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RITES ET TRADITIONS DU MARIAGE AU MALI Sous la direction de

Moriké Dembélé

Idrissa S. Traoré
Moriké Dembélé
Sous la direction de

Mamadou Dia
PERMANENCES, RUPTURES ET IMPASSES
Mamadou Dia
Idrissa S. Traoré
En se référant à E. Durkheim (1922) dans Éducation et
Sociologie, l’éducation est l’action exercée sur les jeunes
générations afin de les rendre aptes à la vie sociale. Elle vise
à harmoniser les comportements des individus et à les rendre
conformes aux normes établies.
Dans cette perspective, l’éducation ou la socialisation des

RITES ET TRADITIONS DU MARIAGE AU MALI


jeunes au mariage est un processus par lequel la société
contrôle et influence les générations montantes. C’est une
forme d’apprentissage du vivre-ensemble au sein des couples.
La socialisation des jeunes au mariage se fonde sur les rapports
sociaux de sexe et influence les jeunes sur la façon dont ils
doivent développer des relations sociales et interpersonnelles
au sein des couples.
Moriké D embélé est docteur en sciences de l’éducation. Ses travaux
de recherche portent sur l’éducation et l’insertion sociale des groupes
sociaux marginalisés des systèmes scolaires, comme les enfants en
situation de rue, les enfants accueillis dans les orphelinats et autres
enfants handicapés dans les centres d’accueil.
Mamadou Dia est titulaire du Doctorat Nouveau Régime de l’Université
Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) en Lettres Modernes, option
Didactique des Langues. Enseignant-chercheur à l’ULSHB (Mali) où
il a été Chef du département de Lettres de 2014 à 2019, il est
présentement membre du Comité pédagogique et scientifique de
l’ULSHB.
Idrissa S. Traoré est enseignant-chercheur à l’Université des
Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB). Détenteur
d’un doctorat en Sciences de l’éducation de l’Université de Paris-VIII
(2009), il est l’auteur d’une trentaine d’articles scientifiques publiés
au Mali, en Afrique, en Europe et au Canada.

ISBN : 978-2-14-029001-5
29 €
RITES ET TRADITIONS
DU MARIAGE AU MALI :
PERMANENCES, RUPTURES ET IMPASSES
SOUS LA DIRECTION DE :

Moriké DEMBÉLÉ
Mamadou DIA
Idrissa S. TRAORÉ

RITES ET TRADITIONS
DU MARIAGE AU MALI :
PERMANENCES, RUPTURES ET IMPASSES
© L’Harmattan, 2022
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com

ISBN : 978-2-14-029001-5
EAN : 9782140290015
COMITE SCIENTIFIQUE

Pr Samba TRAORE, Université des Lettres et des Sciences Humaines de


Bamako
Pr Tamba DOUMBIA, Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako
Pr Idrissa Soïba TRAORE, Université des Lettres et des Sciences
Humaines de Bamako
Dr Moriké DEMBELE, Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako
Dr Macki SAMAKE, Université des Lettres et des Sciences Humaines de
Bamako
Dr Mamadou DIA, Université des Lettres et des Sciences Humaines de
Bamako
Pr Moussa DAFF, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Pr Félix Tindaogo VALLEAN, Université Norbert Zongo de
Koudougou
Pr Arnaud RICHARD, Université Paul Valéry de Montpellier 3
Pr Adama COULIBALY, Université Felix Houphouët Boigny de
Cocody
Pr Patrick HOUESSOU, Université d’Abomey Calavi
Pr Brahima CAMARA, Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako
Dr Diola KONATE, Université des Lettres et des Sciences Humaines de
Bamako
Dr Alou AG AGOUZOUM, Institut de Pédagogie universitaire
Dr N’Bégué KONE, Université des Lettres et des Sciences Humaines de
Bamako

7
Dr Fatoumata Bintou SYLLA, Université des Lettres et des Sciences
Humaines de Bamako
Dr Fatoumata KEITA, Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako
Dr Belko OUOLOGUEM, Université des Lettres et des Sciences
Humaines de Bamako
Dr Aboubacar Sidiki COULIBALY, Université des Lettres et des
Sciences Humaines de Bamako
Dr Aboubacar Abdouwahidou MAIGA, Université des Lettres et des
Sciences Humaines de Bamako
Dr Hamadoun Hasseye TOURE, Université des Lettres et des Sciences
Humaines de Bamako

8
REMERCIEMENTS

Cet ouvrage collectif sur « les rites et traditions du mariage au Mali :


permanences, ruptures et impasses » est le fruit d’une collaboration
inédite entre, d’une part, l’Université, les associations culturelles, le
ministère de la Réconciliation nationale, l’ambassade de la France au Mali
et, d’autre part, entre des enseignants-chercheurs de divers profils
scientifiques, des journalistes et praticiens hommes et femmes de culture.
Il tire son origine de la célébration de la journée de la diversité culturelle
pour le dialogue et le développement, en mai 2017. L’ouvrage a été
réalisé à la demande des enseignants-chercheurs, conférenciers lors de
cette célébration. C’est donc le lieu de remercier les personnes qui ont
rendu possible la publication de ce livre :
¾ Laurence MARIANNE-MELGARD pour avoir accepté de
préfacer cet ouvrage et en assurer les charges de la publication.
Qu’elle en soit vivement remerciée.
¾ Mme Lalla Safia HAÏDARA, initiatrice de la célébration de la
journée de la diversité culturelle pour le dialogue interculturel et
le développement, leader d’associations culturelles et actrice
majeure du brassage entre les différentes cultures au Mali. Qu’elle
reçoive nos vifs remerciements.
¾ Moriké DEMBÉLÉ et ses collaborateurs qui ont inlassablement
travaillé à la mobilisation des collègues autour du projet
d’ouvrage collectif pendant de longues années en les
encourageant à la collecte d’informations complémentaires, mais
également pour avoir composé le comité scientifique et de
lecture, pour avoir servi d’interface entre les différents acteurs
pour la publication du livre.

9
SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE
RITES ET TRADITIONS DE SOCIALISATION
AU MARIAGE............................................................................................... 17
Chapitre 1 : Éduquer au mariage hier à aujourd’hui en milieu
khassonké : constances et ruptures dans les discours des
initiatrices des jeunes couples
Moriké DEMBÉLÉ, Mahamady SIDIBÉ, ................................................. 19

Chapitre 2 : Initiatrices nuptiales et pratiques contraceptives


chez les Bambaras de la commune rurale de Sanando
Issa DIALLO, ................................................................................................. 45

Chapitre 3 : Analyse sociolinguistique de quelques chansons


dédiées à l’éducation de la jeune mariée en milieu bamanan
Afou DEMBÉLÉ, Mamadou DIA, ............................................................ 67

Chapitre 4 : Perceptions des pratiques reproductives


des adolescents au Mali
Ichaka CAMARA ............................................................................................ 85

DEUXIÈME PARTIE
RITES ET TRADITIONS DU MARIAGE .......................................109
Chapitre 5 : Contribution à une étude sociologique du mariage
en milieu arabe du Mali
Haïdara Mohamed Abdoullah .....................................................................111

Chapitre 6 : Rites et traditions du mariage chez les Miniankas de


Kimparana et de Koutiala, Mali
Kawélé TOGOLA ........................................................................................129

Chapitre 7 : Rites et traditions du mariage soninké


Fodié TANDJIGORA, Kaba Diouara.......................................................147

Chapitre 8 : Le mariage des jeunes dans le Tômô guinnè


en milieu dogon
Youssouf Karambé .......................................................................................159

11
Chapitre 9 : Le concept de mariage et sa portée chez les
Kel-Tamasheq (Touaregs) du Mali
Alou AG AGOUZOUM, Aliou Altamine Cissé ......................................175

Chapitre 10 : Le mariage chez les Songhaïs d’hier à


aujourd’hui : entre endogamie et exogamie
Mahamar ATTINO, Ph.D ...........................................................................185

Chapitre 11 : Le mariage tamasheq en milieu traditionnel


au Gourma à l’épreuve du changement social
Ousmane Ag NAMOYE .............................................................................205

Chapitre 12 : Le mariage traditionnel et cultuel chez les Buwa


du Mali : la place de la femme dans le processus du
développement socioéconomique
André KONÉ, David COULIBALY .........................................................225

Chapitre 13 : Mariage collectif à Banamba : les acteurs


et leurs rôles
Sidy Lamine Bagayoko ..................................................................................247

Chapitre 14 : Les rites du mariage chez les Peuls des régions


de Ségou et Mopti : entre traditions et modernité
Bréma Ely DICKO, ......................................................................................269

Conclusion
Idrissa Soïba TRAORÉ ................................................................................281

12
PRÉFACE

Rites et traditions du mariage au Mali : permanences, ruptures et impasses est une


remarquable étude collective réalisée par d’éminents sociologues et
anthropologues de l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de
Bamako (ULSHB). Cette publication aborde un sujet de société
fondamental : celui des alliances qui représentent un enjeu majeur pour le
maintien de la cohésion sociale entre les nombreuses communautés
ethniques maliennes.
Cet ouvrage s’appuie sur des travaux de recherche documentaire et sur
des enquêtes de terrain. Il s’inscrit aussi dans le prolongement d’une
conférence-débat que nous avions organisée en 2016 à l’Institut français
de Bamako avec mon amie Mme Lalla Safia Haïdara, dont la sincérité,
l’enthousiasme et l’énergie ont été le moteur de cette aventure.
Il aborde une thématique encore non traitée jusqu’ici avec autant
d’exhaustivité. En proposant une analyse des rites pratiqués au sein de
huit communautés (les principales en termes démographiques), les
auteurs soulignent en effet le rôle que jouent les proches parents et
d’autres initiateurs dans l’éducation de la promise. L’apprentissage de la
fonction d’épouse y apparaît crucial pour faire durer le couple, entretenir
le foyer et préserver l’union des familles. En Afrique subsaharienne,
épouser un individu conduit à accepter son clan tout entier.
L’ouvrage décrit aussi l’organisation des épousailles, également très
codifiée, qui reflète l’éthique et les usages au sein de chacune des
familles. On ne peut pas se marier avec une personne étrangère aux
valeurs de son groupe social sous peine de voir cette union déstabilisée.
Ce socle de valeurs est bâti autour d’enseignements divers, de chants
traditionnels, d’offrandes rituelles, de tenues et de parures, de mets et de
boissons. Il s’agit en quelque sorte de conserver une unité indispensable
au sein d’un ensemble très diversifié. Ce précepte est parfaitement
résumé dès l’introduction du chapitre 14 : « Le Mali est une mosaïque
ethnique et culturelle qui se manifeste à travers l’existence d’une multitude d’aires
culturelles : bwa, peul, sénoufo, minianka, malinké, soninké, khassonké, bambara,
bozo, somono, etc. Nonobstant, les brassages nés des empires (Wagadu, Manding) et
royaumes (Sosso, Songhaï de Gao, Kharta, Ségou, Khasso, Peul du Massina, etc.)
qui ont mis en mouvement des personnes autour d’ensembles politiques guerriers,
chaque groupe ethnique a conservé des traits culturels. Hormis la
langue, l’habillement, l’organisation du mariage est sans doute la

13
pratique culturelle qui donne à voir les spécificités à travers des
rituels. »
Ces rituels, hérités de temps ancestraux, sont mis à rude épreuve par le
phénomène de mondialisation. Les auteurs s’attachent à exposer les
enjeux et les freins à leur pérennité dans leur format traditionnel. Si
l’évolution des mœurs favorise l’adaptation de ces rites, celle-ci doit
s’opérer avec agilité, en agrégeant une partie des impératifs de société
dictés par l’évolution du monde. Ces modifications ne doivent pas pour
autant transformer totalement les pratiques coutumières, pour en garantir
la validité aux yeux des anciens, comme des jeunes mariés.
Le risque de voir disparaître ces cérémonies est pourtant bien réel
puisque les traditions en Afrique sont prioritairement transmises par voie
orale. Cet ouvrage constitue donc un acte de résistance et une aubaine
pour la culture et le patrimoine africains. Je le perçois comme un héritage
laissé à la jeune génération. Elle pourra ainsi, en comprenant le
fondement des rites et coutumes traditionnels des autres communautés,
mieux les accepter et ainsi poursuivre sa marche vers la réconciliation et
la paix. En ce sens, Rites et traditions du mariage au Mali : permanences, ruptures
et impasses porte un message politique de grande valeur.
C’est donc une vision du monde et la manière de vivre des peuples
subsahariens qui transparaissent de ce travail de recherche dense et
rigoureux. Au-delà de cet intérêt, l’ouvrage ne manquera pas de réveiller
les controverses désormais fréquemment débattues en Afrique comme
en Occident et qui concernent notamment les mariages arrangés. Il faut
donc s’en emparer pour agir, sans juger, avec tact et bienveillance. De
cette façon, l’exposé des problématiques liées à la préservation des
traditions, excellemment traité par les universitaires de l’ULSHB, ne
constituera pas un aboutissement mais bien le point de départ d’un débat
renouvelé sur ces questions.
Cet ouvrage est un guide précieux pour faire dialoguer, d’abord les
Africains entre eux, puis avec le reste du monde. À ce titre, Rites et
traditions du mariage au Mali : permanences, ruptures et impasses revêt
certainement une portée universelle. Je me réjouis que sa publication
rende désormais ce savoir accessible à tous. Je salue la persévérance de
l’ensemble des contributeurs émérites à cette publication. En particulier,
les docteurs Moriké Dembélé, Mamadou Dia et Idrissa Traoré qui ont
brillamment fait cheminer cette réflexion collégiale. Puissent-ils trouver

14
ici l’expression de ma gratitude et recevoir les félicitations appuyées qui
leur sont dues. Leur abnégation et leurs compétences sont une force
pour le Mali et pour le monde.

Laurence MARIANNE-MELGARD

15
PREMIÈRE PARTIE

RITES ET TRADITIONS
DE SOCIALISATION AU MARIAGE

17
Chapitre 1

Éduquer au mariage hier à aujourd’hui


en milieu khassonké : constances et ruptures dans les
discours des initiatrices des jeunes couples

Moriké DEMBÉLÉ,
Enseignant-Chercheur, sciences de l’éducation
Université des lettres et Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
morikdembele@yahoo.fr

Mahamady SIDIBÉ,
Enseignant-Chercheur, Littérature comparée
Université des Lettres et Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)

Résumé
Le présent article examine l’éducation traditionnelle des jeunes couples
au mariage en milieu khassonké dans la région administrative de Kayes
(Mali) dans la perspective de mieux comprendre ses enjeux, ses
méthodes et ses mutations. À cet effet, nous avons recueilli auprès de six
initiatrices de jeunes couples au mariage, appartenant à deux générations
différentes. L’analyse des informations a montré que l’initiation au
mariage reste une tradition fortement ancrée. Elle résiste à la disparition
et s’adapte à l’évolution de la société en renouvelant les contenus de
manière à les faire correspondre aux besoins sociaux des jeunes couples à
l’évolution du monde. Les jeunes initiatrices, de mères en filles, traitent à
la fois les sujets de leurs devanciers mais également ceux qu’elles
estiment pertinents pour la consolidation du mariage. À l’analyse, le
mariage est un acte éminemment social en milieu khassonké. La société
exercice un contrôle social de conformité sur les jeunes couples par le
biais de la socialisation au mariage. Les initiatrices utilisent des méthodes
pédagogiques démonstratives et participatives. Si cette pratique séculaire
d’éducation sociale des jeunes couples au mariage continue dans nombre
de milieux encore, c’est qu’elle joue un rôle socialement utile.
Mots clés : Mariage, Éducation, Jeunes couples, Traditions
Abstract
This paper looks into the traditionanl education of young couples to
marriage among the Khassonké in the administrative region of Kayes,

19
Mali, in order to better understand the stakes, the methods, and the
changes involved. To reach this objective, we collected information from
six women initiators of young couples, belonging to two different
generations, to marriage. The analysis of data showed that initiation to
marriage is a firmly rooted tradition. It stands to the test of time and has
settled down in the evolving society by renewing contents so as they can
meet the social needs of the young couples in a changing world. The
young initiators, from mothers to daughters, not only deal with those
topics their predecessors dealt with, but they also deal with new topics
they consider relevant for the consolidation of marriage. All things
considered, marriage is an eminently social act among the Khassonké.
The society exercises a social conformity control on young couples,
through socialization to marriage. The initaiators resort to demonstartive
and participatory pedagogical methods. The fact that this age-old social
education practice still continues in a number of backgrounds tells about
the useful social role it plays.
Keywords: Marriage, Education, Young couples, Traditions

20
Introduction

En se référant à E. Durkheim (1922) dans Éducation et Sociologie,


l’éducation est l’action exercée sur les jeunes générations afin de les
rendre aptes à la vie sociale. Elle vise à harmoniser les comportements
des individus à les rendre conformes aux normes établies. Dans cette
perspective, l’éducation ou la socialisation des jeunes au mariage est un
processus par lequel la société contrôle et influence les générations
montantes. C’est un processus d’apprentissage du vivre-ensemble au sein
des couples. La socialisation des jeunes au mariage se fonde sur les
rapports sociaux de sexe et influence les jeunes sur la façon dont ils
doivent développer des relations sociales et interpersonnelles au sein des
couples.
Les sociétés traditionnelles maliennes n’ont pas toujours formalisé un
système d’apprentissage scolaire structuré des attitudes et
comportements pour perpétuer les traditions et coutumes jugées
nécessaires au maintien de la cohésion sociale. Toutefois, faute de formes
scolaires instituées, les populations ont forgé un ensemble d’institutions
destinées à l’apprentissage des codes, des traditions et coutumes pour
consolider le vivre-ensemble à l’échelle des communautés par le biais de
l’oralité (A. S. Mungala, 1982). L’éducation au mariage est centrale dans
les dispositifs institutionnels traditionnels de socialisation populaire.
C’est un long processus de préparation à la vie conjugale, qui se déroule
tout au long de la socialisation de la fille, de la période de l’enfance, de
l’adolescence et de la jeunesse. À cette étape, un ensemble
d’enseignements et d’orientations est prodigué aux filles par les
personnes âgées et à travers les contes, les récits et les rites initiatiques.
Elles apprennent ainsi des « savoir-faire indispensables pour leur rôle d’épouses
qu’elles vont jouer dans le mariage quand elles seront adultes, les femmes adultes leur
montrent la façon de se comporter dans la société » (Unesco, 1993, p. 4).
L’éducation traditionnelle se déploie dans les rites et traditions
d’initiation qui jalonnent la vie des individus et marquent les grandes
étapes du passage d’un statut à un autre (A. S. Mungala, 1982 ; E. Traoré
et G. Fabre, 2014). L’éducation traditionnelle de la fille était
communautaire et préparait à la vie sociale. Elle répondait à une manière
spécifique d’éduquer et d’encadrer les filles afin qu’elles accèdent au
statut d’adultes selon les normes socialement établies (L. Ndiaye, 2004).
Deux étapes essentielles marquent l’initiation des filles : la phase de

21
l’excision et la phase du mariage. Les rites et traditions dévolus à ces
initiations successives sont nombreux ; ils visent à la fois à renforcer et à
accompagner la maturation physique et psychologique des filles mais
également à les « affranchir » progressivement de l’état de l’innocence.
Beaucoup de chercheurs ont décrit et analysé ces rites et traditions
associés aux initiations des jeunes filles en milieu africain (B. Bini, 2016 ;
E. Traoré et G. Fabre, 2014 ; M. Padonou, 2007 ; A. Moumouni, 1964).
Beaucoup d’entre eux reconnaissent les valeurs éducatives des initiations
au cours desquelles les jeunes filles reçoivent des enseignements liés aux
règles et principes qui régissent la vie en société (E. Traoré et G. Fabre,
2014 ; A. S. Mungala, 1982). Les jeunes filles étaient initiées à l’endurance
et à l’abstinence, à la rigueur morale, à la discipline individuelle, au
langage codé et à la discrétion (A. S. Mungala, 1982).
Quant aux initiations au mariage, les rites et traditions perpétuent la
transmission d’un savoir sur lequel se fonde toute la société et sont
considérés comme le dernier chaînon du processus de socialisation
entamé depuis la naissance (Wildaf-Mali, 2017).
Dans les traditions et coutumes séculaires en milieu khassonké, le
mariage constitue un enjeu d’une grande importance. Toute la société y
consent un énorme sacrifice pour sa préparation et ainsi que pour sa
réussite. Beaucoup de rites et traditions témoignent de cet engagement
collectif vers l’idéal d’un mariage réussi. L’institutionnalisation de
l’initiatrice 1 au mariage est une très vieille tradition qui participe à la
réalisation de cet idéal. Face aux mutations importantes dans tous les
secteurs de la vie, on peut légitimement questionner cette institution
d’éducation au mariage : quels sont les éléments de contenu de cette
éducation socioculturelle ? Comment cette tradition est-elle encore
accueillie de nos jours ? Quelles sont les transformations dont elle fait
l’objet ? Et pourquoi ? Dans cet article, l’intérêt porte sur les
permanences et les mutations que connaît cette pratique initiatique,
notamment à propos des contenus socioéducatifs.
1. Milieu d’étude et protocole méthodologique
Afin de mieux cerner l’importance de la socialisation au mariage, une
succincte présentation préalable de l’aire culturelle khasso est apparue
nécessaire. Elle décrit l’espace socioculturel et essaie de dégager une
cohérence systémique globale qui insère les rites et traditions du mariage

1 L’initiatrice au mariage est appelée en khassonké : magniomaka.

22
dans l’histoire du Khasso. Aussi, ce clin d’œil permet d’appréhender
combien sont importantes les traditions de socialisation au mariage en
milieu khassonké. Elles sont totalement incorporées à la culture et à
l’histoire du monde khasso.
1.1. Clin d’œil sur le mariage en milieu khassonké
Une communauté se compose de familles. La famille est une institution
sociale. Elle peut être nucléaire – mari-épouse et enfants – ou élargie –
couple mari-épouse(s), enfants, grands-parents, etc. En milieu khassonké,
c'est par le mariage que se constitue une famille. Cet acte donne lieu à des
cérémonies obéissant à un protocole de rites et des traditions.
La société khassonké occupe un espace divisé en « Pays » ou « Jamana » :
Dembaya, Guimbaya, Almameya, Safereya, Fansané, Diakitéla, Sidibéla,
Ouridiadieya, Diyalla, Logo, Tomora, Khontéla, Gorigopéla, Nyatiaga. Ces
espaces du Khasso originel sont en contact avec d’autres ethnies comme
les Soninkés et les Malinkés. Les classes ou castes sont les Horons, les
Jons, les Jelis, les Numus, les Garankés, les Finas. Cette société est
organisée en classes d’âge ou « Fulan tons ». Il y a des hommes mariés et
des célibataires, des filles et garçons, des jeunes hommes et des jeunes
filles. Il y a des bâtards ou bannis de la bonne société, des filles ou femmes
prostituées clandestines ou reconnues comme telles par le groupe.
Dans la société, il y’a des tabous linguistiques, alimentaires, vestimentaires ;
des jours interdits pour voyager, se laver, se coiffer, semer, débuter les
travaux des champs ; des interdits liés aux relations avec les animaux
domestiques ou non domestiques. En somme, c'est une société à
croyances multiples. Les relations de mariage s’analysent à partir de
quelques thématiques choisies en fonction des représentations ou
imaginaires socioculturels : la philosophie du bonheur, les relations
interpersonnelles ou interculturelles, l’éducation à la paix sociale et au
travail. Le travail et la culture sont en relation de pouvoir. En effet, dans la
société khassonké, la culture pousse les individus à se surpasser.
Ainsi, lors du mariage, les griottes et les cantatrices esclaves énumèrent les
noms des héros dans le domaine de la chasse, de l’agriculture et de
l’élevage. Ce « Kutumbe » chanté et dansé est une culture qui forge de
l’héroïsme chez la jeunesse : l’émigration reste alors la voie d’accès à la
célébrité puisque l'argent nécessaire au mariage se gagne à la sueur du front
en Europe, en Amérique ou au Gabon et en Libye. Les chants de
mariage ont donc partie liée avec la recherche de nouvelles valeurs, la

23
reproduction de modèles anciens qui se sont distingués dans l’histoire
locale. Le « Janjon », les chants de louange et les récits épiques de
personnages décédés, force admiration et exhorte les jeunes restés au
village à aller en aventures. Les maîtres de la parole, au cours des
cérémonies de mariage, cherchent à éduquer par des discours sur la
généalogie, sur les faits et gestes socioéducatifs des anciens du village ou
des villages voisins. Ils illustrent par des exemples les bienfaits de la
solidarité et de la fraternité ; ils condamnent la méchanceté – le
« fadennya » et exaltent le « badennya » ou « badinyumaya ». Toutes ces
leçons de vie en harmonie sont dispensées à l’assistance en vue de
cultiver la paix sociale. Les mariages sont surtout des occasions où l'on
pourrait se rendre compte de l’exercice d’une diplomatie agissante en
milieu khassonké. Chaque famille alliée apporte sa contribution en nature
ou en argent et charge un homme de caste détenteur de la parole de la
présenter de façon audible et notable. Tous ces discours sont
accompagnés de chants et de paroles mielleuses en retour afin
d’exprimer à l’alliée que son message a été bien compris et bien accueilli.
Espace multiethnique, le Khasso originel comporte des familles de frères
peuhls DIALLO, DIAKITÉ, SIDIBÉ et SANGARÉ. Ceux-ci se sont
métissés biologiquement et culturellement grâce au mariage avec des
Soninkés, des Malinkés et des Maures. Ces brassages ont rendu difficile
une ethoscience particularisante, posant du coup la question des identités
plurielles. Sans avoir l’ambition d’étudier en profondeur ces questions
identitaires, notre contribution se limite à les soulever, à décrire quelques
étapes et relations de mariage entre familles, classes sociales et castes. Il
s'agit donc de donner à lire le milieu khassonké à travers sa culture du
mariage, et d’apprécier son apport à la culture malienne dans sa diversité.
Les quatre frères Jalori, Baleri, Soleri et Braleri, appelés DIALLO,
DIAKITÉ, SIDIBÉ et SANGARÉ (DIALLO, BA, SOW, BARRI) sont
les grands-parents des fondateurs du Khasso suite à la bataille de
Toumbifara près de Bafoulabé. Cette bataille a opposé Khassonkés –
appellation dénotative signifiant « Porteurs de Khassa » – et Malinkés.
La victoire des bergers sur les autochtones a permis aux migrants
d’obtenir un espace qu’ils ont appelé « Khasso ». Cette version orale de
l’histoire locale mérite d’être connue, car de ce choc premier découlent
des rites et traditions de mariage en ce milieu. Ainsi chez les Khassonkés,
le candidat au mariage doit voyager : voyage-aventure, mais aussi voyage-
découverte puisqu’il s'agit d’être observateur lucide pour rendre compte

24
des faits et gestes perçus. Après l’initiation au Mamatoumani, le jeune
homme est envoyé en voyage à la recherche de l’âme sœur. Il se rend dans
des villages voisins du sien ou dans des familles de son village
sélectionnées suivant des critères tels que le capital moral, le capital social,
le capital économique, le capital politique et sans oublier des critères
fondés sur la doxa ou croyances partagées : le bonheur, la richesse, la
longévité, la santé physique et mentale.
Lorsque le candidat pénètre l’espace où il cherche avec l’intention de
trouver, il doit se rappeler les réponses possibles aux questions suivantes :
– La fille est-elle en famille ?
– La fille dort-elle ?
– La fille lave-t-elle ?
– La fille pile-t-elle ?
– La fille cuisine-t-elle ?
– Comment marche-t-elle ?
– Comment donne-t-elle de l’eau à l’étranger ?
Après avoir choisi une fille suivant des critères socio-anthropologiques
déterminés par des connaisseurs, la famille de la fille s’organise. On
délègue un des frères cadets pour la direction des futures opérations.
Souvent un duel s’engage entre frères si l’événement occasionne une
concurrence entre plusieurs prétendants à la main de la fille.
Sa main accordée à l'un deux, on amène la dot : de sept à quatre bœufs
selon sa valeur : vierge ou non, belle ou non, horon, esclave, forgeron,
griotte, cordonnière.
Puis c’est l’étape des préparatifs des cérémonies de mariage religieux ou
civil. Surtout le mariage civil au cours duquel les futurs époux doivent se
dire « oui, je l’aime », sans pression ni contrainte. Cette cérémonie est une
nouveauté des « Soleils des indépendances » avec l’intrusion de l'argent qui
créera de nouvelles valeurs.
La cérémonie de rentrée de la mariée chez son époux sera la plus riche en
chants et danses avec des rites multiples.
1.2. Protocole méthodologique
Le protocole méthodologique détaille le choix des six initiatrices
informatrices, puis la manière dont les entretiens ont été conduits ainsi que
les procédures d’analyse adoptées.

25
1.2.1. Le choix des six initiatrices et la collecte des informations
Afin de cerner avec plus de justesse les rôles et responsabilités de
l’initiatrice au mariage en milieu khassonké, nous avons privilégié une
approche anthropologique directe. Elle a consisté à la rencontre, après
prise de connaissance de la réputation, de personnes qui ont exercé le
métier d’initiatrice au mariage pendant de très longues années et qui le
détiennent de leurs parents. Les initiatrices au mariage ont été choisies en
suivant deux critères. Le premier critère est celui de l’expérience. Celle-ci
se traduit par la transmission intergénérationnelle du métier. On ne
s’improvise pas initiatrice au mariage, on l’apprend à travers sa lignée, de
mère à fille et de génération en génération. Donc toutes les initiatrices ont
été sélectionnées en relation avec cette règle d’appartenance. Le second
critère a intégré la notion de génération. Comme c’est une affaire de
famille et de transmission par primogéniture, deux générations ont pu être
constituées : la génération des grands-parents et celle des petites-filles.
Ainsi, trois couples ont été composés, comprenant chacun une grand-
mère et une petite-fille, appartenant à la même famille. Rencontrée
séparément, chaque initiatrice a parlé de l’héritage reçu et de sa propre
expérience personnelle en matière d’initiation des jeunes couples. Ce
critère de « chronolisation » a l’avantage de permettre d’observer les
évolutions et les permanences dans la fonction d’initiatrice au mariage.
Les personnes identifiées ont été rencontrées pour des entretiens
enregistrés sur dictaphone selon un mode conversationnel de type
interpersonnel. Tous les six entretiens ont été transcrits intégralement en
vue d’en extraire les informations signifiantes.
1.2.2. Analyse des informations
Les informations collectées auprès de ces deux groupes de personnes ont
été traitées par les principes de base de l’analyse thématique de contenu.
Les informations des initiatrices ont été analysées selon l’expérience, puis
mises en commun pour dégager les thèmes essentiels ainsi que les
méthodes et types d’animation pédagogiques utilisés. De la même manière,
les informations recueillies auprès des couples bénéficiaires ont été, à leur
tour, décomposées et analysées dans la perspective de mettre en valeur les
avantages qu’ils associent aux rites et traditions de l’initiation des jeunes
couples au mariage.
2. Organisation pédagogique de l’initiation au mariage
L’initiation au mariage se fait selon un protocole pédagogique normé
selon la combinaison de plusieurs paramètres : le moment, la durée, la

26
nature du sujet, la participation, l’approche pédagogique. L’initiation au
mariage dure toute la semaine nuptiale du jeudi au vendredi. Mais le
travail socioéducatif réel de l’initiatrice commence le lundi qui suit le
début du mariage, étant donné que, pendant le mariage, l’initiatrice reste
très discrète : elle surveille la nouvelle mariée et l’accompagne, voire la
protège contre les mauvais esprits. Plus concrètement l’initiation dure
cinq jours : lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi. Elle se réalise à
travers de courtes séquences selon deux modalités : les séances groupées
et les séances individuelles.
2.1. Les séances de causerie didactique groupées
Les séances groupées sont généralement de courtes durées (10 minutes
environ), elles se font à deux moments de la journée :
¾ le petit matin, immédiatement après le bain matinal du mari et de
l’épouse, servi délicatement par l’initiatrice selon un protocole rituel.
Généralement, assis l’un à côté de l’autre, l’initiatrice, après les
salutations matinales d’usage, anime une séance de moralisation
portant sur les sujets très variés, notamment sur l’écoute dans le
couple, le soutien mutuel et le pardon mutuel.
Les recettes d’une bonne entente dans le couple résident dans la patience et la
magnanimité. Ce sont des valeurs sûres pour des personnes qui sont appelées
à vivre ensemble pour toute la vie. Il faut savoir pardonner à son conjoint et
inversement. Et quand un malheur tape à votre porte un jour, il faut rester
uni pour s’en sortir. […] méfiez-vous des gens qui vous mettent dos à dos.
Ne les écoutez pas, ils sont aujourd’hui nombreux dans nos familles et nos
villages ; ils travaillent à détruire des foyers par leur langue, leurs médisances.
¾ la nuit, le second moment privilégié des causeries groupées avec
mari et épouse se fait le soir avant la retraite de l’initiatrice de la
chambre nuptiale. Même si le rituel est similaire aux séances
matinales, les propos sont souvent orientés vers la gestion des
relations interpersonnelles entre mari et épouse pendant la nuit.
Désormais vous êtes mariés, vous ne faites qu’une seule personne pour toute
la vie. Cela requiert toujours des sacrifices l’un pour l’autre, et surtout
beaucoup d’amour. Chaque nuit est faite pour échanger entre vous sur vos
préoccupations, sur vos attentes. Construire un bon couple, c’est se parler
toujours. N’hésitez pas à discuter de tout pour avoir une compréhension
partagée des choses. Il y a toujours des épreuves à surmonter dans un couple, et
parler entre vous peut tout régler. Il y a aussi des gens à côté qui peuvent vous

27
aider à dépasser les moments de frustration et de mécontentement… toi (la
femme) à ton tuteur désigné, tu peux tout lui dire avant tout le monde. C’est
une bonne personne, elle a des liens très étroits avec ta famille, elle ne va jamais
te conseiller de mauvaises choses. Allez vers elle pour t’aider, toi aussi (le mari)
tu connais bien la même personne, tu peux aussi parler à propos des différends
qui vous opposeraient.
En général, avant de quitter le couple le soir, l’initiatrice tient de tels
conseils au couple afin de l’encourager à se parler pour se comprendre.
Dans la stricte tradition, le mari et l’épouse ne se connaissent pas
auparavant ; parfois, ils ne se sont pas rencontrés même une fois. Les
premiers moments de contact peuvent être soumis à des formes
d’hésitation et de questionnement. Ces discours sont sensés alors dissiper
la peur de l’autre et à favoriser l’ouverture.
La dernière séance groupée est la bénédiction, elle a lieu très tôt le matin
du vendredi, dernier jour de la semaine nuptiale. Elle se fait selon un
protocole rituel spécifiquement liturgique au cours duquel l’initiatrice
formule des prières de santé, de longévité pour le couple. De plus en plus,
les initiatrices de jeunes générations associent un marabout ou un imam à
cette séance de bénédiction pour le couple. Ainsi, à côté des rites et mœurs
purement endogènes dont elles sont les principales détentrices, se greffent
des traditions islamiques développées par l’imam ou un marabout. Ces
deux traditions sont ainsi mises en harmonie, ce qui n’est pas présent dans
les discours des générations des grands-parents. En plus de ces séances
groupées, l’initiatrice organise des rencontres individuelles séparées. Celles-
ci aussi s’opèrent selon un protocole pédagogique qui assure son efficacité.
2.2. Les séances de causerie didactique séparées

2.2.1. Les constances thématiques


Les causeries individuelles avec la nouvelle mariée sont généralement
tenues le jour entre 10 heures et 14 heures. De manière appropriée,
l’initiatrice s’entretient avec la jeune mariée dans la chambre nuptiale en
l’absence du mari, souvent éloigné et occupé par les amis qui lui rendent
visite pour la circonstance. Deux thèmes apparaissent dans les discours des
initiatrices : l’éducation sexuelle et la socialisation domestique.
L’éducation sexuelle du jeune couple
L’éducation sexuelle est essentielle dans l’initiation au mariage des jeunes
couples. Elle concerne prioritairement la nouvelle mariée qui doit être

28
introduite dans les alliances matrimoniales avec prudence et méthodes.
Ses responsabilités s’accroissent, et elle entame une vie sexuelle
socialement reconnue et valorisée.
À propos de l’éducation sexuelle de la jeune mariée, les initiatrices
des jeunes couples utilisent de courts récits très vivants pour illustrer des
comportements sexuels à éviter et/ou à encourager. Par exemple :
Une nuit, une jeune femme découvre que son époux a perdu toute sa virilité,
elle panique et raconte dans les détails à sa copine du village lors de leur
première rencontre le matin du jour suivant et la nouvelle se répand dans tout
le village. Par personne interposée, la nouvelle arrive au mari quelques jours
plus tard, celui-ci, furieux, attend impatiemment la nuit pour en parler avec
son épouse alors que déjà sa virilité était déjà rétablie…
À propos du sexe et d’autres intimités, les initiatrices préparent les jeunes
mariées à garder certaines informations et à ne pas les diffuser au plus
vite dans leur entourage. Pour diverses raisons, les hommes peuvent
connaître des pannes sexuelles temporaires moins scandaleuses et la
virilité est parfois vite rétablie. Ces pannes sexuelles sont causées dans les
représentations sociales par les opposants au mariage, plus
particulièrement la coépouse. Face à de telles situations, il est demandé à
la femme de se montrer compréhensive et de banaliser l’incident aux
yeux du mari, de l’encourager à surmonter la difficulté. Qu’elles soient
données sous forme de récit, ou en simples conseils, les questions
sexuelles sont d’une importance capitale dans l’éducation du jeune
couple. Le rôle de l’initiatrice est de préparer subtilement les jeunes
couples à faire face aux exigences et contraintes de la vie sexuelle dans le
mariage.
Dans la même perspective, bien d’autres conseils à caractère sexuel sont
prodigués, notamment les attitudes à adopter lors de la survenue du cycle
menstruel. Il est demandé aux femmes pendant leur cycle menstruel
d’adopter des comportements qui informent de façon implicite leurs
partenaires de leur indisponibilité. Les initiatrices conseillent aux jeunes
femmes nouvellement mariées de changer d’accoutrement au coucher,
ou de changer de place ou de position au lit. En effet, lorsque la femme
change son accoutrement habituel, elle informe par ce fait son époux de
son indisponibilité. Elle peut, si elle le souhaite, changer de place, par
exemple quitter le lit et se coucher à même le sol ou encore faire dos au

29
lit à son époux. Ces différents comportements sont facilement
interprétés comme des indices d’indisponibilité.
L’éducation sexuelle concerne également la préparation des produits qui
aiguisent l’appétit sexuel non seulement chez la femme mais également
chez l’homme. Beaucoup de plantes et les techniques de cuisson sont
prodiguées. Pour la femme, la bouillie de petit mil est conseillée le soir
comme alimentation de base. L’encens et quelques produits dérivés sont
indiqués pour embaumer la chambre et encourager l’activité sexuelle. Les
questions de propriété et d’hygiène sont également des sujets au
programme de l’éducation sexuelle. Les techniques de soin et d’hygiène
font l’objet de socialisation de la jeune mariée, et les alertes d’absence de
soins et d’hygiène sont citées :
Ma fille, on va parler aujourd’hui de propreté, la propriété pour une femme
est essentielle, elle détermine tes relations avec ton mari. Une femme belle et
coquette, sale et malpropre repousse l’homme, alors qu’une femme vilaine et
laide, mais propre et soignée, l’attire toujours, prends soin toujours de toi-
même. Évite les odeurs nauséabondes dans la chambre, telles que celles
provenant des urines des enfants, telles que celles provenant des rapports
sexuels et autres. Tu sais, ma fille, ces odeurs ont tendance à décourager les
hommes, même s’ils n’en parlent pas par pudeur. Sois attentive à la propreté
et à l’hygiène, surtout à l’intérieur.
L’hygiène et la propreté sont socialement valorisées dans ces discours
dont la tonalité emprunte volontiers à l’humour mais également à la
sagesse contenue dans les tournures proverbiales. Ce discours témoigne
également de l’amour, exhorte à la douceur à travers l’emploi successif de
l’impératif afin d’assurer le maximum d’efficacité auprès de l’interlocutrice.
Parfois, des conseils et des produits à caractère aphrodisiaque :
Il faut bien garder à l’esprit que les hommes sont comme des lions, leur
puissance est sans limite, mais des techniques simples les transforment en
agneau et en béni-oui-oui. Prends ce produit, quand tu sens que ton mari
commence à faire des découvertes et des aventures, mets cela dans son plat bien
préparé afin que son odeur se dilue soigneusement dans les épices assaisonnés. Il
va te revenir, on ne règle pas les problèmes d’infidélité par la dispute mais bien
plutôt par la subtilité féminine, c’est une arme fatale face à laquelle aucun
homme ne résiste !!! (Rire).
Les techniques de communication empruntent aux mêmes registres qui
articulent la fabulation, la mystification et les illustrations pratiques

30
vivantes pour assurer une certaine efficacité pédagogique aux messages
véhiculés. Les mots, les expressions sont choisis parfois en raison de leur
force persuasive sur l’interlocuteur, comme dans ce témoignage
émouvant :
Ma mère m’a dit de transmettre toujours ce message de la manière la plus claire
qui soit à la nouvelle mariée dont j’ai la charge de conduire l’entrée dans le
couple. La vie dans le couple est bien différente de celle des amourettes des
enfants. On n’entre pas pour en sortir, on entre pour y rester, pour y demeurer.
C’est bien pourquoi, ne parle jamais de ta coépouse à ton mari, le jour où il est
avec toi, tu le fais penser à elle alors qu’il doit l’oublier à tes côtés. Fais donc
toujours l’effort de nier ta coépouse pendant que tu es avec ton mari seuls au lit.
Parler de tout, sauf d’elle.
On sait que les initiatrices sont de mères à filles dans la tradition
khassonké, mais le rappeler constamment en ces circonstances rassure les
partenaires et accrédite le message. Éduquer à la polygamie fait partie des
tâches pédagogiques de l’initiatrice, elle s’y prend différemment mais
toujours avec la même intention d’influencer les idées, les attitudes et les
comportements.
À propos de l’éducation sexuelle du jeune mari, les initiatrices au mariage utilisent
peu de temps en général pour aider le mari à entrer dans le couple. Deux
moments sont privilégiés pour des conseils de courte durée. Le moment
où l’initiatrice prend congé du couple le soir, elle peut inviter le mari à
l’accompagner de quelques mètres de la chambre nuptiale afin de lui
prodiguer quelques sages conseils sur la manière de conduire notamment
les activités sexuelles :
Tu sais bien que ta femme est très jeune et d’ailleurs comme toi, garde-toi
d’habituer ta femme à des rapports sexuels trop rapprochés, cela peut
conduire à des suspicions, voire des infidélités quand les espacements arrivent
quelles que soient les raisons. Tu peux être malade, tu peux voyager souvent,
tu peux aussi épouser une autre femme. Il n’est pas prudent pour un jeune
homme de solliciter des rapports sexuels autant qu’il peut physiquement, il
faut de la mesure pour même ta santé […] souvent les hommes tombent
malades à cause de la fréquence de leurs rapports sexuels, leur corps de jeune
homme en demande plus qu’il ne puisse supporter.
De tels propos se retrouvent plutôt chez les initiatrices plus âgées,
rarement dans le discours des jeunes initiatrices. Elles s’intéressent plus à
l’éducation de la nouvelle mariée, et le mari semble être négligé dans

31
leurs discours. Les vieilles initiatrices ont plus d’expériences que leurs
petites filles en matière d’éducation au mariage. Même si elles ont
transmis une partie importante de leur stock de connaissances, il est bien
possible que certaines recettes ne soient pas encore transmises.
L’éducation aux valeurs sociales domestiques et aux relations
sociales
La socialisation domestique englobe deux composantes essentielles. La
tenue quotidienne du foyer et la gestion des relations sociales. En ce qui
concerne la tenue du foyer, le rôle complémentaire de l’homme et de la
femme est mis en valeur. Les initiatrices insistent souvent auprès de la
nouvelle femme sur les soins apportés à la préparation des repas et de
veiller à bien nourrir le mari.
Un homme, c’est deux choses : le nourrir et lui dire de douces paroles. Si tu
t’occupes bien du manger de l’homme, tu l’auras à moitié, si tu le nourris
bien, tu auras la seconde moitié. L’homme est différent de la femme, quand il
a faim, il peut adopter des attitudes féroces à ton égard, les femmes
dissimulent la faim, mais l’homme, très peu. N’oublie jamais que l’homme se
nourrit aussi de bonnes paroles qui élèvent son estime de soi. Tu ne dois pas
manquer de lui témoigner reconnaissance à chaque fois que cela est possible,
ainsi ton étoile brillera pendant longtemps. Tu me donneras raison si tu fais
comme je te prodigue.
Le rôle domestique de la femme concerne aussi la gestion des relations
sociales dans la famille. En milieu khassonké, la famille réunit plusieurs
personnes et différentes générations : les enfants, les parents et les
grands-parents. De plus, le système polygamique densifie et complexifie
les relations interpersonnelles au sein des familles. Les relations sociales y
apparaissent très denses et exigent une initiation prudente aux systèmes
de valeurs et à leurs implications sous-jacentes. La nouvelle mariée est
ainsi renseignée sur les personnes de la famille d’accueil et sur leur
susceptibilité. On insiste sur la position du mari dans les réseaux
densifiés de relations sociales et les conduites à tenir convenablement
pour éviter de heurter les sensibilités.
Quelques recettes encore ce soir, par la grâce de Dieu. Les Khassonkés
tiennent à des valeurs qui constituent le fondement de leur existence. Parmi
ces valeurs, il y a le respect des beaux parents, notamment de la belle-mère, la
mère de ton mari. C’est la personne la plus importante à qui tu dois respect
et obéissance en toutes circonstances, ne la néglige jamais, supporte-la, comme

32
ta propre mère, c’est bien ce qui va te permettre de te distinguer des autres
épouses de la famille. […] occupe-toi de tous les parents de ton mari. Tous
les frères de ton mari sont également tes maris, ne fais pas de différences entre
eux. Et fais attention à ce que tu dis en public, devant tes beaux-parents,
parle moins et ne ris pas aux éclats.
Les relations sociales sont déterminantes dans l’intégration sociale de la
nouvelle mariée au sein des grands ensembles familiaux. En plus des
recettes ci-dessus mentionnées existent des personnes-ressources auprès
desquelles la nouvelle mariée pourrait davantage s’informer et se confier
pour renforcer sa capacité d’action dans la famille.
À l’analyse, l’éducation aux valeurs sociales et domestiques situe l’union
conjugale au-delà d’un accord entre femme et époux. Elle définit pour
chacun de façon symbolique ou matérielle son statut aussi bien dans le
couple qui se constitue mais également dans les familles et le groupe
social qui les accueillent.
Les causeries groupées ou communes entre mari, épouse et initiatrices
sont rares dans le répertoire des personnes rencontrées. Toutefois, on en
retrouve quelques aspects dans les récits. Ces échanges ont lieu le plus
souvent à la fin de la semaine nuptiale. Elles apparaissent comme des
formes de conclusion aux entretiens individuels tenus tout au long de la
semaine.
Les jeunes initiatrices des jeunes couples développent deux types de
discours totalement absents chez leurs devanciers : les référentiels
religieux musulmans, la gestion du téléphone portable, l’absence
prolongée du mari.
2.2.2. Les ruptures thématiques
Autant il y a des thématiques constantes dans l’éducation au mariage,
autant cette forme d’éducation populaire connaît des évolutions
thématiques importantes. Les entretiens avec les jeunes initiatrices, bien
qu’elles déclarent être redevables de leurs prédécesseurs, ont révélé des
thèmes de causeries qui n’existaient presque pas dans leur répertoire.
Trois sujets ont retenu particulièrement l’attention : la gestion de
l’absence prolongée du mari, la question du téléphone portable et les
référentiels religieux musulmans.
La gestion de l’absence prolongée du mari
La région de Kayes est une zone d’immigration. Traditionnellement, si

33
les hommes ont imigré, les conditions d’immigration, de séjour et de
retour ont changé. De plus en plus, les départs interviennent plus tôt et
les séjours durent plus longtemps, la gestion de ces absences prolongées
est source de difficultés pour nombreuses jeunes femmes nouvellement
mariées. Les initiatrices de la nouvelle génération en font l’objet de leurs
causeries avec les nouvelles mariées. On retrouve dans leurs discours les
valeurs cardinales de l’abstinence, sur lesquelles elles insistent, mais
également les techniques de planification traditionnelle, qui protègent
contre les conceptions non voulues, sont également préconisées.
Notre milieu est gâté. Et les gens sont prêts à créer le désordre dans ton foyer
surtout lorsque ton mari a voyagé et, depuis longtemps, ils sont prêts à tout
pour te tromper et te faire accepter ce que l’honneur et la dignité de la femme
refusent : tromper son mari à son absence, si quelque chose t’arrive ainsi, c’est
la honte pour ta famille ainsi que pour la famille de ton mari. Il faut éviter
cela à tout prix. À défaut, nous sommes toutes des femmes, prends des
précautions pour t’éviter la honte et celle de tes parents. N’hésite pas à
approcher les vieilles femmes du village, fais-en une de tes confidentes, et tu
seras sauvée, et tu ne connaitras pas cette honte.
Les hommes voyagent en milieu khassonké comme bien indiqué dans la
première partie de cette contribution. Toute l’histoire socioculturelle du
Khasso magnifie la migration temporaire des hommes. Si ce thème n’a
pas été suffisamment valorisé dans le passé, ces migrations étaient
vraisemblablement de courte durée, saisonnière. Or, de nos jours, cette
migration est internationale et dure plus longtemps que par le passé.
Les référentiels religieux musulmans
Comme l’ont mis en avant plusieurs études antérieures, la religion
musulmane connaît des formes de développement et de popularisation
en Afrique (M. Dembélé et A. Diabaté, 2018 ; F. S. N’Daw, 2010). Des
initiatrices témoignent de l’influence de la religion sur les pratiques
d’initiation des jeunes couples au mariage.
La présence des chants religieux dans la chambre nuptiale est de plus en plus
appréciée dans notre société et nous cherchons à satisfaire cette demande. Moi,
je ne suis pas initiée à la lecture du coran, et je n’y comprends rien d’ailleurs,
mais j’ai des cassettes de chants musulmans que je fais écouter, que nous
écoutons toute la journée. Ça c’est la mode. Cela n’empêche pas notre
sensibilisation, notre éducation traditionnelle. Je trouve toujours le moment
pour échanger avec la nouvelle mariée et elle m’écoute, c’est bien cela

34
l’essentiel. Il y a des choses qui changent, il y a des choses qui ne changent.
C’est toujours comme ça. Quand j’accompagnais ma maman il y a de cela des
années, la chambre nuptiale était quelque peu sacrée. On y apporte beaucoup
de choses que les gens n’aiment plus à cause de la religion, les marabouts,
prêcheurs, ils disent : « ça c’est pas bon, ne faites pas ça » et les gens les
écoutent. Cela a beaucoup changé la pratique de l’initiation.
Les référentiels religieux musulmans bousculent beaucoup de rites et
traditions du mariage. Certaines formes d’initiation sont ainsi
abandonnées, parce que jugées incompatibles avec les prescriptions
musulmanes. L’office final de bénédiction de l’initiatrice au mariage est
souvent dirigé par un religieux qui récite longuement les sourates du
Saint Coran implorant Dieu à assister les jeunes couples.
La gestion du téléphone mobile
L’éducation des jeunes couples au mariage n’est pas une action figée. Elle
s’adapte à l’évolution du monde et aux contraintes multiformes qui s’y
manifestent. L’apparition récente du téléphone portable a bouleversé les
relations habituelles au sein des unions conjugales au point de devenir un
enjeu non négligeable de perturbation des couples. Les jeunes initiatrices
en font l’objet de leur causerie :
De nos jours, ma fille, beaucoup de couples sont disloqués à cause du
téléphone portable. Cet outil est devenu très dangereux dans notre société, il
faut l’utiliser avec prudence et précaution. Il y a beaucoup de gens
malveillants qui cherchent à perturber des foyers tranquilles, des catalyseurs,
ils sont partout, des fois dans ton entourage plus proche, parfois loin de toi,
ils se servent du téléphone pour ébranler les assises de l’entente entre les
couples. Méfie-toi donc de « ils ont dit au téléphone ». Dans ce cas, les
hommes ont toujours un privilège sur nous les femmes, si tu peux, ne regarde
pas le téléphone de ton mari, n’écoute pas ce qu’il dit, qui il appelle et ainsi
tu vas être heureuse […].
Beaucoup de jeunes couples se mettent en conflit à cause des appels
qu’ils reçoivent ou qu’ils émettent. Les jeunes initiatrices parlent du
téléphone portable au cours de leur initiation du jeune couple au mariage
afin de le préparer au mieux aux responsabilités qu’il impose au mari et à
l’épouse. Les jeunes initiatrices ne reproduisent pas seulement les
discours appris auprès de leurs mères, elles s’adaptent aux enjeux de leurs
temps et innovent et ajustent les contenus éducatifs aux besoins nés des
transformations sociales.

35
On peut retenir de manière générale que la femme est la cible privilégiée
de la socialisation au mariage. C’est à elle que l’initiatrice s’adresse le plus
souvent parce que la société khassonké valorise beaucoup sa place dans
les relations entre maris et épouses. C’est à elle que reviennent les soins
et l’entretien du mari, des enfants mais aussi des relations sociales au sein
des groupes familiaux. Pour rendre son message plus efficace, l’initiatrice
utilise des formats pédagogiques très variés, conseils pratiques,
historiettes parfois inventées pour la circonstance, des faits divers
illustratifs empruntés à la vie quotidienne.
3. Discussion
La discussion s’articule autour des significations construites à l’issue des
analyses effectuées. L’initiation au mariage est une éducation sociale aux
valeurs destinée essentiellement à reproduire un type idéal de couple
pour la cohésion sociale. Le système d’éducation traditionnel au mariage
s’enracine dans les valeurs sociales et il contribue à les reproduire. En
effet, éduquer les jeunes couples revient à les contrôler et à maintenir
l’ancien ordre social. Aussi, l’initiation au mariage peut être considérée
comme un contrôle social des jeunes et des rapports genre en milieu
traditionnel khassonké. Ce contrôle social s’exerce sur les jeunes afin de
les surveiller et de normaliser leurs conduites selon le modèle
traditionnel. Enfin, comme pour beaucoup d’autres activités similaires,
cette pratique d’éducation aux valeurs n’échappe pas aux influences du
changement social. Elle s’adapte et se renouvelle pour résister au temps.
3.1. Les référentiels de valeurs dans l’éducation au mariage
L’initiation au mariage est une véritable éducation aux valeurs
considérées comme un socle d’idéologies normées et partagées qui
encadrent le savoir-être et le savoir-faire de l’individu. Elle puise ses
ressources pédagogiques dans les valeurs familiales et sociales profondes
de paix et de vivre-ensemble. Elle vise à faire acquérir aux jeunes
hommes et jeunes femmes les compétences nécessaires à la vie conjugale
harmonieuse, prévenir et traiter les conflits au sein des couples. Dans
cette perspective, les initiatrices puisent leurs ressources éducatives dans
les référentiels de valeurs de la société : croyances, religion, histoire,
culture. Ces valeurs se déclinent dans la pensée comme dans le discours
et dans les attitudes. Les enseignements portent ainsi sur les relations
sociales qu’ils renforcent dans plusieurs directions : relations avec le mari,
relation avec les beaux-parents, relations avec les coépouses. Une
meilleure compréhension de ces différentes relations sociales contribue à

36
maintenir aussi longtemps les liens du mariage. La femme, la cible
privilégiée de l’éducation au mariage en milieu khassonké, est aussi
considérée comme importante dans la sauvegarde du mariage et des
valeurs de la société. Des pratiques similaires sont observées dans
d’autres milieux africains où tout le savoir-être est transmis par la mère
ou la grand-mère lorsqu’elle est encore en vie avant le mariage « la fille est
enfermée pendant quelques jours (environ une semaine ou plus), ce qui prend le nom
d’éyale mbôm ou encore mbôm o ne bilên » (G. Toung-Edou, 2013 p. 173).
Cette idée est également développée dans « L’éducation de la femme et le
mariage dans la littérature d’Afrique noire » de M. Ondo (2019).
Un autre socle de valeurs dans l’initiation au mariage réside dans le
communautarisme, la supériorité de la société sur l’individu (G.
Ogandaga, 2007). Tout le processus du mariage témoigne de son
caractère collectif. Le mariage n’est pas une affaire individuelle. Ainsi, le
primat de la société sur l’individu est fortement marqué dans l’éducation
au mariage. Les référentiels de valeurs font du mariage une affaire
collective, une aventure sociale, communautaire à laquelle chaque
membre doit contribuer à fortifier les assises. Tout le protocole de
socialisation du jeune couple au mariage montre que l’union conjugale
concerne d’abord le groupe de filiation que les individus, surtout en
milieu rural où les enquêtes se sont déroulées. Beaucoup d’auteurs
avaient souligné le caractère social du mariage en Afrique (Hertrich,
1996 ; Marcoux, Guèye et Konaté, 1995). De son côté, C. Rivière (1984)
a montré déjà le processus dynamique et collectif du mariage traditionnel
en contexte togolais chez les Evé. La famille et le clan y participent
activement et travaillent à son maintien. Toute rupture du lien de mariage
est considérée comme une atteinte à l’honneur du groupe, du clan et du
village. L’éducation au mariage cultive la solidarité collective autour du
mariage, au sein du couple mais également au sein de la famille.
L’initiation au mariage cultive l’esprit de la communauté des biens, le
partage des peines et des joies au sein des alliances matrimoniales, elle
fait de la femme la cible privilégiée.
Les entretiens ont montré qu’en milieu khassonké la socialisation du
jeune couple est davantage une affaire de femme. C’est bien plus la jeune
fille qui est la cible privilégiée des rites et traditions de socialisation au
mariage. Ceci se comprend aisément. D’abord, parce que les jeunes filles
quittent leurs foyers paternels pour aller résider dans la famille de leur
mari. Cette transition d’une famille à l’autre demande des efforts

37
d’adaptation qu’il convient d’accompagner, de soutenir par les conseils
de l’initiatrice. Ensuite, les jeunes filles se marient à un âge très jeune (14
à 15 ans) (V. Hertrich, 2007 ; R. Marcoux et Ph. Antoine, 2014). L’entrée
dans le mariage les propulse dans l’âge adulte au regard de leurs
nouvelles responsabilités sans qu’elles y soient forcément préparées.
L’initiation au mariage pendant la semaine nuptiale vise donc à renforcer
leur capacité à réussir leur entrée en couple dans le contexte rural où les
familles sont encore composées de grands ensembles. Enfin, il faut
souligner qu’en milieu khassonké les hommes sont majoritairement
polygames. Parfois, ils ont écouté les mêmes discours lors de leurs
premières noces, ils peuvent être plus ou moins informés sur les
thématiques de la socialisation au mariage. Dans cette perspective, V.
Hertrich (2006) avait mentionné que la polygamie implique souvent un
écart considérable d’âge entre le mari et la femme à partir du contexte
malien. L’initiation au mariage relève de la transmission des valeurs d’une
génération à une autre. À cet effet, elle vise à maintenir et à renforcer la
cohésion sociale au sein des couples, et partant dans la société. On
comprend aisément la conception communautaire du mariage qui met
l’accent sur les valeurs collectives, la stabilité et la permanence de la
société. Le mariage ne dépend pas uniquement de la seule volonté des
conjoints, mais de l’ensemble des familles et de la société. Le
consentement personnel des individus à leur union n’est pas toujours
requis, et toute l’éducation sociale des jeunes contribue à prolonger ces
traditions séculaires. L’article 280 du code de la personne et de la famille
du Mali stipule : « le mariage est un acte public, par lequel un homme et une femme
consentent d’établir entre eux une union légale ». Le libre consentement de la
femme n’est pas discuté dans ce texte directement, mais tous les rites et
traditions du mariage donnent l’occasion d’en jauger l’adhésion de la
femme.
Le code du mariage n’a pas encore intégré cette pratique de socialisation
au mariage. L’on sait pertinemment que ces causeries ont plus d’emprise
sur le jeune couple que l’explicitation orale de l’officier d’état civil, des
articles du code du mariage, souvent en langue nationale, lors de la
célébration publique du mariage. Le caractère public et le contexte
particulier d’énonciation limitent la portée de ces informations. Aussi, ces
informations sont bien différentes de celles véhiculées par l’initiatrice au
mariage mieux ancrées dans les habitudes socioculturelles du milieu et en
phase avec les méthodes pédagogiques fondées sur l’oralité et l’illustration.

38
3.2. Un système de contrôle social et reproduction des rapports
sociaux de domination
Différents mécanismes de contrôle social s’exercent sur les jeunes
générations afin qu’ils adoptent des conduites conformes aux attentes de la
société. Le contrôle social est un élément de socialisation chez E.
Durkheim (1922), il est considéré comme une contrainte qu’exerce la
société sur les individus dans le but de les contraindre au respect des
normes sociales instituées, indispensables à leur perpétuation. On désigne
par « contrôle social », toute forme instituée d’encadrement des jeunes,
destinée à « normaliser » leurs conduites. L’éducation au mariage pourrait
appartenir à la longue liste du système social de contrôle des unions. C’est
une transmission consciente aux jeunes générations montantes des valeurs,
des croyances jugées pertinentes et nécessaires au maintien de la cohésion
familiale et sociale. Théoriquement, dans les sociétés et les groupes sociaux
soumis à d’importants mécanismes de contrôle social, les individus
adoptent des comportements conformes aux attentes sociales (V.
Hertrich, 2007).
L’éducation au mariage apparaît comme un des processus d’influence et
de contrôle sur les jeunes couples. C’est une forme de contrôle social
destinée à assurer la continuité des liens sociaux. C’est un processus de
transmission des normes de conduites sociales (Ph. Riutort, 2013)
codifiées en attentes sociales dans des récits oraux qui rappellent à
chaque partenaire du couple ses obligations et ses devoirs. Même si
certaines études sur le mariage en milieu rural malien soutiennent un
relâchement du dispositif institutionnel traditionnel de contrôle des
jeunes en raison d’un exode rural massif (V. Hertrich, 2007), le protocole
de l’initiation au mariage reste encore une pratique répandue en milieu
khassonké, il demeure une composante du contrôle intergénérationnel
des unions conjugales.
L’encadrement social du mariage est destiné à une reproduction des
rapports de force dans le couple. Les rapports socialement institués entre
les hommes et les femmes se manifestent de manière spécifique dans les
traditions d’encadrement des jeunes couples. Elle met en exergue les
formes de domination et d’inégalité qui structurent les rapports sociaux
traditionnels, notamment entre les sexes, entre les générations (V.
Hertrich, 2007). Elle semble être un contrôle social à l’échelle
communautaire sur les alliances matrimoniales, sur les systèmes de genre
laborieusement élaborés tout au long de l’histoire. L’éducation au

39
mariage, en fixant les droits et les obligations de l’homme et de la femme,
les contraintes et interdits dans les unions conjugales selon les normes
traditionnelles, vise la reproduction des rapports genre, plutôt qu’à leur
évolution. Elle renforce l’adhésion inculquée dès l’enfance aux valeurs et
à la division coutumière des tâches et des pouvoirs entre l’homme et la
femme (P. Bourdieu, 1972).
3.3. Une transmission intergénérationnelle, hier à aujourd’hui
À l’instar de la dynamique de changement observée à tous les niveaux de
la vie en Afrique, notamment dans le domaine matrimonial (Barou,
2017), la modernité a tendance à remettre en cause plusieurs institutions
traditionnelles. Bien que les transformations des relations entre couple en
Afrique soient considérées bien plus lentes (G. Plateau, 2021), une étude
réalisée au Burkina Faso a montré que la transmission
intergénérationnelle des valeurs du mariage connaît un recul (B. G.
Thiombiano et T. K. Legrand, 2014). L’institution du mariage connaît
des mutations multiformes (R. Marcoux et Ph. Antoine, 2014) remettant
en question certains de ses fondements traditionnels. L’initiation des
jeunes couples au mariage n’est pas une activité d’instruction et de
socialisation figée, une transmission simple, passéiste des rites et
traditions du mariage en milieu khasonké. Elle s’adapte au temps et à
l’évolution du monde de manière à mieux aider les jeunes couples à
réussir leur alliance en dépit de nombreux défis comme l’apparition de la
téléphonie mobile, des réseaux sociaux et de leurs répercussions sur les
alliances conjugales. Aussi, les jeunes générations d’initiatrices font
preuve de dépassement et d’ouverture en innovant les contenus de
l’éducation au mariage. Cette évolution reste la voie sûre pour la
pérennisation de cette activité socioéducative.
La socialisation au mariage traite du rapport homme/femme dans le
couple. Ce rapport subit effectivement de profondes transformations
dont rendent compte de nombreux auteurs (R. Marcoux et Ph. Antoine,
2014). Ces transformations, communes à la plupart des pays, s’inscrivent
dans un processus plus général de mutations des rapports sociaux en lien
avec l’amélioration de la scolarisation des filles mais également au
développement des technologies d’information et de communication (A.
Adjamagbo, 2014). L’éducation au mariage se trouve aujourd’hui
contrainte dans des formats pédagogiques hybrides (tradition et
modernité) même dans les localités rurales. Dans une étude récente, B.
Camara (2011) a souligné cette mutation lente mais réelle du mariage en

40
milieu malinké et bamanan. Le mariage coutumier, bien qu’il comporte
des valeurs sociales indéniables, connaît un recul particulièrement au
niveau de son caractère communautaire à propos du choix des conjoints.
Les instabilités matrimoniales constatées dans la plupart des pays
africains (Barou, 2017) sont souvent associées à l’affaiblissement du
mariage traditionnel. Ainsi, l’éclatement fréquent de la cellule conjugale
(Barou, 2017 ; A. Adjamagbo, 2014) est souvent lié au contexte des
alliances conjugales ainsi que du relâchement du système de contrôle
social des jeunes couples, des modalités coutumières d’accompagnement
des jeunes couples. Si les chercheurs ont observé la fréquence des
divorces en milieu urbain africain (N. Mondain, 2014 ; F. B. Dial, 2014 ;
A. Adjamagbo, P. Aguessy et A. Diallo, 2014), les modalités d’intégration
sociale et d’accompagnement pédagogique des couples connaissent des
formes de recul.
Conclusion
Cet article n’a pas porté assez d’intérêt à la dimension mystique de la
contribution de l’initiatrice des jeunes couples au mariage alors que leurs
discours en contenaient suffisamment. De même, l’initiatrice s’occupe de
tous les soins et entretiens du couple pendant la semaine nuptiale. Elle
prépare spécialement pour les mariés, apporte des soins corporels
appropriés à la nouvelle mariée et enfin elle veille à l’hygiène et à la
propriété mystique de la chambre nuptiale. Cet autre rôle important n’a
pas été développé dans le texte bien qu’il soit marqué dans les discours à
travers la qualité des repas et tout le mystère qui entoure les rites. Ces
dimensions ont été écartées de l’analyse pour mieux se focaliser
essentiellement sur l’éducation au mariage.
Espace métisse biologique et culturel, le Khasso a produit un système de
valeurs, de contrôle des mariages, cristallisé dans les chants et traditions
d’initiation au mariage en fonction des castes, de l’âge et du capital
économique, social, politique ou religieux et moral de l’individu. Chantés
en chœur, dialogués ou monologués, condensés dans des récits éducatifs,
ces produits culturels ont connu diverses évolutions. Avant les
indépendances, on valorisait l’obéissance aux coutumes et interdits ; avec
les soleils des indépendances, les mariages sont célébrés par « Oui » ou
« Non » devant un officier d’état civil ; les phénomènes migratoires ont
occasionné la valorisation des thématiques comme la liberté, l'amour et
l’usage conscient des TIC. Le Janjon et le Kutumbe énumèrent sous forme
dialoguée l’héroïsme, la généalogie, en somme les qualités de l’individu

41
qui a émigré et qui revient « prendre » pour épouse telle beauté de belle
naissance, nantie d'un capital social ou politique considérable.
Les pratiques de socialisation au mariage en usage, si elles ont
thématiquement et pédagogiquement évolué, d’une période à l’autre, elles
demeurent intactes dans leur finalité éducative. Mais certaines formes
résistent à la disparition et continuent de rythmer la vie de nombreuses
populations du terroir khassonké, notamment rurales. Même si ces
traditions évoluent en fonction des échanges culturels et que l’on observe
une tendance à la désacralisation des contenus sous l’influence de la
religion musulmane, leur portée symbolique et pédagogique reste sans
changement. Leur adaptation progressive aux nouvelles réalités sociales
mutantes renforce leur permanence.
Loin d’épuiser les éléments culturels pouvant figurer dans cette
contribution sur le mariage en milieu khassonké, nous avons tenté un
survol et une analyse autour des thématiques essentielles qui reflètent la
perception des unions conjugales et les besoins d’accompagnement
éducatif des jeunes couples.
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44
Chapitre 2

Initiatrices nuptiales et pratiques contraceptives


chez les Bambaras de la commune rurale de Sanando

Issa DIALLO, sociologue


Sociologue de la santé
Université des Lettres et Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
issosfr@yahoo.fr

Résumé
Cet article porte sur les initiatrices nuptiales de la commune rurale de
Sanando, communément appelées magnabaga en bamanankan. Le travail a
consisté d’abord à cerner le rôle de l’initiatrice nuptiale, ensuite à mettre
en exergue des pratiques culturelles et traditionnelles développées par
elles. Au plan méthodologique, la méthode exclusivement qualitative a
été utilisée. À cet effet, le guide d’entretien qui est de type semi-directif a
été convoqué.
À la fin de ce travail, les résultats révèlent que dans le cadre de la
socialisation des mariées, les initiatrices nuptiales jouent les fonctions
d’éducatrices sexuelles, religieuses, sociales et de protection. Des
pratiques traditionnelles de contraception enseignées par ces initiatrices
ont pu également être identifiées. Elles sont relatives à l’usage du tafo ou
baka (amulettes), des fruits de certaines plantes (Ntomo tigi et balan balan).
Quant aux perceptions des mariées sur ces pratiques, les enquêtés
pensent qu’elles présentent moins d’effets secondaires, mais posent un
problème d’efficacité par rapport aux méthodes modernes de
contraception.
Mots clés : Commune rurale de Sanando, Initiatrice nuptiale, Pratiques
traditionnelles de contraception
Abstract
This article deals with marriage initiators in the rural commune of
Sanando, commonly called ‘magnabaga’ in the Bamanankan language. The
work consisted, first in identifying the role of the nuptial initiator, then in
highlighting the cultural and traditional practices developed by them.
From a methodological point of view, qualitative method was exclusively

45
used. For this purpose, the interview guide, which is semi-structured, has
been called up. At the end of this work, the results reveal that within the
framework of the socialization of the brides, the marriage initiators play
the functions of sexual educators, religious, social and protection.
Traditional contraceptive practices taught by those initiators have also
been identified. They relate to the use of tafo or baka (amulets), the fruits
of some plants like (Ntomo tigi and balan balan). As for the perceptions
of brides on these practices, respondents believe that they have less side
effects but pose a problem of effectiveness compared to modern
methods of contraception.
Keywords: Rural municipality of Sanando, Marriage initiator, Traditional
contraceptive practices

46
Introduction

La population de l’Afrique a considérablement augmenté au cours des


25 dernières années. Elle est aujourd’hui estimée à 1,1 milliard
d’habitants et selon les perspectives des Nations unies, elle atteindra
2,4 milliards en 2050 soit près d’un tiers de la population mondiale. Le
continent africain a une jeunesse en pleine expansion, plus de 60 % de la
population africaine a moins de 35 ans.
Selon la division de la population du département des affaires
économiques et sociales des Nations unies, l’Afrique subsaharienne
connaît un taux de fécondité élevé. En effet, la population de ces pays
continue d’augmenter à un rythme de 2,4 % par an, ce qui représente le
double de la croissance démographique du reste du monde en
développement qui est de 1,2 % par an.(http/www.unesco.org)
La population du Mali est aussi caractérisée par sa jeunesse. Les données
de l’EDSM V (2013) révèlent que 46,6 % de la population sont âgés de
moins de 15 ans. L’âge médian des femmes de 25–49 ans à la première
union est estimé à 18,0 ans et il est légèrement supérieur à l’âge aux
premiers rapports sexuels (17,0 ans). Les femmes entrent en première
union à un âge plus précoce que celui des hommes : la moitié des
femmes sont entrées en première union avant 18,0 ans contre 26,2 ans
pour les hommes de 30–49 ans.
Selon les mêmes sources, en dépit de ces mariages précoces, l’utilisation
de la contraception essentiellement moderne ne représente que 10 %
chez les femmes qui ont l’âge compris entre 15–49 ans et qui sont en
union. Les implants (2,5 %), la pilule (2,7 %) et les injectables (4 %) sont
les méthodes les plus utilisées. Parmi cette tranche d’âge de 15–49 ans,
26 % ont des besoins non satisfaits en matière de planification familiale :
environ 19 % pour espacer et 7 % pour limiter les naissances. La faible
utilisation de la contraception et le manque de satisfaction des besoins
des femmes en matière de planification engendrent une fécondité élevée
chez les femmes maliennes puisque le nombre moyen d’enfants par
femme est estimé à 6,1. Une disparité existe entre les villes et les
campagnes. Ainsi, les femmes du milieu urbain ont un niveau de
fécondité plus faible que celles du milieu rural (5,0 enfants contre
6,5 enfants par femme). Sur la base de ces indicateurs de santé qui ne
sont guère reluisants en Afrique et au Mali notamment, l’impérieuse
nécessité de relever les défis liés à la santé de la reproduction chez les

47
femmes s’impose. Pour contribuer à booster ces indicateurs, les
initiatrices nuptiales communément appelées magnabaga en bamanankan,
qui constituent un pan culturel en matière d’enseignement de la
contraception traditionnelle aux épouses, ont attiré notre attention. Par
définition, le terme magnabaga serait venu des mots bamanans mah
s’agissant de la personne humaine et gna baga traduisant le socialisateur.
Le magnabaga désigne donc quelqu’un qui cherche à socialiser un couple,
l’épouse en particulier (Camara, 2020, p. 123). Les initiatrices nuptiales
sont donc des agents de socialisation dans le cadre du mariage dans la
commune rurale de Sanando. Pour mieux comprendre la pratique, I.
Camara explique quelques fonctions de l’initiatrice nuptiale :

L’initiation nuptiale désigne une éducation du jeune couple en tant que personnes et
membres de la communauté, au cours de laquelle ceux-ci sont placés sous l’autorité de
deux aînés d’âge mûr, femme et homme, chargés de les encadrer et éventuellement
d’apporter des appuis-conseils et des réprimandes, en cas de non-observance de certaines
règles et conduites bien établies. L’initiatrice joue le rôle d’aide et de conseillère auprès
des couples nouvellement mariés durant la période des noces dont la durée varie selon
les traditions locales entre trois et sept jours. La nuit des noces et les jours suivants,
l’initiatrice reste avec le couple pour le former, l’orienter, l’informer, le sensibiliser,
l’éduquer et le guider dans ses premiers pas afin de consolider son union et s’occupe de
l’épouse en particulier (Ibid. p. 121).

