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Université d'État d'Haïti (UEH)

École Normale Supérieure (ENS)


Cours: Historiographie II
Devoir : Étude de l'oeuvre de Beaubrun Ardouin

Professeur : Jean Alix René


Étudiant : Edvard Vincent

Date: 5 octobre 2023


Le XIXème siècle haïtien marque un tournant décisif qui introduit les fondements
d'une historiographie nationale. D'abord, c'est au cours de cette période qu'une école
haïtienne a pris naissance avec des historiens illustres comme Thomas Madiou, Joseph
Saint-Rémy, Linstant Pradine, Beaubrun Ardouin... Ensuite, vers la moitié de ce siècle,
les derniers acteurs et témoins des évènements fondateurs de l'État d'Haïti s'éteignent.
C'est ainsi que Beaubrun Ardouin a entrepris d'écrire l'histoire du général Borgella qui
s'est transformée en Études sur l'Histoire d'Haïti. Ce dernier texte constitue un
classique dans l'historiographie haïtienne dont nous tâcherons d'étudier dans ce
présent travail. En fait, notre démarche consistera à faire un bref résumé biographique
d'Ardouin, ensuite embrasser le contexte historique de la rédaction de son œuvre et
enfin, faire la présentation de cette œuvre suivi d'un essai critique et d'une
démonstration sur comment Ardouin à influencé l'historiographie haïtienne depuis le
XIXème siècle.

Alexis Beaubrun Ardouin est un historien et homme politique autodidacte né à Petit


-Trou de Baradère dans la colonie de Saint-Domingue le 30 octobre 1796. Il est l'un des
fils d'Alexis Antoine Ardouin né à Port-au-Prince le 22 mars 1770 d'un français et de
Suzanne Idée une négressei. Les frères et soeurs de Beaubrun étaient Suzane Aimé
(Chéraquit Sélémon), Flore Félicité, Coriolan Ardouin (mort à 22 ans et 7 mois) et
Céligny Ardouin exécuté le 7 août 1849. Beaubrun Ardouin a travaillé comme journaliste,
typographe, avocat au barreau de Port-au-Prince, juge suppléant au près du tribunal civil
de Port-au-Princeii. En 1832, Beaubrun Ardouin est élu sénateur sous la présidence de
Jean-Pierre Broyer. En 1836, il est devenu membre du "Cénacle" fondé par Ignace Nau.
En 1842, il fonde le journal "Le Temps". Après la chute de Broyer en 1843, Beaubrun
Ardouin est emprisonné. Après sa libération, en 1845, il est devenu secrétaire d'État. En
1846, il devint ministre au près du gouvernement français. En 1848, Beaubrun Ardouin
était en exile lorsqu'il a commencé à écrire les onze tome des Études sur l'histoire
d'haiti dont le premier est apparu en 1853 et le dernier en 1860. Un an plus tard, soit en
1849 après l'assassinat de son frère Céligny Ardouin le 7 août, Beaubrun a démissionné
de son poste de ministre au près du gouvernement françaisiii. Mais, durant cette même
année, après le départ de Soulouque, Beaubrun redevint ministre au près du
gouvernement français en 1859. Enfin, Beaubrun Ardouin meurt à Port-au-Prince le 30
août 1865.

En déduction, Beaubrun Ardouin a marqué l'histoire d'Haiti non seulement à cause


de ses œuvres historiques, mais aussi à cause de sa vie politique. Ardouin est
considéré comme un de ces hommes dans l'histoire d'haiti qui menaient une politique
dite de doublure en plaçant des chefs d'État qu'il vont eux-mêmes contrôler ou tout au
moins influencer leurs décisions. C'est ainsi qu'Ardouin a tout fait en tant que président
du sénat pour élire Soulouque à la tête du pouvoir en Haïti le 1er mars 1847 tout en
évinçant les deux candidats qui étaient sur la liste électorale, les généraux Paul et
Souffrant.iv En marge de sa vie politique, Beaubrun Ardouin a écrit Instructions sur le
Jury. Port-au-Prince: Imprimerie du Gouvernement, 1829; Géographie de l’Île d’Haïti, Port
-au-Prince: sne, 1832; Port-au-Prince: T. Bouchereau, 1864; Abrégé de la géographie
d’Haïti. Jacmel: Mme Samuel, 1881; Études sur l’histoire d’Haïti, suivi de La vie du
général J.-M. Borgella (1853) dont nous allons retracer le contexte historique de sa
rédaction.

