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Outre-mers

La France en Chine en 1912-1913


Nicole Bensacq-Tixier

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Bensacq-Tixier Nicole. La France en Chine en 1912-1913. In: Outre-mers, tome 99, n°376-377,2012. Cent ans d'histoire
des outre-mers. SHOM, 1912-2012. pp. 259-279;

doi : https://doi.org/10.3406/outre.2012.4965

https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2012_num_99_376_4965

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La France en Chine en 1912-1913

Nicole TIXIER *

Ce chapitre entend donner une dimension asiatique et chinoise à la


commémoration du centenaire de la Sfhom, en précisant le contexte
chinois de sa fondation, et en reconstituant le faisceau des liens entre la
France et la Chine précisément à ce moment de l’histoire des relations
entre les deux pays 1.

1. Des spécialistes de la Chine à la Société de l’histoire


des colonies françaises

Lors de l’adoption des statuts de la Société de l’histoire des colonies


françaises au mois de novembre 1912, la Chine, qui n’est pas une
colonie au sens propre, y est très peu représentée : deux membres
seulement parmi les quelque deux cents adhérents, dont plus de
quatre-vingt proviennent des Établissements de l’Inde d’où est partie
l’idée d’une telle création à l’initiative du gouverneur Alfred Martineau.
Les fondateurs ayant décidé de ne pas se limiter uniquement à l’histoire
des colonies proprement dites, mais d’englober aussi tous les territoires
où la France a imposé sa présence, on fait appel au concours de
nombreux historiens et érudits, spécialisés dans l’histoire et la civilisa-
tion des pays concernés. Pour la Chine, le choix se porte sur Henri
Cordier (1849-1925), membre de l’Institut, et Charles Maybon (1872-
1926), directeur de l’École municipale de Shanghai.
Cordier a le privilège de faire partie des vingt-cinq membres nommés
à vie au Comité. Arrivé en Chine à peine âgé de vingt ans, il travaille à
Shanghai dans une banque anglaise et écrit quelques essais pour des
journaux ; deux ans plus tard, il est nommé bibliothécaire de la North
* Chercheuse spécialiste de l’histoire de la présence française en Chine.
1. Cf. Nicole Tixier, « La Chine dans la stratégie impériale : le rôle du Quai d’Orsay et
de ses agents », in Hubert Bonin, Catherine Hodeir & Jean-François Klein (dir.), L’esprit
économique impérial (1830-1970). Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France
& dans l’empire, Paris, Publications de la Sfhom, 2008, pp. 65-84. Jacques Weber (dir.),
La France en Chine, 1843-1940, Nantes, Presses académiques de l’Ouest-Ouest Éditions,
Université de Nantes, 1997. Laurent Cesari & Denis Varaschin (dir.), Les relations franco-
chinoises au vingtième siècle et leurs antécédents, Arras, Artois Presses Université, 2003.

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China Branch of the Royal Asiatic Society dont il met en œuvre et publie
le catalogue. Il décide alors de se consacrer à l’étude de l’Extrême-
Orient et écrit de nombreux articles dans divers journaux. Après son
retour en France fin mars 1876, il entre en 1881 à l’École des langues
orientales, où il enseigne l’histoire, la géographie et la législation de
l’Extrême-Orient, et devient professeur titulaire en 1888 jusqu’à sa
mort. Parallèlement, il est membre de plusieurs sociétés savantes étran-
gères. Le 22 mars 1908, il est appelé à l’Institut de France comme
membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; Il est par la
suite titulaire de bien d’autres titres, notamment vice-président de la
Société asiatique en 1918 et, en 1924, président de la Société de géogra-
phie ; il voyage également en Amérique et fait partie, en tant que
secrétaire, de la Société des Américains de Paris. Il consacre sa vie à la
publication de nombreux ouvrages sur l’Extrême-Orient et sur la Chine
en particulier, depuis les expéditions de 1857-1858 jusqu’aux les rela-
tions de ce pays avec les puissances occidentales, recensés par la Biblio-
theca Sinica. Éditeur de la Revue de l’Extrême-Orient, il collabore à
plusieurs journaux sur des sujets aussi bien scientifiques, littéraires
qu’artistiques et dirige pendant 35 ans le Toung Pao : c’est la première
revue internationale de sinologie, fondée en 1890, à Paris par Cordier et
Gustave Schlegel, avant qu’Édouard Chavannes puis Paul Pelliot leur
succède ; son titre original était T’oung Pao ou Archives pour servir à
l’étude de l’histoire, des langues, la géographie et l’ethnographie de l’Asie
orientale (Chine, Japon, Corée, Indochine, Asie Centrale et Malaisie).
Quant à Maybon, au moment de la constitution de la Société, il est
directeur depuis un an de l’École municipale de Shanghai, fondée par
le consul général Émile Ratard, trois ans plus tôt. Arrivé en Indochine
en 1905, il a dirigé d’abord l’École Pavie tout en étant en même temps
professeur de philosophie et d’histoire de l’Extrême-Orient à l’Univer-
sité d’Hanoi et stagiaire à l’École française d’Extrême-Orient, où il est
entré en 1907. En 1912, il est au cœur de la révolution qui le 12 février,
met fin au régime impérial des Qing, en place depuis 1644, et instaure
la République. Depuis le début des troubles, les Français comme les
autres étrangers suivent attentivement l’évolution de la situation, leurs
droits acquis depuis les traités inégaux du xixe siècle et leurs intérêts
industriels et commerciaux étant en jeu. Malgré leur désir de ne pas
intervenir directement dans le cours des événements et de respecter
une stricte neutralité, peu à peu, la France et les autres puissances
décident de faire entendre leur voix et de peser dans les décisions qui
décident de l’avenir de la Chine. À Pékin en 1912, c’est d’abord Pierre
de Margerie qui est à la tête de la légation, relayé début juillet par
François Georges-Picot chargé d’affaires jusqu’à l’arrivée d’Alexandre
Conty au mois de septembre. Le nouveau ministre est un diplomate
d’expérience qui s’est fait remarquer par ses travaux sur Madagascar
(où il a débuté sa carrière en 1892) et surtout par ses études sur la
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culture du café brésilien qu’il a introduit dans ce pays. Après avoir été
en poste à Rio, il a été ensuite rappelé à l’administration centrale où il a
pris les fonctions de sous-directeur d’Europe d’Afrique et d’Orient
avant d’être appelé à Pékin à la place de Margerie, qui le remplace à
Paris

2. L’intrusion de la France et des Puissances


dans le processus révolutionnaire

Dans un premier temps, les Occidentaux présents en Chine affichent


une certaine sympathie pour le mouvement révolutionnaire et en parti-
culier pour son initiateur Sun Yat-sen 2. France, Angleterre et États-
Unis ne se privent pas de lui apporter leur aide, aussi bien financière
que matérielle. Dès les années 1905-1906, certains consuls français à
Hong Kong, Canton et Shanghai sont directement en contact avec Sun
Yat-sen ou ses lieutenants. D’octobre 1905 à septembre 1906, le gouver-
nement français a même mandaté officieusement une mission spéciale
dirigé par le capitaine Bernard Boucabeille pour prêter main forte à
SunYat-sen et ses partisans ; mais, suite à de nombreuses imprudences,
cette mission a été découverte par les agents du gouvernement impérial
et a dû quitter la Chine. Continuant son aide officieuse, en 1908, le
consul de Mengzi Raphaël Réau fait livrer des armes par le chemin de
fer venant d’Indochine au principal lieutenant de Sun Yat-sen, Huang
Xing, lors d’une tentative de soulèvement au Yunnan. L’écrasement de
cette rébellion par les Impériaux semble marquer la fin de l’aide fran-
çaise à Sun Yat-sen et ses amis, les rapports du gouvernement impérial
chinois et du gouvernement français s’étant sérieusement détériorés.
La France en subit les conséquences, qui se traduisent par des attentats
contre ses officiers à la frontière et par des entraves à ses entreprises
notamment au Yunnan pour le Syndicat des mines ainsi que pour les
négociations pour les lignes de chemin de fer (Hankou-Pékin), le
gouvernement chinois fait appel à des capitalistes autres que les Fran-
çais malgré le rapprochement entre les groupes anglais et français.
Après les échecs dans les provinces frontalières, les révolutionnaires
portent désormais porter leur action dans un premier temps à Canton
puis à Wuhan. C’est là qu’a débuté véritablement la révolution au mois
d’octobre 1911. Les révolutionnaires de Canton se sont emparés de
Wuhan et de Hankou les 11 et 12 octobre. Réau, consul dans cette ville,
leur a-t-il apporté son soutien comme il l’a fait en 1908 à l’égard de
Huang Xing, le second de Sun lors du soulèvement avorté duYunnan ?
Aucun document dans les archives ne permet de l’affirmer avec certi-
tude. Mais Réau est le seul représentant étranger à ne pas avoir fait
2. Cf. Marie-Claire Bergère, Sun Yat Sen, Paris, Fayard, 1994, Stanford, Stanford
University Press, 1998.

