvoir s’y téléporter et
s’y retrouver avec sa famille.
Quand elle revint à sa voiture, elle aperçut au
loin, sa tante qui sortait de l’immeuble, son chien en
laisse. Olivia resta un moment assise au volant de
son véhicule à l’observer. Elle ne lui trouvait aucune
ressemblance avec sa mère. Elle savait qu’elle venait
de déterrer chez cette femme des souvenirs
douloureux. Et ces enfants, étaient ‘ils au courant ?
Olivia en doutait.

Elle envoya un message à Alexandre pour


l’informer de son départ du Mans.
Deux heures plus tard, elle franchissait la porte
de leur appartement et retrouvait la douceur de leur
foyer. Elle embrassa son mari et s’écroula dans le
canapé, la tête entre les mains. Celui-ci s’accroupit à
ses pieds et mit sa main sur son genou.
- Je ne te demande pas comment ça s’est passé.
Rien qu’à te voir, je me doute que cela a dû être
intense. Tu sembles épuisée.
- Tu ne crois pas si bien dire. Tu sais, elle est
fière, hautaine, tout ce que je déteste. Mais, j’ai
quand même réussi à la faire un peu plier.
Olivia lui relata leur altercation. Alexandre
l’écoutait. Quand elle eut terminé, il se leva et
demanda :

190
- Pourquoi lui as-tu donné tes coordonnées ?
Tu espères quoi ?
- Je ne sais pas. Ce fut machinal, instinctif. Je
lui ai laissé de la lecture, si tu vois ce que je veux
dire. Je n’ai pas parlé d’Olivier, ni de papa… Je ne
sais pas ce qu’elle sait d’eux, ni même si elle connait
leur existence. Elle va l’apprendre en lisant les écrits
de sa sœur. Au fond de moi, j’espère un
revirement…
- Tu ne changeras jamais. Bon, ton père a
appelé et…
- Il y a un problème ?
- Non, mais j’ai compris qu’il se sentait seul. Tu
veux qu’on passe le voir ?
- Pourquoi pas, cela nous fera du bien. Peut-
être que je ne lui parlerai pas de ce qui s’est passé
aujourd’hui…C’est encore trop frais et j’ai besoin de
prendre de la distance.
- Très bonne initiative. On emmène Déva ?
Il n’avait pas fini sa phrase que déjà cette
dernière s’était levée et se dirigeait vers la porte, sa
laisse dans la gueule, en les regardant avec instance.
Ils éclatèrent de rire.
- Dis-donc, toi, tu as fini d’écouter les
conversations des humains dit Alexandre en lui
grattant la tête.

Ce soir-là, Olivia, pour une fois, s’endormit


rapidement. Son esprit était comme libéré, elle
191
savait que la démarche qu’elle avait entreprise était
la bonne, qu’elle était salutaire pour elle, pour son
père et son frère. Cela n’apportait pas forcément de
réponses à toutes leurs interrogations, mais l’abcès
était crevé. Et elle espérait au fond d’elle que cela
amènerait de la paix dans leur cœur.

Quand Olivia eut quitté son appartement,


Dominique ressentit le besoin d’aller prendre l’air.
Cette visite impromptue l’avait secouée. Le passé lui
revint à l’esprit, d’un seul coup, comme une gifle.
Tout ce qu’elle s’était évertuée à enfouir refaisait
surface. Elle n’en n’avait jamais parlé. Durant toutes
ces années, elle n’avait jamais cessé les relations
avec ses parents. Elle allait les voir, y passait les
vacances avec ses enfants. Faire semblant. Toujours
faire semblant. Partout. Avec eux, avec son mari,
qui ne trouvant pas sa place, avait fini par aller voir
ailleurs, avec ses collègues en laissant croire que
tout allait bien et en cloisonnant vie privée et vie
professionnelle. Tout allait bien en apparence. Le
paraître. Montrer la réussite sociale. Ses enfants
font leur vie. Leur fille ainé, Lorène, avait fait de
belles études et était maintenant avocate et vivait à
Paris et ne venait que très rarement au Mans. Un
premier mariage, puis un second. Mais pas
d’enfants. La carrière avant tout. Quant à Léo, une
adolescence difficile, beaucoup de conflits.
Maintenant il est journaliste pour une agence de
presse réputée et voyage beaucoup. Célibataire.
En faisant cette rétrospection de sa vie, elle
s’avoua qu’elle n’était pas si heureuse en fin de

192
compte. Elle se retrouvait seule maintenant avec son
chien.
Elle repensa à sa nièce et reconnue qu’elle avait
beaucoup de courage pour aller déterrer le passé. Et
cette enveloppe, que contenait ’elle ?
Dès qu’elle fut rentrée de sa promenade, elle
s’installa dans son fauteuil devant la baie vitrée et
entreprit la lecture des feuillets. Elle lut tout, d’un
seul trait.
Ce qu’elle découvrit fut un véritable choc. Elle
revit sa sœur, si rebelle, si mal dans sa peau.
Comment a-t-elle pu vivre ainsi ? Quelle mère était
‘elle devenue ? En fait, elles avaient beaucoup de
points communs toutes les deux. Louise fut très
possessive, tenant sa fille éloignée des hommes. Et
elle, très sévère et exigeante avec ses enfants,
laissant peu de place à son mari en tant que père.
Leur parcours a été similaire sur le fond.
Inconsciemment, elles ont toutes les deux laissé peu
de place aux hommes dans leur vie. Elle prit
conscience qu’elle n’avait jamais parlé avec ses
enfants. Ils ne connaissent rien de son histoire.
Et puis sa sœur qui a cherché son soutien quand
elle a osé affronter les parents ; Dominique prenait
soudain conscience que tout aurait pu être différent
si elle avait suivi sa sœur à ce moment-là au lieu de
lui balancer ce soi-disant pardon qu’en fait elle
n’avait jamais donné.

Elle resta ainsi, prostrée, des larmes ruisselaient


sur son visage.
193
Elle prit la carte de visite d’Olivia et resta
quelques instants ainsi. Qu’allait ‘elle décider
maintenant ? Laisser les choses ainsi ou pour une
fois dans sa vie, assumer le mal qu’elle a fait ?

194
Chapitre 20

Olivia attendit quelques jours pour relater sa


rencontre avec sa tante à son père et son frère. Leur
réaction fut mitigée. Tous les deux s’accordaient
pour dire qu’il n’y avait rien à attendre de cette
femme qui leur était parfaitement étrangère. Ils
avaient compris qu’Olivia espérait autre chose. Mais
à quoi bon, lui avaient ‘ils fait remarquer ?
Olivia mit tout cela de côté dans un tiroir de son
esprit ; rencontrer sa tante lui avait fait du bien, elle
avait été jusqu’au bout de cette histoire, elle lui avait
dit ce qu’elle avait sur le cœur. Maintenant, il était
temps de passer à autre chose. Ils avaient d’autres
préoccupations plus matérielles à gérer dans
l’immédiat.
Le déménagement était programmé pour la
semaine qui arrivait. Son père était très fatigué, ce
qui les inquiétait beaucoup. Il avait rendez-vous
avec son nouveau médecin très prochainement. Son
dossier avait suivi et il pouvait continuer à
bénéficier du traitement sans interruption.

Ils avaient convenu de passer les fêtes de fin


d’année tous ensemble. Et Azilis devait les rejoindre
pour le réveillon de la Saint Sylvestre. Cette année
qui se terminait avait été si intense. Quand elle se
remémore tous ces moments, tout lui apparait
comme une évidence. Même s’il y a eu quelques
moments de tension, notamment son premier

195
contact avec Olivier, tout s’était déroulé comme s’ils
se connaissaient depuis toujours.

Une semaine avant Noël, ils étaient occupés à


vider les cartons, monter les meubles et aménager la
maison, quand ils entendirent frapper à la porte.
Déva se leva et instinctivement se dirigea vers
l’entrée. Olivia était occupée à l’étage, ce fut
Alexandre qui ouvrit. Une femme d’un certain âge
se tenait un peu à distance de la porte, hésitante.
Elle portait un manteau de fourrure et un petit
chien dans ses bras. Déva s’avança pour le renifler.
Sans aucune animosité. L’autre se blottit dans les
bras de sa maitresse.
Bien que ne la connaissant pas, Alexandre
compris immédiatement à qui il avait à faire, la
description physique qu’avait fait Olivia de sa tante,
était en tout point conforme à la personne qui se
tenait devant lui. Il la laissa se présenter.
- Bonjour. Vous devez être Alexandre Martin ?
- Bonjour, oui, c’est moi.
- Je suis la tante d’Hélène et …
- Oui, je sais qui vous êtes. Un instant, s’il vous
plait et Alexandre appela Olivia qui avait entendu.
- Bonjour… Que faites-vous là ?
- Vous m’aviez laissé vos coordonnées, alors,
j’ai pensé que… enfin, je souhaitais… Dominique
semblait bien embarrassée et Olivia avait devant elle
une personne bien différente de celle qui l’avait

196
reçue au Mans. Moins sûre d’elle, moins sévère
moins hautaine, presque honteuse.
Olivia la laissa entrer. Alexandre s’éclipsa.
- Que voulez-vous ? Tout d’abord, pour
clarifier les choses, je m’appelle Olivia.
- Oui, je sais. J’ai lu le manuscrit et je ne suis
pas là pour vous importuner. Depuis votre visite,
beaucoup de souvenirs remontent et je ne peux pas
dire que je suis à l’aise avec tout cela.
- Je m’en doute. Comment pourrait ’on l’être ?
Auriez-vous des remords ?
- Des remords ? Bien sûr… Je … Dominique
s’arrêta et regarda Olivia. Est-ce que je peux vous
tutoyer ?
Olivia hésita et finalement accepta. Elle la pria de
s’asseoir.
- Il y a quelque chose que tu ignores, que tout
le monde ignore…concernant le décès de mes
parents…
- Je vous écoute répondit Olivia qui pressentait
quelque chose de douloureux
- C’est moi qui les ai tués. Dit-elle d’un ton
froid et détaché
Olivia sursauta, elle s’attendait à tout, mais pas à
ça.
- Pardon ? Vous les avez … tués ? Un frisson la
secoua. Elle déglutit péniblement. Elle eut presque
peur.

197
Dominique était assise, droite, le regard dur.
- Tu as bien entendu. Je les ai tués. Mais pas
au sens que tu penses.
- Je ne comprends pas ce que vous essayez de
me dire…. Olivia ne se résolvait pas à la tutoyer.
- La veille de sa mort à lui, tu vois, je ne peux
plus l’appeler autrement, donc peu de temps avant
son décès, c’était le 10 juillet 1990 et je n’oublierai
jamais cette date, on s’est violement disputé. Il était
malade et voulait venir s’installer tous les deux chez
moi. En une fraction de seconde, je ne sais pas
pourquoi, j’ai revécu tout ce qu’il m’avait fait subir,
j’ai eu mal, très mal. Envie de vomir. Et devoir les
prendre en charge était au-dessus de mes forces.
Alors j’ai explosé et je lui ai tout flanqué à la figure,
tout ce qu’il m’avait fait, ce qu’il nous avait fait.
Tout. Il a fait un malaise. Il est tombé. Ma mère, qui
était là, a hurlé. Je les ai regardés, vide de toute
émotion et je suis partie. Je les ai laissés là, comme
ça, lui à terre et ma mère qui criait. On m’a appelé le
lendemain pour m’apprendre son décès. Et cela ne
m’a fait ni chaud, ni froid. Je ne suis pas allée à la
sépulture.
Olivia était anéantie. Elle relatait cela sur un ton
tellement froid, sans une once de sentiment, comme
si elle était spectatrice de ce qui s’était passé, qu’elle
en devenait presque effrayante. Elle ne sut quoi
dire.
- J’ai gardé cette histoire pour moi. J’ai fait
trop tard ce que ta mère a fait plus tôt, c’est-à-dire,
leur balancer à la gueule toute leur noirceur.

198
- Eh bien, comment dire ? Je suis … Je ne
trouve pas les mots… .Je ne peux pas me mettre à
votre place et je ne vais pas vous juger. Mais votre
mère, elle est décédée 10 ans plus tard, n’est-ce
pas ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Tout ce que je sais, c’est que suite au décès de
son mari. elle a été internée en psychiatrie où elle a
fini ses jours. A la suite de ce … drame », dit ’elle en
hésitant, comme si elle cherchait le terme adéquat,
« j’ai refusé tout contact avec elle. Voilà. Je ne vais
pas t’encombrer de plus de détails. Le reste
m’appartient ».
- Puis-je vous poser une question ?
- …
- Pourquoi m’avoir raconté cela ? Qu’attendez-
vous de moi ?
- Je ne sais pas. Vider un sac trop plein,
soulager ma conscience. Vous êtes psychologue,
alors vous comprenez, bien sûr, dit’ elle en
l’interrogeant du regard.
- Vous vous trompez de personne : il y a des
prêtres pour ça et cela s’appelle une confession. Et
là aujourd’hui, dans cette maison, je suis une femme
comme les autres qui s’est construite comme elle a
pu et ce n’est pas la thérapeute que vous avez en
face de vous. Et je ne serai jamais votre
psychologue, si c’est ce que vous espérez. Je ne
pourrais jamais poser un regard neutre sur cette
histoire.
Mais elle ne put s’empêcher de lui poser la
question qui la taraudait depuis quelque temps :
199
- Mais vos enfants sont-ils au courant ? Et
votre mari a-t-il su ?
- Non, personne ne sait. Mes enfants font leur
vie, tant bien que mal, et m’ont un peu oubliée, et
mon mari …. Comment dire ? Je me suis mariée
pour échapper à ce carcan familial, mais il n’y a pas
eu beaucoup d’amour entre nous, enfin, du moins
de mon côté. Il s’est fatigué de moi, à la longue.
- Ce que je peux juste vous dire, c’est qu’il faut
parler à vos enfants… Vous savez, cette histoire,
c’est aussi leur histoire et elle va laisser des
empreintes indélébiles si vous laissez les choses en
l’état.
Dominique la regarda, se leva et lui prit les mains
en murmurant simplement :
- Pardon et merci de m’avoir écoutée.
Et elle partit, sans qu’Olivia ne fasse un geste
pour la retenir. Alexandre, qui, depuis la pièce d’à
côté, avait tout entendu, s’approcha d’elle. Ils
regardèrent la voiture s’éloigner.
- Au moins, les choses sont claires et tu as bien
fait de lui faire comprendre que tu n’étais pas la
bonne personne pour écouter ses états d’âme.
- J’espère. Je suis fatiguée dit’ elle en
s’appuyant sur le bord de la table. Je suis si fatiguée
répéta-t-elle. Cette histoire me ronge plus que je ne
le pensais.
Au moment où elle prononçait ces mots, elle
sentit une truffe humide lui toucher la main. Elle ne

200
put s’empêcher de sourire, malgré elle. Sa chienne la
regardait et lui tendait la patte.
- Oh ma Déva ! Toujours là quand il faut !

Elle refoula ses larmes, remonta l’escalier et se


remit à défaire mécaniquement les cartons pour se
calmer. Et s’obligea à penser à autre chose.
Tout devait être prêt pour ces fêtes qui allaient
avoir une saveur très particulière cette année.
Depuis la perte de leur enfant, ils ne célébraient plus
Noel. Trop douloureux. Cette période était
anxiogène pour eux, toute cette liesse autour d’eux,
tout ce fatras, ce déballage où tout le monde est
heureux ou s’évertue à être heureux. Ils refusaient
toute invitation et la seule avec qui ils pouvaient
partager ce moment était Azilis. Ils se comprenaient
et pouvaient se laisser aller à être triste.
Cette fois, depuis bien longtemps, ils allaient tous
se retrouver. Olivia pressentait déjà cette plénitude,
ce bonheur simple et se sentit revivre pour la
première fois depuis longtemps.

Azilis débarqua l’avant-veille de Noel. Elle


découvrait leur nid pour la première fois et compris
à l’instant où elle descendit de la voiture pourquoi
ses amis étaient si attachés à cet endroit. Un
sentiment de paix, de calme l’envahit. Un doux
frisson lui caressa les bras. « C’est donc ça, l’âme
bretonne » songea-t-elle.
Olivia l’étreignit très fort en lui chuchotant
201
- Merci d’être là.
Ils lui firent visiter la maison en commentant
chaque pièce sur les travaux qu’ils avaient réalisés.
- Azilis, le rituel veut que, chaque jour, nous
allions faire une promenade sur la côte. Tu vas voir,
c’est unique. Tu vas adorer s’exclama Olivia pressée
de faire découvrir sa Bretagne à son amie.
Alexandre prétexta un travail à finir pour les
laisser aller seules.
Azilis, qui observait son amie depuis son arrivée,
avait remarqué que cette dernière avait les traits
tirés.
- Tout va bien, ma belle ? lui demanda-t-elle
- Oui, oui, je suis juste fatiguée. Le
déménagement, le nôtre et celui de mon père… Tout
cela n’est plus de mon âge ajouta-t-elle en riant pour
faire diversion.
- Tu es sûre qu’il n’y a pas autre chose ?
- Non, enfin, si…
Et elle lui raconta sa rencontre avec sa tante et la
venue impromptue de cette dernière.
- Je vois… Mais tu devais bien te douter qu’en
la rencontrant tu allais encore t’enfoncer un peu
plus dans votre histoire familiale. Olivia, cela fait
des mois que tu te débats avec ton passé. Il va falloir
que tu appuies un peu sur pause, tu ne crois pas ?
Garde le positif, c’est-à-dire, les retrouvailles avec
ton père, ton frère. Ça, c’est le plus important. Le
reste, je veux dire, ta tante, eh bien, elle doit vivre
202
avec ce qu’elle a vécu et fait et tu n’y peux rien.
Arrête de vouloir faire le bonheur de tout le monde.
Azilis avait touché juste et Olivia le savait.
- Tu as raison, mais je ne peux m’empêcher de
penser que tout cela aurait pu être évité si… Azilis
lui coupa la parole.
- Si, si, si quoi… ? Tu sais, comme moi, qu’on
ne peut rien contre le destin… Si mon mari n’avait
pas fait ce malaise, si ton fils, n’avait pas eu cette
maladie, si, si… Il faut regarder devant, ma belle…
C’est ce que tu dis à tes patients, je crois…
- C’est plus facile à dire aux autres qu’à
appliquer à soi-même. Et parfois, j’en viens à penser
que j’ai peut-être été un peu dure avec elle… Après
tout, elle aussi a souffert. Mais je lui en veux de ne
pas être allée dans le sens de ma mère quand elle a
rompu tous les liens avec leurs parents.
- Tu ne vas quand même pas commencer à
culpabiliser ! Tu n’en a pas assez de porter tout le
poids du monde sur tes épaules ?

- Tu dois avoir raison, il faut que je pense à


nous maintenant…soupira Olivia

- Enfin une parole sensée répliqua Azilis.


Elles continuèrent leur marche sur le sentier en
compagnie de Déva. Elles se posèrent quelques
instants sur un banc de granit face à la mer. Le ciel
était bleu, le vent soufflait légèrement, juste ce qu’il
fallait pour encourager quelques vagues à venir
s’échouer sur les rochers.
203
L’une et l’autre restèrent ainsi, sans parler, face
aux éléments, possédées, envoutées par
l’atmosphère féérique des lieux.
- Je comprends pourquoi vous aimez tant cette
région chuchota Azilis, gagnée par l’émotion.

204
Chapitre 21

Pour cette soirée de Noël, Alexandre et Olivia,


aidés d’Azilis, avaient préparé un repas simple.
Aucun d’entre eux n’était conventionnel. Loin d’eux
la dinde aux marrons et la bûche. Ils avaient préparé
un apéritif dinatoire, qu’ils jugeaient plus convivial.
Pas de décoration, juste quelques bougies
parfumées disséminées çà et là sur les meubles, les
fenêtres, pour créer une ambiance tamisée et
chaleureuse.

Christophe ne conduisait pratiquement plus.