Dans ce travail, nous nous intéressons à l’encadrement de l’épouse dans


la chambre nuptiale par l’initiatrice nuptiale. Celle-ci joue plusieurs
fonctions dans le cadre de la socialisation des mariées. La nécessité de
cerner ces fonctions s’impose. C’est pourquoi nous nous demandons si
ce pan culturel chez les Bambaras de la commune rurale de Sanando
résiste face aux nombreux brassages culturels. L’on se pose également la
question par rapport à l’utilité et à l’effectivité de cette pratique dans la
zone. En milieu traditionnel bambara, puisque ces initiatrices nuptiales
sont dépositaires de savoirs traditionnels en matière de contraception
traditionnelle, il est utile d’identifier et d’analyser ces pratiques locales
enseignées aux mariées. En interrogeant leurs fonctions et en
investiguant les pratiques traditionnelles de contraception, les
perceptions que les mariées se font de ces pratiques nous aiderons à
appréhender la question de leur efficacité. Cette problématique nous
conduit donc à trois questionnements : quelles sont alors les fonctions
sociales des initiatrices nuptiales chez les populations de la commune
rurale de Sanando ? Quelles peuvent être les pratiques culturelles

48
traditionnelles de contraception enseignées par ces initiatrices nuptiales
dans le cadre de la socialisation des mariées ? Quelle perception les mariées
se font de ces pratiques ?
La littérature sur les initiatrices nuptiales reste relativement peu abondante.
Quelques journaux de la place (Mali-Info, 2017 ; InfoMatin, 2016) y ont
consacré des articles. Ces journaux ont surtout parlé du rôle social de ces
initiatrices nuptiales et des pratiques correspondantes dans les autres pays.
Il faut signaler qu’à part ces articles de journaux rares sont les études qui
ont porté sur cette thématique. Récemment, I. Camara (2020) a consacré
un article sur ces initiatrices en tant que des agents de socialisation. En ce
qui concerne les méthodes de contraception, la plupart des études (A.
Evina et K. Ngoy, M. Boité, 2010 ; Y. Cissé, 2010) ont été menées entre
autres par des médecins, des sages-femmes, des démographes. Des socio-
anthropologues comme I. Diallo et A. Guindo (2020) ont abordé à la fois
des questions de contraception traditionnelle en milieu rural ainsi que la
problématique de leur perception.
L’objectif de cet article est de cerner les fonctions de l’initiatrice nuptiale,
d’identifier les pratiques traditionnelles de contraception qu’elles
enseignent aux mariées et d’analyser les perceptions de quelques enquêtés
sur ces pratiques.
1. Méthodologie

1.1. Zone d’étude


La commune rurale de Sanando est située à 65 km à l’est de Barouéli ; son
chef-lieu de cercle est à 65 km au sud-ouest de Ségou, son chef-lieu de
région. Elle a été créée par la loi n° 96-059 du 4 novembre 1996 et est
limitée au nord par la commune rurale de Konobougou et de Barouéli
centrale, au sud par la commune rurale de Gouendo, à l’ouest par la
commune rurale de Konobougou et de Barouéli centrale et à l’est par la
commune rurale de Falo (préfecture de Bla). La sous-préfecture de
Sanando compte quatre communes (N’gassola, Gouendo, Tessérila et
Sanando).
Au plan démographique, la commune compte 20 005 habitants selon le
recensement administratif à caractère électoral de 2001. Concernant la
composition ethnique, elle est composée essentiellement de Bambaras,
de Peuls et de Soninkés. Malgré cette diversité ethnique, le bamanankan
est la principale langue de communication.

49
S’agissant de la délimitation géographique, la commune rurale de
Sanando compte 38 villages. Nous avons choisi le 1/8e de ces villages
soit 5 villages à savoir : Sanando, Koyan, Tissala, Sérifibougou et Tomi.
Ces villages ont été choisis en raison de leur proximité avec le chef-lieu
de commune.
L’agriculture est la principale activité des populations de la commune.
Elle est de type subsistance (destinée à la consommation) et commerciale
(destinée à la vente). La pêche est pratiquée par les Somonos le long du
fleuve Bani. Toutes les ethnies citées plus haut pratiquent l’élevage.
La commune est essentiellement composée de musulmans, mais la
croyance aux cultes ancestraux est une réalité. Sur proposition des cultes
divinatoires, les villages font des sacrifices destinés à rendre la terre
fertile. Quant au mariage, qui est en partie l’objet de ce travail, la
magnabaga joue un rôle important dans le suivi des couples nouvellement
mariés.
1.2. Approche et instrument utilisés
Pour mener cette étude, la méthode qualitative a été exclusivement
utilisée au regard de l’objectif assigné. L’approche qualitative permet de
comprendre le rôle et les pratiques des initiatrices nuptiales. L’instrument
de recherche qui convient à cet effet est le guide d’entretien qui était de
type semi-directif. Puisqu’il s’agit d’une étude portant sur un pan de la
culture, cet instrument, à la différence du questionnaire, permet de saisir
de manière approfondie le fonctionnement de cet élément culturel. Les
entretiens ont été individuels et portaient essentiellement sur les
personnes appartenant à l’ethnie bambara.
1.3. Techniques
La recherche documentaire a été utilisée. Cette technique a permis de
faire l’état de la question afin de saisir l’originalité du travail. Elle a porté
sur des documents aussi bien physiques que numériques. Les documents
consultés sont essentiellement les thèses et les articles.
Au total, 80 personnes ont été enquêtées. Nous avons interrogé
20 initiatrices nuptiales sélectionnées en fonction de la technique boule
de neige, 54 femmes mariées, choisies au hasard dans les différents
villages pour donner la chance à tout le monde de figurer dans
l’échantillon, 6 leaders religieux pour recueillir leurs points de vue sur le
sujet.

50
1.4. Aspect éthique et méthode d’analyse des données
Au plan éthique, la chambre nuptiale relève de l’intimité, au regard donc
de la sensibilité de l’objet d’étude, nous avons gardé l’anonymat des
enquêtés. Ils sont désignés par les initiales de leurs prénoms et noms,
suivies du nom de leur village.
Puisqu’il s’agit de chercher à comprendre le fonctionnement du métier
d’initiatrice nuptiale, ce travail s’inscrit dans une approche structuro-
fonctionnaliste au sens donné par Talcott Parsons (1965). Ici, le métier
d’initiatrice nuptiale doit être appréhendé comme un système.
Quant à la méthode d’analyse des données, nous avons procédé à
l’analyse de contenu des discours des enquêtés.
2. Résultats

2.1. Origine de l’initiatrice nuptiale


Pour mieux comprendre la pratique de l’initiatrice nuptiale, il faut
d’abord saisir son origine. Le métier d’initiatrice nuptiale est une pratique
ancestrale basée, jadis, sur l’éducation sexuelle des mariées. La pratique
semble tirer ses origines de la tradition soninké. Elle était l’apanage des
vieilles femmes comme le note M. D., un maître de l’écriture (Nko),
interrogé à Kati : « La pratique d’initiatrice nuptiale est un élément culturel que
nous avons hérité des Soninkés. Auparavant, la plupart des filles ne connaissaient
leurs conjoints que lors du mariage. Elles étaient donc vierges, la vieille initiatrice
comme son nom l’indique avait pour mission d’initier la nouvelle mariée au sexe. »
Cette définition du rôle de l’initiatrice nuptiale de la part de cet orateur
ne permet pas de cerner tous les contours du phénomène. Bien que le
métier ait subi des changements dans la forme et dans le fond, il ressort
des discours du terrain trois autres rôles en plus de celui sexuel : la
protection des mariées, l’éducation sociale et religieuse.
2.2. Fonctions de l’initiatrice nuptiale

2.2.1. Éducation sexuelle de la mariée


Dans la commune, l’initiatrice nuptiale est vue comme un agent de
socialisation au sens sociologique du terme. À cet effet, elle a pour
mission d’enseigner à la nouvelle mariée les valeurs sociales du mariage et
la vie en société. Dans le cadre de cette socialisation, la sélection par
l’initiatrice des aliments susceptibles d’être consommés la nuit constitue
une bonne astuce pour la femme mariée au plan sexuel.

51
Dans l’imaginaire populaire de la localité, la femme ne doit pas
consommer les aliments solides pendant la nuit. Il lui est surtout
recommandé de consommer les aliments liquides, plus précisément la
bouillie. Pour plus d’efficacité sexuelle au lit, la bouillie de la mariée est
accompagnée de certaines plantes telles que le guéni (Cyperus rotondus) et le
’babin (Chrysopogon nigritanus) dans l’expression locale. F. T., initiatrice
nuptiale à Tissala, explique : « Je suis Soninké, forgeronne. L’initiation nuptiale
fait partie de nos fonctions sociales. Chez nous, on éduque sexuellement la mariée.
Durant la période nuptiale, elle ne boit que de l’eau tiède et prend régulièrement la
bouillie préparée avec le babin et du guéni. Le “guéni” est très bien pour l’acte
sexuel. » Ces plantes évoquées sont très convoitées dans une localité où la
polygamie est une règle fondamentale. Pour avoir le statut de baramusso,
les femmes les utilisent dans un souci d’être satisfaisantes au lit. F. T.,
ajoute : « Par exemple, quand tu as deux épouses, l’épouse qui a reçu cette éducation
relative à l’usage du babing et du guéni te donnera plus de goût au lit que celle qui
n’en a pas eu. La première sera plus intéressante que la seconde. »
Dans la mentalité de beaucoup d’initiatrices nuptiales, la féminité rime
avec ces plantes dont les vertus restent incommensurables. F. T. pense :
« En ce qui concerne l’éducation sexuelle, tu fais bouillir le “babin” pendant la nuit
puis tu donnes à boire à la mariée la décoction. Cela complète la féminité de la femme.
C’est bon pour la sexualité au lit. Elle le boit comme du café. La boisson de la même
plante facilite l’accouchement chez la femme. »
Au-delà de ces plantes, l’initiatrice nuptiale peut, au besoin, faire recours
à d’autres décoctions avant de se coucher, dans un souci d’agrémenter la
nuit. Elle enchaîne : « Lorsque la mariée va se coucher, on lui fait boire la
décoction d’une écorce à laquelle on récite une incantation. Cela l’aide beaucoup au lit
sur le plan sexuel. »
Presque tous ces discours évoquent les vertus des plantes dans le but
d’agrémenter la sexualité des mariés. Pourquoi ces plantes sont
convoitées ? La réponse à cette question se trouve au niveau de cette
forme de rivalité (généralement négative) entre les femmes dans le cadre
de la polygamie. Chacune des femmes sous le régime polygamique
cherche à dompter son homme. L’expression appropriée pour cette
attitude chez les Bambaras du milieu consiste à « mettre l’homme sous ses
aisselles » pour éviter qu’il soit dans un régime polygame ou pour acquérir
le statut de baramusso tant prisé.

52
Par ailleurs, s’agissant de la virginité de la nouvelle mariée, l’initiatrice
nuptiale lui enseigne toute l’utilité des relations sexuelles qu’elle tiendra
avec son époux. Ce griot explique l’importance de la virginité en milieu
bambara : « … après la nuit de noce, la preuve de la virginité est sue par tous en
premier lieu par le mari et ensuite par les parents de la nouvelle mariée. On se rend
compte de la virginité de la femme, la nuit de noce après le premier rapport sexuel du
couple. L’apparition des taches de sang sur un drap blanc atteste de la réalité de la
pureté de la fille. L’initiatrice nuptiale connue sous le nom bambara de mayamakan
annonce la nouvelle aux parents de la nouvelle mariée. L’heureux mari avec l’appui
de ses sœurs et parents dans l’allégresse annonce des cadeaux pour la jeune épouse »
(B. E. Dicko, 2018, p. 73).
Au cours de ce premier rapport, l’initiatrice nuptiale aide le mari à réussir
l’opération de « déviergement » en cas de résistance musclée de la fille. En
vue de faciliter au mari ce succès, elle prépare pour la mariée un poulet
appelé kônôboli shè. En effet, pendant la cuisson, certains produits sont
mélangés à ce poulet en vue de provoquer la diarrhée à la mariée.
L’objectif étant de la rendre faible face à son mari au moment du rapport
sexuel. B. S., initiatrice à Tomi, affirme : « Avant l’entrée dans la nuptialité en
tant que telle, quelques jours à l’avance, nous préparons ce qu’on appelle le “kônôboli
shè” (un poulet préparé à base de produits pouvant provoquer la diarrhée chez la fille
afin de la faire perdre un peu de force pour ne pas trop résister à son mari). Cette
pratique est faite si la fille n’a pas eu d’enfants. Mais aujourd’hui, beaucoup de filles
vont avec l’enfant au mariage. Cette pratique a tendance à s’effriter et à disparaître. »
Au regard donc des difficultés liées à cet exercice de « déviergement », la
force doit revenir à l’homme et la faiblesse à la femme. Cette situation
évoque le rapport de force entre les deux sexes. Sociologiquement, l’idée
qui est derrière cette pratique consiste à avoir une femme soumise
capable de donner des enfants qui auront de la baraka.
Aujourd’hui, cette pratique même si elle se fait est vide de contenu dans
la mesure où elle reste symbolique. La pratique offre l’occasion à la
mariée de bien se régaler parce que selon B. S. initiatrice à Tomi : « De nos
jours, une fois que la fille est fiancée par un garçon, elle commence à passer la nuit
chez le fiancé. Beaucoup tombent en grossesse et au moment du mariage, elles ont des
enfants en général. » Cet état de fait s’explique par l’éducation des filles, les
familles sont de moins en moins attachées à la virginité comme valeur
culturelle. Au Sénégal, les résultats d’une étude menée par V. Delaunay
confirment ce comportement à Niakhar : « Les femmes mariées ont quasiment
toutes déjà eu des rapports sexuels (99 %), ce qui n'est pas surprenant. Le résultat

53
qui interpelle est celui des célibataires : plus de la moitié d'entre elles (56 %) ont déjà
eu des relations sexuelles […]. La sexualité prénuptiale qui est réprimée dans le
discours semble donc pouvoir s'exprimer plus librement qu'on ne le pense, en dépit du
contrôle social exercé par la famille » (V. Delaunay, 1994, p. 176).
En plus de ce rôle d’éducatrice sexuelle, l’initiatrice nuptiale joue une
fonction de protectrice de la mariée contre les esprits maléfiques et les
personnes de mauvaise foi.
2.2.2. Protection de la mariée
Dans le passé, l’initiatrice nuptiale était choisie uniquement parmi les
vieilles femmes. Celles-ci étaient supposées être dépositaires de certaines
connaissances occultes qui leur permettaient de jouer pleinement le rôle
de protectrice de la mariée. Elles pouvaient conjurer les esprits
maléfiques tels que les djinns, les nains, les sorciers ou toute autre
personne animée de mauvaise foi allant contre sa protégée.
Il ressort de certains discours que les initiatrices nuptiales veillent sur les
mariées en les protégeant contre les éventuels empoisonnements à partir
de leur alimentation. Ce témoignage de K. T., initiatrice à Tomi, est
édifiant : « On veille également sur son manger. Il pourrait y avoir des tentatives
d’empoisonnement ou d’esprits malveillants. L’initiatrice ne doit donc jamais quitter
des yeux sa mariée. »
Pour éviter à la mariée des dérives du genre, l’initiatrice, elle-même,
s’occupe de la préparation des aliments devant lui être donnés. A. T.,
initiatrice nuptiale au niveau de Sérifibougou abonde dans le même sens :
« nous préparons pour la fille, car les hommes sont souvent mauvais. Certaines
personnes peuvent faire du mal à travers la nourriture. La mariée ne fait rien, c’est
l’initiatrice qui s’occupe de tout ».
Les initiatrices nuptiales font office de sorcières pour empêcher les
esprits maléfiques d’attaquer leurs protégées, les mariées. Elles sont des
sorcières blanches qui sauvent mais aussi qui protègent la famille de la
mariée contre l’humiliation. Par exemple, par la pratique de la magie,
certaines initiatrices peuvent rendre vierge une fille ayant déjà connu des
hommes en provoquant le saignement chez elle le jour du mariage.
Contrairement à K. T. et A. T., A. S., cette autre initiatrice, pense que la
profession peut être exercée aujourd’hui sans la moindre connaissance
occulte : « Jadis, pour être une initiatrice nuptiale, il fallait être traditionnellement
forte sinon tu aurais chaud. Tel n’est pas le cas de nos jours. C’est pourquoi n’importe

54
qui le devient maintenant, et c’est devenu une question de famille et non d’âge ou de
savoir en sciences occultes. Avec la propagation de l’islam, les gens font moins de
pratiques néfastes les uns les autres. Ce qui explique le fait que nous (initiatrices) ne
cherchons plus la sorcellerie pour exercer cette fonction. »
Une analyse de ce discours montre à bien d’égards la perte de la
quintessence du phénomène de l’initiatrice nuptiale. Les savoirs locaux
en matière de protection de la mariée semblent tomber en désuétude.
Aujourd’hui, la pratique s’apparente à une simple formalité, l’essentiel
des initiatrices actuelles étant animées par le souci de gain facile plutôt
qu’un sentiment du rôle accompli. Les religions révélées telles que l’islam
semblent jouer à la défaveur de ces savoirs coutumiers locaux.
Désormais, l’initiatrice nuptiale a en charge cette autre forme d’éducation
dans la localité.
2.2.3. Éducation religieuse
Dans la commune, le rôle d’éducation religieuse, en plus des imams, des
écoles coraniques et des prêcheurs, incombe aux initiatrices nuptiales. En
effet, la majorité des jeunes femmes vont au mariage sans connaître les
éléments de base de la vie religieuse bien que l’islam soit une religion
répandue au Mali. De ce fait, il revient à l’initiatrice nuptiale d’enseigner à
la femme mariée les règles fondamentales de la religion musulmane. Là, il
est principalement question de la pratique des préalables à la prière et de
l’apprentissage de celle-ci.
Avant la nuptialité proprement dite, il lui est enseigné par l’initiatrice les
conditions de la purification religieuse appelée la grande ablution ou
janaba. Dans l’ordre logique, la pratique de la prière musulmane en tant
que telle s’ensuit. Les propos d’A. S., initiatrice à Sanando, attestent :
« Elle est plutôt basée, de nos jours, sur l’apprentissage des pratiques musulmanes.
En tout cas c’est ce que moi je fais. Il s’agit d’apprendre aux jeunes mariées la
pratique de la prière (lui montrer les kabla et les bada), de faire la grande et la petite
ablution. »
Ce discours montre que le rôle joué par l’initiatrice nuptiale dans l’islam
est d’une importance capitale. En la matière, il existe à ce niveau une
convergence de points de vue des initiatrices nuptiales et des leaders
religieux. M. C., marabout à Sanando, estime : « L’initiatrice nuptiale joue le
rôle d’éducatrice auprès d’une nouvelle mariée durant sa période de noce. Elle lui
apprend les façons de s’y prendre avec son époux et la pratique de la grande ablution

55
(janaba) après une relation sexuelle avec lui. Au regard de cette fonction, l’islam
n’interdit pas leur pratique. Elle lui recommande le bien et lui déconseille le mal. »
Ce propos met non seulement en exergue le rôle de l’initiatrice nuptiale,
mais aussi autorise la pratique à travers l’enseignement de la morale.
Celle-ci constitue un autre rôle, non moindre, joué par l’initiatrice
nuptiale dans la commune.
2.2.4. Éducation morale ou sociale
Au regard des résultats obtenus sur le terrain, nous constatons qu’outre
la mission d’éducation religieuse et sexuelle les initiatrices nuptiales ont
aussi un rôle de socialisation morale. Elles apprennent aux mariées les
valeurs sociales qui constituent, au regard de nos valeurs culturelles
ancestrales, le socle des familles et de la société en général. La famille
étant, d’un point de vue sociologique, considérée comme la cellule de
base de la société humaine, la stabilité et l’équilibre de celle-ci dépendent
de son bien-être. L’enseignement moral prodigué par les initiatrices porte
quasiment sur tous les paramètres déterminant la vie sociale des mariées.
Dans un premier temps, elles les préparent psychologiquement au
mariage. Cette préparation vise à leur donner une assise psychomentale
leur permettant d’affronter la future vie de ménagère. Selon K. S.,
initiatrice à Sanando : « Nous nous occupons de la préparation psychologique de la
mariée après celle effectuée par sa famille. »
Dans un second temps, la socialisation porte sur leurs relations avec leurs
époux, leurs beaux-parents et les amis du mari. Donc, cette partie porte
sur l’apprentissage au mieux vivre-ensemble en société. Les initiatrices
nuptiales utilisent généralement en bamanankan une métaphore : « musso
ka kan ka kè misséli yé ka maw kala niokon na » (littéralement, la femme doit
servir d’aiguille pour coudre les gens). Cette métaphore pleine de
signification veut dire que la femme doit être celle qui unit les gens, elle
ne doit pas être la cause de l’effritement du tissu social.
L’initiatrice nuptiale enseigne la bonne manière de se comporter en vue
d’établir et de maintenir de bonnes relations avec son entourage.
Devons-nous dire que c’est cela l’étalon de mesure de la personnalité
d’une femme dans la société traditionnelle malienne ? En effet, l’objectif
ultime recherché dans cette éducation était la cohésion sociale. Ainsi, A.
S., femme mariée à Koyan, se montre satisfaite des enseignements reçus :
« Le rôle de la vieille est d’apprendre à la mariée le respect de l’époux et de ses

56
parents. Sans mentir, la mienne m’a appris beaucoup de choses : le respect des limites
données par mon conjoint, le respect de mes beaux-parents et de mes belles-sœurs et
mes beaux-frères. »
Dans leur rôle d’éducation et de socialisation de la mariée, les initiatrices
nuptiales disposent des méthodes traditionnelles de contraception. Nous
avons pu répertorier quelques-unes.
3. Pratiques de contraception traditionnelles répertoriées auprès
des initiatrices et les femmes mariées
Les enquêtes sur le terrain nous ont permis d’identifier diverses pratiques
de contraception traditionnelles auprès des initiatrices et des mariées. Au
regard des résultats, nous pouvons affirmer que la notion de
contraception est loin d’être une innovation dans les sociétés bambaras.
L’espacement des naissances avait été depuis bien longtemps pratiqué
par les anciens. Cependant, il reste à noter que les pratiques identifiées
sont à l’opposé de celles venues de l’Occident. Loin d’être faites à base
de produits chimiques, elles sont faites à base de fruits de plantes, de
gris-gris ou de tafo. Le but de l’espacement était de garantir la sécurité des
mères et la survie des enfants.

3.1. Fruits de tomo ntigi (Ricinus communis) et balan balan


(Cassia occidentalis)

L’accès à l’information relative aux méthodes de contraception


traditionnelles au niveau des initiatrices nuptiales relève du domaine de
l’ésotérique. C’est pourquoi nous avons eu beaucoup de difficultés pour
identifier ces méthodes. Qu’à cela ne tienne, certaines femmes ayant
bénéficié de la largesse de ces initiatrices nous ont aidés à identifier
quelques recettes. Il faut signaler aussi qu’à leur niveau également les
informations ont été livrées de façon superficielle même si ces méthodes
sont simples en pratique.
Il existe des plantes dont celle de tomo ntigi, qui permettent d’espacer les
naissances. Il s’agit pour la femme d’avaler le fruit de la plante. Le
nombre de fruits avalés équivaut au nombre d’années effectué sans
enfant. A. K., femme mariée à Tissala, connaît cette pratique : « Il y a un
fruit dont la plante pousse sur le dépôt d’ordures. Ladite plante se nomme tomo ntigi.
Si tu avales un fruit, cela équivaut à un an d’espacement entre les naissances, deux
fruits à deux ans. Le nombre de fruits avalés équivaut au nombre d’années
d’espacement. »

57
Parallèlement, A. H., mariée à Sérifibougou, de son côté affirme : « pour
la contraception, mon initiatrice nuptiale m’a conseillé l’utilisation des graines du
“balan balan”, une plante locale. Le nombre de graines avalées correspond au nombre
d’années sans grossesse ». A. K. et A. H. pensent : « Ces pratiques de
contraception sont exemptes de contraintes. Ils n’ont aucun totem capable de
compromettre ou d’anéantir leur efficacité. Elles étaient avantageuses dans la mesure
où les fruits avalés n’avaient pas d’effets secondaires sur la santé des bénéficiaires. »
Les plantes en question sont faciles aujourd’hui à trouver malgré le
déboisement fréquent dans la localité. Les enquêtées croient à l’efficacité
de ces plantes même si cette efficacité reste à prouver scientifiquement.
La croyance à l’efficacité s’établit par l’expérience vécue par les sujets.
Les fruits de ces plantes sont avalés avec démesure souvent ; et,
paradoxalement, personne ne maîtrise les effets secondaires, les
conséquences néfastes que ces plantes peuvent avoir sur la vie de ces
femmes à court, moyen et long termes. Il manque à cette pratique la
question du dosage et de la méthodologie tant décriée par la médecine
moderne. Ces plantes identifiées constituent tout de même des pistes de
recherche qui nécessitent la collaboration entre la médecine moderne et
celle traditionnelle.
Par ailleurs, parallèlement à ces fruits issus des plantes, des pratiques de
contraception basées sur des tafo existent.

3.2. Tafo ou baka (gris-gris ou amulettes)

Les tafo, purement traditionnels, sont des objets contraceptifs. Le plus


souvent, c’est un fil de coton (de filage traditionnel) sur lequel on récite
des incantations tout en confectionnant des nœuds. Ceux-ci peuvent
varier entre 4, 7 et 9. Ces chiffres sont significatifs : le 4 est attribué à la
féminité, le 7 correspond aux jours de la semaine et constitue aussi une
combinaison du chiffre de la féminité 4 et celui de la masculinité 3. Le 9
représente les orifices chez les humains. Les tafos peuvent être considérés
comme des « paroles attachées », car c’est à la suite d’incantation que les
nœuds sont attachés. Les incantations sont des paroles sacrées,
comportant souvent des vérités générales, évoquant des fois le nom de
génies. Elles tirent leur origine de l’oralité qui donne à la parole un
pouvoir magique et métamorphose. L’objet confectionné doit être
amené par la bénéficiaire chez un cordonnier pour être enrôlé dans une
peau d’animal. La femme l’attache autour de sa hanche.

58
A. S. est une personne-ressource qui vit à Sérifibougou. Il est parmi ceux
qui le fabriquent dans la localité. Il travaille avec certaines initiatrices
nuptiales. Il dégage les différentes fonctions de cet objet qui est d’une
utilité sans pareil. Selon lui, le tafo est utilisé pour se donner une certaine
assurance face à une fille imprudente qui a l’âge de procréer : « En ce qui
concerne la contraception sur le plan traditionnel, je peux le faire. Aujourd’hui, il
n’est pas facile de contrôler un enfant. Donc si certains parents soupçonnent leur fille,
ils viennent me voir. Et je fabrique le “tafo” pour elle. La fille l’utilise (en la portant
au niveau de la ceinture) jusqu’à son mariage, mais une fois au foyer, elle peut
l’enlever pour faire les enfants. »
Également, au cas où une femme a des enfants rapprochés, l’objet en
question leur permet d’espacer les naissances en vue d’un
épanouissement des enfants. Il poursuit : « Certaines femmes aussi ont des
enfants serrés. Dans de tels cas, elles viennent me voir et je confectionne le “tafo” pour
elles. Quand elles trouveront que l’enfant a atteint une certaine maturité et qu’elles
veulent en faire, elles l’enlèvent et font leur enfant. »
La même pratique permet d’arrêter l’évolution, autant que la femme
veuille, d’une grossesse déjà contractée. Cette pratique qu’on appelle kono
guegue en bamanankan est surtout convoitée par les parents qui sont face
à une humiliation : celle d’avoir la grossesse avant le mariage. A.S.
enchaîne : « Ce tafo peut également faire stagner (bloquer) une grossesse. Quand une
femme se rend compte que sa fille est grosse et que cette grossesse n’est pas constatable
physiquement, elle vient me voir. Je leur donne le tafo et la progression de la grossesse
s’arrête jusqu’après le mariage. Arrivée chez le mari, la fille enlève le tafo et continue
normalement sa vie. »
S’agissant des inconvénients et des interdits relatifs à cette pratique, A. S.
indique clairement : « En ce qui concerne le tafo, il n’y a pas d’inconvénient. Tu
n’as pas de problème en l’attachant et si tu veux le laisser, il n’y a pas également de
problème. Elle ne perturbe pas les règles menstruelles en aucun moment. Tu peux
l’enlever et le porter autant que tu veux. Les interdits de ce tafo ne sont pas
compliqués. Quand une femme porte ce tafo, elle se couche avec son mari. Seulement,
elle ne va pas au cimetière, n’entre pas dans un trou plus profond dépassant sa taille.
Si le tafo vieillit et que ça se coupe, tu peux le donner au cordonnier. Ce dernier le
répare sur place. Tu ne dois pas faire 2 à 3 nuits sans le porter et, plus précisément, il
ne faut pas que la femme se couche avec un homme sans le tafo. »
L’analyse de ce discours montre que la possession de cette pratique
n’impose pas en principe d’interdits majeurs qui ne soient pas à la portée

59
de sa propriétaire. Mais avec les changements intervenus au niveau des
villages, les femmes qui mènent des rapports extraconjugaux sont de plus
en plus nombreuses. L’interdit relatif au cimetière ne les concerne pas ou
du moins ne concerne pas les musulmanes parce qu’elles ne vont pas au
cimetière pour les enterrements. Cet interdit concerne plus les
chrétiennes. Le trou dont il est question, rares sont les femmes qui se
prêtent à ce jeu.
Par rapport à l’efficacité du tafo, une initiatrice l’atteste à travers son
discours. Bien qu’elle ne puisse pas en confectionner, elle sait où se
trouvent les meilleurs tafos : chez les gaoulas (des hommes de castes
inférieures qui sont d’origine sénégalaise).
Notons qu’une chose est d’avoir le produit, mais l’autre chose est de
savoir s’il est efficace ou pas. La résistance de beaucoup de femmes
s’expliquerait par le doute relatif à leur efficacité. D. D., initiatrice à
Koyan, atteste : « Je n’en ai pas fait. Mais j’ai eu un produit d’espacement de
naissance avec les “gaoulas” de vers Ségou. J’ai cherché un tafo pour ma nièce. Quand
elle accouche, elle attache le tafo. Quand l’enfant marche, elle l’enlève et le garde dans
sa caisse. Ce tafo était de bonne qualité. Il n’avait pas d’interdit. À part ce tafo, je
n’en ai plus cherché pour quelqu’un d’autre. »
Par ailleurs, il est intéressant d’avoir quelques points de vue de ces
femmes mariées sur les méthodes de contraception traditionnelles.
4. Perception de quelques mariées sur ces pratiques
Dans cette partie, les bénéficiaires des produits de contraception font
une comparaison entre les pratiques modernes de contraception et celles
traditionnelles.
Par rapport à ces dernières, même si elles sont bien convoitées, le
problème qui se pose généralement est celui de l’accès aux bons produits.
S. C., femme mariée à Sanando, affirme : « Si on peut trouver des produits
traditionnels de meilleure qualité, nous en préférons à ceux modernes. » Elle défend
les pratiques traditionnelles et nous fait part de ses expériences avec le
fruit d’une plante : « Il y a les fruits d’un arbre qui peuvent entraîner la
contraception. Tu prends trois grains de cet arbre et tu fais trois ans sans tomber en
grossesse. Je ne connais pas le nom de cet arbre. C’est un vieux de Kana (un village) qui
en donnait aux gens. Moi-même j’en ai eu avec lui et j’ai fait trois ans sans avoir un
enfant. À la fin des trois ans, je suis tombée en grossesse. C’est un produit qui n’a pas
d’inconvénient […]. »

60
Elle croit de façon ferme aux pratiques traditionnelles, car elle les a
utilisées, et les résultats ont été fort satisfaisants pour elle. Coïncidence ou
réalité ? L’on ne saurait le dire.
Les attentes de S. C. n’ont pas été comblées en ce qui concerne les
pratiques modernes, c’est pourquoi elle ajoute : « Nous utilisons les produits
modernes par manque de solutions traditionnelles. Car ils peuvent nous apporter
beaucoup de maladies. Nous pensons qu’ils peuvent nous soulager, mais nous avons
constaté que c’est l’effet contraire qui se produit. Ils peuvent nous poser des problèmes au
col de l’utérus. »
T. H. femme mariée à Sirifibougou abonde dans le même sens en donnant
certaines caractéristiques de ces pratiques. Les pratiques traditionnelles ont
moins de protocoles, il n’y a pas de prise de sang, mais elles exigent
l’observance de certains interdits : « Je pense que les produits traditionnels sont
meilleurs que les produits modernes. Les produits traditionnels n’apportent aucune
maladie. Tu peux les utiliser comme tu veux à ta guise. Pour le tafo, il n’y a pas prise
de sang. Ses interdits peuvent être le mortier, le pilon, etc. Pour les produits modernes, il
y a assez de problèmes. »
Également, l’utilisation des méthodes modernes comme moyen de
contraception par la majorité des femmes de la commune de Sanando est
plutôt une question de contrainte que de choix. Comme le dit un adage du
milieu : « À défaut des seins de sa mère, on tète les seins sa grand-mère. » Une
femme de Koyan parle des méfaits de la modernité et apprécie le
traditionnel : « J’utilise les méthodes modernes. J’utilise la petite allumette pour cinq
ans. Elle est efficace. Je ne connais pas les produits traditionnels. Si je trouve une
méthode traditionnelle efficace, j’abandonne la méthode moderne à son profit. Nous
utilisons les méthodes modernes par manque de confiance aux pratiques traditionnelles.
Les méthodes modernes ont beaucoup d’inconvénients. Elles provoquent des maladies
inconnues. Une femme disait au centre de santé qu’on a extrait une grande quantité de
pue dans son bas-ventre à cause des injections de contraception. La petite allumette
disparaît des fois dans le corps de la femme. »
Certaines femmes utilisent à la fois les deux méthodes, car elles ne font
pas totalement confiance aux méthodes traditionnelles. K. C., de Tissala,
affirme : « Moi-même j’ai utilisé le tafo, car, après mon premier enfant, je suis
tombée enceinte les douze mois qui ont suivi. Ce qui m’a poussée à chercher le tafo,
mais je suis allée à l’hôpital également et la sage-femme m’a donné des conseils. Ces
conseils concernaient les médicaments modernes que j’ai aussi utilisés. C’était des
comprimés, mais qui ne sont pas consommés, mais placés. J’avais confiance au tafo,

61
mais j’avais trop peur. Ce qui fait que j’ai utilisé les deux. »
Le fait d’utiliser les deux méthodes ici pose la problématique de
l’efficacité du tafo. En la matière, le risque doit être évité. Au cas où si la
méthode traditionnelle ne marche pas, l’autre méthode saura jouer
efficacement son rôle. Le problème est que la porteuse du tafo n’a pas les
moyens de vérifier s’il est efficace ou non.
5. Discussion
Le présent article tourne autour de trois axes :
5.1. Fonctions des initiatrices nuptiales
À la fin de ce travail, les résultats montrent que les initiatrices nuptiales
ont différentes fonctions chez les Bambaras de la commune rurale de
Sanando. Dans le cadre de la socialisation des mariées, ces initiatrices
assurent leur encadrement au plan sexuel, religieux, social. Dépositaires
de savoirs ésotériques, elles jouent une fonction protectrice de la mariée.
Peu d’études ont été menées sur ce pan de la culture malienne, ce qui
nous a poussés à revisiter ce métier ainsi que les pratiques traditionnelles
de contraception. Néanmoins, I. Camara a consacré un article sur les
perceptions et pratiques de la socialisation nuptiale des adolescents au
Mali. Au-delà de l’encadrement sexuel que nous avons noté, il trouve
d’autres fonctions à lui attribuer :

En plus de jouer le rôle de conteuse des coutumes et traditions, voire de dicter


la conduite à tenir, elle arrive à maintenir un climat de plaisanterie avec les
époux, qui brise tous les obstacles de communication surtout sur les sujets de
sexualité et de fécondité. En fait, elle arrive à instaurer un cadre d’échange
autour de la question. L’initiatrice est la personne avec qui les époux sont
culturellement permis de tout partager. Ils se sentent plus à l’aise et plus en
sécurité pour parler de sexualité lorsqu’il s’agit de l’initiatrice parce qu’il
existe un climat de plaisanterie culturelle entre celle-ci et les nouveaux mariés,
qui permet tout, y compris la discussion sur des sujets aussi sensibles que la
sexualité et la fécondité. Outre cela, l’initiatrice possède de bons moyens pour
façonner les conduites des époux, comme par exemple se fâcher ou faire des
menaces de malédiction. Par ces moyens, elle arrive à orienter toutes les
décisions liées à la conduite sociale, la sexualité et la fécondité (Camara,
2020, p. 126).

Les résultats révèlent aussi que le métier d’initiatrice nuptiale est en proie
à des changements permanents et est en voie de disparition à cause de la

62
modernité. En effet, I. Camara pense que les représentations religieuses
expliquent cette déperdition :

L’initiatrice apportait son aide précieuse aux couples, aux épouses surtout
moyennant une somme forfaitaire, voire discrétionnaire. Mais aujourd’hui, la
socialisation nuptiale coïncide avec la modernité et les représentations
religieuses croissantes dans la perspective de changement qui inversent les
choses (Ibid., p. 124).

Dans le cadre de l’évolution de la pratique, les initiatrices nuptiales de la


commune, pour échapper à la foudre des religieux (musulmans
notamment), ont adapté une fonction d’encadrement en matière de
grande ablution.
5.2. Perception des mariées sur les pratiques répertoriées
Les résultats ont permis d’identifier les pratiques traditionnelles de
contraception qui sont relatives au tafo ou baka, aux fruits de certaines
plantes (ntomo tigi et balan balan). Dans une étude similaire portant sur la
même localité, I. Diallo et A. Guindo (2020) sont parvenus à la même
conclusion. En plus de ces méthodes identifiées auprès des initiatrices
nuptiales et les femmes mariées, ces auteurs ont noté le « retrait de l’homme
au moment de faire le rapport sexuel et le séjour de la femme chez sa belle-mère »
(Diallo et Guindo, 2020, p. 148). F. Tamboura quant à elle, dans une
étude portant sur les adolescentes et jeunes adultes au niveau d’une
clinique de Bamako, a pu identifier en plus du tafo : « la toile d’araignée, le
jus de citron, le miel et les solutions à boire à base de plantes comme pratiques de
contraception » (Tamboura, 2008, p. 18).
En ce qui concerne la perception des mariées sur les pratiques
traditionnelles, les résultats indiquent un engouement à l’égard de ces
pratiques. Elles pensent que les pratiques traditionnelles présentent
moins d’effets secondaires, mais le point délicat est qu’elles posent un
problème d’efficacité par rapport aux méthodes modernes de
contraception. Pratiquement, tous les auteurs évoqués parlent de
pratiques de contraception traditionnelle, mais toutefois, la question de
l’efficacité n’est pas abordée. I. Diallo et A. Guindo (2020) ont traité cet
aspect. Dans leur étude, ils dénoncent l’inefficacité des tafos par :
« l’absence de sincérité des fabricants qui semblent transgresser plusieurs interdits
sociaux ». Également selon eux, cette inefficacité peut se poser en termes
de « compatibilité avec la personne » (Diallo et Guindo, 2020, p. 149). Ces

63
explications, fondées sur les expériences des enquêtées, donc subjectives,
sont contraires aux principes de la médecine moderne.
Conclusion
Aux termes de cette étude, nous avons pu saisir les fonctions de
l’initiatrice nuptiale dans la commune rurale de Sanando. Les résultats
révèlent que l’initiatrice nuptiale joue une fonction d’éducatrice sexuelle,
religieuse et sociale, de protectrice de la mariée même si par ailleurs le
métier est en changement permanent et en voie de disparition.
Les résultats ont également permis d’identifier les pratiques
traditionnelles de contraception. Ces pratiques concernent l’utilisation du
tafo ou baka, des fruits de certaines plantes (ntomo tigi et balan balan).
Confrontées à la réalité actuelle, ces pratiques ont démontré leur limite
au regard de leur inefficacité tant décriée par la médecine moderne
puisque ces pratiques traditionnelles portent sur des plantes, une
collaboration entre les deux formes de médecines s’impose en vue de
trouver des produits contraceptifs efficaces et avec moins d’effets
secondaires.
Ce travail a permis de cerner les différentes fonctions de l’initiatrice
nuptiale. Malheureusement, le métier est en voie de disparition au regard
des changements auxquels la société est confrontée. Une revalorisation
de la pratique s’impose pour que les épouses continuent de bénéficier de
l’éducation au plan sexuel, religieux au niveau des foyers. En tant
qu’élément culturel, la pratique est aussi à préserver parce qu’elle permet
de cimenter les relations entre les mariés afin de réduire les divorces aux
conséquences incommensurables.
Bibliographie
- Boité M. (2010), « Connaissances, pratiques et attitudes des
jeunes en matière de contraception au niveau des grins », Thèse
de doctorat d’État, FMPOS, Bamako.
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nuptiale des adolescents au Mali : santé maternelle, néonatale et
infantile en Afrique : analyse de la situation et perspectives », in
Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé, n° 6, volume 3, Côte
d’Ivoire, p. 119–34.
- Cissé Y. A. (2010), « Connaissances, pratiques et attitudes des
jeunes en matière de contraception en milieu scolaire dans la

64
commune urbaine de Gao », Thèse de doctorat d’État, FMPOS,
Bamako.
- Delaunay V. (1994), L’Entrée en vie féconde : expression démographique
des mutations socio-économiques d’un milieu rural sénégalais, Paris,
CEPED, n° 7.
- Diallo I. et Guindo A (2020), « Pratiques traditionnelles et
modernes de contraception chez la femme rurale au Mali :
l’exemple de la commune de Sanando : santé maternelle,
néonatale et infantile en Afrique : analyse de la situation et
perspectives », in Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé, n° 6,
volume 3, Côte d’Ivoire, p. 135–51.
- Dicko B. E. (2018), « La virginité, honneur familial à l’épreuve de
l’évolution des mentalités. Une analyse socioanthropologique
dans le District de Bamako » in Revue malienne de langue et de
littérature, n° 003, ULSHB, p. 64–79.
- Enquête démographique de santé au Mali (EDSM V), 2013.

Webographie
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contraceptives en Afrique : de l’espacement à la limitation des
naissances », Transitions démographiques des pays du Sud, actes des
3e journées du Réseau démographie, Rabat, 9–12 décembre 1998,
Paris, ESTEM : 253–268.
- Koné C. (2016), « Méthodes traditionnelles de santé de la
reproduction : les recettes des premières dames d’Afrique »,
journal InfoMatin, consulté le 6 juillet 2021
- www.unesco.org, consulté le 5 juillet 2021
- www.un.org, consulté le 5 juillet 2021

65
Chapitre 3

Analyse sociolinguistique de quelques chansons dédiées à


l’éducation de la jeune mariée en milieu bamanan

Afou DEMBÉLÉ,
Enseignante-Chercheur
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako
afoudem@gmail.com
Mamadou DIA,
Enseignant-Chercheur
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako
oudidaim55@gmail.com
Résumé
Cet article commence par une présentation géographique des Bamananw.
Puis dans une série de six (06) chansons transcrites en bamanankan et
traduites en français, il parle de la responsabilité de la femme mariée dans
la stabilité sociale. Pour ce faire, ces chansons abordent les thèmes
comme le respect des beaux-parents, gage de cohésion et de stabilité
sociale.
Mots clés : Chanson, Femmes, Mariage, Responsabilité, Stabilité

Abstract
This article begins with a geographical presentation of the bamanan
people. It tackle the role played by married women, as far as social
stability in concerned through a series of six (06) songs. For that the
songs are about themes such as respect of she in-laws, social cohesion
and stability.
Keywords: Song, women, marriage, responsibility, stability

67
Introduction

Selon PRUDOR (2017), le mot bamanan est un nom générique


renfermant quelques regroupements ethniques. Un des grands groupes
ethniques du Mali, le peuple bamanan et ses assimilés forment un groupe
linguistique et culturel très important. Leur aire géographique s’étend du
centre-est à l’ouest du Mali, et couvre les régions de Ségou et de Niono
(delta central nigérien), du Bèlèdougou (Koulikoro, Banamba, Kolokani,
Kati, etc.), du Kaarta, à cheval sur les cercles de Kita au sud et de Nioro
au nord, également de Bougouni, Yanfolila, Kalondièba et Sikasso. Les
régions d’implantation se répartissent entre trois (3) groupes : Ségoukaw
(ceux de Ségou) ; Kaartakaw (ceux de Kaarta) ; Bèlèdougoukaw (ceux de
Bèlèdougou). Ils tiennent, par leur dialecte dérivé de la langue
mandingue, une place importante au sein des autres groupes ethniques
du Mali. En effet, la popularité du dialecte bamanankan est telle que
même l’observateur non averti sait automatiquement que c’est l’ethnie
bamanan qui prédomine au Mali.
Hors du Mali, on rencontre une forte diaspora bamanan au
Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et en Guinée Conakry. Le
bamanankan y produit aussi les mêmes effets. Non seulement il est le
même, aux différences d’accents près, pour tout le peuple bamanan, mais
il est compris aussi, sans effort notable, par le bloc malinké. Les
Bamananw comme les Malinkés font partie d’un groupe plus vaste (les
Mandekas), au sein duquel ils partagent de nombreux caractères
communs, notamment d’ordre anthropologique. Mais sur le plan
psychologique, ils sont nettement différenciés.
Cependant, cette étude ne portera pas sur tout le Sud-Est du
Mali, mais s’intéressera aux Bamananw du Bèlèdougou situé au nord de
Bamako et qui s’étend jusqu’aux portes du Sahel occidental. Sa
morphologie générale est celle d’un vaste plateau de faible altitude (entre
350 et 450 m environ).
Au plan méthodologique, il sera procédé d’abord à la clarification
du concept de Kɔɲɔndɔnkiliw ou chants de mariage. Ensuite six (6) chants
de mariage (constituant le corpus) seront transcrits en bamanankan et
traduits en français. Enfin, nous commenterons les principaux thèmes
qui se déclinent en deux points essentiels : le respect des beaux-parents et
la soumission aux beaux-parents.

69
1. Clarification du concept de Kɔɲɔndɔnkiliw ou chants de mariage
Il s’agit des chansons qui célèbrent le mariage depuis les phases
préliminaires jusqu’à la célébration de la virginité. Ils accompagnent le
rite de passage de la mariée et consacrent l’accès de la jeune fille au statut
de femme mûre. Ils constituent un répertoire de référence pour les
nouveaux mariés qui peuvent y puiser les règles devant régir la vie
conjugale. Si le furuboloma (le témoin de la jeune fille) apporte les présents
du mariage à la famille de la mariée, le mari et ses amis viennent saluer la
belle famille. Les amies de la mariée et les autres jeunes filles organisent
une veillée pendant laquelle elles jouent de la calebasse et du tɛkɛrɛkulon
(chansons de jeunes filles rythmées par des battements de mains) avant le
départ de la mariée pour le singan (le prêt) ou le taa ka segi (le va et le
vient). C’est à ce moment que commencent les chants de mariage.
Elles sont nombreuses, les coutumes régissant le mariage en
milieu bamanan. Elles peuvent varier d’une région à l’autre, voire d’un
village à l’autre, mais le fait qui demeure invariable est l’importance du
mariage. C’est pourquoi dans le mariage traditionnel bamanan, il y avait
toujours tant d’années entre l’accord donné au moment de la première
enfance et le mariage proprement dit. La raison est que le mariage est
grand. Ce sentiment de la grandiosité du mariage apparaît d’abord dans la
différence de statut entre le fils de l’amour et le fils du mariage : kanu den
ani furu den. Le kanu den, l’enfant de l’amour extraconjugal, ne peut être ni
gwatigi (chef de la grande famille qui réunit plusieurs foyers), ni dugutigi
(chef de village). Il ne participe pas aux activités qui conviennent aux
yɛrɛwolo, (kanu de ɲi tɛ yɛrɛwolo kow la). Les yɛrɛwolo sont ceux qui sont nés
d’eux-mêmes, c’est-à-dire ceux qui sont libres, de façon métaphorique, ils
désignent les dignes hommes.
Une autre raison est que le mariage n’unit pas seulement deux
êtres mais deux familles, voire même deux villages ou deux clans, et cela
demande un long apprentissage. Il faudra dès lors que, chaque année, le
jeune homme aille travailler une journée entière dans la famille de sa
fiancée présomptive, non pas seulement parce qu’il s’acquitte par là d’une
partie de ses obligations envers elle, mais parce qu’on veut le voir au
travail. Que ferait-on d’un paresseux qui ne vaudrait rien à la tâche ? De
la même manière, la petite fiancée se rendra dans sa belle-famille, il lui
faudra montrer qu’elle sait déjà se rendre utile : puiser de l’eau, balayer la
cour et les chambres, faire la lessive, piler le mil et chauffer de l’eau pour
tous les hommes et toutes les belles-mères de la maison. Tous sont à ses

70
yeux des personnalités importantes. C’est pourquoi les rapports qui
existent entre la femme et ses beaux-parents méritent d’être étudiés.

2. Présentation du corpus kɔɲɔndɔnkiliw (chants de mariage)


Dɔnkili fɔlɔ : Kɛnɲɛnin, na ! Chant 1 : Kègnèni, viens !

Kɛnɲɛnin na nka sara i la, Kègnèni2, viens que je te prévienne,


Kɛnɲɛnin wo, na nka dɔɔnin fɔ i ye. Oh Kègnèni, viens que je t’en dise un peu.
Laminɛni Refrain
Kɛnɲɛnin wo, na nka sara i la, Oh Kègnèni, viens que je te prévienne,
5 Kɛnɲɛnin wo, na nka dɔɔnin fɔ i ye. Oh Kègnèni, viens que je t’en dise un peu.
Ko buramusonɛni ! Insulter la belle-mère !
O ti k’anw fɛ yan Kɛnɲɛn yo ! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kègnèni !
Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu.
Nimɔgɔni nɛni ! Insulter les beaux-frères et sœurs !
10 O ti k’anw fɛ kɛnɲɛn yo ! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kègnèni !
Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu.

Laminɛni Refrain
Kɛnɲɛnin na nka sara i la, Oh Kègnèni, viens que je te prévienne,
Kɛnɲɛnin wo, na nka dɔɔnin fɔ i ye. Oh Kègnèni, viens que je t’en dise un peu.
15 Ko buramusonɛni ! Insulter la belle-mère !
O ti k’anw fɛ kɛnɲɛnin wo ! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kègnèni !
Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu.
Ko nimɔgɔmuso nɛni ! Insulter la belle-sœur !
O ti k’anw fɛ kɛnɲɛnin! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kègnèni !
20 Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu.

Dɔnkili filanan : I mana taa… Chant 2 : Si tu pars…

I mana t’aa, Awa, Si tu pars, Awa,


I k’a fɔ, Dis :
Ne m’a mɛn, a m’a kɛ ne ɲɛna. Je n’ai rien entendu, je n’ai rien vu.
Wa n’u y’i ɲininka, S’ils te demandent,
5 Buranmuso nɛn kun jani k’i ɲininka, Si la belle-mère à la langue longue te
demande,
Burankɛ juguma kɔrɔni k’i ɲininka, Si le méchant beau-père te demande,
Nimɔgɔmuso juguma kɔrɔni k’i ɲininka, Si la méchante belle-sœur te demande,
I k’a fɔ : Dis :
A ma kɛ ne ɲɛna. Je n’ai rien vu.
O, Awa ! Oh, Awa !

2 Le terme signifie celle qui fait tout pour moi, ma bienfaitrice. C’est une marraine (une sœur de la

mère biologique) qui chante, elle est la porte-parole de la maman.

71
Kuma tɛ kun muso min kɔnɔ, La femme dont le ventre ne peut
contenir une parole,
Ko tɛ diya o la. Celle-là ne réussit en rien.

Dɔnkili sabanan : Nka laadilikan lamɛn ! Chant 3 : Écoute mes conseils !

Na k’i laadi, e denin ! Viens que je te conseille, ô jeune fille !


Na k’i laadi, o ka to i kɔnɔ. Viens que je te conseille, et garde-les.
Na k’i laadi, Viens que je te conseille,
Burankɛ nɛnili, On n’insulte pas le beau-père,
5 O t’anw ka so, o k’a to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas.
O t’anw ka so buranmuso bugɔli, On ne frappe pas la belle-mère chez nous
O t’anw ka so, o to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas.
O b’anw ka so sinamuso ta k’a pɛrɛn, Terrasser une coépouse,
O b’anw ka so, o k’a to i kɔnɔ. Se fait chez nous, ne l’oublie pas.

Dɔnkili naninan : Musow la tabali ko ! Chant 4 : La table des femmes!3

Tabaliko ! Histoire de table !


Tabaliko ! Histoire de table !
A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !
Musow la tabaliko nin, Cette histoire de table des femmes,
5 A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !

Laminɛni Refrain
Tabaliko ! Histoire de table !
Tabaliko ! Histoire de table !
A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !
10 Musow la tabaliko nin, Cette histoire de table des femmes,
A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !
Kininin min maa tobi, Le petit plat de riz préparé,
O bɛ sigi tabali la. Est posé sur table.
Sogonin min maa tobi, La petite viande qu’on prépare,
15 O bɛ sigi tabali la. Est posée sur la table.
Buranmuso twa t’i fɔ. On ne prononce pas le nom de la belle-mère,
Buranmuso ta tɛ di. On ne donne pas à la belle-mère sa part.

3 Les Bamanans mangent ensemble, le repas étant servi dans une grande cuvette. Pour les
marraines, un mari attablé représente la civilisation occidentale. Caractérisée par l’individualisme,
la table serait à la base de la destruction des grandes familles.

72
Dɔnkili durunan : Kɛ miseli ye, Ɲele ! Chant 5 : Sois une aiguille4, Niélé !

Kɛ miseli ye, n kanubaa ɲuman, Ɲele ! Sois une aiguille, ma bien-aimée, Niélé5 !
Dukɔnɔmɔgɔw kana fara-fara i sigilen ɲɛna. Que les membres de la famille ne se
dispersent pas s en ta présence.
Hali i buranmuso ma tila a da lamagali la, À peine ta belle-mère a-t-elle ouvert la
bouche,
I b’i malobaliyajɔ i ko ɲɔkala kunan, Tu te dresses effrontément, telle une tige de
mil amère,
5 I y’a kɛ dajukɔrɔ kumalankolonfɔ ye. Marmonnant des paroles incongrues.
Ɲele ! Niélé!
Hali i burankɛ ma tila a da lamagali la, À peine ton beau- père a-t-il ouvert la
bouche,
I y’i pan k’i turu i n’a fɔ ɲɔkala kunan, Que tu te dresses effrontément, telle une
tige de mil amère,
I y’a kɛ dajukɔrɔ kumalankolonfɔ ye. Marmonnant des paroles incongrues.
10 U y’i kelen bila ka taa Ils t’ont laissée partir seule
Ɲele ! Niélé !
Hali i nimɔgɔkɛ ma tila a da lamagali la, À peine le beau-frère a-t-il ouvert la
bouche,
I b’i pan k’i jɔ i ko waramuso ! Que tu te dresses comme une lionne !
U y’i kelen to kungo kɔnɔ Ils t’ont laissée partir seule en brousse
15 Ɲele, Fatumata ka Ɲele ! Niélé, Niélé de Fatoumata !
Ga jɛlenbaw y’i ma dunan ye. Les hangars bien propres te sont
inconnus.
U y’i kelen to ka jigin ba kɔnɔ, Ils t’ont laissée descendre seule au fleuve,
Ɲele ! Niélé !
Hali i buraɔmuso ma tila a da lamagali la. À peine la belle-mère a-t-elle ouvert la
bouche,
20 I nɛn ka di i ko muru ! Que ta langue s’aiguise comme un
couteau !
I m’a oluw si ye i baw la. Tu n’as rien vu de tout cela chez tes
mères.

Dɔnkili wɔrɔnan : Denw ma kuma ban dɛ ! Chant 6 : Les enfants n’ont pas
encore parlé !6

Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore
parlé !

4 Une épouse doit renforcer les rapports humains dans la famille. Ce qui fait dire aux Bamananw

qu’une épouse doit être une aiguille mais pas une lame. Une aiguille pour coudre (unir les parents) et
non un couteau pour (déchirer les liens).
5 Cette mariée s’appelle Niélé : le premier enfant du genre féminin.
6 Ce chant est exécuté par les marraines du mari et est dédié à la mariée entourée de ses amies.

Elle ne doit en aucun cas parler avec sa belle-famille jusqu’à ce que celle-ci la dédommage.

73
Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore parlé !

Laminɛni Refrain
Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore
parlé !
5 Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore
parlé !

E kan’i burankɛ nɛni ndɔgɔnin 7! N’insulte pas ton beau-père, ma sœur !


E kan’i burankɛ nɛni ndɔgɔnin ! N’insulte pas ton beau-père, ma sœur !
Burankɛ nɛni ma ɲi dɛ ndɔgɔnin. Insulter un beau-père n’est pas une bonne
chose, ma sœur.
Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore parlé !
10 E kan’i furucɛ sɔsɔ ndɔgɔnin ! Ne contredis pas ton époux, ma sœur !
E kan’i furucɛ sɔsɔ ndɔgɔnin ! Ne contredis pas ton époux, ma sœur !
Furucɛ sɔsɔ ma ɲi dɛ ndɔgɔnin. Contredire un époux n’est pas une bonne
chose, ma sœur.
Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore parlé !
E kan’i buranmuso nɛni ndɔgɔnin ! N’insulte pas ta belle-mère, ma sœur !
15 E kana ne yɛrɛkun nɛni ndɔgɔnin ! Ne m’insulte pas, moi non plus, ma sœur !
Buranmuso nɛni ma ɲi dɛ ndɔgɔnin. Insulter une belle-mère n’est pas une bonne
chose, ma sœur.
Ala, denw ma kuma ban dɛ ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore parlé !

3. Analyse sociolinguistique
Dans les lignes qui suivent, une analyse des principaux thèmes
permettra de mettre en évidence une relation entre les chansons et
les rapports sociaux. La langue est « un fait social ». Les chansons
étant des produits de la langue ne sont pas seulement des moyens de
distraction ou de communication. Elles ne véhiculent pas seulement
des contenus mais elles sont, elles mêmes des contenus qui
marquent les aspirations sociales. Alors une analyse des thèmes et
des figures de styles conduit à la mise en évidence de la valeur
socilinguistique des chansons.
Selon FROMILHAGUE (1995), les figures de style se trouvent dans
toutes les productions (verbale, orale, spontanée, poétique…). À la suite
de ce constat, il devient imprudent d’analyser séparément les thèmes du
style. Alors l’étude combinera l’analyse thématique et stylistique.

7 Au sens propre, ce terme veut dire la frère ou sœur cadet. Mais il peut, affectueusement,
signifier « ma fille ».

74
3.1. Le respect des beaux-parents
En fait, dans les furudɔnkiliw ou kɔɲɔndɔnkiliw (chants de
mariage), nombreux sont les chants qui font allusion aux beaux-parents.
Cela montre l’importance que les beaux-parents ont aux yeux de la
femme bamanan. C’est le comportement de la femme qui, de prime à
bord, frappe les beaux-parents et les visiteurs.
C’est pourquoi la plupart des chants nuptiaux avertissent la
mariée sur l’attitude à adopter envers la belle-famille dans le cadre de sa
formation psychologique et cela dans toutes les phases du mariage. La
plupart de ces chants évoquent les tourments de la nouvelle vie qui
attendent la mariée. Dans cette situation, la jeune fille aborde-t-elle avec
terreur ou avec joie la nouvelle vie qui commence pour elle ? La jeune
femme lave volontiers le linge de sa belle-mère qui, pour la remercier, lui
offre du savon ou des condiments : poudre de feuilles de baobab
(nanɔkɔlan), poudre de gombo séché (ganmugu), etc. En se référant au
témoignage des missionnaires, René Luneau ajoute ceci :
Elle respecte son beau-père, le regarde comme son père, lui rend
de petits services (couper du bois en saison froide, etc.). Elle
respecte le frère aîné de son mari, lui obéit, va où il l’envoie, lui
rend des services. Elle joue avec toutes ses belles-sœurs… avec
son beau-frère plus jeune et partage avec lui les friandises qu’ils
trouvent. [….]. Elle respecte et craint les oncles de son mari, les
regarde comme ses petits pères, elle fait ce qu’ils lui demandent à
l’occasion, de même pour les tantes. Ceux-ci peuvent lui payer
des habits8.

Nombreux sont les chants qui mettent en garde la nouvelle


mariée contre les insultes ou toute autre marque d’impolitesse envers les
beaux-parents. Comme l’attestent les chants 1 et 3 : le premier exécuté
par les marraines de la mariée et le second par les belles-sœurs de la
mariée :
Kɛnɲɛnin wo, na nka dɔɔnin fɔ i ye. Oh Kègnèni, viens que je t’en dise un peu.
Ko buramusonɛni ! Insulter la belle-mère !
O ti k’anw fɛ kɛnɲɛnin wo ! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kɛɲɛni !

8 LUNEAU Réné, Chants de femmes au Mali, Paris, Karthala, 2010, p. 35.

75
Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu.
Nimɔgɔni nɛni ! Insulter les beaux-frères et sœurs !
O ti k’anw fɛ kɛnɲɛn yo ! Cela ne se fait pas chez nous ici, Kɛɲɛni !
Na nka dɔɔnin fɔ i ye. Viens que je t’en dise un peu. (Chant 1).

Na k’i laadi, Viens que je te conseille,


Burankɛ nɛnili, On n’insulte pas le beau-père,
O t’anw ka so, o k’a to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas.
O t’anw ka so buranmuso bugɔli, On ne frappe pas la belle-mère chez nous.
O t’anw ka so, o to i kɔnɔ. Cela ne se fait pas chez nous, ne l’oublie pas. (Chant 3)
Au plan stylistique, les deux chants fonctionnent sur le registre de
l’apostrophe. La nouvelle mariée est apostrophée pour qu’elle
comprenne que la chanson lui est personnellement adressée. Dans ce
sens, les conseils qui y figurent lui sont siens. Elle doit les respecter
scrupuleusement. Le style est familier. On s’adresse à la nouvelle mariée
dans un ton qui lui est connu et dans des mots et expressions qu’elle
comprend facilement. L’impératif « Viens » a une valeur d’invitation ou
de conseil. Le présent de l’indicatif exprime une vérité générale : « Cela ne
se fait pas chez nous. » Cette vérité est partagée par toute la communauté.
La mariée sait qu’elle doit se conformer aux valeurs véhiculées dans les
chants.

Cependant, certains des beaux-parents sont souvent exigeants et


exaspérants. Dans de telles situations, la prudence est recommandée à la
nouvelle mariée :

I mana t’aa, Awa, Si tu pars, Awa,


I k’a fɔ, Dis toujours,
Ne m’a mɛn, a m’a kɛ ne ɲɛna. Je n’ai rien entendu, je n’ai rien vu.
Wa n’u y’i ɲininka, S’ils te demandent,
Buranmuso nɛn kun jani k’i ɲininka, Si la belle-mère à la langue longue te demande,
Burankɛ juguma kɔrɔni k’i ɲininka, Si le méchant beau-père te demande,
Nimɔgɔmuso juguma kɔrɔni k’i ɲininka, Si la méchante belle-sœur te demande,
I k’a fɔ : Dis toujours :
A ma kɛ ne ɲɛna. Je n’ai rien vu. (Chant 2)

Le chant 2 invite la nouvelle mariée au silence. Le conseil qui lui est


donné est « Dis : Je n’ai rien entendu, je n’ai rien vu ». L’impératif impose
l’ordre par une invitation, un conseil. La négation a une valeur
d’hyperbole. « Rien vu… rien entendu » est hyperbolique. C’est une forme
d’insistance dont la finalité est d’empêcher la mariée de commettre une
erreur.

76
Dans le milieu bamanan, la communauté est au-dessus de
l’individu. Ainsi le mari dont les tracas sont supportables passe au second
plan. Contre eux, la femme a, non pas une, mais des bottes sécrètes. La
femme bamanan sait rendre au centuple les coups qu’elle reçoit de son
conjoint. Mais contre les beaux-parents assimilés à un père et à une mère
statutairement, et qui cependant ne ratent jamais une occasion pour
stigmatiser les défauts de leur belle-fille, que faire sinon supporter, au
risque de se mettre à dos la communauté entière ? Vis-à-vis d’eux, la
femme ressent une rage impuissante qui, par moment, éclate contre le
gwatigi (le chef de la grande famille) en des diatribes amères où le mari se
garde d’intervenir.
Le chant suivant est exécuté par les marraines du mari. En milieu
traditionnel bamanan, une belle-fille dispense automatiquement sa belle-
mère des travaux culinaires. Mais il arrive que la belle-fille, par frustration
ou pour faire plaisir à son mari, ne sert ni à sa belle-mère, ni à ses beaux-
frères et belles-sœurs les petits plats qu’elle prépare. Elle réserve une
bonne part sur la table pour son mari et ses enfants. Les belles-mères ne
conçoivent pas ce comportement. Pour elles, ces genres de
comportements peuvent être à la base de la dislocation des grandes
familles :

Tabaliko ! La table !
Tabaliko ! La table !
A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !
Musow la tabaliko nin, Cette histoire de table des femmes!
A man di anw ye ! Nous n’en voulons pas !
Kininin min maa tobi, Si on prépare un petit plat de riz,
O bɛ sigi tabali la. Est posé sur la table.
Sogonin min maa tobi, La petite viande qu’on prépare,
O bɛ sigi tabali la. Est posée sur la table.
Buranmuso twa t’i ɔ. On ne prononce pas le nom de la belle-mère.
Buranmuso ta tɛ di. On ne donne pas la part de la belle-mère. (Chant 4)

À travers ce chant, la jeune mariée est interpelée et mise en garde contre


une telle attitude. La famille traditionnelle bamanan est une grande
famille composée de plusieurs ménages. Il arrive des fois qu’une épouse
(nouvelle mariée), par ses mauvais comportements, soit à la base de la
destruction de la grande famille alors que le comportement idéal d’une
épouse est d’œuvrer pour l’unification de tous les membres de la famille.
Alors les mères en parlant de la table manifestent leur désapprobation de
la séparation de l’épouse et de son mari des autres membres de la famille.

77
Le mot « table » est un trope désignant le plat qui y est posé. Il est
interdit à la femme de réserver le mets pour son seul mari. La nourriture
appartient à tout le monde dans la société bamanan. La femme qui
n’œuvre pas dans ce sens est considérée comme un élément dangereux
dont le rôle est de détruire le tissu familial et social.
Dans le chant suivant, les marraines parlent de façon métaphorique du
couteau pour faire allusion à la langue de la mariée. Le couteau blesse, la
langue injurie. Une injure est une blessure sinon plus qu’une blessure.
Nous comprenons cela par un adage maninka qui dit : « une blessure faite
par le couteau se guérit, mais une blessure faite par la langue saigne à chaque fois
qu’on se rappelle ». L’injure est une attitude détestée. Le moindre signe
d’insoumission verbale envers les beaux-parents est une preuve
d’indiscipline.

(Chant 5)
Hali i nimɔgɔmuso ma tila a da lamagali la, À peine la belle-sœur a-t-elle ouvert la
bouche,
I nɛn ka di i ko muru ! Que ta langue s’aiguise comme un couteau !
I m’a oluw si ye i baw la. Tu n’as rien vu de tout cela chez tes mères.

La comparaison dans cet extrait de chant met en relief les effets nocifs de
la parole. La langue comparée au couteau qui détruit, déchire, égorge,
tue. En fait, la langue symbolise la parole dont la mariée doit se méfier.
Une parole gardée devient un secret qui devient dangereux dès qu’il est
divulgué : « dès que l’ennemi le capte, il devient un grand feu de brousse. » (BA,
2009, p. 149).

3.2. La soumission aux beaux-parents


L’examen attentif de ces quelques chants de mariage dessine la position
de la femme par rapport à son mari et à ses beaux-parents. Le mari ne
fait pas l’objet de manifestations d’amour et de tendresse, l’amour est
pratiquement absent. Les chants évoquent plutôt la relation de la mariée
avec son entourage : ce sont les beaux-parents (la belle-famille) qui sont
mentionnés. Nulle part il n’est question de mariage et d’amour. L’amour
et le mariage semblent donc être deux choses inconciliables ou tout au
moins très rares dans le milieu traditionnel bamanan. À propos de la
représentation de l’image du mari, Pascal Baba Couloubaly note que
parmi les différents partenaires sociaux de la femme,

78
sa figure est, de toutes, celle qui est la plus dévalorisée ; certes en
raison du fait qu’il est toujours imposé et non élu, mais
également parce qu’il symbolise le pouvoir phallocratique, avec
tout ce qu’il représente de violence, de fatuité et d’iniquité9.

