Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
passion française
Du même auteur
Le Défi terroriste
coll. « L'Histoire immédiate », 1979
Le Tarbouche
roman, 1992
Prix Méditerranée
et « Points », n°P 117
Le Sémaphore d’Alexandrie
roman, 1994
et * Points », n°P 236
La Mamelouka
roman, 1996
et * Points », n°P404
ROBERT SOLE
L’ÉGYPTE,
passion française
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VP
ISBN 2-02-028144-9
C 'était l’autom ne, j'a v a is dix ans. Comme chaque été, nous venions
de passer trois m ois de bonheur sur une petite plage, près d'A lexandrie,
en com pagnie d 'u n e dizaine de fam illes amies. Des « grandes vacances »
qui m éritaient bien leur n om ... Nous étions rentrés au C aire, et j'av a is
retrouvé, à l'o rée du désert, les m urs ocre, les terrasses fleuries et les
grandes baies vitrées du lycée franco-égyptien d 'H éliopolis, l ’un des
plus beaux fleurons de la M ission laïque française en Orient. Nos m anuels
scolaires tout neufs fleuraient encore l'encre parisienne. On y apprenait
les fables de La Fontaine, les toits couverts de neige, l'im p arfait du
subjonctif et Jeanne d ’Arc au bûcher... Seul le livre de gram m aire arabe
devait être made in Egypt.
M ais à peine avions-nous étrenné cartables et plum iers cette année-là
q u ’on nous renvoya à la m aison. C ’était l'autom ne 19S6, et c 'é ta it la
guerre. En réponse à Nasser qui avait nationalisé la Compagnie universelle
du canal de Suez, des soldats israéliens, britanniques et fiançais s’étaient
invités, sans prévenir, sur le sol égyptien. A Paris, on appelait cela « la
cam pagne de Suez ». Au Caire, on disait « la triple et lâche agression ».
Ce n ’était pas vraim ent la guerre pour nous qui vivions dans la capitale,
loin des com bats de Port-Saïd - e n tout cas pour l’enfant que j ’étais et qui
assistait, ravi, à une sorte de grand jeu prolongeant les vacances d ’été. On
avait peint les phares des voitures en bleu et entassé des sacs de sable à
l'entrée des immeubles. Le soir, lors des alertes aériennes, il fallait aussi
tôt éteindre les lumières. Les indociles ou les distraits se faisaient rappeler
à l’ordre, de la rue, par une voix gutturale qui donnait le frisson.
L’enfant de dix ans jouait à la guerre, sans se rendre compte q u 'il vivait
là un événem ent dram atique, historique, sur le point de bouleverser la
situation au Proche-O rient et la vie de nom breuses fam illes, dont la
sienne. Dois-je préciser que l’un de mes oncles m aternels, de nationalité
égyptienne, devait épouser quelques sem aines plus tard la fille du consul
général de France, et que les invitations avaient déjà été lancées ? La
« triple et lâche » allait nous priver d ’une cérém onie très attendue.
Suez a été un immense fiasco. Après cette équipée m ilitaire, stoppée
au bout de quelques jours par les Etats-U nis et l ’Union soviétique, les
9
L ’ÉGYPTE, PASSION FRANÇAISE
10
PROLOGUE
j ’ai voulu raconter ici. Né égyptien, n ’ayant pas une goutte de sang fran
çais, j ’ai découvert la France à l’âge de dix-huit ans avec ém erveillem ent.
D écouvert ou retrouvé ? Elle m ’était déjà fam ilière, à distance, grâce à
des professeurs exceptionnels, au lycée puis chez les jésuites, et grâce aux
livres. Bénis soient la com tesse de Ségur (née R ostopchine) et H ergé
(citoyen belge) qui, les prem iers, m ’ont introduit auprès de leurs ancêtres
les G aulois !
Les ouvrages qui traitent des Français et de l ’Égypte sont innom
brables. Aucun ne couvre l’ensem ble de cette aventure. Même le précieux
Voyageurs et É crivains français en Égypte de Jean-M arie Carré se lim ite,
comme son nom l’indique, aux écrivains-voyageurs et ne va pas au-delà
de 1869. Il y aurait « une grande fresque à brosser », écrivait cet univer
sitaire en présentant la prem ière édition de son ouvrage, en 1933. Y appa
raîtraient « tous ceux qui ont contribué, soit à la découverte de l’Égypte
ancienne, soit à la renaissance de l ’Égypte m oderne». Il ajo u tait:
« A dm irable perspective, certes, pleine d ’am pleur et de richesse, de
variété et de couleur ! Les prouesses de l’énergie et de l’endurance y alter
neraient avec les m anifestations de la pensée studieuse, les interprétations
de la sensibilité, les rêveries de l’im agination poétique. Hommes de foi et
hommes d ’épée, hommes de loi et hommes d ’action, hommes de sciences
et hom m es de lettres s ’y coudoieraient dans des attitudes diverses, et
cependant leurs efforts se com pléteraient et s ’harm oniseraient dans un
immense tableau d ’ensem ble. »
M odestem ent, Jean-M arie Carré jugeait l ’entreprise au-dessus de ses
forces et lim itait son propos dans l’espace et le tem ps. Or, depuis 1933,
beaucoup d ’autres personnages ont surgi, beaucoup d ’autres événem ents
se sont succédé, qui ont rendu la tâche encore plus périlleuse. Une telle
fresque occuperait facilem ent vingt volumes et toute une vie. Faut-il pour
autant s ’interdire d ’aborder le sujet? Y renoncer sous prétexte q u ’il est
trop riche ? Tout dépend de ce que l’on vise. Je ne cherche ici qu’à racon
ter une histoire, sans prétendre aucunem ent à l ’exhaustivité. Le lecteur
désireux d ’aller plus loin trouvera les repères bibliographiques néces
saires.
Le deux centièm e anniversaire de l’Expédition de Bonaparte, en 1998,
est l’occasion de faire le point, même si les Égyptiens - et on les com
prend - n ’ont nulle envie de comm ém orer l’invasion de leur pays, préfé
rant célébrer deux siècles d ’échanges culturels et d ’« horizons partagés »
avec la France. Q u’elle m arque ou non la date de naissance de l ’Égypte
m oderne, l ’Expédition est un m om ent capital, lourd de conséquences.
Pour tenter de com prendre cet événem ent, il faut rem onter un peu en
arrière : pas nécessairem ent au déluge, m ais à la prem ière installation
d ’une colonie française sur les bords du Nil, au xvie siècle.
PREMIÈRE PARTIE
La rencontre
de deux mondes
1
L’É gypte? Pour un Français du XVIe siècle, c ’est d ’abord une image
biblique. Ou, plutôt, deux images assez contradictoires, pour ne pas dire
diamétralement opposées. Dans l’Ancien Testament, les Hébreux, conduits
par M oïse, fuient la vallée du Nil après y avoir été réduits en esclavage ;
ils échappent à leurs poursuivants, qui se noient dans la m er Rouge, et se
dirigent vers la Terre prom ise. En revanche, dans le Nouveau Testament,
Jésus, M arie et Joseph vont se réfugier en Égypte, sur le conseil d ’un
ange, pour échapper au m assacre des nouveau-nés ordonné par Hérode ;
ils y dem eurent en sécurité jusqu’à la m ort du tyran. Terre dangereuse et
terre d ’asile, pays d ’où l’on s’échappe et pays où l’on s’abrite, la vallée
du Nil se voit toujours associée à la notion de fu ite...
L ’Égypte, c ’est aussi le souvenir de la septièm e croisade, conduite par
Saint Louis en 1249. Un souvenir à la fois glorieux et douloureux,
puisque, après avoir conquis Dam iette, les Français ont été mis en échec à
M ansoura et décim és par des épidém ies. Joinville, adm irable chroniqueur
de cette épopée avortée, n ’a privé ses com patriotes d ’aucun détail. Ainsi,
la diarrhée du pauvre Louis : « ... à cause de la forte dysenterie q u ’il
avait, il lui fallut couper le fond de son caleçon, tant de fois il descendait
pour aller à la garde-robe(. » Le roi de France a été fait prisonnier, puis
libéré contre rançon après diverses péripéties. De ces « Sarrasins », vaincus
puis vainqueurs - on ne dit jam ais « les Égyptiens » - , ses sujets garderont
l ’image de guerriers courageux, avec qui il est possible de négocier, m ais
susceptibles de m anquer à leur parole et d ’égorger leurs captifs. Là aussi,
des s* ux contradictoires.
L* _ pte, enfin, c ’est une image féerique. M algré tous les m alheurs
de la croisade, Joinville fait de ce pays une description paradisiaque. Le
Nil, affirm e-t-il, « est différent de toutes les autres rivières 12 ». Il répand
sa crue bienfaisante, qui ne peut venir que de « la volonté de Dieu ».
Personne ne connaît sa source : ce cours d ’eau descend d ’une sorte de
15
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
16
PÈLERINS. NÉGOCIANTS ET CURIEUX
Au XVIe siècle, la France com pte pourtant en Égypte une petite colonie.
C ’est l ’une des « Échelles du Levant », nom donné aux com ptoirs établis
dans des villes de l’Em pire ottom an et qui doit son origine aux échelles
perm ettant aux bateaux de décharger passagers et m archandises. C ette
colonie a pu s'étab lir en Égypte grâce aux Capitulations. 11 ne s ’agit pas
de d éfaites... Si l ’accord conclu en 1535 entre le roi de France et le sultan
de Constantinople s ’appelle ainsi, c ’est sim plem ent parce q u ’il est divisé
en chapitres (capitula). Dix-huit ans plus tôt, l ’Égypte a été conquise par
les 'Rires, qui font trem bler l ’Europe. François Ier scandalise une bonne
partie de la chrétienté en faisant affaire avec eux, m ais ne serait-il pas prêt
à s ’allier au diable pour com battre Charles Q uint ?
O fficiellem ent, il ne s ’agit pas d ’un traité : Solim an le M agnifique,
« com m andeur des croyants. Roi des rois, dom inateur des deux continents
et des deux m ers », ne traite pas, fût-ce avec « le roi de France très chré
tien, gloire des princes de la religion de Jésus ». Les Capitulations sont
des faveurs q u ’il octroie, à titre provisoire, et qui devront être confirm ées
par ses successeurs. E lles le seront, effectivem ent, en 1569, puis une
dizaine d ’autres fois. D ’ici là, la plupart des États chrétiens d ’O ccident
auront suivi l’exem ple de la France et obtenu des privilèges sim ilaires de
la Sublim e Porte.
Dans ce traité déguisé, chacune des deux parties trouve des avantages
économ iques et politiques. Les C apitulations accordent aux négociants
français la liberté d ’acheter et de vendre dans tout l ’Em pire ottom an.
Exem ptés de la plupart des im pôts, ils peuvent s ’installer sur place et
y exercer leur culte. Les différends nés entre ces résidents étrangers ne
relèvent pas des juges locaux m ais de leur consul, lequel applique la loi
5. Pierre Belon du Mans, Les Observations de plusieurs singularités et choses mémo
rables trouvées en Grèce. Asie. Judée. Égypte. Arabie et autres pays estranges, 1554-
1555.
6. Cosmographie du Levait, 1556.
17
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
18
PÈLERINS, NÉGOCIANTS ET CURIEUX
Le ton de la lettre est révélateur de l'état d'esprit des Français d'É gypte,
qui ne sont que quelques dizaines : m algré les avantages contenus dans
les Capitulations, ils se sentent assiégés et vivent en reclus. U ne leur suf
fit pas d'échapper aux pirates en mer, aux bandits sévissant sur les bords
du Nil ou aux épidém ies de peste qui peuvent durer plusieurs m ois : l'h o s
tilité de la population et les m enaces des gouvernants locaux les obligent
à être continuellem ent sur leurs gardes.
Au C aire, les Français habitent des m aisons contiguës, en bordure
de l'E zbékieh, vaste esplanade qui est inondée par le Nil une partie de
l'année. Ce quartier, dit des Francs, est ferm é la nuit par une lourde porte.
A A lexandrie, com m e à R osette, ils sont regroupés dans une okelle
(wekala), édifice d 'u n seul tenant, qui ressem ble à un couvent. Une cour
centrale abrite les m agasins, tandis que les logem ents se trouvent à
l'étage. Les habitants de l'okelle sont enferm és la nuit, ainsi que le ven
dredi à l'heure de la prière. Leurs contacts avec la population se réduisent
essentiellem ent à des tractations com m erciales.
Seul le consul a le droit de m onter à cheval. Ses com patriotes circulent
à dos d 'à n e , en prenant soin de m ettre pied à terre quand ils passent
devant une m osquée ou rencontrent une personnalité locale. M alheur aux
distraits, aussitôt rappelés à l'ordre par un coup de bâton... Si le consul a
droit à une tenue européenne, les autres Français sont obligatoirem ent
vêtus à l'orientale. Même lorsque cette m esure sera levée, au m ilieu du
XVIIe siècle, ils devront porter une coiffure spéciale : un bonnet noir garni
d 'u n léger turban de soie.
La réform e introduite par Colbert en 1681 précise, dans les m oindres
détails, l'organisation des Échelles du Levant. Le consul est assisté de
deux « députés de la nation » et d 'u n e série d'officiers, parm i lesquels un
chirurgien e t un apothicaire. Il est interdit aux Français de résider en
Égypte plus de dix ans. Interdit aussi de faire venir leur épouse ou de se
m arier sur place. Seules les épouses des consuls sont adm ises, à condi
tion d 'être « d 'âg e avancé et de bonnes mœurs ». Certains négociants ne
se privent pas d'introduire des fem m es chez eux, ou même de vivre en
ménage avec des esclaves noires, m ais c 'est une source de conflits avec le
consul et d'incidents violents avec la population. Le « curé de la nation »
veille aussi à la m oralité. Ce religieux, appartenant souvent à l'ordre des
franciscains, célèbre une m esse quotidienne dans la « chapelle consu
laire ».
Les C apitulations ne sont guère respectées par les gouvernants de
l'É gypte. Constantinople est loin. Pour em pêcher toute tentation d 'au to
nom ie du pacha local, le sultan a fait en sorte de lui adjoindre deux contre
poids : les m ilices et les beys mamelouks (d'anciens esclaves originaires
pour la (dupait du Caucase). Or, ce partage du pouvoir crée un clim at per
m anent d'incertitude et favorise les brimades à l'encontre des Européens.
Ceux-ci doivent céder à des exigences continuelles, parfois dém esurées,
et pour cela s'endetter à des taux prohibitifs auprès de prêteurs locaux.
19
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
La Fiance connaît, dès le XVIe siècle, un certain engouem ent pour les
figures égyptiennes. On y voit surgir des sphinx, en général par paire,
pour décorer des perrons, des jardins ou m êm e des tom beaux, com m e
celui de Guillaum e du Bellay dans la cathédrale du M ans en 1SS7. M ais
c ’est en Italie que le phénomène prend toure son ampleur. Les Français
qui vont à Rome ne peuvent m anquer d ’adm irer les nom breuses statues
égyptiennes ornant le Capitole et d ’autres lieux, comm e la villa M édicis
ou le palais Fam èse. L’égyptom anie, qui y faisait fureur quatorze siècles
plus tôt, du tem ps où l ’Égypte était une province rom aine, revient en
force : à l’initiative du pape Sixte V, quatre obélisques de la période impé
riale sont érigés sur des places de la Ville sainte entre 1586 et 1589.
En France, des apothicaires vendent une drogue appelée « mummie »,
sous form e de poudre, de pâte noirâtre ou de m atière visqueuse, censée
provenir de la com bustion de m omies '°. François Ier lui-m êm e ne voyage
jam ais, paraît-il, sans un petit sac de cuir, accroché à la selle de son
cheval, contenant de la « mummie » ... Ce produit aux origines douteuses
a pour réputation de guérir, entre autres, les affections respiratoires et
gastriques, les épanchem ents de sang et le « cours excessif » des règles.
N aturellem ent, c ’est un aphrodisiaque. Son succès est tel q u ’Am broise
Paré rédige un D iscours de la m um m ie pour dénoncer ces « appâts
puants ». Selon le célèbre chirurgien de la Renaissance, la prétendue drogue
« cause une grande douleur à l ’estom ac, avec puanteur de bouche, grand
vom issem ent qui est plutôt cause d'ém ouvoir le sang et le faire davantage
sortir hors de ses vaisseaux que de l’arrêter ».
A la momie-médicament (broyée) s ’ajoute la m om ie-curiosité (entière),
que le voyageur Pierre B elon, de retour d ’Égypte, appelle jolim ent
« corps confit ». Il est cependant très difficile de lui faire traverser la
M éditerranée, car les m arins français - plus superstitieux que leurs col
lègues anglais ou flam ands - n ’en veulent pas à bord : ces cadavres
em m aillotés déclenchent, paraît-il, des tem pêtes. En revanche, les capi
taines n ’hésitent pas à lester les cales de leurs navires au m oyen de stèles,
statues ou m orceaux de colonnes pharaoniques qui, pour eux, ne pré
sentent aucun intérêt. D ’une m anière générale, à cette époque, l ’objet
20
PÈLERINS. NÉGOCIANTS ET CURIEUX
égyptien n ’est pas considéré comme une œ uvre d ’art, m ais comme une
curiosité. On lui attribue un pouvoir m agique, sinon m aléfique.
La France voit naître les prem iers « cabinets » de curiosités, dans
lesquels des collectionneurs entassent toutes sortes d ’objets étranges et
exotiques. Le plus étonnant e t le plus en avance sur son tem ps est un
m agistrat provençal, N icolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637) : ce
spécialiste de l ’Égypte, « atteint d ’un mal incurable, ne put jam ais voya
ger que dans sa tête, grâce aux objets réunis dans son cabinet. Il voya
geait néanm oins plus loin que ses contem porains11». En liaison perm a
nente avec des m em bres de l’Échelle d ’Égypte, des capitaines de navire et
d ’autres membres de l’Internationale des curieux, Peiresc a fini par acqué
rir une collection considérable m ais aussi une connaissance peu com
mune, à son époque, de la vallée du Nil.
Aux XVIe et xvii* siècles, « l’Égypte est la terre élue de la curiosité1112 ».
C ela tient au fait q u ’elle reste inintelligible, hors d ’atteinte. E t elle le
restera aussi longtem ps que les hiéroglyphes n ’auront pas été déchiffrés.
On sait lire le chinois, on ne com prend rien à l ’ancien égyptien. Or, le
pays des pharaons passe pour le plus vieux de la planète, et son histoire
est associée à celle du m onde judéo-chrétien : dans la B ible, il est cité
680 fo is...
L’Égypte ancienne nourrit d ’autant mieux les mythes q u ’elle est muette.
D es francs-m açons la considèrent com m e la source de la sagesse, une
sagesse enferm ée dans les écrits « herm étiques ». Pour certains d ’entre
eux, le Grand A rchitecte de l’Univers n ’est autre qu’Im hotep, le construc
teur de la pyram ide de Saqqara. L’abbé Jean Terrasson, franc-m açon fran
çais, publie en 1731 un rom an très rem arqué, Séthos, dont M ozart va
s ’inspirer pour com poser La Flûte enchantée. Un dem i-siècle plus tard,
C agliostro ouvrira à Lyon sa Loge M ère du Rite égyptien...
Sous Louis XIV, la France com m ence à s ’intéresser à l’O rient. Si la
Compagnie des Indes est créée en 1664 par Colbert, ce n ’est pas seulement
pour ravir à l ’Angleterre une partie de son com m erce. Le même Colbert
enrôle de jeunes Levantins pour les form er à la traduction, et constitue le
corps des « secrétaires interprètes du roi aux langues orientales ». Tandis
que le Collège de France se dote de chaires d ’arabe, de turc et de persan,
le C oran est traduit en français pour la prem ière fois, en 1647, par
Du Ryer, ancien consul en Égypte. Un dem i-siècle plus tard, on s ’arrache
Les M ille et Une N uits. M oins rem arquée est une pièce en un acte de
Jean-François Regnard, Les M om ies d 'E g yp tei3, jouée en 1696 au théâtre
de Bourgogne à Paris, avec une très belle distribution : Cléopâtre, O siris,
Arlequin et C olom bine...
21
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
22
PÈLERINS, NÉGOCIANTS ET CURIEUX
il a retrouvé l ’em placem ent, alors que les deux franciscains y étaient
passés sans identifier les ruines. Le père Sicard pousse son exploration
ju sq u ’à Kom-Ombo, Assouan et P h ilæ pendant l'h iv er 1721-1722. Les
renseignem ents q u ’il rapporte serviront grandem ent à un géographe en
cham bre, Bourguignon d ’A nville, qui publiera, un dem i-siècle plus tard à
Paris, une cane de l’Égypte étonnam m ent précise, sans avoir jam ais m is
les pieds dans la vallée du Nil.
U appartenait à un consul de France au Caire, Benoit de M aillet, arabi
sant lui aussi, d 'o ffrir à ses com patriotes le prem ier travail d ’ensem ble sur
le pays des pharaons. Sa D escription de l'É gypte, datée de 173S - trois
quarts de siècle avant l ’œuvre monumentale du même nom - , a l ’avantage
de montrer, pour la prem ière fois, l ’architecture islam ique, qui n ’intéres
sait guère les religieux. La prem ière édition de son livre est vite épuisée.
Deux autres verront le jour en m oins d ’un an. Son éditeur, l’abbé Le Mas-
crier, peut s ’exclam er en 1740 : « Le Nil est aussi fam ilier à beaucoup de
gens que la Seine. Les enfants même ont les oreilles rebattues de ses cata
ractes et de ses em bouchures. Tout le monde a vu et a entendu parler des
momies. » Le brave abbé exagère un peu. M ais il est certain q u ’au m ilieu
du XVIIIe siècle l’Égypte occupe les esprits. C ’est aussi un thèm e de polé
mique entre des penseurs chrétiens et des philosophes des Lumières ; les
uns voulant voir dans la sagesse égyptienne une preuve de la Révélation,
et les autres un dém enti au cléricalism e.
Dans les années 1780, M arie-A ntoinette entretient l ’égyptom anie en
commandant nombre d ’objets pour les palais royaux. Elle a un faible pour
les sphinx, qu’on retrouve, sous diverses form es, dans sa chambre à cou
cher de Versailles, son salon de Fontainebleau ou son cabinet particulier
de Saint-Cloud. A la même époque fleurissent dans les jardins de petits
pavillons exotiques, baptisés « fabriques », où pyram ides et obélisques
sont présents en force. La fabrique du parc d ’Étupes, résidence des
princes de M ontbéliard, est l ’œuvre d ’un architecte nommé Jean-Baptiste
Kléber, futur général, appelé à se distinguer à la bataille de Fleuras, puis
en É gypte...
On aurait pu croire que la Révolution française, égalitaire et républi
caine, décapiterait les pharaons. Il n ’en est rien. Elle se sert d ’eux, au
contraire, insistant sur leur sagesse, leur sens de la justice, l’étendue de
leur savoir - bref, leurs « lumières ». Cette m ise en valeur d ’un univers
plus m ystérieux et plus ancien que la civilisation gréco-rom aine permet
de com battre le christianism e et de « parfaire l’architecture visionnaire
m ais religieuse de la R évolution1516». Dans ses m onum ents, l ’Égypte
antique apporte une pureté qui tranche avec les traditions de l ’Ancien
Régime depuis l’époque gothique *. Une pyram ide de toile, dressée sur le
23
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Cham p-de-M ars, sert de décor central pour célébrer la destruction des
em blèm es de la féodalité, le 14 ju illet 1792. A la m ém oire des m orts
du 10 août 1792, on édifie une pyram ide au jardin des Tùileries et un
obélisque place des Victoires. Pour la fête révolutionnaire du 10 août de
Tannée suivante, une fontaine de la Régénération est réalisée en plâtre
bronzé sur la place de la B astille. La N ature y est représentée par Isis,
assise entre deux lions, vêtue d 'u n pagne égyptien et coiffée du némès
pharaonique, pressant « de ses fécondes m am elles la liqueur pure et salu
taire de la régénération ».
L ’Égypte s ’adapte à tous les régim es, toutes les idéologies. Encore
indéchiffrable, elle fascine de plus en plus. Et la tentation de la conquérir
grandit en proportion.
2
La tentation de la conquête
25
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Dans les années qui précèdent la Révolution, deux récits de voyage très
différents, m ais aboutissant à peu près à la même conclusion, vont beau
coup influencer les intellectuels et les hommes politiques français. L’un,
célèbre, est le Voyage en Syrie et en Égypte de Volney, paru en 1787.
L ’autre, moins connu, s ’intitule Lettres sur l'É gypte et a été publié l ’année
précédente par Claude Étienne Savary.
Ce Breton de vingt-sept ans, très cultivé, connaît l ’arabe. U est l’auteur
d ’une traduction du Coran et de deux ouvrages sur M ahomet. Son séjour
en Égypte va durer de 1777 à 1797. Lorsqu’il arrive à Alexandrie, le consul
de France vient d ’être assassiné, et le plus grand désordre règne dans le
pays, où s’affrontent les mamelouks. Cela n ’empêche pas Savary de regar
der le pays avec ém erveillem ent : « Le D elta, cet imm ense jardin où la
terre ne se lasse jam ais de produire, présente toute l ’année des m oissons,
des légum es, des fleurs et des fru its... Au nord de la ville, on trouve des
jardins où les citronniers, les orangers, les dattiers, les sycom ores sont
plantés au hasard... Lorsque l’atm osphère est en fieu, que la sueur coule
de tous les m em bres, que l ’hom m e haletant soupire après la fraîcheur
comme le m alade après la santé, avec quel charm e il va respirer sous ces
berceaux, au bord du ruisseau qui les arrose ! C ’est là que le 'Ihre, tenant
dans ses m ains une longue pipe de jasm in garnie d ’am bre, se croit trans
porté dans le jardin de délices que lui prom et M ahom et... C ’est dans ces
jardins que de jeunes Géorgiennes, vendues à l’esclavage par des parents
barbares, viennent déposer avec le voile qui les couvre la décence qu’elles
observent en public. L ibres de toute contrainte, elles font exécuter en
leur présence des danses lascives, chanter des airs tendres, déclam er des
rom ans qui sont la peinture naïve de leurs mœurs et de leurs plaisirs... »
Les jeunes villageoises qui descendent laver leur linge dans le canal ne
26
LA TENTATION DE LA CONQUÊTE
sont pas m oins troublantes : « Toutes font leur toilette. Leurs cruches et
leurs vêtem ents sont sur le rivage ; elles se frottent le corps avec le lim on
du Nil* s ’y précipitent et se jouent parm i les o n d es... »
O n im agine l’enthousiasm e des officiers de l ’expédition de Bonaparte
lorsqu’ils liront Savary, quelques années plus tard, pendant la traversée
de la M éditerranée1! Les généraux, eux, adopteront Volney comme livre
de chevet, voyant dans cet ouvrage plus som bre, raide comme un testa
m ent, un précieux m anuel de géographie politique et économ ique. M ais
il ne faut pas exagérer l’opposition entre les deux auteurs. Son coup de
foudre pour la vallée du N il n ’em pêche pas Savary de souligner l ’état
désastreux dans lequel se trouve « ce beau royaum e gouverné par des
barbares » et d ’appeler à sa conquête : « Si l ’Égypte, dépourvue de marine,
de manufactures, et presque réduite aux seuls avantages de son sol, possède
encore de si grandes richesses, jugez, M onsieur, ce q u ’elle deviendrait
entre des m ains éclairées... Ce beau pays, entre les m ains d ’une nation
am ie des arts, redeviendrait le centre du comm erce du monde. Il serait le
pont qui réunirait l ’Europe à l ’A sie. C ette contrée heureuse serait une
nouvelle fois la patrie des sciences et le séjour le plus délicieux de la terre.
Ces projets. M onsieur, ne sont pas une chim ère. »
C hassebœ uf, lui, se fait appeler « Volney » en hom m age à Voltaire
(habitant à Ferney). Ce jeune avocat, originaire de la M ayenne, veut pro
fiter d ’un bel héritage pour voyager. M ais pas voyager n ’imporm com
m ent. Pendant un an, il se prépare, en véritable professionnel, s ’entraînant
à dorm ir en plein air ou à m onter à cheval sans bride ni selle. S ’il ne passe
que sept m ois au Caire, avant d ’aller étudier plus longuem ent la Syrie,
son regard pénétrant lui perm et de décrire l’Égypte comme personne ne
l ’avait fait avant lui.
Nulle ferveur ici, nul enthousiasm e. Prenant le contre-pied de Savary,
dont il critique au passage la légèreté, Volney dresse le tableau implacable
d ’un pays m iné par la m isère, les m aladies et l’anarchie. Même la nature
ne trouve pas grâce à ses yeux : « Des villages bâtis en terre, et d ’un aspect
ruiné, une plaine sans bornes qui, selon les saisons, est une m er d ’eau
douce, un m arais fangeux, un tapis de verdure ou un cham p de poussière,
de toutes parts un horizon lointain et vaporeux où les yeux se fatiguent et
s ’ennuient. » Cet observateur distant est cependant trop précis pour ne pas
souligner, indirectem ent, les charm es du pays. A elle seule, la description
m inutieuse des riches m aisons du Caire, avec leurs vastes salles « où l’eau
ja illit dans des bassins de m arbre », invite au voyage : « Les fenêtres
n ’ont point de verres ni de châssis m obiles, m ais seulem ent un treillage à
jour, dont la façon coûte quelquefois plus que nos glaces. Le jo u r vient
des cours intérieures, d ’où les sycom ores renvoient un reflet de verdure
qui plaît à l’œ il. Enfin, une ouverture au nm d ou au som m et du plancher
27
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
procure un air frais, pendant que, par une contradiction assez bizarre, on
s’environne de vêtements et de m eubles chauds, tels que les draps de laine
et les fourrures. Les riches prétendent, par ces précautions, écarter les
m aladies : m ais le peuple, avec sa chem ise bleue et ses nattes dures, s’en
rhume m oins et se porte mieux. » Superbe !
T raitant, avec la m êm e précision, du com m erce, des douanes, des
im pôts ou de la faiblesse des fortifications du port d ’A lexandrie, l ’austère
Chassebœ uf fournit un docum ent exceptionnel aux Français qui rêvent de
conquérir l ’Égypte. Cette conquête, il l'appelle de ses vœux, m algré tout
le mal q u ’il a dit de la vallée du N il, avec quasim ent les mêmes m ots que
Savary : ce pays doit « passer en d ’autres m ains », ne serait-ce que pour
sauver et déchiffrer les vestiges d ’une imm ense richesse. « Si l ’Égypte
était possédée par une nation am ie des Beaux-Arts, on y trouverait pour
la connaissance de l ’A ntiquité des ressources que désorm ais le reste de la
terre nous refu se... Ces m onuments enfouis dans les sables s ’y conser
vent comme un dépôt pour la génération future. »
En somme, il y en a pour tous les goAts. La conquête de l ’Égypte peut
intéresser aussi bien les hommes politiques que les m ilitaires, les explo
rateurs que les savants, les artistes que les bienfaiteurs de l ’hum anité. É t si
l ’on y ajoute tous ceux que ce pays fascine, par son m ystère ou ses
harem s...
28
LA TENTATION DE LA CONQUÊTE
29
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
30
LA TENTATION DE LA CONQUÊTE
m ité : elle ne peut être régie que par l'adversaire de la raison, à savoir le
despotism e. L'Égypte représente un cas unique puisque la civilisation y
est née, au tem ps des pharaons, sous la form e de la sagesse. Cette civili
sation est passée ensuite à la Grèce et à Rome, s ’exprim ant par le civism e.
Puis, les A rabes ont pris le relais en développant les sciences. Et cette
civilisation est arrivée enfin en Europe, qui a hérité de tous ses attributs.
Or, par la R évolution, la France est en tête de la civilisation. Peut-elle
m onopoliser celle-ci ? La civilisation n ’est-elle pas destinée à tout le
genre hum ain ? En allant la porter - la reporter - dans la vallée du Nil, on
ne fait que revenir aux origines, boucler la boucle en quelque sorte.
Bonaparte, pas plus que Talleyrand, n ’a inventé l’Expédition d ’Égypte.
Les origines de cette entreprise sont bien antérieures, m êm e si la ren
contre des deux hom mes, en décembre 1797 à Paris, et leur unité de vues
sur la question vont perm ettre de réaliser le vieux projet de L eibniz.
Bonaparte est le général le plus glorieux, le plus adulé de la République.
Après l’éclatante cam pagne d ’Italie, il a apporté au D irectoire le traité de
paix avec l ’A utriche, signé à Cam poform io. La France n ’a plus q u ’un
seul ennem i sérieux, l ’A ngleterre. Et toute la question est de savoir
com m ent la com battre. L’attaquer de front, en débarquant sur ses côtes ?
Lui enlever le Hanovre et Ham bourg ? Ou m enacer son com m erce des
Indes en lançant une opération au Levant ? Bonaparte analyse chacune de
ces trois hypothèses dans un rapport au D irectoire, le 23 février 1798,
sans en oublier une quatrièm e, pour la form e, qui serait de conclure la
paix avec la perfide Albion.
L’O rient l’attire depuis longtem ps. Naguère, il avait lu, la plum e à la
m ain, L ’H istoire des A rabes en quatre volum es d 'u n certain abbé
de M arigny et s’était même fabriqué un petit vocabulaire de langue arabe.
Plus récem m ent, il a parcouru Savary, dévoré Volney, et d ’ailleurs discuté
avec ce dernier en Corse. Bonaparte, hanté par l ’exem ple d ’Alexandre le
Grand, est persuadé que si le pouvoir est à Paris, c ’est en O rient que l’on
peut réaliser une œuvre. Paris, du reste, n ’est pas prêt à se livrer à lui.
Il doit trouver un m oyen de prendre de la distance, sans se faire oublier.
Ce souci répond à celui de plusieurs membres du Directoire qui, tout à la
fois, aim eraient éloigner ce général encom brant et l’em ployer utilem ent :
le peuple ne com prendrait pas q u ’on se prive de lui.
Et, pour être com plet, rappelons l ’explication de Freud, qui vaut ce
q u ’elle vaut. Bonaparte, com plexé par Joseph, son frère aîné, aurait eu
besoin d ’une revanche en conquérant l ’Égypte, terre du Joseph de la
Bible. « Où aller, sinon en Égypte, quand on est Joseph qui veut paraître
grand aux yeux de ses frères? Si l ’on exam ine de plus près les m otifs
politiques de cette entreprise du jeune général, on trouvera sans doute
q u ’ils n ’étaient rien d ’autre que des rationalisations violentes d ’une idée
fantasm atique4. »
31
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
32
LA TENTATION DE LA CONQUÊTE
35
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
fam euse « bataille des Pyram ides », qui a lieu en réalité à Imbaba, assez
loin de là. C ’est dire que, contrairem ent à une légende, le sphinx n ’a pas
perdu son nez ce jour-là : un boulet ottom an le lui avait peut-être em porté
antérieurem ent, à m oins que cette partie proém inente n ’ait été victim e
de l’érosion... Il faut savoir aussi que Bonaparte ne s’est pas écrié : « Du
haut de ces pyram ides, quarante siècles vous contem plent », m ais, plus
prosaïquement : « Allez, et puisez que, du haut de ces monuments, quarante
siècles nous observent » ...
36
BONAPARTE, PACHA DU CAIRE
d'avanies : depuis trop longtem ps, ce ram assis d'esclaves achetés dans le
Caucase et la Géorgie tyrannise la plus belle partie du monde ; m ais Dieu,
le Seigneur des M ondes, le tout-puissant, a ordonné que leur em pire finit.
Égyptiens, on vous dira que je viens pour détruire votre religion; c ’est
un m ensonge, ne le croyez pas ! Répondez que je viens vous restituer
vos droits, punir les usurpateurs ; que je respecte plus que les mamelouks
Dieu, son prophète M ahomet et le glorieux C oran... Dites au peuple que
nous sommes de vrais musulmans. N 'est-ce pas nous qui avons détruit le
Pape qui disait q u ’il fallait faire la guerre aux m usulmans ? »
On a pris soin d'expurger la version française pour ne pas trop heurter
les soldats de la République. M ais l'étonnante profession de foi de Bona
parte ne convainc guère les musulmans. Le célèbre chroniqueur égyptien
Jabarti, dont les notes au jo u r le jo u r constituent un docum ent unique sur
cette pério d e2, y relève des tournures de style erronées, des fautes de
gram m aire, une grande incohérence et, surtout, des affirm ations incompa
tibles avec la religion du Prophète. Ces gens-là, estim e-t-il, professent un
faux islam , et leur anti-catholicism e ne les rend que plus suspects
d 'ath éism e3. Comme le dira de son côté le cheikh Cherkawi, président du
conseil de notables m is en place par Bonaparte, il s'ag it d 'u n e « secte de
philosophes qui [...] nient la résurrection et la vie future, la m ission des
prophètes, et m ettent au-dessus de tout la raison humaine ».
Estim ant im possible d'exercer une influence directe sur la population
locale, Bonaparte fait appel à des interm édiaires. Nous devons, dira-t-il
dans son testam ent à Kléber, donner aux Égyptiens des chefs, sans quoi
ils s ’en choisiront eux-m êm es. « J ’ai préféré les ulém as et les docteurs de
la loi : 1) parce q u ’ils l'éta ie n t naturellem ent; 2) parce q u ’ils sont les
interprètes du C oran, e t que les plus grands obstacles que nous avons
éprouvés e t que nous éprouverons encore proviennent des idées reli
gieuses; 3) parce que ces ulém as ont des mœurs douces, aim ent la justice,
sont riches et anim és de bons principes de m orale. Ce sont sans contredit
les gens les plus honnêtes du pays. Ils ne savent pas m onter à cheval,
n ’ont l ’habitude d'aucune m anœuvre m ilitaire, sont peu propres à figurer
à la tête d ’un m ouvem ent arm é4. »
Au Caire, comme dans les provinces, un diwan consultatif, com prenant
des oulém as et des hauts fonctionnaires, a été m is en place. D ’anciens
m em bres des m ilices ottom anes assurent le m aintien de l'ordre, sous le
contrôle d 'u n officier français. B onaparte, qui a cru devoir im poser
l'écharpe tricolore aux notables, se heurte à des refus indignés. U renonce
m êm e à leur im poser la sim ple cocarde. C elle-ci sera spontaném ent
37
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
38
BONAPARTE, PACHA DU CAME
plus tôt, une partie de leur m atériel (m icroscopes, scalpels, pinces à dis*
section, étaloirs à papillons, cahiers d ’herborisation...) dans l’échouage
accidentel d ’un navire, et en perdront d ’autres encore, quelques m ois plus
tard, lors du saccage de la m aison de Caffarelli au Caire.
M algré leurs déboires, les m em bres de la Com mission des sciences et
des arts se sont m is imm édiatem ent au travail. Tirais objectifs leur ont été
fixés : apporter une aide technique aux m ilitaires et aux adm inistrateurs
du p ay s; découvrir l ’Égypte et la révéler à l ’E urope; enfin, selon les
m ots de Jom ard, « p o rter les arts de l ’Europe chez un peuple dem i-
barbare et dem i-civilisé ». L’Institut d ’Égypte est créé, le 22 août 1798,
sur le m odèle de l ’Institut de France. Ses 36 m em bres, choisis parm i les
plus ém inents de la Com mission, sont répartis en quatre classes : m athé
m atiques, physique, économ ie politique, littérature et arts. Président :
M onge ; vice-président : Bonaparte ; secrétaire perpétuel : Fourier.
L ’Institut a été installé dans deux palais m am elouks, où règne une
véritable atm osphère de travail. Geoffroy Saint-H ilaire écrit à son père en
octobre 1798 : « Je trouve ici un jardin vaste, une m énagerie, des cabinets
de physique et d ’histoire naturelle. Je m e crois à Paris. Je retrouve des
hommes qui ne pensent qu’aux sciences, je vis au centre d ’un foyer ardent
de lum ière. »
A la prem ière séance, Bonaparte pose six questions très concrètes, qui
donneront lieu à six com m issions de travail : comm ent perfectionner les
fours pour la cuisson du pain de l’arm ée ? Peut-on rem placer le houblon
par une autre substance dans la fabrication de la bière ? E xiste-t-il un
moyen de clarifier et de rafraîchir les eaux du Nil ? Vaut-il mieux construire
au C aire des m oulins à eau ou des m oulins à vent ? Avec quelles res
sources locales peut-on fabriquer de la poudre? Com ment am éliorer le
systèm e judiciaire et l’enseignem ent en Égypte ?
Dès la deuxième séance, Monge fait une communication sur les mirages,
qui ont donné tant de faux espoirs aux soldats assoiffés dans leur marche
pénible vers Le Caire. De nouvelles com m issions sont m ises en place,
pour préparer un vocabulaire arabe, com parer les poids et m esures en
Égypte et en F rance... Et Bonaparte revient avec de nouvelles questions :
peut-on cultiver la vigne en É gypte? C reuser des puits dans le désert?
