Vous êtes sur la page 1sur 6

Préface

UNE LIVRE MAJEUR


POUR NOTRE
TEMPS

A la belle saison, le chant du merle


-Z~V. m’éveille au petit matin. Il émerge du
fond de la nuit vers la clarté de l’aube et me
remplit de joie. Pour le Père Emonet, toutes
choses sont comparables à l’aubade du merle :
elles sortent de l’ombre sous la poussée de l’être
pour chanter leur partition. Mais qui sait
encore écouter leur mélodie et s’émerveiller de
leur révélation ? Qui sait être attentif, comme
dirait Baudelaire, au « langage des fleurs et des
choses muettes » ?

9
■*-'c livre que vous avez en main, ami lecteur,
concepts abstraits : elles sont comme une
vous initiera à ce langage caché. C’est un véri­
rivière de diamants qui éclaireront notre
table joyau qui transformera votre rapport au
esprit en le stabilisant et en dissipant les
monde. Sa lecture vous désencombrera du
brumes de ses élucubrations. Cet ouvrage
superflu et vous retrouverez la pureté du regard aurait pu aussi s’appeler « voyage au pays des
pour aller à l’essentiel. Je l’ai lu et relu à maintes merveilles », cette contrée fabuleuse étant
reprises et, chaque fois, il m’a libéré de mon notre monde quotidien vu à travers le regard
agitation mentale pour me ramener à la épuré d’un métaphysicien poète.
lumière de l’être qui brille sur le visage de cette
fleur, de cet arbre, de cet oiseau...
« Il n’y a que deux façons de vivre, dit Albert
Trop souvent, nous nous contentons de surfer Einstein : l’une en faisant comme si rien n’était
à la surface des choses par l’intermédiaire un miracle, l’autre comme si tout était un
d un écran qu’on manipule et qui nous mani­ miracle. » C’est cette seconde manière de vivre
pule en programmant numériquement notre que le Père Emonet nous invite à suivre. Nous
vision du monde. Cet ouvrage nous fera voici aux antipodes du regard blasé que posent
dépasser les apparences pour nous faire de nombreux contemporains sur leur environ­
écouvrir la trame du réel, plus profondé- nement. Pour les émoustiller, il leur faut des
uient que le mesurable, au-delà de la phy- prouesses technologiques ou sportives qui les
que. Doù le terme « métaphysique ». Dans dopent. Ils ne savent plus s’extasier devant une
jonquille, un cygne ou un clair de lune. « La
première édition, le livre s’intitulait « Une
métaphysique, source d’émerveillement » leur
Tn UffhySiqUe P°Ur leS simPles »■ 11 s’adresse
beso' etrl’à tOUt monde· P°ur l’aborder, nul apprendra à faire une pause dans leur course
Phil n .aV°ir à 1 esPrit un arsenal de concepts effrénée vers des sensations frelatées et de plus
en toutP iqUes' P suffit de se laisser guider en plus fortes, notamment dans les cyber­
mondes. Oui, il faut sortir du dopage sensoriel
Physique e^P11C1^. par Ce maître de méta"
que et de intensif auquel nous sommes soumis à lon­
Pour lui « i e P°és'e qu’était le Père Emonet,
—ï, « le métaphysicien gueur de journée pour retrouver un regard
hères » ^étaphysicien et le poète sont
es ». Les intuitions neuf sur le monde. La métaphysique du Père
jalonnent le ^ntuhions poétiques qui
nnent le chemin r Emonet est, à ma connaissance, l’un des
tOttïPrendre la clarté
nprendrc nous feront bien mieux
remèdes les plus efficaces.
-- de letre que des