Consciente du choc qu’elles peuvent souvent créer, la rupture avec le


milieu familial et l’existence d’obstacles à franchir pour assurer le succès du
mariage sont autant de raisons qui suscitent des appréhensions chez la
mariée et sa famille, la société préconise la soumission et la retenue comme
porte de sortie honorable pour la femme.
Le comportement idéal de l’épouse dans le milieu traditionnel
bamanan est donc la soumission et la résignation. Le rôle d’une épouse est
d’obéir : obéir à son mari, à ses beaux-parents. Toute épouse qui ne se
soumet pas est supposée ne pas avoir reçu une bonne éducation de ses
parents, car l’indicateur d’une bonne éducation est la soumission aux
normes et aux règles déjà établies dans la belle-famille. Ce qui fait dire aux
sages bamanans au moment de l’offre de la main de la jeune fille à son
mari : « nous vous donnons notre fille avec la paume de la main et non le dos de la
main, c’est à vous de lui donner une éducation répondant à vos aspirations selon vos
convenances ». La métaphore « Donner avec la paume et non le dos de la main »
signifie donner sans duplicité, sans arrière-pensée, sans calcul, sans dessein
de le reprendre. Les parents de la jeune mariée sont conscients de n’avoir
pas pu enseigner à leur fille toute l’éducation attendue. Donc c’est à la
belle-famille de lui donner ce qui manque d’où une nécessité de
soumission de la mariée.
Le mariage est un mélange de miel et de jus de cailcédrat, donc une
épouse doit toujours se résigner le jour où elle fera face à des contraintes
dans son foyer. Selon la conception traditionnelle bamanan, toute épouse
qui se résigne en profitera toujours, car la puissance et la réussite d’un
enfant dépendent de la soumission de sa mère. Cette résignation est
toujours conseillée à l’épouse, particulièrement par les marraines qui même
avant d’accompagner la nouvelle mariée chez son mari exécutent un rituel
qui consiste à laver les pieds de la mariée avec de l’eau chaude d’abord et
ensuite avec de l’eau froide. L’eau chaude est le symbole de la souffrance
et les difficultés que toute épouse peut rencontrer au foyer, et l’eau froide
est le symbole du bonheur et de la paix que toute épouse est sensée vivre

9COULOUBALY Pascal Baba, op. cit., p. 28.

79
dans le mariage. C’est pour dire qu’après toute souffrance et toute
difficulté c’est le bonheur : l’épouse idéale doit se préparer à la patience.
E kan’i furucɛ sɔsɔ ndɔgɔnin ! Ne contredis pas ton époux, ma sœur !
E kan’i furucɛ sɔsɔ ndɔgɔnin ! Ne contredis pas ton époux, ma sœur !
Furucɛ sɔsɔ ma ɲi dɛ ndɔgɔnin. Contredire un époux n’est pas une bonne chose, ma
sœur !
Ala, denw ma kuma ban dɛ! Mon Dieu, les enfants n’ont pas encore parlé ! (Chant 6)
Cette composition définit le type de rapport devant régir la vie de la
femme avec son époux et ses beaux-parents. Le rapport de la femme
avec son mari doit être marqué par une soumission, car la femme doit se
conformer aux conseils de son époux : le combler d’honneurs et œuvrer
dans le sens de ses désirs. Elle doit aussi éviter toute idée de se rebeller
contre lui. Elle doit prendre la direction de sa belle-famille pour ne pas
rendre ses chances nulles auprès de Dieu. La soumission est indiquée par
l’impératif. Plus qu’un conseil, l’impératif a une valeur d’ordre. Il est
renforcé par la négation : « Ne contredis pas… »
En plus de cette préparation psychologique et spirituelle, la
famille de la mariée la prépare en lui instruisant les devoirs d’épouse, de
ménagère, de belle-fille. On lui enseigne l’art de traiter son mari et
surtout ses beaux-parents. Il le lui est rappelé au moment du départ
définitif pour le foyer conjugal. Le jeudi où la fille quitte la maison
paternelle définitivement pour la famille de son « mari », le chef de village
confirme son consentement et sa responsabilité sur ce mariage. Il le fera
lorsque la fille de sa bouche lui aura dit : « Père, je vais partir ! ».
C’est alors que le chef de village prend la parole et dit :

« Nous avons parlé à ‘’tes maris’’ ! Nous t’avons fait don à leur famille.
Pour que tu ailles édifier et non abattre leur maison.
Tu as été offerte, saine et sauve ! Si tu tombes malade chez eux, ne les abandonne pas
pour autant !
Ne prends pas d’autorité ce que l’on ne t’a pas donné !
Ne mens pas !
Ne manque pas de respect à tes beaux-parents !
Là où il y a l’abondance, là aussi gît le dénuement !
Là où réside le dénuement, là se trouve également l’abondance ! »

Ce consentement du chef de village montre bien que la jeune mariée est


assimilée à un bien matériel que possède toute la belle-famille. Elle
n’épouse pas un mari mais plutôt « les maris ». « Nous avons parlé à “tes

80
maris’’ ! Nous t’avons fait don à leur famille. […] Tu as été offerte ! ». Le mari
semble être un inconnu pour la jeune fille, lui, qui intervient
brusquement dans sa vie de jeune adolescente (puisque le mariage
intervient entre 13 et 16 ans) occasionnant un grand choc. D’autre part,
« l’amour désespéré pour celui-ci rend le mariage inconséquent et
anormal. La livraison au mari sonne la fin des illusions, anéantissant l’être
physique et moral de la femme » 10 . On comprend mieux toutefois
pourquoi la femme doit soumission et obéissance aux beaux-parents. Ainsi
la considération d’autrui est-elle de mise dans la conclusion d’un mariage :
maa bè don furu la wasa bonɲa ka da i kan (l’on se marie pour être considéré).
À l’arrivée du cortège de mariage dans la belle-famille, c’est le
furuboloma (le démarcheur du mariage) qui procède à la monition des
époux, en s’adressant d’abord au jeune homme en ces termes :
« Une telle est devenue membre de la famille.
Traite-la bien ! C’est une enfant !
Apprends-lui ce qu’elle ignore.
Frappe-la si elle se conduit mal. »

Puis s’adressant à l’épouse, il lui dit :

« Tu viens habiter en épouse et non en souveraine qui fait la loi.


Fais ce que ton mari te commande.
Évite de faire ce qu’il te dit de ne pas faire.
Fais à ton mari tout ce qu’une épouse doit faire à son mari
Mais ne la frappe pas avec le fouet à la longue queue. Ce fouet n’est autre chose que la
parole. Abstiens-toi de dire à ta femme des paroles blessantes ou humiliantes, des paroles
qui sapent le mariage. »

Conclusion
La chanson accompagne toutes les étapes du mariage en milieu
bamanan du Bèlèdougou. La plupart des chants n’ont pas simplement été
produits pour distraire ; ils transmettent une image symbolique qui oriente
à la socialisation de la mariée, enseignée par la sagesse traditionnelle. Les
chants préparent la nouvelle mariée à accéder à la maturité sociale. Cette
contribution nous donne l’occasion de nous pencher sur le comportement
de la femme bamanan à l’égard de ses beaux-parents. Au Bèlèdougou
comme partout ailleurs, les femmes parlent de leur vie lorsqu’elles la
10 COULOUBALY Pascal Baba, Une société rurale bambara à travers des chants de femmes, Dakar, les

presses de l’imprimerie Saint-Paul, 1990, p. 28.

81
chantent. Aussi les chansons sont-elles indissociables du peuple dont elles
incarnent la culture. D’où cette affirmation de John Steinbeck :
« Les chansons sont l’histoire d’un peuple. Vous pouvez
apprendre plus sur les gens en écoutant leurs chansons que de toute
autre manière, car dans les chansons s’expriment toutes les
espérances et toutes les blessures, toutes les colères, toutes les
craintes, tous les besoins et toutes les aspirations. »11
René Luneau écrit à ce propos : « Tout peut être chanté, et il est étonnant de
voir combien les chansons restituent le visage de la vie. »12

Bibliographie
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BARRAUD Ch., « La femme dans la chanson » in Cahiers de littérature
orale, nº 10, 1981.
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11 STEINBECK John, cité par Massa M. DIABATÉ dans, Janjon et autres chants populaires du Mali,
Paris, Présence africaine, 1970, p. 8.
12 LUNEAU René, Chants de femmes au Mali, Paris, Éd. KARTHALA, 2010, p. 7.

82
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ZEUTSCHEL M. (1996), « Chansons de jeunes filles Bambara du Mali »,


mémoire de maîtrise, Université de la Sorbonne Nouvelle
(Paris-III), 1995-1996.

83
Chapitre 4

Perceptions des pratiques reproductives


des adolescents au Mali

Ichaka CAMARA
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako
(ULSHB)
camarai2000@yahoo.fr

Résumé
La mortalité maternelle reste un véritable fléau. Des femmes meurent
chaque jour dans certains pays d’Afrique subsaharienne comme le Mali à
cause de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Une
partie de ces décès se produit dans les localités de Kayes et de Diéma au
Mali.
En dépit de l’impact de programmes de planification sur les pratiques
reproductives, les couples sont réticents à la contraception moderne dans
ces localités. Cette réticence s’explique en partie par la qualité de l’offre
et les logiques communautaires. Les mécanismes destinés à faire réduire
cette réticence sont au centre des préoccupations de nombreux acteurs
dont les chercheurs, les politiques, la société civile et plus largement la
communauté internationale.
Cet article se propose d’appréhender les perceptions de la socialisation
reproductive des adolescents dans les localités de Kayes et de Diéma.
Pour y arriver, nous avons opté pour des entretiens individuels auprès de
36 épouses, de 12 leaders religieux, de 52 personnes de caste et
26 responsables des structures étatiques, privées et d’ONG.
Les résultats mettent en avant un fonctionnement insuffisant de la
socialisation reproductive des adolescents selon les localités à travers des
réseaux de solidarité en raison de la modernité et des représentations
religieuses. Ces adolescents s’en trouvent peu intégrés occasionnant le
déclin et la remise en cause des pratiques qui assuraient jusque-là leur
insertion dans la communauté. Aussi, ces résultats identifient les
principales perceptions, les déterminants socioculturels et les pratiques
au service de la santé de la reproduction de l’adolescente.
Mots clés : Adolescent, Diéma, Initiatrice nuptiale, Kayes, Socialisation

85
Abstract
Maternal mortality remains a real scourge. Women die every day in some
Sub-Saharan African countries like Mali, because of complications
related to pregnancy or childbirth. Some of these deaths occur in Kayes
and Diema in Mali.
Despite the impact of planning programs on reproductive practices,
young couples are reluctant to use modern contraception in those
localities. That reluctance can be explained in part by the quality of the
offer and the community logic. The mechanism intended to reduce that
reluctance is the main preoccupation of many actors including
researchers, politicians, civil society and more broadly the international
community.
This paper aims at apprehending the perceptions of the socialization
linked to reproductive life of the adolescents in the localities of Kayes
and Diema. To achieve that goal, we carried out individual interviews
with 36 married women, 12 religious leaders, 52 caste people and 26
responsible for state and private structures and Non-Governmental
Organization.
The results suggest lack of functioning of the socialization linked to
the reproductive life of the adolescents according to localities through
solidarity networks due to modernity and religious representations.
Those adolescents find themselves less integrated, causing the decline
and questioning of the practices, which up to now ensured their
integration into the community. Also, those results identify the main
perceptions, sociocultural determinants and practices to the service of
youth reproductive health.
Keywords: Teenager, Diema, Nuptial female initiator, Kayes,
Socialization

86
Introduction

En Afrique subsaharienne et dans de nombreuses sociétés de culture


arabo-musulmane dont le Mali, chaque individu est appelé à jouer des
rôles définis par l’âge et le sexe. Habituellement, les aînés, hommes et
femmes, combinent leurs efforts pour assurer la socialisation des cadets.
Cette combinaison d’efforts vise à susciter et à développer chez ces
derniers « un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux,
indispensables à la vie en société et dans le milieu spécial d’appartenance.
La socialisation est effectivement une contrainte imposée » (Darmon,
2008, p. 15). Ces efforts conjoints amènent l’adolescent à intérioriser les
règles, les normes et les valeurs significatives de la société, dans laquelle il
grandit. Cette intériorisation se caractérise, selon M. L. Hoffman, « par son
aspect imitatif qui s’accomplit par la parole qu’accompagnent
l’observation, l’art, le jeu, la musique et la danse » (Hoffman, 2006, p. 48).
C’est la raison qui fait qu’elle valorise la cohésion sociale et la primauté du
collectif sur l’individuel. Le rapport intergénérationnel est au cœur du
processus. Pour qu’il y ait socialisation, il faut qu’il y ait en présence une
génération d’aînés et une génération de cadets. Ce lien intergénérationnel
se caractérise par un fonctionnement de la socialisation à travers des
réseaux de solidarité. Une insuffisance de cette solidarité débouche sur une
crise d’intégration dont « les effets cumulatifs provoquent le déclin et la
remise en cause des mécanismes, qui assuraient jusque-là l’insertion des
individus dans le tissu social » (Dubar, 2015, p. 65-78).
L’adolescence désigne à la fois les transformations organiques, sociales et
psychologiques (Emmanuelli, 2005, p. 258). Proches de cette vision, C.
Sabatier et L. Lannegrand-Willemls définissent l’adolescence comme
l’ensemble des transformations cognitives, émotionnelles et
comportementales (Sabatier et Lannegrand-Willemls, 2005, p. 379). C’est
une phase distincte et intermédiaire de l’enfance et l’âge adulte, qui requiert
une attention et une protection particulières. Selon une vision similaire, R.
Deslandes et R. Cloutier (2005) et I. Habets (2011) perçoivent
l’adolescence comme une nouvelle phase d’autonomisation, de
désaliénation par rapport aux dépendances préétablies. Ce qui signifie la
réduction de l’aliénation, l’indépendance vis-à-vis des pratiques préétablies
et des normes sociales. Cette réduction selon eux se réalise sur les plans
cognitif, affectif et social. En effet, les adolescents aspirent à plus
d’autonomie et cherchent à renégocier les liens sociaux avec leurs familles,
leurs pairs et leurs aînés. C’est le cas à Kayes et à Diéma, deux localités

87
maliennes de vieilles valeurs dont les dépositaires sont les aînés,
notamment l’initiatrice nuptiale comme on l’appelle magnamaga. L’initiation
nuptiale désigne une éducation du jeune couple en tant que personnes et
membres de la communauté, au cours de laquelle ceux-ci sont placés sous
l’autorité de deux aînés d’âge mûr, femme et homme, chargés de les
encadrer et éventuellement d’apporter des appuis-conseils et des
réprimandes, en cas de non-observance de certaines règles et conduites
bien établies. L’initiatrice joue le rôle d’aide et de conseillère auprès des
couples nouvellement mariés durant la période des noces dont la durée
varie selon les traditions locales entre trois et sept jours. La nuit des noces
et les jours suivants, l’initiatrice reste avec le couple pour le former,
l’orienter, l’informer, le sensibiliser, l’éduquer et le guider dans ses premiers
pas afin de consolider son union et s’occupe de l’épouse en particulier. En
échange, elle reçoit symboliquement une somme d’argent dérisoire selon
les traditions, un pagne wax, les habits et ustensiles utilisés par la mariée
dans la chambre nuptiale ainsi que d’autres cadeaux offerts par les tantes et
sœurs de celle-ci (Coulibaly, 2017).
Cependant, ce pan important de notre tradition est en passe de disparaître
du fait de la modernité et des représentations religieuses, ce qui peut
affecter considérablement la santé de la reproduction de l’épouse. Cette
disparition probable conduit à l’interrogation suivante : la socialisation
nuptiale est-elle vraiment bénéfique au couple, surtout à la santé de la
reproduction de l’épouse à Kayes et à Diéma ? Plus précisément, comment
cette socialisation est-elle perçue dans ces localités ? Quelles logiques sous-
tendent cette initiation ? Comment contribue-t-elle à la santé de la
reproduction de l’adolescente ?
Le présent article a pour objectif général d’analyser les déterminants, les
pratiques nuptiales et les difficultés rencontrées par les acteurs à Kayes et à
Diéma. Pour ce faire, nous avons comme objectifs spécifiques : de décrire
la perception de la socialisation nuptiale dans ces localités ; d’identifier les
logiques qui se cachent derrière cette socialisation et des pratiques
concrètes de l’initiatrice mises au service de la santé de la reproduction de
l’adolescente.
L’hypothèse générale de ce travail se construit sur l’idée selon laquelle les
perceptions de la socialisation nuptiale sont généralement influencées par
l’expérience vécue par tout couple. Cette hypothèse générale nous conduit
à formuler des hypothèses spécifiques : la pratique démodée de la
socialisation nuptiale tend à être considérée comme le fait de la modernité

88
et de la religion à Kayes et à Diéma ; la facilitation de la consommation du
mariage ainsi que la protection contre les esprits sont quelques
représentations sociales qui guident cette socialisation ; l’enseignement à
l’hygiène de la voie génitale et l’espacement des naissances sont des
facteurs de connaissances concrètes de l’initiatrice au service de la santé de
la reproduction de l’adolescente.
1. Aperçu des milieux d’étude et l’approche méthodologique

1.1. Aperçu des localités de Kayes et de Diéma


Située à l’ouest de Bamako et à cheval sur le fleuve Sénégal, la commune
urbaine de Kayes est limitée à l’est par les communes rurales de Liberté
Dembaya et de Hawa Dembaya, à l’ouest par les communes rurales de
liberté Dembaya et de Bangassi, au nord par la commune rurale de
Khouloum. Elle compte 6 quartiers dont Khasso, Plateau, Kayes-N’di,
Légal-Segou, Liberté et Lafiabougou avec une superficie de 50 km²
(ISTAM, 2018, p. 14). Sa population est estimée à 127 368 habitants,
composée principalement de Khassonkés, de Soninkés, de Peuhls, de
Bambaras, de Malinkés, d’Ouolofs et de Maures, qui sont les ethnies
dominantes (ISTAM, 2018, p. 15).
Situé au nord de Kayes, le cercle de Diéma comprend une commune
urbaine et 14 communes rurales, dont Diéma, avec une superficie de
12 440 km2 (Diéma, 2019, p. 21). Estimée à 179 235 habitants, sa
population est composée essentiellement de Sarakolés, de Bambara, de
Peuhls, de Maures, de Kagoros et de Kassonkhés (Diéma, 2019, p. 22).
Dans les localités listées ci-dessus semblent se produire deux
mouvements : d’un côté, la perte des valeurs qui fondent la société sous
l’influence de la migration et de l’islam, et, de l’autre côté, le regain
d’intérêt pour ces valeurs menacées de disparition à travers les festivals
(festival du Khasso, festival international des rails de Kayes) et autres
manifestations culturelles de défense des traditions (biennales) ou
associations culturelles (Association pour la promotion de la langue et la
culture soninké). Ce retour aux valeurs traditionnelles se traduit dans le
rejet par de nombreux jeunes gens, hommes et femmes, de la planification
moderne. Ce rejet pourrait hypothéquer l’ambition de venir à bout de la
terrible « règle des trop », c’est-à-dire trop d’enfants, trop tôt, trop tard et
trop rapprochés, voire la mort maternelle (Coulibaly, 2012).

89
1.2. Approche méthodologique
La recherche a opté pour des entretiens individuels qui visent à faire des
relances très personnalisées et à garantir la spontanéité et la liberté des
réponses de nos interviewés. Ces entretiens individuels ont été complétés
par des groupes de discussion. Les groupes de discussion visent à
accéder à des informations complémentaires là où l’un ou l’autre montre
ses limites. La technique de la saturation a été privilégiée pour ces
entretiens (Blais et Martineau, 2006). Sur cette base, nous avons retenu
un échantillon issu de nos quatre groupes cibles. Nous avons interrogé
accidentellement 126 personnes, dont 74 femmes et 52 hommes, âgés de
13 à 75 ans. Ces personnes se répartissent comme suit : 31 épouses et
leurs familles, 12 leaders religieux, 52 personnes de caste et
26 responsables des structures étatiques, privées et d’Organisations non
gouvernementales (ONG). Leur choix se justifie par le fait que ces
personnes sont d’une manière ou d’une autre concernées par la
socialisation dans leur localité ou parfois sont regroupées au sein
d’institutions de socialisation. L’étude de terrain, qui s’est déroulée en
février et mars 2019, a concerné les quartiers de Razel, de Lafiabougou et
de Marakaking pour Diéma ainsi que les quartiers de Kassho, de Liberté,
de Ségou-Légal, de Plateau et de Lafiabougou pour Kayes.
2. Présentation des résultats de l’étude
La présentation des résultats porte essentiellement sur les principales
perceptions, les déterminants socioculturels, les pratiques concrètes au
service de la santé de la reproduction de l’adolescente à Kayes et à Diéma
et les discussions.
2.1. Quelques perceptions de la socialisation nuptiale
Dans notre cas, deux perceptions semblent coexister : traditionnelle et
moderne. D’abord, les aînés perçoivent la socialisation nuptiale comme
une action exercée par une personne, homme ou femme de caste selon
les localités, sur l’adolescente qui n’est pas encore mûre pour la vie
sociale et reproductive. Selon eux, l’origine de cette pratique remonterait
à la solidarité interlignagère dans l’empire du Mali sous le règne de
Soundiata Keïta au XIIIe siècle (Turco, 2007, p. 310). Cette solidarité
engageait deux couches principales : les horonw s’agissant des nobles et les
nyamakalaw s’agissant des personnes de caste. Les seconds, constitués de
forgerons, de cordonniers et d’esclaves, assuraient le tutorat de
l’adolescente des premiers selon les localités et les familles. Ils formaient
celle-ci suivant une relation d’interdépendance et de dette culturelle entre

90
noble et homme de caste du Mandé traditionnel. Les premiers doivent
confier aux seconds leurs enfants, surtout les fillettes pour les éduquer,
les modeler et les orienter par leur savoir-faire et leur savoir-être. En
retour, les nobles doivent les gratifier de cadeaux pour service rendu.
Cette gratification permet aux hommes de caste d’assurer leur
subsistance. Ces gens de caste constituaient une référence pour chacun
des gestes de l’adolescente, exerçaient une certaine influence et
façonnaient le comportement sexuel et procréateur de celle-ci.
Le vocable nyamakala vient des mots bamanans nyama, littéralement
signifiant les « esprits », et kala, s’agissant du « remède ». Un nyamakala
désigne des hommes et des femmes de caste pouvant dire, voir et faire
des choses qu’un homme ordinaire ne peut pas dire, voir ou faire. Au
nombre des nyamakalaw se rapporte l’initiatrice nuptiale qu’on appelle
magnamaga ou magnabaga selon les interviewés des localités enquêtées. Ce
terme serait venu des mots bamanans mah, s’agissant de la personne, et
gna baga traduisant le socialisateur. Le terme magnabaga désigne donc
quelqu’un qui cherche à socialiser un couple, l’épouse en particulier.
L’initiation nuptiale est ainsi perçue à Kayes et à Diéma comme une
forme de socialisation fondée sur une fidélité aux traditions et coutumes
du passé et l’oralité. En fait, le caractère héréditaire (reversée
exclusivement aux personnes de caste), l’enseignement à long terme (la
temporalité) et la mémoire (l’enseignement au souvenir) ainsi que la
symbiose intime qui s’instaure entre l’aîné et le cadet orientent dans une
direction précise l’éducation que l’on donne aux enfants. Cette
socialisation montre un important réseau de traits communs, car les traits
listés ci-dessus se retrouvent à Kayes comme à Diéma, agencés souvent
de manière identique. Aussi, elle est essentiellement fondée sur la
prééminence du pouvoir de l’aînesse et le secret des vérités, car les plus
âgés et les dépositaires des secrets ont un droit de regard et de critique
sur la conduite des cadets, parce qu’ils sont supposés posséder plus
d’expériences et des connaissances permettant de guider la jeune
génération. Il n’était pas rare de voir ces personnes refuser de
transmettre leur savoir et savoir-faire en l’absence d’une personne de
confiance digne de ce nom. Même si souvent, elles pouvaient accorder
de l’importance au climat positif, fait de formation accomplie
précocement, par conséquent, de confiance à l’égard de l’impétrant. Une
jeune épouse de Kayes note qu’une : « Jeune femme très tôt formée devenait
initiatrice. Comme on aime le dire en bamanankan demi sèni tèguè koko gnouman bé

91
dèguè nonni, c’est-à-dire qu’un enfant aux mains bien lavées arrive à pétrir la crème
des sages » (femme, groupe de discussion, quartier Lafiabougou, Kayes,
16 ans, 2019).
Autrement dit, l’âge n’est pas toujours synonyme de sagesse et de réussite
dans la vie. C’est le cas de certaines initiatrices de Kayes qui, très douées
et intelligentes, manifestent la sagesse et connaissent le succès même
étant jeunes. Ce succès leur provient des talents et non de leur âge.
Dans les localités concernées par l’étude, la socialisation nuptiale vise à
fournir au couple, à l’épouse surtout, des informations sur le sens
profond du mariage et de mère au foyer (la soumission et l’obéissance au
conjoint, l’éveil aux petits soins de celui-ci et ses proches) ainsi que sur
les contraceptifs traditionnels et leur meilleure utilisation. Ces
contraceptifs portaient un nom codé comme djakoumakoun littéralement
« tête de chat ». Les informations se donnaient de bouche à oreille et
dans la plus grande discrétion. L’initiatrice exigeait à l’épouse de
jalousement garder le secret pour que l’homme n’en sache rien. En
échange, elle recevait 1/10 des habits, des nattes, des sandales et des
ustensiles utilisés par la mariée dans la chambre nuptiale ainsi que
d’autres cadeaux offerts par les tantes et sœurs de celle-ci. Ces ustensiles
comprenaient essentiellement des calebasses, des assiettes et écuelles en
bois. Sont illustrateurs à cet effet les propos d’un vieux forgeron de
Diéma : « L’initiatrice recevait pour services rendus 1/10 des pagnes de la mariée,
des nattes, des sandales, des calebasses, des assiettes et écuelles en bois. Dans le cas
échéant, elle laissait sa récompense à la discrétion du noble » (homme, entretien
individuel, quartier Razel, Diéma, 57 ans, 2019).
L’analyse de ce discours montre que l’initiatrice apportait son aide
précieuse aux couples, aux épouses surtout moyennant une somme
forfaitaire, voire discrétionnaire. Mais aujourd’hui, la socialisation
nuptiale coïncide avec la modernité et les représentations religieuses
croissantes dans la perspective de changement qui inversent les choses.
Ici, la société ou la communauté n’est pas primordiale, mais c’est d’abord
l’adolescent. Proposant une socialisation censée accompagner
l’adolescent étape par étape pour qu’il advienne à lui-même, la modernité
cherche avant tout à ne pas anticiper sur le temps et contrarier la vie de
l’adolescent. De même, l’islam invite celui-ci à se couvrir (la question de
la nudité des corps) selon son statut et celui de la personne en présence
de laquelle il se trouve. C’est pourquoi certains jeunes couples de Kayes
et de Diéma établissent une relation entre la socialisation nuptiale, leurs

92
comportements et leurs actions sociales. Le modèle de vie occidental et
les représentations religieuses ne sont pas analogues aux mœurs et au
style de vie, mais s’ils peuvent avoir la même préoccupation, comment
éduquer un adolescent pour en faire un être de bien ? Il est amené à se
nourrir en même temps de son propre progrès et aussi de l’effet de
l’action extérieure. Ce qui fait dire à P. Riutort que la socialisation est un
moyen de se réaliser dans son être et d’ajouter « tout ce que nous n’avons pas
à notre naissance et qui nous est donné par l’éducation » (Riutort, 2013, p. 63).
À ce jour, la socialisation nuptiale n’est plus considérée comme une
entrée de l’adolescent dans le monde des aînés, voire son insertion à
travers l’acquisition de savoir-faire et de certaines vérités dans un monde
déjà constitué. En quelque sorte, elle est devenue une pratique statique
qui s’ouvre peu aux autres modes dans le cadre de l’enculturation et de
l’éclosion des valeurs de liberté. C’est pourquoi elle doit nécessairement
s’adapter au contexte religieux et moderne. En effet sont nombreux les
jeunes gens de Kayes et de Diéma à souhaiter qu’on permette au couple
de garder le silence sur la virginité et de choisir lui-même comme
initiatrice une personne familière ou ouverte d’esprit pour éviter tout
conflit. Sont édifiants à cet effet les propos d’un jeune enseignant de
Kayes : « Pour prévenir tout problème, une tante ouverte d’esprit s’est occupée de ma
femme et moi dans la chambre nuptiale » (homme, entretien individuel,
quartier Plateau, Kayes, 28 ans, 2019).
Mais ce choix parfois ouvre la porte à des personnes non habilitées (non-
castes et/ou sans formation accomplie) qui s’invitent dans l’initiation.
Pour un vieux chef local et coutumier de Diéma, « L’initiation n’est plus
pratiquée que par des personnes de caste, elle est devenue un gagne-pain pour les
autres » (homme, entretien individuel, quartier Marakaking, Diéma,
74 ans, 2019).
Selon une logique similaire, une vieille initiatrice de Diéma déplore :
« Une jeune femme non habilitée que j’ai refusé d’initier par principe exerce
l’initiation à ce jour de manière indépendante. Or, “un tronc d’arbre a beau séjourner
dans l’eau, il ne saurait se transformer en caïman” » (femme, entretien
individuel, quartier Marakaking, Diéma, 62 ans, 2019).
De l’analyse de ce discours, il ressort que les personnes non habilitées
s’invitent de plus en plus dans l’initiation nuptiale. Elles disputent aux
personnes de caste la pratique en la réduisant à sa dimension monétaire
et matérielle. Cette suppléance déforme les contenus pédagogiques et, de

93
ce fait, se présente comme un facteur de dégénérescence d’une
socialisation reproductive. En effet, des couples doivent s’habituer à la
présence dans la chambre nuptiale de l’initiatrice à des fins d’extorsion
d’argent, d’autres font face à la colère de certaines initiatrices suite au
refus de leur céder les équipements luxueux provenant de la chambre
nuptiale. Un médecin de Kayes raconte : « Un ami à moi a fait face à la colère
d’une initiatrice après avoir refusé de lui céder le matelas, le ventilateur et le téléviseur
qui étaient dans la chambre nuptiale. Elle a souhaité que leur union en pâtisse pour
avoir méconnu les services rendus » (homme, entretien individuel, quartier
Liberté, Kayes, 37 ans, 2019).
Aussi, des tentatives de séduction des nouveaux mariés par de jeunes
initiatrices nous ont été rapportées sans qu’on soit parvenu à les
documenter. Mais après tout, n’oublions pas que ces initiatrices ont des
connaissances surnaturelles qu’elles peuvent utiliser pour cela.
Contrairement à Kayes, Diéma semble souffrir davantage de la
déformation de la pratique. Si à Kayes de jeunes gens imposent la
nuptialité aux épouses et à leurs familles afin de s’assurer la virginité, à
Diéma les religieux mènent la vie dure à l’initiatrice. À ce propos, une
vieille initiatrice de Diéma décrie : « On nous menace et nous traite tous les jours
de non-musulmanes. À cause des menaces, des consœurs se sont réinstallées à Kayes et
à Bamako » (femme, entretien individuel, quartier Marakaking, Diéma,
62 ans, 2019).
Ces propos sont en partie corroborés par un leader religieux de ladite
localité, lorsqu’il dit : « Une pratique barbare ne peut entacher l’islam et ses
valeurs. Une personne ne peut immerger une autre dans le bain rituel ou la regarder
dévêtue » (homme, entretien individuel, quartier Marakaking, Diéma,
58 ans, 2019).
Cet autre religieux de la même localité ajoute : « Ce n’est pas musulman que
d’apprendre à deux personnes à faire l’amour ou les regarder le faire » (homme,
entretien individuel, quartier Razel, Diéma, 49 ans, 2019).
Il faut dire que l’initiation du couple lors de la semaine nuptiale est un
phénomène qui connaît des transformations essentiellement dues à la
reconfiguration sociale et à l’évolution des mentalités. De plus, la
contemplation de la nudité tant déplorée par les religieux est souvent
sortie de son contexte. Le fait est que l’initiatrice est amenée à faire les
corvées des nouveaux mariés comme surveiller de près les faits et gestes

94
de la mariée, laver les vêtements de noces, chauffer l’eau de bain, balayer
la chambre nuptiale et laver les draps sales. Ces différentes corvées
traditionnelles ne peuvent être nécessairement considérées comme des
formes de mutations. Elles constituent des services qui facilitent la
communication entre partenaires en présence. D’ailleurs, pour certains
époux, la présence d’une initiatrice dans la chambre est plus qu’une
chance. En plus de jouer le rôle de conteuse des coutumes et traditions,
voire de dicter la conduite à tenir, elle arrive à maintenir un climat de
plaisanterie avec les époux, qui brise tous les obstacles de
communication surtout sur les sujets de sexualité et de fécondité. En fait,
elle arrive à instaurer un cadre d’échange autour de la question.
L’initiatrice est la personne avec qui les époux sont culturellement permis
de tout partager. Ils se sentent plus à l’aise et plus en sécurité pour parler
de sexualité lorsqu’il s’agit de l’initiatrice parce qu’il existe un climat de
plaisanterie culturelle entre celle-ci et les nouveaux mariés, qui permet
tout, y compris la discussion sur des sujets aussi sensibles que la sexualité
et la fécondité. Outre cela, l’initiatrice possède de bons moyens pour
façonner les conduites des époux, comme par exemple se fâcher ou faire
des menaces de malédiction. Par ces moyens, elle arrive à orienter toutes
les décisions liées à la conduite sociale, la sexualité et la fécondité. Mais,
leur mauvaise représentation par endroits contribue fortement à la
dévalorisation, voire de l’abandon des pratiques nuptiales.
L’étude a conclu à un écart entre les perceptions traditionnelle et
moderne des pratiques nuptiales en raison de la modernité et des
représentations religieuses. D’une part, les aînés perçoivent la
socialisation nuptiale comme une pratique sociale utile qu’il faut
perpétuer afin de préparer l’épouse pour la vie sociale et communautaire.
Également, nous remarquons que même si l’adolescente a des
contraintes que la société lui impose, elle bénéficie d’une forte solidarité
qui l’accompagne pendant longtemps jusqu’à sa maturité. Il s’agit d’une
tutelle qui peut paraître longue et lourde. Dans ces conditions, il n’y a
donc pas de tolérance pour l’adolescente qui enfreint les règles. D’autre
part, les cadets et les religieux accordent une importance relative aux
contenus traditionnels de la socialisation nuptiale, à la manière dont ces
contenus se trouvent accentués et valorisés, au poids qui les marque.
S’insurgeant contre toute tentative de restriction de la liberté de
l’individu, les jeunes invitent avant tout à tenir compte de tous les
problèmes des droits de l’homme, de toute la diversité et d’indiquer les
écarts qui se produisent par rapport à la tendance générale. Les religieux

95
ne sont pas une exception en la matière. Cette invitation amène à
interroger les normes socioculturelles spécifiques de la socialisation
nuptiale.
2.2. Quelques déterminants socioculturels de la socialisation
nuptiale
Il est important d’étudier la socialisation nuptiale du couple sous l’angle
des normes sociales, parce qu’elles permettent de prendre en
considération les multiples logiques socioculturelles, qui guident les
comportements dans les localités de Kayes et de Diéma.
2.2.1. Logiques physiques
Au nombre de trois, ces logiques sont les suivantes. D’abord, la
facilitation de la consommation du mariage, elle consiste au fait que,
durant les noces, l’initiatrice aide le jeune couple à mieux consommer le
mariage, sans brutalité. Cette aide est indispensable, car des hommes
soumettent les jeunes épouses à une dure épreuve croyant les pousser à
plus de respect à leur égard. Sont édifiants à cet effet les propos d’une
jeune ménagère de Diéma : « Quelqu’un doit empêcher l’homme de brutaliser la
femme la première nuit des noces. Parfois, l’homme va trop fort dans l’acte sexuel
croyant que le respect de l’épouse à son égard en dépend » (femme, groupe de
discussion, quartier Lafiabougou, Diéma, 21 ans, 2019).
En effet, hier comme aujourd’hui à Kayes et à Diéma par endroits, le
fondement de la domination de l’homme sur la femme est encore sexuel.
On conseille au nouveau marié d’entretenir des relations sexuelles avec
l’épouse pendant chaque nuit de la semaine nuptiale pour asseoir son
autorité définitivement sur celle-ci. On prépare les jeunes époux pour
qu’ils tiennent bon pendant la semaine : plus elle souffre, plus elle sera
soumise. Les femmes qui ont plus de plaisir avec les hommes sont
tentées de demeurer avec ceux-ci. Atteignant leur majorité (14 à 20 ans)
selon les localités sans entretenir de relation sexuelle avec un garçon, ces
adolescentes se débattent comme un possédé dans le lit. Dans ces
conditions, il est difficile pour un homme de parvenir à ses fins sexuelles
en toute douceur.
Toutefois, la société autorisait les adolescents à certains jeux dans le
respect de la virginité de l’adolescente, faits d’une relative liberté, pendant
laquelle elle pouvait manifester des sentiments d’amour. La facilitation de
la consommation du mariage s’accompagne d’une surveillance stricte de
l’alimentation de la mariée.

96
Ensuite, la surveillance de l’alimentation de la mariée se traduit dans le
fait que, quelques jours avant le mariage, l’initiatrice soumet la future
mariée à un régime censé la fortifier. Son alimentation devient légère à
base de bouillie non sucrée et de soupe au poulet ou au poisson. L’idée
est d’arriver à la « vider » de tout ce qu’elle avait consommé d’illicite.
Également, elle doit être légère pour n’opposer aucune résistance aux
ardeurs de son époux le soir des noces. Pour une initiatrice de Kayes :
« La future mariée doit être légère comme son alimentation afin de ne pas tenter de se
refuser à son époux » (femme, entretien individuel, quartier Ségou-Légal,
Kayes, 66 ans, 2019).
En plus de la prévention d’éventuelles difficultés pour l’époux
d’accomplir son devoir conjugal, la surveillance de l’alimentation vise
donc en réalité à « tuer et ressusciter » symboliquement l’épouse.
Concernant l’authentification de la virginité de la mariée, la société
traditionnelle malienne impose à l’adolescente des normes et valeurs en
matière de comportements sexuels, à savoir de se marier en gardant sa
virginité. C’était une question d’honneur. C’est pourquoi pendant la
nuptialité, l’épouse passe trois à sept jours selon les localités dans la
chambre nuptiale, juste vêtue de tissus en cotonnade ou percale blanche,
sous la surveillance d’une personne de caste. Le lendemain du soir des
noces, la personne de caste exhibe la virginité de l’épouse au cas où sa
percale est tachée de sang. Une ménagère de Diéma déplore : « Une
initiatrice récemment n’a pu tenir sa langue concernant la perte de la virginité d’une
épouse. Pour cette raison, son époux a renoncé et exigé le remboursement de la dot.
Elle est aujourd’hui la risée de tout le quartier. On dit qu’elle servira surtout de leçon
à la jeune génération » (femme, groupe de discussion, quartier Lafiabougou,
Diéma, 26 ans, 2019).
La perte de la virginité est en effet considérée comme une honte pour
toute la famille, voire tout le lignage. Cette honte représente la plus
efficace des techniques pédagogiques pour convaincre l’adolescente
d’adopter les comportements sociaux et procréateurs attendus comme
garder sa virginité jusqu’au mariage.
Toutefois, cette menace sociale de réprobation fait développer des
stratégies qui instaurent la virginité ou qui visent à tromper l’époux.
Couramment utilisées de nos jours, ces stratégies font croire à une
virginité qui n’existe pas en vérité. Menant une vie sexuelle active,
certaines adolescentes de Kayes et de Diéma se procurent dans les

97
pharmacies la veille des noces de petites pilules médicamenteuses que
l’on peut vider de leur poudre, leur emplir de colorant alimentaire rouge
et les refermer. Hypersensibles à l’humidité, ces pilules une fois dans
l’appareil génital un peu avant le rapport, avec l’humidité générée par la
cyprine due à l’excitation, vont libérer le colorant rouge, faisant croire à
du sang. Une épouse de Kayes préfère : « Les filles qui sont dans des contextes
où on exige d’elles d’être vierges lors du mariage disposent des moyens pour vivre leur
vie comme elles en ont envie, quitte à être hypocrites, plutôt qu’elles se mettent en
danger » (femme, groupe de discussion, quartier Lafiabougou, Diéma,
27 ans, 2019).
À l’instar des déterminants physiques, l’initiation nuptiale répond à des
croyances mentales.
2.2.2. Logiques mentales
Ces logiques sont la protection du couple, de la future mariée surtout
pendant la réclusion et son éducation dans le sens profond du mariage.
D’abord, la protection du couple (de la future mariée) pendant la
réclusion, elle consiste au fait qu’au moins 3 à 15 jours avant la date de la
cérémonie de mariage les futurs mariés (l’épouse surtout) doivent limiter
leurs activités, moins sortir hors de la maison. En effet, ils sont
désormais entrés dans une autre sphère de la vie et les esprits, bons
comme mauvais, se battent pour pouvoir s’accaparer d’eux. Une
initiatrice de Kayes pense : « Les nouveaux mariés, surtout l’épouse, sont comme
des nouveau-nés, ou comme de nouveaux circoncis. Ces personnes sont recherchées par
les esprits, bons comme mauvais (sorciers, djinns). Elles méritent une protection
mystique » (femme, entretien individuel, quartier Liberté, Kayes, 54 ans,
2019).
Cette protection mystique grâce à sa connaissance du surnaturel est le
plus souvent difficile à prouver, car n’étant pas documentée. Aussi, il est
difficile de l’extrapoler à toutes les initiatrices rencontrées.
Parallèlement à la protection, l’épouse bénéficie d’une éducation sur le
sens profond du mariage et de mère au foyer. En général, le mariage va
au-delà de l’union de deux personnes, il traduit l’alliance des familles et
des communautés. Pendant la nuptialité, la jeune mariée reçoit une
certaine éducation pour réussir sa vie communautaire. Elle apprend les
manières admises, notamment les formules de politesse pour s’adresser à
l’époux, aux parents, aux frères, sœurs et amis de celui-ci. Dans
l’entretien accordé à un enseignant de Kayes, il ressort que cet

98
enseignement est primordial : « Une épouse est une étrangère dans sa nouvelle
famille d’accueil. Elle y ignore les formules d’usage et de politesse. Quelqu’un doit lui
enseigner toutes ces formules » (homme, entretien individuel, quartier Khasso,
46 ans, 2019).
Cette étude révèle qu’à la base de la socialisation nuptiale du couple à
Kayes et à Diéma se trouvent essentiellement des logiques
comportementales ou physiques (facilitation de la consommation du
mariage, surveillance de l’alimentation et l’authentification de la virginité
de la mariée) et mentales (la protection pendant la réclusion, l’éducation
dans le sens profond du mariage et de mère au foyer). Faisant que le
mariage dure et prend un sens, ces logiques s’étendent jusqu’à
l’enseignement des méthodes traditionnelles au service de la santé de la
reproduction.
2.3. Quelques pratiques au service de la santé de la reproduction
Par pratique sociale, nous entendons un ensemble de manières de faire,
d’actions individuelles ou collectives développées et répétées par les
individus, pour donner un sens à leur vie sociale. À cet égard, l’initiatrice
influence le comportement procréateur du couple, de l’épouse surtout.
Cette influence s’exerce à travers les enseignements.
2.3.1. Enseignement à l’hygiène de la voie génitale féminine
Après le rapport sexuel, de nombreuses filles ignorent que la peau au
niveau de la zone intime est particulièrement sensible et doit être traitée
avec délicatesse. Il n’est pas nécessaire de frotter ou savonner cette zone
afin d’éviter de l’irriter, voire causer la sécheresse vaginale. Par ailleurs,
l’appareil génital féminin peut retenir le sperme pendant plusieurs jours.
Une jeune mariée doit apprendre à se débarrasser le plus vite du sperme
à l’intérieur de l’appareil génital en faisant une douche vaginale profonde
avec de l’eau claire tout simplement, si elle veut éviter une grossesse.
Sont édifiants à cet effet les propos d’une initiatrice de Kayes : « Parfois,
des épouses se frottent ou savonnent la partie intime, ce qui amène des infections
compromettant la santé de la reproduction. Nous leur expliquons comment nettoyer
cette partie du corps sans danger et leur donnons des potions pour lubrifier l’appareil
génital en cas de sècheresse » (femme, entretien individuel, quartier Liberté,
Kayes, 53 ans, 2019).
2.3.2. Connaissances des herbes médicinales
La connaissance des herbes médicinales fait aussi partie des compétences
de l’initiatrice. Elle utilise des plantes locales pour traiter les diverses

99
mauvaises odeurs, les douleurs, les impuretés, les infections vaginales et
utérines. Elle a en effet une « incroyable » connaissance des vertus
médicinales de certaines plantes qui sont en bamanankan le babing, le
yirifarani, le mougoudji. Ces plantes naturelles constituent des remèdes pour
des maux allant de la sècheresse vaginale aux règles douloureuses en
passant par les impuretés dans l’appareil génital féminin et l’utérus. Dans
l’entretien accordé à une jeune enseignante de Diéma, il est dit ceci : « Les
plantes comme babing, yirifarani ou mougoudji purifient le vagin, nettoient le bassin et
lui procurent une bonne odeur » (femme, groupe de discussion, quartier
Lafiabougou, Diéma, 26 ans, 2019).
Mais, toute herbe médicinale n’est pas nécessairement bonne pour les
humains, et certaines plantes peuvent se révéler dangereuses, voire
mortelles. C’est le cas de la germandrée petit-chêne (Teucrim chamaedrys),
initialement utilisée sous forme de gélules de poudre brute pour perdre
du poids, mais qui est responsable d’hépatites cytolytiques ou de
destruction progressive des cellules du foie.
2.3.3. Diverses techniques de contrôle et d’espacement des
naissances
L’initiatrice recourt à diverses méthodes de contrôle et d’espacement des
naissances en permettant au couple d’atteindre le nombre souhaité
d’enfants et de déterminer l’espacement des naissances. À l’opposé de
traiter l’infécondité, elle peut aussi utiliser des méthodes contraceptives
comme l’abstinence périodique, l’allaitement maternel prolongé, le tafo, la
toile d’araignée, le miel et le jus de citron.
D’abord, l’abstinence périodique, elle consiste à s’abstenir pendant un
moment du cycle à l’aide d’un collier de perles de couleurs rouges et
blanches pour prévenir une grossesse non désirée. À cet effet, une vieille
initiatrice de Diéma dit ceci : « À l’aide de mon collier de perles, une femme ne
mettra jamais d’enfant au monde. Mais, pour que ça marche, elle doit avoir un cycle
menstruel compris entre 26 et 32 jours. Le 1er jour des menstruations, elle déplace
l’anneau sur la perle rouge et n’évite les rapports sexuels sans protection que pendant
les jours correspondant aux perles blanches » (femme, entretien individuel,
quartier Marakaking, Diéma, 63 ans, 2019).
Force est de reconnaître les limites de cette méthode. La réussite est
largement tributaire d’un ensemble de conditions comme le cycle
menstruel compris entre 26 et 32 jours, la maîtrise parfaite des perles et
de leurs couleurs, qui sont par moment difficiles à satisfaire. Également,

100
loin d’être traditionnel, ce collier pourrait être une forme de mutation du
tafo. Les ONG et les associations auraient pu développer cette pratique
améliorée similaire aux anciennes pour faciliter l’adhésion des
populations peu alphabétisées à la planification familiale.

Ensuite, l’allaitement maternel est une méthode qui consiste à allaiter


l’enfant au sein pendant au moins les six (6) premiers mois, voire deux
ans. Cela entraîne un retard de retour de couche et donc une période
d’anovulation ou de blocage de l’ovulation. Sont illustrateurs à cet effet
les propos d’une vieille initiatrice de Kayes : « Une femme qui allaite
continuellement son enfant a de fortes chances de ne pas tomber enceinte. Cette
technique renforce le lien mère–enfant et assure une protection du nourrisson par les
anticorps contenus dans le lait maternel » (femme, entretien individuel, quartier
Khasso, Kayes, 62 ans, 2019).

Concernant le tafo, c’est une cordelette avec des nœuds, attachée autour
du bassin de la femme dont le pouvoir repose aussi bien sur la
psychologie que sur les incantations. Une jeune ménagère de Kayes
affirme : « Le tafo est un puissant contraceptif traditionnel. C’est une cordelette dont
la force repose sur les incantations de l’initiatrice » (femme, groupe de
discussion, quartier Lafiabougou, Diéma, 22 ans, 2019).
Acquis avant pour une compensation discrétionnaire comme signe de
bonne volonté, ce tafo de nos jours se vend à des prix exorbitants de
5 000 FCFA par endroits.
Quant à la toile d’araignée, elle se place dans l’appareil génital féminin de
façon à obstruer l’orifice externe du col, empêchant donc la montée des
spermatozoïdes. Une initiatrice de Kayes parle de cette toile d’araignée
comme : « D’une technique de barrière. La toile sert de barrière entre l’utérus et les
spermatozoïdes » (femme, entretien individuel, quartier Ségou-Légal, Kayes,
71 ans, 2019). Cependant, les agents actifs de ce dispositif opaque, issu
du tissage de l’araignée et enduit de beurre de karité pour obstruer le col,
ne sont pas identifiés. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne
représente aucun danger.

Enfin, le miel et le jus de citron peuvent être placés dans l’appareil génital
par l’épouse avant l’acte sexuel. Ils entraînent soit une immobilisation des
spermatozoïdes (miel), soit une destruction des spermatozoïdes (citron)
agissant comme des spermicides. À ce propos, une vieille initiatrice de

101
Diéma rassure : « C’est une des techniques héritées les plus efficaces, car il y a une
double assurance » (femme, entretien individuel, quartier Marakaking,
Diéma, 62 ans, 2019).

L’on ne peut fermer les yeux sur quelques effets et complications


provoqués par ces spermicides comme l’irritation vaginale et des pertes
vaginales, une gêne au pénis, la gênante sensation de chaleur dans la
partie génitale, la tablette de mousse vaginale ne fondant pas et
conduisant parfois à des infections des voies urinaires.

L’étude retient l’éducation à l’hygiène de la voie génitale, les


connaissances des herbes médicinales (le babing, le yirifarani, le mougoudji),
les diverses techniques de contrôle et d’espacement des naissances
(l’abstinence périodique, l’allaitement maternel prolongé, le tafo, la toile
d’araignée, le miel et le jus de citron) comme des connaissances concrètes
de l’initiatrice au service de la santé de la reproduction.
3. Discussions
Cette étude a identifié des perceptions (ancienne et moderne) et des
logiques socioculturelles (physiques et mentales) de la socialisation
reproductive. En somme, les discussions portent sur ces perceptions et
logiques socioculturelles.
3.1. Perceptions de la socialisation nuptiale
Notre étude a conclu au fait que les aînés ont tenté de développer un
idéal de socialisation visant la formation de l’homme accompli par
laquelle l’identité humaine se révèle, quelles que soient les localités et les
manières dont ils procèdent pour mener la tâche éducative. La société
impose à l’adolescent ses règles et ses normes. À partir d’un
apprentissage implicite ou explicite, « il doit intérioriser les manières de
faire et de penser, les idéaux et les pratiques, les croyances et les rituels
conformes à ses milieux de vie et à ses groupes d’appartenance » (G.
Vallet, 2009 ; M. Court, 2019). Ici, en plus d’être moulé par le groupe,
l’individu se soumet à la chaleur de celui-ci, de laquelle il ne peut se
détacher. Il obéit aux codes et renonce à son espace individuel. Il vit une
double réalité de l’unité et de la totalité : unité des modèles culturels et
croyances ; totalité de l’homme qui se donne tout entier, corps et âme, à
la chose collective. C’est le respect des principes (comportements sociaux
et procréateurs attendus) de la vie en société de son époque qui lui
permet de s’intégrer à ce groupe. Cette intégration s’opère par le biais

102
d’institutions et d’agents de la socialisation comme l’aînesse sociale dont
l’initiatrice nuptiale.
Cette vision n’est pourtant pas totalement partagée par (Kant et
Mendelssohn, 2006, p. 11), pour lesquels « l’adolescent est socialisable par ce
qu’il est guidé par la faculté de raisonner ; et sa vie est faite des habitudes, des
comportements et passe par l’adaptation à la vie pour se faire éduquer ». Le but de
la socialisation chez ces auteurs est donc de rendre l’adolescent vertueux
par l’acquisition des bonnes habitudes de vie. C’est aussi l’éveil critique
de celui-ci face aux institutions. Les mœurs véhiculées par les aînés
expliquent que les couples se détachent un peu des normes établies par la
communauté et de leurs anciens, lesquels envisagent la socialisation
strictement dans le cadre collectif. Pour les jeunes, c’est l’adolescent qui
doit choisir comme initiatrice une personne familière ou ouverte d’esprit,
et il faut garder le silence sur la virginité afin d’éviter tout conflit. Les
religieux ne diront pas le contraire. En ce sens, leurs perceptions ne
correspondent pas nécessairement aux normes traditionnellement
acceptées.
Il existe un attachement des résidents de Kayes à la socialisation nuptiale
tant qu’elle assure la virginité des nouvelles épouses ; alors qu’à Diéma
les jeunes et les religieux dénoncent et rejettent des pratiques déviantes
de la socialisation nuptiale, perçues comme facteurs de dévalorisation,
voire d’abandon. Cette déviation nous conduit à établir un parallèle entre
les concepts tradition, modernité et religiosité. Lorsque la tradition est
envisagée du point de vue temporel, elle signifierait ce qui est de l’ordre
du passé ; par opposition au présent et au futur. C’est tout ce qui
appartient à une époque révolue et qui, par conséquent, reflète une
apparence dépassée. On peut aussi entendre un état primitif, voire un
état de développement encore rudimentaire. Cet état paraît antinomique
à la modernité qui s’oppose au passé ou au dépassé, pour s’identifier au
présent ou à l’actuel. Autrement dit, la modernité constituerait ainsi une
rupture radicale par rapport à la tradition.
Par ailleurs, la tradition pourrait aussi être envisagée par rapport à la
morale ou à la religion. Elle aurait alors pour contenu un ensemble de
normes et de prescriptions destiné à la codification des attitudes et des
comportements des individus dans une société donnée. Ici, la morale ou
la religion s’opposerait aux valeurs traditionnelles, généralement taxées
d’animistes.

103
Pourtant, il existe également des points de convergences entre ces
concepts. Cette convergence est en partie corroborée par Antoine
Compagnon qui dénonce la prétention de la nouveauté que revendique la
modernité (Compagnon, 1990, p. 11). L’auteur parle notamment de « la
superstition du nouveau » pour désigner cette propension au changement
qui caractérise la modernité et qui la pousse très souvent au rejet de tout
ce qui relève du passé pour ne considérer que l’actuel.
Or, l’expérience commune nous montre que ce qui est moderne
aujourd’hui appartiendra au passé demain ; de même ce qui était déjà
relégué au passé peut ressurgir pour faire partie du présent. Par exemple,
certains styles vestimentaires jadis dépassés finissent par revenir à la
mode au présent sans aucune difficulté. Cet exemple montre à suffisance
la légèreté d’une rupture radicale entre les termes tradition et modernité.
3.2. Logiques socioculturelles de la socialisation
La socialisation nuptiale du couple à Kayes et à Diéma obéit à des
logiques comportementales ou physiques (facilitation de la
consommation du mariage, surveillance de l’alimentation et
l’authentification de la virginité de la mariée) et mentales (la protection
pendant la réclusion, l’éducation sur le sens profond du mariage et de
mère au foyer). Ces logiques font toutes que le mariage dure et prend un
sens.
Cette position n’est pas totalement partagée par Coadic (2009) et
Ramognino (2007), pour lesquels « les déterminants socioculturels de la
socialisation évoluent avec une exigence de justice [un projet de
réduction des inégalités sociales] ». C’est vrai que, de nos jours, la charge
de l’initiatrice est de moins en moins importante. L’accaparement des
mauvais esprits du couple est désormais considéré comme une vieillerie
sans fondement. L’épouse rarement exprime le besoin d’être légère
comme son alimentation. C’est pourquoi rares sont les familles qui
aujourd’hui font de la virginité des filles une question d’honneur. Elles se
soucient peu de la couleur du pagne nuptial. Les relations sexuelles sont
de plus en plus banalisées. Des filles de plus en plus adolescentes ont des
relations sexuelles avec plusieurs partenaires et bien avant le mariage.
L’initiatrice ose rarement exhiber le pagne nuptial ensanglanté d’une
adolescente déjà mère d’un ou de plusieurs enfants.

104
Conclusion
La socialisation nuptiale du couple est perçue diversement selon les
époques. Les aînés perçoivent la socialisation nuptiale comme une
pratique sociale utile qu’il faut perpétuer afin de préparer l’épouse pour la
vie sociale et communautaire. En revanche, pour les cadets, cette
socialisation est devenue une pratique statique qui s’ouvre peu aux autres
modes de vie dans le cadre de l’enculturation et de l’éclosion des valeurs
de liberté. Aussi, on constate une diversité de perceptions selon la
localité de résidence. Contrairement à Kayes où de jeunes gens imposent
la nuptialité aux épouses et à leurs familles afin de s’assurer la virginité,
Diéma semble souffrir davantage de la déformation de la pratique.
La socialisation nuptiale à Kayes et à Diéma obéit à des logiques
comportementales ou physiques (la facilitation de la consommation du
mariage, la surveillance de l’alimentation et l’authentification de la
virginité de la mariée) et mentales (la protection pendant la réclusion,
l’éducation dans le sens profond du mariage et de mère au foyer.)
L’éducation à l’hygiène vaginale, les connaissances des herbes
médicinales (le babing, le yirifarani, le mougoudji), les diverses techniques de
contrôle et d’espacement des naissances (l’abstinence périodique,
l’allaitement maternel prolongé, le tafo, la toile d’araignée, le miel et le jus
de citron) sont quelques connaissances concrètes de l’initiatrice au
service de la santé de la reproduction.
Cependant, le sens de cette recherche n’est pas d’opposer les pratiques
traditionnelles aux pratiques modernes de la socialisation nuptiale, mais
de créer une complémentarité entre elles. De ce fait, il faut distinguer les
pratiques qui apparaissent conformes aux valeurs et aux principes
acceptés, afin de tirer le maximum de profits.
Néanmoins, la socialisation reproductive des adolescents nécessite
d’autres recherches complémentaires pour résoudre les problèmes de
santé et de bien-être social auxquels ils sont confrontés.
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description d’une démarche visant à donner un sens à des données
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vol. 4, n° 158, p. 53–63.

107
DEUXIÈME PARTIE

Rites et traditions du mariage


Chapitre 5

Contribution à une étude sociologique du mariage en


milieu arabe du Mali

Haïdara Mohamed Abdoullah,


Maître-assistant de sociologie, Faculté Des Sciences Humaines
et des Sciences de l’Éducation (FSHSE)
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
alawiother@yahoo.fr

Résumé
La présente recherche intitulée « Contribution à une étude sociologique
du mariage en milieu arabe du Mali » est une recherche sur le phénomène
du mariage traditionnel arabe de notre pays. Le mariage étant un
phénomène universel dans les sociétés humaines, il revêt cependant des
particularités culturelles, qui montrent les différentes manières dont il est
célébré dans la société malienne.

L’objectif principal de nos recherches était de faire une étude


ethnosociologique du mariage chez les Arabes maliens. Se faisant, nous
avons fait une brève présentation de la structuration de la société
béidhaane, terme à partir duquel les Arabes des régions sahéliennes se
caractérisent eux-mêmes. L’étude de la structure sociale nous a permis de
comprendre les spécificités des relations familiales et matrimoniales au
sein de cette communauté. Il y ressort que la conception du mariage en
milieu arabe est légèrement différente de celles des ethnies chez
lesquelles les relations matrimoniales sont presque indissolubles. Le
mariage ici est considéré comme un fait liant deux personnes qui
s’aiment et célébré sur la base du droit musulman. Il peut être dissout par
la volonté d’un des conjoints, ce qui fait que le divorce est chose
courante dans ce milieu.

Mots clés : Étude sociologique, Mariage, Arabe, Mali

Abstract
This research entitled ‘contribution to a sociological study of marriage in
malian Arabs milieu is focused on traditional manners of celebrating
marriage in this social group of Mali. Pursuing this objective, we have

111
briefly presented the social structure of beidhaane (expression by which
malian Arabs caracterise themselves) and analyse the matrimonial
processes in this society.

Our results showed that marriage in the malian Arabs milieu is celebrated
when the two spouses are agree and took end if they want that. So the
divorce is very spread in their milieu than in the other malian ethnic
groups.

Keywords: Sociological study, Marriage, Arabic, Mali

112
Introduction

Le mariage est une institution sociale qui existe depuis la nuit des temps
dans presque toutes les cultures. Cette institution permet aux groupes
sociaux de vivre en harmonie et de consolider les relations sociales. Il
joue un certain nombre de fonctions sociales dont l’une des plus
importantes est la fondation de la famille, cellule de base de la société
chargée de la socialisation primaire. Sur ce point précis, il contribue à la
préservation de l’identité socioculturelle des groupes humains à travers la
famille.
Le mariage a également une fonction religieuse. Toutes les religions lui
accordent beaucoup d’importance. C’est un événement solennel qui
consacre l’union devant Dieu et devant les hommes de deux personnes,
deux familles, deux communautés. Il se transforme par la suite en une
question de droit, avec l’évolution du monde et des mentalités. L’intérêt
du couple, le consentement des conjoints devient le point d’ancrage de
cette institution.
Ainsi l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
précise : « toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans aucune
restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut être conclu
qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux ».
Bien que les relations matrimoniales soient une constante dans toutes les
sociétés humaines, elles changent cependant de forme et d’appréciation
selon les aires culturelles. Ces relations s’adaptent au rythme de l’évolution
de la société, ce qui fait que la symbolique et les rites de célébration du
mariage sont déterminés par l’environnement culturel et varient en
fonction des sociétés. À ce propos, Mireille Delmas Marty affirme : « Quel
que soit le sens qu’on lui donne, le mariage appartient au droit naturel tout en
demeurant comme une institution par la vertu de son rite, le mariage est un engagement
officiellement contracté et socialement reconnu » (Mireille D. Marty, 1988 ; 4, 5).
Au Mali, toutes les aires culturelles ont leurs traditions de célébration du
mariage. Nonobstant ce fait, il est perçu chez toutes comme une
institution qui permet de renforcer les liens interfamiliaux,
interethniques, intertribaux, etc. En milieu arabe, le mariage renforce les
allégeances interfamiliales et intertribales.
La présente étude s’intéresse au mariage en tant que fait de société en
milieu arabe du Mali. Ce fait est analysé en tenant compte de sa

113
potentialité intégrative intra- et intergroupale. Le rôle intégrateur du
mariage apparaît clairement à travers l’échange des femmes entre les
familles. Cet échange est lié au choix du ou de la conjoint(e). En milieu
arabe béidhaane, le principal critère de ce choix est fondé sur les
recommandations de la loi islamique.
Relativement à notre sujet, les échanges matrimoniaux seront analysés
tels qu’ils se présentent dans la communauté arabe du Mali. Nous
mettons l’accent sur son rôle dans le système social en rapport avec le
reste des communautés du pays. Dans cette analyse, certaines notions
ont besoin d’être élucidées. Cela est lié au contexte à la fois général que
spécifique de ces notions.
C’est pour cette raison que nous avons procédé à la définition des
concepts clés. La définition concerne les notions telles que : le mariage,
les échanges matrimoniaux, dhou maharram. Les définitions de ces notions
ont été faites en nous basant sur les classiques tout en approfondissant
au besoin celles qui ont des acceptions spécifiques. De ce fait, quelques-
unes ont été élaborées à partir du raisonnement a contrario ou par
analogie.
La présente recherche est structurée comme suit :
- l’introduction ;
- la définition des concepts ;
- la présentation des Arabes du Mali ;
- les généralités sur le mariage en milieu arabe du Mali ;
- les critères de la beauté féminine ;
- les fonctions sociales du mariage chez les Arabes du Mali ;
- et la conclusion.

1. Définition des concepts


Les concepts définis ici sont à la fois généraux comme le mot mariage,
échanges matrimoniaux et spécifiques comme le terme dhou maharram.
1.1. Mariage
Le mariage a plusieurs définitions, il a une définition religieuse, juridique,
sociologique, etc. Le dictionnaire Larousse le définit comme étant l’union
légale d’un homme et d’une femme, sa célébration.
Pour les religieux, le mariage est un acte d’union entre deux personnes de
sexes différents célébré devant Dieu (Allah). Cet acte est sanctionné par

114
la bénédiction de l’imam ou du cadi chez les musulmans ou par le prêtre
chez les chrétiens.

Le lexique des termes juridiques définit le mariage comme étant une


union stable de l’homme et de la femme, résultant d’une déclaration
reçue en forme solennelle en vue de la création d’une famille. Ce terme
désigne également l’acte juridique créateur de l’union (Lexique des
termes juridiques, 1995 : 351).
Dans son acception sociologique, le mot mariage est polysémique. Par
mariage, on entend toute forme d’échange fondée sur la coopération
sexuelle en vue de fonder le noyau d’un groupe social plus ou moins
stable qui s’autogénère en remplissant des fonctions spécifiques dans les
sociétés humaines. Cette forme d’échange inclut en plus de ce qui est
communément appelé mariage d’autres formes de commerce sexuel
toléré par certains groupes sociaux comme les fiançailles.
Par ailleurs, le mariage est conçu comme le fait qui définit les modalités
d’union légitime approuvée par la société et déterminant plus
spécialement les relations entre mari et femme, mais aussi entre eux et le
reste de la société. La crise de cette institution a des conséquences sur
l’ensemble des mécanismes sociaux, car l’institution matrimoniale est
non seulement à la base de la famille, noyau de la société, mais également
liée au système productif et aux structures de l’emploi.
1.2. Échanges matrimoniaux
Il existe en sociologie plusieurs théories sur l’échange, celui-ci est
interprété diversement par nombre d’auteurs qui le traitent sous
différents angles. Parmi eux figurent Peter BLAU et George HOMANS
qui le définissent à partir des notions de réciprocité, de contrepartie et
d’équivalence. C’est dans ce sens que nous employons le terme d’échange
dans la présente recherche. L’échange matrimonial est donc cette forme
d’échange qui se pratique dans le cadre du mariage et implique
notamment les femmes qui sont les principales concernées de la
mutation entre les familles.
1.3. Dhou maharram
Terme arabe qui veut littéralement dire la personne interdite. Le mariage
est une institution sociale qui est réglementée par le tabou de l’inceste,
qui interdit les relations sexuelles entre parents proches. Le degré de

115
parenté et les personnes concernées par cette interdiction varient en
fonction des sociétés. Les dhou maharram sont des personnes qui ne
peuvent pas se marier soit par proximité parentale comme par exemple le
frère et la sœur agnatiques ou utérins soit par suite de mariage comme
l’impossibilité de se marier à deux sœurs agnatiques ou utérines en même
temps. Les dhou maharram sont définis dans le cadre de la législation
islamique. Cette interdiction est strictement respectée dans le cadre du
mariage arabe et sert de base à la réglementation des relations sexuelles
dans cette société. Ce tabou constitue ainsi un des éléments de la
tradition matrimoniale de ce milieu.
2. Présentation des Arabes du Mali
Les Arabes sont un peuple de langue sémitique originaire de la péninsule
arabique et du Levant. Leur nombre dans le monde est estimé
approximativement à 420 000 000 dont 380 000 000 dans les pays arabes
et 40 000 000 dans les autres parties du monde. C’est un peuple qui est
présent essentiellement en Asie, en Afrique et en Europe. Au Mali, les
Arabes ou Maures sont présents dans les régions de Tombouctou, de
Taoudéni, de Gao et dans la bande sahélienne. Ils constituent 5 % de la
population selon le RGPH de 2009.
Un article Wikipédia sur l’origine et la signification de l’ethnonyme arabe
montre que dans la mythologie grecque ce mot vient d’un héros du nom
d’Arabos, né dans une vaste contrée à qui il donna son nom, l’Arabie et à
son peuple. Ce héros est fils du dieu hermès et père de Cassiopée. Le
sens du mot arabe varie selon différentes versions, mais en Arabe le mot
signifie s’exprimer. Il sert à mettre en relief l’éloquence des Arabes. Les
Arabes utilisent d’ailleurs le terme ajam, qui veut dire muet, pour désigner
les peuples non arabes.
Concernant l’appartenance à l’identité arabe, il y a trois manières pour la
définir. Selon Maxime Rodinson, on peut considérer comme appartenant
à l’ethnie, peuple ou nationalité arabe ceux qui :
1. parlent une variante de la langue arabe en même temps
considèrent que c’est leur langue « naturelle », celle qu’ils doivent
parler, ou bien sans la parler, la considèrent comme telle ;
2. regardent comme leur patrimoine l’histoire et les traits culturels
du peuple qui s’est appelé lui-même et que les autres ont appelé
Arabes, ces traits culturels englobant depuis le VIIe siècle
l’adhésion massive à la religion musulmane ;
3. revendiquent l’identité arabe, ont une conscience d’arabisé.
(wikipédia).

116
Avec l’expansion de l’islam, la culture arabo-musulmane se propage
notamment au Proche-Orient, en Afrique du Nord et au Soudan c’est-à-
dire les pays du Sahel actuel dont le Mali.
La présence des Arabes est attestée sur le territoire du Mali depuis l’empire
du Ghana. Les historiens racontent les relations commerciales entre les
Almoravides et les habitants de l’empire du Ghana. Les deux tarikhs, el
fétach et es soudan, mentionnent la présence des Arabes sur le territoire
malien depuis très longtemps.

La communauté arabe du Mali est organisée en tribus appelées qabîla. Les


principales tribus qu’on rencontre ici sont surtout les Béni Hassan (ou
encore Oulad Hassan), qui forment la majorité dont quelques-uns des
représentants sont les : Oulad M’Bareck, Oulad Idriss, Oulad Nasser,
Oulad Daoud, Oulad Sbae, Jekanes, Laqlals, Lamhars, Mechdhouf,
Kintawis (appelés aussi Kountas) en plus de ceux-ci, il y a les tribus
chérifiennes. Le dialecte parlé majoritairement est le hassanya. Ils se
nomment entre eux par le vocable de Béidhaanes.
Le groupe familial est structuré en ménages généralement monogamiques
(aa’ila), sauf dans les tribus maraboutiques où on trouve les familles
polygyniques de grandes tailles. La filiation est patrilinéaire, et l’enfant
porte le prénom de son père, ainsi on dit par exemple Mohamed ould
Cheikh El Moukhtar (qui signifie Mohamed fils de Cheikh El Moukhtar),
si c’est une fille on dit par exemple Fatma mint Mohamed (ce qui veut dire
Fatma fille de Mohamed). On note quelquefois le mot ibn ou ben (qui a le
même sens que ould) pour les hommes c’est-à-dire fils. En langue arabe
les mots ibn ou ben et ould (en arabe classique walad) sont synonymes. Au
pluriel c’est abnâ ou beni pour ibn et ben, c’est pour cette raison que
l’appellation tribale des Arabes est au pluriel. On dit par exemple pour
désigner les membres de la tribu des Sbae oulad Sbae ou Sba’i ou abna
(beni) Sbae.
Pour les femmes, le pluriel de mint ou bint est banat. Mais la désignation du
nom de la tribu ne se fait jamais avec le vocable féminin. On ne dit pas par
exemple les banats Sbae pour désigner les membres de cette tribu.
La société arabe du Mali est donc une société patriarcale avec un droit de
transmission héréditaire qui est patrilinéaire. Ce fait détermine l’identité de
l’homme arabe ainsi que l’ensemble de ses relations sociales dont celles
matrimoniales.