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évacuer ses compatriotes, « persuadé que nous n’avions rien à craindre


pour nous-mêmes de l’un ou de l’autre des belligérants » écrit-il au
ministère. Après Hankou et Wuhan, les autres villes tombent les unes
après les autres (Ychang, Changsha, Jiujiang, Nanchang). Le 20 octo-
bre un gouvernement provisoire s’installe à Canton. Le 27 octobreYuan
Shi-kai qui avait été disgracié en 1909 par le régent, est rappelé pour
lutter contre les révolutionnaires ; en réalité, il compose avec eux,
profite des troubles pour se faire nommer Premier ministre et confisque
peu à peu le pouvoir à son profit. Pendant ce temps, le mouvement
révolutionnaire s’est étendu à toutes les provinces ; Shanghai a ouvert
ses portes le 3 novembre, pratiquement sans combattre ; le 2 décembre,
Nankin, l’une des dernières villes du sud tombe sans résistance. C’est
dans cette ancienne capitale de la Chine impériale, où se trouvent les
tombeaux des empereurs Ming, que les révolutionnaires décident de
réunir l’Assemblée nationale qui va regrouper les différents représen-
tants des provinces. Le 26 novembre à Pékin, le jeune empereur jure
fidélité à la constitution sur la table de ses ancêtres par l’intermédiaire
du régent. Le souverain, âgé seulement de cinq ans, prononce une sorte
de mea culpa dans lequel il reconnaît les erreurs de sa jeunesse (!) et
jure de mener une existence exemplaire, respectueux des aspirations de
son peuple et des dispositions des 19 articles institués par la constitu-
tion. Le 6 décembre, le régent démissionne,Yuan Shi-kai devient prési-
dent du conseil, gouverne avec l’impératrice mais en réalité concentre
tous les pouvoirs entre ses mains. Le 8, le trône renonce à nommer les
ministres et les fonctionnaires et à administrer les affaires de l’état qui
passent au Conseil des ministres.
Ce même 8 décembre, un rapport du chargé d’affaires Georges-Picot
qui remplace le ministre Margerie en congé en France jusqu’au mois de
janvier fait état de l’anarchie la plus complète qui règne dans les
provinces du sud. Partout, les consuls, dans leurs postes, signalent que
les étrangers sont menacés par des bandes qui se multiplient dans le
Honan, le Chensi, le Guangxi ou le Yunnan. Le 3 décembre, à Mengzi,
des troupes chinoises, qui n’ont pas reçu leur solde, attaquent et pillent
le siège de la Compagnie de Chemin de fer dont le personnel est
contraint de se réfugier au consulat. Un entrepreneur français et quatre
européens qui travaillaient sur la ligne sont attaqués et une gare pillée.
Auguste Wilden, consul à Yunnansen, demande au gouverneur de
l’Indochine, Albert Sarraut, de lui envoyer deux gendarmes et quinze
auxiliaires annamites pour le poste de Mengzi ainsi que huit autres
gendarmes et vingt auxiliaires pour celui de Yunnansen. À Amoy,
des clans rivaux se battent entre eux, cinq soldats qui osaient protester
sont décapités sur le champ et leur chef tués. Dans la province du
Sichuan, c’est l’anarchie la plus complète. Le docteur Aimé-François
Legendre, médecin chef de l’hôpital de Chengdu, qui effectuait une
mission d’exploration avec le lieutenant Jean Dessirier aux confins de la
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province est attaqué et blessé par des brigands, son boy annamite est tué
et son coolie chinois gravement blessé. Les missionnaires et les chrétiens
sont traqués, le père Castanet est massacré. Le 11 décembre à Chen-
gdu, capitale du Sichuan, Jules Leurquin signale que la dissension entre
les chefs révolutionnaires a entraîné une lutte ouverte entre cette ville et
Chongqing. Le vice-roi Chao Eurr-fong est assassiné à peine sorti de
son lit, alors qu’il tentait en toute hâte d’enfiler ses bottes. Leurquin
prend sur lui de faire évacuer tous ses compatriotes à l’instar de ses
collègues étrangers. Le 12 décembre, 107 Français sous la conduite du
docteur Mouillac quittent Chengdu pour Chongqing, puis Hankou et
Shanghai. À Chongqing, le consul Albert Bodard fait évacuer seule-
ment femmes et enfants ; Pierre Crépin agit de même à Mengzi, ainsi
qu’Auguste Wilden àYunnansen, malgré les assurances données par les
révolutionnaires. Un jeune militaire se présente au consulat et lui
affirme que les étrangers n’ont rien à craindre, tout en déclarant « qu’ils
étaient fiers d’avoir suivi le glorieux exemple de la révolution française,
leur mère à tous, et de Napoléon, leur père à tous ».Wilden donne asile
aux vaincus, notamment le commissaire des affaires étrangères déguisé
en coolie, et au taotai des grains, accompagné de sa concubine. Le
général Tsai, chef des révolutionnaires, lui fait savoir qu’ils sont de ses
amis et lui demande en aparté de les héberger jusqu’à que tout danger
soit écarté. Les consuls en poste à Longtchéou et Nanning dans le
Guangxi (Emmanuel Point) et à Canton dans le Guangdong (Joseph
Beauvais) n’échappent pas eux aussi aux troubles.
Les Puissances n’ont pas attendu que la situation dégénère, pour
prendre des mesures. Dès la fin du mois de novembre, elles ont pris la
décision d’augmenter leurs garnisons. Depuis le protocole de septem-
bre 1901 (article 7), toutes les légations regroupées dans le quartier
diplomatique avaient été autorisées à établir des gardes armées pour
assurer leur protection. La France avait environ un millier d’hommes
répartis entre Pékin, Tianjin (au moins 600), Tanggu et Shanhaiquan.
Les Français disposent désormais de 1200 hommes répartis entre
Tianjin et Pékin. Le total des forces étrangères s’élève à 12 587 hommes :
1 500 dans le Petchili, 2 600 pour les légations, 1 100 pour assurer les
communications entre la capitale et la mer le long de la voie ferrée, et
enfin 6 300 à Tianjin, tandis que, à Shanghai, bien que les concessions
ne soient pas troublées, pour prévenir tout incident, les navires de
guerre ont débarqué 123 hommes. L’amiral Marie de Castries est
nommé commandant en chef des troupes navales internationales.
En décembre, au vu de la dégradation de la situation dans les
provinces méridionales, les Puissances décident d’aller plus loin et
d’intervenir directement auprès des dirigeants chinois. Le 18 décembre
1911, à l’initiative des chargés d’affaires le français Georges-Picot et le
russe Shekine, les ministres étrangers effectuent une demande collec-
tive par l’intermédiaire de leurs consuls généraux à Shanghai ¢ pour la
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France, Maurice Dejean de la Batie. C’est dans cette ville que sont
réunis en congrès depuis le 22 novembre les délégués révolutionnaires
et les membres du gouvernement pour préparer l’unification des gou-
vernements provisoires et leur rattachement au gouvernement central.
La note des Puissances exigeant une entente immédiate entre les deux
partis pour mettre fin au conflit, leur est remise le 22 décembre. Le 29
décembre le leader de l’opposition Sun Yat-sen, débarqué de Londres
huit jours auparavant, est proclamé président le la république provi-
soire. Mais les gouvernements occidentaux, et notamment la France
par la voix de son ministre à Pékin Margerie, font savoir qu’ils recon-
naissent seulement le gouvernement de Pékin, l’empereur-enfant Pu-yi
et l’impératrice Long Yu, représentés par le premier ministre Yuan
Shi-kai. Malgré le soutien officieux apporté dans un premier temps
à Sun Yat-sen et leur sympathie pour la cause révolutionnaire, les
puissances sont en effet conscientes que seul Yuan Shi-kai est capable
de ramener le calme et de protéger leurs possessions respectives dans
les diverses provinces de la Chine. Le 12 février,Yuan obtient l’abdica-
tion de la monarchie et, deux jours plus tard, Sun Yat-sen lui cède la
place à la tête de la présidence de la république provisoire. Prenant
prétexte de troubles qui ont éclaté dans le nord, Yuan transfère la
capitale de Nankin à Pékin, sans aucun doute pour se soustraire à
l’influence prépondérante de SunYat-sen et des républicains dans cette
région.
Le 15 février, Angleterre, France, Allemagne, États-Unis, Japon et
Russie se mettent d’accord pour garder une neutralité entre impériaux
et républicains et ne prêter d’argent ni aux uns ni aux autres tant qu’un
gouvernement stable présentant des garanties ne sera pas établi. Depuis
le 10 novembre 1910, France, Angleterre, Allemagne et États-Unis ont
formé un consortium financier dans le but de faire face aux besoins les
plus urgents de la Chine et en vue des futures opérations à entrepren-
dre sur le territoire. Après de difficiles négociations en raison de l’oppo-
sition de la « jeune Chine », le 15 avril 1911, ont été conclus deux
emprunts avec le gouvernement impérial (16 millions de livres soit 400
millions de francs) dont le produit doit être employé à la réforme
monétaire et à la construction de voies ferrées que l’État reprend aux
compagnies provinciales. C’est la signature de ces deux contrats qui a
déclenché le mouvement révolutionnaire donnant ensuite naissance à
la république 3.

3. Cf. John Fairbank, The Cambridge History of China, volume 12, Republican China,
1912-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. John Fairbank (dir.), The
Cambridge History of China. Late Ch’ing, 1800-1911, Cambridge, Cambridge University
Press, 1978 (deux volumes, 10 et 11).
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3. La course aux emprunts en 1912

La révolution ayant entraîné l’arrêt des affaires, la désorganisation la


plus totale du pays et, par voie de conséquence, le tarissement des
ressources, Yuan Chi-kai, le président du gouvernement provisoire, est
aux abois, car il ne reste que 170 000 taëls dans les caisses de l’État. Il
lance des appels de tous côtés pour obtenir des fonds et assurer les
dépenses courantes. Plusieurs banques étrangères, flairant de bonnes
affaires, sont prêtes à répondre aux sollicitations de Yuan ainsi qu’aux
chefs militaires des provinces du sud. Des banques japonaises pro-
mettent plusieurs milliers de taëls aux aciéries d’Hanyang, à la Com-
pagnie de navigation des China Merchants et même aux républicains,
suscitant d’autres convoitises. Une banque allemande, la maison
Arnold Karberg, se dit prête à avancer 6 millions au gouvernement
chinois, tandis qu’un groupe américain Speyer fait des offres au gouver-
nement de Nankin. Les quatre Puissances du consortium, tout en
élevant des protestations vigoureuses, proposent de convaincre le Japon
qu’il est de l’intérêt général d’agir en commun accord et après entente
entre elles. Finalement, le 21 février, le Japon renonce à l’emprunt qu’il
devait accorder à la Compagnie des China Merchants.
Les quatre s’appuient sur l’article 16 de l’accord de 1910 qui recon-
naît au consortium un droit de préférence dans le cas où la Chine
désirerait contracter de nouveaux emprunts, pour exclure les groupes
privés de toutes nationalités qui veulent aussi leur part du gâteau 4.
Ce n’est plus un montant de 16 millions de livres comme en 1910, mais
60 millions, soit un milliard et demi de francs dont a besoin le nouveau
pouvoir. Après la désignation de Yuan Shi-kai comme Président pro-
visoire de la République par l’assemblée de Nankin, le 14 mars, le
consortium réuni à Londres décide de lui accorder 13 millions de taëls
pour mars et des avances de 6 400 000 taëls jusqu’en août pour réorga-
niser les services publics. Afin de consolider leur position, les quatre
Puissances veulent associer le Japon et la Russie ; mais ces deux pays,
qui ont conclu des alliances entre eux, n’acceptent qu’à condition que
leurs droits spéciaux soient respectés dans leurs sphères respectives en
Mandchourie, Mongolie et Turkestan oriental. La Russie exige en plus
que la part de l’emprunt attribuée à la réforme militaire soit strictement
limitée. Malgré leurs appréhensions, les deux gouvernements acceptent
de négocier leur entrée dans le consortium, le 21 mars pour le Japon ¢
la Yokohama Specie Bank est désignée pour représenter le groupe des
capitalistes japonais ¢ et, au mois d’avril pour le gouvernent impérial
russe : la Banque russo-asiatique accepte de se retirer d’un groupe
indépendant qui venait de se créer. Le 15 mai, une première conférence
4. MAE, Correspondance politique et commerciale, nouvelle série, Chine 1897-1917,
Finances publiques, Emprunts, volumes 356 à 371.

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réunit les représentants des six groupes financiers sans qu’une entente
complète intervienne. À la fin mai, le Japon fait savoir qu’il donne son
adhésion, suivi par la Russie ; la Russo-asiatique représente huit ban-
ques, une russe, quatre belges, deux anglaises et une française. Les 18,
19 et 20 juin, une nouvelle conférence réunit les six groupes financiers à
Paris. L’accord définitif est signé le 20 juin entre la Hong Kong and
Shanghai Bank (siège à Londres), la Banque de l’Indochine (Paris) 5, la
Deutsche-Asiatisch Bank (Berlin), JP Morgan & Cie, MM. Kuhn, Loeb
& Cie, The First National Bank et The National City Bank (New-York), la
Banque russo-asiatique (St Pétersbourg) et la Yokohama Specie Bank.
Tout en confirmant l’emprunt de réorganisation au gouvernement
provisoire, les six groupes font connaître officiellement les conditions
déjà établies depuis le 15 mai, suscitant les plus vives oppositions du
gouvernement chinois. En plus du contrôle des dépenses, de la réorga-
nisation de la gabelle qui doit servir de garantie à l’emprunt sous
l’autorité d’un inspecteur général étranger et d’inspecteurs de districts
chinois et étrangers, à l’instigation de leurs gouvernements, les banques
exigent le licenciement des troupes levées par la révolution dans les
provinces du sud, mais en présence des officiers étrangers attachés aux
légations ¢ ce qui suscite un refus outragé du Président du conseil Tang
Shao-yi, qui menace même de se suicider ! Les six présentent alors un
nouveau projet accepté par le ministre des Finances mais repoussé par
l’assemblée consultative de Pékin. De nouvelles propositions sont
acceptées par Tang Chao-yi et l’assemblée mais suscitent un violent
mouvement d’opposition dans les provinces. Le gouvernement recule,
acceptant les capitaux mais sans contrôle et fait une contre proposi-
tion : au lieu des 60 millions de livres demandées initialement, il des-
cend à dix millions ; les Puissances sont d’accord pour diminuer
l’emprunt mais considèrent les dix millions totalement insuffisantes, la
dette flottante de la Chine étant de 7 millions. De plus, elles refusent de
céder sur le contrôle de l’emploi des fonds. Pendant ce temps, le consul
Beauvais à Canton avertit Margerie que Sun Yat-sen négocie avec un
consortium de banquiers allemands, hollandais, anglais et français
(notamment les banques Rothschild et Perier). Le 10 juillet, Georges-
Picot qui remplace Margerie, rentré définitivement en France, avertit
Paris que Tang Shao-yi a quitté le gouvernement et rejoint Huang Xing
et Sun Yat-sen au Guandong. L’entente Sud-Nord est-elle en train de
se fissurer ? La conclusion du grand emprunt étant dans l’impasse,
Yuan Shi-kai effectue de petits emprunts à des financiers américains et
au baron Henri Cottu, de Paris, dont le gouvernement français a fait
annuler les premières tentatives ; à la fin de septembre, un financier
anglais profite également de l’aubaine : la maison Birch Crisp & Cie,
soutenue par quatre puissants établissements de crédit britanniques,
5. Cf. Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indo-
chine (1875-1975), Paris, Fayard, 1990.
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propose 10 millions de livres (250 millions de francs), emprunt conclu