C’est donc Alexandre qui avait été le chercher. Azilis
ne l’avait pas revu depuis qu’il était venu la solliciter
quelques mois plutôt. Elle le trouva changé
physiquement, amaigri, fatigué, mais malgré tout,
elle avait en face d’elle un homme plus sûr de lui,
souriant, presque apaisé. Il s’aidait d’une canne
pour marcher.
- Bonsoir Mme Boulay. Je suis ravi de vous
revoir. Je n’ai pas eu l’occasion de vous remercier
pour votre implication dans notre histoire dit ’il en
jetant un coup d’œil à sa fille qui sourit.
- Bonsoir, vous pouvez m’appeler Azilis. Oh, je
n’ai pas fait grand-chose et je suis très heureuse
pour vous tous. Et vous, comment allez-vous ? lui
demanda-t-elle en le prenant par le bras pour
l’accompagner vers le salon.

205
- Ça va. Je ne vais pas vous cacher que je suis
fatigué. C’est difficile tous ces traitements. Je
m’accroche, pour eux, en se tournant vers Olivia et
Alexandre qui s’affairaient dans l’espace cuisine. Je
les aime tant. Mais, je sais que mes jours sont
comptés confia-t-il à Azilis.
Elle lui sourit tristement et s’installa à côté de lui
sur le canapé, rejoint très vite par Déva.
- A te voilà ma belle. Vous savez qu’elle m’a
sauvé la vie ? dit ’il en posant sa main sur la tête de
la chienne.
- Oui, j’ai entendu parler de ça…

Ils continuèrent à discuter quand ils entendirent


une voiture klaxonner. Olivia se retourna et
s’exclama en riant :
- Ah voilà le beau gosse.
C’est ainsi qu’elle avait surnommé son frère.
Elle ouvrit la porte et sortit pour l’aider.
- Bonsoir la compagnie s’écria t’il sur un ton
très enjoué. Je suis le dernier, il me semble.
Olivia présenta Azilis à son frère qui lui serra la
main avec un large sourire. Leurs regards
s’accrochèrent quelques secondes, comme attirés
par un aimant. Azilis, troublée, se ressaisit très vite.
Elle n’avait jamais ressenti ce frisson depuis sa
rencontre avec son mari. Et elle s’était promis de lui
rester fidèle au-delà de la mort. Pas question pour
elle de se laisser envahir par quelques émotions.
206
C’est un sentiment qu’elle avait oublié. Elle prétexta
qu’elle devait aider Olivia pour le laisser.
Olivier donna le change en allant saluer son père.
Tout en discutant avec lui, il ne quittait pas Azilis du
regard. Il avait orienté son fauteuil de manière à
l’avoir dans son champ de vision. Pour la première
fois, il sut. Que ce serait elle la femme de sa vie. Un
seul regard avait suffi. « C’est donc cela le coup de
foudre » songea t’il. D’autres femmes avaient
partagé quelques instants de sa vie, sans lendemain.
Olivia, à qui le regard furtif échangé par son frère
et son amie n’avait pas échappé, les avait
volontairement installés l’un à côté de l’autre. Loin
d’elle l’idée de les marier, mais plutôt qu’Azilis laisse
venir en elle de nouvelles sensations, et que son
frère gagne un peu plus en confiance en lui. Ils
passèrent la soirée à discuter de tout et de rien
comme de vieux amis qui se retrouvent. Azilis avait
lâché prise, malgré elle. Elle se sentait si bien à ses
côtés.
Personne ne fut dupe de ce qui était en train de
naitre, mais ils eurent tous la pudeur de ne faire
aucune remarque.

Ce fut Christophe qui rompit la glace en


proposant d’écouter de la musique. Il avait amené
un disque d’un chanteur breton qu’il adorait, Denez
Prigent.
- J’aimerai vous faire écouter une chanson que
j’aime beaucoup et qui me fait du bien. Alexandre

207
veut-tu nous le mettre dans ta chaine, s’il te plait ?
en tendant un disque à son gendre.
Quand la voix du chanteur s’éleva et raisonna
dans la pièce, tous furent envahis de la même
émotion. Les paroles étaient en breton, mais cela
donnait encore plus de force à ces chants. Il avait
une voix si particulière, musicale, à peine
rocailleuse, qui semblait venir d’un autre temps. Le
morceau se terminait par une envolée de
cornemuses d’une telle puissance que chacun en eut
la chair de poule. Olivia saisit la main de son mari et
pencha sa tête sur son épaule, Christophe fermait
les yeux. Olivier et Azilis ne disaient mot, mais se
parlaient du regard.
Dès que le morceau fut terminé, Olivia se leva et
alla chercher le carnet bleu qu’elle avait rangé dans
le tiroir de la vieille commode.
- Ce carnet bleu contient des poèmes que
maman écrivait. Pour la première fois, elle prononça
le mot « maman ». Il me semble qu’il y en a un
qu’elle a écrit en écoutant ce chanteur.
Elle feuilleta le carnet.
Ah, le voilà. Je peux vous le lire. C’est beau.

« Le vieux druide

Le vieux druide, ce soir, est mort. Il repose,


majestueux, auprès d’un chêne millénaire, sur un lit
de fougères. Il est vêtu de sa longue tunique
blanche, d’une écharpe et autour de son cou un
208
torque auquel est accroche la triskell. Un bandeau
enserre sa longue chevelure argentée.

Tout le pays pleure son maître. Le peuple breton


est venu de partout. Un barde loue sa mémoire en
rappelant son histoire et son lignage royal
Au cœur de Brocéliande, le son des cornemuses
s’élève vers les cieux, complainte que reprennent les
alouettes reliant ainsi le monde des hommes et celui
des dieux.
Le vent dépose un voile de brume sur sa
sépulture. Une branche de gui et une serpe ont été
déposées sur sa tombe, derniers souvenirs
terrestres du vieil homme.
Les larmes de la Bretagne chutent sur les
rochers, deviennent cascades et ruisselets qui
serpentent dans la lande jusqu’à se jeter dans la
mer.

Ecrit un soir de tempête en écoutant « Et ti Eliz


Iza » extrait du festival inter celtique de Lorient
interprété par Denez Prigent. »

Quand elle eut terminé, elle les regarda tous : des


larmes coulaient sur les joues de son père. Il s’était
levé et se tenait appuyé sur sa canne, près de la
fenêtre qui donnait sur le jardin. Il contemplait le
ciel étoilé de cette belle nuit de Noël. Une étoile
filante s’envolait à l’horizon. Une âme qui quitte ce
monde songeât-il.
209
Ce soir-là, il y eut un instant de grâce, le temps
s’était arrêté.

- Mes enfants, nous venons de vivre un


moment de bonheur intense tous. C’est la première
fois de ma vie que je me sens autant relié à l’infini
que ce soir. Avez-vous senti ce que cet homme nous
transmet ? Un passage vers l’au-delà. Vous allez me
trouver étrange, vous devez penser que je deviens
sénile. Mais non. J’ai beaucoup écouté Denez
Prigent, je l’ai vu en concert et à chaque fois, cette
émotion que vous avez tous ressentie m’a gagné.

Olivia s’avança avec un plateau et une tisanière


qui dégageait des parfums de fruits, de pain
d’épices.
- Je vous propose une infusion de Noël, c’est
Charles, notre voisin, qui nous l’a offerte. Cela va
nous réchauffer le corps et le cœur.

Pendant qu’elle distribuait les tasses, Azilis prit la


parole.
- Je voulais tous vous remercier de m’avoir fait
partager cette soirée délicieuse. Je ne me suis pas
sentie aussi bien depuis fort longtemps. En fait, le
miracle de Noël, c’est ce que l’on est en train de
vivre. Etre ensemble, vivre l’instant présent,
savourer ce bonheur.

210
La soirée se termina ainsi, tranquillement, tous
unis dans la chaleur de cette maison qui avait réussi
à rassembler cette famille orpheline.

Tous devaient rester dormir là. Alexandre et


Olivia avaient aménagé des coins nuits à l’étage et
aussi dans le cabanon qui disposait à présent de tout
le confort. Seul Olivier devait reparti chez lui.
- Désolé, mais je dois rentrer car demain, je
travaille.
- Ce n’est pas très prudent de rentrer seul à
cette heure-ci répondit Alexandre.
- Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude. Je vous
envoie un message dès que je suis arrivé. Mais, j’y
pense, on organise un réveillon pour les résidents
pour la St Sylvestre. Ça vous dirait de venir ?
Vous savez, la plupart d’entre eux ne voit jamais
leur famille. Ça serait une belle occasion de tous les
rencontrer, Olivia, avant ta prise de poste officielle.
Et puis, j’aurai besoin d’un pro en informatique
pour m’aider à finaliser un petit montage vidéo que
j’ai préparé pour eux : une sorte de rétrospective de
l’année. Je ne suis pas très doué, ajouta t’il en
regardant Alexandre.
Christophe, vous pourriez vous occuper du choix
des chants et vous les filles, en s’adressant à sa sœur
et à Azilis, on a besoin de main pour organiser le
buffet.
Et puis vous pouvez emmener Déva : les résidents
adorent les animaux et elle va faire sensation.
211
C’était pour lui une invitation indirecte pour
passer la fin de l’année avec elle, sans lui demander
ouvertement. Mais elle avait compris. Son sourire
répondait pour elle.

Tous acceptèrent, mais Alexandre insista pour


raccompagner Olivier chez lui se soir en le suivant
avec son propre véhicule.

Oliver embrassa son père, sa sœur et au moment


où il se retrouva devant Azilis, il déposa un doux
baiser sur le coin de sa joue, juste à la commissure
de ses lèvres, tout en lui serrant le bras. Azilis
rougit, sourit timidement, troublée et n’osa le
regarder.

Christophe, fatigué, mais heureux, monta se


coucher. Les filles restèrent à papoter dans le salon
en attendant le retour d’Olivier.
- Quelle belle soirée… Si on m’avait dit ça il y a
un an, je ne l’aurai pas cru dit Olivia en s’étirant sur
le canapé. Et toi, comment ça va ?
- Bien, bien. Je ne me suis pas sentie aussi
détendue depuis bien longtemps.
- J’ai vu et j’en suis heureuse. Dis-moi,
maintenant qu’on est entre nous, vous vous êtes
bien entendu, mon frère et toi ?
- Oui, il est…. Azilis hésitait

212
- Sympa ? C’est ce que tu veux dire ?
- Ben oui…. Mais ne vas pas t’imaginer des
choses. Tu sais très bien qu’Erwan est toujours très
présent dans mon cœur et il n’y a pas de place pour
quelqu’un d’autre dans ma vie.
- Je sais, je ne vais pas te juger, mais rien ne
t’empêche d’avoir des amis. Tu sais, Olivier est
quelqu’un de bien, je ne dis pas cela parce que c’est
mon frère, mais il est entier et vrai dans ses
relations. Et juste, donne toi le droit d’être
heureuse. Je te fais grâce des phrases toute faite du
style « Erwan aurait aimé que tu refasses ta vie » etc
… Je déteste que l’on fasse parler les morts. Mais,
juste, tu as le droit d’aimer et cela n’entachera en
rien l’amour que tu portes à ton mari. Tu n’as pas à
culpabiliser. Excuse-moi de jouer la psy, mais, je
vous ai vus ce soir, et il y avait une telle complicité
entre vous…
- Je vais être franche avec toi. C’est vrai qu’il
m’a troublée avoua-t-elle. Je me suis sentie
tellement bien à ses côtés. Il est rassurant. Mais j’ai
besoin de temps. C’est comme si je trompais
Erwan…
Azilis posa sa tête contre l’épaule de son amie.
- A qui pourrai-je dire ces choses, si ce n’est à
toi ? Tu me comprends, mais s’il te plait, ne lui dis
rien.
- Bien sûr que non ! Tu peux compter sur moi.
Tiens, j’entends la voiture d’Alexandre. Tant mieux,
tout le monde est à bon port.

213
Chapitre 22

La semaine passa tranquillement, Alexandre et


Olivia terminaient l’aménagement de leur nouveau
foyer, tandis qu’Azilis, qui avait apporté avec elle
quelques dossiers, en profitait pour se mettre à jour.
Parfois, elle profitait d’un rayon de soleil pour aller
flâner sur la côte en compagnie de Déva. Elle
savourait ces instants où elle se retrouvait seule avec
la nature. Elle se repassait en boucle la soirée de
Noël et Olivier occupait toutes ses pensées malgré
elle. Sans vouloir se l’avouer, elle avait hâte de le
revoir et en même temps cela lui faisait peur. Il
allait certainement être très occupé à organiser ce
réveillon et n’aurait donc pas trop de temps à lui
accorder. Ce qui la rassurait, car elle se demandait
comment elle réagirait s’il se montrait plus
entreprenant. Ce baiser juste déposé sur le coin de
ses lèvres l’avait complètement chavirée, elle devait
se l’avouer.

Dans la semaine, Alexandre devait rencontrer


Olivier pour l’aider à finaliser sa projection. Il
proposa aux filles de l’accompagner. Olivia
interrogea son amie du regard, qui feint d’avoir
encore du travail pour refuser. Olivia compris
qu’Azilis fuyait, sourit et ils la laissèrent là.
Ils furent de retour quelques heures plus tard.
- Tu as le bonjour d’Olivier lui déclara Olivia.
Tu sais, cela va être une belle fête. Il s’implique

214
tellement dans son travail. On a rencontré quelques
résidents : ils ont l’air de beaucoup l’apprécier.

Il avait été convenu qu’ils devaient tous se


retrouver à l’ESAT le 31 vers 20h00 afin d’aider à
terminer les préparatifs. Olivia irait chercher son
père à Paimpol, tandis qu’Alexandre et Azilis se
rendraient directement sur place.

Christophe avait préparé une série de CD ainsi


qu’une guitare.
- Tu m’avais caché que tu jouais de la guitare
s’exclama Olivia. C’est génial. Ils vont adorer.
- J’ai toujours aimé cet instrument et je m’y
suis remis depuis que je suis malade. Cela m’aide à
penser à autre chose, tu comprends.
- C’est bien, il faut s’occuper l’esprit. Comment
tu te sens ?
- Je ne vais pas te mentir. Je me sens de plus
en plus fatigué. J’ai rencontré le médecin. Il dit que
mon état est stable, mais je sens bien que je
m’affaibli de plus en plus. Tu vois, je ne me déplace
plus sans ma canne.
Olivia lui prit la main et la serra fort. Que lui
dire ? Elle voit bien qu’il souffre.
- Tu pourrais faire quelques séances
d’acupuncture. Elle aide à supporter la lourdeur des
traitements et peut diminuer leurs effets
secondaires. Veux-tu que je me renseigne ?
215
- Pourquoi pas ? Au point où j’en suis, qu’est-
ce que je risque ? répondit ’il d’un ton blasé
- Eh, c’est quoi ce moral ? Je vais tâcher de te
trouver un rendez-vous très vite. Tu es prêt, on y
va ? Tu as un concert à assurer plaisanta-t-elle.
- Merci, ma fille. Ça va aller. Pardon, je te
donne bien du tracas.

Quand ils arrivèrent, Olivier les attendait pour les


mener vers la salle réservée pour cette fête. Olivia
chercha du regard son mari et son amie qui étaient
occupés, l’un à la sono et l’autre au buffet. Déva
rodait du côté des cuisines.
Olivia prit son père par le bras et l’emmena
s’installer près d’Olivier. Il remarqua la guitare.
- Eh ! J’ignorais que tu jouais. C’est une super
idée.
Olivier se déplaçait avec son fauteuil avec
aisance, allant de l’un à l’autre, pour s’assurer que
tout était en place. Il ne voulait rien laisser au
hasard. Ses collègues éducateurs et animateurs
avaient aussi participé à la préparation de la soirée.
Cette soirée avait beaucoup de sens pour lui.
Rassembler sa famille, donner du bonheur aux
résidents et puis… Azilis était là.
Quand tout fut prêt, le directeur monta sur
l’estrade pour remercier tout le monde et en profita
pour présenter Olivia à l’assemblée et annoncer sa
future prise de poste.

216
Olivier, secondé d’Alexandre, projeta un petit
film flash-back sur l’année qui se terminait, leurs
réalisations, les sorties, l’idée étant de valoriser le
travail des handicapés. Les résidents riaient de se
voir sur l’écran, de reconnaitre des lieux qu’ils
avaient visités. Certains étaient plus démonstratifs
que d’autres.
Azilis, qui s’était installée au fond de la salle,
observait Olivier au milieu d’eux. Il leur parlait, les
interpellait quand le visage de l’un deux apparaissait
à l’écran. Il était à sa place, handicapé parmi les
handicapés, mais pas que. Il était leur pilier, leur
force. L’admiration et la confiance qu’ils avaient
tous en lui étaient palpables. Quelle présence pensa-
t-elle. Il semble si sûr de lui. Elle se rendit compte
que quand elle pensait à lui, elle occultait son
handicap. Il était tellement à l’aise avec son fauteuil
qu’on ne le voyait même pas.

Puis Olivier présenta son père et l’invita à jouer


quelques morceaux à la guitare. Christophe,
transcendé par la musique, fermait les yeux et se
laissait transporter par le jeu de l’instrument. Un
instant, il en oubliait sa maladie, ses souffrances et
se sentait plus léger.
Certains se risquaient à esquisser quelques pas de
danse, pas toujours dans le bon rythme, mais peu
importe, l’essentiel était de s’amuser.
Le buffet préparé par Azilis et quelques
animateurs et résidents fit sensation et la fête se
poursuivit ainsi en attendant les douze coups de
minuit.
217
Quand le décompte commença, Olivia, son mari
et Azilis se regardèrent. D’ordinaire, ils n’aimaient
pas ce moment où tout le monde souhaite à tout le
monde une bonne année. Ils y voyaient une certaine
hypocrisie qui les agaçait ; franchement qu’est-ce
qu’on en a à faire que les autres passent une bonne
année… Mais ce soir, emportés par la joie, ils se
souhaitèrent et espèrent le meilleur pour l’avenir.
Olivier s’approcha d’eux et après avoir embrassé
sa sœur et son beau-frère, se tourna vers Azilis avec
son beau sourire. Alexandre et Olivia s’éclipsèrent
discrètement.
- Azilis, je te souhaite une très belle année….
Il était un peu embarrassé et avait tant à lui dire…
mais il sentait qu’il ne devait pas bousculer les
choses.
- Merci Olivier. Les vœux, c’est la tradition. Je
suis comme toi, pas très à l’aise avec. Mais, moi
aussi, je te souhaite le meilleur et… merci pour cette
belle soirée. Tout le monde est heureux. Tu as
réussi.
Et elle se pencha pour l’embrasser, et au moment
où elle tendait la joue et lui l’autre, maladroitement,
leurs lèvres e rencontrèrent.
Azilis se redressa et rougit.
- Pardon, oh, ne va pas croire que…euh, je
crois qu’on a un peu dérapé…
- Non, c’est moi…. Le champagne peut être
nous tourne la tête.
Et ils éclatèrent de rire, déjà complice.
218
- Viens, on va aller voir ton père. Il est
formidable. Vous vous ressemblez tous les deux et je
l’aime beaucoup.
Ils avancèrent vers Christophe qui les accueillit
avec empressement.
- Ah, vous voilà tous les deux. Je vous souhaite
d’être heureux. Toi mon fils, reste ce que tu es. Ne
change rien et vous Azilis, vous êtes aussi une belle
personne et vous ne le savez pas encore, mais votre
place est ici. Faites confiance en l’avenir. Il vous
réserve de belles surprises.
Olivier et Azilis se regardèrent. Un instant, ils
n’eurent qu’une envie, c’est de se retrouver seuls,
rien qu’eux tous les deux.