117
3. Généralités sur le mariage en milieu arabe
Le mariage répond à des besoins sociaux bien précis, parmi lesquels le
renforcement des liens sociaux et la fondation de la famille. Il est dans sa
conception la plus simple l’acceptation de s’unir avec une personne de
sexe opposé en vue de résoudre ensemble un certain nombre de
problèmes existentiels qui se posent aux humains. Ces problèmes sont à
la fois biologiques et sociaux.
Bien qu’étant essentiellement humain, le mariage est une institution très
variable en fonction des sociétés. La diversité de ses formes dans le
temps et dans l’espace est à l’origine de la multiplicité de définitions que
les sociologues lui attribuent. En langue arabe, il existe beaucoup de
termes pour qualifier le mariage. On peut citer parmi eux : ziwaj, zifaaf ou
encore i’rs.
3.1. Le processus de demande en mariage
En milieu arabe du Mali, le mariage est d’abord un contrat entre un
homme et une femme. Il est conçu comme une affaire qui engage
surtout un homme et une femme. Mais dans cette communauté,
l’établissement des liens matrimoniaux n’est possible qu’avec le respect
du tabou de l’inceste qui interdit le commerce sexuel entre parents très
proches. L’explication sociologique de ce tabou diffère selon les auteurs.
Bronislaw Malinowski l’explique en ces termes : « L’organisation des
sentiments dépend en grande partie de la nature et de la qualité des mécanismes
sociologiques qui fonctionnent dans une société donnée. Les principaux aspects de ces
mécanismes sont représentés par des dispositions… relatives au tabou de l’inceste, à
l’exogamie, à la répartition de l’autorité, au mode d’organisation domestique »
(Malinowski, 1932 ; 226, 227). Tout compte fait, l’existence de ce tabou
est une réalité dans toutes les sociétés traditionnelles du Mali, dont celle
arabe.
La communauté arabe, à l’instar de beaucoup d’autres communautés du
Mali, respecte cette interdiction en se fondant sur celle évoquée dans le
Coran qui dit : « Vous sont interdites vos mères, vos filles, sœurs, tantes paternelles
et maternelles, les filles de vos frères et sœurs, les mères qui vous ont allaités, les sœurs
de lait, les mères de vos femmes, les belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes
avec lesquelles vous avez consommé le mariage…, les femmes de vos propres fils, de
même que de réunir ensemble deux sœurs (quelles soient utérines ou sœurs en
allaitement)… » (Le Coran : 4, 23).

118
Quant au code de mariage du Mali, il a interdit l’inceste dans des
dispositions légèrement différentes, mais qui en somme ne contredisent
pas celles citées supra. Aussi la législation malienne a-t-elle interdit le
mariage entre :
le fils et la mère ;
le frère et la sœur ;
le père et la fille ;
l’oncle et la nièce ;
le neveu et la tante paternelle ou maternelle ;
l’homme et la femme qui l’a allaité ;
l’homme et les tantes paternelles ou maternelles de sa nourrice ;
l’homme et les enfants de la fille de sa nourrice ;
l’homme et l’ancienne épouse de son fils ;
l’homme et la mère de sa femme ;
l’homme et la fille de son épouse née d’un autre mariage ;
l’homme et l’ancienne épouse de ses oncles paternels ou maternels ;
l’adoptant et l’adopté.
Les personnes figurant dans les interdictions citées ci-dessus sont
appelées en Arabe les dhou maharram, c’est-à-dire des gens avec qui
aucune relation sexuelle n’est possible. Ces dhou maharram se subdivisent
en deux catégories :
- les dhou maharram mouthlaqan, c’est-à-dire les femmes et hommes dont
aucun mariage n’est possible durant toute la vie d’un individu comme par
exemple la mère qu’elle soit biologique ou par allaitement, le fils ou la
fille qu’il/elle soit biologique ou par allaitement, les tantes et les oncles
paternels ou maternels directs, etc. ;
- les dhou maharram lil ajali, c’est-à-dire les personnes avec lesquelles les
relations sexuelles sont interdites pendant une durée déterminée, mais
qui peuvent être licites sous certaines conditions comme par exemple le
cas des sœurs de l’épouse ou des frères de l’époux durant le mariage.

119
Cette interdiction prend fin avec le divorce ou par suite de décès d’un
des conjoints.
Quant à la célébration du mariage, elle se fait après la demande en
mariage de la femme à ses tuteurs. Cette démarche se fait par étapes. Le
prétendant envoie son témoin pour la demande en mariage ; en cas
d’acceptation, on lui fixe le montant de la dot. Après payement de la dot
le mariage est célébré. Les fiançailles n’existent pratiquement pas dans la
société arabe.
Pour qu’il y ait mariage, il faut les conditions suivantes :
- que l’homme et la femme ne soient pas dhou maharram ;
- que les deux conjoints consentent. Sur ce point, le consentement de la
femme est très important. Elle est libre de se marier ou de divorcer ;
- que la demande soit faite devant au moins deux témoins, un du
prétendant et un du wakil de la femme (son tuteur) ;
- que la dot soit payée par le prétendant ou acceptée comme dette.

À la différence de beaucoup d’ethnies du Mali, l’habit porté par la


nouvelle mariée dans la chambre nuptiale peut être de couleur noire ou
blanche. L’interprétation du sens de la couleur noire varie. Certains
l’interprètent comme la couleur qui couvre la femme surtout en cas de
virginité. D’autres y voient la conception arabe qui considère la femme
comme un mystère. La durée de la chambre nuptiale est d’une semaine
pour les couples qui se marient pour la première fois, mais de trois jours
pour les hommes déjà mariés.
Concernant l’âge, la société arabe traditionnelle n’a pas fixé d’âge
approprié pour le mariage. Sa célébration est possible dès lors que les
deux conjoints sont majeurs, biologiquement parlant. La majorité
biologique signifie que la femme a vu ses premières menstruations et que
l’homme est devenu pubère. Le premier mariage est habituellement
célébré à très bas âge.
3.2. Dot et choix du ou de la conjoint(e)
Elle peut être payée en espèce ou en nature. Mais il n’y a pas de mariage
sans dot. En plus de la dot, le fait de récompenser sa femme après le
mariage pour la virginité est chose répandue. En milieu traditionnel
arabe, le mariage le plus prisé est celui des cousins et cousines, ce qu’on
appelle ziwaj ibn ‘am ou mint ‘am. Le mariage endogamique est beaucoup

120
plus valorisé que celui exogamique. En cas d’exogamie, les tribus alliées
sont plus souhaitables que celles non alliées.
4. Critères de la beauté féminine
La société arabe traditionnelle beidhaane avait ses propres critères de
beauté féminine. Ils concernaient certains traits du corps de la femme
ainsi que les parures. Ces éléments rendaient attrayante ou répulsive une
femme et pouvaient ainsi faciliter ou compliquer sa demande en mariage.
4.1. Le corps de la femme
Les Arabes accordent une attention particulière au corps de la femme,
qui est le critère principal de la beauté de cette dernière.
Traditionnellement, une belle femme est en premier chef celle qui est
ronde et qui a de l’embonpoint. La rondeur de la femme (grosseur) est
appelée en dialecte hassanya el-haal qui veut dire littéralement l’état
(entendu en bon état). Pour rendre la femme ronde, différentes
techniques dont la plus fréquente était le gavage étaient utilisées. Le
gavage consistait à nourrir de force la jeune fille par le lait de dromadaire,
de vache, de dattes et des aliments gras. Cette pratique s’appelait belh en
dialecte hassanya.
On attribuait à cette grosseur plusieurs raisons, mais l’ethnographe
française Aline TAUZIN l’explique en ces termes : « Elle témoignait de la
richesse du groupe, qui se montrait capable de suralimenter ses femmes alors que la
disette est endémique dans la zone saharo-sahélienne. Elle donnait aux fillettes une
corpulence d’adulte permettant de hâter leur mariage et, ainsi, de mieux contrôler leur
sexualité, perçue comme éminemment dangereuse par une société fonctionnant selon une
stricte organisation patrilinéaire. » La chercheure française évoque donc des
raisons économiques et de contrôle social du désir féminin pour
expliquer la pratique du gavage. Ne rejetant pas ces raisons, nous
pensons qu’on peut les compléter en leur ajoutant l’aspect esthétique du
corps féminin qui n’était perçu comme beau et attirant que lorsqu’il était
gros.
La pratique du gavage a commencé à disparaître pendant les deux
dernières décennies du XXe siècle. Aujourd’hui, c’est une pratique qui est
révolue, les jeunes femmes sont de plus en plus attirées par les
silhouettes sveltes des Occidentales.
4.2. Habillements et parures des nouveaux mariés
Elles se divisent en parures masculines et féminines, mais les dernières
sont plus importantes que les premières. Pour les hommes, les habits de

121
mariage sont variables, mais c’est très souvent le grand boubou de
couleur blanche ou bleu azur appelé dara’a ou le boubou (le tirkyé) et un
pantalon traditionnel, le sirwaal avec une grosse ceinture en cuire ; le
hizaam. La tête peut être enturbannée ou couverte par une chéchia. Le
chèche ou turban est appelé ‘hawl ou la’maamah. La chaussure portée est
souvent la babouche.
La photo ci-dessous montre l’accoutrement du nouveau marié en
petit boubou tirkyé

Source anonyme : Mariage arabe dans la ville de Tombouctou

122
Les parures et habillements de la nouvelle mariée sont plus variés et
complexes que chez les hommes. Elles portent un sari de couleur noire
ou blanche (selon les contrées) appelé malahfa. La malahfa noire, appelée
aussi elkahla, est teintée en indigo et donne au corps un reflet luisant.
Dans la poésie amoureuse des Beni Hassan, la femme aimée est désignée
sous le vocable « la femme à l’indigo ».
Exemple de malahfa de nouvelle mariée de couleur noire

Source personnelle : Habit de nouveaux mariés à Nioro du Sahel

123
Exemple de malahfa de nouvelle mariée de couleur blanche sur la
photo ci-dessous

Source anonyme

124
On pose sur la tête le goufa tressé avec de l’or ou des pierres précieuses
provenant de coraux marjaan. Les deux mains et les deux pieds sont
tatoués de divers motifs de henné dont la signification est à la fois
religieuse et esthétique. Au-dessus de la cheville, la femme porte des
bijoux en or ou en argent. Ces bijoux appelés khalkhaal sont de forme
circulaire et ressemblent beaucoup à des gourmettes portées au poignet.
La nouvelle mariée porte autour du cou des parures dorées ou des
colliers de pierres précieuses appelés glaadah.
La photo ci-dessous est un exemple de parures de nouvelle mariée
avec un goufa tressé en or.

Source anonyme : (parure de nouvelle mariée de la région de


Tombouctou)

125
L’image ci-dessous est une illustration de goufa tressé en pierres
précieuses (coraux) ou marjaan.

Source personnelle : Parure de nouvelle mariée de Nioro du Sahel

126
5. Fonctions sociales du mariage chez les Arabes du Mali
Le mariage remplit un certain nombre de fonctions dans la société. Ces
fonctions se divisent en trois principales qui sont entre autres la
réglementation de la sexualité, la fondation de la famille et l’échange entre les
groupes sociaux.
La première fonction citée ci-dessus est universelle donc présente dans
toutes les sociétés humaines. Cela fait que les liens de mariage sont limités à
un certain nombre de groupes de personnes. Du point de vue sociologique,
cette limitation du mariage respecte le tabou de l’inceste qui est aussi
universel. Dans la société arabe, cette interdiction a un fondement religieux
et se réfère aux dispositions de la loi coranique.
La deuxième fonction à savoir la fondation de la famille détermine la nature
de la famille et l’identité des personnes qui y vivent. Dans la société des
Arabes maliens, la famille est généralement néolocale. Les jeunes couples
résident rarement avec leurs parents, ils fondent leur propre foyer. La
filiation est, comme nous l’avons vu ci-haut, patrilinéaire. Le chef de famille
est l’homme conformément. Il prend en charge l’ensemble des dépenses de
la famille. La femme quant à elle ne sort qu’en cas de nécessité et ne travaille
généralement pas.
Enfin la dernière fonction qui est l’échange des femmes entre les groupes,
elle est un facteur très important dans le lien entre la communauté arabe et
les autres communautés du Mali. Cet échange est à l’origine du métissage
entre Arabes et les ethnies telles que les Touaregs, les Songhoï, les Soninkés,
les Malinkés, etc. Ce métissage a donné naissance à beaucoup de groupes
tels que les Arabo-Berbères, les Armas (groupes d’origine arabe mais
aujourd’hui de culture songhoï), etc.
Le mariage dans les sociétés humaines met en relief les mécanismes
d’échange entre les groupes sociaux, car il permet aux personnes d’entretenir
des relations de sociabilité par le canal de l’échange d’individus dans les
familles. En milieu arabe malien, cet échange se subdivise en deux
principales formes : l’échange restreint et l’échange généralisé. L’échange
restreint ou échange intragroupal est une forme d’échange dans laquelle
deux familles arabes échangent mutuellement des relations matrimoniales.
Cette pratique est très étendue chez les Arabes, on l’appelle ziwaj ibn ‘am ou
mint ‘am (ou littéralement le mariage entre cousins et cousines germains). Ce
type est le plus valorisé en milieu traditionnel beidhaane.
L’échange universel ou intergroupal est différent du précédent par le fait que

127
celui-ci n’est pas fait au sein du groupe, mais il s’effectue au niveau de la
société globale. La provenance du ou de la conjoint(e) n’est pas déterminée
d’avance. C’est cette forme d’échange qui est en train de prendre de
l’ampleur. Il s’impose à mesure que la société arabe béidhaane s’ouvre.
Conclusion
Le mariage au-delà de ses spécificités culturelles reste un lien entre les gens.
En milieu traditionnel arabe son fondement est religieux. Ses fonctions sont
multiples, mais les plus significatives sont : l’ordonnancement des relations
conjugales entre homme et femme, la fondation de la famille et l’échange.
Les échanges matrimoniaux à l’instar des autres formes d’échanges de biens
font partie de ce que Marcel Mauss a appelé les faits sociaux totaux, car
d’une part leurs incidences touchent l’ensemble de la structure sociale et
d’autre part ils ne sont compréhensibles qu’en prenant en compte la totalité
des composantes de la société.
La communauté arabe du Mali à l’instar des autres communautés est aussi
affectée par le modernisme. Ces processus influent sur les liens
matrimoniaux en les transformant. Le mariage endogamique entre cousins
germains, qui était répandu traditionnellement, est en train d’être suppléé
petit à petit par le mariage exogamique. Par la même veine, la conception du
mariage est en train de changer au sein de ce groupe. Le mariage qui n’était
pas conçu pour une vie entière, par le fait que le divorce est presque chose
courante, se stabilise peu à peu surtout dans le cas d’exogamie.
Références bibliographiques
Centre FAHD ibn Abdoul Aziz s. d, Le Coran version française.
LAROUSSE 2016, Le dictionnaire Larousse.
Gilles FERREOL (dir.) (1995), Le Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand
Colin.
Dalloz (1995), Le Lexique des termes juridiques.
MALINOWSKI B. (1976), La Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives,
Paris, Payot.
MARTY M. D. (1988), Mariage et Divorce, Paris, PUF.
MAUSS M. (1950), Sociologie et Anthropologie, Paris, Quadrige/PUF,
1re édition.
TAUZIN A. (2004), Le Corps féminin et ses transformations dans la société maure de
Mauritanie : influences exogènes et évolutions internes, Werner Jean-François (éd.),
Paris, IRD.
Wikipédia

128
Chapitre 6

Rites et traditions du mariage chez les Miniankas de


Kimparana et de Koutiala, Mali

Kawélé TOGOLA,
Anthropologue, Maître de Conférences
Université des Lettres et des Sciences Humaines
de Bamako (ULSHB)

Résumé
Le présent article a traité du mariage traditionnel chez les Miniankas de
Kimparana et de Koutiala au Mali. L’objectif visé était de décrire et
d’interpréter les règles et rites du mariage traditionnel dans ces localités.
À partir d’entretiens qualitatifs individuels semi-directifs, réalisés auprès
des ressortissants de ces localités résidant à Bamako, nous avons identifié
les stratégies de choix de la conjointe et les différentes étapes de la
démarche de fiançailles et de la célébration du mariage. Aussi, l’étude a
permis de découvrir les significations dont sont socialement investis les
rites comme la chaîne de distribution de la parole entre les deux familles,
à travers leurs représentants, et la dot.
Mots clés : Kimparana, Koutiala, Mariage, Miniankas, Règles, Rites,
Traditions
Abstract
This paper deals with the traditional marriage among the Minianka of
Kimparana and Koutiala, in Mali. The aim was to describe and analyse
the rules and the rites of the traditional marriage in those localities.
With qualitative interviews carried out in Bamako among people coming
from those localities, I have identified strategies of choosing a wife and
the different stages of the procedure of engagement and the celebration
of the wedding. So, the research allowed to find out the social
significance of rites like the process of distribution of the speech
between the two families interacting throughout their representatives and
the payment of the dowry.
Keywords: Kimparana, Koutiala, Marriage, Minianka, Rules, Rites,
Traditions

129
Introduction

Le mariage, tel qu’il s’organise dans les sociétés humaines, est un fait
culturel strictement humain, une acquisition sociale majeure consacrant en
quelque sorte la distinction d’un monde humain d’un monde animal, à
partir de l’introduction d’une réglementation dans la sexualité. Se fondant
sur un tel constat, signe incontestable d’un progrès dans la gestion et
l’accomplissement de la sexualité, Robert Deliège affirme : « la rupture entre
les mondes humain et animal éclate plus clairement encore lorsque l’on examine le
contenu des règles de l’inceste » (Deliège, 2011, p. 45). Au regard de sa genèse,
surtout des différentes formes qu’il a revêtues, tout au long de l’évolution
sociale, il ne sera pas exagéré d’affirmer que l’histoire du mariage, c’est
l’histoire des progrès réalisés par les hommes vivant en société, en matière
de sexualité.
En l’absence de toute définition universellement valide et admise, du fait
de l’extrême difficulté à l’appréhender, vu qu’il ne cesse de se complexifier
« une définition minimale du mariage est celle d’une union durable entre un homme et
une femme, socialement reconnue par l’entourage, éventuellement consacrée d’une manière
ou d’une autre, par des autorités civiles ou religieuses et par des manifestations
publiques » (Héritier, 2005, p. 8). Cette définition du mariage se rapporte à
une de ses multiples dimensions, à savoir le mariage hétérosexuel. C’est
bien de cette dimension que nous entendons rendre compte dans le cadre
de ce travail.
Du fait de sa centralité et de ses fonctions sociales, notamment dans
l’institution et le fonctionnement des structures sociales, des relations
interindividuelles, force est d’admettre que le mariage est un invariant
anthropologique. Les évolutions qu’il connaît en tant qu’institution sociale,
du point de vue démarche de mariage, fiançailles et choix de la conjointe,
ne sauraient guère délégitimer un tel statut. Fort de ce statut, le mariage se
rencontre partout et caractérise toutes les sociétés humaines.
On comprend donc tout le sens de cette remarque de Robert Deliège :
« … dans toutes les sociétés humaines, le mariage est une institution d’importance
cruciale » (Deliège, 2011, p. 17). Source d’obligations et de droits
réciproques, plus pour les familles que pour les conjoints, du moins selon
« une imagérie populaire » (Héritier, 2005, p. 6), le mariage est une véritable
institution sociojuridique. De toutes les institutions sociales, le mariage est
celle qui est à l’origine de la famille. En d’autres termes : « la formation d’une
famille est considérée comme l’objectif du mariage » (Héritier, 2005, p. 6). Quelles

131
que soient les évolutions et les situations de la vie sociale, il demeure un
impératif pratique pour tout individu de se réclamer d’une famille.
Un individu se définit par son groupe social, et le mariage a pour fonction
de lui assurer une inscription sociale. Il s’ensuit que nul ne peut, par
quelque génie que ce soit, par quelque circonstance, de son propre chef ou
du fait d’autrui, se dérober ou se trouver privé de la satisfaction d’un tel
impératif identitaire. Autrement, on parlerait de « fantôme identitaire » ou
« d’individu a-identité ».
Au-delà de toutes ces consécrations, il importe de ne perdre de vue que le
mariage ne se réalise, en général, qu’au terme d’un certain nombre d’étapes
marquées par des rites investis de significations sociales particulières. La
notion de significations particulières requiert ici une attention singulière de
notre part, car si le mariage comme un fait civilisationnel ou culturel
apparaît comme une institution universelle, il n’en demeure pas moins vrai
que « les civilisations du monde continuent d’exister dans leurs différences et leurs
spécificités » (Käser, 2008, p. 11).
Michel Messu semble s’inscrire dans cette perspective lorsqu’il écrit :
« certaines sociétés n’ont jamais eu recours à un quelconque rituel d’institution de
l’alliance » (Messu, 2015, p. 5). Loin d’impliquer un défaut de légitimité,
cette absence de recours à un rituel doit s’interpréter comme le signe de
l’existence d’une pluralité de tendances, de mécanismes sociaux de
légitimation du mariage et partant de la filiation des enfants. Chaque
communauté « privilégie inconsciemment une tendance plutôt qu’une autre »
(Tcherhèzoff, 1997, p. 13).
Outre le cadre théorique et le cadre méthodologique, le présent article
s’organise autour de trois chapitres. Dans le premier, on procède à la
description de la stratégie traditionnelle qui prévaut dans le repérage et la
désignation de la conjointe. Le deuxième chapitre décrit et interprète les
diverses transactions et autres chaînes de distribution de la parole, qui
rythment la démarche de fiançailles. Quant au troisième chapitre, il analyse
la célébration du mariage, la place et la signification qui s’attachent au
processus actoriel de transformation du coton en étoffe, les acteurs en
présence étant ici la famille du conjoint et celle de la conjointe.
1. Cadre théorique
L’intérêt du mariage n’a pas échappé aux chercheurs en sciences sociales,
en l’occurrence les anthropologues et les sociologues. Cet intérêt tient à

132
l’universalité du mariage, comme institution sociale, ainsi qu’aux multiples
et diverses fonctions qu’il exerce dans le fonctionnement de la société.
Institution sociale de haute importance, modèle d’ingénierie sociale, forme
de sociabilité avérée, le mariage semble accomplir en effet un certain
nombre de fonctions fondamentales au sein de toutes les sociétés. La
régulation sociale, la légitimation de statut des individus et l’institution des
liens de parenté sont, entre autres, emblématiques de ces fonctions.
Au regard des nombreux et insoupçonnables attributs sociaux qui s’y
attachent, notamment le fait de constituer un espace générateur d’alliances,
donc de solidarités, le mariage s’appréhende comme un véritable modèle
de fonctionnement de la société. Une fois considéré comme en âge de
fonder un foyer, l’individu de sa propre initiative ou par imposition des
aînés est amené à envisager le mariage.
Il ne saurait en être autrement, du moins dans la société traditionnelle où le
mariage demeure un élément structurant du contrôle social qu’exercent les
aînés sur les cadets sociaux, à savoir les jeunes garçons et les jeunes filles.
Les anthropologues d’obédience marxiste sont ceux qui ont le plus en
profondeur traité du mariage sous cet angle. Ainsi, selon Claude
Meillassoux : « dans les sociétés primitives et lignagères, la circulation des femmes est
déterminante en dernière instance. Le pouvoir des aînés est fondé sur cette circulation des
femmes, c’est grâce à ce phénomène que les aînés parviennent à dominer et à contrôler les
cadets » (Meillassoux, in Lombard 2008, p. 208).
Dans toutes les sociétés humaines, la réglementation de la sexualité fait
partie des principales fonctions sociales du mariage. De manière
récurrente, la sexualité se révèle une source de conflit dans les relations
interindividuelles compromettant à chaque fois la paix sociale. Pour
préserver la paix sociale et la stabilité, le mariage, parce qu’il constitue de
fait et de droit un principe de légitimation des relations sexuelles, s’est
avéré un recours efficace. À ce titre, il constitue une stratégie de paix
sociale.
Il importe de souligner que l’institution du mariage ne tient pas à la seule
nécessité d’une réglementation de la sexualité. Une partie des motivations
et des raisons de l’institution du mariage se trouve également dans les
considérations d’ordre économique. Les liens conjugaux impliquent « le
partage des ressources, le soutien économique au sein du couple comme entre les différentes
familles » (Héritier, 2005, p. 6).

133
En effet, il n’échappe guère à personne, au premier chef les acteurs
ruraux, de par leurs modes de vie et les activités économiques qui les
occupent, du genre agriculture, qu’« en vertu de leurs différences sexuelles
fondamentales, un homme et une femme constituent une unité de coopération (dans le
cadre de la production matérielle) d’une grande efficacité » (Deliège, 2011, p. 24).
Claude Meillassoux s’inscrit dans une telle optique en élargissant le cadre
de son analyse pour appréhender toutes les imbrications et implications,
surtout économiques, liées au mariage. En ce sens, fait-il remarquer :
« la communauté domestique est en effet le seul système économique et social qui
régente la production physique des individus, la reproduction des producteurs et la
reproduction sociale sous toutes ses formes par un ensemble d’institutions, et qui la
domine par la mobilisation ordonnée des moyens de la reproduction humaine, c’est-à-
dire les femmes » (Meillassoux in Copans, 1996, p. 53).
En outre, dans la plupart des cas, force est de constater que le mariage ne
s’accomplit qu’au terme d’une série de transactions d’ordre financier,
matériel et d’investissement humain, qui scandent toute la démarche de
mariage. Ces transactions s’inscrivent dans le cadre d’une action sociale,
vu que les individus d’une même communauté en ont un sens partagé,
donc culturel, mais jamais individuel. En cela, elles s’inscrivent dans un
cadre structuré.
Une approche habituelle simplifiée, devenue une tradition que tous les
manuels d’anthropologie et de sociologie véhiculent au sujet du mariage,
consiste à le présenter comme « une alliance qui lie deux individus de sexe
différent (un homme et une femme) par un faisceau de droits et d’obligations mutuelles
variables de culture à culture » (Rivière, 2002, p. 58) destinée à faire acquérir
aux enfants naissant de cette femme un statut légitime, aux yeux de la
société. De nos jours, une telle approche ne couvre plus toute la réalité
du mariage, elle est pour le moins largement contestable et contestée vu
les évolutions sociales.
Spécifique à l’espèce humaine, ainsi que s’accordent à le reconnaître les
anthropologues sociaux, la parenté est un fait hautement humain. Toute
la terminologie des relations de parenté a pour fondement matériel le
mariage. Générateur de relations de parenté, le mariage est aussi un
principe de fonctionnement structuré du système des relations sociales
fixant les individus dans des statuts et attitudes socialement requis au
regard de leur environnement culturel.

134
2. Cadre méthodologique
Kimparana et Koutiala demeurent, en dépit des évolutions liées à la
pratique du mariage, deux localités partageant la même aire culturelle, où
l’attachement des populations au mariage traditionnel, en particulier les
Miniankas, est encore bien perceptible. En se focalisant sur ces deux
localités, nous entendons, à travers cet article, appréhender et interpréter
de manière empirique la réalisation du mariage suivant les rites et règles
traditionnelles à Kimparana et à Koutiala.
Afin de parvenir à cette fin, nous nous sommes fondés sur des résultats
d’enquêtes qualitatives, réalisées auprès des ressortissants de ces deux
localités, établis à Bamako et basées sur l’entretien semi-directif. Nos
interlocuteurs ont été choisis parce qu’ils ont été acteurs de l’organisation
de démarches de mariage, et aussi en fonction de leur niveau de
connaissance et de compréhension des règles présidant au mariage
traditionnel. Au total, ces interlocuteurs nous ont accordé onze (11)
entretiens individuels semi-directifs. Les données recueillies ont fait
l’objet d’une analyse de discours.
L’objectif de ce travail est de décrire et d’interpréter les rites et règles du
mariage traditionnel chez les Miniankas de Kimparana et de Koutiala.
Kimparana et Koutiala sont des cercles relevant respectivement des
quatrième et troisième régions administratives du Mali, à savoir Ségou et
Sikasso. De manière spécifique, il s’attache à :
– décrire les stratégies de choix de la conjointe, de la démarche de
fiançailles et de la célébration du mariage ;
– interpréter les significations des différents rites accomplis tout au long
du processus de mariage traditionnel et la motivation des acteurs à les
observer.
Les rites et traditions accomplissent une fonction de régulation de
l’institution mariage dont les étapes, les rituels ainsi que les règles qui
président à son agencement sont investis de sens et de signification.
Les acteurs impliqués directement dans la gestion de la démarche de
mariage semblent suivre strictement les règles préétablies à cet effet, sans
s’en écarter, leurs comportements se réduisent alors à de simples effets
de structure, ce qui fait d’eux de véritables caisses de résonnance. Aussi,
s’approprient-ils et intéroriorisent-ils le sens et la signification de chaque
étape du processus de mariage. D’où le choix du schème structural, tel

135
que mis en œuvre par Claude Lévi-Strauss (1949) et du schème
compréhensif, tel que décrit par Raymond Quivy et Luc Van
Campenhoudt (2006).
La perspective structurale a l’avantage de permettre d’appréhender les
règles qui président à l’organisation du mariage. Quant à la perspective
compréhensive ou l’herméneutique, elle permet de saisir le sens, partagé
ou individuel, des actions humaines (Quivy et Campenhoudt, 2006,
p. 90).
Le problème qui se pose ici est donc de savoir si l’organisation du
mariage suivant les rites et traditions en vigueur dans nos milieux
d’enquêtes s’accomode de nos jours aux mentalités et aux idéologies des
acteurs. La pertinence de ce problème tient au fait que toutes les sociétés
humaines s’inscrivent dans la perspective du changement social. Or, le
changement social peut se traduire par un changement de culture.
Comme toute autre institution sociale, le mariage est fondamentalement
un fait culturel.
3. Le choix de la conjointe
Dans les sociétés humaines, le souci de préserver l’ordre social est tout
aussi constant que déterminant dans les relations sociales. Plus
généralement, ce désir d’ordre transparaît dans la rigueur de certaines
dispositions institutionnelles comme le mariage. La stabilité dans un
mariage est un facteur de cohésion sociale dans la mesure où elle est de
nature à renforcer les alliances entre familles, voire villages.
Dans ses travaux, le célèbre anthropologue français Claude Lévi-Strauss
montre l’importance du mariage comme « constitutif de l’alliance entre
groupes, alliance sans laquelle aucune assistance sociale, aucune aide n’est possible
dans les systèmes où la protection sociale reste l’affaire du groupe familial » (Lévi-
Strauss, 1949).
Tous les rites liés au choix de la conjointe, à l’arrivée de celle-ci dans le
domicile conjugal mettent en scène, non pas les futurs conjoints, mais les
représentants de leurs familles respectives. L’implication des familles est
si forte que d’aucuns estiment que ce sont deux familles qui se marient et
non deux individus.
En effet, comme nous l’a confié K.G., la cinquantaine, un enseignant du
fondamental, ayant conduit plusieurs démarches de mariage, au profit de
ses neveux à Kimparana :

136
« Le choix de la conjointe est généralement le rôle de l’un des parents du garçon. Les
contextes de ce choix sont nombreux. Ainsi, un étranger dont la période de transit, de
séjour ou de visite coïncide avec la naissance d’une fille dans sa famille d’accueil dispose
d’un droit de fiançailles sur celle-ci. Aussi, lorsqu’un individu, à la faveur d’une
fréquentation ou d’une simple visite rendue dans une famille, à quelque occasion que ce
soit, y voit une fillette, non encore promise à un homme, le visiteur a toute la latitude
de fiancer cette fille pour l’un de ses garçons. Il peut aussi arriver qu’un oncle, de sa
propre initiative, ou à la demande de son neveu, promette à celui-ci une de ses filles en
mariage. »
Chez les Miniankas de Kimparana et de Koutiala, le choix de la conjointe
s’effectue suivant un cadre structuré, préétabli de transaction
prématrimoniale. L’origine sociale, les qualités et l’identité sociale de la
conjointe constituent les éléments de cette transaction.
Toutefois, à l’instar de la famille du prétendant, celle de la jeune fille doit
aussi « mener une enquête pour connaître les qualités et les aptitudes du futur mari.
On s’intéresse aux données généalogiques de l’une et l’autre familles pour voir s’il n’y
a pas (motif à) empêchement à mariage » (Cissé, 1970, p. 82). Dans tous les cas
de figure, le choix de la conjointe est immédiatement suivi de la
démarche de fiançailles.
4. La démarche de fiançailles
Ce chapitre tente de cerner deux choses qui nous paraissent essentielles
dans la construction et la mise en œuvre de tout projet de mariage
traditionnel dans notre milieu d’enquêtes, ce sont d’abord le rôle de la
famille et plus spécifiquement l’identité individuelle de préférence de
l’individu investi de la charge légitime de matérialiser ce rôle.
Cellule de base de la société et lieu de la socialisation primaire, la famille,
au regard du rôle déterminant qu’elle y joue tout au long du processus,
constitue de fait le principal gestionnaire du mariage traditionnel chez les
Miniankas de Kimparana et de Koutiala.
Toutefois, le monde de la culture n’étant ni homogène ni statique, mais
nécessairement hétérogène et dynamique, l’organisation du mariage ne
saurait s’exempter de toutes particularités, se préserver de tous contacts,
ou s’isoler de tous changements sociaux. Les cultures du monde
continuent en effet d’exister dans leurs différences et dans leurs
particularités sans jamais pouvoir ni savoir résister aux changements
sociaux. En tout état de cause, nous envisageons ici de rendre compte de
l’ingénierie sociale que constitue le processus de mariage traditionnel

137
chez les Miniankas de Kimparana et de Koutiala, et aussi des humanités
qui s’y expriment. Le propos de M. D., chauffeur de Taxi à Bamako, la
quarantaine révolue, est à ce titre édifiant. Il rapporte :
« la famille du prétendant désigne en son sein un homme pour ouvrir le dialogue et
conduire le processus de fiançailles auprès de la famille de la fiancée, désormais appelée
belle-famille. Il appartient à ce démarcheur attitré de se choisir, au sein de la belle
famille, un interlocuteur. Représentants de leurs familles respectives, les deux
interlocuteurs ont la charge d’échanger sur la conduite à tenir et aussi de relayer toutes
les informations utiles auprès de leurs proches ».
Comme dans la plupart des communautés au Mali, la première tentative
de demande en mariage s’effectue avec dix (10) noix de cola et une boîte
de tabac traditionnel à chiquer. Il revient au représentant de la famille du
prétendant de les porter à son interlocuteur de la famille de la jeune fille.
Mais, pour ce faire, il se doit toujours de se faire accompagner par un
intermédiaire. Contrairement à d’autres communautés, il n’est pas
d’identité sociale ou d’origine sociale requises à cet effet, car cet
intermédiaire ne doit pas être nécessairement une personne de caste.
Choisi au gré des circonstances, en raison de sa proximité
anthropologique ou de toute autre affiliation dont il justifie avec l’une ou
l’autre des deux familles, son rôle est de gérer la communication de
mariage, y compris la remise à la belle famille de tous les éléments
matériels constitutifs de la compensation.
La même exigence vaut pour la famille de la jeune fille. Dans les faits, ce
sont les deux accompagnateurs qui ont la charge de transmettre la parole
à qui de droit ; tout échange direct entre les représentants des deux
familles est exclu. Quelle peut donc être la signification d’une telle chaîne
de parole dans un contexte de demande en mariage ?
En effet, bien que protocolaire, cette interposition de la personne de
caste s’interprète aussi comme le signe d’un respect de la préséance. En
ce sens, il témoigne de l’égard dû aux beaux-parents, qui défend de leur
adresser toute parole au sujet du projet de mariage de leur fille sans
intermédiaire en dehors des formules de politesse. La nécessité de
procéder devant témoin aux transactions socioéconomiques
traditionnelles, qu’impose le contexte de l’oralité, serait aussi une raison
de cette interposition.
Selon F.G., la vingtaine, ressortissante de Kimparana, qui a le double
statut d’épouse et d’étudiante au département de sciences

138
adminisitratives et politiques de l’Université des sciences juridiques et
politiques de Bamako (USJPB) niveau Licence 2 :
« c’est au représentant de la belle-famille qu’est remise la dot. Celle-ci se compose d’une
somme de cauris et d’argent. Les cauris, en quantité connue de tous, sont mis dans un
petit sac en cotonnade cousu à l’occasion, selon un modèle également connu de tous. Il
revient à ce représentant de la belle-famille de convenir d’un jour avec les siens,
exclusivement les hommes, pour procéder à la présentation publique de la dot ».
C’est devant cette assemblée qu’est ouvert le sac de cauris. Cette
assemblée est l’occasion pour la famille de la conjointe de faire connaître
publiquement son avis sur la demande de mariage. Lorsque cet avis est
positif, elle prend la décision d’accorder la main de la fille à la famille du
prétendant.
Quant aux marraines, ces mères sociales de la fiancée, elles sont ensuite
informées de la décision prise par l'assemblée des hommes. En plus des
10 000 FCFA, ces marraines demandent à la belle-famille le payement
d’une somme dite du prix des ustensiles, qui peut faire l’objet de
négociation.
Il est important de rappeler que la décision d’accorder la main de la jeune
fille en mariage est suivie d’une forme précise de transactions faite de
prestations de gendre. Une fois la main de la fiancée accordée en
mariage, le prétendant et ses camarades d’âge doivent participer à
l’entretien du champ de la belle-famille, au désherbage et à la récolte des
céréales chaque année, jusqu’à la célébration du mariage.
5. La célébration du mariage
Les célébrations des mariages ont lieu généralement à l’approche de
l’hivernage, où les cours d’eau connaissent une décrue importante, voire
sont à sec. En milieu minianka, on croit à l’existence d’une relation entre
le niveau d’eau et le mariage. Un mariage célébré en période de crue
risque de se compromettre avec la décrue. Inversement, un mariage
célébré en période de décrue a toutes les chances de se perpétuer, de
gagner en grandeur, en bonheur avec la crue. Cette relation dialectique
entre mariage et niveau d’eau est un élément structurant de la
psychologie collective des communautés miniankas de Kimparana et de
Koutiala.
Une année plus tôt avant la célébration du mariage, la famille du
prétendant envoie à la famille de la jeune fille, la fiancée, un panier de

139
coton, que celle-ci doit transformer en fil de coton. Ce fil de coton est
ensuite renvoyé à la famille du prétendant qui trouve un tisserand pour
en faire un tissu de cotonnade. Ce tissu est en fin de compte renvoyé à la
famille de la jeune fille pour des usages précis. Il doit en effet être utilisé
par la jeune fille comme pagne, couverture et comme dessous. C’est
habillée de ce tissu en cotonnade blanche que la nouvelle mariée rejoint
son domicile conjugal.
Quelles humanités s’attachent-elles à un tel processus ?
Les interprétations liées à ce processus paraissent nombreuses. L’analyse
des discours que nous avons recueillis sur le sujet révèle qu’en
transformant le coton en tissu la jeune fille fait la preuve de sa
disposition à rassembler, à souder ou ressouder le tissu social lorsque
celui-ci se trouverait abîmé, du fait des conflits au sein de la communauté
d’accueil. De par sa position, à savoir sœur du point de vue de la
communauté de départ et épouse dans la communauté d’accueil, « la
femme est reconnue, en milieux traditionnels, comme une véritable actrice en matière de
gestion des crises » (Togola, 2017, p. 159). Ce statut, comme tout autre
statut social, relève d’une construction sociale. Cependant, il se révèle
particulièrement investi d’une forte charge d’idéologie et suscite une
croyance des plus profondes, qui plus est fait l’unanimité de nos
interlocuteurs.
K. C., ressortissant de Kimparana, un de nos interlocuteurs, militaire
admis à la retraite, très attaché aux traditions, selon ses mots, nous en
décrit le mécanisme de construction. Selon lui :
« le mode d’usage de la dot en vigueur chez nous les Miniankas de Kimparana
relève d’une stratégie savamment élaborée par les anciens afin, même après leur
mort, leurs filles et fils puissent continuer à s’entraider, à se soutenir, bref à se sentir
toujours redevables les uns vis-à-vis des autres. Quand des individus se croient
redevables les uns des autres, ils sont plus disposés à se rendre mutuellement service.
Dans le cas de l’espèce, le frère se laissera convaincre qu’il doit plus à sa sœur dont
la dot a été utilisée pour lui trouver une femme à laquelle il fera des enfants. Une
telle conviction l’aidera à affronter son devoir pour toujours, à savoir protéger et
soulager sa sœur et ses enfants ».
Se basant sur les résultats de ses travaux de recherche, Diango Cissé
semble abonder dans le même sens, lorsqu’il affirme qu’en dépit du
mariage « la femme serait plutôt un trait d’union entre deux familles globales dont
elle participe pleinement et simultanément : son mariage ne la rendant point étrangère

140
à sa famille biologique tout en en faisant un membre de l’autre foyer » (Cissé, 1970,
p. 100).
Suivant les convictions et croyances traditionnelles, c’est dans la nuit du
lundi au mardi que la nouvelle mariée doit quitter la maison paternelle
pour le foyer. On peut bien s’interroger sur les raisons du choix du
moment et du jour.
En effet, le choix du moment tient à l’idée que la nouvelle mariée doit
être préservée des regards indiscrets pour éviter qu’un esprit mal
intentionné ne puisse l’atteindre pour l’envoûter et troubler ainsi la
célébration ou même la continuité du mariage. En dépit de la pénombre
qui caractérise le moment, on se doit de protéger la nouvelle mariée, en
lui couvrant tête et visage. Une telle pratique participe des principes de
précaution et de prudence, imposés par les logiques de pensée qui
gouvernent l’univers culturel minianka. Quelles en sont les raisons ?
Dans la conscience populaire minianka, la nouvelle mariée, en plus d’être
« enviée par tout le monde », paraît comme la cible de toutes les
convoitises. Pour des motifs divers et variés, les uns et les autres, génies
et humains, entreprennent de s’y attaquer, d’où la nécessité de la
préserver du maléfice du regard de la foule des badauds.
Le croisement du regard de la nouvelle mariée et de celui de l’un de ces
esprits mal intentionnés suffirait au progrès de l’entreprise de ce dernier,
à la réalisation de son projet pour le moins machiavélique. Voilà
pourquoi il est indispensable de recourir à cet artifice consistant à
empêcher tout contact visuel, voire le rapprochement de la nouvelle
mariée avec un parfait inconnu, notamment le jour J. Le parfait inconnu
est susceptible d’incarner un génie ou un humain en quête de meilleure
posture pour faire aboutir son projet, et de la sorte troubler la moisson.
Ce projet, ainsi que nous l’a confié A. T., trentenaire, originaire de
Kimparana, assistante de direction, en service dans une faculté
d’université à Bamako : « consiste, à la faveur d’un croisement de regards, à
extraire tout le charme qu’on reconnaît et observe sur le corps d’une nouvelle mariée
pour des usages dont les contours, les mécanismes et les finalités échappent
manifestement au commun des mortels ».
Une autre raison, présidant à la protection du visage de la nouvelle
mariée par un foulard de tête, réside dans la conviction que la foule des
accompagnateurs et des observateurs compte inévitablement en son sein

141
des génies déguisés en individus ordinaires ou des individus réels. Ceux-
ci peuvent, à l’occasion, se préparer soigneusement avec des arguments
de l’arrière-pays ou terroir, de manière à pouvoir séduire la nouvelle
mariée.
Un simple échange de regards entre eux et la nouvelle mariée suffirait à
l’aboutissement d’un tel projet. Il en résulte que celle-ci n’aura d’autre
choix que d’envisager de rompre avec son mari pour vouloir se mettre à
la disposition de ce puissant et miraculeux séducteur, qu’elle se décidera à
suivre. En général, le rapt de femme sert d’issue à une telle entreprise.
Le propos de A. S. quarantenaire, originaire de Kimparana, commerçant
de pièces détachées de Moto à Yirimadio, en commune VI du district de
Bamako, éclaire davantage ce phénomène de rapt de femme. Il en décrit
en effet les raisons et les stratégies collectives généralement adoptées
pour prévenir ce phénomène. Selon A. S. :
« En général, un mariage ne fait pas toujours que des contents, des heureux. Les récits
de mariages chaotiques affleurent dans la sagesse populaire. Il y a en effet ceux qui
sont toujours tapis dans l’ombre guettant l’opportunité pour jeter au couple un
mauvais sort. Dans cette entreprise, plus généralement, ils prennent pour cible la
nouvelle mariée, qu’ils ont eu à convoiter, mais n’ont pas vu leur offre de mariage
prospérer, ce qu’ils ne tolèrent pas si facilement. Même s’ils sont connus de tout le
village – loin d’être donc de parfaits inconnus – aucun rapprochement ne doit leur être
accordé avec la nouvelle mariée. Il faut tuer le poussin dans l’œuf. »
En milieu minianka de Koutiala, le choix du lundi comme jour de départ
de la jeune fille chez son mari n’est certainement pas gratuit. Tel est le
choix des anciens, un choix fait en toute connaissance de cause. K. S. la
soixantaine passée, ressortissant de Koutiala, enseignant du fondamental
à la retraite administrative, rapporte :
« selon ce que l’on m’a raconté, c’est que n’importe lequel des jours de la semaine n’a
pas toujours porté bonheur au foyer fondé par les filles de notre village. C’est donc de
manière lucide et attentive, en tirant les leçons de tout ce qui a pu se passer, que les
anciens ont fini par se convaincre que lundi est le meilleur jour pour accompagner la
nouvelle mariée dans son foyer conjugal. Voilà toute la raison de l’institution de ce
jour en matière de mariage ».
Il s’agit d’un jour que les anciens, en toute connaissance de cause, ont
fixé comme jour si les entretiens qui nous ont été accordés ne nous ont
permis d’en découvrir la signification.

142
Elle est, à l’occasion, accompagnée de l’une de ses petites sœurs, dont la
tâche est de porter sa calebasse d’habits sur la tête. Celle-ci, après une
semaine passée aux côtés de sa grande sœur, finit par retourner dans la
famille paternelle. Ce retour de l’accompagnatrice s’interprète comme
une leçon de vie donnée à la nouvelle mariée. Celle-ci se doit désormais
d’envisager de s’insérer et d’immerger au sein de la nouvelle
communauté qui l’a accueillie, et aussi d’apprendre à compter en premier
lieu sur ses propres forces pour affronter ses responsabilités ménagères.
6. Discussion des résultats
Les résultats obtenus au terme de cette étude sur les rites et traditions du
mariage chez les Minainkas de Kimparana et de Koutiala semblent
rejoindre ceux de Françoise Héritier (2005). Selon Françoise Héritier, le
mariage, bien que consacré par l’appariement entre deux personnes,
constitue une forme d’alliance entre des familles, des « maisons »,
implique une coopération économique. Ils s’inscrivent à courant de ceux
auxquels est parvenu Michel Messu (2015), lorsque ce dernier souligne
l’existence de communauté où il n’est jamais fait recours à un quelconque
rituel du mariage.
Conclusion
Institution sociojuridique, réalité universelle, chaque communauté a
appris à élaborer sa propre démarche de mariage structurée par des
étapes et rites et sous-tendue par des motivations qui en justifient les
exigences.
Chez les Miniankas de Kimparana et de Koutiala, à l’instar de bien
d’autres communautés ethniques du Mali, la compensation a toujours
constitué un élément central du processus de mariage. Cette
compensation coutumière joue, du moins peut-elle s’interpréter ainsi,
comme un mécanisme de rétablissement de l’équilibre. Le but ultime est
de remplacer la femme dans sa famille par une dot, les prestations de
gendre et bien d’autres libéralités en faveur de cette famille. Plus
généralement, la dot versée à titre de compensation doit servir aussi à
procurer une femme à l’un des frères de la mariée.
On peut donc comprendre pourquoi cette forme spécifique de
transaction constitue le fondement d’une nouvelle et singulière alliance
s’établissant de fait entre la sœur et le frère. Cette alliance vise à tenir le
frère en respect et en devoir d’aide et de considération vis-à-vis de sa
sœur et surtout de la progéniture de celle-ci. Faillir à cet engagement,

143
c’est s’exposer et exposer ses propres rejetons à la colère de sa sœur.
Cette colère s’exprime sous la forme de « balema musso dan kan »
expression bambara qui signifie littéralement en français la malédiction
engendrée par la parole de la sœur.
En effet, la parole de la sœur est investie d’une sorte de charge mystique
qui lui confère un pouvoir maléfique. Pesant sur leur tête, telle une épée
de Damoclès, au nom de cette malédiction, aucun homme ne s’avise à
effaroucher sa sœur, à la déconsidérer ou à discriminer les enfants de
celle-ci au profit des siens propres.
À chaque période, ses mœurs, les rites et traditions du mariage, tels que
décrits et analysés dans cet article, ont certes prévalu de manière
vigoureuse pendant un temps dans les milieux concernés. Aussi,
continuent-ils à réguler de nos jours le mariage, mais avec beaucoup de
timidité, preuve d’une dévitalisation des normes qui régissent le mariage.
Cette dévitalisation traduit un effet de changement. Toute la question est
d’appréhender les facteurs porteurs de ce changement.
Références bibliographiques
Cissé D. (1970), Structures des Malinké de Kita, Bamako, Éditions
populaires.
Copans J. (1996), Introduction à l’ethnologie et à l’anthropologie, Paris, Éditions
Nathan.
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Armand Colin.
Héritier F. (2005), « Quel sens donner aux notions de couple et de
mariage ? à la lumière de l’anthropologie, Caisse nationale d’allocations
familiales » Informations sociales, n° 122, p. 6–15.
Käser L. (2008), Voyage en culture étrangère, guide d’ethnologie appliquée,
Teotihuacàn, Excelsis.
Lévi-Strauss C. (1949), Structures élémentaires de la parenté, Paris, PUF.
Lombard J. (2008), Introduction à l’ethnologie, 3e édition, Paris, Armand
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Messu M. (2015), « Mariage et société des individus : le mariage pour
personne, Union nationale des associations familiales », téléchargé le
08/09/2021 sur WWW.Cairn.info via université de Genvève.

144
Quivy R. et Van Campenhiudt L. (2006), Manuel de recherche en sciences
sociales, 3e édition, Paris, Dunod.
Rivière C. (2002), Introduction à l’anthropologie, Paris, Hachette.
Tcherkèzoff S. (1997), « Margaret Mead et la sexualité à Samoa, du
consensus anthropologique au débat ethnographique », edition.org
enquête/1203, 1997, consulté le 19 avril 2019.
Togola K. (2017), « Femmes et médiation au Mali, l’exemple de la justice
transitionnelle », in Lettres d’Ivoire Université Alassane Ouattara, Bouaké,
RCI, revue semestrielle, n° 026, p. : 159–68.

145
Chapitre 7

Rites et traditions du mariage soninké

Fodié TANDJIGORA
Sociologue – ULSHB

Kaba Diouara
Linguiste, AMALAN

À l’instar de nombreuses ethnies du Mali, les Soninko possèdent un


ensemble de rituels matrimoniaux qui consacrent les étapes procédurales
de validation de l’union. Toutes les sociétés ont institué des différences à
la fois quantitative et qualitative entre les relations sexuelles
occasionnelles et les relations sexuelles stables dans le cadre du mariage.

En effet, le rituel même du mariage constitue l’ensemble des procédures


de légitimation de l’union aux yeux de la société. Il est impossible, dans la
société soninké, d’avoir une union légitime sans être passé par les
procédures rituelles de validation. Ces procédures tiennent compte des
statuts sociaux (nobles ou roturiers), des rapports entre les deux familles
en négociation de mariage (proches parents ou pas).

Avec la migration de travail, une certaine évolution de ces procédures se


fait sentir dans certains milieux soninkés. Ce texte prend en compte les
différentes étapes du mariage chez les Soninko avec une analyse détaillée
sur les procédures autrefois en vigueur mais aussi les changements
intervenus dans les rites et traditions du mariage soninko. Ici, nous
traitons du cas des Soninko du Gadiaga, situé sur la rive gauche du
fleuve Sénégal.

Mots clés : Mariage, Dot, Migration, Soninké, Tradition

1. Objectifs
Cette recherche qualitative vise essentiellement les objectifs suivants :
– décrire les rites matrimoniaux chez les Soninko ;
– analyser la portée symbolique de certaines pratiques ;
– comparer les évolutions temporelles dans l’institution matrimoniale.

147
2. Méthodologie
La méthodologie utilisée est essentiellement qualitative avec des
entretiens semi-directifs auprès des cibles suivantes :

2.1. Bref aperçu sur les aires géographiques soninkés


Les Soninko (plur. de Soninké) sont majoritairement éparpillés dans le
bassin du fleuve Sénégal qui regroupe le Mali, la Mauritanie et le Sénégal.
Vieille ethnie de plusieurs millénaires, les Soninko connurent plusieurs
reconfigurations géographiques et politiques depuis le déclin de l’empire de
Wagadou. Le territoire soninké n’est pas homogène car morcelé entre
plusieurs ensembles : Gajaaga, Guidimakha, Kaarta, Kingui, Diahounou
(Mali), puis Bakel et Matam (Sénégal) et Sélibaby (Mauritanie). D’autres,
éparpillés sur le fleuve Niger, ont perdu l’usage de la langue soninké comme
à Niamina et Sansanding. Cette dispersion des aires géographiques soninkés
à partir du Wagadou (improprement appelé Ghana) pourrait être due à la
sécheresse comme en témoignent les mythes recueillis par Monteil (1953) et
Delafosse (1913). Selon Pollet et Winter (1971), d’autres facteurs ont pu par
la suite renforcer cette dispersion originale :
– les émigrations massives vers d’autres territoires relevant de royaumes
autonomes. Ces émigrations de longue durée aboutissent à la formation de
gros bourgs soninkés à l’intérieur de groupes ethniques différents.
– la dispersion qui oblige de grandes familles à devenir des groupes intégrés
à des populations étrangères comme les Toucouleurs, Wolofs, Malinkés,
Songhaïs, Bambaras et dont ils adoptent les coutumes et la langue.
Cependant, malgré ces reconfigurations, certains endroits gardent encore
leur homogénéité ethnique comme le Galam (Sénégal et Mali), le
Guidimakha (Mauritanie et Mali), le Diombokhou, le Diahunu, le
Guidiyume, le Kenyareme, le Tringa, le Soroma. En revanche, d’autres

148
localités constituent des ilots moins compacts comme Sansanding, Dia,
Banamba, etc. (Mali), puis la Haute-Casamance (Sénégal) et Tichitt et Kaëdi
(Mauritanie).
On peut trouver des catégories résiduelles dans d’autres pays de l’ouest
africain, qui ont perdu la langue par assimilation au nouvel environnement,
sans compter la grande diaspora sur tous les continents. Cette grande
dispersion dont parle Charles Monteil (1953), selon la légende du Wagadou,
aurait été prédite par le python mythique agonisant sous les coups d’épée de
Mamady, le fiancé de Sia, la fille élue pour le sacrifice rituel au serpent
tutélaire de Wagadou.
2.2. Organisation sociale des Soninko
Comme toutes les sociétés à tradition orale, les stratifications sociales sont
bien visibles dans le fonctionnement de la société. Chez le peuple soninké, il
existe trois principales catégories sociales :

¾ les horé (gens libres). Traditionnellement, c’est une catégorie qui


contenait à la fois des tunka-lemou (princes de sang), des tougoura-
goumou (guerriers), les mangou (bourgeois) et les modini (les
marabouts) ;
¾ les Nyamakhala (gens de castes). C’est une catégorie très prolifique à
laquelle appartiennent les forgerons, les travailleurs du bois, les
griots (jaaro) et les cordonniers ;
¾ les Komo (esclaves). Cette catégorie contient divers cas de figure. En
effet, la question de l’esclavage est très sensible en milieu soninké.

Aujourd’hui, on remarque une résurgence de ce phénomène à travers des


associations et militants de droits de l’homme. Il est à noter que le type
d’esclavage qui existe aujourd’hui est celui par ascendance qui condamne
toute voie de promotion sociale dans le milieu local. Aux descendants
d’esclave, il leur est interdit d’avoir une propriété, d’être chef de village, de se
marier à une fille de condition noble, etc.

3. Système matrimonial soninké du Gadiaga


Dans la société soninké du Gadiaga, le mariage est considéré comme une
affaire communautaire qui transcende les deux conjoints. C’est au nom
de cette prééminence de la communauté que le patriarche négocie le
mariage à travers des démarcheurs de mariage.

149
Dans le système matrimonial soninké, on peut distinguer deux
principales pratiques : l’endogamie et l’exogamie. La première pratique
est la plus prégnante du fait du sentiment de préservation des liens
communautaires. Toutefois, il arrive que l’individu se marie en dehors du
groupe ethnique et du réseau parental (exogamie) mais en accord avec la
fratrie. Mais quel que soit le type de mariage, il existe un dénominateur
commun : les individus se marient à l’intérieur de leur classe sociale
(nobles ou roturiers).

3.1. La pratique de l’endogamie


L’endogamie est un système matrimonial dans lequel l’individu se marie à
l’intérieur du groupe ethnique, religieux, professionnel, etc. Dans tous les
cas, le but de l’endogamie est de préserver un intérêt collectif. Cet intérêt
peut être économique ou socioculturel. Chez les Soninko du Gadiaga, se
marier à la fille d’un oncle lointain pourrait être une solution de
rapprochement des familles. De surcroît un proverbe soninké stipule
ainsi : bée-su ntjiri i-bolognéŋa (il sied que chacun reste sur sa rive).
Autrement dit, il serait avantageux que les individus de même culture se
marient entre eux pour faciliter la cohésion sociale.

Cette pratique endogamique favorise aussi le lévirat en milieu soninké


dans la mesure où les épouses sont issues du même groupe ethnique. Le
lévirat est, normalement, un signe que la femme est bien considérée dans
sa belle-famille.

En effet, si aucun des frères de son défunt époux ne souhaite « hériter »


d’elle, c’est qu’elle est considérée comme une femme acariâtre. Il est
également difficile (mais pas impossible) pour une femme de refuser le
lévirat, système d’arrangement social dans lequel l’idée que la femme est
un bien de la famille s’exprime. Car elle est considérée comme un
« bien » de la famille du défunt mari. À ce titre, elle refuse difficilement le
lévirat au risque d’être taxée d’ingrate, car n’ayant jamais été divorcée par
son défunt mari, elle revient de droit à la famille de celui-ci. À l’inverse,
le sororat est assez rare car suppose un consentement de la jeune fille.
Pour remplacer sa sœur défunte, la jeune fille est libre dans le choix.

Par ailleurs, l’endogamie est aussi pratiquée par les émigrés soninko dans
le but d’éviter que la migration ne devienne une menace sur l’identité
soninké à travers la perte de l’identité soninké. Ce type de mariage

150
endogamique spécifique dans le contexte migratoire se manifeste de
plusieurs façons.

La première catégorie concerne les épouses qui sont ramenées en France


par le biais du regroupement familial. Les patriarches étant opposés au
mariage exogamique d’un fils émigré s’impliquent activement dans le choix
d’une femme qui lui ferait rappeler le village d’origine et par conséquent
qui garantirait la continuité de la rente migratoire. Il en est souvent de
même pour les jeunes filles nées en France et qui se marient avec un
cousin du village. Ici, le principal enjeu de cette alliance demeure la
reproduction de la société d’origine.

3.2. La pratique de l’exogamie


L’exogamie existe aussi en milieu soninké même si l’on pourrait la
considérer comme une pratique mineure. Autrefois, l’exogamie était
surtout courante chez les marabouts, les chefs de village ou de clan qui
pouvaient épouser une femme peule ou malinké par exemple afin de
renforcer la paix et la stabilité entre les deux ethnies. Certains chefs de
famille peuvent également épouser des femmes issues d’autres ethnies
mais pas en position première. Autrement dit, la première épouse est
généralement soninké, signe que l’on s’est acquitté de la dette
communautaire.

Par ailleurs, la littérature sociologique sur l’immigration indique que le


mariage exogamique chez certains émigrés constitue une dimension
fondamentale du processus d’intégration (Kazal, 1995 ; Alba et Nee,
2003). Cependant, l’analyse du cas des émigrés maliens de France indique
une pratique mitigée de l’exogamie. En effet, beaucoup de Soninko de
France issus de la migration se marient entre eux sauf dans quelques cas
isolés.

4. Le rituel matrimonial
Le rituel matrimonial est l’ensemble des pratiques codifiées autour des
actes et des objets mobilisés pour symboliser l’entrée en union. Ce rituel
passe souvent par le sacré à travers la religion et les coutumes.

4.1. Le choix du conjoint


Il peut paraître banal dans la culture occidentale de choisir l’individu avec
lequel on désire passer le reste de ses jours. Pour les Africains en général,
les Soninko en particulier, ce choix ne revient pas à l’individu lui-même

151
mais à toute la communauté. En effet, le choix repose sur un certain
nombre de critères dont l’éducation, la moralité, bref sur la famille de la
future épouse/époux. Pour les Soninko, ce discernement demande de
l’expérience et du degré d’information sur l’autre famille que le jeune
soupirant ne peut pas avoir. On estime que pour avoir un choix éclairé, il
est nécessaire de prendre en compte le point de vue de toute la
communauté familiale. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que les futurs
conjoints ne soient consultés qu’en fin de procédure. Le choix est
d’abord orienté vers les proches parents, ensuite le clan et enfin le village.

Dans la tradition soninké, la communauté est moins exigeante vis-à-vis


du garçon que de la jeune fille, car celui-là peut épouser une fille de choix
mais sous réserve de l’approbation des parents. Par contre, pour la jeune
fille, la coutume exige qu’elle accepte le fiancé proposé par son père. Si
elle refuse, le père passe par la méthode douce en lui détaillant les
avantages moraux et matériels de son choix. Si cette méthode douce
s’avère inefficace, le père n’hésiterait pas à recourir à la force physique, à
la battre jusqu’à ce qu’elle obéisse. Bocar N’Diaye indique que malgré ces
sévices si la jeune fille reste sur sa position :

« On pouvait la conduire de force, le jour du mariage, chez son époux et si


elle tentait d’empêcher celui-ci de consommer le mariage, on pouvait l’y
contraindre également par force même s’il fallait lui lier les jambes et les bras
à des piquets. Si, en dépit de tout cela, aucun résultat ne pouvait être obtenu,
la coutume prévoyait qu’on lui rasât la tête, qu’on l’habillât en homme et
qu’on la fasse travailler comme tel » (1970, p. 185).

Il convient de préciser l’extrême rareté de ce scénario. En général, la


jeune fille accepte dès l’instant que la position du père demeure
inamovible.

4.2. Muruude ou démarches de fiançailles


Les fiançailles donnent lieu à des démarches effectuées par la famille du
jeune garçon, généralement son oncle paternel (le jeune frère cadet du
père). Ce dernier est toujours accompagné d’un griot qui sert
d’intermédiaire dans les échanges verbaux. Par tradition, le père
biologique de la jeune fille n’est pas impliqué activement dans la
procédure mais il a un statut consultatif.
Comme chez d’autres ethnies du Mali, une réponse satisfaisante et

152
définitive n’est jamais donnée au soupirant dès la première rencontre avec
les démarcheurs. Une réponse évasive est généralement donnée pour faire
comprendre au jeune garçon la chance qu’il aura eue d’être distingué parmi
d’autres prétendants. En surmontant les difficultés procédurales, le garçon
sera à même d’attacher plus de valeur à sa femme au sein du foyer.

4.3. De la dot
Chez les Soninko du Gadiaga, la dot renferme trois éléments distinctifs :
tanma, yaxunnaabure et futte.

Le tanma peut être assimilé aux actes de publication des bancs dans le
mariage civil. Le tanma donne lieu à une cérémonie très sobre et qui réunit
les témoins des deux côtés afin de formaliser l’accord pour le démarrage
officiel de la procédure. On dit alors, dans l’expression locale : « la route a
été dégagée », ce qui signifie que tous les obstacles sont levés.

La deuxième étape est le yaxunnabure ou frais de fiançailles. Le montant


pourrait varier de deux cent mille à cinq cent mille, voire plus selon les
milieux. Cette somme globale contient la part des « mères », des « pères »,
etc. Il s’agit d’un montant symbolique à distribuer entre les membres de la
lignée afin de les associer à la cérémonie.

La troisième étape de la dot est le futte correspondant à la dot elle-même et


pouvait être payée en nature comme par exemple une génisse de trois ans.
À défaut de celle-ci, on pourrait donner son équivalent à la jeune fille. À
tout cela, il faudra ajouter plusieurs autres redevances sociales comme :

– saaxanna : signifie étymologiquement la vache de la maman. Il s’agit juste


d’un montant symbolique de 2 000 FCFA qui sera donné à la maman de la
jeune fille ;

– faabandoroke : signifie étymologiquement le boubou du père. Il s’agit d’un


montant symbolique de 2 000 FCFA qui sera donné au père biologique de
la fille ;

– gidanyugu labo : signifie étymologiquement le couteau du frère. Cette


redevance de 2 000 FCFA signifie que le frère de la fille a le devoir de la
défendre et que par conséquent il mérite une récompense ;

153
– Maamanfurtu : signifie étymologiquement les poumons de la grand-
mère. C’est un montant symbolique qui remplace les boyaux d’un bélier
qu’on doit normalement offrir à la grand-mère. Le montant est de
2 000 FCFA en raison de 500 FCFA par patte.

Comme on pourrait le constater, ces montants qui étaient purement


symboliques sont de plus en plus colossaux à cause des émigrés. Certains
migrants ont réussi à débourser plus du quintuple de ce qui se doit. La
conséquence en fut que toutes les jeunes filles (derrières elles les
mamans) désirent se marier avec des émigrés.

Il est à noter que même après les fiançailles les futurs conjoints ne se
croisaient presque jamais dans la rue. Si la jeune fille aperçoit son fiancé,
elle court se réfugier dans la famille la plus proche. Le caractère assez
pudibond de la jeune fille soninké ne lui permettait pas de croiser son
futur mari à plus forte raison de lui adresser la parole.

En effet, cela pourrait signifier qu’elle est pressée d’être possédée par
celui-ci ou qu’elle n’a pas reçu une éducation puritaine. En cas de rupture
de fiançailles sur demande du fiancé et sans que la fille soit fautive, alors
les cadeaux et autres dépenses ne seront plus restitués. Mais si la rupture
provient du comportement de la jeune fille, alors les dépenses doivent
être restituées au fiancé. Ainsi, les fiançailles chez les Soninko ont une
certaine valeur juridique. Bocar N’Diaye (1970 :187), dans ses enquêtes,
énumère un certain nombre de motifs de rupture de fiançailles :

- si le fiancé surprend sa promise en conversation coupable avec


un homme ;
- s’il la voit entrer dans une case où demeure un célibataire et y
séjourner, la porte fermée, pendant le temps qu’il faut pour
mener à son terme une entrevue coupable ;
- si la fiancée est en état de grossesse.

4.4. De la fixation du jour de mariage


Une fois que toutes les redevances sociales dues à la dot sont versées à la
famille de la jeune fille, la date du mariage pourrait être fixée. En général,
cette date est fixée par les marabouts en fonction de la position de la
lune. Les dates impaires sont généralement celles qui sont choisies avec
comme nuits de préférées les dimanches soir ou jeudis soir. On pourrait

154
aisément en déduire que le choix de ces deux jours relève essentiellement
de la tradition islamique.

Le jour du mariage, les camarades d’âge du mari se réunissent chez ce


dernier pour manger et discuter. Cependant, le marié lui-même est
légèrement à l’écart afin de le préserver d’éventuels maléfices. Durant
toute la matinée, les camarades d’âge dansent, chantent et se restaurent
de tous les mets qu’on n’offre pas tous les jours.

5. Du mariage
Les cérémonies de mariage en milieu soninké sont à peu près les mêmes
à quelques exceptions près. En effet, selon les contrées, on pourrait
trouver des variétés dans le cérémonial, mais le fond traditionnel
demeure le même. La société soninké étant hiérarchisée, l’organisation
des festivités de mariage est du ressort des Nyamakala (gens de castes) et
des esclaves.

Au matin du mariage, la jeune fille est vêtue de ses habillements de noce


composés de deux pagnes de coton blanc dont l’un est appelé yéti-yiramé
(plus petit et près du corps) et l’autre brinka (plus large). Comme chez
toutes les ethnies du Mali, les Soninko croient aux esprits maléfiques
d’où la confection d’un tapé (fil de coton aux nœuds magiques) ainsi
qu’une tresse jusqu’au front pour écarter les soukhounio (esprits
maléfiques).

5.1. Du bain nuptial


Le bain nuptial est un rituel important qui consacre le passage du statut
de jeune fille à celui de femme mariée. Vers le crépuscule, la jeune mariée
est lavée sur un mortier troué, signe qu’elle doit tout encaisser comme un
mortier et oublier sa vie antérieure pour se consacrer à son foyer. Elle est
lavée avec du lait de chèvre mélangé à quelques feuillages et qui
symbolise la fertilité pour la nouvelle mariée. En effet, la chèvre met bas
de façon prolifique d’où la symbolique du lait de chèvre.

Avec la modernité, le bain nuptial à tendance à disparaître dans les rites


du mariage. La jeune fille a tendance à se laver et se maquiller, ce qui
signifie qu’elle est déjà sage avant d’être mariée. Or, justement, l’objectif
de beaucoup de rites est que la jeune fille, supposée innocente, mérite
d’être accompagnée pour la réussite de son foyer. Plus tard, dans la nuit,

155
on procède au legindee, c’est-à-dire l’accompagnement de la jeune fille
chez son mari. Mais il arrivait que les camarades d’âge de la fille la
cachent et exigent une somme symbolique pour la libérer. En Afrique,
tout s’explique par le symbolique et les signes. Si cacher une mariée
pourrait être assimilé à une séquestration en Europe, cela se comprend
aisément dans la culture soninké, c’est en effet un code culturel.

5.2. De la chambre nuptiale à la sortie


Une fois la mariée conduite dans la chambre nuptiale, les femmes
accompagnatrices se retirent sauf l’initiatrice nuptiale appelée
khoussoumanta ou mogno-makha. Elle a comme rôle d’enseigner les petites
astuces à la nouvelle mariée pendant son séjour nuptial. Jadis, la chambre
était structuralement isolée du reste de la concession avec une couchette
et une moustiquaire en tissu.

La virginité occupe une très grande importance chez les Soninko, mais
son absence ne constitue nullement une cause de dissolution dans la
localité de Gadiaga. Cependant, une femme qui a perdu son pucelage
portera la honte durant le foyer. Ainsi, le mari n’hésiterait pas à lui
rappeler cela à la moindre velléité de révolte de sa part. Par contre, une
fille qui garde sa virginité jusqu’au mariage n’hésite pas à rappeler
fièrement à son mari qu’elle est rentrée chez lui avec un dissakhoulé
(écharpe blanche) et qui symbolise la virginité.

La jeune mariée est contrainte de rester dans la case nuptiale appelée


koyenkompé durant sept jours. Elle est assistée d’une initiatrice nuptiale
appelée khoussoumanta ou mogno-makha. Cette fonction n’a pas
d’équivalent dans la culture occidentale mais peut être assimilée à une
femme de chambre qui aide la jeune fille à se baigner et lui apprend
certaines vertus des plantes aphrodisiaques. À la fin du septième jour de
séjour dans la chambre, la mariée peut sortir et faire quelques petites
tâches domestiques mais doit garder son visage couvert par le jeere (voile)
jusqu’à la fête de tabaski.

