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LE LINTEAU
mais conservés
en partie, semble avoir été l’œuvre du dé
but du xii e siècle, résultat de la donation de 1109 et
cou
ronnée par la consécration de 1121.
Son modèle se trouve non loin de là, de l’autre côté des
J. Cornet, phot.
des culots
au niveau du bas du triforium. Celles-ci sont en
une seule travée des bas-côtés. Enfin, les deux dernières
travées qui précèdent l’abside principale présentent une
particularité significative : elles n’ont plus à elles deux
qu’une seule série de trois arcs de triforium au milieu du
mur qui leur est commun à un niveau très inférieur à
celui des arcatures analogues du triforium dans le reste
de la nef ; il y a à cet endroit une dénivellation de douze
marches dans la galerie de circulation qui court à mi-
hauteur dans l’épaisseur des murs le long de la nef et au
tour de l’abside ; et la colonne correspondant au doubleau
médian de cette sorte de double travée s’y arrête sur un
culot au-dessus du triforium au lien de se poursuivre jus
qu’au bas de celui-ci comme dans Je reste de la nef. Enfin,
la galerie de circulation ménagée dans l’épaisseur des
murs forme une sorte de passerelle au-dessus des grandes
arcades correspondant au transept.
Deux absidioles en hémicycle s’ouvrent à l’est du croi
sillon sud ; elles sont percées de longues fenêtres go
thiques aujourd’hui bouchées, et de grandes baies égale
ment gothiques éclairaient de même l’abside principale.
Mais des décrochements d’assises nettement visibles à
l’extérieur de toute cette partie du chevet montrent avec
évidence qu’on y a surélevé de la sorte une construction
plus ancienne en conservant habilement les parties basses
de celle-ci. Et l’on se rend compte mieux encore en étu
diant le croisillon nord de ce qu’a été cette construction
plus ancienne : au lieu de recevoir, en effet, après coup
des voûtes d’ogives comme les autres parties de l’église,
ce bras du transept est resté couvert* d’une voûte en ber
ceau brisé qui ne saurait être contemporaine des voûtes
d’ogives de l’abside principale et de l’autre croisillon ; et
l’on y distingue encore au mur nord les traces de la fenêtre
romane qui s’y ouvrait primitivement. De ce côté du
transept se trouve aujourd’hui vers l’est une autre salle
voûtée en berceau parallèlement à l’axe du croisillon, très
Au total, à part son extrémité occidentale, l’église
actuelle de Saint-Félix comprend encore à Gérone toutes
les parties basses d’une église romane dont les grandes
arcades qui séparent la nef des bas-côtés et les gros piliers
carrés sans chapiteaux qui les supportent nous conservent
les restes savamment utilisés. Si l’on compare ces restes
avec l’église romane qui subsiste à peu près intacte dans
la même ville à Saint-Pierre de Galligans, l’analogie entre
les deux monuments est parfaite et permet de comprendre
la raison des anomalies qui peuvent à première vue pa
raître à Saint-Félix difficiles à expliquer.
On trouve dans l’une et l’autre église le même rapport
entre la nef et les bas-côtés, le même transept beaucoup
moins large que la nef centrale, de telle sorte qu’il n’y a
pas de véritable croisée carrée à la rencontre des deux
vaisseaux, mais seulement une travée de nef pareille aux
autres dans laquelle les croisillons viennent s’ouvrir en
formant deux berceaux transversaux contre-butant, le
berceau principal plus élevé. L’une et l’autre ont le même
chevet caractérisé par une abside occupant toute la lar
geur de la nef centrale en arrière d’une profonde travée
rectangulaire, et par deux absidioles d’égale profondeur
qui s’ouvrent parallèlement à l’est du croisillon méridio
nal. La ressemblance se poursuit jusque dans l’asymétrie
des deux bras du transept, puisque dans l’une et l’autre
église le croisillon nord irrégulier ne présente pas les deux
absidioles parallèles qu’il devrait avoir comme celui du
sud.
Ce plan si caractéristique avec ses absidioles d’égale
profondeur sur les bras du transept se retrouve en Gas
cogne vers la même époque à l’abbatiale cistercienne de
Flaran. Il ne semble pas cependant que l’on puisse voir là
en Catalogne une influence de l’ordre de Cîteaux. Ces
chapelles demi-circulaires et d’égale profondeur s’ouvrant
parallèlement sur les bras du transept existaient dès le
x * e siècle dans certaines grandes églises romanes de Cata
logne. Il n’y
en avait pas moins de trois sur chaque croi
sillon à la célèbre abbatiale de Ripoll. Telle était égale
ment la disposition des cinq autels de la cathédrale con
sacrée à Yich en 1038. Et l’on peut se demander si le pro-
totype des églises de Saint-Félix et de Saint-Pierre de
Galligans n’a
pas été, à Gérone même, la cathédrale qui
ovait été bâtie dans cette ville, en même temps que celle
fle Vich, de 1015 à 1038, et dont le clocher latéral existe
encore, accroché aux flancs de l’église gothique actuelle.
LA CATHÉDRALE DE GÉRONE
par M. Pierre LAVEDAN
Clocher et façade.
— La façade avait été prévue avec
deux clochers. Un seul a été construit (à droite) à partir
de la fin du xvi e siècle : base polygonale, terminaison par
un lanternon ajouré coiffé d’une coupolette.
Le portail même a été plaqué plus tard sur le mur nu
formant la clôture de la nef, qu’il recouvre en partie.
Commencé ou prévu en 1607, il a été exécuté ou modifié
en 1733 : date inscrite et qui correspond mieux au style
de l’œuvre. Trois étages de colonnes jumelées, portant des
CATHÉDRALE 235
Eglise Sainte-Marie
L’église Sainte-Marie de Besalü est à la lois la ehapelle
du château des comtes de Besalü, la collégiale d’une com
munauté de chanoines réguliers fondée en 977 par le
comte Miron, qui était en même temps évêque de Girone,
enlin le siège d’un évêché éphémère, créé en 1017 par le
comte Taillefer, mais qui ne fut jamais reconnu par les
autorités ecclésiastiques. Les documents du x e et du dé
but du xi e siècle parlent de l’église consacrée au Sauveur,
à saint Genis et à saint Michel, quorum ecclesia est aedifi-
cata juxta castrum Bisuldini (1). Ce sont des donations ou
des confirmations de privilèges. Un document, cepen
dant, nous indique que des travaux de construction ont
lieu au château en 1029 ; cela résulte d’une franchise
accordée à l’abbé de Saint-Pierre, Tassius, qui fournit de
la chaux (2). En 1055 a lieu la consécration de l’église
Sainte-Marie, située dans le château : le comte Guillaume,
sur le point de partir pour Jérusalem, a supplié l’évêque
de Girone, Berenger, de venir consacrer l’église, ut con-
secrarel Ecclesiam Sanctae Dei Genitricis Mariae, quae est
in castello oocitato Bisulduno. Quod digne et elegantissime
praedictus praesul peregit (3). Ce dernier membre de
phrase ne peut pas s’appliquer à la beauté de la construc
tion, comme l’a cru M. Puig i Cadafalch, mais rappelle
M. Olivier phot..
M. Olivier phol.
CHEVET DE SAINT-VINCENT
* 4
L
DE
TRIBUNE
:
SERRABONE
DE
PRIEURE
ANCIEN
EGLISE
L
DE
SUD
GALERIE
:
SERRABONE
DE
PRIEURE
ANCIEN
trières. Au premier étage, une porte en plein cintre est
ménagée dans le mur de la nef à trois mètres du niveau
du sol de celle-ci ; une autre ouverture plus tardive
donnait sur les toits de l’église où fut placée la défense
lorsque le prieuré fut fortifié. D’anciennes photographies
le clou de la main gauche ; Joseph d’Arimathie reçoit le
corps qui ploie, cependant que saint Jean emprisonne sa
tête douloureuse dans sa main. Un ange tient au-dessus
du bras de la croix le médaillon du soleil. On voit, un peu
plus haut, la crèche avec l’âne et le bœuf. Ces peintures
s’apparentent par le style aux fresques catalanes de Santa
Maria de Mur actuellement au Musée de Boston. Elle
sont, comme elles, peintes sur un fond blanc.