Cette nuit-là, ou ce qu’il en restait, Azilis dormit


d’un sommeil agité, son esprit envahit par Olivier.
Olivier qu’elle revoyait parmi ses collègues et
résidents, Olivier dont le baiser s’égare, Olivier et
son sourire éclatant, son regard, Olivier, Olivier, ….
Elle se rendit compte que cette rencontre l’avait
complètement chamboulée. L’amour, à part celui
qu’elle gardait pour Erwan, était en train de creuser
un nid au fond de son cœur et cela lui fit peur.
N’avait’ elle pas juré fidélité à son mari ?
Olivier de son côté vivait la même chose. A la
seule différence qu’il n’osait pas envisager qu’une
femme puisse l’aimer véritablement à cause de son
handicap. Pourtant, de la même manière, son cœur
se remplissait aussi d’un nouveau sentiment.

219
Azilis devait rentrer chez elle le surlendemain.
D’habitude, elle avait hâte de retrouver son
environnement et ses habitudes. Cette fois-ci, elle
sentait poindre de la tristesse à l’idée de quitter ses
amis. Sans rien ne dire à personne, elle décida de
passer dire au revoir à Olivier : après tout, ce n’était
pas un grand détour sur son trajet. Elle voulait
mettre les choses au point avant que la situation la
dépasse et ne pas lui laisser de faux espoir.
Quand elle arriva devant son appartement, elle
l’aperçut qui se promenait dans le parc. Attiré par le
bruit du véhicule, il se retourna et la vit. Son cœur
bondit dans sa poitrine.
Elle s’avança vers lui, intimidée… Ils étaient seuls
dans ce parc.
- Bonjour Olivier. Je rentre à Laval et je
passais juste te dire au revoir, dit-elle en baissant les
yeux et en resserrant le col de son manteau.
- C’est gentil. Viens, entre une seconde. Il fait
froid dehors. Tu as bien cinq minutes.
Azilis hésita, sa tête disait non, mais son cœur
disait oui.
- D’accord, mais pas longtemps, j’ai un peu de
route et je voudrais arriver avant la nuit.
Olivier la fit entrer et lui proposa de prendre un
thé.
Puis, il s’installa à côté d’elle. Il la regardait
déguster sa boisson. Il se dit que c’était le moment
pour oser lui avouer ses sentiments.

220
- Azilis, j’ai passé une magnifique soirée. Ma
sœur, mon père et… toi.
Il se sentait si maladroit.
- Comment te dire ? Depuis, je ne cesse de
penser à toi, le jour, la nuit. Tu envahis toutes mes
pensées déclara t’il en lui prenant la main
doucement et en la regardant droit dans les yeux.
Azilis redoutait et en même temps attendait ce
moment. Elle lui sourit et laissa sa main dans la
sienne.
- Olivier, je… je ressens la même chose que toi.
Toi aussi, tu hantes mes jours et mes nuits. Mais, je
ne peux pas… enfin, je ne suis pas prête pour une
nouvelle relation. Pas encore.
- Je m’en doutais… C’est mon handicap qui te
gêne. Je suis repoussant c’est ça, avec mes jambes
déformées et…
Il recula, le visage fermé soudainement.
Azilis l’interrompit brusquement et s’approcha de
lui en posant sa main sur son bras.
- Mais non, pas du tout, pas du tout ! s’écria-t-
elle malgré elle. Quand je te vois, je vois Olivier, un
homme qui me charme, qui me touche, qui me
bouleverse, et à aucun moment, je n’ai ressenti une
gêne quelconque face à ton handicap. Non, ce n’est
pas ça ….
- C’est quoi, alors ? Je ne comprends pas. Tu
me dis que tu ressens les mêmes choses, mais que tu
ne peux pas. As-tu quelqu’un d’autre dans ta vie ?

221
- Oui, il y a quelqu’un..
- Ah… Je croyais que tu étais… enfin
- Ce n’est pas ce que tu crois. Mon mari,
Erwan, est décédé il y 7 ans maintenant. Nous étions
si heureux, si fusionnels. Ce fut un tsunami, sa
disparition. J’ai mis du temps à reprendre gout à la
vie. Ta sœur m’a beaucoup aidée à remonter la
pente. C’est une amie précieuse. Mais je l’aime
toujours, il me manque toujours autant. J’ai
toujours autant mal, là, dit ’elle en mettant sa main
sur sa poitrine. Je me sens vide depuis son départ.
Tu comprends, n’est-ce pas ? Dis-moi que tu
comprends ?
- Oui, oui, je comprends, je suis vraiment
désolé. Je ne savais pas.
- Je me suis promis de lui rester fidèle au-delà
de la mort. Je suis morte dedans, mon cœur est
mort. Je suis incapable d’aimer à nouveau…Mais je
n’ai pas vu venir ce qui nous arrive. Notre rencontre
m’a beaucoup perturbée et je ne sais plus où j’en
suis. J’ai besoin de temps, tu comprends, pour
envisager une nouvelle relation. Je ne sais pas si je
pourrai.
Olivier sentait qu’il était allé trop vite et s’excusa.
- Pardon, pardon, je suis allé trop vite. Mais, je
ne veux pas te perdre. Tu vas repartir chez toi, je ne
sais pas quand on se reverra. Sache que je
t’attendrais le temps qu’il faudra. Promets-moi une
chose ?
- Oui, laquelle demanda-t-elle en le regardant,
les yeux embués de larmes
222
Il approcha sa main pour essuyer sa joue et lui dit
doucement :
- Sois mon amie…. Ta présence me fait du bien
et je te promets de ne jamais te reparler de mes
sentiments.
Elle pencha sa joue vers lui, prit sa main et y
déposa un tendre baiser.
- Oui, je veux bien être ton amie.
- Tu m’envoies un texto dès que tu es arrivée ?
- Oui, promis. Il faut que j’y aille.
Elle se sentait si bien, là, à ses côtés. Elle se leva à
regret et partit.

Il s’approcha de la fenêtre et la regarda monter


dans sa voiture.
- Je t’aime Azilis murmura t’il. Je t’aime et je
t’attendrais.

Trois heures plus tard, un message s’afficha sur


l’écran de son téléphone.
Bien arrivée – Prends soin de toi – Amitiés
sincères.

Il répondit aussi tôt


Soulagé de te savoir à bon port – Je t’embrasse.

223
Chapitre 23

La vie repris son cours pour chacun d’entre eux.


Alexandre continuait son activité à distance. Olivia
recevait ses premiers patients dans son cabanon et
en parallèle avait commençé ses interventions à
l‘ESAT. Ce qui la comblait. Elle avait enfin la
sensation d’être à sa vraie place, de remplir la
mission pour laquelle elle était sur terre.
Christophe se battait toujours contre sa maladie :
des hauts et des bas, mais pas d’aggravation de son
état pour le moment. Ses enfants venaient le voir
très souvent. Leurs visites lui faisaient du bien.
Il avait profité d’un weekend où il les avait tout
les deux ensembles pour aborder un sujet qui
l’obsédait depuis quelques semaines.

- Cela tombe bien que vous soyez tous les deux


réunit, il faut que je vous parle. Merci de m’écouter
jusqu’au bout, s’il vous plait.
Et il prit la parole. Sa voix tremblait.
- Je sais que j’arrive au bout de ma vie et…
- Papa, je…
- Non, laisse-moi finir mon fils. Je sais que
j’arrive au bout de ma vie et je voulais vous faire
part de mes dernières volontés. Rassurez-vous, je ne
vais pas mourir demain dit ‘il en souriant, mais,
cette fin d’année m’a fait prendre conscience que les
instants que l’on vit sont si précieux. Je suis heureux
224
de vivre à côté de vous. Pour le moment, mon cancer
me laisse un peu de répit. Mais je sais qu’arrivera le
moment où il faudra que j’aille en soins palliatifs. Je
ne veux pas finir mes jours à l’hôpital. Je ne veux
pas que l’on s’acharne sur moi. Je veux mourir chez
moi et je veux décider de partir quand je sentirai
que l’heure est arrivée. Promettez-moi de m’aider à
ce moment –là. Je vous veux à mes côtés pour
m’accompagner à faire le grand saut. Je comprends
que ce que je vous demande est difficile, mais il faut
en parler.
« Les morts sont des invisibles, mais non des
absents. » disait quelqu’un dont je ne me rappelle
plus le nom ajouta t’il.

Olivia et Olivier se regardèrent. Ils ne


s’attendaient pas à cette déclaration aujourd’hui,
même si au fond d’eux, ils savaient que cela
arriverait.

Ce fut Olivia qui parla. Parmi tous ses patients,


une histoire revint à son esprit. Celle de cette jeune
femme qui avait accompagné son père victime d’une
maladie incurable qui le rendait dépendant de jour
en jour. Elle se rappelait les discussions qu’elles
avaient eues à ce moment-là. Elle avait dû trouver
les mots justes et voilà que maintenant c’était à son
tour d’affronter cette situation.
- Papa. C’est très courageux ce soir de nous en
parler. Je crois que nous tous sommes conscient ici
de ce que tu traverses, la souffrance, la peur,
225
l’angoisse. Nous ne sommes bien sûr pas dans ta
tête. Je respecte ce que tu nous demandes, même si
cela me terrorise. C’est terriblement difficile.
Et elle regarda Olivier qui prit la parole à son
tour.
- Papa, il y a quelques mois, je ne savais même
pas que tu existais. Olivia non plus. Très vite, on a
trouvé une complicité, tous. Je ne sais pas quoi te
dire. Je n’ai pas envie de te perdre, pas maintenant,
pas déjà… jamais. On a tant à vivre ensemble.
- Olivier, moi non plus, je n’ai pas envie de
vous quitter. Mais, il faut être lucide et réaliste. Ce
que je vous demande, ce n’est pas parce que j’ai
envie de mourir maintenant. Je sais et nous savons
tous les trois, et il les regarda droit dans les yeux,
que ce moment viendra. Je suis en paix avec ça. Je
voulais vous faire part de mes dernières volontés
pour ne pas que vous ayez à culpabiliser sur quoi
que ce soit.

Olivia prit son frère et son père par la main et


dit :
- Papa, on te le promet. Mais s’il te plait,
prends ton temps, on n’est pas pressé ajouta-t-elle
en souriant pour détendre l’atmosphère.
- Merci mes enfants. Je vous aime
- Nous aussi on t’aime fort, papa articula
Olivier, au bord des larmes, incapable d’ajouter
quoique ce soit. Soudain, il se sentit redevenir un
petit enfant orphelin.
226
Puis, Christophe prit sa guitare et laissa ses
doigts se promener sur les cordes de l’instrument.

L’heure venue de se quitter, Olivia et Olivier


laissèrent leur père. En bas de l’immeuble, ils
décidèrent d’aller prendre un verre sur le port à
Paimpol. A cette saison, il n’y avait encore pas trop
de monde. Ils avaient besoin de se retrouver tous les
deux pour parler de ce qui venait de se passer.

Ils s’installèrent et restèrent quelques minutes


silencieux.
- Pourquoi la vie nous inflige-t-elle des
décisions si difficiles ? demanda Olivier, son verre à
la main.
Olivia lui sourit, et tendit la main pour replacer sa
mèche de cheveux qui lui cachait un œil.
- Petit frère, je n’ai pas la réponse. Je trouve
notre père très courageux. Il faut qu’on le soit aussi,
pour lui.
- Oui, mais, c’est trop dur… Je ne suis pas sûr
d’assumer ce qu’il nous a demandé, le jour venu.
- Oui, c’est dur. Quand on parle de la fin de vie,
de pouvoir choisir comment on veut mourir, on
trouve que c’est bien, qu’on ne peut pas laisser les
gens agonir dans la souffrance, tant que cela ne
nous touche pas personnellement… Le jour où c’est
l’un de nos proches, c’est autre chose. Les grandes
théories s’envolent et les décisions sont lourdes à
prendre et à porter.
227
- Mais, il va tenir longtemps encore n’est-ce
pas ?
Olivier avait besoin d’être rassuré et n’était pas
capable d’envisager le décès de son père.
- Je l’espère, je le souhaite de tout mon cœur.
Dis-moi, es-tu croyant ?
- Oui et non. Tu sais avec tout ce que j’ai vécu,
de mal et de bien, je me dis que je dois avoir un ange
gardien quelque part, quand même. Mais ne me
parle pas de messe, de religion. C’est du business,
une invention de l’homme pour exercer une forme
de pouvoir. Il n’y a qu’à voir ce que l’humain est prêt
à faire au nom de je ne sais quel dieu. Pour moi,
c’est autre chose. L’impalpable…
- Tu as raison. J’en suis au même point que toi.
Je suis persuadée qu’il y a quelque chose. Tu sais,
j’ai souvent des intuitions, je pressens des choses.
Une petite voix intérieure.
Et elle lui raconta pour leur père, comment les
choses se sont mises en place, comme si toutes
s’étaient imbriquées les unes dans les
autres naturellement : le décès de leur mère, la
maison, son père, lui… . Toutes ces coïncidences.
- Tout cela me laisse à penser, comme toi, que
l’on doit avoir un ange gardien quelque part qui
veille sur nous. Et puis, je suis convaincue que notre
esprit, notre âme, appelle –ça comme tu veux, ne
meurt pas… C’est comment tu dis…
- Impalpable… Oui, ça rassure.

228
Olivier saisit l’occasion pour évoquer Azilis avec
sa sœur.
- Il faut que je te parle de quelque chose dit ‘il.
- Moi aussi. J’ai quelque chose à te dire.
- Vas-y, je t’écoute.
- Voilà, quelques jours avant Noël, on a eu la
visite de notre tante Dominique…
Olivier l’interrompit
- Qu’est-ce qu’elle est venue faire chez toi ?
- Elle est venue me parler du décès de ses
parents. Elle m’a dit, comme ça, de but en blanc,
qu’elle les avait tués.
- Tués ?! s’exclama Olivier en écarquillant les
yeux.
- J’ai eu la même réaction que toi. En fait, ils
ont eu une altercation et suite à cela, son père a fait
un malaise et elle les aurait plantés là, sans
intervenir.
- Bah ! Tu l’as crue ? Tu ne penses pas qu’elle
veut se donner bonne conscience à tes yeux ?
- Je ne sais pas. Elle semblait sincère, mais elle
m’a raconté cela avec une telle froideur et avec un
tel détachement…Elle m’a fait presque peur. Je crois
qu’elle disait vrai.
- Et après ?
- Après, elle m’a demandé pardon et elle est
partie. Je ne l’ai pas retenue.
229
- Tu as bien fait, s’empressa de dire Olivier qui
était plus direct que sa sœur. Mais pourquoi tu n’en
as pas parlé plus tôt ? Papa est au courant ?
- J’avais besoin de prendre du recul avec cette
histoire. Noël approchait et je n’ai pas voulu nous
encombrer avec ça. Papa n’est pas au courant et je
ne compte pas lui en parler.
- Tu as raison. Je ne la sens pas cette femme.
On s’est retrouvé, c’est l’essentiel, non ?
- Bien sûr. J’avais besoin de la voir, tu le
comprends, mais ce qui s’est passé avec ses parents
lui appartient. Bien sûr, c’est horrible ! Je la crois
sincère : peut-être qu’il lui a fallu du temps pour
verbaliser ce qu’elle a vécu, peut-être que ma
première visite ainsi que le manuscrit que je lui ai
fait lire, ont été l’élément déclencheur de sa prise de
conscience et qu’elle avait besoin de parler. Tu te
rends compte que ses enfants ne connaissent rien de
cette histoire. Je lui ai juste conseillé de leur parler.
Maintenant, rassure-toi, je ne compte pas la revoir.
- Je l’espère bien. On a d’autres préoccupations
avec Papa.
- Oui, tout à fait. Mais je tenais à ce que tu sois
au courant. Et toi, que voulais –tu me dire ?
Olivier avait besoin de se confier à sa sœur.
- C’est au sujet d’Azilis . Tu as de ses
nouvelles ?
Olivia le regarda, un petit sourire aux lèvres.
- Oui, on s’appelle régulièrement, pourquoi ?

230
- Et elle t’a dit quelque chose à mon sujet ?
Olivia avait eu une conversation avec son amie,
mais elle ne pouvait pas la trahir.
- Elle m’a demandé de tes nouvelles elle aussi.
Mais où veux-tu en venir ? Dis-moi, ne serais-tu pas
un petit peu amoureux, petit frère ?
Olivier avoua à sa sœur qu’il aimait Azilis et lui
relata leur conversation.
- Je sais qu’elle m’aime, et je respecte sa
douleur. Mais je ne sais pas comment m’y prendre.
Peut -être qu’elle n’ose pas me dire que mon
handicap la dérange. Après tout, ce ne serait pas la
première. Regarde-moi ! A quoi je ressemble !
s’écria-t-il en se frappant les cuisses avec ses mains.
Olivia l’interrompit et posa sa main sur son bras.
- Arrête ! Je peux t’assurer que le fait que tu
sois en fauteuil ne lui pose aucun problème. Je
connais Azilis depuis longtemps, j’ai partagé son
deuil. Elle est d’une fidélité exemplaire et culpabilise
à l’idée d’aimer quelqu’un d’autre. C’est ça son
problème. Mais ôte-toi de la tête que c’est à cause de
ta situation !
Et elle rajouta :
- Tu sais, on est tous handicapé de quelque
chose dans la vie. Le tiens est physique, le sien est
affectif, c’est une amputation : la vie lui a enlevé
l’homme qu’elle aimait. Alexandre et moi, c’est la
même chose : notre enfant nous manque
terriblement. Mais c’est ainsi et il faut avancer.
Seulement, chacun son rythme

231
Et sans vouloir trahir ce qu’elle m’a confié, votre
rencontre l’a beaucoup perturbée et bouscule toutes
ses certitudes. Je trouve cela très positif. Il faut juste
que tu sois patient.
Olivier fixait, tournait et retournait son verre
dans sa main.
- C’est ce qu’elle m’a demandé aussi, mais cela
fait trois mois et je n’ai pas de nouvelles. Et peut-
être qu’elle ne veut plus me voir… Qui voudrait
s’engager avec quelqu’un comme moi, avec toutes
les contraintes que cela suppose et puis, le regard
des autres. Elle mérite mieux.
- Bon, t’as fini de te plaindre ? Tu sais quoi, tu
arrêtes de te regarder le nombril. Appelle-la ou
envoie-lui un message ! Je crois qu’elle est comme
toi, elle n’ose pas te contacter.
Et elle ajouta en riant
- Vous êtes deux ados….c’est tout.
Il ne répondait pas, songeur.
- Eh, tu es fâché ? Pardon, j’ai été un peu dure
avec toi…
- Non, c’est toi qui as raison. Ce n’est pas mon
genre de me plaindre, mais je pense à elle tout le
temps. Je voudrais tellement que cela marche entre
nous. Je sais, je sens qu’on fait pour être ensemble.
- Voilà enfin des paroles positives. Tu sais ce
qu’il te reste à faire ? Mais, je ne m’en mêlerai pas.
C’est votre histoire, ce n’est pas la mienne. Azilis est
mon amie et tu veux que je te dise, eh bien, vous

232
faites un beau couple tous les deux. Et sincèrement
je serai ravie de l’avoir comme belle-sœur.

Oliver se promit de contacter Azilis dès qu’il


serait de retour. Ils terminèrent la journée par une
ballade sur le port et la vieille ville de Paimpol.

233
Chapitre 24

Dès qu’il fut rentré chez lui, Olivier écrivit un


message destiné à Azilis, l’effaça, en écrivit un autre,
l’effaça à nouveau…recommença, les bons mots ne
venaient pas, il se sentait ridicule … puis réfléchit.
« Bon, se dit ’il, ta sœur à raison, on dirait un ado ».
Après avoir bien hésité, il se résolut à composer
son numéro et attendit le cœur battant qu’elle
décrocha.
Quand il entendit sa voix, une bouffée de
bonheur l’envahit.
- Azilis, c’est moi, Olivier. Je me demandais
comment tu allais…Je voulais prendre de tes
nouvelles, depuis tout ce temps.
Il sentit à l’intonation de sa voix qu’elle souriait.
- Oh Olivier ! Je suis heureuse de t’entendre.
Moi aussi, je me demandais comment tu allais,
mais, euh… comment te dire…
- Tu n’osais pas m’appeler, l’interrompit ’il
Elle répondit en riant :
- Oui, c’est ça.