Pour comprendre le contexte historique de la rédaction des Études sur l'histoire


d'Haïti de Beaubrun Ardouin, il faut considérer le fait même que l'auteur était en exile en
France lors de la réalisation de son œuvre. Durant cet exile, il a dû lire des ouvrages ou
des témoignages qui allaient à l'encontre de ce qu'il savait ou pensait de la révolution
Haïtienne. A cette époque, beaucoup de ces témoignages rabaissaient l'exploit de la
révolution de 1804 qui indignent les Occidentaux, surtout les historiens Français, les
historiens Anglais et ceux des États-Unis1. C'est au moins une des raisons qui a motivé
la rédaction de l'ouvrage d'Ardouin. Mais Ardouin est loin d'être le seul à subir cette
influence. D'autres écrivains haïtiens se sont inscrits dans une même démarche comme,
un peu plus tard, Louis Joseph Janvier. Ce dernier a écrit La République d'Haïti et ses
visiteurs (1840-1882) pour répondre aux témoignages principalement de Victor
Cochinat et de Gustave d'Allaux. D'autre part, la question de la dette de l'indépendance a
été encore le centre des débats. Quelque nationaliste qu'il soit, Ardouin à jugé bon de
saluer la reconnaissance de l'indépendance d"Haïti à travers la démarche de Charles X
qui exige une indemnité pour les anciens colons. Ardouin a même trouvé que cet acte
constituait déjà une réparation de la part de la France pour les injustices commises
dans le passé. En fait, cette démarche de Beaubrun Ardouin n' est pas différente de
celle de Jean-Baptiste Romane qui loue la bonté de Charles X dans un épitre en 1825.

D'un autre côté, Ardouin croit que la France a le devoir moral d'élever le peuple
haïtien au niveau de la civilisation en guise de réparation. Il faut cependant admettre

1
Léon-François Hoffmann/Frauke Gewecke/Ulrich Fleischmann (dir.): Haïti 1804 –
Lumières et ténèbres. Impact et résonances d'une révolution),Annales historiques de la
Révolution française 365 | Juillet-septembre 2011 Lumières et révolutions en Amérique
latine; Mimi Sheller, Army of sufferer: The democracy in the early Republic of Haiti, Wawick
university's center for the Caribbean studies 1998; Alejandro Gomez. Le syndrome de Saint-
Domingue. Perceptions et représentations de la Révolution haïtienne dans le Monde atlantique,
1790-1886. Histoire. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2010. Français.
ffNNT : ff. fftel-00555007v1ff.
que Beaubrun Ardouin n' était pas le seul à émettre une telle idée. Par exemple, dans
l'Histoire des caciques d'Haïti, parut en 1854, soit un an après la publication des Études
sur l'histoire d'Haïti d'Ardouin, Charles Émile Nau ne manque pas de considérer les
Européens comme des civilisés face aux aborigènes d'Haïti qu'il considérait comme des
être qui vivaient à l'état de nature. En fait, il écrit: "L'existence des populations primitives
de l'Archipel americain était voisine de l'état de nature". Il ne s'agit pas dans ce travail de
mettre en relation les deux auteurs concernés, mais nous essayons simplement de
traduire la pensée de l'époque. En même temps, un événement important se déroulait
en Haïti concernant les opérations militaires de Soulouque dans la partie Est de l'île
d'Haïti. Dans cette opération, les Français sont indexés comme agents secrets qui
fournissaient des informations aux hommes de l'Est2 et les américains menaçaient
même d'envahir Haïti si Soulouque n'arrêtait pas ses opérations militaires en
République Dominicaine. Malgré cette situation tendue, Ardouin reste convaincu qu'il
fallait un rapprochement entre Haïti et la France pour obtenir des bénéfices
civilisationnels et civilisateurs. Mais, paradoxalement, dans le tome 1 des Études sur
l'histoire d'Haïti, Ardouin souligne la question de la souveraineté du peuple qui
constituait une notion importante pour les nations qu'il qualifie de civilisées au XIXème
siècle. Cependant, il ne se rappelle pas d'écrire la moindre phrase sur l'agression de
l'amiral Dunèsque en 1852 qui menaçait de bombarder Port-au-Prince pour exiger la
reprise du paiement de "la dette de l'indépendance". Néanmoins, l'œuvre de Beaubrun
Ardouin fait parti d'un complexe historique qu'il faut replacer dans le cadre de la
naissance d'une École Haïtienne d'histoire vers 1825 et qui se confirme vers 1830.