L’église de Serrabone conserve les plus belles sculp
tures romanes du Roussillon, qui contrastent étonnam
ment par leur somptuosité avec la sévérité fruste de l’édi
fice.
Dès l’entrée, le petit portail septentrional présente son
placage de marbre sur le schiste de la façade. Il n’a pas
de tympan et la décoration ne comporte que deux co
lonnes qui reçoivent un boudin sculpté. Sur le chapiteau
de droite, des lions réunissent à l’angle leur tête com
mune. A gauche, le Christ accueille en bénissant. Il est
robuste et trapu ; ses jambes ploient et ses bras dispa
raissent pour laisser toute la place à la main immense qui
bénit ou tient le livre. A ses côtés, des anges à la bonne
grosse figure ronde, aux cheveux sagement partagés par
une raie profonde, l’encensent, voilent leur corps par une
paire d’ailes entre-croisées et étendent une autre paire
d’ailes toutes semées d’yeux sur le fond de la corbeille.
Le même chapiteau existe à Cuxa.
Les chapiteaux de la galerie du cloître sont l’œuvre de
divers artisans inégalement habiles.
Le plus simple comporte une grande feuille d’angle sty
lisée, au profil linéaire, avec une épaisse nervure médiane
d’où naissent de nombreuses palmettes. Au-dessus, deux
volutes s’écartent de part et d’autre d’une tête centrale.
Le tout est surmonté d’un abaque dont les courbes
libèrent trois dés sur chaque face.
Des aigles dressés aux angles du chapiteau déploient
leurs ailes sur la corbeille. Le corps des animaux est re
couvert d’imbrications et les ailes sont marquées de traits
verticaux. Au-dessus des têtes mutilées, une large feuille
enroule ses crochets.
Vient ensuite le thème des lions avalant les pattes
d’un animal dont le corps a déjà disparu. Il existe une
parenté extraordinaire avec le même sujet tel qu’il est
traité à Cuxa. Les lions ont les mêmes bosses sur les joues,
au-dessous des oreilles et le même bourrelet torsadé frange
leurs gueules ; des griffes semblablement dessinées
agrippent l’astragale et les mêmes gueules monstrueuses
décorent le biseau du dé central. Cependant, la corbeille
s’orne de bandes diagonales parallèles, toutes égales, en
très faible relief, qui se retrouvent sur tous les chapi
teaux.
Voici, enfin, des lions qui se suivent sur toutes les faces
de la corbeille et unissent à l’angle une tête commune
dont la crinière est tressée ou peignée.
Un chapiteau vient rompre avec l’épannelage tradition
nel ; l’astragale et les volutes disparaissent ; il n’y a plus
qu’une corbeille et un faux tailloir orné de ces mêmes
feuilles de laurier qui entourent l’une des voussures du
portail. La corbeille est décorée de lions qui parfois se
tiennent debout et d’autres fois décrivent avec leur corps
ployé une courbe harmonieuse.
La série s’achève par une disposition nouvelle des lions.
Au lieu de se suivre sur la corbeille, ils se dressent sur
leurs pattes de derrière et rejoignent leur tête aux angles,
cependant que leurs pattes antérieures se relèvent vers
le dé médian qu’elles viennent supporter. Ils peuvent aussi
devenir des lions-griffons qui mordillent l’extrémité de
leurs ailes attachées aux pattes de devant par un petit
bracelet. La grosse gueule assure alors parfaitement la
stabilité du chapiteau-crochet.
L’ensemble le plus richement orné se trouve à l’inté-
rieur du prieuré, où la sculpture est répandue le plus
libéralement, mais aussi le plus gratuitement, car rare
ment a-t-on enrichi de tels trésors artistiques un édifice
aussi misérable que la tribune de Serrabone.
Il convient de signaler, à la suite de M. Stym-Popper
et avant d’aborder les problèmes soulevés par cette cons
truction, que la tribune actuelle a remplacé un édifice
beaucoup plus sommaire, situé au fond de l’église et cons
titué par une simple voûte en berceau dont on aperçoit
les arrachements sur les murs septentrionaux et méridio
naux, ainsi que sur la façade occidentale. Cette première
tribune s’étendait à peu près jusqu’à la façade ouest ac
tuelle — qui ne date que des environs de 1912 — et elle
devait ressembler beaucoup à la tribune de l’église de Sé-
quère, qui est de la seconde moitié du xn e siècle. Deux
portes s’ouvraient sur cette tribune : l’une conduisait au
premier étage du clocher ; l’autre, qui était percée dans
le mur méridional de l’église, a été obstruée lors de la cons
truction de la salle capitulaire.
La tribune actuelle est édifiée aux deux tiers de la lon
gueur de la nef et elle est portée par six petites voûtes
carrées construites, semble-t-il au premier abord, sur dou
bleaux et ogives toriques. En réalité, et en y regardant
de plus près, on s’aperçoit que ces curieuses nervures
n’adhèrent même pas toujours à la voûte et laissent ap
paraître entre leurs extrémités et celle-ci des interstices
assez grands pour y passer tout le poing. Les voûtains
sont de simples voûtes d’arêtes en blocage, sous lesquelles
on a disposé l’ensemble des ogives, qui ne jouent qu’un
rôle décoratif. On peut se demander s’il en a toujours
été ainsi, car le départ des voûtes est partout en marbre
rose.
D’autres anomalies autorisent à penser que la tribune
n’était pas à cet endroit au xn e siècle. On avait déjà fait
remarquer à Brutails la manière défectueuse dont elle
s’adapte à l’ensemble de la construction de l’église, les
graves erreurs de tracé qui dressent des colonnes au beau
milieu d’une arcade de communication entre la nef et le
collatéral nord et qui ont fait condamner la porte d’accès
à la galerie méridionale. M me Favre, dans sa thèse
sur
Serrabone, adjoint à ces maladresses de construction des
anomalies de détail, en particulier la présence à l’angle
sud-est d’un support qui contraste par sa grossièreté avec
le fini des autres, ainsi que l’absence de sculpture sur les
cinquante derniers centimètres de la frise qui court à la
partie supérieure de la corniche. Nous y joindrons les
observations suivantes, non moins significatives.
La différence entre la longueur de la tribune et la lar
geur de la nef, à l’endroit où elle est actuellement édifiée,
est à l’origine du tracé légèrement oblique de la façade
du petit monument, mais, à d’autres endroits, en parti
culier dans la partie occidentale ruinée, la nef a exacte
ment la largeur de la tribune. Le rétrécissement de la nef,
à l’emplacement de la tribune, s’explique par un décro
chement du mur méridional provoqué par un chemisage
intérieur, qui eut pour but, de redresser le mur et de le
consolider lorsque s’écroula la voûte. On constate que les
peintures romanes — contemporaines des sculptures de
la tribune — se prolongent derrière celle-ci jusqu’à ce dé
crochement, qui leur est donc bien postérieur. Il est, en
outre, facile de remarquer qu’il y a liaison entre les voûtes
de la tribune et ce chemisage, au moins à l’endroit du
décrochement. L’installation de la tribune à son empla
cement actuel n’est, donc pas antérieure à la reprise cons
tatée dans le mur méridional. Lorsqu’on réalisa cette ins
tallation, on méprisait assez le décor roman peint pour
en dissimuler une partie derrière la tribune et l’on man
quait tellement de moyens qu’on employa, pour le mor
tier, du sable du cimetière — nous avons retrouvé dans ce
mortier la partie supérieure d’un fémur d’enfant. — Deux
périodes paraissent convenir plus particulièrement à un
tel ouvrage : le xvn e siècle, sous l’administration du cha
pitre de Solsona, ou le début du xix e siècle, qui vit les
travaux de restauration du curé concordataire.