Ils discutèrent pendant près d’une heure au


téléphone, parlèrent de tout et de rien, de leur
quotidien, de leur vie. L'un et l’autre avait envie de
se revoir, mais aucun des deux n’osa le formaliser.
Ce fut Azilis qui prit un chemin détourné pour lui
234
annoncer qu’elle comptait venir passer quelques
jours en Bretagne. Le weekend de Pâques
approchant, elle envisageait de s’octroyer quelques
jours de vacances, chose qu’elle ne faisait plus
depuis longtemps.
Olivier se sentit revivre et il lui promit de lui faire
découvrir quelques endroits qu’il aimait. Ce qu’elle
accepta à sa grande surprise.
- Dis-moi, Olivia est au courant ?
- Non, pas encore, mais je comptais justement
l’appeler ce soir pour lui demander l’asile politique
répliqua-t-elle en riant.
- Super idée ! Tu me confirmeras ta venue. Et il
ajouta avec une voix plus profonde :
- J’ai hâte de te revoir… tu m’as manqué
Et Azilis, très troublée et émue, de
répondre doucement:
- Moi aussi…Bonne nuit.
Et elle raccrocha.

Olivier fit tournoyer son fauteuil, comme s’il


dansait. Il se sentait léger, plus fort, prêt à affronter
le monde extérieur, dont il avait encore si peur.
Seul, l’univers de l’ESAT le rassurait. Le temps était
venu pour lui de sortir de sa zone de confort. Son
rire, sa voix, l’avait plus que jamais, remplit
d’amour.

235
Un petit signal sur son téléphone l’informa d’un
nouveau message :
Merci d’avoir appelé. A très vite – Je t’embrasse.

Il s’empressa de répondre :
J’ai hâte de te revoir – Je t’embrasse aussi.

Il ne put s’empêcher d’envoyer un message à sa


sœur qui sourit en le lisant et lui répondit aussitôt.
Bravo d’avoir fait le premier pas petit frère –
Bonne nuit.

Azilis, dès son retour à Laval, avait beaucoup


réfléchit. Cette rencontre l’avait beaucoup perturbée
et avait bousculé toutes ces certitudes, celles sur
lesquelles elle avait construit sa vie sans Erwan. Elle
s’était noyée dans le travail, ne s’accordait peu ou
pas de vacances. Peur de se retrouver seule, sans
rien avoir à faire, seul face à ses souvenirs. Elle
n’avait pas changé la décoration de son
appartement. Tout était resté en l’état, comme si
Erwan rentrait chaque soir. Elle vivait dans le
souvenir. Elle avait conservé tous ses vêtements, ses
affaires personnelles et était bien incapable de s’en
séparer, même si Olivia lui avait proposé, avec
beaucoup de tact, son aide.
Elle se regarda dans un miroir et elle prit
conscience que sept ans s’étaient écoulés. Elle prit
son manteau, son sac, ses clés de voiture et sortit.
236
Elle se rendait toutes les fins de semaine sur la
tombe de son mari et avait besoin de ce moment où
elle se sentait reliée à l’au-delà de son époux. Elle
n’était pas particulièrement croyante. Elle était
persuadée qu’il était passé dans une autre
dimension. Et cela la rassurait.
Alors, elle lui parlait, de sa vie, de leur amour, de
leurs souvenirs, et quelque fois, dans sa ferveur,
avait presque cru entendre sa voix.
Ce rendez-vous était vital et c’est cela qui la
portait.
Elle s’assit sur un des côtés de la tombe et se mit
à lui parler de sa rencontre avec Olivier, des
sentiments qu’elle sentait naitre en elle, de ses
doutes, de sa culpabilité. Elle pleura beaucoup,
longtemps, assise sur la pierre de marbre. Puis,
soudain, elle sentit un léger courant d’air sur son
visage et entendit un léger bruissement d’ailes. Elle
releva la tête et vit, posée sur une des plaques
souvenirs, une tourterelle qui la regardait. L’oiseau
resta un moment à la fixer. Elle se sentit alors
enveloppée d’une douce chaleur. Une sensation de
paix et de sérénité l’envahit. L’oiseau, entouré d’un
halo lumineux, pris son envol. Elle se leva et sut ce
qu’elle avait à faire désormais.
Elle se sentait tellement légère, comme délestée
d’un poids. Elle comprit qu’Erwan lui avait transmis
un message et lui avait montré le chemin qu’elle
allait suivre désormais. Elle se leva et tout en le
remerciant du fond de son cœur, sortit du cimetière.
Elle sut que où qu’elle soit, il serait toujours à ses

237
côtés pour la guider et l’envelopper de son immense
amour.

Quelques jours plus tard, elle recevait un appel


d’Olivier… Un signe. Il ne l’avait pas oublié et elle
non plus. Elle sentit que le moment était venu pour
elle de prendre sa vie en main.
Après sa conversation avec lui, elle envoya un
message à son amie.

Le Bretagne me manque et pas qu’elle…


Demande l’asile pour le weekend de Pâques. Je
vous aime et vous embrasse.

Olivia sourit à la lecture de celui-ci et ne put


s’empêcher de penser « ils sont vraiment fait l’un
pour l’autre, ces deux-là » et cela la remplit de joie.

Elle se tourna vers Alexandre à qui elle avait


montré les messages et qui la contemplait.
- Pourquoi me regardes-tu ainsi ? J’ai quelque
chose de bizarre ? Un truc de travers ? lui
demanda-t-elle en riant
- Oh oui ! Je te trouve rayonnante ce soir. Et
j’ai envie de te faire l’amour, là maintenant tout de
suite dit ’il en la prenant dans ses bras et en la
renversant sur le tapis du salon.

238
Olivia, qui avait du mal à lâcher totalement prise,
s’abandonna complètement ce soir-là. Leur étreinte
fut torride et se retrouvèrent comme au début de
leur relation, quand ils étaient encore insouciants et
qu’ils faisaient l’amour avec passion et fougue.
Depuis la mort de leur enfant, malgré tout l’amour
qu’ils se portaient, leurs moments d’intimité étaient
un peu plus routiniers.

239
Chapitre 25

Olivier était en effervescence ce jour-là : il


guettait l’arrivée d’Azilis. Elle était chez Olivia et
Alexandre depuis 2 jours. Elle lui avait réservé cette
journée et il avait prévu de lui faire découvrir son
petit paradis. Un site où il aimait passer du temps,
seul. La petite chapelle Notre Dame de Port Blanc, à
demi-enterrée, son toit touchant presque le sol, ce
qui lui donnait un charme fou, dans laquelle il
venait s’y recueillir et s’y ressourcer. A 200 mètres
la côte, si belle avec ses rochers dispersés dont on ne
sait s’ils sont rattachés au continent ou si ce sont des
ilots, si nombreux dans cette baie. La mer revêtait
des couleurs pastel, en passant par toutes les
nuances de gris, de bleus, de mauve.

Quand il la vit descendre de sa voiture, son cœur


bondit dans sa poitrine. Elle était si belle, si élégante
et il se dégageait d’elle une telle douceur et en même
temps de la détermination. Son visage, d’habitude
si triste, lui semblait aujourd’hui, plus serein, plus
lumineux.

Il ouvrit la porte au moment où elle s’apprêtait à


sonner. Son regard, son sourire parlaient pour elle
et Olivier y lut tout ce qu’il espérait.
Olivier lui prit la main.
- Je suis si heureux de te revoir, enfin. Tu es …
resplendissante.
240
- Merci, moi aussi, je suis ravie d’être là. Et toi
aussi, tu es magnifique.
Ils s’étreignirent et s’embrassèrent sur les joues.
Et sans plus attendre, il prit le sac à dos qu’il
avait préparé, ses clés de voiture et lui déclara :
- Je t’ai réservé une petite surprise. Je
t’emmène en balade.
Azilis, surprise, le regarda :
- Là, tout de suite ? Mais, et ton travail ?
- J’ai toute la journée, spécialement pour toi.
- Eh bien, je crois que je n’ai pas mon mot à
dire, si j’ai bien compris ? répondit-elle en riant On
y va, alors ?

Ils partirent donc. Azilis remarqua à quel point il


était autonome et à l’aise au volant de sa voiture. Ils
se racontèrent les quelques semaines qui les avaient
séparés depuis la fin de l’année Ils discutaient
comme s’ils se connaissaient depuis toujours,
comme s’ils reprenaient une conversation
abandonnée la veille.

Arrivés à Port Blanc, ils visitèrent la petite


chapelle qui émut beaucoup Azilis, très sensible aux
monuments anciens, aux vieilles pierres. A
l’intérieur, ils se recueillirent un moment, se laissant
envahir par l’atmosphère du lieu, sous le regard
bienveillant de la statue de St Yves qui ornait le

241
retable. Instinctivement, leurs mains se
rapprochèrent, leurs doigts se réunirent et leurs
regards se croisèrent. Ils se sentirent imprégnés
d’un amour immense et inconditionnel. Ils restèrent
ainsi de longues minutes ; ni l’un, ni l’autre
n’avaient envie d’interrompre cet instant.
Ils ressortirent envahis d’une telle émotion qu’ils
mirent du temps à retrouver la parole et à revenir
dans le monde qui les entourait.
Puis, ils entreprirent une magnifique promenade
le long de la plage.
Azilis s’extasia devant ce paysage grandiose.
- Mon dieu ! Que c’est beau ! Ces couleurs, ces
rochers ! C’est extraordinaire !!!
Olivier s’arrêta, fit pivoter son fauteuil vers elle et
lui dit :
- Cela me touche que tu aimes cet endroit. Tu
vois, c’est là que je viens, quand je n’ai pas le moral.
Je peux rester des heures ainsi à contempler la mer.
Aujourd’hui, elle est calme, mais par temps de
tempête, c’est magique et effrayant à la fois. On se
sent si petit face à ça.
- Je comprends. Je n’ai pas de mots pour
décrire ce que je vois
Et ils avançaient ainsi tous les deux, lui
manipulant son fauteuil et elle la main posée sur
son épaule.
Ils déjeunèrent au restaurant de la plage, en
terrasse, avec vue sur la mer.

242
Olivier mourrait d’envie de lui parler de ses
sentiments. Il craignait sa réaction, mais sa petite
voix intérieure le rassurait.
- Azilis, tu sais, depuis que tu es partie, je n’ai
pas cessé de penser à toi, à nous. Je sais et j’ai
compris combien c’est compliqué pour toi
d’envisager de recommencer une autre histoire,
après ce que tu as vécu. Je voulais que tu saches que
je suis sincère avec toi. Je t’aime. Je peux entendre
que tu aies besoin de temps. Je serais là quand tu …
Azilis l’interrompit et prit sa main.
- Je sais que tu m’aimes. Ce qu’on a partagé ce
matin m’a profondément bouleversée ; je me suis
sentie si proche de toi. On était sur la même
fréquence.
- J’ai eu le même ressenti.
- Durant ces quelques semaines, j’ai avancé et
j’ai pris conscience que l’amour que nous avions
Erwan et moi sera toujours le même, mais qu’il a
pris une autre dimension. Je me sentais comme
emprisonnée dans ma douleur. J’avais mis ma vie
entre parenthèse. A présent, j’ai envie de vivre. Je
t’aime aussi.
Olivier, qui ne s’attendait pas à une telle
déclaration, serra sa main et la regarda droit dans
les yeux.
- Il faut que je te demande quelque chose, mais
ne m’en veux surtout pas.
- Je t’écoute répondit Azilis un peu surprise.

243
- Eh bien voilà. Je suis handicapé. Azilis
s’apprêtait à l’interrompre, mais doucement, il leva
la main et ajouta « non, laisse-moi finir s’il te plait.
C’est important pour moi. Je suis handicapé. As-tu
pensé à comment nous allions vivre tous les deux
avec ça ? Tu sais que ce n’est pas simple tous les
jours, il y a des contraintes… . Cela ne te fait pas
peur ?»
- S’il te plait. Arrête. Si je n’étais pas sûre de
moi, je ne serai pas là. Ton handicap ? Eh, bien, on
va vivre avec, comme tu le fais depuis toujours, sauf
qu’à partir de maintenant, on sera deux. Ce sera
plus facile. Fais- toi confiance. Fais-nous confiance.
Tu vois, ce qu’il s’est passé ce matin dans la
chapelle, c’est un signe.
Et elle ajouta en riant
- Je crois qu’on est béni des dieux, enfin,
pardon, béni par les saints bretons.
Et elle continua plus sérieusement :
- J’ai beaucoup réfléchi et j’ai pris une
décision. Je vais venir m’installer ici en Bretagne.
Olivier ne s’attendait pas à une telle annonce, du
moins pas aussi vite, mais cela le remplit de
bonheur.
- Non ! C’est vrai ? Tu veux vivre ici ? Tu es
sûre de toi ?
- Oui, je le veux. Je n’ai jamais été aussi sûre de
moi. Et je me suis renseignée sur les possibilités
d’emploi dans la région. Tu sais que je suis
généalogiste successorale. Et je peux déjà
244
t’annoncer que j’ai un entretien demain avec un
notaire de Lannion.
Il n’en revenait pas.
- Ça alors ! Tu es toujours comme ça quand tu
prends des décisions ?
- Pour être honnête, je ne me reconnais pas
moi-même. C’est comme si quelqu’un me guidait.
Il hésita un peu avant de dire :
- Erwan ?
Elle lui sourit et hocha simplement de la tête. Et
elle lui relata ce qu’il s’était passé dans le cimetière.
N’importe qui ce serait moqué d’elle, l’aurait traité
de folle, voire de menteuse, d’affabulatrice, mais il
reçut ses confidences avec respect et bienveillance.
- Tu sais, je suis convaincu qu’on a tous un
ange gardien qui veille sur nous et nous guide, nous
aide à affronter cette vie. Seulement, on n’est pas
toujours en posture d’écoute, pour recevoir son
message. Et, ce jour-là, tu l’as été. Tu as lâché prise
et tu as entrevue l’autre dimension. Ça, j’y crois.

Les gens autour d’eux les regardaient, la plupart


avec sympathie et compassion, d’autres avec un
regard plus critique et qui devait certainement se
demander comment une fille comme elle pouvait
s’afficher avec un mec comme lui.
Olivier, très intuitif, avait senti pesé sur lui le
regard inquisiteur des voisins d’une table à côté, et

245
d’une pirouette, se retrouva face à eux avec un grand
sourire, en déclarant :
- Vous savez, la beauté, ce n’est pas que
l’extérieur.
Lui qui avait auparavant tant de difficultés à
affronter le regard et les commentaires des autres,
assumait sa différence. Et il se retourna, s’approcha
d’Azilis, se pencha vers elle, enserra son visage dans
ses mains et l’embrassa avec beaucoup de
tendresse. Elle reçut ce baiser avec beaucoup
d’émotion et se laissa aller dans ses bras.

De retour à l’appartement d’Olivier, ils décidèrent


de prolonger la soirée autour d’un repas improvisé
avec ce qu’il restait dans le frigo. Puis, ils
s’installèrent dans le salon, face à la baie vitrée qui
donnait sur le parc. Ils discutèrent une partie de la
soirée tout en écoutant de la musique.
Olivier repassa le chant que son père avait choisi
lors de la soirée de Noël.
Ce morceau leur procurait toujours autant
d’émotions.

Olivier s’était installé sur le canapé et Azilis était


allongée contre lui. L’un et l’autre pensaient à la
même chose, mais n’osaient pas franchir le pas.
Azilis n’avait pas eu d’autres relations avec des
hommes depuis le décès de son mari : cela lui était
impossible. Quant à Olivier, il appréhendait ce

246
moment, peur de la décevoir, peur qu’elle soit
rebutée par ce corps déformé.
- Tu sais, on n’est pas obligé de …. Enfin, je
veux dire, c’est compliqué pour…
Elle comprit ce qu’il tentait de lui expliquer et
vint à son secours.
- Moi aussi, j’ai peur. Il faut que je t’avoue
quelque chose : je n’ai pas refait l’amour depuis
Erwan.
- De mon côté, je n’ai pas eu beaucoup
d’histoires. En général, les filles que je rencontrais
mettaient un terme à notre début de relation très
rapidement. On va prendre le temps qu’il faut et
laisser nos corps faire connaissance.
- Oui, tu as raison. On est bien ainsi, mais ne
t’inquiète pas, ça ira.

Ils restèrent ainsi enlacés jusqu’à une heure


tardive, quand Olivier lui proposa qu’elle resta
dormir chez lui. Il ne pouvait pas la laisser partir en
pleine nuit.
Alors, ils s’endormirent, serrés l’un contre l’autre,
chastement. Il se sentait léger, envahit de bonheur.
Azilis, elle qui d’ordinaire avait tant de difficultés à
s’endormir, sombra dans un profond sommeil. Il
écoutait sa respiration calme et posée et lui
caressait les cheveux doucement.

247
Elle fut la première éveillée. Le jour filtrait à
travers les volets. Elle le regardait dormir. Elle
déposa de doux baisers sur son visage et sentit son
corps s’éveiller à l’amour. Lorsqu’il émergea, il la
prit dans ses bras et tout doucement, tendrement,
laissa ses mains courir sur sa peau si douce. Elle
répondit à ses caresses et le laissa la guider. Leur
corps se découvraient, se reconnaissaient. Ils
réapprenaient à aimer, à désirer, à avoir envie.

248
Chapitre 26

Quand Azilis fut de retour chez Olivia et


Alexandre, ils l’accueillirent avec des sourires lourds
de sous-entendus.
- Quoi ? dit ’elle en faisant semblant de ne pas
comprendre.
Alexandre répondit le premier, sous le regard
amusé de sa femme.
- Oh rien. Tu es resplendissante. Et tu n’as pas
à te justifier. On est juste très heureux pour vous.
Elle ne put s’empêcher de rougir un peu et ne mit
pas longtemps pour leur raconter la journée de la
veille, sans pour autant entrer dans les détails.
Elle leur fit part de sa décision de quitter Laval
pour venir s’installer en Bretagne. Ils en avaient
longuement discuté tous les deux. Elle avait
quelques dossiers à liquider et si son entretien se
passait bien aujourd’hui, elle pourrait concrétiser
son projet. Restait la question du logement. Bien
sûr, l’appartement d’Olivier état tout à fait
convenable, mais elle hésitait encore à s’installer
chez lui. Ne serait-ce pas plus raisonnable de louer
un studio au départ, le temps qu’elle prenne ses
marques professionnellement parlant, sans compter
qu’elle aurait à assurer des voyages en France et à
l’étranger dans le cadre de ses recherches. Elle
n’osait pas avouer qu’elle n’était pas encore prête à
démarrer une nouvelle vie. Elle l’aimait, oh oui, elle
l’aimait, cet homme, mais le souvenir d’Erwan
planait toujours.
249
Olivia lui demanda :
- Qu’est-ce qui t’empêche de t’installer chez
Olivier ? De quoi as-tu peur ?
- Je ne sais pas. C’est tout nouveau pour moi.
Je ne pensais pas que cela irait aussi vite. On est
tellement bien ensemble, si tu savais. On est sur la
même longueur d’onde. J’ai peur qu’en précipitant
les choses…
- Vas-tu te faire confiance pour une fois ? Vous
faire confiance ? Vous vous aimez, c’est une
évidence. Alors, foncez, bon sang ! Vivez l’instant
présent. On est bien placé pour savoir, nous tous ici,
que la vie peut basculer d’un jour à l’autre. Alors, s’il
te plait…

Azilis reconnut que son amie avait raison. Ils


avaient tous suffisamment souffert. Mais, avant
tout, elle devait se rendre à son entretien. Durant le
trajet, elle repensa à sa soirée avec Olivier, la nuit
qu’ils avaient passée et ce matin où ils avaient fait
l’amour pour la première fois. Son corps vibrait
encore aux souvenirs de ces instants. Et cela avait
été si facile, comme une évidence, encore cette
impression de se connaitre depuis toujours.

