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Vers Numéro 2007/1 (n° 131)

Le temps du mourir dans la religion


musulmane
Saïd Ali Koussay
Dans Études sur la mort 2007/1 (n° 131),
pages 163 à 169

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Introduction

L ’existence d’un musulman doit se conformer à


cette maxime : “ Œuvre pour ta vie comme si, tu
allais vivre à jamais. Œuvre pour ta mort comme si,
tu allais mourir demain ”. La mort et la vie sont créées
par Dieu pour éprouver les hommes, afin de savoir qui
d’entre eux agiront le mieux v. 2 s 67 : “ C’est Dieu qui a
créé la mort et la vie afin de vous éprouver pour savoir qui de
vous est le meilleur en œuvre ”. La mort et la vie sont donc
intimement liées. La sagesse consiste donc à accepter
la mort si l’on veut vivre. C’est pourquoi, la mort est
appréhendée par les musulmans avec beaucoup
d’acceptation et les saints, d’entre les musulmans,
annoncent même leur mort prochaine, avec beaucoup
de sérénité. A noter que dans la religion musulmane, il
y a un avant le décès, un pendant et un après la mort.

I – Accueillir la mort

1 – Avant le décès
Le musulman est conscient de la finitude de la vie
terrestre : L’homme ne vient pas sur terre pour y rester
éternellement. C’est Dieu qui a créé l’homme d’argile ;
puis au moment où Il dépose ce qu’Il veut dans la
matrice de la mère, Il lui fixe un terme, c’est-à-dire la
durée de sa vie, à v. 2 s 6 : “ C’est Dieu qui vous a créés
d’argile ; puis Il vous a décrété un terme ”. Lorsque ce terme
arrive, nul ne peut ni le retarder d’une heure ni
l’avancer, v. 34 s 7 : “ Quand leur terme vient, ils ne peuvent
le retarder d’une heure et ils ne peuvent le hâter non plus ”.

Et personne ne peut mourir qu’avec la permission de


Dieu, au moment et à l’endroit, fixés préalablement. v.
145 s 3 : “ Il n’appartient à aucun être vivant de mourir
qu’avec la permission de Dieu, selon un délai écrit fixé à
l’avance ” v. 34 s 31 : “ Et personne ne sait ce qu’elle acquerra
demain, et personne ne sait dans quelle terre elle moura ”.
Dalida a échoué à ses trois tentatives de suicide ; ce
n’est qu’à la quatrième fois qu’elle est morte. Lors de
l’accident de Lady Diana, seul son garde corps a
échappé à la mort, car, pour lui, le temps du mourir
n’était pas encore sonné.

Si nous sommes en vie, aujourd’hui, c’est que Dieu a


voulu nous laisser vivre, dans le temps qui nous est
imparti, pour que nous puissions réaliser ce que nous
devons faire. Ainsi, nous devons donner du sens et du
bon sens, à notre vie actuelle.

Au moment où le mourant est à l’agonie, deux cas se


présentent :

Primo : rembourser aux ayants droit les dettes qu’il a


contractées, restituer à leurs propriétaires les dépôts
qu’il a reçus ; et procéder, en présence de deux témoins
intègres, à la rédaction d’un testament, au cas où il ait
des biens, afin que sa disparition ne soit pas la cause de
conflits ou un manque à gagner aux vivants.

Secundo : recueillir la demande de pardon, la


bénédiction, la recommandation qu’il adresse à ses
proches ou qu’il reçoit d’eux, afin de les aider à
poursuivre, sans encombre, leur existence.

Cette façon de faire n’est pas l’invention de la


religion musulmane. Platon dans le “ Phédon ” nous
apprend que : “ Couchant sur son dos, comme son
bourreau le lui avait recommandé, et ayant entendu les
hurlements, les pleurs et les plaintes qui fendirent le
cœur à tous les assistants, Socrate, en l’an 399, avant
Jésus Christ, après avoir bu la ciguë, s’adressait à ses
amis en ces termes : “ Que faites-vous là étranges
amis ? Si j’ai renvoyé les femmes, c’était surtout pour
éviter ces lamentations déplacées; car j’ai toujours
entendu dire qu’il fallait mourir sur des paroles de bon
augure. Soyez donc calmes et fermes ”.”

Et à l’adresse de Criton, il disait : “ Criton, nous devons


un coq à Asclépios, payez-le, ne l’oubliez pas ”. Oui, ce
sera fait dit Criton, “ mais vois, si tu as quelque autre
chose à nous dire. À cette question, Socrate ne répondit
plus ”.