Depuis l'indépendance, la majeure partie des travaux sur l'histoire d'Haiti a été
entrepris par des étrangers. Ce n'est que dans le but de répondre à ce besoin d'une
histoire écrite par des nationaux que l'Ecole Haïtienne allait pris naissance vers les
années 1825 et 1830. Les principaux travaux qui ont été réalisés composaient de
mémoire, compilation et études et biographie des grands personnages de la révolution
haïtienne dont la finalité est d'établir une histoire générale sur Haïti. À travers leurs
œuvres, les principaux historiens de cette époque se tâchaient de présenter l'histoire
glorieuse de la patrie, de protéger l'histoire contre l'oubli, de présenter des héros de la
révolution, de répondre aux interprétations des européens qui rabaissaient la révolution
et d'utiliser l'histoire pour prendre des positions politiques. C"est en fait, dans ce cadre
qu'il faut situer les Études sur l'histoire d'Haïti de Beaubrun Ardouin dont nous allons
analyser.

2
Gustave d'Allaux L' empereur Soulouque et son empire, Collection Michel Lévy, deuxième
édition, 1860.
Études sur l'histoire d'haiti est une œuvre qui est rédigée en une intervalle de huit
années, de 1853 à 1860. A l'origine, cette œuvre n'a pas été conçue pour retracer
l'histoire haïtienne. Ardouin a lui-même avoué n'avoir pas eu la prétention de publier une
histoire d'Haïti que les études qu'il présente doivent embrasser. Le projet initial c'était
d'écrire l'histoire du général Borgella mais Ardouin a trouvé nécessaire de placer le
général à l'intérieur des évènements auxquels il a lui-même pris part pour rendre son
œuvre intelligible et de ne pas se borner à une simple biographie. C'est ainsi que
Beaubrun Ardouin a trouvé utile de remonter jusqu'à Saint-Domingue en rendant plus
complet son travail et de le rendre utile au développement civilisationnel d'Haïti. D'autre
part, le but d'Ardouin était de présenter l'histoire d'Haïti à travers la vision d'un naturel
par opposition à d'autres étrangers qui l'ont présentée à leur propre point de vue. Selon
lui, son histoire se présente comme une sorte de matériaux qui doit servir à l'avenir.

Pour la réalisation de son œuvre, Ardouin s'est posé deux questions fondamentales
: "comment comprendre le nouvel ordre de choses qui [y ] a prévalu, si l'on ignore tous
ces antécédents [qui ont eu lieu au cours de l'histoire de nos ancêtres]? Comment Haiti
elle-même parviendrait-elle à se dégager des entraves qui s'opposeraient au libre
développement de sa civilisation, si elle fermait les yeux sur son passé? ". Ardouin
présente son histoire dans le but de perpétuer la mémoire des défenseurs de la nation
haïtienne et d'exciter ses concitoyens à connaître les raisons qui ont poussé ces
défenseurs de la nation à créer une patrie qui leur appartient. Donc, le souci d' Ardouin
est de réhausser la gloire de tous les Haïtiens: " Puisse mon pays me savoir bon gré de
mes intentions et de mes efforts pour réhausser la gloire de tous " a-t-il écrit dans le
tome 1 de son œuvre.

Dans son œuvre, Ardouin a pris position contre le système colonial de Saint-
Domingue fondé selon lui sur la cupidité la plus aveugle. Dans les premiers tomes de
son œuvre, Ardouin traite la lutte entre les captifs de Saint-Domingue et les Européens.
Avant tout, il divise l'histoire d'Haïti en deux périodes. Il appelle la première "la période
française" qu'il situe entre 1789 et novembre 1803. La seconde période est nommée "Ia
période haitienne" qui commence en novembre 1803 pour terminer en mars 1843. Par
ailleurs, Ardouin subdivise chacune ces périodes en six moments. D'abord, la période
française comprend les six subdivisions suivantes: de l'arrivée des nouvelles de la prise
de la bastille à Saint-Domingue à septembre 1792; l'arrivée des commissaires civiles en
septembre 1792 à juin 1794; de juin 1794 à octobre 1798; d'octobre 1798 à juillet 1800;
de juillet 1800 à janvier 1802; de janvier 1802 à novembre 1803. En suite, la période
haitienne qui est subdivisée en six périodes aussi : de Novembre 1803 à octobre 1806;
d' octobre 1806 à juin 1812; de juin 1812 à octobre 1820; d' octobre 1820 à juillet 1825;
de juillet 1825 à février 1838 et enfin de février 1838 à mars 1843. Ardouin a décidé de
présenter chacune de ces périodes dans un volume.