L’entretien se déroula bien. Le notaire était


intéressé par son profil et lui proposait de
l’embaucher avec des conditions intéressantes. Le
poste serait libre en début d’été, ce qui lui convenait
parfaitement. Cela lui laissait le temps de clôturer
tous des dossiers, de préparer son déménagement.
250
Sa voiture était garée près de l’église de
Brélévenez sur les hauteurs de Lannion. Avant de
repartir, elle eut envie d’y entrer. L’endroit était
lumineux. Elle s’assit dans un coin et ferma les yeux.
Tout naturellement, l’image d’Olivier s’imposa.
Réfléchir à tout ce qui lui arrivait de positif depuis le
début de l’année. Quand elle ressortit, elle sentit un
courant d’air et en se dirigeant hors de l’enceinte de
l’église, elle la vit, la tourterelle, posé sur le muret
entourant l’édifice, qui la regardait. Et la scène du
cimetière de Laval lui revint en mémoire. Une odeur
de parfum flottait dans l’air. Il lui rappelait celui
d’Erwan. Elle sut que l’oiseau était là pour elle, qu’il
lui délivrait un message. Elle qui était en plein
conflit intérieur, reçut une onde de chaleur, comme
l’autre fois, qui la remplit de joie et de légèreté.
Elle s’approcha de l’oiseau qui ne bougeait
toujours pas, s’assit sur le muret et murmura :
- Merci de prendre soin de moi. Je sais que
c’est toi, Erwan.
Et l’oiseau s’envola. Il s’éleva vers le ciel et elle le
suivit des yeux. Seul flottaient les effluves du
parfum qui se dissipèrent peu à peu.
Au bout d’un moment, elle eut l’impression de se
réveiller, comme si elle sortait d’un rêve. De ceux
qui laissent une empreinte particulière et qui vous
poursuivent toute la journée.
Lorsqu’elle regagna sa voiture, elle se rendit
compte qu’Olivier lui avait laissé plusieurs
messages. Il voulait savoir comment s’était passé sa
rencontre avec le notaire et l’invitait à passer le voir

251
à l’appartement et de déjeuner rapidement
ensemble.
Elle s’empressa de le rejoindre. Il l’attendait avec
fébrilité, impatient et angoissé à l’idée de la revoir
après leur première fois. Il craignait qu’elle ne
change d’avis le concernant, que son aspect
physique l’ait rebutée.
Elle lui raconta l’entretien, la proposition de
l’employeur et aussi l’apparition de la tourterelle.
Elle n’avait pas encore abordé ce qui la préoccupait,
celui de leur vie commune.
- C’est dingue ! C’est la deuxième fois que tu
vois cet oiseau. Comment tu l’interprètes ?
- Je ne sais pas trop. Je sais qu’on est sur la
même longueur d’ondes tous les deux au sujet de ce
genre de phénomènes. Tu sais, je crois vraiment
qu’Erwan prend la forme de cette tourterelle pour
me transmettre des messages. Et je me sens
tellement bien après…
- J’en suis convaincu. Je pense qu’il bénit notre
relation.
Et il hésitait à lui poser une question, mais tant
pis, il fallait qu’il sache.
- J’ai quelque chose à te demander. C’est un
peu délicat… Je voudrais savoir comment tu as vécu
notre premier rapport ? Je ne te dégoute pas trop ?
Est-ce que ….
Azilis sentait qu’il était mal à l’aise et vint à son
secours.

252
- Mais non, voyons ! Comment te faire
comprendre que j’étais si bien dans tes bras, que tu
m’as comblée et que tu as réveillé en moi tout ce que
je croyais avoir oublié, à savoir du désir et du plaisir.
Puisqu’on en parle, de mon côté, je me suis dite que
tu as du me trouver très maladroite.
Il la prit par la main et l’attira sur ses genoux.
- Tu sais, j’avais tellement peur que tu ne
veuilles plus de moi lui chuchota ‘il à l’oreille. Parce
que moi, j’ai toujours envie de toi et j’ai adoré
toutes tes caresses.
Pour toute réponse, elle l’embrassa
langoureusement et lui murmura :
- Laisse-toi faire, je vais te prouver de quoi je
suis capable.
Et elle lui fit l’amour passionnément, avec
tendresse et douceur.

Ils restèrent ainsi de longues minutes jusqu’à ce


qu’il prenne conscience qu’il devait retrouver ses
résidents.
- Bon, il faut absolument que j’y aille, je vais
être en retard. Veux-tu rester ici et on passerait la
soirée ensemble ?
- Je suis désolée, j’aurai adoré, mais je dois
rentrer à Laval demain. Il faut que je prépare mes
affaires.
Il la supplia de rester et elle ne put résister.

253
- Ecoute, pendant que je suis en cours, va
chercher tes affaires chez Olivia et Alexandre et
reviens ici. Tu pourras repartir demain matin depuis
ici, en terme de distance, cela ne change pas grand-
chose, je crois. Tiens, je te laisse une clé dans le cas
où tu serais de retour avant moi. Tu es ici chez toi,
ajouta t’il.

Emue, elle prit la clé et le regarda partir vers


l’atelier. Elle se dit que la vie serait simple avec lui.
Olivia et Alexandre ont raison, « je me pose trop de
questions » songea-t-elle.

Elle fit aller-retour. Olivia ne l’avait pas vu ainsi


depuis longtemps. Son amie rayonnait.
Celle – ci lui annonça sa future embauche pour le
début de l’été et sa visite à Olivier.
- Je suis tellement heureuse pour vous. Voilà
que tu vas devenir ma belle-sœur, à présent.
- Oui, mais je reste avant tout ton amie. Tu
sais, tu es précieuse. Il faut que je te demande
quelque chose : je rentre à Laval demain, mais je ne
vais pas revenir de suite. Merci de veiller sur lui. Tu
sais, ton frère semble fort en apparence, mais il a si
peu confiance en lui.
Et sans entrer dans des détails trop intimes, elle
lui relata leur conversation de ce midi.
- Ne t’inquiète pas, la rassura Olivia, je ne vais
pas le lâcher. Et Alexandre s’entend bien avec lui. Il
va l’emmener faire quelques sorties. Mais essaie de
254
revenir de temps en temps. Au fait, tu as décidé quoi
pour ton aménagement dans la région ?
- J’ai vraiment envie de partager la vie avec
Olivier. Je vais en parler avec lui ce soir, voir
comment on va s’organiser. Il faut qu’il sache que
mon travail nécessite des déplacements, quelque
fois un peu longs. Va-t-il les accepter ? Et moi,
comment vais-je supporter d’être séparé de lui ?
Jusqu’à maintenant, personne ne m’attendait à la
maison. C’était facile de partir et même, cela me
faisait du bien ; cela m’empêchait de broyer du noir.
Tu comprends ?
- Parle-lui de tes craintes, il est capable de les
entendre et laisse parler ton cœur.
- Merci, merci de ton soutien. Je t’appelle très
vite. Embrasse Alexandre pour moi.

Olivier fut de retour un peu plus tard que prévu,


vers 19h00 ; retenu par une réunion de dernière
minute. Pendant ce temps, Azilis avait eu tout le
loisir d’organiser leur soirée. Elle avait dressé une
jolie table avec des fleurs, avait disséminé çà et là
des bougies parfumées aux essences d’agrumes. Elle
avait revêtu une petite robe noire qui soulignait ses
formes, un léger décolleté qui mettait en valeur sa
poitrine et des escarpins à talons qui galbait ses
jolies jambes.
Olivier resta bouche bée quelques instants avant
de reprendre ses esprits et s’exclama en faisant
tournoyer son fauteuil :
- Waouh ! Mais tu es une fée ! Tu es si belle !
255
Et il s’approcha d’elle et mit ses mains autour de
sa taille.
Azilis ravie de son effet lui répondit :
- Ça me fait plaisir. Ravie que cela te plaise.
Mais tu n’as pas encore tout vu. Je nous ai concocté
un petit diner d’amoureux dit ’elle avec un air
mystérieux et en déposant un baiser sur ses lèvres.

Elle avait prévu un repas au champagne, des


toasts de saumon fumé, un foie gras poêlé aux
poires et pour le dessert un fraisier.

La soirée se termina dans le salon, lui sur le


canapé, elle assise à ses pieds sur le tapis, ses mains
sur les genoux d’Olivier qui lui caressait les
cheveux.
- Merci mon amour pour cette magnifique
soirée. C’est une belle surprise. Tu es pleine de
ressources, dis-moi ?
- Je t’aime, tout simplement. Et j’aime faire
plaisir et j’avais envie de partager ce moment avec
toi. Je repars demain et ..
- Non, s’il te plait, ne parle pas de ça !
Elle le fixa de son regard si profond.
- Si, il faut qu’on en parle. Je dois rentrer
demain. Je ne vais pas pouvoir revenir de suite. Je
dois boucler tous mes dossiers. Il nous reste trois
mois avant que je m’installe en Bretagne.

256
- Et que tu t’installes ici, insista t’il
- Justement, c’est de cela que je voudrais te
parler. Bien sûr, j’ai envie de vivre avec toi, j’en rêve.
Mais tu dois savoir que mon travail m’impose
quelques contraintes.
- Qu’est-ce que tu essaies de me dire ? Que tu
ne veux pas habiter ici ?
- Mais non, mais toi, vas-tu accepter mes
horaires ? Tu sais, que je dois me déplacer, en
France ou aussi à l’étranger ? Que ces voyages
peuvent durer, quelques jours, voire quelques
semaines ? Es-tu prêt à supporter tout cela ? Je ne
peux pas te l’imposer et …
Olivier, qui l’écoutait avec attention, finit par
l’interrompre :
- Je sais tout cela, tu m’en avais déjà parlé.
Oui, je suis prêt. Evidemment que cela sera dur de
te savoir loin de moi, évidemment que tu vas me
manquer. Mais j’ai confiance en toi. Et toi, as-tu
confiance en moi ?
- Oui, bien sûr que je te fais confiance. Tu sais,
je ne me suis jamais posée la question. La confiance,
c’est la base, le ciment du couple. Je suis entière et
je donne tout quand j’aime. Mais tu comprends, je
voulais qu’on en parle. Et puis, autre chose, j’ai vécu
longtemps seule, tu le sais. Personne n’est rentré
dans ma vie depuis le départ d’Erwan. Tu es le
premier à qui j’ouvre mon cœur.
Et elle ajouta en souriant,

257
- Il faut que tu saches que je dois avoir pris des
habitudes de célibataires…
- Rassures –toi, moi aussi, personne n’a
franchi ma forteresse et alors côté habitude, je laisse
traîné mes chaussettes, je ne fais pas mon lit tous les
jours, je mange des surgelés…
- Bon, ça va, j’ai compris… on va devoir
imposer de nouvelles règles dans cette maison.
Et ils éclatèrent de rire.
- Je sais qu’on va être heureux tous les deux et
je crois qu’on est suffisamment armés avec toutes
les épreuves qu’on a traversées, pour affronter le
bonheur qui nous attend. Est-ce que tu pourras
revenir au moins une fois ?
- Je vais essayer. De toute façon, ça va être trop
dur de ne pas te voir, de ne pas t’embrasser, de ne
pas te toucher…
- Moi aussi, tu vas me manquer.

Ce soir-là, ils firent l’amour avec passion, avec


force, comme s’ils voulaient marquer leur corps de
l’empreinte de leurs caresses, garder le parfum de
leur peau, des souvenirs pour nourrir les prochaines
soirées où ils seraient loin l’un de l’autre.

258
Chapitre 27

Cela fait un mois qu’Azilis était repartie. Ils


échangèrent des coups de téléphone tous les soirs.
Olivier supportait assez bien la séparation.
Alexandre et Olivia continuaient leur vie et allaient
le voir régulièrement ou l’invitaient chez eux. Quant
à Christophe sa maladie gagnait du terrain : de
nouvelles métastases grignotaient son corps. Il
n’avait encore rien dit à ses enfants, mais cela
devenait de plus en plus difficile de leur cacher son
état.
C’était un dimanche d’automne. Un avis de
tempête avait été déposé. Depuis chez eux, ils
entendaient la mer déchainée jeter ses rouleaux sur
les rochers. Ils avaient décidé de rester au chaud, à
profiter de leur intérieur.
Quand le téléphone sonna, Olivia vit le numéro
de son père s’afficher sur l’écran.
- Oui, papa. C’est gentil de nous appeler.
Comment tu vas ?
- Bonjour, mes enfants. J’avais envie de vous
entendre. Je vais. Bien serait un grand mot, mais je
fais avec.
- Qu’est-ce qu’il se passe ?
Olivia senti que son père n’allait pas bien. Il
parlait avec difficulté, sa voix, d’habitude, plus
assurée, tremblait.
- Papa, réponds-moi, qu’est-ce qu’il se passe ?

259
- Non, rien, j’avais juste envie de vous
entendre.
Olivia, ayant mis le haut-parleur, regarda son
mari qui lui fit signe qu’ils pouvaient quand même
se déplacer, la tempête n’empêchait encore pas de
rouler. Le pic était annoncé pour la nuit.
- Tu veux qu’on vienne te voir, on ne fait rien
de spécial cet après-midi.
- Oh oui, cela me ferait plaisir.
- A tout de suite, papa. On t’embrasse.

Ils partirent de suite, accompagnés de Déva, qui


semblait avoir compris quelle était leur destination.
Il y a quelques semaines, Christophe leur avait
remis une clé « dans le cas où avait ’il précisé ». Dès
qu’ils franchirent le pas de la porte, ils se
regardèrent et comprirent de suite qu’il n’allait pas
bien. Il était allongé sur le canapé. Déva se précipita
vers lui et comme à son habitude, posa sa tête sur
ses genoux.
Il les accueillit avec un faible sourire. Les traits
tirés, des cernes soulignaient ses yeux et son visage
avait pris un teint cireux. Il essaya de se lever, mais
retomba aussitôt.
Alexandre retrouva ses automatismes de
secouriste. Il l’aida à s’asseoir avec des coussins
dans le dos pour le maintenir le plus
confortablement possible. Déva se coucha à ses
pieds en gémissant et en le regardant, comme si elle
souffrait pour lui.
260
- Merci d’être venu, mes enfants.
Et il posa sa main amaigrie sur la tête de Déva
tout en les regardant, les larmes aux yeux.
- Tu souffres, papa. Je le vois bien.
- Oui, je n’en peux plus. C’est de pire en pire.
Je ne voulais pas vous inquiéter, mais le cancer
s’est généralisé. J’ai parlé avec le médecin et …
Il s’interrompit quelques secondes. Olivia et
Alexandre le laissèrent reprendre ses esprits tout en
lui tenant la main.
- Et, il m’a dit qu’il me restait peu de temps à
vivre, quelques semaines, peut-être un mois ou
deux. Il m’a proposé d’entrer en soins palliatifs. Je
ne veux pas.
Olivia qui prenait sur elle pour ne pas éclater en
sanglots, sentit la main de son mari sur son épaule.
- Vous vous rappelez de ce que je vous ai
demandé il y a quelques mois. Je veux finir mes
jours chez moi, pas à l’hôpital. Ils sont tous gentils,
mais, non, je ne veux pas. Et autre chose, j’ai décidé
d’arrêter tous les traitements.
Olivia ne put s’empêcher de s’écrier :
- Papa ! Non, il faut continuer. On va voir
quelqu’un d’autre, on va …
Christophe leva la main doucement et répondit :
- Non, ma chérie. Cela ne sert à rien. Je suis
parfaitement lucide, je sais bien que c’est fini.

261
Alexandre, qui n’avait encore rien dit, mais de
par son expérience passée, savait qu’il avait raison,
proposa, sans consulter sa femme :
- Christophe, voulez-vous venir habiter chez
nous ? Vous ne serez jamais tout seul, je suis là
pratiquement tous les jours. Olivia elle aussi est là et
reçoit dans le cabanon, à part quand elle intervient à
l’ESAT et puis, ajouta ‘il en caressant Déva, il y a
elle. Elle ne va pas vous lâcher, vous savez. On va
s’organiser.
Olivia, bien que surprise par la décision
spontanée d’Alexandre, renchérit aussitôt. Elle
savait combien les deux hommes étaient attachés
l’un à l’autre. Une relation forte s’était installée
entre eux. Pour Alexandre, Christophe était le père
qu’il aurait aimé avoir.
- C’est une excellente idée. Papa, accepte, s’il te
plait. L’implora-t-elle.
- C’est gentil, mais je vais vous déranger. Et ce
n’est pas drôle un malade, vous savez.
- Ne t’inquiète pas. Tu seras bien. Et puis, ici,
tout seul, comment vas-tu faire ? Non, tu viens à la
maison et c’est non négociable. Et Alexandre est
secouriste. Ce sera comme si tu avais un infirmier à
la maison dit ’elle en essayant de sourire.
- Merci. Je crois que je n’ai pas le choix. De
toute façon, je suis trop faible pour me déplacer tout
seul.

262
Ils convinrent avec lui qu’ils viendraient le
chercher dès que la tempête serait passée, le temps
de préparer la chambre et de déménager ses
affaires.

Sur le retour, Olivia s’effondra. Elle n’avait pas


voulu craquer devant son père. Elle se sentait
redevenir petite fille. Ce père qu’elle venait de
retrouver allait l’abandonner à nouveau. Et Olivier,
comment allait ’il réagir ?
- Tu m’en veux d’avoir proposé à ton père de
venir chez nous ?
- Mais, non, au contraire, je te remercie. C’est
mieux. Même si cela va être dur.
- Oui, cela va être dur, mais c’est mieux pour
lui, pour nous. On va s’occuper de lui. Il va se sentir
moins isolé. On a la chance de travailler chez nous
et ainsi, il ne sera jamais seul.
- Tu as raison. On va l’entourer de notre
mieux. C’est ce qu’on lui a promis. Et demain, je vais
appeler Olivier. Il faut le mettre au courant.

Cette nuit-là fut compliquée. Olivia fit des


cauchemars. Elle se revoyait petite fille quand elle
demandait après son père. « Il nous a abandonné »
lui répondait sa mère qui se manifestait sous le
masque d’une vieille femme aux cheveux blancs
hirsutes, aux yeux fous, aux mains crochues. Et ce
mot « ABANDONNE » qui sortait de sa bouche
édentée, ce mot qui grossissait, de plus en plus, qui
263
s’avançait vers elle, qui la poursuivait. Et elle
pleurait, pleurait toutes les larmes de son corps. Le
mot la rattrapait. Elle courait. Elle chuta sur un
rocher. Elle se réveilla en sursaut, haletante, en
nage. Alexandre qui ne dormait pas, la prit dans ses
bras et la berça. Elle se rendormit sur le matin,
épuisée.

Elle appela son frère tôt le matin. Elle le mit au


courant des événements de la veille et de leur
décision de l’accueillir chez eux. Ils se
réconfortèrent mutuellement en essayant de ne pas
pleurer. Dès qu’Olivia eut raccroché ; Olivier
expliqua la situation à son directeur qui accepta
volontiers de prêter un véhicule utilitaire. Deux de
ces collègues se proposèrent pour les aider à
déménager. Tous avaient été très touchés par cet
homme qui avait joué de la guitare le soir du
réveillon. Olivia, qui intervenait à temps partiel
dans l’établissement depuis déjà quelques mois était
aussi très appréciée de toute l’équipe. Il allait de soi
que chacun puisse se mobiliser pour les aider aux
mieux. Le déménagement devait avoir lieu le
mercredi suivant.

De concert avec son frère, Olivia décida de


prendre rendez-vous avec le médecin de son père :
elle avait besoin de conseil pour l’accompagner au
mieux, pour le soulager quand la douleur
deviendrait insoutenable, connaitre aussi l’avancée
de sa maladie.