Avant cette date, la tribune devait se trouver un peu
plus loin, vers l’occident, où elle occupait exactement la
largeur de l’église. Alors n’existait aucune des anomalies
de construction, qui ne furent provoquées que par son
déplacement, lorsque s’écroula la partie de la voûte située
au-dessus d’elle, ou à proximité immédiate. On y accé
dait vraisemblablement d’une manière différente d’au
jourd’hui, car il apparaît que les marches de l’escalier
actuel ont été empruntées à l’escalier du cloître. Lorsque
le déplacement fut réalisé, on dut ouvrir une nouvelle
porte dans le mur méridional, afin de remplacer l’an
cienne, contre laquelle venait buter l’un des piliers de la
tribune. Ce portail est constitué en grande partie par des
remplois très maladroitement ajustés en ce qui concerne
les piédroits et le seuil.
La destination du monument n’est nullement énigma
tique. Dans les régions méridionales, la tribune dressée à
l’occident de la nef servait aux moines et aux chanoines
réguliers pour les offices de nuit. Une tribune toute sem
blable à celle de Serrabone se trouvait à Cuxa ; d’autres
existent ou existaient à Maguelone, à Saint-Guilhem-le-
Désert, à Saint-Martin-de-Londres, ainsi que dans de
nombreuses églises espagnoles et portugaises.
Le décor de la tribune de Serrabone comprend la façade
sculptée et les supports des ogives, soit dix colonnes de
marbre avec leurs chapiteaux et deux piliers rectangu
laires de chaque côté.
La façade est constituée par trois archivoltes de marbre
de mêmes dimensions, faites de claveaux juxtaposés et
parfaitement assemblés. Celle du nord est décorée de
fleurs à quatre pétales, celle du centre d’un ruban perlé
abritant des animaux à corps de lion et à bec d’aigle, et
celle du sud de fleurons.
Les écoinçons s’ornent de fleurs à quatre pétales et de
sujets religieux : deux séraphins à trois paires d’ailes, le
lion et l’aigle des évangélistes, l’agneau sur un fond tim
bré de la croix, enfin l’ange de saint Matthieu et le bœuf
de saint Luc. On a signalé l’opposition entre l’art mala
droit des deux dernières figures et la sûreté nerveuse avec
laquelle sont traités le lion et l’aigle. Il paraît inutile,
cependant, de supposer une copie tardive d’œuvres dis
parues : l’inégale habileté des compagnons d’un même
atelier suffit à expliquer qu’au même endroit et au même
moment un artiste adroit fasse surgir des animaux dont
l’allure hiératique ne supprime pas l’élégance, tandis
qu’un artisan timide se contente d’un relief méplat pour
un sujet dont il a préalablement dessiné les contours sur
le marbre.
Un bandeau de quatre-feuilles sépare les archivoltes
d’une corniche formée d’un galon perlé d’où se détachent
des palmettes à quatre lobes, puis de dents d’engrenage
et, enfin, à nouveau, d’une frise de quatre-feuilles.
Toute cette décoration est en très faible relief ou tail
lée en creux. Il s’agit d’une simple broderie dans la pierre,
piquée de coups de trépan. Seules les têtes qui ornent
les corbeaux de la corniche et surtout celles des écoin
çons, entre la retombée des archivoltes, appartiennent à
la ronde-bosse.
Les chapiteaux ont des thèmes presque exclusivement
zoomorphiques, identiques à ceux de la galerie méridio
nale. Leurs dimensions et leur structure sont les mêmes,
mais ils sont généralement d’un travail plus sûr et plus
élégant.
Le motif le plus simple est constitué par la succession
de lions sur les quatre faces du chapiteau. D’autres fois,
les lions occupent la place de la feuille d’angle et laissent
les volutes au-dessus d’eux. Ils se dressent sur leurs pattes
postérieures et leur tête s’unit à celle de l’animal voisin.
Deux de leurs pattes antérieures se rejoignent sous le dé
central, cependant que les deux autres abaissées sou
lignent l’axe médian : lointain souvenir, peut-être, de
l’arbre de vie que gardaient les monstres sur les étoffes
orientales.
Le monstre voit parfois se réduire son espace sur la
corbeille à la suite du maintien d’un registre inférieur de
feuilles plates au dessin linéaire et dont les folioles, sépa
rées par des coups de trépan, divergent de part et d’autre
d’une tige centrale. Les lions se maintiennent en équilibre
sur les feuilles et rassemblent leurs têtes sous le tailloir,
entre les dés d’angle volumineux. Leurs contours gra
cieux dessinent des courbes douces et régulières et em
prisonnent un vide non moins finement dessiné, un as
de cœur qui se retrouve souvent sur les chapiteaux du
prieuré, ainsi que l’a signalé M me Favre.
Une réédition de ce thème est beaucoup moins heu
reuse : une grosse tête centrale vient interrompre l’attrac
tion des monstres vers le centre, et les échines, plus gau
chement représentées, ne réussissent plus à reproduire
l’as de cœur, dont l’élégance avait été un enchantement.
Les aigles parallèles à l’axe médian, souligné par une
torsade, sont, avec leurs pattes fines, leur cou harmonieu
sement ployé et leur tête rejetée à l’angle, une autre illus
tration du sens artistique très sûr des meilleurs artisans
de Serrabone. Il semble même que, pour se faire pardon
ner un certain excès dans le caractère hiératique et géo
métrique de sa production, l’auteur de ce chapiteau se
soit permis une fantaisie en remplaçant le dé médian par
une tête grotesque dont le regard louche, tandis que la
bouche se tord et grimace sous un nez camus.
L’une des plus parfaites réussites de Serrabone montre
ce qu’un artiste pouvait tirer d’un thème assez pauvre,
celui du lion qui dévore les pattes d’une proie. La partie
centrale de la corbeille n’est plus laissée dans sa nudité.
Les pattes englouties sont enlacées par un autre lion dont
le corps est extraordinairement souple ou par un reptile
qui entoure une patte, puis s’enroule sur lui-même et,
finalement, étreint l’autre patte. Ensemble fait de grâce
et de mouvement, de vie grouillante née dans l’irréel et
la fantaisie.
L’homme apparaît plus souvent qu’au cloître de Cuxa,
mais il est soumis, comme l’animal, aux lois de la struc
ture du chapiteau. Pour respecter son équilibre particu
lier et plutôt que d’en gondoler la masse, il devient une
cariatide à la tête démesurée, aux bras trop longs, dont
les coudes relevés jusqu’à la hauteur de la tête et les
mains crispées sur la poitrine ou convulsivement accro
chées aux feuilles du registre inférieur témoignent, tout
autant que la mimique expressive du visage, de la vio
lence de l’effort fourni.
La valeur de l’homme se réduit en partie à celle de sa
fonction. Les anges et les archanges, qui n’apparaissent,
d’ailleurs, qu’une seule fois, n’ont pas seulement pour but
d’évoquer quelque vision céleste : leurs ailes meublent,
pourrait-on dire, l’étendue de la corbeille ; leurs têtes
énormes et disproportionnées tiennent la place des
volutes ; les plis de leurs vêtements prolongent par des
lignes capricieuses l’enroulement du serpent et une loi
inexorable écrase leur corps.
