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Facebook, Twitter, Instagram : de la jouissance à la dépendance

Regarder, être regardés, suivre, être suivis… La consommation d’images a envahi nos vies. Si
beaucoup sont accros aux réseaux sociaux - Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest...-, c’est
parce qu’ils ont besoin d’être reconnus et aimés. Mais dans un univers qui glorifie la soif de tout
voir en toute transparence, il devient compliqué de protéger son intimité.

Hélène Fresnel

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Huit jours de retard. Ce matin encore, elle fuit le regard excédé de son chef pour se plonger dans
le fil d’actualités de ses amis Facebook. Le rapport sur la volatilité du marché
parapharmaceutique attendra : « Je sais que je ne devrais pas, mais c’est devenu un automatisme,
se justifie-t-elle. J’allume mon ordinateur en arrivant au bureau et je vais immédiatement voir ce
qui s’est passé sur le réseau pendant les quelques heures où j’en ai été déconnectée. J’en oublie
même mon entourage, mes camarades de travail. Je ne prends plus de café avec eux. Je m’ennuie
à la cantine. Je préfère rester assise, collée à mon écran. Je sais bien que ce n’est pas la “vraie”
vie, que rien ne vaut les “vrais” amis, etc., mais je me fiche des discours moralisateurs. J’en ai
trop envie. »

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Accro à Facebook Aujourd’hui, tout le monde – ou presque – s’y est mis. Mais certains
beaucoup plus que d’autres… Pourquoi passer tout son temps sur Facebook ? Comment se «
désintoxiquer » ? (...).

Des ados – mais pas seulement – qui diffusent heure par heure leurs photos via le logiciel
Instagram et comptabilisent les « like » de leurs abonnés ; des personnages plus ou moins publics
qui étalent leurs points de vue et leur intimité en cent quarante signes tout en vérifiant le nombre
de leurs followers sur Twitter ; de gentils adhérents qui épinglent sur des tableaux virtuels leurs
intérêts et leurs activités via l’application Pinterest… Nous sommes de plus en plus nombreux à
passer notre temps à nous regarder les uns les autres, à nous exposer, à vérifier que nous sommes
vus, à espérer que nous le sommes.

S'exhiber pour se plaire

C’est cette question du regard et de la vision qui explique l’engouement et la frénésie pour les
réseaux sociaux virtuels. Pourquoi ? Parce qu’utiliser nos yeux déclenche de l’excitation et du
plaisir. C’est ce que Freud a appelé la « pulsion scopique ». Il la décrit pour la première fois en
1905 et explique son pouvoir d’attraction (in Trois Essais sur la théorie sexuelle de Sigmund
Freud (Flammarion, 2011)) : d’une part, voir permet au bébé de découvrir le monde ; d’autre
part, regarder un objet qui l’attire – « toucher avec les yeux » – provoque de la jouissance.

Cette pulsion, qui était au départ à égalité, voire annexe des autres pulsions – anale, orale, celles
qui correspondent directement à nos zones érogènes –, monopolise désormais tous nos modes de
jouissance et nous transforme parfois en voyeurs ou en exhibitionnistes compulsifs sur les
réseaux.

Facebook, Twitter, Instagram : de la jouissance à la dépendance :


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« Nous vivons dans une société de l’image, confirme le psychiatre et psychanalyste Alain
Vanier. Elle est partout, dans les aéroports où les corps sont scannés, en médecine où notre
anatomie est scrutée avec des rayons X, sur les écrans de nos ordinateurs, de nos Smartphone
auxquels nous sommes en permanence reliés. L’image apporte une force supérieure à tous nos
autres modes d’appréhension du monde. » C’est par elle en effet que nous avons pour la
première fois pris conscience de notre existence, lors du stade du miroir, ce moment où, vers 6
mois, le bébé reconnaît son image dans la glace, quand son père ou sa mère le met devant son
reflet en lui affirmant : « Tu vois, ça, c’est toi. » C’est à la fois par cette image et par le regard
parental aimant qu’il accède à son identité propre et qu’il peut ainsi l’assumer, l’investir comme
aimable parce qu’elle a été investie comme aimable, adorable par un autre, son père ou sa mère.

« Au début, quand j’étais sur Twitter, je me contentais d’écrire. Puis j’ai téléchargé Instagram, et
depuis je passe mon temps à diffuser des photos que je prends avec mon téléphone, reconnaît
Xavier, 25 ans, près de mille trois cents followers. Je change les filtres, les objectifs. J’essaie de
poster les clichés les plus surprenants et j’attends toujours avec impatience les “coeurs” de mes
abonnés. Plus j’en ai, plus je suis heureux. J’ai l’impression d’être reconnu pour la singularité de
ce que je produis. »

Testez-vous !

