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Résumé du livre et thèmes abordés

Colin est un homme de 22 ans, très riche, qui veut tomber amoureux mais il ne sait pas encore de
qui. Son ami Chick qui a le même âge a rencontré Alise au cours d'une conférence de Jean-Sol
Partre, un philosophe qu'ils admirent tous les deux. Colin finit par rencontrer Chloé et ils filent le
parfait amour jusqu'à ce que cette dernière tombe malade. L'univers fantasmagorique dans lequel les
personnages évoluent, peuplés d'objets étranges et où les animaux semblent avoir une conscience,
se dégrade peu à peu à mesure que le mal de Chloé se propage.
Un des sujets principaux du livre est celui de l'amour. Mais une critique de la société et de ses
contraintes, de l'idéologie, de la religion, de la police et du monde du travail font aussi partie des
thèmes abordés. La question de la mort y a aussi une place importante. C'est malgré tout un livre
plein d'humour et de légèreté. L'auteur partage notamment son amour du jazz auquel il est fait de
nombreuses allusions tout au long du livre. L'emploi de phrases courtes, de nombreux dialogues, de
descriptions concises, d'inventions linguistiques (des mots valises comme le "pianococktail" par
exemple) en font une oeuvre pleine de fantaisie assez agréable à lire.

Passages choisis
J'ai choisi deux courts passages de la rencontre entre Alise et Chick car je les trouve évocateurs de
la rencontre amoureuse et d'une des idées principales dont l'auteur semble vouloir nous faire part:
l'opposition entre une vision idéalisée de l'amour lors d'une rencontre et la dissipation de cette
illusion quand elle est confrontée aux difficultés de la vie en société. Ici l'amour n'est évoqué que
comme une promesse de bonheur qui va ensuite donner un sens à la vie des personnages. On n'entre
que très peu dans la psychologie des protagonistes pour assister à cette lutte quotidienne entre le
rêve et la réalité.

La façon dont Chick évoque sa rencontre avec Alise est donc d'abord pleine de légèreté:

Chapitre II

- Mais, dis-moi, cette Alise dont tu lui parlais...


– Je l’envisage en ce moment, dit Chick. Je l’ai rencontrée à une conférence de Jean-Sol. Nous
étions tous les deux à plat ventre sous l’estrade et c’est comme ça que je l’ai connue (...)
– Tu ne voudrais pas me donner une idée de la façon dont tu t’y es pris pour entrer en relations avec
elle?... poursuivit Colin.
– Eh bien... dit Chick, je lui ai demandé si elle aimait Jean-Sol Partre, elle m’a dit qu’elle faisait
collection de ses œuvres... Alors, je lui ai dit: – « Moi aussi...» – Et, chaque fois que je lui
disais quelque chose, elle répondait: – « Moi aussi...» –, et vice-versa... Alors, à la fin, juste pour
faire une expérience existentialiste, je lui ai dit: – « Je vous aime beaucoup» – et elle a dit: –« Oh! »
– L’expérience avait raté, dit Colin.
– Oui, dit Chick. Mais elle n’est pas partie tout de même. Alors, j’ai dit: –« Je vais par là » – et elle
a dit: –« Pas moi» – et elle a ajouté : – « Moi, je vais par là.»
– C’est extraordinaire, assura Colin.
– Alors j’ai dit: – « Moi aussi », – dit Chick. Et j’ai été partout où elle a été...
– Comment ça s’est-il terminé? dit Colin.
– Euh!... dit Chick. C’était l’heure d’aller au lit...»
Colin s’étrangla et but un demi-litre de bourgogne avant de se remettre.

