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Bensacq-Tixier Nicole. La France en Chine en 1912-1913. In: Outre-mers, tome 99, n°376-377,2012. Cent ans d'histoire
des outre-mers. SHOM, 1912-2012. pp. 259-279;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.2012.4965
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2012_num_99_376_4965
Nicole TIXIER *
China Branch of the Royal Asiatic Society dont il met en œuvre et publie
le catalogue. Il décide alors de se consacrer à l’étude de l’Extrême-
Orient et écrit de nombreux articles dans divers journaux. Après son
retour en France fin mars 1876, il entre en 1881 à l’École des langues
orientales, où il enseigne l’histoire, la géographie et la législation de
l’Extrême-Orient, et devient professeur titulaire en 1888 jusqu’à sa
mort. Parallèlement, il est membre de plusieurs sociétés savantes étran-
gères. Le 22 mars 1908, il est appelé à l’Institut de France comme
membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; Il est par la
suite titulaire de bien d’autres titres, notamment vice-président de la
Société asiatique en 1918 et, en 1924, président de la Société de géogra-
phie ; il voyage également en Amérique et fait partie, en tant que
secrétaire, de la Société des Américains de Paris. Il consacre sa vie à la
publication de nombreux ouvrages sur l’Extrême-Orient et sur la Chine
en particulier, depuis les expéditions de 1857-1858 jusqu’aux les rela-
tions de ce pays avec les puissances occidentales, recensés par la Biblio-
theca Sinica. Éditeur de la Revue de l’Extrême-Orient, il collabore à
plusieurs journaux sur des sujets aussi bien scientifiques, littéraires
qu’artistiques et dirige pendant 35 ans le Toung Pao : c’est la première
revue internationale de sinologie, fondée en 1890, à Paris par Cordier et
Gustave Schlegel, avant qu’Édouard Chavannes puis Paul Pelliot leur
succède ; son titre original était T’oung Pao ou Archives pour servir à
l’étude de l’histoire, des langues, la géographie et l’ethnographie de l’Asie
orientale (Chine, Japon, Corée, Indochine, Asie Centrale et Malaisie).
Quant à Maybon, au moment de la constitution de la Société, il est
directeur depuis un an de l’École municipale de Shanghai, fondée par
le consul général Émile Ratard, trois ans plus tôt. Arrivé en Indochine
en 1905, il a dirigé d’abord l’École Pavie tout en étant en même temps
professeur de philosophie et d’histoire de l’Extrême-Orient à l’Univer-
sité d’Hanoi et stagiaire à l’École française d’Extrême-Orient, où il est
entré en 1907. En 1912, il est au cœur de la révolution qui le 12 février,
met fin au régime impérial des Qing, en place depuis 1644, et instaure
la République. Depuis le début des troubles, les Français comme les
autres étrangers suivent attentivement l’évolution de la situation, leurs
droits acquis depuis les traités inégaux du xixe siècle et leurs intérêts
industriels et commerciaux étant en jeu. Malgré leur désir de ne pas
intervenir directement dans le cours des événements et de respecter
une stricte neutralité, peu à peu, la France et les autres puissances
décident de faire entendre leur voix et de peser dans les décisions qui
décident de l’avenir de la Chine. À Pékin en 1912, c’est d’abord Pierre
de Margerie qui est à la tête de la légation, relayé début juillet par
François Georges-Picot chargé d’affaires jusqu’à l’arrivée d’Alexandre
Conty au mois de septembre. Le nouveau ministre est un diplomate
d’expérience qui s’est fait remarquer par ses travaux sur Madagascar
(où il a débuté sa carrière en 1892) et surtout par ses études sur la
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culture du café brésilien qu’il a introduit dans ce pays. Après avoir été
en poste à Rio, il a été ensuite rappelé à l’administration centrale où il a
pris les fonctions de sous-directeur d’Europe d’Afrique et d’Orient
avant d’être appelé à Pékin à la place de Margerie, qui le remplace à
Paris
province est attaqué et blessé par des brigands, son boy annamite est tué
et son coolie chinois gravement blessé. Les missionnaires et les chrétiens
sont traqués, le père Castanet est massacré. Le 11 décembre à Chen-
gdu, capitale du Sichuan, Jules Leurquin signale que la dissension entre
les chefs révolutionnaires a entraîné une lutte ouverte entre cette ville et
Chongqing. Le vice-roi Chao Eurr-fong est assassiné à peine sorti de
son lit, alors qu’il tentait en toute hâte d’enfiler ses bottes. Leurquin
prend sur lui de faire évacuer tous ses compatriotes à l’instar de ses
collègues étrangers. Le 12 décembre, 107 Français sous la conduite du
docteur Mouillac quittent Chengdu pour Chongqing, puis Hankou et
Shanghai. À Chongqing, le consul Albert Bodard fait évacuer seule-
ment femmes et enfants ; Pierre Crépin agit de même à Mengzi, ainsi
qu’Auguste Wilden àYunnansen, malgré les assurances données par les
révolutionnaires. Un jeune militaire se présente au consulat et lui
affirme que les étrangers n’ont rien à craindre, tout en déclarant « qu’ils
étaient fiers d’avoir suivi le glorieux exemple de la révolution française,
leur mère à tous, et de Napoléon, leur père à tous ».Wilden donne asile
aux vaincus, notamment le commissaire des affaires étrangères déguisé
en coolie, et au taotai des grains, accompagné de sa concubine. Le
général Tsai, chef des révolutionnaires, lui fait savoir qu’ils sont de ses
amis et lui demande en aparté de les héberger jusqu’à que tout danger
soit écarté. Les consuls en poste à Longtchéou et Nanning dans le
Guangxi (Emmanuel Point) et à Canton dans le Guangdong (Joseph
Beauvais) n’échappent pas eux aussi aux troubles.