A l’un des angles du chapiteau précédent est assis
un singe au sourire sarcastique. Il semble rappeler que
le malin veille, parmi les déploiement des ailes angé
liques, dans l’atmosphère de la prière.
Nous devons mettre à part trois chapiteaux qui
n’adoptent pas la structure traditionnelle. L’un d’eux,
le plus décevant peut-être de Serrabone, est engagé dans
le mur méridional. C’est en réalité une moitié de chapi-
teau qui ne se prêtait que difficilement, à la construction
toute de logique et d’harmonieuse symétrie qui triomphe
ordinairement. Il est décoré de deux lions fort lourds,
dont les poitrails démesurément gonflés écrasent une
patte antérieure grêle, cependant que les pattes posté
rieures sont redressées vers le tailloir par la seule volonté,
semble-t-il, d’établir un parallélisme avec la deuxième
patte antérieure qui rejoint le dé médian. La tête est
toujours rejetée à l’angle, mais le cou fait de tels efforts
pour l’y suivre que tout l’ensemble en devient difforme.
M me Favre a remarqué que ce thème s’explique parfai
tement par comparaison avec un chapiteau de Cuxa où
Gilgamesh livre combat aux fauves.
Deux larges chapiteaux rectangulaires surmontent
les piliers extrêmes. Ils sont parents par leur thème
iconographique, mais de valeur artistique fort inégale.
A gauche, un homme est debout entre un lion rugissant
et un centaure qui posent leurs pattes antérieures sur
son cou. Il lève les bras pour saisir la langue de la bête
et la patte du lion à tête humaine. Aucune partie de la
surface n’est laissée sans décoration ; le fond est marqué
par les bandes diagonales habituelles, les volutes sont
dessinées aux angles, le registre inférieur est constitué
par des feuilles stylisées, simples fleurons entourés
d’une bordure perlée. Les faces latérales sont ornées
d’une gueule largement ouverte et d’un lion, frère de
ceux qui défilent sur d’autres corbeilles. Cette pierre
qui était considérée par son auteur comme terminée,
puisqu’elle porte sur ses côtés les trois dés habituels,
s’est révélée insuffisamment vaste pour le pilier et on
a dû lui adjoindre un autre fragment sculpté, orné du
même lion, un peu plus redressé cependant, car la place
manquait pour allonger son corps. Il s’agit, comme l’a
démontré M me Favre, d’un thème qui trouve encore
son inspiration dans le combat de Gilgamesh, l’Hercule
assyrien, avec les animaux fantastiques, le taureau qui
accompagne généralement le héros en Orient étant ici
remplacé par un lion à tête d’homme.
Le chapiteau qui lui fait face sur le pilier opposé
10
J. Cornet pliot.
PORTATf.
petite, d un travail
vierge romane
très fruste, et elle
nous est parvenue dans un état de conservation déplo
rable : le bois est rongé par les vers et la peinture an
cienne disparaît
sous d’horribles badigeons modernes.
L’époque gothique livré
a une pièce de choix avec l’an
cien retable du maître-autel, œuvre de jeunesse du sculp-
leur catalan Jacques Cascallde Berga. On distingue les
scènes suivantes sous des gables ornés de fleurons : la
Nativité, la Présentation au Temple, l’Adoration des
Mages, la Trahison de Judas, le Portement de Croix, la
Crucifixion, la Descente de Croix, la Résurrection, la
Pentecôte, la Dormition de la Vierge et son Couronne
ment. Il manque deux panneaux qui, après être long
temps restés dans la sacristie après la Révolution, sont
passés dans une collection particulière à la fin du
xix e siècle. Toutes sortes d’animaux et de monstres,
d’excellente facture, se hissent vers le sommet des gables
en s’aidant des fleurons. La prédelle est ornée de médail
lons quadrilobés qui accueillent un saint évêque et des
apôtres dont certains sont reconnaissables à leurs em
blèmes : saint Paul à son épée, saint Pierre à sa clé, saint
Barthélemy à son couteau ; quant à saint Thomas, il tient
à la main l’équerre de l’architecte, en mémoire du palais
qu’il devait bâtir dans l’Inde au roi Gondoforus.
Une inscription qui court sur une seule ligne, d’un bout
à l’autre du retable, à la partie inférieure, nous en four
nit l’auteur et la date (1) :
(.Anno Domini M) CCCXLV : YDibus : MADII :
:
COUNEILLA-DE-CONFLENT 279
— M. Durliat, La
Duran i Sanpere, Els retaules de piedra.
sculpture romane en Roussillon, t. II (2 e édition), p. 7-24.
VILLEFRANCHE-DE-CONFLENT
Architecture militaire
Créé par Charlemagne pour subvenir aux besoins du
comte Guillem, chef militaire de toutes les marches d’Es
pagne, le comté de Confient avait pour siège adminis
tratif, au moment de la reconquête sur les Arabes, le
château de Saint-Estève de Pomers, accroché au flanc
nord du Canigou, à cinq kilomètres environ de Prades.
Réuni plus tard au comté de Cerdagne, le Confient devint
une vicomté dont le vicomte résidait au château de Joch,
plus vaste et plus accessible, tandis que les comtes éta
blissaient leur « palais » à Cornella. Enfin, à la veille de
passer entre les mains des comtes de Barcelone, le Con
fient voit, vers 1089 (1), la création de Villefranche, qui,
très vite, va devenir sa capitale.
Le site de Villefranche avait été choisi pour des rai
sons stratégiques : placé comme un verrou à l’articula
tion des trois vallées de la Têt, du Cadi et du Roja, ce
n’est sans doute pas par hasard qu’il avait été, dès
l’époque néolithique, le centre d’une population impor
tante, dont les traces foisonnent dans les innombrables
grottes des environs.
A l’époque carolingienne, le territoire de Villefranche
était partagé entre les trois localités de Fullâ, Cornella et
Campilles, petit village aujourd’hui disparu, mais dont
Adant phot.
PLAN EN RELIEF DE LA VILLE
(1) T. II,
p. 189. Il entrait à Villefranche en 1654.
(2) H. Aragon, Les châteaux forts du Roussillon. Villefranche et
Salses, Perpignan, impr. de VIndépendant, 1930, p. 62.
(3) Ibid., p. 29.
constructions, aujourd’hui disparues, qui doivent remon
ter à la période aragonaise : deux grosses tours rondes,
établies de part et d’autre de la porte d’Espagne (ouest),
toujours ouverte à travers sa tour carrée (1).
A. de Fous phot.
CHEMIN DE RONDE NORD
CHICANE DU BASTION DE LA BOUCHERIE
10
C’est dans cette grotte que Louis Bertrand situe un des
principaux épisodes de son roman V Infante.
Derniers travaux (XVIIIe -XIXe siècles). — A part l’ins
tallation des deux nouvelles portes de France et d’Es
pagne, avec leur pont-levis, dont une partie de la méca
nique est encore en place, les fortifications de Vauban
ne subirent plus que des modifications de détail.
Au fort, on ajouta trois petits bastions aux angles sud
et sud-ouest, une sorte de barbacane ronde pour flanquer
le pont-levis jeté sur le fossé est.
Et un peu partout, semble-t-il, on sema ees petites
échauguettes d’angle — plutôt des guérites — pourtant
généralement attribuées à Vauban, mais dont les plans
en relief ne présentent qu’un exemple à l’éperon du ra-
velin ouest. Malheureusement, cette échauguette n’existe
plus, alors que tous les angles en sont pourvus. Nous en
voyons de rondes, de polygonales, les unes en briques,
les autres en pierres, coiffées tantôt d’un clocheton aigu
et tantôt d’une coupole ; elles reposent ou sur des cor
beaux, comme les bretèches du Moyen Age, ou sur deux
ou trois boudins de pierre.