À la fin de son statut de magno (nouvelle mariée), une cérémonie, appelée


gunnewuute (début de la cuisine) au cours de laquelle elle prépare et invite
les gens à « goûter sa main », est organisée. Il s’agit de la première fois où
la jeune mariée prépare pour une assistance, une sorte d’examen de
passage.

156
Conclusion
Il ressort que le conformisme au choix ou à la décision familiale est de
rigueur en milieu soninké sous peine de bannissement. Soumis à la
pression familiale, le prétendant n’a aucun pouvoir de s’opposer à la
décision des aînés. La famille ou le clan parle à sa place. Les alliances
matrimoniales procèdent des démarches relativement simples jusqu’à des
mécanismes assez complexes.

On distingue ainsi des mariages coutumiers par dot, par prêt ou par
lévirat/sororat. Dans l’ensemble, exception faite de certains cas, les
pratiques matrimoniales requièrent peu ou pratiquement pas le
consentement des futurs époux, précisément de la jeune fille. Il résulte
qu’un tel mariage avait de forte chance de durer, car il est au-delà des
deux conjoints et implique les familles et toute la communauté à travers
le réseau d’alliance.

De nos jours, l'abandon du mariage préférentiel au profit du choix libre,


dû assez souvent au pouvoir économique des jeunes migrants, a
amoindri l'influence des parents dans le choix de l'épouse. Les jeunes qui
émigrent ne sont plus enclins à s’émanciper du contrôle de la
communauté. Ainsi ils sont mal préparés à une union durable avec des
garanties. En outre, les jeunes entrent tôt dans la sexualité et choisissent
du coup leur partenaire à la grande stupéfaction des anciens.
Références bibliographiques
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158
Chapitre 8

Le mariage des jeunes dans le Tômô guinnè


en milieu dogon

Youssouf Karambé,
Maître-assistant
L’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) de Bamako
youkarembe@yahoo.fr

Résumé
Le mariage de la femme en Tômô, une aire culturelle du pays dogon,
auquel nous nous intéressons s’appelle Einh. Il existe trois types de
mariage dont le plus important est le Yabiru ; les deux autres types sont le
Terou-Tangdou (transfert de la femme) et le Gadou (enlèvement ou
d’amour), qui n’exigent pas de cérémonial. Toutefois, le troisième type
accorde une valeur sociale importante à l’époux. Généralement, les
jeunes ne se marient pas très tôt : les filles, vers l’âge de 17-18 ans, les
garçons plus tardivement, vers 23-24 ans. Le premier choix de la fille à
marier se fait à l’intérieur du groupe, entre cousins. Le système
endogamique est une pratique à échelle plus grande. L’exogamie, quoique
tolérée par la famille ou le clan, a une limite dans la pensée populaire. La
polygamie est répandue. La première dot est le kit de calebasse dénommé
gob-côrô qui se traduit littéralement par la calebasse de candidature ou de
fiançailles. Une seconde et dernière dot est avancée avant la célébration
du mariage, elle est plus grande. Les cérémonies de mariage durent
7 jours. Le mariage traditionnel est encore plus important, les mariages
civil et religieux font partie du processus de mariage. Ces deux derniers
n’ont pas un caractère festif. L’habitat étant patrilocal, l’épouse quitte la
maison de son père pour venir habiter dans celle de son mari, en cas de
divorce, les enfants en bas âge la suivent.
Mots clés : Alliances matrimoniales, Mariage, Milieu tômô types et
formes de mariage
Abstract
A woman’s marriage in Tômô we are interested in is called Einh. There
are three types of marriages. The most important of them is the Yabiru.
The two other types that are the Terou-Tangdou (to lend a hand) and
the Gadou (by rape or by love) do not require a ceremony. However, the

159
third type grants an important social value to the spouse. Genrerally, the
young girls and boys do not get married at a very young age: the usual
age is between 17 and 18, for girls and from 23 to 24, for boys. A man
will usually choose his first wife within his group, his cousin. The
endogamous system, as a practice, takes place at a wider scale. In
people’s opinion, there is a limit to exogamy, though it is tolerated by the
family or by the clan. Polygamy is widespread. The first dowry is a
calabash kit named « Gob-côrô » which can be literally translated by
calabash of candidature or engagement. Another dowry is later provided
before the wedding ceremony. That one is more important than the first
dowry. The wedding ceremony lasts seven days. Both civil and religious
ceremonies are part of the marriage process. They do not have a festive
character. Since the habitat is patrilocal, the woman will leave her father’s
house and will go and live in her husband’s house. In the advent of
divorce, her under-age children will follow her.
Keywords: Matrimonial union, Marriage, Tômô bakground, types and
forms of marriage

160
Introduction

Le mariage est l’une des institutions les plus partagées des sociétés
humaines. Il est défini comme une relation entre deux (2) individus de
sexe opposé et qui attribue un statut de légitimité à leurs descendants. À
travers les normes sociales, le mariage lie un homme et une femme par
un système d'obligations mutuelles et de droits, dont les relations
sexuelles (Béridogo, 1982). C’est une alliance qui fonde un couple, qui a
« de multiples formes tant dans les critères de choix du conjoint que dans
les étapes qui marquent la formalisation et la reconnaissance sociale du
nouveau couple » (Sauvain-Dugerdil et Thiriat cités par Mfoungué, 2012,
p. 18). Pour Gilles Ferréol, le mariage est « une cérémonie (civile ou religieuse),
un acte symbolique et une institution sociale. Il représente aussi la légalisation de
l'union entre deux personnes de sexe opposé soumis à des obligations réciproques et la
reconnaissance de droits spécifiques. » (Mfoungué, 2012 : 22). Le mariage fonde
« La famille, fondée sur l’union de deux individus de sexes différents qui fondent un
ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement
universel » (Claude Lévi-Strauss cité par Stehlin, 2017, p. 12).
Le milieu d’étude est le Tômô Guinnè en pays dogon, qui est une aire
géographique et dialectale située dans la partie nord de Bandiagara ; il
couvre les communes de Ségue-Iré, de Ondougou, de Mori, de Dè, de
Kendé, de Wadouba et de Kendié. Il faut noter que des variables existent
d’un village à un autre. Cet article se focalise sur les pratiques dans les
environs du village de Kendié, situé à quarante (40) kilomètres de
Bandiagara.
Le mariage est en milieu dogon comme dans d’autres aires culturelles un
rite incontournable. Il constitue la seule voie légitime pour fonder une
famille socialement reconnue. Dans le milieu Tômô auquel nous nous
intéressons, le mariage de la femme s’appelle Einh. La traduction littérale
est « dure » (dans le sens de difficile). Chez l’homme, on parle de Ya djilé
(prendre femme). Le mariage s’articule autour de trois types de femme
dont le plus important est le Yabiru. Ce terme local peut se traduire par
femme préparée ou femme travaillée. Le processus du mariage commence dès
l’enfance de la future épouse, voire même quand on constate que sa mère
est enceinte d’elle. Dans la probabilité qu’elle accoucherait d’une fille, le
père ou la mère du futur époux fait la demande, et un contrat verbal est
ainsi engagé. Dans le cas échéant, chaque année, quelque chose est fait
dans la belle famille pour rappeler le contrat jusqu’au jour du mariage. La

161
célébration du mariage est un ensemble de rites, de danses, de chants et
de pratiques. On distingue 3 types. Deux des trois types, le Terou-Tangdou
(transfert de la femme) et le Gadou (par enlèvement), sont des mariages
qui n’exigent pas de cérémonial. Toutefois, le troisième type, protocolaire
et festif, accorde une valeur sociale importante à l’époux, à travares les
étapes successives qu’il traverse avant d’avoir sa femme.
Cet article est structuré en quatre sections. La première traite des
conditions du mariage, la deuxième porte sur les types de mariage, la
troisième section a trait aux processus et aux cérémonies et la quatrième
section porte sur les dynamiques du mariage.
1. Conditions et formes du mariage

1.1. L’âge moyen du mariage


Généralement, les jeunes ne se marient pas très tôt : les filles, vers l’âge
de 17-18 ans, les garçons plus tardivement, vers 23-24 ans (CAZES,
1993, p. 43). Mais dans certaines aires culturelles comme le milieu dogoul,
les villages de Koundialam, Bégnely à une vingtaine de kilomètres au
nord de Bandiagara, les filles sont mariées tôt autour de 15-16 ans. En
réalité, l’âge biologique n’est pas une condition déterminante, sauf pour
le mariage civil dont l’âge légal est de 18 ans, la majorité. À moins de
18 ans, l’accord et le témoignage des parents de la fille sont exigés par
l’officier d’état civil pour célébrer le mariage. Traditionnellement, les
célébrations de mariage dans le village sont organisées par classes d’âge
surtout pour les filles. Individuellement, l’état physique, la corpulence a
plus d’influence sur les prises de décisions des parents que l’âge
chronologique de la fille.

1.2. Avec qui on se marie ?

1.2.1. L’endogamie souhaitée


Les premiers choix de la fille à marier se font à l’intérieur du groupe, entre cousins.
Ainsi, l’endogamie au sein d’une aire culturelle, du clan ou de la grande
famille est fréquente. Le mariage se fait entre cousins croisés et cousins
parallèles. Les cousins croisés sont les enfants de deux (2) germains de
sexe différent. Les enfants d'un frère et d'une sœur sont des cousins
croisés. Les cousins parallèles sont les enfants de deux (2) germains de
même sexe. C'est le cas des enfants de deux frères ou de deux sœurs.
« Dans le système d’alliance traditionnel encore vivace, Ego épouse de préférence la fille

162
du frère de sa mère (c’est-à-dire sa cousine croisée matrilinéaire), mariage cohérent avec
le principe qui le fait héritier de son oncle maternel » (Cazes, Brown, Floury,
Jacquard & Sauvain-Dugerdil, 1993, p. 42). Pour d’autres, Ego doit
chercher à épouser la fille de la sœur de son père (cousine croisée
patrilinéaire). Dans cet échange restreint, il arrive souvent qu’Ego se
marie avec la fille du frère de son père (c’est-à-dire sa cousine parallèle
patrilinéaire). Il n’est pas aussi rare de voir le choix de l’épouse porté sur
la fille du frère du père (FFP) ; ce cas est souvent expliqué par le fait que
la fille est unique enfant de son père ou de sa mère, dans le but de
pérenniser la descendance patrilinéaire et surtout permettre la relève
quand les parents deviennent vieux et profiter de l’héritage que ceux-ci
auront laissé. Le dernier type est qu’Ego épouse la fille de la sœur de la
mère (FSM).

Une étude de Cazes (1981) de la nomenclature de la parenté des Dogons


structure à l'intérieur de la population le système de relation entre les
individus et celle du système de parenté permettent d’analyser les formes
d’alliances à l’intérieur du groupe à partir des termes employés par un
homme pour désigner les individus qui lui sont biologiquement
apparentés. Le système de parenté selon Cazes est de type iroquois
(Morgan). Les cousins et cousines parallèles sont appelés du même nom
que les frères et sœurs, alors que les cousins et cousines croisés sont
appelés différemment (Cazes, 1981 : 5).

Le système endogamique peut être perçu à une échelle plus grande.


L’individu peut sortir du groupe des cousins croisés et parallèles mais
épouse une femme dans son aire culturelle où les habitants partagent le
même dialecte. On se situe entre une endogamie dialectale et une
exogamie clanique ou tribale.

1.2.2. Les pratiques du lévirat et du sororat


Le lévirat consiste pour une veuve à avoir pour conjoint le frère de son
mari défunt. Le lévirat peut prendre plusieurs formes. Dans l'un des cas,
le frère n'est pas un époux mais un substitut, car les enfants nés de cette
union appartiennent au défunt. Dans le second cas, le frère hérite du
statut d'époux, et les enfants sont les siens et non ceux du défunt. Le
sororat consiste pour un veuf à épouser la sœur de sa femme. On appelle
sororat étendu, la possibilité pour le mari d'épouser n'importe laquelle
des sœurs non mariées de la défunte ; et sororat de la cadette quand la
possibilité ne concerne que les sœurs plus jeunes que la défunte.

163
La pratique du lévirat est répandue au pays dogon, elle se justifie le plus
souvent par le fait que le mari défunt a eu plusieurs enfants avec la veuve
qui n’a pas envie de refaire sa vie d’épouse avec un homme d’une autre
famille. Le sororat est également justifié par des arguments similaires qui
consistent à dire que la défunte a laissé des enfants de bas âge dans un
foyer où elle ne se plaignait pas. Pour une éducation harmonieuse de ces
enfants, la famille conjugale ou paternelle sollicite la petite sœur de la
femme défunte comme étant la femme mieux indiquée pour continuer
cette éducation dans le même sens.
1.2.3. L’exogamie généralisée
Le modèle panmictique selon lequel les couples se constituent au hasard,
qu’il n’y a pas de choix du conjoint, n’est pas une tradition en milieu
dogon, bien qu’une certaine liberté est accordée aux hommes de choisir
surtout comme deuxième épouse ou troisième épouse en dehors de la
grande famille ou du clan (Cazes, 1981). C’est l’exogamie qui est la
possibilité de choisir sa femme ou son époux en dehors de la famille, du
clan ou de la tribu : « par opposition à l'exogamie, l'endogamie est
observable dans les sociétés où l'on choisit son partenaire à l'intérieur du
groupe, à l'exclusion des personnes touchées par un interdit. » L’individu
se marie avec toute personne, homme et femme, issue d’une « bonne »
famille. C’est l’échange généralisé, basé essentiellement sur les prestations
matrimoniales et une compensation matrimoniale en numéraire et autres
biens (Béridogo, 1982). En dehors de l’endogamie familiale, il est permis
de chercher sa femme n’importe où dans le milieu dogon.
Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Le premier cas, ce sont les
parents du garçon, qui expriment la candidature de leur garôn dès le jour
du baptême de la fille naissante en disant qu’ils souhaitent que la fille soit
leur bru, soit en donnant le nom du garçon futur époux, soit en ne disant
pas le nom, laissant la probabilité qu’elle devienne l’épouse d’un de leurs
garçons. Le deuxième cas de figure, c’est que le garçon lui-même choisit
et fait les premières démarches avec ses amis pour obtenir l’accord de la
fille et de ses parents avant d’engager tout le processus du mariage. Là, la
fille n’a pas été fiancée dès la naissance, elle fait l’objet d’une
concurrence. Ce cas est beaucoup fréquent actuellement dans l’aire
culturelle de Kendié où nous tirons le cas d’étude.
Le troisième cas, c’est le mariage dit par rapt ou « d’amour » fréquent en
Pays dogon, est une forme de l’exogamie. La fille est déjà fiancée ; le
futur mari officiel a avancé la première dot et a accompli plusieurs

164
prestations matrimoniales. Dans de nombreux cas, c’est d’ailleurs une
femme déjà mariée avec des enfants, qui n’aime pas son mari. C’est elle
qui propose à son futur époux les stratégies de son enlèvement : jours de
foires des villages, périodes d’absence de son mari, déplacements dans un
village pour saluer des parents. Après avoir mis en place leur stratégie
stratégie avec ce dernier, les deux conviennent d’une date, d’un moment
et d’un lieu précis pour procéder à l’opération. Ainsi, durant plusieurs
jours, voire des semaines, la femme est cachée pour jauger la capacité
d’un fiancé à la retrouver. Dans la majorité des cas, la femme reste
définitivement chez l’homme de son choix qui rembourse la dot en
espèces et en argent, avancée par le fiancé.
Il arrive aussi que le fiancé récupère la femme enlevée s’il est issu d’une
famille influente et nantie et que les parents de la femme refusent
catégoriquement l’enlèvement de leur fille par un autre homme qu’ils ne
veulent pas.
L’exogamie, quoique tolérée par la famille ou le clan, a une limite dans la
pensée populaire ; elle ne devrait pas dépasser le seuil du cadre ethnique.
Tout mariage avec un membre d’une autre ethnie est mal vu par la
communauté, une infraction communautaire et familiale de plus en plus
commise par ceux qui vont en aventure dans les grandes villes ou par
ceux qui s’y installent définitivement.
1.2.4. Alliances matrimoniales : avec qui ne pas se marier ?
Il existe plusieurs catégories de personnes avec qui le mariage est interdit
ou non souhaité.

La première catégorie de personnes avec qui les parents ne souhaitent


pas que leurs enfant se marient est composée de personnes très proches :
la mère, la sœur, sœur du père, ou de la mère, la femme du père, la fille
du frère ou de la sœur, la demi-sœur par la mère, la femme épousée de
son fils puis divorcée, la mère de sa femme (Cazes, Brown, Floury,
Jacquard & Sauvain-Dugerdil, 1993). Cette interdiction relève de la règle
universelle de prohibition de l’inceste (Claude Lévi-Strauss).

Une deuxième catégorie de personnes à éviter dans le mariage est


composée de personnes dites de castes différentes, d’ordre
socioprofessionnel. D’abord entre certines catégories d’agriculteurs et les
« n’dè-pilim » (personnes blanches) qui sont de deux types. Le premier type est
constitué de personnes issues d’une famille de forgeron, de cordonnier,

165
de griot, considérées comme des castes inférieures. Le second type, ce
sont des personnes issues de familles appelées Sama (Kansaye, Kamia,
Fofana, Kampo) et Yélim (Djiré), considérées comme des personnes qui
n’augurent pas confiance en termes de pouvoir sauvegarder des secrets
de famille ou de village. Certains avancent une explication politique dans
les relations avec les Sama du fait qu’ils ont collaboré avec les Peuls et
puis avec les colonisateurs envahisseurs.

La troisième catégorie est constituée de personnes qualifiées


d’impropres, n’dè-èsseloumbé ; ce sont des personnes soupçonnées d’être
des descendances d’anciens esclaves ou de personnes nées hors mariage
mais cachées. Dans ce cas, le mariage est refusé sans donner de raison
explicite, demandant au candidat « d’aller se renseigner » sur la possibilité
qu’il puisse épouser une fille de telle ou telle famille. L’expression « Va te
renseigner » est un code bien connu pour que le candidat se retire ; mais
elle n’est utilisée que quand le candidat persiste sur sa candidature malgré
un désaccord latent des parents de la fille. Des situations de ce genre
dénotent la présence de l’idée d’un mariage hypergamique pour le jeune
homme et d’un mariage hypogamique pour la fille si le mariage était
réalisé.

Il existe une quatrième catégorie de personnes avec qui le mariage n’est


pas souhaité sans qu’il soit un interdit. Il s’agit d’individus issus d’une
famille avec laquelle il y a un passé douloureux suit à un conflit ou une
histoire fâcheuse (soô pèhi to ndèm/ soô pèhi- ginè to ndèm) : soupçon de
sorcellerie ayant causé la mort d’un membre de la famille, conflits liés aux
femmes, conflits fonciers.

La différence d’aire culture du candidat peut aussi être un obstacle. En


acceptant un mariage entre des indidvidus de différentes aires culturelles,
les parents de la fille s’inquiètent surtout de l’éloignement provoquant
une « perte » de leur fille : isolement de la fille, éloignement géographique
mais aussi linguistique puisqu’il y a une différence de dialectique, donc de
sous-culture.
2. Types du mariage

2.1. Premier type : la ya-biru


La ya-biru (= la femme-travail) est la femme qu’on marie après un
processus long et laborieux fait de prestations de travaux (champêtres,

166
corvées de bois) et de cadeaux à l’adresse de la famille conjugale durant
plusieurs années. C’est une « promesse de mariage dès la naissance des enfants.
La famille du garçon offre alors chaque année de menus cadeaux aux parents de la
fille. Devenu adolescent, le jeune garçon est tenu de travailler dans les champs de son
futur beau-père » (Cazes, Brown, Floury, Jacquard & Sauvain-Dugerdil,
1993, p. 43). Deux pratiques peuvent caractériser cette forme répandue
de mariage en pays dogon : la dot et les prestations matrimoniales.

2.2. Le deuxième type de mariage : le ya-gadu, le mariage par


enlèvement ou le refus du choix parental
Généralement, la femme est déjà mariée ou fiancée. Cette femme ou son
mari ou son fiancé habite un autre village que celui qui procède à
l’enlèvement (gadu). A priori, elle n’est pas consentante pour le mariage
proposé par les parents. Entre-temps, elle rencontre l’homme qui
« l’enlève » dans les foires hebdomadaires, lors des mariages ou des fêtes.
Les deux trouvent des occasions de se fréquenter. Ainsi, un plan est
établi pour que le monsieur vienne la chercher et l’emmener dans un lieu
secret pour quelques semaines, voire des mois. Si les tentatives pour la
retrouver et la ramener échouent par manque d’informations, les parents
de la fille et son fiancé comprendront par la suite qu’elle refuse ce
mariage.
Dans la plupart des cas, l’homme enverra des négociateurs (oncles
maternels, forgerons), pour que les parents admettent le refus de la fille
de leur proposition et sa volonté d’épouser un homme de son choix. Le
mari bénéficie d’un grand respect auprès de ces pairs hommes mariés.
L’enlèvement est considéré comme un acte risqué, héroïque pouvant
causer des affrontements violents entre le fiancé, ses amis et l’amoureux
ravisseur. Donc, ce dernier est considéré comme un brave.
2.3. Le troisième type de mariage : le terou-tangdou
Ce type de mariage est réservé aux femmes ayant déjà fait des enfants
avant de contracter un mariage. Le terme terou-tagdou en dogon peut être
traduit littéralement par celui de transfert de la femme. Ce transfert consiste
à amener la femme dans la résidence de son mari, sans manifestations
folkloriques ; il n’existe pas de cérémonie populaire. Quelques témoins
composés des amis du mari, de la femme et de parents des deux
accompagnent la mariée pour rejoindre sa famille conjugale. Si les
enfants qu’elle a eus sont encore jeunes (période de l’enfance), ils la
suivent. Mais, s’ils ont a atteint un certain âge, ceux-ci restent dans la

167
famille paternelle de la femme. Il faut noter que dans cette aire culturelle,
la sexualité est tolérée avant le mariage.

3. Le processus du mariage

3.1. La dot et les prestations matrimoniales

3.1.1. La dot
La première dot est le kit de calebasse dénommé Gob-côrô qui se traduit
littéralement par la calebasse de candidature ou de fiançailles. La
calebasse « est une espèce de plantes herbacées annuelles de la famille
des cucurbitacées, cultivée comme plante potagère pour son fruit
caractéristique également dénommé la calebasse. Ce fruit est utilisé à
l'état sec depuis des temps préhistoriques dans toutes les régions du
monde pour fabriquer divers objets (notamment récipient portatif pour
boisson), ou plus rarement consommé à l'état frais comme légume ». La
calebasse, qui signifie en même temps son contenant est un récipient
qu’on obtient en coupant en deux le fruit rond de la calebasse dont une
partie de gauche et une partie de droite. Elle est multi-usage, elle assure
plusieurs fonctions comme instrument. C’est ainsi qu’elle intervient
comme objet de fiançailles dans le début d’un long processus.

Selon les dires de la présidente des femmes du village de Kendié (K. S.),
le gob-côro (calebasse de fiançailles) est le premier acte socialement
reconnu par les parents du candidat. Le type de calebasse est ce qu’on
appelle en langue locale coro-ngniè qui signifie « la calebasse droite ». Le
contenu de la calebasse est variable, mais un standard est défini dans
certains villages comme Kendié, situé à 41 km au nord de Bandiagara :
deux pagnes tissés de la cotonnade dogon (un complet), deux pagnes de
tissus modernes, un foulard, un morceau de savon, un miroir, une
chaussure. Les sens des contenants : la calebasse pour mettre l’eau du
bain ; le savon pour se laver et laver les habits ; les tissus pour le
vêtement complet avec une possibilité de changer les habits lors des
événements; la chaussure pour l’habillement complet ; le miroir pour se
mirer avant de sortir de la maison. Une femme est désignée par les
parents de la fille pour présenter la dot de fiançailles.

Une seconde et dernière dot est avancée avant la célébration du mariage,


elle est plus grande en termes de contenu. Appelée localement
« baignoire » du nom du récipient en métallique, elle contient des habits,

168
des tissus industriels, des chaussures, des bijoux et autres accessoires de
beauté. Le nombre des articles est variable selon le pouvoir financier du
fiancé, tout comme la nature des objets contenus dans la baignoire. Il s’agit
d’un trousseau d’habits et de parures permettant à la future mariée de
pouvoir se vêtir pendant longtemps après le mariage.

3.1.2. Les prestations et compensations matrimoniales


Il peut y avoir promesse de mariage dès la naissance des enfants. La famille
du garçon offre alors chaque année de menus cadeaux aux parents de la
fille. Devenu adolescent, le jeune garçon est tenu de travailler dans les
champs de son futur beau-père (ya-biru). Les prestations matrimoniales de
services à l’intention de la future belle-famille sont généralement
constituées de :
- Ama-tinni (bois pour la belle-famille). Le ama-tinni est le premier
acte de fiançailles si l’accord est trouvé en pleine saison sèche. Il
est apporté à la belle-famille par le groupe d’âge du jeune fiancé.
La recherche du bois de chauffe pour la future belle-famille est
une prestation de service qui se fait pendant la saison sèche. C’est
au moins trois générations ou classes d’âge (la génération d’Ego, la
génération des grands frères et celle des petits frères) qui
participent à cette prestation non seulement pour grossir le
nombre et le volume des prestations, mais surtout ce sont parmi
ces trois générations qu’on trouve les sérieux candidats rivaux pour
la conquête de ladite fille. En faisant participer ces trois groupes, le
futur marié aura tenu au courant de tous les concurrents qu’il est
l’heureux gagnant et désormais la bataille autour de cette fille est
terminée. Il est une notification sociale pour informer aux autres
prétendants que la fille est désormais fiancée ;
- Ama-wol (sarclage du champ de la belle-famille). Chaque année
jusqu’au jour de la célébration du mariage, au moins trois groupes
d’âge dont celui du prétendant passent une journée à culture le
champ de la belle-famille.
- Ama-guié (récolte du champ de la belle-famille). C’est la suite des
prestations précédentes ; après la culture du champ de la belle-
famille, il s’agit d’achever le processus d’aide au travail commencé
avec l’apport du bois de chauffe. Cette dernière étape est la récolte
du champ que le fiancé et les jeunes du village sont allés cultiver.

169
3.1.3. La cérémonie du mariage ordinaire et ses étapes
Les cérémonies durent 7 jours. Elles commencent par la « danse des mères »
la veille du départ de la femme. La journée et la nuit du mariage se
caractérisent par les étapes suivantes :
- coiffure de la nouvelle mariée, accompagnée de deux coups de
fusil des amis du marié ;
- la danse du Sandjeli des hommes et des femmes qui se déroule le
petit soir, généralment entre 17 h00 et 20h00. Au rythme du tam-
tam, c’est la danse la plus populaire pour manifester la joie. Au
cœur de cette danse, se trouvent les membres du groupe d’âge du
jeune époux et de ceux de la fille mariée. La danse dure environ
trois heures. À la fin, c’est l’étape de la sortie de la nouvelle mariée
de sa famille paternelle pour une chambre de transit avec la
chambre nuptiale ;
- la sortie de la femme, une étape majeure de la cérémonie : elle se
fait par les vieilles femmes et les tantes de cette dernière, sous les
chants de ses camarades d’âge. Elle est emmenée à la porte d’une
maison de fortune où une vieille femme (celle qui n’a jamais
abandonné son foyer) lui offre une natte pour l’asseoir, la même
natte utilisée par ses prédécesseurs. Jusqu’à présent les matelas ne
sont pas acceptés ;
- le kôrôba (cérémonie de chants des hommes au rythme du bruit des
calebasses), qualifié d’opéra par certains pour sa similitude avec
l’opéra, est fait dans la nuit du premier jour de célébration. À
l’aube, les calebasses sont cassées et les morceaux ramenés dans la
famille du marié, accompagnées de bénédictions populaires.

3.1.4. La retraite nuptiale se fait en deux étapes : trois jours dans la


chambre de la mariée et 4 jours dans la chambre nuptiale

3.1.4.1. Les trois premiers jours de célébration du mariage


Les trois premiers jours, la mariée est logée dans un abri de fortune où
elle dort avec ses amies et camarades d’âge. Sa nourriture est préparée
exclusivement par une belle-sœur pour éviter tout empoisonnement.
Durant ces trois jours, elle ne verra pas son mari qui ne peut venir qu’une
fois la saluer et repartir avec ses amis. Historiquement, pour certains
mariages entre villages, c’est la première fois où les deux époux se
découvrent.

170
Durant ces trois jours, la nouvelle mariée est sous un régime alimentaire
draconien. Elle ne peut manger le repas comme d’habitude si ce n’est que
boire un peu d’eau et de bouillie. Les abris de la nouvelle ne comportant
pas de WC, elle est tenue d’éviter le besoin de déféquer. Si cela arrive, ce
n’est accepté que la nuit où les regards indiscrets dorment déjà ; dans ce
cas, ces amies l’accompagnent non loin de cet abri où un coin de
défécation doit se situer. La chambre de la mariée est choisie en fonction
de cela. C’est pourquoi la nouvelle mariée doit éviter de manger parce que
toute la journée elle est entourée de toutes ces camarades d’âge et d’autres
femmes et des enfants ; elle ne peut pas se soustraire pour quelque besoin
que ce soit. Donc, elle observe un régime pour amaigrir et perdre de
l’énergie et de force pour faciliter le premier rapport sexuel attendu le
4e jour de la célébration du mariage.

Mais ces trois jours constituent également un moment de formation et


d’information pour la nouvelle mariée. Les femmes déjà mariées qui sont
avec elle lui donnent des conseils sur la conduite à tenir avec son mari
durant les jours suivants. Elles lui donnent des informations sur la
sexualité, ses formes et ses difficultés éventuelles pour une fille vierge, si
elle l’était. C’est également le lieu de formation, en plus de ce qu’elle a eu
avec ses tantes, ses grand-mères et sa mère en famille, sur les stratégies et
attitudes à satisfaire le mari et à se faire aimer par celui-ci. Au-delà, les
devoirs et les interdits lui sont enseignés. La mariée apprend les attitudes
au sein de sa famille conjugale après sa sortie de la chambre nuptiale, les
rapports avec les membres de la nouvelle famille, les amis de son mari,
l’accueil des étrangers.

3.1.4.2. Du quatrième au septième jour de découverte sexuelle


Le 4e jour, c’est le jour de la découverte des époux ; la mariée passe la nuit
avec son mari. Elle sort de cet abri où elle passait la nuit avec ses
camarades d’âge. Elle porte un accoutrement qui fait paraître son ventre
plat pour montrer qu’elle n’est pas enceinte. Accompagnée de deux amies,
elle apporte l’eau ans la grande famille et prépare le repas collectif. À
Kendié par exemple, elle fait quatre fois le tour du puits. Il existe un seul
canari pour tout le village depuis des décennies pour toutes les nouvelles
mariées. Rendu très lisse par le beurre de karité, le canari est un symbole
de l’habilité que la mariée doit disposer pour tenir des choses fragiles dans
la famille. Pour mesurer cette habilité, la mariée est tenue de porter le
canari seul sur sa tête et de le descendre sans l’aide de quelqu’un sans faire
tomber le tissu enroulé sur la tête pour porter le canari. Arrivée à la grande

171
famille, la tradition voudrait que le pied droit de la mariée soit posé le
premier à l’entrée de la maison. Cette arrivée est accueillie par des coups
de fusil tirés par les amis du marié pour informer le village de la sortie de la
nouvelle mariée.

Le 4e jour, c’est aussi la première journée de cuisine de la nouvelle mariée,


en même temps la première nuit qu’elle passe dans la chambre nuptiale de
son mari. Le lendemain, elle rejoindra très tôt sa famille paternelle avant le
lever du soleil, accompagnée par un ami du mari si elle vient d’un village
voisin ou seule, si elle est du même village que son mari. Elle est ramenée
chez son mari le petit matin et y reste les trois jours suivants pour
découvrir son mari. Après, elle part saluer ses parents pour trois jours.
C’est la fin de la cérémonie de mariage.
Les pratiques varient d’un village à un autre même dans le milieu tômô.
Dans plusieurs contrées, c’est seulement le premier jour que le mari ne
voit pas sa femme. Chez certains comme les Sama (Kansaye, Kamia,
Fofana) par exemple, l’homme reste enfermé 7 jours dans la chambre
nuptiale avec la femme où il est armé de sabre, tête rasée et habillé en
blanc.
4. Cohabitation des formes traditionnelles, religieuses et modernes
du mariage
Les mariages civil et religieux font partie du processus de mariage. Ils n’ont
pas un caractère cérémonial et ne mobilisent pas de foule. Pour le mariage
civil, une délégation de 4 personnes composée du couple marié et de deux
témoins (d’un de chaque côté) à l’administration civile suffisent pour
signer l’acte de mariage. Concernant le mariage religieux, deux à trois
personnes vont à la mosquée avec des noix de cola, des bonbons et des
dattes pour le célébrer. Toutefois, le mariage traditionnel demeure plus
important que le mariage religieux et civil.
La polygamie est répandue, un homme peut épouser plusieurs femmes.
L’habitat étant patrilocal, l’épouse quitte la maison de son père pour venir
habiter dans celle de son mari. Si elle divorce, ses enfants en bas âge
peuvent la suivre. Les couples qui divorcent ne se rendent pas chez le juge.
Généralement, c’est une longue période de séparation qui se traduit par un
divorce de fait.

172
Conclusion
Le mariage en milieu dogon subit les mutations sociales et l’influence de
l’islam et du christianisme. Mais le fond traditionnel demeure malgré
l’existence du mariage religieux et du mariage civil. Selon les conditions,
trois types de mariage sont pratiqués : le ya-biru, le Terou-Tangdou et le Gadu.
L’ampleur des cérémonies varie selon le type qui détermine également la
dimension du processus qui peut être long ou court. Généralement, les
jeunes filles se marient vers l’âge de 17-18 ans, les garçons vers 23-24 ans.
Les premiers choix des futurs mariés portent sur les cousins croisés, bien
que l’exogamie soit tolérée. La dot est symbolisée par la calebasse
dénommée Gob-côrô qui contient les objets de fiançailles. Les cérémonies
du mariage traditionnel qui durent 7 jours sont émaillées de rites en
plusieurs étapes. Les mariages civil et religieux font partie du processus de
mariage mais n’ont pas un caractère festif comme le Yab-binu. La
polygamie est une pratique répandue. En cas de divorce, la femme
retourne dans sa famille paternelle avec les enfants en bas âge, rarement il
est prononcé par un juge. Le mariage en milieu tômô garde encore son
caractère traditionnel malgré l’avènement du mariage civil et religieux
musulman ou chrétien.
Bibliographie
- Béridogo B. (1982), Système de parenté et rapports de production chez les Sénoufo
cyigbala du Folona, thèse de doctorat de troisième cycle, Paris, Université René-
Descartes – Paris-V.
- Calame-Griaule G. (1951), « Le vêtement dogon, confection et usage »,
Journal des africanistes, 21(2), 151–62.
https://doi.org/10.3406/jafr.1951.1834
- Cazes M.-H (1981, novembre-décembre), « Les échanges matrimoniaux
chez les Dogons de Tabi. Absence d'effet statistique global des unions
dites “préférentielles” », Revue bimensuelle de l'Institut national d'études
démographiques (6), p. 1069–83. https://www.persee.fr/doc/pop_0032-
4663_1981_num_36_6_17247
- CAZES M.-H., Brown E., Floury B., Jacquard A. & Sauvain-Dugerdil C.
(1993), Les Dogon de Boni, Paris, Insititut national d'études
démographiques/PUF. Voir le site : http://alterjeunes.free.fr/e
Dogon/Secret/Pages/12mariage.htm

173
Chapitre 9

Le concept de mariage et sa portée chez les Kel-Tamasheq


(Touaregs) du Mali

Alou AG AGOUZOUM
Sciences de l’Éducation (Pédagogie-apprentissage) / Sciences du
Langage (Linguistique-didactique)
Institut de Pédagogie Universitaire (IPU) de Bamako / Mali.
alouagagouzoum.ipu@yahoo.com / zoum1975@yahoo.fr

Aliou Altamine Cissé


Anthropologue
Doctorant en Littérature africaine à l’INALCO,
Sorbonne Nouvelle
pierreagalt@gmail.com

Résumé
Le mariage chez les Touaregs est traditionnellement une pratique
endogamique. Nonobstant l’influence de l’islam et l’apport de la
modernité, il ressort des propos des informateurs contactés que certaines
pratiques sociales (nuancées d’une tribu à l’autre) relatives au mariage
continuent d'exister même si elles sont fortement menacées.
En considérant les hésitations des informateurs au sujet de la place de
l’islam dans le mariage en milieu touareg et en recoupant avec la pratique
sociale puisque nous sommes de la communauté, nous comprenons que
ces hésitations traduisent le souci d’associer pacifiquement la doctrine
musulmane relative au mariage, à la pratique traditionnelle du mariage en
milieu touareg. Ce dilemme atteste que les Touaregs, quant au mariage,
demeurent conservateurs malgré l’effritement de certaines de leurs
valeurs.
Mots clés : Divorce, Endogamie, Mariage, Monogamie, Polygamie,
Tamasheq, Touareg
Abstract
Tuareg marriage is traditionally an endogamic practice. Notwithstanding
the influence of Islam and the contribution of modernity, it emerges

175
from the words of informants contacted that certain social practices
(nuanced from one tribe to another) relating to marriage continue to
exist even if they are stronglythreatened.
Considering the hesitations of the informants about the place of Islam in
marriage in Tuareg environment and cross-checking with social practice
since we are from the community, we understand that these hesitations
reflect the concern to peacefully associate the Muslim doctrine on
marriage to the traditional practice of marriage in a Tuareg environment.
This dilemma attests that the Tuaregs, as for marriage, remain
conservative despite the erosion of some of their values.
Keywords: Divorce, Endogamy, Marriage, Monogamy, Polygamy,
Tamasheq, Tuareg

176
Introduction

La société des Kel-Tamasheqt (Touaregs) est une société d’essence féodale.


Elle est la plus hiérarchisée au Mali (Ag Agouzoum, 2019). Cela se voit
facilement quand il s’agit de deux amoureux qui décident de s’unir dans
les liens du mariage. En effet, les Touaregs ont une pratique du mariage
essentiellement endogamique.
Le mariage se passe généralement entre deux personnes (homme et
femme) de la même famille de sang, du même rang social ou de la même
tribu (Claudot-Hawad et Casajus 1993). Le contraire constitue une
exception à la norme sociale admise.
À l’annonce d’un possible mariage, la question qu’on entend
habituellement en milieu tamasheq est la suivante : « əndek tawset-net ? »,
ce qui se traduit en français par « quelle est son ethnie » ou « quel est son groupe
social ? ». Ces interrogations justifient ce qui suit.
1. Sens et portée du mariage en milieu tamasheq
La fin de l’adolescence chez les Kel-Tamasheq est sanctionnée par la
cérémonie du port obligatoire du turban ou du voile (c’est un signe de
nudité que d'être sans un turban ou sans un voile) selon le sexe de
l’individu suivie de l’engagement du nouvel adulte dans les liens de
mariage. Le célibat n’est pas une option.
Généralement, les jeunes ne se marient jamais sans le consentement des
parents. Cette attitude constitue le piédestal du mariage de type
endogamique. Ainsi, un jeune homme n’entreprend jamais ou du moins
n’est pas autorisé d’entamer des démarches d’un mariage avec une
femme étrangère que lorsque son premier mariage avec sa parente
échoue bien évidemment après sa consommation.
Dans tous les cas, les premiers contacts et les négociations pour le
mariage restent une confidence entre les intéressés. Les parents ne sont
informés que lorsque les amoureux sont tous d’accord de passer à l’étape
d’officialiser leur relation. Il n’y a donc pas de place à ce qu’on appelle
aujourd’hui « le mariage forcé ».
En règle générale, lorsque les premiers concernés s’entendent d’aller vers
les fiançailles, il revient en premier lieu à la jeune femme d’annoncer la
nouvelle à ses parents. Pour authentifier sa déclaration, elle remet, par
une tierce personne, à ses parents en démonstration de son accord un

177
objet appartenant à l’élu de son cœur. Cela fait que les parents de la
future mariée ne sont jamais surpris quand ils reçoivent pour la première
fois les démarcheurs du prétendant de leur fille.
Pour éviter les éventuelles contestations, le jeune aspirant, à son tour,
remet au moment venu à ses démarcheurs un objet (chaîne, bague ou
foulard) appartenant à la jeune fille. Cet objet, preuve de l’accord de la
fille, doit être connu de ses parents. À partir de cet instant, les deux
belles familles n’ont aucune raison (un argument qui peut être dit
ouvertement) de s’opposer à l’union de leurs enfants.
Mais auparavant, les jeunes gens sont baignés dans les valeurs culturelles
et coutumières du mariage. Par crainte d’être exclus de la communauté, il
est donc rare de voir des jeunes qui s’opposent aux normes établies (le
lien endogamique par exemple) par la société. Il n’y a pas alors de
craintes qu’un des amoureux ramène un partenaire dont il n’est pas
certain qu’il peut satisfaire plus ou moins les critères indiqués pour
prétendre à un mariage en milieu touareg.
En définitive, le mariage entre les individus ayant des liens de parenté ou
partageant le même groupe social est le type d’union privilégié. Ce type
de mariage est organisé dans tous ses détails par les parents des futurs
mariés. Cet engagement de tous pour une telle union donne au mariage
en milieu tamasheq un sens particulier. En effet, c’est l’honneur de toute
une famille et au-delà de toute une fraction de rapprocher ses membres
en préservant leurs liens de parenté (Casajus, 1982).
Se marier revient à maintenir les liens de la famille, de la communauté ou
de la fraction. Ces attaches ont pour support les affections entre les
différents membres du groupe qui les considèrent comme sacrées et par
conséquent à perpétuer auprès des générations futures.
2. Types d’union chez les Kel-Tamasheq

2.1. Mariage préférentiel


Comme cela a été dit, l’union endogamique est la pratique de mariage la
plus courante chez la plupart des Touaregs. Le type de mariage le plus
apprécié est celui entre les cousins germains (Bernus, 1981). En règle
générale, les liens de mariage admis en milieu tamasheq sont entre autres :
– le mariage entre cousins germains, enfants d’une femme et d’un
homme -arǎtǎn n-tamǎḍt d-ǎhaləs ;

178
– le mariage entre cousins germains, enfants de deux frères -arǎtǎn n-
meddǎn ;
– le mariage entre cousins germains, enfants de deux sœurs -arǎtǎn n-
tiḍeḍen.
Entre les prétendants au mariage issus de la même famille, il n’existe pas
sinon presque pas de raisons interdisant leur union. Il en est ainsi pour
les candidats au mariage issus de la même catégorie sociale (Bernus,
1981). S’il y a des interdits dans un tel cas de mariage, ils ne peuvent être
liés qu’à la personnalité d’un des partenaires.
Auprès des informateurs contactés dans le cadre de ce travail, il ressort
que l’union avec une sœur ou une nièce directe demeure le seul élément
d’interdiction de mariage entre les membres d’une même famille. Après
le croisement des propos des informateurs avec nos propres
observations sur le terrain, cet interdit semble le seul connu et qui est
toujours fonctionnel chez tous les Touaregs quand il est question d’unir
deux individus de la même famille.
À cette catégorie s’ajoutent les mariages entre les enfants ayant tété le
même lait maternel même s’ils ne sont pas des frères/sœurs biologiques.
Il y a aussi l’interdiction de mariage entre les enfants dont un a été
adopté par la famille dans laquelle il désire se marier.
Il ne nous semble pas utile de parler de l’interdiction de mariage entre
deux individus de classes sociales différentes comme le cas des esclaves
avec des nobles invoqué par plusieurs chercheurs. En effet, la préférence
du mariage chez les Touaregs aboutit à exclure tout mariage extérieur à la
famille restreinte ou élargie.
Il faut noter que les règles du mariage en milieu tamasheq sont
présentement en disparition ou du moins mises en mal à cause du
discours de l’islam et des effets de la mondialisation. À cela s’ajoute la
rupture de la chaîne hiérarchique entre les personnes de condition servile
et celles de la noblesse.
Aujourd’hui, il a été remarqué beaucoup d’unions entre les individus de
classe sociale différente chez les Touaregs. Mais il existe toujours
quelques survivances chez certains conservateurs (Ramir, 1991).
On constate aussi dans la pratique quotidienne que le mariage avec des
personnes allochtones n’est plus un critère d’interdiction de mariage. Il

179
reste, pour éviter de fausses certitudes, de faire une enquête sur ce sujet
auprès des Touaregs afin de déterminer leurs perceptions des unions
avec les personnes d’origine étrangère.
2.2. Option du mariage
La monogamie demeure l’option la plus fréquente malgré la permission
de l'islam de prendre jusqu'à quatre femmes. Les propos des
informateurs révèlent que les Kel-Tamasheq affichent encore une
opposition assez prononcée pour la polygamie. En effet, ils sont
monogames de génération sauf certains assez engagés dans la religion
musulmane ou influencés par le mode de vie de leurs voisins citadins.
Ce principe demeure et semble se perpétuer chez les Touaregs puisqu’il
est détenu par la femme et non par l’homme. C’est en cela qu’il s’oppose
à la pensée musulmane qui fait de l’homme le chef de famille et qui
décide de prendre une ou plusieurs femmes (jusqu’à quatre épouses)
selon son vouloir.
Or, dans le cas présent, il faut l’accord de la femme pour que l’homme
puisse prétendre changer l’option du mariage déjà en cours. On
comprend que cette autorisation viendra difficilement sinon jamais d’une
femme.
2.3. Régime du mariage
Le régime moderne du mariage auquel correspond le mariage touareg est
plus ou moins celui de la séparation de biens. Ainsi, on a :
– la prise en charge du ménage : il revient à l’époux de subvenir à tous
les besoins alimentaires du ménage. En résumé, il doit satisfaire le train
de vie du ménage en général ;
– la modalité des contributions pour la prise en charge du
ménage : il n’existe pas de principes de contribution puisqu’il revient à
l’époux et à lui seul de prendre en charge toutes les dépenses du ménage.
L’épouse utilise ses biens comme bon lui semble. Elle n’a aucune
obligation de rendre compte à son époux. Elle peut, cependant, de son
gré apporter une aide à son mari. Mais cela se passe généralement dans la
plus grande retenue. En effet, c’est un déshonneur et une
déconsidération que le reste de la communauté (y compris les proches du
couple) se rende compte que l’époux se trouve dans l’incapacité de
prendre entièrement la charge de son foyer.

180
2.4. Cessation des liens de mariage et ses implications

2.4.1. Le divorce
Au sujet du divorce, les informateurs sont tous unanimes que c’est la
seconde face de la pièce. Pour eux, qui parle de mariage parle de divorce.
Si les Touaregs affichent un attachement très prononcé à la monogamie,
il est tout aussi vrai qu’ils sont d’accord pour le divorce et cela souvent
pour des raisons moins délicates. Ici aussi on remarque que l’islam n’a
pas pu changer ou dompter les cœurs des Touaregs. L’option de divorce
n’est pas formellement approuvée par l’islam. Elle est plus préconisée
dans des situations comme l’adultère, le seul motif de divorce accepté.
En général, par pudeur, la femme ne demande pas le divorce. Elle
montre par ses attitudes à son conjoint et à son entourage qu’elle ne veut
plus de son mariage. Il revient à l’homme de se prononcer sur la
demande tacite de son épouse. Pour éviter le scandale, occasion de la
risée publique, l’homme touareg ne s’oppose pas, en principe, à la
volonté de demande de divorce de sa conjointe.
Il lui revient de prendre des témoins pour certifier son accord en faveur
du divorce. La qualité des témoins dépend de la relation du couple avec
la religion. Les témoins peuvent être un cercle réduit des érudits de
l’islam comme cela se passe de plus en plus ou tout simplement des
notables devant lesquels le mari certifie avoir accordé le divorce à sa
conjointe.
Contrairement à la pratique des sédentaires, ehǎn, la maison appartient à
l’épouse. En cas de divorce, elle retourne chez ses parents avec sa tente
et laisse son ex-mari sans logement et sans progéniture (puisque la
filiation est donnée par la femme). Contraint par sa nouvelle situation,
l’homme retourne dans la tente de sa mère en attente d’un possible
mariage. Même en cas de décès de son époux, la tente ehǎn revient à la
femme. Cela attribue à la femme une certaine importance dans la société
touarègue et fait que le mariage est fondé plutôt sur les valeurs
féminines.
Ainsi, comme mentionné plus haut, la filiation au sens de l’identité
sociale est donnée par les femmes. Si une femme s’est mariée hors de sa
famille ou de sa tribu, ses enfants appartiendront à sa tribu d’origine et
non à celle de son époux. Cela peut être une des raisons explicatives pour

181
lesquelles les Touaregs n’envisagent le mariage extérieur qu’en dernière
position.
La disposition qui fait que la maison ou l’habitat du couple revient à la
femme en cas de séparation d’avec son mari ne peut s’appliquer que dans
les conditions de nomadisme. Aujourd’hui, chez les Touaregs
sédentaires, la maison (ehǎn) revient à l’homme. Cela constitue un
changement majeur et fait perdre à la femme touarègue un peu de son
pouvoir sur l’homme. Au-delà de la place de la femme, c’est toute la
société touarègue qui est en train de subir des changements majeurs.
2.4.2. La dot
Pour concrétiser les liens de mariage, les parents de la femme reçoivent
la dot dénommée taggalt par tous les Touaregs. Elle correspond en
principe au remboursement par l’époux des biens que les parents de la
mariée ont avancés pour les préparatifs du mariage.
Généralement, la dot est fixée chez les Touaregs en fonction de la dot
versée à la mère de la fille. Ainsi, selon le principe de faire mieux que ses
parents, sans que cela soit une règle rigide, la dot de la jeune mariée est
un peu plus que celle de sa mère.
Dans tous les cas, selon la coutume touarègue, une fois le mariage
consommé, la dot donnée par le mari n’est pas à rembourser. Le
remboursement ne se pratique qu’au moment des fiançailles, et cela aussi
dépend du milieu et des individus concernés.
La symbolique de la dot chez les Touaregs est relative à la valeur
incalculable de la femme dans l’imaginaire touarègue et non à sa qualité
d’épouse quoique cela ait sa part d’influence. Cela fait qu’en règle
générale la dot n’est pas à rembourser même si la femme perd son statut
d’épouse. On rappelle que la dot par le passé se donnait en nature (le
cheptel).
Aujourd’hui, la dot est aussi donnée en espèce (somme d’argent) mais à
partir d’une simulation de conversion donnant l’équivalent du nombre de
têtes de bétails en espèce. En effet, une tête de bétail reste l’unité de
référence du calcul et de la fixation de la dot.
3. Rites des épousailles
Chez les Kel-Tamasheq, il existe plusieurs options de rites de mariage selon
les tribus et les groupes sociaux. Le cérémonial du mariage laisse voir au

182
quotidien de manière claire cette diversité d’options de rites de mariage
chez les Kel-Tamasheq.
Globalement, la pratique la plus généralisée est la suivante : si les époux
sont différents par leur ethnie ou leur classe sociale, il y a une
compétition rituelle entre les deux familles ou les membres de deux
clans. Les proches du marié doivent montrer à ceux de l’épouse leur
savoir-faire (art et jeux) et leur force économique comme pour dire qu’ils
seront capables de prendre soin de la mariée.
Ce rituel n’est pas observé quand il est question d’une union entre les
membres d’une même famille ou d’une même classe sociale. Toutefois,
Bernus (1981) indique des exceptions chez les ullemmeden kel-dinnik. Il est
question des rites qui accompagnent le mariage chez ces Touaregs
désignés de « pratiques carnavalesques ». Malgré ce détail, on retient qu’il
n’existe pas de règle commune pour le rituel lors des mariages en milieu
tamasheq.
Conclusion
Si par le passé les Touaregs vivaient et pratiquaient en harmonie leur
mode de vie sociale ; actuellement, certaines de leurs traditions comme le
mariage sont confrontées au changement dicté par l’adhésion à l’islam et
par le modernisme et son lot d’exigences.
Présentement, la culture nomade est en métamorphose (Claudot-Hawad,
1989) et cela malgré la résistance connue des Touaregs. Parmi les
éléments qui ont fortement marqué le mariage en milieu touareg, on peut
citer entre autres :
– l’implantation de l’islam avec l’autorisation de la polygamie et le retrait
de la femme de la gestion des affaires publiques ;
– la sédentarisation, effet immédiat des changements climatiques, qui fait
que la maison revient plutôt à l’homme et non à la femme ;
– l’abandon progressif du mariage endogamique, ce qui est peut-être en
partie une avancée puisque le monde touareg s’ouvre au monde
extérieur ;
– la rupture entre la classe dite « servile » et « noble », ce qui paraît aussi
être une avancée en termes de respect de droits de l’homme.

183
En définitive, le mariage chez les Touaregs est en train de passer par des
moments les plus décisifs de sa survie. Dans les conditions actuelles, il
semble difficile de vivre un « vrai » mariage touareg respectant de bout à
l’autre ce qu’était le mariage par le passé chez les Touaregs.
Pour illustrer les mutations du concept du mariage chez les Touaregs,
nous disons : « hier » évoque les souvenirs du mariage touareg,
« aujourd’hui » la métamorphose en cours du mariage touareg et « demain »
évoque l’incertitude dans sa plus grande dimension.
Éléments de bibliographie
AG AGOUZOUM A. (2019), Éléments de description phonologique et
morphologique du tamasheq, dialecte standard du Mali en vue de son utilisation à
l’école dans un contexte bilingue, Paris, INALCO, Sorbonne Nouvelle (D).

BERNUS E. (1981), Touaregs nigériens. Unité culturelle et diversité régionale d’un


peuple pasteur, Paris, L’Harmattan.

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RAMIR S. (1991), Les Pistes de l’oubli, Touaregs au Niger, Paris, Édition du


Félin.

184
Chapitre 10

Le mariage chez les Songhaïs d’hier à aujourd’hui :


entre endogamie et exogamie

Mahamar ATTINO, Ph.D


Enseignant-Chercheur
Institut de Pédagogie Universitaire (IPU) /Bamako
E-mail : mahamarmaiga@yahoo.fr
maigamahamar91@gmail.com
Contact : + 223 72 35 28 67

Résumé
À l’instar de nombreuses ethnies au Mali, les Songhaïs possèdent un
ensemble de rites matrimoniaux. En effet, référence sociale de premier
degré, le mariage en milieu songhaï repose sur des éléments fédérateurs
qui lui donnent une représentation sociale significative. Ainsi dans la
société songhaï, le mariage est avant tout une affaire de famille où le
choix de l’individu doit s’accommoder avec celui du groupe dans le but
de renforcer les liens de sang hier puis d’amitié ou de partenariat
aujourd’hui.
L’objectif principal de cette étude est de présenter la pratique du mariage
en milieu sociologique songhaï.
En condensé, les axes majeurs de cette production sont les
représentations sociales de l’institution du mariage dans l’aire
civilisationnelle songhaï. Ainsi, les acteurs et la symbolique des rites du
mariage sont abordés (Sana, Chilli, Walizé) pour donner sens à cette
pratique sociale de première importance.
Dans cette réflexion, l’accent est mis sur les différents rites et traditions
autour du mariage de la communauté songhaï. Ensuite sont traitées la
fixation de la dot et les cérémonies traditionnelles des fiançailles. Puis est
faite une description de la cérémonie proprement dite du mariage. Ce
texte prend donc en compte les différentes étapes du mariage chez ce
peuple tout en proposant une analyse détaillée des procédures et
pratiques en vigueur en indexant les bouleversements intervenus dans
lesdits rites et traditions du fait de facteurs exogènes. Les traditions du
mariage et les valeurs sociales associées cristallisent une vraie réputation

185
bâtie sur le double socle de l’ouverture et du repli identitaire. Autrement
dit une pratique sociale séculaire mais en pleine mutation actuellement.
Mots clés : Endogamie, Exogamie, Mariage, Rites, Songhaï, Traditions
Abstract.
Like many ethnic groups in Mali, the Songhays have a set of matrimonial
rites. Indeed, a first-degree social reference, wedding in Songhay’s area
relies on unifying elements that give it significant social representation.
Thus, in the Songhay society, marriage is above all a family affair where
the choice of the individual must be matched with that of the groups in
order to strengthen the ties of blood (yesterday), and then of friendship
or partnership today).
The main objective of this study is to present the practice of marriage in
a Songhay sociological environment.
In summary, the major axes of this production are the social
representations of the marriage institution in the Songhay civilizational
area.
Thus, the actors and the symbolism of the rites of marriage are
approached (Sana, Chili, Walizé) to give meaning to this social practice
of prime importance.
In this paper, the emphasis will be on the different rites and traditions
around the marriage in the Songhay community. Then will be treated the
fixing of dowry and the traditional ceremonial engagements. Followed by
a description of the wedding ceremony itself.
This text therefore takes into account the different stages of marriage
among this people while offering a detailed analysis of the procedures
and practices in vigor by indexing the upheavals that have occurred in
said rites and traditions due to exogenous factors.
The traditions of marriage and the associated societal values crystallize a
true reputation built on the double base of the openness and withdrawal
identity. In other words, a secular social practice but currently
undergoing radical change.
Keywords: Endogamy, Exogamic, Wedding, Rites, Songhay, Traditions

186
Introduction

Le mariage a une histoire. De simple contrat privé entre deux familles


dans le monde antique, il devient au Moyen-Âge un mariage sacrement
monogamique et indissoluble que régit l’église. Il faudra attendre la
réforme luthérienne (celle du protestantisme) pour lui denier son
caractère sacramental. Historiquement, c’est la Révolution bourgeoise
française (RBF) qui retire à l’Église le droit de marier pour le confier à
l’autorité civile (Melchior. S, Salles. C, 2009).
En Occident de façon générale, le mariage est d’une autre nature que les
engagements humains, c’est ainsi que pour l’Église il est un sacrement
« qui ne peut être considéré que par la raison mais seulement par la foi ». Le
mariage crée et perpétue la famille, il détermine la condition de la femme
et des enfants, donc il implique forcément une idée de la condition
humaine. Il devient le miroir d’une civilisation dont il découvre les
ressorts, les contradictions ou les failles (Gaudemet J., 1987).
Il est d’importance de noter que dans les sociétés traditionnelles, comme
l’attestent beaucoup de spécialistes, le mariage est l’alliance politique
entre deux familles ou deux clans. C’est dans cet ordre d’idées que
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss définit le mariage comme le socle
pratiquement universel de la famille : « la famille, fondée sur l’union plus ou
moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexes différents qui
fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène
pratiquement universel, présent dans tous les types de société » (Lévi-Strauss C.,
1948, p. 132). Même s’il faut préciser que le mariage en tant qu’alliance
entre individus ou groupes sociaux n’est pas universellement perçu de la
même manière.
C’est une lapalissade que de dire que le mariage est une union conjugale
contractuelle et/ou rituelle, à durée illimitée, déterminée, reconnue et
encadrée par une institution juridique ou religieuse qui en détermine les
modalités. Il est de poids de noter aussi que le terme désigne à la fois la
cérémonie rituelle, l’union qui en est issue et l’institution qui en définit
les règles.
Les formes du mariage varient d’une société à une autre, et parfois au
sein de la même société. Le poids ou l’importance du mariage varie selon
les sociétés.

187
Le mot mariage vient étymologiquement du latin maritare issu de maritus,
issu de mater signifiant (mère). Le mariage est usuellement défini comme
étant l’union légitime entre un homme et une femme dans la presque
totalité de l’œcoumène. Même si plus, récemment, le mariage se définit
aussi comme « une union légitime entre deux personnes qui souhaitent
créer une famille et vivre ensemble ». Force est de reconnaître que même
si cette dernière approche est âprement combattue par les religions
révélées, elle fait son chemin chez les nations dites « avancées » avec la
pression des lobby guys, de lesbiennes, de travestis et autres transsexuels,
bref des communautés homosexuelles.
Le mariage est aussi un acte social qui a une portée très significative. Car
il est à la fois un acte actuel qui concerne les parties contractantes, et un
acte futur qui engage l’existence et le statut des personnes dans l’avenir.
Le mariage reste également un acte à la fois individuel et collectif qui
concerne l’ensemble de la société. La portée du mariage demeure mixte
car elle est à la fois contractuelle et institutionnelle.
Il est d’importance aussi de noter que dans les sociétés traditionnelles
comme l’attestent certains spécialistes, le mariage est l’alliance politique
entre deux familles ou deux clans. C’est dans cet ordre d’idées que
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss le définit comme le socle
pratiquement universel de la famille : « la famille, fondée sur l’union plus ou
moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexes différents qui
fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène
pratiquement universel, présent dans tous les types de société » (Lévi-Strauss C.,
1948, p. 132). Même s’il faut préciser que le mariage en tant qu’alliance
entre individus ou groupes sociaux n’est pas universellement perçu de la
même manière.
L’engagement du mariage peut être une convention civile lorsqu’il est
enregistré par un officier d’état civil, ou prendre une dimension sacrée
lorsqu’il est célébré par une autorité religieuse. Les ethnologues ont
démontré que le mariage accomplit des fonctions sociales et politiques.
C’est dans ce cadre que Claude Lévi-Strauss a démontré que « le mariage
est l’institution qui permet l’échange des femmes entre deux groupes consanguins, c'est-
à-dire issus du même ancêtre, afin d’entretenir par l’alliance l’effacement progressif des
liens de parenté qui finirait par en faire des groupes étrangers, puis des ennemis »
(Lévi- Strauss C., p. 133).

188
Dans les sociétés humaines, les systèmes des alliances constituent les
remparts et les cadres sociaux qui ont pour but de renforcer la cohésion
sociale. Le mariage est la forme d’alliance la plus élaborée conçue dans le
cadre de la perpétuation de l’espèce humaine. La deuxième mission du
mariage est de coudre le tissu social en ce sens qu’il est sensé créer des
liens indestructibles entre familles par le biais d’actions d’entre-aide et de
prestations mutuelles.
L’objet de cette publication est d’identifier, à partir des rites et des
différentes traditions autour du mariage en milieu songhaï, les éléments
fédérateurs permettant de bâtir un socle coriace pouvant servir de vivier
à une réconciliation pérenne, aussi bien en période d’accalmie qu'en
période de troubles. Cela d’autant plus que les rites et traditions sont les
valeurs sociales de première référence et que leur examen minutieux
permettra aux chercheurs et aux décideurs de prôner les valeurs d’unité
sinon d’unicité et de cohésion sociale surtout dans le contexte présent de
crise identitaire que traverse le Mali.
Le Songhaï est avant tout un territoire, une langue, une culture (Hamma,
1967), avec des us et coutumes qui ont pour but de cimenter à jamais les
liens cordiaux, sociétaux et les rapports référentiels codifiés entre la
communauté songhaï et les communautés avoisinantes et par extension
celles du territoire national malien.
De prime à bord, la communauté songhaï en matière matrimoniale est
une société endogamique sinon clanique, mais ce repli identitaire ne se
fait pas dans un but exclusif ou éliminatoire des autres communautés.
Car pour les Songhaïs, les autres communautés sœurs doivent
impérativement épouser les traditions multiséculaires songhaï fortement
imbibées d’emprunts islamiques.
On se propose donc dans cet article d’interroger la fabrique de lien social
qui est le mariage, mais aussi de voir ce lien social comme facteur de
discrimination ou d’intégration. On se propose également d’étudier le
mariage dans ce milieu ethnocentrique à sens vertical et horizontal, son
évolution actuelle sera notée.
Dans cette production, l’accent sera donc mis sur la diminution de plus
en plus constatée du phénomène du mariage endogamique sinon
ethnocentrique au profit de l’ouverture aux autres avec l’interpénétration
des cultures du fait de l’administration, de l’emprise de l’école et surtout
la religion islamique insistant sur l’unicité de la umma locale où la vision

189
rétrécie à l’échelle ethnique ou régionaliste tombe petit à petit en
désuétude au profit de la communauté de foi plus large, voire
œcuménique.
L’impératif de cette vision unitaire est de mettre le doigt sur ce qui unit
les différentes communautés, en taisant sinon en réduisant à leur plus
petite expression ce qui les sépare.
La substance de ce document est donc de s’approprier les valeurs
pouvant servir de fondation à la construction d’une nation unie, forte de
sa diversité, qui sache taire les divergences et qui, somme toute au
contraire, prône les points de symbiose, de convergence entre les
diverses communautés de destin.
En effet, l’union entre l’homme et la femme a une représentation sociale
dans tous les milieux humains, et cela est tangible sur toute la planète
terre. Ce serait une lapalissade de dire que le mariage est une institution
sociale de première référence. Nous l’avions annoncé plus haut, le
ciment sinon la pierre angulaire du mariage en zone culturelle songhaï est
la consanguinité. À travers cette pratique, le but ultime avoué est la quête
ou du moins la perpétuation de l’endogamie. C’est le lieu de dire que
l’endogamie, qui est le substrat de l’ethnocentrisme à tort ou à raison, est
décriée par certaines communautés nationales chez les tenants de cette
entité culturelle.
Il faut aussi dire que la réalisation du mariage met en branle un certain
nombre d’acteurs dont chacun est appelé à jouer un rôle spécifique et
dont la coordination concoure à la réussite de l’union. Nous voulons par
cet article comprendre les tenants et les aboutissants de cette pratique
sociétale, plusieurs fois séculaire. Par là, nous souhaitons apporter des
éléments de réponse à ces questions qui nous brûlent les lèvres :
À qui se marie-t-on chez les Songhaïs ?
Quelles sont les raisons d’un tel choix ?
Quelles sont les considérations qui soutendent le choix de à qui se marier ?
Le choix du conjoint(e) est-il libre ou imposé ?
Quelle est la place du statut social dans le choix du conjoint ?
L’allochtone et l’autochtone ont-ils les mêmes chances quant à avoir une
épouse en milieu songhaï ?
Cette dernière interrogation nous amène à étudier l’évolution du mariage
dans cette aire culturelle à travers les âges et de souligner son ouverture
amorcée vers l’exogamie.

190
Ainsi dans cet ordre d’idées, nous nous posons les questions qui suivent :
Y a-t-il des possibilités de mariage extraclanique dans ce milieu culturel ?
Autrement dit le mariage dans cette entité, d’endogamique, peut-il être
exogamique et dans quel cas ?
Quel est l’état des lieux de cette question à l’heure actuelle ?
Finalement, le présent article s’articule autour de cinq nœuds principaux :
nous projetons de comprendre la symbolique des rites du mariage, aussi
de répertorier les différents rites traditionnels notamment : l’octroi de
l’épouse, la fixation de la dot, le mariage religieux, le mariage civil chez
les personnes de cette aire culturelle singulière.
1. Contexte et justification
Cette production est le fruit d’une réflexion autour des mutations qui
s’observent dans les sociétés humaines en général et celles particulières
des communautés africaines. En effet, les sociétés africaines sont
connues pour leur vie en vase clos et le caractère renforcé de
l’ethnocentrisme chez la plupart d’entre elles, principalement chez celle
qui fait l’objet de notre étude : celle des Songhaïs. La bande sahélienne,
aujourd’hui théâtre de bouleversements tant politiques, économiques que
culturels, voire idéologiques, abrite des peuples et des cultures diverses et
variées qui, même s’ils ont des traits de convergence, ont également assez
de points de divergence. Le Mali est aujourd’hui à la croisée des chemins
car il se trouve menacé dans son intégrité sinon dans son essence même
du fait du fondamentalisme, du djihadisme, des rebellions répétées
surtout dans son septentrion. Les grands bouleversements politiques
aboutissent à des révisions idéologiques mais aussi et surtout à un
renforcement des crises identitaires, et au repli sur soi qui est un instinct
de conservation naturel chez les groupes humains. L’objet de cette étude
n’est pas d’insister sur les divergences mais plutôt sur les spécificités du
peuple et de la culture songhaï, qui est connue au pays comme une
singularité, notamment en matière de mariage. Les Songhaïs pratiquent
l’endogamie pour des raisons d’instinct de conservation ou même
d’instinct grégaire, ou d’instinct de survie dans la pluriethnicité qui
prévaut au Mali. Étudier la pratique du mariage en milieu socioculturel
songhaï revient à étudier l’« âme » de ce peuple qui se singularise
aujourd’hui par son conservatisme, son attachement aux valeurs
ancestrales en matière de mariage. Mais malgré cet attachement constaté,
force est de reconnaître que les pratiques en matière de mariage évoluent

191
lentement vers une ouverture avec la pratique de l’exogamie qui jusqu’à
une date récente semblait être l’apanage des autres communautés
maliennes. Les remises en cause du « vivre-ensemble » consécutives aux
crises multidimensionnelles qui secouent le pays amènent les chercheurs
à s’interroger sur les mécanismes à mettre en œuvre pour renforcer
l’unité nationale, la cohésion sociale. L’évolution des pratiques sociétales
comme le mariage peut être un ciment entre les communautés. La raison
est que la pratique de mariages mixtes peut taire les clivages éthiques ou
claniques. L’idée est que si le pays n’est pas arrivé à asseoir l’unité
nationale, la création d’une nation sera certainement la panacée en
mettant en commun l’unité historique, celle du « sang » des différentes
communautés peuplant ce vaste territoire.
2. Problématique
Le mariage est une institution aussi ancienne que l’humanité. Il faut
remonter au-delà du déluge pour voir dans l’union d’Adam et d’Ève, la
première bénie par le ciel. De cet événement à nos jours, cette pratique
sociétale a cours même s’il varie selon les contrées et selon les idéologies.
En dépit des divergences, le mariage demeure le noble moyen de
perpétuer l’espèce humaine selon les prescriptions.
Ainsi il nous est loisible de remarquer que le mariage a une histoire. Au
départ de simple contrat verbal entre deux familles dans les sociétés
antiques (Mésopotamie, Assur, Akkad, Ninive, Phénicie, Empire hittite,
etc.), le mariage devient au Moyen-Âge un acte religieux avant d’être
social. À cette époque de l’humanité pour être respecté il faut être marié.
Devenant religieux, il sera régi par l’Église et par conséquent fait l’objet
d’un sacrement et de surcroit monogamique et surtout indissoluble.
Ainsi, on unissait les gens pour le « meilleur comme pour le pire ». La
négation de son caractère sacramental ne viendra que plus tard avec la
réforme née du protestantisme.
Dans les sociétés à obédience islamique, le mariage garde son caractère
sacré et est une prescription. Il doit aussi être scellé entre deux personnes
de sexe diffèrent comme dans le judaïsme et le christianisme, il ne peut
être dissous (divorce) que sous certaines conditions bien précises. Il doit
occurer de préférence entre deux personnes du même culte ou à défaut
entre un musulman et une femme chrétienne mais jamais entre un
musulman et une juive. Il convient de spécifier que le mariage du rite
musulman admet la polygamie. Également dans certaines conditions, il
admet le sororat et le lévirat. Il proscrit la fornication et le concubinage.

192
En Afrique, la diversité des communautés et des références idéologiques
influe sur les rites liés au mariage.
Au Mali, le mariage est célébré selon les rites traditionnels mais aussi
selon la religion. Les pratiques varient d’une communauté culturelle à
l’autre. Dans cette production scientifique, nous présentons les
spécificités de cette pratique sociale chez la communauté songhaï. Pour y
parvenir, nous avons adopté la méthodologie ci-dessous indiquée.
3. Méthodologie
Notre étude est essentiellement consacrée au mariage en milieu songhaï,
ce qui circonscrit la délimitation du champ de l’étude. L’étude est
essentiellement exploratoire et est fondée sur une démarche qualitative se
fondant sur l’observation et l’analyse de contenu des discours des
personnes ressources interrogées, dont les propos ont été transcrits et
résumés par nos soins.
Pour mener à bien cette étude empirique, nous avons surtout enregistré
des données qualitatives sur la question auprès de personnes ressources
notamment les personnes âgées, les maires, bref un panel de gens avertis
dont les indications, éclaircissements et dont les propos ont permis
d’habiller la charpente de ce papier. Le choix des personnes interrogées a
été aléatoire. Nous avons aussi procédé à une recherche documentaire
sur le mariage selon la technique de l’entonnoir. La moisson de toutes
ces informations ajoutées à nos expériences personnelles a constitué le
substrat de cette production. Pour être court, pour réussir cette étude,
nous avons procédé à la collecte d’informations qualitatives auprès de
personnes ressources. Puis nous avons aussi mené une revue
documentaire à travers différentes lectures auxquelles nous avons ajouté
notre vécu quotidien étant issu de ce milieu culturel. Comme outils, nous
avons élaboré un guide d’entretien. Nous avons procédé à la
transcription du discours des interviewés comme technique d’approche.
Notre étude est essentiellement exploratoire et est fondée sur une
démarche qualitative se fondant sur l’observation et l’analyse de contenu
des discours des personnes ressources interrogées.
Pour y parvenir notre méthode d’investigation a consisté à :

- étudier et analyser les différentes publications sur le mariage dans


son essence sociologique ;

193
- inventorier et exploiter les résultats des études antérieures et des
recherches en cours sur la question ;
- étudier les articles de journaux et les témoignages des personnes
ressources.