Les Puissances n’ont pas attendu que la situation dégénère, pour
prendre des mesures. Dès la fin du mois de novembre, elles ont pris la
décision d’augmenter leurs garnisons. Depuis le protocole de septem-
bre 1901 (article 7), toutes les légations regroupées dans le quartier
diplomatique avaient été autorisées à établir des gardes armées pour
assurer leur protection. La France avait environ un millier d’hommes
répartis entre Pékin, Tianjin (au moins 600), Tanggu et Shanhaiquan.
Les Français disposent désormais de 1200 hommes répartis entre
Tianjin et Pékin. Le total des forces étrangères s’élève à 12 587 hommes :
1 500 dans le Petchili, 2 600 pour les légations, 1 100 pour assurer les
communications entre la capitale et la mer le long de la voie ferrée, et
enfin 6 300 à Tianjin, tandis que, à Shanghai, bien que les concessions
ne soient pas troublées, pour prévenir tout incident, les navires de
guerre ont débarqué 123 hommes. L’amiral Marie de Castries est
nommé commandant en chef des troupes navales internationales.
En décembre, au vu de la dégradation de la situation dans les
provinces méridionales, les Puissances décident d’aller plus loin et
d’intervenir directement auprès des dirigeants chinois. Le 18 décembre
1911, à l’initiative des chargés d’affaires le français Georges-Picot et le
russe Shekine, les ministres étrangers effectuent une demande collec-
tive par l’intermédiaire de leurs consuls généraux à Shanghai ¢ pour la
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France, Maurice Dejean de la Batie. C’est dans cette ville que sont
réunis en congrès depuis le 22 novembre les délégués révolutionnaires
et les membres du gouvernement pour préparer l’unification des gou-
vernements provisoires et leur rattachement au gouvernement central.
La note des Puissances exigeant une entente immédiate entre les deux
partis pour mettre fin au conflit, leur est remise le 22 décembre. Le 29
décembre le leader de l’opposition Sun Yat-sen, débarqué de Londres
huit jours auparavant, est proclamé président le la république provi-
soire. Mais les gouvernements occidentaux, et notamment la France
par la voix de son ministre à Pékin Margerie, font savoir qu’ils recon-
naissent seulement le gouvernement de Pékin, l’empereur-enfant Pu-yi
et l’impératrice Long Yu, représentés par le premier ministre Yuan
Shi-kai. Malgré le soutien officieux apporté dans un premier temps
à Sun Yat-sen et leur sympathie pour la cause révolutionnaire, les
puissances sont en effet conscientes que seul Yuan Shi-kai est capable
de ramener le calme et de protéger leurs possessions respectives dans
les diverses provinces de la Chine. Le 12 février,Yuan obtient l’abdica-
tion de la monarchie et, deux jours plus tard, Sun Yat-sen lui cède la
place à la tête de la présidence de la république provisoire. Prenant
prétexte de troubles qui ont éclaté dans le nord, Yuan transfère la
capitale de Nankin à Pékin, sans aucun doute pour se soustraire à
l’influence prépondérante de SunYat-sen et des républicains dans cette
région.