264
Celui-ci la reçut le lendemain. C’était un homme
bienveillant qui l’écouta avec attention.
- Votre père est un homme très courageux. Il
m’a beaucoup parlé de vous et de votre frère. Il vous
aime profondément. Je n’ai pas pu lui cacher la
réalité et ce n’est pas mon rôle. Je le crois
suffisamment fort pour affronter la vérité. Il a
décidé d’arrêter les traitements dites-vous ?
- Oui, il dit que cela ne sert plus à rien, mais
qu’est-ce qu’on peut faire pour soulager sa
souffrance ? On ne peut pas le laisser ainsi.
- Il a des antalgiques puissants et il ne faut
surtout pas qu’il les abandonne. Il y a aussi des
techniques non médicales, comme l’acupuncture,
les séances de kinésithérapie, les massages.
- Oui, j’y avais pensé. Il n’y a pas longtemps
que nous sommes ici, auriez-vous des noms à me
communiquer ?
- Oui, bien sûr. Mais, vous, êtes-vous prête à
gérer cette situation ? C’est difficile pour les proches
d’accompagner quelqu’un en fin de vie ?
- Je ne suis pas toute seule, mon mari et mon
frère sont là. Je suis psychologue et cela devrait
m’aider.
- Certainement, sauf que là, votre père n’est
pas un patient ordinaire… c’est votre père et vous
l’aimez. Attention de ne pas vous perdre.
- Oui, je sais. Je voulais vous demander aussi…
C’est difficile, et je sais que ce n’est pas
déontologique, mais, il nous avait suppliés mon
265
frère et moi, il y a quelque mois, de l’aider à partir,
enfin, vous voyez ce que je veux dire…
Olivia sentait les larmes monter et elle se pinça
les mains pour ne pas se laisser aller. Le médecin
qui s’en aperçut, lui répondit simplement :
- Ecoutez, pour le moment, vivez l’instant
présent. Le fait d’être auprès de vous peut avoir un
effet bénéfique et freiner l’évolution de sa maladie et
lui laisser un peu de répit. Attention, je ne suis pas
en train de vous dire qu’il va guérir.
Malheureusement, c’est trop tard. Le cancer s’est
installé dans tout son corps. Je vais être violent,
mais je préfère que vous sachiez : il lui reste
quelques semaines. Mais le fait d’être dans un
environnement chaleureux ne peut que l’apaiser. Je
n’ai pas pour habitude de laisser mes patients
souffrir inutilement ; je serai là quand le moment
sera venu pour qu’il parte doucement.
Et il se leva, lui tendit la main en ajoutant :
- Et surtout, n’hésitez pas à me contacter,
n’importe quand, pour lui et aussi pour vous.
- Merci beaucoup docteur.

Quand elle se retrouva dans la rue, le bruit de la


circulation, de la ville, tout ce brouhaha, les odeurs,
lui donna mal à la tête. . Elle eut l’impression d’être
dans un brouillard de plus en plus épais et elle se
senti vaciller. Elle eut le temps de s’accrocher aux
grilles d’une fenêtre. Sa voiture n’était pas loin. Elle
resta un moment, assise au volant, à repenser à ce
que lui avait dit le médecin. Brutalement, elle
266
réalisait que s’engageait encore une fois, une bataille
entre la vie et la mort, dont elle savait au fond d’elle-
même qui l’emporterait. Et cela la ramena cinq ans
en arrière quand leur petit Romain les avait quittés.
Un puits sans fond s’était ouvert devant eux et leur
chute fut interminable, laissant défiler tous les
souvenirs des jours heureux. Et l’histoire allait se
répéter. Presque un an qu’ils ont retrouvé leur père
et déjà, la mort va l’emporter.

Elle resta ainsi un long moment, sans notion du


temps, quand elle se décida à rentrer. Elle avait
besoin de les retrouver tous.

Quand elle fut de retour, Alexandre l’attendait,


légèrement inquiet. Christophe était installé dans
un fauteuil avec Déva à ses pieds et Olivier aussi
venait d’arriver.
Seul, Christophe n’était pas au courant de la
rencontre de sa fille et de son médecin.

267
Chapitre 28

La vie reprit son cours, presque normalement.


Olivier avait pu se procurer un fauteuil pour son
père, ce qui lui permettait de pouvoir se déplacer
dans la maison, aller dans le jardin en toute
autonomie, maintenant que les beaux jours
commençaient à poindre. Il ne se plaignait jamais. Il
semblait plus apaisé. Le fait de se sentir entouré de
ses enfants était sécurisant et rassurant pour lui.
Alexandre avait endossé le rôle d’infirmier, veillant
à ce qu’il prenne un antidouleur quand la souffrance
devenait insupportable. Une fois par semaine, un
acupuncteur et un kiné venait lui prodiguer des
soins. Tout cela s’avérer bénéfique. Lui qui, quand il
est arrivé ici, était très faible, avait retrouvé de
l’énergie. Il mangeait avec un peu plus d’appétit. Il
jouait à nouveau de la guitare. Déva ne le quittait
plus, comme si elle était investie d’une mission, celle
de veiller sur cet homme. Et elle était attentive au
moindre changement dans son état. Elle sentait
quand il souffrait trop. Alors, elle se levait et allait
vers Alexandre ou Olivia qui comprenaient de suite
qu’ils devaient administrer un calmant au malade.
Et Charles le Dantec venait régulièrement lui tenir
compagnie : ils se remémoraient leurs souvenirs
d’enfants en regardant les vieilles photos.

Par une matinée de mai, Olivia se rendit au


cabanon : elle recevait une nouvelle patiente dans
quelques minutes, juste le temps de préparer le
cabinet. En franchissant, les quelques mètres qui la

268
séparaient de leur maison, elle eut un léger
étourdissement, ce qui l’obligea à s’arrêter quelques
secondes. Elle n’y prêta guère attention ; une
accumulation de fatigue, pensa –t-elle. Elle se
promit de prendre un peu de repos le weekend
prochain.
Le soir, elle se sentit nauséeuse. Alexandre lui
avait préparé une salade. Elle qui adorait les
crudités, n’y toucha presque pas, ce qui étonna son
mari.
- Tu n’as pas l’air en forme, dis-moi ? Qu’est-ce
qui t’arrive ?
- Oh, ce n’est rien. Juste un peu fatiguée. Ne
t’inquiète pas, ça va aller….
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle
dut se précipiter aux toilettes pour vomir.
- Tu devrais peut-être aller consulter, lui
conseilla Alexandre.
- Ça devrait aller. Quelque chose qui n’est pas
passé. Ne m’en veut pas, mais je vais aller me
coucher.

Le lendemain matin, elle se sentait toujours aussi


mal et se décida à prendre rendez-vous avec son
médecin qui la reçut dans la journée.
Quand il eut terminé de l’examiner, il la regarda
et lui dit :

269
- Tout va bien. Vous êtes en pleine forme. Ce
que vous avez n’est pas inquiétant, bien au
contraire.
- Comment ça ?
- Eh bien, madame Martin, je vous annonce
que vous êtes enceinte.
Olivia, surprise, resta sans voix. Elle fixait le
médecin, caressa son ventre et éclata en sanglots.
- Oh excusez-moi, mais je ne m’attendais pas à
ça. Vous êtes sûr ?
- Oui, à 99 %, mais je vais vous prescrire une
prise de sang pour confirmer.
- Je veux bien. Vous savez, j’ai perdu un enfant
qui aurait maintenant 13 ans. Et voici
qu’aujourd’hui, je vais de nouveau donner la vie.
Et elle lui raconta l’histoire de Romain.
- Je suis sincèrement désolé pour vous. La
perte d’un enfant est un drame dont on ne se remet
jamais. Vous voulez que je vous dise ? Eh bien, c’est
un beau cadeau que la vie vous offre aujourd’hui.
- Mais, j’ai 38 ans. Ne pensez-vous pas que
c’est un peu tard pour être enceinte ?
- Non. Bien sûr, vous allez devoir faire
attention, ne pas vous fatiguer. Mais vous êtes en
bonne santé. Tout devrait bien se passer.
Soudain, elle sentit remplie de joie et pensa au
moment où elle allait annoncer cela à son mari. Elle
ne sut pourquoi, mais lui revint en mémoire la

270
soirée sur le tapis et elle sut qu’ils avaient conçu cet
enfant ce soir-là.

Quand Alexandre la vit pénétrer dans la maison,


il la trouva changée.
- Eh, bien ça a l’air d’aller mieux, dis-moi !
Pour le moment, elle ne voulait rien dire.
- Oui, ça va mieux, juste un coup de froid et un
peu de fatigue. Où est Papa ? demanda-t-elle en
jetant un coup d’œil circulaire dans la pièce.
- Il est dans sa chambre. Il était un peu fatigué.
Il se repose. Il a eu sa séance d’acupuncture ce
matin et cela le fatigue toujours un peu.
- Bon, tant mieux. Merci pour tout ce que tu
fais. Tu t‘investis tellement auprès de lui, tu n’es pas
obligé, tu sais.
- Comment ça, bien sûr que je ne suis pas
obligé, mais je le fais de bon cœur. J’aime beaucoup
ton père. C’est mon papa de cœur. Dit-il avec
beaucoup d’émotion.
Elle l’embrassa tendrement avant de se tourner
vers Déva qui venait renifler son ventre. Sentait-elle
qu’elle portait la vie ?
Elle repoussa doucement sa tête et ajouta :
- J’ai envie de faire des crêpes ce soir, qu’en
dis-tu ?
Son mari la fixait en souriant et comme s’il lisait
dans sa tête, lui demanda :
271
- On fête quelque chose, ce soir ?
- Rien de particulier. Papa va mieux. Cela me
donne de l’espoir. On va célébrer la vie s’exclama –
t’-elle avec enthousiasme. Et, puis, tiens, si on
invitait Olivier ? Tu l’appelles pendant que je
prépare la pâte ?
- Bonne idée. Je m’en occupe.

Quand Alexandre téléphona à Olivier, celui-ci


n’était pas seul. Azilis venait d’arriver pour quelques
jours. Ils ne s’étaient pas revus depuis son départ et
l’absence leur avait été insoutenable. Bien qu’ils
eussent envie de passer la soirée en amoureux, ils
acceptèrent l’invitation. Il fallait profiter de
Christophe tant qu’il était là. La famille est
précieuse et fragile, ils en avaient tous pleinement
conscience.

Quand ils se retrouvèrent tous les deux,


Alexandre posa ses mains sur les épaules de sa
femme et lui demanda :
- Bon, tu m’expliques ? Je te connais par cœur.
Tu n’as rien à me dire ?
Pour toute réponse, elle lui sourit, détacha ses
deux mains de ses épaules et les posa sur son ventre,
très émue.
Alexandre la regarda, étouffa un cri et comprit ce
qu’Olivia était en train de lui annoncer.

272
- Non ! Ce n’est pas possible…. Tu… Enfin,
nous ... nous allons avoir un enfant. Dis-moi que je
ne rêve pas ?
- Tu as bien compris. J’ai vu le médecin ce
matin. Voilà pourquoi j’étais barbouillée hier soir et
ce matin.
- Ça alors ? Je suis tellement heureux !!!

Il la prit dans ses bras et esquissa quelques pas de


danse.
- Attends, va doucement, mon estomac n’est
pas certain de tenir le coup s’écria-t-elle en riant et
elle se précipita dans la salle de bain.
- Dis-moi, j’ai une question. Tu comptes
l’annoncer quand au reste de la famille ?
- Je ne sais pas. On va attendre un peu d’être
sûr.
Et son visage s’assombrit tout à coup.
- Ce qui me fait mal, c’est que nous allons avoir
un enfant et que je ne suis pas sûre que papa ait le
temps de le connaitre…Ce n’est pas juste.
Et elle fondit en larmes. Elle se sentait plus
vulnérable, plus sensible depuis quelques temps et
la moindre émotion provoquait chez elle des envies
de pleurer. Les hormones.
- Oui, je sais, mais on n’y peut rien. Ton père se
bat come un lion depuis qu’il est avec nous. Quand il

273
va savoir, peut-être cela va-t-il le rendre encore plus
combattif.
- Je l’espère de tout cœur.

Quant à Azilis et Olivier, eux aussi avaient


remarqué un changement chez Olivia. Ils mirent
cela sur le fait que d’être tous ensemble la rendait
heureuse.

274
Chapitre 29

On était début juin. Olivia, dont l’accouchement


était prévu pour la fin janvier, avait annoncé sa
grossesse à son père qui s’en trouva très ému. Il
allait aussi bien que possible.
- Oh, ma chérie, quelle heureuse nouvelle. Je
suis si heureux pour vous. Je vais être grand-père !
Je ne sais pas si j’aurai le bonheur de le connaitre.
Une larme roula sur sa joue. Olivia s’agenouilla à
ses pieds et lui prit les mains.
- Je sais à quoi tu penses, mais tu vas te battre,
pour le connaitre ce petit, d’accord. Tu feras un
pappy formidable.
- C’est encore loin, je ne sais pas si je vais tenir
le coup. Tu sais, je suis fatigué, même si je suis bien
avec vous, vous vous occupez de moi, mais c’est
dur. Je voudrais te demander quelque chose.
- Oui, Papa ?
- J’aimerai aller prier St Yves à la Cathédrale
de Tréguier. Je ne suis pas très croyant, mais c’était
le prénom de mon père, ton grand-père. Quand ta
mère est partie avec toi, j’y allais souvent pour me
recueillir devant le tombeau de Saint Yves. Cela me
faisait du bien. La cathédrale est magnifique,
lumineuse.
- Je n’y suis encore jamais allée. Je ne suis pas
forcément très portée sur la religion, mais si cela te
fait plaisir, Papa, bien sûr, on y va ce soir, si tu veux.

275
- C’est gentil. Tu vas voir, comme on s’y sent en
paix. Et on n’a pas besoin d’être croyant pour cela.
J’aime ces endroits, église, chapelle, où il y règne
une atmosphère particulière, si apaisante. Merci,
ma chérie.

Quand ils pénétrèrent dans la cathédrale, Olivia


fut saisie par la taille et la majesté de l’édifice, la
lumière qui en émanait. Le tombeau de St Yves
faisait l’objet d’un culte depuis des siècles. Il était
entouré d’exvotos, en remerciement des miracles et
bienfaits accordés à des fidèles dont les prières
avaient été exaucées. C’en était émouvant. Elle vit
son père y déposer un cierge et se recueillir. Elle
s’assit et resta un moment les yeux fermés,
transcendée par ce lieu.
Quand ils ressortirent, Christophe lui demanda
de l’accompagner au cimetière, derrière la
cathédrale et qui jouxtait le parking où ils s’étaient
garés.
- Je voudrais aller sur la tombe de mes parents
dit ’il.
- Je ne savais pas qu’ils étaient enterrés ici.
C’est vrai qu’on n’a pas eu beaucoup l’occasion de
parler d’eux. Il faudra que tu me racontes lui
demanda-t-elle en l’aidant à avancer le fauteuil qui
ne le quittait plus maintenant
- Oui, promis. Ce sont tes grands parents. Tu
les aurais aimés, tu sais, et tu ressembles beaucoup
à ma mère.

276
La tombe était un peu à l’abandon. Plus personne
n’y allait depuis fort longtemps. Olivia se promit d’y
revenir pour la nettoyer et la fleurir.
- Je souhaite reposer auprès d’eux. Déclara-t-
il
Olivia compris pourquoi il avait insisté pour venir
au cimetière.
- Papa, tu….
- S’il te plait, je sais que c’est dur pour toi, pour
ton frère, mais je suis serein face à la mort. Je suis
prêt. Il faut que vous l’acceptiez. Dans mes prières,
tout à l’heure, j’ai juste demandé à vivre assez
longtemps pour connaitre mon petit fils ou ma
petite fille.
- Mais, tu vas le connaitre cet enfant, papa, j’en
suis sûre.
Ils s’en retournèrent, tranquillement, vers la
voiture. Olivia regarda son père : son visage était
détendu, comme s’il se sentait délesté d’un fardeau.
Elle comprit qu’il était en train d’organiser son
départ, de les préparer à son absence.

277
Chapitre 29

Olivier était très excité ce samedi ; Azilis


emménageait chez lui. Après un temps de réflexion,
elle avait renoncé à son projet de louer un
appartement. La distance qui les avait séparés
pendant ces quelques mois était venue à bout de
leur capacité à vivre loin l’un de l’autre. Cet
éloignement était devenu invivable. Ils n’avaient
qu’une hâte, se retrouver et ne plus se quitter.

La veille de son départ, Azilis s’était rendue sur la


tombe de son mari. Comme à chaque fois, elle s’assit
sur le bord du marbre.
- Mon amour, je suis venue te dire au revoir.
Tu es et tu resteras dans mon cœur et je t’emporte
avec moi. Tu m’as envoyé des signes. Je sais que tu
vis, ailleurs, dans un autre monde. J’ai compris que
c’est toi qui m’as guidée vers mon destin, qui m’a
tenu la main quand je doutais. Tu es mon guide, ma
lumière, mon énergie. Je t’aime, cher amour.
Et elle caressa de sa main la pierre tombale et y
déposa la rose rouge qu’elle avait amenée.
Instinctivement, elle releva la tête et ses yeux se
posèrent sur la stèle : la tourterelle était là, posée
sur le bord et quelques secondes plus tard, prit son
envol, comme pour lui signifier qu’elle aussi devait à
présent prendre le sien.

278
Cette nuit-là, elle fit un rêve étrange qui la
réveilla en lui laissant une curieuse sensation. Elle
avait senti une main prendre la sienne. Des doigts
d’une douceur indescriptible caressaient les siens.
Un amour intense l’avait envahie. Comme si tout
son être baignait dans une chaleureuse lumière.
Puis, elle perçut une voix qui lui chuchota ces mots
« Va vers ton destin, n’aie plus peur, je serais ton
guide ». Elle se réveilla, crut discerner une lueur au
pied de son lit. Etait-ce un rêve ? Cette voix, cette
main si douce. Elle n’eut pas peur. Elle se remémora
l’oiseau du cimetière…
Quand elle se leva, le lendemain matin, le rêve ou
la « chose » de la nuit lui revint à l’esprit. Ses
pensées allèrent vers Olivier et elle entendait déjà
ses paroles quand elle lui raconterait :
- Je pense que ton ange gardien veille sur toi
dirait ‘il.

C’est avec un pincement au cœur qu’elle termina


ses bagages, les cartons ayant été pris en charge par
les déménageurs. Quant aux meubles, elle en avait
fait don à une association caritative. Le plus difficile
avait été de trier les affaires d’Erwan, elle y avait
passé quelques soirées. Ils étaient encore imprégnés
de son parfum et elle les respira, longtemps, en
fermant les yeux, avant de se résoudre à les donner
aussi. Ces effluves lui évoquaient tant de souvenirs.
Respirer son mari, inhaler son odeur, chaque soir
avant de s’endormir, l’avait maintenue en vie. Elle
avait juste gardé son foulard bleu qu’elle déposa
dans son sac. Elle avait soigneusement rangé, les

279
photos, les lettres, tous leurs souvenirs, dans une
petite valise qui ne la quitterait jamais.

Elle fit le tour de l’appartement vide. Une page se


tournait et un autre chapitre commençait. Elle
referma la porte et déposa les clés chez la concierge
qui lui fit ses adieux avec une émotion non feinte.

Durant le trajet, elle se repassa le film de sa


rencontre avec Olivier. « C’est étrange, quand
même, les rencontres », songeait ’elle. Son amie qui
retrouve son père, découvre un frère, s’installe en
Bretagne, et puis Olivier, ce coup de foudre, elle qui
s’était promis de rester fidèle à son mari au-delà de
la mort… Tout s’est enchainé si facilement, si
simplement, les wagons du train se sont tous
accrochés les uns aux autres et la locomotive s’est
mise en route. Elle repensa à la maxime d’Olivia qui
disait «Quand tout s’installe sans difficulté, c’est ce
que c’est bon pour toi. »
Oui, c’était bon pour eux tous, chacun avait
trouvé sa place. Le destin était en train de sceller
leur destinée. La seule chose qui la perturbait était
Christophe qu’elle savait condamné. Pourquoi n’a-t-
il pas droit lui aussi à ce bonheur ? Un enfant va
naitre et lui va mourir. Elle pria de toutes ses forces
pour lui.
Alexandre et Olivia allaient devenir parents. Elle
s’interrogea sur son désir d’enfant. Avait ’elle
vraiment envie d’être mère ? Elle n’avait vraiment
pas ressenti ce besoin. Même si c’est un sujet qu’ils
280
n’avaient pas abordés, elle avait compris qu’Olivier
partageait la même vision des choses qu’elle. Quand
Olivia leur annonça sa grossesse, ils furent heureux
pour eux, mais cela ne déclencha pas chez Olivier
une excitation particulière. Il avait juste dit « De nos
jours, c’est une sacré responsabilité d’être parent ».