La rédaction du premier volume a commencé en 1853 et est apparu à Paris 1855


chez Dezobry et E. Magdeleine, rue des Maçons-Sorbonne. Le dernier est apparu en
1860. En somme, onze volumes avaient été édités. L' objectif principal d'Ardouin
consistait à raconter l'histoire des grands hommes qui ont lutté pour l'indépendance
d'Haïti plus précisément, l'histoire du général Borgella. Mis à part le récit de la vie du
général Jérôme-Maximilien Borgella, l'œuvre de Beaubrun Ardouin avait pour objectif de
présenter une histoire d'Haïti écrite par des haïtiens face à celles écrites par des
étrangers, transmettre les faits des événements historiques à la postérité, réhausser
l'honneur de la patrie, créer la cohésion entre les haïtien à partir de l'histoire, faire de
l'histoire d'haiti un domaine à enseigner, accomplir un devoir citoyen en écrivant
l'épopée de révolution de 1804 tout en créant une œuvre qui pourra servir, selon lui,
"d'utilité publique". En revanche, faut-il noter aussi ce qui se passe presque toujours
sous silence lorsqu'on présente le travail d'Ardouin. Le fait est que, outre les objectifs
d'écrire l'histoire glorieuse de la nation haïtienne, Ardouin ne cache pas ses intentions
de plaidoyer pour un renouement des relations entre Haïti et la France qui avaient été
rompues depuis dix ans. C'est à cette fin qu'il a pris le soin d'écrire ouvertement :
"J'espère parvenir à prouver cette nécessité morale, quand j'arriverai à parler du
rétablissement des relations entre la France et Haïti, après dix années de separation
[...]". Du même coup, le récit historique d'Ardouin fait de la révolution haïtienne ou du
moins de Saint-Domingue une des conséquences de la révolution française dont le rôle
des captifs est secondaire3. Dans le premier volume de son œuvre, à la page 18,
Ardouin écrit sans aucune nuance ni aucune réserve qu' "Haiti est née de la Révolution
de 1789". D'ailleurs, dans sa tentative de périodisation, Ardouin commence le récit de
son histoire à partir de l'arrivée des nouvelles de la prise de la Bastille pour expliquer les
luttes enregistrées dans l'histoire de la révolution de Saint-Domingue.

Pour l'interprétation de l'organisation sociale à Saint-Domingue, Ardouin souligne


l'existence de deux classes principales et une classe intermédiaire. A l'intérieur de
chacune de ces classes, Ardouin mentionne l'existence de sous-classes. La société
Saint-Dominguoise est présentée ainsi: la classe des blancs qui contenait les autorités
3
" Beaubrun Ardouin est l’idéologue le plus représentatif de la période allant de1806 à 1844. Il tente de présenter les
faits historiques découlant de la guerre de l’Indépendance. Il essaie de justifier le paiement de la dette par la
nécessité du rapprochement avec la France. Il dénie aux anciens-nes esclaves toute velléité de s’affranchir de
l’esclavage par eux-mêmes". ( Pascal Adrien et al. Les pratiques idéologiques en Haïti Vues à travers l’émission
radiophonique Ann Pale Politik, 2018 Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale. p. 23,
chapitre Discours idéologiques enbHaïti)
coloniales, les planteurs divisés en grands planteurs et en simples planteurs, les
commerçants, les artisans et les ouvriers; la classe intermédiaire est constituée par les
affranchis qu'on appelle sans différence gens de couleur, d'hommes de couleur, de sang
-mêlé, d'affranchis. Enfin la classe des nègres et des mulâtres esclave.