Explication:

Premier objet choisi: La Nausée. Jean-Sol Partre, anagramme du philosophe Jean-Paul Sartre, est
cité très souvent dans le livre. Il est fait surtout allusion à son roman "La nausée" qui devient "le
vomi", « Paradoxes sur le Dégueulis », « Choix préalable avant le Haut-le-Cœur ». Chick en est un
fanatique au point de se ruiner en achetant tous ses ouvrages qu'il collectionne surtout pour leur
apparence et pas tellement pour ce qu'ils contiennent. On peut voir là une sorte de critique de Vian
vis-à-vis de l'embrigadement dans différentes doctrines de l'époque notamment la philosophie de
Sartre pour qui une certaine jeunesse voue un véritable culte.
Cela rend d'autant plus comique la scène où Chick fait allusion à une "expérience existentialiste"
qu'il aurait mené auprès d'Alise en lui disant qu'il l'aime alors qu'il la connaissait à peine. Sartre
défend justement cet engagement existentialiste dans sa philosophie qui consiste à accepter le fait
d'être maître de ses actes et libre de toute doctrine. Chick est donc la concrétisation de ce paradoxe:
par obéissance à un dogme, il se force à être libre. On trouve dans la nausée un passage qui aurait
pu être l'ordre auquel Chick se plie lorsqu'il veut séduire Alise:

"Tu sais, pour se mettre à aimer quelqu'un, c'est une entreprise. Il faut avoir une énergie, une
générosité, un aveuglement... Il y a même un moment, tout au début, où il faut sauter par dessus un
précipice : si on réfléchit, on ne le fait pas." La Nausée Sartre

La façon dont Chick raconte sa rencontre avec Alise ressemble à une blague. Ils admirent tous les
deux Sartre et commence à partir de là une scène de séduction où s'accumulent les points communs
dans un dialogue jalonné de l'expression "moi aussi". L'expérience de Chick consiste donc à placer
à moment donné un "je vous aime" pour voir si Alise répondra "moi aussi" mais cela ne marche pas.
Il finit par se rattraper et continue les "moi aussi" jusqu'à ce que ce soit l'heure d'aller au lit. On voit
donc toute la légèreté et l'humour de cette supposée scène de séduction. Cette légèreté est accentuée
par le style employé: des phrases courtes allant à l'essentiel et ne s'attardant pas sur des
préoccupations psychologiques. On a l'impression d'avoir affaire à deux enfants: ils se rencontrent
car ils sont tous deux cachés sous l'estrade de Partre pendant sa conférence et jouent aux jeux des
ressemblances comme le font parfois les enfants pour sympathiser. Cette ambiance frivole est un
peu la même dans tout le début du livre et l'on peut se dire que c'est cela que Boris Vian entend par
le mot "Ecume" de son titre: Une façon de vivre légère, poétique, qui ne s'attarde pas aux soucis du
quotidien et ne se préoccupe que de l'amour. Dans son avant-propos, l'auteur dit: "Il y a seulement
deux choses: c’est l’amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-
Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid". C'est peut-être
comme cela que l'on peut voir la vie lorsqu'on est jeune et plein d'espoirs, mais les jours passent et
le "reste" finit par vous rattraper. On en a ensuite un aperçu dans le chapitre 15:

Chapitre XV

« Qu’est-ce qu’il y a vous deux? dit Colin. Ça n’a pas l’air de carburer fort.
– Il n’y a rien, dit Alise. C’est Chick qui est bête.
– Mais non, dit Chick. Ne l’écoute pas, Colin... Il n’y a rien.
– Vous dites la même chose, et vous n’êtes pas d’accord, dit Colin, donc, il y en a un des deux qui
ment, ou bien tous les deux. Venez, on va dîner tout de suite.»
Ils passèrent dans la salle à manger.
« Asseyez-vous, Alise, dit Colin. Venez à côté de moi, vous allez me dire ce qu’il y a.
– Chick est bête, dit Alise. Il dit qu’il a tort de me garder avec lui puisqu’il n’a pas d’argent pour me
faire vivre bien, et il a honte de ne pas m’épouser.
– Je suis un salaud, dit Chick.
– Je ne sais pas quoi vous dire», dit Colin.
Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine.
« Ce n’est pas surtout l’argent, dit Chick. C’est que les parents d’Alise ne voudront jamais que je
l’épouse, et ils auront raison. Il y a une histoire comme ça dans un des livres de Partre.
– C’est un livre excellent, dit Alise. Vous ne l’avez pas lu, Colin?
– Voilà comme vous êtes, dit Colin. Je suis sûr que tout
votre argent continue à y passer.»
Chick et Alise baissèrent le nez.
« C’est ma faute, dit Chick. Alise ne dépense plus rien pour Partre. Elle ne s’en occupe presque plus
depuis qu’elle vit avec moi.»
Sa voix contenait un reproche.
« Je t’aime mieux que Partre », dit Alise.
Elle allait presque pleurer.
« Tu es gentille, dit Chick. Je ne te mérite pas. Mais c’est mon vice, collectionner Partre, et,
malheureusement, un ingénieur ne peut pas se permettre d’avoir tout.
– Je suis désolé, dit Colin. Je voudrais que tout aille bien pour vous. Vous devriez déplier votre
serviette.»
Il y avait, sous celle de Chick, un exemplaire relié mi-mouffette du Vomi, et, sous celle d’Alise, une
grosse bague d’or en forme de nausée.
« Oh!...» dit Alise.
Elle mit ses bras autour du cou de Colin et l’embrassa.

Explication:
Second objet choisi: Le Doublezon qui est la monnaie imaginaire utilisée dans le livre. L'argent a un
rôle important dans l’œuvre dans la mesure où il exprime les limites et les contraintes de la vie
quotidienne et entre ainsi en concurrence avec la vie amoureuse telle que la rêvent les personnages.
Colin, d'abord riche, est ensuite obligé d'accepter les emplois les plus sordides (couveur d'armes,
annonceur de mauvaises nouvelles...) pour payer les soins de Chloé. Chick ne veut pas épouser
Alise car il se ruine en achats d’œuvres de Jean-Sol Partre tandis qu'Alise est issue d'une famille
aisée. Ce sont ces servitudes de la vie en société qui cernent peu à peu les personnages, les
empêchent de vivre tel qu'ils le désirent et vont jusqu'à causer la mort de certains et la perte d'autres.
Aussi on peut s'interroger sur la signification du mot "Doublezon". Le D du début fait penser au
Dollar (l'histoire est censée être écrite en Amérique). Il semblerait de plus que cela veuille dire
"doubler la syllabe Zon". On obtient le mot zonzon qui peut être l'aphérèse du mot prison (aphérèse:
disparition de la première syllabe) et résume par-là tout l'aspect oppressif du quotidien qu'il
symbolise. Mais le zonzon peut aussi être un bourdonnement musical faisant référence à la musique
de jazz omniprésente (on note la présence du double Z dans le mot jazz). Dans le fond tout se
recoupe: tant que Colin est riche, l'amour, le jazz, l'argent et le bonheur coulent à flots, puis dès que
Chloé tombe malade le monde s'appauvrit, le débit s'affaiblit, l'amour devient désespéré, la musique
devient plus sourde à mesure que la dure réalité contamine l'esprit des personnages.
Dans ce passage, le style est encore enlevé: Phrases courtes, beaucoup de dialogues et toujours de
l'humour notamment dans les allusions à Sartre qui semble réduit à une ligne d'objets de mode. On
voit aussi que le vocabulaire n'est pas recherché, Le verbe "dit" ponctue presque toutes les
répliques: C'est une volonté d'aller à l'essentiel, peut-être pour copier les romans de gare américains.
Colin nage encore dans le bonheur amoureux mais les choses commencent à se gâter pour Alise et
Chick. C'est un peu comme un signe avant-coureur de ce que Colin va devoir traverser à son tour
dans la mesure où Alise et Chick se sont rencontrés avant que le héros fasse la connaissance de
Chloé. La "blague" de leur rencontre du début est en train de tourner au vinaigre à mesure que les
difficultés matérielles apparaissent.
On peut donc comprendre le titre du livre comme ceci: A la légèreté et l'insouciance de la jeunesse
qui correspondent à une vision poétique et amoureuse du monde, "l'écume" de la vie, viennent peu à
peu se greffer, à mesure que les jours passent, les ennuis du quotidien dans lesquels on se retrouve
piégés jours après jours: les soucis d'argent, la maladie, l'obligation de travailler, les règles de la
vie en société... Colin est obligé de céder à une sorte de chantage: accepter d'être de plus en plus
enserré dans les difficultés quotidiennes pour tenter de sauver la femme qu'il aime. L'écume a de
moins en moins l'opportunité de se manifester et finit par disparaître, laissant pour l'essentiel de la
tristesse et du désespoir.
La musique "Chloé" de Duke Ellington est l'arrangement d'un air plus ancien "The song of the
swamp", la chanson du marais, un air tragique dans lequel un homme cherche désespérément la
femme qu'il aime dans un marécage. Le nénuphar qui pousse dans les poumons de Chloé est peut-
être alors une allusion à cette chanson et au final la mort de Chloé symboliserait la fin de l'amour et
de la vie idéale dont Colin rêvait ainsi que les autres personnages principaux du livre.