A pprovisionner en eau la C itadelle du C aire? U tiliser les am as de
décom bres qui cernent la capitale ? Construire un observatoire ? Établir
un nilom ètre ?
Certaines comm unications feront date, comme celle de Berthollet sur la
form ation naturelle de soude dans les lacs du Natroun. Tous ces travaux
sont publiés dans une revue scientifique, La D écade égyptienne, tandis
que le corps expéditionnaire bénéficie d ’un journal plus léger, Le Cour
rier de l'É gypte, qui fournit diverses informations et sert d ’outil de propa
gande à Bonaparte. C ’est le prem ier journal édité sur le sol africain.
Des m em bres de la Com m ission des sciences et des arts font des
prodiges. Par exem ple, N icolas Jacques Conté, l ’inventeur des fam eux
39
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
40
BONAPARTE, PACHA DU CAIRE
41
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
42
BONAPARTE, PACHA DU CAIRE
sous ce clim at sec. Leurs cartons, rem plis de notes et de dessins, pourront
être rapatriés en France deux ans plus tard.
Le 19 ju illet 1799, le capitaine François-X avier Bouchard, officier du
génie, découvre dans les ruines d ’un fort, près de la ville de Rosette, une
pierre portant une inscription en grec, en dém otique et en hiéroglyphes.
L ’im portance de cette stèle, « de 36 pouces de hauteur, d ’un beau granit
noir, d ’un grain très fin, très dur au m arteau », n ’échappe pas aux savants
français. Us inventent même au Caire un procédé inédit, en avance sur la
lithographie, pour pouvoir en conserver des copies. M ais la pierre de
R osette ne leur sert pas à grand-chose pour le m om ent. L ’inscription
grecque indique que Ptolém ée Philopator avait fait rouvrir tous les canaux
d ’Égypte, m obilisant pour cela beaucoup d ’hommes et dépensant beau
coup d ’argent. On im agine que les deux autres textes veulent dire la
m ême chose. « Cette pierre, affirm e Le Courrier d'É gypte (qui prend le
dém otique pour du syriaque), offre un grand intérêt pour l ’étude des
caractères hiéroglyphiques, peut-être m êm e en donnera-t-elle enfin la
clef. » Peut-être, en e ffe t...
4
Le mal du pays
45
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
fait organiser une réception triom phale. Une proclam ation, affichée en
arabe, inform e les C airotes q u ’il ne reste plus deux pierres l ’une sur
l’autre à Saint-Jean-d’Acre, « au point que l’on se demande s ’il a existé
une ville en ce lieu ». Le commandant en chef, qui n ’a pas réussi la carte
de l ’arabism e, semble revenir à l ’islam . Il précise q u ’il « aim e les m usul
mans et chérit le Prophète », q u ’il envisage de « bâtir une m osquée qui
n ’aura pas d ’égale au monde », et même d ’« em brasser la religion m usul
m ane».
Il ne le fera pas, invoquant deux obstacles, pour lui-m êm e et pour ses
soldats : la difficulté d ’accepter la circoncision et de renoncer à l ’alcool.
Habilement, les oulém as cèdent sur le prem ier point, puis sur le second.
M ais la question se perd, avec les réponses... Seul, dans la haute hiérar
chie, le général Jacques Menou (ancien député de la noblesse aux États
généraux de 1789) a choisi d ’adopter la religion du Prophète et d ’épouser
une m usulmane, se faisant prénom m er Abdallah. En Égypte, Bonaparte
« use de la m osquée, comme, en Italie, de l’Église 3 ».
Le zèle islam ique des généraux français pénalise, en tout cas, les
chrétiens locaux. A leur égard, Bonaparte ne m anque pas de cynism e.
Déconseillant à K léber de leur perm ettre des « ém ancipations », souhai
tant q u ’ils soient « encore plus soum is, plus respectueux pour les choses
qui tiennent à l ’islam ism e que par le passé », il explique froidem ent :
« Quoi que vous fassiez, les chrétiens seront toujours nos am is. » S ’il
confie aux coptes la perception des im pôts, c ’est par nécessité et non
par désir d ’am éliorer leur sta tu t4. Plusieurs centaines de ces chrétiens
com battront pourtant aux côtés des troupes françaises, dans une légion
copte, sous la direction du fameux Yaacoub. Il en sera de même pour des
catholiques originaires de Syrie, conduits par un certain Joseph Hamaoui.
46
LE MAL DU PAYS
47
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
C ’est un musulman de fraîche date, Abdallah M enou, qui rem place Klé
ber. Ce général très critiqué n ’a pas le prestige de ses deux prédécesseurs.
D est porteur, en revanche, d ’un projet assez cohérent, qu’il va com m encer
à m ettre en œuvre : la colonisation de l’Égypte. Les Français, selon lui,
sont là pour rester et doivent s ’organiser en conséquence. Le nouveau com
m andant en chef, qui n 'aim e guère les chrétiens, rétablit le conseil de
notables (diwan) en ne l’ouvrant qu’aux musulmans. D engage une réform e
fiscale et décrète que les tribunaux égyptiens rendront la justice au nom d e
la République française. Toute une série de règlements sont édictés, grâce à
quelques mois de stabilité sans m enaces m ilitaires. De Paris, Bonaparte,
qui est devenu prem ier consul, commence à envoyer des munitions.
M enou n ’est cependant ni aim é ni très estim é des troupes. Sa m anie
des règlem ents et la m anière désagréable dont il traite ses adversaires
lui valent des critiques croissantes. La division de la hiérarchie ne fait
q u ’ajouter au m alaise de l ’arm ée, qui se dem ande depuis le début d e
l ’Expédition ce q u ’elle est venue faire sur les bords du Nil.
48
LE MAL DU PAYS
49
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Retours d’Égypte
51
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
premier, il répond exactem ent aux attentes d ’un public assoiffé d ’Égypte
et d ’épopée. D s’inscrit dans une mode, qu’il contribue à créer. La dédicace
à Bonaparte exprim e bien cette volonté d ’unir la civilisation pharaonique
à l’aventure napoléonienne : « Joindre l ’éclat de votre nom à la splendeur
des m onuments de l’Égypte, c ’est rattacher les fastes glorieux de notre
siècle aux tem ps fabuleux... »
Cela ne l’empêche pas - et c ’est une autre qualité du livre - d ’exprim er
ses hésitations, voire ses dégoûts. Cet amoureux de la Grèce a eu du mal à
entrer dans l ’art égyptien, si peu conform e aux canons classiques, ju s
q u ’au moment où il est tombé en adm iration devant les tem ples de H aute-
Égypte. Les pyram ides, par exem ple, ne lui sem blaient être que la m arque
d ’un pouvoir despotique, m obilisant des m illiers d ’hommes pour construire
des m onuments dém esurés et inutiles.
Accom pagnant une arm ée en cam pagne, ce q u ’aucun écrivain-voya
geur n ’avait fait avant lui - sinon Joinville, au tem ps de la croisade, m ais
qui n ’avait rien vu de l ’Égypte - , Denon découvre les horreurs de la
guerre, avec son cortège de m assacres, de représailles, de viols et de muti
lations. Tout en chantant les victoires françaises, ce patriote ne peut
s’em pêcher de s ’exclam er : « ô guerre, que tu es brillante dans l’H istoire !
m ais vue de près, ce que tu deviens hideuse, lorsque tu ne caches plus les
horreurs des détails ! »
On s’apercevra par la suite que ses planches sont beaucoup m oins pré
cises que celles de la D escription de V Égypte. M ais lorsque cette œ uvre
m onum entale com m ence à paraître, à partir de 1809, l ’auteur est d éjà
célèbre. C ’est d ’ailleurs à lui q u ’on fait appel pour réaliser la gravure
d ’ouverture de ce Recueil des observations et des recherches qui ont é té
fa ites en Égypte pendant l ’expédition de l’arm ée française, publié par les
ordres de Sa M ajesté l’Empereur Napoléon le Grand. Un sous-titre à la
m esure de l’ouvrage !
Le frontispice dessiné par Denon est un tableau symbolique de l’Égypte.
Une perspective audacieuse, allant de la M éditerranée aux cataractes,
offre d ’un seul coup d ’œil les tem ples, les pyram ides, le sphinx, les obé
lisques, et même la pierre de R osette... Sur son char, Bonaparte-Apollon
m arche à la tête des Sciences et des Arts. Les victoires françaises (Abou
kir, E l-A rich, G a za ...) figurent dans des cartouches pharaoniques, au
même titre que les grandes villes antiques comme Thèbes ou Alexandrie.
Le « N » im périal est entouré du serpent, sym bole de l ’im m ortalité.
La prem ière édition de la D escription de l’Égypte com pte 9 volum es
de textes et 14 volum es de planches, dont 3 de form at atlantique, de
1,20 mètre de longueur. L’œuvre est organisée en trois parties : A ntiquité,
Égypte m oderne et histoire naturelle. Elle réunit 126 m ém oires sur les
52
RETOURS D'ÉGYPTE
53
LA KENCONTKE DE DEUX MONDES
54
RETOURS D'ÉGYPTE
55
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
56
RETOURS D'ÉGYPTE
57
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Parm i les com battants d ’Égypte, il est une catégorie qui subjugue la
France du début du siècle : les m am elouks, recrutés dans la vallée d u
N il, puis revenus avec l’arm ée d ’O rient après l ’avoir servie sur place. O n
les peint, on chante leurs m érites, on s ’en inspire pour créer des coiffures
(cheveux ram assés en turban, surm ontés d 'u n e aigrette) ou des vêtem ents
pour en fan tsl2. La m am eloukom anie est une variante de l ’égyptom anie.
Dans ses Souvenirs, le plus célèbre d ’entre eux, Roustam , rapporte cette
phrase de N apoléon : « Voilà m a cham bre à coucher, je veux que tu
couches à m a porte, et ne laisse entrer personne, je compte sur toi ! » C ette
image de chien de garde s ’im prim era pour longtem ps dans les esprits. L e
mamelouk est l ’homme un peu sim ple, d'une fidélité absolue, capable de
se faire tailler en pièces pour protéger l ’em pereur, que ce soit sur le
cham p de bataille ou sous les lam bris de Saint-Cloud.
Q uelques m ois après son arrivée au C aire, B onaparte a fait en rô ler
de jeunes m am elouks de huit à seize ans, abandonnés par leurs m aîtres.
De retour en France, ils sont m êlés à d'autres rapatriés - G recs, coptes et
Syriens - ayant collaboré avec les forces d ’occupation. On en sélectionne
cent cinquante, qui sont confiés à M urat et casem és à M elun, avec un uni
form e spécial. Les autres rejoignent les chasseurs d ’Orient.
Les m am elouks participent à plusieurs grandes batailles napoléo
niennes, se distinguant notam m ent à A usterlitz et à Eylau. « L’escadron
des m am elouks, au m ilieu de la G arde im périale, était comme une page
m ystérieuse des M ille et Une N uits jetée au m ilieu d ’une chaleureuse
harangue de D ém osthène », écrit avec em phase, dans ses M ém oires,
M arco de Saint-H ilaire, ancien page de Napoléon. « L ’étendard à queue
de cheval, les tim bales, les trom pettes, les arm es, le harnachem ent com
plet du cheval, tout était à la turque, et ces vêtem ents élégants, ces dam as
étincelants et recourbés, cette aigrette qui surm ontait le turban asiatique,
ces cham arrures d ’or et de soie faisaient rêver, comm e m algré soi, aux
conquêtes des rois m aures et aux exploits des Abencérages. » Feu à peu,
pourtant, le corps des mamelouks a vu s ’adjoindre des recrues de diverses
nationalités, et même des Français. Un avant-goût de la Légion étrangère...
Dans les années suivantes, on parlera d ’une autre catégorie de « mame
louks » : des Français, ceux-là, restés en Égypte et passés au service des
beys ou de M oham m ed A li, le fondateur de la dynastie égyptienne.
« Les grandes arm ées, écrit Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à
12. Ibid.
58
RETOURS D ’ÉGYPTE
61
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
ciant en M acédoine, aurait aidé financièrem ent sa fam ille pour lui per
m ettre de poursuivre en justice un m eurtrier. On n ’en sait pas davantage.
M. Lyons, ignoré des m anuels d ’histoire, m érite une m ention, à défaut
d ’une statue. Voilà qui est fa it...
62
LES TECHNICIENS DE MOHAMMED A U
63
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
64
LES TECHNICIENS DE MOHAMMED M J
S ’il fait appel à des techniciens français, le vice-roi n ’entend pas néces
sairem ent copier l’Europe en tout p o in t Le monopole économique de l’État
q u ’il instaure en Égypte, avec la mise en place d ’industries nationales, est
aux antipodes du libéralism e économ ique en vogue de l ’autre côté de la
M éditerranée.
Parm i les Français qui associent leur nom à ces infrastructures, Louis
L inant de B ellefonds occupe la prem ière place. Son parcours est peu
banal. Ce n atif de L orient a appris les sciences grftce à un grand-père
m athém aticien et découvert le monde en partant avec son père, officier
de m arine au long cours. Dès l’âge de dix-sept ans, devenu géographe et
dessinateur, Linant fait partie d ’une m ission scientifique en Grèce et au
Levant. U choisit cependant de rester en Égypte et, conquis par ce pays,
l'ex p lo re seul pendant plusieurs années. Sa connaissance exceptionnelle
du terrain fera de lui un ingénieur hors pair.
L inant de B ellefonds entre au service du gouvernem ent égyptien en
1830, à trente et un ans (au même âge, curieusem ent, que Solim an pacha
e t C lot b ey ...). Pendant plus de trois décennies, avec des titres divers, il
sera associé à tous les grands travaux réalisés dans le pays. Sa spécialité
e st l’irrigation. Le nombre de canaux, digues, déversoirs ou ponts qui lui
doivent leur existence est impossible à com ptabiliser. Promu bey, Linant
fa it figure d ’ingénieur à tout faire de M ohammed Ali. Il sera l ’auteur,
entre autres, du prem ier projet de barrage à la pointe du Delta, travaillera
étroitem ent avec les saint-sim oniens, jouera un rôle essentiel dans le per
cem ent du canal de Suez, pour finir pacha et m inistre des Travaux publics
sous le règne d ’Ism aïl. « A coup sûr l’homme le plus intelligent que nous
ayons encore rencontré », écrit Flaubert en 1850 dans sa Correspondance.
Un personnage m oins connu est Pascal C oste. C et architecte m ar
seillais, affligé d ’un pied bot, arrive au Caire en 1817 avec un maçon pour
construire, à la demande de M ohammed Ali, une fabrique de salpêtre près
des ruines de Memphis. M ission accom plie, il se voit confier la m ise en
place d ’une poudrière, dans l ’île de Rodah. Achevée en 1820, cette usine
explose accidentellem ent cinq ans plus tard, faisant de gros d ég âts...
M ais Coste a déjà été appelé ailleurs, au chevet d'une entreprise bien mal
partie : le creusem ent du canal M ahmoudieh, qui doit relier Alexandrie au
N il. Quatre cent m ille paysans - dont beaucoup m ourront à la tâche - ont
été réquisitionnés pour ce travail, commencé dans la plus grande incohé
rence. « Le tracé n ’était même pas décidé, précise Linant de Bellefonds.
66
LES TECHNICIENS DE MOHAMMED A U
Le pendant de «Buonaparte»
67
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Un Égyptien à Paris
Drovetti en parle avec l ’autorité d ’un Piém ontais. Sans doute souligne-t-il
aussi qu’entre une France puissante et une Italie m orcelée il n ’y a pas à
hésiter.
C ’est lui qui em porte la m ise, m algré les efforts du « parti italien »
et les pressions anglaises. A partir de 1826, la plupart des étudiants égyp
tiens se rendront en France, seul un petit nom bre prenant le chem in de
l’Angleterre ou de l’Autriche. En parlant de « Ih res » dans sa dém onstra
tion, Drovetti ne com m ettait pas un lapsus : le vice-roi destine essentielle
m ent cette form ation européenne à des élèves turcs, circassiens ou
arm éniens. La m ission de 1826 ne com pte que quatre É gyptiens de
souche sur une quarantaine de membres.
Parmi eux, un imam de vingt-cinq ans, Rifaa el-Tahtawi, qui n ’a pas le
statut d ’étudiant m ais celui d ’accom pagnateur religieux, chargé de la pré
dication et de l ’organisation des prières. Nul ne peut deviner qu’il sera un
personnage clé de la renaissance culturelle de l ’Égypte. Détail sym bo
lique : ce jeune cheikh est né en 1801, l’année où les Français évacuaient
le pays, comme s ’il était appelé à prendre la relève... Originaire de Tahta,
en Haute-Égypte, Tahtawi appartient à une fam ille de notables, ruinée par
la suppression des ferm es fiscales. A la m ort de son père, on l ’a envoyé
étudier au Caire, à la mosquée El-Azhar, où il a fait une rencontre capitale :
son m aître, Hassan el-A ttar, est l’un des rares cheikhs ouverts à la m oder
nité ; il avait côtoyé plusieurs savants de Bonaparte à qui il apprenait
l’arabe. A la fin de ses études, le jeune Tahtawi a enseigné lui-m êm e à
El-Azhar, avant d ’être nommé prédicateur dans une unité de la nouvelle
arm ée égyptienne.
Lorsqu’on le désigne pour faire partie de la m ission scolaire en France,
son m aître lui conseille de tenir un journal de voyage. Le jeune homme,
fervent croyant, est inquiet par avance de ce q u ’il risque d ’y consigner. 0
se rassure en citant l ’injonction du Prophète : « Recherche la science fût-
ce en Chine ! » Dans les prem ières lignes de ce qui sera un livre célèbre,
le jeune imam s ’engage à ne pas trahir sa foi : « Je prends Dieu à tém oin
que dans tout ce que je dirai, je ne m ’écarterai pas de la voie de la vérité.
Bien entendu, je ne saurais approuver que ce qui ne s ’oppose pas au texte
de la Loi apportée par M uham m ad3. »
La « Description de la France »
Dès l ’arrivée à M arseille, c ’est le choc. Les femmes se prom ènent dans
la rue sans voile, décolletées, les bras nus. On circule en diligence. O n
mange avec une fourchette et un couteau... Le directeur de l ’École égyp
tienne de Paris n ’est autre que Jom ard, le m aître d ’œuvre de la D escrip
's. R ifl’a al-Ttohtâwy, L'Or de Paris. Relation de voyage (1826-1831), traduit, présenté
et annoté par Anouar Louca, Paris, Sindbad, 1989.
70
UN ÉGYPTIEN À PARIS
71
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
au prem ier rang, parce que c ’est le berceau de l ’islam ; l ’Afrique arrive en
deuxièm e position, parce q u ’elle com pte beaucoup de m usulmans et a le
m érite d ’abriter l’É gypte; l’Am érique est bonne dernière, parce q u ’elle
ignore totalem ent la religion du P rophète...
Le christianism e ne l ’intéresse pas. Ses dogm es lui paraissent relever
de l’incohérence ou de la superstition. Aux yeux de Tahtawi, les Français
ne sont pas catholiques m ais rationalistes. Ce qui lui pose d ’ailleurs un
problèm e : com m ent expliquer la réussite d ’une civilisation qui n ’est pas
dirigée par la révélation divine 4 ? Pour ajouter à son trouble, il est favora
blem ent im pressionné par la dém ocratie. Il a vu Charles X céder la place
en trois jours à Louis-Philippe. A ses lecteurs, il offrira une traduction
com plète de la charte constitutionnelle, et les am endem ents introduits
après la Restauration. Or, cette charte ne découle ni du Coran ni de la tra
dition religieuse.
Tahtawi n ’aim e pas la cuisine française, il préfère l ’eau du Nil à celle
de la Seine et n ’apprécie pas les arbres « chauves » en hiver. D reste égyp
tien jusqu’au bout des ongles, ne se faisant pas au rythm e de la vie pari
sienne. Des années plus tard, au C aire, il dispensera son enseignem ent en
ignorant les horloges. On le verra professer parfois avant l’aube, ou parler
trois ou quatre heures d ’affilée... Son livre est d ’ailleurs truffé de digres
sions didactiques, dans la bonne tradition azharienne, ce qui déroute le
lecteur occidental. M ais, en France - et c ’est essentiel - , le jeune cheikh
apprend « le sens de la relativité », com m e le souligne son biographe
A nouar Louca, à qui l ’on doit la traduction française de L ’O r de Paris.
C ela conduit, par exem ple, Tahtawi à reconnaître aux Français le sens
de l ’honneur, tout en leur reprochant un m anque de générosité. O u,
encore, à trouver gracieux les couples qui dansent, les jugeant beaucoup
plus pudiques que les aim ées égyptiennes dont les ondulations lascives
cherchent à attirer les hommes. Les pages enthousiastes q u ’il consacre au
théâtre - un art inconnu dans la vallée du Nil à cette époque - sont parm i
les plus touchantes de son livre.
C ’est « l’or de Paris » que l’imam rapporte chez lui. D s’est enrichi et
veut en faire profiter ses com patriotes. Le livre, préfacé par son ancien
m aître, Hassan el-A ttar, paraît en 1834. M ohammed A li ordonne de le
rem ettre gratuitem ent aux fonctionnaires et à tous les élèves des écoles
spéciales. « A la Description de l’Égypte, rédigée en français, inaccessible
aux Égyptiens contem porains, répond désorm ais, toute proportion gardée,
cette D escription de la France, écrite adéquatem ent en arabe 5. » L’œuvre
est traduite en turc cinq ans plus tard. Aucune autre relation d ’un voyage
en Europe ne sera disponible en Égypte avant 18SS.
72
UN ÉGYPTIEN A PARIS
De retour au Caire, les étudiants des m issions scolaires ne sont pas tou
jours em ployés à bon escient. Les non-Turcs se retrouvent parfois à des
postes subalternes ou qui ne correspondent pas à leur form ation. Tahtawi
comm ence par faire les frais de cette négligence : il est affecté successi
vem ent à l ’école de m édecine d ’Abou-Zaabal, puis à l’école d ’artillerie
de Tourah, puis à l’hôpital de K asr-el-A tni... H suggère alors à Moham
m ed Ali de créer une école de traduction. L’idée est acceptée, et le jeune
diplôm é de Paris devient le prem ier directeur égyptien d ’une école
spéciale, sans être flanqué d ’un directeur des études européen. Ce sera un
succès. Tahtawi a le don d ’entraîner ses élèves et même d ’attirer des insti
tutions voisines qui viennent s'agréger à son école. Celle-ci ressem ble de
plus en plus à une université. Des traducteurs com pétents y sont form és,
de nombreux livres traduits et de nouveaux mots forgés en arabe.
Le cheikh R ifaa aura encore une longue vie devant lui. Il dirigera le
Journal officiel, auquel il donnera un nouveau souffle en y consacrant la
prépondérance de l ’arabe sur le turc. Il sera un prom oteur de l ’instruction
publique e t un défenseur de la condition fém inine. Il connaîtra divers
ennuis aussi, et m êm e un exil au Soudan, car cet im portateur d ’idées
nouvelles dérange conservateurs et d esp o tes... Son principal apport
est sans doute d ’avoir favorisé l ’ém ergence d ’une conscience nationale
égyptienne. De tous les penseurs du monde arabe et m usulman, il est le
prem ier à distinguer la patrie (w atan) de la com m unauté m usulm ane
(oumma) 6.
Tahtawi était parti pour Paris avec sa seule foi musulmane. Il a su la
conserver dans cette ville de perdition. M ais il en est revenu égyptien - et
ce n ’est pas rien ! - comme l’illustrent cinq poèmes patriotiques compo
sés dans la ferveur du retour. L’actualité égyptologique qui a dom iné son
séjour parisien n ’est pas étrangère à cette m étam orphose. Jusque-là, le
jeune cheikh s ’en tenait à ce q u ’on lui avait appris à l ’Azhar, à savoir que
les pharaons, adorateurs d ’idoles et persécuteurs de M oïse, sont les enne
m is de l’islam. Et voilà que tout lui apparaît sous un autre jour : « L ’en
fant de Tahta, perçant l ’anonym at mécUéval de la com m unauté m usul
m ane, retrouve ses racines pharaoniques. U se sent à la fois sujet, objet et
destinataire de la découverte. La résurrection de l ’Égypte antique
consacre un développem ent spontané de son identité culturelle 7. » Il faut
dire que le séjour en France de Tahtawi a été précédé d ’un trem blem ent
de terre dont les répliques ne finissent pas de secouer le monde savant.
Ce sont les années Champollion.
Champollion, le déchiffreur
75
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
76
CHAMPOLLION, LE DÉC HI F F REV R
77
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
La caverne du consul-antiquaire
Louis XVm fait rem ettre au déchiffreur des hiéroglyphes une boîte en
or. Le pape Léon XII le reçoit au Vatican et lui propose... de le nom m er
cardinal, estim ant - un peu vite - que sa découverte conforte la chrono
logie biblique établie par l ’É glise. C ham pollion refuse polim ent la
poutine, m ais accepte la Légion d ’honneur et, surtout, le poste de conser
vateur du musée égyptien du Louvre, inauguré en novem bre 1827 sous
le nom de m usée Charles-X. Entre-tem ps, il s ’est présenté à l ’Académ ie
des inscriptions et belles-lettres et n ’a pas été élu ! O n lui a préféré
l ’économ iste Pouqueville. Le déchiffreur fera une deuxièm e tentative en
m ars 1829 et sera devancé cette fois par un ju riste, Pardessus. « J ’ai
été mis par-dessous Pardessus », constatera-t-il am èrem ent. Des raisons
politiques et des inim itiés tenaces - dont celle de Jom ard - expliquent cet
incroyable ostracism e à l’encontre du plus grand égyptologue de tous les
tem ps. C ham pollion ne sera finalem ent adm is dans ce cénacle q u ’en
mai 1830, après avoir été vigoureusem ent défendu par plusieurs savants
ém inents, comm e A rago, Cuvier, Fourier, G eoffroy S aint-H ilaire et
Laplace.
Le déchiffreur des hiéroglyphes a besoin de vérifier l ’exactitude de sa
thèse. Pour cela, il se rend d ’abord en Italie, au m usée de T ùrin, qui
possède une m agnifique collection égyptienne, achetée à Bernardino D ro-
vetti, le consul de France en Égypte. Drovetti est un consul-antiquaire,
comme son hom ologue et concurrent anglais, Henry Sait. 11 achète tout
ce qui lui tom be sous la m ain et organise des fouilles, avec une m ain-
d ’œuvre abondante. Visitant sa m aison d ’Alexandrie, le com te de Forbin,
directeur des musées français, n ’en est pas revenu : « Je passais presque
toutes mes journées chez M. Drovetti. Q uoiqu’il eût déjà fait em barquer
78
CHAMPOLLION, LE DÉCHIFFREUR
pour L ivourne une grande partie de sa collection, je vis encore chez lui
des m édailles de la plus extrêm e rareté. Il faudrait tout décrire, tout
m ériterait une analyse. C e cab in et curieux est rangé dans un ordre si
p arfait q u ’on y apprend l ’histo ire d ’É gypte p ar les m onum ents en
peu d ’heures et de la m anière la plus intéressante e t la plus certaine. Les
A rabes assiègent sans cesse le kan où habite M. D rovetti : chacun apporte
des m om ies, des bronzes, des m onnaies et parfois des cam ées... »
Le consul voulait vendre sa collection à la France. Louis X V III a refusé
d e débloquer des fonds, et c ’est le roi du Piém ont e t de Sardaigne qui
a acquis ces 8 273 objets, parm i lesquels une centaine de grandes statues.
L es co losses en g ranit rose e t basalte v ert, placés dans la cour du
m usée de Türin, annoncent m ille autres trésors : des bustes, des bronzes,
des m édailles d ’o r ou d ’argent, des p ap y ru s... En pénétrant dans cette
caverne d ’A li Baba, C ham pollion est à deux doigts de nous refaire une
syncope. Il ne sait où donner des yeux, lui qui n ’a travaillé ju sq u ’ici que
sur des fragm ents ou des copies. E t encore ne voit-il q u ’une partie du
butin, la plupart des caisses restant à déballer.
N om bre de pièces portent la m arque de Jean-Jacques R ifaud, l ’agent
de D rovetti. Par exem ple, sur le flanc d ’un des grands sphinx au visage
d ’A m énophis III, le fo u illeu r a gravé : « D ct p ar Jj R ifaud sculpteur à
T hèbes 1818, au service de M r D rovetti. » Ce M arseillais em ploie une
arm ée de m anœ uvres sur ses chantiers. Il surveille lui-m êm e leur travail,
un fouet à la m ain. Facilem ent coléreux, « il battait les A rabes qui s’obsti
n aien t à ne pas com prendre le provençal », écrit le com te de Forbin.
R ifau d parle pourtant p lusieurs dialectes et se pose en défenseur des
ouvriers face à la rapacité des notables locaux. En tout cas, les scrupules
n ’étouffent pas ce passionné d ’antiquités égyptiennes, capable - com m e
ses concurrents anglais ou italiens - de faire scier un bas-relief ou d ’arra
ch er des objets à coups d ’ex p lo sif3. ..
A près Türin, Cham pollion se rend à Livourne, où une autre collection,
rassem blée par Sait, le consul anglais, est à vendre. Il réussit à convaincre
C harles X de l ’acquérir pour 200 000 francs. Entre-tem ps, D rovetti a pro
posé une autre collection à la France et, pour am adouer le roi, lui adresse,
de la part de M oham m ed A li, un cadeau qui fait sensation à Paris : une
girafe ! La deuxièm e drovettiana, bien m oins riche que celle de Türin, est
cédée pour 150 000 francs. Cham pollion peut com m encer son m usée avec
5 000 œ uvres, au prem ier étage de la C our carrée du Louvre. Il rédige lui-
m êm e l ’inventaire, qui est un chef-d’œuvre d ’érudition.
L e d éch iffreu r des hiéroglyphes peut m aintenant a ller dans cette
Égypte qui hante ses nuits depuis si longtem ps, et q u ’il n ’a connue que
par livres, objets ou personnes interposés. Une expédition franco-toscane
e st m ise sur pied, avec l ’accord des deux souverains. E lle com pte douze
m em bres. Du côté français, Cham pollion est accom pagné notam m ent de
79
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
C harles Lenorm ant, inspecteur des B eaux-A rts, et d ’un jeune secrétaire
et dessinateur, N estor L ’H ôte, un autre passionné d ’Égypte, qui, enfant,
em baum ait des anim aux et les enterrait sous des pyram ides dans le jard in
de son père. N estor va tenir un journal de voyage et écrire souvent à ses
parents, avec une fraîcheur de ton inusitée. Il rapportera de ce périple
quelque 500 dessins e t aq uarelles, puis retournera en É gypte à deux
reprises pour dessiner en co re45...
80
CHAMPOLUON. LE DÉCHIFFREUR
81
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
Lagides, et ensuite, ce qui devient d ’un bien plus grand intérêt, aux inscrip
tions de tous les tem ples, palais et tom beaux des époques pharaoniques. »
Le flambeau à terre
82
CHAMPOLUON, LE DÊCHIFFREUR
Si les années 1820 sont dom inées par la découverte de C ham pollion,
c ’est un événem ent plus anecdotique qui m arque la décennie suivante.
M ais quel événem ent ! L ’installation d ’un obélisque en plein Paris suscite
des débats passionnés sous les règnes de C harles X et Louis-Philippe.
B onaparte avait dû renoncer à rap p o rter d ’Égypte l'u n de ces
m onolithes géants, qui étaien t des sym boles solaires dans l ’A ntiquité.
M oham m ed A li, désireux de plaire aux grandes puissances, en offre un à
la France e t un autre à l ’A ngleterre. C ham pollion a pu adm irer ces deux
« a ig u ille s de C léo p âtre» en débarquant à A lexandrie en août 1828.
D ans une lettre à son frère, il souhaite que la France retire son cadeau
avant que celui-ci ne « lui passe sous le nez ». M ais, arrivé à Louxor, il
tom be en pâm oison devant deux autres obélisques, en granit rose, qui se
trouvent à l ’entrée du tem ple, les jug ean t infinim ent supérieurs à ceux
d ’A lexandrie.
M oham m ed A li n ’en est pas à une v ieille pierre p rès : recevant un
ém issaire de C harles X en avril 1830, il lui offre généreusem ent les deux
obélisques de Louxor et l ’une des deux « aiguilles » d ’A lexandrie, pour
« m ontrer sa reconnaissance à la France ». Trois, c ’est trop. O n se conten
tera d ’un seul, dont le transport est déjà toute une affaire : « celui de
droite, en entrant dans le palais », a précisé C ham pollion. Il le préfère à
l ’autre, qui lui sem ble m al en point. En réalité, les deux obélisques sont en
partie recouverts de sable et de débris, et l’égyptologue n ’a pas vu une
fissure, heureusem ent sans gravité, dans celui q u ’il a d ésig n é...
C om m ent transporter, de L ouxor à Paris, une m asse de 230 to n n es?
Pas question de la découper en m orceaux, « ce serait un sacrilège », a dit
C ham pollion. A près tout, les Rom ains avaient bien réussi une opération
sim ilaire au IVe siècle en faisant franchir la M éditerranée à un obélisque
de K am ak, qui s ’est retrouvé sur la place Saint-Pierre. Le déchiffreur des
hiéroglyphes suggère de construire un « radeau » spécial. La com m ission
nom m ée par le roi se prononce plutôt pour un bateau à fond plat, capable
tout à la fois de naviguer en m er, de descendre le Nil et de rem onter la
Seine, évitant ainsi un transbordem ent. O n le m et en chantier à Toulon.
0 est baptisé Luxor.
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
86
UN OBÉUSQUE POUR LA CONCORDE
87
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
88
UN OBÉLISQUE POUR LA CONCORDE
En présence du roi
Louis-Philippe 1er
cet obélisque
transporté de Louqsor en France
a été dressé sur ce piédestal
par M. Lebas, ingénieur
aux applaudissements
d’un peuple immense
Le XXV octobre MDCCCXXXVI
Son frère, resté au pays, préservé des fatigues du voyage et des affres
d u déracinem ent, parait avoir eu la bonne part :
89
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
90
UN OBÉLISQUE POUR LA CONCORDE
douzaine d ’autres sources, to u t aussi sérieu ses8. Il faut dire que ces
années sont m arquées par une intense activité égyptologique, illustrée par
de nom breuses publications et par l ’exposition de la « cham bre des rois »
de K am ak, en 1844, à la B ibliothèque nationale, à Paris.
G autier, qui publie d ’abord son rom an en feuilleton dans L e M oniteur
universel, ne s ’est pas contenté d ’éplucher des textes scientifiques. Il a
travaillé avec m inutie sur les gravures disponibles et a eu d ’innom brables
conversations, de plus en plus pointues, avec Feydeau. Sa fille Judith a
d écrit p ar la su ite, dans L e C ollier des jo u rs, « le salon encom bré par
de grandes planches posées sur des tréteaux » et la fébrilité de l ’auteur,
se levant à tout m om ent pour vérifier un détail. A force d ’observer « ces
étonnantes im ages, où les personnes avaient des têtes d ’anim aux, d ’in
croyables coiffures cornues et des poses si singulières », la fillette elle-
m êm e avait fini par ne plus rêver que de m om ies, enveloppant sa poupée
de bandelettes, lui m oulant la figure par un m asque de papier doré et l ’en
ferm ant dans sa boîte à ouvrage transform ée en sarcophage...
« Le Rom an de la m om ie n ’a d ’égyptien que le costum e et le décor. Les
âm es sont restées rom antiques », souligne Jean-M arie C arré qui lui a
co n sacré une étude ap p ro fo n d ie9. M ais quelle précision dans les co s
tum es ! Q uelle som ptuosité dans le décor ! E t quel style ! Ayant sacrifié
aux lois de la science, par des descriptions extrêm em ent détaillées, Théo
phile G autier peut se perm ettre de faire rêver son lecteur en lui offrant
une m om ie érotique, plus que vivante : « Le dernier obstacle enlevé, la
jeu n e fem m e se dessina dans la chaste nudité de ses belles form es, gar
d an t, m algré tan t de siècles écoulés, toute la rondeur de ses contours,
toute la grâce souple de ses lignes pures. Sa pose, peu fréquente chez les
m om ies, était celle de la Vénus de M édicis... L ’une de ses m ains voilait à
dem i sa gorge virginale, l’autre cachait des beautés m ystérieuses com m e
si la pudeur de la m orte n 'e û t pas été rassurée suffisam m ent p ar les
om bres protectrices du sép u lcre... L ’exiguïté des m ains fuselées, la dis
tin ctio n des pieds étro its aux doigts term inés p ar des ongles brillan ts
com m e l ’agate, la finesse de la taille, la coupe du sein, petit e t retroussé
com m e la pointe d ’un tatbets sous la feuille d ’o r qui l ’enveloppait, le
contour peu sorti de la hanche, la rondeur de la cuisse, la jam be un peu
longue aux m alléoles délicatem ent m odelées, rappelaient la grâce élancée
des m usiciennes e t des danseuses. »
Le rom an de G autier va faire beaucoup de petits. Lecom te du Noiiy ne
sera pas le seul peintre à s ’en inspirer (R am sès dans son harem et L es
P orteurs de m auvaises nouvelles). La littérature, elle, adaptera les m om ies
à ses m odes. Lorsque le rom antism e cédera la place au réalism e puis au
naturalism e, on inversera le fantasm e : à l ’homme contem porain am oureux
8. Jean-M arie Carré, Voyageurs et Écrivains français en Égypte, Le Caire, IFAO, rééd.
1956, L ü .
9. Jean-M arie Carré, Voyageurs et Écrivains français en Égypte, op. cit.
91
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
A la rencontre de la Femme-Messie
93
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
m êm e été révélée lors d ’un songe à l ’un de ses apôtres : ce sera au cours
de l'an n ée 1833.
La France désespère les saint-sim oniens. Us estim ent que la production
industrielle, source de tous les progrès, y est entravée par une structure
archaïque de la propriété et par la m orale chrétienne qui interdit de jo u ir
des biens de ce m onde. Une société m oderne, selon eux, doit favoriser les
appétits m atériels, y com pris charnels. Y a-t-il terrain d'expérim entation
plus favorable que l'O rien t, m atérialiste et sen su el2 ?
94
A LA RENCONTRE DE LA FEMME-MESSIE
saint-sim oniens s ’inclinent : à défaut de relier les deux m ers, ils participe*
ro n t à la création de barrages, sous la direction de leur com patriote Linant
d e B ellefonds, nom m é responsable des travaux.
Les disciples de Saint-Sim on découvrent avec consternation la m anière
inhum aine dont le « continuateur de Bonaparte » traite la plus grande par
tie de ses com patriotes, ces m alheureux paysans qui se coupent un doigt
ou se crèvent un œ il pour échapper à la conscription, ou q u ’on enrôle de
force, sans salaire, pour des tâches d ’intérêt public. Le bilan hum ain est
effrayant. Pour le seul creusem ent du canal M ahm oudieh, reliant A lexan
d rie au N il, les détracteurs du vice-roi n ’avancent-ils pas le chiffre de
2 0 0 0 0 cadavres qui auraient « servi à exhausser les berges » ? Enfantin
p ro p o se de m ettre en place une « arm ée in d u strielle» , organisée en
escouades, com pagnies et bataillons. Les ouvriers auraient un uniform e,
une solde et des rations identiques à celles des soldats. Seuls les enfants
d e plus de dix ans (m esure hum anitaire) en feraient partie. En revanche
(disposition cynique ou destinée habilem ent à faire accepter le projet au
vice-roi), on n ’em ploierait que des m utilés volontaires pour que la m uti
latio n n ’apparaisse plus com m e une garantie contre la conscription.
L inant de B ellefonds réussit à faire approuver un projet plus m odeste.
O n se contentera de deux régim ents d ’ouvriers, m ais placés pour la pre
m ière fois sous les ordres de contrem aîtres, de conducteurs de travaux et
d ’ingénieurs, selon une véritable hiérarchie. Les saint-sim oniens obtiennent
aussi la création d ’une école de génie civil à proxim ité du chantier, situé à
la pointe du D elta. D ébordant d ’idées, ils convainquent M oham med A li
d ’in stitu er un C onseil supérieur de l ’instruction publique, ainsi q u 'u n
C om ité consultatif des sciences et des arts.
C es fonctionnaires d ’un nouveau type s ’adaptent aux circonstances
com m e au paysage. L eur « costum e d ’O rient » va se rapprocher de l ’habit
d u nizam , im posé quelques années plus tôt à la nouvelle arm ée égyptienne
e t qui com prend un petit tarbouche. « M a barbe et m es cheveux sont m oins
longs, m a barbe surtout, précise Enfantin à l ’un de ses correspondants,
l ’ai un bonnet de cachem ire, m on habit est rouge à m anches ouvertes,
veste détachée de la jupe, e t par-dessus m a vieille ceinture de cuir noir.