10 11
Disposé en courts chapitres qui sont à déguster membre de l’Ordre des frères prêcheurs, il a
avec délectation, cet ouvrage est le compagnon surtout consacré sa vie à l’enseignement pour
de route du cardinal Georges Cottier, théolo­ former des générations d’élèves. L’un d’eux,
l’écrivain et prix Concourt Jacques Chessex se
gien du Pape Jean-Paul IL « Pour que sa pro­
souvient : « Et l’esprit et l’exemple du Père I
fondeur se révèle, écrit-il, ce livre doit être I
Emonet m’emplissaient de lumière et d’ardeur.
longuement médité ; il doit conduire à des
J’avais envie et besoin de mériter la lumineuse
moments de suspense où l’esprit, émerveillé, se clarté de ses leçons. J’avais le désir, à ma
laisse envelopper par l’être1. » modeste façon, d’être à la hauteur de son
enthousiasme, de son élan, de son verbe tou­
Mais qui était au juste le Père Emonet ? Un jours plein de poésie et d’humour. » Et
contemplatif bien implanté dans la réalité et un d’ajouter : « Le discours du Père Emonet n’a
éveilleur. Son apparence physique nous montrait rien de rhétorique, rien non plus de contrai­
d emblée cette union du ciel et de la terre. Pour le gnant ou d’enfermé dans le système. Tout au
ciel, un crâne luisant en forme de coupole qui me contraire, il aère ; il suscite la prise de
rappelait Sainte-Sophie de Constantinople, le conscience, l’adhésion, l’intuition par sa dyna­
bleu profond de ses yeux et la robe blanche des mique imagée et enjouée2. » Jacques Chessex
dominicains ondulant au vent. Pour la terre, une m’a confié qu’il envoyait ses manuscrits au
silhouette bien charpentée, ancrée dans le sol, Père Emonet, dans l’attente anxieuse de sa
solide comme un roc. J’y ajouterai une bonne réaction. A la fin de sa vie, il écrivit même une
« Ode au Père Emonet » dans laquelle il lui dit
dose d humour qui le faisait surnommer Bourvil
par ses élèves. Bourvil à qui il ressemblait physi" toute son admiration.
quement. Mais ce qui m’a d’emblée frappé
orsque je le rencontrai pour la première fois, c’est Le Père Emonet m’a aidé à sortir d’une
son incroyable rayonnement : il illuminait tout dépression, d’une « traversée de l’enfer »
comme il d: omment ? En me faisant
e sa présence. Présence nourrie de celle des êtres
qu d contemplait. quitter mes ruminations mentales pour me
ramener au réel, à la gloire de l’être, par-delà
vie ^monet a partagé quelque temps la ma subjectivité. J’allais le voir régulièrement
bordJ du
dans la petite ville d’Estavayer, au L__ J ' lac
chartreux mais> en bon dominicain,

1 I 2 Ibidem, y- 61.
J>éreEn OMS
13
y».
12

L
de Neuchâtel, où il était aumônier dans un
ent- .1 m apprit à contempler une fleur, l’apparition de l’homme ? Einstein lui aussi a
eu cette intuition : « Dans la nature se révèle
ans son jardin. « Voyez cette pâquerette, me
une Raison si supérieure que toutes les pen­
sait i . Elle rayonne là devant vous et mani-
sées ingénieuses des hommes ne sont, en
e manière unique l’idée de pâquerette, comparaison, qu’un reflet tout à fait futile. »
son espèce, dont elle suit le plan dévolution. Le physicien de génie rejoint ici le
ny a pas deux pâquerettes semblables. C’est métaphysicien.
cette fleur-ci qui existe vraiment en face de
vous. Elle nest pas une sécrétion de votre D’autres éminents scientifiques appellent à
esprit mais elle vous révèle le secret de son une renaissance de la métaphysique. Par
etre. D ailleurs 1 idée de fleur n’est pas non exemple Erwin Schrôdinger, prix Nobel de
P us une production mentale de l’homme. physique : « L’homme occidental menace de
L'Ile existait bien avant nous. Où ? Dans une retomber à un niveau antérieur de développe­
ntelhgence qui nous dépasse. » ment. Une suppression de la métaphysique
ferait de l’art et de la science des squelettes
r mieux me convertir à la présence de l’être, pétrifiés, dépourvus d’âme, incapables du
e rappelait cette parole d’un contemplatif · moindre développement ultérieur. » Seule la
, orsque vous regardez une rose, n’oubliez pas métaphysique nous permet de renouer contact
quelle vous regarde. » « Dans la fleur, fl y a un avec la présence vivifiante de l’être jaillissant
au cœur des réalités. Loin d’apparaître comme
Η τιqUi °UVre ses yeux » écrit le théologien
un savoir désuet à reléguer dans un musée
rs von Balthasar, cité dans ce livre.
. t au poète
Poète Rainer Maria Rilke, lui aussi d’antiquités, la métaphysique est l’avenir de
l’homme. Elle répond à une double insatisfac­
consid7ent au * fil des P[ ages’ ü nous invite à
tion de notre époque : la soif de présence réelle
l’arbre peut-être pense en
dedans rer>’que *« larbre
et de contemplation.
Pensée °U Ce regard ? D’où vient cette
dans notre esTrîr11!^^011 provoclue un décUc Enfermé dans un univers numérique,
l’être, com P”eUe le tOurne vers le cœur de
mme ™ tournesol vers le soleil. l’homme d’aujourd’hui se coupe du réel. Il
ressemble au prisonnier de Platon enchaîné
d" ,U‘ “ pensé '°«es les espèces au fond d’une caverne, captivé par un jeu
■ an>maux ou d,étoUes_ b.en avan( d’ombres qui lui fait oublier que la vraie