Écrire l'histoire n'est pas une simple tâche. Comme Michel-Rolph Trouillot l'a
souligné dans Silencing the past, dans la redaction de l'histoire le problème reste se qui
s'est passé et ce qu'on dit sur ce qui s'est passé. Ainsi selon lui deux tendances
émergent entre les historiens : le positivisme et le constructivisme. Quant à Beaubrun
Ardouin, il se situe entre le courant de l'École positiste français et l'antiquité européenne.
En fait, pour Ardouin l'histoire ne peux pas être un simple récit des événements, elle
apporte des enseignements pour le peuple concerné sur ce qui est louable ou
condamnable dans son passé:

" Mais l'histoire ne doit pas être un simple récit des événements.
Elle comporte des enseignements toujours utiles au peuple dont
elle raconte les actions. Son objet doit être d'indiquer ce qu'il y a eu
de louable ou de condamnable dans ces actions. C'est par là qu'elle.
encourage les hommes à faire le bien, qu'elle les detourne du mal."
Pour Ardouin, celui qui se lance dans le domaine de l'histoire doit tenir compte de
ce principe s'il veut trouver l'approbation de ses conternporains et l'estime de la
postérité. Néanmoins, Ardouin préconise que celui qui écrit l'histoire ne doit pas
omettre de présenter ce qui s'est passé de regrettable qu'il qualifie de "flétrissure de
l'histoire". L'acte de présenter ce qui il y a eu de louable ou de flétrissure ne représente
pas qu'un simple hommage rendu à la vérité pour Ardouin, c'est aussi pour lui un
"témoignage de respect envers la postérité". Pour Ardouin, l'histoire se fait à partir des
documents. Toutefois, il admet l'utilisation des traditions orales et populaires dans la
mesure où elles apparaissent offrir quelques certitudes. Selon lui, il faut rejeter les
traditions orales et populaires qui ne représente aucune probabilité :
Il faut souvent se défier de cette manière de faire de I'histoire;
car les bruits du moment egarent les acteurs ou les témoins des
événements qui les racontent ensuite comme faits positifs. Si les
documents eux-mêmes sont quelque fois mensongers, combien, à
plus forte raison, ne doit-on pas se prémunir contre les traditions orales?

Tout comme Polybe dans l'antiquité européenne, Ardouin ne trouve aucun


inconvénient d'émettre ses opinions et ses impressions dans la rédaction de l'histoire.
En fait, en ce qui concerne son œuvre, Ardouin se tâches décrire la vie de Borgela avec
des témoignages mais aussi avec ses impressions: "je puis promettre à mes lecteurs
ce qui dépend certainement de moi : -d'être vrai et sincère en tout ce que je dirai, selon
mes propres impressions." Par ailleurs, il n'a pas négligé d'informer le lecteur qu'il s'est
laissé guidé par ses sentiments pour retracer la vie du général Borgella. Ainsi, écrit-il: "Et
ce n'est pas seulement pour témoigner de mon respect tout filial avers la memoire du
généralal Borgella, que j'entreprends cet ouvrage : c'est aussi un aveu que je prétends
faire de la conformité de principes et de sentiments qui a existé entre lui et moi, [...]''.
Plus loin, Ardouin soutient que son histoire doit servir d'enseignement politique pour
ses concitoyens. Bref, pour Ardouin, l'histoire peut être écrite avec des sentiments, des
impressions et des opinions qui peuvent servir à des fin idéologiques ou du moins à des
valeurs politiques.

Ardouin considère qu'il existe une sorte de linéarité dans l'histoire et que le passé
peut influencer le présent et le futur4. Par ailleurs, il croit que dans le déroulement des
évènements il existe une sorte de fatalisme prédéfini par la providence. Parlant de
l'enseignement des moments de gloire et ceux des vicissitudes dans l'histoire d'Haïti à
la postérité, Ardouin affirme que " C'est à ces conditions que les peuples pogressent
dans la voie tracée à L'humanité, par la Providence qui veille au salut de tous" (Ardouin,
1853, p. 13, t.1). Selon Ardouin, l'histoire a pour but d'éclairer les peuples sur les faits
pour les aider à "apprécier convenablement" les actes de leurs dirigeants afin de se
"garantir de la perversité des méchants". (Ibid, p.13, t. 1). Ardouin considère aussi qu'il
existe un tribunal de l'histoire qui juge les personnages selon leur état d'esprit. Ainsi,
Ardouin implique la psychologie dans l'interprétation de l'histoire ou tout au moins
l'interprétation du comportement des personnages historiques. Aussi, croit il qu'il existe
une histoire morale lorsque dans le tome 1 de son œuvre à la page 19 il souligne que
l'histoire peut faire "absoudre" certains actes commis par les personnes dans le
déroulement des événements historiques.

