Vous êtes sur la page 1sur 4

L’écume des jours (1947) est le deuxième roman de Boris Vian dans

lequel il raconte le parcours des personnages faisant face à leurs passions


destructives. L’auteur critique ainsi le comportement de la société de XXème
siècle, dans laquelle il vit, en s’appuyant sur les questions principales
comme le travail, la religion ou la médecine. L’extrait à étudier est le début
du chapitre XLVIII du roman et décrit le milieu de l’usine dans laquelle
travaille Chick. On peut donc se demander quelle image du monde
industriel l’auteur voulait nous donner à travers ce passage. Dans un
premier plan, nous étudierons la description de l’usine, enfer sur la terre; et
dans un deuxième plan, nous analyserons la critique du monde industriel.

L’extrait propose une description de l’usine, enfer sur la terre. Tout


d’abord, l’auteur nous donne l’image du milieu technique à travers le
champ lexical de l’usine et de la construction. On parle de « vapeur »,
« fumée », « porte métallique », « machine », « turboalternateurs
généraux », « fours de pierre », « tuyaux », « charpente », « pièce
métallique », « rouages », « appareils » etc. Ce qui nous donne l’image du
milieu technique est également le champ lexical des métaux : « fer »,
« métal », « tôle », « métallique ». Les métaux sont des matériaux durs et
froids ce qui appuie sur l’atmosphère négative de l’usine. Cette ambiance
est soulignée aussi par la personnification des machines. Celle-ci est
représentée par une hyperbole : « la gueule grouillante de rouages ». On y
insiste sur les mouvements, ce qui bouge ne sont pas que des ouvriers,
mais également les machines et les rouages ce qui évoque le danger. On
personnifie les machines par une métaphore : « pulsation du cœur
mécanique ». Il y a une ressemblance entre le cœur humain et le centre de
l’usine. Ainsi que le cœur humain bat et son fonctionnement est essentiel
pour vivre, la pulsation du cœur mécanique anime l’usine. Le troisième
élément qui accentue la personnification est l’attribution des propriétés
humaines aux machines. Tous ces caractères sont classés parmi les Péchés
capitaux : « Lumière ruisselait paresseusement » représente la paresse dont
le démon est Belphégor, « engrenages avides » représente l’avarice avec
son démon Mammon, enfin, le démon de la colère incarnée par « une
bouffée de vapeur et de fumée noire le frappa violemment à la face »
s’appelle Satan. Cette ressemblance entre les caractères attribués aux
éléments de l’usine et les Péchés capitaux intensifie les émotions négatives
du lecteur liées à la cruauté du milieu infernal.
L’extrait nous propose également une description de la perception
sensorielle du milieu de l’usine. Premièrement, on insiste sur l’ouïe à
l’aide de l’énumération. « Sourd vrombissement des turboalternateurs
généraux », « chuintement des ponts roulants sur les poutrelles
entretoisées » et « vacarme des vents violents de l’atmosphère se ruant sur
les tôles de la toiture » accentuent les bruits de l’usine ce qui évoque et
augmente la suspense et indique la violence de l’usine. En même temps,
les bruits soutenant l’atmosphère négative de l’usine sont représentés par
l’utilisation des mots d’origine onomatopéique : « vrondissement »,
« cliquetant », « chuintement », « ronflant », « grondant », « rumeur ». Ces
mots évoquent la peur et l’inquiétude du lecteur. Deuxièmement, on insiste
sur la vue en utilisant le champ lexical des couleurs : « sombre »,
« rougeâtre », « rouge sombre », « gris et rouge ». Les couleurs utilisées
sont celles de l’enfer : le rouge représente la chaleur et le feu alors que le
gris est un symbole de l'inclémence du milieu. Troisièmement, on insiste
sur l’odorat au moyen du champ lexical des odeurs : « une eau terne et qui
sentait l’ozone », « longs jets d’essences ». Il y a une référence à l’enfer
dont l’atmosphère irrespirable ressemble à celle de cette usine. Finalement,
l’insistance est mise sur les sensations. L’auteur y utilise le champ lexical
des sensations : « quand une de ces gouttes lui tombait sur le cou, Chick
frissonnait ». Ce frisson est causé par l’angoisse. Cela a une référence à
l’enfer car la peur fait sa partie intégrante.