Olivier s’était installé devant l’appartement, un


magazine à la main, juste pour se donner une
contenance. En vérité, il guettait l’arrivée d’Azilis et
ne pouvait s’empêcher de penser « et si elle avait
changé d’avis ? », pensée qu’il chassait aussitôt de
son esprit, mais qui revenait immédiatement le
hanter.

Quand il la vit arriver, son cœur ne fit qu’on


bond. Un instant, il eut l’envie irrépressible de se
lever de son fauteuil pour courir vers elle. Sa tête le
voulait mais son corps ne pouvait pas.
Elle bondit hors de son véhicule et se jeta à son
cou.
- Oh, mon amour ! Enfin, tu es là ! Quel
bonheur dit ’il entre rires et larmes.
- Tu en doutais ? Oui, je suis là et je suis
tellement heureuse de te retrouver.

Bien que les cartons aient été déjà livrés, c’est


quand il vit Azilis vider sa voiture de ses affaires,
qu’il réalisa qu’une nouvelle vie commençait.
Jusque-là, cela restait encore de l’ordre du rêve,
281
mais celui-ci devenait réalité. Il avait encore du mal
à croire que quelqu’un pouvait l’aimer, lui, le
cabossé.
Il resta un moment pensif, ce qui interpella Azilis.
- Tu es bien silencieux. Est-ce que tout va
bien ?
- Oui, oui. C’est juste que je ne réalise pas ce
qui nous arrive.
- Eh bien, mon amour, il va falloir t’y faire.
C’est notre vie à deux qui t’angoisse ?
- Oui et non. Tu connais mes sentiments pour
toi, mais j’ai encore du mal à comprendre comment
une fille comme toi peut aimer un mec comme moi,
avoua t’il
- Crois-tu réellement que si je ne t’aimais pas,
j’aurais tout lâcher, là-bas, pour toi ? Mon travail,
mon appartement, ma vie… .Tu sais, on est tous les
deux des écorchés vifs. Toi, l’abandon de ta mère,
ton handicap et moi la perte de mon mari. Eh bien,
tout cela mélangé, cela va faire une sacrée belle
histoire.
Et elle se pencha pour l’embrasser avec beaucoup
de persuasion.
- Voilà, t’as compris, maintenant ajoute-t-elle
avec ce regard langoureux qui la rendait irrésistible.
- Pardonne-moi, je suis idiot, mais jusqu’à
maintenant, personne ne m’a jamais dit «je
t’aime », tu comprends. Alors, tout cet amour,
l’affection de ma famille, c’est nouveau pour moi.

282
- Bien sûr, mais j’ai cru comprendre que tu es
très apprécié ici de tes collègues, des résidents… Ça
compte aussi.
- Tu as raison, mais ce n’est pas
pareil…conclut-il
Il fit un tour sur lui-même et déclara :
- Pour fêter notre nouvelle vie, j’ai réservé dans
un restaurant ce soir…
- Super !

Elle continua à déballer ses cartons. En même


temps, elle lui raconta son rêve ainsi que
l’apparition de l’oiseau au cimetière. Elle savait
qu’elle trouverait auprès de lui une oreille attentive.
Il la laissa raconter son histoire, puis, après un
temps de réflexion, dit :
- C’est la troisième fois que tu vois cet oiseau,
puis ce rêve ou plutôt ce songe… Tu as un don
particulier, j’en suis sûr. Dans ton travail, tu côtoies
les défunts en permanence, tu les réveilles, tu les
fais revivre, tu les interroges, tu remues leur vie. Tu
flirtes avec une autre dimension sans cesse. Je reste
convaincu que c’est l’âme de ton mari qui se
manifeste à travers cette tourterelle. Et ce que tu as
ressenti cette nuit n’est pas un hasard, juste un
message.
- C’est ce que je me dis aussi, mais cela parait
tellement irréel… Olivia me répondrait la même
chose, elle qui est très attentive aux coïncidences…

283
Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi ne m’a-t-il
pas envoyé des signaux avant ?
- Peut-être que tu n’étais pas à l’écoute, je veux
dire, que ta douleur qui était bien légitime, t’a
empêchée d’entendre, de voir, de regarder autour de
toi. Et peut-être que ce n’était pas le moment.
- C’est vrai que j’ai vécu six ans dans un tunnel,
sans jamais en apercevoir la lumière au bout.
Notre rencontre m’est tombée dessus, c’est le
mot, et j’ai cru apercevoir cette lueur qui me
manquait. Mais, comme tu t’en es rendu compte, j’ai
mis du temps à accepter. Et c’est à partir de ce
moment que j’ai commencé à percevoir ces choses.
Comme si on me guidait.
- J’ai fait un peu le même cheminement que
toi. J’étais bien ici, je suis dans un environnement
très protecteur et qui me correspond. Pas de regard
des autres. Pas de jugement. Pas de pitié. Je ne
sortais pas de ma zone de confort. On a tous notre
valise. J’ai fait quelques rencontres sans lendemain.
Tu parles ! Quelle femme peut se projeter dans une
vie avec quelqu’un en fauteuil ? Mon tunnel, c’était
ça. Puis, j’ai fait la connaissance de ma sœur et de
mon père ; ce fut assez violent pour moi et puis j’ai
fait mon chemin. Premier signe que la vie
m’envoyait. Et le deuxième, ce fut toi. Alors,
prenons ce que la vie nous offre et cessons de nous
poser des questions. Et restons aussi à l’écoute de
notre petite voix intérieure. Ça, c’est ma sœur qui
me l’a appris.
- Elle est extraordinaire. Quelle force, quelle
énergie. ! Je ne sais pas où elle va puiser tout ça. Et
284
elle ne lâche jamais. Et heureusement, finalement,
sans quoi, nous ne serions pas là, à cet instant à
faire notre introspection. Conclut Azilis en se
laissant choir dans le canapé.

285
Chapitre 30

Ce dernier trimestre fut tranquille. Chacun


évoluait sereinement.
Olivia jonglait entre ces deux emplois, mais elle
allait devoir suspendre ses activités à l’ESAT. Le
trajet en voiture la fatiguait beaucoup et son
médecin lui avait fortement recommandé de se
reposer au maximum si elle voulait mener sa
grossesse à terme. Elle en était à son huitième mois.
Quant à Alexandre, en plus de son métier, il
intervenait ponctuellement à L’ESAT, suite à la
demande du directeur avec qui il avait échangé lors
de ce fameux réveillon. Sa mission consistait à
initier les résidents à l’outil informatique. Et cela lui
plaisait. Cela donnait du sens à sa vie de transmettre
un savoir. Il n’avait eu aucune difficulté pour se
mettre à la portée du public auprès duquel il
intervenait.
Azilis avait vite retrouvé ses marques chez son
nouvel employeur. De temps en temps, elle partait
en mission pour des durées plus ou moins longues.
C’était toujours un déchirement de devoir se séparer
d’Olivier, mais ils étaient suffisamment forts et
avaient appris à vivre avec. En même temps, ils se
nourrissaient du désir de se retrouver et aimaient
presque cette période avant les retrouvailles, ce
temps où l’on espère l’autre, où le manque fait mal
et où l’attente devient insupportable pour mieux
savourer le feu qui enflamme leur esprit et leur
corps lors des retrouvailles.

286
Olivier, au regard de son entourage, avait
beaucoup évolué. Il était plus ouvert, avait gagné en
confiance en lui et n’avait plus aucune appréhension
à sortir, en dehors du contexte de l’ESAT.

Cette journée de mi-décembre avait bousculé


toute cette routine. Christophe avait fait un malaise.
Ce jour-là, Alexandre travaillait dans son bureau et
Olivia était au cabanon en consultation. Tout à
coup, Déva se mit à aboyer, ce qui ne lui arrivait
pratiquement jamais. Longtemps, ils avaient cru
qu’elle était muette. Alexandre se précipita vers le
salon où se reposait Christophe. Il le trouva
inanimé, tremblant, la respiration faible. Aussitôt, il
appela Olivia et le médecin qui le suivait depuis son
installation à Paimpol. Celui-ci se rendait toujours
disponible, connaissant l’état de son patient.
Olivia accourut aussi vite qu’elle put et s’enquit
auprès de son mari.
- Que s’est ’-il passé ?
- C’est Déva qui m’a alerté. Elle a aboyé et
comme cela ne lui arrive que très rarement, j’ai
compris que quelque chose se passait. Ton père est
inconscient. Il a fait un malaise. J’ai appelé le
médecin. Il ne devrait plus tarder
- Tu as bien fait. Mon dieu ! Il avait l’air d’aller
bien ces derniers jours, enfin, pas trop mal. J’espère
que ce n’est qu’un malaise passager, sans gravité, dit
’elle angoissée.
- Je l’espère aussi, répondit ’il peu convaincu.

287
Quand le médecin arriva, il les trouva autour de
Christophe. Il les aida à le coucher et resta seul avec
lui un long moment.
Olivia, inquiète, se précipita vers lui dès qu’il fut
sorti de la chambre.
- Asseyez-vous tous les deux. Je vais être franc.
Votre père ne va pas bien. Il est très faible. Je lui ai
fait une piqure pour le stimuler. Il a repris ses
esprits. Mais, vous devez vous préparer.
Olivia s’effondra.
- Non, ce n’est pas possible. Il m’avait promis
qu’il verrait notre enfant. Pas déjà, pas maintenant.
Alexandra l’entoura de ses bras.
- Je sais combien c’est douloureux. Mais je dois
vous rapporter ce qu’il m’a demandé. Il veut que l’on
abrège ses souffrances.
- Je redoutais ce moment. C’est ce qu’il nous
avait demandé il y a quelques mois. Mais, jamais, je
ne pourrais… enfin…c’est inhumain de devoir
programmer la mort de quelqu’un.
- Ce n’est pas nous qui allons programmer sa
mort, mais c’est lui qui décidera. On en a déjà parlé
et je vous avais promis que je serai là pour vous
accompagner.
- Dites-moi la vérité. Il lui reste combien de
temps ?
- C’est difficile à dire. Il nous a montré qu’il
était fort, qu’il avait des ressources. Je dirai un

288
mois. Il m’a dit qu’il attendrait la naissance de votre
enfant.
Olivia, anéantie, se cramponnait au bras de son
mari. Elle caressa son ventre. Un petit être lui
donnait des coups de pieds.
- Un mois ! C’est le temps qu’il me reste avant
d’accoucher murmura t’elle
Le médecin, d’une voix bienveillante, lui dit :
- Pensez à vous pour le moment, à votre bébé.
Pour votre père, je vais poser une perfusion avec des
antalgiques qu’il pourra lui-même activer quand il
souffrira trop. Continuez les massages,
l’acupuncture. C’est bon pour lui. Je repasse le voir
dans une semaine.
Et il ajouta :
- Vous savez, son moteur, en ce moment, c’est
ce bébé. J’ai déjà vécu ce genre de situation. Les
personnes attendent la naissance ou un autre
événement heureux et puis après, ils lâchent.
Alexandre lui serra la main et ils le remercièrent.
Olivia se leva et se dirigea vers la chambre où
reposait son père qui l’accueillit avec un faible
sourire.
- Papa, comment te sens-tu ?
- Ça va mieux. Je ne sais pas trop ce qui m’est
arrivé. Un voile noir, le brouillard et j’entendais
l’aboiement de Déva. Cela me semblait loin. C’est
elle qui vous a averti, c’est ça ?

289
- Oui, c’est elle. Elle veille sur toi sans cesse.
Alexandre a appelé le médecin de suite.
- Merci.
Il respirait doucement et prenait du temps pour
parler.
- Je lui ai parlé. Je lui demandé de m’aider à
mourir. Je sais qu’il me reste peu de temps. Et…
Olivia prit sa main et l’embrassa.
- Papa, je ne peux pas …
- Chut… n’aie pas peur. Je suis prêt. Et je
déciderai en pleine conscience quand ce sera le
moment. Ne sois pas triste. Et je t’ai promis
d’attendre que ton petit soit là.
Elle redressa la tête, se leva, lui caressa la joue et
lui dit.
- Je vais te laisser te reposer. Je t’aime, Papa.

Quand elle revint dans le salon, elle ressentit tout


à coup une violente douleur dans le ventre qui
l’obligea à s’asseoir. Alexandre se précipita vers elle.
- Ça va ? Que se passe-t-il ?
- J’ai très mal au ventre. Je crois que c’est une
contraction.
Alexandre qui dans son autre vie d’ambulancier
avait dû gérer un accouchement au domicile d’une
patiente, ne souhaitait pas revivre ce moment.
D’autant plus, que là, il s’agissait de sa femme et de

290
son enfant. Il n’aurait pas le recul nécessaire pour
affronter la situation. En quelques secondes, il revit
la naissance de leur premier enfant, puis le drame
quelques années plus tard. Cette naissance devait
avoir lieu dans les meilleures conditions, aussi, il
réagit très vite.
- Ne bouge pas. Je vais t’emmener à la
maternité.
Elle grimaçait de douleur et instinctivement colla sa
respiration sur le rythme des contractions.
- Non, non, ça va aller. Ça doit être une fausse
alerte. Et on ne peut pas laisser Papa tout seul.
- Ne t’inquiète pas. Je vais appeler Azilis pour
rester avec Christophe et toi, je t’emmène à l’hôpital,
sur un ton qui n’amenait aucune réplique
D’autant plus qu’un autre décharge lui déchira les
reins.
- Tu as raison, je crois qu’il faut y aller.
Heureusement que j’ai préparé la valise ces jours-ci.
C’est curieux quand même : Papa nous fait
comprendre qu’il attend la naissance de notre
enfant pour pouvoir quitter ce monde… et le voilà
qui frappe à la porte

Tout se passa très vite. Azilis, qui heureusement,


n’était pas en déplacement, accourut aussitôt.
Olivia fut prise en charge dès son arrivée à la
maternité. La sage-femme qui l’examina lui annonça
que le travail avait commencé et qu’elle allait

291
donner naissance à son enfant très vite. Alexandre
resta à ses côtés tout le temps.
Un petit Evan pointa son bout de nez une heure
plus tard avec un mois d’avance. Fort
heureusement, il était en parfaite santé.
N’ayant pas voulu connaitre le sexe de leur
enfant, Ils avaient choisi des prénoms fille et garçon.
Evan, prénom souvent associé à Yves, et Christophe
en deuxième prénom. C’est Alexandre qui avait
insisté pour ce choix.
Les deux parents restèrent un long moment dans
les bras l’un de l’autre, le bébé posé sur le ventre
d’Olivia. Comme tous dans ces moments-là, leur
enfant était la huitième merveille du monde.
Le petit Evan dut rester en observation quelques
jours, compte tenu de sa prématurité, avant de
retrouver la douceur du foyer familial.
Ce petit enfant fut accueilli avec beaucoup de joie
par Olivier et Azilis, ainsi que Christophe, qui
malgré son extrême fatigue, put se lever et s‘installer
dans son fauteuil et fut très ému du choix des
prénoms qui lui rendaient hommage ainsi qu’à son
père.
- Au moins, dit ’il, nos aïeux vont continuer à
vivre à travers lui.

Il régnait dans cette maison une douce ambiance


de bonheur. Le petit Evan ne pleurait pratiquement
jamais et faisait la joie de ses parents qui
rayonnaient d’amour. Christophe semblait avoir
292
retrouvé de l’énergie et Olivia eut l’espoir secret que
l’issue fatale qui les guettait s’éloignait d’eux.
Ils passèrent la fin de l’année ainsi, réunis autour
du petit enfant et aussi de Christophe qui, chaque
jour, menait ce terrible combat. Ils ne firent pas de
fête, mais partagèrent ce moment-là tous ensemble.
Le miracle de Noël venait d’avoir lieu avec l’arrivée
du petit Evan.
Olivia et son frère avaient tenu à rencontrer le
médecin qui, tout en ne voulant pas gâcher ces
instants de vie si précieuse, les exhortait à rester
lucide quant à l’état de santé de leur père.
- Votre père, motivé par la venue au monde de
votre enfant, a retrouvé du tonus, de la vigueur. Il a
beaucoup de force, de cran. Mais il est épuisé. Je me
dois de vous dire les choses. Il se peut que dans les
jours qui viennent, il commence à lâcher.
- Nous le savons, et on profite de lui au
maximum. On est parfaitement conscient que cela
ne va pas durer. Même si au fond, de nous, on
espère toujours un miracle déclara Olivier qui
regardait sa sœur en même temps qu’il prononçait
ces mots.
Olivia prit la parole.
- Oui, Olivier a raison, mais je voudrais
savoir… enfin, notre père a … Oui, il nous a supplié
de l’aider. Mais, on ne va quand même pas lui faire
une injection… Oh, que c’est dur de dire ces choses-
là, mais, voilà, comment cela va se passer ?
- J’en ai longuement parlé avec lui, à sa
demande. Il est sous perfusion et c’est lui qui active
293
le système pour gérer ses douleurs. Nous avons
convenu que c’est lui qui déciderait du moment où il
voudrait partir.
Le frère et la sœur se tenaient la main et se
sentaient si démunis, si impuissants.
Le médecin continua à les réconforter.
- Il aura besoin de vous tous, que vous soyez à
ses côtés. Ecoutez ses dernières volontés. Et je serai
là à aussi.

Ils sortirent de cet entretien dévastés, mais


rassurés malgré tout de savoir que leur père
partirait tranquillement, doucement, sans souffrir.
- Mon dieu, que c’est violent d’avoir à gérer ce
genre de situation. Dans mon métier, j’ai
accompagné beaucoup de personnes qui étaient
condamnées par la maladie, leurs proches, mais
quand cela te touche personnellement, on prend
vraiment conscience de la violence que cela
représente. Comment on va faire ? demanda-t-elle à
son frère. Tu crois qu’on va y arriver ?
- Tu sais, je suis dans le même état que toi,
mais il va falloir accepter ce qui va se passer. C’est
son choix et on va le respecter. Tu sais ce qu’on va
faire : on va préparer une petite cérémonie avec tout
ce qu’il aime : une musique, une chanson, un
poème, un parfum…Enfin, tu vois ce que je veux
dire ? Il ne faut pas que ce soit triste. Juste de
l’amour autour de lui pour qu’il parte en paix.

294
- Bah ! Je ne sais pas où tu trouves cette force,
mais, au fond, tu as raison. On lui doit bien ça, lui,
qui a passé sa vie sans nous. Le pauvre, comme il a
dû souffrir. Je suis heureuse qu’on ait pu lui
apporter un peu de bonheur maintenant. Dommage
que cela ne soit pas arrivé plus tôt. On est passé à
côté de notre vie, à tous.
- On ne peut pas et il ne faut pas vivre sur des
regrets. On n’a pas les réponses, mais cela devait se
passer ainsi. N’est-ce pas toi qui dis que chaque
chose arrive en temps voulu ?
- Oui, mais quand même…

295
Chapitre 31

Ce deuxième dimanche de janvier, il faisait froid,


mais le ciel était bleu. Un temps d’hiver comme il y
en a souvent en Bretagne. Au loin, on percevait le
doux roulement des vagues. Une apaisante berceuse
ponctuée du chant des mouettes.

Christophe avait décidé de quitter ce monde. Il


n’en pouvait plus. Il ne s’alimentait plus, et les
antalgiques ne parvenaient plus à le calmer. Il savait
que sa fin était proche et il avait demandé à ses
enfants de venir le retrouver. Le petit Evan avait été
confié à une collègue d’Olivier.

Le médecin, à la demande de son malade, avait


augmenté la dose d’antalgique, ce qui petit à petit
aller l’endormir définitivement. Christophe,
parfaitement conscient, avait la main pour activer
ou pas la propagation du produit. Le médecin
s’était mis en retrait dans un coin de la pièce, afin de
ne pas envahir leur intimité.