pour 40 ans et gagé sur la gabelle comme pour le consortium !
À cette nouvelle, le groupe des six suspend toutes les négociations. À
la fin de septembre, face au mécontentement de l’opinion et à la fronde
des banques, le gouvernement anglais se rend compte qu’il va être
obligé de mettre fin au monopole de la Hsbc et d’admettre dans le
consortium les banques dissidentes. Début octobre le nouveau ministre
à Pékin Alexandre Conty avertit le ministère que Yuan Shi-kai lui a fait
part de son désir de reprendre les négociations avec le consortium, par
l’intermédiaire d’un émissaire officieux. MaisYuan Shi-kai désire à tout
prix sauver la face ; il souhaiterait qu’on lui laisse l’initiative de dissou-
dre les troupes révolutionnaires du sud (800 000 hommes dont les
provinces aimeraient bien se débarrasser), d’engager lui-même les
conseillers financiers et les comptables étrangers et de constituer une
Cour des comptes où entreraient des conseillers étrangers dont le choix
lui serait officieusement suggéré par les six gouvernements. Yuan
conserverait ainsi l’apparence d’un chef d’État agissant dans la pléni-
tude de sa souveraineté.
Toutefois, le Japon, qui se méfie de lui, exige que le consortium garde
une attitude expectative jusqu’à ce que le gouvernement chinois cède et
exprime lui-même son désir de reprendre les pourparlers, et refuse en
outre que les clauses et les conditions de l’emprunt fixées depuis le 15
mai soient modifiées ou atténuées. Le 23 octobre, le corps diplomati-
que, avec Conty, apporte son soutien au consortium en déclarant qu’il
s’oppose à l’affectation de la gabelle à l’emprunt Crisp, rappelant le
droit de priorité des puissances créancières de la Chine au titre de
l’indemnité Boxer de 1900, tandis que le consortium allègue que le
gouvernement chinois contrevient au droit de priorité qui lui revient
pour le remboursement des avances faites depuis le début de l’année et
pour le règlement de la seule dette. Sous la pression diplomatique et
financière, le banquier Crisp déclare qu’il lui est impossible de tenter
l’émission d’un nouvel emprunt et reconnaît que la Chine doit avoir
recours au consortium.
Les 13 et 14 décembre, une nouvelle conférence réunit les six groupes
à Londres puis de nouveau les 10 et 11 janvier 1913. L’emprunt est
réduit à 25 millions de livres sterling (631 millions de francs), les
marchés de Londres et Paris se réservant la plus grosse part, 7 millions
pour l’Angleterre et la France, 5 pour les États-Unis, 2 pour la Russie
(dont 1,250 aux Belges) et rien pour le Japon. Cependant, le 25 janvier
le gouvernement chinois se récuse à nouveau et refuse la surveillance de
la gabelle par des inspecteurs étrangers ainsi que le contrôle des fonds.
Le 4 février, il publie de son propre chef une réorganisation de la
gabelle et la création d’une Cour des comptes, nomme inspecteur
général de la gabelle danois, d’un pays n’appartenant pas au Groupe
des Six, et prétend choisir lui-même les deux autres conseillers. Conty
Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)
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demande à ses collègues de se mettre d’accord pour faire nommer un


conseiller de chacune des six puissances. Dès le mois de février, le
consensus au sein même du consortium commence à s’effriter, les
Allemands tentant de convaincre le gouvernement chinois que seuls les
groupes allemands et anglais lui suffiront. En revanche, dans un geste
désintéressé, les États-Unis proposent que les trois conseillers appar-
tiennent aux nations ayant la plus forte participation financière, les
Anglais, les Français et les Russes. Le gouvernement chinois s’obstine à
garder l’inspecteur danois, et veut nommer un Italien et un Allemand
(non agréé par la France). Les six refusent et exigent un Anglais pour la
gabelle, un Allemand pour le service des emprunts, un Russe et un
Français pour le département du contrôle. Et un nombre plus élevé
d’inspecteurs de district français et russes. Le 3 mars, les six ministres
se réunissent pour entériner ce projet et le présenter au gouvernement
chinois qui le lendemain le rejette, tenant à ses propositions initiales.
Dans le même temps, au mois de février la Chine est en période
électorale pour la mise en place du Parlement. Sun Yat-sen et le Guo-
mindang obtiennent la majorité, avec deux cents soixante-neuf sièges
sur cinq cent quatre-vingt-seize. Le principal lieutenant et adjoint de
Sun, Song Jiaoren, élu député, a l’intention de réduire fortement les
pouvoirs présidentiels de Yuan Shi-kai, Mais, alors qu’il s’apprête à
monter dans le train pour Pékin, il est assassiné en gare de Shanghai, le
20 mars 1913, sans aucun doute à l’initiative deYuan. Sa mort porte un
sérieux coup au Guomindang queYuan Shi-kai ne tarde pas à éliminer.
Ce même 20 mars 1913, le groupe financier américain, quitte le
consortium sous la pression de Woodrow Wilson qui vient d’être élu
Président américain. Celui-ci condamne la politique des financiers et
diplomates européens comme attentatoire à l’indépendance et à la
souveraineté du gouvernement chinois. En même temps, les Améri-
cains s’empressent de le reconnaître, suivis le 8 avril par le Brésil, le 9
par le Pérou, puis les 2 et 4 mai par le Mexique et Cuba. Le parlement
chinois, extrêmement hostile à l’emprunt, refuse de le ratifier lors de sa
séance du 8 avril 1913. Yuan, pour qui cet emprunt est au contraire
indispensable à la réalisation de ses projets de domination, dans la nuit
du 27 avril et dans le plus grand secret, signe le contrat dans le quartier
diplomatique à la succursale de Hsbc. Le ministre des Finances, pour
ne pas signer l’emprunt, a quitté Pékin et s’est réfugié à Tianjin. Sun
Yat-sen proteste vigoureusement et lance un appel aux parlements et à
la presse européens, mais en vain : son appel paraît dans un seul journal
britannique et la presse française n’y fait même pas allusion. Les 25
millions de livres sterling sont effectivement accordés à la Chine par les
banques anglaises, françaises, allemandes, japonaises et russes, mais
avec une retenue initiale de 4 millions ; le remboursement doit s’éche-
lonner de 1913 à 1960. Outre le contrôle des revenus du sel, le gouver-
nement chinois accepte les conseillers étrangers dans ses différents
la france en chine en 1912-1913 269

services ainsi que les inspecteurs pour contrôler l’usage des 25 millions
de livres sterling. Le 26 septembre, les cinq groupes financiers, réunis à
Paris, décident de dissocier les emprunts industriels de la sphère du
consortium et de les laisser à la libre concurrence des marchés et des
banques. Le Japon n’y est pas favorable car il estime que, dans cette
demi-dissolution du consortium et dans la liberté laissée aux banques,
ce sont les Puissances les plus riches (la Grande-Bretagne et la France)
qui vont en tirer le plus de profit et exercer en Chine une influence
prépondérante.
Quant à Yuan Shi-kai, dès l’été 1913 il multiplie les coups de force
contre le Guomindang et les républicains et marche vers la dictature
sans que les puissances ne réagissent. Le 6 octobre 1913, il se fait
confirmer officiellement dans ses fonctions de président et est immé-
diatement reconnu par le Japon et l’Angleterre, suivis le 8 par la France,
l’Allemagne puis la Russie. Le 4 novembre, il décrète la dissolution du
Guomindang et peu à peu concentre tous les pouvoirs entre ses mains.
À l’instar des autres puissances pour lesquelles cette dictature est gage
de sécurité, la France n’hésite pas à laisser derrière elle ses idéaux
démocratiques, ses intérêts en Chine étant trop importants pour les
compromettre.