C’est une manière de manifester à l’autre, l’attention et


le respect, plus que la valeur intrinsèque de la chose (le
coq). Et le mourant avait le sentiment d’avoir accompli
son devoir vis-à-vis des siens, et pouvait maintenant
quitter tranquillement ce monde.

La prière, la profession de foi, l’invocation des Noms de


Dieu et la demande de pardon doivent être répétées
par le mourant, jusqu’à ce qu’il rende le dernier souffle.
C’est le sens du v. 99 s 15 du Coran : “ Adore ton Seigneur
jusqu’à ce que te vienne la certitude (la mort) ”.

D’ailleurs la plupart des musulmans font la demande


suivante : “ Ô Dieu ! Fais à ce que ma dernière parole,
en quittant ce monde, au terme de ma vie, soit de
prononcer le témoignage de l’unicité de Dieu : “ Il n’y a
de dieu que Dieu et Muhammad est Son Messager ”.”

Au cas où le mourant ne fait pas ces prescriptions, il


appartient aux membres de sa famille ou à l’imam de
les rappeler lentement, à proximité de ses oreilles, de
façon à ce qu’il puisse les pratiquer, soit par sa langue,
soit par sa pensée ; sans toutefois, l’obliger à les faire
faire. Car, s’il refuse, c’est comme s’il renonçait, au
dernier moment de sa vie, à la profession de sa foi. Et la
responsabilité de ce refus incombe à celui qui l’a obligé.

2 – Le rendez-vous avec la Vérité, pendant


la mort
Le Coran v. 83 à 87 s 56 nous apprend que “ Lorsque l’âme
remonte à la gorge d’un mourant et qu’à ce moment là vous
regardez et que Nous (Dieu) sommes encore plus proche de lui
que vous mêmes qui l’entourez, mais vous ne voyez point ”
Coran v. 26 à 28 s 75 : “ Quand l’âme en arrive aux
clavicules et qu’on dit : “ Qui peut guérir l’agonisant ? ” et que
l’agonisant est convaincu que c’est la séparation, c’est-à-dire,
la mort ”.

Dans ces deux versets, il est à relever les phrases


suivantes : “ lorsque l’âme remonte à la gorge d’un
mourant ” et “ quand l’âme arrive aux clavicules ” cela
veut dire, que l’âme se déplace. Elle quitte le bout des
orteils et le bout des ongles pour se rassembler au
niveau de la gorge ou de la clavicule, sans que la
personne ne s’en rende même compte, et ce, pour un
moment indéterminé. Ceci est valable, aussi bien pour
les personnes malades alitées, que pour les personnes
valides, mortes subitement ou accidentellement.

Le Coran v. 130 à 133 s 2, nous apprend que, sentant leur


mort prochaine, les prophètes Abraham ainsi que Jacob
ont fait venir leurs enfants en leur prodiguant des
conseils :

“ Quand son Seigneur avait dit à Abraham : “ Soumets-toi ” il


dit : “ Je me soumets au Seigneur de l’Univers ”. Et c’est ce
qu’Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : “ Ô
mes fils, certes Dieu vous a choisi la religion : ne mourrez
point donc autrement qu’en soumis à Dieu ” (soumis =
musulmans, voir verset 78, S. 22). ”

Étiez-vous témoins quand la mort se présenta à Jacob et qu’il


dit à ses fils : “ Qu’adorerez-vous après moi ” ? Ils
répondirent : “ Nous adorerons ta divinité et la divinité de tes
pères, Abraham, Ismaël et Isaac, Divinité Unique et à laquelle
nous sommes soumis ”.

Ainsi, Abraham et Jacob recommandaient à leurs


enfants de ne mourir que dans la foi islamique, c’est-à-
dire, en étant soumis à Dieu Unique et leur lançaient
cet appel pathétique où se reflétaient toute la crainte et
la pitié des pères pour l’avenir définitif de leurs
enfants.

Quand l’heure de rendre le dernier souffle sonne, le


voile qui couvrait les yeux du mourant est enlevé. Il
voit, en ce moment-là, les mondes invisibles que les
vivants ne voient pas : les anges et sa place future, soit
au Paradis, soit en Enfer. Il a ainsi la pleine conviction
du bien fondé des Saintes Ecritures et personne ne
quitte ce bas monde sans être croyant. C’est le sens des
v. 19 et 22 s 50 : “ L’agonie de la mort fait apparaître la
vérité : Voilà ce dont tu t’écartais ”. “ Tu restais indifférent à
cela. Et bien, Nous ôtons ton voile ; ta vue est perçante
aujourd’hui ”.

C’est le moment où l’on remarque le visage du


mourant, soit crispé, avec les yeux fixés, grands
ouverts ; soit un visage calme, serein et radieux, avec le
sourire aux lèvres. C’est à ce moment-là que l’Ange de
la mort mentionné par le verset 11 de la Sourate 32
saisit et emporte l’âme.

Le Coran, versets 90 à 92 de la Sourate 10 nous apprend


qu’au moment où Pharaon était sur le point d’être
englouti et noyé par les eaux de la Mer rouge, sa vue
était devenue perçante, parce que le voile qui couvrait
ses yeux était enlevé, il voyait les mondes invisibles,
alors il s’était exprimé en ces termes : “ Je crois qu’il n’y a
d’autre divinité que Celui en Qui ont cru les Enfants d’Israël.
Et je suis du nombre des soumis ”. L’ange de la mort lui dit : “
Maintenant ? ”, alors qu’auparavant tu as désobéi et que tu as
été du nombre des corrupteurs ! Nous allons aujourd’hui
épargner ton corps, l’empêchant de disparaître dans la mer,
afin que tu deviennes un signe à tes successeurs ”.

Dans un autre passage, le Coran v. 51 s 10, dit : “ Est-ce


au moment où le châtiment se produit que vous croirez ? Il
vous sera dit : “ Inutile maintenant ! ”.

Il ressort de ces deux passages du Coran que, la


croyance, de ceux qui ne croient que dans cette phase
ultime de leur vie d’ici-bas, n’est pas agréée par le Dieu.

“ Sont croyants, ceux qui ont cru aux mondes


invisibles, avant de les voir de leurs propres yeux ”.

“ Dieu accepte le repentir quand il vient, avant l’agonie


”, tel qu’il est mentionné par les versets 17 et 18 de la
Sourate 4 : “ Dieu accueille seulement le repentir de ceux qui
font le mal par ignorance et qui aussitôt se repentent. Voilà,
ceux de qui Dieu accueille le repentir. Mais l’absolution n’est
point destinée à ceux qui font de mauvaises actions jusqu’au
moment où la mort se présente à l’un d’eux et qui s’écrie : “
Certes, je me repens maintenant ”.

Pendant la mort, la conscience et l’état corporel du


mourant sont maintenus tels qu’ils étaient entrés dans
la mort jusqu’au réveil, exactement comme une
matière congelée qui garde intactes sa saveur et son
odeur jusqu’à la sortie de son état de congélation.

3 – Le Réveil après la mort


Au réveil, le mourant perd la notion de temps, croyant
que c’est toujours le même temps où il est entré dans la
mort, alors qu’il s’est passé déjà plusieurs années.

C’est le sens du verset 259 s. 2 : “ Tout comme celui qui


passa par une cité vidée de fond en comble, et dit : “ Comment
Dieu ferait-Il revivre cette cité une fois morte ? ”. En
conséquence, Dieu le fit mourir pour cent ans, puis le
ressuscita :

“ Combien de temps, lui demanda-t-Il, es-tu resté mort ? ”.


L’homme dit : “ Je suis resté un jour ou seulement une partie
d’un jour. Non pas, lui dit Dieu. Tu es resté cent ans.

Et pourtant regarde ta nourriture et ta boisson : elles ne sont


pas avariées. Regarde ton âme. De toi, Nous voulons faire un
signe pour les hommes. Regarde ces ossements, comme Nous
les ressuscitons, puis les habillons de chair ”. Et l’homme,
quand cela fut pour lui bien distinct, dit : “ Je sais que Dieu est
Omnipotent ”.”

Ce passant, dit-on, s’appelle Uzayr, issu des Enfants


d’Israël et cette cité vidée de fond en comble est
Jérusalem, détruite par le Roi Bakhtançar. Les Romains
chrétiens poussés par leur rancœur contre les Juifs,
aidèrent le Mazdéen Bakhtançar à détruire la Maison
d’al-Qods et toute la cité de Jérusalem à cause de
l’assassinat du Prophète Yahya (Jean) fils de Zakariya.

Quand le passant est entré dans la cité, il a vu les


habitations détruites, toits et murs affaissés sur
poutres et madriers. Tout n’était que mort et
désolation. Alors, il s’est immobilisé pensif, pour se
dire après tant de réflexion : “ Comment Dieu ferait-Il
revivre cette cité une fois morte ? ”. Sur ce, Dieu lui a donné
la mort pour cent ans. Un siècle plus tard, Dieu
ressuscita ce passant. La première chose ressuscitée fut
ses yeux pour qu’ils puissent voir la reconstitution du
reste de son corps.

La reconstitution du reste de son corps s’est déroulée


de la façon suivante, sur ordre de Dieu :

D’abord, les ossements éparpillés se sont rassemblés


pour former le squelette du corps. Ensuite, le squelette
s’est vêtu de chair, de nerfs et de la peau. Enfin, l’âme
est revenue pour habiter le corps. “ Quand Dieu veut une
chose, Son commandement consiste à dire “ Sois ” et la chose
est ” v. 82 s 36.

Après avoir accompli Son œuvre, Dieu a dit au


ressuscité par l’intermédiaire d’un ange, combien de
temps étais-tu resté sans vie ? Le passant a répondu
qu’il était resté un jour ou seulement une partie d’un
jour. Il a parlé ainsi, parce qu’il était mort au début du
jour et qu’il a été ressuscité à la fin du jour. Lorsqu’il a
vu le soleil dans le ciel, il a cru que c’était le soleil de ce
même jour. C’est pourquoi, l’ange lui a dit qu’il était
resté cent ans ; puis l’ange lui a demandé de voir ses
victuailles et sa boisson qui étaient demeurées intactes,
ainsi que son âme qui se constituait devant ses yeux.
Cela étant terminé, le passant a dit : “ Je sais que Dieu est
Omnipotent ”.

Il en est de même pour les hommes de la caverne


mentionnés par les v. 19 et 25 s 18 du Coran : “ Ainsi
donc, Nous les ressuscitâmes (les hommes de la caverne) afin
qu’ils s’interrogent entre eux. L’un d’eux parla : “ Combien de
temps avez-vous demeuré-là ? ”. Les autres dirent : “ Nous
avons demeuré un jour ou une partie d’un jour ”. D’autres
dirent : “ Votre Seigneur sait mieux combien de temps vous y
avez demeuré ”. “ Ils demeurèrent dans leur caverne trois cents
ans auxquels s’ajoutent neuf ans ”.”

Ils se sont réveillés comme ils s’étaient endormis. Tout


en eux était intact : le corps, les cheveux, la peau, les
habits. Leur sommeil avait duré 309 ans. Ils s’étaient
endormis au début du jour et leur réveil avait eu lieu à
la fin de la journée.

C’est pourquoi, ils s’étaient interrogés sur la durée de


leur sommeil, puis ils se sont repris en disant : “ Notre
Seigneur est seul à savoir le temps que nous avons séjourné ”.

Les SEPT dormants de la caverne s’appellent :


Yamlykha - Mathlynà - Maksalmynà - Marnouchy -
Dabarnouchy - Chadhanouchy et Kafchatatychy.

Le roi qui les a maltraités s’appelle : Daqyanoussy qui


s’était proclamé lui-même dieu.

4 – Cas particulier des Saints


Nous avons vu que les prophètes Abraham et Jacob,
sentant leur mort prochaine, ont fait venir leurs
enfants. Il en est de même pour les Saints.

Pénétrés par le sens du v. 156 de la s 2 qui dit que : “


Certes, nous appartenons à Dieu, et nous retournerons à Lui ”.
“ Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur ainsi
que la miséricorde ; et ceux-là sont les bien guidés ”.

Les Saints dénommés ci-après ont annoncé leur mort


prochaine :

1°) L’Imam Al Ghazali, penseur musulman, 1058/1111, a


laissé sous sa tête, en mourant, un poème qu’il avait
écrit durant sa maladie : “ Je suis un oiseau ; ce corps était
ma cage ; mais je me suis envolé, le laissant comme un signe ”.

2°) Un autre Mystique musulman nommé Djalâl-ud-


Dîne Rûmi, 1207/1273, en mourant, a laissé cet écrit : “
Vole, vole oiseau vers ton séjour natal, car te voilà échappé de
la cage et tes ailes sont déployées. Éloigne-toi de l’eau
saumâtre ; hâte-toi vers la source de la vie ”.

Le corps humain, “ la cage de l’âme ” constitue un


véritable obstacle à la contemplation de la Vérité.

Ces mystiques travaillent donc à “ mourir à leur corps ”


pour se rapprocher de leur Seigneur, dès cette vie, en
réalisant la prescription du v. 162 s 6 du Coran : “ En
vérité, ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort
appartiennent à Dieu, Seigneur de l’Univers ”.

C’est la raison du passage horizontal de ce monde


profane, menant l’homme à la mort, avant de s’élever à
la dimension transcendantale de son être qui a été
emprisonné dans la cage du monde matériel et que son
horizon a été borné par ce qui était purement corporel.

Mis en ligne sur Cairn.info le 08/02/2008


https://doi.org/10.3917/eslm.131.0163

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