Selon Alain Vanier, « les boutons “like” ou “coeurs” sont la traduction au premier degré de notre
besoin d’être aimés. Ils nous donnent la preuve que nous sommes regardés et appréciés. Si je me
sers un verre tout seul dans ma cuisine en sachant que quelqu’un me regarde en train de le faire
et qu’il en retire du plaisir, alors mon quotidien quelconque devient tout à coup extrêmement
intéressant. Si mon geste est attrayant pour l’autre, alors il me donne de la valeur. » Comme
quand nous étions enfants : « Papa, regarde ! Maman, regarde !!» Sans leur admiration, faire du
toboggan, c’était tout de suite moins marrant.
« Sur Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, le principe est exactement le même, constate la
psychanalyste Catherine Mathelin-Vanier. Nous pouvons nous faire voir et, avec nos images,
produire un objet de jouissance pour l’autre. » Jacques Lacan expliquait que la jouissance surgit
de notre sensation de bénéficier de l’usufruit d’un bien. Les réseaux nous offrent cette
possibilité : jouir de posséder des images qui nous possèdent et, en les diffusant, tenter de
posséder l’autre qui les regarde. Nous choisissons et tentons de contrôler ce que nous donnons à
voir.

Mentir pour mieux séduire

Marie, 33 ans, infirmière, utilisatrice compulsive mais lucide, confie : « Je mets très peu de
portraits de moi sur les réseaux que je fréquente. Je préfère mettre en ligne des photos en lien
avec l’actualité, les lieux où je suis. J’essaie de séduire en étant spirituelle, parce que j’ai
toujours eu l’impression d’être prise pour une abrutie. Je sais, c’est pathétique. » C’est un peu
comme quand nous nous présentons à quelqu’un que nous ne connaissons pas : nous sourions
pour donner l’image de nous la plus aimable possible. Le problème du regard de l’autre, c’est
que nous ne savons jamais ce qu’il va en être. Nous avons beau tenter de nous montrer sous le
meilleur angle possible, rien n’est jamais sûr. Et c’est cette incertitude qui nous happe : vais-je
être vu sous mon meilleur profil ?

« Dans la vie, nous sommes constamment regardés, analyse Alain Vanier. Nous ne voyons pas
d’où nous sommes vus. Mettre des photos que nous pensons valorisantes, c’est tenter de
maîtriser le regard des autres, de le diriger, de le leurrer. » Car ce dernier pourrait nous juger,
reconnaître nos faiblesses. Pour éviter de se faire démasquer, un homme perdu et infidèle poste
des photos de lui en père de famille modèle. « Moi, c’est simple, si au bout de vingt minutes
personne n’aime ce que j’ai mis, je le retire, j’ai trop honte », avoue Martin, 17 ans, utilisateur
assidu d’Instagram.
Penser au regard de l’autre, c’est ce qui va régler pour chacun la façon dont il pense pouvoir être
aimable. Nous cherchons à montrer une image contrôlée de nous-mêmes. « Déposer des photos
sur un mur, c’est une manière de leurrer l’autre, soit, mais aussi de se leurrer soi, confirme
Catherine Mathelin-Vanier. Nous pensons que si nous sommes aimés de l’autre, alors nous
allons pouvoir nous aimer. » Quand nos « posts » ne sont pas « likés », nous nous sentons fautifs,
coupables, comme lorsque nous étions petits et que nos parents, fatigués, nous négligeaient.
Nous nous demandons pourquoi, cherchant nos erreurs.

Sur ces réseaux, selon le psychanalyste Gérard Wajcman, auteur de L’OEil absolu (Denoël,
2010), nous nous mettons sous l’emprise de notre moi idéal, cette vision fantasmée de nous-
mêmes : « Il s’agit de nous idéaliser, de nous montrer non pas tels que nous sommes, mais tels
que nous nous représentons dans notre magnificence pour susciter l’intérêt de l’autre. » En fait,
nous nous aliénons en faisant mine de jouer la carte de la transparence. « Nous nous donnons à
voir, nous nous déversons en satisfaisant une quête impossible de vérité parce que nous pensons
que c’est ce que l’autre recherche en nous, ajoute-t-il. Quête forcément vouée à l’échec puisque
nous sommes, la plupart du temps, opaques à nous-mêmes. »

Pour aller plus loin

Trop d'écrans : l'alerte Cinquante spécialistes de la santé psychique ont lancé, avec Psychologies,
un appel à la vigilance, en février 2013.

Combien de ruptures amoureuses provoquées suite à des actes manqués ou à des interprétations
erronées sur Facebook ou Twitter ? « La vérité, met en garde Gérard Wajcman, c’est que nous ne
savons pas ce que nous montrons quand nous le montrons. Et ce que les autres peuvent
surprendre sans que nous y prenions garde. Tout est organisé pour la maîtrise, mais souvent, rien
ne se passe comme prévu. Il y a des détournements d’usage, des conséquences dommageables au
fait d’afficher librement des choses que nous n’aurions pas voulu exposer, mais qui
transparaissent parce que nous nous trahissons en nous exhibant. L’intimité permet d’échapper à
tout cela, car elle est justement ce lieu dans lequel nous nous divisons pour nous regarder,
réfléchir et nous poser toutes ces questions. »
Modifié en juin 2016

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