Pour écrire les deux premiers livres de son ouvrage, Ardouin a puisé comme source
dans le rapport de Garran de Coulon qu'il juge "si impartial". Ce rapport qui selon
Ardouin a permis de connaître les événements qui se sont déroulés entre 1789 et 1794
était rédigé pour le compte de la commission des colonies qui a été chargée de juger
Sonthonax et Polverel. Ardouin trouve le rapport de Coulon pertinent par ce que c'est
grâce à ce rapport que les Haïtiens ont parvenu à connaître les événements [de 1789 à
1794] "car, selon Ardouin, ils ne possèdent pas la plupart des docurnens qui ont passé
sous les yeux de cette commission [des colonies qui a entendu Sonthonax et Polvérel].
4
Le passé est le régulateur du présent comme de l'avenir : il enseigne aux peuples des
choses qu'il est de leur intérêt de connaître, d'autres qu'il faut éviter, afin de parvenir à
fonder leur prospérité sur des bases solides et durables." (B. Ardouin, Études sur
l'histoire d'Haïti, t. 1)
Ardouin affirme avoir consulté d'autres documents sans pourtant les énumérer. En
revanche, l'auteur soutient qu'il n'a pas négligé la tradition orale et populaire dans son
travail. Toutefois il a pris le soin de souligner qu'il n'a utilisé que les traditions orales et
populaires qui lui ont "paru offrir quelques certitudes". Par ailleurs, pour le suivi de la vie
du Général Borgella, Ardouin utilise aussi les témoignages de Borgella lui-même :"

Ardouin consulte aussi des sources originales. Dans le tome 2 de son œuvre, à la
page 5, en racontant le contexte de l'arrivée des commissaires civiles à Saint-Domingue,
Ardouin informe avoir consulté des documents originaux dont les commissaires ont
signé eux-mêmes. : "Nous avons en notre possession l'original même de ces
instructions, signé des trois commissaires, que nous avons trouvé dans les archives de
Santo-Domingo." Il poursuit : "Nous avons aussi l'original d'un certificat de civisme
délivré à Delpech ,le 12 juillet 1792, par la société de Bordeaux dont il était membre".
Aussi Ardouin a consulté des documents officiels. Par exemple, il cite en note de bas de
page dans le tome 1 à la page 29 un document officiel du préfet apostolique de I'Ouest
et du Sud concernant leur état financier et les ressources dont il dispose en 1790.

Ardouin a beaucoup utilisé comme source les témoignages des acteurs ou témoins
des évènements. Il cite des témoignages écrits comme l'ouvrage de Hilliard d'Auberteuil
Considérations sur la colonie de Saint-Domingue publié en 1775. Par ailleurs, son
œuvre repose essentiellement sur les témoignages directs du général Jérôme-
Maximilien Borgella dont il relate l'histoire de sa vie: "[...]

c'est aussi un aveu [...] de la conformité de principes.


et de sentiments qui a existé entre lui [Borgela] et
moi [...] des éclaircissements qu'il m'avait donnés.
depuis longtemps, sur certaines circonstances
importantes de notre histoire nationale" .

Ardouin semble dissimuler certaines circonstances qui lui avaient poussé à écrire
son œuvre en exile dans un pays où il devait révéler ses agressions à l'encontre de sa
terre d'origine. Ainsi, Ardouin note:" ... des circonstances qu'il est inutile de mentionner
ici, m'ont m' a amené à m'occuper de l'histoire de mon pays, dans la capitale de cette
grande nation qui en avait fait la plus florissante de ses colonies. " (T.1 p. 16). Par ses
propos enflammés, Ardouin passerait bien pour un radical. Cependant, quand on prend
le soin de lire son œuvre, on peut noter quelques concessions dû peut-être à l'endroit où
il écrivait son œuvre. Non seulement Ardouin croit que la France doit apporter la
civilisation à son pays mais aussi que la France avait déjà réparé plus de trois siècles de
domination déjà en 1855 ( date de la publication de son histoire). (T.1. p 17). "La France,
d'ailleurs, a noblement réparé toutes ces injustices", a-t-il écrit. Les allégations
élogieuses d'Ardouin sur la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti par la France ne
sont nullement différentes de celles Jean-Baptiste Romane dans son Hymne à
l'indépendance en 1825.