4. Les intérêts français en Chine


au tournant de la deuxième décennie du XXe siècle

Outre sa légation et ses quatre concessions avec leurs consulats, la


France est présente dans une quinzaine d’autres postes (consulats et
vice-consulats), dont une bonne partie se trouve dans les trois provin-
ces limitrophes de sa colonie indochinoise. Bien que ses intérêts indus-
triels et commerciaux soient moindres que ceux d’autres pays, elle a
cependant une influence certaine grâce à ses établissements scolaires et
hospitaliers en majorité tenus par les missionnaires. Les Français ont
profité des événements révolutionnaires pour se faire accorder des
avantages, et notamment au niveau de ses deux concessions de Shan-
ghai et de Hankou, puis celle de Tianjin.
Depuis l’article 7 du protocole, les légations sont regroupées à Pékin
dans un quartier spécial dans lequel les Chinois n’ont pas le droit de
résider ; la légation française bénéficie d’une superficie de 45 500
mètres carrés, le double de la surface initiale accordée en 1860. La
reconstruction des bâtiments qui avaient subi de nombreux dégâts lors
de la révolte des Boxers a été achevée en 1904 ; de l’ancienne légation,
seuls subsistent le portail avec ses deux lions de pierre, la chapelle
transformée en chancellerie, deux petites constructions chinoises et le
pavillon du premier secrétaire.

Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)


270 n. tixier

a. Les postes dans les quatre concessions

Des quatre concessions que la France s’est vue accorder après les
traités inégaux du xixe siècle, celle de Shanghai est de loin la plus
prospère, à l’image du port, le plus important de Chine avec celui de
Hong Kong. La concession, qui, lors de sa fondation en 1849, avait 50
hectares, a gagné 74 hectares supplémentaires en janvier 1900. En 1912
des pourparlers sont en cours pour étendre encore sa superficie : 1913,
elle est pratiquement décuplée pour atteindre un peu plus de mille
hectares (1 036), grâce aux négociations laborieuses menées par Gaston
Kahn, initialement à Tianjin. Gaston Kahn est venu remplacer Dejean
de la Bâtie, un métis, qui a concentré sur lui une véritable fronde, ses
adversaires le qualifiant de descendant d’esclaves nègres qui plantaient
des caféiers à Bourbon sous le fouet de mulâtres portugais. En dix ans,
la population française est passée de 259 individus en 1900 à 436 en
1911 ; ajoutés à ceux qui vivent sur la concession internationale et dans
la circonscription consulaire de Shanghai, le nombre des Français
s’élève à plus de mille ¢ soit la moitié du chiffre des années 1940. Au
point de vue économique, vingt-quatre maisons de commerce dont
dix-huit originaires de Lyon se partagent l’importation d’articles fran-
çais tels que vins et conserves, bijouterie et horlogerie, et articles de
Paris pour trois d’entre elles. La majorité exporte des soies et peaux
vers la métropole. Deux coiffeurs et un parfumeur lyonnais sont au
service des élégantes, tandis qu’un hôtelier, un restaurateur et un
confiseur apportent un brin de French Touch aux expatriés et aux hôtes
de passage. Sont également présentes des filiales d’entreprises parisien-
nes. En premier lieu, la Banque de l’Indochine implantée depuis 1898,
les Messageries maritimes, suivies par deux compagnies d’assurances
(l’Urbaine et l’Union) et la Société d’exploitation minière en Chine. La
plus importante est la Compagnie des Tramways, dont la première
ligne a été inaugurée début juin 1908 et qui a pris également sous sa
direction l’usine électrique qui fournit à la fois électricité et eau.
La concession de Tianjin obtenue en 1861 avait à l’origine une
surface de 282 300 mètres carrés. Parce que les Français n’ont pas
occupé les terrains qui leur avaient été accordés, ils ont dû se contenter
ensuite d’un espace plus restreint. Au moment de la guerre des Boxers,
le comte G. du Chaylard (consul depuis 1894) s’est approprié indû-
ment des quartiers chinois jouxtant la concession, sous prétexte d’assu-
rer sa protection. Le tout représentant 30 hectares. Cette occupation
illégale, contestée par les autorités chinoises, n’a trouvé sa solution que
onze ans plus tard, le 15 novembre 1911 : juste avant de prendre la
direction du consulat général de Shanghai, Kahn obtient enfin l’assen-
timent officiel des responsables chinois à cette extension contre une
indemnité substantielle. Les Français y sont en minorité dans les
années 1900 : un peu plus d’une soixantaine et presque une vingtaine
la france en chine en 1912-1913 271

de protégés sur les 360 Européens. Le commerce français est déjà bien
représenté. La Banque de l’Indochine y a une succursale ; quatorze
maisons de commerce, agences ou succursales de maisons parisiennes
ou shanghaiennes (Racine et Ackermann, etc.) exportent des peaux,
fourrures et cuirs et importent des produits français. Comme la conces-
sion de Shanghai, celle de Tianjin s’est modernisée et s’est dotée d’une
ligne de Tramways, les négociations ayant enfin abouti en 1906 par un
contrat signé par Paul Claudel avec la Compagnie belge des tramways
et d’éclairage de Tianjin.
La concession de Hankou n’a commencé à se développer que dans
les années 1895, lors de la construction du chemin de fer reliant
Hankou à Pékin, effectuée par un groupe franco-belge, la Société
d’études des chemins de fer en Chine. Située sur la rive gauche du
Yangzi, entre la légation anglaise et la muraille chinoise, la concession
française partage, depuis 1896, le territoire qui lui avait été initialement
accordé avec la concession russe qui en occupe les deux tiers, alliance
franco-russe oblige. La révolution ayant débuté à Wuhan, les étrangers
se sont trouvés dès le départ au centre des combats. La ville a été prise
par les révolutionnaires dès octobre 1911 puis reprise par les Impériaux,
qui ont brûlé la cité chinoise ; les troupes rivales se sont affrontées sur
l’esplanade de la voie ferrée, juste derrière la concession française, qui
s’est trouvée prise entre deux feux. Le consul Réau, à ce moment en
charge du consulat, en profite pour demander une extension de la
concession, sous prétexte de préserver sa sécurité, suivi par ses collè-
gues russe, japonais, allemand et britannique ; après s’être accrue de 15
hectares supplémentaires après les troubles Boxers, la concession atteint
une surface de 32 hectares. Au point de vue commercial, en dehors de
la Banque de l’Indochine, six maisons d’exportation de Shanghai y sont
présentes (Racine et Ackerman, Mondon, Olivier, Grojean, Miffra) ;
ainsi qu’un hôtel et une pharmacie qui ferme en 1913. Depuis le début
de l’année 1909, la ligne du Kinhan-Pékin-Hankou a été remise aux
Chinois, tout comme le Hankou-Canton construit par les Britanniques.
Les Français choisissent alors de se séparer des Belges pour faire
alliance avec les Anglais et la puissante Hsbc : un consortium a été créé
le 6 juillet 1909 regroupant les deux banques française et anglaise ainsi
que la banque allemande Deutsch-Asiatische Bank à qui la banque
anglaise est liée depuis 1895.
La concession de Canton, obtenue également en 1861 dans l’îlot de
Shameen, est la plus petite des quatre avec une superficie de quatre
hectares ; et les Français y restent minoritaires par rapport à l’ensemble
des autres étrangers, atteignant à peine la trentaine dans les années
1900. En février 1902 la Banque de l’Indochine y a édifié une agence et
des magasins destinés au commerce de la soie. La construction de la
ligne Canton-Hankou, commencée en 1908, et celle jusqu’à Hong
Kong, entrée en fonction en 1911, contribuent au décollage du port,
Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)
272 n. tixier

