Vous êtes sur la page 1sur 5

L'intentionnalité: Aristote en héritage?

Author(s): Kristell Trego and Laurent Villevieille


Source: Revue philosophique de Louvain, Vol. 114, No. 3 (août 2016), pp. 403-406
Published by: Peeters Publishers
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26481366
Accessed: 06-09-2023 18:45 +00:00

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

Peeters Publishers is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to
Revue philosophique de Louvain

This content downloaded from 70.81.118.70 on Wed, 06 Sep 2023 18:45:53 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
L'intentionnalité : Aristote en héritage ?

Brentano - lui par qui la question de l'intentionnalité naît ou renaît


à la modernité philosophique - note dans sa Psychologie du point de vue
empirique au sujet de ce qu'il ne nomme pas encore «intentionnalité»,
mais «inexistence intentionnelle»: «Aristote parle de cette inhabitation
psychique. Dans son traité De l'âme, il dit que le senti est, comme tel,
dans le sentant, que le sentant contient immatériellement l'objet senti,
que la pensée est dans l'intellect pensant». Suivent des références à Phi
Ion, au néoplatonisme, à Augustin, à Anselme et à Thomas d'Aquin. Mais
aux yeux du père de la pensée moderne de l'intentionnalité, ce serait
Aristote qui, le premier, aurait découvert le caractère propre et distinctif
des phénomènes psychiques : leur être intentionnel. Dès lors, la question,
naturellement, se pose : la notion d'intentionnalité, dans la diversité his
torique et philosophique de ses acceptions (diversité que Brentano unifie
malgré tout dans la brève généalogie que, d'Aristote à Thomas d'Aquin,
il propose sous forme d'esquisse), cette notion témoigne-t-elle réellement
d'un héritage aristotélicien?
La question elle-même peut paraître surprenante, dans la mesure où
il est clair qu'Aristote ne soutient pas une telle doctrine. De surcroît,
l'épistémologie qu'il propose n'apparaît pas requérir la conceptualité de
l'intentionnalité. On le sait, en effet, le Stagirite affirme que l'âme est
en un sens tous les étants (De anima, III, 8) : connaître, c'est devenir
formellement la chose, ce qui suppose une réceptivité et une ouverture
de l'âme à l'autre. L'on semble ici indéniablement loin, si ce n'est aux
antipodes, de l'idée selon laquelle l'intellect tendrait vers un objet qu'il
viserait, idée qui semble constituer le cœur de la doctrine de l'intention
nalité. Ainsi donc, la doctrine de l'intentionnalité ne semble pouvoir être
qualifiée d'aristotélicienne. Pourtant, un fait doit nous arrêter: c'est bien
en se référant à Aristote que la doctrine de l'intentionnalité s'est
construite, du Moyen Âge à l'époque contemporaine. Comment dès lors
l'œuvre d'Aristote, sans que lui-même soutienne l'intentionnalité, a-t
elle pu se prêter à une telle lecture? Autrement demandé: comment la
question de l'intentionnalité nous fait-elle découvrir différentes façons
d'être aristotéliciens?

Revue Philosophique de Louvain 114(3), 403-406. doi: 10.2143/RPL.l 14.3.3194444


©2016 Revue Philosophique de Louvain.lous droits reserves.

This content downloaded from 70.81.118.70 on Wed, 06 Sep 2023 18:45:53 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
404 Kristell Trego et Laurent Villevieille

La question de l'intentionnalité nous confronte ainsi à l'histoire de


l'aristotélisme, en son rapport même au texte aristotélicien. L'exégèse
d'Aristote ne se cantonne assurément pas à une explication; elle est en
même temps une œuvre d'interprétation, et de réinterprétation. Pour
reprendre le mot de Richard Sorabji, l'Aristote des commentateurs est un
«Aristote transformé» (Aristotle transformed).
Le présent numéro s'attache à retracer les grandes étapes de cette
relecture d'Aristote, qui a conduit à faire progressivement émerger le
thème de l'intentionnalité. Cette histoire n'est sans doute pas linéaire :
elle a commencé dès la relecture d'Aristote par les commentateurs grecs;
elle s'est trouvée posée à nouveaux frais lorsque Augustin, sans avoir lu
directement le De anima, mais en héritant de certains débats néoplatoni
ciens, a voulu faire droit à l'activité de l'âme, et lui a reconnu, avec la
volonté, une intentio, une faculté de se tourner et de tendre vers ; elle a
été réactivée, au second Moyen Âge, avec l'arrivée du concept avicen
nien d'intent io; elle s'est enfin retrouvée largement débattue à l'époque
contemporaine, principalement dans un sillage brentanien.
La question de l'intentionnalité concerne tout d'abord la psycholo
gie et l'épistémologie. Comment l'âme, impassible, peut-elle recevoir des
informations venant de l'extérieur? Ne faut-il pas adjoindre, à la dimen
sion réceptive de la connaissance, une forme d'activité? Si la connais
sance est acte (energeia), n'est-elle pas aussi activité {praxis)? Il est à
cet égard remarquable que les commentateurs grecs d'Aristote aient très
tôt retravaillé sa doctrine cognitive, pour mettre l'accent sur une activité
judicative (/crisis) de l'âme.
Mais l'on voit aussi conjointement très bien comment la question de
l'intentionnalité déborde le champ cognitif, pour engager une certaine méta
physique. En premier lieu, l'idée même ft energeia est bien évidemment ici
enjeu: qu'est-ce qu'un acte, singulièrement un acte psychique? L'acte de
l'esprit est-il actualisation d'une potentialité, ou activité productrice?
Se pose également d'une manière déterminante, à la jointure de la
psychologie et de la métaphysique, la question du statut ontologique de
l'être intentionnel: est-il un moindre être, s'éclipsant pour mieux laisser
voir ce qui est au dehors? Ou forme-t-il une sorte d'être représentatif,
risquant de nous cacher la chose extérieure, par le même geste par lequel
il prétend nous la faire voir? Ainsi donc, il convient de s'interroger sur
ce à quoi nous accédons des choses, et dès lors aussi sur la manière dont
les catégories proposées par Aristote peuvent nous aider à en rendre
compte. S'il est une multiplicité des sens de l'être, la division catégoriale