L'objectif d'Ardouin consistait à écrire l'histoire d'Haïti à partir des œuvres des
Haïtiens. Cependant, à part les témoignages verbaux de certains témoins, la majorité
des sources d'ardouin provient de la bibliothèque coloniale ou tout moins des
documents écrits par les colons eux-mêmes. Ce fait laisse la place pour établir une
hypothèse sur les relations qui pourrait exister entre le lieux de la rédaction des
Histoires d'Haiti, les sources utilisées et le fait que Beaubrun Ardouin perçoit la
révolution haïtienne comme la fille bâtarde de la révolution française. D'un autre côté,
l'œuvre d'Ardouin est trop orientée. L'Auteur ne cherche pas seulement à écrire une
histoire glorieuse de la nation haïtienne, mais il montre à dessein l'intention de vouloir
obtenir des bonheurs personnels. D'où le manque d'objectivité de son œuvre. Toutefois,
ses travaux occupent une place importante dans l'historiographie haïtienne dont l'effet
de leurs influences doit être suivre de près.

Sans toutefois revendiquer l'influence d'Ardouin sur tous ses successeurs, il


importe de noter que cette tendance persiste encore sur certains écrivains haïtiens de
l'époque contemporaine. Par exemple, pour la problématique de la rédaction de
l'histoire d'Haïti par des Haïtiens, Jean Casimir a fait ce même constat dans Haïti et ses
élites. Selon lui, il faut une réinterprétation de l'histoire qui doit se faire à partir des
Haïtiens. Jean Casimir souligne clairement qu' :"Il convient de rejeter l'historiographie et
l'épistémologie traditionnelles et d’étudier la situation des pays comme Haïti avec les
postulats des Haïtiens et non avec ceux de l'Occident chrétien"v. D'un autre côté, le
courant dans lequel Ardouin s'est inscrit, à savoir que la Révolution Haïtienne est l'une
des conséquences de la Révolution française, a influencé beaucoup d'historiens. Ce
postulat de Beaubrun Ardouin est même retenu comme sujet de débat dans les
dissertations historiques des examens officiels.

En résumé, Ardouin a écrit son œuvre dans le but de retracer l'histoire de la vie du
général Borgella. Mais par la suite il a décidé de changer son œuvre en Études sur
l'histoire d'Haïti. L' objectif consistait à écrire l'histoire d'Haïti à partir d'un Haïtien. Onze
volumes sont publiés retraçant une intervalle allant de 1789 à 1843. Selon ces études, la
révolution haïtienne est considéré, contrairement à Madiou, comme fille bâtarde de la
révolution française. Avec ces études, Ardouin arrive seulement à marquer son temps
mais aussi la postérité comme il le souhaitait lui-même. Son oeuvre pose le problème
de l'origine et de la place que la révolution haïtienne doit occuper dans les annales de
l'histoire générale du monde. Aussi, pose-t-elle le problème le plus fondamental dans
l'historiographie et dans l'épistémologie de l'histoire qui consiste à savoir comment
rendre histoire objective en la débarrassant de la position de l'historien.
i
Henock Trouillot, Beaubrun Ardouin : l'homme politique et l'historien, Histoire de America, Port-
au-Prince 1950.
ii
Site: Littérature @ Île en île, Dossier Beaubrun Ardouin préparé par Mirline
Pierre/ardouin_beaubrun/mis en ligne : 3 décembre 2020 ; mis à jour : 2 janvier 2021
iii
Dantès Bellegarde, Écrivains haïtiens, Notices biographiques et pages choisies, Éditions Henri
Deschamps, Port-au-Prince, Haïti, 1950.
iv
Gustave d'Allaux, L'empereur Soulouque et son empire, deuxième édition, Michel Lévy Frères,
1860, Paris France.
v
Jean Casimir, "Haïti et ses élites: L'interminable dialogue de sourds", article préparé à partir
d’une conférence prononcée à El Colegio de México, intitulée « Formación e inserción de Haití
en la comunidad internacional », le 27 novembre 2006, automne 2008, Éditions Worlds &
Knowledges Otherwise
Références bibliographiques

Alejandro Gomez. Le syndrome de Saint-Domingue. Perceptions et représentations de


la Révolution haïtienne dans le Monde atlantique, 1790-1886. Histoire. Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2010. Français. ffNNT : ff. fftel-00555007v1ff

Beaubrun Ardouin, Études sur l'histoire d'Haïti, suivi de La vie du général J.-M. Borgella,
Dezobry et E. Magdeleine, 1853, t.1, 2 et 11.

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