A joutez-y un burnous blanc en laine, des babouches rouges par-dessus
des chaussons jaunes, un gilet collant à petits boutons com m e les D ucs, et
vous aurez m on portrait. »
Le 15 août 1834, une fête très gaie, très française, se tient sur le chantier,
p our célébrer le souvenir de Napoléon. Ferdinand de Lesseps et L inant de
B ellefonds sont de la partie. L ’ex-colonel Sève entonne des chansons.
Son appartenance à l ’islam ne l’em pêche pas de faire honneur au cham
pagne qui coule à flo ts...
M im aut, le consul de France, est offusqué p ar les m œ urs d ’Enfantin
e t de ses am is. Les « dem oiselles du barrage » font jaser. Parmi les sœ urs
saint-sim oniennes, une ex-prostituée lyonnaise, la dam e A garithe C aussi-
dère, ne passe-t-elle pas « avec une excessive aisance de tente en tente et
95
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
96
A LA RENCONTRE DE LA FEMME-MESSIE
6 Ibid.
7. Daniel Aimogathe, « Les saint-simoniens et la question féminine », in Les Saint-
Simoniens et l’Orient, Aix-en-Provence, Edisud, 1990.
8. Lady Lucie Duff-Gordon, Lettres d ’Égypte, 1862-1969, Paris, Payot, 1996.
97
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
98
A LA RENCONTRE DE LA FEMME-MESSIE
Écrivains en voyage
101
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
102
ÉCRIVAINS EN VOYAGE
L es fran çais du C aire ne seront plus aussi sereins, six ans plus tard, au
cours du voyage de G ustave Flaubert et M axim e du Cam p. Un change
m ent de règne est intervenu. Au vieux M oham m ed A li, décédé, a succédé
son p etit-fils, A bbas Ier, un féodal, qui n 'aim e guère les E uropéens, et
les Français en particulier. La plupart des techniciens de haut rang, deve
nus beys ou pachas, perdent leurs fonctions. C ertains quittent le pays pour
103
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
104
ÉCRIVAINS EN VOYAGE
La découverte du grotesque
8. Gustave Flaubert, Voyage en Égypte, présenté par P.-M. de Biasi, Paris, Grasset,
1991.
9. Pierre-Marc de Biasi, ibid.
105
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
10. Edward Saïd, L'Orientalisme. L'O rient crié par l’Occident. Paris, Seuil, 1980.
11.Ibid.
12
S i H aubert n 'a m êm e pas cherché à rem plir son contrat avec le m inis
tère d e l'A g ricu ltu re e t du C om m erce, M axim e du C am p, lu i, s 'e s t
acquitté scrupuleusem ent de sa tâche. Il a photographié des m onum ents,
com m e on le lui avait dem andé et, dès son retour en France, a publié ses
clichés dans un livre - le prem ier du genre - qui sera un succès de librairie.
L 'É g y p te est associée à la photographie dès le jo u r où cette invention
e st révélée au public. A rago, qui la présente à l'A cadém ie des sciences le
19 août 1839, lance à l'au d ito ire : « C hacun songera à l ’im m ense parti
q u ’o n aurait tiré, pendant l ’E xpédition d'É g y p te, d 'u n m oyen de repro
duction si exact et si prom pt ; chacun sera frappé de cette réflexion que, si
la photographie avait été connue en 1798, nous aurions aujourd'hui des
im ages fidèles d ’un bon nom bre de tableaux em blém atiques, dont la cupi
d ité des A rabes e t le vandalism e de certains voyageurs ont privé à jam ais
le m onde savant. » 11 n ’cst cependant pas trop tard, ajoute le physicien-
astronom e : « P our co p ier les m illions e t m illions de hiéroglyphes qui
co u v ren t, m êm e à l ’extérieur, les grands m onum ents de T hèbes, de
M em phis, de K am ak, etc., il faudrait des vingtaines d ’années et des légions
de dessinateurs. Avec le daguerréotype, un seul hom m e pourrait m ener
à bonne fin cet im m ense travail. M unissez l ’Institut d'É gypte de deux ou
tro is appareils de M. D aguerre, e t sur plusieurs des grandes planches de
l'o u v rag e célèbre, fruit de notre im m ortelle expédition, de vastes étendues
d'h iéro g ly p h es réels iront rem placer des hiéroglyphes fictifs ou de pure
c o n v en tio n ; et les dessins surpasseront partout en fid élité, en couleur
lo cale, les œ uvres des plus h abiles p ein tres; e t les im ages photogra
phiques, étant soum ises dans leur form ation aux règles de la géom étrie,
p erm ettro n t, à l'a id e d ’un p etit nom bre de données, de rem onter aux
dim ensions exactes des parties les plus élevées, les plus inaccessibles des
éd ifices.»
L e m essage d 'A rag o recueille un écho im m édiat. M oins de deux m ois
plus tard, les peintres H orace Vemet et Frédéric G oupil Fesquet partent
p our l ’Égypte, arm és d ’un daguerréotype que leur a confié un opticien
connu, Lerebours, après leur en avoir expliqué l'u sag e. Vem et est déjà un
artiste célèbre, auteur de plusieurs m arines et scènes de bataille. M embre de
107
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
1. Frédéric Goupil Fesquet, Voyage en Orientfa it avec Horace Vernet en 1839 et 1840,
Paris, 1843.
108
LE HAREM DANS L ’OBJECTIF
Du calotype au collodion
109
LA RENCONTRE DE DEUX MONDES
110
LE HAREM DANS L'OBJECTIF
Jean-François Champollion, à
quarante ans, peint par Léon
Coigniet (Paris, musée du
Louvre).
Cet encrier, conçu en 1802 et décoré de pseudo-hiéro
glyphes, a été l’une des premières manifestations de
l’égyptomanie en porcelaine de Sèvres. Sa production
n’a jamais été interrompue depuis lors (Manufacture
nationale de Sèvres).
De grandes ambitions
1
Lesseps, à la hussarde
L a traversée a duré dix jours, dix jours pénibles sur une M éditerranée en
colère. M ais Alexandrie apparaît enfin à l ’horizon, m ince bande blanche se
confondant avec l’écum e. O n la devine plus qu’on ne la v o it A lexandrie,
vraim ent? Les Européens qui arrivent a i Égypte pour la prem ière fois sont
déçus par cette ville sans relief qui n ’a ni la m ajesté de Naples ni celle de
M arseille. A m esure que le bateau s ’approche de la côte, seul un œ il exercé
peut d istin g u a la silhouette du palais die R as-el-lïne, les petites dunes cou
vertes de m oulins à vent et, avec un peu de chance, la colonne de Pom pée.
P our Ferdinand de L esseps, ce 7 novem bre 1854 m arque des retrou
vailles. L ’É gypte, il l ’a connue une vingtaine d ’années plus tôt pour y
avoir exercé la charge de consul de France. La fébrilité qui l ’habite en ce
m om ent est pourtant m oins liée aux souvenirs q u ’à un pari. Sur la terre
des pharaons, il revient avec un projet. E t il sait que ce voyage va décider
du reste de sa vie. Dans quelques jo urs, il aura quarante-neuf ans. C ’est
un hom m e en pleine santé, vigoureux et trapu. La m oustache et la cheve
lure noire sont éclairées par un regard intense. Excellent cavalier, brillant
causeur, cet ex-diplom ate sait se m ontrer galant avec les fem m es et cour
tois avec tout le m onde. Sans doute a-t-il été un parfait com pagnon, atten
tif e t rassurant, pendant cette traversée m ouvem entée.
D eux hom m es l ’attendent à la descente du bateau des M essageries
m aritim es : son vieil am i R uyssenaers, qui est consul général de H ollande,
et le m inistre égyptien de la M arine, représentant le vice-roi. L esseps
échappe à la cohue habituelle des m archands en tout genre et des p o te -
faix plus ou m oins hom ologués. Il est conduit par une voiture de la C our
ju sq u ’à une som ptueuse villa, bordant le canal M ahm oudieh, où l ’attend
une aim ée de dom estiques rangée sur l ’escalier.
C om m ent ne songerait-il pas à son prem ier débarquem ent à A lexan
drie, en 1831 ? D ébarquem ent raté pour celui qui arrivait alors de Tünis,
avec le titre m odeste d ’élève consul : un cas de choléra s ’étant déclaré à
bord, tous les passagers avaient été soum is à la quarantaine. Enferm é au
lazaret, n ’ayant rien à faire, le jeune hom m e s ’était plongé dans les livres
que lui avait aim ablem ent apportés son supérieur, M . M iraaut. C ’est là
q u ’il avait découvert l ’étude de Le Père, l ’un des savants de l ’Expédition
115
DE GRANDES AMBITIONS
116
LESSEPS, À LA HUSSARDE
117
DE GRANDES AMBITIONS
118
LESSEPS, À LA HUSSAXDE
119
DE GRANDES AMBITIONS
ê tre ... Le Français balaie ces objections, expliquant les avantages que
l’Em pire ottom an, com m e la G rande-B retagne et tous les autres pays du
m onde, trouverait dans une telle voie d ’eau. U les passe en revue : pour
l ’A llem agne, ce serait le com plém ent de la libre navigation du D anube;
pour la R ussie, une réponse à son aspiration nationale vers l ’O rient ; pour
les É tats-U nis d ’A m érique, un m oyen de développer leurs relations avec
l ’Indo-C hine...
A près deux heures d ’entretien, Saïd e st conquis. « Il fait appeler ses
généraux, raconte Ferdinand de L esseps, les engage à s ’asseoir su r d es
p lian ts rangés devant nous et leu r raconte la conversation q u ’il v ien t
d ’avoir avec m oi, les invitant à donner leur opinion sur les propositions de
“son am i’’. C es conseillers im provisés, plus aptes à se prononcer sur une
évolution équestre que sur une im m ense entreprise dont ils ne pouvaient
guère apprécier la portée, ouvraient de grands yeux en se tournant vers
m oi, e t m e faisaient l ’effet de penser que l ’am i de leur m aître, q u ’ils
venaient de voir si lestem ent franchir à cheval une m uraille, ne pouvait
donner que de bons avis. Ils portaient de tem ps en tem ps la m ain à la tête
en signe d ’adhésion, à m esure que le vice-roi leur p a rla it »
Saïd a dem andé à Lesseps de coucher sur le papier les grandes lignes
de son projet. Il ignore que ce m ém oire est prêt depuis deux ans. Son
auteur n ’a plus, selon ses propres term es, q u ’à lui donner « un d ern ier
coup de lim e ». Ce q u ’il fait la nuit suivante sous sa tente, car il a du m al
à trouver le som m eil, e t on veut bien le croire. Le m ém oire, « adressé du
cam p de M aréa à S. A. M oham m ed-Saïd, vice-roi d ’É gypte et dépen
dances », portera la date du 15 novem bre 1854.
C alculons. L esseps a débarqué le 9 en É gypte : il lui a fallu m oins
d ’une sem aine pour em porter le m orceau. Dans un cam p de fortune, en
plein désert, deux hom m es viennent de décider de changer la carte du
m onde. A eux deux, ils ne sont pourtant pas grand-chose. L ’un, diplom ate
sur la touche, sem ble avoir sa carrière derrière lui. L ’autre, bien que vice-
roi, gouverne un pays peu développé et n ’est d ’ailleurs q u ’un vassal du
sultan de C onstantinople. M ais ils vont provoquer un form idable débat
- politique, technique e t financier - , agiter les chancelleries, passionner
l'opinion.
La bataille de Suez vient de com m encer.
2
121
DE GRANDES AMBITIONS
tard, Lesseps lui rendra hom m age - « Il a ouvert la route, nous l'av o n s
suivi » - , lui faisant ériger une statue à P ort-T ew fik...
Un firman personnalisé
122
INVESTIR DANS LE SABLE
123
DE GRANDES AMBITIONS
124
INVESTIR DANS LE SABLE
125
DE GRANDES AMBITIONS
par une pente insensible. Tune du cœ ur de l ’Égypte, l ’autre des prem ières
collines de l ’A sie. C ette vallée naturelle est parsem ée de p lu sieu rs lacs,
qui laissent à penser que, dans des tem ps reculés, les deux m ers se rejoi
gnaient.
La caravane arrive le lendem ain à la hauteur du bassin d esséch é des
lacs Am ers, occupant 330 m illions de m ètres carrés. L inant e t M o ugel y
voient un passage naturel tout prêt pour le futur canal, m ais aussi la possi
b ilité d ’un im m ense réserv o ir pour l ’alim enter. Un peu plus a u nord,
c ’est le Serapeum , un plateau d ’une quinzaine de m ètres de h au teu r : l ’un
des rares reliefs un peu prononcés de cet isthm e de Suez qui n e com pte
que des plaines et des dunes. Tout autour, le sable est plus fin q u ’a u début
du parcours : hyènes, gazelles et renards y laissent la trace de leu rs pas.
La végétation, qui était absente ju sq u ’ici, com m ence à ap p araître. Elle
deviendra de plus en plus abondante à m esure que l ’on avancera v ers le
nord.
Le 2 jan v ier dans l'ap rès-m id i, la caravane attein t le lac T im sah,
entouré de collines, qui se trouve au m ilieu de l ’isthm e. Ce sera, selon
L inant e t M ougel, un m agnifique port naturel dans lequel les navires
pourront trouver tout le nécessaire pour le ravitaillem ent, les réparations
et le dépôt de m archandises. U ne vallée naturelle, perpendiculaire à
celle qui occupe l ’axe nord-sud, vient y aboutir. C ’est la fam euse terre de
Gochen où, pense-t-on, les Hébreux s ’étaient établis. A utrefois fertile, elle
n ’est plus q u ’un désert inculte m ais reçoit encore le trop-plein d es eaux
dérivées du Nil. Linant et M ougel y voient le tracé naturel d ’un deuxièm e
canal, d 'e au douce celui-là, qui arroserait les terres, servirait la naviga
tion intérieure et fournirait de l ’eau potable aux travailleurs de l ’isthme.
Tous les soirs, sous la tente, les trois Français confrontent leurs obser
vations. Ils im aginent le tracé du futur canal, discutent de sa largeur e t de
sa profondeur, com m encent m êm e à calculer son coût. C es discussions
alternent avec des lectures de la Bible, pour repérer l ’endroit où M oïse se
trouvait avec le peuple ju if quelques m illiers d ’années plus tô t...
Au fur et à m esure q u ’ils m ontent vers le nord, les ingénieurs exam i
nent soigneusem ent le sol et s ’assurent que le creusem ent du canal ne pré
senterait pas de difficultés m ajeures. Ce sont, expliquent-ils à Ferdinand
de L esseps, des terres m eubles, qui peuvent être facilem ent enlevées à
m ain d ’homme jusqu’à la ligne d ’eau, puis avec des dragues pour atteindre
la profondeur souhaitée. Q uant aux sables m obiles, tant redoutés, ils ne
risquent nullem ent d ’envahir le canal, com m e le soutiennent des esprits
m al inform és ou m alintentionnés. A (neuve, les traces, encore visibles,
de tous les cam pem ents d ’ingénieurs qui ont procédé à un nivellem ent de
l'isth m e sept années plus tôt. Le sol est parfaitem ent fixé, so it p ar le
gravier qui le couvre, soit par la végétation qui y pousse. D ’ailleurs, si
les sables étaient m obiles, tous les vestiges des antiques travaux de cana
lisation n ’auraient-ils pas disparu depuis bien longtem ps ?
Au nord du lac Tim sah, Lesseps et ses collaborateurs cam pent au pied
126
INVESTIR DANS LE SABLE
du p lateau d ’El-G uisr, qui atteint vingt m ètres de hauteur. C ’est le point
culm inant de l’isthm e. Le canal devra le franchir, m ais cela ne sem ble pas
plus com pliqué que pour le Serapeum .
E t l ’on atteint enfin le lac M enzala, où des bandes de cygnes, de flam ants
e t d e pélicans form ent une m ultitude de lignes blanches. Ce lac, alim enté
aussi bien par les crues du N il que par les eaux de la M éditerranée, n ’est
sép aré de la m er que p ar un étroit cordon de sable que les vagues fran
c h issen t p ar gros tem ps. Le rivage de Péluse passe pour im propre à la
n av igation, à cause des alluvions du N il et des vents violents qui y souf
flen t une partie de l ’année. O n affirm e que, dans ces parages, la m er est
ch arg ée d ’un lim on si ép ais que les navires ne pourraient aborder.
F adaises ! affirm ent Linant et M ougel. La plage de Péluse est com posée
d e sab le pur, sans aucun effe t des m atières terreuses transportées par
le N il. U ne double jetée peut être construite à cet endroit. Elle réglerait
l ’en trée du canal sur la M éditerranée.
D e retour au C aire, le 15 janvier, Lesseps com m ande un avant-projet à
ses deux collaborateurs. D leur pose par écrit une vingtaine de questions,
d o n t, à vrai dire, il connaît déjà la plupart des réponses, chacun de ces
p o in ts ayant été longuem ent débattu au cours du voyage. Possédant les
g ran d es lignes de son en treprise, e t suffisam m ent d ’argum ents pour
rép o n d re aux sceptiques ou aux opposants, il peut prendre son bâton
d e pèlerin pour aller faire la tournée des capitales où va se décider le so it
d u canal de Suez.
Selon le h atti-ch érif de 1841, le vice-roi est tenu de soum ettre « les
affaires im portantes à la connaissance et à l ’approbation » de la Sublim e
P orte. Le canal de Suez entre-t-il dans cette catégorie ? Saïd estim e que
non, ou fait sem blant de le croire, fi a publié son firm an sans en référer au
su ltan , e t c ’e st p ar sim ple courtoisie q u ’il en so llicite la ratification.
Ferdinand de Lesseps lui sem ble être le m ieux placé pour aller expliquer à
C onstantinople les avantages de cette entreprise déjà connue du m onde
entier.
Son prédécesseur, A bbas, avait procédé un peu de la m êm e m anière,
quelques années plus tô t, à propos du chem in de fer. M ettant la Porte
devant le fait accom pli, il n ’avait dem andé une ratification q u ’après coup,
su r le conseil et avec le puissant appui de l ’A ngleterre. Les autorités otto
m anes, sauvant la face, avaient alors im posé plusieurs conditions : la ligne
serait lim itée au parcours A lexandrie-Le C aire (en réalité, elle devait être
prolongée ju sq u ’à Suez) ; les travaux seraient entrepris aux fiais exclusifs
d u gouvernem ent égyptien, sans em prunt ; enfin, l ’exploitation du chem in
d e fer ne serait pas confiée à des étrangers.
P aris av ait tenté, en vain, d ’em pêcher ce chem in de fer, inspiré et
127
DE GRANDES AMBITIONS
installé par les A nglais. « Votre chem in d e fer, c ’est une épée flam boyante
dans le sein de la France, devait dire un m inistre de N apoléon ED à l ’un de
ses interlocuteurs égyptiens. Chaque station de cantonniers se changera,
peu à peu, en colonie anglaise. » A quelques années d ’intervalle, la situa
tion se retourne comme un gant : c ’est l ’A ngleterre, m aintenant, q u i craint
de voir l ’isthm e de Suez se transform er en colonie française.
Ferdinand de L esseps va vite s ’en rendre com pte à son a rriv é e à
C onstantinople, m algré l ’optim ism e à toute épreuve qui fausse p a rfo is ses
jugem ents. Les m inistres ottom ans sont sous la pression, pour ne p a s dire
la dépendance, de l ’am bassadeur d ’A ngleterre, le redouté lord S tratfo rd
de R edcliffe, surnom m é « sultan Stradford » ou « A bdul-C unning » . C ’est
un diplom ate de la vieille école, qui n ’attend pas les instructions de L ondres
pour se déterm iner. O ccupant ce poste depuis une douzaine d ’an n ées,
il sem ble faire la pluie et le beau tem ps dans la cap itale d ’un E m pire
ottom an en sem i-déliquescence.
Lesseps est reçu courtoisem ent par le grand vizir, Rechid p ach a, puis
par le sultan. Il leur expose avec conviction les avantages que le can al de
Suez présenterait pour l ’E m pire ottom an e t l ’excellent accueil q u e ce
projet rencontre dans les capitales européennes. S ’avançant un peu vite, il
affirm e que l ’A ngleterre n ’y est pas hostile, contrairem ent à ce q u e pour
rait laisser penser « la m auvaise hum eur personnelle » de son am bassa
deur à Constantinople.
Le pouvoir ottom an n ’aim erait m écontenter ni l ’A ng leterre ni la
France, qui, toutes deux, sont engagées à ses côtés, en ce m om ent même,
afin de com battre les forces russes en Crim ée. S ’y ajoute son peu d ’en
thousiasm e pour une entreprise qui lui paraît dangereuse à plus d ’un tine.
Prem ièrem ent, ce canal risquerait de donner plus de poids international
à l ’Égypte, donc de la rendre plus indépendante à l ’égard de C onstanti
nople. D euxièm em ent, les concessions territoriales qui seraient accordées
à la future C om pagnie universelle feraient s ’im planter des E uropéens
dans l’isthm e de Suez, et cela est contraire aux principes ottom ans. Troi
sièm em ent, la T tirquie se v errait coupée de l ’É gypte p ar une barrière
physique, sans aucune garantie sur le passage des bâtim ents de guerre à
travers le canal.
A peine L esseps est-il reparti que le grand v izir écrit au vice-roi
d ’Égypte : « Perm ettez à m on am itié de vous dire que je vois avec la plus
vive peine Votre A ltesse se je ter dans les bras de la France. R appelez-
vous ce q u ’il en a coûté à votre père pour s ’être fié à ce gouvernem ent qui
n ’a pas plus de stabilité que ses agents. La France ne peut rien, n i pour
vous, ni contre vous, tandis que l ’A ngleterre peut vous faire beaucoup
de m al5.»
128
INVESTIR DANS LE SABLE
129
DE GRANDES AMBITIONS
L’odeur de l’argent
131
DE GRANDES AMBITIONS
132
L ’ODEUR DE L ’ARGENT
p rises frô len t la faillite. Il est harcelé de réclam ations plus ou m oins
fantaisistes. Tel Européen, qui s ’est fait cam brioler, se retourne contre le
g o u v ern em en t, l ’accusant de ne pas assurer l ’ordre public. Tel autre,
dont le bateau s ’est échoué, m et en cause l’existence d ’un banc de sab le...
O n raco n te q u ’un jo u r d ’été, à A lexandrie, Saïd reçoit un consul dans
son p alais de Ras-el-Tine. Les fenêtres sont ouvertes. Voyant éternuer son
visiteur, une fois, puis deux, il lui lance avec m alice : « C ouvrez-vous,
m onsieur le consul, couvrez-vous ! Vous pourriez vous enrhum er, et votre
gouvernem ent m e réclam erait des indem nités. » C ertains auteurs attri
buent le m ot à Ism aïl, successeur de Saïd, ce qui est tout aussi plau sib le...
P lu sieu rs consuls occidentaux appuient les filous, quand ils ne sont
pas d e m èche avec eux. Le représentant des États-U nis, M. de Leon, a une
réputation détestable. N ’ayant à défendre q u ’un seul résident am éricain
en É gypte, il com pte pas mal de protégés d ’autres nationalités. Saïd cède
aux dem andes de ses o bligés, pour se d ébarrasser d ’affaires qui l ’en
nuient. M ais il arrive aussi q u ’un consul réclam e des dom m ages pour lui-
m êm e : ainsi, M. Z izinia, représentant de la B elgique, réussit-il à extor
quer une très grosse som m e à Saïd, à titre d ’indem nité, sous prétexte que,
naguère. M oham m ed A li lui avait oralem ent prom is une concession non
obtenue. C onsul de B elgique, m ais de nationalité grecque, M. Z izinia a
aussi le statut de protégé français : il est appuyé par son collègue et dem i-
com patriote le consul de F rance4.
É tant lui-m êm e très dépensier et devant s ’acquitter des actions du canal
de S uez qui ont été souscrites pour l’Égypte, le vice-roi ne peut contracter
d ’em prunts : cela lui est interdit par la législation ottom ane. Il contourne
la difficulté, en 1858, par l ’ém ission de bons du Trésor. A la fin de l ’année
suivante, 2 m illions de livres sterling se trouvent en circulation. D ’autres
bons ayant été vendus, la dette flottante atteint 3,5 m illions au m ilieu de
1860. Les salaires des fonctionnaires n ’ont pas été versés. Saïd vend sa
som ptueuse vaisselle en or pour récupérer quelque argent.
U n nouveau pas est franchi en septem bre 1860 quand une banque pari
sienne, le C om ptoir d ’escom pte, lui accorde un prêt de 28 m illions de
francs. Le vice-roi s ’est engagé à ne pas ém ettre d ’autres bons à court
term e sans l ’accord de ses créanciers français. M ais il le fera m algré tout,
sous un nom d ifféren t... A la fin de l ’année suivante, la dette flottante
atteint 11 m illions de livres. Saïd doit alors vendre son écurie, licencier des
fonctionnaires et m êm e réduire une arm ée q u ’il avait beaucoup choyée,
avec des unités supplém entaires, de nouveaux uniform es et la prom otion
d ’Égyptiens de souche.
É teindre des em prunts p ar d ’autres em prunts : c ’est le cercle vicieux
dans lequel il s ’enfenne. Les souscripteurs y trouvent leur com pte, puisque
les bons sont vendus à des taux très élevés. Des financiers habiles et des
133
DE GRANDES AMBITIONS
134
L ’ODEUR DE L ’ARGENT
135
DE GRANDES AMBITIONS
quitte à se ruiner, ou plutôt à ruiner leur pays. Dans son souci d ’être bien
vu, Saïd pacha a m êm e envoyé en 1862 un bataillon soudanais au
M exique, aux côtés du corps expéditionnaire français. C es m alheureux
paysans, arrachés à leur terre natale, passeront plusieurs années au bout
du m onde, dans des conditions facilem ent im aginables, pour un com bat
sans signification.
4
137
DE GRANDES AMBITIONS
La découverte du Serapeum
Ce n 'e st pas à G uiza, pourtant, m ais quelques kilom ètres plus loin, à
Saqqara, que va se jo u er le destin de M ariette. Se prom enant sur ce site
accidenté, il aperçoit une tête de sphinx ém ergeant du sable. A côté, gît
une pierre sur laquelle est gravée en hiéroglyphes une invocation à O siris-
A pis. Le Français se souvient d ’un texte de Strabon, vieux de dix-huit
siècles : « Le Serapeum est bâti en un lieu tellem ent envahi par le sable
q u ’il s ’y est form é, par l ’effet du vent, de véritables dunes et que, lorsque
nous le visitâm es, les sphinx étaient déjà ensevelis, les uns ju sq u ’à la tête,
les autres ju sq u 'à m i-corps seulem ent... »
11 se précipite dans un village voisin, em bauche une trentaine d ’ou
vriers, réunit quelques outils e t com m ence à déblayer. Un sphinx, puis
deux, puis tro is... C ent quarante et un sont m is au jour, ainsi que plusieurs
tom beaux. Dans l ’un d ’eux, M ariette, ébloui, découvre sept statues, dont
un m agnifique scribe accroupi. Et ce n ’est pas tout : cette avenue, dégagée
sur deux cents m ètres, aboutit à une banquette en hém icycle, garnie de
onze statues grecques. Un peu plus à l ’est, les ouvriers vont exhum er un
petit tem ple d ’A pis et une statue du dieu Bès.
D es fellahs viennent liv rer au ch an tier de l ’eau e t des victu ailles.
Ils regardent, com m entent et participent à leur m anière. « A ujourd’hui,
vers m idi, pendant le déjeuner des ouvriers, je suis sorti de m a tente à
l ’im proviste. Une quinzaine de fem m es de tout âge, venues des villages
voisins, étaient rangées autour de la statue d ’A pis. J ’en vis une m onter
sur le dos du taureau et s’y tenir quelques instants, com m e à cheval ; après
quoi, elle descendit pour faire place à une autre : toute l ’assem blée y
passa successivem ent. J ’interrogeai M oham m ed et j ’appris que cet exer
cice, renouvelé de tem ps à autre, est regardé com m e un m oyen de faire
cesser la sté rilité ... »
M ariette découvre l ’Égypte en m êm e tem ps que le site de Saqqara. Ses
succès com m encent à faire du bruit. D ’autres fouilleurs non hom ologués,
qui opèrent dans la régirai, envoient des espions, puis bloquent le ravi
taillem ent du chantier. C ’est la guerre. Le 4 ju in 1851, le gouvernem ent
égyptien ordonne l ’arrêt des travaux et la saisie des objets découverts.
Le consul de France se dém ène e t réussit à faire lever la m esure. M ais
138
LES TRÉSORS DE M. MARIETTE
139
DE GRANDES AMBITIONS
épreuves ont renforcé son im age de géant blond, aux m ains calleuses,
rieur, batailleur, aim ant fo rcer le trait, inventer m êm e certains d étails
cocasses pour le plus grand plaisir de son auditoire.
Com m e il est d ’usage à l ’époque, un partage des fouilles intervient.
La quarantaine de caisses accordées à M ariette renferm ent quelque
2 500 objets '. M ais, en tenant com pte des autres expéditions, légales ou
non, ce sont près de 6 000 pièces qui se retrouvent au m usée du Louvre
dans les années 1852 et 1853 12. Y fig u ra it, entre autres, le célèbre scribe,
des bijoux du prince K hâem ouas, le m onum ental taureau A p is... S ’il n ’a
pas cherché à s'en rich ir personnellem ent, le découvreur du Serapeum n ’a
négligé aucun m oyen, aucun subterfuge pour exporter ces trésors.
C ’est pourtant à lui que Saïd pacha confie en 1858 la fonction nouvel
lem ent créée de m aam our (directeur) des A ntiquités égyptiennes. A p artir
de ce m om ent, M ariette change com plètem ent d ’optique. Il devient l ’in
traitable défenseur du patrim oine égyptien, luttant aussi bien contre les
voleurs d ’objets et les fouilleurs privés que contre les libéralités du vice-
roi, toujours tenté d ’offrir à ses visiteurs européens quelque bijou, statue
ou sarcophage pharaonique. Un virage à 180 degrés !
D urant les m ois qui suivent sa nom ination, M ariette fait o u v rir une
trentaine de nouveaux chantiers. Tout est à organiser dans un pays qui a
longtem ps ignoré ses richesses antiques et se trouve être le théâtre d ’un
im m ense pillage. Le m aam our doit parfois su rv eiller ses propres su r
veillants. La découverte, à Thèbes, en février 1859, du fabuleux trésor de
la reine A ah-H otep lui vaut un sérieux conflit avec le gouverneur de la
province, lequel a enferm é les bijoux dans un coffre scellé pour les expé
d ier directem ent au vice-roi, avec ses com plim ents. M ariette voit rouge.
U se fait donner l'autorisation d ’arrêter tout bateau à vapeur qui transpor
terait des antiquités sur le Nil. Une scène d ’abordage, dans la m eilleure
tradition corsaire, a lieu. Le coffre est récupéré, e t son contenu versé au
m usée. Saïd pacha retient cependant, pour son propre usage, une m agni
fique chaîne à sextuples m ailles et un scarabée de toute b eau té3...
M ariette ne m anque pas d ’ennem is, y com pris parm i ses com patriotes.
Le plus virulent est sans doute Ém ile Prisse d ’Avennes, un personnage
peu banal, descendant d ’une fam ille anglaise ém igiée en Flandre (Price o f
Aven and C am avon) e t installé depuis longtem ps en Égypte. Ingénieur,
architecte, devenu égyptologue, cet arabisant talentueux am asse une quan
tité considérable de croquis et docum ents en vue d ’un ouvrage qui fera
140
LES TRÉSORS DE M. MARIETTE
date. H istoire de l ’art égyptien d ’après les m onum ents, depuis les tem ps
les p lu s reculés ju sq u ’à la dom ination rom aine. Il possède une belle
dem eure à Louxor, après s'ê tre brouillé avec la m oitié de la ville du
C aire. Patriote, il a fait scier les reliefs de la Salle des ancêtres du tem ple
de K am ak pour ne pas les voir tom ber entre des m ains allem andes et les a
expédiés discrètem ent au m usée du Louvre dans vingt-sept caisses portant
la m ention « O bjets d 'h isto ire naturelle » ...
P our lui, le m aam our est un charlatan, doublé d 'u n escroc : « M ariette,
qui est devenu directeur des m onum ents historiques avec 20 000 francs
d'appointem ents, un bateau à vapeur et un m illier d ’hom m es à sa dispo
sition, M ariette règne en pacha sur les antiquités égyptiennes de la vallée
du N il où il fait exécuter des fouilles. En parcourant le pays, j ’ai vu avec
quelle im pudence et quel charlatanism e il m ène ses affaires. J ’ai vu, au
pied des pyram ides, com m ent il a ravagé le grand sphinx pour y chercher
je ne sais quel m ystère, peut-être des notions m oins confuses sur la m ère
d 'A p is que le pathos inintelligible q u ’il a publié. J ’ai appris avec quelle
effronterie il nous a trom pés sur les découvertes faites au Serapeum qui
n ’a fourni que des stèles. La fam euse statue du scribe ne provient pas de
ses fouilles, elle a été achetée 120 francs à un ju if du Kaire, M. Fernandez,
qui l ’a déterrée à A bousir... M ariette a retiré plus de 9 000 francs d ’o r de
petits fragm ents de bijoux ou de statuettes dans ses fouilles du Serapeum .
Il les a fait fondre en lingots pour faire des bijoux et les a bien vendus. Sa
fem m e en porte encore un bracelet fait ainsi de débris d ’antiquités, et elle
a eu la naïveté de m e le d ire 45.» C es accusations ne seront pas retenues.
P risse d ’Avennes a déjà été trop m édisant sur trop de m onde pour être
c ru ...
M ariette va pouvoir réaliser un projet qui lui est cher : la m ise en place
d ’un m usée égyptien, ouvert au public en 1863, dans le vieux quartier cai
rote de Boulaq. « M usée » est un grand m ot, si l ’on en croit G aston M as
pero : « Le site était assez m isérable : une grève assez raide, sans cesse
entam ée par le courant du Nil ; au sud, une m aison basse et hum ide où le
directeur s'in stalla avec sa fam ille ; au nord, une vieille m osquée, dont les
salles avaient servi d ’entrepôt aux bagages des voyageurs et des m archan
dises ; à l’est enfin, et en bordure de la grande rue de Boulaq, des hangars
longs et bas, où l ’on am énagea des bureaux pour les em ployés et des
salles pour les m onum entss. » Les quatre ou cinq pièces ouvertes aux
v isiteu rs sont m al éclairées. On y trouve parfois des scorpions ou un
reptile endorm i. La direction finit par faire appel à un psylle réputé, qui
réussit à attirer les serpents et à les m ettre hors d ’état de nuire 6. ..
M ariette vit au m ilieu d ’une m énagerie. Les visiteurs sont surpris de
trouver dans le jardin des singes, une gazelle et m êm e un cham eau. On ne
4. Émile Prisse d ’Avennes. Petits Mémoires secrets de la cour d'Égypte. Paris. 1931.
5. Gaston Maspero. Notice bibliographique sur Auguste M ariette. P u is. 1904.
6. Édouard M ariette, Mariette pacha. Lettres et souvenirs personnels. Paris, 1904.
141
DE GRANDES AMBITIONS
peut pas dire que le directeur sO’1 trè s accueillant. Le vicom te de Vogüé
décrit un personnage silencieux et renfrogné, revêtu d ’une stam bouline et
coiffé du tarbouche : « Tandis que le visiteur traversait le jardin, ce pro
priétaire sourcillait d ’un air rogue et fâché, il suivait l’intrus d ’un regard
jalo u x , le regard de l ’am ant qui voit un inconnu en trer chez sa b ien -
aim ée, du prêtre qui voit un profane pénétrer dans le tem ple. » U ne
grande tendresse se cache pourtant derrière cette enveloppe rude : « La
glace rom pue, il vous prenait en affection, vous entraînait à son m usée, et
là il continuait devant ses vieilles pierres ; à sa voix, elles s ’anim aient, les
m om ies se levaient de leurs gaines, les dieux parlaient, les scribes dérou
laient leurs papyrus, les m illiers de scarabées, sym boles d ’âm es libérées,
em plissaient l ’a ir 7... »
En 1859, M ariette fait déblayer les tem ples d ’Abydos et de M édinet-
Habou. Au printem ps de l ’année suivante, il entreprend des fouilles très
fructueuses à Tanis, dans le Delta. M ais Saqqara réserve encore de belles
surprises : le directeur des A ntiquités y m et au jo u r le C heikh-el-B eled
et le m astaba de Ti. C ette m ême année à G uiza, il découvre la statue en
diorite de K héphten.
Le diabète com m ence à le ronger et il souffre d ’ophtalm ie. « Nos
regards bleus ne sont pas faits pour des clim ats em brasés », écrit-il en
août 1860 à un am i. C ela ne l ’em pêche pas de fasciner son entourage par
des dons d ’observation, d ’intuition et de déduction logique peu com m uns.
Le génie que C ham pollion a m is dans l ’étude de la philologie sem ble
trouver son écho chez M ariette dans l ’archéologie. L ’un de ses collabora
teurs raconte une scène étonnante lors du déblaiem ent d ’Abydos : « Avec
sa perspicacité habituelle en m atière de fouilles, M ariette a désigné devant
m oi à ses fellahs l ’endroit où devait se trouver le m ur d ’enceinte. Au
grand étonnem ent des hom m es qui trav aillaien t depuis tro is sem aines
pour lui, quelques coups de pioche ont découvert la m uraille en question,
décorée de bas-reliefs et d ’inscriptions du plus haut intérêt. U n vieil
A rabe vint alors lui dire : “Je n ’ai jam ais quitté ce village, jam ais je
n ’avais m ême entendu dite q u ’il y eût là un mur. Quel âge as-tu donc pour
te rappeler sa p lace? - J ’ai trois m ille ans, répondit im perturbablem ent
M ariette. - A lors, répliqua le vieil hom m e, pour avoir atteint un si grand
âge et paraître si jeune, il faut que tu sois un grand sain t; laisse-m oi te
regarder !” Et pendant trois jo u rs, il est venu contem pler le saint qui, par
fois avec une prodigalité sans égale, distribuait des coups de canne aux
ouvriers qui ne travaillaient pas à sa guise 8. »
A Paris, on se plaint de l’absence de M ariette, qui est toujours fonc
tionnaire français, affecté au L ouvre. Ses supérieurs finissent p ar lui
dem ander de ch o isir entre la France et l ’Égypte. D échiré, il choisit
142
LES TRÉSORS DE M. MARIETTE
1’Égypte, tout en sachant que sa situation est tributaire des sautes d ’hum eur
du p acha régnant. La m ort de Saïd, en 1863, lui vaudra d ’ailleurs une
période de purgatoire, ju sq u ’à ce que le nouveau vice-roi, Ism aïl, recon
naisse ses m érites et ne puisse plus se passer de lui.
5
Polytechniciens et ouvriers-fellahs
145
DE GRANDES AMBITIONS
146
POLYTECHNICIENS ET OUVRIERS-FELLAHS
c ro isan t les bras en arrière, ce qui constitue une hotte d 'u n genre prim itif.
Q u an d on a em pilé assez de m ottes pour faire une charge, l'individu se
m et e n m arche, toujours courbé, ju sq u 'à la ligne extrêm e de la berg e;
a lo rs, il se redresse, ouvre les bras, e t le tout glisse à terre. A près quoi,
n o tre hom m e revient prendre un nouveau chargem ent, et ainsi de suite.
In u tile d e te dire que, pour ce m étier original, toute l ’équipe s'e st débar
rassée d e ses vêtem ents, de sorte que je ne conseillerais pas de faire visiter
le ch an tier à des voyageuses, s 'il s'e n présentait par hasard '. »
Pourquoi ce systèm e d 'u n autre tem ps ? Parce que ces ouvriers ont été
in cap ab les de s'in itie r au m aniem ent des m adriers, chevalets, pelles et
brouettes. Ah ! le chargem ent de la b ro u ette... « L ’un prenait la roue ; les
d eu x autres, les brancards de la brouette rem plie, et m es trois gaillards de
p o rter triom phalem ent cette ch arg e... Tti com prends qu'avec de pareilles
habitudes, ils aient préféré revenir au m ode sim ple dont ils se servent pour
leurs travaux d ’endiguem ent. Au surplus, un bain, par cette saison, et dans
l'e a u salée, n 'e st ni désagréable ni m alsain. On a donc fini par laisser les
m anœ uvres travailler à leur façon et ils s'e n tirent avec beaucoup d ’acti
v ité e t d ’entrain. D ’entrain ? Eh oui ! Ils chantent, ils barbotent, ils rient en
m ontrant leurs dents blanches q u ’envieraient bien des jo lies fem m es de
n otre connaissance 12. »
U ne vision un peu m oins joyeuse des chantiers sera donnée des années
plus tard par Voisin bey, ingénieur en chef des travaux 3. De nom breuses
désertions ont lieu au cours de l’année 1860, parce que les ouvriers, payés
selon leur rendem ent, gagnent à peine de quoi assurer leur nourriture. Pour
recruter, des avis sont placardés dans les villages, soulignant les bonnes
conditions proposées et précisant q u 'il « est expressém ent défendu à tout
E uropéen, quel que so it son grade, de m altraiter les ouvriers arabes ».