Architecture civile
La petite cité de Villefranche se compose de deux
longues rues parallèles, orientées d’est en ouest, et dont
la principale, celle du nord, allait d’une porte à l’autre.
Cette rue, au temps de Vauban, était encore barrée par
une tour-porte carrée qui n’existe plus, mais dont té
moignent les plans en relief.
La rue nord ou rue Saint-J eau est reliée au pont Saint-
Pierre par la rue Saint-Pierre ; toutes deux ont eu la
chance de conserver presque toutes leurs maisons an
ciennes (xn e xm e et xiv e siècles). Elles sont du type de
,
la maison romane donnée par Enlart dans son Architec-
ture civile (1). On y retrouve les mêmes ouvertures, tan
tôt en plein cintre ou en arc brisé, tantôt à linteau mono
lithe reposant sur deux corbeaux, tantôt la fenêtre à
double arcature reposant sur
une colonnette. Toutes ces
ouvertures et la plupart des façades sont en bel appa
reil de marbre, finement taillé et joint, extrêmement
patiné.
La rue sud ou
rue Saint-Jacques, devenue rue princi
pale lors de la création de la nouvelle porte de France,
a
été beaucoup plus abîmée
par la modernisation, sou
vent superficielle, des façades. Ont seulement résisté les
quelques maisons avoisinant l’église.
En montant la
rue Saint-Jean, on trouve :
Côté droit :
Maison Vergés :
Au rez-de-chaussée, quatre grandes
arcades soutenues par trois piliers appareillés ; fenêtres à
linteau sur corbeaux ; grand appareil de marbre sur toute
la façade.
Maison Estève François : Petite porte à linteau sur
deux corbeaux dont l’un sert également de chapiteau au
pilier d’une autre porte en plein cintre.
Maison Carrère : Deux portes en plein cintre et deux
fenêtres à colonnette.
Maison Rouquette : Deux portes en arc brisé et une
fenêtre à colonnette ; façade appareillée. Cette maison est
dite « maison de l’Infante », depuis L. Bertrand.
Maison Verges : Vieille échoppe avec son comptoir de
pierre ouvert sur la rue et une double arcade en anse de
panier.
Maison Xens : Deux portes en arc brisé et façade en
hel appareil de marbre jusqu’au niveau du premier étage.
Ea tradition locale attribue cette maison à la famille de
Llar et y place le berceau d’Inès de Llar, la malheureuse
héroïne de l’échec de la conspiration du Confient. Au-
Côté gauche :
Maison Villanooa : Deux beaux piliers de pierre taillée,
avec corbeaux, portant un linteau de bois. Deux fenêtres
à linteau monolithe sur corbeaux.
Maison Estèoe : Grande porte en plein cintre et petite
porte à linteau monolithe triangulaire, séparées par un
seul pilier de pierre taillée.
Ancien hôpital : Le plus bel immeuble de Villefranche.
Au rez-de-chaussée, quatre belles arcades en plein cintre ;
au premier étage, on voit la trace de trois grandes fenêtres
qui ont été détruites pour faire place à des fenêtres mo
dernes plus petites. Au deuxième étage, le crénelage est
encore parfaitement visible, bien que bouché pour former
un nouvel étage d’habitations. Toute la façade est en
bel appareil de marbre ; l’angle gauche est encore suré
levé d’un étage et forme comme une tour carrée, tandis
que l’angle droit est constitué par un grand beffroi, haut
de cinq ou six étages, couronné d’un mâchicoulis qui a
été détruit par l’établissement d’une toiture, mais dont
il reste tous les corbeaux de pierre. A l’intérieur, le patio
existe toujours, avec ses galeries de bois et son large esca
lier conduisant aux vastes appartements des étages.
Maison Nou : Quatre grandes portes en plein cintre,
fenêtres refaites, patio avec ses galeries de bois, mâchi
coulis au-dessus de la porte d’entrée. Cette maison était
celle des Pascual, vieille famille bourgeoise de Ville-
franche, dont la mère d’Inès de Llar était issue.
Maison March : Deux belles portes en plein cintre et
une à linteau triangulaire ; deux fenêtres en plein cintre
dont une à demi détruite pour l’établissement d’une fe
nêtre à croisillon.
Maison Clotilde Durand : Une porte en plein cintre et
fenêtres à croisillon.
Maison Carol : Vieille échoppe.
Maison Bès ou maison du Génie : Deux portes en plein
cintre, bel appareil sur toute la façade.
Citons encore, au bout de la rue Saint-Pierre, la jolie
petite maison Deixonnes, avec ses trois arcatures en plein
cintre formant porche et ses deux petites fenêtres à lin
teau, F ancien hôtel de ville, sur la placette de l’église,
avec ses trois portes et ses trois fenêtres en plein cintre ;
et, enfin, le grand beffroi municipal, construit en très gros
appareil, presque cyclopéen
— trois monolithes forment
fa porte.
Architecture religieuse
A la demande de l’évêque Artal, le comte Raymond-
Guillem de Cerdagne avait accordé aux habitants de Vil-
lefranche, dans la charte de poblacio de 1089, le droit de
construire une église qui demeurerait sous la dépendance
de Sainte-Marie de Cornella.
La donation de Saint-Jacques de Villefranche à l’église
de Cornella fut confirmée, en 1094, par le testament du
même comte et, en 1097, par son fils, Guillem-Jorda.
L’église était-elle contruite et achevée dès cette
époque? En tout cas, rien, dans l’église actuelle, ne paraît
remonter au xi e siècle, même finissant.
On y distingue cependant la trace de plusieurs rema
niements.
Une première église à nef unique, construite en moyen
appareil de marbre, à laquelle appartient le grand por
tail actuel — dont les chapiteaux sculptés relèvent du
groupe Cuxa-Serrabone — ne semble pas antérieure au
milieu du xu e siècle.
A l’extrême fin du xn e siècle, on perça le mur méridio-
liai de la nef dedeux grandes arcades en plein cintre et.
on la doubla d’une nef beaucoup plus large qui occupa
ainsi l’espace disponible jusqu’au rempart.
A l’occident de cette nef devait s’ouvrir, très proba
blement, la petite porte en plein cintre qui est aujour
d’hui juxtaposée au grand portail.
Dans la seconde moitié du xm e siècle, un nouvel agran
dissement fut jugé nécessaire et se fit, cette fois, au détri
ment des absides : les
nefs furent alors sim
plement prolongées
vers l’est et le chevet
fermé par un mur plat ;
une nouvelle grande
arcade en tiers-point
faisait communiquer
de ce côté les deux
vaisseaux.
D’autre part, au-
dessus de la façade oc
cidentale de l’ancienne
nef fut élevé un massif
clocher carré, de deux
étages, éclairés chacun
par huit grandes baies en arc brisé. Le crénelage à nier
ions pointus pourvus d’un glacis à quatre pans paraît en
reprise et peut dater du xiv e siècle.
Il semble que ces derniers travaux d’agrandissement,
commencés avant 1263, étaient terminés en 1294 (1).
Outre les trois inscriptions funéraires (xiv e siècle) qui
sont encastrées dans le mur de façade près du grand por
tail, l’église renferme encore de nombreuses pierres tom-
' I
Puig phot.
CLOCHER DE l’ÉGLISE
baies (xme au xvmesiècle), ainsi qu’un intéressant mo
bilier : à signaler particulièrement la très belle statue de
Notre-Dame-du-Bon-Succès (xiv e siècle), en albâtre po-
lychromé, provenant du couvent des Frères Mineurs (1) ;
les stalles du chœur (xv e siècle) ; trois retables des xvi e
,
xvn e et xvm e siècles provenant de la petite église voi
sine de Sant Pere de la Roca ; un Christ gisant en bois
sculpté et peint (xiv e siècle) récemment acquis par
M. l’abbé Gazes, actuel curé de Villefranche.
xve siècle. Voir notule de Jean Roure datée de 1425 dans le Cartu-
laire d’H. Alart, p. 539, aux Arch. dép. des Pyrénées-Orientales.