Dans cet extrait, l’auteur critique le monde industriel. On observe la


supériorité des machines par rapport aux humains. Premièrement, les
machines sont décrites par l’utilisation du champ lexical de la grandeur :
« machine trapue », « le sol dominait », « gros tuyaux », « lourd anneau »,
« vibration profonde ». Les machines grandes et puissantes sont
supérieures aux ouvriers qui sont donc mis en danger. Deuxièmement, ce
danger est intensifié également par l’animalisation des machines :
« machine trapue », « gueule rouge et sombre ». Ces éléments attribués
aux machines sont originairement propres aux animaux, notamment à ceux
qui sont sauvages et féroces. Et finalement, on néglige cruellement des
humains et leurs besoins. Cette cruauté et l’horreur de l’usine sont décrites
par une antiphrase : « Chick connaissait bien ce spectacle ». Les conditions
terribles dans lesquelles les ouvriers travaillent sont donc ironiquement
comparées à une scène théâtrale. On voit le non respect des besoins
humains à l’aide d’une métaphore : « une boîte vitrée ». Le bureau de
Chick est comparé à une boîte ce qui signifie que la pièce est étroite et peu
accueillante ; elle est vitrée, c’est-à-dire privée de l’intimité. L’un des
besoins humains est la liberté, mais dans cet extrait, celle des ouvriers est
restreinte par « un lourd anneau de fer » qu’ « on n’ouvrait que deux fois
par jour ». Par cette limitation de la capacité d’accomplir les besoins
humains, on peut comparer les ouvriers aux esclaves, voire aux prisonniers
condamnés aux travaux forcés.
Dans ce passage, l’auteur nous donne également une confrontation de
la misère des ouvriers au confort de Chick et des autres ingénieurs. Les
verbes utilisés font partie du champ lexical du combat : « se débattait »,
« luttant pour ne pas être déchiquité », « disputait ». Cette analogie entre la
lutte et la corvée des ouvriers nous montre une grande pénibilité du travail.
Cela a une référence à l’enfer car le supplice en fait partie. Le travail
pénible des ouvriers est mis en opposition avec le confort des ingénieurs
représentés par Chick dont le travail consistait en « contrôle de la bonne
marche des machines ». Pour souligner la différence entre le travail des
ouvriers et celui de Chick, l’auteur utilise le champ lexical de la
fainéantise : « s’assit », « rouvrit son livre », « reprit sa lecture »,
« engourdi ». La confrontation des ouvriers aux ingénieurs renvoie à la
supériorité des ingénieurs.
L’extrait nous propose une description de l’usine : la répartition en
étages inférieurs et supérieurs est illustrée par le champ lexical de
l’espace : « sous ses pieds », « au-dessus de sa tête », « le sol dominait »,
« au-dessus de chaque machine », « plate-forme de descente », « sous-
sol », « tout en bas », « en bas ». Plus l’étage est inférieur, plus le danger
monte et plus les conditions des travailleurs sont pénibles. A l’étage le plus
haut, il y a un « passage d’accès aux ateliers » et par la claire-voie, on
observe des étages placés plus bas. A cet étage, des gouttes d’eau se
détachent de la paroi. On peut dire que l’étage le plus bas est celui auquel
se trouvent les ateliers. A l’aide des analyses précédentes qui décrivent la
corvée des ouvriers, on en déduit que cet étage a le plus de points
communs avec l’enfer. L’étage intermédiaire est celui auquel travaille
Chick et d’où il contrôle la bonne marche des machines. Son bureau est un
bureau ordinaire que l’on peut voir aussi dans notre monde. On peut donc
dire que cet étage représente un passage entre le ciel et l’enfer. On peut
donc comparer l’usine et ses trois étages au monde avec le ciel, la terre et
l’enfer.

Nous avons donc vu quelle image du monde industriel l’auteur


voulait nous donner à travers ce passage. Ce monde est hiérarchisé en
plusieurs couches dans lesquelles les machines occupent une place
supérieure et deviennent plus puissantes que les hommes. Elles
représentent donc un danger pour eux. Les machines cessent de servir les
hommes, au contraire les hommes deviennent leurs esclaves, c’est-à-dire
elles sont de bons serviteurs mais de mauvais maîtres. La même
problématique est traitée dans la pièce de théâtre de science-fiction,
R.U.R., écrite en 1920 par l’auteur tchèque Karel Capek. Les deux œuvres
réagissent au progrès technique et à la déshumanisation de la société, les
machines automatisées – les robots – au lieu de soutenir l’activité
humaine, elles commencent à la détruire et représentent une menace grave
pour les hommes.

Vous aimerez peut-être aussi