Aux termes de nos investigations, nous sommes parvenus aux résultats


qui suivent.
4. Résultats
Les principales investigations menées sur le terrain et l’apport de nos
lectures des productions antérieures mais aussi la synthèse des divers
témoignages nous ont conduits à une moisson que nous allons codifier
afin qu’elle puisse servir de base de données pour les futurs chercheurs
qui s’intéresseront ultérieurement à la question. Ces investigations nous
ont permis de collecter une foule d’informations utiles qui tournent
principalement autour de la représentation sociale du mariage et des
principaux acteurs, des rites traditionnels du mariage et de leur
symbolique, et surtout de l’évolution présente de la pratique
matrimoniale de l’endogamie vers l’exogamie.
4.1. La représentation sociale et les principaux acteurs du mariage
en milieu songhaï.

4.1.1. La représentation sociale du mariage


Le mariage est une institution sociale voulue et acceptée par toutes les
sociétés humaines. Son origine remonte aux temps anciens. On peut faire
remonter le mariage à Adam et Ève comme avancé dans les Écritures. Il
faut juste ajouter qu’il n’y avait pas de limite quant au nombre d’épouses
jusqu'à l’avènement des religions monothéistes révélées : le judaïsme et le
christianisme vont le limiter à une seule épouse, et l’islam prescrira une à
quatre selon les moyens.
En faisant une étude comparative entre les structures sociales
« orientales » et « occidentales », en insistant surtout sur les traits qui les
rapproche : notamment « la dévolution divergente des biens », la prise en
compte non seulement de la parenté tant maternelle que paternelle, le
très faible taux de polygamie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, au
contraire de l’Afrique-Occidentale, le code de l’honneur à peu près
similaire sur les deux rives de la Méditerranée (Goody J., 1986), on a pu à
juste raison parler d’ « économie de la parenté occulte ».

194
Aussi la vie en société ou l’instinct grégaire oblige les humains à
organiser la société selon des normes connues et acceptées par tous. Le
mariage se conçoit entre famille, ou entre clans de la même ethnie de
préférence, ou entre clans d’ethnies différentes. Le mariage crée et
perpétue la famille, il détermine la condition de la femme et des enfants,
donc il implique forcément une idée de la condition humaine. Il devient
le miroir d’une civilisation dont il découvre les ressorts, les
contradictions ou les failles (Gaudet J., 1987). Le mariage devient une
institution sociale centrale, non sans conflits entre alliances
patrimoniales, dynastiques, diplomatiques ou simplement familiales, et
choix individuels entre mariage religieux et mariage civil (Bologne J.-C.,
1999).
La société songhaï à l’instar des autres communautés du Mali fait du
mariage le moyen le plus sûr pour perpétuer ses traditions, sa culture.
Pour les Songhaïs, la pureté du sang est une valeur cardinale, raison pour
laquelle la consanguinité est le premier objectif attribué au mariage. Alors
les Songhaïs pratiquent en matière de mariage l’endogamie qui est à leurs
yeux le socle de la pureté de la lignée et de la conservation sûre,
permanente et renouvelée de la riche culture songhaï. L’ethnocentrisme
ou le clanisme qui permit à ce peuple de résister sinon d’exister en
conservant jalousement sa culture, ses us et coutumes à travers les âges
est une constante prisée chez lui. Les Songhaïs tiennent à leur culture
comme à la « prunelle de leurs yeux ».
Cette spécificité fait qu’en milieu songhaï les acteurs du mariage ne sont
pas des griots (cette communauté n’y existe pas, elle en a souvent
emprunté aux communautés voisines : Mabo, emprunté aux Peuhls, et
Garasse, emprunté aux Tamasheqs, Gesere, emprunté aux Soninkés.),
mais plutôt les parents les plus proches, car la pérennisation de la lignée
ou la pureté du sang est et reste une valeur de première importance.
4.1.2. Les acteurs du mariage
Le mariage est une institution sociale qui met en relation plusieurs
acteurs dont le rôle de chacun concourt à la réalisation d’une parfaite
symbiose de l’union projetée. Les premiers acteurs sont d’abord les
responsables filiaux ou désignés des futurs mariés surtout du côté
paternel. Ce sont eux qui concrétisent la promesse tenue depuis la
naissance de la fille jusqu’à l’âge de sa maturité physique. Dans cette
société où il n’y a pas de griot, ce sont ces personnes qui font la
démarche d’acquisition de la main de la fiancée. Ils sont des démarcheurs

195
dont la principale mission est de vérifier si la promesse de donner la fille
émise à sa naissance tient toujours.
Les deuxièmes acteurs sont les concernés eux-mêmes dont les avis,
traditionnellement, comptent peu. Pour dire que le mariage dans la
culture songhaï unit deux familles, deux clans et non deux individus. Ce
qui répond aisément à la question : à qui se marie-t-on ? Le prestige ou le
crédit que les Songhaïs accordent au mariage est la perpétuation sinon la
sauvegarde de la pureté de la lignée qui ne peut s’obtenir qu’avec la
pratique endogamique. Dans ce milieu culturel aussi, la société est
matrilinéaire, car à l’instar des Soninkés (que les Songhaïs considèrent
d’ailleurs comme leurs parents biologiques), la succession est
matrilinéaire, car les Songhaïs pensent que la noblesse s’acquiert par le
côté maternel « c’est le ventre qui anoblit dit-on chez les Songhaïs ». Le
père n’est qu’un « géniteur » et peut de surcroît être n’importe qui. Donc
dans ce milieu culturel, la succession au trône se fait par les neveux,
autrement dit les enfants de la sœur du roi pour la simple raison qu’on
est sûr qu’ils sont les enfants de la sœur, alors que du côté paternel la
filiation n’est pas forcément certaine, ceci est l’argumentaire sur lequel
s’adosse cette pratique sociétale.
Une autre catégorie d’acteurs est constituée par les oncles du marié et les
tantes de la mariée. Leur rôle est un rôle d’éducation, d’encadrement des
futurs mariés à leur devoir sociétal : le devoir de solidarité et de partage
vis-à-vis des siens, du clan, sinon de la communauté. Ainsi si dans
d’autres cultures on met l’accent sur le Babaizeterey, chez les Songhaïs
l’accent est surtout mis au contraire sur le Hinni Nda Wa signifiant
littéralement le « lait » et « le sang ». Ce pacte sacré lie tous les
descendants d’un même ancêtre en particulier et par extension tous les
locuteurs de Aynehaa.
Les valeurs inculquées de façon saccadée par lesdits acteurs sont la
dignité, l’altruisme, la bravoure, la droiture, le respect de la parole
donnée, la pratique du bien et le combat du mal et de toute injustice
parmi tant d’autres vertus. Pour nous résumer, les raisons du choix de « à
qui se marier » découlent de la volonté de cimenter les liens de sang avec
une obligation de solidarité envers le clan et par extension toute la
communauté (phénomène très visible chez la communauté songhaï
surtout quand elle vit dans un milieu plus dominant ou ombrageant). La
réalité qui semble immuable est qu’en milieu songhaï on ne se marie pas
à une femme, mais à sa famille, et de surcroit le Songhaï se marie d’abord

196
en famille, puis à une Songhaï, et aux autres plus tard. En un mot, le
Songhaï se marie d’abord en famille, à défaut au village, par extension à
la communauté linguistique et plus tard aux autres communautés de la
région ou du pays. Certes ceci reste une pratique qui a ses avantages
comme ses inconvenants.
Chez les Songhaïs, l’avis des mariés n’est jamais demandé. On décide à
leur place, de ce qui est supposé bon pour la famille, la communauté,
avant leur intérêt. Les questions de compatibilité ou de convenance ne
sont jamais une priorité, car le mariage a pour mission essentielle de
resserrer les liens de sang. Autrement dit en milieu songhaï en matière de
mariage, il n’y a pas de choix mais plutôt une « imposition » de la famille,
du clan. Le choix n’est donc pas libre mais imposé. Par conséquent, la
bénédiction des enfants se lit dans leur promptitude à accepter le choix
fait pour eux sans leur opinion.
Le statut social impacte beaucoup sur le choix du conjoint. Le principe
étant que l’on se marie en famille, le statut du marié est généralement
celui de la mariée ou vice-versa. Un autre principe dit en milieu songhaï
qu’il est préférable de donner sa fille « au Bellah de son village qu’au chef
d’une tribu inconnue ou lointaine » pour montrer l’attachement de cette
communauté à son terroir, à son milieu culturel.
Les amis des mariés jouent également un rôle primordial dans la
perpétuation des rites et traditions du mariage dans ce milieu culturel. Ils
initient, encouragent, éduquent, conseillent les futurs mariés.
À la célébration du mariage interviennent aussi les marabouts qui doivent
bénir l’union et procurer des talismans à des fins de protection, de
prospérité et de pérennisation de l’union fondée.
4.2. L’octroi de l’épouse et la fixation de la dot

4.2.1. L’octroi de l’épouse


Traditionnellement, l’octroi de l’épouse ou la promesse de réserver une
fille en mariage avec quelqu’un se fait très tôt. En effet, dans cette aire
culturelle dominée par l’oralité, dès la naissance d’une fille dans un foyer,
c’est généralement une tante qui manifeste sa volonté de « réserver la
main de la fillette » qui vient de naître pour son enfant ou son garçon. La
symbolique se fait publiquement ou généralement devant témoin. La
tante qui exprime son intention attache un ruban ou un tissu au pied de
la fillette indiquant clairement son intention. La perpétuation de cette

197
pratique traduit le caractère désintéressé et aléatoire du choix. Ce choix
implique une patience et impose un ensemble de pratiques au cours du
temps pour vérifier si ce choix tient toujours à l’âge nubile. Le revers de
la médaille de cette pratique, c’est que la « choisie » peut décéder mais ne
pourra jamais changer d’option de peur de briser les liens de sang entre
les contractants de ce pacte verbal ou oral. Une fois ce choix opéré, les
parents du prétendant ainsi que le prétendant doivent veiller sur la fille et
sa famille jusqu’à l’âge adulte ou du moins jusqu’à ce qu’elle soit
physiquement apte, en couvrant ladite famille de présents de toute sorte :
amener le Anzoura Tiouchi (mouton de tabaski annuel), faire cultiver le
champ par la classe d’âge du prétendant chaque année, octroyer des
cadeaux symboliques le long de l’année à des moments désignés comme
le moment des cultures, de la transhumance, des récoltes, etc. Cette
situation ci-dessus décrite est celle d’hier, et même si elle résiste ou
subsiste dans certaines contrées conservatrices, force est de constater
que, de plus en plus, des nuances sont introduites de nos jours. À ce
sujet, A.T. rapporte : « Tillassou no ma Kora dan goungou », une autre façon
de dire que la priorité du choix de l’épouse va au clan.
4.2.2. La fixation de la dot
À l’âge adulte, lorsque les parents estiment que le mariage peut être
célébré, les parents démarcheurs vont rendre visite à l’improviste à la
famille de la jeune élue. Une fois reçus, une fois les questions de
bienséance réglées, ils adoptent un modus operandi similaire presque
partout en zone culturelle songhaï : le plus âgé des délégués dit au chef
des représentants de la famille de la fille qu’en fait ils avaient vu dans le
parc à bétail de ladite famille « une brebis » qu’ils souhaitent acheter pour
améliorer la race ou l’espèce des animaux de son parc à lui. Le
questionné fera semblant de ne pas comprendre son interlocuteur et lui
demandera plus de précision. Ainsi d’anecdotes en anecdotes, ils finiront
par lever toute ambiguïté et déclarer solennellement qu’ils sont en fait
venus vérifier « si la main » de telle fille qui leur a été promise tient
toujours, et que, par conséquent, ils sont venus concrétiser leur promesse
donnée depuis sa naissance (ka hari kar wala nzaweye ga sarr) selon M. A.
M. Il sera répondu avec aisance que « chez nous il n’y a pas deux paroles » et
qu’ils tiennent également à la promesse comme ils tiennent à la prunelle
de leurs yeux. C’est dans l’allégresse qu’ils commencent à fixer et à
marchander le « prix » de la dot. Disons que la dot a une valeur
symbolique et que son but principal en milieu songhaï est de constituer
« un bas de laine » pour la jeune mariée. Elle est généralement constituée

198
en nature et en espèces. Le plus souvent c’est le nombre de têtes de
bétail qui est l’unité de référence. Une fois fixée, la dot peut être
totalement ou partiellement versée. Il reste entendu que le reste non
versé peut être réclamé à tout moment par la mariée et ne saurait être
blâmée pour cela ni socialement ni cultuellement. La dot peut varier en
fonction du prestige et surtout de l’avoir du prétendant et de sa famille.
Quand la mariée est une fille de concurrence (celle qui a plusieurs
prétendants), cela peut influer sur son montant. La dot peut être donnée
en or, en argent et en têtes de bœufs, à défaut en moutons.
En milieu songhaï, le choix de résidence du futur foyer relève du mari.
Dans ce milieu, on pratique la plupart du temps la patrilocalité, car le
foyer des mariés se trouve géographiquement dans la résidence ou le
village de l’époux. Que la femme quitte son foyer d’origine pour
rejoindre celui de son mari reste la pratique la plus courante.
La matrilocalité est une pratique inconnue dans cette aire culturelle.
Quant à la néolocalité, de plus en plus elle fait son apparition par le fait
que les mariés peuvent fonder leur foyer indépendamment de celui des
parents du fait de la modernité et de la nucléarisation des familles.
5. Les rites traditionnels symboliques du mariage
M. A. S martèle : « Hidjey manti Gnari hidjindi yan », terme générique qui
signifie que le mariage n’est pas une plaisanterie.
Le mariage dans la sphère songhaï est une école de formation pour les
impétrants : le prétendant et l’élue. C’est pourquoi la société se charge à
travers cette institution d’inculquer aux mariés les valeurs cardinales qui
constituent le socle sur lequel s’abrite la « songhoyité ». Les Songhaïs sont
un peuple très imbu de sa personnalité, de ce fait très attentifs à ne pas
nuire à autrui, et à ne pas poser des actes répréhensibles, dégradants,
humiliants, déplacés, car le peuple songhaï voit en chaque Songhaï un
ambassadeur de sa culture dans les autres milieux ou auprès des autres
communautés. Le substrat de cette singularité tient au fait que pour
montrer son engagement ou sa détermination dans quelque chose de très
symbolique, il est courant d’entendre les Songhaïs dire : « Les Songhaïs
n’entendront jamais que moi un tel, fils d’un tel ai commis ou ai posé cet acte
indigne. » Cette simple phrase est le summum de l’engagement dans ce
milieu culturel où le vol, le blâme, le parjure, la fourberie n’ont pas de
place ou sont bannis à jamais. Autrement dit lorsqu’un Songhaï lambda
commet une bavure, une connerie, un acte maladroit ou asocial, c’est

199
toute la communauté qui se sent humiliée, exposée et avilie. La noblesse
exige la « limpidité » dans les actes qu’on pose au quotidien. Certains
actes innommables obligent les Songhaïs à abandonner ad aeternam le
village ou la contrée, car ils le disent : « Bouyan Ba Hawi » dont le sens est
la mort est préférable à la honte.
Bref, les prétendants au mariage doivent être encadrés par les personnes
ressources (les oncles et tantes puis leur classe d’âge) qui sont leurs
mentors, leurs conseillers, leurs guides sur le sens et la portée de la vie
qui demeure un livre ouvert où on ne finit jamais d’apprendre. Les
épreuves de la vie seront simulées aux impétrants afin qu’ils puissent s’en
inspirer. Les liens de sang, la solidarité, l’entraide, le pardon sont les
vertus cardinales à cultiver et à entretenir pour toujours.
Pour appliquer à la lettre cet arsenal de vertus pour une meilleure
harmonisation de la société, les Songhaïs en cas de mariage font
accompagner la mariée de trois objets symboliques qui perpétuent le rite
traditionnel songhaï. Les trois objets sont contenus dans un van
incorporé dans les ustensiles de cuisine qui accompagnent la nouvelle
mariée. Il s’agit principalement de sana, de chilli et de walizé, signifiant
respectivement l’aiguille, le fils à coudre et enfin les cauris. Chaque objet
véhicule un message d’importance.
En effet, le sana est là pour rappeler à la nouvelle épouse et future mère
que sa mission primordiale dans le foyer est de « coudre les gens »
comme le fait remarquer F. T. ; en d’autres termes, la mariée doit être le
ciment qui consolide l’union entre les membres de la famille en posant
des actes d’union et non de séparation.
Le chilli quant à lui est le lien indestructible entre les membres de la
famille, voire de la communauté. Le fils est ici considéré comme le sang
qui ne doit jamais couler, et doit toujours rappeler aux gens que seule la
mort doit séparer les membres de la famille et de la communauté. Son
caractère écarlate désigne la pureté, l’absence de taches et d’ambiguïté. Ce
fils blanc symbolise aussi la langue qui ne doit être usitée que pour
harmonier et non pour défaire ou désunir.
Le troisième objet symbolique, le walizé, indique l’aspect spirituel sinon
religieux de la communauté songhaï. Le peuple songhaï est avant tout un
peuple de croyants, mais surtout un peuple qui, malgré la prééminence de
l’islam, reste très attaché à ses valeurs ancestrales (croyances aux djinns et
aux holleys). Le walizé est l’outil de l’art divinatoire. Les cauris

200
permettront à la jeune femme « de voir avant afin d’agir en amont » pour
contrecarrer les mauvais esprits et les mauvaises langues. Le walizé
permet aussi à la jeune dame de « surveiller son mari ». L’art divinatoire
lui permet d’être sur ses gardes et de pouvoir contrer à l’aide de
sacrifices, d’aumônes les ondes négatives en direction de la maisonnée ou
de la communauté.
Il y a lieu d’ajouter qu’avant la célébration du mariage religieux il y a un
ensemble d’exigences ou alada auxquelles le prétendant doit se
soumettre : le tiédanwindi est un présent qui comme son nom l’indique est
l’autorisation d’entrée en famille. Il ressemble un peu aux trois premiers
colas en milieu bamanan. À celui-ci s’ajoute Weygnegnayefedjo qui est un
mouton avec embonpoint à l’honneur « des mères » de la mariée. Ces
présents varient d’une contrée à l’autre mais ils ont le même objectif
« donner une valeur à la mariée ». Ces présents sont accompagnés de sel
gemme dont la saveur indique « qu’on en a toujours besoin », donc il
exprime l’idée de l’éternité, comme le mariage qui est scellé pour la vie.
D’autres pratiques coutumières interviennent avec la célébration du
mariage religieux dont le didigari ou le port du turban pour le jeune
garçon, le port du pagne chez la jeune fille qui sont des cérémonies
fastidieuses qui doivent impérativement se dérouler avant le mariage en
milieu Songhaï.
6. Le mariage religieux
Le mariage religieux a lieu lorsque tout le conciliabule préliminaire a pris
fin. Il a son pesant d’or dans ce milieu où l’islam est la première
référence. Il est le type de mariage le plus connu en milieu songhaï et le
plus largement pratiqué. C’est lui le vrai mariage en milieu songhaï. Il est
célébré à échéance convenue entre les parties. C’est le jour de la
célébration du mariage religieux qu’on prépare le walima, fête de
réjouissance à l’honneur des convives. Ce mariage est généralement
célébré après la prière de asr (prière musulmane de 16 heures) devant
toute la umma locale. Le rituel est presque codifié : l’imam vérifie la
présence effective des représentants, dans l’ordre, de la mariée et du
marié. Puis l’imam vérifie en posant une question si la fille est
consentante. Si la réponse à cette question est affirmative, il demande si
la dot a été versée. Si oui, l’officier religieux demande le nom des futurs
mariés, et commence ses bénédictions et prières pour la réussite et le
bonheur du nouveau couple. La cérémonie de prière terminée, l’imam
déclare le couple mari et femme conformément au rite musulman.

201
Le soir de cette célébration a lieu le zoullando qui signifie le transfert ou le
déménagement de la mariée chez son mari. Un festin est organisé en
fonction du pouvoir d’achat du marié.
Au cours de cette nuit de transfert, d’autres pratiques coutumières
interviennent : le hio-hilo qui est une danse faite par les mamans de la
mariée (tantes) au cours de laquelle l’on vente les qualités humaines de la
mariée tout en lui prodiguant des conseils utiles. Pendant cette danse,
beaucoup de présents bonsargueys sont offerts par les parents de la mariée
en fonction de la conduite sociale de la mariée.
Les amies de la mariée organisent pendant ce même moment le rapt de
celle-ci. C’est une technique qui consiste à cacher la mariée et à refuser
d’indiquer là où elle se trouve jusqu’à ce que les amis du marié payent un
mouton ou de l’argent convenu aux amies de la mariée.
Au cours de la célébration du mariage, les femmes portent
traditionnellement les habits qu’on appelle Gao-Gao dans la région de
Gao, qui constituent des sortes de Kobla-Gnebla (habit sans culotte)
cousus de fils noirs et de couleur bleue. Quant aux communautés de
Tombouctou, au cours de la cérémonie, elles portent le Toungou, voile
constitué de tissu très fin.
Le festin de mariage est l’occasion rêvée pour permettre aux jeunes filles
de porter des coiffures caractéristiques comme le Goffa (coiffure de
reine), ou bien le Zotta-Kamba. Ces deux coiffures sont spécifiquement
tressées par les jeunes filles non encore mariées.
À la sortie de la semaine nuptiale, la nouvelle mariée tresse le Bamba-
Bamba. À la première naissance, la femme tresse le Kokarey ou bien elle
peut aussi arborer une autre coiffure appelée le Zoumbou. Le défilé de ces
coiffures traduit la diversité et la beauté des tresses et de leur signification
qui n’est pas forcément apparente pour l’allochtone.
7. Le mariage civil
Le mariage juridiquement parlant est l’acte civil, public et solennel par
lequel un homme et une femme s’engagent librement à vivre ensemble
pour l’éternité. Il doit être célébré par l’officier d’état civil, et les gens qui
s’y engagent doivent avoir la maturité juridique.
Le mariage civil est le complément du mariage religieux. Pour la
communauté songhaï, il n’est connu et pratiqué que par les intellectuels

202
qui y ont un avantage. En effet, le mariage civil donne une « garantie » au
mariage en donnant plus de protection à la femme et en clarifiant les
obligations des parties contractantes. Il atténue l’arbitraire des hommes
surtout dans la société phallocratique du Mali où la polygamie est « un
sport favori », et la répudiation un recours très prisé en cas de déboires.
En milieu songhaï, on appelle ce mariage Annassareyhidjia signifiant le
mariage « blanc ». Il règle les problèmes de succession, de divorce, les
droits et les devoirs des parties, le choix de la résidence, etc. Bref, il
insiste sur le droit positif, issu du droit canonique. L’un des avantages les
plus notoires du mariage civil est la longueur de la procédure de divorce
qui doit se faire devant le juge, même s’il est célébré devant l’édile.
La procédure est stéréotypée : le marié doit faire une déclaration de banc
à la mairie du lieu quinze jours avant la célébration de l’union civile. Le
cérémonial est simple : le maire vérifie la présence des témoins de la
mariée et du marié. Puis il demande si la dot est payée et de quel
montant. Après, il pose la question primordiale à la mariée : une telle,
aimez-vous monsieur un tel ?
Si la réponse est affirmative, la question est posée au marié : monsieur un
tel, aimez-vous mademoiselle, une telle ? Si oui, on échange les alliances,
on se fait des câlins et on paraphe devant son nom le registre où sont
répertoriés les mariages du jour. Il est généralement suivi par un cortège
dont la taille varie en fonction du poids des mariés du jour.
Conclusion
Le mariage est une pratique commune aux sociétés humaines. La
communauté songhaï à l’instar des autres a ses propres rites et traditions
en matière de mariage. La communauté de langue songhaï est connue
pour son caractère conservateur et son repli identitaire. En matière de
mariage, les Songhaïs pratiquent traditionnellement l’endogamie. Mais
force est de constater que de nos jours de plus en plus nous assistons à
une diminution constatée du phénomène du mariage endogamique sinon
clanique au profit d’une ouverture lente mais résolue vers les autres
communautés avec l’interpénétration des cultures, du fait du brassage, de
l’administration, de l’emprise notoire de l’islam qui prône l’ouverture à
toutes les autres communautés partageant cette foi œcuménique qui
enseigne avec insistance l’égalité des hommes en dépit des considérations
suprématistes béantes. À travers cette production, nous avons juste
voulu dresser un répertoire des rites traditionnels de cette entité
culturelle qui attire et intrigue à la fois matrimoniale vers l’exogamie.

203
L’étude de cette fabrique de lien social qui est le mariage nous a permis
de voir que ce lien est avant tout rassembleur, une union de la
communauté, avant d’être celle de l’humanité tout court. Nous n’avons
pas hésité à noter que le mariage dans ce milieu ethnocentrique aigu à
sens vertical et horizontal est en train d’évoluer du fait de l’influence de
facteurs exogènes marquants. La vie en vase clos n’est plus de mise
aujourd’hui, l’heure est à l’ouverture, à l’interpénétration mutuelle, « au
donner et au recevoir ». Toutes les cultures doivent intégrer cette réalité
ou périr.
Les principales investigations menées sur le terrain et l’apport de nos
lectures des productions antérieures mais aussi la synthèse des divers
témoignages nous ont conduits à une moisson que nous avons codifiée
afin qu’elle puisse servir de base de données pour les futurs chercheurs
qui s’intéresseront à la question ultérieurement. Aussi que le mariage est
et demeurera un « miroir fidèle » des sociétés humaines.
Références bibliographiques
1. De Boysson B. (2012), « Mariage et conjugalité », LGDG, no 7.
2. Hama B. (1967), L’Histoire traditionnelle d’un peuple. Les Zerma-
Songhay, Présence africaine, Paris.
3. Servan-Schreiber F. (2003), Notre mariage, Albin Michel.
4. Lévi-Strauss C. (1948), Les Structures élémentaires de la parenté, p. 133.
5. Lévi-Strauss C., « histoire et ethnologie », in Annales Sciences sociales,
vol. 38.
6. Goody J. (2012), L’Évolution de la famille et du mariage en Europe.
7. Bologne J.-C. (1999), Histoire du mariage en Occident, Paris, Calmann-
Lévy, 475 p.
8. Gaudemet J. (1987), « Le mariage en Occident », 1988, p. 202–3.
9. Vasquez M. et Gertsch F. (2014), Mariage, union libre ? Quelles
différences. Un guide juridique.
10. Melchior Bonnet S., Salles C. (2001), Histoire du mariage : entre raison
et fortune, la place de l’amour, Éditions de la Martinière.

204
Chapitre 11

Le mariage tamasheq en milieu traditionnel


au Gourma à l’épreuve du changement social

Ousmane Ag NAMOYE,
Maître-assistant
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB) (Mali)
ousmaneagnamoyeyattara@yahoo.fr

Résumé : Avant la rencontre avec d’autres sociétés, voire d’autres


peuples, les Tamasheqs du Gourma, cette ethnie se situant entre le
Burkina, le Mali et le Niger, avaient développé un système de mariage
traditionnel autour de valeurs sociétales bien spécifiques. Tout mariage
était ainsi soumis à cette philosophie. Les différents éléments culturels
étaient ainsi transmis à chaque membre de cette ethnie, façonnant de ce
fait un être intégré dans sa structure sociale, assujetti au rôle qui lui est
assigné. Le mariage traditionnel en milieu tamasheq suivait un certain
nombre d’étapes bien définies. Mais de nos jours, les codes, du fait de
leur transmission orale de génération en génération, commencent à
s’altérer eu égard à un environnement estampillé par des influences
multiples et multiformes. Le mariage traditionnel tamasheq se trouve
alors en face de la dure épreuve de changement social inhérent à toute
société, engageant ainsi la transformation des différentes formes de
représentation à l’encontre des traditions ancestrales et de leurs valeurs.
Par l’entremise d’une analyse qualitative, ce travail tente de concevoir ce
changement, à travers les entretiens avec les personnes de tous âges.
L’objectif est de trouver les réponses à un ensemble de préoccupations à
savoir la philosophie du mariage traditionnel en milieu tamasheq, les
caractéristiques de ce mariage, ses techniques et ses valeurs de
transmissions, les étapes des systèmes, les difficultés liées à sa
sauvegarde, les différentes attitudes observables face au contexte dit
moderne et le type de société à bâtir par la mise en synergie de la
tradition et des éléments externes.
Mots clés : Changements de la société, Estampillé par des influences,
Mariage traditionnel, Tamasheq, Traditions ancestrales

205
Abstract:
Before meeting with societies and even other peoples, the Tamasheq of
the Gourma this ethnic group, located between Burkina Faso, Mali and
Niger, had developed a traditional marriage system around very specific
social values. Any marriage was thus subject to this philosophy. The
different cultural elements were thus transmitted to each member of this
ethnic group, thereby shaping a being integrated into its social structure
subject to the role assigned to it. The traditional marriage in a Tamasheq
environment followed a number of well-defined stages. But nowadays,
the codes, due to their oral transmission from generation to generation,
are beginning to deteriorate given an environment stamped by multiple
and multifaceted influences. The traditional Tamasheq marriage is then
faced with the hard test of social change inherent in any society, thus
initiating the transformation of different form of representation against
ancestral traditional their values. Through qualitative analysis, this work
attempts to conceive of this change. Through interviews with people of
all ages, the objective is to find answers to a set of concerns, namely the
philosophy of traditional marriage in the Tamasheq environment, the
characteristics of this marriage, its techniques and its transmission values,
the stages of the systems, the difficulties linked to its safeguard, the
different observable attitude toward the so called modern context and
the type of society to be built by the synergy of tradition and external
elements.
Keywords: Changes society, Imprinted by influences, Traditional
marriage, Tamasheq, Ancestral traditions

206
Introduction

Chez les Tamasheqs du Gourma, la vie comporte quatre événements


importants : la naissance, l’initiation, le mariage et la mort.
Le mariage est un devoir social qui apporte le bonheur dans la lignée, car
les enfants issus de ce mariage peuvent constituer un facteur de
renforcement des liens parentaux. Pour des raisons sociales, c’est au chef
de famille que la société donne le droit et le devoir de marier son enfant,
jamais l’enfant n’a le droit de choisir sa compagne.
Selon le dictionnaire Robert : « le mariage dans l’ordre civil est une union légitime
de l’homme et de la femme pour avoir des enfants, les élever et pour leur assurer les
droits des propriétés sous l’autorité de la loi. Afin de constater cette union, elle est
accompagnée d’une cérémonie religieuse, regardée par les uns comme un sacrement, par
les autres comme une pratique de culte public… » Quant au Larousse, il le définit
comme « une union légale entre l’homme et la femme ».
Partout en Afrique, le mariage est une nécessité. Pour l’homme tamasheq
en particulier, il faut se marier pour accéder à la dignité. Le mariage
(adouboun) chez les Tamasheqs du Gourma est un des moyens privilégiés
de conserver et de raffermir les valeurs auxquelles ils tiennent, ou de
progresser dans leur acquisition : fournir des enfants au groupe constitue
quelques éléments de valeurs. Donc le mariage devient un devoir et
mieux une obligation sociale. Le mariage traditionnel est un facteur de
renforcement des relations familiales.
Dès l’âge de 18 à 20 ans, l’homme se voit obligatoirement attribuer une
femme. Dans le mariage tamasheq, il y a une considération de rang
social. Le Tamasheq ne se marie pas à n’importe qui, ni dans n’importe
quelle famille. Le mariage est généralement de famille, voire de lignée et
attire l’attention de tout le monde.
Ce travail s’applique spécifiquement à la société tamasheq du Gourma
qui, à l’instar des autres sociétés du Mali, se trouve en perpétuelle
métamorphose. Depuis la colonisation jusqu’à nos jours en passant par
les indépendances, il y a eu assez de changements dans la vie de la société
tamasheq. Outre l’intensité des mouvements intervenus, l’obligation des
changements est le fait des agressions extérieures comme la colonisation
et l’irruption des religions monothéistes, en l’occurrence l’islam et le
christianisme. La désorganisation progressive de la société a provoqué la
perte de plusieurs éléments culturels portant non seulement sur la

207
formation du jeune tamasheq mais surtout sur la construction de sa
personnalité. Le type d’homme ou de femme idéal, jadis, qui faisait la
fierté du tamasheq se trouve aujourd’hui hypothéqué et remplacé par un
personnage sans repères. Les rencontres et associations pour valoriser la
culture, les festivals, les remémorations des séquences historiques ne sont
plus que des retrouvailles sans grandes valeurs. L’élément fondamental,
qui constitue le macrocosme ou la matrice de la société tamasheq (la
langue), est de plus en plus abandonné au profit d’autres médiums.
C’est pourquoi le mariage traditionnel au regard des hommes et des
femmes qui le perpétuaient était une des plus grandes institutions
respectées du tamasheq. Comme tel, il a pu susciter et suscite encore de
nos jours beaucoup d’interrogations. Si ces formes ont varié d’une
époque à une autre, d’un peuple à un autre, d’une ethnie à une autre, ses
objectifs fondamentaux demeurent les mêmes : fonder et protéger une
famille et la perpétuer. Ce sont donc toutes ces transformations qui nous
ont poussé à nous interroger sur le mariage traditionnel en milieu
tamasheq, ses caractéristiques, ses techniques, les étapes du système qui
sont liées à sa conservation au regard du changement social intervenu.
Autrement dit, quelle est l’importance de certains éléments de la culture
tamasheq du Gourma pour les générations actuelles ?
1. Matériels et méthodes
Ce travail a donné lieu à des entretiens informels et surtout semi-directifs
avec les personnes telles que les jeunes, les adultes et les anciens
(hommes et femmes) de la société tamasheq, puis à une analyse du
contenu des documents portant sur le mariage traditionnel en général et
sur le mariage en milieu traditionnel tamasheq.
2. Qui sont les Tamasheqs ?

2.1. Présentation du milieu


Le Gourma, selon Reichelt1 cité par Ibrahim Ag Rhaly dans son mémoire
de fin de cycle de l’École normale supérieure (1980-1984, p. 8), « est une
région naturelle de 308 920 km2, située dans la boucle du Niger, entre le 15e et le
17e parallèle et en majeure partie sur le territoire malien ». Il est limité au nord-
est et à l’est par le fleuve Niger. Au sud du 15e parallèle, le Gourma
s’étend légèrement en République du Burkina Faso, en République du
Niger, et passe progressivement aux régions naturelles du Gondo, de
l’Oudalan et du Liptako.

208
2.2. Historique des Tamasheqs
Comme certaines peuplades d’Afrique, l’origine des Tamasheqs n’a pu
être précisée de façon formelle par les historiens. Cependant, il serait fort
probable que les ancêtres des Tamasheqs fussent des populations qui
habitaient jadis les régions du Sud de la Lybie, auxquelles les Arabes
auraient donné, lors de leur invasion au VIIe siècle, le nom de Berbère.
C’est dans le cadre de recherche de pâturages que certaines tribus
berbères (les Garamantes) vont se retrouver dans le Hoggar (Sud
algérien).
« Vers 838, elles rejoignirent l’Adrar des Iffogas et fondèrent la ville de
El-Souk1. » Les Garamantes réputés braves et hommes forts seront
appelés par les autres tribus berbères : Tamasheq ; qui veut dire : le
« langage des plus forts ». Les Tamasheqs vont troubler les populations
du désert (Harratines, Sémites, Maures…) par des guerres tribales, des
pillages.
À la suite de la conquête marocaine (XVIe siècle), certaines tribus
émigrèrent vers le Gourma. Au début du XIXe siècle, les guerriers
tamasheqs menèrent une lutte farouche contre les troupes de Bonnier à
Takoubao. De 1914 à 1918, Firhoun Ag ALINSAR organisa la résistance
d’Endéramboukane et d’Ingonna.
2.3. Aspects socioculturels
En faisant ressortir les aspects sociaux et culturels des Tamasheqs du
Gourma, nous distinguons deux grands groupes :
− Les Blancs d’origine berbère, composés de nobles et d’hommes de
castes, ce sont des hommes libres repartis en plusieurs sous-groupes : les
Iffoghas, les Imouchag, les Kel-Essouk, les Kel-Alhorma, les Imghad, les
Ikamadayanes, les Ikorchatanes, les Kel-Adais… Leur pouvoir vient de la
puissance guerrière et de leur expérience en matière coranique. Les
nobles (Illalan) du Gourma jouissent d’une très grande considération en
général, ils sont éleveurs et possèdent les plus grands troupeaux.
− Les Noirs ou (Immikoualan), parmi lesquels il y a des nobles et
certains sont d’origine servile : les esclaves, les affranchis, les mulâtres et
hommes de caste.
Les Tamasheqs du Gourma ont une organisation hiérarchisée : la famille,
le clan, la tribu dirigés par un chef. Le chef de tribu s’appelle Aménokal.
Il est le chef politique et dispose de tous les pouvoirs. La succession est

209
collatérale (de frère à frère), soit patrilinéaire (de père à fils). Bien que cela
paraisse inconcevable dans certaines sociétés maliennes, la femme
tamasheq du Gourma est admise au conseil de famille et bien consultée
pour les affaires de la tribu. Ses avis sont écoutés avec beaucoup
d’attention.
L’éducation des enfants comme dans toute société est fonction de la tâche
qui lui est réservée. C’est ainsi qu’on éduque le jeune garçon tamasheq
dans l’espoir de faire de lui un bon éleveur. Dès l’âge de six ans, il suit les
chameaux, les veaux, les cabris, les agneaux afin de le pousser à aimer les
animaux.
Les actions des parents et des marabouts visent à assurer une éducation
morale basée sur le respect et l’obéissance aux parents et à toutes les
personnes âgées. Le Tamasheq du Gourma inculque à son enfant l’esprit
de clan, de tribu et de toutes valeurs susceptibles d’en faire un homme :
manier les armes (lances, épées, fusils, sagaies…), soutenir une famille,
effectuer des voyages en caravanes, récolter le fonio, abreuver les animaux
au puits, bref tout ce qui contribue à éveiller sa conscience de la place qu’il
occupe dans la société. Cependant, une devinette dit ceci : « Mon père ne me
l’a pas appris, ma mère ne me l’a pas appris, qu’est-ce ? L’acte sexuel. » Cette
devinette explique que les parents sont sensés apprendre tout à leurs
enfants sauf la question de sexe qui reste un tabou.
L’âge dans cette ethnie signifie le savoir, l’autorité, les règles de manière de
manger, de s’habiller, de se tenir en public. Comme nous le constatons
dans l’éducation traditionnelle des enfants, l’une des bases de la société
tamasheq est le respect des adultes et des vieux. Avant les influences
multiples et multiformes, les dures épreuves du changement social
inhérent à toute société, l’autorité du père était strictement respectée. Il
pouvait battre, punir comme il l’entendait son fils, mais jamais l’enfant
n’abandonnait sa famille.
Le sens de la dignité et de l’honneur est très élevé et pose une limite
constante à tous les actes, qui pourraient paraître dégradants. Une des
valeurs qui fait la force des Kel-Tamasheq, c’est le sentiment de solidarité qui
s’exprime par un réseau de prêts et de dons d’animaux entre les membres
d’un clan. Un voyageur qui traverse une contrée tamasheq du Gourma
peut ne pas apporter sa provision. À chaque campement où il arrive,
nourriture et couchette lui sont apportées.

210
Quant aux croyances, les Tamasheqs sont aujourd’hui musulmans, mais
leur islamisation est très superficielle et relativement récente. Malgré le
progrès de l’islam dans cette ethnie, les Tamasheqs ne se sont pas
débarrassés de leurs croyances anciennes. Ils sont toujours couverts
d’amulettes de formes variées qui sont censées les protéger contre les
mauvais sorts, les mauvais esprits, les maladies.
Au plan des réjouissances culturelles, les Tamasheqs dans leurs habitudes
sont des personnes qui aiment les réjouissances. Elles s’organisent à
l’occasion des mariages, des baptêmes, de sports traditionnels (course des
chameaux, lutte), mais surtout pendant les fêtes religieuses. Les plus
originales sont les Iswat, sorte de danse folklorique accompagnée de
chants qui ont pour thème majeur la bravoure guerrière, le Tendé, sorte de
tam-tam composé d’un mortier couvert de peau de chèvre bien tanné
animé par des femmes, auquel participent souvent les chameliers, et le
takamba organisé par les griots se rencontre dans les centres urbains
comme Rharous, Gossi, Bambara-Maoudé…
3. Le mariage en milieu tamasheq du Gourma

3.1. Les différentes sortes de mariages


Chez les Tamasheqs du Gourma, il existe trois sortes de mariages : le
mariage endogame, le mariage par aumône (takouté) et le mariage mixte.

3.1.1. Le mariage endogame


Communément appelé le mariage de famille, ce mariage est très
recommandé en milieu tamasheq. Il est défini comme un renforcement
des liens et des relations familiales. Le mariage endogame sauvegarde
l’honneur et la dignité des deux familles. Il entraîne l’entente au sein de la
lignée. Ce mariage est fréquent sous sa forme la plus stricte, c’est-à-dire
entre les enfants de deux frères (cousins et cousines). On peut aller loin
« se marier avec la fille de son oncle, c’est en quelque sorte s’unir avec soi-même »,
selon Carmel CAMILLIRI dans son ouvrage intitulé Jeunesse, Famille et
Développement, 392 pages.
3.1.2 Le mariage par aumône
Ce type de mariage est très rare chez les Tamasheqs. Les bénéficiaires
sont généralement des personnes distinguées par leurs vertus (marabouts
par exemple) ou par leur condition de vie (gens moins aisés n’ayant pas
les moyens matériels pour se marier). Les dépenses sont très réduites ou
pratiquement inexistantes. Comme présents l’homme donnera seulement

211
quelque chose qui tient lieu de valeur symbolique (mouton, nattes,
céréales…) aux femmes qui conduiront la fille chez le nouveau marié.
Cependant il peut faire des cadeaux à sa femme.
3.1.3 Le mariage mixte
Le mariage mixte est plus fréquent que le mariage par takouté. Ce mariage
était celui qui s’établissait entre un noble (élal) et une esclave (taklit). Ce
mariage mixte a une particularité parce que le prétendant devait ennoblir
sa future conjointe. Le sens inverse de ce mariage était impossible.

3.2. Les exigences du mariage


Le mariage défini comme nécessité requiert des obligations sociales
mises en place par la société. C’est dans ce cadre que s’inscrivent la dot et
les présents.
3.2.1. La dot
La dot (tagalt) est un symbole qui rend le mariage légitime et légal
religieusement. C’est un des piliers sur lesquels repose le mariage en
milieu tamasheq. Elle est évaluée en tête d’animaux et varie selon les
groupes sociaux et est fixée en accord entre les parents des deux jeunes
gens.

– Chez les Illalan (les nobles) : la dot pouvait être évaluée à quinze (15)
chameaux ou trente (30) bœufs ayant au moins trois ans. Le mariage ne
peut être célébré avant la remise intégrale de la dot à la famille. Avec la
dégradation du cheptel à cause des différentes sécheresses, rebellions et
guerres inter- et intraethniques, la dot a connu une baisse considérable. À
cela il faut ajouter l’impact du modernisme qui a beaucoup pénétré cette
population aujourd’hui.

– Chez les hommes de caste, la dot est presque insignifiante par rapport
à celle des Illalan. Le montant est fixé en commun accord par les maîtres
des futurs conjoints. La dot est généralement exprimée en ovins ou en
caprins. Elle n’est souvent remise qu’en partie lors du mariage, le reste
mis en traite.
3.2.2. Les présents
Après chaque récolte, le jeune homme ou sa famille doit envoyer un sac
de céréales (tamchit) pour sa belle-famille. À chaque fête de tabaski, la
belle-mère a droit à un animal. Le fiancé peut offrir à sa femme des
vêtements, de l’or ou de l’argent. Ces exigences ne sont pas strictes pour

212
les divorcées et les veuves. Chez les Tamasheqs du Gourma, le mariage
peut être empêché par plusieurs facteurs :
– il est interdit de se marier avec sa nourrice, avec l’enfant de sa nourrice,
ou avec une femme ayant été nourrie du même sein que soi-même (sœur
de lait) ;
- des interdits existaient entre certaines tribus notamment entre les
Imgad et les Ifoghas ;
- désaccords sur la dot ou non-consentement du père ou du tuteur de la
fille.
3.2.3. Les fiançailles
Le choix du conjoint, qu’il s’agisse d’une fille ou d’un jeune homme qui
se marie pour la première fois, est l’affaire des parents. Ayant le souci de
réaliser une union harmonieuse, les parents pensent connaître mieux que
quiconque le caractère de leur fille ou de leur fils pour choisir le jeune
homme ou la jeune fille qui lui convient.
Parfois, plusieurs prétendants peuvent aspirer à la même fille. Dans ce
cas, dès que l’un d’eux est agréé, on le fait savoir afin que les autres se
retirent. Lorsque le père souhaite avoir la main d’une jeune fille pour son
fils, il fait des recherches pour obtenir des renseignements précis sur
cette dernière, auprès des habitants du campement de la jeune fille. Il
cherche à savoir si la fille n’est pas déjà fiancée tanoudeft.
Les opérations de fiançailles se font de la manière suivante : le père du
prétendant choisit certains amis de son fils, qui attendent la nuit pour
abattre un bélier dans la future belle-famille. Le lendemain, un des amis
revient expliquer les motifs de leur venue de la veille, c’est ce que les
Tamasheqs appellent étar (demander la main de la fille). Si les parents de
la fille ont accepté les fiançailles, ils mettent la famille du garçon au
courant par l’intermédiaire d’un notable. Le père du jeune homme envoie
des vêtements pour sa belle-famille. Ces types de vêtements dépendent
de l’âge de la fiancée : si la fille est très jeune (5 à 14 ans), c’est la gandoura
(sorte de grand boubou qui atteint les chevilles), si elle a presque l’âge de
se marier (15 à 22 ans), la fille se contente de Igalalan (sorte de tissu léger
trempé dans de l’indigo pouvant mesurer jusqu’à cinq mètres de long sur
un de large). À partir de cet instant, la fille portera un bracelet au poignet
droit ou une bague à l’annulaire gauche (ce qui symbolise les fiançailles
tamasheqs). Les fiançailles peuvent durer des années (5 à 13 ans), si les

213
fiancés n’ont pas l’âge de se marier. Si l’un des fiancés meurt, il est
remplacé par son frère ou sa sœur.
Les fiancés tamasheqs ont des obligations, ils restent chez leurs parents
respectifs jusqu’au mariage et ils ne doivent pas faire des rapports sexuels
jusqu’à la célébration des noces. Ils se font fréquemment des cadeaux, et
le fiancé doit rendre visite à ses futurs beaux-parents au moins une fois
par mois. Ceux-ci doivent le recevoir avec tous les honneurs.
Chez les Tamasheqs du Gourma, il n’y a pas de cérémonies populaires
pour les fiançailles. Après que la dot est versée a lieu la célébration
traditionnelle du mariage, qui consiste à faire célébrer les noces par un
marabout. Une nuit de jeudi (le jeudi selon la conception tamasheq est
sacrée et apporte le bonheur) est organisé dans la famille de la jeune fille
ce qu’on appelle : Ewétt n’aghorat (proclamation religieuse du mariage). Il
n’y a pas de témoins particuliers pour la célébration des noces, tous les
hommes du campement sont invités à l’occasion de cet événement. Des
plats de viande et de la crème sont distribués aux hommes en guise de
sacrifice. En présence de ces hommes, le marabout récite quelques
versets du coran pour lier religieusement les prétendants. Après ces
versets, le marabout demande aux participants de faire la « Fatiha », pour
souhaiter le bonheur dans ce mariage. Cette étape est suivie par le azalay.
La date de azalay est décidée par le père du jeune homme et
communiquée à la belle-famille. Cette dernière peut demander le report
afin de mieux préparer le trousseau de la fille. Dès que toutes les
conditions de azalay sont remplies, le fiancé et ses amis se préparent pour
l’entrée de leur nouvelle femme. La nuit prévue pour le azalay comme
annoncé est le jeudi. Tout le monde (hommes et femmes) est invité.
L’entrée a lieu à la présence de quelques imgharen (les vieux) notables. Le
père du jeune homme chargera certaines femmes (10 ou 20) d’aller
chercher la fiancée. Ces femmes sont bien accueillies dans la belle-famille
(considérations, eau, repas).
Après un bref repos, elles accompagnent la fille qui est habillée en blanc,
le visage couvert. À l’approche de la tente nuptiale de (50 à 30 m), le
cortège s’arrête et les femmes qui ont été envoyées par le père du jeune
garçon regagnent la tente nuptiale, où le jeune est bien drapé entre ses
camarades, pour dire : « votre femme se trouve dans un tel lieu, allez-y la chercher
si vous voulez d’elle ».

214
Immédiatement les amis de l’homme partent la chercher. Généralement,
les cousins ou les amis de la fiancée s’opposent au départ de celle-ci. Les
camarades du jeune homme donnent alors des cadeaux de toutes sortes
(argent, animaux, turbans, sandales, parures…) et amènent la fiancée qui
pleure et donne l’impression de ne pas vouloir entrer chez son fiancé.
La fille doit pénétrer dans la tente nuptiale, le pied droit en avant, ce qui
veut dire qu’elle souhaite apporter le bonheur dans le foyer. Dès l’entrée
de la fiancée, les griots font les éloges des conjoints et de leurs parents.
Les invités participent au repas cérémonial. La tente nuptiale doit durer
une semaine pour les jeunes mariés, mais pour les divorcés et les veuves
elle peut se limiter à trois jours.
Le mariage est toujours suivi de festivités qui prennent l’allure d’un
étalage de richesse chez les Tamasheqs du Gourma. C’est ainsi que les
manifestations peuvent se dérouler toute la durée de la tente nuptiale.
Plus la fête est grande, plus le mariage a une grande renommée. Il n’est
pas rare d’entendre : « le mariage d’un tel a été une véritable réussite ; il faut que
les festivités du mariage de mon enfant égalent celles d’un tel ».
À la fin de la semaine nuptiale, la nouvelle mariée doit remettre à sa
belle-mère une bague pour témoigner sa virginité. Dans le cas contraire,
tout le monde comprend ce qui est arrivé, et une gêne sans égale
s’empare de la famille. Or, le Tamasheq accepte tout sauf la honte ou
l’humiliation.
4. Le foyer conjugal

4.1. Les rapports sociaux entre les conjoints


La timidité existe entre les époux tamasheqs comme elle demeure entre
le père et son fils aîné. Des tâches différentes séparent les deux sexes,
chacun des conjoints les poursuit de son côté au long de la journée :
l’homme au pâturage, la femme à l’aménagement de la tente.
Chez les Tamasheqs du Gourma, il est tout à fait honteux de se montrer
dans la journée aux côtés de son mari ou manifester son affection pour
lui devant les gens.
Lorsque le mari meurt, la femme n’hérite rien de lui. Veuve, elle peut
prendre sa liberté. Le mariage avec le cadet du défunt nécessite toujours
son consentement. La polygamie est un phénomène très fréquent, mais
la femme tamasheq se montre ardemment partisane de la monogamie.

215
Une Tamasheq considère la polygamie comme un désavantage parce que
les vaches laitières seront réparties entre les femmes. Dans une famille
polygamique, la première femme est la maîtresse de la famille.
4.1.1. Les devoirs conjugaux
En ce qui concerne les devoirs conjugaux, les Tamasheqs n’ont rien de
particulier à l’instar des autres sociétés maliennes.
– la fidélité est l’essence du mariage quand bien même elle ne s’impose
pas avec la même rigueur au mari qu’à la femme, en ce sens que
l’infidélité du premier est tolérée du fait même de la supériorité de
l’homme sur la femme ;
– le devoir d’assistance réciproque ne doit pas faire défaut. Il s’agit de
garantir la solidarité entre les époux et de ne pas tolérer que l’un d’eux
abandonne l’autre dans un état de santé inquiétant.
4.1.2. Le divorce
Le divorce est une pratique fréquente chez les Tamasheqs du Gourma. Il
est prononcé en présence de quatre témoins tidjouhawen en raison de deux
pour chaque conjoint.
Le divorce peut avoir lieu par consentement mutuel. La femme peut
demander le divorce, c’est d’ailleurs bien souvent elle qui provoque la
rupture. Les raisons invoquées par cette dernière sont généralement : les
mauvais traitements des parents du garçon, l’insuffisance d’entretien, le
détournement d’animaux, l’inconduite et très rarement le non-paiement
du reliquat de la dot.
L’homme invoque le plus souvent l’inconduite, l’infidélité,
l’incompatibilité d’humeur, très souvent la mésentente entre la femme et
ses beaux-parents. Il y a aussi le cas de quelques maladies, telles que la
lèpre, la folie qui peuvent être la cause de divorce.
La femme qui veut divorcer peut refuser des rapports sexuels avec son
mari, pour que ce dernier demande le divorce.
Chez les Tamasheqs, le divorce est très simple, il suffit à l’homme de dire
« Je te renvoie chez tes parents », pour que le mariage soit rompu. Souvent
l’homme dissimule son jeu et envoie sa femme pour quelques jours dans
sa famille, ensuite il délègue une vieille femme tamghart de son
campement aux parents de sa femme pour leur annoncer la rupture du
mariage.

216
Si c’est l’homme qui provoque le divorce, la dot reste la propriété de la
femme. Dans le cas contraire et dans des cas très rares, la dot est à
rembourser. Les enfants restent à la charge du père même s’ils suivent leur
mère.
La femme ne peut se remarier avant trois mois, si le mari veut reprendre sa
femme répudiée, un nouveau mariage est nécessaire et une nouvelle dot
moins importante que la première doit être payée aux parents de la femme.
En cas de décès d’un conjoint, le mariage est aussitôt dissous, celui-ci n’est
consommé pour la femme qu’après le veuvage. Le délai de viduité est
entre quatre mois et dix jours pour les « Ilalan » et de deux mois et cinq
jours pour les hommes de caste. La veuve se reconnaît par un fil blanc
qu’elle porte en collier pendant la viduité.
Dans la tradition des Tamasheqs du Gourma, une femme divorcée n’a pas
le droit de porter des parures, ni autres objets de maquillage, pour qu’elle
ne provoque pas un sentiment d’amour chez les hommes, jusqu’à un délai
de trois mois. Cette femme est obligée de faire la rotation entre tous les
parents pendant ce trimestre. C’est à cette occasion qu’elle explique les
motifs de son divorce.
5. Réflexions et attitudes adoptées sur le mariage traditionnel face
au contexte moderne
Le mariage traditionnel des Tamasheqs du Gourma est de nos jours mis à
rudes épreuves si bien que les pessimistes président déjà de la disparition
très prochaine de la langue tamasheq avec tout le contenu culturel qu’elle
véhicule. Le modèle ci-dessus décrit est de moins en moins accepté par
toutes les communautés tamasheqs. Les différentes étapes par lesquelles
tout mariage devrait se faire pour atteindre le statut d’homme ou de
femme souhaité ne sont plus de rigueur et ne semblent plus engager les
parents aux yeux de la société.
5.1. Quelques réflexions sur le mariage traditionnel tamasheq
Qu’il soit traditionnel ou civil, le mariage est aussi conçu pour discipliner
les relations sexuelles, en vue de la procréation des enfants légitimes.
Dans la société traditionnelle tamasheq, seul le mariage assure ce qui est de
droit à un individu : on ne peut accéder au pouvoir sans être marié ou sans
être issu d’un mariage légitime. Un enfant naturel ne peut rien hériter de
son père. C’est pourquoi le nom de famille est obligatoirement le nom du
père (ag = fils de, wallet ou ouallet = fille de).

217
Le mariage permet de s’épanouir et de se développer, cela se réalise par
l’extension de la famille. Il permet également à chaque membre de la
cellule familiale de participer à son propre développement et de
participer efficacement au progrès de la société. À cet effet, Paul
BODOT affirme : « Le mariage apparaît ainsi à la fois comme devoir social, un
facteur de survie individuelle et collective, et, comme signe d’un équilibre social. »
On ne parle d’ancêtre, de fondateur de lignage que si l’homme s’est
marié et a eu une ascendance. La généalogie que les griots utilisent pour
faire des éloges est le fruit du mariage.
L’importance du mariage dans la société traditionnelle tamasheq se
justifie surtout par la place que la femme y occupe. La femme est la
cheville ouvrière dans cette société, compte tenu de son activité. Le rôle
de la femme tamasheq dans la société mérite d’être évoqué, car il a un
intérêt certain chez les personnes qui les côtoient. Certaines femmes sont
très instruites en tifinagh (écritures très anciennes qui ressemblent aux
hiéroglyphes).
Contrairement à la thèse que beaucoup de sociologues avaient soutenue
au colloque d’Abidjan : « La femme africaine doit se soumettre à son mari, dont
elle est “l’esclave”, elle est un objet de plaisir “acheté” par le mari, elle n’a pas le droit
à la parole… ».
La femme tamasheq du Gourma n’est pas esclave de l’homme, son avis
est demandé dans la gestion de la famille aussi bien que la société, même
si hiérarchiquement l’homme est le chef de famille. Le mari consulte
toujours sa femme pour les décisions importantes. Ses avis sont les
bienvenus surtout quand ils sont en harmonie avec ceux de l’homme. Les
projets sont discutés en présence des femmes du foyer. Cela est
nécessaire pour la paix du ménage et montre également le degré
d’émancipation de la femme tamasheq. La femme est souvent mieux
placée pour transmettre le savoir à ses enfants ; en l’occurrence, les
connaissances relatives aux généalogies, à la répartition des terres et des
animaux, à la gestion des ressources de la famille.
5.1.1 Au plan culturel
La puissance créatrice de la femme dans l’art (décoration, modelage
connaissance des tifinaghs) continue d’être un des traits dominants de la
culture tamasheq.

218
5.1.2. Au plan économique
Elle participe efficacement aux récoltes de fonio et de mil. Certaines
femmes cultivent une portion de terre pour leur intérêt personnel. Les
produits artisanaux et les produits de cueillette apportent beaucoup pour
le développement de la communauté.

5.1.3 Au plan politique


La femme prend part souvent aux assemblées des hommes. Grâce à son
instruction, à sa connaissance approfondie des us et coutumes de la
tribu, elle est le plus souvent consultée pour les affaires concernant la vie
de cette dernière. Ses avis sont écoutés avec beaucoup d’attention.

5.1.4 Au plan religieux


Pour l’animiste, le chrétien ou le musulman, le mariage est un sacrement
qui trouve son origine dans l’histoire de l’homme. Le Gourma est une
région qui a toujours connu l’instabilité (discorde entre familles et entre
tribus). C’est ainsi que les religieux utilisent le mariage comme le meilleur
moyen pour assurer la paix entre deux tendances. On entreprend un
mariage avec une personne de l’opposition pour améliorer les relations
dans la plupart des cas. Le but du mariage est aussi de créer et de
stimuler des alliances entre différents groupes ethniques.
Avec l’islamisation et la christianisation, plusieurs concepts ont changé,
bien que les Tamasheqs aient une foi superficielle de l’islam et du
christianisme. Certains croient toujours aux cultes des ancêtres. Les
Tamasheqs considèrent le mariage comme un devoir fécond. Ils
célèbrent le mariage religieux d’une manière différente du mariage
religieux de certaines ethnies. Contrairement aux musulmans bambaras et
peuhls et autres ethnies du Mali qui célèbrent le mariage à la mosquée
devant tous les fidèles, les Tamasheqs font appel au marabout à leur
domicile.
Pour cette catégorie de Tamasheqs, le mariage entraîne le bonheur dans
le foyer. C’est quand on se marie qu’on bénéficie d’une véritable
assistance de Dieu. Ils considèrent également que le mariage est la
solution de nombreux problèmes, notamment la prostitution, la
procréation des enfants naturels.
Chez les Tamasheqs du Gourma, le cola n’a aucune valeur dans les
opérations de mariage, il est remplacé par le cheptel.

219
5.2. Les difficultés liées à la préservation du système et les attitudes
adoptées face au contexte moderne
Parmi les difficultés évoquées par les personnes ressources ayant généré
la destruction progressive des systèmes éducatifs tamasheqs, nous avons
la colonisation, l’irruption des religions monothéistes (islam,
christianisme), les médias dont le dénominateur commun est la diffusion
des pratiques étrangères très nocives pour la survie des concepts
traditionnels datant des millénaires.
5.2.1 La colonisation française
Pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé, celui de l’exploitation maximale
des ressources, la colonisation française a procédé à la déstructuration
des dispositions traditionnelles par son système incommodant
d’assimilation. La méthode a consisté à une dégradation progressive des
structures mentales à travers l’école et la monnaie.
5.2.2. L’école
Elle a fortement contribué par son implantation à l’élimination du
substrat socioculturel de l’environnement des Kel-Tamasheq du Gourma
(ceux de la langue tamasheq). Elle s’est étalée par un monopole croissant
de transmission de ses savoirs comme seule valeur qui vaille comme
exemple de civilisation. Or, il est accepté que l’école n’est pas le seul lieu
d’éducation, ni son lieu fondamental.
5.2.3. La monnaie
Elle a entraîné la disparition du troc et l’apparition de la propriété privée
engendrant du coup la culture de l’individualisme. Une nouvelle
philosophie s’installe : celle de la recherche effrénée du bien-être
individuel au détriment de l’esprit de la famille. Le jeune tamasheq
échappe de plus en plus au contrôle de la collectivité pour devenir le
produit d’une société sans repère.
5.2.4. Les religions monothéistes
Principalement l’islam, par la prolifération des mosquées qui sont de plus
en plus légion dans le milieu tamasheq. Les messages des imams, qui se
réfèrent au coran au-delà des convergences avec le modèle traditionnel
tamasheq, constituent de véritables instruments de transmission de
cultures étrangères. Par le truchement de ces nouveaux modèles
d’éducation sont introduites des pratiques qui poussent à l’abandon de
plusieurs concepts ancestraux considérés comme dégradant, haram (interdits
ou relevant du domaine de satan), mais jadis encrés dans le terroir tamasheq.

220
Cela ne peut donner naissance qu’à une nouvelle approche ou disons à de
nouvelles visions du monde.
5.2.5. Les médias
La radio, la télévision et les technologies de l’information et de la
communication (TIC) à savoir le téléphone portable, les journaux, l’outil
informatique ont étouffé les outils traditionnels (crieurs publics, fumée,
coup de fusil, héraut, tabalé). Le contrôle des informations et le mécanisme
de la transmission des valeurs jadis sous l’égide des chefs traditionnels sont
devenus populaires, livrées à qui veut les prendre et les transmettre. Ce qui a
poussé à des traitements et à des interprétations diverses et diversifiées.
Ce processus a amené les Tamasheqs à s’interroger sur l’importance de
certaines valeurs et usages élevés en modèles de conduites sociales. Il se
retrouve alors dans une hybridité sans pareil ne parvenant plus à faire la
différence entre ce qui est traditionnel et ce qui est moderne. Sa personnalité
se trouve, à cet effet de plus en plus, diffuse dans les sinuosités des
changements provoqués par la comparaison des cultures occidentales,
orientales et africaines. Les nouvelles générations sont de plus en plus
sceptiques quant à l’importance du système éducatif traditionnel caractérisé
par le respect de la parole donnée, l’union, la solidarité et l’entraide. Le jeune
Tamasheq se trouve dans une sorte d’aventure ambiguë qui fait penser aux
propos du héros Samba Diallo du romancier Cheik Hamidou KANE : « Je
ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d’une
tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis
devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une
nature étrange, en détresse de n’être pas deux. »
5.3. Les attitudes face au contexte moderne
Les Tamasheqs du Gourma face à l’évidence du changement ont adopté un
certain nombre d’attitudes les poussant à se rétracter sur eux-mêmes.
5.3.1. La réticence
Les Tamasheqs sont en effet opposés à tout ce qui peut ébranler,
détruire ou déstructurer la culture ancestrale. C’est pourquoi
l’administration rime avec cet étranger qui vient s’immiscer dans les
affaires internes. Les Tamasheqs n’ont retenu de l’administration que des
aspects négatifs : les impôts, les réquisitions de chameaux, les travaux
forcés, la scolarisation des enfants… Ils assimilent l’administration à la

221
contrainte, à la force qui commence par l’enregistrement des actes d’état
civil, passe par le recensement administratif, la collecte des impôts, les
rafles d’enfants par les autorités administratives. Pour expliquer
davantage cette réticence des nomades, nous devons aussi tenir compte
de l’inadaptation d’un mode de vie mobile.
En effet, ce sont ses facteurs qui entraînent une défiance et une méfiance
constante, exprimées par diverses techniques d’échappatoires. C’est
pourquoi les naissances sont passées sous silences afin d’éviter le
recrutement scolaire et la paye des impôts.
5.3.2. Les coutumes
Les situations les plus délicates se situent au niveau des déclarations de
mariage. Elles se situent d’abord au niveau de l’âge de la fille, des
modalités de divorces et de la gêne de dire oui en public. Pour le
Tamasheq du Gourma, il est inconcevable, indigne et honteux de dire en
public qu’il aime une fille. Ils célèbrent souvent les mariages des filles à
l’âge de 10 ans, car avec le principe du gavage on croit avoir à faire à une
fille majeure, cela est incompatible avec les principes de l’état civil. Chez
le Tamasheq, le divorce est facile, tandis que, quand on établit un acte de
mariage, le divorce est extrêmement difficile.
Le Tamasheq ne voit aucun intérêt à l’établissement des pièces d’état
civil. Les distances à parcourir et les dérangements qui en découlent sont
importants.
5.4. Quelle société tamasheq contemporaine ?
Les tendances à l’universalisme et la mondialisation que nous observons
actuellement au sein de la société tamasheq contribuent à la perpétuation
d’une aggravation des phénomènes particularistes et identitaires.
Dans cette situation, quand bien même impossible de se mettre à l’abri
de la marche inexorable de l’histoire humaine, le Tamasheq du Gourma
se doit de mettre en valeur sa culture. Cela passe d’abord par un élément
fondamental : la promotion de la langue tamasheq. L’objectif dans ce
cadre précis est de former le maximum d’enfants, de jeunes et même
d’adultes afin de perpétuer, de répertorier et de transcrire les
connaissances traditionnelles (contes, devinettes, mythe louanges,
légendes, proverbes, dictons…).

222
Une campagne de sensibilisation et d’explication sur la question de
l’administration, son retour dans les zones du Gourma, doit être la
question nodale des autorités du pays. Puisque nous avons à faire à une
population nomade, dans le cadre de l’éducation, nous pensons que la
mise sur pied d’écoles nomades où d’écoles à classe unique (ECU) serait
une solution à la déperdition scolaire.
L’école permettra sans doute de créer une certaine dynamisation de
l’enseignement qui poussera les Tamasheqs à s’ouvrir aux autres. Car
pour paraphraser Aimé CÉSAIRE ; la rencontre de deux cultures est
toujours positive, mais la façon par laquelle se fait cette rencontre mérite
une certaine attention.
Si bien que notre sujet d’étude dans son ensemble serait compris par le
Tamasheq, ce qui lui éviterait un renfermement sur lui-même. Le mariage
ne serait plus entouré d’un certain nombre de tabous et de certaines
considérations désuètes, qui le rendraient caduc.
Conclusion
Au terme de cette réflexion, il est important de rappeler que la société dont
il s’agit, c’est-à-dire les Tamasheqs du Gourma, a une tout autre idée du
mariage. La colonisation, l’irruption des religions monothéistes et les
médias, malgré la réticence de ce peuple, vont porter un coup au
processus. En effet, le Tamasheq comme d’ailleurs toutes les autres
communautés du Mali sera soumis à un changement social qui aboutira à
une déstructuration culturelle.
Cependant, l’importance du mariage dans la société tamasheq est relative à
cette société, c’est-à-dire ses conditions de vie, sa structure sociale,
économique culturelle. La particularité du mariage tamasheq est que le
mariage se célèbre traditionnellement, c’est-à-dire entre le marabout, les
parents et les amis. Pour se marier donc le Tamasheq n’a pas besoin d’aller
voir le maire, l’administration ou toutes autres institutions ne signifiant
pour lui qu’impôts, exactions et violence.
Aujourd’hui, il est louable de constater que cette attitude de replis à
tendance à s’émousser. Le Tamasheq est de plus en plus ouvert aux autres
ethnies du pays et du coup il se crée une certaine symbiose.
Références bibliographiques
Ag FONI A. (1975-1979), « L’Impact socio-économique de la sécheresse
dans le cercle de Kidal », ENSUP, Mémoire de fin de cycle.

223
N’DIAYE B. (1970), Les Groupes ethniques du Mali, Bamako, Éditions
populaires, coll. : Hier.
MAÏGA B. N. (1981-1985), « Le mariage traditionnel en milieu Songhaï et
le code malien de mariage », INA, Bamako, Mémoire de fin de cycle.
KANE C. H. (1961), L’Aventure ambiguë, Paris, Julliard.
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KOUYATÉ S. B. (1970), Sous l’orage suivi de la Mort de Chaka, Paris,
Présence africaine.

224
Chapitre 12

Le mariage traditionnel et cultuel chez les Buwa du Mali :


la place de la femme dans le processus du déve loppement
socioéconomique

André KONÉ,
Enseignant-Chercheur
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako, Mali.
kone.andre@gmail.com

David COULIBALY,
administrateur des arts et de la Culture,
Ministère de la Culture du Mali.
dacoul@yahoo.fr

Résumé
Le mariage traditionnel – dans la composition des sexes qui forment une
union et dans sa compréhension temporelle par rapport au mariage des
temps modernes et postmodernes – varie d’une société à l’autre, d’un
groupe ethnique à l’autre, voire d’une communauté à une autre. Chez les
Buwa du Mali, il se caractérise par la présence et le respect de rites et de
pratiques séculaires. Le présent article a comme objectifs de décrire les
démarches, les rites et les pratiques qui confèrent à ce type de mariage
son caractère traditionnel et de décrire le rôle que joue la femme bo sous
le toit de son mari, une fois le mariage consommé.
Mots clés : Buwa, Culte, Femme, mariage traditionnel, Rite
Abstract
Traditional marriage – taking into account the sexes forming a union and
marriage as it was understood in the old days – varies from one society
to another, from one ethnic group to another, and from one community
to another. Among the buwa of Mali, traditional marriage is
characterized by the presence and the respect of age-old rites and
practices. The present paper aims at describing the steps, rites, and

225
practices which confer to this type of marriage its traditional character. It
also aims at describing the role of the bo woman once she gets married.
Keywords : Buwa, Cult, Woman, Traditional marriage, Rite

226
Introduction

Les traditions africaines sont le résultat des activités quotidiennes des


femmes et des hommes du continent africain. Elles se présentent sous
forme d’activités physiques, de coutumes, de traditions orales séculaires
et sont transmises de générations à générations dans des contextes rituels
appropriés. C’est pourquoi il est souvent pari risqué d’attribuer une
tradition à un fondateur. Par contre, il existe des traditions et des
pratiques cultuelles considérées comme fondements de la vie. En effet,
les Africains, en général, et les Buwa, en particulier, considèrent certains
rites, certains cultes et certaines traditions comme des éléments
fondateurs de leur existence. En Afrique noire, chaque communauté
avait une seule tradition, propre à elle, pour gérer, célébrer ou
accompagner des aspects importants de la vie de la communauté comme
la naissance et le baptême, le mariage, la mort (les funérailles), etc.
En Afrique noire, le mariage est souvent considéré comme étant le noyau
central autour duquel la vie de toute une communauté tourne. C’est à la
faveur du mariage que les vivants, les morts et les « non-encore-nés » se
rencontrent. Ces trois catégories d’êtres forment une seule communauté
en trois dimensions. Chacune d’elles est essentielle et constitutive pour la
bonne marche de la communauté. Un mariage ne se situant pas dans ce
contexte communautaire ne mériterait pas son nom.
L’union entre homme et femme a vu le jour dans le souci de perpétuer la
vie humaine et a été consacrée par la communauté puis par la volonté
des parents des deux conjoints. Chez les Buwa du Mali, cet acte combien
sacré était soumis à des principes et à des règles rigoureuses et
inviolables. Le mariage est la manifestation des confidences, de
l’engagement, au-delà du couple et des communautés dont sont issus les
protagonistes du mariage. La transgression des règles et des principes en
place n’était point tolérée. Les violer exposait le coupable à des sanctions
de tous genres.
L’ethnie bo est constituée de plusieurs communautés qui se retrouvent
dans l’unité du « Do », l’élément fédérateur des Buwa. Rien de
substantiel, touchant la vie des Buwa, ne se faisait sans l’implication du
« Do », sans référence à lui. Le Do, selon Koné (1999, p. 40), est l’esprit
et la force de cohésion de toutes les communautés buwa par
l’intermédiaire du Do-so (celui qui possède le Do et détient le « couteau
des sacrifices »).