Le 15 février, Angleterre, France, Allemagne, États-Unis, Japon et
Russie se mettent d’accord pour garder une neutralité entre impériaux
et républicains et ne prêter d’argent ni aux uns ni aux autres tant qu’un
gouvernement stable présentant des garanties ne sera pas établi. Depuis
le 10 novembre 1910, France, Angleterre, Allemagne et États-Unis ont
formé un consortium financier dans le but de faire face aux besoins les
plus urgents de la Chine et en vue des futures opérations à entrepren-
dre sur le territoire. Après de difficiles négociations en raison de l’oppo-
sition de la « jeune Chine », le 15 avril 1911, ont été conclus deux
emprunts avec le gouvernement impérial (16 millions de livres soit 400
millions de francs) dont le produit doit être employé à la réforme
monétaire et à la construction de voies ferrées que l’État reprend aux
compagnies provinciales. C’est la signature de ces deux contrats qui a
déclenché le mouvement révolutionnaire donnant ensuite naissance à
la république 3.
3. Cf. John Fairbank, The Cambridge History of China, volume 12, Republican China,
1912-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. John Fairbank (dir.), The
Cambridge History of China. Late Ch’ing, 1800-1911, Cambridge, Cambridge University
Press, 1978 (deux volumes, 10 et 11).
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réunit les représentants des six groupes financiers sans qu’une entente
complète intervienne. À la fin mai, le Japon fait savoir qu’il donne son
adhésion, suivi par la Russie ; la Russo-asiatique représente huit ban-
ques, une russe, quatre belges, deux anglaises et une française. Les 18,
19 et 20 juin, une nouvelle conférence réunit les six groupes financiers à
Paris. L’accord définitif est signé le 20 juin entre la Hong Kong and
Shanghai Bank (siège à Londres), la Banque de l’Indochine (Paris) 5, la
Deutsche-Asiatisch Bank (Berlin), JP Morgan & Cie, MM. Kuhn, Loeb
& Cie, The First National Bank et The National City Bank (New-York), la
Banque russo-asiatique (St Pétersbourg) et la Yokohama Specie Bank.
Tout en confirmant l’emprunt de réorganisation au gouvernement
provisoire, les six groupes font connaître officiellement les conditions
déjà établies depuis le 15 mai, suscitant les plus vives oppositions du
gouvernement chinois. En plus du contrôle des dépenses, de la réorga-
nisation de la gabelle qui doit servir de garantie à l’emprunt sous
l’autorité d’un inspecteur général étranger et d’inspecteurs de districts
chinois et étrangers, à l’instigation de leurs gouvernements, les banques
exigent le licenciement des troupes levées par la révolution dans les
provinces du sud, mais en présence des officiers étrangers attachés aux
légations ¢ ce qui suscite un refus outragé du Président du conseil Tang
Shao-yi, qui menace même de se suicider ! Les six présentent alors un
nouveau projet accepté par le ministre des Finances mais repoussé par
l’assemblée consultative de Pékin. De nouvelles propositions sont
acceptées par Tang Chao-yi et l’assemblée mais suscitent un violent
mouvement d’opposition dans les provinces. Le gouvernement recule,
acceptant les capitaux mais sans contrôle et fait une contre proposi-
tion : au lieu des 60 millions de livres demandées initialement, il des-
cend à dix millions ; les Puissances sont d’accord pour diminuer
l’emprunt mais considèrent les dix millions totalement insuffisantes, la
dette flottante de la Chine étant de 7 millions. De plus, elles refusent de
céder sur le contrôle de l’emploi des fonds. Pendant ce temps, le consul
Beauvais à Canton avertit Margerie que Sun Yat-sen négocie avec un
consortium de banquiers allemands, hollandais, anglais et français
(notamment les banques Rothschild et Perier). Le 10 juillet, Georges-
Picot qui remplace Margerie, rentré définitivement en France, avertit
Paris que Tang Shao-yi a quitté le gouvernement et rejoint Huang Xing
et Sun Yat-sen au Guandong. L’entente Sud-Nord est-elle en train de
se fissurer ? La conclusion du grand emprunt étant dans l’impasse,
Yuan Shi-kai effectue de petits emprunts à des financiers américains et
au baron Henri Cottu, de Paris, dont le gouvernement français a fait
annuler les premières tentatives ; à la fin de septembre, un financier
anglais profite également de l’aubaine : la maison Birch Crisp & Cie,
soutenue par quatre puissants établissements de crédit britanniques,
5. Cf. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indo-
chine (1875-1975), Paris, Fayard, 1990.
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services ainsi que les inspecteurs pour contrôler l’usage des 25 millions
de livres sterling. Le 26 septembre, les cinq groupes financiers, réunis à
Paris, décident de dissocier les emprunts industriels de la sphère du
consortium et de les laisser à la libre concurrence des marchés et des
banques. Le Japon n’y est pas favorable car il estime que, dans cette
demi-dissolution du consortium et dans la liberté laissée aux banques,
ce sont les Puissances les plus riches (la Grande-Bretagne et la France)
qui vont en tirer le plus de profit et exercer en Chine une influence
prépondérante.