E n réalité, ceux-ci sont surtout frappés, à coups de bâton ou de fouet
- com m e il est alors en usage dans toute l 'Égypte - , par des com patriotes,
chargés d ’appliquer le règlem ent. Les Français laissent faire. 11 s'e n trouve
toujours pour ju stifier cette pratique devant des voyageurs de passage. Le
peintre N arcisse Berchère, qui visite les chantiers, s ’entend dire par son
cicérone : « Le fellah est com m e la fem m e de Sganarelle : il dem ande à
être battu. A ttention ! Battu par ses pairs, pas par nous. D 'ailleurs, la chose
qui nous répugne le plus, c 'e s t d 'a v o ir à sévir par nous-m êm es... Les
contingents d'ouvriers-fellahs arrivent ici accom pagnés d'o fficiers et de
cheikhs. C ’est à eux q u ’appartient la responsabilité du travail à exécuter,
donc celle de sé v ir... Je vous em m ènerai voir dans le village arabe une
charm ante peau de bœ uf étendue par terre : c ’est le lit de la justice. 11 est
rem pli des argum ents les plus persuasifs. Vous constaterez avec quelle
bonne volonté les coupables acceptent leur châtim ent4. »
147
DE GRANDES AMBITIONS
L’arbitrage de l’empereur
148
POLYTECHNICIENS ET OUVRIERS-FELLAHS
149
DE GRANDES AMBITIONS
fellah égyptien avait échappé à lout le m onde... M ais il faut tenir com pte
de cette exigence, qui trouve naturellem ent un écho à Londres, m êm e si
Ferdinand de Lesseps souligne que son entreprise est bien plus hum aine
que la construction de la voie ferrée A lexandrie-Le C aire-Suez, laquelle
« repose su r des m illiers de cadavres égyptiens ». La C om pagnie n ’a-
t-elle pas m is en place des services m édicaux et sociaux ? Ses statistiques,
publiées tous les ans, indiquent que le taux de m ortalité n ’a jam ais été
aussi faible sur un ch an tier en Égypte : le rapport du docteur A ubert
Roche, m édecin-chef, fait état, entre m ars 1861 et m ars 1862, de 20 m orts
sur 1250 em ployés européens et de 23 m orts sur une « population arabe »
de 120933 personnes. A utrem ent d it, à proportion égale, le C anal tue
cent fois m oins d ’É gyptiens que d ’étra n g ers... L es conditions clim a
tiques, auxquelles les seconds ne sont pas habitués, suffisent-elles à expli
quer une telle différence? Nul n ’est en m esure de confirm er les chiffres
de la Com pagnie, qui paraissent cependant plausibles à un chercheur du
C N R S6.
L ’habile N ubar, revenu aux com m andes pour être le m in istre des
A ffaires étrangères d ’Ism aïl, fait de l ’abolition de la corvée son cheval de
bataille et réclam e une renégociation des accords. Il n ’est pas acceptable,
selon lui, que 20000 travailleurs soient m obilisés en perm anence. 20000
qui sont en fait 60000, puisqu’à ceux qui travaillent s ’ajoutent ceux qui se
rendent sur les chantiers et ceux qui en repartent, dans des périples pou
vant durer de quinze à vingt jours. « La population de l ’Égypte, précise
Nubar, était condam née à tour de rôle à donner à la Com pagnie deux à
trois m ois de son tem ps, de son travail et de sa vie, sans rém unération
aucune ; car, au m épris de l’entente intervenue et qui aurait dû assurer un
franc par jo u r de travail, la Com pagnie les renvoyait sans salaire aucun,
laissant m êm e la nourriture à leur ch arg e7. »
L esseps s ’indigne. L ’affaire s ’envenim e. N ubar se rend à P aris et,
discrètem ent appuyé par le duc de M omy, assigne en justice la C om pa
gnie. C elle-ci contre-attaque en organisant un spectaculaire banquet
de 1600 couverts, au palais de l ’Industrie, sur les C ham ps-É lysées, le
11 février 1864. Le prince N apoléon, cousin de l'em p ereu r, prend la
parole pendant une heure et dem ie, électrisant l’assistance par un discours
très peu diplom atique, dans lequel il accuse N ubar pacha d ’av o ir des
livres sterling « pour argent de poche ».
Le conflit prenant une tournure dangereuse, on dem ande un arbitrage à
N apoléon III. C urieux arbitrage ! C ’est l ’em pereur des Français qui est
am ené à trancher une controverse entre l’Égypte et des F ran çais... N apo
léon III réunit une com m ission d ’étude et, après en avoir reçu les conclu
sions, se prononce, le 6 ju illet 1864, dans un long docum ent. Chacune des
150
POLYTECHNICIENS ET OUVRIERS-FELLAHS
deux p arties peut y trouver des satisfactions. La Com pagnie est invitée à
ren o n cer aux contingents de travailleurs égyptiens. De m êm e devra-t-elle
rétro céd er à l’Égypte le canal d ’eau douce, ainsi que quelque 60000 hec
tares d e terrains en partie irrigués. En com pensation, elle recevra 84 m il
lio n s d e francs. C et arbitrage lui donne surtout une sorte de caution
o fficielle, qui va lui perm ettre d ’obtenir enfin l ’accord des autorités otto
m anes.
L es ch an tiers se vident. L es ingénieurs français voient p artir leurs
o u v rie rs, qui regagnent leurs villages. C es paysans seront rem placés
p a r d es Européens ou des Levantins, rétribués beaucoup plus cher, m ais
su rto u t p ar d ’énorm es m achines, fabriquées spécialem ent en France pour
p ercer ce canal en plein désert.
U ne nouvelle aventure com m ence, sous le signe de la fée Vapeur.
6
L'Exposition universelle
153
DE GRANDES AMBITIONS
jours plus tard. N apoléon III invitera Ism aïl, logé au pavillon de M arsan,
à prendre place à sa d roite pour p asser en revue la garnison de P aris.
Il l ’invitera à déjeuner à Saint-C loud, lui présentera personnellem ent le
château de V ersailles, puis ira lui rendre visite, avec la fam ille im périale,
sur le site de l ’Exposition.
154
L ’EXPOSITION UNIVERSELLE
5. Henri Wallon, Notice sur la vie et les travaux de M ariette pacha, Paris. 1883.
6. Théophile Gautier, L’Orient, vol. II.
155
DE GRANDES AMBITIONS
156
L'EXPOSITION UNIVERSELLE
157
DE GRANDES AMBITIONS
Ismaïl le Magnifique
159
DE GRANDES AMBITIONS
160
ISMAÏL LE MAGNIFIQUE
coupe-gorge la nuit. Ism aïl a com m encé à l’am énager à sa m anière, m ais
B arillet-D escham ps reprend tout de zéro, pour en faire un parc à la pari
sien n e, ceinturé de hautes grilles et traversé de routes bordées de trottoirs.
D es arb re s m ajestueux cèdent la place à « des réverbères en form e de
tu lip e s géantes, aux pétales de verre coloré, aux feuillages de fo n te 4 ».
U ne riv ière, un lac, une cascade, une grotte, un belvédère, un pavillon
de photographie, un débit de liqueurs e t de sirops, un kiosque de tir pour
am ateu rs, des chevaux de b o is... Seuls quelques gom m iers m ajestueux
rap p ellen t q u ’on est en Égypte. E t, à l ’heure de la prom enade, sous le
k iosque à m usique, il arrive que l ’orchestre m ilitaire joue aussi quelques
airs orientaux.
A li M oubarak, un brillant intellectuel form é à Paris, élabore une réor
g an isatio n urbaine du C aire, accom pagnée d ’un nouveau découpage
adm in istratif. M ais le khédive ne dispose que de deux ans à peine avant
l ’inauguration du canal de Suez. N ’ayant ni le tem ps ni les m oyens néces
saires p o u r transform er la ville ancienne, il se contente de plaquer une
façade européenne sur certains quartiers. O n perce des avenues, on détruit
d e s b âtim en ts, on les reco n stru it à la va-vite dans un sty le italien . D e
v ie ille s m osquées, aux couleurs passées, m êlant le rose à l ’ocre, sont
repeintes de m anière éclatante avec des zébrures blanches et ro u g es3...
L e P rogrès égyptien, hebdom adaire créé par des Français, se'g au sse
de to u tes ces initiatives avec une étonnante liberté de ton. Son hum our
co rro sif e t ses insinuations lui valent parfois la colère du khédive et des
sanctions, m ais il va pouvoir se déchaîner pendant trois ans, de 1868 à
1870, en attendant que d ’au tres jo u rn au x prennent la relève. Pendant
ce tem ps, un ju if nationaliste égyptien, Y aacoub Sanoua, ex ilé à P aris,
publie une feuille au vitriol agrém entée de dessins satiriques, le Journal
<fA bou N addara, qui fustige la politique d ’Ism aïl.
L es Français d ’Égypte ont-ils des raisons de se p lain d re? Le khédive
pourvoit m êm e à leurs loisirs. Pour suppléer au m anque de théâtres de la
ville du C aire, il en fait construire un, en quelques sem aines, au début de
1869. Q uatre loges sont réservées au souverain et aux dam es du harem .
Le rideau, où brille son chiffre, ainsi que les fauteuils de l ’orchestre ont
été com m andés à Paris. Ce théâtre construit en bois est inauguré avec une
représentation de La B elle H élène. Le m ois suivant, un cirque ouvre ses
portes. Son exploitation a été confiée à un Français, Rancy 6.
A la fin des années 1860, dans ce pays de S m illions d ’habitants, les
résidents français sont près de 15000 (pour une population européenne
totale évaluée à 150000 personnes). Au C aire com m e à A lexandrie - et,
bien sûr, à Port-Saïd et Ism aïlia - , les Français sont présents dans tous
les secteurs économ iques. Us occupent égalem ent des postes clés dans
4. Ibid.
5. André Raymond, Le Caire, Paris, Fayard, 1993.
6. Georges Douin, Histoire du règne du khédive Ismaïl. Rome, 1933-1938,1 .11.
161
DE GRANDES AMBITIONS
162
is m a Il l e m a g n if iq u e
163
DE GRANDES AMBITIONS
164
ISMAÏL LE MAGNIFIQUE
165
DE GRANDES AMBITIONS
II. De larges extraits de ces lettres sont cités par F. Van den Bosch, Vingt Ans t f Égypte,
Paris. 1932.
166
ISMAIL LE MAGNIFIQUE
d 'en treten ir, chez le prince, ce feu sacré qui vivifie tout, sciences exactes,
com m e sciences naturelles. »
H u ssein et H assan sont présentés à l ’em pereur et à l’im pératrice le
24 octobre 1868 au palais de Saint-Cloud. Rapport très positif de Nubar :
« S i les princes ont été enchantés de leur entrevue, l'em pereur et l'im pé
ratrice les ont trouvés très bien élevés, très comme il faut et ils leur ont
p lu beaucoup. » Hussein (futur sultan d'É gypte) devient le compagnon de
je u du prince im périal. Et, en m ars 1869, le m inistre peut télégraphier
triom phalem ent au khédive que l'invitation est acceptée : l'im pératrice
E ugénie participera aux cérém onies d ’inauguration du canal de Suez.
8
autre événement : l’entrée des eaux d e la m er Rouge dans les lacs A m ers,
le 1S août, fête de Napoléon. Avec son lyrism e habituel, Ferdinand de
Lesseps lance le signai : « Il y a trente-cinq siècles, les eaux de la m er
Rouge se retiraient au commandement de M oïse. A ujourd’hui, su r l ’ordre
du souverain de l’Égypte, elles rentrent dans leur lit. » Une catastrophe
est évitée de justesse, les eaux bouillonnantes ayant em porté les talu s
et menacé de briser les chaînes des dragues. On réussit heureusem ent à
renforcer la dernière digue. Les flots s ’assagissent peu à peu et les eaux
des deux mers finissent par se confondre calm em ent.
170
EUGÉNIE SUR LA DUNETTE
171
DE GRANDES AMBITIONS
172
EUGÉNIE SUR LA DUNETTE
7. Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par TOccident, Paris, Seuil, 1980.
173
DE GRANDES AMBITIONS
174
EUGÉNIE SUR LA DUNETTE
siste pas à l’ouverture des Chambres, c ’e st que j ’ai tenu à ce que, par sa
présence dans un pays où nos arm es se sont autrefois illustrées, elle
tém oignât de la sym pathie de la France pour une œuvre due à la persé
vérance et au génie d ’un Français. » L ’Égypte est oubliée. Nubar pacha
fera rem arquer au m inistre français de l ’Instruction publique, V ictor
D uruy : « L 'em pereur a parlé du poussin, m ais de la poule qui a pondu
l ’œ u f et l’a couvé pendant des jours et des nuits entières, l’em pereur n ’a
rien dit. »
Ferdinand de Lesseps a le bon goût de refuser le titre de duc de Suez
que lui propose Napoléon III. Pour cet homme de soixante-quatre ans,
une deuxièm e vie comm ence, sous le signe de la gloire : en l’espace de
quelques jo urs, il reçoit les plus hautes décorations - françaises, otto
m anes, autrichiennes, belges, italiennes... en attendant un accueil triom
phal en A ngleterre et son élection à l ’Académ ie française. M ais, pour
l ’heure, le grand homme célèbre l’événem ent à sa m anière en épousant,
le 25 novem bre, dans la chapelle d ’Ism aïlia, Louise-H élène Autard de
B ragard, une jeune fille de vingt ans.
U n autre héros français de la fête aura un étrange destin : M*r Bauer,
l ’aum ônier des Tüileries, abandonnera les ordres quelques années plus
tard. O n verra alors ce curieux personnage au Bois de Boulogne, faisant
le salut m ilitaire aux officiers q u ’il croisera. Et le général de G alliffet
lui répondra par « le geste rituel de la bénédiction11» ...
177
DE GRANDES AMBITIONS
Naturellem ent, c 'e st Aïda q u 'il aim e, et avec elle q u 'il va tenter de fuir.
Divers épisodes conduisent au dram e final : le capitaine est condam né à
être emmuré vivant dans la crypte souterraine du tem ple de Vulcain, m ais
il y est rejoint par Aïda, venue m ourir dans ses b ras...
Avant même l'E xpédition de Bonaparte, l'É gypte antique avait inspiré
plusieurs opéras, dont La F lûte enchantée de M ozart, représentée à
Paris le 20 août 1801 sous le titre Les M ystères d ’Isis. Pour cette œ uvre
ésotérique avaient été choisis des décors fantastiques et des costum es
m élangeant symboles m açonniques et hiéroglyphes. Après la cam pagne
d ’Égypte, les Parisiens avaient eu droit à deux autres grands succès :
M oïse de Rossini (1827) et L ’Enfant prodigue de Daniel François E sprit
Auber (1850). Le décor de ce dernier opéra avait enthousiasm é T héophile
Gautier, arrachant à sa plume des accents lyriques : « A droite s'élèv e le
tem ple d 'Isis avec le caractère étem el de l’architecture égyptienne. L es
hiéroglyphes coloriés tournent autour des colonnes, grosses com m e des
tours, en processions immobiles. L ’épervier ouvre ses ailes sur les fro n
tons ; les chapiteaux à têtes de femmes regardent de leurs yeux obliques,
les sphinx allongent leurs griffes pleines d'énigm es, les obélisques et les
stèles se dressent cham arrés d ’inscriptions sym boliques, tout est m enace
et m ystère dans cette effrayante splendeur, qu'illum ine un soleil im pla
cab le3... » Bref, tout ce que les Français pouvaient attendre de ce pays
fascinant.
Avec A ïda, cependant, on passe à une autre dim ension. C 'est la pre
m ière fois q u 'u n opéra égyptisant est conçu en Égypte, par un égypto
logue. M ariette s ’est lancé dans la tâche avec la ferveur et les scrupules
d 'u n savant. Il passe plus de six mois en Haute-Égypte pour copier exac
tem ent des colonnades de tem ples, relever sur les stèles et les bas-reliefs
tous les élém ents qui lui seront nécessaires, notant la boucle d ’une per
ruque, l'arrondi d ’un poignard, le détail d 'u n chasse-m ouches. D pousse
l ’exactitude, nous dit son frère, « ju sq u ’à recueillir sur les chapiteaux de
Philae, par un léger grattage au canif, les échantillons de la couleur q u ’un
contem porain d ’Alexandre y avait appliquée 4 ».
M ais M ariette est aussi un artiste, qui a dirigé naguère l'école de dessin
de Boulogne-sur-M er. Pour les besoins de l ’opéra, il se rem et à l ’aqua
relle, composant des élém ents de décor, des costumes et des bijoux. Son
scénario en prose est confié à Cam ille du Locle, directeur de l ’O péra-
Com ique à Paris, qui l'en rich it, le découpe en scènes et le structure
en quatre actes. Le texte sera ensuite traduit en italien et transform é en
178
GENÈSE D 'U N OPÉRA
179
DE GRANDES AMBITIONS
M ariette est conscient des risques encourus. Il confie ses craintes dans
une lettre au surintendant des théâtres khédiviaux, Draneth bey (lequel
n ’est autre que le Français Thénard, qui s’est rebaptisé par anagram m e) :
« Un roi peut être très beau en granit avec une énorm e couronne sur la
tête ; m ais dès q u 'il s'ag it de l'habiller en chair et en os et de le faire m ar
180
GENÈSE D 'U N OPÉRA
181
DE GRANDES AMBITIONS
tissus de lin blanc ou écru, souvent transparents, comme ceux des anciens
Égyptiens, m ais en les masquant pudiquement par des écharpes de couleur.
Q uant aux hommes, il n ’est pas question cette fois q u ’ils se produisent
avec une barbiche à la B adinguet Ils ne seront pas équipés d ’armes puisées
dans les stocks de l ’Opéra. Tout doit être neuf, et parfaitem ent conform e
aux indications des spécialistes.
Et pourtant... « Q uantité de détails m ontrent que l ’artiste s ’est néan
m oins laissé em porter par son enthousiasm e : double barbe du pharaon,
casques guerriers, cuirasses et arm es plus rom aines q u ’égyptiennes,
la part scientifique est loin d ’être sans faille 8. » Le public ne s ’aperçoit de
rien. C ’est l ’enthousiasm e, un enthousiasm e « indescriptible », disent les
archives de l’Opéra. La scène de marche du deuxième acte doit être bissée
« aux acclam ations délirantes de la salle entière », écrit le critiq u e de
L ’A rt musical.
Cet énorm e succès va inciter nom bre de com positeurs à sauter à pieds
joints dans la m arm ite égyptienne. Victor M assé crée Une nuit d e C léo
pâtre à i ’O péra-Com ique dès 1884, suivi de la Cléopâtre de V ictorien
Sardou en 1890. M assenet propose la sienne en 1914, après av o ir fait
jo u er Thaïs, tandis que C am ille Saint-Saëns « égyptianise » Sam son et
D alila pour se m ettre au goût du jour.
Claude Debussy ne reste pas à l ’écart de cette m ode, m êm e s ’il s ’y
inscrit avec originalité. Son ballet Khamm a (1912), qui m arie flû tes
et harpes, se déroule dans le tem ple d ’Amon-Rê. Pour T Égyptienne est
une pièce pour piano à quatre m ains, où la musique se veut déconcertante.
La distance est encore accentuée dans Canope, l ’un des P réludes, où
l ’illustration des vases funéraires égyptiens apparaît bien énygm atique.
Le dépaysem ent recherché ici n ’est pas celui que l ’on trouve chez d ’autres
m usiciens : « Pendant que M assenet, par réalism e dram atique, cherche en
quelque sorte à nous rapprocher de ce passé absolu et de ces lieux loin
tains, Debussy, par un lyrism e sym bolique, accuse au contraire l’éloigne
m ent au m oyen d ’une langue m usicale plus résolum ent tournée vers
la m odernité 9. » Proxim ité de l ’exotism e d ’un côté, étrangeté de l ’autre.
Il apparaît, une fois de plus, que l ’égyptom anie perm et tout e t son
contraire...
183
DE GRANDES AMBITIONS
tions (hôpitaux, logem ents, etc.) q u ’elle a réalisées dans l’isthm e. Tout
cela grève lourdem ent le budget égyptien.
Les em prunts se succèdent, à des taux de plus en plus lourds. Ism ail
ne sait plus quoi inventer. L ’un de ses collaborateurs lui souffle une
recette m iracle pour repartir de zéro : si les propriétaires terriens paient
d ’avance six annuités d ’im pôt, toutes les dettes pourront être éteintes. On
bricole aussitôt une loi, dite de la M oukabalah, pour allécher les inté
ressés : ceux qui prêteront ainsi à l’État bénéficieront d ’une réduction
fiscale de 50 % jusqu’à la fin de leurs jours. L ’opération, détournée de
diverses m anières, donne des résultats catastrophiques, et il faut recourir
à un autre expédient...
184
LES CRÉANCIERS A V POUVOIR
2. Chartes Lesage, L'Invasion anglaise en Égypte. L'achat des actions de Suez, Paris,
1906.
3. Angelo Sammarco, Les Règnes d Abbas, de Saïd et d Ism a ïl, t. IV du Précis de
r histoire d Égypte, Rome. 1933.
4. David Landes, Banquiers et Pachas, Paris, Albin Michel, 1993.
185
DE GRANDES AMBITIONS
ses propriétés particulières, sur celles de sa fam ille ou sur les recettes des
Chemins de fer égyptiens et du port d*Alexandrie. Ainsi, « des porteurs
étrangers, principalem ent français et anglais, sim ples particuliers ou éta
blissem ents de crédit, possèdent ensem ble une créance colossale sur le
trésor du khédive, avec lequel se confond en fait le trésor de l’Égypte 5 ».
La dette à long term e a été contractée par des porteurs anglais, alors
que la dette flottante se trouve entre les m ains de créanciers fran çais6.
D ’où un conflit entre ces deux groupes, chacun cherchant le m oyen le
plus sûr d ’être rem boursé. Et, de la part des gouvernem ents de Londres et
de Paris, une volonté d ’intervenir dans les affaires égyptiennes.
Cette intervention va se faire de m anière progressive, devant un khé
dive tantôt com plice, tantôt résigné, et finalem ent dépassé par la situation.
Cela commence, en mai 1876, par l’institution d ’une Caisse de la dette,
sous le contrôle de six com m issaires européens. C ela se po u rsu it, en
novembre de la même année, par la nom ination de deux contrôleurs géné
raux : l ’un, anglais, chargé de la com ptabilité publique ; l’autre, français,
chargé des recettes. Deux syndics de faillite, en quelque sorte, veillant
à ce que les intérêts de la dette soient bien versés. Ce qui suppose des
rentrées fiscales, donc une nouvelle saignée des cam pagnes : le fellah est,
m algré sa m isère, le seul vrai pourvoyeur de fonds dans la vallée d u Nil.
La fam ine qui survient en Haute-Égypte en 1877 rend l ’opération encore
plus cruelle. La perception des impôts dans les provinces se fait, p lu s que
jam ais, à coups de fo u et
Une étape de plus est franchie en août 1878 avec la constitution
d ’un gouvernem ent dit « européen » : un A nglais, Rivers W ilson, e t un
Français, Blignières, y détiennent les postes clés, le prem ier aux Finances
et le second aux Travaux publics. Le khédive, soum is à une forte pression
d ’officiers nationalistes, destitue ce gouvernem ent au printem ps suivant
pour le rem placer par un « m inistère entièrem ent égyptien ». M ais il est
lui-même destitué par le sultan, à la demande de Londres et de P aris : le
25 juin 1879, un télégram m e adressé à « l ’ex-khédive Ism ail » m et un
term e à ce règne flam boyant et chaotique.
Avec le successeur, Tewfik, tout reprend com m e avant. Le contrôle
anglo-français est confirm é, constituant le véritable gouvernem ent de
l ’Égypte. On unifie et réorganise l ’ensem ble des dettes : le tau x est
abaissé m ais, dorénavant, le rem boursem ent annuel représentera plus de
la m oitié des recettes budgétaires du pays.
En 1882, l ’É tat n ’em ploie que 1 263 Européens (dont 345 Italiens,
328 Français et 272 Anglais). C 'en est assez pour indigner les fonction
naires égyptiens, m oins bien payés e t dom inés par ces O ccidentaux. A
cela s ’ajoute surtout la révolte des « officiers-fellahs », dont beaucoup
sont m is en dem i-solde par m esure d ’économ ie. Ces Égyptiens de souche
5. Gabriel Hanotaux, Histoire de la nation égyptienne, Paris, Plon, 1931-1935.
6. Samir Saul, « La France et l’Égypte à l’aube du xx* siècle », in Le M iroir égyptien,
Marseille, Éd. du Quai, 1984.
186
LES CRÉANCIERS A V POUVOIR
187
DE GRANDES AMBITIONS
Perfide Albion
191
UNE CULTURE RAYONNANTE
Les résidents français ont eu très peur pendant les événem ents de 1882,
marqués par des assassinats d ’Européens dans plusieurs villes. Ils auraient
mauvaise grâce à se plaindre de l ’ordre qui règne désorm ais, m êm e si cet
ordre est anglais. Leurs privilèges sont intacts. Des privilèges im m enses,
pour ne pas dire exorbitants. Le droit coutumier a élargi les C apitulations au
fil des décennies : de mauvaises habitudes ont fini par acquérir force d e loi.
Les étrangers ont, en Égypte, le droit de libre établissem ent e t d e libre
commerce, ainsi que le droit de libre circulation. Leur dom icile e st invio
lable : aucun d ’entre eux ne peut être arrêté ou appréhendé sans l ’assis
tance de son consulat. Ils ne peuvent être soum is q u ’à leurs lo is n atio
nales, ou aux lois égyptiennes auxquelles leur É tat aurait d o n n é son
approbation. Ce sont des tribunaux spéciaux qui les jugent - tribunaux
mixtes ou tribunaux consulaires, selon la nature des infractions et la natio
nalité des personnes en cause. Enfin, ils ne sont soum is à aucun im pôt
direct. Les étrangers ont obtenu que ce statut s’applique aux personnes
juridiquem ent placées sous leur protection, m ais aussi à leurs dom estiques
ou employés. En un mot, ils sont « considérés légalem ent, judiciairem ent,
financièrem ent, adm inistrativem ent et au point de vue religieux, com m e
s’ils n ’avaient jam ais quitté la mère patrie 2 ».
La position de la France en Égypte reste forte. Au début de l’occupation
anglaise, on compte 340 hauts fonctionnaires français 3. Le m inistère des
Travaux publics est l’un de leurs bastions, avec un sous-secrétaire d ’É tat,
Rousseau pacha. Bien implantés aux Finances et à la Justice, ils dirigent
aussi le Service des antiquités, l’Imprimerie nationale, l’École khédiviale de
droit, l’École normale et l ’École des arts et m étiers. A cela s ’ajoute une
place de prem ier plan dans toutes les institutions internationales qui ont sur
vécu à l’occupation : la Caisse de la dette, l’adm inistration des dom aines et
les tribunaux mixtes. Le nombre des fonctionnaires français dim inuera légè
rement dans les années 1890, restant toutefois supérieur à celui des A nglais.
M ais ceux-ci occupent les postes clés, chaque m inistre égyptien étant
flanqué d ’un conseiller britannique tout-puissant, qui lui dicte ses décisions.
192
PERFIDE ALBION
Cette impuissance de leur gouvernem ent est vivem ent ressentie par les
Français d ’Égypte. Elle les conduit à avoir une attitude souvent agressive
à l’égard de l’occupant britannique. Étant les seuls étrangers à posséder
une presse abondante, ils ne se privent pas de critiquer, d ’ironiser et de
193
UNE CULTURE RAYONNANTE
rappeler constam m ent à l ’A ngleterre q u 'e lle est supposée p lier bagages.
D ans les années 1890, L e Journal égyptien publie m êm e chaque m atin,
en tête de prem ière page, la prom esse d ’évacuation qui avait été faite p ar
les représentants de Sa M ajesté.
C ’est avec L e B osphore ég yp tien , créé en 1880, que les a u to rité s
anglaises vont avoir le plus de m al. Ce quotidien tire à un dem i-m illier
d ’exem plaires, ce qui constitue alors un chiffre respectable. Il est dirigé
p ar un redoutable M arseillais, qui n ’est pas seulem ent un polém iste de
talent m ais l ’un des m em bres les plus influents de la société c a iro te 3 :
arrivé en Égypte en 1879, O ctave B orelli est avocat-conseil du m inistère
des Finances, hom m e d ’affaires, m em bre de plusieurs sociétés savantes,
cofondateur du C om ité d ’action pour l ’enseignem ent français laïque. D a
le titre de bey, la Légion d ’honneur et une dem i-douzaine de décorations
étrangères. C ’est un patriote fiançais, dont les éditoriaux ne laissent rien
p asser aux A nglais. Jo u r après jo u r, il décortique leu r actio n , p o u r la
condam ner56.
N e supportant plus d ’être ég ratig n é p ar ce q u o tidien, q u i b ro card e
m êm e ses positio n s an ti-esclav ag istes, le consul britannique, C liffo rd
L loyd, le fait in terd ire en 1884 p ar arrêté m in istériel. L es réd acteu rs
im prim ent alors un dernier num éro, avec ce sous-titre : « Journal pas poli
tique, peu littéraire, illu stré. B ureau au C aire, m inistère de l ’Intérieur.
Pour tout ce qui concerne la rédaction, s ’adresser à C lifford L loyd, ex-
sous-secrétaire d ’État avant son départ, e t surtout affranchir. »
Le quotidien finit p ar reparaître, après avoir accepté le principe d ’une
« p e tite c e n su re 7 ». M ais il ne tard e pas à s ’en prendre au P rem ier
m inistre, N ubar pacha, considéré com m e l'hom m e des A nglais, ce q u i lui
vaut une nouvelle interdiction. Le consulat de France s ’en m êle, de nom
breuses dépêches diplom atiques sont échangées avec Paris. Le co n flit du
B osphore prend l'a llu re d ’une affaire d ’E ta t8. N ubar e st fin alem en t
contraint d ’aller présenter ses excuses au journal, qui rep araît...
Les Français d ’Égypte ont le délicieux privilège de profiter d ’u n e vie
coloniale sans être considérés com m e colonialistes, et m êm e de pouvoir
se p o ser en adversaires de l ’occupant. L ’une de leurs grandes fiertés
e s t... Y Egyptian G azette. Le seul quotidien de langue anglaise se trouve
contraint, en effet, de publier la m oitié de ses pages en français pour av o ir
suffisam m ent de lecteu rs ! Y a -t-il dém onstration plus éclatan te d e la
suprém atie d ’une langue sur une au tre? La presse française, elle, s ’en ri
ch it régulièrem ent de nouveaux titre s : L a R éform e (1894), L 'É c h o
d O rient (1896), Le C ourrier d Égypte (1897), L e Journal du Caire (1898),
194
PERFIDE ALBION
E n Égypte, face aux Anglais, les Français ne désarm ent pas. Ils se sentent
« appelés à soutenir des assauts qui sont rudes », com m e le souligne un
v isiteu r de p assag e9. C hacun est soucieux de « travailler à la conserva
tio n d e nos m œ urs, de notre langue e t de notre influence en Égypte ». Un
C ercle français s ’est créé au C aire en 1891, dans un bel hôtel particulier,
en face du jard in de l ’Ezbékieh. « Presque tous les m em bres s ’y réunis
sent journellem ent, précise le voyageur. O n jo u e, on boit, on lit, on cause
surtout. L es journaux français apportés par le dernier courrier fournissent
m atière à de nom breuses discussions. » C e cercle « a rallié tous les Fran
çais éparpillés, a concentré les forces, il est devenu un centre de résistance
co ntre tous les efforts adverses ».
L e m oindre faux pas anglais est m onté en épingle. « Beaucoup de Fran
çais parlent haut, font les bravaches, recherchent l ’incident de brasserie et
le d u e ll01. » L ord C rom er in terd it à ses o fficiers et fonctionnaires de
répondre aux provocations. L’un de ses collaborateurs, sir A lfred M ilner,
va se ch arg er p o urtant de rem ettre à leu r place ces p erturbateurs. D e
reto u r en A ngleterre après avoir été sous-secrétaire d ’É tat aux Finances, il
consacre à la France quelques pages au vitriol dans un livre très éclairant
sur l ’occupation britannique, publié à Londres en 1891 et traduit quelques
années plus tard à Paris ".
A lfred M ilner reconnaît que son pays n ’a pas tenu sa prom esse d ’éva
cu er l ’Égypte. Il l ’attribue à une erreur initiale : « N ous pensions n ’avoir à
rép rim er q u ’une révolte m ilitaire » ; o r l ’essentiel tient à « la pourriture
profonde de tout le systèm e gouvernem ental ». D ’où les réform es enga
g ées, auxquelles la R an ce ne perd pas une occasion de s ’opposer. C ela va
de « m esquines tracasseries » à des « torts graves ». A insi a-t-elle tenté de
retard er l’abolition de la corvée et d ’em pêcher la ju ste application des
im pôts aux étrangers, tout en se donnant « le ridicule de m aintenir un ser
vice postal distinct en Égypte, alors que toutes les autres puissances ont
renoncé à ce privilège suranné ».
L a France, ajoute-t-il, s'im agine « parler au nom de la m oitié du m onde
civ ilisé », alors q u ’elle est la seule puissance européenne à adopter un
tel com portem ent. C ette politique « détestable » tient sans doute au fait
q u ’elle est « dom inée par la jalousie ». M ais elle n ’a à s ’en prendre q u ’à
195
UNE CULTURE RAYONNANTE
I. Farida Gad al-H aqq, « L’image de l’Égyptien dans la presse française d ’Égypte
(1882-1898) », in Images d ’Égypte, Le Caire, CEDEI, 1992.
197
UNE CULTURE RAYONNANTE
198
L ’ÉGYPTIEN, CE GRAND ENFANT
L'équipement du touriste
Tout récit de voyage en Égypte com m ence inévitablem ent par les
mêmes images de bruit et de chaos lors du débarquem ent à Alexandrie.
Un Français, M ontbard, passager du vapeur Saïd dans les années 1890,
ne manque pas de sacrifier au rite : « Une barque accoste, un pilote monte
à bord. Encore quelques tours d ’hélice et le Saïd, franchissant les passes
difficiles de l’entrée du port, jette l’ancre au m ilieu d ’une nuée d ’em bar
199
UNE CULTURE RAYONNANTE
200
L ’ÉGYPTIEN, CE GRAND ENFANT
A l’école française
203
UNE CULTURE RAYONNANTE
204
A L ’ÉCOLE FRANÇAISE
205
UNE CULTURE RAYONNANTE
La langue française est dom inante aux tribunaux m ixtes, dans les p lai
doiries comme dans les documents officiels. Seul l’italien lui fait concur
rence, m ais la France possède un avantage décisif sur l ’Italie : le co d e
adopté en 1875 par cette juridiction prestigieuse n ’est autre q u e le
Code Napoléon, un peu sim plifié et adapté à l ’Égypte.
« L’influence française s'en est trouvée centuplée, commente Jacques
d ’Aum ale qui a représenté la France au Caire entre les deux g u erres.
Les codes français, les manuels de droit français, les Cirey, les C lunet, les
Dalloz devinrent les instrum ents de travail de tous les juristes, rendant
indispensable la connaissance du français... Les contrats, en prévision de
procès toujours possibles, furent rédigés en français, les plaidoiries qui,
théoriquem ent, pouvaient avoir lieu en arabe ou dans la langue du ju g e,
arrivèrent peu à peu à n ’être faites q u ’en français; un avocat ten an t à
gagner sa cause ne se serait pas risqué à plaider autrement qu’en français.
La langue française, la pensée française, le droit français dom inaient6. »
Les tribunaux m ixtes offrent des em plois à des m agistrats e t des
avocats, m ais aussi à des greffiers, des huissiers, des secrétaires... L eurs
pourvoyeurs naturels sont les écoles françaises, qui trouvent là un facteur
supplém entaire de développem ent. Les diplômés des frères et des jésuites
ont le choix entre l’École khédiviale de droit (à direction anglaise, m ais
avec une section française) et l’École française de droit, créée en 1890 et
qui attire un nom bre croissant de candidats. Dans le prem ier étab lisse
m ent, les étudiants de la section anglaise doivent suivre... des cours de
français pour être en m esure d ’accéder à d ’indispensables m anuels
de droit. Dans le second, les exam ens ont lieu en France. Le directeur,
Pélissié du Rausas, barbiche à la H enri IV, emm ène chaque é té ses
étudiants à Paris, leur offrant en prim e la revue du 14 Juillet d ans les
tribunes de Longcham p...
206
A L ’ÉCOLE FRANÇAISE
207
UNE CULTURE RAYONNANTE
Français, bien sûr, e t d ’autres Européens, m ais aussi une forte proportion
d ’Égyptiens e t beaucoup d ’O rientaux originaires de Syrie. Les catholiques
représentent une bonne m oitié des effectifs. Aux m usulm ans, aux ju ifs et
aux rares protestants s ’ajoutent de nom breux orthodoxes, de rite co p te ou
grec, qualifiés de « schism atiques » par les dirigeants de ces écoles.
R eligieux et religieuses ne se privent pas d ’enseigner la foi e t la m orale
catholiques à tous les enfants qui leur sont confiés. Les fam illes ne peu
vent pas l ’ignorer. Parfois elles se rebellent, com m e ces parents ju ifs qui
retiren t avec fracas leurs enfants du collège des jésu ites d ’A lex an d rie,
en 1891, parce q u ’on les contraint d ’assister aux offices, sans les autoriser
à sortir pour leurs propres fêtes religieuses. C ela fait un petit scandale,
m ais on est à A lexandrie, où la com m unauté ju iv e a beaucoup d e poids.
Le co llèg e S aint-F rançois-X avier, qui dispense une cu ltu re c lassiq u e,
fin ira d ’ailleu rs p ar ferm er ses portes en 1919, n ’étan t pas ad ap té aux
besoins sociaux e t professionnels de cette ville très cosm opolite 9.
C e n ’est q u ’après la Prem ière G uerre m ondiale q u ’on com m ence
à faire des d istin ctio n s en tre ch rétien s, m usulm ans e t ju ifs. L es frères
dispensent alors « deux sortes d ’instruction religieuse » : l ’une, « p arti
cu lière », réservée aux seuls catholiques, dans le but « d ’ex h o rter à la
fréquentation des sacrem ents, de prém unir contre certaines in fluences,
de stim uler l ’esp rit d ’apostolat » ; l ’autre, « plus générale », d estin ée à
l ’ensem ble des élèves. Les interrogations ne s ’adressent q u ’aux chrétiens.
L es au tres sont exem pts de l ’étude e t de la récitatio n du catéch ism e.
Tout cela dans « le respect le plus absolu du sanctuaire des jeu n es âm es »,
sur lesquelles « nulle pression n ’est exercée » l0.
Il n ’est pas question de faire du prosélytism e en direction des m usul
m ans. Les religieux français espèrent seulem ent « les im prégner d ’esp rit
chrétien ». Très peu de conversions, d ’ailleurs, sont enregistrées, e t le plus
souvent en cachette. C e n ’est pas vrai pour les ju ifs, avec qui on prend
m oins de gants. Q uant aux « schism atiques », ces chrétiens égarés, leu r
« retour vers la vraie foi » est clairem ent visé. En 1925, dans le B ulletin
des écoles chrétiennes, édité en France, on peut lire au chapitre « Égypte » :
« D u collège de la Sainte-Fam ille à H éliopolis (près du C aire) : dans le
courant de l ’année, un élève de la deuxièm e classe a abjuré le schism e
copte ; son plus jeune frère le suivra dans cette voie dès q u ’on le ju g era
suffisam m ent in stru it... Du collège du Sacré-C œ ur à M oharrem -bey (fau
bourg d ’A lexandrie) : en novem bre 1924, un bon jeune hom m e copte de
la prem ière classe faisait son abjuration. Le 20 décem bre, c ’était le tour
d ’un jeune schism atique grec. O h ! la jo ie des ouvriers évangéliques, en
voyant ainsi leurs travaux couronnés par la grâce !» U est précisé parfois
que ces conversions ont eu lieu avec l ’assentim ent des fam illes. A utant
dire que ce n ’est pas toujours le c a s...
208
A L'ÉC O LE FRANÇAISE
L e khédive Ism aïl a fav o risé l ’in stallatio n de plusieurs écoles fran
çaises. Ses successeurs ne m anquent pas de soutenir ces établissem ents,
en s ’y rendant régulièrem ent. En 1921, le sultan Fouad (qui deviendra roi
q uelques m ois plus tard, lors de la proclam ation de l'indépendance for
m elle de l'É gypte) fait ainsi la tournée des écoles étrangères d'A lexandrie.