227
Le présent article comprend trois grandes parties qui abordent trois
éléments essentiels sensés perpétuer la vie des communautés buwa, suite
à la fondation d’unions entre les hommes et les femmes buwa : le
mariage traditionnel, le mariage cultuel et la place de la femme dans le
processus du développement socioéconomique en pays bo.
1. Le mariage traditionnel
La culture bo est l'une des cultures maliennes les plus anciennes, mais
parmi les moins exploitées depuis les temps anciens jusqu' à nos jours.
Beaucoup d'auteurs ont, certes, écrit sur les Buwa et sur leur culture
(Boni, 1962 ; De Rasilly, 1965 ; Capron, 1973 ; Diarra, 1986 ; Coulibaly,
1999 ; Koné, 1999 ; Diarra, 2001 ; Coulibaly, 2004 ; Koné, 2020 ;
Hertrich, 1996). Cependant, beaucoup d’aspects (des pans entiers) de la
culture séculaire des Buwa n’ont pas fait l’objet de recherche à cause de
la méfiance, de la peur de parler, notamment des valeurs culturelles à
caractères cultuels (ne pas confondre cultuel et sacré).
L’ethnie bo est composite. Les patronymes qu’on y trouve en sont
révélateurs. Chaque patronyme représente une origine et un groupe à
part et qui se trouve lié aux autres par la langue et par l’unité commune
dans le « Do ».
Le mariage traditionnel dont il est question dans cet article concerne le
mariage tel qu’il se pratiquait jusqu’à un passé récent dans les terroirs
suivants du Buwatun : le Bosotun, le Vantun, le Siyantun, le Iri’a tun, le
Duwatun, le Duwètun, le Kakutun et une bonne partie du Konikotun.
1.1. Les démarches du mariage ou fiançailles
Chez les Buwa, l’homme se cherchait une femme en fonction de son
origine, de son appartenance au groupe des nobles, des castes, des captifs
(nun ni), des esclaves ou des wolosuwa.

La première intention, en vue d’une future et lointaine union, se


manifestait par l’attachement d’un cauri au pied de la petite fille par le
père de son futur mari ou par le chef de ladite famille, souvent avant
même que la fille atteigne un an. Lors de la fête des masques, également
appelée siri’uwɛrɛ, qui suivait immédiatement ce premier acte, l’homme en
question revenait pour confirmer son intention, en attachant, cette fois-
ci, une feuille de rônier au pied de la petite fille. La façon d’attacher la
feuille de rônier était particulière. Elle est une marque identitaire. Dès cet
instant, les deux familles se devaient respect mutuel. Si des difficultés

228
survenaient par la suite, le propriétaire du cauri était informé avant la fête
du siri’uwɛrɛ par le chef de famille de la petite fille.

1.2. Hansɛ
Dès que la fille atteignait les dix ou douze ans, le propriétaire de la feuille
de rônier envoyait deux ou trois jeunes hommes de sa famille dans le
champ du futur beau-père. L’objectif était d’aider ce dernier à travailler
son champ. Cette séance était répétée deux fois par an. La pratique
continuait jusqu’après la première année du mariage.

Depuis la confirmation des fiançailles par la feuille du rônier, les parents


du futur époux donnaient, après chaque récolte annuelle, des arachides et
du mil aux parents de la fille. La mesure se faisait par un panier et la
quantité augmentait au fur et à mesure que la fille avançait en âge.
L’année à laquelle elle devait être mariée, on mesurait la quantité de la
céréale avec le manche d’une daba dont la taille était celle d’un adulte.
Toutefois, cette exigence pouvait varier selon les secteurs de résidence
des parents de la fille. Ce sont les parents de la femme qui choisissaient la
daba à utiliser pour la circonstance. La daba était déposée sur une natte
de façon à ce que son manche soit dressé vers le haut et on venait
déverser le mil jusqu’à ce que le manche soit englouti par le mil. On
procédait de la même façon pour mesurer la quantité des arachides. Si
nous devons évaluer la quantité de mil ainsi obtenu, on pourrait l’estimer
à 200 kg et plus. Les arachides pouvaient atteindre 150 kg ou plus.

L’ensemble du fanmube constitue l’équivalent de la dot chez certaines


communautés. Cette « dot », une fois payée, le futur beau-père de la fille
ordonne à ses propres garçons accompagnés de leurs camarades d’âge
d’aller, de temps en temps, donner « bonjour » à la future belle-famille et
profiter de l’occasion pour causer avec la fille. Cette pratique consiste à
permettre à la fille de porter un choix sur un des jeunes. Ainsi, une des
tantes de la fille lui posera un jour la question suivante : « Ce sont tes maris
qui viennent causer à la maison chaque fois, lequel des jeunes préférerais-tu avoir
comme époux ? » Très généralement, la jeune fille prend son temps avant
de donner une réponse. La réponse portant sur son choix sera transmise
à sa maman, et c’est ce même choix fait qui sera transmis au futur beau-
père. C’est ce choix qui orientera les deux familles. Quelques semaines
après ce choix fait, on procédait aux cérémonies de mariage par le
transfèrement de la fille de sa famille à celle de son futur époux.

229
1.3. La venue de la jeune fille ou jeune mariée dans la famille de
son futur époux
Le futur beau-père mettait toujours les Nansiyo au courant de tout ce qu’il
entreprenait comme démarches pour l’aboutissement heureux du futur
mariage. Durant tout le temps que ces démarches avaient lieu, il allait
régulièrement solliciter leur clémence et leur accompagnement afin que,
selon leur volonté, le mariage soit une réussite. Chez les Buwa, le mariage
était, d’abord, entre deux lignages, deux villages, deux familles, avant
d’être une union de deux personnes.

Le jour choisi par le chef de famille (du jeune homme) était un jour
spécial. C’est lui seul qui savait pourquoi il avait choisi ce jour particulier
parmi les sept jours de la semaine. Il envoyait les jeunes de sa famille en
mission dans celle de la jeune fille, en précisant le nom du père de la fille
et en leur donnant des consignes fermes : « Au retour amenez-moi ma femme,
je vais la donner à son mari dans les tout prochains jours ! »

Les jeunes envoyés s’exécuteront sans rechigner, en exécutant à la lettre


la tâche à eux confiée. Si la fille habitait le même village qu’eux, ils
devaient attendre la tombée de la nuit pour mettre en exécution les
recommandations du père. Si elle habitait un autre village, ils arrivaient
avant la tombée de la nuit. Dès leur arrivée, ils se rendaient dans une
famille d’accueil, chez leur logeur, car il était impudique, voire
inconcevable qu’ils aillent directement au domicile de la fille. Le chef de
la délégation expliquait, par la suite, au logeur l’objet de leur arrivée et de
leur visite : « Nous sommes envoyés par notre père afin de lui ramener sa femme, la
fille d’un tel, de telle famille. » Ce dernier recevait la délégation avec joie et
fierté et formulait des bénédictions (l’honneur du logeur était aussi
engagé). La délégation était ensuite conduite par un des fils du logeur
(qui sera dorénavant le guide dans tout ce qu’ils feront en termes de
démarches auprès de la famille de la future mariée, tant qu’ils
séjourneront dans le village de cette dernière) pour une bonne réussite de
la mission. Après ce protocole, ils allaient faire les salutations d’usage
dans la famille de la jeune fille. Le chef de la délégation, en compagnie du
fils du logeur, sollicitait une rencontre discrète avec le père de la fille
auquel les deux messagers délivraient le contenu du message dont ils
étaient porteurs. Celui-ci donnait son consentement, en rétorquant qu’ils
(les pères du futur époux et ceux de la future épouse) étaient convenus
de cela. À la suite de cet entretien, il formulait, à son tour, des

230
bénédictions pour la réussite des démarches et pour que l’honneur de sa
famille soit préservé.

Que la jeune fille soit du même village que ses futurs beaux-parents ou
non, à une heure tardive de la nuit, les jeunes envoyés allaient demander
à leur logeur la route pour retourner dans leur village ou dans leur
quartier. La coutume voulait qu’ils sollicitent d’être raccompagnés par la
jeune fille sur une courte distance. Mais une fois qu’ils étaient loin de la
famille de la jeune fille ou de son village, ils lui disaient : « Notre père te
demande d’aller lui donner bonjour aujourd’hui dans sa famille qu’en penses-tu ? »
Comme il s’agissait d’une chose préalablement convenue, la jeune fille,
préparée pour la circonstance, les accompagnait, soit à pied, soit à dos de
cheval. Souvent, elle pouvait faire des propositions contraires qui ne
tiendraient pas mais qui étaient conformes à la tradition et qui la
mettaient dans son rôle de femme. De toutes les façons, elle finira par se
faire convaincre et ira avec les jeunes envoyés par son futur beau-père.

Au retour, à leur arrivée à destination et avant de rentrer dans le village,


les jeunes gens et la fille faisaient un arrêt, à quelques mètres du village.
Le chef de la délégation, le plus âgé, y rentrait seul dans un premier
temps. Il informait le chef de la famille de leur retour avec la jeune fille.
Après cette information, le chef de la délégation rejoignait les autres
membres de sa délégation et, dès cet instant, il lançait un cri, un hurrah
qui annonçait leur arrivée dans le village et qui indiquait qu’une nouvelle
tortue venait s’ajouter à celles que la famille possédait (une nouvelle
femme de plus dans la famille et dans le village).

La jeune fille était ensuite conduite devant le chef de famille qui la


recevait avec joie. Le chef de la délégation rendait compte de la mission
en ces termes : « Nous sommes de retour de ta mission, voici le résultat, nous
t’amenons une étrangère, venue de la famille préindiquée, nous n’avons rencontré
aucune difficulté, aucun obstacle lors de la mission. » Le chef de la famille le
remerciait et faisait appel à ses frères pour leur notifier l’arrivée dans leur
famille d’une étrangère. Ceux-ci l’accueillaient et faisaient des
bénédictions. Après cet accueil, les jeunes se retiraient avec la jeune fille
devenue fiancée désormais. Les membres de la famille tenaient alors un
conseil de famille restreint pour lui trouver une famille d’accueil. Une
fois la famille d’accueil identifiée, le chef de famille se rendait dans ladite
famille pour rencontrer son chef et lui apporter la bonne nouvelle en
disant : « Depuis un certain temps ma famille cherchait la fille de telle famille (il

231
précisait le prénom du père de la fille), Dieu merci ! Aujourd’hui les enfants me l’ont
amenée et nous voudrions vous la confier comme il est de coutume entre nos deux
familles. » Ce dernier convoquait ses frères et portait à leur connaissance
la nouvelle : « Un tel est venu nous voir afin que notre famille soit la famille
d’accueil de leur étrangère ; comme c’est la pratique culturelle, je vous soumets sa
doléance. » Ceux-ci adhéraient à l’intention et procédaient à la formulation
des bénédictions.

À son retour dans la famille, il rendait compte à ses frères qui


l’attendaient pour la circonstance. Le chef de famille révélait l’accord de
la famille d’accueil. À la suite de cette information, les jeunes
conduisaient la jeune fille dans la famille en question. Son chef, de
commun accord avec ses frères, la confiait à une vieille femme issue, elle
aussi, de la même famille. Celle-ci devenait sa logeuse et sa confidente
pour toujours. La jeune fille (fiancée) restait dans cette famille d’accueil
pour une durée de 2 à 3 semaines.

La famille retenue comme famille d’accueil restera, dorénavant, sa famille


confidente, sa famille de soutien. Dans l’avenir, chaque fois qu’elle aura
un problème ou rencontrera une difficulté, elle portera ce problème ou
cette difficulté d’abord à la connaissance de cette nouvelle famille, avant
d’informer sa propre famille.

Le lendemain, le chef de famille du futur époux envoyait un forgeron ou


un autre homme de caste pour les pourparlers visant à préparer le
mariage cultuel. Bien qu’ils fussent tous préalablement informés, les
parents de la jeune fille « revisitaient » l’histoire des deux familles pour
voir s’il n’y avait pas eu, entre elles, par le passé, des conflits ou des
mésententes pouvant constituer des obstacles ou pouvant porter
préjudice au futur couple. Si aucun obstacle n’était détecté, l’envoyé
retournait avec l’accord définitif des parents de la fille. Ces derniers le
chargeaient d’aller dire au chef de famille du futur époux d’apporter la
dot. Cette dot se résumait à deux poules et un coq. Une dizaine de jours
après, le démarcheur revenait devant les parents de la fille avec les deux
poules et le coq demandés.
Durant tout ce temps, il n’était pas révélé à la jeune fille l’identité de son
futur mari, parce que le choix qu’elle-même aurait pu faire (ou
s’imaginer) pouvait ne pas être celui qui sera définitivement retenu. Tout
ce qu’elle était fondée à savoir, et qui, pour elle, était une certitude, c’est

232
qu’elle était destinée à être la femme d’un membre de la famille en
question, une femme de ladite famille. Le prénom et l’identité de l’époux
ne lui seront dévoilés qu’après la tenue du conseil de sa belle-famille. Le
chef de cette famille dévoilait ses intentions en ces termes : « Je prévoyais
cette étrangère pour notre garçon un tel (il prononçait son prénom). Cependant, je
voudrais avoir vos suggestions et propositions. » Dans la plupart des cas, le choix
du chef de famille était validé. Il arrivait des fois que, à cause de certains
petits détails, sa proposition ne soit pas retenue. Dans tous les cas,
l’incertitude trouvait son épilogue, car, à la sortie du conseil, l’identité du
désormais époux était connu. Pendant que la future mariée se trouvait
toujours dans sa famille d’accueil, le nom de son futur mari était connu,
mais ce dernier n’était pas autorisé à se rendre dans ladite famille. Aucun
contact entre lui et la jeune fille n’était encore possible.
2. La célébration du mariage cultuel
Pendant que l’homme de caste continuait ses démarches auprès de la
belle-famille, le chef de famille du jeune homme venait demander aux
Nansiyo des bénédictions, en leur offrant un coq et sa suite. Le chef de
famille intercédait en ces termes :

« Ha ya ! Debuwenu ma wa Nansiyo, Dieu et nos ancêtres !

Ni buwebuwere lo waa. Un bienfaiteur est venu demander la


main de notre fille !

Be ba be yi fira, Pour que la future union se concrétise,

A mi yirɛɛ dɛmuu, C’est vous qui avez le dernier mot !

Be mi hanna wabe ma za, De la même manière que vous nous


avez donné des enfants,

Mi muso han ba ma ƃun si. » Donnez aussi, au futur couple,


Beaucoup d’enfants !

Cette imploration des ancêtres était un avant-goût des cérémonies


proprement dites. À la fin du temps réglementaire de séjour de la jeune
fille dans la famille d’accueil, on procédait à la célébration cultuelle du
mariage. Le chef de famille du jeune homme retournait voir celui de la
famille d’accueil et lui expliquait son souhait de procéder aux cérémonies

233
festives et cultuelles du mariage de leur étrangère tel jour (et il indiquait le
jour choisi).
Le chef de la famille d’accueil informait ses frères de la nouvelle apportée
par son homologue. À leur niveau, ils faisaient des bénédictions afin que
leurs ancêtres puissent aider la future épouse à être une femme idéale
dans son foyer.
Le jour venu, généralement, un jeudi ou un lundi, dans la journée, les
jeunes danseurs affutaient le matériel de danse. La nouvelle mariée et les
autres jeunes (filles et garçons) de la famille d’accueil nettoyaient la place
publique.
Vers 21 heures, les jeunes danseurs, dans leur tenue de danse, se
rendaient dans la famille d’accueil en compagnie du musicien joueur de
Ngoni. Comme celle-ci était informée d’avance, elle les accueillait avec
joie et leur donnait de la place pour une heure de distraction. Ce sont les
plus jeunes du village qui animaient cette partie de danse. C’est la danse à
la guitare traditionnelle Ngoni. Aux environs de 22 heures, le plus âgé des
fils de la famille du jeune époux demandait au chef de la famille d’accueil
l’autorisation d’amener la nouvelle mariée sur la place publique pour la
veillée de danse. C’est la nuit festive où tous les jeunes avaient l’occasion
d’exhiber leur talent de danseur. Habillés de leur tenue de danse, ils
faisaient des démonstrations et des gestes extraordinaires jusqu’aux
environs de l’aube.
Dès que le soleil apparaissait à l’horizon, on arrêtait la danse. Le chef de
la famille du jeune marié sollicitait la suspension de la partie de danse. Il
faisait une offrande à la guitare. Cette offrande était composée de trois
poulets : deux poules et un coq. On égorgeait ces oiseaux et on arrosait
la partie calebasse du Ngoni de leur sang.
Après la cérémonie sur la place publique, la nouvelle mariée était
conduite dans la case ou le vestibule des ancêtres. C’est sur l’autel des
ancêtres qu’on célébrait le culte du mariage. Là encore, des oiseaux (deux
poules et un coq) étaient égorgés. Les Nansiyo recevaient, d’abord, le sang
des oiseaux et, ensuite, leur part de viande. C’est devant eux que le
mariage (lien homme–femme) était vraiment scellé. Devant tout le
monde, les deux conjoints, main dans la main, se tenaient à la porte de la
case ou du vestibule des Nansiyo. On les poussait à l’intérieur puis à
l’extérieur de la case des Nansiyo. Cela trois fois. Ces gestes finis, ils

234
étaient désormais unis, mariés en présence de Dieu et des vivants visibles
et invisibles.
Pour la circonstance, on préparait de la viande pour accompagner le plat
principal, le tô. Tout le village était prévu. Chacun mangeait à sa faim. La
nuit qui suivait la célébration, les sœurs du mari partaient à la rencontre
de la nouvelle mariée dans la famille d’accueil. Après les salutations
d’usage, elles la conduisaient dans sa propre maison. C’est ce jour que les
deux se rencontraient pour la deuxième fois, le jour de la chambre
nuptiale.
Du côté des parents de la fille, voilà comment le mariage se déroulait.
La dot était déjà payée. Elle coûtait deux poules et un coq. Une des
poules était offerte au démarcheur comme cadeau des parents de la fille.
Ce dernier faisait de cette poule ce qu’il voulait. Mais la tradition voulait
qu’il en fasse un sacrifice sur ses ancêtres. Il avait le choix entre l’élever
afin qu’elle se multiplie ou acheter le complément pour faire le rituel et
demander à ses ancêtres de l’honorer dans ce mariage.
Les parents de la fille procédaient à la célébration. Ainsi, le coq et la
poule (puisque l’autre poule avait été offerte au démarcheur) étaient
égorgés sur les Nansiyo, en présence de tous les adultes de la famille, en
ces termes :
« Ha ya ! Debuwenu ma wa Nasiyo ! « Dieu et nos ancêtres !
Ni buwebuwere lo waa zo hanzonu na. Un bienfaiteur a pris notre fille
comme épouse.

Be ba be yi fira, Pour que leur union tienne,


A mi yirɛɛ dɛmuu ; C’est vous qui avez le dernier
mot.

Be mi hanna wabe ma za, De la même manière que vous


nous avez donné des enfants,

Mi muso han ba ma ƃun. Donnez aussi, au jeune couple,


beaucoup d’enfants !

235
Lo yoo yi buwe zeze nɛ, Et lorsque sonnera le rappel à Dieu de notre fille,
Ali buwin cinna, Qu’il y ait beaucoup de monde pour accompagner
son deuil dans notre,

We boni. » vestibule ! »

Seuls les hommes âgés de la famille de la femme étaient autorisés à


manger la viande des oiseaux tués en la circonstance. Ledit cérémonial
était exécuté une et une seule fois pour une femme, dans sa vie. Ceci
pour dire qu’il n’y avait pas de divorce chez les Buwa, mais il pouvait y
avoir séparation de corps. Quel que soit le nombre de « mariages » que
contractait une femme bo, hormis le premier, les autres étaient
considérés comme du concubinage. Marier une femme bo à deux
familles était un sacrilège et cela ne se faisait jamais. Les Nansiyo
donnaient leur fille en mariage une et une seule fois à une famille. Pour
conclure cette partie, il est utile de rappeler que la femme, chez les Buwa, est
mariée une et une seule fois dans sa vie. Aucun membre de la famille de la femme
n’osera répéter ce geste une seconde fois pour la même femme.
Si traditionnellement la femme bo ne se mariait qu’une fois dans sa vie, il
existait, néanmoins, le phénomène de la femme du trophée.
Qu’est-ce que la femme du trophée ? Chez les Buwa, tout père avait
l’obligation de marier son garçon, de lui donner une femme. Il avait aussi
le devoir de l’éduquer et de lui donner les vertus cardinales de la société
dans toutes ses dimensions.
Le père spirituel du garçon l’éduquera dans le sens du cultuel, du savoir-
être et du savoir-faire dans la vie. Il continuera à lui administrer des
connaissances, y compris celles qu’il devra recevoir lors des initiations
collectives. Dès l’instant que le père spirituel soumettait son fils spirituel
à une évaluation concluante, alors il disait qu’il était « mûr », capable de
se défendre. Il le libérait en ces termes : « Mon fils, maintenant tu es un
homme, prouve-le-moi et va te chercher ta femme, la femme à toi, celle que tu
conquerras grâce à tes efforts personnels. »
À la suite des recommandations et conseils de son père spirituel, le jeune
homme, désormais entre la tranche d’âge de 30 à 45 ans, se lançait à la
conquête d’une nouvelle femme. Généralement, il s’agissait d’une femme
déjà mariée, qu’il tentera de détourner, ou d’une fille déjà fiancée. Au
départ, c’était dans la plus grande discrétion que la cour à cette nouvelle

236
femme ou fille se faisait puis, vers la fin, elle se faisait avec beaucoup
d’assiduité, au vu et au su de tous, puisqu’il s’agissait, pour le jeune
conquérant, de démontrer sa bravoure et ses capacités intrinsèques à
arracher à autrui sa femme ou sa fiancée. Un véritable combat s’engageait
entre les deux hommes : le mari ou le fiancé légitime et le jeune qui
cherchait son trophée de femme. Le combat ainsi engagé pouvait
souvent déboucher sur des affrontements physiques avec des prises de
corps à corps. Si cette étape ne dissuadait pas l’un ou l’autre des
protagonistes, alors commençait le combat des connaissances occultes.
Le plus fort en sciences occultes l’emportait. La nouvelle femme ne
passait pas par les étapes ci-dessus évoquées. Quand le jeune homme
chercheur de trophée l’amenait dans son village, il la présentait à son
père spirituel, et le jour suivant on la confiait à une famille pour quatre
jours. La nuit du quatrième jour, elle rejoignait la maison apprêtée pour
elle.
Au cas où les forces occultes étaient égales, un danger permanent planait
sur la femme ou la fille. Les choses devenaient dangereuses pour elle. Il
arrivait souvent qu’elle soit victime des actes occultes posés ou d’un sort
jeté par l’un ou l’autre des deux rivaux. Certaines femmes ou fiancées, au
cœur de telles rivalités, perdaient la vie.
Lorsqu’on évoque le mariage chez les Buwa, le profane, étranger à la
culture de cette ethnie, pense habituellement à une pratique dite
d’« enlèvement de femme ». En réalité, cette pratique n’existait pas comme
mariage traditionnel chez les Buwa. Elle est le fruit de l’évolution de
notre société. Très généralement, le cas arrivait quand une jeune fille
estimait que son fiancé prédestiné ne la méritait pas et qu’elle devait faire
son propre choix. Dans ce cas de figure, elle s’enfuyait de sa localité de
naissance, avec l’homme de son choix, pour une destination inconnue.
Souvent, le couple ne retournait plus dans son village ou n’y revenait que
quand il aura eu beaucoup d’enfants, ce que pouvait susciter le pardon
des siens.
Dans la réflexion ci-dessous, Boni résume l’essence du peuple bo :
Le peuple bo est présenté comme partageant une certaine représentation
de l’homme. L’homme (vir) bo serait d’abord, en ce qui concerne le
garçon, un être viril, fier, endurant, coopérateur des autres, réservé et
droit. Quant à la fille, elle est la femme d’intérieur, réservée, amoureuse
de son mari, travailleuse et fidèle. Ces représentations sont celles de

237
« l’homme idéal » bo et de la « femme idéale » bo ; elles structurent tout
l’imaginaire des Buwa et imprègnent toute la vie du Bo de sa naissance à la
mort (1962, p. 256).
3. La place de la femme bo dans le processus du développement
socioéconomique

3.1. Tentative de définition de la femme, en général, et de la femme


bo, en particulier
Selon le dictionnaire Robert d’aujourd’hui, édition 2003, « la femme est l’être
humain du sexe qui procrée, qui met au monde les enfants ». Pour les Buwa, la
femme est la compagne de l’homme, la partenaire de l’homme, l’être qui
aide l’homme : « banu, nuu de ». Néanmoins, elle est mise au maillon
inférieur de la pyramide de la hiérarchie sociale, selon certains.
La femme bo, fruit d’une éducation ?

La femme bo, dès son jeune âge, recevait, tout comme le garçon, les deux
premières étapes d’initiation aux principes du Do. Il lui était donné le
prénom de la « dation » au Do : lo tenu, lo tiya, lo waa siya, c’est-à-dire sa
présentation aux ancêtres encore appelée le « lavage de son visage ». Il s’en
suivait son initiation au culte des masques : Lo c ni, lo cɛniya, cɛninu. C’est
après cette étape que la fille ne participait plus aux autres initiations dans la
plupart des villages. La femme, étant appelée un jour à quitter la famille, le
village, la communauté, ne devait pas être suffisamment initiée aux secrets
de sa propre famille et de la communauté du village. Le contenu de
l’initiation était le bien sacré de tous, le patrimoine cultuel collectif de tous,
nul ne pouvait se l’approprier individuellement.
3.2. La place de la femme dans la société traditionnelle bo
La femme occupe traditionnellement une position inférieure dans la
pyramide de la hiérarchie sociale dans les communautés rurales africaines.
Cela se justifie par deux raisons fondamentales :

- les communautés doivent leur existence au savoir synonyme de


l´expérience vécue et du mythe des secrets de famille. Les femmes,
en principe, vivent jusqu´à l´âge de l’adolescence dans leur famille
d´origine, après intègrent celles de leur mari. À cet effet, elles ne
représentent pas des personnes sûres auxquelles on peut confier
des secrets de famille ;

238
- par nature, le genre féminin est plus émotionnel que le genre
masculin. Conscients de ces faits, nos ancêtres s’abstenaient de
confier des secrets de famille aux femmes, de peur qu’elles, par
émotion, ne les dévoilent. Les exemples éloquents pour illustrer
cet état de fait ne manquent pas dans l’histoire, les fables et la vie
réelle des communautés rurales.

La société traditionnelle bo était très hiérarchisée. Dans cette société,


l´homme adulte et mûr occupait le sommet de la pyramide sociale. C’est
aux hommes que revenaient les fonctions de commandement ou de
gestion du groupe social. L’homme était le chef de famille ; à ce titre, il
devait protection à la femme qui, à son tour, lui devait respect et
obéissance.
Pourtant, dans la perspective sociale, la femme occupe la place la plus
importante de la communauté : elle procrée, s’occupe de l’alimentation et
de l’entretien de toute la famille. Suivant le code matrimonial
traditionnel, toute bonne femme est celle qui peut procréer, s’occuper
bien de son mari et de ses enfants et qui est respectueuse, au sens large
du mot (Coulibaly, 1996, p. 39). Quand la femme s’absente dans le foyer,
rien ne marche. Les Buwa soutiennent tous l’idée qu’un homme sans
femme est comme un citoyen de second rang. L’explication réside dans
le fait que pour se nourrir, pour son hygiène vestimentaire et corporelle,
l’homme sollicite l’aide de la femme. En plus, il ne peut accueillir
personne chez lui sans la présence d’une femme à ses côtés.
Par ailleurs, les femmes constituent aussi un trait d’union entre les
familles du village et celles des villages voisins. Par les liens du mariage,
des alliances s’établissent entre deux lignages. Traditionnellement, une
alliance matrimoniale dépasse le simple fait de légalisation de l’union
entre une femme et un homme ou de la vie conjugale. Elle engage tous
les membres de la famille du jeune marié et celle de la jeune mariée : le
respect et le dévouement réciproques deviennent de mise entre les deux
familles. Tout abus ou débordement de la part d’un membre des deux
familles est pénalisé (« be bo lo yun » : « on a imposé au fautif une
sentence ! ») par les membres de la famille de la victime. On lui impose
une sentence visant à réparer l’abus ou le débordement. En cas de refus
d’obtempérer ou de s´acquitter de la sentence, les retombées sur les
rapports entre les deux familles sont immédiates. Compte tenu de cette
importance que l’union matrimoniale revêt chez les Buwa, chaque lignée

239
essayait de contenir les éventuels débordements de ses membres pour
préserver les alliances matrimoniales, et cela, même aujourd’hui,
nonobstant les changements opérés dans la société malienne et dans les
communautés buwa.
Dans la famille traditionnelle bo, on demandait l’avis de la femme,
surtout de la femme du chef de famille, pour les questions essentielles
touchant la vie de la famille. Même absente lors du conseil de famille, elle
n’était jamais oubliée dans la prise de décision finale, car cette décision
prise lui était soumise par le patriarche, et son point de vue était
demandé et pris en compte avant l’exécution de ladite décision.
3.3. Apport économique de la femme dans la société traditionnelle
bo
La femme bo contribue économiquement au bien-être de la famille, à
travers des activités parmi lesquelles on peut retenir :
– les produits de cueillettes tels que le tamarinier, le néré, le raisin, le
karité, le jujubier, le pain de singe, etc. Après la cueillette des fruits de
chacun de ces arbres, la femme prend ce qu’il lui faut comme provision
et le reste selon la période est vendu. Les recettes issues de ces produits
contribuent d’une manière ou d’une autre à résoudre les problèmes
financiers de la femme ;
– les produits de jardinage : cette activité est pratiquée par spécificité
géographique car elle ne couvre pas tout le Buwatun. Dans les localités
où elle est pratiquée, les femmes qui s’y adonnent en tirent de gros
bénéfices. En effet, dans leurs jardins, ces femmes produisent des
oignons, de la tomate, du tabac. La vente de ces produits leur procure de
l’argent, leur assurant une sécurité alimentaire, tout en les mettant à l’abri
du besoin.
Il a été constaté que beaucoup de femmes utilisent les recettes de ces
différentes activités pour payer de petits ruminants et souvent du gros
bétail. C’est ainsi que certaines d’entre elles pratiquent l’élevage. Pour
épargner souvent son argent, la femme procède à l’achat d’animaux
notamment les chèvres qu’elle garde à son niveau. Concernant le gros
bétail, elle le fait garder dans le troupeau de son mari ou dans celui de la
famille de celui-ci ;
– en dehors des activités de maraîchage et d’élevage, la femme bo
s’adonne à la préparation du dolo ou bière de mil qui lui rapporte
beaucoup d’argent.

240
Dans le temps, les besoins céréaliers étaient à la charge de l’homme,
tandis qu’à la femme incombaient les charges de frais de condiments.
Elle assurait toute cette charge grâce aux fruits de ses efforts. Elle se
donnait entièrement aux travaux, afin de pouvoir subvenir à ses propres
besoins qui feront un jour sa renommée.
Il arrivait que la femme, pour se démarquer de ses semblables, filait du
coton pour en faire de l’étoffe, pour habiller son époux et pour lui payer
un cheval et un fusil. Toute femme bo qui arrivait à faire un tel cadeau à
son mari, sans aucun appui de la part de ce dernier, avait droit à un tas de
la viande de la chèvre tuée lors du rituel des funérailles des femmes
vedettes ou capables. C’est ce jour qu’elle était glorifiée pour ses hauts
faits et enviée par tous et « Yare viyo tuwa ne bo l p wa » [[Merci de
revoir caractères erronés]]
3.4. La place de la femme bo dans la tradition
Dans la conception traditionnelle bo, la femme est considérée comme
une étrangère dans la famille où le mariage la conduit. Plus tard, elle y
trouvera sa place entière, lorsqu'elle aura des enfants. Elle est faite pour
être mère, donner des héritiers à la famille, des bras valides éduqués dans
le sens élevé du travail bien fait. Les enfants qu'elle aura appartiennent à
la famille de son mari et relèveront de l'autorité du chef de famille. Pour
la « protéger » de la convoitise d'autres hommes et éviter d’éventuels
enfants illégitimes dans la famille, on exigera d’elle le respect des règles
strictes du culte des (dan siyan). En tant que mère, on lui demandera
d'être garante de la transmission des traditions familiales et coutumières.
Lors du premier mariage, l'intégrité physique de l'épouse (vierge) et la
consommation effective de l'union sont une fierté manifestée aux vieilles
de la famille d’origine. Faute de quoi, la preuve de la perte de cette
intégrité déclenchera la honte et le déshonneur sur la famille de cette fille
qui risque souvent des comportements provocateurs des autres femmes
qui ont reçu les honneurs. Voilà pourquoi on prend des mesures de
protection dès sa puberté. Mais il arrive aussi que des jeunes femmes
acceptent de se soumettre aux exigences de la société patriarcale, soit par
nécessité, soit par conviction culturelle. Ce peut être un moyen de vivre
dans la tranquillité et la sécurité, même si le milieu est contraignant, celui
des hommes sans doute, mais plus encore celui des femmes, surtout les
plus âgées, gardiennes des traditions. En se soumettant aux principes
culturels et à la famille, on peut mener une vie sans histoire et aspirer au

241
bonheur. On est respectée comme mère bénie de Dieu, surtout lorsqu'on
a des fils. Cela vaut bien l'effort de renoncer à certains désirs personnels.
3.5. La place de la femme dans la société moderne bo
Dans le nouveau cadre de la vie rurale, la croissance des besoins
monétaires a fait que l’économie de subsistance qui y existait a été
remplacée par un type d´économie mixte : de subsistance et de marché.
Ainsi, la gestion du groupe domestique de production est-elle devenue
une entreprise autonome du couple. Ces couples ne produisent plus
seulement pour leur subsistance alimentaire sinon qu’une partie de leur
production est destinée à la vente, et l’homme, aussi bien que la femme,
participe activement à cette forme mixte de la production. De nos jours,
l’essor du petit commerce et l’assiduité des femmes dans cette activité
augmentent leur contribution dans l’économie domestique et leur place
dans la gestion de l’unité domestique de production. En fait, dans
l’économie de « la débrouillardise » ou de l’informel, elles dépassent de
loin les hommes, non pas par leur savoir-faire mais par leur patience et
leur modestie par rapport au bénéfice. Elles ont, de par leurs activités
mercantiles, acquis une certaine indépendance économique vis-à-vis des
hommes.
On constate que le respect mutuel dans le couple est fonction du degré
d’implication de chaque partenaire et du rôle qu’il ou elle joue dans la
satisfaction des besoins de la famille. Le degré d’acquittement des
charges de chacun est nécessaire. Par exemple, quand la femme prend en
charge la totalité des frais de condiments ou/et ceux de l’habillement des
enfants, ou partiellement, l’achat des vivres, etc., elle accorde peu
d’importance à son mari. Dans la réalité, cela est fréquent dans les
villages où il existe une foire hebdomadaire et leurs environnants où le
petit commerce assure aux femmes des revenus économiques
relativement considérables.
On rencontre des femmes jouissant d’une relative prospérité
économique grâce à laquelle elles bénéficient de plus de droits de
décision dans leurs foyers. Ceci réduit également l’autorité machiste de
l’homme, en général, dans ces foyers et, ce faisant, blesse l’orgueil
masculin chez la majorité des hommes. C’est ce qui amène d’ailleurs
certains jeunes des villages ne disposant pas de foire à avoir peu d’intérêt
pour les filles habitant des villages ayant une foire hebdomadaire. Ils
estiment que ces femmes ont perdu tout respect à l’égard de l’homme.

242
Même si, au niveau du foyer, d’une manière générale, nous assistons à
une certaine décentralisation de la gestion et de l’autorité, au niveau de la
grande famille, le statut de la femme reste inchangé. Les décisions
importantes sont prises par les hommes, et aucune femme, quels que
soient son mérite social ou ses responsabilités dans son foyer, ne peut
assister aux réunions de famille que sur invitation ou convocation, chose
difficilement souhaitable.
Dans la grande famille et devant la communauté villageoise, c’est
l’homme qui représente une famille ou qui l’identifie. On parle de la
famille de Loube, de Madou, de Hamidou, de Georges et non de la
famille de Massara, de Sohan ou de Hélène. À partir de ce constat, nous
pouvons affirmer que, fondementalement, malgré les changements ou
l’évolution de l’organisation interne des grandes familles et groupes
domestiques de production agricole, la place hiérarchique et
fonctionnelle du chef de famille dans la communauté villageoise se
maintient.
3.6. La participation de la femme bo au développement
La situation de la femme malienne, la sécurité et le bien-être social sont
du ressort de l’homme. Cela se maintiendra, disent certains vieux, dans la
mesure où les secrets de famille et le culte des ancêtres ne s’apprennent
pas dans les livres encore moins à l’exode. En d’autres termes, cette
hiérarchie reste immuable. Les femmes réagissent à cette discrimination
organisationnelle par des regroupements fonctionnels. Le besoin
d’assistance de toutes les femmes, au moment des accouchements, crée
une solidarité latente et discrète autour de la femme la plus âgée de la
famille ou du village. Dans les faits, cette solidarité est la base du
mouvement associatif des femmes dans tout le village. Ce mouvement a
gagné de l’importance ces derniers temps, sauf qu’il reste partout sous le
contrôle du pouvoir central des hommes. Dans beaucoup de nos villages,
aujourd’hui, nous avons des groupements de femmes autour de
l’accoucheuse traditionnelle, des groupes d’aide mutuelle, des
regroupements religieux (femme catholiques, protestantes, musulmanes)
et des groupements de femmes induits par des ONG ou services de
l’encadrement rural (association de femmes). Ces groupes ou associations
de femmes assurent des activités collectives de développement comme,
par exemple, chez les chrétiennes catholiques, la Légion de Marie des
femmes protestantes et musulmanes. Dans certains villages, les ONG et
les projets ont favorisé la création des associations de femmes. Des

243
illustrations sont la CMDT et World Vision International dans les
villages de leurs zones d’intervention.
Malgré cette importance en nombre et en réalisations reconnues, partout
dans les villages de ces regroupements et associations des femmes,
l’organisation sociale leur dicte toujours les lignes à suivre. Toutes les
décisions importantes doivent être prises par le chef de village et ses
conseillers, soucieux du maintien du pouvoir culturel. Pour eux, il n’est
pas admissible qu’une quelconque association de femmes puisse
fonctionner de façon autonome, parallèlement au pouvoir et à l’autorité
décisionnels du chef de village. On peut déduire un maintien de
l’influence du pouvoir traditionnel dans les villages au pays bo pour les
années, voire les décennies à venir.
3.7. Quel avenir pour la femme bo dans un monde en pleine
mutation
Les femmes sont au centre de l’éclatement résidentiel et de la recherche
de l’autonomie de gestion des unités domestiques de production. Les
jeunes mariés, cherchant leur autonomie de résidence et de gestion,
entres autres, sous la pression de leurs femmes et pour éviter les tensions
ou querelles avec les femmes des cadets ou de leurs aînés ou bien pour
faire plaisir à leurs femmes, s’établissent, de plus en plus, en dehors du
cadre de la grande famille.
La famille patriarcale vit autour du chef de famille dont le rôle est de
garantir la cohésion et les intérêts du groupe, d'en assurer l'existence et le
fonctionnement. Il doit veiller à la sauvegarde, à l'accroissement et à la
transmission de ses biens qui se fait par la descendance masculine. De là
vient la prépondérance donnée aux garçons face aux filles qui, elles,
seront plus tard appelées à rejoindre des familles externes. De ce fait, la
responsabilité du mariage des enfants des différents couples de la famille
incombe à son chef, d'autant plus que la coutume bo condamne le célibat
et fait du mariage un devoir. Puisque le but du mariage est de créer une
cellule apte à s'intégrer au groupe, le bonheur des époux ne sera pas un
souci primordial. Il est vrai qu'il sera toujours possible, en cas de
difficulté, d'envisager la répudiation de l'épouse et de se remarier.
Conclusion
Par le respect de la gérontocratie, les Buwa mesurent aussi la réussite de
l’intégration sociale. Le Bo doit respecter n’importe qui de plus âgé que
lui. Il n’est pas rare d’entendre, suite à une querelle entre enfants, une

244
voix s’élever : « Ne me réponds pas en ces termes ! Car tu n’es pas plus âgé que
moi. » En fait, ces différentes dimensions de l’éducation jouent un rôle
important dans l’édification de l’homme Bo. Toutes les activités des
enfants, y compris les jeux, sont influencées par ces déterminants de
l’éducation. Ainsi, ce sont les plus âgés du groupe qui dirigent les jeux.
Cette valeur culturelle se manifeste à tous les niveaux de la vie éducative
de l’enfant. Concernant la femme trophée, il n’est pas donné à tous de
retirer une femme à son prochain. Le réussir est un art et un savoir-faire.
Dès que les pluies tombaient et que les gens partaient faire les premiers
semis, s’arrêtaient les mariages. Chez les Buwa, toute famille qui acceptait
que sa fille aille chez son mari pendant l’hivernage acceptait la
supposition ou médisance qu’elle était une famille affamée, dans le
besoin. Enfin, chez les Buwa, le mariage était une question d’honneur de
la famille et de la communauté, et toutes ses démarches et étapes, en vue
de sa concrétisation, se déroulaient dans ce sens.
Références
- Boni N. (1962), Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence
africaine.
- Capron J. (1973), Communautés villageoises Bwa (Mali, Haute-Volta),
Musée national d’histoire naturelle (Mémoires de l’Institut
d’ethnologie), Paris.
- Coulibaly D. (2004), « Inventaire des sites archéologiques
historiques et autres lieux de mémoires du cercle de Tominian :
cas des communes rurales de Koula et de Fangasso », Mémoire
de maîtrise, Bamako, Université de Bamako.
- Coulibaly D. (1999), « Problématique de l´articulation de la
modernisation à la tradition chez les communautés paysannes du
Pays-Bwa dans le cercle de Tominian dans le Sud-Est malien »,
Thèse de troisième cycle, Berlin, Zertifizierter
Dokumentenserver der Humboldt-Universität zu Berlin.
- De Rasilly B. (1965), « Bwa laada : Coutumes et croyances Bwa »,
Dakar, Bulletin de l’Ifan.
- Diarra S. C. (2001), « Faites ceci en mémoire de moi : Pour une
Herméneutique Bo », Thèse de doctorat, Abidjan, UCAO.
- Diarra D. Y-P. (1986), « Vivre avec les Morts et mourir avec les
Vivants », Mémoire de maîtrise en théologie. Paris, Institut
catholique de Paris.
- Hertrich V. (1996), Permanences et Changements de l’Afrique Rurale.
Dynamiques familles chez les bwa du Mali, Paris, Centre français sur la

245
population et le développement (EHESS – INED – INSEE –
ORSTOM – Université Paris-VI).
- Ki-Zerbo J. (Unkown), Cité dans : Aide et Action, Ethnies Africaines,
Centre des ressources documentaires.
- Koné A. (2020), “An Investigation into the connotative
meanings of personal names in Bomu” in Revue canadienne de
philosophie, de lettres et de sciences humaines, numéro 009,
Québec, les éditions Différance Pérenne.
- Koné J.-M. (1999), « Rôle des castes dans l’équilibre de la vie
sociale chez les bwa de Tominian », Mémoire de maîtrise,
Bamako, ENSUP.
- Suret-Canale J. (1975), Afrique Noire : Géographie, Civilisations,
Histoire, 3e édition, Paris, Éditions sociales.

Autres documents :
Ministère de la Culture, (2004), La Carte Culturelle du Mali. Esquisse d’un
inventaire du Patrimoine Culturel, Bamako.
Sites consultés :
- https://books.googole.com/Book/…/ la révolte des Bobos dans les
cercles de.html ?...www.memoireonline.com Arts, philosophie et
sociologie, religion
www.burkina24.com/.../ revolte bwa de 1915-1916 -le- cours-d’histoire-
de- l’inspecteur-…
www.rfi.fr/.../20150125-africains-tirailleurs_grande -guerre-1914 afrique-
occidentale rpcafrique.free/added.doc/39_wondji.pdf

246
Chapitre 13

Mariage collectif à Banamba : les acteurs et leurs rôles

Sidy Lamine Bagayoko,


Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako
sidylamine01@gmail.com

Résumé
L’organisation de la célébration du mariage collectif de Banamba apparaît
comme une aubaine par ces temps de crise sécuritaire au Mali. Qu’en est-
il de sa protection par les autorités communales, les associations locales
et les autorités coutumières, y compris religieuses, comme un bien
culturel immatériel de premier ordre ?
Dans le présent article, nous avons insisté sur la dimension interprétative
des données ethnographiques recueillies auprès des acteurs concernant
leurs rôles dans le rite du mariage pour pouvoir sauvegarder et
transmettre le contenu de ce patrimoine. C’est pourquoi nous avons
traduit et cité les propos les plus significatifs de nos interlocuteurs, tout
en ayant recours à des enregistrements filmiques et photographiques en
faisant des observations pointues. Ces témoignages et observations
rendent compte des différents registres des savoirs locaux : gloses
typologiques sur le comportement, du point de vue sociabilité familiale,
répertoires des usages immémoriaux en matière de gestion d’un rite de
passage central de la vie sociale.
Les lexiques spécialisés et la sagesse qui s’en dégagent contribuent à
mieux appréhender les particularités de ce savoir local sur une question
éminemment anthropologique. Le système axiologique sous-jacent vise la
reproduction de l’ordre rural dont une des caractéristiques principales est
la relation verticale entre les aînés avec toutes les catégories des cadets
sociaux, dont celle des femmes. Ainsi, ce travail se nourrit des outils
théoriques d’analyse de différents registres des domaines des sciences
humaines et sociales.

Mots clés : Anthropologie visuelle, Bien culturel immatériel, Mariage


collectif

247
Collective marriage in Banamba: actors and their roles
Abstract
The arrangement of the celebration of collective marriage in Banamba
appears to be a blessing during that time of security crisis in Mali. Is it
protected by local city council authorities, local associations and
customary authorities including religious ones, as an important intangible
cultural property?
In this paper, the interpretative dimension of data collected among
actors regarding their roles in the rite of the wedding was privileged in
order to safeguard and to hand the content of that heritage on. The most
significant interviews were quoted and translated from local language to
French and were recorded in video and still photo documentation
according to the approach of visual anthropology in doing meticulous
observations. Those information reflet different cultural contents of local
knowledge: typological notes on the behaviour, from the perspective of
family sociability, the register of immemorial usages regarding the
management of a rite of passage central to social life.
The specialised glossaries, wisdom that emerges also contribute to
understanding the particularities of that local knowledge on a very
anthropological issue. The underlying axiological system aims to the
reproduction of rural order, one of the key aspects of which is the
vertical relationship between elderly people and all the categories of
people considered like socially younger including women. So, this work
utilises various theoretical tools for analysis from different styles within
the field of social sciences and humanities.

Keywords: Visual anthropology, Intangible cultural property, Collective


marriage

248
Introduction

Le mariage est une institution sociale célébrée différemment selon les


milieux culturels au Mali. Qu’il soit coutumier, religieux ou civil, le
mariage regorge d’un caractère festif et populaire. Solène Lardoux
définit le mariage comme « l’union d’un homme et d’une femme, et de leurs
familles, ayant été légitimée et reconnu par les parents et la communauté »
(Lardoux, 2009, p. 5). De manière générale, le mariage est célébré pour
sceller l’union entre une femme et un homme.
Ce travail se penche sur la dimension collective du mariage, c’est-à-dire
le fait d’organiser des dizaines de mariages au cours d’une même
cérémonie. L’objectif de cette recherche est d’améliorer la connaissance
contemporaine sur une composante du patrimoine culturel malien qui
est le mariage collectif de Banamba. Elle comprend 28 villages et est
située à 70 km au nord-ouest de la ville de Koulikoro, capitale
régionale, et à 145 km de Bamako. Globalement, ce travail a pour
finalité de documenter et d’analyser les rituels, les traditions orales et
les objets et artefacts associés à la pratique du mariage à Banamba et à
Kiban à travers leur dimension économique, sociologique, économique,
anthropologique, etc. Cependant, cet article fait partie d’un ensemble
de recherche effectuée sur la question du patrimoine immatériel, dont
le mariage collectif de Banamba. Mais, dans cette partie, nous avons
voulu traiter uniquement la question des acteurs et leurs rôles en
fonction des témoignages et de nos observations. Les autres
dimensions du mariage collectif de Banamba feront l’objet d’autres
articles.
« L’exigence de la contemporanéité est d’abord de prendre constamment la mesure de
la distance toujours variable avec son objet, un témoin ou un acteur. Ce qui est
également une exigence constante dans la pratique anthropologique »
(Dimitrijevic, 2012, p. 50). Il se trouve que le mariage collectif de
Banamba est une pratique coutumière contemporaine qui n’échappe
pas à l’évolution du monde comme toute pratique humaine. Par
exemple avec l’influence de la pratique actuelle de l’islam et
l’implication des partenaires commerciaux comme sponsors de
l’événement.
Ainsi, l’ossature de cet article s’articule autour de la méthodologie, du
milieu d’étude, des acteurs engagés dans la préparation des mariés pour

249
les noces, des sponsors et partenaires comme nouveaux acteurs du
mariage collectif de Banamba et des résultats et discussion.

Photo 1 (avril-mai 2019) : Jour de mariage collectif à Banamba avec des


couples assis en rang
1. Méthodologie
Notre approche a consisté tout d’abord à effectuer une recherche
documentaire entre la fin du mois d’avril et le début du mois de mai
2019 pour collecter des informations sur le mariage collectif de
Banamba. Cette étude a été complétée par des investigations rapides à
Kiban et à Madina Sacko en vue d’un affinement de la documentation
et de l’analyse sur certains aspects seulement effleurés à Banamba où
l’enquête a été contrainte par l’atmosphère de mobilisation totale des
esprits autour de l’événement. Suite à une autorisation des
organisateurs du mariage collectif et des autorités traditionnelles ; une
préenquête d’une semaine a permis de s’imprégner de la situation
d’enquête et de préparer les outils de l’enquête avec une orientation
qualitative, c’est-à-dire l’observation détaillée avec des questions posées
aux acteurs et actrices sur le terrain en plus de la prise des images photo
et vidéo pour enregistrer et documenter les actions des protagonistes
de la question du mariage à Banamba. Les informations collectées ont
été dépouillées puis analysées en fonction des outils théoriques inspirés
des auteurs qui ont déjà travaillé sur les questions de mariage ou
d’alliance (Claude Lévi-Strauss, 1969 ; Dominique Casajus, 1987 et

250
d’autres). Quant à l’analyse des informations recueillies à la suite des
enquêtes, nous avons adopté la posture interprétative. Clifford Geertz
indique :
« la tâche réelle de l’ethnologie interprétative n’est pas de répondre à nos
questions les plus profondes, mais de nous familiariser avec d’autres
réponses, que d’autres hommes ont trouvées, et d’intégrer ces réponses dans
les archives accessibles à tous des expressions humaines » (Geertz, 1987,
p. 43).
Ainsi, nous avons eu recours à la photo, supports audiovisuels et à
l’observation participante directe sur le terrain le jour du mariage
collectif. « Parce qu’elles se donnent à voir et à entendre, la musique et la danse
sont des sujets privilégiés en anthropologie visuelle » (Paggi, 2012, p. 65). Le rite
du mariage de la même manière que n’importe quelle autre cérémonie
rituelle contient des éléments à voir et à entendre, propices pour le
travail de l’anthropologie visuelle. En amont, nous avons pris un temps
pour nous imprégner des rites et rituels, puis quelques jours de terrain
après l’événement ont été nécessaires pour revoir les données
enregistrées afin de mieux cerner leur contenu et le sens des différentes
étapes du cérémonial, pour repérer les symboliques des objets et
répertoires oraux sous-jacents.
2. Milieu d’étude (Banamba, Kiban et Madina Sacko)
Ce travail porte sur le cercle de Banamba, plus précisément sur les
communes de Banamba, de Kiban et de Madina Sacko.
Banamba est le chef-lieu de cercle de Kiban et de Madina Sako qui sont
deux localités non seulement géographiquement proches de Banamba,
mais aussi culturellement à travers la célébration du mariage collectif.
C’est pour cette raison que nous nous focaliserons sur la présentation
de Banamba. La monographie de Banamba réalisée sous les auspices de
la mairie affirme que le village serait issu de celui de Nguilikido, fondé
vers 1750 et 1832 13 par Matèfili Kouloubali, chef militaire missionné
dans la zone et protégé par les rois de Ségou. Après la disgrâce de celui-
ci et la destruction subséquente de son village par l’État, Banamba fut
fondé, à la proximité des ruines du village détruit, par des réfugiés de
Nguilikido dont et surtout ceux originaires de Sokolo (ou Shuala)
portant le patronyme Simpara et dont les origines lointaines se

13Une information tirée du mémoire de Kadiatou Mallé, Université de Laval, Québec, Canada,
2011.

251
trouveraient dans le Gadiaga, région de Kayes, où ils étaient appelés
Bathily. Actuellement, Banamba est une ville cosmopolite où plusieurs
groupes ethniques cohabitent. On retrouve les Soninkés, qui sont les
chefs, les Bambaras, les Peuls et plusieurs autres. Bien que la
population ait adopté un mode de vie citadine, elle continue à cultiver
les principales cultures vivrières qui sont le mil, le sorgho, le maïs,
l’arachide, le sésame et le coton.
La commune de Banamba compte 30 180 habitants (cf. Touré et
Sissoko, 2014). Il convient de préciser tout de suite que la formule de
célébration des mariages à Banamba (ainsi qu’à Kiban 14 , commune
située à 9 km de Banamba et Madina Sacko, deux localités voisines
pratiquant un rituel de célébration similaire) est très peu répandue. Elle
est en effet particulière en raison de son caractère syncrétique entre
islam et traditions anciennes, à connotation soninké, bamanan, voire
peuhle. Valérie Carré explique la conception religieuse du réalisateur
allemand Werner Herzog dans ses films, en disant : « Herzog ne condamne
la religion que lorsque, celle-ci ne permet pas la réappropriation créatrice par un
individu ou par une communauté » (Carré, 2007, p. 285). Dans ce cas précis,
la communauté se réapproprie la religion en la greffant aux traditions
locales des rites du mariage. De ce point de vue, ce rituel est
particulièrement intéressant sur le plan ethnographique.

3. Acteurs et préparation des mariés pour les noces


Les acteurs comme les balemamusow (sœurs), les denbaw (mères) et les
denfaw (pères), les terimusow (amies de la mariée) ou terikew (amis du
marié), le danamogo ou parrain et la manyonbaga ont plusieurs rôles qui
commencent dès le choix du fiancé/de la fiancée et se poursuivent
même après la cérémonie du mariage.
Dans la localité de Banamba et environs, le mariage est considéré par la
communauté tout entière comme un changement de statut que les
jeunes, c’est-à-dire le marié et la mariée doivent honorer. C’est pour
cette raison, selon la tradition locale, avant la chambre nuptiale, les

14 Kiban est l’un des villages du duguwolonwula, l’heptapôle polarisée par Banamba. Il présente par
conséquent un profil socioculturel hérité d’une riche histoire. Situé sur l’axe central du commerce
soudano-sahélien pour lequel il constituait une étape privilégiée et un carrefour de diverses
transactions de l’État de Ségou, la cité a été une zone de brassage de populations de diverses
origines géographiques.

252
jeunes (fille et garçon) sont préparés pour entrer dans leur nouveau
statut de mariés. Ils ne doivent plus dire et faire n’importe quoi, ne
doivent pas insulter et se comporter de manière vulgaire comme ils
pouvaient se le permettre avant. Ils doivent savoir se maîtriser parce
qu’ils changent de statut. Le marié et la mariée reçoivent ce précepte de
façon formelle. C’est une forme de rite ou un ensemble de rites par
lesquels les jeunes doivent passer pour atteindre le statut de mariés (cf.
Van Gennep, 1981). Le processus de passage par le rite du mariage
commence par le paiement d’une compensation appelée dot à la famille
de l’épouse.
4. Dot pour la fiancée ou compensation matrimoniale
L’entrée en premier mariage correspond à un processus au cours duquel ont lieu le
paiement de la dot, les cérémonies : religieuse musulmane, coutumière et civile, le
début de la corésidence des époux (Lardoux, op. cit.). À Banamba comme à
Kiban, le montant de la compensation matrimoniale, bien qu’il varie
légèrement d’un clan à l’autre, semble harmonisé si nous nous référons
aux discours des interlocuteurs sur le terrain : « Ici, la dot s’élevait en 1996
à 40 000 F CFA. Ensuite, nous nous sommes réunis pour en débattre et,
aujourd’hui, la dot de la fille oscille entre 50 000 et 100 000 F CFA. Le prix de
la fiancée dépend des clans ou kabilaw. Chez nous, à Simparala, c’est 75 000 F
CFA » (Père d’un marié à Banamba, enquête, 2019).
À Kiban, la dot pour la fiancée est un montant presque similaire à celui
en vigueur à Banamba. Selon un conseiller communal de la mairie de
Kiban, la dot à payer varie de 50 000 FCFA à 100 000 F CFA selon les
clans. Cependant, pour que le mariage soit effectif, plusieurs acteurs
jouant différents rôles interviennent auprès du jeune homme et de la
jeune fille.
5. Balemamusow et leurs rôles avant et après la célébration du
mariage
Les balemamusow ou sœurs jouent leur partition lors des préparations
préliminaires du mariage. Il est difficile de comprendre toute la
complexité de leurs rôles en matière d’alliances matrimoniales à
Banamba sans faire une observation pointue et en posant des
questions.
Les sœurs de la future mariée ou balemamusow se réunissent et cotisent
chacune 500 F CFA, somme rassemblée et remise à la mariée koniomuso
comme prix du thé, suite à une salutation dénommée balemamusofoli.

253
Cinq jours avant le jour de la célébration du mariage, la
balemamusokuntigi, c’est-à-dire la personne choisie comme leader des
balamamusow achète du kaolin ou bogoni à l’aide duquel on fait bulonseri
ou acte de peindre le vestibule15, lieu où le futur mari koniokè et ses amis
passeront la journée durant la semaine que durera la chambre nuptiale.
Le bulonseri a lieu le dernier mardi ou le dernier samedi avant le jour du
mariage. Ces deux jours sont choisis, car le mardi est considéré comme
un don-duman, c’est-à-dire un jour de chance et le samedi un don-mafila,
c’est-à-dire un jour double selon la croyance lorsqu’un événement
heureux ou malheureux se passe le samedi, il se répétera. Au-delà de la
croyance symbolique attachée à ces deux jours, il semblerait avoir une
raison de disponibilité des femmes, car la foire hebdomadaire de
Banamba a lieu tous les lundis. La foire étant très fréquentée par les
femmes, elles évitent d’autres activités le jour d’avant qui est le
dimanche et le jour J de la foire le lundi. En plus de la disponibilité, il y
aurait aussi le fait que l’état du vestibule reste attrayant, il ne faudrait
que la peinture de kaolin soit faite plusieurs jours avant le mariage
collectif qui a lieu un mercredi, jeudi ou vendredi en fonction du choix
des anciens.
Auparavant, lors de cet événement, les vieilles femmes préparaient du
dege ou sorte de crème à base de mil et de lait que l’on buvait après le
bulonseri. Maintenant, avec l’évolution des pratiques coutumières, les
femmes préparent plutôt des plats qu’elles jugent consistants comme
des pâtes, macaroni, riz au gras, etc. que les personnes qui participent
au bulonseri mangent après. Pour les frais liés à la préparation de ce plat,
les balemamusow ne font pas payer leurs frères balemakè, elles prennent
entièrement en charge cette dépense.
Pour le mariage de manière générale pour chaque balemakè ou frère de
la famille, chaque balemamuso ou sœur paie 25 000 F CFA. Selon la
tradition locale des rites du mariage, à chaque nouvelle mariée, les
balemamusow offrent deux pagnes en tissus de cotonnade ou dankononw :
la mariée est enveloppée dans l’une en allant dans la chambre nuptiale

15Le vestibule est « une pièce ou un couloir d’entrée d’une maison, d’un édifice donnant accès
aux autres pièces, à un escalier ». En contexte malien et pays voisins, le vestibule est une large
pièce où le paterfamilias ou le chef de village exerce son autorité́. Le vestibule est donc le lieu qui
incarne le pouvoir local. Sous l’État de Ségou, le palais royal lui-même était constitué par un
emboîtement de sept vestibules. Construire un vestibule était donc consacrer un lieu, l’investir
d’un pouvoir protecteur (Sow, 2018, p. 196).

254
et elle se couche sur l’autre. À Banamba, jusqu’à nos jours, dans la
chambre nuptiale, il n’y a ni couvre-lit, ni matelas, ni ventilateur. La
première nuit du mariage, les balemamusow apportent les deux dankononw
et une natte. Elles se rendent dans la famille alliée en compagnie de la
mariée dans la chambre nuptiale. Cette étape est cruciale dans le rôle
des balemamusow, car sans elles, les denbaw ou les mères de la mariée
refusent que leur fille sorte pour aller rejoindre son mari. Les trois jours
qui précèdent la chambre nuptiale, les balemamusow procèdent à la purge
de la mariée en cuisinant des repas qui provoquent la diarrhée ou
konoboli pour l’affaiblir, car la majorité des filles sont vierges. Pour que
la force de la jeune fille ne lui permette pas de résister au marié dans la
chambre nuptiale, on l’affaiblit. Mais, si la mariée a déjà un enfant ou si
elle a déjà perdu sa virginité, il n’y a plus de purge.
Avec le reste de l’argent cotisé, les balemamusow achètent deux ou trois
pièces de pagnes Wax et le matin du lendemain du mariage, elles se
rendent à la chambre nuptiale. Si la mariée refuse de leur parler, elles lui
offrent une pièce de trois pagnes appelés dayèlèlifini qui signifie
littéralement habit pour libérer la bouche, c’est-à-dire ce qui fait qu’elle
accepte de parler pour la première fois à une personne différente de
son mari, depuis l’entrée en chambre nuptiale. Si elle avait gardé sa
virginité, elle reçoit une autre pièce de trois pagnes de la part des frères
du nouveau marié ou balemakew, si ces derniers sont très contents et
qu’ils ont des moyens ; ils peuvent aussi donner un montant qui s’élève
à 50 000 F CFA, de l’or, etc., en fonction de leur capacité.
5.1. Gestion et organisation du vestibule ou Bulonw
Les balemamusow ont pour devoir de balayer le vestibule chaque matin,
donner de l’eau au marié pour qu’il se douche à midi et le soir sous
peine de sanctions. En plus de cela, elles payent des dates qu’elles
servent au nouveau couple et aux amis du nouveau marié.
Le rituel du mariage a tendance à avoir des répercussions avec
l’organisation sociale. C’est pourquoi Romittelli explique : « le but final de
l’ethnographie de la pensée est de trouver dans la pensée même des personnes que
nous interrogeons directement des prescriptions utiles à améliorer les politiques
sociales concernant leur condition » (Romitelli, 2012, p. 93). Au cours de la
semaine, chaque quartier organise ses bulonw ou tonbulow – vestibules ou
groupes de chaque vestibule. Les tontigiw ou chefs de groupe partagent

255
les amis des mariés entre les bulonw du quartier. « Le ton16 est un système
d’association sociale et juridique dans beaucoup de villages au Mali. En fait, tous
les villageois sont d’office membre du ton, qui a un rôle symbolique de socialité
plutôt que politique » (Bagayoko, 2016, p. 180). Dans le cadre du mariage
collectif de Banamba, c’est le ton qui fait la répartition de ses membres
entre les différents bulonw ou vestibules. Au sein de chaque bulon, il y a
aussi une organisation interne. Au niveau de chaque bulon, il y a un
kuntigi ou chef, qui est un communicateur qui informe en tant que chef
de griot. Chaque bulon s’organise pour fixer la police ou saria 17 du
vestibule. Ainsi, les membres du bulon peuvent se mettre d’accord sur
les sanctions à prendre sur la base des règles fixées comme : ne pas
rentrer dans le vestibule avec les chaussures ; le fait de n’avoir pas
arrosé et balayé le matin le bulon ; le fait que la jarre à eau soit laissée
vide ; le fait d’appeler le nouveau marié par son prénom (il est d’usage
de l’appeler plutôt Makè ou Massakè – maître ou roi). Le nombre de
noix de cola ou de dates à donner comme sanction est déterminé par
avance avec les règles qui régissent les bulonw, mais ce nombre ne
saurait excéder cinquante noix de cola ou de dates. Celles ou ceux qui
sont sanctionnés doivent payer des noix de cola ou des dates
conformément à la demande de la partie qui inflige la sanction. En
général, dans le vestibule de proximité, les sanctions ne stipulent pas de
l’argent, mais uniquement des dates ou des noix de cola.
Si les balemamusow oublient de balayer le vestibule ou d’enlever les restes
après chaque repas, ou si l’heure d’un repas n’est pas respectée à la
lettre, elles écopent d’une sanction. Il y a deux types d’infractions : le
fait de s’asseoir sans demander la permission, de s’appuyer sur la poutre
du vestibule et de rentrer dans le vestibule avec ses chaussures. Ce
premier groupe d’infractions est sanctionné par le paiement de
laadaworo ou cola coutumier. Le deuxième groupe d’infractions consiste
à insulter, s’asseoir sur la chaise du nouveau marié considéré comme le
roi ou masakè sigilan. Ces deux dernières infractions sont sanctionnées
par le paiement de Nyagiliworo ou cola de punition. Il faut noter que

16 Dans son ouvrage sur les écoles communautaires au Mali, Sidy Lamine Bagayoko indique que :
« le “ton” est respecté́ par les villageois, car il est considéré́ comme une institution qui a un pouvoir à travers la
parole des anciens, le pouvoir de punir par la mort provoquée par les fétiches suite à une violation constatée »
(Bagayoko, 2016, p. 182).
17 Dans beaucoup de langues vernaculaires du Mali, comme le bamanankan, le soninké, songhaï,

etc., le mot saria est employé pour désigner les règles, la loi, comme le mot charia en arabe qui
signifie loi.

256
toutes ces modalités de sanctions peuvent varier d’un bulon à un autre,
car il n’y a rien de figé.
5.2. Accompagnement de la mariée dans la chambre nuptiale et
chez son mari
La nuit où la mariée doit être recluse dans la chambre nuptiale, il arrive
que ses amies la cachent pour que les émissaires du marié leur donnent
de l’argent. Pour que cela n’arrive pas, les balemamusow négocient avec
les amies de la mariée. Suite à cette négociation, une somme
consensuelle est payée et la mariée ne sera plus cachée. Une fois que
cette somme est payée suite à une négociation menée par les
balemamusow, la mariée restera à la maison paternelle pour attendre la
délégation chargée de l’amener dans la chambre nuptiale. Cette
délégation est composée des balemamusow, un ami du marié et de la
magnonbaga. Si cette délégation en compagnie de la mariée arrive au
niveau de la chambre nuptiale avec les dankononw et la natte, on fait
appel au marié avant d’y entrer d’abord. Le marié vient, entre dans la
chambre nuptiale, un de ses amis, étale la natte. C’est après son
installation que la mariée rentre. Mais, cela trouvera que les amies de la
mariée ou terimusow ont déjà attaché la moustiquaire sous laquelle la
mariée dormira avec son époux toute la semaine que dure la chambre
nuptiale.
Après la période d’une semaine dans la chambre nuptiale, c’est aussi le
devoir des balemamusow accompagnées par les petits frères du mari,
d’acheminer les bagages minenw de la mariée au foyer conjugal. Ensuite,
la nuit, les balemamusow accompagnées des amis du marié vont
demander aux parents de la mariée (pères et mères) l’autorisation
d’amener la mariée au foyer conjugal. Une fois de plus, ici, les
balemamusow ne demandent ni le prix du riz, ni le prix des condiments,
ni le prix de boissons rafraichissantes ou jinimere qui sont servis aux
nombreux visiteurs et convives pour la circonstance.
5.3. Rôle des balemamusow après la célébration du mariage
Le jour où le nouveau marié reçoit sa femme, les balemamusow donnent
des conseils à leur frère, car, dit-on à Banamaba, chaque balemamuso
connaît son frère. Elles demandent au mari de bien traiter sa femme. Si
les balemamusow constatent que leur frère maltraite sa femme, elles
interviennent parce qu’elles estiment qu’elles sont avant tout des
femmes. En revanche, si la femme de leur balemakè (frère) ne les
respecte pas, si elle veut détruire l’unité de la famille, elles s’opposent à

257
ces genres de comportements au risque d’isoler cette femme et son
mari, car aucun frère ne peut ni insulter ni frapper sa balemamuso selon
la tradition qui implique le respect à sa sœur.
Les balemamusow constituent un garde-fou contre la maltraitance de la
femme par son mari et le mauvais comportement de la femme vis-à-vis
de son mari. Elles gèrent les petits différends qui peuvent exister entre
la femme et son mari à l’insu des anciens pour éviter des débordements
si bien qu’il est rare qu’une femme aille informer ses parents des
problèmes survenus entre elle et son mari.