(1) Marca Hispanica, app. CXIX, col. 909-911.
(2) Ibid., col. 1072-1082.
avoir eu des relations avec Cluny (1). Le nouvel abbé
reprit activement les travaux, « éleva les murs à une
grande hauteur » et couvrit l’édifice d’une charpente bril
lamment décorée. Il érigea un riche autel porté par des
colonnes en marbre de couleur et renferma de précieuses
reliques dans son soubassement.
Une partie des objets précieux et des reliques avaient
sans doute été apportés par Garin de ses voyages en Ita
lie et en Terre Sainte. D’autres provenaient du trésor
apporté par l’ancien doge de Venise, Pierre Orséolo, réfu
gié à Cuxa, où il mourut en odeur de sainteté. Grâce à
Garin, saint Romuald, futur fondateur des Camaldules,
avait, lui aussi, vécu quelques années à proximité de
Cuxa.
Un incendie, dont nous ignorons et la date exacte et la
cause, ravagea l’édifice entre la fin du x e siècle et le
milieu du xi e
.
Oliba, fils et frère des comtes de Cerdagne, abbé de
Cuxa en 1011, était déjà abbé de Ripoll, où il consacra
une nouvelle église en 1032. Il fut sacré en outre évêque
de Vich (ou Ausone). L’abbé Oliba entreprit à Cuxa de
grands travaux que Garcias énumère dans un texte si
confus qu’il n’est pas encore parfaitement élucidé, mal
gré les nombreuses études dont il a fait l’objet.
Garcias nous apprend qu’Oliba éleva un ciborium au-
dessus de l’autel de Saint-Michel, puis agrandit l’église
en arrière de ce dernier. A l’opposé, sur le terrain situé
à l’ouest et en contre-bas de l’église, il construisit une
crypte dans laquelle une chapelle voûtée, dite « de la
Crèche », fut consacrée comme église de la Vierge. Deux
chapelles, dédiées aux archanges Gabriel et Raphaël, en
cadraient cette dernière. L’identification de la chapelle
de la Crèche est confirmée par une donation de 1068, qui
PORTE SUU
Stym-Popper del.
La légende et l’histoire
Le «
Monestir del Camp », comme d’autres vieux sanc
tuaires du Roussillon, a sa légende, légende toujours vi
vante, dont la tradition se maintient encore dans les
foyers paysans de la contrée.
Charlemagne l’aurait fondé, dit-on, à la suite d’une
victoire sur les Maures. Ayant poursuivi et attaqué ces
derniers sur le plateau de Passa, son armée, accablée
par le soleil et la soif dans la sécheresse de YAspre, put
se désaltérer et écraser les Infidèles grâce à une source
miraculeuse qui apparut à propos dans le proche ravin.
L’empereur, dont la prière avait été exaucée, fit bâtir
sur le champ de bataille (campus, camp) une église qu’il
dédia à Notre-Dame-de-la-Victoire. Le torrent voisin
s’appelle encore « el Riu del Miracle » (rivière du Miracle).
Par la suite, un monastère se constitua à côté de l’église,
sous le nom de Sainte-Marie del Camp. Cette primitive
église aurait abrité une de nos vierges les plus célèbres,
que Charlemagne aurait fait porter dans la bataille. En
terrée dans un bois lors du retour offensif des Arabes,
réinventée plus tard par un berger à la recherche d’une
brebis perdue, elle fut transportée dans l’église de Thuir,
où elle est encore aujourd’hui vénérée sous le nom de
« Nostra Senyora de la Victoria ».
Nos historiens ont unanimement rejeté ce récit, ma
nifestement légendaire, sans trop se préoccuper de savoir
s d ne contenait pas cependant quelque parcelle de vé-
rite. Quant nous, il nous coûtera peu de nous en. tenir
à
L’église
Les édifices du monastère comprennent encore l’église,
flanquée
au midi d’un charmant petit cloître, autour
duquel sont disposés les divers bâtiments conventuels.
E église, à nef unique
et abside semi-circulaire, pré-
U) Ant et Frcs Masdemont, not.
.
Co
sente une voûte en berceau brisé, supportée par des arcs
latéraux, faisant ofïice de contreforts intérieurs.
Ce système, dont nous connaissons dans la région des
exemples nettement préromans, a été employé plus fré-
(1) Citons
: à
Cuxa, l’église de la Trinité (1040), superposée à
(‘<dle fie Sainte-Marie ou du Pessebre, par l’abbé Oliba ; à Saint-
Martin du Canigou, le clocher (chapelle Saint-Michel) ; l’église de
Casenoves, l’abbatiale d’Arles (à partir de 1046), Sainte-Marie de
Piquer (1073),
etc... A noter que, dans cette dernière église, comme
® Casenoves, les joints extérieurs, tracés
au fer, étaient peints à
*
° Cl-e rouge, ce qui suffirait à démontrer qu’ils étaient faits pour
'ester apparents. On ne saurait trop insister, à notre sens, sur î im
portance de l’étude des joints la chronologie des édifices
(surtout pour
non appareillés en pierre de taille) et sur la nécessité, en
tout cas, de les
tions. respecter scrupuleusement au cours des restaura
vant, peut-être à l’occasion de l’édification, le long du
même mur, d’un premier cloître, à galerie unique. Le
parement est ici constitué par des blocs de grès de moyen
appareil, unis par des joints rectilignes très soignés,
larges d’environ deux centimètres et en léger relief sur
la pierre.
C’est alors également que fut percée, au détriment de
la base d’une fenêtre, la porte latérale, dont l’arc en
plein cintre est toujours apparent à l’intérieur de la
nef (côté cloître, un arc en tiers-point fut encastré sous
cette arcade, au xiv e siècle).
La construction du clocher carré, juxtaposé à l’église
au sud de la dernière travée, dut suivre de près celle de
la nef. Plaqué contre le mur de cette dernière, il repose
de ce côté sur un grand arc en plein cintre construit en
grès de moyen appareil.
Un grand portail de marbre blanc s’ouvre actuelle
ment à l’ouest de l’église.
Sur un massif rectangulaire, appareillé de blocs de
marbre de taille inégale (1), se développe une archivolte
ornée de rinceaux, entrelacs et motifs floraux stylisés,
disposés de façon assez disparate. Au-dessous, une double
voussure encadre un tympan nu et repose, de part et
d’autre, sur deux colonnes d’angle, couronnées de cha
piteaux sculptés. Fait anormal, à partir du niveau de
ces derniers, les piédroits et les deux redents entre les
colonnes ne sont plus parementés en marbre, mais en
blocs de grès, aujourd’hui habillés d’un malencontreux
faux appareil de ciment.
Sur le premier chapiteau de droite, deux gnomes à tête
énorme et disproportionnée soufflent dans une trompe
ou une double flûte. Le chapiteau voisin, très abîmé,
PORTAIL OCCIDENTAL
P. Ponsich pliot.
d’inscrire, côté cloître, un arc brisé plus bas, n’avait pas été rétré
cie : la lézarde rectiligne qui semblait l’indiquer, le long d’un des
piédroits, ne correspondait qu’à une reprise de l’enduit. Il faut
donc renoncer à cette hypothèse. Mais le remaniement
ne nous
Paraît pas moins indubitable : on aura adapté après coup les élé
ments d’un portail de marbre, provenant d’une autre église, au
Portail originaire, simplement appareillé en grès.
du « Maître de Cabestany », auteur du tympan du Boulou.