jusque là très loin derrière Shanghai et Hong Kong qui accaparaient


tout le trafic et l’exportation de la soie. Grâce au concours de la Banque
de l’Indochine, quatre maisons de commerce françaises ¢ les deux
principales étant les maisons Chauvin et Pasquet ¢ se partagent le
commerce des soies grèges ¢ dont l’essentiel est exporté vers Lyon ¢
avec des maisons britanniques, filiales de celles de Shanghai et Hong
Kong (Jardine & Matheson) et allemandes. L’École Pichon, qui a été
construite en même temps que l’hôpital Paul Doumer en 1901, a été
fermée en 1907 et remplacée par l’École de médecine, non loin de
l’hôpital dirigé par un médecin français. À la veille de la Première
Guerre mondiale, grâce au commerce de la soie et au décollage du port,
la concession de Canton jouit d’une certaine prospérité.

b. Les postes dans les régions intérieures et périphériques de la Chine

Outre les consulats des postes à concession, parmi la quinzaine de


consulats et vice-consulats que possède la France en 1912, la plupart
sont situés dans les provinces du centre (Sichuan et Hubei) et sur-
tout dans les provinces méridionales limitrophes de l’Indochine,
Yunnan, Guangdong, et Guangxi, chasse gardée de la France depuis
les traités de 1898. Après les diverses tentatives de Doumer pour mettre
la main sur ces territoires, en 1912, toute velléité d’annexion semble
avoir disparu, bien que des rumeurs d’invasion circulent encore à la
frontière et que durant les années 1911-1912 des missions aussi diverses
qu’hétéroclites parcourent les provinces de sud. Pratiquement tous ces
postes sont confiés à des interprètes issus de l’École des langues orien-
tales.
Au Sichuan, depuis le 1er juillet 1906 le poste de Chengdu est un
consulat général, tandis que celui de Chongqing a été rétrogradé au
rang de vice-consulat. La capitale de la province, est en effet le siège du
vice-roi et le centre de toutes les affaires. Les enjeux économiques sont
importants, le sous-sol de la province étant riche en charbon, fer, argent
et or, cuivre et plomb. En 1897, après la venue de la première mission
lyonnaise, un Syndicat franco-chinois a été constitué pour l’exploita-
tion des mines de charbon et de fer et la création d’usines. D’autres
sociétés françaises sont également présentes, comme la Société fran-
çaise d’exploitations minières en Chine qui, depuis juillet 1899, a le
droit de rechercher du pétrole. D’autres sociétés à capitaux français et
chinois exploitent des mines d’or, d’argent cuivre, plomb et fer. Une
École de médecine militaire a été inaugurée en 1907 et, depuis lors, est
dirigée par le docteur Legendre. Au début des années 1910, une ving-
taine de Français y sont présents, sur 80 Européens, ainsi que deux
maisons de commerce d’import-export. Les missionnaires y dirigent
un hôpital, une école, un orphelinat, un refuge pour femmes et un
hospice.
la france en chine en 1912-1913 273

Au Yunnan, le poste de Yunnansen, n’est pas un consulat puisque la


ville ne fait pas partie des ports et villes ouverts aux étrangers. Mis en
place en 1896 par le consul Auguste François, son successeur continue
de porter le titre de Délégué du ministère des Affaires étrangères auprès
de la Compagnie du chemin de fer de l’Indochine et du Yunnan qui a
construit la ligne depuis l’Indochine à l’initiative de Doumer. En effet,
cette riche province a suscité les convoitises du gouverneur général de
l’Indochine qui projetait de l’annexer, en raison de la présence de mines
d’or, d’argent, cuivre, étain et zinc. Malgré l’abandon de toute idée
d’annexion, l’influence française est forte à Yunnansen et sa région
grâce aux échanges constants avec l’Indochine par le chemin de fer et à
la présence des missionnaires. Un hôpital, une poste et un hôtel ont été
mis en place ainsi qu’une école franco-chinoise. Un évêque et une
trentaine de prêtres s’efforcent de diffuser la langue française. Les
sœurs de Saint-Paul de Chartres dirigent un orphelinat, et un dispen-
saire. L’hôpital dirigé par le docteur Mouillac est le plus important de
la région.
À Mengzi, qui dépend de Yunnansen, se trouve une seule maison de
commerce, mais un hôpital et un dispensaire y ont été érigés grâce aux
subsides de l’Indochine ainsi qu’une école franco-chinoise. Au début
des années 1900, ce poste présente un grand intérêt en raison de la
présence de la direction de la Compagnie du chemin de fer du Yunnan
et de la construction de la ligne. Après l’achèvement des 475 kilomètres
de Haiphong à Laokay en 1906, la voie a été ouverte jusqu’à Mengzi en
1908. Depuis 1910, le poste a perdu de son importance lorsque le
chemin de fer a atteint Yunnansen : le deuxième tronçon, Mengzi-
Yunnansen, de 468 km, avec ses 3 422 ouvrages d’art, est terminé en
janvier 1910 et inauguré le 31 mars ; en 1912 la Compagnie transporte
deux millions de passagers dont 95 % sont des Chinois.
D’autres petits postes français des provinces méridionales sont
essentiellement des postes politiques d’observation à la frontière sino-
indochinoise comme au Guangxi (Pakhoi et Tonghing, Swatow et Nan-
ning) sur l’île de Hainan (Hoihow), mais aussi au Fujian (consulat de
Fuzhou), à Amoy, point d’aboutissement du câble qui relie la Chine à
l’Indochine et la France ou dans le nord de la Chine, au Shandong
(Zhifu), en face de Dalny, terminus du Transmandchourien. En Mand-
chourie, la France possède deux postes depuis 1908, Mukden et Har-
bin. Cette province est la chasse gardée des Russes au nord et des
Japonais au sud. Depuis un accord signé le 10 juillet 1907 avec le Japon,
la France a reconnu l’existence de la zone d’influence nippone ; en
contrepartie, le Japon s’est engagé à respecter la position française en
Indochine et dans les trois provinces méridionales chinoises limitro-
phes, et a accordé l’ouverture d’un vice-consulat à Mukden le 22 mars
1908, érigé en consulat le 23 juillet 1911. Les Russes dont les intérêts
sont alliés à ceux des Français, ont accepté l’ouverture d’une agence
Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)
274 n. tixier

consulaire française à Harbin situé à l’intersection du Transmandchou-


rien et du Sud-Mandchourien. En 1912 très peu de Français sont
établis dans cette ville, mais la France a sous sa protection des Grecs,
des Ottomans et des Arméniens.
Il faut mettre à part le consulat de Hong Kong dans la colonie
britannique. Cette cité-port est non seulement l’entrepôt de tout
l’Extrême-Orient, une place commerciale européenne et chinoise de
premier ordre, mais aussi l’arsenal maritime et la principale base
d’action de l’Angleterre en Extrême-Orient. C’est aussi le refuge
d’élection des révolutionnaires chinois, Sun Yat-sen et ses partisans qui
échappent aux sbires de la police impériale puis à ceux deYuan-Shi-kai
après 1912. Pour les Français, le consulat est aussi un poste d’observa-
tion de premier plan vis-à-vis de l’Indochine et des révolutionnaires
annamites qui luttent contre l’occupation française et trouvent refuge à
Hong Kong même et dans les provinces méridionales. Malgré l’impor-
tance de ce poste, les Français y sont peu nombreux, avec environ 70
personnes en 1907.