6. Benbaw et denfaw ou parents de la mariée

6.1. Denbaw ou mères de la mariée


Le premier rôle des mères ou denbaw consiste à doter leur fille. Les
mères cherchent pour les futures épouses des pagnes et des ustensiles
de cuisine. Dans l’acquisition du trousseau de mariage, il arrive que
leurs frères balemakèw les épaulent. En plus de cela, les denbaw donnent
des conseils à leur fille. À Banamba, les mères donnent en général deux
types de conseils à la mariée : le premier, non verbal, est relatif au
comportement propre à une femme dans la famille. La manière dont
une mère se comporte dans la famille sert de boussole à sa fille en guise
de conseil non exprimé verbalement. En posant la question l’information,
c’est-à-dire la communication est-elle l’essence de la vie ? Valério Romittelli
défend : « la thèse selon laquelle qu’en étant au fond un savoir communiquer, tout
savoir est aussi un pouvoir dans l’échange d’informations. D’où la conséquence que
le remède de tout problème vital, y compris de la vie communautaire, serait dans une
augmentation du pouvoir de la communication » (op. cit., p. 101-102). Le
conseil verbal est articulé autour de l’entente et en donnant des
exemples précis à la fille : « tu nous vois chez ton père, il faut aimer tout le
monde et t’occuper de tout le monde ». De même après le mariage, chaque
fois que la mariée revient à la maison pour rendre visite aux parents, les
mères ou denbaw en profitent pour lui prodiguer des conseils.
Un apport des mères dans la bonne conduite de sa fille réside dans le
discours matrimonial qui consiste à dire : « ma fille, si tu as eu la chance
d’avoir un mari aujourd’hui, si un homme t’a choisie, c’est grâce à l’image que les
gens ont de ta mère dans la communauté. C’est parce que ta mère a accepté d’obéir
aux principes du mariage. Tu connais ton père, c’est pourquoi tu dois respecter ton

258
mari et ses parents et tu en tireras tous les bénéfices » (Entretien individuel avec
un notable, père d’un marié, mai 2019).
Les mamans ou denbaw continuent à donner des conseils à la nouvelle
mariée à l’intérieur de la chambre nuptiale. Ces conseils se focalisent
sur le comportement à adopter pour soutenir et respecter son mari. Ces
conseils consistent entre autres à demander à la fille d’accepter les
souffrances du foyer conjugal, même si elle est victime d’injures de la
part des beaux-parents de les garder pour elle. Une femme correcte
signifie la résignation et le respect des autres. Le mariage, ce sont les
échanges de parents entre époux : les parents du mari sont comme les
propres parents de la femme. Après cette étape, elle passe devant les
pères qui prodiguent à leur tour des conseils et bénissent l’union.
6.2. Faw ou les pères
Dans presque toutes localités du Mali, traditionnellement, le père
biologique n’intervient pas directement dans la gestion des questions de
mariage concernant ses propres enfants. Ses prérogatives sont affectées
à ses frères. Ce mécanisme est toujours observé dans certaines localités
à l’instar de Banamba et les localités qui participent à la célébration des
mariages collectifs. Ainsi, à l’occasion du mariage d’un jeune garçon,
son oncle prodigue des conseils à son endroit : « Tu vas maintenant
prendre une femme. Ne la maltraite pas. Tu ne vaux pas mieux qu’elle. Considère-
la comme une sœur. Ne profère pas de paroles qui puissent la blesser. Moi, je suis
déjà vieux, je ne resterai pas auprès de toi. Je vais mourir et tout te reviendra.
Prends courage et sois assez responsable de tout ce que tu dis et de tout ce que tu
fais » (Un notable de Banamba, père d’un marié, avril-mai 2019).
Les pères conseillent à la nouvelle mariée de considérer le père de son
mari comme son propre père, de considérer la mère de son mari
comme sa propre mère ; ainsi les frères, sœurs et autres parents du mari
doivent être désormais considérés comme des parents. Avec les beaux-
frères et les belles-sœurs ou nimogoninw, tous les coups sont permis,
toutes les plaisanteries sont permises sauf les grossièretés. Les pères et
les grands frères sont les beaux-parents burankèw et sont à respecter. La
femme a obligation de rejoindre son mari là où il décidera d’aller vivre.
La femme a aussi le devoir d’aider son mari dans les moments difficiles
tout comme elle doit être prédisposée à partager le bonheur de son
mari avec les autres. Étant donné que le mariage unit deux familles, il
est conseillé à la femme d’être un pont entre les membres de la famille,

259
mais jamais une lame pour rompre la parenté, c’est-à-dire ne jamais être
la source d’un point de discorde dans la belle famille.
7. Amies ou terimusow de la mariée et amis ou terikew du marié

7.1. Amies ou terimusow de la mariée


Les amies ou terimusow de la mariée jouent aussi un rôle en fonction de
leur statut d’amie d’enfance. Elles lui tiennent compagnie jour et nuit
jusqu’au coucher, et cela tous les jours, jusqu’à sa sortie de la chambre
nuptiale. Pendant les trois jours qui précèdent le mariage, du dimanche
jusqu’au mardi, elles jouent au guita un instrument traditionnel de
musique constitué d’une calebasse renversée dans un grand récipient
rempli d’eau. Elles chantent en tapant sur la calebasse renversée dans
l’eau qui émet une mélodie qui fait des échos dans le quartier ou les
maisons environnantes. Les chansons du guitafoli ont beaucoup de
signification. Selon les chansons chantées par les terimusow ou amies de
la future mariée, l’on peut entendre :
« Tu es partie et tu nous as laissées dans la nostalgie. Si tu vas, sache
comment parler ; sache comment te comporter envers les gens », « tu as de la
chance, tu as eu un mari. Fais-nous des bénédictions pour que chacune de
nous ait un mari. Obéis à ton mari, obéis aux parents de ton mari. Ta
mère a tant souffert, ne l’humilie pas ».
7.2. Amis ou terikew du marié
Nous avons tenu à en savoir davantage sur le rôle des amis ou terikew
d’un marié dans tout le processus du mariage et au-delà. Trois nuits
durant avant le mariage, le marié, accompagné de ses amis, se rend chez
la mariée pour causer après le dîner aux environs de 21 heures
jusqu’aux environs de minuit. La quatrième nuit, les terikew ou amis du
futur marié organisent le ton ou association. Les amis du marié, les
pères, les frères aînés forment ce type d’association ou groupe appelé
ton. Suite à la formation du ton, on établit la liste des mariés chez
lesquels on passe dans l’ordre pour coudre les dankononw vu que c’est
dans le cadre du mariage collectif. Tous les membres du ton se
rencontrent chez le premier marié sur la liste. S’ils cousent ses
dankononw, ce marié et deux de ses amis restent sur place et ainsi de
suite, jusqu’à ce que tous les dankonow soient cousus. Ensuite, les amis
rasent la tête du marié pour lui remettre une chemise sous forme de
boubou simple et un pantalon en percale blanche.

260
Photos 2 et 3 (avril-mai 2019) : Les amis du nouveau marié prennent la
mesure du dankonon et procèdent à sa couture à la main, la tenue que va
porter le marié pendant la semaine de la chambre nuptiale.

261
La manyonba prépare la mariée et la remet aux balemamusow et aux amis du
marié. La manyonba fait rentrer la mariée dans la chambre nuptiale. C’est
après cela que les amis du marié et le marié viennent s’y installer. Le
marié passe la nuit. Quant aux amis du marié, ils retournent chez eux. Le
matin, à l’aube, les amis du marié reviennent le chercher et l’amènent à la
maison, dans le vestibule où les balemamusow apportent tous les jours à
manger vers 9 heures pour le petit déjeuner, vers 15 heures pour le
déjeuner et vers 19 heures pour le dîner, du mercredi soir au jeudi matin
(une semaine de 7 jours). Tous les jours, dans le vestibule, on organise le
ton traditionnel qui permet de sanctionner pour manquement aux règles
établies, les uns et les autres qui paient de l’argent et, avec cet argent, le
groupe ou ton achète une chèvre que tout le monde mange ensemble.
Le jeudi, la mariée passe la journée chez ses parents où les balemamusow
du marié vont tresser à nouveau ses cheveux. Le vendredi, le marié et ses
amis terikew vont apprécier les tresses de la mariée chez elle. Certains
diront que les tresses sont belles tandis que d’autres peuvent s’en moquer
par plaisanterie. La mariée passe la nuit du vendredi chez ses parents et le
samedi soir, elle est reconduite chez son mari. La même nuit, les denbaw
ou mères de la mariée viennent dire aux amis ou terikew du marié que leur
femme est arrivée. Les terikew ou amis du marié vont saluer la nouvelle
mariée et faire des bénédictions au couple en disant : « Ala ka furu ni si
bèn ! Ka sen ni bolo bwo a la ! Allah ka aw kisi samara ni tigiw toro ma ! » qui
veut dire : longévité dans le mariage. Que Dieu vous bénisse avec
beaucoup d’enfants. Que Dieu vous préserve de la médisance ! Mais
avant de rejoindre le domicile conjugal, les terikew ou amis accompagnent
la nouvelle mariée chez son parrain qui est un homme de confiance ou
danamogo de sa famille. En cas de différend avec son mari, elle se rend
dans cette famille marraine qui cherche à gérer tous ses problèmes sans
pour autant informer ses parents biologiques. Elle peut passer environ
deux à quatre heures dans cette famille de danamogo.
8. Parrain danamogo
Le choix d’une famille parraine pour la mariée est une vieille tradition à
Banamba et environs. La valeur de ce système de parrainage dans la
stabilité des foyers est reconnue par tous les acteurs impliqués dans la
célébration des mariages collectifs. Un imam l’a évoqué en ces termes :
les parents de la mariée la confient à quelqu’un qui est chargé de gérer
tous les problèmes la concernant. On explique à la mariée si elle a des
problèmes, d’aller le dire à celui à qui elle a été confiée comme danamogo

262
ou parrain, mais pas chez les parents. Cela est le message des parents à
leur fille qui se marie. La personne, à laquelle est confiée la mariée, est un
vieil homme à qui les parents de la mariée font confiance, même si ce
dernier n’est pas un membre de la famille biologique.
Le principe de danamogo ou parrain est fondamental dans le cadre du
mariage à Banamba et environs. La mariée n’est jamais conduite
directement de sa famille à celle de son mari. Généralement, les mariées
qui quittent les villages et hameaux pour rejoindre leurs époux à
Banamba ne sont pas confiées par leurs parents. Elles ont pour danamogo
l’imam du quartier à qui elles confient tout ce qu’elles ont comme griefs.
Cet imam gère tout sans que les parents biologiques en soient informés.
9. Manyonbaga ou conseillère matrimoniale
Dans la pratique du mariage, c’est la manyonbaga qui est chargée de la
gestion de la chambre nuptiale. C’est elle qui choisit une chambre dans la
maison où elle habite, soit dans les environs. « Les systèmes fondés sur la
parenté deviennent souvent le fondement de l’inégalité sociale alors que certains groupes
sont vus comme supérieurs à d’autres, comme dans les systèmes de caste ; et la parenté
établit toujours les conditions des relations sexuelles, du mariage et de la transmission
de la propriété d’une génération à l’autre » (Graeber, 2018, p. 62). Bien qu’à
l’origine l’objectif d’organiser le mariage collectif était d’alléger les
dépenses en mutualisant les coûts, afin de raffermir la cohésion sociale
dans la communauté. Le processus de mariage en tant que tel fait
apercevoir des inégalités dans la hiérarchie sociale, surtout en ce qui
concerne les manyomba considérées comme appartenant à une classe
sociale inférieure. À Banamba, les manyonbaga sont des descendantes des
familles de castes et d’esclaves woloso ou jon avec lesquelles les nobles ne
se marient pas. Mais les femmes nobles peuvent aussi devenir manyonbaga
à l’occasion de la célébration du mariage des jonw ou des wolosow.
La nouvelle mariée passe toute la semaine sous la garde et la supervision
de la manyonbaga. Elle met à sa taille, au niveau de la hanche, une perle
traditionnelle confectionnée à la main appelée moronmoron-baya. Pour
qu’elle attire mieux grâce à sa bonne odeur, il y a le wusulan ou l’encens
qui est utilisé. Avant qu’elle ne se couche à côté de son époux, le
moronmoron-baya ainsi que le pagne court qu’elle porte comme sous-
vêtement ou pentelu sont parfumés dans l’encensoir couvert par un petit
panier. La mayonbaga fait de sorte que la nouvelle mariée consomme
uniquement de la bouillie et de l’eau chaude préparée avec les racines
d’une herbe provenant du fleuve que l’on appelle localement babin ou

263
herbe de fleuve. Les jeunes mariés (jeune homme et jeune femme)
reçoivent beaucoup d’autres conseils pour la réussite du mariage de la
part des parents et du manyonbaga. Certaines valeurs sont inculquées dans
la tête du jeune couple qui doit comprendre que le foyer conjugal est
perçu comme un lieu où l’on s’accepte, se tolère et se protège pour un
vivre-ensemble harmonieux et durable.
10. Partenaires et sponsors comme de nouveaux acteurs du
mariage collectif de Banamba
À Banamba et localités alliées, le mariage collectif se présente comme
une manifestation culturelle en voie de s’internationaliser avec par
exemple des sponsors venus de la Côte d’Ivoire. Avec cette
internationalisation, cette tradition de mariage collectif est convoitée et
utilisée par d’autres acteurs comme les sponsors et partenaires pour des
fins commerciales et économiques. « La culture est utilisée de manière très
essentialiste, à des fins d’ordonnancement des champs politiques et économiques des
sociétés actuelles, et des relations entre les sociétés elles-mêmes » (Dimitrijevic,
op. cit., p. 44). Lors de l’édition 2018, la salle de célébration de la mairie a
accueilli cent vingt-deux (122) jeunes couples contre cent vingt-neuf
(129) en 2017. Ces célébrations collectives ont été parrainées par une
société ivoirienne dénommée la nouvelle parfumerie Gandour en
collaboration avec Universelle beauté, une marque de crème de beauté. Une
semaine avant le mariage collectif, ces partenaires et sponsors de la
mairie se sont installés près des maisons des mariées avec une équipe de
coiffeuses pour préparer gratuitement les futures mariées. Pour la
circonstance, Gandour a apporté plusieurs cadeaux, à savoir deux
bonbonnes de gaz, dix glacières, onze radios mini-chaînes, deux
téléviseurs écran plat, un lit avec accessoires, une armoire avec coiffeuse,
des fauteuils de salon complet. La nouvelle parfumerie Gandour a
également équipé la mairie avec cent chaises bourrées toutes neuves.
Pour les futures éditions, les autorités communales souhaitent diversifier
leurs partenaires afin que la population et la commune en tirent le
maximum de profit.
11. Résultats et discussion
À Banamba, le mariage engage la communauté tout entière à travers
toutes les classes d’âge et tous les leaders communautaires. Dans les
localités de Banamba et de Kiban, le choix du mois, de la date du
mariage et de la diffusion de cette information incombe à la chefferie, à
l’imam et aux autorités communales. Personne ne met en cause cette

264
date. Dans ces localités, les autres acteurs comme les balemamusow, c’est-
à-dire les sœurs du côté de l’homme comme du côté de la femme, les
denbaw, les mères du côté de l’homme et du côté de la femme, les denfaw,
les pères du côté de l’homme comme du côté de la femme, les teriw, les
amis de l’homme et les amies de la femme, la manyonba, c’est-à-dire une
vieille femme experte en sexologie chargée de préparer la mariée à sa
nouvelle vie sexuelle et conjugale, le danamogo qui veut dire littéralement
personne de confiance, mais qui est dans la pratique le parrain de
l’homme, ont un rôle transversal qui commence dès le choix du
fiancé/de la fiancée18 et se poursuit même après le mariage.
La pratique du mariage entre les habitants de la localité de Banamba
semble avoir émergé au cours du premier siècle de la fondation du
village : « Selon la tradition orale racontée par les vieilles personnes, à son
installation, Banamba est resté cent ans à pratiquer le mariage quasiment
“endogamique”, strictement restreint au champ clos des lignages autochtones du village.
Pendant ces cent ans, aucun homme de Banamba ne s’est marié ailleurs et aucune fille
de Banamba n’a été épousée par un homme venant d’ailleurs. »19 Cette affirmation
est confirmée par cet autre notable : « Ici, à Banamba, on ne cherche pas la
femme, on la donne parce que nous nous marions entre nous. Ici, les familles se
confondent, tant nous sommes unis par des liens matrimoniaux (du bè ye kelen ye),
c’est-à-dire toutes les familles font une seule ». Cela implique dans la pratique
que les enfants des sœurs et frères utérins se marient entre eux. La
communauté estime que ces liens de mariage intracommunautaires
renforcent la solidarité, la pitié et l’amour entre les membres au sein de la
communauté. De ce fait, cette pratique du mariage collectif comme
pratique culturelle découle de son caractère essentialiste. L’essentialisme
réside en la transformation par l’observateur de ce que les gens font, en
ce qu’ils sont ; et c’est la notion de culture qui est désignée responsable
(Bensa, 2006 ; Bazin, 2008). Les défenseurs de cette coutume en matière
de mariage estiment que cette pratique est le fondement de la richesse à
Banamba « wari sun bè Banamba yan, c’est-à-dire l’arbre qui produit de
l’argent est à Banamba ici ». « La différence entre une classe au pouvoir et un

18 Dans certaines localités du Mali la procédure de fiançailles peut commencer depuis la naissance

d’une fille. Par exemple à Sanso, région de Sikasso ; lors du baptême d’une fille, un des parents
liés à la famille par d’autres types d’alliances peut se permettre de nouer de la corde aux pieds de
l’enfant, cela signifie que cette dernière serait la future épouse promise à sa famille (Traoré et
Bagayoko, 2019, p. 46).
19 Ce propos nous a été raconté par un notable de la ville de Banamba lors de notre enquête de

terrain pendant une cérémonie de mariage collectif de Banamba et de Kiban (propos recueilli en
avril-mai, 2019).

265
ensemble de personnes qui ont bien réussi est quand même précisément la parenté : la
capacité de marier ses enfants convenablement et de transmettre ses avantages à ses
descendants » (Graeber, op. cit., p. 63). De même, cette pratique expliquerait
le peu ou l’absence même de divorces à Banamba. Il serait difficile de
voir une femme abandonner son domicile conjugal pour aller se plaindre
auprès de ses parents biologiques tout en remettant en cause le mariage
intracommunautaire.
Banamba et Kiban pratiquent le mariage préférentiel entre lignages
fondateurs pour renforcer la parenté et maintenir les liens d’entraide (cf.
Casajus, 1987). Toutes les familles de Banamba ont tendance à avoir des
liens de parenté entre elles, c’est pourquoi le mariage restreint aux
lignages fondateurs est le plus pratiqué jusque-là. Grâce à la proximité,
aux liens qui unissent les parents, la femme et son mari se respectent et
respectent le lien sacré entre les deux familles.
Conclusion
À Banamba comme à Kiban ou Madina Sacko, la pratique du mariage
collectif est une vieille tradition qui demeure un patrimoine culturel à
protéger non seulement pour la population locale, mais aussi pour tous
ceux qui sont épris de culture et de tradition. Les habitants et
ressortissants de la région de Banamba ainsi que les acteurs impliqués
dans l’organisation du mariage collectif lui accordent une signification
essentialiste. « L’essentialisme n’est pas inhérent à la description de l’identité, mais
au projet de faire dériver les pratiques de l’identité “nous faisons ceci parce que nous
sommes cela’’ » (Brubaker, 2001, p. 71). L’originalité de ce mariage collectif
est son interférence avec le mariage préférentiel à l’intérieur des lignages
maximaux ayant fondé le village ; le tissu social devient comparable à une
toile d’araignée ou à un calebassier aux branches entremêlées. Partant, la
parenté, les activités socioéconomiques solidaires ainsi que la cohésion
sociale se trouvent renforcées.
Au total, cette étude aura permis de collecter un matériel oral,
iconographique et audiovisuel sur un aspect du mariage collectif qui
présente une forte originalité par rapport à l’organisation individuelle du
mariage qui est la forme la plus connue. Une recherche en marge ou en
dehors de l’événement, c’est-à-dire du cérémonial, a permis de documenter
différents sujets relatifs aux différents rôles de certains acteurs clefs
impliqués dans l’organisation et la réussite du rite du mariage. Des sujets
relatifs aux savoir et savoir-faire locaux sur les techniques du tressage, de la
parfumerie, du tissage, de la poterie spécialisée pour le mariage, la couture,

266
etc. Mais aussi le savoir des manyomakan, conseillères des nouvelles mariées
dans les chambres nuptiales ; des manucures et autres spécialistes en
beauté ; des messagers des familles alliées.
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268
Chapitre 14

Les rites du mariage chez les Peuls des régions de Ségou et Mopti :
entre traditions et modernité

Bréma Ely DICKO,


Sociologue, Enseignant-Chercheur à
l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB)
bremaely@yahoo.fr

Résumé
Ce texte décrit les rites de mariage chez les Peuls originaires des régions de
Ségou et de Mopti au Mali. La méthode qualitative a été utilisée afin de
collecter les données en 2017 auprès de dix personnes-ressources (couples
mariés, personnes âgées, l’initiatrice nuptiale, imam, maabo (griot peul)
originaires des régions de Ségou et de Mopti. Il ressort de l’étude qu’au
Mali le mariage demeure une pratique culturelle communément admise par
l’ensemble des groupes ethniques. Il donne lieu à des rites traditionnels qui
s’appliquent aux familles ainsi qu’aux mariés. Le mariage chez les Peuls est
présenté dans ce texte comme un rite de passage du couple à un nouveau
statut social. Les rites dont il est question dans le texte mettent en jeu des
« émotions collectives » et montre que le mariage est une institution sociale
mettant en interaction une pluralité de personnes.
Mots clés : Mali, Mopti, Peul, Rites du mariage, Ségou
Abstract:
This article describes the marriage rites among the Fulani people from the
regions of Segou and Mopti in Mali. The qualitative method was used to
collect data in 2017 from ten resource persons (married couples, the
elderly, the bridal initiator, imam, maabo (Fulani griot) from the Regions
of Ségou and Mopti. The study shows that in Mali, marriage is a cultural
practice commonly accepted by all ethnic groups. It gives rise to traditional
rites that apply to families as well as to the bride and groom. Marriage
among the Fulani is presented in this text as a rite of passage for the
couple to a new status. The rites discussed involving ‘collective emotions’
and shows that marriage is a social institution involving a plurality of
people.
Keywords: Mali, Mopti, Fulani, Wedding rituals, Segou

269
I. Introduction

Le Mali est une mosaïque ethnique et culturelle qui se manifeste à travers


l’existence d’une multitude d’aires culturelles : bwa, peul, sénoufo,
minianka, malinké, soninké, khassonké, bambara, bozo, somono, etc.
Nonobstant, les brassages nés des empires (Wagadu et Manding) et
royaumes (Sosso, Songhaï de Gao, Kharta, Ségou, Khasso, Peul du
Massina, etc.) qui ont mis en mouvement des personnes autour
d’ensembles politiques guerriers, chaque groupe ethnique a conservé des
traits culturels. Hormis la langue, l’habillement, l’organisation du mariage
est sans doute la pratique culturelle qui donne à voir les spécificités à
travers des rituels.
Ce corpus traite des rites du mariage chez les Peuls des régions de Ségou
et de Mopti situées dans la partie centrale du Mali connue sous le nom de
« centre du Mali ». Il revient sur le processus qui procède la célébration
elle-même. Ensuite, l’analyse portera sur les rites usités ainsi que sur les
évolutions relevées dans le déroulé.
1.1. Terrain et méthodes
Eu égard à la nature du thème abordé, l’approche qualitative a été
privilégiée pour la collecte des données. Le corpus s’appuie sur dix
entretiens individuels avec des personnes-ressources dont deux mabos
(griots peuls), une initiatrice nuptiale, deux couples mariés appartenant à
deux générations différentes, un imam, quatre participants à des
cérémonies de mariage chez des Peuls. Les données ont été collectées en
janvier 2017 à Bamako auprès des ressortissants des régions du centre
(Ségou et Mopti). Elles ont été complétées par nos observations de
cérémonies de mariage afin de relever les traits caractéristiques au milieu
peul. Ce texte se veut une réflexion sur les rites associés au mariage et à
leur mutation.
Après un aperçu sur la fonction sociale du mariage, il sera d’abord
question du choix de la première épouse, puis du processus de demande
en mariage conduisant aux fiançailles et au versement de la dot. Ensuite,
l’analyse se focalisera sur l’organisation du mariage avec tous les rituels
qui l’accompagnent.
1.2. Le mariage, une institution universelle
En tant qu’institution sociale (Gunter, 1952), le mariage n’est l’apanage
d’aucun groupe, ça concerne toutes les communautés humaines.

271
L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss (1967) y voit un moyen de
réglementation de la sexualité dans le but d’éviter l’inceste par
l’instauration de la réciprocité directe dans le cadre de l’endogamie ou la
réciprocité indirecte dans le cadre de l’exogamie. En plus de la
prohibition de l’inceste comme fondement de l’échange entre les
personnes, le mariage participe selon Françoise Héritier (2005) à des jeux
d’alliances entre des familles, voire des clans. Historiquement, divers
exemples de mariages « arrangés » illustrent cet état de fait comme celui
de madame Nakani, la sœur de l’empereur Soundiata Keïta avec
l’empereur du Sosso, Soumangourou Kanté (cf. Diakité, 2021). Les
témoignages regorgent d’autres cas de rois et de personnes aisées en
quête d’assise sociale et de soutiens de voisins. Ces logiques politiques
s’accompagnent dans d’autres cas de stratégie de diversification des
ressources de la famille et d’enrichissement. Les nombreux cadeaux (or,
bétail, argent, habits, etc.) renforcent la logique de rente et la dimension
économique du mariage. Les familles dépensent beaucoup de ressources,
mais elles en accumulent aussi avant l’organisation de futures
cérémonies.
Quels sont les rites du mariage en milieu peul du Mali ? Qu’en est-il des
permanences et mutations dans les cérémonies ?
1.3. Du choix de la première 1re épouse, une prérogative du père
L’organisation sociale chez les Peuls est patriarcale avec une filiation
patrilinéaire (Bokar N’Diaye, 1970). Traditionnellement chez les Peuls,
pas seulement eux, l’endogamie est le type de mariage privilégié par les
parents. Le choix de la première épouse relève des parents. Ce sont eux
qui décident de quelle jeune fille choisir pour leurs garçons en âge de se
marier. Ce sont les cousins et cousines de la grande famille paternelle et
maternelle qui se marient sur l’initiative des parents. Selon les enquêtés,
c’est le père (un oncle paternel au besoin) qui s’occupe des dépenses
(paiement de la dot, restauration, habillement, autres dépenses liées aux
festivités).
Il s’agit d’un mariage « arrangé » entre les familles. Dans certains cas,
comme celui de monsieur Hamadi (éleveur, 50 ans), le jeune marié
découvre sa future épouse dans la chambre nuptiale. Il ne la connaissait
que de nom, n’avait jamais vu une photo d’elle, la seule image qu’il s’était
construite était le fruit de la description de ceux qui avaient vu sa fiancée.
Pour lui, l’essentiel était de se marier et de respecter la volonté de son
père.

272
Toutefois, de l’avis des enquêtés, le jeune marié peul peut célébrer une
seconde noce à sa guise et suivant ses moyens. Dans la commune de
Diafarabé dans la région de Mopti, il est rare de voir un Peul polygame.
Les rares cas concernent le lévirat. Par contre, dans la commune de
Konobougou (région de Ségou), il existe de nombreux Peuls polygames.
Ils sont généralement agroéleveurs tandis que les Peuls de Diafarabé
s’adonnent essentiellement à l’élevage, à l’enseignement coranique, au
commerce du bétail.
1.4. La demande en mariage et les fiançailles
L’enquête révèle que certaines fiançailles sont scellées dès la naissance
d’une fille. Celle-ci reçoit à sa cheville une cordelette pour matérialiser
l’accord verbal entre les deux familles. Plus tard, la belle-famille
s’acquittera du paiement de la dot. Ce fut le cas de Samba pour qui son
père a réservé, sur proposition de sa mère, mademoiselle Anna, la fille de
son oncle. Samba (maître coranique, 43 ans) raconte :
« Je suis l’homonyme de mon grand-père maternel. Ma mère m’a informé que
c’est elle qui avait suggéré à mon père de réserver la main de Anna, ma nièce.
C’est ainsi que mon père a demandé et obtenu de mon oncle que notre union
soit scellée. Une cordelette est dans ce cas enfilée autour de la cheville de
fille… Plus tard, lorsque j’ai terminé mes études coraniques dans le village de
Dioro dans la région, de Ségou, j’ai rejoint mon père. C’est alors qu’il a
organisé mon mariage, j’ai été simplement informé de la date de la
cérémonie. »
Selon madame Coumba (ménagère, sexagénaire et personne-ressource),
la situation n’est guère différente chez la jeune fille peule, car ses parents
ne requièrent pas son avis ni son autorisation. Elle est simplement
informée de ses fiançailles par la mère et ses tantes au moment qu’elles
estiment opportun. Cela intervient généralement lorsque la jeune fille
devient pubère.
Hormis ce cas de figure, pour d’autres filles, la demande en mariage
s’effectue plus tard, lorsque les parents estiment que les filles sont
devenues pubères. Dans ce cas, ce sont des maaboubè (griots peuls et
démarcheurs professionnels) qui sont mobilisés pour s’occuper des
démarches. Chaque famille peule a ses maaboubès qui jouent un rôle
essentiel lors des cérémonies. À ce niveau, comme pour les Bambaras de
Ségou, pour demander la main d’une fille, ce sont les noix de cola qui
sont offertes en guise d’un présent symbolique aux futurs beaux-parents.

273
Ces derniers conformément à la coutume remercient le démarcheur et
promettent d’examiner la demande dans un délai variable (un à trois
mois).
À l’issue de cette période, le démarcheur revient avec d’autres noix de
cola pour s’enquérir de la décision prise. Entre-temps, les beaux-parents
auront tenu une réunion afin de statuer sur l’affaire. Lorsque leur
décision est positive, le maabo (griot peul) en est informé et ce dernier fait
part de la nouvelle à qui de droit. Ce sont aussi les parents de la fille qui
fixe la nature et le montant de la dot à leur verser.
1.5. Le versement de la dot
La dot est une compensation versée par les parents du marié à sa belle-
famille. Elle peut comporter de l’or, des vaches, des pagnes, des habits
qui sont offerts en plus d’un montant variable selon les localités, voire
même des familles. Les enquêtés originaires de Diafarabé ont indiqué
que leur dot est modeste, car elle tourne entre 65 000 et 100 000 F CFA.
À ce montant s’ajoutent bien entendu d’autres dons en nature en
fonction de la bourse des familles.
Par ailleurs, la fiancée reçoit des cadeaux à l’occasion des fêtes
importantes telles que le jaaral (traversée des animaux à Diafarabé) et les
fêtes religieuses ainsi que de l’argent pour coudre des habits.
Les enquêtés indiquent que la dot quelle que soit sa valeur totale peut
être versée en tranches : c’est une facilité accordée à ceux qui en font
l’expression de besoin.
II. L’organisation du mariage chez les Peuls

Elle mobilise beaucoup de personnes et donne lieu à des rites organisés


dans les deux familles concernées. Les réjouissances qui durent une
semaine peuvent s’étaler à deux semaines donnant à voir les « émotions
collectives » (Leneveu M.- C., 2013).
C’est la famille du futur mari qui exprime son vœu de célébrer le mariage.
Elle envoie l’émissaire ou le maabo pour demander la saarti ou la date du
mariage auprès de la belle-famille. Cette demande arrive généralement 2 à
3 mois avant la célébration du mariage. S’agissant de sa période
d’organisation privilégiée, c’est l’hivernage. Cela correspond aussi au
retour des animaux de la transhumance et offre aux familles les
ressources nécessaires pour faire face aux dépenses.

274
2.1. Le chudugol ou rites de passage au statut d’épouse et de mari
Les deux fiancées participent à un rituel d’intronisation qui consacre la
deuxième étape de leur vie. Après cet événement, ils changent de statut.
La veille du mariage, une forte délégation féminine mandatée par la
famille du mari se rend chez la mariée pour laquelle sont apportés sept
(7) pagnes tissés par les artisans peuls. Chaque tissu en cotonnade est
orné d’un motif différent. La délégation est reçue dans l’allégresse et
invitée par les femmes de la belle-famille à prendre place. C’est l’arrivée
de la délégation qui consacre le début des rites concernant la mariée.
L’étude relève que la femme qui s’occupe du cérémonial est désignée
suivant plusieurs critères à savoir : être soumise à son mari, n’avoir
jamais fugué depuis son arrivée dans le foyer conjugal, être féconde
(ayant au moins un enfant).
C’est cette femme qui s’occupe de purifier la mariée avec l’eau d’une
calebasse neuve, puis lui asperge avec un peu de lait frais. Après ce rituel,
la mariée est installée sur une natte neuve. De part et d’autre de la mariée
sont installées ses meilleures amies. Les autres personnes restent en
position debout. C’est alors que la mariée est vêtue en cotonnade (tenue
traditionnelle soigneusement confectionnée pour l’occasion). Les autres
parures (or, argent, boucle, etc.) dépendent des moyens de la famille du
mari. À partir de cette date, son habillement change définitivement. La
mariée offre tous ses anciens vêtements à ses cousines et sœurs.
La cérémonie est agrémentée par des chansons d’une griotte peule qui
rappellent les origines du mariage, l’importance du mariage, etc. D’autres
femmes peuvent chanter à leur guise. Elles disent que c’est le bonheur
d’avoir un mari, de quitter son domicile paternel. La famille de la mariée
rend grâce à Dieu pour ce jour de réjouissances.
D’après les enquêtés, cette nuit-là, la mariée reste dans la maison
paternelle. C’est aussi le cas de la délégation venue pour le rituel. Le
lendemain après-midi, au petit soir, la même cérémonie est organisée
dans la famille du mari. Ce dernier est aussi couvert par la même femme
qui a intronisé la mariée.
À la différence du rituel de la mariée, seuls les proches du mari
participent à sa cérémonie d’installation. Il est rasé par un proche parent.
Sur la natte qui sert pour le rituel, il est installé entre deux meilleurs amis.
À cet instant précis, ses cousins lui lancent diverses farces. Quant aux

275
griots de la famille, ils chantent ses louages. Vêtu d’une nouvelle tunique
blanche, on installe le mari dans une autre pièce choisie à l’occasion. En
partant, ses parents lui font des bénédictions.
2.2. L’arrivée de la femme
L’enquête relève que la mariée est accompagnée chez son mari par une
forte délégation. Ce sont les mêmes femmes qui ont purifié la mariée la
veille, qui sont mises en mission pour l’accompagner chez ses futurs
beaux-parents. Les jeunes sont armés de gourdins et de fouets. Une fois
sur place, la procédure consiste à se présenter aux personnes âgées et à
demander l’autorisation d’amener la mariée. Des conseils sont prodigués
à la mariée. Sa mère lui offre de l’or, son père une vache et de l’or. Ses
frères et sœurs peuvent en faire autant. À Dioïla dans la région de
Koulikoro, un de mes oncles originaires de la région de Ségou a offert
soixante-six vaches à son unique fille le jour de son mariage. Il a indiqué
que sa « fille ne doit jamais manquer de lait ».
Par ailleurs, par le passé, c’était un Massudo « descendant d’esclave » qui
transportait sur son dos la mariée. La mariée si elle ne pleure pas est
moquée en disant qu’elle est pressée de quitter le domicile paternel.
La délégation de la mariée prend place au domicile du mari durant trois
nuits d’où la nécessité pour les femmes mariées de requérir la permission
d’absence auprès de leurs époux. Les réjouissances se poursuivent toute
la première nuit.
Quant à la cérémonie religieuse, elle est célébrée soit à la mosquée, soit
par marabout dans l’enceinte de la famille du mari. La femme mariée
reçoit ce jour une génisse, voire davantage en fonction des ressources de
son mari et des parents de celui-là.
Le jour du mariage, les parents du mari égorgent au minimum un bœuf.
Durant toute la semaine, une chèvre ou bélier tous les jours. Les aides
viennent de partout, car les parents viennent habiter chez vous durant
une semaine.
Le départ de la délégation est précédé d’une cérémonie d’adieu et de
conseil aux mariés. Les chansons mettent en avant les conseils sur la vie
du couple et l’importance de la tolérance. Voici un extrait :
« so on bawi jogadè, mi gaadi guedel kaagué »

276
(c’est pour dire au mari « qu’on lui a apporté de l’or… d’en
prendre soin ».
La sœur du mari chante comme suit :
« mougna mougna, bii bamaa wadouma, so bèdo hali, jododa bii bamaa
wadouma, so bèga kali, jododa bii bamaa wadouma, so essa hali, jododa bii
bamaa wadouma, mougna mougna jododa bii bamaa wadouma, sa mougnali
fu, a hota mougnou do… ».
(« Supportes les brimades de ta belle-mère, les on-dit des voisins, négliges les
commérages, occupes de toi de ton foyer. Ta mère, tes sœurs ont vécu tout cela,
malgré tout, elles n’ont pas fugué. Sois patiente et tolérante »).
2.3. L’organisation des noces et la tenue de la chambre nuptiale ou
le sudugol
La chambre nuptiale est toujours différente de celle où le couple
habitera. Elle est préparée par l’initiatrice nuptiale et les sœurs du mari.
Elles y mettent de l’accent, des décoctions contre les mauvais esprits, des
tapettes neuves, une calebasse (ou un seau d’eau), deux oreillers, etc.
Tous ses objets reviennent à l’initiatrice nuptiale à la fin des cérémonies.
Quant aux noces, elles se tiennent sur la natte de l’homme. La natte de la
femme est posée en bas de celle de l’homme. À ce propos, Amina,
l’initiatrice nuptiale, indique que la symbolique de la position des nattes
est importante. Selon elle, la femme doit se « soumettre » à son époux et
« lui faire des enfants ».
S’agissant de l’habillement du couple, il est à noter aussi bien que la
femme et le mari sont respectivement habillés en blanc dans la chambre
de leur mère. Chacun d’entre eux est tenu de garder la même tenue
durant la semaine. Il en est de même pour le turban en cotonnade du
mari. Néanmoins, en ville, il est de plus en plus fréquent pour le jeune
mari de changer sa tenue traditionnelle au bout de trois nuitées. La
tradition veut qu’il garde avec lui sa tunique de mariage qu’il devra porter
de temps à autre.
Par ailleurs, la nuit de la noce, ce sont les amies du mari qui vont
chercher la mariée, tard le soir, pour l’amener dans la chambre nuptiale.
Si elle est vierge, elle reçoit un Taurion en guise de compensation. La
virginité est importante pour de nombreuses familles qui en voient un
honneur (Dicko, 2018). La griotte chantera les louages de la vierge, celle-

277
ci sera perçue par ses sœurs comme un exemple à suivre. La griotte dira
que la mariée a été bien éduquée et qu’elle a honoré sa mère. Celle-ci
peut recevoir des cadeaux de la part du mari pour témoigner de sa joie.
2.4. Les festivités parallèles
Selon les couples interrogés, ce sont les groupes de jeunes filles et
garçons proches des mariés qui œuvrent pour la réussite des
réjouissances du mariage. Pour ce faire, ils cotisent chacun 200 F CFA, à
ce montant s’ajouteront les sommes perçues durant les festivités. En
effet, le lendemain du mariage dans l’après-midi à 16 heures, un
événement est organisé, on y amène la femme (c’est une évolution des
mœurs, car avant elle n’y assistait pas). Les gens font part de leurs
cadeaux (argent, vaches). C’est très joyeux.
Au cours du rassemblement, les femmes désignent à leur guise de jeunes
hommes auxquels elles lancent des pagnes pour matérialiser cette
désignation. Une commission est mise en place composée d’un juge,
d’un président et d’un questeur. Elle se charge de l’animation de la soirée
grâce aux jeux de rôles, d’amendes et d’accusation/contestation et farces.
La somme collectée sera utilisée à la fin de la semaine pour un festin
collectif.
Après une semaine de noce, les représentants de la famille de la mariée
l’accompagnent dans sa case d’habitation. Celle-ci est soigneusement
aménagée quelques jours avant. On y met une jarre, ses ustensiles de
cuisine, ses caisses d’habits, ses parures, etc. Pour le couple, c’est le début
d’un nouveau statut social et d’une nouvelle vie.
Discussion
Il ressort de l’enquête que le mariage a été et reste une pratique chargée
de symboles dans la société. Il est perçu comme un levier de
diversification des ressources, un moment de communion du groupe, un
mécanisme de perpétuation des valeurs de solidarité et d’entraide de la
lignée. À l’instar d’autres pratiques, les rites évoluent au fil du temps, des
ressources disponibles dans les familles, de l’urbanisation avec ses
contraintes et opportunités offertes.
À l’instar de toute pratique culturelle, le mariage évolue. Le contexte
urbain, la scolarisation des enfants, les médias, la cupidité, la place de
l’amour sont entre autres les vecteurs de l’évolution des mentalités
(Melchior Bonnet, 2001). Les rites décrits ci-haut sont pour l’essentiel en
vigueur dans les campagnes des régions de Ségou et de Mopti.

278
Cependant, les jeunes filles et garçons sont de plus en plus réfractaires au
mariage « arrangé » par les parents. Certains rompent leurs fiançailles,
poursuivent leurs études et développent des stratégies pour repousser
leur entrée dans le mariage.
De plus, avec l’évolution des mœurs, on assiste à des célébrations de
mariage à la mairie selon le vœu du couple. Les festivités de la journée
diffèrent de celles du village. L’organisation de la chambre nuptiale reste
identique, les couples se font assister par l’initiatrice nuptiale. De plus en
plus, les époux se contentent de trois nuits de noces et vaguent à leurs
activités quotidiennes. Pendant ce temps, l’épouse poursuit le respect du
rituel, passe ses journées sous la moustiquaire. Ses amies, sœurs et tantes
lui tiennent compagnie durant la journée et s’éclipsent en fin du début
des soirées. Tous les après-midis, les visiteurs se retrouvent pour
déguster les viandes de moutons et de chèvres.
Si en campagne, les parents proches séjournent dans la famille du mari,
en ville, cette pratique tend à s’estomper en raison des occupations et de
la promiscuité du logement. De même, en campagne, l’initiatrice nuptiale
est tenue de rester auprès des mariés toute la semaine, elle passe ses nuits
dans une chambre aménagée dans la même cour que le couple. En ville,
il y a des initiatrices qui rentrent chez elles le soir et reviennent tôt le
matin. C’est généralement le cas où le couple s’est fréquenté avant le
mariage et que la relation a déjà été consommée.
Enfin, après le mariage, le premier garçon de la famille est tenu de résider
dans le domicile paternel, car il est tenu selon les coutumes de jouer le
rôle de chef de famille plus tard.
Conclusion
Les rites du mariage demeurent importants pour les familles, c’est un
moment de retrouvailles entre proches et d’élargissement du réseau
relationnel. L’endogamie est la forme de mariage la plus pratiquée même
si, de plus en plus, l’exogamie fait son chemin. Malgré l’évolution des
mentalités, le Peuhl ne se marie ni avec un forgeron en raison de
l’existence d’un lien totémique ni avec une femme d’origine diawanké.
Cette dernière est considérée comme une demi-sœur dans la conscience
collective. Les parents refusent généralement l’union de leurs garçons
avec la fille d’une femme qui a fugué son foyer ou celle qui a consommé
son divorce. Les jeunes hommes et femmes fiancés sont tenus de se
soumettre au rituel d’intronisation sur la natte.

279
Références bibliographiques
DIAKITÉ D. (2021), Le Mansaya et la société mandingue, les luttes de pouvoir
au Manden au XIIIe siècle, Presses universitaires du Sahel, La Sahélienne,
Bamako.
DICKO B. E. (2018), « La virginité, honneur familial à l’épreuve de
l’évolution des mentalités. Une analyse socioanthropologique dans le
District de Bamako » in Revue malienne de langue et de littérature, n° 003,
ULSHB, p. 64–79.
GUNTER H. P. (1952), Mariage, ses formes et son origine, Paris, Payot.
HÉRITIER F. (2005), « Quel sens donner aux notions de couple et de
mariage ? À la lumière de l’anthropologie », Informations sociales, n° 122,
p. 6–15, consulté le 3 novembre 2021. Disponible sur :
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-2-page-6.htm
LENEVEU M.-C. (2013), « Définition d’un concept : approche
anthropologique du rite de passage », in Éthique et Santé, vol. 10, Issue 2,
p. 66–69.
LÉVI-STRAUSS C. (1967), Structures élémentaires de la parenté, Paris, PUF.
N’DIAYE B. (1970), Groupe ethnique au Mali, Bamako, Éditions
populaires, coll. : Hier.
MELCHIOR BONNET S., SALLES C. (2001), « Histoire du mariage : entre
raison et fortune, la place de l’amour », Éditions de la Martinière.

280
Conclusion
Idrissa Soïba TRAORÉ
Enseignant-Chercheur ULSHB

L’ouvrage : Rites et tradition du mariage au Mali : permanences, ruptures


et impasses est un traité à la fois sociologique, anthropologique et éducatif
qui permet de comprendre les contours du mariage dans les aires
culturelles bamanan, khassoké, tamasheq, minianka, sonhraï, arabe.
Les différents contributeurs dans une analyse succincte ont
critiqué, passé en revue le thème du mariage et l’ont interrogé à l’aune du
processus d’évolution des sociétés. À qui se marie-t-on dans les
différentes aires culturelles ? Quelles sont les raisons d’un tel choix ?
Quelles sont les considérations qui président aux différents choix ? Le
choix du conjoint(e) est-il libre ou imposé ? Quelle est la place du statut
social dans le choix du conjoint ? L’allochtone et l’autochtone ont-ils les
mêmes chances quant à avoir une épouse dans les milieux étudiés ?
Quels sont les états de lieux du mariage dans les milieux étudiés ? Voilà
bien des questions qui ont fait l’objet de débats dans la présente
contribution. Dans une perspective à la fois synchronique et
diachronique, ces questions ont été analysées sous l’angle qualitatif. À
travers des terrains d’investigations plurielles, les auteurs sont entrés dans
les tréfonds du mariage traditionnel. Ils ont décortiqué les trajectoires, les
conditions de la mise en œuvre, les principes directeurs du processus.
D’une manière générale, toutes les ethnies du Mali ont leurs
rituels matrimoniaux. Parler de rituels du mariage, c’est faire allusion à
l’ensemble des procédures de légitimation de l’union aux yeux de la
société : les procédures rituelles de validation. Ces procédures sont
tributaires des statuts sociaux (nobles ou roturiers), des rapports entre les
deux familles en négociation de mariage (proches parents ou pas). Les
rites et traditions sont donc des éléments régulateurs du mariage.
Trois thématiques émergèrent dans les contributions. La
première porta sur le mariage en tant que tel, la deuxième sur les
initiatrices nuptiales et leur rôle et la troisième sur les chansons
d’accompagnement de la nouvelle mariée.
Parlant du mariage, il est un processus de socialisation qui a pour
finalité la procréation. Cette procréation apparaît comme une nécessité
vitale dans la mesure où elle est un gage de la survie individuelle et

281
collective. Elle participe en fait à la perpétuation et à la multiplication de
l’espèce humaine qui est une assurance pour l’autosuffisance alimentaire.
Soulignons par là que l’option de la procréation justifie à bien d’égards la
conception nataliste du mariage qui montre que les couples doivent
survivre à travers leur descendance. Il s’ensuit une justification de la
polygamie et un phénomène d’ambivalence qui fait que la fécondité est
toujours le symbole d’une bénédiction et la stérilité le signe d’une
malédiction. La naissance d’un enfant est un signe d’accomplissement de
la mariée. Du statut d’épouse, elle investit celui de femme ou de mère.

Le mariage reste un acte communautaire qui mobilise des


familles, clans et villages. Cet acte qui est source d’interactions entre les
composantes se dilue en un lien de solidarité, car il condamne les
désormais mariés et leur lignage à vivre ensemble. Quand ce lien est
noué, tous s’évertuaient pour la perpétuation. Deux sagesses africaines
nous permettent de comprendre le sens de ce dévouement de la lignée :

« Le mariage n’est pas un fagot de bois dont on peut se débarrasser à tout moment. »

« Le mariage prend fin mais jamais la parenté. »

Le mariage remplit un certain nombre de fonctions dans la


société, à savoir la réglementation de la sexualité, la fondation de la
famille, l’ordonnancement des relations conjugales entre homme et
femme, et l’échange entre les groupes sociaux. Il apparaît donc comme
un devoir et mieux une obligation sociale. Le mariage traditionnel est un
facteur de renforcement des relations familiales. Tout cela confirme une
fois de plus le sens communautaire du mariage qui transcende les deux
conjoints. Cette prééminence de la communauté fait que c’est le
patriarche généralement qui négocie le mariage à travers des
démarcheurs.
Le choix de l’épouse, la fixation de la dot et les cérémonies
traditionnelles des fiançailles, la célébration de la cérémonie proprement
dite du mariage sont les étapes importantes du processus soulignées dans
les différents textes. Une place est accordée aux récompenses faites à la
femme en cas de virginité. Le bain nuptial, rituel important, qui consacre
le passage du statut de jeune fille à celui de femme mariée est décrit.
Le mariage traditionnel peut être endogamique ou exogamique.
La première pratique est la plus prégnante du fait du sentiment de

282
préservation des liens communautaires. Toutefois, il peut se faire en
dehors du groupe ethnique et du réseau parental mais avec la caution de
la fratrie.

L’encadrement de l’épouse dans la chambre nuptiale par


l’initiatrice nuptiale est au cœur de deux travaux. Chez plusieurs ethnies
au Mali et dans le cadre de la socialisation des mariées, les initiatrices
nuptiales jouent les fonctions d’éducatrices sexuelles, religieuses, sociales
et de protection. Elles sont aussi dépositaires de savoirs traditionnels en
matière de contraception traditionnelle. C’est pourquoi elles enseignent
des pratiques traditionnelles de contraception. Elles sont relatives à
l’usage du tafo ou baka (amulettes), des fruits de certaines plantes (Ntomo
tigi et balan balan).

La socialisation nuptiale d’une manière générale vise à fournir au


couple, à l’épouse en l’occurrence, des informations sur le sens profond
du mariage et de sa fonction de mère au foyer (la soumission et
l’obéissance au conjoint, l’éveil aux petits soins de celui-ci et ses proches)
ainsi que sur les contraceptifs traditionnels et leur meilleure utilisation.
Elle obéit à deux logiques comportementales ou physiques et mentales.
La première est fondée sur la facilitation de la consommation du
mariage, surveillance de l’alimentation et l’authentification de la virginité
de la mariée et la seconde sur la protection pendant la réclusion,
l’éducation dans le sens profond de la mariée et de la mère au foyer.

L’éducation à l’hygiène vaginale, les connaissances des herbes


médicinales (le babing, le yirifarani, le mougoudji), les diverses techniques de
contrôle et d’espacement des naissances (l’abstinence périodique,
l’allaitement maternel prolongé, le tafo, la toile d’araignée, le miel et le jus
de citron) sont quelques connaissances concrètes que l’initiatrice nuptiale
inculque à la mariée en matière de santé de la reproduction.
L’initiation du couple lors de la semaine nuptiale est un
phénomène soumis à des transformations qui s’expliquent par la
reconfiguration sociale et à l’évolution des mentalités. Cela justifie l’écart
entre les perceptions traditionnelle et moderne des pratiques nuptiales en
raison de la modernité et des représentations religieuses. D’une part, les
aînés perçoivent la socialisation nuptiale comme une pratique sociale
utile qu’il faut perpétuer afin de préparer l’épouse pour la vie sociale et
communautaire. D’autre part, les cadets et les religieux accordent une

283
importance relative aux contenus traditionnels de la socialisation
nuptiale. Cette attitude des jeunes et des religieux amène à interroger les
normes socioculturelles spécifiques de la socialisation nuptiale.
À travers une série de chansons tirée du terroir bamanan du
Bélédougou, l’évocation de la responsabilité de la jeune mariée dans la
stabilité sociale est mise en exergue. Ces différentes chansons permettent
de cerner le respect des beaux-parents, gage de cohésion. Elles
avertissent la mariée et l’orientent sur les fonctions prioritaires qu’elle
doit remplir : laver le linge de sa belle-mère, offrir du savon ou des
condiments entre autres. En fait, les chansons sont les reflets de l’histoire
des sociétés. Elles véhiculent des valeurs importantes de la vie des
peuples. La société bamanan préconise la soumission et la retenue
comme porte de sortie honorable pour la femme. En termes de
comportement, la bonne épouse est celle qui est soumise, résignée. Ces
comportements sont les indicateurs d’une bonne éducation.
Les chansons ne sont donc pas simplement des sources de
distraction. Au-delà des aspects ludiques, elles ont une valeur symbolique
car elles participent au processus de socialisation de la mariée en
l’éduquant sur des pans entiers de la sagesse traditionnelle. Elles sont des
permis de conduire pour accéder à la maturité sociale.
À travers ces contributions, l’accent est mis sur les pratiques du
mariage dans des milieux sociologiques. Le mariage au-delà de ses
spécificités culturelles reste un lien entre les familles, clans, villages. Ses
fonctions sont multiples, mais les plus significatives sont la fondation de
la famille et l’échange.
Aujourd’hui, les différentes communautés subissent l’influence
de plusieurs types de mariages à savoir ceux religieux musulman, chrétien
et civil. Ces processus influent sur les liens matrimoniaux en les
transformant. Le mariage endogamique, très dominant dans le temps, est
en train d’être relié petit à petit par le mariage exogamique. Aussi, le
métier de l’initiatrice nuptiale est-il en voie de disparition au regard des
changements auxquels les sociétés sont confrontées.
En fait même si le fond traditionnel demeure, les rites
traditionnels des entités culturelles subissent aujourd’hui de perpétuelles
influences qui sont source de la cohabitation avec des pratiques propres
aux religions monothéistes et des aspects civils, en ce qui concerne
seulement le mariage.

284
En somme, ce travail remarquable, pour lequel il y a lieu de
féliciter vivement les auteurs, a le mérite de nous faire plonger dans les
traditions qui pendant des périodes séculaires ont régenté le mariage
traditionnel et ses contours. Ces traditions restent encore vivaces malgré
les influences et transformations qu’elles subissent. Ce qui, somme toute,
montre leur pertinence. Il est certes évident de savoir que nous ne
pouvons plus retourner et cela de façon systématique, intégrale à ces
mariages traditionnels mais y faire recours aux principes cardinaux qui les
caractérisent, ne pourrait-il pas être un tremplin pour réduire les
nombreux divorces et faire face à l’enfermement à l’individualisme
toubabissant des jeunes couples ?

285
TABLE DES MATIÈRES

COMITE SCIENTIFIQUE........................................................................ 7
REMERCIEMENTS .................................................................................... 9
SOMMAIRE .................................................................................................. 11
PRÉFACE ...................................................................................................... 13
PREMIÈRE PARTIE
RITES ET TRADITIONS DE SOCIALISATION
AU MARIAGE............................................................................................... 17
Chapitre 1
Éduquer au mariage hier à aujourd’hui en milieu khassonké :
constances et ruptures dans les discours des initiatrices des jeunes
couples ............................................................................................................. 19
Introduction ..................................................................................................... 21
1. Milieu d’étude et protocole méthodologique ................................... 22
1.1. Clin d’œil sur le mariage en milieu khassonké ..................................... 23
1.2. Protocole méthodologique ...................................................................... 25
1.2.1. Le choix des six initiatrices et la collecte des informations ............ 26
1.2.2. Analyse des informations ..................................................................... 26
2. Organisation pédagogique de l’initiation au mariage................... 26
2.1. Les séances de causerie didactique groupées ....................................... 27
2.2. Les séances de causerie didactique séparées .......................................... 28
2.2.1. Les constances thématiques .................................................................. 28
2.2.2. Les ruptures thématiques ..................................................................... 33
3. Discussion .................................................................................................. 36
3.1. Les référentiels de valeurs dans l’éducation au mariage ..................... 36
3.2. Un système de contrôle social et reproduction des rapports sociaux de
domination ........................................................................................................ 39
3.3. Une transmission intergénérationnelle, hier à aujourd’hui................. 40

287
Conclusion ........................................................................................................ 41
Références bibliographiques .......................................................................... 42
Chapitre 2
Initiatrices nuptiales et pratiques contraceptiveschez
les Bambaras de la commune rurale de Sanando ............................... 45
Résumé .............................................................................................................. 45
Introduction ..................................................................................................... 47
1. Méthodologie ........................................................................................ 49
1.1. Zone d’étude ............................................................................................. 49
1.2. Appr oche et instrument utilisés ......................................................... 50
1.3. Techniques ................................................................................................ 50
1.4. Aspect éthique et méthode d’analyse des données ............................. 51
2. Résultats ..................................................................................................... 51
2.1. Origine de l’initiatrice nuptiale ............................................................... 51
2.2. Fonctions de l’initiatrice nuptiale ........................................................... 51
2.2.1. Éducation sexuelle de la mariée .......................................................... 51
2.2.2. Protection de la mariée......................................................................... 54
2.2.3. Éducation religieuse.............................................................................. 55
2.2.4. Éducation morale ou sociale ............................................................... 56
3. Pratiques de contraception traditionnelles répertoriées
auprès des initiatrices et les femmes mariées ...................................... 57
4. Perception de quelques mariées sur ces pratiques ........................ 60
5. Discussion .................................................................................................. 62
5.1. Fonctions des initiatrices nuptiales ........................................................ 62
5.2. Perception des mariées sur les pratiques répertoriées ........................ 63
Conclusion ........................................................................................................ 64
Bibliographie .................................................................................................... 64

288
Chapitre 3
Analyse sociolinguistique de quelques chansons dédiées à
l’éducation de la jeune mariée en milieu bamanan ............................ 67
Introduction ..................................................................................................... 69
1. Clarification du concept de Kɔɲɔndɔnkiliw ou chants
de mariage ...................................................................................................... 70
2. Présentation du corpus kɔɲɔndɔnkiliw (chants de mariage) ...... 71
3. Analyse sociolinguistique ...................................................................... 74
3.1. Le respect des beaux-parents ................................................................. 75
3.2. La soumission aux beaux-parents .......................................................... 78
Conclusion ........................................................................................................ 81
Bibliographie .................................................................................................... 82
Chapitre 4
Perceptions des pratiques reproductives des adolescents
au Mali ............................................................................................................. 85
Introduction ..................................................................................................... 87
1. Aperçu des milieux d’étude et l’approche méthodologique .......... 89
1.1. Aperçu des localités de Kayes et de Diéma ........................................... 89
1.2. Approche méthodologique ...................................................................... 90
2. Présentation des résultats de l’étude .................................................. 90
2.1. Quelques perceptions de la socialisation nuptiale ............................... 90
2.2. Quelques déterminants socioculturels de la socialisation nuptiale ... 96
2.2.1. Logiques physiques ............................................................................... 96
2.2.2. Logiques mentales................................................................................. 98
2.3. Quelques pratiques au service de la santé de la reproduction ........... 99
2.3.1. Enseignement à l’hygiène de la voie génitale féminine ................... 99
2.3.2. Connaissances des herbes médicinales .............................................. 99
2.3.3. Diverses techniques de contrôle et d’espacement des naissances100
3. Discussions ..............................................................................................102

289
3.1. Perceptions de la socialisation nuptiale ...............................................102
3.2. Logiques socioculturelles de la socialisation ......................................104
Conclusion ......................................................................................................105
Références bibliographiques ........................................................................105
DEUXIÈME PARTIE
Rites et traditions du mariage .................................................................109
Chapitre 5
Contribution à une étude sociologique du mariage
en milieu arabe du Mali ............................................................................111
Introduction ...................................................................................................113
1. Définition des concepts ........................................................................114
1.1. Mariage ....................................................................................................114
1.2. Échanges matrimoniaux ........................................................................115
1.3. Dhou maharram.........................................................................................115
2. Présentation des Arabes du Mali .......................................................116
3. Généralités sur le mariage en milieu arabe ....................................118
3.1. Le processus de demande en mariage .................................................118
3.2. Dot et choix du ou de la conjoint(e) ...................................................120
4. Critères de la beauté féminine ............................................................121
4.1. Le corps de la femme ............................................................................121
4.2. Habillements et parures des nouveaux mariés ...................................121
5. Fonctions sociales du mariage chez les Arabes du Mali ................127
Conclusion ......................................................................................................128
Références bibliographiques ........................................................................128
Chapitre 6
Rites et traditions du mariage chez les Miniankas de
Kimparana et de Koutiala, Mali..............................................................129
Introduction ...................................................................................................131
1. Cadre théorique .......................................................................................132

290
2. Cadre méthodologique .........................................................................135
3. Le choix de la conjointe .......................................................................136
4. La démarche de fiançailles ..................................................................137
5. La célébration du mariage ...................................................................139
6. Discussion des résultats .......................................................................143
Conclusion ......................................................................................................143
Références bibliographiques ........................................................................144
Chapitre 7
Rites et traditions du mariage soninké ................................................147
1. Objectifs ....................................................................................................147
2. Méthodologie ..........................................................................................148
2.1. Bref aperçu sur les aires géographiques soninkés..............................148
2.2. Organisation sociale des Soninko ........................................................149
3. Système matrimonial soninké du Gadiaga .....................................149
3.1. La pratique de l’endogamie ...................................................................150
3.2. La pratique de l’exogamie .....................................................................151
4. Le rituel matrimonial ............................................................................151
4.1. Le choix du conjoint ..............................................................................151
4.2. Muruude ou démarches de fiançailles ...................................................152
4.3. De la dot ..................................................................................................153
4.4. De la fixation du jour de mariage ........................................................154
5. Du mariage ..............................................................................................155
5.1. Du bain nuptial .......................................................................................155
5.2. De la chambre nuptiale à la sortie .......................................................156
Conclusion ......................................................................................................157
Références bibliographiques ........................................................................157
Chapitre 8
Le mariage des jeunes dans le Tômô guinnè en milieu dogon ....159

291
Introduction ...................................................................................................161
1. Conditions et formes du mariage ......................................................162
1.1. L’âge moyen du mariage .......................................................................162
1.2. Avec qui on se marie ?...........................................................................162
1.2.1. L’endogamie souhaitée .......................................................................162
1.2.2. Les pratiques du lévirat et du sororat ...............................................163
1.2.3. L’exogamie généralisée .......................................................................164
1.2.4. Alliances matrimoniales : avec qui ne pas se marier ? ...................165
2. Types du mariage...................................................................................166
2.1. Premier type : la ya-biru ..........................................................................166
2.2. Le deuxième type de mariage : le ya-gadu, le mariage par enlèvement
ou le refus du choix parental........................................................................167
2.3. Le troisième type de mariage : le terou-tangdou ....................................167
3. Le processus du mariage .....................................................................168
3.1. La dot et les prestations matrimoniales ..............................................168
3.1.1. La dot ....................................................................................................168
3.1.2. Les prestations et compensations matrimoniales .............................169
3.1.3. La cérémonie du mariage ordinaire et ses étapes .............................170
3.1.4. La retraite nuptiale se fait en deux étapes : trois jours dans la
chambre de la mariée et 4 jours dans la chambre nuptiale ......................170
3.1.4.1. Les trois premiers jours de célébration du mariage ....................170
3.1.4.2. Du quatrième au septième jour de découverte sexuelle ...............171
4. Cohabitation des formes traditionnelles, religieuses
et modernes du mariage ............................................................................172
Conclusion ......................................................................................................173
Bibliographie ..................................................................................................173
Chapitre 9
Le concept de mariage et sa portée chez les Kel-Tamasheq
(Touaregs) du Mali ....................................................................................175

292
Introduction ...................................................................................................177
1. Sens et portée du mariage en milieu tamasheq .............................177
2. Types d’union chez les Kel-Tamasheq ............................................178
2.1. Mariage préférentiel ................................................................................178
2.2. Option du mariage .................................................................................180
2.3. Régime du mariage .................................................................................180
2.4. Cessation des liens de mariage et ses implications ............................181
2.4.1. Le divorce.............................................................................................181
2.4.2. La dot ....................................................................................................182
3. Rites des épousailles .............................................................................182
Conclusion ......................................................................................................183
Éléments de bibliographie............................................................................184
Chapitre 10
Le mariage chez les Songhaïs d’hier à aujourd’hui : entre
endogamie et exogamie ............................................................................185
Introduction ...................................................................................................187
1. Contexte et justification........................................................................191
2. Problématique .........................................................................................192
3. Méthodologie ..........................................................................................193
4. Résultats ...................................................................................................194
4.1. La représentation sociale et les principaux acteurs du mariage en
milieu songhaï. ...............................................................................................194
4.1.1. La représentation sociale du mariage ...............................................194
4.1.2. Les acteurs du mariage .......................................................................195
4.2. L’octroi de l’épouse et la fixation de la dot ........................................197
4.2.1. L’octroi de l’épouse ............................................................................197
4.2.2. La fixation de la dot ............................................................................198
5. Les rites traditionnels symboliques du mariage ...........................199

293
6. Le mariage religieux..............................................................................201
7. Le mariage civil ......................................................................................202
Conclusion ......................................................................................................203
Références bibliographiques ........................................................................204
Chapitre 11
Le mariage tamasheq en milieu traditionnel au Gourma
à l’épreuve du changement social ..........................................................205
Introduction ...................................................................................................207
1. Matériels et méthodes ...........................................................................208
2. Qui sont les Tamasheqs ? ....................................................................208
2.1. Présentation du milieu ...........................................................................208
2.2. Historique des Tamasheqs ....................................................................209
2.3. Aspects socioculturels ...........................................................................209
3. Le mariage en milieu tamasheq du Gourma..................................211
3.1. Les différentes sortes de mariages .......................................................211
3.1.1. Le mariage endogame .........................................................................211
3.1.2 Le mariage par aumône .......................................................................211
3.1.3 Le mariage mixte ..................................................................................212
3.2. Les exigences du mariage ......................................................................212
3.2.1. La dot ....................................................................................................212
3.2.2. Les présents .........................................................................................212
3.2.3. Les fiançailles .......................................................................................213
4. Le foyer conjugal ....................................................................................215
4.1. Les rapports sociaux entre les conjoints .............................................215
4.1.1. Les devoirs conjugaux ........................................................................216
4.1.2. Le divorce.............................................................................................216
5. Réflexions et attitudes adoptées sur le mariage traditionnel
face au contexte moderne .........................................................................217

294
5.1. Quelques réflexions sur le mariage traditionnel tamasheq .................217
5.1.1 Au plan culturel ....................................................................................218
5.1.2. Au plan économique ..........................................................................219
5.1.3 Au plan politique ..................................................................................219
5.1.4 Au plan religieux ..................................................................................219
5.2. Les difficultés liées à la préservation du système et les attitudes
adoptées face au contexte moderne ............................................................220
5.2.1 La colonisation française ......................................................................220
5.2.2. L’école ...................................................................................................220
5.2.3. La monnaie ...........................................................................................220
5.2.4. Les religions monothéistes..................................................................220
5.2.5. Les médias .............................................................................................221
5.3. Les attitudes face au contexte moderne .................................................221
5.3.1. La réticence ...........................................................................................221
5.3.2. Les coutumes .......................................................................................222
5.4. Quelle société tamasheq contemporaine ? .........................................222
Conclusion ......................................................................................................223
Références bibliographiques ........................................................................223
Chapitre 12
Le mariage traditionnel et cultuel chez les Buwa du Mali :
la place de la femme dans le processus du développement
socioéconomique ........................................................................................225
Introduction ...................................................................................................227
1. Le mariage traditionnel ........................................................................228
1.1. Les démarches du mariage ou fiançailles ............................................228
1.2. Hansɛ ........................................................................................................229
1.3. La venue de la jeune fille ou jeune mariée dans la famille de son futur
époux ...............................................................................................................230
2. La célébration du mariage cultuel.....................................................233

295
3. La place de la femme bo dans le processus du
développement socioéconomique .........................................................238
3.1. Tentative de définition de la femme, en général, et de la femme bo,
en particulier ...................................................................................................238
3.2. La place de la femme dans la société traditionnelle bo.....................238
3.3. Apport économique de la femme dans la société traditionnelle bo240
3.4. La place de la femme bo dans la tradition ..........................................241
3.5. La place de la femme dans la société moderne bo ............................242
3.6. La participation de la femme bo au développement .........................243
3.7. Quel avenir pour la femme bo dans un monde en
pleine mutation ..............................................................................................244
Conclusion ......................................................................................................244
Références ......................................................................................................245
Chapitre 13
Mariage collectif à Banamba : les acteurs et leurs rôles .................247
Introduction ...................................................................................................249
1. Méthodologie ..........................................................................................250
2. Milieu d’étude (Banamba, Kiban et Madina Sacko) .................251
3. Acteurs et préparation des mariés pour les noces ......................252
4. Dot pour la fiancée ou compensation matrimoniale .................253
5. Balemamusow et leurs rôles avant et après la célébration
du mariage....................................................................................................253
5.1. Gestion et organisation du vestibule ou Bulonw ...............................255
5.2. Accompagnement de la mariée dans la chambre nuptiale et chez
son mari ..........................................................................................................257
5.3. Rôle des balemamusow après la célébration du mariage ....................257
6. Benbaw et denfaw ou parents de la mariée ..................................258
6.1. Denbaw ou mères de la mariée .............................................................258
6.2. Faw ou les pères......................................................................................259

296
7. Amies ou terimusow de la mariée et amis ou terikew
du marié ........................................................................................................260
7.1. Amies ou terimusow de la mariée ..........................................................260
7.2. Amis ou terikew du marié .......................................................................260
8. Parrain danamogo ..................................................................................262
9. Manyonbaga ou conseillère matrimoniale......................................263
10. Partenaires et sponsors comme de nouveaux acteurs du
mariage collectif de Banamba ................................................................264
11. Résultats et discussion ........................................................................264
Conclusion ......................................................................................................266
Bibliographie ..................................................................................................267
Chapitre 14
Les rites du mariage chez les Peuls des régions de Ségou
et Mopti : entre traditions et modernité ................................................269
I. Introduction .............................................................................................271
1.1. Terrain et méthodes ...............................................................................271
1.2. Le mariage, une institution universelle................................................271
1.3. Du choix de la première 1re épouse, une prérogative du père .........272
1.4. La demande en mariage et les fiançailles ............................................273
1.5. Le versement de la dot ..........................................................................274
II. L’organisation du mariage chez les Peuls .....................................274
2.1. Le chudugol ou rites de passage au statut d’épouse et de mari ..........275
2.2. L’arrivée de la femme ............................................................................276
2.3. L’organisation des noces et la tenue de la chambre nuptiale ou le
sudugol...............................................................................................................277
2.4. Les festivités parallèles ..........................................................................278
Conclusion ......................................................................................................279
Références bibliographiques ........................................................................280

297
Structures éditoriales
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PERMANENCES, RUPTURES ET IMPASSES
Mamadou Dia
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En se référant à E. Durkheim (1922) dans Éducation et
Sociologie, l’éducation est l’action exercée sur les jeunes
générations afin de les rendre aptes à la vie sociale. Elle vise
à harmoniser les comportements des individus et à les rendre
conformes aux normes établies.
Dans cette perspective, l’éducation ou la socialisation des

RITES ET TRADITIONS DU MARIAGE AU MALI


jeunes au mariage est un processus par lequel la société
contrôle et influence les générations montantes. C’est une
forme d’apprentissage du vivre-ensemble au sein des couples.
La socialisation des jeunes au mariage se fonde sur les rapports
sociaux de sexe et influence les jeunes sur la façon dont ils
doivent développer des relations sociales et interpersonnelles
au sein des couples.
Moriké D embélé est docteur en sciences de l’éducation. Ses travaux
de recherche portent sur l’éducation et l’insertion sociale des groupes
sociaux marginalisés des systèmes scolaires, comme les enfants en
situation de rue, les enfants accueillis dans les orphelinats et autres
enfants handicapés dans les centres d’accueil.
Mamadou Dia est titulaire du Doctorat Nouveau Régime de l’Université
Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) en Lettres Modernes, option
Didactique des Langues. Enseignant-chercheur à l’ULSHB (Mali) où
il a été Chef du département de Lettres de 2014 à 2019, il est
présentement membre du Comité pédagogique et scientifique de
l’ULSHB.
Idrissa S. Traoré est enseignant-chercheur à l’Université des
Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB). Détenteur
d’un doctorat en Sciences de l’éducation de l’Université de Paris-VIII
(2009), il est l’auteur d’une trentaine d’articles scientifiques publiés
au Mali, en Afrique, en Europe et au Canada.

ISBN : 978-2-14-029001-5
29 €

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