Annexes

Résumé éventuel de la fin du livre: Colin recommence à gagner suffisamment d'argent en devenant
un annonceur de mauvaises nouvelles un jour avant qu'elles n'arrivent. Mais il finit par devoir aller
chez lui annoncer la mort prochaine de Chloé. Il perd goût à la vie et passe ensuite son temps à
attendre qu'un nénuphar remonte à la surface de l'eau pour se venger en le tuant. Le dernier chapitre
est une sorte de fable: La petite souris étroitement attachée à Colin refuse de le voir dépérir et
demande au chat de la manger. C'est la dernière représentante de toute la fantaisie du début du livre
qui disparaît ainsi pour clore le drame. Dans cette vision pessimiste du destin des hommes, l'amour,
le bonheur, le jazz (les références au jazz s'arrêtent dans le roman après que Colin ait vendu son
pianococktail), la poésie et la légèreté du début s'estompent et meurent: Il ne reste rien que le
désespoir, la volonté de se venger et de mourir à son tour.

Boris Vian (1920-1939) est un auteur français. Après une formation d'ingénieur il décide de se
consacrer à ses deux passions: la littérature et le jazz. Il écrit des romans au style fantaisiste mais
qui dénoncent les travers de la société, notamment les institutions oppressantes. De santé fragile
suite à une angine de poitrine, il meurt d'une crise cardiaque à 39 ans.

La Nausée: Antoine Roquentin est un auteur qui réalise un ouvrage sur un personnage historique
mais il s'aperçoit que cela ne sert à rien: le récit de la vie d'un homme ne peut rien enseigner sur
l'existence des autres. Le héros abandonne son travail. Il est pris de vertige lorsqu'il prend
conscience de la véritable existence des choses en-dehors des catégories pratiques dans lesquelles
on les range et du sens commun qu'on leur donne. Il se retrouve lui-même dans cette situation car
personne ne s'intéresse à lui. Il décide alors de vivre son existence pour lui-même, c'est le risque
existentialiste, et se lance dans l'écriture d'un roman.

Duke Ellington est un pianiste et compositeur de jazz américain (1899-1974). Il a enregistré de


nombreux disques qui sont devenus des standards.

Jean-Paul Sartre est un romancier et philosophe français, représentant du courant existentialiste,


dont l'œuvre et la personnalité ont marqué la vie intellectuelle et politique de la France de 1945 à la
fin des années 1970. Le couple qu'il forme avec Simone de Beauvoir se lie d'amitié avec Boris Vian.
Sartre l'engage comme journaliste dans sa revue mais Vian finit par prendre ses distances car il
refuse tout engagement politique.

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