5. Une évaluation du rayonnement économique


et culturel français en Chine

Dans toute la Chine, en 1912, seulement 112 entreprises françaises


sont présentes, réparties dans différentes villes, surtout à Shanghai et
Tianjin comme on l’a vu précédemment ¢ contre 606 britanniques et
1263 japonaises 6. Depuis les débuts de la présence française au milieu
du xixe siècle, diplomates et consuls accusent les maisons industrielles
et commerciales françaises de manquer d’initiative, de compétitivité et
d’esprit de solidarité. Tous s’accordent à dire que les entrepreneurs
français, bien qu’intelligents et travailleurs, ne savent pas s’unir, se
rapprocher les uns des autres pour créer des entreprises durables et
sont incapables de s’adapter au marché chinois. Pourtant, selon le
docteur A. Legendre, médecin-chef de l’hôpital de Chengdu, aux len-
demains de la révolution, les espoirs sont immenses : lignes de chemins
de fer à développer, canaux à améliorer, fleuves et ports à aménager etc.
En bref, tout est encore à faire dans cet immense pays.
En septembre 1912, Fernand Pila, premier attaché commercial pour
la Chine et le Japon depuis 1909, après avoir fait la tournée de tous les
principaux ports de Chine, fait un constat peu brillant. Les industriels
et commerçants français accusent un très grave retard par rapport aux
autres concurrents occidentaux, allemands surtout : « L’amélioration
de notre représentation est particulièrement urgente en ce qui concerne
les industries métallurgiques et mécaniques. Les derniers événements
6. ChinaYearbook de 1912.
la france en chine en 1912-1913 275

ont définitivement ouvert pour la Chine l’ère de l’outillage national


(armement, chemins de fer, télégraphe...), municipal (service des eaux,
gaz et électricité, téléphone, tramways) et industriels (matériels d’usi-
nes, de mines...) nous sommes très distancés par nos concurrents [...]
la représentation technique de notre industrie est encore inexistante. »
La majorité des sociétés françaises présentes en Chine forment le
Groupe des industriels français qui se répartissent les commandes 7.
Ainsi, la Société de construction des Batignolles a obtenu la construc-
tion d’un pont sur la rivière de Canton, mais en septembre 1909, les
Chinois l’ont repris à leur compte comme ils l’ont fait pour les chemins
de fer à partir de 1908. À partir de cette date, le gouvernement chinois a
décidé de ne plus accorder de concession mais à racheter toutes celles
qu’il a octroyées ou qui lui ont été arrachées par la force ; il rachète les
parts du syndicat américain qui devait construire et exploiter le chemin
de fer Canton-Hankou ; il décide d’achever lui-même la ligne
Shanghai-Nankin commencée par la British & Chinese Corporation,
alors que, depuis 1907, il a signé avec cette même compagnie trois
contrats pour les chemins de fer Kowloon-Canton (7 mars 1907),
Tianjin-Pukow (18 janvier 1908), Shanghai-Ningpo (6 mars 1908). Il
rachète les concessions houillères du Shansi au Pekin Syndicate ainsi
que des sociétés comme l’Éclairage électrique de Canton qui avait été
mis en place par une société anglaise, la China Light & Power and Co.
En revanche, les Chinois acceptent de s’associer avec des sociétés
étrangères. En janvier 1910, à Hankou, a été créée la « Société franco-
chinoise de distillerie de Hankou » pour la fabrication des vins et eaux
de vie et alcools indigènes de riz ou de sorgho. Sa conception est
confiée à un Français, R. Fontaine, administrateur délégué de la
« Société asiatique des boissons indigènes », Le capital souscrit par les
étrangers est de 4/7e contre 3/7e pour les Chinois, à Moukden en avril
1910 a été mis en place un « Syndicat sino-français d’ingénieurs ». Avec
la révolution, les entreprises françaises connaissent des fortunes diver-
ses : ainsi, le 10 février 1912, le ministre à Pékin Margerie signale que
les Chinois renvoient les techniciens français et étrangers engagés par
les autorités du Gansu pour la manufacture provinciale de draps de
cette province à Lantchéou ainsi que ceux des mines de Taoko, soit cinq
Belges et un Français. En revanche à Tianjin, le 22 juillet de la même
année 1912, le consul français signale que deux établissements français
ont été inaugurés les 13 et 20 juillet, l’Usine d’éclairage & de Force
motrice par courant alternatif et la Tannerie et manufacture de cuirs &
peaux. Ces deux entreprises viennent s’ajouter aux trois autres déjà
existantes, l’Atelier de construction mécanique, l’Usine céramique
modèle à Tianjin et, non loin de là, les Établissements de construction
et de réparation des navires et allèges à Tanggu. Pourtant, le Groupe des
7. MAE Correspondance politique et commerciale, Nouvelle Série Chine 1897-1917,
volumes 414 Industries, travaux publics 1907-1917, volumes 611 et 614.

Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)


276 n. tixier

industriels français qui était sous la houlette du directeur de Fives-Lille


depuis juillet 1910, se rompt en 1913 ; et le directeur de la Banque de
l’Indochine, Saint-Pierre, qui succède à Casenave à la tête de l’agence
de Tianjin, constate que la réelle présence des entreprises métallurgi-
ques françaises en Chine se pose à nouveau, alors que les groupes
anglais et allemands très puissants sont aidés par leurs banques.
Une lacune est le plus souvent dénoncée : il manque en France des
intermédiaires entre l’industrie et la finance, qui ne sont pas comme en
Angleterre et surtout en Allemagne, étroitement liées. Pour la Grande-
Bretagne, la Hsbc finance les affaires de Chine qui sont étudiées et
négociées par la British & Chinese Corporation, laquelle est en relation
en Angleterre avec de puissants groupes industriels, (ainsi la maison
Pauling) susceptibles d’exécuter des commandes et de fournir des
ingénieurs et des spécialistes demandés par les Chemins de fer et les
grands travaux publics chinois. Pour établir ce lien entre industrie et
finance, certains préconisent de créer un organisme, la Banque indus-
trielle de Chine, qui serait une sorte de French & Chinese Corporation
appuyée par la Banque de l’Indochine (qui sert d’intermédiaire en
Chine à toutes les grandes banques françaises), et sur de puissants
groupes industriels tels que le Creusot, les établissements et construc-
tions navales. Les Chinois n’y sont pas hostiles, loin de là : un
ex-ministre des Finances, lors d’un exposé à l’Assemblée nationale, fait
le constat que la révolution a affaibli les sociétés industrielles chinoises
et qu’introduire des capitaux étrangers fait courir le risque que ces
mêmes étrangers s’emparent de toutes les exploitations productives ;
pour éviter cela, iI soutient la création de la Banque industrielle, dans
laquelle les industries existantes ou à créer trouveraient un appui finan-
cier sans courir aucun risque. Dès le 27 février 1913, le ministre de
France Alexandre Conty avise que le gouvernement chinois a autorisé
la création de cet organisme au capital de 45 millions de francs ; le
gouvernement chinois a souscrit un tiers, soit 15 millions de francs. Les
statuts de la Banque industrielle ont été approuvés le 11 janvier 1913 ; le
nouvel organisme dont le siège est à Paris et l’agence centrale à Pékin,
s’engage à mettre en valeur les richesses naturelles de la Chine. De plus,
le 7 avril suivant, le ministre français avise le ministère des Affaires
étrangères que par télégramme, le ministre des Finances chinois, lui a
exprimé son désir de voir le consortium des banques se reconstituer par
la substitution au groupe américain de la Banque industrielle nouvelle-
ment créée à Paris.
Le directeur de la Banque de l’Indochine représente le groupe fran-
çais des banques qui ont souscrit pour 5 millions de francs dans la
Banque industrielle, de même que le Pekin Syndicate, l’une des plus
anciennes entreprises qui a obtenu des contrats de mines de charbon et
de fer au Shansi et au Honan ¢ son Siège est à Londres, mais sur les
1 202 800 actions dites Shansi, la majorité, soit 1 130 000, a été répartie
la france en chine en 1912-1913 277