14 15
vivons sous le règne de la quantité et l’homme
té se trouve à 1 extérieur de la grotte. Pen- contemporain tend à poser un regard de pré­
ons aux cohortes de gens collés à leur écran dateur sur son environnement, comme si les
or inateur ou de téléphone à longueur de êtres étaient à son service, pour son profit et la
journées, voire de nuits ! Ils évoluent dans un satisfaction maximale de ses pulsions. Plutôt
ersatz de réalité, dans un monde sans consis­ que de laisser être les phénomènes, il projette
tance. Ils AOguent au gré de leur moi sur un sur eux une étiquette ou même un chiffre pour
magma fluide et manipulable. Ne sont-ils pas mieux se les approprier.
aussi fréquemment dans un état second ? En
les orientant vers la splendeur de l’être qui Le contemplatif au contraire accueille les êtres
rayonne dans la nature, ce livre les fera avec un regard neuf, comme s’il les voyait pour
la première fois. Il leur permet de se révéler et
écolier au-dessus des brumes virtuelles. Pour
de jouer leur note propre dans la grande sym­
Un métaphysicien comme le Père Emonet,
ette rose, cet arbre ou cette hirondelle mani' phonie du nouveau monde où tout se corres­
pond « dans une profonde unité » (Baudelaire).
tent la présence réelle de l’être, comme des
Nous voici loin de toute visée d’exploitation
ties. Cette rose dans le jardin et non Ie
qui décortique la réalité pour la formater à
ncePt rose ou la rose virtuelle créée par notre image. « L’homme a été créé pour la
ogiciel ! Si nous savons la recevoir, cette
contemplation » souligne le Père Emonet.
P nce réelle nous délivrera de nos fan'
ta1p mtérieurs, de nos fantasmagories men­ Le philosophe Martin Heidegger distingue la
és. Nous voici sauvés par la gloire de l’être « pensée calculatrice » qui enserre la nature
comm’T’ 1 dans la Présence du présent, dans « les pinces de la planification » en vue de
des présents! la rentabilité et la « pensée méditante » qui
laisse s’exprimer l’être en chaque chose. Par
Pour contrebalancer les fulgurantes avancées
exemple, cette forêt de hêtres peut être vue de
chnologiques, notre temps a un urgent
deux manières : soit je la perçois comme un
esoin de contemplation. On y entend
terrain à faire fructifier en le rendant construc­
resonner le mot « temple ». La nature est-elle
tible et en vendant le bois des arbres (pensée
immense réservoir d’énergie à exploiter,
où^Vh 6 depl°re Heidegger, ou « un temple » calculatrice) ; soit je la contemple comme ce
moine chartreux, ami du Père Emonet, qui
boles °mrne Passe à travers une forêt de sym-
»’ comme le ressent Baudelaire ? Nous
17
16
entre en communion avec le lieu : « Les hêtres
sont toujours d’une écriture admirable et je
participe avec recueillement à leurs métamor­
phoses d’automne. »

eux approches sont certes complémen-


mais aujourd hui nous manquons cruel- PREMIÈRE PARTIE
de la seconde. Nous avons perdu
et avec le cœur de l’être pour dériver sur
paraître tissé par le calcul. Ce petit traité de
l’êtXeiTlPlatiOn V°US ramènera à la source de
t aPPr°fondira votre vision du monde
out en la simplifiant. Bon voyage et bonne
decouverte du temple de l’être !
La sensibilité de l’intelligence à l’être est un
don si précieux qu’on ne peut le comparer
DOM VERMEIL
Fribourg, le 30 juillet 2013

Jacques de Coulon
J’estime que le vrai poète est le métaphysicien
PÈRE H. CLERISSAC, O.R

19

Vous aimerez peut-être aussi