A vec une pointe d ’hum our, le consul de France câble au Q uai d 'O rsay :
« L e sultan fait de son m ieux pour acquérir une certaine p o p u larité... 11 a
su se faire applaudir par les enfants. E t, com m e il était accom pagné par
to u t d ’un ciném atographe, il se fait ap p lau d ir m aintenant su r l'é c ra n .
D ans leu r petite harangue, les élèves des sœ urs l'o n t com paré à C harle
m agne, ainsi q u ’il fallait s 'y attendre, et il s'e n est m ontré sa tisfait... U va
san s dire que le spectacle qui lui a été offert était soigneusem ent préparé
e t to u t à fait artificiel. Le sultan s ’en est m ontré en ch an té... Je suis allé,
b ien entendu, rem ercier le souverain au palais après l ’avoir reçu sept fois
en huit jo u rs au seuil des divers établissem ents français n. »
L es grandes fam illes m usulm anes envoient v o lontiers leurs enfants
chez les religieuses, chez les frères des Écoles chrétiennes ou au collège
des jésu ites du C aire, dont l'ex cellence est unanim em ent reconnue. Visi
ta n t cet établissem ent en m ai 1916, le sultan H ussein, prédécesseur de
Fouad, est entouré de deux de ses gendres, anciens élèves, le prince Ism aïl
D aoud, son aide de cam p, et M ahm oud Fakhry bey, son prem ier cham bel
lan . « Voilà deux fruits de vos écoles, d it-il aux jésu ites devant tout le
co llèg e réuni. Q ue D ieu bénisse vos écoles et leurs fruits. » Les frères,
eu x , ont la fierté de com pter parm i leurs prem iers bacheliers deux futurs
présidents du C onseil, Ism aïl Sedki e t Tewfik N essim .
C hez les jésu ites, toutes les m atières s ’enseignent en français dans ces
années-là. Pourtant, les cours d ’arabe, dispensés par des religieux syriens,
sont d ’un niveau supérieur à ceux de bien des écoles égyptiennes. O n ne
peut pas en dire de m êm e des pensionnats de jeunes filles, où l ’arabe reste
une langue étrangère, et parfois ignorée. Il existe généralem ent deux sec
tio n s, l ’une préparant au baccalauréat français, l ’autre au baccalauréat
ég y p tien . M ais, ju sq u 'a u x années 1930, il est possible de p asser en
français les épreuves égyptiennes en m athém atiques, sciences naturelles,
histoire ou géographie.
Au début du siècle, lord Crom er tente de faire ouvrir une section anglaise
chez les jésuites. Il se heurte à un mur. Les pères se contentent d ’am éliorer
l ’enseignem ent de la langue de Shakespeare, à la dem ande des fam illes,
m ais rien de plus. La C om pagnie de Jésus est peut-être universelle, m ais
le collège du C aire restera français !1
209
UNE CULTURE RAYONNANTE
U n p etit reto u r en arrière s'im pose ici pour com prendre la rivalité
franco-anglaise dans un dom aine hautem ent sym bolique : l’égyptologie.
En novem bre 1880, Paris s ’inquiète de l ’état de santé d ’Auguste M ariette,
qui s ’est brusquem ent aggravé. S ’il m ourait, la direction du Service des
an tiq u ités en Egypte pourrait échapper à la France. Le risque est réel,
m êm e si l’on cherche à se persuader que la géniale découverte de Cham-
pollion a définitivem ent fait de l ’égyptologie « une science française ».
L ’A ngleterre peut revendiquer le poste, avec une certaine légitim ité,
puisque des savants com m e Birch ou W ilkinson ont fait avancer cette
science par des travaux essentiels. L’Allem agne, quant à elle, ne compte
pas seulem ent l’ém inent Karl Richard Lepsius, dont l’œuvre est fonda
m entale, m ais Heinrich Brugsch, qui a dirigé la prem ière école d ’égypto-
logie au C aire et dont le frère Em ile travaille avec M ariette. Brugsch
passe pour un candidat d ’autant plus redoutable que la position internatio
nale de son pays s ’est beaucoup renforcée.
A P aris, l ’hom me de la situation sem ble être G aston M aspero, un
b rillan t égyptologue de trente-quatre ans, qui enseigne au C ollège de
France. Ce fris d ’ém igrés politiques italiens a m ontré très tôt des dons
exceptionnels. Lauréat du Concours général à treize ans, entré à l ’École
norm ale supérieure, il a appris l’égyptologie seul, en étudiant les stèles
du Louvre et les inscriptions de l ’obélisque de la Concorde On l’a vu tra
duire en huit jours, de m anière parfaite, un texte découvert par M ariette,
provoquant l'adm iration du directeur des Antiquités.
U n enseignem ent à l ’École des hautes études est confié à cet auto
didacte par un grand égyptologue, Emmanuel de Rougé, considéré comme
le continuateur de Cham pollion. M aspero apprend beaucoup à son
contact. Et, à la m ort de Rougé, en 1872, c ’est à lui q u ’on songe pour
occuper la chaire d ’égyptologie au Collège de France. M ais, comme il est
un peu jeune, on décide de ne lui donner pendant deux ans qu’un titre de
chargé de cours.1
211
UNE CULTURE RAYONNANTE
212
MASPERO SUR LE TERRAIN
213
UNE CULTURE RAYONNANTE
La France possède donc, au début des années 1880, une position excep
tionnelle dans l ’égyptologie, avec deux leviers im portants : l ’É cole du
C aire e t la D irection des antiquités. M aspero abandonne la prem ière à un
com patriote, Eugène L efébure, pour se consacrer à la seconde.
D epuis son arrivée en Égypte, il a le souci de faire parler les pyram ides,
dont mi vient seulem ent de découvrir q u ’elles ne sont pas toutes m uettes.
Il en explore successivem ent cin q , dans le sud de S aqqara : les cin q
contiennent des textes gravés, sur les m urs de leurs cham bres intérieures.
M aspero, aidé de Brugsch et de plusieurs collègues, va analyser et publier
ces textes, qui en disent long sur les rites funéraires de l ’A ncien E m pire.
C e seul travail, extrêm em ent précieux pour les chercheurs, aurait suffi à
assurer sa notoriété.
Sa deuxièm e tâche en tant que m aam our des A ntiquités est de dém as
q u er des p illeu rs qui sévissent en H aute-É gypte. O n co n state en e ffe t
depuis quelque tem ps l ’ap p arition, sur le m arché européen, de p ièces
funéraires portant le nom de Pinedjem Ier, grand prêtre d ’A m on, alors que
n ’ont été trouvées ni sa tom be ni celles de sa lignée. Les soupçons se por
tent sur deux frères du village de G oum a, en face de Louxor. M aspero fait
arrêter l ’un, et l ’autre révèle le pot aux roses : dans la falaise surplom bant
le tem ple de H atchepsout, égyptologues et policiers, m édusés, découvrent
une tom be de cent m ètres de long contenant de fabuleux tréso rs. C es
sarcophages entassés contiennent les corps des pharaons les plus illustres
du N ouvel Em pire ! Les égyptologues se livreront à des recherches pas-
214
MASPERO SUR LE TERRAIN
sioim ées pour com prendre pourquoi de tels restes, cachés dans la falaise,
n ’o ccupent pas les tom bes correspondantes, aménagées dans la vallée des
R ois. U n form idable polar, vieux de trois m ille ans, se dégage peu à
p e u 6. . . O n m ettra plusieurs années à inventorier ces trésors au m usée
de B oulaq. Ce n ’est q u ’en 1886 que ces m omies seront dém aillotées, en
p résen ce du khédive Tewfik, pour être étudiées.
M aspero poursuit les fouilles de M ariette dans les tem ples d ’Edfou et
A bydos. U ouvre de nouveaux chantiers, fait déblayer le sphinx de G uiza
g râce à une souscription internationale, réorganise le m usée de Boulaq,
p u b lie diverses études, dont les Contes populaires de l ’Égypte ancienne.
E n 1886, il repart poursuivre ses travaux interrom pus en France, après
av o ir cédé la Direction des antiquités à son com patriote Eugène Grébaut.
C elui-ci va subir la prem ière offensive britannique pour prendre pied dans
ce secteur très convoité.
E n cette fin de siècle, l ’égyptologie représente « le lieu culturel par
excellence » et peut fournir à l ’adm inistration anglaise « des élém ents de
légitim ation inappréciables » 7. Com m ent s ’incruster dans ce fief fran
çais ? En créant deux directions au lieu d ’une, les deux ne pouvant évi
dem m ent revenir à la France. C ’est donc un projet de réorganisation du
Service des antiquités qui est avancé en 1890, avec de bons argum ents :
cette institution est trop lourde, elle m élange le travail scientifique et la
gestion. Or, ses activités devraient être encore développées : ne faudrait-il
pas doter le musée du Caire d ’une bibliothèque, d ’un catalogue et d ’un
in v en taire? M ieux s ’occuper des touristes, dont le nom bre augm ente?
M ieux lutter contre les déprédations et les exportations illégales d ’objets
anciens?
L a France s ’oppose à ce projet, ne voulant y voir q u ’une volonté de
l’affaiblir. D ’autres suggestions anglaises - comme la création d ’un sous-
secrétariat aux Beaux-Arts, qui serait confié à l ’Allem and Brugsch - sont
repoussées avec la même véhém ence. Des journaux britanniques, Times
en tête, se déchaînent alors contre l ’incurie des fonctionnaires français des
A ntiquités. Grébaut, qui n 'e st pas de taille à affronter une telle tem pête,
fin it p ar rendre son tablier, en 1892. Son successeur, Jacques de Morgan,
un spécialiste de la Ferse antique, réussit à calm er le jeu pendant ses cinq
années de m andat. Mais Victor Loret, qui vient après lui, manque de sou
plesse. 11 est publiquem ent hum ilié en mai 1898 lorsque le sous-secrétaire
d ’É tat britannique l’oblige à réexpédier à Louxor des momies q u ’il venait
de faire transporter à G uiza...
Le représentant de la France en Égypte réclam e de toute urgence un
nouveau directeur des A ntiquités. Il en fait même le portrait : ce devrait
ê tre « un esprit souple et conciliant », un connaisseur de l ’O rient, si
215
CSE CULTURE RAYOSSANTE
%. Ibid.
9. Maurice Croiser, « Un grand égyptologue français », in Revue des Deux Mondes.
13 août 1916.
216
MASPERO SUR LE TERRAIN
217
UNE CULTURE RAYONNANTE
Un savant polyvalent
11. Henri Cordier, Bibliographie des œuvres de Gaston M aspero. Paris, Geuthner,
1922.
218
MASPERO SUR LE TERRAIN
m ag istrale sa thèse sur T ait égyptien : à savoir que les pharaons, contrai
rem en t aux G recs, ne recherchaient pas une beauté idéale, m ais visaient
r u tile e t la durée.
C e grand savant s ’éteint le 30 ju in 1916, en pleine séance de l’A cadém ie,
ap rès av o ir été très affecté par la m ort d ’un de ses fils, Jean, un papyrologue
d e ta le n t, tué dans les com bats en A rgonne. Son aîné, H enri, sinologue
ém in en t, sera déporté par les A llem ands à Buchenw ald, où il succom bera
en 1945. Dix ans plus tard, son petit-fils François, écrivain et m ilitant de
g auche, contribuera à faire connaître le nom de M aspero en créant à Paris
une m aison d ’édition et une librairie.
5
221
UNE CULTURE RAYONNANTE
Ayant installé leur collège, et ce petit sém inaire qui en est devenu une
annexe, les jésuites peuvent partir en 1887 conquérir le sud de l ’Égypte.
Us choisissent de s'im planter à M inia, une viUe distante de 240 kilom ètres
du Caire, qu’un train poussif atteint après dix-sept heures de voyage. Le
père Joseph Autefage ouvre cette m ission, accom pagné d ’un frère m aro
nite, avant d ’être rejoint par plusieurs religieuses syriennes. M inia com pte
alors 16000 habitants, dont 300 0 à 4 0 0 0 coptes orthodoxes, quelques
centaines de protestants et à peine 200 catholiques. La prem ière initiative
des m issionnaires est d ’ouvrir une école pour filles. « Q uatre m ois plus
tard, les religieuses avaient 108 élèves, et l ’école protestante é ta it fer
mée. »
L ’objectif est clair : il s ’agit de convertir les orthodoxes au catholi
cism e, en les « sauvant du péril protestant ». C ar diverses « sectes » pro
testantes sont déjà à l’œ uvre en M oyenne-Égypte, avec des budgets
importants. Elles « répandent à profusion des brochures et des tracts fort
bien rédigés et très pernicieux ». Armés d ’une grosse caisse et de divers
instrum ents de m usique, ces « adversaires » se postent devant l ’école des
sœurs pour en détourner les élèves et les attirer vers un nouvel établisse
ment.
Les protestants ont, à M inia, deux écoles de garçons. Dans cette guerre
de com m unication, les jésuites ne se privent pas de dénoncer leurs
m éthodes. « Un des professeurs, protestant fanatique, enseigne l’anglais
et surtout le protestantism e à ces malheureux enfants. Tous les dim anches,
m atin et soir, ceux-ci doivent assister à ses prêches faits à l’école. M al
heur à celui qui va entendre la m esse au lieu d ’aller au prêche ! Le lende
m ain, un rude fa la q (quarante coups de bâton sur la plante des pieds) lui
apprendra à connaître pratiquem ent la douceur évangélique du piédicant,
et lui donnera une idée bien sentie de la tolérance protestante3. »
Arrivés plus tôt, les protestants ont vingt ans d ’avance sur les jésuites.
Ceux-ci comm encent par se désoler de leur retard, puis s ’aperçoivent que
ces adversaires, finalem ent, leur ont facilité la tâche, en ouvrant la voie :
« Il était inouï autrefois qu’un copte abandonnât son Église : on ne soup-
222
EN MISSION CHEZ LES SCHISMATIQUES
4. Ibid.
5. Cité par le père Victor Chevrcy s.j.. dans son « Rapport sur la mission de la Compa
gnie de Jésus en Haute-Égypte », Minia, 1925.
6. Père André de La Boissière s.j., Les Missions de la Compagnie de Jésus en Egypte.
1925.
223
UNE CULTURE RAYONNANTE
créent deux congrégations religieuses, une pour les hom m es, l ’autre p o u r
les fem m es, n s m ettent aussi leurs talents au service de la liturgie c o p te .
Le père Joseph B lin, qui vient à M inia pour travailler à la notation m u si
cale des chants, est contraint, au début, de dem ander l ’aide d e ... l ’é v ê q u e
« schism atique ». Les chantres coptes sont généralem ent des aveugles q u i
ont été form és dès l ’enfance pour gagner leur vie. L ’un de ces a v eu g les
chante tous les jo u rs devant le père B lin, qui prend des notes. C e tra v a il
sera term iné dix ans plus tard par un autre m em bre de la C om pagnie de
Jésus.
Le choléra, cadeau du d el
224
Vue des travaux du canal de Suez à travers le seuil d ’El-Guisr. Lithographie de Riou
(Paris, Compagnie de Suez).
L’impératrice Eugénie visitant les pyramides. Tableau de Théodore Frère (Londres, Christie's).
La statue de Ferdinand de Lesseps, réalisée par Frémiet, domine
rentrée du canal de Suez à Port-Saïd. Elle sera déboulonnée en 1956.
^'pO'Ù/vxX*
U.
3 * i. J»«*»--
Protégés et amoureux
L es Français d ’Égypte p erd ait du terrain par rapport aux autres colo
nies européennes. En 1882, avant l ’occupation britannique, on les esti
m ait à 15000, ce qui les m ettait derrière les Italiens (18 000), loin derrière
les G recs (37000), m ais devant les Anglais (6000). Trente-cinq ans plus
tard, en 1917, ils sont bons derniers (21000), derrière les Grecs (56000),
les Italiens (50000) et les Anglais (24000). Leur rayonnement culturel est
pourtant sans commune m esure avec celui des trois autres nations réunies,
e t cela ne fera que s ’accentuer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
L a présence en Égypte d ’autres francophones - Belges et Suisses -
l ’explique pour une part, m algré leur faible nombre. Les Belges, en parti
culier, sont très actifs. On com pte parm i eux des m agistrats des tribunaux
m ixtes, des ingénieurs, des architectes, des religieux, des banquiers...
L a C onstitution égyptienne porte leur m arque. L’un d ’eux, Jaquet, au
m inistère des Affaires étrangères, form era quelques brillants diplom ates
égyptiens, surnommés « les Jaquet boys », parmi lesquels Boutros Boutros-
G hali, le futur secrétaire général de l’ONU.
C ’est un Belge, le baron Édouard Em pain, qui crée, dans les années
1900, en plein désert, à une dizaine de kilom ètres au nord-est du Caire,
une ville étonnante, appelée à un grand avenir : Héliopolis. Son architec
ture, m élange d ’O rient et d ’Occident, est unique au monde. Ses m aisons
aux terrasses de (M etre sont adaptées au clim at ; une végétation luxuriante
borde ses larges avenues. Cette ville-jardin s ’offre une basilique latine,
m odèle réduit de l ’église Sainte-Sophie de C onstantinople, et l ’hôtel
le plus m ajestueux du Proche-O rient, l ’H éliopolis Palace (aujourd’hui
siège de la présidence de la R épublique). Le tram way, surnom m é
« m étro », qui la relie à la capitale a perm is à Empain de réussir son pari.
H éliopolis naît francophone : si elle possède un sporting club à l ’anglaise,
les enseignes de ses m agasins sont souvent en français. Elle attire une
bourgeoisie occidentalisée qui, sans être européenne, adopte un mode de
vie européen. On parle d ’un « style héliopolitain »1
1. Robert llbert. Héliopolis 1905*1922. Genèse 4*une ville. Paris, CNRS, 1981.
227
UNE CULTURE RAYONNANTE
2. Maurice Banès, Une enquête aux pays du Levant, Paris, Plon, 1922.
3. Joseph Ascar-Nahas, Égypte et Culture française. Le Caire, cd. de la Société orien
tale de publicité, 1933.
228
PROTÉGÉS ET AMOUREUX
229
UNE CULTURE RAYONNANTE
ë
Suarès). Certains notables gravitent dans les rangs du pouvoir, com m e
Joseph Cattaoui pacha, président de la communauté du Caire, qui devient,
en 1925, m inistre des Finances puis des Com m unications. C ette bour
geoisie parle français, vit et pense en français, alors que beaucoup de ju ifs
des m ilieux populaires ne connaissent que l'arabe, ou la langue de leu r
pays d'origine. Et cela occasionne parfois de vifs conflits.
La comm unauté compte plusieurs publications en français, com m e L a
Voix ju ive ou Israël. Certaines de ses écoles - celles de la Fondation d e
M enasce, par exem ple - assurent un enseignem ent français ju sq u 'a u
brevet. Fait unique : la langue française se porte si bien que l’A lliance
israélite, implantée en Égypte pour la propager, se retire en 1923, estim ant
sa m ission term inée 5.
Des m usulm ans et des coptes font partie de cette aire francophone,
même s'ils m anient parfaitem ent l'arabe. C ’est le cas de Hoda C haaraoui,
pionnière du féminisme en Égypte, qui choisit de publier L'Égyptienne en
français. Dans le prem ier num éro, en février 1925, elle explique : « En
fondant cette revue dans une langue qui n 'e st pas la nôtre, m ais qui en
Égypte comme ailleurs est parlée par toute l'élite, notre but est double :
faire connaître à l'étranger la femme égyptienne, telle q u 'elle est de nos
jours - quitte à lui enlever tout le m ystère et le charm e que sa réclusion
passée lui prêtait aux yeux des O ccidentaux - et éclairer l ’opinion
publique européenne sur le véritable état politique et social de l’Égypte. »
Langue des m inorités, le français est aussi une langue cosm opolite,
perm ettant à des m em bres de com m unautés différentes, ne possédant
pas bien l'arabe, de com m uniquer entre elles. C 'est vrai, en particulier,
à Alexandrie, où l'o n se définit autant par l ’appartenance à sa « colonie »
q u ’à sa religion. C ette ville a inscrit sa diversité dans les nom s de ses
plages et de ses stations de tram w ay - nom s arabes, italiens, anglais,
grecs, allem ands ou français : B acos, Bulkeley, Chatby, C leopatra,
G lym enopoulo, L aurent, M azarita, M azloum , Schutz, Stanley, Sidi
Bichr, V ictoria, Z izin ia... Sur 400000 habitants en 1907. A lexandrie
com pte 26000 Grecs, 16000 Italiens, près de 9 000 A nglais et quelque
640 0 Français, auxquels s ’ajoutent de nombreux francophones d ’autres
groupes sociaux (m usulmans, coptes, juifs, Arm éniens, S yriens...).
Robert Ilbert a finem ent analysé la structure de cette société, qui n ’a
rien d 'u n m elting-pot6. Chaque colonie (d ’origine nationale) ou com m u
nauté (définissant une appartenance religieuse) - l'u n e et l'au tre étant
5. Histoire des juifs du Nil. sous la direction de Jacques Hassoun, 2*éd.. Paris, Minerve.
1990
6. Roben Oben, Alexaudrie. 1830-1930. Le Caire. IFAO, 1996.
230
PROTÉGÉS ET AMOUREUX
231
UNE CULTURE RAYONNANTE
232
PROTÉGÉS ET AMOUREUX
d 'au teu r, seuls des ouvrages scientifiques étant édités par des associations
prestigieuses com m e la Société royale de géographie.
L es écrivains qui se retrouvent dans les salons littéraires ont parfois
com m encé à com poser en arabe, comme le poète Ahmed Rassim. D ’autres
s ’exprim ent aussi bien en fiançais qu’en italien, comme Giuseppe Unga
re tti e t A gostino Sinadino, ou en fiançais et en arm énien, comme Arsène
Y ergath, alias C hem lian... C avafis, l ’un des plus grands, com pose en
g rec, m ais il fait partie de ce vaste club cosm opolite où l’on peut croiser
la m ystérieuse Valentine de Saint-Point, petite-nièce de Lam artine, venue
en Égypte en 1924 pour n ’en plus repartir et y publier dix ans plus tard La
C aravane des chim ères, après avoir fondé la revue Le Phoenix. ..
D es Français prennent, en effet, une part notable à cette activité litté
raire. Us en sont parfois les inspirateurs, comme Henri Thuile, né en 1885,
arriv é en É gypte à l ’âge de dix ans. C et élève des frères décroche un
diplôm e d ’ingénieur, qui lui donne un poste à l’adm inistration des ports et
phares d ’A lexandrie. A près la m ort de sa fem m e, il se retire dans une
m aison au bord de la mer, près du village du Mex. C ’est là q u ’il compose
ses poèm es et reçoit tout ce que la ville com pte d ’artistes. Un jeune poète
d ’alors, G aston Zananiri, décrit l ’immense bibliothèque et la véranda cir
culaire de cette « vaste demeure d ’aspect vétuste, solitaire, dans un cadre
désolé et pierreux [qui] contrastait étrangem ent avec la lum inosité du ciel
e t de la m er8 ».
« L ’erm ite du Mex » est considéré comme le chef de file d ’une géné
ration de poètes francophones d ’Égypte. Quelques-uns font l ’erreur de
s ’inspirer de forêts enneigées et de m arquises poudrées. Ce n ’est pas le
cas de M ohammed Khairy dont les Rêves évanescents sont bien ancrés
dans le paysage local, au risque de paraître exotiques :
233
UNE CULTURE RAYONNANTE
Le petit Paris
235
UNE CULTURE RAYONNANTE
curieuse dem eure au Caire, ayant appartenu au khédive Ism aïl. Portes,
lustres, vitraux, tapis et autres objets précieux y ont été prélevés dans des
palais, des m osquées ou chez de sim ples particuliers, à l'in itiativ e d 'u n
Français, le comte de Saint-M aurice, alors grand écuyer du vice-roi. Cet
incroyable bric-à-brac ne m anque pas de pittoresque. Quant au caractère
fonctionnel... « Dans les bureaux, installés au rez-de-chaussée à la place
des cuisines et du hammam, il faisait frais en é té ; m ais en hiver nous y
attrapions des rhum atism es2... »
2. Ibid.
3. Delphine Gérard, « Le choix culturel de la France en Égypte », in Égypte-Monde
arabe. CEDEJ, n®* 27-28,3* et 4* trimestres 1996.
4. Ministère des Affaires étrangères, « Alexandrie, 29 octobre 1923 », série K-Afrique.
1818-1940, sous-série Égypte, vol. 33.
236
LE PETIT PARIS
p a rla n t que le français, « c ’est le second qui serait adm is à coup sûr ».
D ’ailleu rs, quiconque écrit une lettre en arabe à cette banque reçoit la
rép o n se en français.
L ’Égypte indépendante a donc un roi (Fouad 1°), un nouveau drapeau
(v e rt avec un croissant blanc et trois étoiles) et un « m inistre » à Paris,
F akhry pacha, gendre du souverain, qui occupera le poste d ’am bassadeur
e n France ju sq u ’à la Seconde Guerre m ondiale. Paris adopte très vite ce
p rin ce occidentalisé, élevé chez les jésuites, qui commande à la M anufac
tu re de Sèvres de somptueux services de table « égyptiens ».
En 1927, Fouad Ier effectue une visite officielle en France. Il s’y sent
presque aussi à l ’aise que son père, Ismail le M agnifique. Le roi s ’exprime
très bien en français, avec un léger accent italien, contracté lors de ses
étu d es à l ’académ ie m ilitaire de Tùrin. Il a l ’habitude de m anier cette
langue quotidiennem ent. Au Caire, tous les contrats conclus par le gou
vernem ent avec les entreprises et sociétés, même anglaises, sont rédigés
en français. L’adm inistration de la statistique publie son rapport annuel
en français. Les douanes et les postes égyptiennes correspondent avec
leurs interlocuteurs en français. L’Institut d ’Égypte, la Société royale de
géographie et le conseil municipal d ’Alexandrie délibèrent en français. Le
C onseil des m inistres lui-m êm e dresse ses procès-verbaux en français...
Q uant à la reine N azli, ancienne élève des religieuses, c'est évidemm ent
en fiançais q u ’elle s ’adresse à M"* Cattaoui pacha, membre de la haute
bourgeoisie juive, très présente au palais. Et lorsque le roi décide de
financer une histoire de la nation égyptienne, c ’est naturellem ent à un
Français q u ’il s’adresse : Gabriel Hanotaux, ancien m inistre des Affaires
étrangères, dirigera cette œuvre en plusieurs volumes.
Avant d ’être nommé ambassadeur à Paris, Fakhry pacha présidait l’ami
cale des anciens élèves des jésuites. C elle-ci, qui n ’a nulle intention de
s’encanailler après son départ, le remplace par un homme du même rang,
Saïd Zoulfikar pacha, le grand chambellan du roi. Les thés, les banquets et
les soirées de gala de l’amicale contribuent à faire du Caire un petit Paris.
« Notre groupement, m essieurs, est l’un des plus beaux de l’Égypte », peut
lancer Zoulfikar à la réunion du 24 mai 1924, tandis que le père de Mar-
tim prey, recteur, présente les excuses de plusieurs membres, « retenus aux
débats de la Cham bre par leurs im portantes fonctions ». Au printem ps
suivant, l ’am icale donne son gala de charité annuel au théâtre royal de
l’O péra. On y joue Aida, bien entendu, une œ uvre que les m ondains
du Caire se voient im poser une demi-douzaine de fois pendant la saison.
C haque année, à l ’occasion de l ’anniversaire du roi, le père recteur
adresse un télégram m e au palais, au nom du collège et de l ’am icale,
et c ’est Zoulfikar qui répond, au nom de « Son Auguste souverain ». En
1929, c ’est au tour du roi - donc de Z oulfikar - d ’adresser ses vœux
au collège de la Sainte-Fam ille, qui fête son cinquantenaire. Pour
cette semaine de festivités, on a hissé aux m âts du collège les drapeaux
français, égyptien et pontifical. Un salut solennel d ’action de grâces est
237
UNE CULTURE RAYONNANTE
5. Gabriel Dardaud, Trente Ans au bord du Nil, Paris, Lieu commun, 1987.
238
LE PETIT PARIS
239
UNE CULTURE RAYONNANTE
m ois. Une nouvelle vie m ondaine s ’organise. Il arrive que le C onseil des
m inistres se réunisse à l’hôtel-casino San Stefano, l ’un des hauts lieux des
plaisirs de l’été. Cela n'em pêche pas beaucoup de pachas d ’aller se rafraî
chir plus loin, dans les villes d ’eau d ’Europe. Chacun a ses préférences
et ses habitudes : C arlsbad, Vichy, V ittel... Au retour, ce sera l ’escale
obligée à Paris, pour se fournir en robes, costum es, livres et tableaux.
Les départs sont de véritables fêtes sur le quai d ’Alexandrie, couvert
de fleurs. On vient saluer les am is, un bouquet à la m ain. Égyptiens fortu
nés et Européens se retrouvent à bord de m agnifiques paquebots, qui font
de la traversée un énièm e plaisir estival. Les M essageries m aritim es ont
inauguré le Champollion en 192S et le M ariette pacha l’année suivante.
Les précédents navires desservant cette ligne s’appelaient Sphinx, Louq-
sor ou S inaï. 11 faut croire que les nom s des égyptologues sont désorm ais
encore plus m agiques que l’objet de leurs recherches !
Les décors de ces deux palais flottants ont été conçus entièrem ent à
l’égyptienne : m eubles, tapis, tableaux, boiseries, ferronneries8... D ans le
hall du Champollion, des colonnes en bois aux form es de lotus sont m ar
quetées de m otifs pharaoniques, tandis que, dans la galerie d ’écritu re,
elles supportent des unies éclairantes en albâtre translucide. Des papyrus
stylisés « art-déco » garnissent les grilles en fer forgé autour de l ’ascen
seur. Une grande toile du peintre Jean Lefeuvre représente une scène de
navigation, avec des ram eurs noirs et une princesse éventée p ar des
esclaves nues. Les sièges de la salie à m anger s’inspirent de ceux qui ont
été trouvés dans la tombe de Toutankham on... A elles seules, les affiches
de la compagnie font voyager, avec ce m agnifique paquebot aux chem i
nées fum antes, sur fond de sphinx et de M éditerranée.
C ’est à bord du M ariette pacha qu’arrivent les invités de l’exposition
« Égypte-France », organisée au Caire en 1929. Cette grande m anifesta
tion, réunissant plus d ’un m illier d ’exposants, est m arquée par un défilé
de haute couture, des conférences littéraires, cinquante représentations
ciném atographiques, un concert, un bal et des réceptions à n ’en plus finir.
Le paquebot, arborant le grand pavois, entre pour la prem ière fois dans le
canal de Suez. On accueille à bord les dirigeants de la Com pagnie uni
verselle pour un déjeuner. Le président des M essageries m aritim es,
Georges Philippar, porte un toast : « Nous sommes ici chez vous, puisque
nous sommes dans les eaux du Canal, m ais vous êtes aussi chez nous,
puisque vous êtes à bord de ce paquebot français. »
Chez vous, chez n o u s... On s’y perd. Les Français se sentent si bien
en Égypte que celle-ci finit par être oubliée.
8. Louis-René Vian, Arts décoratifs à bord des paquebots français. 1880-1960. Paris.
Fonmare, 1992.
8
Ceux du Canal
241
UNE CULTURE RAYONNANTE
Le nombre des navires augmente tous les ans. Ce sont des bâtim ents
de plus en plus gros, com ptant désorm ais une bonne proportion de pétro
liers. Pour les accueillir, le Canal ne cesse de s ’am éliorer. A pprofondi,
élargi, il perm et le passage d ’une m er à l ’autre en une quinzaine d ’heures
seulem ent au début des années 1930 : trois fois moins q u ’à l’origine.
Tous les pavillons du monde y sont adm is sans restriction, même en
tem ps de guerre, comme l’a établi la convention de 1888. Cette neutralité
de la voie d ’eau a cependant volé en éclats pendant le prem ier conflit
mondial, quand la Turquie, alliée de l’Allemagne, a envoyé 16 000 soldats
pour tenter de franchir le Canal. Ils ont été repoussés par l ’artillerie
anglaise. On s ’est souvenu alors d ’une autre phrase de Renan, prononcée
à l ’Académ ie française : « L’isthm e coupé devient un détroit, c ’est-à-dire
242
CEUX DU CANAL
243
UNE CU LTU RE RAYO NNANTE
narque parlem entaire qui règne sans gouverner* ». D se rend en Égypte six
sem aines par an. pour faire des relations publiques et entretenir la flam m e
parm i les salariés. C eux-ci. à vrai d ire, n ’on t nulle raison de perdre le
m oral. Ils sont fiers d'appartenir à la Com pagnie et très choyés p ar celle-ci.
Dans les années 1950. près de deux cadres ou em ployés sur tro is sont
français. Les quelques dizaines d ’ingénieurs, sortis des grandes éco les
(Polytechnique. C entrale. Ponts. N avale), ont le sentim ent de faire p artie
d ’un « corps ». p etit, certes, m ais prestigieux. L es em ployés trav aillen t
dans de bonnes conditions : la com ptabilité, p ar exem ple, a bénéficié très
tô t des cartes perforées avec trieuses et tabulatrices.
De m ai à octobre, on ne travaille que de 7 h 30 à 13 heures, en raison de
la chaleur. O utre une participation aux bénéfices, le personnel jouit d ’avan
tages appréciables. O n lui construit des logem ents. Les soins m édicaux sont
gratuits. La Com pagnie subventionne des écoles et des activités récréatives.
Elle accorde des prêts à ses salariés et leur assure une retraite confortable.
M ais tout le m onde n ’est pas logé à la m êm e enseigne : les salaires des
ouvriers égyptiens - supérieurs à ceux qui sont pratiqués en É gypte —
n ’atteignent que la m oitié de ceux de leurs cam arades grecs, italien s ou
austro-hongrois. Jules C harles-R oux, vice-président, le ju stifie « non seu
lem ent par la loi industrielle de l ’offre et de la dem ande, un très grand
nom bre d ’indigènes sollicitant chaque jo u r d ’être occupés par la C om pa
gnie. m ais aussi p ar ce fait que. se trouvant dans leur pays d ’o rigine e t
habitués dès leur enfance à l ’existence frugale que com porte toujours un
clim at chaud, les indigènes n ’ont à dépenser pour leurs frais d ’existence
q u e d es som m es éq u iv alan t, en viron, à la m oitié d es frais d ’ex isten ce
d ’un ouvrier européen de la m êm e profession 45 ».
La Com pagnie est jalouse de son autonom ie, ce qui occasionne quelques
frottem ents avec la légation française du C aire. Les gens du C anal o n t
tendance à vivre en vase clos. Transitant p ar l’isthm e en 1894. L yautey
raconte : « Je suis à côté d ’une jeune fille en rose. qui. née voici dix-huit
ans. m e parle tennis, abonn em ent de m usique et de lecture, com édies d e
salon (c ’est la grande attraction d ’hiver à Ism aïlia): je lui réponds C aire,
où je serai dans cinq heures e t dont je pense q u ’une personne si b ien
inform ée va m e donner quelque avant-goût. M ais, depuis dix-fruit ans. ni
elle, ni sa soeur, ni sa m ère n ’y sont jam ais allées : toute leur Égypte tien t
dans l’abonnem ent de lectu re de P ort-S aïd e t le ten n is d 'Ism aïlia. »
C et isolem ent est sans doute m oins vrai dans l ’enuc-deux-guerres, m ais
l’esprit n ’a pas beaucoup changé.
244
CEUX DU CANAL
245
UNE CU LTU RE RAYONNANTE
C e n ’est pas un fran ç ais m ais un A nglais qui fait, en novem bre 1922
- c e n t an s exactem ent après l ’eurêka de C ham pollion - , la découverte
ég y p to lo g iq u e la plus spectaculaire du XXe siècle. Il s ’appelle H ow ard
C arter. C e fouilleur professionnel arrondit ses fins de m ois en fabriquant
des aquarelles pour touristes. D ans la vallée des R ois, depuis dix ans, il
ch erche désespérém ent des tom bes royales, avec l ’aide financière d ’un
com patriote m écène, lord C am avon. C arter est près d ’abandonner la par
tie quand ses ouvriers dégagent un escalier de seize m arches, conduisant à
une tom be scellée. Il s ’agit de la dernière dem eure d ’un pharaon m ineur
de la XVffl* dynastie, Toutankhamon. C arter câble à Cam avon, qui accourt.
L e 2 6 novem bre, les deux A nglais pénètrent dans l ’anticham bre de la
tom be e t n ’en croient pas leurs yeux : un fabuleux m obilier funéraire est
en treposé là depuis 3 200 ans.
L a nouvelle fait le tour du m onde. D ’innom brables pièces de valeur sont
recueillies pendant quatre années de déblaiem ent. D evant la m om ie royale,
en fin atteinte, c ’est l ’éblouissem ent : tro is sarcophages em boîtés les uns
d an s les autres, un cercueil en o r m assif, sculpté et gravé, ainsi q u ’un
m asque funéraire, égalem ent en o r m assif, incrusté de lapis-lazuli. Au total,
la fabuleuse découverte de Howard C arter perm et de recueillir plus de deux
m ille objets : des colliers, des bagues, des bracelets, des vases, des cannes,
des coffres, des statues, des lits d ’apparat, et m êm e les chars du ro i...
L ’égyptom anie s ’en trouve furieusem ent relancée. « L e s années
T outankham on » sont m arquées p ar toutes sortes de créatio n s, à Paris
en p articu lier, où une nouvelle ligne « égyptienne » de vêtem ents est
présentée au printem ps 1923 par des princes de la haute couture, tandis
q u e C a rtier con ço it un nécessaire de to ilette T outankham on en ém ail
cloisonné, or, ivoire, onyx, saphirs, ém eraudes e t diam ants '.
Si un A nglais a fait la découverte, c ’est un Français, Pierre Lacau, direc
teu r général du Service des antiquités égyptiennes, qui va avoir la tâche
redoutable de la gérer. Treize années de soucis, et parfois de cauchem ar.I.
247
UNE CU LTU RE RAYO NNANTE
2. Gabriel Dardaud, Trente Ans au bord du Nil. Paris. Lieu commun, 1987.
3. Ibid.
248
UN CHANO INE AU X AN TIQ U ITÉS
A l ’époque, la vallée que dom ine Saqqara était noyée par les eaux du
N U une partie de l ’année. L ’ém otion qui a saisi Jean-P hilippe L auer
e n découvrant ce panoram a extraordinaire m érite des guillem ets : « Le
2 décem bre 1926, je prenais l ’express de H aute-Égypte qui me déposait
tre n te kilom ètres au sud du Caire, en gare de Bédrachein, où m ’attendait un
fonctionnaire du Service des antiquités, dignem ent coiffé de son tarbouche.
A p rès m ’avoir aidé à charger m es bagages, m on guide me fit prendre place
à bord d ’un sand car, et ce fut au trot du cheval que nous rejoignîm es Saq
q a ra . A près avoir traversé le m arché de Bédrachein, la voiture du Service
s ’engagea sur un chem in de terre battue qui longeait un vaste étang bordé
d e palm iers où se baignait un troupeau de b u ffles... A u-delà de l ’étang,
la route passait parm i les ruines de M em phis et, pour la prem ière fois,
je v is, étendus à l’om bre des palm iers, les deux m agnifiques colosses de
R am sès D ... Plus loin, la route passait sur un talus au bas duquel, ém er
geant à peine de l ’eau, apparurent les vestiges du grand tem ple de P tah ...
U ne im m ense nappe d ’eau bleutée s ’étendait à perte de vue dans la vallée,
lim itée seulem ent à l ’ouest par le village de Saqqara et sa palm eraie et sur
tout par le souple ruban d ’o r des sables du désert de Libye à la crête duquel
se silhouettaient plusieurs pyram ides, dont la pyram ide à degrés de Djoser.
N ous nous trouvâm es bientôt entourés d ’eau, en plein m ilieu d ’un im m ense
m iro ir réfléchissant, avec des coloris infinim ent nuancés, tout ce qui ém er
g eait de cette onde calm e e t lim pide : palm iers, tam aris et acacias entre les
q u els les barques des pêcheurs ou des passeurs filaient paisiblem ent4... »
L e jeune Lauer, devenu fonctionnaire égyptien, est appelé à seconder
u n A nglais, C ecil F irth. C elu i-ci - un hom m e jo v ia l, aux allu res de
g é an t - h ab ite, avec son épouse e t sa fille, une p etite m aison dans le
d ésert, non loin de la fam euse pyram ide à degrés qui passe pour le plus
v ieu x m onum ent en pierre du m onde. Il cam pe dans cet endroit perdu
p o u r tenter de reconstituer le com plexe funéraire conçu vers 2700 avant
Jésus-C hrist par le fam eux architecte Im hotep. Il accueille avec hum our le
Français e t lui fait construire un m odeste logis à côté du sien. U ne am itié
est née, que rien n ’entam era ju sq u ’à la m ort de Firth, en 1931, (neuve que
l ’Égypte n ’est pas seulem ent un cham p de bataille franco-britannique...
