Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
commentairecompose.fr/melancholia-hugo/
Voici une lecture linéaire du poème « Melancholia » issu du livre III des
Contemplations de Victor Hugo.
Les enfants, issus des classes sociales pauvres, étaient alors généralement conduits à
travailler très jeunes.
Dès le début du XIXème siècle, en 1819, le Royaume Uni fixe à 9 ans l’âge minimal fixé
pour travailler puis, en 1833, fixe le temps de travail à 48 heures par semaine et 11
heures par jour.
Quand Victor Hugo écrit le poème « Melancholia » en 1838, la France n’a pas encore
adopté de législation encadrant le travail des enfants.
Problématique
Comment Victor Hugo transforme sa mélancolie en révolte politique ?
1/6
Melancholia (extrait)
2/6
(De « "Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? » à « Dans la même
prison le même mouvement"« )
A – Un tableau réaliste
Victor Hugo dresse un tableau de la misère à travers le portrait en action d’enfants
allant au travail.
Le poète se mue ainsi en chroniqueur qui va enquêter sur les conditions de travail.
L’utilisation des déterminants déictiques "« "ces enfants » , « ces doux êtres« , « ces
filles » inscrit inscrit Victor Hugo renforce dans une relation de présence et de proximité
avec ces enfants.
B – Un tableau tragique
Mais le poème « Melancholia » évolue rapidement vers un registre tragique par les
périphrases « "Ces doux êtres pensifs », « Ces filles de huit ans" » qui suscitent la pitié
du lecteur en insistant sur la fragilité et l’innocence de ces enfants.
Au vers 114, Victor Hugo joue avec l’homonymie entre « cheminer» et « cheminées »
qui suggère que le mouvement des enfants est entièrement tournée vers l’usinage et la
production.
Le choix de l’âge de « "huit ans "» n’est pas le fruit du hasard. Il correspond à l’âge
minimum pour travailler en 1856 mais n’est pas encore voté en France.
Victor Hugo, indigné par ce seuil très bas, montre que le droit français incarne ce destin
fatal.
Victor Hugo se situe dans le sillage de la pensée socialiste française qui critique
l’exploitation industrielle des ouvriers et recherche une organisation humaine du travail.
Victor Hugo dénonce ainsi un travail répétitif qui réduit les enfants à l’état de machines
comme le montre le champ lexical de la circularité : « "de l’aube au soir »,
« éternellement », « même », « même "».
3/6
Par la répétition sans fin des mêmes mouvements, les enfants sont implicitement
comparés à la figure tragique de Sisyphe, cette créature mythologique condamnée à
monter indéfiniment au sommet d’une montagne une pierre qui retombait
immanquablement.
(De « "Accroupis sous les dents d’une machine sombre » à « Aussi quelle pâleur !
la cendre est sur leur joue" » )
Victor Hugo se fait donc polémiste au v.117 lorsqu’il compare l’usine à une prison :
« "Dans la même prison le même mouvement "».
La machine est comparée au Minotaure qui mangeait des enfants. Par analogie,
l’usine devient par un labyrinthe dans lequel l’homme perd son humanité.
La position « "Ils travaillent" » en rejet au vers 120 suggère que l’homme est rejeté par
une usine qui le consomme, le consume puis le rejette comme un produit.
B – La critique de l’industrialisme
Par le champ lexical du minéral (« "machine »« airain », « fer » « cendre "»), Victor
Hugo met en évidence la froideur de l’usine, le «" fer "» rimant avec « "enfer" ».
Victor Hugo fait surtout allusion à la théorie des âges : au XIXème siècle, l’âge industriel
était considéré par Saint-Simon comme un âge d’or qui allait permettre de bâtir le
bonheur de l’humanité.
4/6
Le pronom impersonnel « on » souligne que cette civilisation industriellene laisse pas de
place pour l’individu. L’allitération en (j) laisse entendre les sanglots du moi qui essaie
d’émerger de ce monde dépersonnalisant.
Dans ce monde industriel, les enfants à peine nés sont déjà des fantômes comme le
suggère l’exclamation v.113 : « "Ainsi quelle pâleur ! "» et le terme « "cendre" » qui
renvoie à la mort.
(De « "Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las » à « qui fait le peuple libre et qui
rend l’homme heureux" » )
L’anaphore en « ils » aux vers 124 et 125 met la lumière sur les enfants. Ces derniers
s’adressent à Dieu, (« "Ils semblent dire à Dieu"« ), ce qui accentue leur pureté et leur
innocence.
Leur phrase prend d’ailleurs le ton d’une prière comme le suggère l’incise « "Notre
père" » qui rappelle la prière « Notre Père ».
Puis Victor Hugo, tel un avocat, reprend la voix par une invocation « "Ô servitude infâme
imposée à l’enfant ! / Rachitisme (…) "».
Il est présenté par Victor Hugo comme le diable, la figure inversée de Dieu, comme le
suggèrent les structures en chiasme sonore (« "Défait ce qu’a fait Dieu ») ou syntaxique
(« La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée" »).
Au vers 132, Victor Hugo joue sur le sens du terme « fruit » : « "c’est là son fruit le plus
certain"« . Le « fruit » désigne certes la conséquence d’une action mais fait aussi allusion
au fruit du péché originel.
Victor Hugo montre le pouvoir néfaste du travail des enfants à travers des hyperboles
qui frappent l’imagination : « "Qui ferait [… ]D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !" »
Les antithèses suggèrent que le travail des enfants crée le chaos, crée une inversion
des valeurs : «" produit la richesse en créant la misère », « un enfant ainsi que d’un
outil" » .
5/6
Le parallélisme entre « "Travail" » (v.134) et « "Progrès" » (v.137) donne une dimension
ironique à la tirade.
C – Une imprécation
A la fin de cet extrait de « Melancholia », Victor Hugo se fait imprécateur (= personne qui
profère des malédictions) comme l’indique l’anaphore de l‘adjectif « "maudit" » aux vers
141, 142 et 143.
Par le champ lexical du vice («" haï » ,« vice », « opprobre », « blasphème" »), il
reproche aux hommes de pervertir par le travail industriel la création de Dieu, dont
l’enfant est l’image la plus pure.
Victor Hugo ne veut pas abolir le travail mais il veut un travail conforme à la dignité de
l’homme.
Le champ lexical du bonheur aux vers 144 et 145 montre que Victor Hugo croit possible
cette société du travail et de la dignité : « "vrai », « saint », « fécond », « généreux »,
« libre », « heureux "».
A une époque marquée par la pensée de Saint-Simon et de l’industrialisme, qui voit dans
la révolution industrielle l’avènement d’une société heureuse, Victor Hugo fait entendre
une voix divergente.
Après des débats houleux, la chambre des députés vote en 1841 la première loi
française relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines
ou ateliers.
Cette loi fixe l’âge minimum de travail à 8 ans, et le travail de nuit et du dimanche. En
1851, la loi limite le travail à 10 heures par jour avant 14 ans et 12 heures par jour de 14
à 16 ans.
6/6