Quant à Yuan Shi-kai, dès l’été 1913 il multiplie les coups de force
contre le Guomindang et les républicains et marche vers la dictature
sans que les puissances ne réagissent. Le 6 octobre 1913, il se fait
confirmer officiellement dans ses fonctions de président et est immé-
diatement reconnu par le Japon et l’Angleterre, suivis le 8 par la France,
l’Allemagne puis la Russie. Le 4 novembre, il décrète la dissolution du
Guomindang et peu à peu concentre tous les pouvoirs entre ses mains.
À l’instar des autres puissances pour lesquelles cette dictature est gage
de sécurité, la France n’hésite pas à laisser derrière elle ses idéaux
démocratiques, ses intérêts en Chine étant trop importants pour les
compromettre.
Des quatre concessions que la France s’est vue accorder après les
traités inégaux du xixe siècle, celle de Shanghai est de loin la plus
prospère, à l’image du port, le plus important de Chine avec celui de
Hong Kong. La concession, qui, lors de sa fondation en 1849, avait 50
hectares, a gagné 74 hectares supplémentaires en janvier 1900. En 1912
des pourparlers sont en cours pour étendre encore sa superficie : 1913,
elle est pratiquement décuplée pour atteindre un peu plus de mille
hectares (1 036), grâce aux négociations laborieuses menées par Gaston
Kahn, initialement à Tianjin. Gaston Kahn est venu remplacer Dejean
de la Bâtie, un métis, qui a concentré sur lui une véritable fronde, ses
adversaires le qualifiant de descendant d’esclaves nègres qui plantaient
des caféiers à Bourbon sous le fouet de mulâtres portugais. En dix ans,
la population française est passée de 259 individus en 1900 à 436 en
1911 ; ajoutés à ceux qui vivent sur la concession internationale et dans
la circonscription consulaire de Shanghai, le nombre des Français
s’élève à plus de mille ¢ soit la moitié du chiffre des années 1940. Au
point de vue économique, vingt-quatre maisons de commerce dont
dix-huit originaires de Lyon se partagent l’importation d’articles fran-
çais tels que vins et conserves, bijouterie et horlogerie, et articles de
Paris pour trois d’entre elles. La majorité exporte des soies et peaux
vers la métropole. Deux coiffeurs et un parfumeur lyonnais sont au
service des élégantes, tandis qu’un hôtelier, un restaurateur et un
confiseur apportent un brin de French Touch aux expatriés et aux hôtes
de passage. Sont également présentes des filiales d’entreprises parisien-
nes. En premier lieu, la Banque de l’Indochine implantée depuis 1898,
les Messageries maritimes, suivies par deux compagnies d’assurances
(l’Urbaine et l’Union) et la Société d’exploitation minière en Chine. La
plus importante est la Compagnie des Tramways, dont la première
ligne a été inaugurée début juin 1908 et qui a pris également sous sa
direction l’usine électrique qui fournit à la fois électricité et eau.
La concession de Tianjin obtenue en 1861 avait à l’origine une
surface de 282 300 mètres carrés. Parce que les Français n’ont pas
occupé les terrains qui leur avaient été accordés, ils ont dû se contenter
ensuite d’un espace plus restreint. Au moment de la guerre des Boxers,
le comte G. du Chaylard (consul depuis 1894) s’est approprié indû-
ment des quartiers chinois jouxtant la concession, sous prétexte d’assu-
rer sa protection. Le tout représentant 30 hectares. Cette occupation
illégale, contestée par les autorités chinoises, n’a trouvé sa solution que
onze ans plus tard, le 15 novembre 1911 : juste avant de prendre la
direction du consulat général de Shanghai, Kahn obtient enfin l’assen-
timent officiel des responsables chinois à cette extension contre une
indemnité substantielle. Les Français y sont en minorité dans les
années 1900 : un peu plus d’une soixantaine et presque une vingtaine
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de protégés sur les 360 Européens. Le commerce français est déjà bien
représenté. La Banque de l’Indochine y a une succursale ; quatorze
maisons de commerce, agences ou succursales de maisons parisiennes
ou shanghaiennes (Racine et Ackermann, etc.) exportent des peaux,
fourrures et cuirs et importent des produits français. Comme la conces-
sion de Shanghai, celle de Tianjin s’est modernisée et s’est dotée d’une
ligne de Tramways, les négociations ayant enfin abouti en 1906 par un
contrat signé par Paul Claudel avec la Compagnie belge des tramways
et d’éclairage de Tianjin.