entre 60 000 actionnaires français. Le solde des 40 000 actions de la


Banque industrielle offertes en souscription publique vont de préfé-
rence aux actionnaires du Pekin Syndicate. Outre l’agence à Pékin, la
Banque prévoit d’ouvrir des succursales dans plusieurs villes dont
Hankou, Moukden, Tianjin et en juillet à Mengzi. Le 9 octobre 1913,
un contrat d’emprunt de 150 millions de francs est conclu entre le
gouvernement chinois et la Banque industrielle pour l’exécution de
travaux publics, notamment la construction du pont de Pukow et celui
de Hankou.
À côté du Groupe des industriels français, deux autres groupes sont
présents en Chine ; l’un comprend des maisons françaises et anglaises
(Hotchkiss, Bardac, Le Creusot et Saint-Chamond alliés à Vickers et
Amstrong) et est spécialisé dans le commerce d’armes et de matériel de
guerre ; le second est international : la Régie générale des chemins de
fer, Pauling (anglais) et la Société d’études belge.

6. Les efforts engagés dans le domaine culturel

Pour pallier le manque de compétitivité des entreprises françaises, un


grand effort a été accompli sur le plan culturel par la multiplication
d’écoles, et sur le plan médical par la mise en place d’hôpitaux et de
dispensaires, principalement dans les villes proches de la frontière
indochinoise, grâce aux subventions accordées par la colonie. Ces
établissements médicaux servent également de centres d’information et
de renseignement pour espionner les révolutionnaires annamites qui
sévissent dans ces régions. Les écoles sont l’œuvre des missionnaires
qui mettent en place également des orphelinats, des hospices et des
dispensaires. Le collège Nantang de Pékin, les écoles de Shanghai dont
l’école municipale dirigée par Charles Maybon, et de Yunnanfou sont
les plus importantes ; l’Université Aurore de Shanghai est le fleuron de
tous les établissements français en Chine, sans oublier l’observatoire de
Zikawei. Pourtant, même dans le domaine culturel, les Français sont
distancés par les Anglais, les Américains et les Allemands.
À partir de 1912, un effort est tenté pour attirer les étudiants chinois
en France, et les détourner des États-Unis, vers lesquels un grand
nombre de jeunes gens choisissent d’aller faire leurs études. Avant la
Première Guerre, quelques dizaines seulement de jeunes Chinois sont
présents en France, parmi lesquels le futur ministre de Chine à Paris,
Cheng Loh, qui, dès 1904, vient étudier le droit. Depuis 1906, des
efforts ont été faits par des diplomates de retour de Chine ainsi l’ancien
ministre plénipotentiaire à Pékin Georges Dubail. Avec le concours de
deux anciens de Chine, Stephen Pichon et Arnold Vissière, il met en
place l’Association Amicale franco-chinoise afin de développer les rela-
tions et les échanges entre les deux pays et surtout l’influence de la
Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)
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France en Chine par le biais de ces étudiants, qui de retour dans leur
pays, seront les meilleurs vecteurs de la science et des idées françaises.
En 1912, après un voyage en Chine, Paul Painlevé, mathématicien,
professeur à Polytechnique, à Normale Sup puis au Collège de France,
membre de l’Académie des sciences, député de la Seine depuis deux
ans, crée l’Union sino-française avec LiYu-ying (Li Shizeng 1881-1973),
un ancien étudiant entré en 1907 à la faculté des sciences de Paris après
être passé par l’Ecole d’agriculture de Montargis. En 1908 Li Yu-ying
fonde à la Garenne-Colombes une usine de transformation du soja où il
fait travailler une trentaine de jeunes étudiants chinois et en 1909 a
même reçu la visite de Sun Yat-sen. Devenu ingénieur et professeur à
l’Université de Pékin, il participe à la création de nombreuses associa-
tions franco-chinoises et devient l’interlocuteur privilégié du gouverne-
ment français. Rentré en Chine en 1911, en 1912 avec l’aide de Cai
Yuan-pei (1868-1940) ministre de l’Éducation en janvier 1912 puis
recteur de l’Université de Pékin en 1917, il met en place l’Association
travail-études qui envoie 140 jeunes Chinois en France. Quatre ans plus
tard, ces deux personnalités seront à l’origine de la Société franco-
chinoise d’éducation pour favoriser l’extension des relations entre la
France et la Chine et faciliter « le développement moral, intellectuel et
économique de la Chine par la science et les idées françaises ». Cette
société est patronnée à Paris par le professeur Alphonse Aulard de la
Sorbonne, Édouard Herriot maire de Lyon, et le député Marius Mou-
tet, futur ministre des Colonies. Les mêmes, avec Sarraut, créent la
Fédération des Amitiés franco-chinoises, avant l’Institut franco-chinois
de Lyon en 1919 et l’Université franco-chinoise de Pékin en 1920.

Conclusion

Au moment de la création de la Société de l’histoire des colonies, la


situation de la France en Chine, en dépit de son retard industriel et
commercial sur les autres puissances, est porteuse d’espoir en raison
des énormes besoins de cet immense pays. Grâce au consortium et la
pression exercée sur Yuan Shi-kai, la France (avec l’Angleterre) bénéfi-
cie d’une situation privilégiée. Mais la Première Guerre mondiale va y
mettre un frein, en affaiblissant tous les protagonistes imbriqués dans
les hostilités. Brèche dans laquelle va s’engouffrer le Japon pour com-
mencer à imposer son leadership sur la Chine, notamment par ses Vint
et une demandes. La paix revenue, les efforts se multiplient pour
relancer de nouveau les relations commerciales avec la Chine et aussi
l’Indochine. À cet effet, en 1917, se met en place la Compagnie générale
d’Extrême-Orient, dont les membres du conseil représentent les diffé-
rentes branches du commerce et de l’industrie qui touchent aux
marchés d’Extrême-Orient.
la france en chine en 1912-1913 279

Lors du lancement de cet organisme le 29 mai 1917 au ministère du


Commerce, le Legendre, médecin-chef de l’hôpital de Chengdu, après
avoir exposé les richesses de la Chine et de l’Indochine, harangue les
banquiers, industriels et commerçants français pour les inciter à pro-
duire et exporter à l’instar de l’Allemagne qui pendant un demi-siècle a
bâti sa richesse de cette façon : « L’heure est donc venue de vous
déterminer, de porter votre effort vers l’Orient lointain. Et quel champ
d’action ! Le plus vaste, le plus fécond de l’époque présente et le plus
prometteur incontestablement ! Dans la lutte économique qui se pré-
pare, si âpre, si décisive pour notre avenir, gardez-vous de négliger la
plus belle terre d’exploitation au monde, cette immensité où notre
vitalité de race si bien affirmée par cette guerre, ne pourra que se
tremper, s’exalter. Allez-y parce que vous constituez l‘élément le plus
actif de notre pays, l’élément créateur ! C’est vous l’avenir, à n’en pas
douter ! C’est vous qui pourrez nous faire plus grands, à l’extérieur
dans le monde, où vous symbolisez l’initiative, l’énergie, la lutte
féconde ! Et notre action n’aura pas que des résultats de bien être
d’enrichissement pour nous, mais aussi d’autres conséquences humai-
nes, car, en Extrême-Orient, plus que partout ailleurs, l’entente politi-
que est fonction de l’entente économique. »

Outre-Mers,T. 100, No 376-377 (2012)

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