Tandis que des ouvriers déblaient les alentours de la pyram ide, Jean-
P hilippe L auer étudie les fragm ents épars de deux édifices déjà m is au
jo u r. « J ’eus, dès le début, raconte-t-il, conscience de l ’am pleur du travail
que représentait Saqqara. Je m e suis pris au jeu de ce gigantesque puzzle
au p o in t d ’être ’’possédé” . L ’univers s ’é ta it raccourci à un cham p de
ru in es qui hantaient m es jo u rs e t m es n uits. A lors que je recréais une
form e, dès q u ’une ébauche d ’architecture se révélait à m oi, j ’entrais dans
un état d ’exaltation proche du d é lire 5 ! »
4. Jean-Philippe Lauer. Saqqarah. Une vie, entretiens avec Philippe Flandrin, Paris,
Payot, 1992.
5. Claudine Le Tourneur d ’Ison, Une passion égyptienne. Jean-Philippe et Marguerite
Louer, Paris, Plon, 1996.
249
UNE CU LTU RE RAYONNANTE
6. Ibid.
250
UN CHANOINE A U X AN TIQ U ITÉS
251
UNE CU LTU RE RAYO N NANTE
252
UN CHANO INE AU X AN TIQ U ITÉS
10. Ibid.
10
Signe des tem ps : le jeune prince Farouk faisait ses études à Londres
- e t non à Paris -q u a n d il a été rappelé au C aire, au printem ps 1936, pour
su ccéd er à son père décédé. M ais il est parfaitem ent francophone. Il a
m êm e un peu de sang français, puisque N azli, sa m ère, est une arrière-
p e tite-fille de Solim an pacha, l ’ex-colonel S è v e ... U ne p etite h isto ire
court dans les salons : à l ’âge de cinq ans, Farouk, à qui on n ’avait appris
que l ’arabe et l ’anglais, lança à la reine qui bavardait en français avec ses
dam es de com pagnie : « Je com prends tout ce que vous dites !» O n rit
et on lui donna un professeur de français.
L ’histoire est si vraie - ou si belle - que le proviseur du lycée français
du C aire la relate en avril 1939 dans un num éro spécial du Temps consa
cré à l ’Égypte. N um éro qui s ’ouvre d ’ailleurs par un m essage ém ouvant
du jeu n e roi, m is en parallèle avec un texte beaucoup plus banal du pré
sident de la R épublique française, A lbert Lebrun. « C ’est avec une grande
ém otion que je m ’adresse à la France, écrit Farouk. Je voudrais lui dire
que je la connais et que je l ’aim e. Je la connais à travers sa longue et pres
tigieuse histoire, à travers sa littérature et ses arts. J ’aim e ses érudits, ses
paysans, ses artisans. J ’aim e son élégance e t aussi sa sim plicité fam iliale.
J ’aim e son patriotism e et sa générosité. Je l ’aim e dans ses vivants et dans
ses m orts, à travers C ham pollion, M ariette, de L esseps et Solim an pacha.
Je salue la grande nation à laquelle tant et tant de solides liens attachent
m on pays e t m a m aison. » Le roi, âgé de dix-neuf ans, a-t-il com posé lui-
m êm e ce tex te? A la lim ite, cela im porte peu. Les m ots, soigneusem ent
choisis, illustrent un clim at, sinon une intention politique.
D ans le m êm e num éro, les am bassadeurs d ’Égypte à Paris et de France
en Égypte évoquent, l ’un et l ’autre, l ’E xpédition de 1798. Fakhry pacha
associe Bonaparte et M oham m ed A li, qui « tous deux devaient pétrir de
leurs m ains puissantes la terre antique des pharaons, et en faire un É tat
m oderne et prospère ». Pierre de W itasse attribue à l ’Égypte la révélation
du « génie français », affirm ant avec élégance : « N ous lui avons envoyé
B onaparte ; elle nous a rendu N apoléon. »
D ans ces années qui précèdent la Seconde G uerre m ondiale, l ’influence
culturelle française se m anifeste de m anière éclatante à travers la presse.
255
UNE CU LTU RE RAYONNANTE
1. Bruno Ronfard, Taha Hussein. Les cultures en dialogue. Paris, Desciée de Brouwer,
1995.
2. Henri Guillemin, Parcours. Paris, Seuil. 1989.
256
LA FIN D ’ UN M O N D E
257
UNE CU LTU RE RAYONNANTE
2S8
LA FIN D 'U N M ONDE
G aullistes et pétainistes
Si elle bouleverse les Français d ’Égypte, l ’entrée des A llem ands à Paris
en 1940 est vivem ent ressentie par les francophones égyptiens. « C e jour-
là, écrit Fernand L eprette, je puis bien le dire sans céder à un sot m ouve
m ent de com plaisance nationale, toute l ’Égypte partagea notre deuil avec 5
259
UNE CU LTU RE RAYONNANTE
260
LA FIN D ’ UN M ONDE
pacha : il fait rem arquer que la France n ’est pas vraim ent en guerre contre
la G rande-B retagne e t invoque « le s services rendus p ar ce pays à
l ’É gypte e t q u ’il continue à rendre du point de vue culturel, financier et
p o litiq u e ». A ucune m esure n ’est prise contre les intérêts français. Les
gaullistes s ’arrangent avec le gouvernem ent égyptien pour que les institu
tio n s françaises, privées de crédits, puissent bénéficier de fonds bloqués.
L a délégation de la France libre se transform e en consulat, délivrant des
feu illes d ’état civil et des passeports.
L a défaite allem ande d ’El-A lam ein, en octobre 1942, change com plè
tem ent la donne. La guerre s ’éloigne, et l ’Égypte vit dans la perspective
d ’une victoire alliée, tout en profitant grandem ent des activités m ilitaires :
ses u sines to urnent à p lein , les nom breux soldats britanniques font le
b o n h eu r du com m erce. C e sont finalem ent des années très gaies pour
toute une bourgeoisie locale dont les jeunes filles découvrent le charm e
des officiers de Sa G racieuse M ajesté. O n danse beaucoup au C aire à par
tir de 1943. A lexandrie n ’est pas en reste : privés d ’Europe, les riches esti
vants y am énagent des villas. Les après-m idi dansants au M onseigneur
sont aussi courus que les soirées huppées au Sailing.
L es troupes de th éâtre parisien n es ne pouvant plus se produire à
l ’étranger, des francophones égyptiens prennent le relais. C ’est ainsi que
n aît en 1941 L es E scholiers, une com pagnie lancée par quelques am is,
d o n t les deux en fan ts de l ’écriv ain Taha H ussein, M oenis et A m ina.
Il s ’agit de « faire entendre la grande voix de la France en insufflant la
vie aux plus beaux textes de son théâtre », m ais aussi de « prouver que les
jeu n es universitaires égyptiens peuvent m onter par leurs propres m oyens
les pièces les plus représentatives du génie français ». O n com m ence par
É lectre de Jean G iraudoux. De son côté, Étiem ble, qui vit à A lexandrie,
crée Valeurs, une revue de haut niveau, qui connaîtra huit num éros.
L a suppression, en pleine guerre, du fiançais dans les écoles prim aires
ég y p tien n es ne passe pas inaperçue. L es g au llistes publient dans L a
B ourse égyptienne un éditorial vigoureux pour dénoncer 1*« erreur im par
donnable » de croire que la défaite m ilitaire de la France - une défaite
provisoire - rendrait sa langue m oins im portante : « Ne peut se dire véri
tablem ent instruit e t civilisé quiconque ignore le fiançais. »
L es partisans de la France libre s ’offrent une petite jo ie en novem bre
1943, quand R oosevelt et C hurchill se réunissent, sans de G aulle, à l ’hôtel
M ena H ouse, non loin du Sphinx. Au m atin du troisièm e jo u r de la confé
rence, ouvrant leurs volets, les deux chefs d ’É tat ont la surprise de voir
flo tter le drapeau français, frappé de la croix de L orraine, au som m et de la
Pyram ide. Un exploit réalisé dans la nuit par un com m ando anonym e, et
qui le restera...
QUATRIÈM E PARTIE
Divorce et retrouvailles
1
Le Caire brûle-t-il ?
I. Jacques Chastenet, Quatre Fois vingt ans (1893-1973), Paris, Plon, 1974.
265
D IVO RC E E T RETROUVAILLES
266
L E CAIRE B R Û L E -T -IL ?
F ran ce que de seconde m ain. C ontrairem ent à nom ine de leurs aînés, ils
n 'o n t pas subi son influence cu ltu relle, ils ignorent ses coutum es et sa
civ ilisatio n . « M ais le très peu q u ’ils savent de la France et de son histoire
su ffît pour déterm iner leur attitude à l'ég a rd de ce p a y s3. » Ce très peu,
c 'e s t la R évolution française. Paradoxalem ent, « la place d ’honneur que la
F ran ce occupe dans l ’esprit de la jeunesse n 'e st pas due aux efforts des
établissem ents scolaires français », m ais à son passé révolutionnaire.
267
D IVO RC E E T RETROUVAILLES
D ans les collèges des frères e t des jésuites, dans les pensionnats p o u r
filles com m e dans les lycées, on com m ence à se rendre com pte que les
élèves connaissent adm irablem ent C lovis ou Jeanne d ’A rc, m ais ignorent
l'h isto ire d 'É g y p te. Le constat est exact, m êm e si l'o n doit reco n n aître
des efforts, parfois anciens, pour adapter l'enseignem ent au public, sinon
au contexte local. L es frètes des É coles chrétiennes, p ar ex em p le, se
servent depuis longtem ps de m anuels scolaires élaborés e t im prim és su r
place. U n ’en reste pas m oins que beaucoup d 'élèv es - des filles, notam
m ent - continuent à considérer l'arab e com m e une langue étrangère.
En 1949, les tribunaux m ixtes ferm ent leu rs p o rtes, en v ertu d e la
convention de M ontreux. Tous leurs m agistrats - m aigre consolation -
sont décorés de l'o rd re du N il. U ne page se tourne. La dernière séance du
tribunal consulaire a lieu le 14 octobre en présence de la q u asi-to talité
du barreau français. M algré les propos de circonstance, c ’e st une am
biance de deuil. A insi est m is un point final aux C apitulations v ieilles de
q uatre siècles. M . C ouve de M urville ne sera pas dispensé cep en d an t
de m esse consulaire, la France étant toujours considérée com m e la tu trice
des catholiques orientaux.
Le clim at p o litiq u e change, à m esure que le ro i Farouk, n aguère si
séduisant, prend des k ilo s e t som bre dans une quasi-débauche. P o u r
la prem ière fois, il a été conspué à la sentie d ’un ciném a. Ses frasq u es
nocturnes, ses m aîtresses, égyptiennes ou étrangères, ses voitures de sport
rouges qui dévalent les rues du C aire en plein e nuit scan d alisen t ou
in q u ièten t U peut jo u er au poker ju sq u 'au petit m atin. Toutes sortes de
bruits courent sur son com pte, y com pris l'accu satio n de kleptom anie.
A la fin d e l ’été 1950, il voyage incognito en France m ais se fait vite repé
rer avec ses sept C adillac et son avion privé, après avoir loué vingt-cinq
cham bres à l'h ô te l du G o lf de D eauville4...
L es Français d 'É g y p te ne sont pas les seuls à reg retter le roi F o uad,
avec sa m oustache calam istrée un peu ridicule. Os en ten d en t ils lisent des
choses qui auraient été inim aginables dix ou quinze ans plus tô t L e c h e f
des Frères m usulm ans, le cheikh H assan el-B anna, m et en cause la réa li
sation do n t ils sont le plus tie rs : « Tous les m aux de notre p eu p le, sa
déchéance m orale, sa soum ission aux colonisateurs, son oubli des devoirs
relig ieu x so n t venus du canal de Suez », affirm e le guide suprêm e de
ce m ouvem ent intégriste q u 'il a fo n d é... à Ism aïlia en 1929. Selon lu i,
il s ’ag it d ’un « fossé q u i coupe la route des p èlerins d 'A friq u e v e rs
L a M ecque e t a divisé en deux parties la conquête du Prophète et de ses
successeurs », une barrière qui « ju stifie la m ainm ise des étrangers su r
268
LE CAIRE B R Û L E -T -IL ?
5. Cité par Gabriel Dardaud, Trente Ans au bord du Nil, Paris. Lieu commun. 1987.
269
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
271
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
1. Georges Vaucher, Gamal Abdel Nasser et son équipe. Paris, Julliard, 1959,1.1.
2. Irène Fénoglio, « Réforme sociale et usage des langues », in Entre réforme sociale et
mouvement national. Le Caire, CEDE), 1995.
272
UNE RÉVO LU TIO N E N ARABE
273
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
lycée ferm e toujours l ’après-m idi, le G uézira Sporting C lub est toujours
un enchantem ent, e t Ton va danser le soir, dans le sable, près d es Pyra
m ides, une lam pe à la m ain. P ar m om ents, un op érateu r m y stérieu x
déclenche un éclair de m agnésium : le Sphinx surgit alors dans la nuit,
tout b le u ... « J ’avais le sentim ent de vacances perpétuelles », se souvient
une Française, D om inique M iollan, en évoquant ses prem iers slow s.
R ien de changé ? Si les accords com m erciaux franco-égyptiens sont
renouvelés, le déséquilibre des échanges conduit les autorités à restreindre
follem ent les produits français. Le public égyptien va se vo ir p riv é peu
à peu de film s, m ais aussi de vins, de parfum s e t d ’autos. Les am oureux
de C itroën ne pourront m êm e pas adm irer la nouvelle DS 19 q u ’ils atten
daient avec curiosité.
Le général N aguib rassure les Français et tous les francophones, avec
sa m ine débonnaire, ses visites dans les églises et ses déclarations co n ci
liantes. Il réu ssit à faire lever la censure e t la loi m artiale q u elq u es
sem aines avant son éviction, en novem bre 1954. M êm e quand N asser
prend franchem ent le pouvoir, les optim istes trouvent m atière à se rassurer.
Ne com bat-il pas les Frères m usulm ans, au point d ’interdire leu r m ou
vem ent et d ’arrêter en m asse ces intégristes qui ont voulu l ’assassin er?
Le colonel sait parfaitem ent charm er ses interlocuteurs, en prononçant
devant eux les phrases q u ’ils aim eraient entendre. D reçoit une prem ière
fois Jean e t Sim onne L acouture en jan v ier 1954, dans un bureau m onacal
d ’un p etit p alais au bord du N il, où le C onseil de la rév o lu tio n s ’e st
in stallé5. Il n ’est encore que vice-Prem ier m inistre e t vient de dissoudre
l ’asso ciatio n des F rères m usulm ans. « F ran ch em en t, d it-il, j ’en su is
encore à m e dem ander, après dix-huit m ois de pouvoir, com m ent on pour
rait bien gouverner d 'a p rès le C o ra n ... Il ne m e p araît pas de n atu re à
servir de doctrine politique. » N ouvel entretien avec les deux jo u rn alistes
en novem bre 1955. C ette fo is, le bikbachi e st in stallé à la p résid en ce
du C onseil, dans un grand bureau aux boiseries prétentieuses. Il a p ris de
l’assurance, n ’a plus besoin de porter l ’uniform e. M ais il se défend d ’être
socialiste e t va ju sq u ’à reconnaître le droit de l ’É tat d ’Israël à exister.
Faut-il s ’in q uiéter? Si l ’École française de droit, qui n ’avait plus beau
coup de sens depuis l ’unification du systèm e ju d iciaire, a été convertie
en Institut des hautes études juridiques, les établissem ents scolaires, en
revanche, poursuivent leur activité. N asser préside, le 28 novem bre 1955,
la cérém onie du centenaire de l ’arrivée des frères des É coles chrétiennes
au C aire. O n inaugure à cette occasion le nouveau collège de La S alle,
d estin é à accu eillir 2 0 00 élèves. M ais l ’im portance de la loi n ° 5 8 3 ,
concernant les écoles privées, qui vient d ’être prom ulguée, n ’échappe à
personne : il faudra enseigner à chaque élève sa religion, donc donner d es
cours d ’islam aux m usulm ans. L es religieux fran çais s ’y résig n en t, à
contrecœ ur et après de fiévreux débats internes.
274
U NE RÉVO LU TIO N E N ARABE
D eux autres nouveautés suscitent une grande inquiétude, aussi bien chez
le s F ran çais que parm i leurs « protégés » ch rétiens e t ju ifs : la procla
m a tio n d e l ’islam com m e religion d ’E tat (16 jan v ier 1956) e t la suppres
s io n d es tribunaux relig ieu x . C ette dernière m esure, sous des dehors
la ïq u e s ap p réciables, e st celle qui peut av o ir le plus de conséquences
n ég ativ es, car si les instances des différentes com m unautés, habilitées à
ju g e r notam m ent les cas de divorce, sont supprim ées, les ju g es m usul
m an s, eux, rejoignent les institutions civiles. Un m ariage célébré à l ’église
p o u rra être cassé par un juge m usulm an. L a Loi coranique s ’appliquera
d ’ailleu rs à des conjoints chrétiens, s ’ils sont de rite d iffé ra it ou si l ’un
d ’eu x choisit de se convertir à l ’islam pour favoriser sa cause.
L es É glises d ’Égypte se dressent aussitôt contre cette loi. D n ’y a plus
d e « schism atiques » : les représentants de toutes les confessions chré
tie n n e s se réu n issen t au p atriarcat copte-orthodoxe p o u r envoyer un
télégram m e de protestation à N asser. U ne « grève de N oël » est envisa
gée. D eux évêques catholiques sont arrêtés puis relâchés, m ais la loi est
m aintenue. La France, « protectrice des chrétiens d ’O rient », n ’a aucun
m oyen de s ’y opposer. Il est loin le tem ps où un consul général m enaçait
d e faire intervenir la m arine parce que l ’un de ses com patriotes avait été
m olesté sur le port d ’A lexandrie !
L es troupes britanniques doivent évacuer l ’É gypte en ju in 1956, en
v ertu d ’un traité conclu vingt m ois plus tô t En d ’autres tem ps, les rési
d en ts français auraient applaudi au départ de la Perfide A lbion. Il en va
to u t autrem ent désorm ais, les troupes de Sa M ajesté sem blant représenter
le d en tier rem part pour la défense des intérêts européens. M ais la France
se tien t sagem ent à l ’écart des m anœ uvres du pacte de B agdad, organisé
p a r les É tats-U nis, avec l ’appui de la G rande-B retagne, pour m ettre en
place une coalition anticom m uniste au Proche-O rient, et on lui en sait gré
au C aire.
« A ucune divergence n ’ex iste en tre nos deux nations », horm is le
p roblèm e d e l'A friq u e du N ord, d éclare N asser en ju ille t 1955. M ais
« nous com prenons parfaitem ent » que ce problèm e ne puisse se régler en
u n jo u r6. L ’engagem ent de la France dans les événem ents du M aghreb
- très critiqué dans le m onde arabe - n ’em pêche pas en effet Paris de se
com porter habilem ent, com m e en tém oignent Jean et Sim onne Lacouture,
arriv és en É gypte quelques m ois après la R évolution : « La diplom atie
française avait m ontré sur le N il de l ’audace, du réalism e, beaucoup de
patience, jo u an t au m ieux les cartes économ iques e t culturelles q u ’elle
av ait en m ain. Q ue l ’am bassadeur de France soit im pavide et glacé, ou
le charm e m êm e e t la cordialité, l ’équipe en place savait dom iner les ran
cunes attisées de Paris dans la presse et au Parlem ent et obtenir les plus
belles adjudications (centrale électrique du C aire au plus fort de la crise
m arocaine, plan d ’électrificatio n de l ’ensem ble du pays au m ilieu du
275
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
Opération « Mousquetaire »
277
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
Pour se venger des A m éricains, le raïs s ’en est donc pris aux Français
e t aux B ritanniques, qui possèdent le canal de Suez. C ’est un form idable
coup de poker. Paris et Londres soutiennent aussitôt que la n ationalisa
tion est illégale : la C om pagnie a toujours eu un caractère international,
et la libre circulation sur la voie d ’eau, définie p ar la convention de 1888,
ne peut être garantie par un seul gouvernem ent. Le C aire réplique que
la C om pagnie a toujours été une société égyptienne et que le C anal fait
p artie intégrante de l ’É gypte, à laquelle il d ev ait d ’ailleu rs rev en ir en
1968 au term e d ’une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans. La lib erté
de navigation sera assurée, ajoute-t-on, et l ’actionnariat convenablem ent
indem nisé.
L ’Égypte ne m anque pas de raisons de se plaindre. Jusqu’ici, e lle n ’a
pas beaucoup profité de ce canal, qui lui a coûté cher, alors que les actio n
naires ont été largem ent servis. O n lui a finalem ent accordé 7 % des béné
fices bruts et 7 sièges (sur 32) au conseil d ’adm inistration. M ais la C om
pagnie, dirigée p ar des Français, reste un É tat dans l ’É tat. Si les q u atre
cinquièm es des ouvriers sont égyptiens, la proportion n ’est que d ’un tiers
chez les techniciens e t em ployés. E t le prem ier pilote local n ’a été em bau
ché q u ’en 1943... A utant dire que le C anal constitue une plaie au flanc de
l ’É gypte indépendante, contre laquelle N asser a choisi dans la h âte un
rem ède chirurgical.
U n ém issaire se c re t d e G uy M ollet
La C om pagnie ne s ’est pas préparée à ce qui lui tom be sur la tête. E lle
vivait dans l ’idée, bien ancrée, q u ’une nationalisation était juridiquem ent
im possible, com m e le lui avait dém ontré le savant rapport d ’un ex p ert
suisse. Ses dirigeants n ’ont pas tenu com pte de l'accélératio n d e l ’H is
toire. Ds n ’ont pas su prendre les devants, en négociant avec l ’É gypte la
rem ise progressive de ce canal qui lui était dû en 1968. N ’aurait-il pas
fallu, p ar exem ple, lui donner chaque année un nouvel adm inistrateur et
un pourcentage supplém entaire des bénéfices, tout en accélérant l ’égyp-
tianisation des cadres et de la gestion 2 ?
La surprise passée, la C om pagnie va com m ettre une erreur d ’apprécia
tion en pensant que les É gyptiens sont incapables de faire fonctionner le
C anal. Pour que N asser recule, on retire donc le personnel étranger, qui
est invité à ne pas collaborer avec les autorités gouvernem entales. O r, très
vite, des pilotes locaux, aidés p ar des G recs e t des Soviétiques, vont réu s
sir à prendre la relève et à assurer la circulation.
A la m i-août, une conférence d ’usagers du C anal se réunit à L ondres,
en l ’absence de l ’Égypte. Un projet d ’internationalisation est adopté, m ais
N asser ne veut pas de ce « colonialism e co llectif ». Le ton m onte. « N ous
278
OPÉRATIO N «r M O U SQ U ETAIRE »
279
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
280
OPÉRATION « M OU SQUETAIRE »
281
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
282
OPÉRATIO N « M O U SQ U ETAIRE »
dérablem ent affaiblie : tous les pays - à l'exception du Liban - ont rom pu
leu rs relations diplom atiques avec elle. M eurtri par le lâchage des É tats-
U n is, le gouvernem ent français se tourne vers le Vieux C ontinent. L 'a f
fa ire d e Suez - e t ce sera son seul aspect p o sitif - accélère ain si la
co n stru ctio n européenne. L e traité de R om e sera signé deux ans plus
ta n t. C ette Europe ne se fera pas selon un axe Paris-L ondres, m ais Paris-
B onn.
E n É gypte, les am is de la F rance cro ien t vivre un m auvais rêve.
C ertain s étaient convaincus - et, sans le dire, l'esp éraien t vivem ent - que
cette intervention m ilitaire les d élivrerait de N asser. Les patriotes, eux,
sont atterrés. D es A nglais, ils pouvaient tout attendre. M ais que des Fran
çais a ie n t pris les arm es contre l'É g y p te, cela, ils ne peuvent ni le com
p ren d re ni le pardonner. O scillan t en tre fu reu r et d ésarro i, l'é c riv a in
G eorges H enein note dans ses carnets : « L 'intellectuel de form ation euro
p éen n e se cro it o bligé de p ro céd er à l'au to d a fé de ses rêves e t de ses
besoins. C hacun va dresser son bûcher personnel, apportant sa contribu
tion au saccage général. O n répudie en vrac des am is, des idées, des sou
v en irs, des villes. O n cherche une pureté qui ne saurait e x iste r6... »
L es résidents français d 'É g y p te ont été invités - com m e leurs hom o
logues britanniques - à vendre leurs m eubles e t à quitter le pays au plus
v ite. D es officiers égyptiens ne m an q u ait pas de profiter de la situation.
Ils se présentent pour acheter 20 livres un appareil électro-m énager qui
v au t dix fois cette som m e, puis n 'e n rem ettent que 1S au vendeur en lui
d isa n t : « E stim e-toi heureux avec ça. » O u, plus cavalièrem ent : « C 'e st
u n cadeau pour m es enfants. » A l'aéro p o rt, nom bre de Français enten
d ro n t des avertissem ents du genre : « Pas un m ot contre l'É g y p te lorsque
v o u s serez à l'étran g er, et surtout rien à la presse ou aux chancelleries.
L es parents e t les am is que vous laissez ici p ourraient so u ffrir de vos
in d iscrétio n s. E t si vous avez des biens en É gypte, c 'e s t votre seule
ch an ce d 'e n retrouver quelque chose 7. »
L e journaliste G abriel D ardaud, qui vivait sur les bords du N il depuis
v in g t-n eu f ans, n'échappe pas à l'expulsion, m algré ses bonnes relations
avec les autorités égyptiennes. D es policiers pénètrent chez lui, arrachent
les fils du téléphone et perquisitionnent dans l'appartem ent pour s'assu rer
q u 'il ne possède ni arm es ni m atériel de transm ission. « N ous n ’avions
q u e quelques heures pour préparer notre d ép art... Tous nos biens : m eubles,
tap is, vêtem ents, livres, argenterie, vaisselle, etc., étaient déclarés confis
q u és, “com m e vos com ptes en banque e t vos objets de valeur, ajouta notre
garde-chiourm e, au bénéfice des victim es des atrocités françaises à Port-
S a ïd ''... N ous étions par contre autorisés à em porter une m ontre par per
sonne e t une alliance au d o ig t8. »
283
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
L'ampleur du désastre
9. Jacques Bæyens, Un coup tTépée dans Peau du Canal. Pans, Laffont, 1964.
10. Ibid.
284
OPÉRATIO N « M O U SQUETAIRE »
général Stockw ell a passé avec les forces de l ’ONU et le gouvernem ent
de N a sser...
Tous les objets de valeur contenus dans la grande bâtisse de la C om pa
g n ie de Suez, à Port-Saïd, o n t été em ballés et em portés p ar les soldats
fran çais. D es m eubles, des bibelots, la pendule « E ugénie » offerte par
l ’im pératrice en 1869, le buste de Ferdinand de L essep s... O n laisse, en
revanche, la grande statue du fondateur à l’entrée du C anal, m ais le socle
est entouré d ’un épais réseau de barbelés. D es m ains anonym es ont cru
devoir y attacher des drapeaux français et britannique, ce qui ne m anquera
pas d e déchaîner la foule sitôt parti le dernier navire.
U ne charge de dynam ite arrache la statue à son socle et la b rise en
plusieurs m orceaux. L esseps, si longtem ps couvert de fleurs, est devenu
L ucifer. C e « crim inel, entouré de courtiers et d ’usuriers » n ’a-t-il pas été
« le p ire ennem i de l ’Égypte au cours du XIXe siècle », com m e l ’affirm e le
d o cteu r H ussein M œ ness, m em bre d ’un C om ité « groupant d ’ém inents
professeurs d ’université et auteurs égyptiens » 11? L esseps n ’est d ’ailleurs
que le m aillon d ’une chaîne : « Au cours des ISO dernières années, ajoute
le C om ité, notre histoire est celle de notre lutte contre la France et l ’A n
g leterre. Pas une seule année ne s ’est écoulée sans que nous ne soyons en
lu tte , soit contre l ’une, soit contre l ’autre. »
A Paris, on m esure peu à peu l ’am pleur du désastre.
P o u r les personnes, d ’abord : officiellem ent, il n ’y a pas eu d ’expulsion
collective. C ’est à titre individuel que quelque 7 300 Français d ’É gypte
o n t été som m és, d ’une m anière ou d ’une autre, de partir. 11 en reste un
m illier, dont une bonne m oitié de religieux. Les réfugiés, parm i lesquels
1 300 salariés du C anal - m ais auxquels s ’ajoutent un certain nom bre de
ju ifs francophones, à qui n ’est pas reconnue la nationalité égyptienne - ,
o n t dû abandonner la quasi-totalité de leurs biens. Le gouvernem ent fran
çais leu r fournit des allocations et des prêts, m ais cela ne com pense pas la
perte de leur activité.
B ilan désastreux égalem ent pour les e n tre p rise s: elles sont sous
séquestre, en attendant d ’être « égyptianisées », c ’est-à-dire plus ou m oins
cédées à des organism es locaux. Les pertes se chiffrent en centaines de
m illiards de francs de l ’époque. Trois banques « ennem ies » sont visées :
le C rédit lyonnais, le C om ptoir national d ’escom pte de Paris et le C rédit
d ’O rient. A elles seules, les com pagnies d ’assurances françaises et leurs
filiales drainaient les trois cinquièm es du m arché. D es firm es com m e A ir
liquide ou les G rands Travaux de M arseille venaient d ’investir en Égypte
des capitaux considérables. Sans com pter la C om pagnie de Suez dont les
quelque 100 000 actionnaires se dem andent fébrilem ent ce que vont deve
n ir leurs titres.
D ésastre enfin pour l’influence culturelle française : les neuf établisse-
11. Comité des études sélectionnées. Canal de Suez. Faits et documents. Le Caire,
1956.
285
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
287
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
au creusem ent du tunnel sous la M anche, après avoir subi une autre n atio
nalisation, de la part du gouvernem ent français cette fois M ais c ela n e
regarde plus l'É gypte.
288
L E S JÉSU ITES SO U S SCELLÉS
289
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
tion est faite entre les fellahs, « pauvres, cam pagnards, m usulm ans », et
les coptes, « chrétiens, citadins e t instruits » 2.
Le collège est donc réquisitionné. 11 aura un directeur, nom m é p a r les
autorités, dont les jésuites apprennent - avec effroi - q u ’il est m usulm an.
Les cours sont suspendus pour trois jours. D oivent-ils reprendre ? D ’autres
établissem ents religieux sont prêts à zc m ettre en grève, sachant q u e le
collège de la Sainte-Fam ille n ’a pas été épinglé au hasard : son rec teu r
est secrétaire de l’organism e qui réunit l ’ensem ble des écoles cath o liq u es
d ’Égypte. D ’anciens élèves se m obilisent et adressent des m essages de
protestation au président N asser.
Les jésuites penchent pour la grève. Us en seront dissuadés par le nonce
apostolique et par leur vice-provincial, un L ibanais, accouru au C aire. Le
directeur nom m é par le m inistère est un hom m e courtois, qui saura ten d re
supportable cette cohabitation forcée. Il faut calm er les élèves ch rétien s,
prêts à partir en croisade, et qui se m ettent déjà à faire la prière av an t les
cours d ’arabe. Q uitte à tolérer des chahuts, dont le m érite est de m o n trer
que seuls les pères ont l ’autorité nécessaire pour les faire cesser.
D ans les m ilieux gouvernem entaux, to u t le m onde n ’ap p ro u v e p as
la réquisition de cet établissem ent prestigieux, qui accueille les en fan ts de
p lusieurs hauts personnages de la R épublique : le v ice-p résid en t, les
m inistres des A ffaires sociales et de la C ulture, le secrétaire général d e la
L igue arabe, le procureur général, l ’am bassadeur aux N ations u n ie s3...
Les A ffaires étrangères s ’opposent à l ’É ducation et à la police secrète.
D e son côté, le nonce apostolique se dém ène pour arriver à un accord. L a
tension rem onte brusquem ent le 19 février, quand le père recteur, V ictor
Pruvost, reçoit l ’ordre de q u itter le pays dans les quarante-huit h eu res.
Il est alo rs question de réu n ir plusieu rs centaines d ’anciens é lè v e s e t
d ’occuper la chapelle du co llèg e...
La crise se dénoue durant les jo u rs suivants. Un autodafé est org an isé
pour livrer aux flam m es une cinquantaine d ’ouvrages contestables. C ’est
un haut responsable du m inistère q u i v ien t lui-m êm e au co llèg e p o u r
rendre la direction aux jésu ites et, à cette occasion, les féliciter de leu r
systèm e d ’enseignem ent... B ref, il ne s ’est rien passé. Le collège d e la
Sainte-Fam ille sort m êm e renforcé de ce conflit, qui lui a m ontré l ’a tta
chem ent de ses élèves, de leurs fam illes et des anciens 4.
Les établissem ents religieux restent cependant sous l ’étro it co n trô le
des autorités. A u collège Saint-M arc, tenu à A lexandrie par les frères des
Écoles chrétiennes, le représentant du m inistère se fait toujours accom pa
gner par un hom m e m ystérieux, portant des lunettes noires, qui prend des
notes en silence. A deux reprises, le directeur est convoqué au C aire par
290
LES JÉSU ITES SO U S SCELLÉS
Diplomates ou espions ?
293
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
Le gouvernem ent français proteste aussitôt, faisant valoir que les quatre
principaux accusés bénéficient de l’im m unité diplom atique. C e n ’est p as
l’avis des autorités égyptiennes, qui ont une interprétation restrictive - e t
erronée - des accords de 1958. Les chefs d ’accusation sont gravissim es :
espionnage pour le com pte de la France, propagande subversive, in cita
tion au renversem ent du régim e nassérien e t au m eurtre de son chef.
Si les deux F rançaises sont lib érées e t ex p u lsées m anu m ilita ri, les
autres inculpés restent au se c re t O n apercevra certains d ’entre eux à la
télévision, pour des sem blants d ’aveux, peu audibles. A Paris, le m inistre
des A ffaires étran g ères, M aurice C ouve de M urville, dénonce c e tte
« scandaleuse et désolante affaire » qui, selon lui, « attein t tout l ’O cci
dent ». M ais la France se sent un peu seule aux N ations unies quand e lle
rem et un docum ent aux É tats m em bres pour p rotester contre les « allég a
tions parfaitem ent ridicules sur lesquelles repose la m achination ».
294
D IPLO M ATES O U ESPIO NS ?
Un vilain cauchemar
295
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
296
D IPLO M ATES OU ESPIO NS ?
san ctio n s sont levées de part et d ’autre. Les touristes français peuvent
prendre leur billet pour la H aute-Égypte.
A p rès cette douloureuse aventure» un autre q u ’A ndré M iquel aurait
définitivem ent tourné le dos au Proche-O rient. Le jeune conseiller culturel
décide» au co n traire, de prouver à ses accusateurs q u ’il n ’est « pas ce
q u ’ils croyaient ». n se rem et à apprendre l ’arabe, plonge dans l ’étude du
m onde m usulm an, voyage, enseigne, publie. Ce brillant norm alien, classé
p rem ier à l ’agrégation de gram m aire, deviendra professeur de langue et
de littérature arabes classiques au C ollège de France.
6
La dame de Nubie
299
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
300
LA D AM E D E N U BIE
301
D IVO RC E E T RETROUVAILLES
302
LA DAM E D E N U BIE
303
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
L 'A lg érie est indépendante, la consternante affaire des diplom ates est
clo se. Plus rien n ’em pêche les relations franco-égyptiennes de s'am élio
rer. O n va le voir d ’abord à de tout petits signes, com m e la « charte natio
nale » de la R épublique arabe unie, publiée en m ai 1962. C ette bible du
régim e nassérien rend un hom m age inattendu à l'E x p éd itio n de B ona
p arte, laquelle « apporta un nouvel adjuvant à l'én erg ie révolutionnaire
du peuple égyptien, [ ...] quelques aspects des sciences m odernes [ ...] ,
des grands m aîtres qui entreprirent l ’étude de la situation en Égypte et
découvrirent les secrets de son histoire an cien n e... ». C e n ’est pas négli
g eab le!
L es relations diplom atiques sont enfin rétablies en avril 1963, après six
ans e t dem i d'interruption. Les prem iers am bassadeurs d 'É gypte à Paris
sero n t des m ilitaires, en attendant le retour des diplom ates de carrière
fran co p h o n es, dans la bonne trad itio n . E n 1965, le français redevient
p rem ière langue étran g ère dans les écoles publiques égyptiennes, au
m êm e titre que l ’anglais. C ’est aussi l'an n ée où le m aréchal A bdel Hakim
A m er, num éro deux du régim e nassérien, est reçu à Paris : prem ière visite
officielle, depuis trente-huit ans, d ’un hom m e d 'É tat égyptien de ce rang.
O n déroule le tapis rouge. Lors d ’un déjeuner à l ’Élysée en son honneur,
le général de G aulle plaide pour une « action com m une » entre « l'É gypte
nouvelle, telle que la réalise la R épublique arabe unie », et « la France
nouvelle, telle que la Ve R épublique est en train de l’accom plir». Deux
pays nouveaux ne peuvent avoir que des relations nouvelles. Les nuages
appartiennent au passé. Du C aire, le président N asser fait savoir q u ’il a
levé les accusations d ’espionnage et de com plot contre les quatre diplo
m ates français, q u ’on avait déjà o u b liées...
N ouveau progrès en ju illet 1966 : le contentieux patrim onial franco-
égyptien est réglé. Un accord global liquide, à la fois, les séquelles de
l'affa ire de Suez e t celles des nationalisations survenues en Égypte par la
suite. Les Français sont assurés d ’être indem nisés convenablem ent et de
pouvoir rapatrier leurs avoirs dans des délais raisonnables.
305
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
I. L’article est reproduit en annexe dans Histoire des juifs du S'il, sous la direction de
Jacques Hassoun. 2e éd.. Paris. Minerve, 1990.
306
D E G AULLE CHANGE LA D ONNE
307
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
308
D E G AU LLE CHANGE LA D ONNE
309
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
310
D E G AU LLE C H ANG E LA D O NNE
Chirac superman
311
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
312
D E G AULLE CHANG E LA DONNE
Pair. En France, les É gyptiens sont souvent écrasés par le décor et l’am
biance : richesse, ordre, logique, raideur des fonctionnaires, vert parfait
des pelouses, m aisons alignées au co rd eau ... En Égypte, au contraire, les
F rançais ont souvent l ’illusion d ’être com m e chez eux, et préférés aux
autres O ccidentaux. M êm e ceux qui parlent l ’arabe - avec un accent aisé
m ent reconnaissable - se font souvent piéger par la gentillesse naturelle
des É gyptiens et par le caractère très form el de la culture arabe : ils pren
n en t v o lo n tiers p o u r argent com ptant ce qui n ’est que du kalam (des
p aro les), sans se rendre com pte q u ’aux yeux de leurs interlocuteurs ils
resten t irrém édiablem ent des E uropéens, des étrangers.
8
315
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
al-K harrat, dont l ’œ uvre est intim em ent associée à A lexandrie, reconnaît
que D urrell a écrit « un ch ef-d ’œ uvre exquis e t poignant », m ais il ne
s ’agit que d ’une fable, un « produit de son im agination ». Sous la plum e
de l'éc riv ain britannique, « A lexandrie est essentiellem ent une illu sio n
exotique », une recréation de l’O rient com m e le rêvent les O ccidentaux,
un m onde « densém ent peuplé de créatures étran g es, à peine co m p ré
hensibles, qui ne feraient que balancer entre la violence, la servilité o u la
soum ission » 2.
316
D E S PARFUM S D E L À -B A S
public restreint en France, sans com m une m esure avec leur im portance
sur les bords du N il. U n troisièm e, N aguib M ahfouz, s ’est attiré de nom
breux lecteurs depuis l ’obtention de son prix N obel de littérature en 1988.
La F rance est le pays où les traductions de ses rom ans ont été le plus
v en d u es3.
L a célèbre trilo g ie de M ahfouz raconte un d em i-siècle d ’h isto ire
d 'É g y p te par le biais d ’une fam ille bourgeoise d ’un quartier populaire du
C aire. Le personnage principal, A hm ed A bdelgaouad, le p a ter fa m ilia s,
est un despote à dom icile, qui se m ue en bon vivant e t brillant causeur
dès q u ’il se trouve en d 'au tres com pagnies. L 'u n de ses petits-fils devient
com m uniste et l ’autre islam iste, illustrant les fièvres de la société égyp
tienne à la veille de la R évolution.
A u début des années 70, N aguib M ahfouz a com m encé à être publié en
France, aux éditions Sindbad, à l'in itiativ e de Pierre Bernard. M ais seul le
prix N obel lui a donné la no to riété. 11 n ’est pas facile de trad u ire cet
auteur, qui a renouvelé le rom an arabe par son ironie en antiphrases et sa
m an ière de faire é clater syntaxe et récit. La saveur du p arler égyptien
n e se retrouve pas toujours dans les textes en fran çais, m ais seuls des
lecteu rs bilingues peuvent le regretter.
L 'a u te u r du P assage des m iracles est devenu encore plus populaire
e n France après l ’attentat dont il a été victim e au C aire en octobre 1994.
L es coups de poignard d ’un islam iste, po rtés à ce vieux m onsieur de
q u a tre-v in g t-tro is an s, so n t venus rap p eler q u ’il é ta it naguère accusé
d e blasphèm e pour avoir m is en scène, dans L es F ils de la m édina, des
fig u res allégoriques de la B ible et du C oran. S ur son lit d ’hôpital, M ah
fo u z a illustré - bien m algré lui - une Égypte perçue com m e dangereuse,
o ù le m oindre atten tat contre un étran g er fait aussitô t s ’effo n d rer le
nom bre des to u ristes...
U ne nouvelle génération d ’auteurs égyptiens com m ence à être connue
en France, grâce aux traductions. G am al el-G hitany e t Sonallah Ibrahim
fo n t partie de ces écrivains talentueux, renouvelant les form es du rom an
arab e, qui n ’hésiten t pas à je te r un regard acide su r la société dans
laquelle ils vivent. M ais leur public, de ce côté-ci de la M éditerranée, est
encore m odeste.
317
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
un certain tem ps, e t pas m al de « p etits boulots », pour devenir une sta r d e
la chanson. « C lo-C lo » im pressionnera alors ses fans en racontant so n
enfance égyptienne. « Q uand j ’étais gosse, je nageais déjà plusieurs fo is
p ar jo u r d ’un continent à un autre. Je traversais, en craw l, le can al d e
Suez, qui sépare l ’A frique de l’A sie ... Q uand on avait besoin d ’un peu d e
sel, on m ettait de l ’eau dans une jatte. L e soleil tapait si fort q u ’elle s ’év a
porait, laissant son dépôt de sel m arin 6... » O u encore : « A h, le p la isir
d ’être assis à l ’arabe. J ’ai gardé ça d e m on enfance, cette façon d e se
détendre, de se relaxer. Ç a e t le sport. A u C aire, au lycée français, c ’e st
m oi qui courais le plus vite. J ’ai failli être cham pion d ’Égypte du 1500,
j ’ai term iné deuxièm e7... ». A l ’Égypte il consacre un tube, A lexandrie,
A lexandra. Un tube parm i beaucoup d ’autres, C lo-C lo et ses C lo d ettes
n ’étant pas plus égyptiens q u ’allem ands ou m ex icain s...
G eorges M oustaki, lui, ne s ’est jam ais guéri de son enfance à A lexan
drie, où il a vu le jo u r en 1934. Élève au lycée français, de n atio n alité
grecque, il ém igre à Paris à l’âge de dix-sept ans, devient barm an, ven
deur de livres au porte-à-porte, puis guitariste à la terrasse des cafés e t
chanteur de cabaret. L e M étèque, un form idable succès, le révèle com m e
interp rète (« A v ec m a gueule de m étèque, de ju if erran t, d e p â tre
g re c ... »). U est surtout un grand com positeur, auquel on d o it qu elq u e
300 chansons, parm i lesquelles M ilord e t M a solitude. M oustaki, q u i a
jo u é dans le film M endiants e t O rgueilleux, tiré du rom an d ’A lbert C os-
sery, a raconté avec ém otion, dans un livre, son prem ier retour à A lexan
drie, où pas grand m onde ne sem blait le co n n aître8...
M ais c ’est D alida, plus que tout autre, qui a fait rêver les Français de
l ’É gypte cosm opolite. Son histo ire ressem ble à un rom an-photo. F ille
d ’un prem ier violon de l ’O péra du C aire d ’origine calabraise, Y olanda
G ig lio tti est née dans le q u artier p opulaire de C houbra. C ette p e tite
em ployée d ’une m aison de couture, aux m ensurations de star, se fait é lire
M iss É gypte en 1954 m algré un strabism e q u i date de sa toute p e tite
enfance. E lle com m ence alors une m édiocre carrière d ’actrice de ciném a,
jouant dans un film égyptien de série B, puis dans un navet de M arc de
G astyne, Le M asque de Toutankhamon. Son nom de scène, « D alila » , fait
un peu trop penser à Sam son : elle le transform e en « D alida » et p a ît po u r
Paris, sur le conseil d ’un im présario d ’occasion, un colonel français à la
retraite, qui lui réclam era - en vain - par la suite 2 0 % de ses cac h ets9...
La suite du rom an-photo, ce sont les portes qui se ferm ent, puis la ren
contre m iraculeuse avec Lucien M orisse, directeur artistique d ’E urope 1,
subjugué p ar cette voix d ’a lto langoureuse à l ’accent latin o -o rien tal.
D alida peut rivaliser avec R ina K etty ou G loria L asso, tout en n ’ayant
318
D E S PARFUM S D E L À -B A S
rie n à envier aux pin-up les plus aguicheuses de l ’écran. En bikini pan
th è re , elle provoque des bousculades. E t il y a l ’Égypte, l ’Ita lie ... Lucien
M o risse, aidé d ’E ddie B arclay, saura ex p lo iter ces atouts et faire de la
ch an so n Bam bino un im m ense succès. Puis ce sera G ondolier, et beau
c o u p d ’autres airs inlassablem ent diffusés sur les ondes. L ’un des frères
d e D alida, O rlando, chante à son tour, en franco-égyptien, une version de
M oustapha, en concurrence avec un autre exilé. B ob A zzam . O n baigne
e n p lein Nil.
D è s 19SS, D alida fait la couverture de C iném onde. E lle est adoptée par
la p resse française, qui voit en elle « la B ardot de la chanson ». Elle sera
la prem ière fem m e à obtenir un D isque d ’o r et la prem ière à avoir son
fan -clu b . Q uelques critiques acerbes (du genre « N asser a fait pire que
S u e z , il nous a envoyé D alida ») sont à peine audibles dans un concert
d ’ovations. La petite ém igrée de C houbra chante à A lger pour les m ili
ta ire s français, et devient la m arraine du 18e régim ent de paras, au risque
d e se faire m audire par le régim e nassérien. Son voyage en Israël, quatre
a n s plus tard, consom m e la rupture.
D alida l ’O rientale peut se teindre en blonde, son public accepte tout.
U n sondage IFO P de 1965 la désigne com m e chanteuse p référée des
F rançais. M ais elle chante aussi en d ’autres langues, son succès devient
p lan é ta ire, ses ventes de disques b atten t tous les records. En 1981, le
can d id at François M itterrand m onte sur la scène de l ’O lym pia pour l ’em
brasser, quelques sem aines avant son élection. L ’Italienne d ’Égypte entre
à l’É lysée, elle invite en toute sim plicité le président de la R épublique à
d u rer chez elle, dans sa m aison de M ontm artre. Elle corrigera par la suite
c et engagem ent politique un peu trop m arqué en gagnant aussi l ’am itié de
Jacq u es C h irac...
E st-elle encore égyptienne aux yeux des Français ? Elle le redevient, en
to u t cas, pour les É gyptiens. Son prem ier récital au C aire, en 1976, est un
triom phe. D alida prom et à l ’auditoire de chanter en arabe la fois suivante.
Prom esse tenue : Salm a ya salam a fait exploser le box-office, non seule
m ent au C aire m ais dans plusieurs pays arabes. C ’est avec cette chanson
q u e les Israélien s accueillent Sadate à l ’aéroport Ben G ourion en
novem bre 1977 !
N eu f ans plus tard , D alida tourne en É gypte dans L e Sixièm e J o u r,
un film de Y oussef C hahine tiré d ’un rom an d ’A ndrée Chedid. Voilée de
n o ir, en paysanne, elle tien t le rôle d ’une grand-m ère qui rencontre
l’am our en pleine épidém ie de choléra. Avant chaque tournage, un pro
fesseur d ’arabe lui fait répéter ses répliques, sans parvenir à corriger tout
à fait son accent eu ro p éen ... Yolanda G igliotti parcourt le vieux quartier
d e C houbra, qui l ’a vue n aître, en voiture décapotable. L-es habitants
lui font un accueil de reine, qui tourne presque à l ’ém eute. Ce sera son
dernier succès.
M alheureuse en am our, ne se consolant pas d ’un avortem ent décidé
secrètem ent à la fin des années 60 et crevant de solitude sous les lauriers.
319
DIVO RC E E T RETRO U VAILLES
320
Juillet 1956. Le président Nasser vient d ’annoncer, à Alexandrie, la nationalisation
de la Compagnie universelle du canal de Suez, qui ne devait revenir à l’Égypte que
douze ans plus tard. Il mettra trente-six heures pour regagner Le Caire par train,
acclamé à chaque gare par des foules enthousiastes.
Un public beaucoup plus
nombreux que prévu se
presse devant le Petit
Palais à Paris en 1967
pour visiter l’exposition
«Toutankham on et son
temps».
Dalida en paysanne
égyptienne dans Le
Sixièm e Jour. Son
«retour en Égypte»
avait d ’abord pris la
forme d ’une chanson
en arabe, devenue un
énorme succès.
Les égyptologues Jean-Yves Empereur (à droite) et Jean-Pierre Corteggiani, en
octobre 1995, devant la statue colossale d ’un Ptolémée que leur équipe a récupérée
dans les eaux d’Alexandrie.
Le colosse, pesant plus de onze tonnes, est transporté à travers les rues de la ville.
François Mitterrand lors de son dernier voyage à Assouan, en décembre 1995, peu
d e temps avant sa mort.
de « répéter sans fin les m êm es phrases, sur le m êm e air, m ais jam ais de la
m êm e façon ». O n com m ente ses vocalises en quarts de ton qui m ettent le
p u b lic en transes. Éric R ouleau, originaire d ’Égypte e t grand connaisseur
du Proche-O rient, écrit dans Le M onde : « R aide, le port altier, le regard
au to ritaire, son charm e est tout dans sa voix caressante, sa diction cristal
line. E lle séduit non pas les spectateurs, m ais chacun d ’entre eux. U n dia
logue intim e, passionnel, tum ultueux, s ’in stau re... Le rythm e déclenche
irrésistiblem ent des contorsions physiques ; envoûtés, certains ne peuvent
s ’e m p ê ch e r de q u itter leurs sièges p our esquisser, en se déhanchant,
q u elq u es pas de danse '°. » A la fin du spectacle, quand le public de
l ’O lym pia, debout, hurle son enthousiasm e, « des jeunes gens se ruent sur
la scèn e, renversent les m em bres du service d ’o rdre, s ’em parent de la
v ed ette, l ’em brassent, couvrent de baisers ses m ains, un pan de sa robe ».
D e st d éjà 2 heures du m atin.
Y oussef C hahine est le seul m etteur en scène égyptien vraim ent connu
en F rance. U se sent com m e chez lui à Paris, et s ’est m êm e offert le luxe,
en 1992, de m onter C aligula à la C om édie-Française... M ais que d ’efforts
p o u r en arriver là ! L ’A lexandrin « au nez de six m ètres et aux oreilles en
v o iles d e bateau », com m e il se décrit lui-m êm e, voulait être acteur. C et
anti-jeune prem ier s ’est vite aperçu que sa place était de l ’autre côté de
la cam éra.
U n p ère d ’o rigine libanaise, de confession grecque-catholique ; une
m ère originaire de G rèce, de confession grecque-orthodoxe ; une épouse
française, C olette Favaudon, appartenant à une fam ille établie en Égypte
depuis trois générations : « Jo » Chahine, élève des frères, puis du Victoria
C ollege, polyglotte com m e il se doit, est le m eilleur représentant d ’une
A lexandrie m ultiple, bariolée et disparue. Il fait son prem ier film à vingt-
quatre ans, en produit plusieurs autres : des bons, des m oins bons et des
m auvais, parm i lesquels un brûlot anticolonialiste, D jam ila l'A lgérienne
(1958), qui dénonce violem m ent la torture française en A lgérie, et une
œ uvre de com m ande, Saladin (1963), qui passe pour un hym ne à Nasser.
Le cinéaste n ’en est pas m oins harcelé par la censure, ce qui le conduit à
a ller s ’installer au Liban. M ais, ne pouvant pas se passer de l'É gypte, il y
rev ien t et tourne La Terre (1969), un film sur les paysans, rem arqué à
C annes, puis A lexandrie pourquoi ? (1978), bourré de souvenirs person
nels, qui lui vaut l ’O urs d ’argent e t le grand prix du ju ry au festival de
B e rlin 11.
C hahine obtient de Jack Lang, m inistre français de la C ulture, une aide 10
321
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
12. Yves Thoraval, Regards sur le cinéma égyptien, Paris, L'Harm attan, 2* éd.. 1996.
13. « Chahine, champagne d'Égypte », in Libération. 17 mai 1983.
9
Miettes de francophonie
323
DIVO RCE E T RETRO U VAILLES
Dans les années 80, celui qui dirigeait alors la diplom atie égyptienne
qualifiait le français de « langue non alignée ». D epuis la disparition des
deux blocs, il le désigne plutôt com m e « langue du tiers-m onde », suscep
tible de « favoriser la dém ocratisation des relations internationales », m ais
rid é e est la m êm e. E t le fait q u ’on ait songé à lui, avant tout autre, p o u r
être le prem ier secrétaire général de la francophonie, tém oigne de la place
attribuée à l’Égypte dans cet univers culturel.
B outros (Pierre) B outros-G hali appartient à l’une des fam illes les p lu s
connues de la haute bourgeoisie copte. Son grand-père et hom onym e,
assassiné par un islam iste en 1910, était président du C onseil. L’un de ses
o ncles, W acyf B outros-G hali, fin lettré, m arié à une F rançaise, a é té
quatre fois m inistre des A ffaires étrangères, après s ’être distingué d an s
les rangs nationalistes. É levé com m e son oncle dans les écoles françaises
du C aire, B outros a fait Sciences Po à Paris, où il habitait rue de V augi-
rard, puis a obtenu un doctorat de droit international. Il a en seigné les
sciences politiques à l ’université du C aire, m ais, fidèle à la tradition fam i
liale, s ’est orienté vers le m inistère des A ffaires étrangères. A u risq u e
d ’entraver sa carrière, ce jeune hom m e riche a épousé en secondes noces
une jeune fem m e ju iv e d ’A lexandrie, Léa, aussi en vue que lu i...
« Le grand tournant de m a vie, affirm e-t-il, a été m a rencontre av ec
A nouar el-Sadate. Il m ’appelait Boutros quand il était de bonne hum eur,
Pierre quand il était fâché ou si quelque chose n ’allait pas dans une négo
ciatio n 1. » D ’autres s’étant dérobés, c 'e st Boutros-G hali qui accom pagne
le président égyptien dans son voyage historique à Jérusalem en 1977. D
sera désorm ais le vrai patron de la diplom atie égyptienne, m algré un statut
de m inistre d ’État, un peu hum iliant, m ais destiné paraît-il à le protéger.
La France m et tout son poids pour le faire élire secrétaire général des
N ations unies en 1991. C ’est la prem ière fois q u ’un Arabe ou un A fricain
accède à cette fonction. A l’ON U , B outros-G hali est désolé de constater
que 38 délégations seulem ent travaillent en français (contre 108 en anglais),
alors que les deux langues sont officielles. M êm e certains fonctionnaires
français correspondent entre eux en anglais. Il n ’a aucun m oyen d e s ’y
opposer : « Le secrétaire général ne peut pas faire la police linguistique12. »
Paris se battra de nouveau, en 1996, pour lui obtenir un deuxièm e m an
dat, m ais en vain, W ashington ne voulant plus entendre parler de « ce vieil
aristocrate français » aux idées tiers-m ondistes, qui s ’est m ontré indépen
dant à l ’égard du tuteur am éricain. D ans son propre pays, B outros-G hali
n ’a pas que des am is. D ’aucuns ne lui pardonnent pas d ’avoir été l ’u n des
artisans de la paix avec Israël. Des islam istes l ’ont accusé de s ’être m on
tré « anti-m usulm an » dans le co n flit bosniaque. L es m êm es n ’o n t pas
digéré q u ’un copte puisse accéder à de si hautes charges.
Parfaitem ent trilingue, B outros B outros-G hali fait partie de ces Égyp-
324
M IETTES D E FRANCOPHONIE
325
DIVORCE E T RETROUVAILLES
326
M IETTES D E FRANCOPHONIE
bonne tenue, m algré son caractère sem i-officiel. Q uant au grand quoti
dien arabophone A l A hram , il s ’est doté d ’un hebdom adaire en langue
fran çaise, vivant e t consistant. Paradoxalem ent, A l A hram H ebdo est
dirigé p ar un ancien étudiant du Victoria College et d ’O xford, l ’écrivain
M oham ed Salmawy. D déclare diffuser 100 000 exem plaires, dont la m oi
tié à l'étranger. Ce succès s ’expliquerait par un prix de vente assez faible
et p ar la dem ande de plusieurs publics : les anciens élèves des établisse
m ents catholiques ou des lycées; des jeunes de province qui apprennent le
français dans des écoles pilotes ; enfin, des intellectuels qui y trouvent une
liberté de ton plus grande que dans les autres publications.
« L ’anglais est une langue, affirm e M oham ed Salmawy. Le fiançais en
É gypte est un peu plus q u ’une langue. » D ifficile pourtant d ’y voir,
com m e hier, une nécessité sociale. C ’est plutôt une langue de prestige,
com m e l ’illustre une enquête récente. A la question : « Quand parlez-vous
volontiers fiançais ? », l ’une des personnes interrogées a fait cette réponse
significative : « Quand je veux être bien vu » 3.
Le fiançais était une langue bourgeoise, et le reste pour l ’essentiel. Il
n ’a jam ais vraim ent pénétré les m asses égyptiennes. De nom breux voya
geurs fiançais, au siècle dernier, ont voulu se persuader du contraire, bluf
fés p ar quelques interlocuteurs dans les cam pagnes qui baragouinaient
tro is m ots en citant le nom de Bonaparte. La nouveauté, c ’est que le fian
çais n ’est plus forcém ent la langue de 1’« élite » elle-m êm e. D om inant
sous l’occupation anglaise - ce qui était déjà curieux - , il a été supplanté
p a r... l ’anglais, « lan g u e de l ’im périalism e», après l ’indépendance de
l ’Égypte ! M ais il faudrait dire l ’am éricain, car ce sont évidem m ent les
É tats-U nis qui im posent de plus en plus leur m odèle culturel sur les bords
du N il. Le phénom ène était déjà net sous le nassérism e - pourtant vio
lem m ent anti-yankee - , com m e en tém oignait le ciném a : de 1952 à 1968,
l ’Égypte a im porté 3 669 film s am éricains (et 256 anglais), pour 461 film s
italiens et 264 fian çais4.
L ’Égypte, pays francophone ? C ’est plutôt un pays où la francophonie
est en péril. Le délicieux parler d ’Égypte, qui était si pittoresque, cède de
plus en plus la place à un parler hésitant, bourré de fautes de syntaxe5. Il
ne s ’agit plus seulem ent d ’em prunts savoureux à l’arabe. On dit couram
m ent : « Si tu viendras dem ain, tu verras m on frère », ou : « C ’est m oi que
je suis le professeur de fiançais. » C ela ne fait m êm e plus rire. De plus
en plus de francophones d ’Égypte donnent l ’im pression de parler arabe en
français.
327
DIVO RCE E T RETROUVAILLES
n ’était pas la seule à vouloir faire l’erreur de s’am éricaniser. Dans l ’hôtel
lerie, rien ne ressem ble plus à un H ilton q u ’un M éridien... Pourquoi les
projets et grands travaux français en Égypte sont-ils signalés en anglais ?
Si on ne prend pas les m oyens de le leur rappeler, les Cairotes oublieront
très vite que leur m étro ou leur téléphone cellulaire, dont ils se louent tous
les jo u rs, sont des réalisations françaises.
10
331
DIVO RC E E T RETROUVAILLES
332
LE TEMPS DES SCAPHANDRIERS
333
DIVORCE E T RETRO U VAILLES
334
LE TEM PS DES SCAPHANDRIERS
subsistent de l'É gypte ancienne. Au tem ple de pierre s'ajoutent des annexes
construites en brique crue, qui abritaient des m agasins, des ateliers et une
école. Les chercheurs finançais et égyptiens tentent mm seulem ent de recons
titu er à Thèbes-O uest les m odes de vie du N ouvel Em pire à l'époque copte,
m ais encore de retracer dans ses m oindres détails l'h isto ire d ’un grand
ch an tier de l'époque de Ram sès U. C ela exige de faire appel aux techniques
les plus sophistiquées, dans de nom breuses disciplines, sans négliger pour
au tan t les bonnes vieilles m éthodes de la recherche archéologique.
P o u r l ’étude des fondations, par exem ple, on a sollicité le laboratoire
d e m écanique des terrain s de l'É c o le des m ines de Nancy. P our lu tter
c o n tre la dégradation des m ortiers, on s 'e s t adressé au laboratoire de
p éd o lo g ie de l'u n iv e rsité P aris-V II et au laboratoire central des Ponts
e t C haussées. La restauration des ensem bles de brique crue, elle, a néces
sité une collaboration avec l'u n e des m eilleures équipes du m onde dans
ce dom aine, celle de l ’École d 'architecture de G renoble. Enfin, le traite
m en t des peintures m urales - parm i lesquelles la fam euse b ataille de
Q ad esh - a été co n fié au C entre de restauration et de traitem ent des
œ uvres d 'a rt d'A vignon.
L 'archéologie égyptienne a tendance à faire oublier les travaux entre
p ris sur des périodes plus récentes, copte et m usulm ane. Elle m asque aussi
les recherches sur la société égyptienne d ’au jo u rd 'h u i, qui constituent
l'u n e des actions les plus intéressantes de la France sur les bords du Nil.
U n organism e exem plaire, le CEDEJ (Centre d'études et de docum entation
économ ique, juridique e t sociale) se consacre ainsi, depuis 1980, à des
recherches sur l'É gypte, le Soudan et le Proche-O rient. Il a su s ’intégrer
dans le paysage local et se faire accepter. C ’est en langue arabe que sont
organisés dans ses locaux les colloques avec des chercheurs égyptiens,
lesquels n 'o n t étudié les auteurs français que dans des traductions. Signe
des tem ps : Hoda A bdel N asser a choisi une journée « portes ouvertes » au
C ED EJ, le 1er novem bre 1996, pour annoncer la création d 'u n e fondation
consacrée à son p è re ... Les recherches portent sur des sujets aussi variés
que la réislam isation de l'É g y p te, le tourism e dans la vallée du N il, la
g estio n de l'e a u dans le D elta, le travail des enfants, la com m unauté
arm énienne dans l'É gypte post-ottom ane ou le circuit des drom adaires en
provenance du Soudan. C ela se fait sans tapage, en tenant com pte du nou
veau clim at des relations franco-égyptiennes. L 'époque ne supporte plus
les feux d ’artifice et les cocoricos. Il faut savoir se faire discret, parfois ne
pas ém erger. Voici venu, si l'o n peut dire, le tem ps des scaphandriers.
C ette discrétion est valable dans tous les dom aines : scientifique, édu
catif, so c ia l... M ais que dire alors de sœ ur Em m anuelle, cette Française
qui a défrayé la chronique ju sq u ’à sa retraite, en 1993 ? Il est vrai que son
335
DIVORCE E T RETROUVAILLES
installation, vingt-deux ans plus tôt, parm i les zabbaline du C aire —des
chiffonniers cam pant au m ilieu des ordures, q u ’ils ram assent, trien t et
revendent - , s ’était faite sans bruit. La religieuse frondeuse de N otre-
Dame de Sion, déjà sexagénaire, avait quitté son couvent pour une cabane
à chèvres de 4 m ètres carrés, « dans un quartier où tout est sale, m êm e
l ’eau dans laquelle on se lav e4*». Son seul but était de partager la vie de
ces dém unis et les aider à sortir de la m isère.
Elle ne pouvait se perm ettre aucun prosélytism e. Ce bidonville était
d ’ailleurs occupé par des chrétiens coptes. « D ans leur sim plicité de
pauvres gens, ces voleurs, fum eurs de haschich et bagarreurs, m ’ont paru
bien plus près de Dieu que la m ajorité des “justes” et des honnêtes gens
que j ’avais fréquentés jusque-là. A Ezbet-el-N akhl, m es frères et sœ urs
chiffonniers sont devenus m es m aîtres en catéchèse », dira cette fille de la
bourgeoisie du nord de la France, élevée par une gouvernante an g laise3.
Sœ ur Em m anuelle a connu la notoriété lorsqu’elle a cherché à sensibi
liser la bourgeoisie locale à l ’univers des zabbaiine et à créer un réseau
de solidarité à l ’étranger. Dès lors, les m édias ne l'o n t plus lâchée. E lle-
m êm e a pris goût à cette tribune qui lui perm ettait de se faire entendre
très loin, quitte à agacer des associations chrétiennes locales, qui n ’o n t
pas droit aux cam éras et s ’en m éfient d ’ailleurs dans un pays où seule do it
dom iner la voix des m uezzins.
C ’est M 1" Sadate en personne qui est venue inaugurer, en 1980,
le centre social E l-Salam dans le bidonville de sœ ur E m m anuelle. D e
B ruxelles, le catholique Jacques D elors, président de la C om m ission
européenne, lui a apporté un soutien public. L ’épouse du président de la
R épublique, D anielle M itterrand, pourtant « laïque forcenée », n ’a pas
m anqué de dire son adm iration pour la religieuse, la désignant com m e
« le sym bole de tous ceux qui aim ent l ’hum anité et refusent l'in ju stice
des plus dém unis ». E t Bernard Kouchner, qui l ’a rencontrée en 1985 au
Soudan, en pleine fam ine, s ’est extasié : « C ’est un shaker qui vous m al
m ène en perm anence ! M ais, penchée sur les enfants, avec son petit fichu,
ses vieilles baskets et ses lunettes, c ’est fou ce q u ’elle était b elle6 ! »
Sœ ur Em m anuelle a attiré plusieurs volontaires en Égypte et pas m al
d ’argent. En partant, elle a dressé un bilan im pressionnant de son action :
trois jardins d ’enfants, trois écoles, une m aternité, deux centres de protec
tion m aternelle et infantile, quatre dispensaires, un foyer pour personnes
âgées, trois ouvroirs, une usine à com post, une fabrique de tap is... Q uoi
q u ’on pense de son style et de son action, il faut constater que la reli
gieuse-chiffonnière a été la seule, pendant une vingtaine d ’années, à pou
voir sensibiliser des m illions de Français au sort des pauvres du C aire.
Égyptomania
33 7
DIVORCE E T RETROUVAILLES
Les Français baignent dans l'égyptom anie depuis leur enfance. Sans
doute davantage que la m oyenne des O ccidentaux, com pte tenu des liens
particuliers de leur pays avec l’Égypte depuis deux siècles. Ce n 'e st p as
un hasard si des dizaines de bars-tabacs dans l ’Hexagone s ’appellent « L e
K h é d iv e » ... C ette égyptom anie se m anifeste, com m e jad is, à trav ers
la peinture, l ’architecture, la sculpture, la décoration intérieure ou la
m usique, m ais elle a pris plus d ’im portance avec les m oyens de com m u
nication m odernes.
Les m archands de rêves ne pouvaient passer à côté d ’un thèm e aussi
porteur que l’Égypte. Ils en usent et abusent depuis belle lurette. D ans
les années 1880, les cim ents Portland du B oulonnais avaient lancé les
m arques Sphinx et Super-Sphinx. Deux décennies plus tard, ce m êm e ani
m al à tête hum aine devait perm ettre à une m achine à coudre Singer de
conquérir le m arché. L ’Égypte pharaonique exprim e en effet la solidité,
et c ’est l ’un des thèm es dont la publicité est friande.
Solidité, voire éternité, m ais aussi richesse, beauté, évasion. La savon
nette C léopatra de C olgate-Palm olive évoquait l ’O rientale, experte en
338
ÉGYPTOMANIA
339
DIVO RCE E T RETROUVAILLES
chars, des trônes et des trésors. C ecil B. De M ille a donné ainsi, en 1956,
une deuxièm e version de ses D ix C om m andem ents (1923), tourné cette
fo is en É gypte e t non plus en C alifornie. P our séduire le p u b lic, les
cinéastes am éricains en font des tonnes. Il ne s ’agit pas d ’être vrai m ais de
paraître pharaonique. C 'e st en toute connaissance de cause q u e, dans
Terre des pharaons (1955), H ow ard H awks a utilisé des cham eaux, ani
m al inconnu à l ’époque de ses héros. Du palais de Tanis, reconstitué pour
Salom on et la reine de Saba (1959), K ing Vidor nous fait voir les pyra
m ides, distantes pourtant de 150 k ilo m ètres... O n m élange allègrem ent
les lieux, les époques et les sty les6. Les égyptologues ont m ille raisons
de pinailler, sinon de s ’arracher les cheveux. C ela n ’em pêche pas des
reconstitutions fidèles, com m e celle de la salle d ’A m énophis IV A khéna-
ton dans L ’É gyptien (1954) de M ichael C urtiz.
De nom breux auteurs de bandes dessinées, français et belges, ont été
inspirés par l ’Égypte. A près tout, qui a inventé le genre, sinon les graveurs
d ’hiéroglyphes ? Les lecteurs les plus jeunes sont particulièrem ent sen
sibles au clim at de m ystère de la civilisation pharaonique, peuplé d ’êtres
curieux, m i-hom m es m i-anim aux, qui correspondent bien à l ’univers
enfantin 7. Les C igares du pharaon d ’H ergé restent dans la m ém oire des
adultes, tandis que Le M ystère de la grande pyram ide, c h ef-d ’œ uvre
d ’E dgar-Pierre Jacobs, ayant pour héros B lake e t M ortim er, a m arqué
l ’im aginaire collectif et suscité plus d ’une vocation d ’ég y p to lo g u e...
B eaucoup de scénarios tournent autour du m êm e sujet : la découverte
d ’un papyrus, qui m et bons et m échants sur la piste d ’un trésor fabuleux,
tandis que la violation d ’un tom beau ou d ’une pyram ide peut en traîn er
une terrible m alédiction. Les auteurs de BD égyptiennes se docum entent
énorm ém ent. Il leur arrive pourtant de se trom per ou de tricher, com m e
Jacques M artin, dans Sphinx d ’or, qui fait couler le N il à A lex an d rie8.
L ’Égypte antique se prête m ieux aux échappées fantastiques que le m onde
gréco-rom ain. Bilal en fait un support de science-fiction, dans L a Fem m e
piège ou La Foire aux im m ortels, avec une pyram ide volante et des dieux
astronautes.
Un cas intéressant est celui du dessin ateu r belge L ucien De G ieter,
auteur de la série des A ventures de P apyrus, com m encée en 1978. L es six
prem iers album s entraînaient le lecteur dans une Égypte fantaisiste, rem
plie de m onstres, de dieux non hom ologués et de tom beaux perses. O n
était en pleine égyptom anie, dans le sens le plus caricatural du m ot. A
p artir du septièm e album , changem ent radical : le dessinateur est allé en
Égypte, s ’est passionné pour ce pays, il a entrepris de l ’étudier avec m inu-
340
ÉGYPTOMANIA
tie , e t cela a changé com plètem ent son style. Avec L a Vengeance des
R am sès, « l ’égyptologie fait inupdon dans les aventures de Papyrus9 ».
L es aventures ne seront d 'ailleu rs plus qualifiées de « m erveilleuses » à
p a rtir du volum e suivant : La M étam orphose d ’Im hotep est aussi la m éta
m orphose d ’un auteur de BD , s ’inspirant désorm ais des reconstitutions
m inutieuses de Jean-C laude G olvin, l’ancien directeur du C entre franco-
égyptien de Karnak.
Toutes les expositions sur l'É gypte organisées à Paris ont été des suc
cès, de « T outankham on» (1967) à « É gyptom ania» (1994), en passant
p ar « R am sès II» (1976), « U n siècle de fouilles fran çaises» (1981),
« Tanis » ( 1987) et « A m énophis n i » ( 1993), sans oublier celles qui ont
attiré un public nom breux dans d ’autres villes, com m e L'É gypte des pha
raons à M arcq-en-B arsul ( 1977), L'É gypte redécouverte à Autun (1988)
ou M ém oires d ’Égypte à Strasbourg (1990).
Le tourism e au pays des pharaons n ’a cessé d ’augm enter au cours des
trois dernières décennies. Une centaine de voyagistes proposent des séjours,
com prenant pour la plupart une croisière sur le Nil, m ais les Français ont
appris aussi à découvrir les plages de la m er Rouge, le m onastère Sainte-
C atherine dans le Sinai et m ême les oasis du désert libyque. Un coup d ’ar
rêt brutal est intervenu en 1993 et 1994, à cause de plusieurs attentats
islam istes contre des visiteurs étrangers. Une cam pagne publicitaire a été
alors organisée en France par les services du tourism e égyptien, autour du
slogan : « L’Égypte, notre m ém oire l’exige », qui ressem blait presque à une
som m ation. M ais les fran çais n ’attendaient que des assurances de sécurité.
D ès 1995, le flot reprenait,pour atteindre 242 500 visiteurs l ’année suivante.
L ’engouem ent pour l ’Egypte se m anifeste de m anière éclatante dans
les bibliothèques et librairies, où des égyptologues rivalisent avec des
rom anciers populaires. Aux ouvrages traduits de naguère, aussi différents
que Sinouhé l ’É gyptien de M ika W altari ou M ort su r le N il d ’A gatha
C hristie, ont succédé les best-sellers de Christian Jacq, devenu en quelques
années un phénom ène d ’édition. Ce docteur en égyptologie, excom m unié
par ses ex-collègues et m éprisé par les critiques littéraires, a réalisé des
ventes fantastiques avec sa série rom ancée sur Ram sès B, m algré « son
style plat com m e le désert libyque, ses dialogues télégraphiques, l’éro
tism e un peu niais qui n ’effarouchera pas une chaisière habituée aux talk-
show s télévisés, la psychologie som m aire, et cette tém érité chronologique
qui fait cohabiter Ram sès O et M oïse avec H om ère10! ».
341
DIVORCE E T RETROUVAILLES
342
ÉGYPTOM ANIA
co n ten ter de discourir sur l ’Égypte, m ais faire avancer la recherche avec
d e s découvertes originales e t des publications scientifiques; enfin, jo u ir
d e la reconnaissance internationale.
Peu de Français, on s ’en doute, répondent à l ’ensem ble de ces condi
tio n s ! Ils sont nom breux, pourtant, à se passionner pour l ’égyptologie, qui
e s t en train de devenir une science populaire. L es cours de l ’É cole du
L ouvre ou de l ’Institut catholique de Paris attirent un public grandissant.
A n o ter aussi le succès d ’une école privée, K héops, qui com pte près de
600 étudiants, dont la m oitié par correspondance. Q uoique s ’adressant à
des am ateurs, sans form ation particulière, elle dispense un enseignem ent
honnête, sanctionné par un certificat, e t organise m êm e un stage spécial
p o u r les neuf-quinze ans. L a langue des hiéroglyphes attire aujourd’hui
davantage que le la tin ...
U n am oureux de l ’Égypte, Thierry Louis B ergerot, a su concrétiser sa
passion, dans la ville d ’A vignon où il réside. A cteur, m usicien, il a com
m encé p ar faire des études d ’histoire e t d ’égyptologie à l ’université de
M ontpellier, puis est allé en seig n er les hiéroglyphes à des groupes de
lycéens. En octobre 1988, il a créé le C entre v au d u sien d ’égyptologie15,
d an s un p etit local, situé sous les contreforts du Palais des papes. D es
co u rs de langue égyptienne, des conférences et un sém inaire d ’initiation
à la recherche y ont été organisés, avec la collaboration d ’égyptologues
parisien s. U ne revue de bonne tenue est née, É gypte(s), puis a disparu
fau te de m oyens, pour renaître quelques années plus tard, sous le nom
d 'É g yp te, A frique & O rient. Le C entre vauclusien d ’égyptologie attirait
e n 1992 « un public cultivé, plutôt m ûr, plutôt fém inin, plutôt aisé, qui
a d es lo isirs e t sa it goûter les fru its d ’un certain effo rt intellectuel ».
L e public s ’est un peu rajeuni depuis lors, avec l ’arrivée d ’étudiants. U
s 'e s t surtout spécialisé, ces égyptologues am ateurs étant de plus en plus
com pétents au fil des ans.
N os a n c ê tre s les p h a ra o n s
343
D IVO RC E E T RETRO U VAILLES
345
ÉPILOGUE
de ce m odèle serait ridicule. Vingt ans plus tôt, on commençait déjà à per
cevoir la fin d 'u n m onde. L 'É gypte brûlait de devenir égyptienne, d 'a c
quérir une indépendance véritable e t d 'effacer des siècles d'hum iliations.
M ême sans le fiasco de Suez, la France n 'au rait jam ais pu conserver une
telle place sur les bords du N il.
Des Égyptiens francophones, connaissant m ieux Paris que leur propre
pays, se sont retrouvés en porte à faux. Ds ont été conduits à ém igrer, en
France, en Suisse, au Liban ou au C anada. L ’Égypte s'e s t privée ainsi
d ’une bonne partie de ceux qui la reliaient étroitem ent à l’autre rive d e la
M éditerranée. U lui reste heureusem ent des « hom m es-ponts », ayant une
connaissance adm irable de la langue française sans avoir abandonné le
m oins du m onde leur propre culture. C ertains d 'en tre eux ont fondé au
C aire, en 1993, le C entre d ’affaires franco-égyptien (C A FÉ) dont les
400 m em bres - égyptiens e t français - aident les entreprises des deux
pays à m ieux travailler ensem ble.
La France et l’Égypte sont en effet des partenaires obligés. 11 est perm is
de les considérer, au nord et au sud, com m e les deux grands pôles de la
M éditerranée. L eurs intérêts se rejoignent, leurs préoccupations aussi,
m algré d ’im m enses écarts de richesses et de com portem ents sociaux.
L 'extrém ism e islam iste incite davantage encore les deux États à coopérer,
en surveillant avec attention ce qui se passe au M aghreb, une région qui
les concerne directem ent. Chacun reste une porte pour l’autre : si la France
a besoin de l'É gypte pour asseo ir ses positions dans le m onde arabe,
l'É gypte a besoin de la France pour faciliter ses rapports avec la Com m u
nauté européenne. Et, dans un univers où les blocs ont disparu, où n ’existe
plus q u 'u n e seule superpuissance. Le C aire ne veut pas s'enferm er dans
un tête-à-tête avec W ashington.
Les relations entre la France e t l'É gypte n 'o n t jam ais été aussi bonnes.
Le contentieux se lim ite à des conflits m ineurs, presque anecdotiques,
com m e celui des exportations de pom m es de terre égyptiennes. L 'u n des
rares sujets de m ésentente concerne... la statue de Ferdinand de Lesseps,
qui trônait, jusqu’en 1956, à l’entrée du canal de Suez. Dynam itée, brisée
en plusieurs m orceaux, elle a été discrètem ent récupérée, à l ’in itiativ e
d ’un em ployé égyptien de la Com pagnie, et entreposée dans un hangar.
L ’am élioration des rapports bilatéraux a perm is à deux coopérants fran
çais de la restaurer il y a quelques années. Dans un geste de conciliation,
le président égyptien de la Com pagnie l’a m êm e fait sortir au grand air,
en 1995, lors de la visite de l ’A ssociation du souvenir de Ferdinand de
Lesseps. Reste à lui trouver une place, les Égyptiens n ’étant guère désireux
de la rem ettre sur son socle à l ’entrée du C an al...
Si les relations entre les deux pays sont au beau fixe, la concurrence
avec d ’autres partenaires de l ’Égypte a beaucoup augm enté. Le rival n ’est
plus la G rande-Bretagne - bien discrète depuis le départ de ses troupes -
m ais les É tats-U nis, qui disposent de m oyens considérables. L eur aide
annuelle à l ’Égypte dépasse 2 m illiards de dollars, soit vingt fois celle de
346
LES FRUITS D E LA PASSION
351
ANNEXES
352
LA PRESSE FRANCOPHONE D 'É G YP TE
353
ANNEXES
L’entre-deux-guerres
354
LA PRESSE FRANCOPHONE D 'É G Y P T E
Depuis 1945
355
ANNEXES
A ssistance financière
Vingt-cinq protocoles financiers ont été signés entre 1974 et 1996, pour un
montant cumulé de plus de 20 milliards de francs. L'Égypte est l’un des premiers
bénéficiaires de l’aide française, avec 500 millions de francs par an. S’y ajoute
une aide alimentaire, qui représente le quart de l’aide alimentaire française
dans le monde. Par ailleurs, une part importante de l’aide française passe par
l’Union européenne, qui est le premier partenaire de l’Égypte sur le plan
commercial.
Coopération culturelle
357
ANNEXES
Écoles privées
Le lycée de Méadi, au Caire, qui compte 1 200 élèves, suit entièrement le pro
gramme français. L’arabe n’y est même pas obligatoire. Les élèves égyptiens
- une minorité - ne peuvent y entrer qu’avec une dispense et ne sont pas consi
dérés par leur gouvernement comme scolarisés. Pour les services culturels fian
çais, ce lycée sert de base logistique pour coopérer avec les institutions locales
d ’enseignement.
Plus de 44 000 élèves sont accueillis dans une cinquantaine d ’établissements
où le français constitue une langue d ’enseignement. Il s’agit, pour la plupart,
d ’écoles catholiques, dont le niveau est supérieur à celui des ex-lycées de la
Mission laïque française.
E n seig n em en t p u b lic
E n seig n em en t su p é rie u r
L’IFA O
L’Institut français d ’archéologie orientale du Caire (1E \0) existe sous cette
appellation depuis le 18 mai 1897, prenant la suite de l’École française du Caire,
créée par un décret de Jules Ferry le 28 décembre 1880. Son objet est de favoriser
toutes les études, explorations et fouilles relatives aux civilisations qui se sont
succédé en Égypte et dans les régions voisines, de la préhistoire à la période
arabo-islamiquc. L’Institut accueille et loge des membres scientifiques, des
358
LA PRÉSENCE FRANÇAISE EN ÉGYPTE
LeCEDEJ
359
ANNEXES
Mis à part les chantiers de 1’IHAO, la France est présente sur une douzaine de
sites archéologiques en Égypte :
Le C entre fran co-égyptien d'étu d e d es tem ples d e Karnak, créé en 1968, est une
mission permanente, sous la direction de François Larché, ingénieur de
recherche au CNRS.
L’Institut d é g yp to io g ie thébaine (INET ), créé en 1967, est une unité de recherche
associant le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre et le
CNRS. 11 se consacre à la reconstitution des modes de vie des anciens Égyp
tiens, à Thèbes-Ouest, du Nouvel Empire à l’époque copte.
L e C en tre d ’étu des alexandrines, dirigé par Jean-Yves Empereur, organise la
fouille de monuments d ’époque gréco-romaine dans le cadre d ’un projet
d ’archéologie de sauvetage urbain.
La M ission fra n ça ise d es fo u illes d e Tonis étudie une métropole égyptienne de
Basse Époque, sous la direction de Philippe Brissaud, ingénieur de recherche à
l’École pratique des hautes études.
L a M ission arch éologiqu e fra n ça ise d e S aqqara, sous la direction de Jean
Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres,
étudie des pyramides à textes de la VIe dynastie et effectue des recherches sur
les épouses du pharaon Pépi 1er.
La M ission archéologique fran çaise du B ubasteion, à Saqqara, fouille, étudie et
restaure des tombeaux rupestres du Nouvel Empire, sous la direction d’Alain
Zivie, directeur de recherche au CNRS.
L a M ission archéologique franco-égyptien ne d e Tell-el-H err , dirigée par Domi
nique Valbelle, professeur à l’université Lille-111, étudie une structure d ’archi
tecture militaire de la troisième période intermédiaire jusqu’au Bas-Empire.
A N N E X E III
L’égyptologie en France
Le Collège de France
Elle assure une initiation ou un entrainement à la recherche, qui peut être sanc
tionné par un diplôme ou un doctorat L’égyptologie y est présente dans :
- la IVe section, avec des enseignements d'égyptien classique (Pascal Vemus),
néo-égyptien (François Neveu), hiératique (Yvan Koenig) et copte (Gérard
Roquet), auxquels s’ajoute une conférence d ’architecture égyptienne ;
- la Ve section, où une direction d ’études porte sur la religion de l’Égypte
ancienne (Christiane Zivie-Coche) et une autre sur la religion égyptienne dans
les mondes hellénistique et romain (Jean-Claude Grenier).
Sorbonne, 45-47, rue des Écoles, 75005 Paris. Tél. 01.40.46.31.25 et
01.40.46.31.37.
361
ANNEXES
Les universités
Université UUe-Ul
Institut de papyrologie et d ’égyptologie (Dominique Valbelle). En association
avec le CNRS : Unité de recherche 1275, « Habitats et sociétés urbaines en
Égypte et au Soudan ».
BP 149,59653 Villeneuve-d’Ascq, Cedex. Tél. 03.20.41.61.12.
Université Strasbourg-H
Institut d ’égyptologie (Jean-Claude Traunecker).
Palais de l’Université, 67000 Strasbourg. Tél. 03.88.25.97.79.
362
L ’ ÉGYPTOLOGIE EN FRANCE
L’École du Louvre
L’enseignement privé
Les bibliothèques
Les revues
363
ANNEXES
Archéo-Nil, Paris.
Bulletin de VAssociation angevine d ’égyptologie Isis, Angers.
Bulletin du Cercle lyonnais d' égyptologie Victor-Loret, Lyon.
Égypte, Afrique A Orient, Avignon.
Le Monde copte, Paris.
A N N E X E IV
Le Louvre
365
ANNEXES
Parmi les œuvres phares du Louvre, devant lesquelles les conférenciers et les
visiteurs individuels s’arrêtent le plus volontiers, on peut citer :
- pour la préhistoire et l’époque archaïque : la stèle du roi Serpent;
- pour l’Ancien Empire : la statue du Scribe accroupi, le grand Sphinx
de Tanis en granit rose, le mastaba d ’Akhethétep, la tête en grès rouge de
Didoufri;
- pour le Moyen Empire ; le trésor de Tod, les statues de Nachti, de Hapydjéfa,
les sarcophages, ainsi que les porteuses d ’offrandes ;
- pour le Nouvel Empire et la Basse Époque : la statue de Séthi II, les huit sta
tues assises de la déesse Sekhmet, Ramsès II enfant, le buste colossal d ’Améno-
phis IV, Amon et Toutankhamon, la statue de la reine Karomama en bronze
incrusté d ’or, la statue en bois d ’Osiris et la collection de bijoux.
La section copte du musée du Louvre, dirigée par Marie-Hélène Rutschows-
caya, compte, entre autres, une Vierge de l’Annonciation de la fin du v* siècle
sculptée en bois de figuier et une restitution, avec ses éléments originaux, d ’une
partie de la nef de l’église de Baouit en Moyenne-Égypte. Elle s’est enrichie,
dans les années 80, d ’un lot important de céramiques trouvées à Tod.
366
L ’ÉG YPTE D ANS LES M USÉES FRANÇAIS
Bourges (Cher): Musée du Berry. Hôtel Cujas, 4, rue des Arènes, 18000 Bourges.
Tél. 02.48.57.81.15.
Cartonnage et momie de Téos (111e s. av. J.-C.), vases canopes de Psamétique.
367
ANNEXES
Lyon (Rhône) : M usée des Beaux-Arts. Palais Saint-Pierre, 20, place des
Terreaux, 69001 Lyon. Tél. 04.72.10.17.40.
Nombreux objets de l’Ancien Empire à la période copte, sarcophages anthro
pomorphes du Nouvel Empire, deux portes du temple de Médamoud (v. 230
av. J.-C ), linteau du sanctuaire de Sésostris Ier (XIIe dyn.), tête d ’homme en bois
incrusté (XVIIIe dyn.), stèle des Palmyréniens de Coptos (iF-m* s.).
36 8
L ’ÉG YPTE D ANS LES M USÉES FRANÇAIS
Varzy (N ièvre): M usée G rasset. 18, rue Saint-Jean, 58210 Varzy. Tél.
0 3 .8 6 .2 9 .7 2 .0 3 .
Le musée possède un précieux papyrus portant un texte en hiératique du Nou
vel Empire, ainsi que le canope du maire d ’Athribis.
370
LE S ÉCRIVAINS D 'É G Y P T E
B iaatie, M ohammed d> (1937). Fait partie des jeunes écrivains qui voulaient
renouveler l’écriture littéraire dans les années 1960. C’est surtout un nouvelliste,
qui oppose de magnifiques paysages à la détresse et à la solitude de ses person
nages. La Clameur du lac est une suite de quatre récits inspirés du monde des
petites gens et des pêcheurs du village natal de l’auteur, au bord du lac Menzala.
La Clameur du lac. Actes Sud, 19%.
371
ANN EXES
372
LE S ÉCRIVAINS D 'É G Y P T E
Naoum , Nabil (1944). Né au Caire, cet ingénieur copte a travaillé dix ans aux
États-Unis, puis a ouvert une galerie d’art à Héliopolis. Ses écrits sont influencés
aussi bien par les soufis que par des auteurs comme Borges ou Kawabata. Nabil
Naoum est considéré comme le plus cosmopolite des écrivains égyptiens actuels.
Le Voyage de Rû, Actes Sud, 1988 ;
Retour au temple. Actes Sud, 1991 ;
Le R ive de l’esclave. Actes Sud, 1994.
373
ANNEXES
Qaid, Youssef al* (1944). Né dans une modeste famille villageoise, il se dis
tingue par des constructions littéraires originales mettant aux prises plusieurs nar
rateurs. Masri, l’homme du Delta, un court roman, est la triste aventure d ’un
jeune paysan envoyé à la guerre à la place d ’un autre.
Masri, l’homme du Delta, Lattès, 1990.
374
LE S ÉCRIVAINS D ’ÉGYPTE
375
ANNEXES
L ’E xpédition française
1796
14 février. Ifelleyrand recommande au Directoire l’occupation de l’Égypte.
2 juillet. Débarquement des troupes françaises à Alexandrie.
21 juillet. Les mamelouks sont vaincus à la bataille des Pyramides.
lCT-2 août. La flotte française est détruite par les Anglais à Aboukir.
22 août. Création de l’Institut d ’Égypte.
12 octobre. Les mamelouks sont vaincus par Desaix dans le Fayoum.
21-24 octobre. Première insurrection au Caire.
1799
2 février. L’armée française entre à Assouan.
11 février. Début de la campagne de Syrie.
17 mai. Bonaparte lève le siège de Saint-Jean-d’Acre.
14 juin. Retour de Bonaparte au Caire.
19 juillet. Découverte de la pierre de Rosette par un officier français.
25 juillet. Un débarquement turc est repoussé à Aboukir.
23 août. Bonaparte quitte l’Égypte, cédant le commandement à Kléber.
1800
20 mars. Les Tùrcs sont vaincus à la bataille d ’Héliopolis.
20 mars-21 avril. Deuxième insurrection au Caire.
25 avril. Reprise du Caire par les Français.
14 juin. Assassinat de Kléber par un Syrien.
1801
8 mars. Débarquement de 18 000 soldats anglais.
21 mars. Les soldats de Menou sont battus par les Anglais à Canope.
27 juin. Capitulation du général Belliaid au Caire.
2 septembre. Rapatriement des troupes françaises.
377
L'ÉG YPTE, PASSION FRANÇAISE
M ohammed A li
1802
Mars. Paris reconnaît le rétablissement de l’autorité du sultan en Égypte.
Mathieu de Lesseps est nommé consul de France au Caire.
Vivant Denon publie son Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte.
1804
Bernardino Drovetti est nommé consul de France.
1805
17 mai. Mohammed Ali est proclamé gouverneur d’Égypte.
1807
Mars. Les Anglais occupent Alexandrie, qu’ils seront contraints d ’évacuer en
septembre.
1810
Première livraison de la Description de l’Égypte.
1811
1er mars. Mohammed Ali fait massacrer plus de 400 mamelouks à la Citadelle du
Caire.
Octobre. Des troupes égyptiennes sont envoyées en Arabie, où elles occuperont
Médine et La Mecque.
1820
Octobre. Début de la conquête du Soudan par les troupes égyptiennes.
Le coton à longue fibre est produit en Égypte par iumel.
Le colonel Sève crée à Assouan la première école militaire à la française.
1822
27 septembre. Jean-François Champollion communique sa découverte.
1824
Champollion publie le Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens.
1825
26 février. Débarquement des troupes égyptiennes en Morée.
1826
14 mai. Jean-François Champollion est nommé conservateur du musée égyptien
du Louvre.
Première mission scolaire en France, avec Rifaa el-lhhtawi.
378
CHRONOLOGIE
1827
20 octobre. L’escadre française participe à la destruction de la flotte turco-
égyptienne à Navarin.
15 décembre. Charles X inaugure le musée égyptien du Louvre.
Création de l’École de médecine du Caire par Clot bey, et de l’École vétérinaire.
1828
18 août Arrivée de Champollion en Égypte avec la mission franco-toscane.
1829
Lefèbvre de Cérisy crée l’arsenal d ’Alexandrie.
1831
Mohammed Ali envoie ses troupes conquérir la Syrie.
10 mai. Leçon inaugurale de Champollion au Collège de France.
1832
4 mars. Mort de Champollion.
1833
30 avril. Un premier groupe de saint-simoniens, conduit par Cayol, débarque à
Alexandrie. Il y est rejoint le 24 mai par le groupe de Barrault et, le 23 octobre,
par celui de Prosper Enfantin.
1834
10 janvier. Enfantin et ses amis commencent l’exploration de l’isthme de Suez.
3 février. Mohammed Ali confie à Linant de Bellefonds la construction du
barrage à la pointe du Delta.
Publication de L’Or de P a is, de Rifaa el-lïhtaw i.
Création de l’École polytechnique du Caire par les saint-simoniens.
1835
Création de l’École des langues, sous la direction de Ihhtawi.
1836
25 octobre. L’obélisque, transporté de Louxor, est érigé à Paris, sur la place de la
Concorde.
1839
Octobre. Premiers photographes français en Égypte.
1840
Décembre. Les troupes égyptiennes évacuera la Syrie.
379
L'É G YP TE , PASSIO N FRANÇAISE
1841
1er juillet. Mohammed Ali obtient le gouvernement héréditaire de l’Égypte pour
sa famille.
Publication du Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique de Champollion.
1844
Félicien David crée son ode-symphonie Le Désert.
Exposition de la « Chambre des rois » de Kamak à la Bibliothèque nationale, à
Paris.
1845
Visites d ’ibrahim pacha en France et du duc de Montpensier en Égypte.
1846
27 novembre. Prosper Enfantin crée à Paris la Société d ’études pour le canal de
Suez.
1848
2 septembre. Mohammed Ali, atteint de sénilité, est remplacé par son fils Ibrahim.
10 novembre. Mort d ’ibrahim, auquel succède Abbas, petit-fils de Mohammed Ali.
A bb a s , S aïd et Ism a Il
1849
2 août. Mort de Mohammed Ali.
Renvoi ou mise à l’écart du personnel français.
1851
12 novembre. Découverte de l’entrée du Serapeum de Memphis par Auguste
Mariette.
Gérard de Nerval publie Voyage en Orient.
1854
15 février. Ouverture au Caire du premier collège des frères des Écoles chré
tiennes.
13 juillet. Assassinat d*Abbas, auquel succède son oncle Saïd.
30 novembre. Said accorde à Ferdinand de Lesseps la concession du canal de Suez.
1856
5 janvier. Firman définitif de concession du canal de Suez.
20 juillet. Publication par Saïd du règlement sur le travail des ouvriers égyptiens
dans l’isthme de Suez.
Juillet. Création à Paris de L'Isthme de Suez. Journal de l'union des deux
mondes.
380
CHRONOLOGIE
1857
1er janvier. Mise en service de la voie ferrée Alexandrie-Le Caire.
1858
1er juin. La Direction des antiquités égyptiennes est confiée à Mariette.
5 novembre. Ouverture de la souscription des actions de Suez, qui sera close le
30 novembre.
15 décembre. Constitution de la Compagnie universelle du canal de Suez.
Théophile Gautier publie le Roman de la momie.
1859
M ise en service de la voie ferrée Alexandrie-Suez.
25 avril. Ouverture des travaux du canal de Suez, à Port-Saïd.
6 m ai. Fondation au Caire de l’Institut égyptien, dans l’esprit de l’Institut
d ’Égypte créé par Bonaparte.
1862
27 avril. Pose de la première pierre de la ville de Timsah (Ismaïlia).
14 mai. Voyage de Saïd en France.
18 novembre. Les eaux de la Méditerranée entrent dans le lac Timsah.
Saïd envoie un bataillon soudanais au Mexique pour soutenir l’expédition française.
1863
18 janvier. Mort de Saïd, auquel succède Ismaïl.
Punition publique à Alexandrie de soldats égyptiens, à la demande du consul de
France.
Ouverture au public du musée de Boulaq, créé par Mariette.
1864
6 juillet. Arbitrage de Napoléon III sur la Compagnie de Suez. Les contingents
d ’ouvriers égyptiens sont supprimés.
1866
19 mars. Le sultan autorise la construction du canal de Suez.
27 mai. Ismaïl obtient, pour ses descendants, la succession directe dans l’ordre de
primogéniture.
1867
6 juin. Avec l’autorisation du corps législatif français, la Compagnie de Suez
émet un emprunt de 100 millions de francs.
8 juin. Firman du sultan attribuant le titre de khédive à Ismaïl.
Juin. Le khédive se rend en France pour l’Exposition universelle.
1868
15 août. Inauguration du chemin de fer de Suez à Ismaïlia.
Création de l’hebdomadaire Le Progrès égyptien.
381
L'ÉG YP TE , PASSIO N FRANÇAISE
1869
IS août. Jonction des eaux des deux mers dans les lacs Amers.
17 novembre. Inauguration du canal de Suez en présence de l’im pératrice
Eugénie.
1870
9 janvier. Décret ordonnant l'usage de l’arabe (au lieu du turc) dans l’administra
tion, du turc et du français au palais, aux Finances et à la Guerre, et de l’arabe e t
du français dans la police et les gouvemorats.
1871
24 décembre. Première représentation d ’Aida au Caire.
1875
28 juin. Inauguration des tribunaux mixtes.
25 novembre. La Grande-Bretagne achète la paît de l’Égypte dans les actions du
canal de Suez.
1876
8 avril. Déclaration de faillite du gouvernement égyptien.
2 mai. Décret khédivial créant la Caisse de la dette publique, sous le contrôle
d ’un Anglais, d ’un Français, d ’un Autrichien et d ’un Italien.
18 novembre. Institution du contrôle franco-anglais sur les finances égyptiennes.
1878
28 août. Nubar forme un gouvernement « européen », avec le Français Blignières
aux Travaux publics et l’Anglais Rivers Wilson aux Finances.
1879
19 juin. La France et l’Angleterre invitent le khédive à abdiquer en faveur de son
fils Tewfik.
25 juin. Le sultan signifie à I’« ex-khédive Ismaïl » sa déposition. Remplacé par
Tewfik, son fils aîné, il quitte l’Égypte le 30 juin.
1er octobre. Ouverture du collège des jésuites du Caire.
15 novembre. Les contrôleurs anglais et français entrent au gouvernement, avec
voix consultative.
1880
14 janvier. L’Égypte vend ses derniers droits sur les revenus du canal de Suez.
22 mars. Première représentation d'Aida à l’Opéra de Paris.
17 juillet. La loi de liquidation, élaborée par une commission internationale,
affecte 57 % des revenus de l’Égypte, pendant soixante et un ans, au service de la
dette et au tribut dû au sultan.
28 décembre 1880. L’École française du Caire est instituée par décret
Création du journal Le Bosphore égyptien.
382
CHRONOLOGIE
1881
18 février. Gaston Maspero succède à Mariette au poste de directeur des Anti
quités.
9 septembre. Manifestation des orabistes sur la place Abdine.
L ’occupation britannique
1882
1er février. Freycinet, qui est opposé à une intervention française en Égypte,
succède à Gambetta à la tête du gouvernement à Paris.
4 février. Orabi devient ministre de la Guerre.
20 mai. Entrée dans le port d ’Alexandrie de six navires de guerre anglais et
six navires de guerre français.
25 mai. La France et l’Angleterre demandent au khédive la démission du gouver
nement et l’exil d ’Orabi.
11 juin. Des incidents sanglants éclatent à Alexandrie entre Égyptiens et Euro
péens.
11 juillet. L’escadre française s'éloigne d’Alexandrie, qui est bombardée par la
flotte anglaise.
15 juillet. Débarquement des troupes britanniques à Alexandrie.
29 juillet. Le cabinet Freycinet est renversé sur une motion de Clemenceau
lui refusant des crédits destinés à une force armée pour protéger le canal de
Suez.
1883
30 mai. Evelyn Baring (le futur lord Cromer) est nommé consul général de
Grande-Bretagne en Égypte.
1885
26 janvier. Chute de Khartoum et mort du général Gordon.
Juin. Évacuation du Soudan.
1887
Les jésuites ouvrent leur Mission de Minia.
1892
7 janvier. Mort de Tewfik, auquel succède son fils Abbas.
1894
7 décembre. Mort de Ferdinand de Lesseps.
Création du journal La Réforme.
1895
Mai. Moustapha Kamel présente une pétition à l’Assemblée nationale, à Paris.
383
L'ÉG YP TE , PASSION FRANÇAISE
1896
Début de la reconquête du Soudan par les forces anglo-égyptiennes.
1898
18 mai. L’École française du Caire devient l’Institut français d ’archéologie orien
tale (IFAO).
2 septembre. L’armée anglo-égyptienne reprend Khartoum.
18 septembre. Face-à-face franco-britannique à Fachoda.
11 décembre. Les Français évacuent Fachoda.
Création du Journal du Caire et de La Bourse égyptienne.
1899
21 mars. Convention franco-anglaise.
17 novembre. Inauguration de la statue de Ferdinand de Lesseps à Port-Saïd.
1902
10 décembre. Inauguration du barrage d ’Assouan.
1904
8 avril. Accord franco-anglais (1’« entente cordiale »), laissant à la Grande-
Bretagne les mains libres en Égypte.
Création du quotidien Le Progrès égyptien.
1907
6 mai. Lord Cromer quitte l’Égypte.
Octobre. Moustapha Kamel fonde le Parti nationaliste.
1906
La ville d ’Héliopolis est ouverte au public.
Pierre Loti p jblie La Mort de Philae.
1909
Création des lycées du Caire, d’Alexandrie et de Port-Saïd.
1914
18 décembre. Proclamation du protectorat britannique sur l’Égypte.
19 décembre. Abbas, déposé par les Anglais, est remplacé par son oncle Hussein
Kamel, qui prend le titre de sultan.
1917
9 octobre. Mort du sultan Hussein, remplacé par son demi-frère Fouad.
1918
1er novembre. L’Institut égyptien reprend le nom d’institut d ’Égypte.
13 novembre. Une délégation du Wafd, conduite par Saad Zaghloul, revendique
l’indépendance de l’Égypte.
384
CHRONOLOGIE
8 mars. Saad Zaghloul et trois autres personnalités sont déportés à Malte. Protes
tations populaires, grèves et affrontements sanglants.
1921
5 avril. Retour de Saad Zaghloul en Égypte.
L e royaume d ’Égypte
1922
1er mars. L’Égypte est proclamée royaume indépendant
Novembre. Découverte du tombeau de Toutankhamon.
1924
29 janvier. Saad Zaghloul forme le gouvernement après la victoire électorale du
Wafd.
19 novembre. Démission de Saad Zaghloul après l’assassinat du sirdar britan
nique.
1927
Le roi Fouad se rend a i visite officielle en France.
1928
19 juillet. Suspension du parlementarisme.
1934
28 avril. Mort du roi Fouad, auquel succède son fils Farouk.
26 août Traité d ’alliance anglo-égyptien.
Le chanoine Drioton devient directeur des Antiquités égyptiennes.
1937
8 mai. Convention de Montreux, modifiant le statut des étrangers en Égypte.
1938
Création de La Revue du Caire.
1941
1*M7 avril. Premier voyage du général de Gaulle en Égypte.
1942
6 janvier. Suspension des relations diplomatiques entre l’Égypte et la France de
Vichy.
4 février. Les Britanniques menacent Farouk de déposition.
7 août Deuxième voyage du général de Gaulle en Égypte.
385
L'ÉG YP TE , PASSION FRANÇAISE
1945
24 février. Assassinat du Premier ministre, Ahmed Maher.
1946
21 janvier. Manifestations au Caire en faveur de l’évacuation britannique.
1948
15 mai. Entrée en guerre de l’Égypte contre Israël.
1949
15 octobre. Fin de la période transitoire décidée à Montreux, suppression des
tribunaux mixtes.
1951
8 octobre. Le gouvernement égyptien annonce son intention d’abroger le traité
avec la Grande-Bretagne.
13-14 octobre. Manifestations et début de la guérilla contre les forces britan
niques dans l’isthme de Suez.
1952
19 janvier. Des commandos égyptiens attaquent la garnison britannique de
Tell-el-Kébir.
25 janvier. Ultimatum de l’armée britannique, qui occupe une caserne d ’Ismaïlia.
Cinquante Égyptiens tués.
26 janvier. Incendie du Caire.
23 juillet. Les « Officiers libres » prennent le pouvoir.
26 juillet. Farouk abdique et part en exil.
17 décembre. Les oulémas d ’El-Azhar appellent les gouvernements arabes et
musulmans à « s’opposer fermement à la politique impérialiste et oppressive »
de la France en Afrique du Nord.
L a R épublique nassérienne
1953
18 juin. Proclamation de la République égyptienne, sous la présidence du général
Naguib.
1954
14 novembre. Naguib est écarté du pouvoir par Nasser.
1955
21 septembre. Suppression des tribunaux confessionnels.
1er décembre. Nouveau statut de l’enseignement privé.
386
CHRONOLOGIE
1956
A Paris, Dalkla chante Bambino.
16 janvier. Proclamation de la nouvelle Constitution égyptienne, qualifiant
l’islam de religion d ’ÉtaL
16 avril. Circulaire gouvernementale sur l’obligation de renseignement religieux
dans les écoles privées.
18 juin. Fin de l’évacuation de la zooe du Canal par les Britanniques.
19 juillet. Washington remet en question le prêt de la Banque mondiale à
l’Égypte.
26 juillet. Nationalisation de la Compagnie de Suez.
6 août. La Compagnie invite son personnel à choisir, avant le 25 août, entre
« la fidélité au contrat qui le lie à la Compagnie » et l’acceptation d ’une « colla
boration volontaire » avec le nouvel organisme égyptien de gestion.
29 octobre. Les troupes israéliennes pénètrent en Égypte.
30 octobre. Ultimatum franco-britannique aux belligérants.
31 octobre. Raids franco-britanniques contre les aérodromes égyptiens.
En France, l’Assemblée nationale approuve à une large majorité l’intervention
militaire.
1er novembre. L’Égypte rompt ses relations diplomatiques avec la France et la
Grande-Bretagne.
2 novembre. L’assemblée générale de l’ONIJ se prononce pour un cessez-le-feu,
par 64 voix contre 5.
3 novembre. Pour empêcher un débarquement de forces aéroportées, les Égyp
tiens coulent plusieurs navires dans le canal de Suez.
5 novembre. Des parachutistes français et britanniques occupent les abords de
Port-Saïd. Ultimatum soviétique à Mollet, Eden et Ben Gourion.
6 novembre. Les troupes franco-britanniques pénètrent dans Port-Saïd. Annonce
du cessez-le-feu à partir de m inuit
15 novembre. Arrivée en Égypte des premiers Casques bleus de l’ONU.
22 décembre. Les derniers détachements britanniques et français quittent
l’Égypte.
1957
14 janvier. Égyptianisation des banques et sociétés françaises et britanniques.
10 février. La langue arabe devient obligatoire dans toutes les transactions com
merciales.
8 avril. Réouverture du canal de Suez.
1958
21 février. Approbation par référendum, en Égypte et en Syrie, de la création de
la République arabe unie, présidée par Nasser.
22 août. Signature à Genève des accords franco-égyptiens : levée du séquestre
des biens français en Égypte, reprise de la coopération culturelle et réouverture
de l’Institut français d ’archéologie du Caire ainsi que des lycées du Caire et
d’Alexandrie.
387
L'ÉG YPTE, PASSIO N FRANÇAISE
1959
25 janvier. Le collège des jésuites du Caire est mis sous scellés. La mesure sera
rapportée le 23 février.
9 mars. Les établissements scolaires français sont restitués à la Mission laïque
française, mais avec une nouvelle réglementation.
1960
Appel de l’Unesco pour le sauvetage des monuments de Nubie.
7 mai. A Damiette, Nasser assiste aux commémorations de la victoire des musul
mans sur Saint Louis.
1961
8 septembre-7 décembre. Vaste campagne « contre les millionnaires et les féo
daux égyptiens et étrangers ».
28 septembre. Sécession syrienne. Fin de la République arabe unie.
24 novembre. Arrestation de quatre diplomates français accusés d ’espionnage.
19 décembre. L'accès du territoire égyptien est interdit à tout ressortissant français.
27 décembre. Mise sous séquestre d ’écoles françaises au Caire et à Alexandrie.
Le gouvernement français rappelle les professeurs français en Égypte.
1962
15 janvier. Ouverture au Caire du procès de diplomates français accusés d ’es
pionnage.
7 avril. Libération des diplomates arrêtés.
25 avril. Les touristes français sont réadmis en Égypte.
1963
Avril. Rétablissement des relations diplomatiques entre la France et l’Égypte.
1964
Juillet. Accord commercial franco-égyptien.
5 novembre. Accord d ’indemnisation entre les actionnaires de Suez et le gouver
nement égyptien.
1965
16 octobre. Le maréchal Amer, vice-président de la RAU, est reçu officiellement
à Paris.
1966
Mars. André Malraux, ministre français de la Culture, est accueilli en Égypte.
28 avril. Signature d ’une convention sur le règlement du contentieux patrimonial
franco-égyptien.
388
CHRONOLOGIE
1967
16 février. Inauguration à Paris de l’exposition « Toutankhamon et son temps ».
Juin. Guerre israélo-arabe. De Gaulle condamne l’intervention israélienne.
27 novembre. De Gaulle qualifie les juifs de « peuple d ’élite, sûr de lui et domi
nateur».
1969
6 janvier. Embargo français sur les armes à destination d ’Israël.
S adate et M oubarak
1970
28 septembre. Mort de Nasser, auquel succède Sadate.
6 décembre. Accord franco-égyptien de coopération culturelle et technique.
1973
6 octobre. L’Égypte et la Syrie déclenchent la guerre contre Israël.
1975
27-29 janvier. Visite du président Sadate à Paris.
5 juin. Réouverture du canal de Suez.
10-13 décembre. Visite du président Giscard d ’Estaing en Égypte.
1976
26 septembre. La momie de Ramsès II arrive à Paris pour y être « soignée ».
1977
19 novembre. Le président Sadate se rend à Jérusalem.
1979
26 mars. Signature à Washington du traité de paix israélo-égyptien.
1981
6 octobre. Assassinat d ’Anouar el-Sadate, remplacé par Hosni Moubarak.
1982
3 janvier. Contrat pour la vente de Mirage 2000 à l’Égypte.
2 juillet. Initiative commune franco-égyptienne aux Nations unies à propos du
Proche-Orient.
24 novembre. Visite du président Mitterrand en Égypte.
1963
Décembre. L’Égypte devient membre de l’Agence (francophone) de coopération
culturelle et technique.
389
L'É G YP T E , PASSIO N FRANÇAISE
1985
Le cinéaste Youssef Chahine présente à Cannes Adieu, Bonaparte.
1987
27 septembre. Inauguration de la première ligne du métro du Caire en présence
du Premier ministre fiançais, Jacques Chirac.
1988
12 octobre. Naguib Mahfouz obtient le prix Nobel de littérature.
1990
4 novembre. Inauguration de l’université francophone d ’Alexandrie en présence
du président Mitterrand.
1991
17 janvier. Opération militaire contre l’Irak, à laquelle participent la France et
l’Égypte.
Novembre. Boutros Boutros-Ghali est élu secrétaire général de l’ONU avec l’appui
de la France.
1995
Mai. Le président Moubarak se rend en visite à Paris.
4 octobre. Premiers vestiges de l’Alexandrie antique sauvés des eaux par une
équipe française.
Décembre. Dernier séjour privé de François Mitterrand en Haute-Égypte.
1996
12 janvier. Le président Moubarak assiste à la messe de requiem pour François
Mitterrand à Notre-Dame de Paris.
6-8 avril. Visite du président Chirac au Caire.
1997
Juillet. Début des célébrations de deux siècles d ’échanges franco-égyptiens.
B ib lio g ra p h ie
391
L'ÉG YPTE, PASSION FRANÇAISE
Le canal de Suez
Bcrchère, Narcisse, Le Désert de Suez, cinq mois dans l’isthme, Paris, 1862.
Bonin, Huben, Suez. Du canal à la finance (1858-1987), Paris, Economica, 1987
Boutros-Ghali, Boutros, et Chlala, Youssef, Le Canal de Suez, 1854-1957,
Alexandrie, 1958.
Charles-Roux, Jules, L’Isthme et le Canal de Suez, Paris, 1901,2 vol.
Edgar-Bonnet, Georges, Ferdinand de Lesseps, Paris, 1951 et 1959,2 vol.
Famie, D. A., East and West o f Suez. The Suez Canal and History (1854-1956),
Oxford, 1969.
Goby, Jean-Édouard, Bibliographie critique du canal de Suez, Le Caire, IE \0 ,
1954.
Hefnaoui, Mohammed el-. Les Problèmes contemporains posés par le canal de
Suez (thèse), Paris, 1951.
Kinross, lord. Between Two Seas. The Creation o f the Suez Canal, Londres, Mur
ray, 1968.
Le Père, Jacques-Marie, « Mémoire sur la communication de la mer des Indes à
la Méditerranée », in Description de l’Égypte, 1" éd., « État moderne », p. 21-
186; 2« éd., t. XI, p. 37-370.
Lesage, Charles, L’Invasion anglaise en Égypte. L’achat des actions de Suez,
Paris, 1906.
Lesseps, Axel, Moi, Ferdinand de Lesseps, Paris, Olivier Orban, 1986.
Lesseps, Ferdinand de. Lettres, journal et documents, Paris, 1875-1881,5 vol. ;
- , Percement de l’isthme de Suez. Exposés et documents officiels, Paris, 1855-
1866,6 vol.
Pudney, John, Suez. De Lesseps’ Canal, Londres, Dent, 1968.
Reymond, Paul, Histoire de la navigation dans le canal de Suez, Le Caire, IFAO,
1956.
Ritt, Olivier, Histoire de l’isthme de Suez, Paris, Hachette, 1869.
Siegfried, André, Suez, Panama et les routes maritimes mondiales, Paris, Armand
Colin, 1940.
Voisin bey. Le Canal de Suez, Paris, 1902-1906,7 vol.
La crise de 1956
392
BIBLIOGRAPHIE
L’égyptologie française
393
L ’ÉGYPTE, PASSIO N FRANÇAISE
Who Was Who in Egyptology, Londres, The Egypt Exploration Society, 3e éd., 1995.
L’Égyptologie et les Champollion, ouvrage collectif préfacé par Jean Leclant,
Presses universitaires de Grenoble, 1974.
Lettres, journaux et dessins inédits de Nestor L’Hôte. Sur le Nil avec Champol
lion, recueillis par Diane Harlé et Jean Lefebvre, Paris, Paradigme, 1993.
La Momie de Ramsès II. Contribution scientifique à l'égyptologie, Paris, CNRS,
1976-1977.
394
BIBLIOGRAPHIE
395
L 'É G YP T E , PASSIO N FRANÇAISE
396
BIBLIO GRAPHIE
397
L'ÉG YPTE, PASSION FRANÇAISE
L’égyptomanie
R elations d e voyage
x v r siècle
x v tr siècle
398
BIBLIO G RAPH IE
x v u r siècle
XIXe siè c le
399
L ’ÉG YPTE, PASSIO N FRANÇAISE
XX1siècle
401
402
IND EX D ES NOM S D E PERSONNES
403
L ’ÉGYPTE, PASSION FRANÇAISE
404
IN D EX D ES NOM S D E PERSONNES
405
L'ÉG YP TE . PASSIO N FRANÇAISE
406
IND EX D ES NOM S D E PERSONNES
407
L ’ÉG YPTE, PASS/O N FRANÇAISE
Linant de Bellefonds, Louis, 6 5 ,66n, 211-218, 273, 300, 334, 347, 359,
95,98,125-127,162,379. 383.
Lloyd. Clifford, 194. Massabki, Nicolas, 69.
Lloyd, Selwin. 279. Massé, Victor, 182.
Locle, Camille du, 178,179. Massenet, Jules 182,200.
Loret, Victor, 215. Massignon, Louis, 256.
Lorin, Henri, 256. Massu, Jacques (général), 281,284.
Loti, Pierre, 217n, 384. Mathilde (princesse), 157.
Louca, Anouar, 69n, 70n, 7 2 ,73n, 75n. Mattéi, André, 293.
Louis XIV, 18.21,25. Maupassant, Guy de, 374.
Louis XV, 25,87. Maurois, André, 239.
Louis XVI, 25. Maximien (empereur), 16.
Louis XVIII, 5 3 ,5 6 ,6 2 ,7 6 ,7 8 ,7 9 . Mazloum pacha, 239.
Louis-Philippe, 68,72,85,87-89,108. Méliès, Georges, 339.
Luthi, Jean-Jacques, 231,233,327n. Menasce, J. de, 231.
Lyautey, Louis Hubert, 244. Menou, Jacques, alias Abdallah, 46,48,
Lyons, 61,62. 49,377.
Menu, Bernadette, 87n.
Memiau, Paul, 149.
M Métin, Albert, 193n.
Milner, Alfred, 195,196,210n.
Machereau, Philippe-Joseph, 96. Mimaut, 95,96,115.
Magallon, Charles, 29,35. Miollan, Dominique, 274.
Maher, Ahmed, 386. Miquel. André. 293, 294, 295n, 297,
Maheu, René, 301. 361.
Mahfouz, Naguib, 316,317, 326, 373. Mircher, 162.
390. Mirguet, Bernard, 162.
Maillet, Benoit de, 23. Mitterrand, Danielle, 311,336.
Makarius, Raoul, 267n. Mitterrand, François, 279, 309-311,
Malosse, Louis, 195n, 206n, 21 On, 319,389,390.
229n. Mceness, Hussein, 285.
Malraux, André, 300-302,388. Mohammed Ali, 10,28,58,59, $1-69,
Mann, Thomas, 31n. 72 ,7 3 ,7 9 -8 2 ,8 5 ,8 7 ,9 3 -9 5 ,9 8 ,9 9 ,
Marchand, Jean-Baptiste (capitaine). 102-104, 108, 117-119, 123, 133,
203,235. 153, 155, 160, 164, 188, 229, 255,
Marie-Antoinette, 23. 258,272,345,378-380.
Mariette, Auguste, 10, 82, 137, 138- Moïse, 15, 16, 41, 73, 80, 126, 170,
142, 154, 155, 157, 171, 172, 177- 178,179,310,341.
181, 211, 212, 215, 255, 273, 365, Mollet. Guy, 278-280.387.
380.381,383. Monet, Claude 239.
Mariette, Édouard, 141n, 177,178n. Monet, Pierre, 252.
Marigny, de (abbé), 31. Monge, Gaspard, 32,39-41,46,53.
Marilhat, Prosper, 101. Montbaid, 199,200.
Marmont, Auguste Viesse de, 46. Montesquieu, 71.
Martimprey, 237. Montgomery, Bernard Law, 260.
Martin, Jacques, 340. Montpensier, duc de, 68,380.
Martin, Maurice (jésuite), 22 ln, 290n. Morand, Paul, 246.
Maspero, Gaston, 141, 157, 172, 181, Morel, Charles, 54.
408
INDEX DES NOM S D E PERSONNES
409
L ’ÉG YPTE, PASSIO N FRANÇAISE
Prologue......................................................................................... 9
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
De grandes ambitions
1. Lesseps, à la hussarde..................................................................... 1 15
2. Investir dans le sable....................................................................... 121
3. L’odeur de l'argent......................................................................... 131
4. Les trésors de M. Mariette.............................................................. 137
5. Polytechniciens et ouvriers-fellahs................................................. 145
6. L’Exposition universelle................................................................ 153
7. Ismaïl le Magnifique....................................................................... 159
8. Eugénie sur la dunette...................................................................... 169
9. Genèse d ’un o p éra.......................................................................... 177
10. Les créanciers au pouvoir............................................................... 183
TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE
Divorce et retrouvailles
ANNEXES
Chronologie...................................................................................... 377
Bibliographie.................................................................................... 391
Index des noms de personnes........................................................... 401
C r é d it s p h o t o g r a p h iq u e s
Hora-texte 1
Hora-(exte 2
Hora-texte 3