La concession de Hankou n’a commencé à se développer que dans
les années 1895, lors de la construction du chemin de fer reliant
Hankou à Pékin, effectuée par un groupe franco-belge, la Société
d’études des chemins de fer en Chine. Située sur la rive gauche du
Yangzi, entre la légation anglaise et la muraille chinoise, la concession
française partage, depuis 1896, le territoire qui lui avait été initialement
accordé avec la concession russe qui en occupe les deux tiers, alliance
franco-russe oblige. La révolution ayant débuté à Wuhan, les étrangers
se sont trouvés dès le départ au centre des combats. La ville a été prise
par les révolutionnaires dès octobre 1911 puis reprise par les Impériaux,
qui ont brûlé la cité chinoise ; les troupes rivales se sont affrontées sur
l’esplanade de la voie ferrée, juste derrière la concession française, qui
s’est trouvée prise entre deux feux. Le consul Réau, à ce moment en
charge du consulat, en profite pour demander une extension de la
concession, sous prétexte de préserver sa sécurité, suivi par ses collè-
gues russe, japonais, allemand et britannique ; après s’être accrue de 15
hectares supplémentaires après les troubles Boxers, la concession atteint
une surface de 32 hectares. Au point de vue commercial, en dehors de
la Banque de l’Indochine, six maisons d’exportation de Shanghai y sont
présentes (Racine et Ackerman, Mondon, Olivier, Grojean, Miffra) ;
ainsi qu’un hôtel et une pharmacie qui ferme en 1913. Depuis le début
de l’année 1909, la ligne du Kinhan-Pékin-Hankou a été remise aux
Chinois, tout comme le Hankou-Canton construit par les Britanniques.
Les Français choisissent alors de se séparer des Belges pour faire
alliance avec les Anglais et la puissante Hsbc : un consortium a été créé
le 6 juillet 1909 regroupant les deux banques française et anglaise ainsi
que la banque allemande Deutsch-Asiatische Bank à qui la banque
anglaise est liée depuis 1895.
La concession de Canton, obtenue également en 1861 dans l’îlot de
Shameen, est la plus petite des quatre avec une superficie de quatre
hectares ; et les Français y restent minoritaires par rapport à l’ensemble
des autres étrangers, atteignant à peine la trentaine dans les années
1900. En février 1902 la Banque de l’Indochine y a édifié une agence et
des magasins destinés au commerce de la soie. La construction de la
ligne Canton-Hankou, commencée en 1908, et celle jusqu’à Hong
Kong, entrée en fonction en 1911, contribuent au décollage du port,
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France en Chine par le biais de ces étudiants, qui de retour dans leur
pays, seront les meilleurs vecteurs de la science et des idées françaises.
En 1912, après un voyage en Chine, Paul Painlevé, mathématicien,
professeur à Polytechnique, à Normale Sup puis au Collège de France,
membre de l’Académie des sciences, député de la Seine depuis deux
ans, crée l’Union sino-française avec LiYu-ying (Li Shizeng 1881-1973),
un ancien étudiant entré en 1907 à la faculté des sciences de Paris après
être passé par l’Ecole d’agriculture de Montargis. En 1908 Li Yu-ying
fonde à la Garenne-Colombes une usine de transformation du soja où il
fait travailler une trentaine de jeunes étudiants chinois et en 1909 a
même reçu la visite de Sun Yat-sen. Devenu ingénieur et professeur à
l’Université de Pékin, il participe à la création de nombreuses associa-
tions franco-chinoises et devient l’interlocuteur privilégié du gouverne-
ment français. Rentré en Chine en 1911, en 1912 avec l’aide de Cai
Yuan-pei (1868-1940) ministre de l’Éducation en janvier 1912 puis
recteur de l’Université de Pékin en 1917, il met en place l’Association
travail-études qui envoie 140 jeunes Chinois en France. Quatre ans plus
tard, ces deux personnalités seront à l’origine de la Société franco-
chinoise d’éducation pour favoriser l’extension des relations entre la
France et la Chine et faciliter « le développement moral, intellectuel et
économique de la Chine par la science et les idées françaises ». Cette
société est patronnée à Paris par le professeur Alphonse Aulard de la
Sorbonne, Édouard Herriot maire de Lyon, et le député Marius Mou-
tet, futur ministre des Colonies. Les mêmes, avec Sarraut, créent la
Fédération des Amitiés franco-chinoises, avant l’Institut franco-chinois
de Lyon en 1919 et l’Université franco-chinoise de Pékin en 1920.
Conclusion