Olivier aidé d’Alexandre avait mis la chanson


préféré de son père, celle de Denez Prigent.
Olivia et son frère étaient chacun d’un côté du lit
et serraient la main de leur père contre leur joue.
- Papa, on t’aime fort dirent le frère et la sœur
en même temps.
296
Alexandre se tenait à côté de sa femme et Azilis
proche d’Olivier. Déva s’était couchée au pied du lit.
Azilis avait disposé çà et là des bougies parfumées
qui enveloppaient l’atmosphère d’une douce senteur
d’encens et de rose.
Christophe se laissait porter par la voix
envoutante du chanteur, et les sons de cornemuses
résonnaient dans la pièce. Olivia lu le texte que sa
mère avait écrit. En même temps, elle songea que le
vieux druide, aujourd’hui, c’était lui, son père. Il
ferma les yeux, sourit puis trouva la force de
murmurer en reprenant sa respiration entre chaque
mot :
- Merci mes enfants. Je suis heureux de vous
avoir à mes côtés.
Ils le virent presser l’interrupteur de la perfusion et
dans un dernier souffle :
- Ne soyez pas tristes. Je vous aime.
Il serra leurs mains avec toute l’énergie et
l’amour qui lui restaient.
Il rendit son dernier soupir au moment où la voix
du chanteur s’éteignit. Ils restèrent ainsi sans
parler, sans bouger, tétanisés par la puissance de ce
qu’ils venaient de partager. Le médecin qui les
observait perçut ce lien si fort, si profond qui les
unissait. Un fil indestructible, presque perceptible,
celui de l’amour. Christophe affichait un visage
apaisé, serein, presque souriant. Il dormait à
présent pour l’éternité.
Déva se leva et alla déposer sa truffe humide sur
la main d’Olivia qui reprit ses esprits et tourna la
297
tête vers sa chienne : une larme coulait sur son
museau.

Quand ils revinrent à eux, à travers le volet


entrouvert, un rai de soleil transperçait les rideaux
qui voilaient la fenêtre et inondait la pièce. Petit à
petit, ils se redressèrent, les joues ruisselantes. Ils
s’étreignirent pour aller chercher chez l’autre un peu
de réconfort.
Le médecin s’approcha d’eux et déclara :
- Votre père est parti en paix, comme il l’avait
souhaité. Vous lui avez préparé un beau départ.
C’est magnifique ce que vous avez fait. Je vais vous
laisser à présent entre vous.
Et une fois le constat de décès établi, il s’éclipsa
discrètement, les laissant à leur chagrin.

Olivier resta longtemps assis au côté de son père,


à le regarder. Son visage était détendu, presque un
sourire ornait sa bouche. La souffrance l’avait quitté
pour laisser place à un sommeil éternel. Il lui parlait
tout en lui caressant les joues, doucement.
Plus tard, dans la soirée, Olivia endossa un
survêtement, se chaussa et sortit. Elle dit avoir
besoin de prendre l’air.
Elle courut vers la côte, courut, courut, jusqu’à en
perdre haleine. Elle avait mal, si mal. Elle s’arrêta
essoufflée, près du rocher où ils avaient retrouvé
Christophe ce fameux matin. Et elle hurla en

298
scrutant le ciel qui commençait à se charger de
sombres nuages.
- Non ! Non ! Papa ! Papa !
Elle se laissa choir sur ses genoux.
- Est-ce que tu m’entends maintenant ? Où es-
tu dans cet univers ? Papa !
Il se mit à pleuvoir. Son visage ruisselait de
larmes, de pluies. Elle ne sentait plus rien, ni le
froid, ni le vent, ni l’humidité.
Elle resta ainsi longtemps prostrée face à la mer
qui commençait à se déchainer, à se laisser fouetter
par le vent comme si elle acceptait la punition que
les cieux lui infligeaient, celle d’avoir aidé son père à
mourir. Les images de son enfant décédé lui
revinrent et elle les imagina, son petit Romain et lui
maintenant réunis. Elle leur adressa une prière, leur
demandant de veiller sur eux.

Quand elle regagna la maison, ils étaient tous là,


à l’attendre. Ils avaient décidés de ne pas mettre
leur père dans un funérarium. Ils souhaitaient le
veiller, ici, chez eux, comme cela se faisait autrefois.
Ils voulaient son avis.
- Je suis d’accord. Il est hors de question de
l’abandonner dans une de ces chambres funéraires.
C’est comme si on se débarrassait de lui. Déclara
Olivia avec fermeté.
- On a contacté les pompes funèbres et ils
mettront en place tout ce qu’il faut pour pouvoir le

299
conserver dans de bonnes conditions jusqu’à la
sépulture.
Olivier ajouta :
- Il me semble que papa souhaitait être enterré
avec ses parents, c’est ça Olivia ?
- Oui, il me l’a encore dit il y a peu. Il faudrait
aussi avertir M. Le Dantec. Ils ont passé beaucoup
de temps ensemble ces dernières semaines.

Le lendemain matin, Alexandre et Azilis, qui


s’étaient proposés pour effectuer toutes les
démarches, partirent donc de bonne heure.
Olivier et Olivia avaient besoin de se retrouver
tous les deux pour partager leur chagrin commun.
Ils s’installèrent dans le salon, près de la chambre
où reposait leur père, pour regarder les photos
qu’Olivia avaient retrouvées. La plupart ne leur
parlaient pas ; beaucoup d’inconnus sur ces anciens
clichés. Certainement des personnes de la famille.
D’autre montraient leur père, jeune, avec leur mère
et Olivia petite, qu’Olivier ne put s’empêcher de
commenter.
- Toi au moins, tu as des photos…Moi, je n’ai
rien qui me rattache à eux.
Olivia passa ses mains dans les cheveux de son
frère.
- Je sais, petite frère, je sais dit ’elle en
soupirant. Je vais t’en faire des copies. Maintenant,
tout cela appartient au passé.

300
Puis elle eut un éclair.
- Tu sais quoi ? Eh bien, on va faire notre arbre
généalogique. Je commence à être experte et puis
nous avons en la personne de ton amoureuse, une
professionnelle.
- Pourquoi pas rétorqua Olivier, mais à quoi
cela va-t-il nous servir ?
- Eh bien, cela va nous permettre de remettre
de l’ordre dans cette foutue famille, de savoir d’où
l’on vient, de connaitre nos origines. Et puis, les
gens ne sont morts que lorsqu’on ne parle plus
d’eux. Alors, à nous de ne pas les oublier.
Olivier acquiesça, mais à une condition
- Je ne veux pas voir sur cet arbre le nom de
nos grands-parents maternels, ceux par qui tout ce
malheur est arrivé.
- Je n’en ai pas envie non plus, sauf qu’ils ont
existé. Mais, on peut commencer par celui de papa.
Il nous a si souvent parlé de ses parents… Pour
maman, on a du chemin à faire tous les deux,
d’acceptation, de pardon, enfin, je suis comme toi,
pour le moment, je ne veux pas trop y penser… Et je
ne suis pas plus prête que toi. Tout se fera quand ce
sera le bon moment.

Ils se levèrent et allèrent voir leur père. Une


bougie se consumait sur le guéridon à côté du lit.
Déva était restée, couchée au pied du lit, la tête
entre les pattes. C’est là qu’Alexandre et Azilis les
retrouvèrent quand ils revinrent. La sépulture était
301
programmée et, comme convenu, le chant de Denez
Prigent serait diffusé à la fin de la cérémonie.
Quant au fait de garder le corps de leur père chez
eux, les pompes funèbres avaient finalement accepté
après un moment d’hésitation.
Ainsi, ils se relayèrent pour que le défunt ne soit
jamais seul. Ils lui parlaient, récitaient des poèmes,
écoutaient de la musique, notamment tous ces
chants bretons qui lui étaient si chers. Cela leur
permit de lui dire au revoir, plus simplement, de se
sentir en paix avec eux même et de commencer à
être dans l’acceptation.
Et Déva resta tout le temps dans la même
position, refusant de se lever, de manger, de boire.
Elle ne se releva que le jour de la sépulture quand
les employés funéraires vinrent chercher le corps
pour l’emmener à l’Eglise. Là, elle se dirigea vers sa
gamelle et se remit à vivre.

La cérémonie, simple, intime, juste ce qu’il leur


fallait pour accompagner Christophe vers l’autre
monde, fut célébrée en la cathédrale de Tréguier.
Puis, ils suivirent le cortège au cimetière, là où
désormais Christophe allait reposer auprès de ses
parents. Au moment de la mise en terre, Olivia se
sentit défaillir. Elle laissa tomber la rose rouge,
symbole de son amour pour son père, puis s’éloigna,
accompagnée de tous les membres de la famille.
Charles le Dantec, qui avait renoué avec Christophe
et avait passé beaucoup de temps avec lui ces
dernières semaines, était aussi très affecté par sa
disparition et fut présent lors de cette cérémonie,
302
ainsi que toute l’équipe de l’ESAT qui n’oublierait
jamais cette fameuse soirée de la St Sylvestre au
cours de laquelle il les avait enchantés en jouant de
la guitare.

Avant de regagner la maison, tous les quatre


décidèrent d’un commun accord, d’aller déposer une
rose sur la plage préférée de leur père, à
Plougrescant. Olivia proposa qu’on l’on passe
prendre Déva.
Ils se retrouvèrent donc tous, adossés au rocher,
la chienne assise devant eux, le regard vers la mer.
Ils se recueillirent ainsi, bercés par le murmure
du ressac et le chant des mouettes, quand Azilis
sursauta et pointa son doigt vers Déva.
- Regardez ! Là ! Sur Déva ! Un papillon.
Effectivement, un papillon s’était posé sur sa tête
et la chienne ne bougeait pas.
- A cette saison, un papillon, avec le froid qu’il
fait, c’est étrange observa Alexandre.
- Peut-être pas, ajouta Azilis qui se tourna vers
le frère et la sœur.

Olivia et Olivier se regardèrent. Leur visage


s’illumina.
Un signe. Papa nous fait un signe.

303
Le papillon virevolta autour d’eux, se posa sur
chacune de leur main, revint se poser sur la tête de
Déva et prit son envol. La chienne leva la tête et le
suivit du regard. Elle aboya juste une fois dans sa
direction. Puis il disparut de leur vue.

304
Epilogue

Quelques semaines plus tard, Olivia et Alexandre


fêtaient le baptême du petit Evan, entourés d’Olivier
et Azilis, respectivement parrain et marraine. La
cérémonie avait été célébrée en la majestueuse
cathédrale de Tréguier, en souvenir de leur père.
.Depuis le décès, trop dans le chagrin, ils ne
s’étaient pas encore accordés le droit d’être joyeux.
Ce fut Alexandre qui bouscula sa femme pour
préparer le baptême. Malgré tout, il fallait célébrer
la vie et Evan en était le plus beau symbole. « La vie
est précieuse, lui avait ’il dit, il faut en savourer
pleinement chaque seconde ».
Ils avaient retrouvé la joie d’être parents... . Il
avait mis au fond de leur cœur l’amour de leur cher
petit Romain et il y avait désormais aussi la place
pour Evan.

Le bébé dormait à poings fermés dans son


couffin. Ils aimaient se retrouver dans cette maison,
qui était à présent la maison de famille ; la maison
dont les murs ont gardé les empreintes de leurs
ancêtres. Ils étaient tous rassemblés dans le salon, à
se remémorer leurs retrouvailles, celle avec leur
père, à regarder des photos, tout ce chemin
parcouru ces derniers mois, quand Déva se
précipita vers la porte d’entrée. Olivia se leva et alla
ouvrir. Un homme et une femme d’environ le même
âge qu’elle, se trouvaient là. Leurs visages lui
rappelaient vaguement quelque chose.

305
- Bonjour, nous sommes Lorène et Léo, vos
cousins, annonça la femme un peu tendue.
Olivia, désarçonnée par leur arrivée impromptue,
se remémora soudain les photos chez sa tante. Elle
avait rangé quelque part au fond de sa tête son
existence et voilà que ressurgissaient les démons du
passé. Que voulaient ’ils ? Lui faire des reproches ?
Elle leur répondit sur un ton peu sec.
- Bonjour. Que voulez-vous ? C’est votre mère
qui vous envoie ?
- Non, non, pas du tout. On comprend que
vous soyez surprise. On ne veut pas vous déranger,
mais juste faire votre connaissance précisa l’homme.
Et sa sœur d’ajouter :
- Notre mère nous a tout expliqué. Elle nous a
donné votre adresse.
Et elle ajouta en regardant son frère :
- On a eu envie de vous connaître… mais peut-
être qu’on n’aurait pas dû venir comme ça, à
l’improviste.
Olivia, prise au dépourvu, s’entendit répondre :
- C’est bon, maintenant que vous êtes là…
Et elle les fit entrer.

Alexandre, Olivier et Azilis, qui avaient entendu,


se levèrent pour les saluer. D’un commun accord,
Alexandre et Azilis se retirèrent, prétextant une

306
sortie avec Déva. Olivia resta donc seule avec son
frère pour affronter leurs cousins.
Lorène prit la parole :
- Vous savez, c’est très compliqué pour nous.
On ne vient pas pour plaider la cause de notre mère.
Après tout, c’est son histoire. On n’y est pour rien.
Olivier se tourna vers eux et répondit, en prenant
sur lui pour rester aimable.
- Bien sûr que vous n’y êtes pour rien, mais
avouez que ce drame a fait beaucoup de dégâts,
surtout pour nous.
Et il prit la main d’Olivia pour ajouter :
- Vous, vous avez eu vos parents. Nous, on a
fait connaissance de notre père il y a quelques mois
et vous voyez, on l’a enterré en début d’année. On a
à peine eu le temps de profiter de lui. Je ne sais pas
ce qu’elle vous a raconté, mais je ne suis pas sûr que
vous ayez conscience du mal qui a été fait. Moi, j’ai
été abandonné et j’ai vécu dans l’idée que je n’avais
pas de famille. Olivia a cherché son père toute sa vie
et ignorait mon existence. Alors, oui, vous n’y êtes
pour rien, mais la responsable, c’est quand même
votre mère et si seulement, elle … !
La colère montait en lui et Olivia du
l’interrompre.
- Ce que mon frère veut vous dire, c’est qu’on a
tous subit des dommages collatéraux. On est en
train de se reconstruire. Et ce n’est encore pas tous
les jours faciles. On vient de vivre des moments
extrêmement douloureux.
307
Léo, qui était resté en retrait de sa sœur, s’avança
et déclara.
- Je ne sais pas quoi vous dire. Quand notre
mère nous a raconté son passé, on est tombé de
haut. Moi, je lui en ai voulu de nous avoir menti et
tenu à l’écart. Car on a quand même été en contact
avec nos grands-parents jusqu’à son décès à lui.
C’est vrai qu’elle ne nous a jamais laissés seuls avec
notre grand –père. Mais, jamais, on aurait imaginé
qu’on avait en face de nous un …. prédateur. Notre
démarche, aujourd’hui, c’est juste de vous
rencontrer et je comprendrai que vous ne vouliez
pas de nous.
- Au moins, vous, faute d’avoir su aider sa
sœur, elle vous a protégés, ne put s’empêcher de
rétorquer Olivier.

Léo regarda son cousin, son fauteuil et se laissa


tomber sur une chaise, mit sa tête dans ses mains et
s’effondra. Sa sœur, désorientée de voir son frère
ainsi, se tourna vers son cousin et répliqua :
- Je comprends que vous soyez en colère, mais
avez-vous une idée de ce qu’on peut ressentir à
l’heure qui l’est ? Nous aussi, on a du dégout pour
nos grands –parents, de la rancœur contre notre
mère ! Vous croyez que c’est facile à entendre de
telles choses ! Qu’est-ce qu’on fait de ça
maintenant ? On se fait la guerre ou on essaie de
faire connaissance ? Nous, tout comme vous, nous
sommes des victimes. Certes on a moins souffert.
Oui, on a eu nos parents, même s’ils se sont
séparés, et maintenant, on comprend pourquoi…
308
Léo se releva brusquement et coupa la parole à sa
sœur.
- Désolé de vous avoir dérangés. On voulait
juste essayer de… Enfin, je ne sais pas pourquoi on
est venu, je ne sais plus ce qu’on attendait de notre
rencontre.

Olivier s’était réfugié à l’autre bout de la pièce, le


visage fermé. Pour lui, la discussion était close.
Olivia, qui était prête à faire un pas vers ses cousins,
se ravisa.
- Désolée, mais je crois qu’il vaut mieux que
vous partiez maintenant. Ne lui en voulez pas, c’est
lui qui a le plus souffert dans cette affaire. Il lui faut
du temps.

Alors, Lorène et Léo se retirèrent. Olivia les


regarda partir : ils lui firent pitié. Ils étaient sur le
bord de la route, hagards. Elle se tourna vers son
frère.
- Je ne vais pas te juger. Sur le fond, tu as
raison, mais je pense que ces deux-là vont aussi mal
que nous il y a quelques mois. On était comme eux,
tu te rappelles ? La colère, la révolte, la haine…
Olivier releva la tête.
- C’est plus fort que moi. En une fraction de
seconde, toute mon enfance a refait surface. C’est
encore très frais, trop frais, tout ça.
Puis il se ravisa :
309
- Tu as raison. Eux-aussi sont des victimes.
Après tout, ce n’est pas de leur faute. Je suis con de
les avoir attaqués ainsi.
Olivier avait gardé de son enfance ce caractère
impétueux, orageux, toujours sur la défensive,
même si depuis qu’il vivait avec Azilis, il allait
beaucoup mieux, mais il fallait peu pour qu’il
replonge.
Il se reprit et ordonna à sa sœur :
- Rattrape-les, s’ils ne sont pas partis ! Vite !
S’il te plait.
Olivia bondit hors de la maison et vit la voiture
garée sur le bord de la route, un peu plus loin. Elle
s’approcha et les aperçus, tous les deux, Léo assis au
volant du véhicule, sa sœur à ses côtés, prostrés.
Au moment où Léo s’apprêtait à démarrer la
voiture, elle cogna à la vitre. Ils la regardèrent,
surpris et marquèrent un temps d’arrêt.
Lorène baissa la vitre. Olivia ne lui laissa pas le
temps de parler.
- Venez, venez, ne restez pas là, s’il vous plait,
c’est mon frère qui m’envoie. Allez. S’il vous plait
insista-t-elle.
Ils hésitèrent, puis descendirent du véhicule.
Quand ils pénétrèrent dans la maison, Olivier
s’avança vers eux et s’excusa.
- Pardon de vous avoir reçu ainsi. Je suis un
peu impulsif. Mais, vous avez raison, vous n’y êtes
pour rien. On n’est pas responsable de nos parents.
Vraiment, je suis désolé, mais je …, enfin, on ne s’y
310
attendait pas. Alors, bienvenue dans cette famille
cabossée !
Et il leur tendit la main en signe d’apaisement et
les invita à s’installer.

Quand Alexandre et Azilis furent de retour, c’est


ainsi qu’ils les trouvèrent, tous les quatre installés
dans le salon, autour d’un café, à discuter librement,
à faire connaissance en essayant de laisser derrière
eux ce qui appartenait à leurs parents. Ils devaient
apprendre à faire la paix avec leurs racines.

Olivia les observait tout en caressant la triskèle


que lui avait offert son père, sourit et ne put
s’empêcher de songer qu’elle avait atteint son but :
réparer sa famille. Un sentiment de plénitude
l’envahit. Le petit Evan dormait à poings fermés, un
sourire d’ange à ses lèvres.
Soudain Déva se mit à gémir et vint renifler la
photo de Christophe qui trônait sur le guéridon près
du fauteuil dans lequel il aimait se reposer. La porte
était restée entr’ouverte et un papillon en avait
profité pour s’inviter et s’y poser.

* ****

311
« La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je vous le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin, une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée. »

Paul Eluard
« Derniers poèmes d’amour »

312

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