Le portail du Monestir del Camp est cependant en
arc brisé, peu accentué il est vrai, et non en plein cintre
comme les précédents. Mais il est visible qu’il a été
profondément remanié. L’archivolte, en particulier, pré
sente une succession de motifs différents intercalés de
manière vraiment hétéroclite. Il n’y a pas eu, d’ailleurs,
comme on pourrait peut-être l’imaginer un instant,
simple juxtaposition d’éléments « préfabriqués ». Sur le
haut de l’archivolte, un bloc décoré d’une sorte d’entre
lacs sépare les éléments d’un rinceau qui, de toute évi
dence, étaient primitivement réunis, puisqu’une des
feuilles se trouve ainsi coupée en deux. C’est là le fait
le plus net — mais non le seul de cet ordre, car d’autres
éléments d’un même motif sont arbitrairement séparés
sur l’archivolte — qui suffit, à nos yeux, à prouver le
remaniement, remaniement que feraient déjà soupçon
ner d’autres détails insolites, comme la différence, déjà
notée, du matériau utilisé pour les piédroits et les redents.
Par la même occasion, on aurait donné au portail sa
forme brisée qui, étant donné le caractère des sculptures,
surprend comme un anachronisme : on ne saurait ou
blier, en effet, que le portail en plein cintre demeure la
règle dans l’architecture religieuse du Roussillon et de
la Catalogne, encore durant tout le xm e siècle. Du reste,
au portail du Monestir, en arrière de ce placage de
marbre, l’arc proprement dit, qui perce le mur de l’église,
appareillé en grès comme les piédroits et redents, est en
plein cintre, comme devaient l’être les simples voussures
de grès primitives.
Quant à la grille de fer forgé, aux tiges verticales tor
sadées, qui est aujourd’hui fixée devant le portail, elle
témoigne de la continuité d’une longue tradition fer-
ronnière, à jamais marquée, semble-t-il, par l’esprit ro
man le verrou, à la traditionnelle tête de dragon, porte
:
la date 16 ÏHS .1 )e troisième chiffre, dévoré
; par la
rouille, est à peu près effacé, mais
on croit deviner encore
la trace d’un 5
ou d’un 6.
l ace à la porte du cloître, le mur nord de la nef a été
percé pour l’aménagement d’une chapelle rectangulaire
“ peut-être à destination funéraire — que sa voûte
d ogives retombant
sur quatre chapiteaux à fleurons sty
lisés et les impostes de l’arcade
en tiers-point, ornées de
rosettes, situent dans les dernières années du xm e siècle,
sinon au commencement du xiv e
.
Encastrée dans le mur de gauche, une Crucifixion en
marbre blanc porte en exergue une double inscription
sépulcrale : Anno Domini MCCXC IIXI lil (sic) mardi
obiit Domina Beatrix de Tavtavllo filia condam Goillelmi
de Saragvossa militis. Anno Domini M CGC II XII lil
(sic) mardi obiit Domina Sibilia de Atdao filia condam
Goillelmi de Saragoossa militis.
M me Chadourgnae phot.
J. Cornet pliot.
LE PORTAIL
Le monument.
-—
Avant de souligner l’intérêt des pein
tures murales de la chapelle de Saint-Martin-de-Fe-
nouilla (1), il faut évoquer l’histoire de l’édifice et voir
si, à défaut d’une date exacte, on ne peut pas définir ap
proximativement l’époque de sa construction.
Brutails, puisant ses renseignements dans Y Histoire
du Languedoc et dans Mcirca hispanica, nous rappelle que,
dès le IX e siècle, il existait en ce lieu une chapelle dédiée
à saint Martin. Mention en est faite successivement en
844, 869, 875, 878. La charte de 844 spécifie, notamment,
que cette chapelle était située sur le chemin qui condui
sait vers l’Écluse in via quae discurrit ad ipsas Clusas,
autrement dit vers l’Espagne (2).
On peut encore relever une date concernant l’édifice au
début du xi e siècle : une bulle du pape Serge IV remon
tant à 1011 cite, en effet, l’église Saint-Martin ; puis les
textes sont muets jusqu’au xiv e siècle (3).
Les peintures.
— Les peintures qui recouvrent essen
tiellement le chœur ont été maintes fois étudiées et nous
nous bornerons à rappeler la disposition des scènes et le
parti de la composition.
Au soubassement, ce sont des serviettes peintes, selon
l’usage répandu alors dans tout le monde chrétien. On
peut citer en France, entre beaucoup d’autres et dans des
régions fort différentes, celles des églises de Saint-Jacques-
des-Guérets (Loir-et-Cher), Vie (Indre), Saint-Chef (Isère).
DE-FENOUILLA
N-
MARTI
SAINT"
EGLISE
V
„
Un bandeau décoratif
interprétant le motif de
la grecque sépare les ser
viettes et le registre his
torié inférieur.
La lecture de ce regis
tre doit se faire du nord-
ouest au sud-ouest. On y
voit T Ann onciation, la
Nativité, un ange (seul
reste de l’Annonce aux
bergers), l’Adoration des
Mages, le retour des Ma
ges dans leur pays. Dans
la scène de la Nativité,
on remarque l’Enfant-Jé
sus couché sur un autel
en guise de crèehe, ico
nographie assez rare et
qui illustre cette pensée,
chère au Moyen Age, que
le Christ, dès sa nais
sance, était marqué pour
la rédemption. Il en est
de même aux peintures
du transept de l’église
de Pontigné en Anjou
(deuxième moitié du
xm e siècle) et à celles
de la crypte de Saint- P. Jauzac phot.
Amant - de - Boixe (Cha
ANGE UE L ANNONCE
rente), qui datent de la
AUX BERGERS
fin du xm e siècle.
Le registre supérieur, séparé du registre inférieur par
une petite grecque, est entièrement consacré aux vieil-
lards de l’Apocalypse, qui font partie de la scène du
sommet de la voûte.
Ici, c’est le Christ inscrit dans une gloire en amande,
entouré des symboles des évangélistes figurés par des
anges qui tiennent entre leurs bras l’avant-corps de l’ani
mal qui les représente ordinairement. Cette formule est
exceptionnelle.
Quand le Christ trône à la voûte de la travée droite
du chœur, il est d’usage que la Vierge soit représentée
au fond de celui-ci (Notre-Dame-la-Grande à Poitiers,
Palluau, probablement Montmorillon). Saint-Martin-de-
Fenouilla n’a pas échappé à la règle : la Vierge figure
sur le mur du chevet, encadrée dans un médaillon carré
reposant sur la pointe, les bras levés dans la position
d’un orant (1) et adorée par deux anges.
Parmi les inscriptions, il faut insister sur celles qui
accompagnent les symboles des Évangélistes ; elles sont
tirées du Carmen pascliale du poète Cœlius Sedulius, qui
vivait au v e siècle.
Les caractères qui subsistent permettent de restituer
les phrases suivantes : pour Jean, More volans aquilœ,
verba petit astra Johannes ; pour Luc, Jura sacerdotis Lu
cas tenet ore fuvenci ; pour Mathieu, Mateus natum de vir-
gine prédicat agnum (2) ; pour Marc, Marcus ut alta frémit
vox per deserta leonis.
Il faut noter que cette évocation du poème de Sedu
lius, fréquente dans les manuscrits de l’époque carolin
gienne (3), n’est pas spéciale à Fenouilla ; elle existe aussi
Aperçu historique
L’abbaye bénédictine de Sainte-Marie d’Arles — la
plus ancienne du Roussillon — fut fondée vers 778, sous
le vocable de Sainte-Marie de Yallespir, par le moine
Castellan, « venu des parties d’Espagne ». Ce Castellan,
attiré, comme tant d’autres de ses compatriotes, par
les très favorables mesures de protection que Charle
magne, désireux de repeupler la Septimanie, venait
d’inaugurer à l’égard des réfugiés espagnols, est très
probablement le même qui est mentionné en 812 dans le
fameux précepte impérial réglant définitivement le sta
tut des Hispani aprisionnaires.
Dès 817, « le monastère de Yallespir, en Septimanie »,
est cité dans une notice de Louis le Pieux, parmi les
rares qui ne doivent à la maison impériale que le seul
service de la prière.
En 820 et 844, des préceptes de Louis le Pieux et de
Charles le Chauve confirment son immunité et ses
possessions : outre d’importants domaines en Besalu,
celles-ci comprennent alors, en Roussillon, les cellcie
de Saint-Pierre d’Arles (ou de Riuferrer), Saint-Jean
de Réart, Saint-Julien de Bussac et Saint-Martin de
Fonollar.
De l’étude attentive de la dizaine de chartes du car-
tulaire d’Arles qui nous ont été transmises pour le
ix e siècle et de quelques autres du siècle suivant, découle
un fait incontestable, bien que demeuré généralement
inaperçu : le primitif monastère de Sainte-Marie de
Vallespir ne fut pas fondé sur le site actuel d’Arles, mais
installé tout d’abord dans les « édifices antiques » des
Bains d’Arles, vieille station thermale romaine, ruinée
et désertée depuis l’invasion arabe.
Ce premier monastère, aménagé dans les « admirables
Bains » — c’est l’expression de l’abbé Hilpéric en 869 —
rencontrés sur son chemin par l’émigrant Castellan,
connut, vers 858-859, une épreuve inattendue : épreuve
qui faillit lui être aussi fatale que le fut, quelque vingt
ans plus tard, l’inondation de la Tôt à Saint-André
d’Exalada, autre monastère établi auprès de sources
thermales. Une bande de pirates normands, C3S nouveaux
barbares qui, ayant franchi en 858 les colonnes d’Her-
cule, faisaient alors leur première apparition dans le
monde méditerranéen, assaillit l’abbaye, massacra une
partie des moines et la mit à sac durant trois jours.
La lettre de l’abbé Hilpéric adressée dix ans après
à Charles le Chauve pour solliciter son appui montre
que le monastère n’était pas encore relevé de ses ruines,
bien que toujours habité par les moines.
Charles le Chauve et ses successeurs Louis le Bègue
et Carloman répondirent à cet appel par l’octroi de
nouveaux préceptes en 869, 878 et 881, mais il paraît
qu’à cette dernière date, la communauté était encore
installée dans les bâtiments des Bains.
De 881 à 934, il y a dans le même cartulaire d’Arles
un trou de plus d’un demi-siècle — phénomène qui,
chose étrange, se répète identiquement à la même époque
pour celui de Cuxa, exactement entre 879 et 938. Cette
période correspond aux temps troublés, mais féconds,
qui virent le Goth Wifred le Velu et ses frères mettre la
main sur la Cerdagne, le Confient, au moins une partie
du Boussillon et sur tous les comtés de la Marche d’Es
pagne, à l’exception du seul comté d’Empories.
Or, d’une part, il est certain qu’en 934 le monastère
de Sainte-Marie est déjà implanté « sur les bords du
Tech », c’est-à-dire sur le site actuel. D’autre part, la
bulle concédée en 968 à l’abbaye d’Arles par le pape
Jean XIII, à la demande d’un petit-fils du Velu, Oliba-
Cabreta, comte de Cerdagne, Confient, Berga et Besalu
— et maître du Vallespir — dit textuellement que le
monastère avait été construit par un frère du grand-
père du comte Oliba. Nous avons donc la preuve que
l’abbaye, fondée par Castellan et mise à mal par les
Normands, fut effectivement rebâtie dans les dernières
années du ix e siècle et nous tenons là, du même coup,
l’explication du changement de site.
11 est plus difficile de déterminer
en toute certitude
lequel des trois frères de Wifred le Velu fut ce deuxième
fondateur : qu’il s'agisse, en effet, de Miron I er comte
,
de Confient, de Radulfe, qui fut peut-être en ce temps-là
comte de Roussillon (dont dépendait encore le Vallespir),
ou de Suniefred, qui était moine, ce que l’on sait de leur
carrière rend la chose vraisemblable, à divers titres,
pour chacun d’eux. Mais nous avons dit ailleurs pourquoi
nous considérions comme plus séduisante l’hypothèse
suivant laquelle le moine Suniefred, probablement
frère aîné de Wifred le Velu, serait le même personnage
que Suniefred, abbé d’Arles de 881 aux environs de
l’an 900 : dans ce cas, ce serait lui qui, désertant les
ruines des Thermes, aurait reconstruit l’abbaye à son
emplacement actuel (1).
Étude archéologique
Il y eut donc sur le site actuel d’Arles une première
abbatiale élevée dans les vingt dernières années du
ix e siècle. Après quoi nous avons les deux consécrations
de 1046 et de 1157, suivies d’importantes campagnes
de travaux durant la seconde moitié du xm e siècle et
au début du siècle suivant. Nous allons étudier successi
vement ce qui appartient à chacune de ces périodes.
Le portail. — Et, d’abord, subsiste-t-il quelque chose
de l’église primitive? Nous croyons que oui : en premier
lieu, le portail d’entrée, du moins dans ses éléments
essentiels : piédroits, linteau en bâti ère et arc de décharge
365
de l’arc et se transforme à nouveau en rinceau fleuronné
sur le montant de droite ; au-dessus de l’arc, une archi
volte prismatique, où court un riche rinceau fleuri, étend
une saillie protectrice.
P. Ponsich phot.
GALERIE NORD DU CLOÎTRE
P. Jauzac phot.
CHEVET ET CLOCHER
P. Jauzac phot.
INTÉRIEUR
P. Jauzac phot.
RETABLE DU ROSAIRE
* *
L’édifice se compose de deux parties de hauteurs iné
gales : la nef et le chœur. La nef, couverte d’un berceau
brisé, est divisée en trois travées égales par deux arcs-
doubleaux retombant sur des pilastres accolés aux murs
latéraux. Les murailles en belles pierres de taille grani
tiques sont flanquées de contreforts entre lesquels
s ouvrent d’étroites fenêtres à double ébrasement et à
linteau monolithe. Les contreforts se terminent par un
pan coupé sous une corniche constituée par un cordon
de dents d’engrenage.
Trois arcades inégales donnent accès au chœur : celle
du centre, en arc brisé, se prolonge dans une partie droite
par un berceau qui se raccorde lui-même au cul-de-four
de l’abside. Les deux petites arcades en plein cintre qui
flanquent la précédente ouvrent sur deux compartiments
latéraux très étroits dont l’espace est pris en partie aux
dépens de l’épaisseur des murs latéraux. Ces chapelles
latérales sont couvertes de voûtes d’arêtes sous lesquelles
deux boudins se croisent en diagonale de la même ma
nière qu’à la tribune de Serrabone, mais, alors que dans
ce prieuré les nervures ne jouent qu’un rôle purement
décoratif, celles de Coustouges constituent de véritables
croisées d’ogives. Elles reposent sur des consoles encas
trées dans les murs et sur deux grosses colonnes par l’in
termédiaire de chapiteaux trapus en granit, composés de
deux rangées de feuilles retroussées sous les volutes. La
poussée des voûtes du côté de la nef est contre-butée par
des trompes coniques.
Les fenêtres des chapelles latérales ont un linteau mo
nolithe moins haut que celles de la nef, cependant que
la fenêtre absidale est décorée de deux colonnettes qui
supportent une archivolte, par l’intermédiaire de chapi-
P. Jauzac phot.
VUE INTÉRIEURE
P. Jauzac phot.
CHAPELLE M ÉlUDJONALE