This content downloaded from 70.81.118.70 on Wed, 06 Sep 2023 18:45:53 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
L'intentionnalité : Aristote en héritage ? 405

ne nous donne-t-elle pas à penser, en même temps que la manière dont


les choses sont, la manière dont nous nous rapportons à elles ? Ne peut-on
ainsi pas voir, dans la qualité, un réfèrent intentionnel pour l'esprit visant
quelque chose qui, par soi, relèverait d'abord du quantitatif?
C'est en effet bien in fine la question de notre accès au monde que
l'idée d'intentionnalité nous invite à interroger. Et l'on ne s'étonnera
donc pas que la question de l'intentionnalité puisse précisément être
posée dans le cadre d'une réflexion sur la catégorie même de la «rela
tion»: l'intentionnalité dit une certaine relation cognitive, qui n'est peut
être pas purement causale, de l'âme à ses objets.
Ainsi donc, l'avènement de l'intentionnalité implique un dialogue
pluriel avec Aristote. Non seulement le De anima, mais aussi les Caté
gories et la Métaphysique, constituent autant de traités aristotéliciens qui
se sont laissés relire à la lumière de la problématique de l'intentionnalité.
Nous avons choisi d'éclairer la conceptualité de l'intentionnalité en
prenant en considération son inscription dans une certaine histoire de
l'aristotélisme. Les articles d'Alain Petit et d'Hamid Taïeb montrent ainsi
comment la philosophie brentanienne poursuit une tradition exégétique
aristotélicienne, et reprend des problématiques qui se sont nouées dès les
commentateurs grecs (principalement des néo-platoniciens) sur l'activité
de l'âme dans le processus cognitif. L'article de Kristell Trego éclaire
l'apport d'Avicenne à la problématique de l'intentionnalité, en revenant
sur les débats en terre d'Islam autour du concept de ma'nâ, qui ne se
laisse pas réduire à un concept mental, mais découvre bien plutôt une
certaine «réalité». L'article de Véronique Decaix s'intéresse à la manière
dont la psychologie aristotélicienne a pu être relue, au xme-xive siècle,
en s'arrêtant plus particulièrement sur les figures d'Henri de Gand et de
Dietrich de Freiberg : un autre aristotélisme que celui de Thomas d'Aquin
est possible. Une cartographie de la question de l'intentionnalité à
l'époque contemporaine est ensuite proposée par Claudio Majolino, qui
envisage à la fois la philosophie «analytique» et la philosophie «conti
nentale» (si l'on veut bien ici user de ces étiquettes). Enfin, Élisabeth
Schwartz prend plus particulièrement en considération l'œuvre de Car
nap: en inscrivant dans un sillage brentano-husserlien le concept de
«constitution», elle nous invite à y découvrir un aristotélisme caché,
mais non moins décisif, qui s'effectue sur le double front de la question
des catégories et de celle de l'acte.
Au travers de ces différentes contributions, nous avons voulu tra
vailler la question de l'intentionnalité sur la «longue durée», et avons

This content downloaded from 70.81.118.70 on Wed, 06 Sep 2023 18:45:53 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
406 Kristell Trego et Laurent Villevieille

tenté de faire dialoguer différentes traditions philosophiques, que l'on


oppose parfois trop facilement.

Université Blaise Pascal/Clermont-Ferrand II Kristell Trego


Institut universitaire de France

29, boulevard Gergovia


F - 63000 Clermont-Ferrand

ktrego@orange.fr

Archives Husserl de Paris Laurent Villevieille

École Normale Supérieure


45, rue d'Ulm
F - 75005 Paris

laurentvillevieille@gmail.com

This content downloaded from 70.81.118.70 on Wed, 06 Sep 2023 18:45:53 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi