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Congrès archéologique de

France : séances générales


tenues ... par la Société
française pour la
conservation des [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Société française d'archéologie. Auteur du texte. Congrès
archéologique de France : séances générales tenues ... par la
Société française pour la conservation des monuments
historiques. 1954.

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SAINT-GENIS-DES-FONTAINES
par M. Georges GAILLARD

Le monument. — Le nom de Saint-Genis-des-Fon


taines est célèbre dans l’Histoire de l’Art et l’on cite vo
lontiers, en tête d’un chapitre sur la sculpture romane,
son linteau daté de 1020. On parle plus rarement de son
église, dont la date exacte n’est pas connue. Brutails en
juge la construction très pauvre et d’une maladresse dé
plorable. Mais il en a publié le plan, dont les particularités
devaient suffire à attirer l’attention des archéologues. Les
relevés plus précis, que nous donne ici M. Stym-Popper,
et la comparaison des détails de la construction avec ceux
de Saint-Michel île Cuxa et des monuments mozarabes
du Roussillon, aujourd’hui mieux connus grâce à la dé
couverte de M. Félix Hernandez, permettent d’assigner
à Saint-Genis une place plus intéressante dans l’histoire
de l’architecture.
Le monastère est cité pour la première fois dans un
document de 819, date approximative de la fondation,
selon Marca : Anno eodem DCCCXIX. aut paulo ante
fundatum est monasteriurn Sancti Genesii de Fontanis in
pago Ruscinonensi a religioso quodam viro nomme Sen-
timiro. Nam hoc anno Assaricus ejusdem monasterii Abbas
praeceptum immunitatis obtinuit a Ludovico pio Impera-
tore, ex quo apparet liane monasterii conditionem fuisse
novellam ac recentem (1). En 981, l’empereur Lothaire
confirme ses privilèges dans
un document, cité par Marca,
rappelant qu e le monastère jadis été détruit
a par les
(1) Marca Hispanica, col. 347.
païens (sans doute les Normands) et qu’il est maintenant
reconstruit : ad monasterium Sancti Genesii, quod olim
...
a paganis destructum fuit et nunc Dei protegente iniseri-
cordia reaedificaturn est et vocatum Fontanis... (1).
La date de 981 est à retenir : elle coïncide à quelques
années près avec celle de la construction de Cuxa. C’est le
moment le plus brillant dans l’histoire de l’architecture
préromane en Roussillon et en Catalogne. L’église que
nous avons sous les yeux ne date pourtant dans son en
semble que du xn e siècle : elle a été consacrée en 1153,
selon un renseignement fourni par Y Histoire générale du
Languedoc dans la liste des abbés (2). Mais il semble pro
bable, on va le voir, qu’elle a conservé le plan et en grande
partie les murs de la construction antérieure.
Le plan se compose d'une nef unique très allongée et
relativement étroite, d’un transept un peu moins large
encore que la nef et extrêmement débordant, sur lequel
ouvrent trois chapelles profondes, leur abside étant pré
cédée d’une partie droite très développée. Les propor
tions de ce transept et de ces chapelles sont, dans des di
mensions plus petites, les mêmes qu’à Saint-Michel de
Cuxa.
L’entrée du transept ne s’ouvre pas sur la largeur totale
de la nef, mais sur un espace notablement rétréci. Ce ne
sont pas, en effet, de simples pilastres qui l’encadrent à
droite et à gauche, mais de véritables tronçons de murs
perpendiculaires à ceux de la nef. Il en était de même,
semble-t-il, à l’entrée des chapelles ; mais là les montants
ont été retaillés : la modification reste visible.
La construction est faite de matériaux irréguliers noyés
dans un abondant et médiocre mortier. Sa pauvreté a
surpris Brutails, car elle ne répond guère aux habitudes

(1) Marca Hispanica, col. 410 et 925, ap. CXXIX.


(2) Édition Privât, IV, col. 535.
Slym-Popper del.
PLAN

taine importance. Mais elle était revêtue, à l’intérieur,


de pierres taillées qui lui donnaient, au contraire, une
grande noblesse. Disposées aux angles des pilastres alter-
nativement en hauteur et en largeur, ces pierres sont de
simples dalles : un sondage récent vient de le révéler. Ce
système, qui rappelle l’appareil en carreaux et boutisses,
caractéristique de l'art califal et mozarabe, n’est ici,
comme à Cuxa, qu’un revêtement. Mais il n’en est. pas
moins significatif et susceptible de donner une indication
importante sur la date de la construction.
Enfin, les fenêtres, qui s’ou vrent au fond des absides, à
simple ébrasement vers l’intérieur, confirment l’ancien
neté de l’édifice : cette forme est celle du x e siècle; elle
disparaît au xi e
.
L’église dont parle Lothaire en 981 subsiste donc en
grande partie. Mais, à cette date, les chapelles seules de
vaient être voûtées. Les berceaux qui couvrent aujour
d’hui le transept et la nef n’ont été construits qu’au
xn e siècle, et cette rénovation de l’église a pu motiver la
consécration de 1153. Des arcs de décharge ont alors été
adossés à l’intérieur des murs de la nef. Le transept, plus
étroit, n’a pas paru en nécessiter. Des doubleaux, irrégu
lièrement construits, encadrent la croisée. La nef n’en a
que deux, sur les travées proches de la façade, tandis que
les deux travées suivantes en sont dépourvues. Ces dou
bleaux en plein cintre renforcent un berceau brisé, sur la
nef, tandis que le berceau du transept est en deini-
cylindre. La nef a-t-elle été allongée au xn e siècle, et sa
partie occidentale, qui possède des doubleaux, ne date-
t-elle que de cette période? C’est ce qu’un examen plus
détaillé des maçonneries permettra peut-être de préciser,
lorsque auront été complétés les sondages entrepris à
l’occasion de notre Congrès.

Le linteau. — Le linteau de marbre qui décore la porte


de l’église est un morceau remployé, probablement au
xn e siècle, lors de la rénovation de l’édifice. Il est daté de
1019-1020 (et non, comme on l’a souvent écrit, de 1020-
1021) : une belle inscription, qui court sur deux lignes
du règne du roi Robert Hugues Capet est mort le 24 oc
.
tobre 996 : la vingt-quatrième année du règne de son
successeur commence donc en octobre 1019 pour se ter
miner en octobre 1020. On pourrait supposer, il est vrai
(comme l’a proposé M. Paul Deschamps, en même temps
que cette rectification de calcul), que les années du règne
de Robert le Pieux sont comptées, non pas à partir de la
mort de son père, mais à partir du jour où il fut associé
par son père à la royauté, le 30 décembre 987, quelques

LE LINTEAU

mois seulement après l’élection d’Hugues Capet, ce qui


donnerait pour le linteau la date de 1011. Mais, dans les
chartes citées par Marca, où sont données en même temps
l’année de l’Incarnation et l’année du règne, c’est la date
de 996 qui est prise comme point de départ du règne de
Robert ; il convient donc de conserver pour le linteau la
date de 1019-1020. Voici le texte de l’inscription :

t ANNO VIDESIMO QUARTO REGNANTE ROTBERTO REGE


WILLELMVS GRATIA DEI AB B A ISTA OPERA FIERI IUSSÏT IN
ONORE SCI GENESII CENOBII QUE VOCANT FON7ANAS
Au centre est assis le Christ bénissant et tenant le livre ;
il porte le nimbe crucifère ; les lettres A et O sont gravées
à ses côtés. Une gloire perlée l’entoure, ovale brisé, formé

par deux courbes : selon la savante étude de Walter


W. S. Cook (1) après Y examen d’un grand nombre de mi
niatures et de retables peints de l’époque préromane et
romane, cette composition résulte du mélange de deux
traditions inexactement interprétées, la tradition hellé
nistique et romaine du Christ assis sur le globe céleste et
la tradition orientale de la mandorle qui l’enveloppe d’un
éclat surnaturel. Cette auréole est portée par deux anges
qui l’encadrent à genoux dans une attitude forcée, mais
expressive. A droite et à gauche, sous des arcs outre
passés que soutiennent des colonnettes, six figures debout
dans des attitudes diverses représentent le collège aposto
lique, qui n’a pu trouver place au complet.
Sur les quatre côtés du linteau, une large bordure est dé
corée d’une tige ondulée à palmettes alternativement
placées d’un côté et de l’autre ; le marbre est creusé en
gouttière par une taille en biseau. Cette technique et l’or
nement de la bordure sont habituels dans les ateliers de
marbriers des Pyrénées-Orientales : la table d’autel de
Saint-André de Sorède, plusieurs fragments conservés
dans la même église, d’autres à Arles-sur-Tech, en four
nissent d’assez nombreux exemples. La source de cet art
est à Cordoue, comme semble déjà l’indiquer la forme
outrepassée des arcs. Les manuscrits mozarabes ont trans
mis le dessin de la tige ondulée décorée de palmettes, qui
deviendra si fréquente dans l’art roman. La technique de
la taille en biseau a été répandue en Catalogne par les
sculpteurs du Califat qui ont travaillé à Ripoll dans la
seconde moitié du x e siècle et dont quelques œuvres sont
parvenues jusqu’à nous. On s’explique ainsi la magni
fique fermeté de cette partie ornementale dans le linteau
de Saint-Genis, à une date si précoce où commence seule
ment la renaissance romane.

(t) The earliest painted panels of Catalonia, II : Two panels in the


Bareelona Muséum and the iconography of the Globe-Mandoria,
Art Bulletin, vol. VI, n° 2, Providence, 1923.
M ais les figures sont d’un art beaucoup plus élémen
taire et moins sûr de lui. La technique employée est celle
de la taille de réserve et le relief méplat ; le modelé n’est
donné que par des traits incisés. Les proportions des corps
ne répondent en rien à la réalité, mais obéissent stricte
ment. à la loi du cadre, conséquence de la technique en ré
serve. Ainsi la hauteur des têtes est à peu près le tiers de
la hauteur totale, mais les corps s’inscrivent parfaitement
dans l’arcature. Comme l’écrit Focillon : « Le système des
arcades a manifestement aidé le sculpteur à définir le per
sonnage. » M. Puig i Cadafalch a cependant cru discerner
dans les visages un essai de réalisme : les uns jeunes, les
autres barbus, seraient des caricatures de moines, prises
sur le vif. En fait, seuls les cheveux et la barbe diffèrent :
tous les traits du visage sont uniformes ; les narines, la
bouche, les yeux sont dessinés par les mêmes signes sty
lisés. Cet art est à l’opposé du réalisme. Au contraire,
l’adaptation des figures au cadre et les déformations im
posées par le style qu’a défini Focillon permettent d’affir
mer qu’en dépit d’une maladresse indéniable, la sculpture
romane est en germe dans ce linteau de Saint-Genis, qui
est sa plus ancienne œuvre datée avec certitude.
Il faut évoquer ici les autres techniques, que M. Paul
Deschamps a fort justement étudiées aux origines de la
sculpture romane (1). Le linteau de Saint-Genis ressemble
à cette forme de retable bas, qui deviendra plus tard la
prédelle du retable monumental. Les retables d’orfèvre
rie, qui ont existé en Catalogne à l’époque préromane et
romane, ont. disparu ; mais leurs imitations en bois recou
vert de plâtre peint subsistent en grand nombre. Les
pays Scandinaves conservent des exemples en métal,
d’époque plus tardive, mais que l’on doit considérer
comme des survivances du même style (Musée national

(!) Bulletin monumental, 1925, p. 5 à 98.


de Copenhague) : on y voit une composition identique à
celle de Saint-Genis. C’est par leur composition, plus que
par leur technique, que les retables ont pu inspirer les
premiers linteaux de marbre. La technique du métal
repoussé et celle du stuc sont trop différentes de celle du
marbre pour avoir pu l’influencer.
Dans la façade sont encastrés des reliefs funéraires, ana
logues à
ceux d’Elne et d’Arles-sur-Tech. De dimensions
réduites, ces dalles ferment des ossuaires et non de véri
tables sarcophages. L’effigie du mort y est représentée,
entourée d’une large bordure décorative. Ces sculptures,
plus médiocre que celle des tombes signées par Ramon de
Bianya à Elne, ne datent probablement que du
xm e siècle (1).
Il) Pour la bibliographie, voir l’article « Besalû », p. 245-246.
SAINT-ANDRÉ DE SORÈDE

par M. Georges GAILLARD

Le monument. — On rapproche toujours et à juste titre


le linteau de Saint-André de Sorède de celui de Saint-
Genis. Il convient aussi de rapprocher les deux édifices.
Le monastère est cité dans plusieurs documents à partir
du ix e siècle. Mais il faut attendre le début du xn e pour
qu’il soit parlé de la construction. En 1109, la comtesse
Agnès de Roussillon fait don de Saint-André à Sainte-
Marie de la Grasse aux fins de restauration : Et haec
...
(i. e. hanc donationern) facio ut locus ille qui destructus
esse videtur restauretur, reintegretur atque melioretur ad
servitium Dei (1). En 1121, l’église est consacrée par
l’évêque d’Elne (2).
Il semble pourtant que l’édifice n’a pas été alors recons
truit de fond en comble et que, comme Saint-Genis, il
conserve aujourd’hui encore non seulement son ancien
plan, mais même des portions de ses murs préromans. Le
développement extraordinaire du transept, la disposition
caractéristique des chapelles, dont l’entrée est plus étroite
que la chapelle elle-même, sont des traits communs avec
Saint-Genis-des-Fontaines et Saint-Michel de Cuxa. Sans
doute les fenêtres à simple ébrasement intérieur ont-elles
été transformées pour la plupart. Mais dans la construc
tion subsistent des fragments d’appareil en arête de pois
son, en particulier à la façade, contrastant avec le moyen

(t) Marca Hispanica, col. 1234, ap. GCCXLÏ.


(2) Marca Hispanica, col. 1259, ap. CCCLXIX.
appareil régulier du
xne siècle et les petites arcatures
lombardes, l’on trouve dans les parties hautes.
que
L’intérieur de la nef présente des dispositions toutes

Cl. Areli. phot.


INTÉRIEUR

n ouvelles etfort intéressantes. Au lieu de la nef unique de


Saint-Genis,
on trouve à Saint-André une nef flanquée de
bas-côtés, mais fort étroits. Plutôt
que des piliers et des
collatéraux, il faut voir là des contreforts intérieurs,
tra
versés par
un couloir : celui-ci n’a, en effet, que 0 m 80 de
Co
large et 6 m 15 de haut ; il est couvert par un berceau pa
l
rallèle à l’axe de la nef. Les contreforts ont m 40 de large
dans le sens de l’édifice et sont en saillie de 2 m 15 perpen
diculairement aux murs latéraux. Ils sont réunis entre
eux par des berceaux transversaux, qui s’élèvent presque
jusqu’à l’imposte du vaisseau central, mais qui, n’avant
l
que m 40 de profondeur, restent en retrait de la face anté
rieure du contrefort-pilier. Brutails, qui donne une des
cription très précise de cette disposition, a bien vu qu’elle
pouvait être à l’origine du système de contreforts inté
rieurs qui caractérise le gothique méridional et dont la
cathédrale Saint-Jean de Perpignan donne un bel
exemple. Il ne s’agit, en effet, à Saint-André ni de véri
tables collatéraux ni de chapelles latérales communi
quant entre elles, comme on en verra dans l’église cis
tercienne de Fontenay en Bourgogne, mais d’un simple
butement intérieur, système auquel les maîtres d’œuvre
roussillonnais ont souvent donné la préférence et dont
l’origine remonte à l’architecture romaine : on le trouve
aux Thermes de Dioclétien dans la salle dont Michel-
Ange a fait l’église de Sainte-Marie-aux-Anges.
Les contreforts-piliers de Saint-André sont rectangu
laires à la base : « Ces supports massifs, écrit Brutails, au
raient été bien lourds et disgracieux ; mais, à partir
d’une hauteur de 2 ra 40, la face antérieure est en retrait
de O m 37 et armée d’une demi-colonne, qui reçoit la retom
bée du doubleau (...). La masse carrée du pilier monte
0 m 40 à 0 m 50 plus haut que la demi-colonne ; la surface
horizontale qui se trouve à son extrémité supérieure de
chaque côté des doubleaux, entre le parement du pilier
et le parement du mur latéral, a servi à établir les cintres
pour la construction des voûtes, dont la corde est portée
au-dessus du niveau de la corde des doubleaux. » Comme
à Saint-Genis, en effet., les doubleaux sont en plein cintre
et le berceau brisé.
Cette construction savante, destinée à voûter l’église, à
intérieur des vieux
murs carolingiens à demi ruinés,
1

mais conservés
en partie, semble avoir été l’œuvre du dé
but du xii e siècle, résultat de la donation de 1109 et
cou
ronnée par la consécration de 1121.
Son modèle se trouve non loin de là, de l’autre côté des

Pyrénées, dans l’église Saint-Père de Rodes, à laquelle la


perspicacité de Brutails avait déjà prêté attention : les
bas-côtés très étroits, les colonnes qui ne partent pas du
sol, mais d’un socle quadrangulaire élevé, offrent des ana
logies frappantes
avec Saint-André. Mais Saint-Père pré-
Se nto dans sa construction et dans sa décoration d’autres
,rait.s, plus proches de l’art mozarabe que de l’art roman.
Ca seule indication
chronologique que nous donne Jes
documents
est celle d’une consécration en 1022. Il est
bien possible que Saint-André ne se soit inspiré des dispo
sitions originales et précoces de cette église qu’environ un
siècle après.

Le linteau. — Le linteau de Saint-André de Sorède


n’est pas daté, mais il est si semblable à celui de Saint-
Genis qu’il ne peut pas être d’une époque bien éloignée.
Il appartient à la production de cet atelier des marbriers
dont l’œuvre la plus caractéristique est la table d’autel
conservée dans la même église.
La composition est la même que celle de Saint-Genis.

Cl. Arch. phot.


LE LINTEAU

Au milieu, le Christ assis, bénissant et tenant le livre ;


l’auréole qui l’entoure est soutenue par des anges à ge
noux. De chaque côté s’ouvrent trois arcades, comme à
Saint-Genis ; mais ici la première abrite un séraphin à
trois paires d’ailes, et le nombre des apôtres est réduit à
quatre. Les arcades de Saint-André sont moins régulières
que celles de Saint-Genis ; l’arc outrepassé y est plus ou
moins accusé ; les colonnes sont réduites à des dimensions
naines. Les figures ne sont représentées qu’à mi-corps ;
l’une d’elles est assise.
La sculpture n’est, plus simplement méplate : le modelé
en rond, la superposition des plans donnent aux person
nages un corps, aux vêtements une épaisseur. La bordure
ornementale, plus proche de celle de l’autel, est au con
traire d’un dessin moins net et d’un creux moins profond
sculpture en marbre, remployés, de deux styles différents,
qui montrent bien le point de départ et l’aboutissement
d’une même technique.
Les montants sont couverts d’une ornementation de
rinceaux analogue à celle de la table d’autel et de la bor
dure du tympan. Au contraire, le bandeau horizontal,
au bas de la fenêtre, détache en fort relief des figures dé
coratives : deux des symboles des Evangélistes et des
couples de séraphins sonnant du cor occupent des cercles
alignés que séparent d’autres séraphins aux ailes dé
ployées. La technique est encore celle de la sculpture à
deux plans, sans véritable modelé intermédiaire ; mais le
plan de surface est en forte saillie. La régularité rigou
reuse de la composition symétrique donne à ce morceau
un caractère décoratif ferme et puissant.
Table d’autel. — Saint-André de Sorède conserve une
table d’autel en marbre, qui appartient à la série étudiée
par M. Paul Deschamps. On sait grâce à lui que des
équipes de marbriers ont continué à travailler pendant
le haut Moyen Age, à proximité des carrières, en parti
culier dans la région de Saint-Pons-de-Thomières et dans
les Pyrénées-Orientales. La table de Saint-André, rec
l
tangle de 2 m 12 sur m 23, encadré de lobes, diffère de
celles de l’Hérault par son ornementation. Au lieu d’être
sculpté en relief sur un fond plat, le décor est en creux,
modelé « en gouttière », et il occupe toute la place libre,
ne laissant nu aucun espace du fond. On reconnaît dans
cette technique la taille biseautée des ateliers cordouans
et mozarabes. Mais les motifs ornementaux, transmis
sans doute par les manuscrits plus encore que par des
modèles sculptés, sont traités ici sans la rigueur ni la mo
notonie de l’art hispano-moresque. On voit là l’antécé
dent immédiat des linteaux de Saint-Genis et de Saint-
André.
Autres sculptures. A l’intérieur de l’église, un béni
—-
tier, décoré d’une tresse et de tiges ondulées garnies de
grappes et de feuilles, montre une technique plus pauvre
que celle de la table d’autel. Il paraît impossible de lui
assigner une date. Ce bénitier est posé aujourd’hui sur un
chapiteau orné de quadrupèdes du style de Cuxa, porté
lui -même par un tronçon de fût de colonne décoré d’en
trelacs et de Heurs à quatre lobes.
Encastré dans le mur nord, à l’entrée de l’église, un
petit fragment très mutilé montre au contraire l’aboutis
sement du style. Cette figure nimbée est probablement
un apôtre. Les jambes croisées, le mouvement gracieux,
les vêtements aux bordures perlées, et surtout le modelé
sensible du relief donnent un exemple (trop rare malheu
reusement dans l’état de nos connaissances) de l’apport
que les sculpteurs roussillonnais ont pu fournir à la sculp
ture toulousaine (1).
L’ÉGLISE DE BROUILLA

par M. Marcel DURLIAT

Sainte-Marie de Brouilla est une église romane à une


seule nef divisée en cinq travées par les quatre piliers qui
reçoivent les doubleaux de la voûte. Sur la première tra
vée de l’est, beaucoup plus large que les autres, ouvrent
deux chapelles semi-circulaires qui, avec l’abside, donnent
un plan tréflé au chevet.
Les chapelles latérales ouvrant à l’ouest de l’arc triom
phal sont fréquentes dans les églises roussillonnaises ; tan
tôt elles sont peu profondes et creusées dans l’épaisseur
des murs de la nef, tantôt elles forment saillie sur le pare
ment extérieur. Parfois, elles sont rectangulaires ; d’autres
fois, comme à Brouilla, de plan semi-circulaire.
Des exemples identiques à celui de Brouilla, mais da
tant du xi e siècle, existent à Ur, en Cerdagne ; à Notre-
Dame de Tanya (commune de Laroque-des-Albères), en
Roussillon ; à Montgrony, à Brull (entre 1047 et 1062,
d’après Puig y Cadafalch) et à Gallifa, en Catalogne. Au
xii e siècle, ce groupe d’églises à trois absides perpendi
culaires, sans coupole, s’enrichit, outre Brouilla, des
exemples suivants : Erill la Yall (vallée de Bohi), petite
chapelle du château de Solsona et Sant Llorenç del Munt
(1127), tous en Catalogne.
La hauteur des voûtes à leur naissance est de 3 m 36 et,
sous clef, de 6 m 70. L’arc en est outrepassé et brisé, ainsi
que celui des doubleaux. Les piliers rectangulaires pré
sentent un fruit très prononcé. Les murs sont en blocage
de cailloux roulés. Les fenêtres, à l’abside et dans le mur
méridional, ont leurs arcades et leurs piédroits en pierres
taillées. Elles présentent un double ébrasement et per
mettent, de même
que la maçonnerie,
de dater l’édifice
du xii e siècle.
Le portail en
marbre blanc est,
selon la coutume
ordinaire, plaqué
sur la façade méri
dionale, en saillie
sur le mur et cou
ronné d’une corni
che à palmettes. Le
tympan est uni et
sans moulures, de
même que son arc
de décharge et son
linteau.
L’ornementation
se limite, en dehors
de la corniche, à la
voussure extérieu
re, ainsi qu’au bou
din et aux chapi
teaux placés dans
Arch. Mon. hist.
l’ébrasement.
La voussure ex
térieure comporte deux moulures concaves, l’une ornée
de feuilles de laurier, l’autre d’un rinceau de palmettes
et de fleurons emprisonnés dans un losange. Ce sont là
des motifs de l’ancienne porte du logis abbatial à Cuxa.
Les entrelacs se développent sur le tore, comme à Ville-
franche-de-Conflent et à Serrabone.
Les chapiteaux reproduisent aussi les motifs Je la pc-

J. Cornet, phot.

PORTAIL DE I.A FAÇADE MERIDIONALE

tite porte de Villefranehe. Celui de gauche est décoré de


quatre griffons affrontés qui réunissent leurs têtes aux
angles, deux à deux ; les gueules mordillent les ailes ; les
pattes se relèvent vers la tête d’un personnage occupant
le dé médian. Sur celui de droite, deux lions
se courbent
en arceau et un autre animal se dresse à l’angle. Les tail
loirs portent des rinceaux et des feuilles de laurier. Tout
1 ensemble sculpté s’apparente donc étroitement à l'art
de Serrabone et de Cuxa et doit dater de la seconde moi
tié du xn e siècle.
La porte primitive possédait des pentures dont le des
sin s’est gravé sur les montants intérieurs du portail.
Une statue de la Vierge assise, en bois polychrome et
datant du xiv e siècle, a récemment été restaurée par le
Service des Monuments historiques.

Bibliographie. — Brutails, Notes sur l'art religieux du


Roussillon, dans le Bulletin archéologique du Comité des
Travaux historiques et scientifiques, 1892, p. 536, 551-552.
— Puig y Cadafalch, Uarquitectura romànica a Catalu-
nya, t. II et III. — M. Durliat, La sculpture romane en
Roussillon, I (2 e édition), 1952, p. 82.
SAINT-FÉLIX DE GÉRONE
par M. Élie LAMBERT

Il subsiste à Saint-Félix de Gérone, sous son aspect go


thique actuel, une église romane à peu près complète.
Mais celle-ci a été, il est vrai, tellement transformée après
coup qu’un archéologue aussi notoire que l’architecte
anglais Street fut jadis uniquement sensible au caractère
gothique de l’édifice au point de considérer comme évi
dent qu’il s’agissait là d’une œuvre datant à peu près en
entier du xiv e siècle (1).
La nef principale de l’église a été surtout modifiée en la
surélevant d’un étage au-dessus des grandes arcades pour
y aménager un triforium ; des voûtes d’ogives ont été lan
cées alors sur les trois vaisseaux ; et la terminaison de
l’ensemble vers l’ouest est en outre tout entière une ad
jonction gothique aux parties romanes primitives, adjonc
tion où sont d’ailleurs fidèlement imitées les parties voi
sines plus anciennes de la nef et de ses bas-côtés. Si bien
que, lorsqu’on considère un plan général donnant en pro
jection au sol les voûtes de toute l’église, on en retire
l’impression que c’est celui d’un édifice gothique et non
roman. Mais un examen attentif du monument tel qu’il
se présente aujourd’hui en élévation permet cependant
de reconnaître assez aisément comment toute une église
romane y subsiste dans ses parties basses sous une œuvre
d’un style gothique avancé dans les parties hautes.
Les voûtes d’ogives qui se prolongent sans interruption
d’un bout à l’autre du vaisseau central jusqu’au fond de

(1) G. E. Street, Some Account of Gothic Architecture in Spain,


2e éd., Londres et New-York, 1914, t. II, p. 111.
abside retombent
sur des colonnettes qui s’arrêtent sur
1

des culots
au niveau du bas du triforium. Celles-ci sont en
une seule travée des bas-côtés. Enfin, les deux dernières
travées qui précèdent l’abside principale présentent une
particularité significative : elles n’ont plus à elles deux
qu’une seule série de trois arcs de triforium au milieu du
mur qui leur est commun à un niveau très inférieur à
celui des arcatures analogues du triforium dans le reste
de la nef ; il y a à cet endroit une dénivellation de douze
marches dans la galerie de circulation qui court à mi-
hauteur dans l’épaisseur des murs le long de la nef et au
tour de l’abside ; et la colonne correspondant au doubleau
médian de cette sorte de double travée s’y arrête sur un
culot au-dessus du triforium au lien de se poursuivre jus
qu’au bas de celui-ci comme dans Je reste de la nef. Enfin,
la galerie de circulation ménagée dans l’épaisseur des
murs forme une sorte de passerelle au-dessus des grandes
arcades correspondant au transept.
Deux absidioles en hémicycle s’ouvrent à l’est du croi
sillon sud ; elles sont percées de longues fenêtres go
thiques aujourd’hui bouchées, et de grandes baies égale
ment gothiques éclairaient de même l’abside principale.
Mais des décrochements d’assises nettement visibles à
l’extérieur de toute cette partie du chevet montrent avec
évidence qu’on y a surélevé de la sorte une construction
plus ancienne en conservant habilement les parties basses
de celle-ci. Et l’on se rend compte mieux encore en étu
diant le croisillon nord de ce qu’a été cette construction
plus ancienne : au lieu de recevoir, en effet, après coup
des voûtes d’ogives comme les autres parties de l’église,
ce bras du transept est resté couvert* d’une voûte en ber
ceau brisé qui ne saurait être contemporaine des voûtes
d’ogives de l’abside principale et de l’autre croisillon ; et
l’on y distingue encore au mur nord les traces de la fenêtre
romane qui s’y ouvrait primitivement. De ce côté du
transept se trouve aujourd’hui vers l’est une autre salle
voûtée en berceau parallèlement à l’axe du croisillon, très
Au total, à part son extrémité occidentale, l’église
actuelle de Saint-Félix comprend encore à Gérone toutes
les parties basses d’une église romane dont les grandes
arcades qui séparent la nef des bas-côtés et les gros piliers
carrés sans chapiteaux qui les supportent nous conservent
les restes savamment utilisés. Si l’on compare ces restes
avec l’église romane qui subsiste à peu près intacte dans
la même ville à Saint-Pierre de Galligans, l’analogie entre
les deux monuments est parfaite et permet de comprendre
la raison des anomalies qui peuvent à première vue pa
raître à Saint-Félix difficiles à expliquer.
On trouve dans l’une et l’autre église le même rapport
entre la nef et les bas-côtés, le même transept beaucoup
moins large que la nef centrale, de telle sorte qu’il n’y a
pas de véritable croisée carrée à la rencontre des deux
vaisseaux, mais seulement une travée de nef pareille aux
autres dans laquelle les croisillons viennent s’ouvrir en
formant deux berceaux transversaux contre-butant, le
berceau principal plus élevé. L’une et l’autre ont le même
chevet caractérisé par une abside occupant toute la lar
geur de la nef centrale en arrière d’une profonde travée
rectangulaire, et par deux absidioles d’égale profondeur
qui s’ouvrent parallèlement à l’est du croisillon méridio
nal. La ressemblance se poursuit jusque dans l’asymétrie
des deux bras du transept, puisque dans l’une et l’autre
église le croisillon nord irrégulier ne présente pas les deux
absidioles parallèles qu’il devrait avoir comme celui du
sud.
Ce plan si caractéristique avec ses absidioles d’égale
profondeur sur les bras du transept se retrouve en Gas
cogne vers la même époque à l’abbatiale cistercienne de
Flaran. Il ne semble pas cependant que l’on puisse voir là
en Catalogne une influence de l’ordre de Cîteaux. Ces
chapelles demi-circulaires et d’égale profondeur s’ouvrant
parallèlement sur les bras du transept existaient dès le
x * e siècle dans certaines grandes églises romanes de Cata
logne. Il n’y
en avait pas moins de trois sur chaque croi
sillon à la célèbre abbatiale de Ripoll. Telle était égale
ment la disposition des cinq autels de la cathédrale con
sacrée à Yich en 1038. Et l’on peut se demander si le pro-
totype des églises de Saint-Félix et de Saint-Pierre de
Galligans n’a
pas été, à Gérone même, la cathédrale qui
ovait été bâtie dans cette ville, en même temps que celle
fle Vich, de 1015 à 1038, et dont le clocher latéral existe
encore, accroché aux flancs de l’église gothique actuelle.
LA CATHÉDRALE DE GÉRONE
par M. Pierre LAVEDAN

La cathédrale de Gérone se compose de trois parties,


d’âge et de style très différents : le chœur, la nef, la fa
çade.

Chœur. Histoire. — Il existait à Gérone une cathédrale


romane, qui fut déclarée insuffisante pour le culte à la
fin du xm e siècle. Sa reconstruction fut donc décidée. Le
trésorier du chapitre, G. Joffre, laissa par testament en
1292 une somme de 1.000 sous pour l’œuvre nouvelle.
Toutefois, les travaux ne commencèrent pas avant 1312,
date à laquelle on voit le chapitre décider que la nouvelle
abside aura neuf chapelles rayonnantes. On commença
donc par l’abside.
Le premier architecte fut maître Henri, en qui Viollet-
le-Duc voulait voir un Narbonnais. Le 5 février 1321, il
fut remplacé par Jacques Favran, qui travaillait déjà à
Narbonne et dont on ignore s’il est aussi le Favre qui
depuis 1317 dirigeait les travaux de la cathédrale de Bar
celone. Neuf ans plus tard, Favre fut remplacé à son tour
par Guillaume de Cors (24 avril 1330). Le 12 mars 1347,
les travaux étaient assez avancés pour que les reliques
que possédait l’église pussent être transférées à l’autel
majeur. Il s’agit donc d’une construction de la première
moitié du xiv e siècle.
Description et caractères généraux. — En plan, le chœur
de la cathédrale de Gérone se compose d’une travée droite
avec bas-côtés, et d’une abside avec déambulatoire de
Place du chœur de Gê-
rone dans les monuments
de la région.
— Le chœur
de la cathédrale de Gé-
fone s’insère chronologi
quement entre deux mo-
miments, avec lesquels il présente de grandes analogies :
1° chœur
de la cathédrale de Narbonne et le chœur de la
oothédrale de Barcelone. Les travaux de Gérone suivent
( '‘"x de Barcelone
avec une dizaine d’années de retard ;
‘“eux de Narbonne sont à peine antérieurs.
L’influence de la cathédrale de Narbonne sur les deux
cathédrales catalanes s’affirme par un fait essentiel :
l’existence d’un triforium. Ce sont les seuls édifices (avec
Saint-Félix de Gérone même) où l’on aperçoive un effort
pour acclimater en Catalogne le type des cathédrales go
thiques du nord de la France. Toutefois, il s’agit surtout
d’une analogie théorique, car les réalisations mêmes sont
assez différentes.
a) En plan. A Narbonne, trois travées de chœur, au
lieu de une à Gérone et Barcelone ; sept travées de déam
bulatoire et sept chapelles rayonnantes, au lieu de neuf ;
sur ce chiffre, à Narbonne, cinq chapelles seulement, au
lieu de sept, dans la partie tournante.
b) En élévation, à Narbonne, magnifiques fenêtres
hautes représentant près de la moitié de la hauteur totale
de l’édifice. Équilibre structural assuré par un système
d’arcs-boutants très développé et compliqué. A Gérone,
les fenêtres hautes, ménagées au-dessus du triforium, sont
moins importantes ; les arcs-boutants deviennent une
simple poutre incurvée, avec une inclinaison presque
horizontale.
c) Comme s’il avait été embarrassé par ce triforium
qu’il voulait pourtant adopter, l’architecte de Gérone
n’en fait pas même une galerie, mais une série discontinue
de niches : deux par travées dans la partie droite ; une
seule dans la partie tournante. Il n’a plus qu’une fonction
pittoresque : piquer une série de trous d’ombre entre les
fenêtres du déambulatoire et celles de la partie haute du
vaisseau central.

Nef. — La nef de la cathédrale de Gérone est un édifice


d’esprit tout différent, le plus grand exemple de l’archi
tecture gothique à nef unique.
H istoire. — Cette nef est assez sensiblement postérieure
au chœur. Au début du xv e siècle, la vieille nef romane
I
P. Lavedan phot.

PORTAIL DE LA FAÇADE OCCIDENTALE


DE LA CATHÉDRALE DE GÉRONE
subsistait devant le nouveau chœur gothique. Les cha
noines décidèrent de la démolir. Mais, pour la remplacer,
JL hésitèrent entre le type à trois nefs et supports inté
rieurs des cathédrales françaises — et le type de l’église
a nef unique, dont les couvents des ordres mendiants
avaient donné à Barcelone même de magnifiques exemples
depuis le milieu du xm e siècle.
La décision ne fut prise qu’après la réunion d’un véri
table synode architectural, où les partisans des deux sys
tèmes confrontèrent leurs arguments. Nous possédons le
procès-verbal de ces séances, document unique dans l’his
toire de l’architecture.
En 1416, l’évêque de Gérone, Dalmau, réunit les douze
principaux architectes de la région : parmi eux figuraient
les maîtres d’œuvre de Perpignan et de Narbonne. Après
leur avoir fait connaître le mauvais état de la nef, très
éprouvée par les tremblements de terre, il leur posa trois
questions :
1° Peut-on, en toute sécurité, donner à la cathédrale
une nef unique?
2° Si la nef unique est impossible, que pensez-vous du
type à trois nefs?
3° En tout état de cause, quelle sera la forme de nef
« la plus convenable » et la mieux proportionnée au chevet
existant?
Les débats durèrent quatre jours, trois experts ayant
pris la parole chaque jour.
Au total, sur les douze avis exprimés, sept se pronon
cèrent en faveur de l’achèvement à trois nefs et cinq seu
lement pour la nef unique. Ces derniers étaient l’archi
tecte même de la cathédrale de Gérone, Guillaume Bofîy,
et les architectes travaillant au nord de Gérone : à Urgell,
Eastillon d’Ampourias, Perpignan et Narbonne. Tous
ceux qui travaillaient au sud de Gérone votèrent pour le
système à trois nefs.
Après quoi, comme il arrive souvent aux comités con
sultatifs, l’autorité consultante, nantie d’un avis explicite
et longuement motivé, se rangea immédiatement à l’avis
contraire. Les chanoines votèrent à leur tour et choi
sirent la nef unique eu faisant valoir les raisons suivantes :
1° à sécurité égale, la nef unique est plus solennelle et
plus noble (solemnius, notabilius) ; 2° elle rayonnera de
plus de lumière, ce qui est agréable et joyeux (majori clci-
ritate fulgebit, quod est laetius et jucundum) ; 3° elle sera
beaucoup moins coûteuse à construire (multo minori pre-
tio) ; 4° les travaux dureront moins longtemps.
C’était l’avis de l’architecte même de Gérone, Guil
laume Boffy, et sans doute fut-il pour quelque chose dans
la décision du chapitre. Des quatre arguments mis en
avant, les deux derniers sont d’ordre pratique : économie
de temps et d’argent ; les deux autres ont une valeur plus
esthétique et abstraite, et Bofïy les avait énoncés dans sa
consultation. Le second nous confirme qu’en cette fin du
Moyen Age on ne trouvait pas de charme spécial à la pé
nombre ; l’autre résume toute la doctrine des architectes
catalans, épris de solennité et de noblesse.
Un document publié récemment a révélé que dès 1386
le chapitre avait provoqué une consultation d’architectes
sur le sujet. Les voix s’étaient partagées comme elles le
feront trente ans plus tard, mais la conclusion en faveur
de la nef unique avait été imposée aussi par l’architecte
et les chanoines géronais. Il semble même que les travaux
aient été commencés, mais bientôt interrompus, puis la
question reprise et tranchée définitivement sous l’in
fluence de Guillaume Boffy.
Toutefois, Guillaume Boffy s’était trompé sur un point :
les travaux durèrent très longtemps. La dernière travée
ne fut voûtée qu’au xvn e siècle. Parmi les maîtres
d’œuvre suivants, notons la présence d’un Français,
Nicolas Vauthier, de Béziers,
avec ses bas-côtés ; des chapelles de tracé polygonal
s’ouvrent entre les contreforts. Les 55 mètres clc longueur
sont divisés, au point de vue voûtement, en quatre tra
vées ; il existe, en principe, deux chapelles latérales par
travée, soit huit ; celles de la deuxième travée (en partant
de la façade) sont plus étroites pour laisser place aux
portes latérales.
Mais, si ce berceau a même largeur que le chœur, il est
beaucoup plus haut : 34 mètres contre 23 ; il se termine
au-dessus du chœur par un grand mur percé de rosaces,
qui rendent l’abside plus lointaine et lui donnent une
sorte de mystère.
Les voûtes de la nef sont faites d’ogives quadripartites
de section simple, avec doubleaux de section triple ; tous
ces éléments retombent sur des chapiteaux (trois plus
deux) juxtaposés au niveau inférieur des fenêtres ; la
descente se continue le long du contrefort par trois demi-
colonnes moulurées avec méplat. Pas de pénétration ;
pas de porte à faux ; tout se suit jusqu’au sol, exception
faite pour les deux premières ogives de le nef vers le
chœur, qui s’arrêtent aux angles sur des culots. Les cha
pelles sont voûtées à six branches, aboutissant, elles
aussi, à des colonnettes qui descendent jusqu’à terre.
Dans l’ordonnance intérieure, ces chapelles tiennent le
rôle des grandes arcades. Les contreforts qui les séparent
entre chaque travée sont traités en piliers. Au-dessus de
leur ouverture, on retrouve le triforium du chœur ; aussi
obscur et aussi inutile ; aux baies très sobrement dessi
nées. Au-dessus du triforium, de hautes fenêtres, pas très
larges, mais extraordinairement allongées.
Au dehors, une maquette d’une simplicité extraordi
naire : à la base, les chapelles sont enfermées dans un mur
rectiligne où rien ne dépasse ; une mince mouluration,
soulignant la base des fenêtres et rigoureusement paral
lèle à l’horizontale du toit, aide seule à définir ce sou-
bassement, d'où s’élèvent majestueux les fenêtres hautes
et les contreforts. Ceux-ci sont des masses rectangulaires
h’une rigidité totale ; celles-là n’ont aucun réseau. Au
total, une géométrie, une franchise absolues, presque bru
tales. C’est de l’art cubique à une époque qui, partout
ailleurs, préférait l’éparpillement des volumes, la multi
plication et la distorsion des lignes.
Portail. —- Le portail latéral, traité comme un enfeu où
se dissimulent des statues d’apôtres, prend exactement
sa place dans celte rigoureuse combinaison. On avait fait
appel à Pierre Morey ; mais les figures qu’on voit au jour
d’hui sont de simples personnages de terre cuite, mises
en place après sa mort par Antoine Claperos, imagier de
Barcelone. On ne peut juger de ce qu’eût été la composi
tion d’ensemble, puisqu’il en manque la plus grande
partie, ni du style de l’œuvre, car la terre cuite n’a pas
l’accent de la pierre. Seuls sont en place aux ébrasements
de la porte six personnages de chaque côté ; ils posent
sur des piédestaux décorés de feuillages ou de figurines,
mais les dais qui devaient les abriter manquent et l’en
semble se détache sur un mur de plâtre sans noblesse. Ce
pendant, malgré la misère du cadre et la paiivreté de la
matière, on peut reconnaître que ces statues sont belles,
en ce qu’elles sont nées d’une noble inspiration. C’est
d’un art préslutérien, bien équilibré.

Clocher et façade.
— La façade avait été prévue avec
deux clochers. Un seul a été construit (à droite) à partir
de la fin du xvi e siècle : base polygonale, terminaison par
un lanternon ajouré coiffé d’une coupolette.
Le portail même a été plaqué plus tard sur le mur nu
formant la clôture de la nef, qu’il recouvre en partie.
Commencé ou prévu en 1607, il a été exécuté ou modifié
en 1733 : date inscrite et qui correspond mieux au style
de l’œuvre. Trois étages de colonnes jumelées, portant des
CATHÉDRALE 235

Bibliographie. — Street, Gothic Architecture in Spain,


Londres, 1869. -— P. Lavedan, IJ architecture religieuse
gothique en Catalogne, Paris, 1935. —- Elias Serra i Ra-
fols, La nau de la seu de Girona, Miscellania, Mélanges
Puig i Cadafalch, vol. I, Barcelone, 1951.
BESALÜ
par M. Georges GAILLARD

Eglise Sainte-Marie
L’église Sainte-Marie de Besalü est à la lois la ehapelle
du château des comtes de Besalü, la collégiale d’une com
munauté de chanoines réguliers fondée en 977 par le
comte Miron, qui était en même temps évêque de Girone,
enlin le siège d’un évêché éphémère, créé en 1017 par le
comte Taillefer, mais qui ne fut jamais reconnu par les
autorités ecclésiastiques. Les documents du x e et du dé
but du xi e siècle parlent de l’église consacrée au Sauveur,
à saint Genis et à saint Michel, quorum ecclesia est aedifi-
cata juxta castrum Bisuldini (1). Ce sont des donations ou
des confirmations de privilèges. Un document, cepen
dant, nous indique que des travaux de construction ont
lieu au château en 1029 ; cela résulte d’une franchise
accordée à l’abbé de Saint-Pierre, Tassius, qui fournit de
la chaux (2). En 1055 a lieu la consécration de l’église
Sainte-Marie, située dans le château : le comte Guillaume,
sur le point de partir pour Jérusalem, a supplié l’évêque
de Girone, Berenger, de venir consacrer l’église, ut con-
secrarel Ecclesiam Sanctae Dei Genitricis Mariae, quae est
in castello oocitato Bisulduno. Quod digne et elegantissime
praedictus praesul peregit (3). Ce dernier membre de
phrase ne peut pas s’appliquer à la beauté de la construc
tion, comme l’a cru M. Puig i Cadafalch, mais rappelle

(1) Marca Hispanica, col. 1005, ap. CLXXYI, etc.


(2) Villanueva, XV, p. 98.
(3) Marca, col. 1105, ap. CCXLIII.
seulement la solennité de la cérémonie. En 1084, le comte
Bernard fait donation de Sainte-Marie à Saint-Ruf d’Avi
gnon (1). Le document est daté du château neuf : Gau-
fredo canonicus et levita scripsit in Castro novo. Tout con
corde donc pour prou
ver d’importantes cons
tructions au milieu du
xi e siècle ; aucun do
cument n’indique en
suite que l’église con
sacrée en 1055 ait été
reconstruite plus tard.
La voûte de sa nef s’est
écroulée en 1746 et
l’édifice est resté en
ruine depuis.
La nef et ses bas-cô
tés ont complètement
disparu aujourd’hui. Il
subsiste une partie du
transept, dont les bras
très courts et peu dé
bordants étaient voûtés
en berceaux transver
saux ; le croisillon mé
ridional était surmonté D’après Puig y Cadafalch.

d’un clocher. L’abside PI.AN DF, SAINTE-MARIE


principale est précédée
d’une importante travée droite, tandis que les absidioles
s’ouvrent, directement sur le transept. Elles sont, à l’ex
térieur, décorées par des colonnes appliquées au mur, et
non engagées, qui soutiennent de grands arcs.
La construction est en belles pierres de taille, très fine-

(1) Monsalvalje, II, p. 267.


ment appareillées, de grandes dimensions, mais de pro
portions assez irrégulières, donnant lieu à des décroche
ments. La beauté de l’ensemble est due d’abord à la qua
lité des matériaux, trouvés sur place dans ce pays de
montagne, où le métier de tailleur de pierre a dû aussi se
conserver mieux qu’ailleurs ; ensuite à la tradition inin
terrompue du grand appareil en Espagne pendant le haut

M. Olivier phot..

CHAPITEAUX DU TRANSEPT DE SAINTE-MARIE

Moyen Age. On sent là des souvenirs de l’art wisigothique


et de l’art mozarabe. Non loin de Besalü, l’église de
Saint-Père de Rodes, qui date probablement de la pre
mière moitié du xi e siècle, offre un bel exemple de ces sur
vivances, tout à fait indépendantes de l’art « lombard » ou
« premier art roman », qui a dominé presque complète
ment la Catalogne au cours du xi e siècle, et très diffé
rentes de l’art uniformisé et même monotone du xii e . A
l’autre extrémité des Pyrénées, en Navarre, l’église de
San Salvador de Leire offre, en plein xi e siècle aussi, un
exemple analogue.
M. Olivier phot.

SAINTE-MARIE DE BESALU : CROISILLON NORD


IJ E
BESALU 239

La décoration n’est, pas moins remarquable. Tous les


chapiteaux sont du type corinthien ; mais ils ne dérivent
Pas directement du modèle antique, ils appartiennent à
la série cordouane et mozarabe, représentée
en Catalogne,
d’abord à Ripoll par les chapiteaux qui subsistent de
l’église consacrée en 977, puis à Cornellâ de Llobregat et

M. Olivier phol.

CHAPITEAUX DU CROISILUON NORD DE SAINTE-MARIE

dans quelques églises dont la date exacte n’est pas con


nue, enfin dans l’église déjà citée de Saint-Père de Rodes.
Rien différents des chapiteaux du xn e siècle, qui retrou
veront une forme plus antique, en modelant les acanthes
dans la masse, les chapiteaux de Besalü, comme ceux de
Rodes et de Cornellâ,
ne possèdent qu’un décor de sur-
Rcc, appliqué
sur l’épannelage des feuilles, soit en creux,
s °it
par une légère saillie en méplat. Parfois, la pointe re-
courbée des feuilles s’épaissit et produit une protuhé-
Église Saint-Pierre
Le monastère de Saint-Pierre de Besalü est cité dans les
documents du ix e siècle, mais il occupait alors, semble-
t-il, au bord de la rivière, un emplacement différent, de
Factuel. Une nouvelle fondation, au milieu du x e siècle,
moitié du x e siècle est une époque de grand développe
ment de l’art en Catalogne, dont Ripoll et Cuxa ont con
servé quelques bribes. Mais l’église de Saint-Pierre à

0) Monsalvatje, II, p. 229.


Besa]û a dû être entièrement reconstruite au xn e siècle.
Aucun document ne permet pourtant de préciser davan-
tage son histoire.
La nef est voûtée en
berceau ; les bas-côtés,
en quart de cercle, sur
doubleaux en plein cin
tre. Les piliers cruci
formes à arêtes vives,
l’absence de décora
tion sculptée, la belle
qualité de la pierre,
donnent à cette nef
une beauté austère, qui
contraste avec le reste
de l’édifice. Le tran
sept, en effet, s’ouvre
largement sur un che
vet à déambulatoire,
plan exceptionnel en
Catalogne. Des absi-
dioles en forme de
niches sont creusées
dans l’épaisseur des
murs, deux sur les
bras du transept, trois
sur la courbe de l’ab
side. La voûte annu
M. Olivier phot.
laire du déambulatoire
NEF DE SAINT-VINCENT repose sur des colon
nes jumelées, dont les
chapiteaux et les bases sont richement sculptés. Ce sont
des corinthiens, bien différents de ceux de Sainte-Marie,
des dragons affrontés, enfin des compositions iconogra
phiques : la Fuite en Égypte, le songe et le voyage des
Mages, leur visite à Hérode, le massacre des Innocents,
etc. Les bases sont ornées de magnifiques rinceaux, et
l’une d’elles montre Daniel entre les lions. Comme l’ar
chitecture de cette partie de l’église, ces sculptures appa
raissent isolées en Catalogne et sont peut-être une œuvre
d’importation.

CHEVET DE SAINT-VINCENT

L’édifice et surtout la décoration sculptée ont grave


ment souffert de l’incendie allumé après les combats de
1939.
L’extérieur est entièrement nu et ne doit sa beauté
qu’à la qualité de l’appareil. Seule la fenêtre de la façade
est encadrée par deux beaux lions en ronde-bosse, parents
de ceux de Saint-André de Sorède.
Église Saint-Vincent
Cette église, citée dans les documents du x e et du
de cercle. Sur le transept, qui est très court et très large,
s’ouvrent directement les trois absides. L’extérieur est
enrichi par la décoration de deux portails : celui de la
iaçade a un tore cerclé de bagues quadrangulaires ; le
portail latéral, un tore en spirale et des monstres à la
retombée des arcs.
Cadafaleh (J.), etc., UArquitectura rornânica a Catalunya,
vol. II et III, Barcelona, 1911 et 1918. — Puig i Cada
faleh (Josep), UEscultura rornânica a Catalunya (Monu-
menta Catciloniae, V et VI), 2 vol., Barcelona, 1949 et
1952. — Hernandez (Félix), Un aspecto de la influencia
del arte califal en Cataluha (Basas y capiteles del siglo XI),
in Archivo espanol de Arte y Arqueologia, n° 16, Madrid,
1930. — Hernandez (Félix), San Miguel de Cuixa, iglesici
del ciclo mozarabe catalan, in Archivo Espanol de Arte y
Arqueologia, n° 23, Madrid, 1932. — Gômez Moreno (Ma
nuel), El arte romdnico espanol, Madrid, 1934. — Gaillard
(Georges), Premiers essais de sculpture monumentale en
Catalogne aux X e et XI e siècles, Paris, 1938. — Gudiol
Ricart (José) y Gaya Nuno (Juan Antonio), Arquitectura
y Escultura romdnicas (Ars Hispamae, vol. V), Madrid,
1948. — Durliat (Marcel), Ea sculpture romane en Rous
sillon, Perpignan, 1948-1950.
LE PRIEURÉ DE SERRABONE
par M. Marcel DURLIAT

Le prieuré de Serrabone est bâti dans une région de


collines schisteuses entourant le Canigou et désignée
sous le nom très significatif d’ « Aspre ». Ses origines
sont relatées avec beaucoup de précision dans un docu
ment du 3 mars 1082, publié par Alart dans son Car-
tulaire roussillonnais et commenté par Pierre Vidal.
Plusieurs années avant cette date, Raymond vicomte
de Cerdagne, Bernard son frère, un certain Raymond
et Raymond Matfred, seigneur de Cortsavi, fondèrent
en ce lieu une église dédiée à Notre-Dame. Afin de mieux
l’approprier au service du Christ, ils décidèrent, en accord
avec Raymond, évêque d’Elne, d’établir à Serrabone
une congrégation de clercs vivant canoniquement. Ils
firent à l’église une dotation importante et se mirent
à chercher des clercs. Quand ils les eurent trouvés, ils
appelèrent l’évêque d’Elne qui vint à Serrabone où il
tint un chapitre avec les clercs et les fondateurs.
Dans cette assemblée, l’évêque voulut nommer lui-
même le prieur qui gouvernerait les clercs selon la règle
de saint Augustin, mais les magnats combattirent vive
ment cette prétention, déclarant qu’ils préféreraient
détruire leur œuvre. Le prélat s’inclina et confirma la
liberté de l’élection. En conséquence, les clercs qui se
trouvaient présents élurent Raymond-Ermengaud, qui
fut le premier prieur de Serrabone. C’était le 5 des nones
de mars 1081.
Une nouvelle consécration de l’église eut lieu le
25 octobre 1151 par Artal, évêque d’Elne, assisté de
Bernard, évêque d’Urgel.
Le prieuré fut sécularisé en 1592 par une bulle de
Clément VIII, avec tous les autres monastères augustins
du Roussillon et donné, l’année suivante, par Philippe II,
au chapitre de Solsona. La gestion fut désormais assurée
par ce propriétaire étranger d’une manière particulière
ment négligente. Dès 1630, l’église se trouvait dans un
tel état de délabrement que le visiteur nommé par le
chapitre d’Elne — le siège étant vacant — prévoyait
sa destruction prochaine s’il n’était pas procédé rapide
ment aux restaurations indispensables. En 1636, le
cloître accueillait les bergers et les troupeaux les jours
de mauvais temps et il semble que l’église elle-même
n’était pas à l’abri de telles profanations. Le mal s’accrut
encore après le traité des Pyrénées et à l’occasion des
confiscations auxquelles procéda le gouvernement fran
çais lors des guerres contre l’Espagne. Le prieuré fut à
nouveau mis sous séquestre à l’époque de la Révolution
et Estève, curé et fermier de Serrabone de 1805 à 1810,
dut faire construire un mur pour soutenir la voûte.
L’évocation des vicissitudes de l’histoire du prieuré
explique l’allure ruiniforme qu’il présentait dès l’époque
romantique et que l’église conserva jusqu’aux restau
rations du Service des Monuments historiques. La voûte
de la partie occidentale de l’édifice s’était écroulée et on
avait bâti un écran factice à moins de deux mètres de la
tribune. Actuellement, ce mur occidental a été déplacé,
mais l’ancienne façade n’est toujours pas reconstruite.

* 4

L’église de Serrabone se présente comme le résultat de


deux campagnes de construction. La nef offre un ap
pareil de petits moellons allongés, presque informes, ca-
ractéristiques du xi e siècle ; elle est de peu antérieure à
1082. Elle est voûtée d’un berceau brisé, fait de dalles

Durliat dir. Stym-Popper del.


PLAN

schisteuses parallèles entre elles, qui est peut-être la cou


verture d’origine.
On entrait dans ce vaisseau par deux portes : l’une, de
style roman, petite et basse, sans ornementation, s’ou
vrait au midi ; elle est actuellement obstruée ; de l’autre,
située à l’ouest, on ne distingue plus que l’emplacement,
mais Pierre Ponsich a récemment retrouvé des éléments
de son décor : claveaux et fragments de piédroits en grès,
ornés de têtes de clou et de tresses, qui ne paraissent pas
antérieurs au xn e siècle. Il convient de rappeler — tout
en formulant des réserves sur le crédit qu’on peut lui
accorder — la description de ce portail occidental don
née par le baron Taylor, en 1835, dans ses Voyages de la
France ancienne et moderne : « En avant de ce portique
(la tribune) et dans la direction de l’axe de la nef était
un vaste portail couvert de sculptures dont l’exécution
et la variété indiquaient une belle époque romane ; mal
heureusement, sur les riches débris qui précèdent ce por
tail, des constructions rustiques sont venues masquer les
premières et les obstruer de ruines modernes, sans forme,
sans couleur, sans goût. Il faut aujourd’hui deviner toute
cette ornementation placée derrière la muraille de la
ferme. » Si ce renseignement est exact, un décor de marbre
aurait remplacé la première décoration de grès. Peut-être
pourrait-on en retrouver des débris dans les nombreux
blocs de marbres taillés et sculptés qui sont actuellement
sans emploi dans l’église.
Il subsiste de la première construction une fenêtre
romane à double ébrasement qui a été obstruée lorsqu’on
construisit le transept et la galerie méridionale. D’autres
fenêtres, également à double ébrasement, furent alors
ouvertes à un niveau supérieur, au-dessus de la galerie
et toujours au midi ; elles s’élèvent ainsi jusqu’à la nais
sance de la voûte.
La consécration de 1151 fut justifiée par la substitu
tion à l’ancienne abside d’un chevet beaucoup plus déve
loppé et qui n’est pas sans analogie avec celui de Cor-
neilla-de-Conflent. Il comprend un transept de dessin
rectiligne au dehors et creusé intérieurement de deux ab-
sidioles semi-circulaires, ainsi qu’une abside voûtée en
cul-de-four. L’appareil de cette seconde construction, tou

jours en schiste, est beaucoup plus soigné et comprend


des blocs bien taillés, particulièrement volumineux dans
les assises inférieures. Une corniche ornée de dents d’en
grenage et supportée par des corbeaux fait extérieure-
ment le tour de l’abside. Des fenêtres à double ébrase
ment éclairent l’abside et les deux absidioles.
C’est à cette seconde campagne de travaux qu’appar
tient la construction du collatéral septentrional et de la
galerie méridionale. Le premier est voûté d’un demi-ber
ceau qui ne joue aucun rôle d’organe butant, puisqu’il
s’appuie bien au-dessous de la naissance de la maîtresse
voûte. Il communique avec la nef par deux grandes ar
cades dont l’une conduit sous la tribune, la seconde
étant un peu en arrière de celle-ci ; une troisième arcade
donne accès au transept.
La galerie méridionale, à la différence du sombre cou
loir précédent, est tout inondée de soleil. On y entre par
une petite porte romane qui s’ouvre sur le transept. Elle
est actuellement couverte d’une charpente. L’appentis
d’origine était à un niveau inférieur parfaitement visible
sur le mur du transept. A un moment intermédiaire, la
couverture fut assurée par une voûte en bois dessinant
un quart de cercle. Cette galerie de cloître donne sur un
jardinet situé à un niveau inférieur et auquel on accédait
par deux grandes portes latérales ; elle ouvre sur la gorge
du torrent ses arcades soutenues par des piliers de schiste
et des colonnes jumelées.
Un escalier situé au fond de la galerie conduit à un
palier sur lequel donnaient jadis deux portes : l’une met
tait en communication avec une salle d’étage — vrai
semblablement la salle capitulaire — postérieure à l’ou
verture des fenêtres hautes de la nef, c’est-à-dire à 1151,
et dont les murs sont doublés par des arcades de schiste
taillées de manière rudimentaire ; l’autre permettait d’ac
céder dans l’église, au niveau de la partie supérieure de
la tribune, mais en arrière de l’emplacement qu’occupe
actuellement cette dernière.
L’église est dominée par une tour carrée et massive qui
n’offre vers l’extérieur que de rares et étroites meur-
EGLISE

L
DE

TRIBUNE

:
SERRABONE

DE

PRIEURE

ANCIEN
EGLISE

L
DE

SUD

GALERIE

:
SERRABONE

DE

PRIEURE

ANCIEN
trières. Au premier étage, une porte en plein cintre est
ménagée dans le mur de la nef à trois mètres du niveau
du sol de celle-ci ; une autre ouverture plus tardive
donnait sur les toits de l’église où fut placée la défense
lorsque le prieuré fut fortifié. D’anciennes photographies
le clou de la main gauche ; Joseph d’Arimathie reçoit le
corps qui ploie, cependant que saint Jean emprisonne sa
tête douloureuse dans sa main. Un ange tient au-dessus
du bras de la croix le médaillon du soleil. On voit, un peu
plus haut, la crèche avec l’âne et le bœuf. Ces peintures
s’apparentent par le style aux fresques catalanes de Santa
Maria de Mur actuellement au Musée de Boston. Elle
sont, comme elles, peintes sur un fond blanc.
L’église de Serrabone conserve les plus belles sculp
tures romanes du Roussillon, qui contrastent étonnam
ment par leur somptuosité avec la sévérité fruste de l’édi
fice.
Dès l’entrée, le petit portail septentrional présente son
placage de marbre sur le schiste de la façade. Il n’a pas
de tympan et la décoration ne comporte que deux co
lonnes qui reçoivent un boudin sculpté. Sur le chapiteau
de droite, des lions réunissent à l’angle leur tête com
mune. A gauche, le Christ accueille en bénissant. Il est
robuste et trapu ; ses jambes ploient et ses bras dispa
raissent pour laisser toute la place à la main immense qui
bénit ou tient le livre. A ses côtés, des anges à la bonne
grosse figure ronde, aux cheveux sagement partagés par
une raie profonde, l’encensent, voilent leur corps par une
paire d’ailes entre-croisées et étendent une autre paire
d’ailes toutes semées d’yeux sur le fond de la corbeille.
Le même chapiteau existe à Cuxa.
Les chapiteaux de la galerie du cloître sont l’œuvre de
divers artisans inégalement habiles.
Le plus simple comporte une grande feuille d’angle sty
lisée, au profil linéaire, avec une épaisse nervure médiane
d’où naissent de nombreuses palmettes. Au-dessus, deux
volutes s’écartent de part et d’autre d’une tête centrale.
Le tout est surmonté d’un abaque dont les courbes
libèrent trois dés sur chaque face.
Des aigles dressés aux angles du chapiteau déploient
leurs ailes sur la corbeille. Le corps des animaux est re
couvert d’imbrications et les ailes sont marquées de traits
verticaux. Au-dessus des têtes mutilées, une large feuille
enroule ses crochets.
Vient ensuite le thème des lions avalant les pattes
d’un animal dont le corps a déjà disparu. Il existe une
parenté extraordinaire avec le même sujet tel qu’il est
traité à Cuxa. Les lions ont les mêmes bosses sur les joues,
au-dessous des oreilles et le même bourrelet torsadé frange
leurs gueules ; des griffes semblablement dessinées
agrippent l’astragale et les mêmes gueules monstrueuses
décorent le biseau du dé central. Cependant, la corbeille
s’orne de bandes diagonales parallèles, toutes égales, en
très faible relief, qui se retrouvent sur tous les chapi
teaux.
Voici, enfin, des lions qui se suivent sur toutes les faces
de la corbeille et unissent à l’angle une tête commune
dont la crinière est tressée ou peignée.
Un chapiteau vient rompre avec l’épannelage tradition
nel ; l’astragale et les volutes disparaissent ; il n’y a plus
qu’une corbeille et un faux tailloir orné de ces mêmes
feuilles de laurier qui entourent l’une des voussures du
portail. La corbeille est décorée de lions qui parfois se
tiennent debout et d’autres fois décrivent avec leur corps
ployé une courbe harmonieuse.
La série s’achève par une disposition nouvelle des lions.
Au lieu de se suivre sur la corbeille, ils se dressent sur
leurs pattes de derrière et rejoignent leur tête aux angles,
cependant que leurs pattes antérieures se relèvent vers
le dé médian qu’elles viennent supporter. Ils peuvent aussi
devenir des lions-griffons qui mordillent l’extrémité de
leurs ailes attachées aux pattes de devant par un petit
bracelet. La grosse gueule assure alors parfaitement la
stabilité du chapiteau-crochet.
L’ensemble le plus richement orné se trouve à l’inté-
rieur du prieuré, où la sculpture est répandue le plus
libéralement, mais aussi le plus gratuitement, car rare
ment a-t-on enrichi de tels trésors artistiques un édifice
aussi misérable que la tribune de Serrabone.
Il convient de signaler, à la suite de M. Stym-Popper
et avant d’aborder les problèmes soulevés par cette cons
truction, que la tribune actuelle a remplacé un édifice
beaucoup plus sommaire, situé au fond de l’église et cons
titué par une simple voûte en berceau dont on aperçoit
les arrachements sur les murs septentrionaux et méridio
naux, ainsi que sur la façade occidentale. Cette première
tribune s’étendait à peu près jusqu’à la façade ouest ac
tuelle — qui ne date que des environs de 1912 — et elle
devait ressembler beaucoup à la tribune de l’église de Sé-
quère, qui est de la seconde moitié du xn e siècle. Deux
portes s’ouvraient sur cette tribune : l’une conduisait au
premier étage du clocher ; l’autre, qui était percée dans
le mur méridional de l’église, a été obstruée lors de la cons
truction de la salle capitulaire.
La tribune actuelle est édifiée aux deux tiers de la lon
gueur de la nef et elle est portée par six petites voûtes
carrées construites, semble-t-il au premier abord, sur dou
bleaux et ogives toriques. En réalité, et en y regardant
de plus près, on s’aperçoit que ces curieuses nervures
n’adhèrent même pas toujours à la voûte et laissent ap
paraître entre leurs extrémités et celle-ci des interstices
assez grands pour y passer tout le poing. Les voûtains
sont de simples voûtes d’arêtes en blocage, sous lesquelles
on a disposé l’ensemble des ogives, qui ne jouent qu’un
rôle décoratif. On peut se demander s’il en a toujours
été ainsi, car le départ des voûtes est partout en marbre
rose.
D’autres anomalies autorisent à penser que la tribune
n’était pas à cet endroit au xn e siècle. On avait déjà fait
remarquer à Brutails la manière défectueuse dont elle
s’adapte à l’ensemble de la construction de l’église, les
graves erreurs de tracé qui dressent des colonnes au beau
milieu d’une arcade de communication entre la nef et le
collatéral nord et qui ont fait condamner la porte d’accès
à la galerie méridionale. M me Favre, dans sa thèse
sur
Serrabone, adjoint à ces maladresses de construction des
anomalies de détail, en particulier la présence à l’angle
sud-est d’un support qui contraste par sa grossièreté avec
le fini des autres, ainsi que l’absence de sculpture sur les
cinquante derniers centimètres de la frise qui court à la
partie supérieure de la corniche. Nous y joindrons les
observations suivantes, non moins significatives.
La différence entre la longueur de la tribune et la lar
geur de la nef, à l’endroit où elle est actuellement édifiée,
est à l’origine du tracé légèrement oblique de la façade
du petit monument, mais, à d’autres endroits, en parti
culier dans la partie occidentale ruinée, la nef a exacte
ment la largeur de la tribune. Le rétrécissement de la nef,
à l’emplacement de la tribune, s’explique par un décro
chement du mur méridional provoqué par un chemisage
intérieur, qui eut pour but, de redresser le mur et de le
consolider lorsque s’écroula la voûte. On constate que les
peintures romanes — contemporaines des sculptures de
la tribune — se prolongent derrière celle-ci jusqu’à ce dé
crochement, qui leur est donc bien postérieur. Il est, en
outre, facile de remarquer qu’il y a liaison entre les voûtes
de la tribune et ce chemisage, au moins à l’endroit du
décrochement. L’installation de la tribune à son empla
cement actuel n’est, donc pas antérieure à la reprise cons
tatée dans le mur méridional. Lorsqu’on réalisa cette ins
tallation, on méprisait assez le décor roman peint pour
en dissimuler une partie derrière la tribune et l’on man
quait tellement de moyens qu’on employa, pour le mor
tier, du sable du cimetière — nous avons retrouvé dans ce
mortier la partie supérieure d’un fémur d’enfant. — Deux
périodes paraissent convenir plus particulièrement à un
tel ouvrage : le xvn e siècle, sous l’administration du cha
pitre de Solsona, ou le début du xix e siècle, qui vit les
travaux de restauration du curé concordataire.
Avant cette date, la tribune devait se trouver un peu
plus loin, vers l’occident, où elle occupait exactement la
largeur de l’église. Alors n’existait aucune des anomalies
de construction, qui ne furent provoquées que par son
déplacement, lorsque s’écroula la partie de la voûte située
au-dessus d’elle, ou à proximité immédiate. On y accé
dait vraisemblablement d’une manière différente d’au
jourd’hui, car il apparaît que les marches de l’escalier
actuel ont été empruntées à l’escalier du cloître. Lorsque
le déplacement fut réalisé, on dut ouvrir une nouvelle
porte dans le mur méridional, afin de remplacer l’an
cienne, contre laquelle venait buter l’un des piliers de la
tribune. Ce portail est constitué en grande partie par des
remplois très maladroitement ajustés en ce qui concerne
les piédroits et le seuil.
La destination du monument n’est nullement énigma
tique. Dans les régions méridionales, la tribune dressée à
l’occident de la nef servait aux moines et aux chanoines
réguliers pour les offices de nuit. Une tribune toute sem
blable à celle de Serrabone se trouvait à Cuxa ; d’autres
existent ou existaient à Maguelone, à Saint-Guilhem-le-
Désert, à Saint-Martin-de-Londres, ainsi que dans de
nombreuses églises espagnoles et portugaises.
Le décor de la tribune de Serrabone comprend la façade
sculptée et les supports des ogives, soit dix colonnes de
marbre avec leurs chapiteaux et deux piliers rectangu
laires de chaque côté.
La façade est constituée par trois archivoltes de marbre
de mêmes dimensions, faites de claveaux juxtaposés et
parfaitement assemblés. Celle du nord est décorée de
fleurs à quatre pétales, celle du centre d’un ruban perlé
abritant des animaux à corps de lion et à bec d’aigle, et
celle du sud de fleurons.
Les écoinçons s’ornent de fleurs à quatre pétales et de
sujets religieux : deux séraphins à trois paires d’ailes, le
lion et l’aigle des évangélistes, l’agneau sur un fond tim
bré de la croix, enfin l’ange de saint Matthieu et le bœuf
de saint Luc. On a signalé l’opposition entre l’art mala
droit des deux dernières figures et la sûreté nerveuse avec
laquelle sont traités le lion et l’aigle. Il paraît inutile,
cependant, de supposer une copie tardive d’œuvres dis
parues : l’inégale habileté des compagnons d’un même
atelier suffit à expliquer qu’au même endroit et au même
moment un artiste adroit fasse surgir des animaux dont
l’allure hiératique ne supprime pas l’élégance, tandis
qu’un artisan timide se contente d’un relief méplat pour
un sujet dont il a préalablement dessiné les contours sur
le marbre.
Un bandeau de quatre-feuilles sépare les archivoltes
d’une corniche formée d’un galon perlé d’où se détachent
des palmettes à quatre lobes, puis de dents d’engrenage
et, enfin, à nouveau, d’une frise de quatre-feuilles.
Toute cette décoration est en très faible relief ou tail
lée en creux. Il s’agit d’une simple broderie dans la pierre,
piquée de coups de trépan. Seules les têtes qui ornent
les corbeaux de la corniche et surtout celles des écoin
çons, entre la retombée des archivoltes, appartiennent à
la ronde-bosse.
Les chapiteaux ont des thèmes presque exclusivement
zoomorphiques, identiques à ceux de la galerie méridio
nale. Leurs dimensions et leur structure sont les mêmes,
mais ils sont généralement d’un travail plus sûr et plus
élégant.
Le motif le plus simple est constitué par la succession
de lions sur les quatre faces du chapiteau. D’autres fois,
les lions occupent la place de la feuille d’angle et laissent
les volutes au-dessus d’eux. Ils se dressent sur leurs pattes
postérieures et leur tête s’unit à celle de l’animal voisin.
Deux de leurs pattes antérieures se rejoignent sous le dé
central, cependant que les deux autres abaissées sou
lignent l’axe médian : lointain souvenir, peut-être, de
l’arbre de vie que gardaient les monstres sur les étoffes
orientales.
Le monstre voit parfois se réduire son espace sur la
corbeille à la suite du maintien d’un registre inférieur de
feuilles plates au dessin linéaire et dont les folioles, sépa
rées par des coups de trépan, divergent de part et d’autre
d’une tige centrale. Les lions se maintiennent en équilibre
sur les feuilles et rassemblent leurs têtes sous le tailloir,
entre les dés d’angle volumineux. Leurs contours gra
cieux dessinent des courbes douces et régulières et em
prisonnent un vide non moins finement dessiné, un as
de cœur qui se retrouve souvent sur les chapiteaux du
prieuré, ainsi que l’a signalé M me Favre.
Une réédition de ce thème est beaucoup moins heu
reuse : une grosse tête centrale vient interrompre l’attrac
tion des monstres vers le centre, et les échines, plus gau
chement représentées, ne réussissent plus à reproduire
l’as de cœur, dont l’élégance avait été un enchantement.
Les aigles parallèles à l’axe médian, souligné par une
torsade, sont, avec leurs pattes fines, leur cou harmonieu
sement ployé et leur tête rejetée à l’angle, une autre illus
tration du sens artistique très sûr des meilleurs artisans
de Serrabone. Il semble même que, pour se faire pardon
ner un certain excès dans le caractère hiératique et géo
métrique de sa production, l’auteur de ce chapiteau se
soit permis une fantaisie en remplaçant le dé médian par
une tête grotesque dont le regard louche, tandis que la
bouche se tord et grimace sous un nez camus.
L’une des plus parfaites réussites de Serrabone montre
ce qu’un artiste pouvait tirer d’un thème assez pauvre,
celui du lion qui dévore les pattes d’une proie. La partie
centrale de la corbeille n’est plus laissée dans sa nudité.
Les pattes englouties sont enlacées par un autre lion dont
le corps est extraordinairement souple ou par un reptile
qui entoure une patte, puis s’enroule sur lui-même et,
finalement, étreint l’autre patte. Ensemble fait de grâce
et de mouvement, de vie grouillante née dans l’irréel et
la fantaisie.
L’homme apparaît plus souvent qu’au cloître de Cuxa,
mais il est soumis, comme l’animal, aux lois de la struc
ture du chapiteau. Pour respecter son équilibre particu
lier et plutôt que d’en gondoler la masse, il devient une
cariatide à la tête démesurée, aux bras trop longs, dont
les coudes relevés jusqu’à la hauteur de la tête et les
mains crispées sur la poitrine ou convulsivement accro
chées aux feuilles du registre inférieur témoignent, tout
autant que la mimique expressive du visage, de la vio
lence de l’effort fourni.
La valeur de l’homme se réduit en partie à celle de sa
fonction. Les anges et les archanges, qui n’apparaissent,
d’ailleurs, qu’une seule fois, n’ont pas seulement pour but
d’évoquer quelque vision céleste : leurs ailes meublent,
pourrait-on dire, l’étendue de la corbeille ; leurs têtes
énormes et disproportionnées tiennent la place des
volutes ; les plis de leurs vêtements prolongent par des
lignes capricieuses l’enroulement du serpent et une loi
inexorable écrase leur corps.
A l’un des angles du chapiteau précédent est assis
un singe au sourire sarcastique. Il semble rappeler que
le malin veille, parmi les déploiement des ailes angé
liques, dans l’atmosphère de la prière.
Nous devons mettre à part trois chapiteaux qui
n’adoptent pas la structure traditionnelle. L’un d’eux,
le plus décevant peut-être de Serrabone, est engagé dans
le mur méridional. C’est en réalité une moitié de chapi-
teau qui ne se prêtait que difficilement, à la construction
toute de logique et d’harmonieuse symétrie qui triomphe
ordinairement. Il est décoré de deux lions fort lourds,
dont les poitrails démesurément gonflés écrasent une
patte antérieure grêle, cependant que les pattes posté
rieures sont redressées vers le tailloir par la seule volonté,
semble-t-il, d’établir un parallélisme avec la deuxième
patte antérieure qui rejoint le dé médian. La tête est
toujours rejetée à l’angle, mais le cou fait de tels efforts
pour l’y suivre que tout l’ensemble en devient difforme.
M me Favre a remarqué que ce thème s’explique parfai
tement par comparaison avec un chapiteau de Cuxa où
Gilgamesh livre combat aux fauves.
Deux larges chapiteaux rectangulaires surmontent
les piliers extrêmes. Ils sont parents par leur thème
iconographique, mais de valeur artistique fort inégale.
A gauche, un homme est debout entre un lion rugissant
et un centaure qui posent leurs pattes antérieures sur
son cou. Il lève les bras pour saisir la langue de la bête
et la patte du lion à tête humaine. Aucune partie de la
surface n’est laissée sans décoration ; le fond est marqué
par les bandes diagonales habituelles, les volutes sont
dessinées aux angles, le registre inférieur est constitué
par des feuilles stylisées, simples fleurons entourés
d’une bordure perlée. Les faces latérales sont ornées
d’une gueule largement ouverte et d’un lion, frère de
ceux qui défilent sur d’autres corbeilles. Cette pierre
qui était considérée par son auteur comme terminée,
puisqu’elle porte sur ses côtés les trois dés habituels,
s’est révélée insuffisamment vaste pour le pilier et on
a dû lui adjoindre un autre fragment sculpté, orné du
même lion, un peu plus redressé cependant, car la place
manquait pour allonger son corps. Il s’agit, comme l’a
démontré M me Favre, d’un thème qui trouve encore
son inspiration dans le combat de Gilgamesh, l’Hercule
assyrien, avec les animaux fantastiques, le taureau qui
accompagne généralement le héros en Orient étant ici
remplacé par un lion à tête d’homme.
Le chapiteau qui lui fait face sur le pilier opposé

CI. Arcli. phot.


CHAPITEAUX DE LA TRIBUNE

procède d’une inspiration analogue, mais il est issu d’un


métier beaucoup moins habile. Le lion s’est transformé
en un cerf dont la tête s’orne de longs bois et le centaure,
qui tient un arc dans ses bras minuscules, lui décoche
une flèche. La composition, qui conserve à peu près tous
les éléments de l’œuvre précédente, en a cependant perdu
l’harmonie.
Serrabone, dans ses meilleurs chapiteaux, nous offre
une merveilleuse adaptation de la sculpture à l'archi
tecture, un exemple d’une très grande perfection de la
formule ornementale régie par l’équilibre du chapiteau
et conservant néanmoins la beauté et l’harmonie agré
mentées parfois d’un brin de fantaisie. Le plus souvent,
l’adaptation quasi parfaite à la structure se fait avec une
telle aisance qu’elle semble recréer un véritable climat
de liberté.
Nous sentons néanmoins qu’il s’agit beaucoup plus
de l’imitation de formules convenues et de modèles
choisis pour leur élégance, leurs qualités graphiques
et leur harmonieuse symétrie, que d’un jaillissement
de vie. Tout a d’ailleurs été dit sur le caractère oriental
de ce décor et sur l’origine des êtres monstrueux qui se
retrouvent dans une partie importante de la production
romane.
Cet art donne une impression de facilité technique
qui se paie par la réduction du nombre des modèles.
La monotonie de la facture et la répétition constituent
une sorte de frappe industrielle. Peut-être que les élé
ments du décor de Serrabone, les plaques de marbre,
les fragments de frise, les chapiteaux et les claveaux,
de même que les autres œuvres similaires du Roussillon,
furent sculptés à proximité de la carrière selon des règles
constantes qui permettaient de les adapter aisément
aux monuments d’architecture communément décorés.
Ainsi s’expliquerait que, tout en possédant à fond la
technique ornementale, et bien que sachant combiner
avec bonheur les motifs élémentaires, les artistes de
Serrabone ne songent pas à s’affranchir des composi
tions habituelles répétées avec une certaine sécheresse.

Bibliographie. — P. Vidal, Fondation du prieuré de


Serrabona en 1082, dans Revue d'histoire et d'archéologie
du Roussillon, 1900, t. I, p. 13-20. — Brutails, Notes sur
Vart religieux du Roussillon, dans Bulletin archéologique
du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1892,
p. 541-542, 577 et 579, et Note sur l’église de Serrabone,
dans Congrès archéologique, 1906, p. 515-517. — A Priory
in Roussillon, dans The Builder, 2 janvier 1909, vol. XCYI.
— Puig i Cadafalch, L’arquitectura romànica a Ccitalu-
nya, 111, p. 443-446 et 524-526. — Articles de Marcel
Robin et de Georges Gaillard dans L’art roman du Rous
sillon. Le Point, mars 1947. Thèse dactylographiée pour
l’École du L ouvre de M me Favre.
— Jeanine Clément,
La sculpture du XII e siècle en Roussillon, thèse dactylo
graphiée pour l’École du Louvre, 1950.
— M. Durliat, La
sculpture romane en Roussillon, I (2 e édition), p. 51-75. —
J. Gudiol et J. A. Nuho, Arquitectura romànica, Ars His-
paniae, t. V, p. 57. — Milton D. Lowenstein, Serrabone :
The Church and the sculpture. Journal of the Society of
Architectural Historians, XII, 3, p. 7-12. — Jean Bayet,
Le symbolisme du Cerf et du Centaure, dans Revue archéo
logique, t. XLIV, juillet-septembre 1954, p. 21-68.
L’ÉGLISE
DE CORNEILLA-DE-CONFLENT

par M. Marcel DURLIAT

Corneilla-de-Conflent fut une capitale politique du


comté de Cerdagne sous la forme définitive qu’il prit aux
environs de l’an 1000. Le comte Guifred se fixa dans ce
lieu qui lui permettait de surveiller le chemin de Cer
dagne et où il possédait un grand domaine privé. Le châ
teau, mentionné en 1004, comprenait un grand bâtiment
rectangulaire où l’on aperçoit encore une fenêtre dont
l’arc à double rouleau est caractéristique du xi e siècle.
Il existait, non loin du château, une église consacrée
à la Vierge et citée dès 1018. En 1025, le même comte
échangea le patronat de l’église d’Escaro contre celui de
cette église. Le comte Guillem-Raimond, le fondateur de
la commune libre de Villefranche, décida d’y établir une
communauté religieuse. La mort ne lui ayant pas permis
d’exécuter son projet, il en confia la réalisation à son fils,
Guillem-Jorda, dans son testament du 7 octobre 1094,
après avoir richement doté l’église.
Moins de trois ans plus tard, le 4 mars 1097, le nou
veau comte confirma toutes les donations de son père et
institua à Corneilla, dans l’église demeurée longtemps
sans pasteur, une communauté de chanoines réguliers
vivant sous la règle de saint Augustin, encourageant ses
vassaux à se montrer généreux à son égard.
Telles sont les données historiques qui éclairent les ori
gines de la charmante église de Corneilla.
Il ne subsiste des premiers édifices du xi e siècle que le
clocher, qui constitue un magnifique exemple des tours

10

Durliat dir. Stym-Popper del.


PLAN

roussillonnaises de style lombard. Il est bâti en un petit


appareil assez régulier de moellons coupés au marteau et
il conserve encore des joints anciens, tracés dans le mor-
lier pour simuler un faux appareil. Des bandes murales
renforcent la tour dans toute sa hauteur et sur ses quatre
faces ; elles sont reliées entre elles au niveau des étages
par des bandes arcaturées qui se reproduisent encore à la
partie supérieure. Chacune des arcatures est constituée
par cinq petits arcs appuyés sur un corbeau et faits éga
lement de pierres rustiques. Le rez-de-chaussée n’est pas
orné ; le premier étage n’est éclairé que par des archères ;
le second a, sur chaque face, deux fenêtres à double ébra
sement dont les claveaux sont faits de longues pierres
minces ; les larges baies du troisième étage occupent toute
la largeur du panneau ; elles sont surmontées de deux
oculus.
Postérieurement à l’érection du clocher, et vraisem
blablement peu de temps après l’arrivée des chanoines,
on réédifia l’église. Il reste la nef de cette seconde
construction, dont le sol était, à l’origine, au-dessous du
niveau actuel, comme l’indique la porte septentrionale,
l
avec son seuil enterré à m 50. Les murs sont encore
faits de moellons disposés en assises assez régulières, avec
des joints simulant un faux appareil. Cette église devait
déjà posséder trois nefs, compte tenu de sa largeur. Le
cloître était au nord, ainsi que l’ensemble des bâtiments
monastiques. Il comportait une galerie unique appuyée
contre la nef, avec deux grandes portes latérales et, au
centre, une troisième porte plus étroite entre deux fe
nêtres. Il s’apparente ainsi aux plus anciens cloîtres cata
lans du xi e siècle dépourvus de colonnes : Saint-Martin
du Canigou et Sant Pere de Casseres. Il était, naturelle
ment, couvert d’un appentis et non d’une voûte.
La seconde moitié du xn e siècle vit une profonde trans
formation de l’église et, en particulier, la reconstruction
totale du chevet. On éleva un large transept dont le mur
oriental, rectiligne à l’extérieur, est creusé intérieurement
de deux absidioles sur chaque bras. Cette disposition,
analogue à celle des églises cisterciennes de Sénanque
(1160-1180) et du Thoronet (1160-1190), pourrait témoi
gner de la propagation d’influences provençales en Cata
logne, si elle n’avait déjà existé, avant 1175, à la cathé
drale de la Seu d’Urgell, où elle représente de manière
certaine l’adoption d’un parti italien.
Extérieurement, le chevet, au bel appareil de granit,
oppose le demi-cylindre, splendidement orné, de l’abside
aux murs latéraux plats et nus, percés de fenêtres-
archères et servant de parement extérieur aux absidioles
latérales.
L’abside est couronnée par une corniche dont les élé
ments se retrouvent fréquemment dans les églises cata
lanes du xii e siècle : une série de petits arcs en plein
cintre, faits d’une seule pièce extradossée en plan hori
zontal et portés par des modillons décorés de monstres
et de masques humains ; puis une frise de dents-de-scie,
une ligne de pierres minces posées de champ et une mou
lure en cavet.
Une seconde bande de dents-de-scie fait le tour de l’ab
side en s’incurvant au-dessus de trois fenêtres richement
décorées à l’extérieur, de même qu’à l’intérieur. On a
plaqué, sur les piédroits et les archivoltes de ces fenêtres,
des colonnes et des tores en marbre. Toutes les colonnes
sont droites et lisses, alors que des ornements, le plus
souvent méplats, multiplient leurs combinaisons de lignes
sur les tores. Ce sont des chevrons vivement incisés et
d’élégants carrés de marbre qui entourent le boudin à
intervalles constants. Des entrelacs au dessin complexe
emprisonnent des palmes, des boutons floraux et des
fleurs épanouies. On retrouve également les tresses qui,
avec les hélices, décorent de nombreux tores sur les portes
et les fenêtres catalanes.
Certains chapiteaux sont décorés de feuillages : de
grandes feuilles à large hase, dentelées et sillonnées de
côtes évoquant des nervures parallèles, se développent
sur deux étages et se recourbent en une large coquille
festonnée. Entre les volutes surgit une longue baguette
décorée de deux demi-palmettes ou d’une tête. Sur
d’autres chapiteaux s’opposent les animaux habituels de
l’art roman roussillonnais ; des lions allongent et courbent
leur corps en arceau sur le registre inférieur de la cor
beille, cependant que des gueules de monstres s’isolent
aux angles ou surmontent un corps redressé, mince et
ondulé ; la sirène, monstre à tête de femme et à corps
d’oiseau, prend aussi la place des volutes d’angle et
meuble la corbeille avec ses ailes éployées. Des sculp
teurs habiles donnent vie aux éléments architecturaux
du chapiteau et réussissent à concilier avec bonheur les
exigences d’une construction logique et celles d’un dessin
harmonieux.
On assiste, sur les chapiteaux des ébrasements inté
rieurs, au passage progressif de la feuille au monstre, sous
l’action du génie créateur roman.
Les feuilles d’angle, dentelées et creusées de nervures,
partent directement de l’astragale ou d’une suite de demi-
cercles qui représentent peut-être les tiges stylisées. Par
fois, une bande ornée de losanges plaque les feuilles contre
la corbeille, à mi-hauteur du chapiteau. L’axe médian, à
la rencontre de deux feuilles voisines, peut être souligné
par deux lignes de perles ou par un fleuron.
La feuille, entraînée par un mouvement de volute, se
recourbe et dessine aux angles un véritable crochet. Ainsi
s’accentue le caractère monumental du décor sculpté et
s’organise une saillie supplémentaire dans cette partie
importante du chapiteau où semble tomber la charge de
l’archivolte. La feuille, qui se détache ainsi de la corbeille
après avoir absorbé les volutes, accroche la lumière et
s’anime davantage qu’à Serrabone et à Cuxa.
Lorsque l’allongement se poursuit, la partie recourbée
devient, un fleuron qui retombe vers le bas, ou une véri
table tige, une sorte d’anse qui rejoint la corbeille. Et la
métamorphose continue : au lieu du fleuron, ce sont des
têtes qui apparaissent, une corne s’enroule tout naturel
lement à l’endroit où se trouvait la volute ; les tiges qui
sortent de la gueule prennent l’aspect de défenses ; un
être est évoqué sans qu’il soit besoin de lui prêter un
corps. Rarement les sculpteurs roussillonnais mirent au
tant de personnalité et de fantaisie dans leurs créations.
Parallèlement à la reconstruction du chevet se produi
sirent d’importantes modifications dans la nef qui avait
l
été conservée : on en éleva le niveau du sol de m 50 envi
ron, et on refit les voûtes et leurs supports. Sous ce nou
vel aspect, la couverture est constituée par un berceau
brisé sans doubleau pour la maîtresse voûte, cependant
que les voûtes latérales décrivent à peu près un quart de
cercle. Les piliers sont rectangulaires et décorés d’une
simple moulure d’imposte ; les arcs de communication
entre les nefs sont en plein cintre. Le procédé archaïque
utilisé pour couvrir l’édifice ne permit pas d’éclairer la
nef, qui est extrêmement obscure.
Cette campagne de travaux, marquant la seconde moi
tié du xn e siècle, trouva son couronnement dans l’orne
mentation de la façade, avec ses deux éléments princi
paux : la fenêtre, dessinée comme celles de l’abside, mais
avec un seul ressaut, et le portail.
Ce dernier appartient à la famille des portes à linteau
et tympan, précédées d’archivoltes reposant sur des pi
liers et des colonnes.
Les archivoltes, dont une seule est moulurée, sont faites
de claveaux en marbre parfaitement appareillés. Les
tores sont décorés d’entrelacs en sculpture méplate,
de losanges et de fleurs, ou sont creusés d’une moulure
hélicoïdale semée de têtes plates.
Les chapiteaux utilisent des combinaisons ornemen-
taies et des thèmes zoomorphiques avec un rare bonheur
et une parfaite élégance.
A la base de la corbeille, des palmettes dessinent un
as de cœur. La palmette est tout à la fois bouquet de
feuillage et schéma autour duquel s’ordonnent des
courbes. Tantôt les deux tiges s’entre-croisent à son
sommet, divergent vers les angles, pour passer au-dessous
de feuilles triangulaires et recomposer une autre pal
mette par un nouvel enlacement. Tantôt les tiges, en
se redressant, deviennent les côtés d’une feuille épaisse
qui s’épanouit et se recourbe à la partie centrale de la
corbeille. Le chapiteau est ainsi enserré par une véritable
collerette d’où jaillissent les volutes et les têtes médianes.
Les chapiteaux extrêmes ont des thèmes animaux :
des griffons, dressés sur toute la hauteur de la corbeille,
rejettent à l’angle une tête commune à deux sujets voi
sins ; des chèvres dont le pelage est fait de mèches frisées
dessinent avec les lignes de leur corps une élégante figure
géométrique.
L’amour du faste couvre d’un riche décor toutes les
surfaces disponibles : sur les astragales se déroulent
des entrelacs, ou des frises de quatre-feuilles aux bords
méticuleusement ourlés ; les lourds tailloirs recueillent
des rinceaux et des fleurons.
Par les thèmes et par le métier, ces chapiteaux s’appa
rentent de très près à ceux de la galerie romane du
cloître d’Elne, que nous avons datée du dernier quart
du xii e siècle.
Le principal intérêt du portail est offert par son tym
pan décoré. C’est le seul qui existe en Roussillon avec
ceux de Cabestany, tout à fait exceptionnel, de Tou-
louges, qui ne fut peut-être jamais achevé, de Saint-
Féliu-d’Amont, où deux anges soutiennent une gloire
désormais vide, et de Coustouges, couvert de fleurs
géométriques. Le thème de Corneilla, une Vierge en
J. Gomet phot.

FAÇADE DE L’ÉGLISE DE CORNEILLA-DE-CONFLENT


Majesté, en accroît la valeur par sa rareté à cet empla-

J. Cornet pliot.
PORTATf.

cernent dans l’art, roman. On ne le trouve que deux fois


en Catalogne : à la collégiale de Manresa et au monastère
Congrès du Roussillon. 18
cistercien de Vallbona-de-les-Monges, une œuvre qui
date manifestement du xm e sièele.
Une inscription en vers léonins, qui court tout autour
du tympan, précise la pensée qui a présidé au dessin
de cette image : Iieredes vitae : Dominam : laudare :
venite : per quam vita datur : mundus per eam reparatur.
Assise sur un trône orné de têtes de lions, la Vierge

se détache dans une gloire en amande décorée de fleurs


à quatre pétales et soutenue par deux anges. Son
visage entouré d'un nimbe est empreint d’une séré
nité majestueuse, non exempte d’une certaine maussa
derie. L’enfant est assis entre les genoux de sa mère,
bien en face, droit dans l’axe du corps ; il possède les
mêmes yeux allongés, un nez fort, et écrasé, une bouche
large et épaisse, des oreilles démesurées ; il tient un
évangéliaire fermé et décoré d’un dessin de fleurs dans
sa main gauche et bénit de la droite avec trois doigts
levés. Les grands anges thuriféraires aux genoux ployés,
qui soutiennent la mandorle, remplissent de leurs corps
et de leurs ailes toute la surface restée libre sous la courbe
de l’arc. Un graphisme systématique, une rigoureuse
symétrie, imposent à tous les personnages leurs lois
contraignantes.
L’archaïsme qui caractérise cette sculpture ne doit
pas faire illusion sur sa date. Le tympan, décoré sur son
pourtour de rinceaux et de grandes feuilles plates à
nervure centrale, disposées sur deux rangs et en quin
conce, ornement traditionnel en Roussillon, est contem
porain des chapiteaux et date comme eux du dernier
quart du xn e siècle.
Il convient de rapprocher la Vierge à l’Enfant de
Corneilla d’un chapiteau provenant du cloître de Saint-
Pons-de-Thomières et conservé actuellement au musée
des Augustins de Toulouse, autre production des ateliers
roussillonnais, où la Vierge, d’ailleurs plus ancienne,
est dotée d’une rudesse presque sauvage.
Cependant les rois d’Aragon, héritiers des comtes
de Cerdagne, continuèrent à prodiguer au prieuré les
mêmes faveurs que leurs prédécesseurs. En 1346,
Pierre IV enjoignit à son procureur d’inféoder au prieur
de Corneilla un pâtus de l’ancien château contigu au
monastère. Cinq ans plus tard, le 6 septembre 1351,
le monarque donna en franc-alleu le château lui-même
et autorisa les chanoines à s’y installer, l’ancien monas
tère, bâti sur un'sol instable, menaçant ruine. Au siècle
suivant, Jean II leur accorda l’autorisation d’occuper
une partie du chemin de Fillols afin de permettre le
transfert du prieuré dans le château d’ailleurs ruiné
— en fait le prieur seul s’installera dans cette vaste rési
dence et la fera restaurer.
Ces acquisitions de terrain en direction du sud ren
dirent possible la création d’un nouveau cloître bien en
soleillé, dont on a retrouvé récemment l’un des arceaux
en place en démolissant une maison. La date nous en est
bien connue. Le 12 mars 1374, les chanoines décident de
reconstruire leur couvent. Le 20 octobre 1392, Guillaume
Font, de Villefranche, leur promet de construire au nou
veau cloître quatre piliers et quatre arceaux en pierre de
taille, comme ceux du cloître des Frères Mineurs de Ville-
franche. On conserve bon nombre de colonnes, de chapi
teaux, de bases et de tailloirs dans l’église. Il s’agit d’un
ouvrage très rustique, les chapiteaux étant constitués par
des parallélipipèdes aux angles abattus, décorés de ro
saces au centre de chaque face ou de feuilles et de têtes
aux angles. Il est vraisemblable qu’on remploya, pour
donner accès du cloître à l’église située en contre-bas, une
porte romane à peu près identique à celle de la façade
septentrionale et située antérieurement à un autre en
droit ou à un niveau différent. Convient-il de rappeler
ici que, le 26 octobre 1741, le camérier Saléta, vicaire
général du chapitre, demandait la reconstruction de la
porte du cloître qui descend à l’église.
Les derniers travaux dans l’église de Corneilla con
cernent la construction de la sacristie située à l’extrémité
méridionale du transept. Elle est couverte de robustes
voûtes d’ogives et datée de 1579.
Le riche mobilier de l’église comprend des témoins de
l’époque romane. La table du maître-autel est soutenue
à la fois par un pilier central — semblable à ceux qui
servent de support aux autels des absidioles — et par
quatre colonnettes d’angle. Celles-ci sont couronnées par
deux chapiteaux à feuillages dont les acanthes stylisées
et les pommes de pin imitent celles de l’abside et par
deux autres chapiteaux où des lions unissent leurs têtes,
à l’exemple de ceux du portail.
L’église n’abrite pas moins de trois statues de la Vierge.
La plus belle, qui date de l’époque romane, surmonte ac
tuellement le maître-autel, après un long séjour dans la
sacristie. La Madone est assise sur un siège à colonnettes
moulurées ; elle est vêtue d’une longue tunique aux
manches étroites et d’un vaste voile-manteau qui couvre
ses cheveux, ne
laissant apercevoir
que deux minces
bandeaux séparés
par une raie mé
diane. L’Enfant,
assis sur le
genou
gauche, est vêtu de
la même tunique
et d’un manteau
drapé qui entoure
le genou et re
tombe sur l’épaule
gauche. La seconde
est d’une date un
peu plus tardive.
Quant à la troi
sième elle vien
,
drait de Cuxa et
serait la célèbre
image vénérée dans
le monastère jus
qu’en 1789 sous le
vocable de la Crè
che. Elle est très J Comet P hot
- -

petite, d un travail
vierge romane
très fruste, et elle
nous est parvenue dans un état de conservation déplo
rable : le bois est rongé par les vers et la peinture an
cienne disparaît
sous d’horribles badigeons modernes.
L’époque gothique livré
a une pièce de choix avec l’an
cien retable du maître-autel, œuvre de jeunesse du sculp-
leur catalan Jacques Cascallde Berga. On distingue les
scènes suivantes sous des gables ornés de fleurons : la
Nativité, la Présentation au Temple, l’Adoration des
Mages, la Trahison de Judas, le Portement de Croix, la
Crucifixion, la Descente de Croix, la Résurrection, la
Pentecôte, la Dormition de la Vierge et son Couronne
ment. Il manque deux panneaux qui, après être long
temps restés dans la sacristie après la Révolution, sont
passés dans une collection particulière à la fin du
xix e siècle. Toutes sortes d’animaux et de monstres,
d’excellente facture, se hissent vers le sommet des gables
en s’aidant des fleurons. La prédelle est ornée de médail
lons quadrilobés qui accueillent un saint évêque et des
apôtres dont certains sont reconnaissables à leurs em
blèmes : saint Paul à son épée, saint Pierre à sa clé, saint
Barthélemy à son couteau ; quant à saint Thomas, il tient
à la main l’équerre de l’architecte, en mémoire du palais
qu’il devait bâtir dans l’Inde au roi Gondoforus.
Une inscription qui court sur une seule ligne, d’un bout
à l’autre du retable, à la partie inférieure, nous en four
nit l’auteur et la date (1) :
(.Anno Domini M) CCCXLV : YDibus : MADII :
:

FUIT : ISTUD : RETROTABULARIUm COmPLETUm


PER MAGISTRUm JACOBUM CASCALLI DE BERGA
NOMINE REVEREnDI DomfNI BERENGARII DE
ATCIATO DEI GRaïiA PrIORIS HUIUS (monasterii) —
Le 15 octobre 1346, le même Bérenger d’Axat donnait
à Guillaume de Roseto, bayle d’Eyne, un reçu de 10 livres
léguées à l’œuvre du retable par son grand-père défunt,
ancien bayle du même lieu.

fl) M. Paul Deschamps ayant attiré noire attention sur la forme


étrange du chiffre des unités dans la date, nous avons vérifié qu’il
ne s’agit ni d’un II, ni d’un Y, mais d’un A que le graveur a con
fondu avec un II ou, plus vraisemblablement, un V. M. Duran i
Sanpere avait déjà fait la même constatation.
MR

COUNEILLA-DE-CONFLENT 279

Certaines sculptures, et plus spécialement l’élégante


Vierge à l’Enfant et la Pentecôte, sont de haute qualité
et donnent une heureuse idée du talent de Jacques
Cascall.
Il subsiste aussi cinq statues d’un Saint-Sépulcre en
bois polychromé du début du xv e siècle : Joseph d’Ari-
mathie ou Nicodème, saint Jean, la Vierge et les Saintes
Femmes. Une restauration récente a révélé que sous le
marouflage de toile existent de larges marouflages en
parchemin portant une écriture du xiv e siècle.
Nous nous bornerons à citer les stalles des chanoines
installées sur une tribune au fond de l’église et la belle
armoire sculptée de la sacristie, pour attirer plus spécia
lement l’attention sur quelques œuvres de l’ancienne fer
ronnerie roussillonnaise. Celle-ci est, en effet, représen
tée par les belles pentures qui arment les vantaux du por
tail occidental et par des chandeliers de deux types : l’un,
le plus ancien, comprend une tige robuste ornée de
bagues, cependant que le sommet des autres s’épanouit
en fleur de lis.

Bibliographie. De Bonnefoy, Épigraphie roussil


-—
lonnaise, n os 280 et 281. — Brutails, Notes sur Vart reli
gieux du Roussillon, dans Bulletin archéologique du Co
mité des Travaux historiques, 1892, p. 560. — Du même,
Corneilla-de-Conflent, dans le Congrès archéologique de
1906, p. 154-155. — Puig i Cadafalch, UArquitectura
romdnica a Catalunya, vol. III, p. 435-436. — Abbé Gi-
ralt, Le prieuré de Corneilla-de-Conflent, dans la Revue
historique et littéraire du diocèse de Perpignan, 1921, p. 132,
148, 166, 182, 199 ; 1922, p. 6, 30, 60, 78, 94 et 101. —

— M. Durliat, La
Duran i Sanpere, Els retaules de piedra.
sculpture romane en Roussillon, t. II (2 e édition), p. 7-24.
VILLEFRANCHE-DE-CONFLENT

par M lle Anie DE PODS

Architecture militaire
Créé par Charlemagne pour subvenir aux besoins du
comte Guillem, chef militaire de toutes les marches d’Es
pagne, le comté de Confient avait pour siège adminis
tratif, au moment de la reconquête sur les Arabes, le
château de Saint-Estève de Pomers, accroché au flanc
nord du Canigou, à cinq kilomètres environ de Prades.
Réuni plus tard au comté de Cerdagne, le Confient devint
une vicomté dont le vicomte résidait au château de Joch,
plus vaste et plus accessible, tandis que les comtes éta
blissaient leur « palais » à Cornella. Enfin, à la veille de
passer entre les mains des comtes de Barcelone, le Con
fient voit, vers 1089 (1), la création de Villefranche, qui,
très vite, va devenir sa capitale.
Le site de Villefranche avait été choisi pour des rai
sons stratégiques : placé comme un verrou à l’articula
tion des trois vallées de la Têt, du Cadi et du Roja, ce
n’est sans doute pas par hasard qu’il avait été, dès
l’époque néolithique, le centre d’une population impor
tante, dont les traces foisonnent dans les innombrables
grottes des environs.
A l’époque carolingienne, le territoire de Villefranche
était partagé entre les trois localités de Fullâ, Cornella et
Campilles, petit village aujourd’hui disparu, mais dont

(1) Cf. Pierre Ponsich, Le Confient et ses comtes du IX e au


XII e siècle (Études roussillonnaises, t. I, 1951, p. 319-320 et n. 234).
il reste lacurieuse église au sommet du rocher qui domine
la vallée, au nord de Villefranche.

Adant phot.
PLAN EN RELIEF DE LA VILLE

La charte de poblaciô ou charte de fondation de la


ville, dont il nous reste une copie de 1324, est une des
plus anciennes de la région. Elle signale que cinq habi-
tants occupaient déjà les lieux. Vu les privilèges excep
tionnels accordés par le comte, on peut présumer que
la nouvelle ville fut rapidement peuplée et non moins
rapidement fortifiée.
Ce qu’étaient les remparts de Villefranche lors de la
création, très probablement, comme toutes nos enceintes
antérieures au xm e siècle, une muraille dépourvue de
tours de flanquement. Elle était percée de deux portes
principales et de quelques poternes.
Par chance, une de ces portes existe encore, à peu près
intacte, à 50 mètres environ de l’actuelle porte de France.
Ouverte dans une tour carrée, dépourvue de saillie par
rapport au rempart, dont elle formait peut-être l’angle
nord-est, elle est en plein cintre, appareillée de claveaux
irrégulièrement extradossés et comporte une clef de voûte
triangulaire. Elle est aujourd’hui murée, mais la tour,
transformée en grange, est intacte jusqu’au départ du
deuxième étage. Un escalier en hélice conduisait du pre
mier étage aux étages supérieurs.
D’après les plans en relief de Vauban, ces deux portes,
l’une à l’est, l’autre à l’ouest, furent respectées jusqu’au
xvm e siècle. C’est seulement sous Louis XVI que la
porte orientale fut murée et la nouvelle porte de France
percée à travers la courtine de Vauban. Quant à la porte
occidentale, elle fut entièrement détruite et remplacée
par l’actuelle porte d’Espagne (1).
Période aragonaise (XIIIe -XVe siècles). — Après le
traité de Corbeil (1258), la frontière de France passe désor
mais à très peu de distance : Villefranche et le Confient
font partie du royaume d’Aragon et la Croisade albigeoise

(1) Nous tenons à exprimer ici toute notre reconnaissance à


M. Grodecki, conservateur du Musée des Plans en relief, qui a
bien voulu nous communiquer une collection complète de photo
graphies de la maquette de Villefxanche.
vient d’apprendre aux architectes du Sud l’utilité des
tours rondes pour flanquer les courtines.
De cette époque, il nous reste, à Villefranche, presque
tout le front sud, sauvé par sa situation contre la mon
tagne, donc moins exposé que les autres. Il est constitué,
à partir de l’ouest, d’abord par une haute courtine où
l’on constate la présence d’une poterne assez élevée au-
dessus du sol actuel, déjà exhaussé par rapport à l’an
cien fossé. Cette poterne, aujourd’hui murée, devait don
ner issue, au moyen d’une échelle mobile, à cette partie
de la forteresse qui porte encore le nom de castell. Proche
de l’église et situé à l’angle sud-ouest, c’est-à-dire du côté
le moins exposé à
une attaque dirigée contre la Cerdagne,
ce château devait être le donjon de la cité, le siège du
châtelain et la résidence du comte de Cerdagne à l’oc
casion.
Peu après cette poterne et faisant donc partie des dé
fenses du château, on trouve la première tour demi-cir
culaire. Haute de trois étages au-dessus du rez-de-chaus
sée, elle présente une reprise très nette à partir du
deuxième étage, correspondant au chemin de ronde supé
rieur des remparts, établi au xvi e siècle ou au xvn e
.
Un troisième étage sert un autre rang de meurtrières
dominant le chemin de ronde.
La courtine se poursuit, adossée à l’église, jusqu’à la
grosse tour ronde, tangente au rempart et dont le rez-de-
chaussée sert de sacristie. Cette tour porte son état civil
gravé sur une pierre encastrée au-dessus d’une archère :
« Comensada fo lany MCCCCXXXXI he finida lany
MCCCCLIIII » (je fus commencée l’an 1441 et finie
l’an 1454). Elle battait une poterne ouverte derrière l’ab
side de l’église.
Le rempart continue encore jusqu’à une nouvelle tour
demi-circulaire, qui flanque une grande poterne en chi
cane. La tour est invisible de l’extérieur, prise dans les
constructions d’une fortification du xvi e siècle : une te
naille à orillon.
A partir de ce point, les modifications apportées par
les siècles suivants vont se multiplier. Primitivement, la
courtine du Moyen Age obliquait alors vers l’est pour
rejoindre la tour-porte orientale que nous avons déjà vue.
Elle était flanquée de trois autres tours demi-circulaires,
dont Bussy-Rabutin parle, dans ses Mémoires, en ces
termes : « C’est une muraille sans terrasse, la rivière de
la Tet, qui passe comme un torrent au pied, d’un côté ;
le fossé est à sec de l’autre ;ily a six demi-tours de ce côté-là,
à loger quatre hommes dans chacune (1). »
C’est également de cette période que date la construc
tion des ponts de Villefranche. Une ordonnance du 9 sep
tembre 1263, signée du roi Jacques, prescrit d’en cons
truire trois (2).
Le premier en amont, Pont Sant Andreu ou Pont Vell,
reliait les deux rives du faubourg un peu plus haut que
le pont actuel de la route d’Olette.
Le second, Pont Sant Pere, est un petit pont en dos
d’âne, en prolongation de la rue Saint-Pierre, qui fran
chit la Têt et aboutit au pied de l’escalier souterrain mon
tant au fort. Il présente aujourd’hui un aspect plus ré
cent, avec son parapet élevé, percé de meurtrières à fu
sils. Une ancienne carte postale indique qu’il donnait
dans une demi-lune fermée par un pont-levis. Ce der
nier a été détruit lors de la construction de la voie fer
rée.
Le troisième, ou pont d'En Gorner, est très en aval de
Villefranche et desservait le chemin de Conat (3).
Les plans en relief nous ont révélé l’existence de deux

(1) T. II,
p. 189. Il entrait à Villefranche en 1654.
(2) H. Aragon, Les châteaux forts du Roussillon. Villefranche et
Salses, Perpignan, impr. de VIndépendant, 1930, p. 62.
(3) Ibid., p. 29.
constructions, aujourd’hui disparues, qui doivent remon
ter à la période aragonaise : deux grosses tours rondes,
établies de part et d’autre de la porte d’Espagne (ouest),
toujours ouverte à travers sa tour carrée (1).

Période espagnole (XVIe siècle).


— Cette période a
laissé peu de traces visibles à Villefranche, sauf le pont-
levis et la demi-lune du pont Saint-Pierre et l’élément de
tenaille à orillon du front sud.
Peut-être lui doit-on une partie de l’angle sud-est ou
bastion de Cornella? Mais, celui-ci étant actuellement en
vahi par des particuliers, on n’y peut pénétrer pour se
rendre compte.

L’œuvre de Vauban (1669-1718). -— Vauban vint visi


ter Villefranche au début de 1669 et son rapport précise
que « cette ville était autrefois fermée de murailles avec
des tours qui furent abattues assez mal à propos sur la
fin de la vieille guerre » (avant 1660) (2).
Voici comment Vauban décrit Villefranche : « C’est
une petite villote qui peut contenir quelque 120 feux,
fort serrée et environnée de très grandes montagnes, à
demi escarpées, qui la pressent de si près, que de la plus
éloignée on y pourrait jeter des pierres avec une fronde.
Leur sommet est fort élevé et le ventre si gros que du
sommet elles ne peuvent faire du mal à la place. Mais il y
a plusieurs petites pointes et avances de rochers à mi-côte,
qui sont autant de logements à miquelets, d’où l’on peut
canarder à coups de fusils tout ce qui paraîtrait dans
les rues, de sorte qu’il n’en faudrait pas davantage pour
l’obliger à se rendre s’ils estoient bien occupés ; jamais
place ne pouvait estre plus commandée qu’elle ni de plus

(1) Une tour ronde existe encore, avec sa toiture en poivrière,


à l’angle nord-ouest ; elle est prise dans les constructions du bas
tion du Roy.
(2) H. Aragon, op. cit., p. 62.
d’endroits, qui n’est toutefois pas si incorrigible qu’on
ce
se le pourroit imaginer. Ce qui serait le plus utile, serait
un fort. Grâce à lui, la ville serait absolument impre
nable. »
La place de Villefranche forme désormais une sorte de
pentagone étiré d’est en ouest, et tous les angles sont
armés de bastions : Bastion du Roy (angle nord-ouest) ;
bastion de la Reine (angle sud-ouest) encadrant la porte
d’Espagne ; bastion de Cornella (angle sud-est) ; bas
tion du Dauphin (angle nord-est) ; bastion de la Boucherie
(angle nord).
La grande base de notre pentagone est constituée par
le front sud : partant du bastion de la Reine, on retrouve
donc la courtine du château et de l’église, flanquée de
ses tours, mais surélevée d’un bon étage. Au sommet court
un chemin de ronde couvert d’une toiture (comme dans
tous les remparts de Vauban) desservant un rang serré
de meurtrières à fusils. Ce sont les seules modifications
de cette moitié du front sud, jusqu’à la troisième tour
ronde (tour que, par erreur, le plan en relief montre
comme tour polygonale, et qui n’a pu être reconstruite
depuis, puisque, comme nous l’avons vu, elle est entière
ment prise dans la tenaille à orillon).
A partir de là, le nouveau rempart se redresse vers
l’angle sud-est, parcouru au niveau du premier étage par
un chemin de ronde pris dans le mur et desservant
105 meurtrières de type différent ainsi disposées :
27 courtes, c’est-à-dire 40 à 50 centimètres de haut à la
fente extérieure.
63 longues, 1 mètre de haut à la fente extérieure, véri
tables archères, appareillées en marbre rose du pays, et
toutes orientées pour un tir convergent vers l’est ;
15 courtes. L’espace entre chaque embrasure varie de
0 m 65 à 1 mètre.
Au deuxième étage le rempart se termine par un para-
pet non crénelé, laissant un large espace pour la vue et
le tir, sous la toiture.
L’angle sud-est est donc constitué par un petit bas-

A. de Fous phot.
CHEMIN DE RONDE NORD
CHICANE DU BASTION DE LA BOUCHERIE

tion, dit, de Cornella, dans lequel on ne peut pénétrer.


Le rempart oriental, beaucoup plus large
que le précé
dent, est également parcouru par deux chemins de ronde
superposés, mais qui, ici, deviennent de véritables gale
ries.
Le front nord, qui longe la Tet, ne comprend, jusqu’au
bastion de la Boucherie, qu’un chemin de ronde au niveau
du sol (très surélevé par rapport au lit de la rivière), entre
les maisons et le rempart percé tantôt de meurtrières,
tantôt de canonnières. Ce chemin de ronde aujourd’hui
à ciel ouvert d’un bout à l’autre, était couvert en deux
endroits du temps de Yauban.
D’autres défenses, dont il ne reste rien, armaient les
abords des deux portes de France et d’Espagne.
L’angle nord était constitué par le pont Saint-Pierre,
la porte fortifiée qui y donnait accès du côté ville et la
demi-lune qui le défendait du côté montagne. En face de
cette demi-lune s’ouvre la porte de l’escalier souterrain
qui monte au fort par 1.000 marches.
De Yauban encore sont les deux grands bastions du
Roy et de la Reine, flanquant la Porte d’Espagne. Tous
deux ainsi que les chemins de ronde ont été envahis par
des particuliers et transformés en dépotoir. R est impos
sible actuellement d’y pénétrer.

Le fort. — La construction de l’escalier souterrain


serait du xix e siècle, d’après des renseignements que nous
n’avons pu vérifier. Très probablement de la même
époque que la casemate que l’on rencontre à moitié par
cours, avec ses passages en chicanes, ses emplacements
pour canons, ses poudrières, citernes, corps de garde, etc.
Le fort de Villefranche comprend trois groupes de
fortifications séparés par d’énormes remparts et ne com
muniquant entre eux que par les petites portes des che
mins de ronde qui font le tour de tout l’ouvrage. Des
bâtiments divers, casernes, magasins, chapelle, prison,
occupaient l’espace libre au milieu de chaque enceinte.
Ce fort représente un gigantesque travail de terrasse-
nient, au nord surtout, où un large fossé a été taillé en
angle dans l’épaisseur de la montagne. Le mur de con
trescarpe, à lui seul, est véritablement monumental : il
est encore percé de plusieurs rangs de meurtrières desser
vies par des cheminements souterrains, coupés de tra-

10
C’est dans cette grotte que Louis Bertrand situe un des
principaux épisodes de son roman V Infante.
Derniers travaux (XVIIIe -XIXe siècles). — A part l’ins
tallation des deux nouvelles portes de France et d’Es
pagne, avec leur pont-levis, dont une partie de la méca
nique est encore en place, les fortifications de Vauban
ne subirent plus que des modifications de détail.
Au fort, on ajouta trois petits bastions aux angles sud
et sud-ouest, une sorte de barbacane ronde pour flanquer
le pont-levis jeté sur le fossé est.
Et un peu partout, semble-t-il, on sema ees petites
échauguettes d’angle — plutôt des guérites — pourtant
généralement attribuées à Vauban, mais dont les plans
en relief ne présentent qu’un exemple à l’éperon du ra-
velin ouest. Malheureusement, cette échauguette n’existe
plus, alors que tous les angles en sont pourvus. Nous en
voyons de rondes, de polygonales, les unes en briques,
les autres en pierres, coiffées tantôt d’un clocheton aigu
et tantôt d’une coupole ; elles reposent ou sur des cor
beaux, comme les bretèches du Moyen Age, ou sur deux
ou trois boudins de pierre.

Architecture civile
La petite cité de Villefranche se compose de deux
longues rues parallèles, orientées d’est en ouest, et dont
la principale, celle du nord, allait d’une porte à l’autre.
Cette rue, au temps de Vauban, était encore barrée par
une tour-porte carrée qui n’existe plus, mais dont té
moignent les plans en relief.
La rue nord ou rue Saint-J eau est reliée au pont Saint-
Pierre par la rue Saint-Pierre ; toutes deux ont eu la
chance de conserver presque toutes leurs maisons an
ciennes (xn e xm e et xiv e siècles). Elles sont du type de
,
la maison romane donnée par Enlart dans son Architec-
ture civile (1). On y retrouve les mêmes ouvertures, tan
tôt en plein cintre ou en arc brisé, tantôt à linteau mono
lithe reposant sur deux corbeaux, tantôt la fenêtre à
double arcature reposant sur
une colonnette. Toutes ces
ouvertures et la plupart des façades sont en bel appa
reil de marbre, finement taillé et joint, extrêmement
patiné.
La rue sud ou
rue Saint-Jacques, devenue rue princi
pale lors de la création de la nouvelle porte de France,
a
été beaucoup plus abîmée
par la modernisation, sou
vent superficielle, des façades. Ont seulement résisté les
quelques maisons avoisinant l’église.
En montant la
rue Saint-Jean, on trouve :
Côté droit :
Maison Vergés :
Au rez-de-chaussée, quatre grandes
arcades soutenues par trois piliers appareillés ; fenêtres à
linteau sur corbeaux ; grand appareil de marbre sur toute
la façade.
Maison Estève François : Petite porte à linteau sur
deux corbeaux dont l’un sert également de chapiteau au
pilier d’une autre porte en plein cintre.
Maison Carrère : Deux portes en plein cintre et deux
fenêtres à colonnette.
Maison Rouquette : Deux portes en arc brisé et une
fenêtre à colonnette ; façade appareillée. Cette maison est
dite « maison de l’Infante », depuis L. Bertrand.
Maison Verges : Vieille échoppe avec son comptoir de
pierre ouvert sur la rue et une double arcade en anse de
panier.
Maison Xens : Deux portes en arc brisé et façade en
hel appareil de marbre jusqu’au niveau du premier étage.
Ea tradition locale attribue cette maison à la famille de
Llar et y place le berceau d’Inès de Llar, la malheureuse
héroïne de l’échec de la conspiration du Confient. Au-

jourd’hui abandonnée et en ruine, cette maison se trouve


en face de l’ancien hôpital (1).

(1) Rappelons le plus brièvement possible ce que fut, à Ville-


franche, la conspiration de 1674.
Le traité des Pyrénées (1659), en ramenant définitivement le
Maison Payré : Une porte et deux fenêtres en plein
cintre.
Maison Pi-Cler : Triple arcature.

Roussillon à la France, le séparait, du même coup de la Catalogue,


dont il laisait partie depuis si longtemps. C’est dire que presque
toute la population, en révolte latente depuis 1651, était hostile
à ce nouvel état de chose, surtout dans les régions
montagneuses.
1 n vaste complot fut bientôt
organisé, ayant pour but de libérer
le Roussillon et, la Cerdagne.
A Villefranche, les principaux chefs étaient Emmanuel Des-
catllar, seigneur de Formiguères, Don Carlos de Banyuls, seigneur
de Nyer, Franscisco de Llar et Jérôme Prats. Ils projetaient de
massacrer la garnison, puis de livrer la ville aux Miquelets, qui
devaient se concentrer nuitamment dans la Cova Bastera. Les
reunions secrètes se tenaient la nuit dans la maison de Llar, où
habitaient : Carlos de Llar,
sa femme, son fils Francesc et ses deux
hiles, Inès et Mancia. Par politique, les officiers français étaient
y
également accueillis avec la plus grande cordialité, entre autres
Louis de Parlan, lieutenant du roi, surtout attiré par la présence
d’Inès, alors âgée de dix-huit ans et d’une grande beauté. Celle-ci,
de son côté, n’était pas insensible aux charmes du bel officier et
les deux jeunes
gens ne tardèrent pas à s’éprendre l’un de l’autre.
Les allées et venues nocturnes de Francesc et de ses amis ne
purent demeurer longtemps ignorées de sa sœur. Ayant surpris la
date et les détails de l’insurrection, Inès, pour sauver la vie de
Louis de Parlan, se décida à le prévenir d’urgence « de prendre
garde à lui ».
Le complot avait, du reste, déjà été éventé par les inévitables
bavardages et rapporté à de Parlan par le zèle opportuniste de
Raphaël Sudre. L’officier, néanmoins, n’y avait guère ajouté foi
jusqu’au moment où Inès lui en confirma la réalité et l’exécution
imminente.
A la vue des mesures de sécurité prises et devant l’échec de leur
projet, les principaux conjurés, dont Francesc de Llar et sa tante,
doua Gracia Villafranca, s’enfuirent en Espagne, provoquant ainsi
des perquisitions. Celle de la maison de Llar fit trouver la liste
des chefs, avec le nombre d’hommes que chacun devait lever.
D’où arrestation d’Emmanuel Descatllar, de Francesc Soler et de
toute la famille de Llar. Soumis à la question, Descatllar avoua
tout et même un peu plus : le vieux Carlos de Llar, dénoncé, et
déjà en butte à la haine du premier consul de Villefranche, Coro-
mina, ennemi acharné des révoltés, subit tous les supplices de la
question : refusant de nier, refusant d’avouer sa connaissance du
complot, refusant de trahir son fils, il fut exécuté par le garrot
sur la place de la Loge.
Quant à Inès de Llar, elle fut libérée et, le cœur déchiré, auteur
mvolontaire du malheur de sa famille dont les biens furent, én
outre, confisqués —
— elle aurait fini par chercher refuge en Es
pagne,avec sa mère et sa sœur.
294 VILLEFRANCHE-DE-CONFLENT

Maison Pi Porte en plein cintre dont les claveaux et


:

piédroits ont été taillés de manière à former aussi l’angle


de la maison.

Côté gauche :
Maison Villanooa : Deux beaux piliers de pierre taillée,
avec corbeaux, portant un linteau de bois. Deux fenêtres
à linteau monolithe sur corbeaux.
Maison Estèoe : Grande porte en plein cintre et petite
porte à linteau monolithe triangulaire, séparées par un
seul pilier de pierre taillée.
Ancien hôpital : Le plus bel immeuble de Villefranche.
Au rez-de-chaussée, quatre belles arcades en plein cintre ;
au premier étage, on voit la trace de trois grandes fenêtres
qui ont été détruites pour faire place à des fenêtres mo
dernes plus petites. Au deuxième étage, le crénelage est
encore parfaitement visible, bien que bouché pour former
un nouvel étage d’habitations. Toute la façade est en
bel appareil de marbre ; l’angle gauche est encore suré
levé d’un étage et forme comme une tour carrée, tandis
que l’angle droit est constitué par un grand beffroi, haut
de cinq ou six étages, couronné d’un mâchicoulis qui a
été détruit par l’établissement d’une toiture, mais dont
il reste tous les corbeaux de pierre. A l’intérieur, le patio
existe toujours, avec ses galeries de bois et son large esca
lier conduisant aux vastes appartements des étages.
Maison Nou : Quatre grandes portes en plein cintre,
fenêtres refaites, patio avec ses galeries de bois, mâchi
coulis au-dessus de la porte d’entrée. Cette maison était
celle des Pascual, vieille famille bourgeoise de Ville-
franche, dont la mère d’Inès de Llar était issue.
Maison March : Deux belles portes en plein cintre et
une à linteau triangulaire ; deux fenêtres en plein cintre
dont une à demi détruite pour l’établissement d’une fe
nêtre à croisillon.
Maison Clotilde Durand : Une porte en plein cintre et
fenêtres à croisillon.
Maison Carol : Vieille échoppe.
Maison Bès ou maison du Génie : Deux portes en plein
cintre, bel appareil sur toute la façade.
Citons encore, au bout de la rue Saint-Pierre, la jolie
petite maison Deixonnes, avec ses trois arcatures en plein
cintre formant porche et ses deux petites fenêtres à lin
teau, F ancien hôtel de ville, sur la placette de l’église,
avec ses trois portes et ses trois fenêtres en plein cintre ;
et, enfin, le grand beffroi municipal, construit en très gros
appareil, presque cyclopéen
— trois monolithes forment
fa porte.

Architecture religieuse
A la demande de l’évêque Artal, le comte Raymond-
Guillem de Cerdagne avait accordé aux habitants de Vil-
lefranche, dans la charte de poblacio de 1089, le droit de
construire une église qui demeurerait sous la dépendance
de Sainte-Marie de Cornella.
La donation de Saint-Jacques de Villefranche à l’église
de Cornella fut confirmée, en 1094, par le testament du
même comte et, en 1097, par son fils, Guillem-Jorda.
L’église était-elle contruite et achevée dès cette
époque? En tout cas, rien, dans l’église actuelle, ne paraît
remonter au xi e siècle, même finissant.
On y distingue cependant la trace de plusieurs rema
niements.
Une première église à nef unique, construite en moyen
appareil de marbre, à laquelle appartient le grand por
tail actuel — dont les chapiteaux sculptés relèvent du
groupe Cuxa-Serrabone — ne semble pas antérieure au
milieu du xu e siècle.
A l’extrême fin du xn e siècle, on perça le mur méridio-
liai de la nef dedeux grandes arcades en plein cintre et.
on la doubla d’une nef beaucoup plus large qui occupa
ainsi l’espace disponible jusqu’au rempart.
A l’occident de cette nef devait s’ouvrir, très proba
blement, la petite porte en plein cintre qui est aujour
d’hui juxtaposée au grand portail.
Dans la seconde moitié du xm e siècle, un nouvel agran
dissement fut jugé nécessaire et se fit, cette fois, au détri
ment des absides : les
nefs furent alors sim
plement prolongées
vers l’est et le chevet
fermé par un mur plat ;
une nouvelle grande
arcade en tiers-point
faisait communiquer
de ce côté les deux
vaisseaux.
D’autre part, au-
dessus de la façade oc
cidentale de l’ancienne
nef fut élevé un massif
clocher carré, de deux
étages, éclairés chacun
par huit grandes baies en arc brisé. Le crénelage à nier
ions pointus pourvus d’un glacis à quatre pans paraît en
reprise et peut dater du xiv e siècle.
Il semble que ces derniers travaux d’agrandissement,
commencés avant 1263, étaient terminés en 1294 (1).
Outre les trois inscriptions funéraires (xiv e siècle) qui
sont encastrées dans le mur de façade près du grand por
tail, l’église renferme encore de nombreuses pierres tom-

(1) Abbé Giralt, Revue historique et littéraire du diocèse de Per


pignan, 1. U, [>. 100; abbé Gazes, Eglise de Villefranche-de-Con-
flent.
VIL L E F R A N C H E - D E - C O N F LE N T

' I

Puig phot.
CLOCHER DE l’ÉGLISE
baies (xme au xvmesiècle), ainsi qu’un intéressant mo
bilier : à signaler particulièrement la très belle statue de
Notre-Dame-du-Bon-Succès (xiv e siècle), en albâtre po-
lychromé, provenant du couvent des Frères Mineurs (1) ;
les stalles du chœur (xv e siècle) ; trois retables des xvi e
,
xvn e et xvm e siècles provenant de la petite église voi
sine de Sant Pere de la Roca ; un Christ gisant en bois
sculpté et peint (xiv e siècle) récemment acquis par
M. l’abbé Gazes, actuel curé de Villefranche.

(1) Ce couvent, une des plus anciennes fondations franciscaines


du pays, fut fondé, antérieurement à 1258, hors les murs et en
amont de Villefranche. Il fut impitoyablement rasé sur l’ordre de
Vauban, pour des raisons stratégiques, que les sentiments pro
espagnols des religieux contribuèrent sans doute à rendre décisives.
L ABBAYE DE SAINT-MICHEL-DE-CUXA
par M. Sylvain STYM-POPPER

L’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa, une des plus cé


lèbres fondations monastiques du sud-ouest de la France,
a bénéficié depuis une trentaine d’années d’un grand
nombre d’études historiques et archéologiques (1). La
présente notice ne peut apporter de nouveauté qu’en ce
qui concerne quelques éléments de sa construction que
les récents travaux de dégagement et de remise en état
de l’église et de ses abords ont permis de mieux connaître.
On ne trouvera donc ci-dessous qu’un résumé succinct
de son histoire et de sa description archéologique.

Historique. — La communauté initiale d’où est issue


celle de Cuxa a été fondée vers 840 à l’Exalade, dans le

Félix Hernandez, San Miguel de Cuxa, iglesia del sigle moza


(1)
rabe catalan, in Archivo espanol de Arte y Arqueologia, VIII, 1932,
p. 157 à 159 ; G. Gaillard, Hypothèses sur le chevet de Saint-Mi
chel-de-Cuxa, Bull, hisp., t. XXXVI, n° 3, Paris-Bordeaux, 1934;
Puig i Cadafalch, L’architecture mozarabe dans les Pyrénées médi
terranéennes : Saint-Michel-de-Cuxa, extraits des Mémoires... de
VAcadémie des Inscriptions, t. XIV, Paris, 1938 ; Fels et R. Louis,
Les édifices carolingiens de Cuxa, Bull, de la Soc. nat. des Antiquaires
de France, 1943-1944, p. 48 à 62 ; Pierre Ponsich, Les origines de
Saint-Michel-de-Cuxa, Saint-André-de-VExalade et Saint-Germain-
de-Cuxa et Les problèmes de Saint-Michel-de-Cuxa d’après les textes
et les fouilles, in Études roussillonnaises, 1952, n° 1-2 ; Ramon
d’Abadal i de Vinyals, Com neix i com creix un gran monestir piri-
nenc abans de Vany mil Eixalada-Cuixa, Abadia de Montserrat,
1954 ; Marcel Durliat, La sculpture romane en Roussillon, 2 e éd.,
Perpignan, s. d., p. 23 à 50 du même, Un chapiteau préroman à
-,

Saint-Michel-de-Cuxa, in Études roussillonnaises, 1952, n° 1-2,


p. 102; du même, La tribune de Saint-Michel-de-Cuxa, Ibid.,
p. 103-112 ; S. Stym-Popper, Les églises carolingiennes de Cuxa,
in Bull, de la Soc. nat. des Antiquaires de France, 1950-1951, p. 91
à 102 ; du même, Découverte d’une chapelle circulaire à Saint-Mi
chel-de-Cuxa, même Bull., 1952-1953, p. 117 à 120.
Confient, sous le vocable de Saint-André (1). Un nou
veau groupe de moines, dirigés par rarchiprêtre Protais,
s’y était agrégé en 854 (2). L’abbaye de l’Exalade, qui
avait été enrichie par de nombreuses donations, fut rui
née à l’automne de 878 par une inondation catastrophique
de la Têt. Les moines survivants furent recueillis par
Protais dans la propriété qu’il possédait depuis 845 à
Cuxa et où une église dédiée à saint Germain d’Auxerre
existait déjà en 873 (3). Après s’être bâti les logements
nécessaires, la communauté s’y fixa définitivement par
un acte de fondation daté du 29 juin 879 (4) et prit le
vocable de Saint-Germain-de-Cuxa. Le vocable complé
mentaire de Saint-Michel n’apparaît que vers 890 (5).
En 937, le comte de Barcelone, Seniofred, fit une dona
tion à l’abbave. Peut-être cet acte de générosité permit-il
d’entreprendre les travaux de reconstruction de l’église
Saint-Germain, qui sera consacrée en juillet 953. Dans
l’acte de consécration, cette église est dite « caput eccle-
siae istius » [caenobiij (6), ce qui peut signifier soit qu’elle
était située à l’est (chevet) du groupe primitif des cha
pelles, soit que Saint-Germain constituait le vocable prin
cipal de l’abbaye. Vincent Pisan, qui a écrit vers la fin du
xv e siècle une histoire de l’abbaye, et la plupart des his
toriens postérieurs, ne connaissant pas d’église de ce vo
cable dans l’enceinte du monastère, ont cru que cette
consécration concernait uniquement la pose de la pre-
înière pierre de l’église Saint-Michel. Mais le document
publié par Baluze est très précis : la solennité eut lieu
« après la construction de ce saint temple (7) ».

(1) R. d’Abadal, o. c., app. I, p. 127.


(2) Ibid., app. 9, p. 132.
(3) Ibid., app. 23, p. 141.
(4) Acte du 29 juin 879. D’Abadal, o. c., app. 61, p. 162.
(5) Marca Hispanica, app. LU, col. 825.
(6) Ibid., app. XC, col. 868-870.
(7) L’église Saint-Germain doit avoir existe au moins jusqu’au
En 975 fut consacrée par sept évêques la nouvelle
église Saint-Michel, dont la reconstruction avait duré
vingt ans. L’acte de consécration (1) indique que la nou
velle église en remplaçait une autre, devenue trop petite
pour contenir la foule des fidèles, et qu’elle avait été
bâtie « en un lieu idoine » doute
— ce qui signifie sans
« ailleurs que la précédente », ou encore « sur le point le
plus élevé du terrain ».
L église Saint-Michel, beaucoup plus importante et plus
belle que celle de Saint-Germain, finit par l’éclipser et
le monastère
passa rapidement sous le seul vocable de
1 Archange. On compte peu d’exceptions à cette nouvelle
appellation : une en 979, une en 987, une autre en 995 et
la dernière dans Ja bulle de Serge IV, en 1011.
Un document très important, connu sous le nom de
« lettre du moine Garcias à Oliba, évêque de Vich, abbé
de Ripoll et de Cuxa », et daté de 1040 par Baluze, nous
fournit des renseignements complémentaires sur l’his
toire de ces constructions, sur le nombre extraordinaire
des reliques conservées dans l’église et sur les travaux
d’embellissement et d’agrandissement accomplis par le
destinataire de la lettre (2).
L’église dont Garcias écrit l’histoire est celle dédiée à
saint Michel. L’épistolier nous apprend qu’elle a été fon
dée sur des moellons et des pierres de taille et que, « lors
qu’elle eut atteint 33 coudées de long et environ 40 palmes
de large »
— soit environ les dimensions de la moitié de
l’actuelle nef — l’abbé Pons, son constructeur, « éleva
les arcs ». Cet abbé mourut en 958 et fut remplacé par
Garin, un des grands abbés de la seconde moitié du
x e siècle, qui dirigeait déjà d’autres monastères et semble

xve siècle. Voir notule de Jean Roure datée de 1425 dans le Cartu-
laire d’H. Alart, p. 539, aux Arch. dép. des Pyrénées-Orientales.
(1) Marca Hispanica, app. CXIX, col. 909-911.
(2) Ibid., col. 1072-1082.
avoir eu des relations avec Cluny (1). Le nouvel abbé
reprit activement les travaux, « éleva les murs à une
grande hauteur » et couvrit l’édifice d’une charpente bril
lamment décorée. Il érigea un riche autel porté par des
colonnes en marbre de couleur et renferma de précieuses
reliques dans son soubassement.
Une partie des objets précieux et des reliques avaient
sans doute été apportés par Garin de ses voyages en Ita
lie et en Terre Sainte. D’autres provenaient du trésor
apporté par l’ancien doge de Venise, Pierre Orséolo, réfu
gié à Cuxa, où il mourut en odeur de sainteté. Grâce à
Garin, saint Romuald, futur fondateur des Camaldules,
avait, lui aussi, vécu quelques années à proximité de
Cuxa.
Un incendie, dont nous ignorons et la date exacte et la
cause, ravagea l’édifice entre la fin du x e siècle et le
milieu du xi e
.
Oliba, fils et frère des comtes de Cerdagne, abbé de
Cuxa en 1011, était déjà abbé de Ripoll, où il consacra
une nouvelle église en 1032. Il fut sacré en outre évêque
de Vich (ou Ausone). L’abbé Oliba entreprit à Cuxa de
grands travaux que Garcias énumère dans un texte si
confus qu’il n’est pas encore parfaitement élucidé, mal
gré les nombreuses études dont il a fait l’objet.
Garcias nous apprend qu’Oliba éleva un ciborium au-
dessus de l’autel de Saint-Michel, puis agrandit l’église
en arrière de ce dernier. A l’opposé, sur le terrain situé
à l’ouest et en contre-bas de l’église, il construisit une
crypte dans laquelle une chapelle voûtée, dite « de la
Crèche », fut consacrée comme église de la Vierge. Deux
chapelles, dédiées aux archanges Gabriel et Raphaël, en
cadraient cette dernière. L’identification de la chapelle
de la Crèche est confirmée par une donation de 1068, qui

(1) R. d’Abadal, o. c., p. 85-89.


la nomme confession (1) », ainsi que par une notice du
«
dominicain espagnol Narciso Camés, publiée en 1657 (2).
Au-dessus de cette crypte, Oliba construisit un ora
toire « d’un ouvrage admirable » et le dédia à la Trinité (3).
Des escaliers permettaient visiteurs d’admirer l’au
aux
tel de l’oratoire. Des galeries latérales, bâties en prolon
gement des bas-côtés de l’église Saint-Michel, flanquaient
le nouveau sanctuaire. Une
cour, ou atrium, fut ménagée
entre l’abside de la Trinité et la façade occidentale de la
grande église (4). Enfin, bien que le texte de Gardas ne
le signale
pas, il est probable qu’Oliba érigea les deux
clochers qui surmontaient les extrémités du transept et
dont un seul subsiste.
Les abbés qui ont succédé à Oliba n’ont guère laissé
de traces identifiables dans les constructions du monas
tère. Peut-être doit-on le cloître à l’abbé Grégoire, qui
devint plus tard évêque de Tarragone. César Borgia et
Jules de Médicis, futur pape Clément VII, ont été abbés
de Saint-Michel-de-Cuxa, mais ce ne fut qu’un accident
dans leur brillante existence.
Bien qu’aucun document ne nous donne de précisions
sur les travaux réalisés après la mort d’Oliba, nous pou
vons en établir une chronologie approximative. Le cloître
a dû être créé vers le milieu du xn e siècle. Une tribune

(1) Fondation de luminaire « in confessione ante altare sancte


Mariae », fonds Moreau, t. XXIX, fol. 162, le 14 mars 1068, d’après
P. Ponsich, o. c., p. 39, n. 46.
(2) Narcisso Camés, Jardin de Maria... en Catalunya, 2 e éd.,
Gérone, 1772, p. 340.
(3) Cf. la construction d’une église de la Trinité au-dessus de
celle de la Vierge, par Guillaume de Volpiano, à Dijon. Mortet,
Recueil de textes, Paris, 1911, p. 29.
(4) La composition architecturale du nouvel ensemble rappelle
celles d’Aquilée et de Parenzo, qui remonteraient au vi e siècle.
L’influence lombarde dans l’architecture des Pyrénées-Orientales
après l’an mille a été récemment démontrée par M. Marcel Durliat
dans une communication, encore inédite, à la Société nationale des
Antiquaires.
en marbre, analogue à celle de Serrabone, érigée vers la
même époque, nous est connue par des fragments et par
les fondations de deux piliers récemment retrouvées dans
la partie occidentale de la nef (1).
Entre la fin du xiv e siècle et le début du xvi e on pro
,
jeta de remplacer par des voûtes sur croisées d’ogives
l’ancienne charpente apparente. Le travail, entièrement
réalisé au-dessus du chevet, ne semble pas l’avoir été au
droit de la nef, où l’on se contenta de poser un chevron
nage apparent sur les arcs transversaux transformés en
diaphragmes. Une décoration blanche et noire fut substi
tuée aux anciennes peintures murales —- démodées ou
décrépites. Vers la même époque, les édifices cultuels
surmontant la crypte disparurent et furent remplacés
par des bâtiments d’habitation. A la fin du xvn e siècle
ou au début du xvm e , les bas-côtés furent divisés en
autant de chapelles qu’il y avait de grandes arcades et
la décoration fut rajeunie. Le Voyage pittoresque de la
France, paru en 1787 (2), nous apprend, en effet, que
l’église « est bien décorée ». Soixante ans plus tôt, le Mo-
nasticon gallicanum la disait « ni ancienne, ni belle (3) ».
Les moines quittèrent l’abbaye en 1791. Quelques se
maines plus tard, elle était vendue comme bien national.
La tradition locale veut que les populations des com
munes voisines l’aient entièrement saccagée en 1793. Des
descriptions fragmentaires (4) et des gravures donnent la
triste histoire de ce monument au cours du xix e siècle.

(1) Des éléments de l’ancienne tribune subsistent à Cuxa, où


ils décorent l’arc de la porte de l’église vers le cloître (ils enca
draient antérieurement la porte du logis abbatial) ; un assez grand
nombre de fragments sont conservés au Musée Métropolitain de
New-York, annexe « Cloisters ».
(2) Paris, 1787, t. Y.
(3) Paris, 1726, t. II, p. 542.
(4) Par exemple, A. Julia, Saint-Michel-de-Cuxa, in Bull. Soc.
philomatique de Perpignan, 1835, 2 e partie; E. Delamont, Hist. de
la aille de Brades..., Perpignan, 1878 ; rapport de A. Leclerc, ins-
Dès 1835, le toit était partiellement effondré.
de l’église
Dne tempête
renversa le clocher nord pendant 1"hiver de
1838-1839. Les colonnes du cloître, de la galerie exté
rieure du parvis et du portique d’entrée furent enlevées
par des « amateurs » tout au long du xix e siècle et pen
dant les premières années du xx e Certaines ont été em
.
portées en Amérique, d’autres ont été dispersées dans les
environs de Cuxa, où elles ont pu être inventoriées. La
plupart de ces dernières ont été rendues à l’abbaye.
Passée de mains
en mains comme métairie, l’ancienne
abbaye fut, enfin, réoccupée
en 1919 par une commu
nauté de moines cisterciens de la Congrégation de Lérins.
Grâce à elle,
ces lieux ont enfin retrouvé leur signification
et, dès lors, il a paru opportun à l’État et au départe
ment des Pyrénées-Orientales de faire l’effort financier
nécessaire pour leur rendre progressivement sinon leur
aspect initial, qui reste hypothétique, du moins la possi
bilité de renouer avec leur vie traditionnelle.

Description. — Les constructions subsistantes de l’an


cienne abbaye comprennent, d’une part, le groupe des
églises, composé d’une église haute, que la tradition dé
signe sous le nom de Saint-Michel, et d’une vaste crypte
située en contre-bas et à l’ouest de celle-ci. Au-dessus de
la crypte se trouvent les ruines de la chapelle de la Tri
nité. D’autre part, les restes défigurés de constructions
du Moyen Age et le cloître, situés au nord des églises.
Deux galeries du cloître ont été récemment recomposées
à l’aide d’éléments récupérés (1). Enfin, à 50 mètres
au
nord-est du cloître s’élève l’ancien logis abbatial, dont la

Pecteur général des Bâtiments civils (Archives des Monuments


historiques; Taylor et Nodier, Voyages pittoresques, Languedoc,
Pc 160).
0) fies éléments présentés dans le cloître avaient déjà été inven-
° n és, authentifiés et publiés Marcel Durliat. Voir Sculpture
romane en Roussillon, par
p. 34-39.
Congrès du Roussillon. 20
Slym-Popper tlcl.
PI. A N
quatre campagnes distinctes. À la première, antérieure
à Tan mille, caractérisée
par l’appareil en petits moellons
éclatés, les chaînes d’angle et les piliers en grands blocs
de granit posés
sur champ et par les arcs outrepassés
construits en tas de charge sur plus des deux tiers de leur
hauteur, appartiennent la nef et
ses collatéraux, le tran-
le soubassement taluté dont on l’a revêtu vers le
xvi e siècle), c’est-à-dire les parties de l’église dues aux
travaux de l’abbé Oliba (1011-1047). Les arcs-diaphragme
à rouleau en marbre qui supportent la couverture de la
nef (1) et les voûtes d’ogives du chevet appartiennent
à une campagne beaucoup plus récente. Enfin, la cha
pelle d’axe, bâtie sur l’emplacement d'une absidiole du
xi e siècle, a dû être construite dans la seconde moitié du
xvi e siècle pour être substituée à l’ancienne église de la
Vierge.
Le plan de l’église préromane de Cuxa, les proportions
de ses arcs outrepassés et l’emploi du grand appareil
comme revêtement de leurs jambages ont été attribués
à l’influence directe de l’art mozarabe (2).
La nef, communiquant avec ses collatéraux par des
arcades percées dans un gros mur et débordant vers
l’ouest, reproduit presque exactement le plan de l’église
de Lourosa (Portugal), que les archéologues espagnols
rattachent à l’art califal (3), mais qui pourrait aussi bien
s’affilier à l’architecture de San Juan de Banos, datée du
vn e siècle (4).
L’inégalité des proportions des arcs outrepassés de
Cuxa, dont le surhaussement varie de 1 /4 de rayon (arc
du croisillon nord) à 3/5 de rayon (ancienne porte sud),
la diversité de grandeur des blocs dont sont revêtus leurs
jambages empêchent d’y reconnaître d’une manière cer
taine un emprunt à l’art rigoureux des Andalous du
x e siècle.

trois arcs de la partie occidentale ont été reconstruits


(1) Les
en 1950, lors du rétablissement de la couverture de l’église.
(2) Cf. Félix Hernandez, o. c., ci-dessus, p. 299, n. 1, et Puig- i
Cadafalch, o. c., ibid.
(3) Notamment Manuel Gomez-Moreno, El arte arabe espanol
hasta los Almohades, Ars Iiispaniae, t. III, Madrid, 1951, p. 358-
364.
(4) Cf. Helmut Sc.hlunk, Arte visigodo, Ars Hispaniae, t. II, Ma
drid, 1947, p. 275.
11 déjà été observé (1.) que le plan initial de l’église
a
Saint-Michel était différent de celui qui a été finalement
exécuté. En particulier, les traces de peinture à l’ocre

rouge retrouvées sur le mur oriental du transept, derrière


les piliers des
arcs des croisillons, montrent que les murs
latéraux de la nef devaient primitivement s’arrêter avant

(1) St.yrn-Popper, o. c., p. 96.


la croisée. Et, comme ces murs ne sont pas parallèles à
ceux extérieurs des collatéraux, on peut se demander si
ces derniers n’ont pas été bâtis pour envelopper une
église existante qui aurait été détruite plus tard pour être
remplacée par l’actuelle nef. L’acte de consécration de
l’église Saint-Michel en 975 ne contredit pas cette im
pression, mais les sondages récemment exécutés dans la
nef n’ont révélé aucune trace certaine d’une construction
antérieure.
On ne sait rien de précis sur la forme du toit primitif

PORTE SUU

Stym-Popper del.

de l’église. Les murs goutterots ont été surélevés au


xi e siècle, mais la hauteur et les pentes du pignon occi
dental ne semblent pas avoir changé depuis l’origine, une
fenêtre à arc outrepassé étant percée tout près de sa
pointe.
Les collatéraux, primitivement très bas, ont été suré
levés au xi e siècle et voûtés plus tard d’un demi-berceau.
La construction de voûtes du même type au-dessus de
la galerie contournant le chevet a entraîné le bouchement
de ses fenêtres latérales.
Les restes sommaires d’une mouluration, reconnais-
sables au pilier sud-est de la croisée, et quelques traces
de losanges peints à l’ocre
rouge sur fond blanc sont les
seuls vestiges de la décoration de l’église du e siècle.
x
Au xi e siècle, ou au début du xn e siècle, après la suré
lévation des murs goutterots de la nef, un décor peint a
dû couvrir tous les murs. Il en reste des éléments dans
les ébrasements des fenêtres du chevet et de la nef (1).
D’autres vestiges en ont été découverts derrière les
arcs-diaphragme et dans les trous de boulins des murs
goutterots de la nef, où des débris de cet enduit peint
servaient de bourrage. La gamme de couleurs comprend
l’ocre jaune, le bleu, le vert, le rouge et le blanc.
Rien ne subsiste du décor primitif des bas-côtés. Lors
qu’on les divisa en petites chapelles (2), leurs murs et
leurs voûtes étaient revêtus d’un enduit peint en blanc
avec figuration d’un faux appareil noir. Ce même camaïeu
noir et blanc fut substitué aux peintures de la nef lors
de la création des arcs-diaphragme.
L’ancien retable en bois doré du maître-autel ainsi que
la cuve baptismale ont été transportés dans l’église de
Prades.
La crypte, adossée au soubassement de la façade de
l’église haute, prolonge cet édifice vers l’ouest. Cons
truite par l’abbé Oliba, elle présente les caractères de
l’architecture d’influence lombarde par son petit appa
reil assez régulier et par ses voûtes. Moulée sur la pente
du terrain, la crypte comprend plusieurs niveaux. La
chapelle de la Crèche, de plan circulaire, voûtée d’un ber
ceau annulaire retombant sur un pilier central, occupe le

(1) Sur la première découverte des peintures de l’église, voir


Puig i Cadafalch, Peintures murales dans l’église mozarabe de Saint-
Michel-de-Cuxa. Pour leur date, voir Paul Deschamps et Marc Thi-
bout, La peinture murale en France. Le Haut Moyen Age et l’époque
romane, Paris, 1951, p. 60, et Marcel Durliat, Arts anciens du Hous-
sillon. La peinture, Perpignan, 1954, p. 15.
(2) Voir ci-dessus, p. 304.
centre du niveau inférieur. Les galeries qui la bordent
sur les côtés sud, est et nord sont voûtées en berceaux
sur doubleaux. La galerie ouest, qui supportait un per
ron de toute la largeur de la crypte, est couverte d’un
demi-berceau. Alors que ces galeries latérales s’éclairent
directement sur l’extérieur, la chapelle centrale, totale
ment obscure, ne possède que des sortes de gaines d’aéra-

Cl. Areh. phot.


LE CLOÎTRE

tion qui débouchent dans le sol des constructions supé


rieures.
L’étage supérieur comprenait une chapelle de plan cen
tral, inscrite dans un massif carré et formée de trois
courbes de rayon différent alignées sur le même axe est-
ouest (1). Assez exactement superposée à l’église de la

(1) Description de cette chapelle par S. Stym-Popper, Bull, de


la Soc. nat. des Antiquaires, 1952-1953, p. 117 et suiv.
Crèche, cette chapelle, dont les parties basses ont été
découvertes en 1951 et qui semble avoir servi pour des
expositions de reliques, correspond à l’oratoire de la Tri-
Trinité s’alignaient sur les bas-côtés de l’église
haute. La
dernière travée de la galerie nord sert actuellement de
porche à cette église.
La façade sud de la crypte et de son étage supérieur
est. ornée de pilastres que des areatlires devaient sans
doute réunir au sommet du mur.
Des tombes ont. été découvertes tout autour de la
crypte.
Le cloître. L’aire du cloître de Saint-Miehel-de-Cuxa a
dû être créée vers le milieu du xn e siècle au prix d’un
vaste nivellement du terrain qui a entraîné le déchausse
ment partiel de la façade nord de l’église.
M. Marcel Durliat a consacré une très importante étude
aux chapiteaux en marbre qui ornaient de leurs vigou
reuses sculptures les quatre galeries du cloître. Une
grande et belle vasque servant de lavabo occupait le
centre de l’enclos (1). On a vu plus haut que ce cloître
avait été complètement dépecé au cours du xix e siècle.
Depuis quelques années, des efforts conjugués ayant per
mis d’en récupérer un assez grand nombre d’éléments,
le Service des Monuments historiques en a remonté une
partie sur l’emplacement des anciennes galeries.
L’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa formant l’ensemble
le plus représentatif de l’architecture de la France méri
dionale aux x e et xi e siècles, son église, son clocher et
sa crypte jouissaient depuis longtemps d’une juste célé
brité. L’intérêt du monument a sans doute été rehaussé
tant par la découverte du plan si original de la chapelle
de la Trinité que par le regroupement d’éléments de l’an
cien cloître et de la tribune qui forment un des plus beaux
exemples de la sculpture du xn e siècle en Roussillon.

(1) Cette vasque se trouve actuellement dans une propriété pri


vée à Eze (Alpes-Maritimes).
LE « MONESTIR DEL CAMP >»

par M. Pierre PONSICH

La légende et l’histoire
Le «
Monestir del Camp », comme d’autres vieux sanc
tuaires du Roussillon, a sa légende, légende toujours vi
vante, dont la tradition se maintient encore dans les
foyers paysans de la contrée.
Charlemagne l’aurait fondé, dit-on, à la suite d’une
victoire sur les Maures. Ayant poursuivi et attaqué ces
derniers sur le plateau de Passa, son armée, accablée
par le soleil et la soif dans la sécheresse de YAspre, put
se désaltérer et écraser les Infidèles grâce à une source
miraculeuse qui apparut à propos dans le proche ravin.
L’empereur, dont la prière avait été exaucée, fit bâtir
sur le champ de bataille (campus, camp) une église qu’il
dédia à Notre-Dame-de-la-Victoire. Le torrent voisin
s’appelle encore « el Riu del Miracle » (rivière du Miracle).
Par la suite, un monastère se constitua à côté de l’église,
sous le nom de Sainte-Marie del Camp. Cette primitive
église aurait abrité une de nos vierges les plus célèbres,
que Charlemagne aurait fait porter dans la bataille. En
terrée dans un bois lors du retour offensif des Arabes,
réinventée plus tard par un berger à la recherche d’une
brebis perdue, elle fut transportée dans l’église de Thuir,
où elle est encore aujourd’hui vénérée sous le nom de
« Nostra Senyora de la Victoria ».
Nos historiens ont unanimement rejeté ce récit, ma
nifestement légendaire, sans trop se préoccuper de savoir
s d ne contenait pas cependant quelque parcelle de vé-
rite. Quant nous, il nous coûtera peu de nous en. tenir
à

aux seules données historiques, du reste parfois obscur


cies jusqu’ici par quelques erreurs d’interprétation (1).
Le 18 août 1110, un jugement met fin au profit de
l’église d’Elne à une contestation concernant « l’église
de Sainte-Marie del Camp », contestation qui s’était éle
vée entre l’évêque d’Elne, Artau II (1087-1096), et le
fondateur et premier abbé de Sainte-Marie de Vilaber-
tran, Pierre Kigali (y avant 1107). Ce dernier avait pré
tendu à la juridiction sur Sainte-Marie del Camp, en
vertu d’une donation écrite de Raimond-Guillem de
Rocaberti. Mais l’évêque Artau avait produit de nom
breux témoins affirmant l’existence d’une donation anté
rieure, laite à l’église d’Elne par le même Raimond-Guil-
lem. Pierre Rigall, jugeant alors inutile de recevoir les
serments des témoins, avait simplement abandonné sa
revendication, que son successeur, l’abbé Arnau (1107-
1115), avait cru devoir reprendre. D’où le jugement de
1110, confirmant la possession de l’église d’Elne.
Or, les témoignages recueillis avaient établi que la
première donation avait eu lieu « entre les mains du sei
gneur Raimond-Hugue, évêque, qui reçut cette petite

(1) La première étude historique relative au Monestir est due


à J.-B. Renard de Saint-Malo et parut dans le Publicateur des
Pyrénées-Orientales, 1833, n° 11, et 1837, n os 31 et 32. Cet auteur
demeure le seul qui ait travaillé directement sur les documents
originaux, de sorte que les travaux postérieurs n’ont guère apporté
du nouveau sur l’histoire du prieuré.
Signalons la Notice historique sur le Monestir del Camp, de l’abbé
J. Gibrat, parue dans l’Alliance, journal de Ceret et des Pyrénées-
Orientales, 1904 ; une plaquette (même titre) de G. Marceille, Tou
louse, 1938 ; Histoire de Languedoc, éd. Privât, t. IV, Note 153,
p. 792-793.
Voir aussi A. Brutails, Notes sur l’art religieux en Roussillon,
:
passim ; E. Mourrut et J. Falaize, L’art roman en Roussillon, Per
pignan, 1932, p. 43-46.
Les inscriptions du Monestir ont été étudiées par L. de Bonne-
foy, Épigraphie roussillonnaise, extr. de la Soc. agr., scient, et lit.
des Pyrénées-Orientales, 1868, p. 148-154.
église, la réédifia et la confia
pour la régir à un sien clerc,
nommé Henri, qui devait vivre
y sans biens propres (1) ».
L évêque Raimond I er ayant gouverné le siège cl’Elne
,
entre 1064 et 1087, il ressort de document
ce :
1° qu’une « petite église » existait en ces lieux anté
rieurement, laquelle fit l’objet de la donation de Rai-
mond-Guillem ;
2° qu’elle fut réédifiée entre 1064 et 1087 ;
3° qu’elle fut alors confiée à un clerc qui devait y
mener la vie monastique.
Le clerc Henri y dirigeait-il, dès lors, une commu
nauté? Quoi qu’on ait prétendu, rien ne le dit dans ce
texte. Et il se pourrait même que Pierre Rigall ne fût
pas tout à fait étranger à la constitution de la commu
nauté augustine de Sainte-Marie del Camp.
Ce pieux et entreprenant personnage, originaire du
comté de Peralada, avait fondé, dès 1069, la commu
nauté de chanoines augustins de Sainte-Marie de Vila-
bertran, tout près de Peralada, fief des Rocaberti. A
partir de 1080, il avait commencé à reconstruire son
église sur un plan grandiose, et celle-ci, achevée et con-

(1) Ce jugement est signalé par Renard de Saint-Malo et, à sa


suite, par les autres auteurs. Mais, soit inadvertance, soit que
Saint-Malo ne l’ait connu que par une analyse fautive, on en a
donné jusqu’ici une date et une version erronées. Ce document du
Cartulaire d’Elne, copié par F. de Fossa, est aujourd’hui à la Bibl.
nat., fonds Moreau, vol. XLV, fol. 11. 11 est daté : « XV kal. sep-
tembris anno III regni Ludovici regis » et remonte bien, par consé
quent, au 18 août 1110 (et non pas à 1118). Enfin, et surtout,
c’est à l’évêque Raimond-Hugue, prédécesseur d’Artau II, et non
pas à ce dernier, que Raimond-Guillemde Rocaberti donna 1 ’eccle-
siola de Sainte-Marie del Camp : « donum quod praefatus Raymun-
dus Guillelmi inde jecerit. Elenensis sedis ecclesiae, in manu domni
Raymundi Hugonis episcopi, qui de manu ipsius ipsam ecclesiolam
accepit et reaedificavit et disponendam cuidam suo clerico nomine
Eienrico, quem ibi sine proprio vivere statuit, commisit ».
La famille vicomtale des Rocaberti, originaire du comté de
Peralada, fut très puissante en Empories et Besalu à partir du
xi e siècle. Au xiv e siècle elle ajoutera à ses vastes domaines l’im-
Portante baronnie de Cabrens, en Yallespir.
sacrée en l’an 1100, grâce au patronage de cette puis
sante famille, fut érigée en abbaye sous la direction de
son fondateur (1).
La donation écrite de Sainte-Marie del Camp, que lui
fitson protecteur Raimond-Guillem de Rocaberti, serait,
selon Monsalvatge, du 19 février 1090, soit de la période
où l’œuvre de Yilabertran connaissait son plein essor.
Il n’en est que plus curieux de constater que Pierre
Riga 11 y était qualifié, d’après le P. Florez, de « chanoine
régulier de Saint-Pierre de Passa », église immédiate
ment voisine du Monestir, mais dont il n’existe pas
d’autre mention comme prieuré.
On peut donc légitimement se demander si Pierre
Rigall n’y aurait pas, dès lors, fondé ou formé le projet
de fonder une nouvelle communauté augustine, suivant
le processus qui venait de lui réussir à Vilabertran : là,
il avait, en effet, commencé à desservir seul la petite
église de Sainte-Marie, vivant suivant la règle de saint
Augustin, jusqu’au moment où l’exemple de sa piété
lui avait attiré, en 1069, la donation du sanctuaire et
d’un important alleu, point de départ du nouveau mo
nastère.
Ce projet devint-il un moment une réalité et y eut-il,
à partir de 1090, transfert à Sainte-Marie del Camp?
Nous manquons d’éléments pour répondre catégorique
ment à cette question, mais nous noterons que, dans ce
cas, ce serait Pierre Rigall qui aurait reçu, le 28 août
1093, la donation faite « au monastère del Camp » par
Berenguer de Rocaberti, abbé de Saint-Félix de Gérone
et frère du vicomte Raimond-Guillem, d’un mas et de
quelques bordes du territoire de Passa, ayant appartenu
à Guillem Dalmau de Rocaberti. Interprétation d’au
tant plus vraisemblable que ce même Berenguer avait
(1) P. Florez, Espana Sagrada, t. XLV, ab. de Vilabertran.
participé avec son frère à l’acte de donation de Sainte-
Marie del Camp
en 1090 (1).
Ajoutons que Pierre Rigall, dans
son zèle de fonda
teur, paraît avoir déployé
en ce temps-là une activité
quelque peu envahissante, du moins au gré des évêques
de la région c’est ainsi
: que, vers les années 1090-1098,
il s’attirait une sévère admonestation de Berenguer,
évêque d’Ausone, qui le sommait de rejoindre
« sa propre
église de Yilabertran » et de déguerpir celle de Saint-
•Jean (de les Abadesses), où il avait pris également le
titre de prieur (2).
Quoi qu’il
en soit de ces obscurs commencements,
c’est un fait
que l’existence d’une communauté de cha
noines augustins à Sainte-Marie del Camp est attestée
d’une manière certaine à partir de 1116 : le 24 août de
cette année, nous voyons, en effet, Raimond, « prieur del
Camp », contresigner l’acte de consécration de l’église
voisine de Saint-Nazaire de Tordères, dépendance de
l’abbaye d’Arles (3).
En 1148, sous Pons, prieur, le Monestir comptait des

L’indication donnée par Monsalvatge (Obispado de Elna, IV,


(1)
P- 117) sur la date de la donation de 1090 s’éclaire d’un jour nou-
v eau si on la recoupe avec ce passage du P. Florez (op. cit., ab. de
Saint-Félix de Gérone, p. 86) « Berengario Guillermi, hiio de Guil-
:
lermo, vizconde de Rocaberti, hermano de Ramon Guillermo,
y
vizconde tambien, era abad de San Félix en el ano de 1090, segun
consta de uua donacion heclia a Pedro Rigald, canonigo regular
en San Pedro de Paeiano, condado de Rosellon. »
La donation de 1093 n’est connue que par une mention de Pui-
gnau, notaire du xvn c siècle, relevée par Alart, Cart. manuscrit,
V °L I A, p. 429. Les lignes citées plus haut du P. Florez montrent,
*1
autre part, que Berenguer, le donateur de 1093, (que Puignau a
pi'is pour le « vicomte de Rocaberti », était
ï'elix son frère, abbé de Saint-
de Gerone.
(2) «Monemus ut Petrus Rigualli qui habet suam ccclesiam di-
>u issatn et ecclesiam Sancti Johannis sub prioraticu acceptam, ut
...
y&ertatur ad suam propriam ecclesiam Sanctae Marine Villaber-
Si vero contemptor extiterit, interdicimus eum ab omni divi.no
°tJicio et ab introitu ecclesiae (Villanueva, Viage Literario,
p » t. XV,
- ; cf. aussi Ibid., t. VI, p. 212).
'A) Marca, Ap. 357.
clercs et des convers. En 1163, une bulle d’Alexandre III,
obtenue par le même prieur, donne la liste de ses princi
pales possessions, dues surtout aux libéralités des évêques
d’Elne, Ermengaud (1097-1109), Pierre-Bernard (1113-
1129) et Udalgar de Castellnou (1130-1147) : le second
lui avait donné l’église de Sainte-Marie du Vilar de Gen-
non (ou de Revnés) et le troisième celles de Saint-Pierre
de Passa, avec son annexe de Saint-Estève des Vignes,
de Saint-Martin de Llauro et Sainte-Marie de Vilar-
milar (1).
Dès lors, le petit monastère connut une relative pros
périté, comme en témoignent de nombreuses donations
et transactions diverses, échelonnées au long des xn e ,
xm e et xiv e siècles.
Le 10 octobre 1352, une sentence attribue au prieur
du Monestir del Camp la juridiction civile du lieu de
Passa. Le 17 mai 1394, le roi Jean d’Aragon lui vend
tous ses droits sur le lieu même du Monestir. Le 8 oc
tobre 1399, nous voyons Guillem Capella, prieur, nom
mer un certain Francesc Cirera capitaine du château et
lieu de Passa.
La décadence du monastère de! Camp paraît avoir
commencé dès le xv e siècle, en coïncidence, du reste,
avec le déclin général de la prospérité roussillonnaise :
en 1400 et 1428, il ne compte plus que deux chanoines,
contre six en 1212 et 1248. Aussi, le 14 juillet de cette
même année 1428, l’évêque d’Elne, pour compenser
l’amenuisement de ses revenus, unit au prieuré del
Camp celui de Sainte-Madeleine de Fontclara.
En 1484, sous la domination française, les chanoines
del Camp élurent le parisien Charles de Martigny,
évêque d’Elne, à la succession du prieur Pierre Renart,
avec le titre d’administrateur perpétuel. A sa mort en

(1) Marca, Ap. 438.


1493 et bien
que le Roussillon soit cette même année
rétrocédé à l’Aragon,
ce titre passe à Renaud de Marti-
gny, sans doute son neveu, fds d’Isabelle de Corbera, qui
administre
encore le prieuré en 1510 (1). Cette période
parait avoir été marquée par un certain regain du mo
nastère qui, en 1520, comptait, outre le prieur, le camé-
ri er, l’infirmier et trois chanoines.
en 1592 par la bulle de Clément VIII, ainsi
Sécularisé
que tous les monastères augustins, le Monestir del Camp
ne connut plus désormais que des prieurs commenda-
taires, souvent chanoines de Tarragone ou même cardi
naux romains.
Au xvn e siècle, le prieur del Camp nommait le batlle
des lieux de Passa, Vilamulaca et du Monestir.
En 1695, le prieur est Joseph de la Trémoille, abbé de
Noirmoutiers et auditeur de rote. Désormais, un seul
chanoine dessert l’église de Sainte-Marie, jusqu’à ce
que ce dernier canonicat soit supprimé, en 1786, par
M. d’Agay, évêque d’Elne.
A la Révolution, les derniers biens tenus en directe
par le monastère furent achetés par la famille Jaubert,
de Passa, déjà maîtresse d’un domaine étendu. En 1794,
le Monestir fut transformé
en hôpital militaire et subit
alors, paraît-il, diverses dégradations,
que François Jau-
dert de Passa, l’ami de Mérimée, s’efforça de réparer
au siècle suivant. Il fut classé monument
de son mieux
historique 1862.
en

L’église
Les édifices du monastère comprennent encore l’église,
flanquée
au midi d’un charmant petit cloître, autour
duquel sont disposés les divers bâtiments conventuels.
E église, à nef unique
et abside semi-circulaire, pré-
U) Ant et Frcs Masdemont, not.
.
Co
sente une voûte en berceau brisé, supportée par des arcs
latéraux, faisant ofïice de contreforts intérieurs.
Ce système, dont nous connaissons dans la région des
exemples nettement préromans, a été employé plus fré-

I’. Ponsich dir. ol del.


PLAN

quemment encore, à partir du xt e siècle, quand il s’est


agi de voûter des nefs uniques auparavant couvertes
d’une charpente : ainsi évitait-on de démolir les anciens
murs, trop minces par eux-mêmes pour soutenir le poids
d’une voûte. Toutefois, ce même parti a été également
choisi pour le voûtement de nefs romanes élevées d’un
seul jet, non seulement en vertu d’une tradition bien
antérieure, mais aussi
sans doute parce que, grâce à la
moindre épaisseur des murs latéraux, il permettait
une
notable économie de maçonnerie et de main-d’œuvre.
La fenêtre absidale, murée
et donnant aujourd’hui à
intérieur de bâtiments postérieurs,
est cependant encore
1

visible : elle est à double ébrasement


à ressauts et
comporte extérieurement deux simples voussures de
grès appareillé, matériau également utilisé
pour les
angles de la nef.
Nous
nous sommes assuré que l’église, actuellement
défigurée
par des enduits plus ou moins lépreux, est tout
entière construite
en galets de rivière. Au mur nord de
la nef, à l’extérieur de l’abside
et sur le parement des
piliers subsistent,
en parfait état, grâce à leur extrême
dureté, les joints primitifs, dessinés
en creux à la pointe
de la truelle,
en manière de « faux appareil ».
en Roussillon, Confient et Val-
Ce procédé, classique
lespir, observé
par nous dans diverses églises bien datées,
à partir de 1040 environ et jusqu’à la fin du
xi e siècle (i),
concorde ici avec les autres caractères de la nef. Notre
conclusion est qu’il ne reste rien, apparemment, de
1 ecclesiola
primitive, mais que, par contre, nous avons
bien là,
pour l’essentiel, l’église élevée par l’évêque Rai
mond-1 fugue entre les années 1064 et 1087.
Nos sondages ont d’ailleurs révélé une reprise impor
tante du mur méridional de la nef, faite au siècle sui-

(1) Citons
: à
Cuxa, l’église de la Trinité (1040), superposée à
(‘<dle fie Sainte-Marie ou du Pessebre, par l’abbé Oliba ; à Saint-
Martin du Canigou, le clocher (chapelle Saint-Michel) ; l’église de
Casenoves, l’abbatiale d’Arles (à partir de 1046), Sainte-Marie de
Piquer (1073),
etc... A noter que, dans cette dernière église, comme
® Casenoves, les joints extérieurs, tracés
au fer, étaient peints à
*
° Cl-e rouge, ce qui suffirait à démontrer qu’ils étaient faits pour
'ester apparents. On ne saurait trop insister, à notre sens, sur î im
portance de l’étude des joints la chronologie des édifices
(surtout pour
non appareillés en pierre de taille) et sur la nécessité, en
tout cas, de les
tions. respecter scrupuleusement au cours des restaura
vant, peut-être à l’occasion de l’édification, le long du
même mur, d’un premier cloître, à galerie unique. Le
parement est ici constitué par des blocs de grès de moyen
appareil, unis par des joints rectilignes très soignés,
larges d’environ deux centimètres et en léger relief sur
la pierre.
C’est alors également que fut percée, au détriment de
la base d’une fenêtre, la porte latérale, dont l’arc en
plein cintre est toujours apparent à l’intérieur de la
nef (côté cloître, un arc en tiers-point fut encastré sous
cette arcade, au xiv e siècle).
La construction du clocher carré, juxtaposé à l’église
au sud de la dernière travée, dut suivre de près celle de
la nef. Plaqué contre le mur de cette dernière, il repose
de ce côté sur un grand arc en plein cintre construit en
grès de moyen appareil.
Un grand portail de marbre blanc s’ouvre actuelle
ment à l’ouest de l’église.
Sur un massif rectangulaire, appareillé de blocs de
marbre de taille inégale (1), se développe une archivolte
ornée de rinceaux, entrelacs et motifs floraux stylisés,
disposés de façon assez disparate. Au-dessous, une double
voussure encadre un tympan nu et repose, de part et
d’autre, sur deux colonnes d’angle, couronnées de cha
piteaux sculptés. Fait anormal, à partir du niveau de
ces derniers, les piédroits et les deux redents entre les
colonnes ne sont plus parementés en marbre, mais en
blocs de grès, aujourd’hui habillés d’un malencontreux
faux appareil de ciment.
Sur le premier chapiteau de droite, deux gnomes à tête
énorme et disproportionnée soufflent dans une trompe
ou une double flûte. Le chapiteau voisin, très abîmé,

(1) Sur un de ces blocs, au-dessus de l’archivolte, du côté gauche,


est finement gravée une main bénissante, symbole de la puissance
prieurale ou, peut-être, du droit d’asile.
comportait aux angles des têtes monstrueuses issues
d un double
corps, couvert d’écailles ou de plumes.
A gauche, des êtres simiesques
sont accroupis dans
une pose effrontée, composant un motif étrange, que

Mme Chadourgnac phot.

PORTAIL OCCIDENTAL

nous retrouvons, entre autres, sur plusieurs chapiteaux


du cloître de la Seu d’Urgel.
Contrastant avec celui-ci, le second chapiteau de
gauche est sans doute un des plus intéressants chapi
teaux historiés que l’art roman ait laissés en Roussillon,
°ù ils constituent, on le sait, l’exception. On y voit un
Personnage tenant une croix auréolée, en présence d’une
femme couronnée d’un triple diadème
et à la poitrine
ornée de colliers, qui considère la croix, la paume de la
main tournée en avant, dans un geste de respect et d’ado
ration. Derrière la princesse sont figurés deux autres
personnages qui paraissent composer sa suite. Il s’agit
d’une représentation de sainte Hélène et de l’invention
de la Sainte-Croix : sujet qu’on ne saurait s’étonner, en
convient d’attribuer
ce portail, dont l'ordonnance géné
rale apparaît très proche de celle des portails voisins de
lirulla et du Boulou même matériau, même massif
:
rectangulaire en avancée sur la façade, décor analogue
de l’archivolte,
tympan nu, parenté de la sculpture des

P. Ponsich pliot.

DÉTAIL DE L’ARCHIVOLTE DU PORTAIL OCCIDENTAL

chapiteaux. Il n’est pas jusqu’au chapiteau de sainte


Hélène qui ne présente des réminiscences de la manière

d’inscrire, côté cloître, un arc brisé plus bas, n’avait pas été rétré
cie : la lézarde rectiligne qui semblait l’indiquer, le long d’un des
piédroits, ne correspondait qu’à une reprise de l’enduit. Il faut
donc renoncer à cette hypothèse. Mais le remaniement
ne nous
Paraît pas moins indubitable : on aura adapté après coup les élé
ments d’un portail de marbre, provenant d’une autre église, au
Portail originaire, simplement appareillé en grès.
du « Maître de Cabestany », auteur du tympan du Boulou.
Le portail du Monestir del Camp est cependant en
arc brisé, peu accentué il est vrai, et non en plein cintre
comme les précédents. Mais il est visible qu’il a été
profondément remanié. L’archivolte, en particulier, pré
sente une succession de motifs différents intercalés de
manière vraiment hétéroclite. Il n’y a pas eu, d’ailleurs,
comme on pourrait peut-être l’imaginer un instant,
simple juxtaposition d’éléments « préfabriqués ». Sur le
haut de l’archivolte, un bloc décoré d’une sorte d’entre
lacs sépare les éléments d’un rinceau qui, de toute évi
dence, étaient primitivement réunis, puisqu’une des
feuilles se trouve ainsi coupée en deux. C’est là le fait
le plus net — mais non le seul de cet ordre, car d’autres
éléments d’un même motif sont arbitrairement séparés
sur l’archivolte — qui suffit, à nos yeux, à prouver le
remaniement, remaniement que feraient déjà soupçon
ner d’autres détails insolites, comme la différence, déjà
notée, du matériau utilisé pour les piédroits et les redents.
Par la même occasion, on aurait donné au portail sa
forme brisée qui, étant donné le caractère des sculptures,
surprend comme un anachronisme : on ne saurait ou
blier, en effet, que le portail en plein cintre demeure la
règle dans l’architecture religieuse du Roussillon et de
la Catalogne, encore durant tout le xm e siècle. Du reste,
au portail du Monestir, en arrière de ce placage de
marbre, l’arc proprement dit, qui perce le mur de l’église,
appareillé en grès comme les piédroits et redents, est en
plein cintre, comme devaient l’être les simples voussures
de grès primitives.
Quant à la grille de fer forgé, aux tiges verticales tor
sadées, qui est aujourd’hui fixée devant le portail, elle
témoigne de la continuité d’une longue tradition fer-
ronnière, à jamais marquée, semble-t-il, par l’esprit ro
man le verrou, à la traditionnelle tête de dragon, porte
:
la date 16 ÏHS .1 )e troisième chiffre, dévoré
; par la
rouille, est à peu près effacé, mais
on croit deviner encore
la trace d’un 5
ou d’un 6.
l ace à la porte du cloître, le mur nord de la nef a été
percé pour l’aménagement d’une chapelle rectangulaire
“ peut-être à destination funéraire — que sa voûte
d ogives retombant
sur quatre chapiteaux à fleurons sty
lisés et les impostes de l’arcade
en tiers-point, ornées de
rosettes, situent dans les dernières années du xm e siècle,
sinon au commencement du xiv e
.
Encastrée dans le mur de gauche, une Crucifixion en
marbre blanc porte en exergue une double inscription
sépulcrale : Anno Domini MCCXC IIXI lil (sic) mardi
obiit Domina Beatrix de Tavtavllo filia condam Goillelmi
de Saragvossa militis. Anno Domini M CGC II XII lil
(sic) mardi obiit Domina Sibilia de Atdao filia condam
Goillelmi de Saragoossa militis.

Comme l’a remarqué Louis de Bonnefoy, lil est pour


Kal(endas) et les dates réelles sont 1293 et 1303, l’année
commençant alors en Roussillon le 25 mars. Sur le cadre
de ce marbre sont figurés trois blasons, répétés chacun
deux fois : un losangé, un écu à fasce, un autre portant
sept croix de Saint-André. L’écu portant une fasce,
appartenant à la famille de Saragossa, est reproduit au
sommet de l’arc de la chapelle, détail qui confirme
l’époque de la construction et désigne la famille qui en
prit l'initiative.
Le cloître
La mise en place du cloître était chose faite en l’année
1307. C’est ce que nous apprend une inscription, ina
chevée, mais claire, du pilier de l’angle nord-ouest.
C’est un quadrilatère irrégulier, comportant vingt-
sept arcades trilobées, portées par de hautes colonnett.es
330 LE « MONESTIR DEL CAMP »

simples, tantôt rondes, tantôt polygonales. Les bases sont


aussi de deux types très différents : les unes de plan
circulaire, simples dégénérescences de la base romane,
les autres polygonales et de profil déjà gothique.
Aux quatre angles de la claire-voie sont des piliers
LE « MO NE STI R DEL CAMP » 331

totype catalan serait au couvent de Saint-François, de


Palrna de Majorque, élevé à partir de 1286. Notons qu’au
Monestir del Camp, les colonnes simples
— et non pas
doubles comme dans la France méridionale
— ont encore
la section ronde
ou polygonale des colonnes romanes,
dont elles
ne diffèrent que par leur grande minceur et leur
hauteur relatives. Tandis qu’en Catalogne, les cloîtres de
meme type comportent déjà, dès la lin du xm e siècle,
des colonnes de section quadrilobée, celles-ci n’appa
raissent en Roussillon qu’avec le cloître des Carmes de
Perpignan
— aujourd’hui exilé au château de Villemar-
tm (Aude) — dont les arcatures sont aussi trilobées,
cloître bien daté, par une inscription, des années 1333-
1342.
Fait surprenant, on ne trouve pas trace dans le cloître,
pas plus, du reste, que dans l’église, d’une seule tombe
de prieur. En revanche, on y compte une demi-douzaine
d’inscriptions funéraires, toutes, sauf une, relatives à
des défunts laïques, des deux sexes, bienfaiteurs ou fon
dateurs d’anniversaires. La bulle concédée en 1163 au
Monestir contient, en effet, ce passage, important pour
les futurs revenus de la communauté : « Nous décrétons
aussi que la sépulture en ce lieu sera libre, afin que nul
ne fasse obstacle à l’ultime volonté et à la dévotion de
ceux qui auront délibéré d’y être ensevelis, à moins qu’ils
ne soient excommuniés ou interdits, et sauf le droit cano
nique des églises qui revendiqueraient les corps de ces
défunts. »
Ces inscriptions sont encastrées dans le mur méri
dional de l’église, que devait longer le cloître primitif.
L’épitaphe du chevalier Bertrand de Vilalonga (1196),
cas unique dans toute l’épigraphie roussillonnaise, ignore
les caractères proprement lapidaires et est rédigée avec
la même minuscule
que les manuscrits du temps : comme
si, dit Louis de Bonnefoy, « le lapicide improvisé, qui
fait ici son apprentissage, n’avait jamais écrit que sur
le vélin ». Ce marbre donnerait en même temps un ter
minus ad quem pour le travail de reprise du mur méri
dional de l’église en appareil moyen, que nous avons
signalé plus haut.

M me Chadourgnae phot.

ÉLÉVATION EXTÉRIEURE. COTÉ SUD

Quant aux bâtiments conventuels, une grande salle


voûtée en berceau brisé lisse, située dans le prolonge
ment méridional du clocher, en constitue la partie la
plus intéressante et, sans doute, la plus ancienne (début
du xn e siècle?). L’ensemble des autres bâtiments actuels
remonte probablement aux xm e -xiv e siècles, mais, en
l’absence de documents, les enduits qui masquent les
quatre façades interdisent une plus grande précision.
Des fenêtres qui s’ouvrent aujourd’hui sur la façade
méridionale, une seule est d’origine. Elle offre le modèle
classique de la fenêtre roussillonnaise de type civil des
xm e -xiv e siècles : arcs géminés en plein cintre, colon-
nette à chapiteau sculpté, impostes décorées de rosettes.
En face, de l’autre côté de la
cour, subsiste un char
mant colombier en forme de tour carrée (xvn e siècle).
LE PORTAIL DU BOULOU
par M. Marcel DURLIAT

Le portail roman du Boulou, plaqué sur la façade occi


dentale d’une église postérieurement reconstruite et sans
grand caractère, forme un véritable petit monument de
marbre blanc, un tout complet, en saillie sur le mur et
couronné d’une corniche.
Le tympan, uni et sans moulures, est constitué par
trois dalles. L’archivolte unique, légèrement outrepassée
et dont l’ouverture est inférieure à l’écartement des pié
droits, est portée par deux colonnes qui sont elles-mêmes
posées sur un socle élevé. Elle est bordée de rubans plats
et entrelacés, qu’on retrouve à peu près semblables au
tour de l’archivolte de l’église catalane de Santa Maria
de Porqueres, sur les rives du lac de Banyoles. Les entre
lacs emprisonnent des fleurs étoilées en fort relief. Un
bandeau chanfreiné, placé à la hauteur des tailloirs, est
orné, comme eux, d’un damier. La corniche de couron
nement repose sur une frise historiée, soutenue elle-même
par sept corbeaux.
Les chapiteaux appartiennent au type roussillonnais
commun et sont très proches de certaines œuvres de
Corneilla-de-Conflent et du cloître d’Elne ; ils datent, par
conséquent, de la seconde moitié du xn e siècle. Des
chèvres unissent leurs têtes aux angles, alors que leurs
pattes se joignent pour dessiner une élégante figure géo
métrique. Tantôt leur corps est lisse, tantôt il est cou
vert d’un damier. Cependant, l’animal se détache en
ronde-bosse sur un fond d’ombre, alors que, d’ordinaire,
les formes décoratives font corps avec la masse du cha-
piteau. Cet allégement de la sculpture annonce le style

J. Cornet pliot.
LE PORTAIL

gothique roussillonnais, tel qu’il apparaîtra sur les por-


tails de Sainte-Croix de Perpignan, des Carmes de la
même ville ou de la chapelle Sainte-Anne, à l’Almudaina
de Palma de Majorque.
Sur l’espace étroit de la frise se suivent, de droite à
gauche, toute une série de scènes évangéliques. Un ange
annonce la Bonne Nouvelle aux bergers étonnés, tandis
que s’enfuient les vaches du troupeau. C’est ensuite la
Nativité : la Vierge, couchée sur un matelas, porte la
même coiffe très riche qu’à Cabestany et pose sur la
couverture une main aussi démesurée ; un angelot se re
croqueville dans im endroit demeuré libre à côté d’elle ;
l’Enfant est à gauche, strictement emmailloté ; l’étoile
brille au-dessus de lui, cependant que le bœuf et l’âne
penchent leur tête vers la mère. La scène est complétée
par le Bain de l’Enfant. Celui-ci est plongé dans un bas
sin en forme de marmite allongée, dont l’aspect rappelle
à la fois les fonts baptismaux de la contrée et les cuviers
dont les ménagères se servaient pour la lessive. Les deux
sages-femmes, agenouillées des deux côtés du bassin,
lavent l’Enfant. Saint Joseph, assis sur une chaise pliante,
tient la tunique.
L’Adoration des Mages est riche de détails pitto
resques : les cavaliers arrivent par la gauche, en route
vers Bethléem ; après avoir mis pied à terre, ils s’avancent
chargés de leurs offrandes. L’un d’eux est déjà agenouillé
devant la Vierge, qui, assise et vue de profil, présente son
fils. Ils sont vêtus d’un manteau court, de pantalons col
lants et plissés obliquement sur les jambes et d’un bonnet
pointu, à l’extrémité recourbée vers l’arrière. Une servante,
debout derrière la Vierge, est séparée d’elle par l’étoile.
La Fuite en Egypte termine le Cycle de l’Enfance du
Christ. La Vierge, assise sur l’âne, est de face et elle tient
l’Enfant dans son giron comme les Majestés solennelles.
A l’extrémité gauche de la frise est représenté le Repos
en
Égypte : trois personnages apparaissent au chevet de
la Sainte Famille.
LE BOULOU

cain, le Christ de la Pieta et de la Flagellation est une


réplique à peu près fidèle de celui qui figure sur la pré-
delle du retable de saint André au Metropolitan Muséum,
œuvre de provenance perpignanaise. Il y a cependant
au Boulon une maladresse dans le dessin et une raideur
dans les attitudes qui conviennent davantage à un élève
qu’au Maître du Roussillon lui-même.
Quant à l’autre panneau gothique de la. même église,
représentant saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Évan
géliste séparés par une colonnette, nous pensons qu’il
appartenait à un retable plus tardif, datant du milieu
du xv e siècle, mais dont l’auteur se souvenait encore
des exemples offerts par le Maître du Roussillon. On
aperçoit, décorant les fonds, les nimbes et les bordures
des vêtements, les ornements en relief qui caractériseront
la production catalane de la seconde moitié du siècle.

Bibliographie. — Le portail du Boulou : J.-A. Bru-


tails, Notes sur Fart religieux du Roussillon dans le
Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques,
.1893, p. 349.
— José Gudiol, Los relieves de la portada
de Errondo y el maestro de Cabestany, dans Principe de
Viana, n° XIV, Pamplona, 1944, p. 5 et 6. — Marcel
Robin, Le maître du tympan de Cabestany, dans L’art
roman du Roussillon, Le Point, 1947, p. 79. — Marcel
Durliat, La sculpture romane en Roussillon, t.. IV, Perpi
gnan, 1954, p. 12-15.
Les primitifs du Boulou : Chandler Rathfon Post,
A history of spanisch painting, VU (2), Cambridge, 1938,
app. p. 784, fig. 300. —- Marcel Durliat, Arts anciens
du Roussillon. I : La peinture, Paris, 1954, p. 86; fig.
p. 92 et 93.
SAINT- MARTIN - DE - FENOUILLA
par M. Marc THIBOUT

Le monument.
-—
Avant de souligner l’intérêt des pein
tures murales de la chapelle de Saint-Martin-de-Fe-
nouilla (1), il faut évoquer l’histoire de l’édifice et voir
si, à défaut d’une date exacte, on ne peut pas définir ap
proximativement l’époque de sa construction.
Brutails, puisant ses renseignements dans Y Histoire
du Languedoc et dans Mcirca hispanica, nous rappelle que,
dès le IX e siècle, il existait en ce lieu une chapelle dédiée
à saint Martin. Mention en est faite successivement en
844, 869, 875, 878. La charte de 844 spécifie, notamment,
que cette chapelle était située sur le chemin qui condui
sait vers l’Écluse in via quae discurrit ad ipsas Clusas,
autrement dit vers l’Espagne (2).
On peut encore relever une date concernant l’édifice au
début du xi e siècle : une bulle du pape Serge IV remon
tant à 1011 cite, en effet, l’église Saint-Martin ; puis les
textes sont muets jusqu’au xiv e siècle (3).

(1) Comm. de Maureillas, cant. de Céret.


(2) Voir Brutails, Bull, arch., 1886, p. 443, et L’art relegios en
<‘l Rossello, Barcelone, 1901, p. 21.
(3) Je dois ces derniers renseignements à l’obligeance de M. Pon-
sich, qui a aimablement mis à ma disposition sa documentation,
ce dont je ne saurais trop le remercier. Parmi cette documentation
ligure l’évolution du toponyme à partir du xive siècle ; il m’a
paru intéressant de la reproduire ici : Sanctus Martinus de Fono-
fcgiis (1351), saut Martin de Fenoleges (1368), Sanctus Martinus de
Fonolars (1376), de Fonolariis (1378), de Fonollar (1388), de Fonol-
legues (1419), Saut Marti de Fenulla (1682), Saint-Martin-de-Fe-
nolla (1760) et, à partir du xix e siècle, Fonollar ou Fenollar. Ac
tuellement, l’orthographe du dictionnaire des postes est Fenouilla.
(1) Brutails, Bull, arch., 1886, p. 445.
(2) Uarquitectura romanica a Catalunya, Barcelone, 1909, p. 374
et 379, et Puig i Cadafalch, Le premier art roman, Paris, 1928, p. 14
et 15.
De simples lucarnes éclairent la nef, un clocher-arcade
surmonte le pignon de l’église à l’ouest.
La porte, qui ouvrait au sud dans la deuxième travée,
est restée longtemps obturée et vient d’être dégagée par
les soins du Service des Monuments historiques. Comme
le reste de l’édifice, elle ne présente aucune décoration
sculptée ; c’est une simple ouverture en plein cintre au
même nu que le mur, mais dont la taille et la forme des
sommiers et des claveaux ne semblent pas permettre de
songer à l’époque carolingienne. On la situerait volon
tiers au début du xn e siècle.
Longtemps, cette porte a été remplacée par une autre
porte rectangulaire moderne, percée dans le mur oriental
du chœur, ce qui causa la détérioration d’une notable
partie des peintures de ce mur.
Le fait que la porte du mur sud fasse songer au début
du xn e siècle n’implique pas pour autant que l’ensemble
de la chapelle soit de la même époque : la porte a pu
être retaillée dans une construction plus ancienne.
En réalité, ce n’est que par la comparaison de la cha
pelle Saint-Martin-de-Fenouilla avec les nombreuses cha
pelles du même type qui existent dans la région et qui
n’ont pas encore été étudiées qu’on pourra proposer une
date. M. Ponsich est sur le point d’entreprendre ce tra
vail : il faut attendre ses conclusions.

Les peintures.
— Les peintures qui recouvrent essen
tiellement le chœur ont été maintes fois étudiées et nous
nous bornerons à rappeler la disposition des scènes et le
parti de la composition.
Au soubassement, ce sont des serviettes peintes, selon
l’usage répandu alors dans tout le monde chrétien. On
peut citer en France, entre beaucoup d’autres et dans des
régions fort différentes, celles des églises de Saint-Jacques-
des-Guérets (Loir-et-Cher), Vie (Indre), Saint-Chef (Isère).
DE-FENOUILLA

N-

MARTI

SAINT"

EGLISE

V

Un bandeau décoratif
interprétant le motif de
la grecque sépare les ser
viettes et le registre his
torié inférieur.
La lecture de ce regis
tre doit se faire du nord-
ouest au sud-ouest. On y
voit T Ann onciation, la
Nativité, un ange (seul
reste de l’Annonce aux
bergers), l’Adoration des
Mages, le retour des Ma
ges dans leur pays. Dans
la scène de la Nativité,
on remarque l’Enfant-Jé
sus couché sur un autel
en guise de crèehe, ico
nographie assez rare et
qui illustre cette pensée,
chère au Moyen Age, que
le Christ, dès sa nais
sance, était marqué pour
la rédemption. Il en est
de même aux peintures
du transept de l’église
de Pontigné en Anjou
(deuxième moitié du
xm e siècle) et à celles
de la crypte de Saint- P. Jauzac phot.
Amant - de - Boixe (Cha
ANGE UE L ANNONCE
rente), qui datent de la
AUX BERGERS
fin du xm e siècle.
Le registre supérieur, séparé du registre inférieur par
une petite grecque, est entièrement consacré aux vieil-
lards de l’Apocalypse, qui font partie de la scène du
sommet de la voûte.
Ici, c’est le Christ inscrit dans une gloire en amande,
entouré des symboles des évangélistes figurés par des
anges qui tiennent entre leurs bras l’avant-corps de l’ani
mal qui les représente ordinairement. Cette formule est
exceptionnelle.
Quand le Christ trône à la voûte de la travée droite
du chœur, il est d’usage que la Vierge soit représentée
au fond de celui-ci (Notre-Dame-la-Grande à Poitiers,
Palluau, probablement Montmorillon). Saint-Martin-de-
Fenouilla n’a pas échappé à la règle : la Vierge figure
sur le mur du chevet, encadrée dans un médaillon carré
reposant sur la pointe, les bras levés dans la position
d’un orant (1) et adorée par deux anges.
Parmi les inscriptions, il faut insister sur celles qui
accompagnent les symboles des Évangélistes ; elles sont
tirées du Carmen pascliale du poète Cœlius Sedulius, qui
vivait au v e siècle.
Les caractères qui subsistent permettent de restituer
les phrases suivantes : pour Jean, More volans aquilœ,
verba petit astra Johannes ; pour Luc, Jura sacerdotis Lu
cas tenet ore fuvenci ; pour Mathieu, Mateus natum de vir-
gine prédicat agnum (2) ; pour Marc, Marcus ut alta frémit
vox per deserta leonis.
Il faut noter que cette évocation du poème de Sedu
lius, fréquente dans les manuscrits de l’époque carolin
gienne (3), n’est pas spéciale à Fenouilla ; elle existe aussi

(1) Il est à remarquer qu’on la rencontre dans la même position


en Italie aux peintures de S. Angelo in Formis, qui remontent à la
seconde moitié du xi e siècle. Voir Muratofï, La peinture byzantine,
pl. LXXIX.
(2) Ici, l’artiste s’est affranchi du texte de Sedulius, qui est
celui-ci : Hoc Matheus agens hominem generaliter implet.
(3) Par exemple : Évangéliaire de Saint-Gauzelin, à Nancy
(ix e siècle) ; Évangiles d’Autun, ms. 5 (ix e siècle) ; Évangiles, Bibl.
nat., lat. 11959 (x c siècle).
à Santa Maria de Mur (Catalogne), comme l’a signalé Jo
seph Gudiol (1).
La phrase concernant saint Jean se retrouve également
aux peintures de l’église de Saint-Plancard (Haute-Ga
ronne), découvertes en 1945-1946.
Une autre inscription importante se lit à l’angle sud-
est du registre inférieur ; elle a été restituée par Bonne-
fov (2) et fait allusion à la scène de l’Adoration des Mages :
[ Vidimus] stellam [ejus in] Orien[te] et ve[nimus] cum mu-
[neri]bus [ador\are Dom[inum].
Un nettoyage des peintures de Saint-Martin-de-Fe-
nouilla vient d’être effectué par le Service des Monu
ments historiques ; il a permis de faire de nouvelles dé
couvertes. A l’intrados de l’arc triomphal, on a retrouvé
des restes appréciables de peintures et principalement au
sud, sur le piédroit, le buste d’un personnage, les bras
levés comme un atlante et qui se rattache par le style
aux peintures du chœur.
On a pu constater également que la nef était décorée
de peintures : des traces sont, en effet, maintenant vi
sibles dans l’ébrasement de la petite fenêtre de la der
nière travée au sud.
Comme toutes les peintures murales romanes ou même
gothiques de la région, celles de Saint-Martin-de-Fe-
nouilla sont traitées dans un style vigoureux, très direct,
rude, presque farouche même, et dont l’évolution est dif
ficile à saisir, les couleurs demeurant variées et franches.
Quelle date peut-on leur attribuer? Le caractère des
inscriptions semble être une des indications qui offrent
le moins d’incertitude.
Or, si l’on compare les inscriptions de Fenouilla à celle
de Saint-Clément de Tahul, qui relate la consécration de

La pintura migeval Catalana, Barcelone, 1927, vol. I, p. 270.


(1)
Épigraphie roussillonnaise, dans Soc. agnc., scient, et litt. des
(2)
Pyrénées-Orientales, I. XII, p. 41-44.
l’église en 1123, on constate une ressemblance certaine ;
l’antériorité jouerait même plutôt en faveur de Fenouilla,
le style des peintures étant par ailleurs sensiblement le
même.
Nous reviendrons donc légèrement sur ce que nous
avons écrit récemment, M. Deschamps et moi-même,
quant à ia date de ces peintures (1). Il est préférable,
nous semble-t-il, de les situer dans les premières années
du xu e siècle plutôt qu’au milieu de ce même siècle (2).

Bibliographie sommaire. — Brutails, L’église Saint-


Martin-de-Fenouilla, dans Bull, arcli., 1886, p. 443-449.
— Brutails, L’art religios en el Rossello, Barcelone, 1901,
p. 21. — J. Puig y Cadafalch, Antoni de Falguera, J. Go-
day y Casais, Larquitectura romanica a Catalunya, Bar
celone, 1919, p. 379-381. — J. Puig i Cadafalch, Le pre
mier art roman, Paris, 1928, p. 14-15. — C. R. Post, His-
tory oj Spanish Painting, Cambridge (U. S. A.), 1930,
vol. I, p. 126. —C.-P. Duprat, Enquête sur la peinture mu
rale en France à l’époque romane, extrait du Bull, mon.,
1945, p. 210.
— José Pijoan, Las Pinturas murales ro-
manicas de Cataluna, dans Monumenta Cataloniae, vol. IV,
1948, p. 162-163. — Paul Deschamps et Marc Thibout, La
peinture murale en France, Paris, 1951, p. 144-146. —
Walter William, Spencer Cook et José Gudiol Ricart,
Ars Hispaniae, Madrid, 1950, vol. VI, p. 79-80. -— Mar
cel Durliat, Arts anciens du Roussillon ; peinture, Perpi
gnan, s. d., p. 16 à 22.

(1) Voir La peinture murale en France; le Haut Moyen Age et


l'époque romane, Paris, 1951, p. 145-146.
(2) Depuis le Congrès archéologique qui s’est tenu à Perpignan
au mois de mai 1954, M. Marcel Durliat a commencé la publication
d’un grand ouvrage sur les Arts anciens du Roussillon, dont le pre
mier volume est consacré à la peinture. Il se trouve que nous nous
rencontrons avec lui sur l’époque à laquelle il faut attribuer les pein
tures de Saint-Mariin-de-Fenouilla. Voir Marcel-Durliat, Arts an
ciens du Roussillon ; peinture, p. 22.
L’ABBAYE DE SAINTE-MARIE D’ARLES
par M. Pierre PONS1CH

Aperçu historique
L’abbaye bénédictine de Sainte-Marie d’Arles — la
plus ancienne du Roussillon — fut fondée vers 778, sous
le vocable de Sainte-Marie de Yallespir, par le moine
Castellan, « venu des parties d’Espagne ». Ce Castellan,
attiré, comme tant d’autres de ses compatriotes, par
les très favorables mesures de protection que Charle
magne, désireux de repeupler la Septimanie, venait
d’inaugurer à l’égard des réfugiés espagnols, est très
probablement le même qui est mentionné en 812 dans le
fameux précepte impérial réglant définitivement le sta
tut des Hispani aprisionnaires.
Dès 817, « le monastère de Yallespir, en Septimanie »,
est cité dans une notice de Louis le Pieux, parmi les
rares qui ne doivent à la maison impériale que le seul
service de la prière.
En 820 et 844, des préceptes de Louis le Pieux et de
Charles le Chauve confirment son immunité et ses
possessions : outre d’importants domaines en Besalu,
celles-ci comprennent alors, en Roussillon, les cellcie
de Saint-Pierre d’Arles (ou de Riuferrer), Saint-Jean
de Réart, Saint-Julien de Bussac et Saint-Martin de
Fonollar.
De l’étude attentive de la dizaine de chartes du car-
tulaire d’Arles qui nous ont été transmises pour le
ix e siècle et de quelques autres du siècle suivant, découle
un fait incontestable, bien que demeuré généralement
inaperçu : le primitif monastère de Sainte-Marie de
Vallespir ne fut pas fondé sur le site actuel d’Arles, mais
installé tout d’abord dans les « édifices antiques » des
Bains d’Arles, vieille station thermale romaine, ruinée
et désertée depuis l’invasion arabe.
Ce premier monastère, aménagé dans les « admirables
Bains » — c’est l’expression de l’abbé Hilpéric en 869 —
rencontrés sur son chemin par l’émigrant Castellan,
connut, vers 858-859, une épreuve inattendue : épreuve
qui faillit lui être aussi fatale que le fut, quelque vingt
ans plus tard, l’inondation de la Tôt à Saint-André
d’Exalada, autre monastère établi auprès de sources
thermales. Une bande de pirates normands, C3S nouveaux
barbares qui, ayant franchi en 858 les colonnes d’Her-
cule, faisaient alors leur première apparition dans le
monde méditerranéen, assaillit l’abbaye, massacra une
partie des moines et la mit à sac durant trois jours.
La lettre de l’abbé Hilpéric adressée dix ans après
à Charles le Chauve pour solliciter son appui montre
que le monastère n’était pas encore relevé de ses ruines,
bien que toujours habité par les moines.
Charles le Chauve et ses successeurs Louis le Bègue
et Carloman répondirent à cet appel par l’octroi de
nouveaux préceptes en 869, 878 et 881, mais il paraît
qu’à cette dernière date, la communauté était encore
installée dans les bâtiments des Bains.
De 881 à 934, il y a dans le même cartulaire d’Arles
un trou de plus d’un demi-siècle — phénomène qui,
chose étrange, se répète identiquement à la même époque
pour celui de Cuxa, exactement entre 879 et 938. Cette
période correspond aux temps troublés, mais féconds,
qui virent le Goth Wifred le Velu et ses frères mettre la
main sur la Cerdagne, le Confient, au moins une partie
du Boussillon et sur tous les comtés de la Marche d’Es
pagne, à l’exception du seul comté d’Empories.
Or, d’une part, il est certain qu’en 934 le monastère
de Sainte-Marie est déjà implanté « sur les bords du
Tech », c’est-à-dire sur le site actuel. D’autre part, la
bulle concédée en 968 à l’abbaye d’Arles par le pape
Jean XIII, à la demande d’un petit-fils du Velu, Oliba-
Cabreta, comte de Cerdagne, Confient, Berga et Besalu
— et maître du Vallespir — dit textuellement que le
monastère avait été construit par un frère du grand-
père du comte Oliba. Nous avons donc la preuve que
l’abbaye, fondée par Castellan et mise à mal par les
Normands, fut effectivement rebâtie dans les dernières
années du ix e siècle et nous tenons là, du même coup,
l’explication du changement de site.
11 est plus difficile de déterminer
en toute certitude
lequel des trois frères de Wifred le Velu fut ce deuxième
fondateur : qu’il s'agisse, en effet, de Miron I er comte
,
de Confient, de Radulfe, qui fut peut-être en ce temps-là
comte de Roussillon (dont dépendait encore le Vallespir),
ou de Suniefred, qui était moine, ce que l’on sait de leur
carrière rend la chose vraisemblable, à divers titres,
pour chacun d’eux. Mais nous avons dit ailleurs pourquoi
nous considérions comme plus séduisante l’hypothèse
suivant laquelle le moine Suniefred, probablement
frère aîné de Wifred le Velu, serait le même personnage
que Suniefred, abbé d’Arles de 881 aux environs de
l’an 900 : dans ce cas, ce serait lui qui, désertant les
ruines des Thermes, aurait reconstruit l’abbaye à son
emplacement actuel (1).

Durant les x e et xi e siècles, le monastère de Sainte-


Marie d’Arles prospéra sous la protection de la même

(1) Sur tous ces points, on nous permettra de renvoyer, pour


plus de détails, à notre travail : Les origines de l’abbaye d’Arles.
Études roussillonnaises, t. IV, 1954, fasc. 1-2, p. 68-99. On y trouvera
aussi l’essentiel de la bibliographie, du reste assez maigre, de l’ab
baye d’Arles [Ibid., note 9, p. 73).
famille comtale, protection qui ne se démentit jamais
et se traduisit par l’octroi de nombreux domaines :
entre autres, Custujas et Saint-Laurent de Cerdans,
donnés par Oliba Cabreta, Saint-Michel de Mollet (La
Bastide), Sainte-Marie de Mollet (Montferrer), etc... ;
enfin, par le rattachement direct à l’autorité du Saint-
Siège, accordé en 968, à la demande d’Oliba Cabreta, dé
sireux de soustraire l’abbaye à l’autorité du siège d’Elne,
situé en comté de Roussillon, donc hors de sa terre.
En 1011, une bulle du pape Serge IV donne une liste
des possessions d’Arles impressionnante, bien que très
inférieure à celles de Saint-Michel de Cuxa à la même
date.
En 1046, l’église Sainte-Marie d’Arles est à nouveau
consacrée solennellement par Guifred de Cerdagne, ar
chevêque de Narbonne — fils du comte Guifred, fon
dateur, puis moine de Saint-Martin du Canigou — Be-
renguer, évêque d’Elne, Wifred, évêque de Carcassonne,
en présence de Guillem, comte de Besalu (dont dépendait
alors le Vallespir), de son épouse Stefania, de Raimond,
comte de Cerdagne et frère de l’archevêque, de son
épouse Adalais, de Gauzfred, comte de Roussillon, et de
nombreux notables ecclésiastiques et laïcs : abbés de
Saint-Genis-des-Fontaines, Saint-Pierre de Rodes, Saint-
André de Sureda, Guillem, vicomte de CastelInou, etc...
Ce document précise que l’église demeure encore ina
chevée (manet adhuc imperfecta) et prévoit divers avan
tages spirituels pour tous ceux qui aideront à poursuivre
l’œuvre (1).
Mais, en ce milieu du xi e siècle, Arles, comme la plupart
de nos monastères, aura beaucoup de mal à se défendre
contre les envahissements féodaux, au point que l’œuvre,
un moment même interrompue, ne dut reprendre que

(1) Marca Hispanica, Ap., col. 1089.


plus lentement et peut-être par intermittence. En
1050, les moines portent, en effet, leurs doléances au
concile provincial de Saint-Thibery, en Languedoc, et
donnent une longue liste de leurs biens du Roussillon et
du Besalu et des chevaliers qui se les sont appropriés,
dont ils demandent et obtiennent rexcommunication.
Or, nous relevons dans leur supplique cette intéressante
précision que, « par suite de la perte de tant de biens,
il n est plus en lèur pouvoir de mener jusqu à son achè
vement le monastère qu on a récemment commencé à édi
fier », car le nécessaire leur fait défaut pour assurer
simplement leur subsistance (1).
La tendance féodale était alors trop irrésistible pour
que l’abbaye pût en triompher à l’aide des seules armes
spirituelles. Aussi, les religieux ne trouvèrent-ils de
meilleur remède, pour se garantir de la multitude et de
la généralisation des empiétements, que de faire la part
du feu en mettant leurs terres sous la protection de deux
seigneurs assez puissants pour faire respecter leur droit :
ils reconnurent donc la suzeraineté de Guifred de Cer-
dagne, archevêque de Narbonne, pour leurs biens rous-
sillonnais et celle d’Arnald-Arnald de Llers pour leurs
possessions de Besalu.
Cet état de choses, inconcevable aux siècles précédents,
se prolongea jusqu’à ce que le comte de Besalu Bernard-
Guillem y mît fin en 1078, en rachetant les droits acquis
par Guifred de Cerdagne et Arnald-Arnald de Llers et
en soumettant le monastère à Cluny, par l’intermédiaire
de « son cousin » Hunald de Béarn, abbé de Moissac (2).

(1) D. Martène, Thésaurus Anecdotorum, t. IV, col. 87 : Noscal


almitas cestra praefatum coenohium noviter aedificari coeptum, pro
tantorum amissione praediorum, non est posse nostrum illud ad per-
fectum usque perducere, necessaria déficiente quae sustentationi com-
petunt fragilitatis humanac.
(2) Marca Hispanica, Ap., col. 1168, et arcli. Tarn-et-Garonne,
G 725.
Désormais, et jusqu’à la fin du xv e siècle — avec, il
est vrai, diverses exceptions, parfois génératrices de
conflits — c’est parmi les moines de Moissac que seront
élus les abbés d’Arles.
A la fin du xi e siècle, la prospérité paraît revenue à
Sainte-Marie d’Arles, qui acquiert l’importante terre de
Forques, dépendance roussillonnaise du comté de Besalu
(1081).
En 1111, la lignée des comtes de Besalu s’éteint en
la personne du comte Bernard-Guillem, en 1117, c’est
le tour de celle de Cerdagne et le Vallespir, comme tous
les autres domaines de ces deux maisons, tombe défi
nitivement dans la main de Raimond-Berenger IIIde
Barcelone. Mais celui-ci, comme le prouvent diverses
donations (1120, 1130, 1131), ne ménage pas ses faveurs
au monastère et cette politique sera suivie par son fils
Raimond-Berenger IV.
Cette période est marquée à Arles par une intense
activité constructrice. En 1157, l’église abbatiale est
solennellement consacrée à nouveau par Bérenger,
archevêque de Narbonne, Artau, évêque d’Elne, et les
évêques d’Ausone, Barcelone, Gérone, en présence des
abbés de Saint-Félix-de-Gérone, Saint-Thibéry, Saint-
Michel de Cuxa, Saint-Martin du Canigou, Saint-Michel
de Fluvia, Saint-Genis-des-Fontaines, Saint-Pierre de
Rodes, de Girard, comte de Roussillon, de la vicomtesse
de Narbonne, etc... (1).
Cette fois, l’acte spécifie qu’Udalgar de Castellnou,
évêque d’Elne (1130-1147), puis l’évêque présent Ar
tau IV avaient pris en main la restauration et l’achève
ment de l’église — le texte dit même « reaedificaverunt
et restauraverunt » — aidés par Gosbert, vicomte de
Castellnou, son épouse Mahaxit, et de nombreux fidèles,

(1) Maren Hispanica, Ap., col. 1321.


le tout sur les instances de l’abbé Raimond (1141-1:174).
Ces travaux furent donc accomplis durant les années
1141-1157 (1), en même temps par conséquent que toute
une série d’autres dans les dépendances d’Arles, qui
aboutirent aux consécrations de Sainte-Marie de Cus-
tujas (1142), de l’église paroissiale de Saint-Étienne
d’Arles (1158), de Sainte-Cécile de Cos (1158), Saint-
Martin de Cortsavi, Saint-Pierre de Riuferrer et Saint-
Laurent de Cerdans, toutes trois en 1159.
L’acte de consécration de 1157 contient une autre
précision intéressante : le premier jour, l’archevêque
de Narbonne consacra l’autel de Sainte-Marie et, le
deuxième jour, les cinq évêques présents consacrèrent
chacun un des cinq autres autels, dédiés à saint Jean,
saint Pierre, saint Michel, saint Tiburce et saint Gabriel.
Bien qu’aucun document ne relate la construction
de l’enceinte fortifiée (cellera, força) qui entourait l’ab
baye, il n’est pas douteux qu’elle remonte au moins au
xn e siècle : elle dut précéder, en effet, les autres for
teresses que les moines d’Arles élevèrent en ce temps-là
pour la défense de leurs domaines, par exemple à Saint-
Jean-Pla-de-Corts (1188) et à Forques (1188-1193).
Les possessions d’Arles s’augmentèrent principalement,
au cours des xn e et xm e siècles, de la paroisse de Sainte-
Juste et Sainte-Rufine de Prats-de-Mollo, avec son an
nexe de Sainte-Madeleine de Combret (1195), du château
de Codalet, près des Bains (1296), cependant que l’exploi
tation de nombreuses mines de fer, d’argent ou de cuivre
lui apportait un enrichissement considérable.

Du moins pour l’essentiel. Dès les premières années du siècle,


(1)
on songeait au moins à reprendre l’œuvre et peut-être avait-on
amorcé cette reprise. Nous trouvons, en effet, qu’en 1108, les
moines d’Arles, au cours d’une transaction, se réservaient un cer
tain nombre d’immeubles, afin d’en appliquer les revenus « à
l’œuvre de Sainte-Marie » (ad opus Sanctae Mariae) (Bibl. nat.,
fonds Moreau, vol. 43, fol. 109).
A égard, l’abbatiat de Raimond deç Bach (1261-
cet,
1303) représente un apogée, qui se traduit par l’exécu
tion de grands travaux, tant à l’intérieur du monastère
que dans ses principaux domaines. Son épitaphe, placée
dans une chapelle de l’église, nous apprend, en effet, que,
parmi bien d’autres ouvrages, Raimond deç Bach « fit
l’infirmerie, le cloître, le palais, la chambre et l’étage
de l’abbé, le chœur de l’église et les fossés de la ville...
et édifia l’autel de Saint-Benoît ». Après sa mort, nous
voyons que le chapitre s’emploie encore, en 1309 et 1314,
à financer des travaux importants dans l’église.
La présence d’une petite ville active autour de l’abbave
-—
qui en détenait entièrement la seigneurie temporelle
-—
était évidemment une source de prospérité, mais
créait parfois aux religieux des difficultés dramatiques.
En 1235, l’émeute populaire avait arraché à l’abbé
Arnau I er l’octroi d’une charte communale — cas unique
en Roussillon, où les principales communautés urbaines
avaient déjà obtenu de longue date, et à l’amiable, leurs
libertés communales (1). En 1325, au cours d’une émeute
analogue, les hommes d’Arles envahirent le monastère
et le régent Philippe de Majorque dut les faire chasser
par le sous-viguier de Yallespir (2).
En 1423, soixante et un bénéfices et dix-sept, paroisses
dépendaient de l’abbaye. Dès le xv e siècle, commence
néanmoins, à Arles comme dans la plupart de nos monas
tères, une relative décadence qui va s’accentuer lente
ment. A la fin du xvi e siècle, les bâtiments conventuels
menaçent ruine. En 1582, le chapitre se préoccupe d’y
porter remède d’urgence, car, dit-il, « il se produit dans
le monastère une grande confusion, au point qu’il est ab
solument impossible en temps de pluie de célébrer les

(1) J.-B. Alart, Privilèges et titres de Roussillon et de Cerdagne,


Perpignan, 1878, p. 139-143.
(2) Inventaire d’Agnllana.
divins offices dans l’église et que la ruine totale de l’église
et du monastère s’ensuivra, si on n’y pourvoit (1) ».
Aussi, à partir de 1592, l’union de l’abbaye de Saint-
André de Sorède, accordée à la demande de Philippe II,
apportera à Sainte-Marie d’Arles une augmentation de
revenus devenue nécessaire.
En 1235, il existait à Sainte-Marie d’Arles dix officiers
claustraux, qui étaient, outre l’abbé, le prieur, le camé-
rier, l’infirmier, le sacristain, le précenteur, le cellerier,
Vobrer (ou fabricien) et deux moines, les autres religieux
étant de simples convers. Cinq siècles plus tard, en 1723,
on en compte encore huit, dont un seul officier monacal.
Cette même année, l’abbave d’Arles est unie à la mense
épiscopale d’Elne, de sorte que les évêques d’Elne se
succéderont désormais sur le siège abbatial. Le dernier
d'entre eux, Antoine de Leyris d’Esponchez, nommé en
1788 député à l’Assemblée constituante, réfractaire à
la constitution civile du clergé, émigrera en Italie et y
mourra en 1801.

Étude archéologique
Il y eut donc sur le site actuel d’Arles une première
abbatiale élevée dans les vingt dernières années du
ix e siècle. Après quoi nous avons les deux consécrations
de 1046 et de 1157, suivies d’importantes campagnes
de travaux durant la seconde moitié du xm e siècle et
au début du siècle suivant. Nous allons étudier successi
vement ce qui appartient à chacune de ces périodes.
Le portail. — Et, d’abord, subsiste-t-il quelque chose
de l’église primitive? Nous croyons que oui : en premier
lieu, le portail d’entrée, du moins dans ses éléments
essentiels : piédroits, linteau en bâti ère et arc de décharge

(1) Àrch., P. O., H 53.


de granit — l’archivolte sculptée étant certainement
du xi e siècle. Si les portes à linteau sous arc de dé
charge sont classiques en Roussillon et en Catalogne dans
la première moitié du xi e siècle, il n’est pas une seule
église catalane de cette époque qui présente un exemple
de linteau en hâtière. Nous ne connaissons, depuis peu,
en Roussillon, que deux autres échantillons de ce type :

P. Ponsich <lir. rt flot.

un linteau en hâtière, brisé, a été remployé, comme


marche, dans l’escalier occidental de l’église de la Trinité,
à Cuxa (1040), et doit provenir de la primitive église
Saint-Germain (864) ou de la primitive église Saint-Mi
chel (début x e siècle) ; une autre porte analogue, mais
avec piédroits monolithes, existe, également en remploi,
à l’extrémité occidentale, prolongée au xvn e siècle, de
l’église préromane de Saint-Fcrréol de la Pava, dans
l’Alhèrc.
MWMUMM
]on. Le chevet de l’église d’Arles est, en effet, à l’ouest,
alors qu’aucune nécessité topographique n’imposait
cette disposition. Ce chevet, décoré de bandes lombardes
encadrant des arcatures géminées, a-t-il remplacé le
chevet primitif du ix e siècle? Et, dans ce cas, subsiste-
rait-il quelque chose de la première église dans la nef? On
ne pourra le vérifier que
lorsque l’église sera dé
barrassée des enduits mo
dernes qui l’enlaidissent
et masquent jusqu’au bel
appareil taillé du xn e
siècle.
Il est généralement ad
mis aujourd’hui que le
triple chevet (1) et l’en
semble des murs de la
nef et des bas-côtés ap
partiennent à la campa
gne qui aboutit à la con
sécration de 1046.
Il apparaît toutefois
que la construction ne fut
pas menée d’une manière
continue et l’on peut, en
tout cas, à des signes non équivoques, y discerner deux
étapes. Nous remarquerons, en effet, que les fenêtres du

(1) 11convient d’observer ici que seule l’abside principale est


ornée de bandes et d’arcades lombardes, tandis que les absidioles,
par ailleurs très basses, en sont dépourvues. Il nous paraît, toute
fois, prématuré, faute d’avoir pu procéder à certaines vérifications,
de tenter une explication définitive de ce fait, à coup sûr non négli
geable.
Indiquons encore, comme vestige possible de l’édifice préroman :
à droite du portail, vers l’angle de la façade, une portion du mur
(9 à 10 m 2 ) construit en blocs de granit de gros et moyen appareil,
maçonnés à joints larges, disposés en assises très irrégulières, qui
chevet ne comportent pas de bandeau plat et qu’il en va
de même, de part et d’autre de la nef, des six premières
fenêtres hautes à partir du chevet. Un bandeau plat
— en briques, cas peut-être unique en Roussillon —-
surmonte au contraire les six autres. Or, l’étude du mur
nord de la nef, au-dessus du bas-côté, nous a permis de
constater, d’autre part, des différences suggestives con
cernant la technique des joints, 'qui, de ce côté, n’ont
pas été détruits par les modernes travaux de restaura
tion : depuis le chevet et jusqu’aux fenêtres à bandeaux,
les moellons sont entourés de joints larges, soigneuse
ment dressés et limités par de petits glacis en biseau ;
tandis qu’à partir de la première fenêtre à bandeau
plat (la quatrième), il n’y a plus que des joints tracés
au fer, en manière de faux appareil, d’ailleurs tout aussi
bien exécutés que les autres dans un mortier d’une ex
trême dureté.
D’après les éléments comparatifs dont nous disposons,
on peut attribuer avec vraisemblance les joints dressés
aux travaux antérieurs à 1046. Quant aux joints tracés
au fer, dont l’usage s’est prolongé dans la région jusqu’à
la fin du xi e siècle, ils doivent correspondre à une reprise
des travaux, postérieure à la consécration de 1046 —-
qui laissait l’église inachevée — et même, probablement,
à 1050, puisque, à cette date, la construction avait dû être
interrompue (1).

n’est pas tout à fait, d’ailleurs, dans l’alignement du reste de la


façade et contraste avec les moellons smillés de cette dernière et
des autres murs visibles de l’église.
(1) Signalons ici un détail curieux : au-dessus des troisième et
quatrième fenêtres hautes du midi, donc à mi-distance des deux
extrémités de la nef, on voit l’amorce de quatre bandes lombardes,
aussitôt interrompues par le bandeau de pierre de taille qui court,
en manière de corniche, sous la toiture, et qui doit être contempo
rain du voûtement au xn e siècle. A ce fait, dont nous n’avons pu
vérifier s’il sc reproduit sur la face nord, nous proposons cette
explication : on aurait envisage, au cours de la seconde campagne
du xi e siècle, d’élever à cet emplacement une tour-lanterne décorée
l’abside principale et douze fenêtres hautes, toutes à
double ébrasement, le vaisseau central.

de cinq arcatures aveugles sur chaque face, mais ce projet, demeuré


à l’état d’ébauche, aurait été définitivement abandonné au siècle
suivant, lorsqu’on décida de construire la voûte. Rappelons que
l’église catalane contemporaine de Sant-Llorenç del Munt (1052-
1064) nous fournit un autre exemple exceptionnel d’une basilique
pourvue d’une tour-lanterne centrale, suivant une disposition
empruntée aux églises en croix grecque. Dans l’église italienne de
Santa-Maria de Porto-Novo apparaît le type intermédiaire, témoin
de la contamination des deux plans : là aussi, la coupole octogonale
(mais partant d’une base carrée, ce qui eût été le cas à Arles)
occupe le centre de la nef (cf. J. Puig I Cadafalch, Premier art
roman, fig. 74 et pl. XXXY, et Arquitectura romanica a Cata-
lunya).
ABBAYE SAINTE-MARIE 361

IJ semble, toutefois, que la travée de chœur, où devait,


comme aujourd’hui encore, se trouver l’autel, était dès
lors voûtée : nous en voyons un témoignage dans l’arc
supplémentaire toujours visible en cet endroit au-dessus
des grandes arcades, arc antérieur au doublage des
piliers et au voûtement de la nef au xn e siècle. Dans
ce cas, la voûte du chœur aurait été postérieurement
refaite en arc brisé et ce dernier travail pourrait cor
respondre à celui que mentionne l’épitaphe de l’abbé
Raimond deç Bach (1261-1302) : et fecit cliorum eccle-
siae. Du reste, l’arc-doubleau brisé qui soutient la
voûte à l’entrée du chœur ne dément pas cette interpré
tation.

Les tours de l’ouest.


— C’est également durant la
seconde moitié du xi e siècle qu’on commença, tout au
moins, à élever la tour carrée qui flanque le bas-côté
sud, à la hauteur de la première travée : les joints au
fer, qui se sont conservés au rez-de-chaussée, à l’exté
rieur, nous en donnent l’assurance. Cette tour comporte
une salle basse à laquelle on accédait par deux portes,
l’une percée dans le mur oriental et donnant sur les
bâtiments claustraux, l’autre communiquant avec le
bas-côté. Cette salle devait être aménagée en chapelle :
nous y avons, en effet, constaté l’existence de fresques,
encore masquées par les enduits, mais qui subsistent en
grande partie. Bien qu’il soit encore trop tôt pour en
décider, nous croyons que ces peintures peuvent re
monter à l’époque de la construction de la tour. Quant
à la tour carrée symétrique, au nord, l’unique clocher
aujourd’hui complet, sinon intact (1), quelques joints
qui se sont maintenus à la base témoignent qu’elle fut
mise en chantier vers le même temps.

(1) Ce clocher, dont l’angle nord-ouest s’était effondré sur


presque toute sa hauteur, a été restauré, fort bien, en 1922.
La façade orientale. — L’ensemble de la façade
orientale — une des rares façades lombardes du Rous
sillon — appartient aussi au xi e siècle. Le portail à
linteau et arc de décharge de granit fut alors agrémenté
d’une archivolte ornée de palmettes d’un style très
voisin de celles qu’on peut voir à la fenêtre occidentale
de Saint-Pierre de Rodes (1022) : par la taille en biseau
et le dessin des palmettes lui-même, il est évident que
cette sculpture doit encore beaucoup aux traditions
mozarabes. De part et d’autre du cintre l’archivolte
se poursuit horizontalement sur environ 20 centimètres
jusqu’à la rencontre de deux consoles de granit qui
servent de support à deux monstres dévorants, origine
probable d’une légende arlésienne célèbre (1). Au milieu
du tympan est encastrée une croix grecque dont le
Pantocrator occupe le centre et le Tétramorphe les
bras, figure en léger relief, traitée dans la manière des
ivoires byzantins auxquels ce motif est visiblement em
prunté.
Au-dessus de la porte, une fenêtre en plein cintre est
entièrement cernée d’un bandeau sculpté, d’un travail
analogue à celui de l’archivolte : à la base, deux rosaces
encadrent un serpent autour duquel se noue un rinceau,
une combinaison de fleurons et de palmettes couvre l’arc
et les piédroits.
A cette hauteur règne une série d’arcatures aveugles,
distribuées en quatre groupes : un groupe de trois dans
l’axe de chacun des bas-côtés, deux groupes de deux
dans celui de la grande nef, de part et d’autre de la fenêtre
centrale. Un second registre d’arcatures, beaucoup plus

(1) La légende des Simiots, fauves à face humaine qui dévoraient


les petits enfants et que l’arrivée des reliques des saints Abdon et
Sennen mit en fuite, n’est attestée qu’à partir du xvie siècle, par
le Père Miquel Llot, qui la conte avec force détails dans son Llibrc
de la Translacio dels invincibles y gloriosos martirs de J. C. Abdon
y Sennen..., Perpinya, 1591.
élevé, domine eet ensemble. Ces arcatures, primitivement
au nombre de huit, retombent, non plus sur des pilastres,
mais sur de fines colonnettes à chapiteaux sculptés.
Une étroite fenêtre en plein cintre, aujourd’hui murée,
est percée à l’intérieur des arcatures extrêmes et deux
baies identiques devaient exister au centre, malencon
treusement remplacées, au xix e siècle, par une grande
fenêtre « gothique ». A noter que ces arcatures, comme
les arcs des fenêtres, sont appareillées en briques, fait
exceptionnel et peut-être unique dans nos comtés au
xi e siècle. Enfin, couronnant la façade, s’étend une suite
de pilastres simplement réunis à leur sommet par une
ligne épousant la double pente du toit.
Louis de Bonnefoy a signalé, après Pierre Tastu,
l’inscription suivante gravée sur une des colonnettes
de la façade, à droite, inscription qui se développe sur
une ligne en montant le long du fût :

AM ELI VS MAU RE LL VS MONACVS EL DESINDVS PReSBiteR Q VIHOC FECERVNT (1)

On y a vu jusqu’à présent la signature de deux archi


tectes qui conçurent et exécutèrent la façade, sinon
l’église tout entière.

(1) Pierre Tastu, Notice sur Perpignan (Journal des Pyrénées-


Orientales, 10 juillet 1852). — Louis de Bonnefoy, Epigraphie
roussillonnaise, Perpignan, 1868, p. 218.
Cette mystérieuse inscription est à quelque 15 mètres de hau
teur et ne peut être déchiffrée qu’à l’aide d’une lorgnette : d’où
des lectures un peu différentes des deux érudits précités. Notre
transcription tient compte, provisoirement, de celle de Pierre
Tastu sur un seul point : le nom d’Eldesindus (au lieu de Clode-
sindus), qui nous paraît plus conforme à l’onomastique de nos
comtés.
Signalons ici une observation qu’il nous a été donné de faire et
qui nous paraît en rapport avec la galerie à colonnettes. Une visite
à l’intérieur du a oûtain en quart de cercle établi au-dessus du bas-
côté sud (cf. note suivante) nous a permis de vérifier l’existence,
dès le XIe siècle, d’un passage voûté, pratiqué dans le mur de la
nef, un peu au-dessous de la ligne d’appui des fenêtres hautes, et
donnant accès au-dessus de la toiture du bas-côté. Nous ne dou-
364 ARLES-SUR-TECH

Nous espérons revenir un jour sur celle inscription


et le problème qu’elle pose, lorsque nous aurons pu en
prendre un estampage. Mais nous croyons pouvoir
avancer dès maintenant qu’il s’agit du remploi, au
xi e siècle, d’une dalle gravée, qui a peut-être trait à la
période obscure des origines d’Arles et dans laquelle
furent taillées les colonnettes. On discerne assez nette
ment, à la lorgnette, les traces d’une ligne supérieure
dont le tailleur de pierre n’a laissé subsister que le bas
des lettres.
Un autre point dont on ne paraît pas s’être avisé
jusqu’ici, c’est que le décor sculpté de cette façade —
de l’archivolte et de la fenêtre qui la surmonte, tout au
moins — n’a pas été taillé dans le marbre, mais dans
un calcaire fin et résistant, gris à patine ocrée. Il y a là
un fait vraiment extraordinaire, dont nous ne connais
sons pas d’autre exemple en Roussillon et Yallespir,
où le marbre blanc semblait avoir été uniformément
employé, au moins dès le xi e siècle. Contentons-nous
de signaler ce problème, auquel il nous paraît prématuré
de vouloir donner dès à présent une réponse, mais dont
l’incidence sur la question encore obscure de nos ateliers
roussillonnais de sculpture, romans et préromans, ne
saurait échapper.

Le narthex. — Ajoutons que des sondages récents,


pratiqués sur l’actuel parvis, ont montré que le mur
du bas-côté nord se prolongeait anciennement jusqu’à

tons guère de l’existence d’un passage symétrique au-dessus de


la toiture du bas-côté nord. On devait communiquer de l’un à
l’autre par des passerelles de bois, correspondant elles-mêmes avec
un véritable chemin de ronde, ménagé au détriment de l’épais
seur du mur de façade, toujours visible à l’intérieur de la nef, le
long du mur oriental, à la hauteur des quatre étroites fenêtres de
la galerie à colonnettes. Il semble bien qu’une telle disposition
répondait à des préoccupations de défense et, peut-être aussi, au
souci de lutter contre l’éventuel incendie des toitures.
mgarims

365
de l’arc et se transforme à nouveau en rinceau fleuronné
sur le montant de droite ; au-dessus de l’arc, une archi
volte prismatique, où court un riche rinceau fleuri, étend
une saillie protectrice.

Les voûtes de la nef et des bas-côtés. — Au xn e siècle,


on entreprit de voûter l’église tout en respectant le
gros œuvre du siècle précédent : travail considérable,
vu la grande hauteur de la nef principale par rapport
aux bas-côtés qui, de ce fait, ne pouvaient la contre-buter
convenablement. C’est pourquoi on choisit le parti,
d’ailleurs traditionnel en Roussillon, d’établir la voûte
centrale sur des contreforts intérieurs, réunis par des
arcades latérales : les piliers primitifs furent alors dou
blés intérieurement en bel appareil de granit et on lança
de nouvelles arcades le long des murs de la nef, bien
au-dessus des anciennes. On conserva les fenêtres hautes,
dont on prolongea l’ouverture à travers la voûte. Quant
aux bas-côtés, qui n’avaient pas été surélevés, préci
sément pour maintenir l’éclairement direct de la nef,
ils reçurent, celui du nord, une voûte en plein cintre
soutenue par des arcs-doubleaux, celui du sud, une voûte
en arc brisé sans doubleaux, identique à celle de la nef
principale : différence de traitement qui paraît indiquer
au moins des hésitations et même, très probablement,
une certaine discontinuité dans la marche de l’œuvre (1).

(!) Brut,ails et J. Puig i Cadafalch ont admis que les bas-côtés


nord et sud avaient été voûtés sur doubleaux dès 1046. Nous res
tons très sceptique à cet égard, car nous sommes persuadé que
la nef principale, vu sa largeur (8 m 10), sa grande hauteur (17 m.) et
la minceur relative de ses murs (l m 10), ne pouvait qu’être couverte
en charpente : ce qui nécessita, d’ailleurs, l’adjonction d’une épais
seur supplémentaire de 0 m 85, lors du voûtement, au xn e siècle.
Quci qu’il en soit, le voûtement différent des bas-côtés pose un
problème chronologique que, seule, la disparition des enduits mo
dernes permettra peut-être de résoudre.
A. Brutails a déjà signalé un détail important du voûtement
des collatéraux, « procédé imaginé, dit-il, par le maître d’œuvre
chéologique nous ont, en effet, permis de résoudre le pro-

d’Arles, qui était vraiment un liomme fécond en petits expédients.


Sur l’extrados des voûtes latérales, il a assis d’étroits voûtains,
qui partent de la clef desdites voûtes pour aboutir à l’appui des
fenêtres. Ces arcs continus contrebutaient, très faiblement, il est
vrai, les murs de la grande nef; leur fonction principale était de
porter la toiture en appentis ». Seul subsiste le voûtain du colla
téral sud, mais nous avons vérifié les arrachements d’un voûtain
blême, encore sans solution, des trois autels de Saint-Mi
chel, Saint-Gabriel et Saint-Tiburce qui, nous l’avons
noté, avaient été consacrés en 1157, en même temps que
les trois autels principaux.
Sans doute ces autels supplémentaires auraient pu,
à la rigueur, être disposés en divers endroits de la nef,
suivant un usage assez répandu. Mais ici la solution
fut plus intéressante : nous avons pu nous rendre compte
que trois absides semi-circulaires avaient été créées
dans l’épaisseur du mur de façade, à l’extrémité orientale
de l’église, absides dont l’une, tout au moins, était dis
posée en élévation sur une sorte de tribune située au-
dessus et dans le prolongement intérieur du portail
d’entrée. Au xvm e siècle, cette ancienne chapelle-tribune
fut utilisée pour l’installation de l’orgue, ce qui explique
qu’elle ait échappé à l’attention des archéologues, comme
du reste les deux absidioles voisines, englobées elles
aussi dans la nouvelle tribune de l’orgue. L’absidiole
du nord a été murée, mais nous avons dégagé une partie
de l’arc triomphal en plein cintre ; l’autre, au midi, est
encore visible derrière la soufflerie de l’orgue et nous
avons fait apparaître la petite fenêtre en plein cintre
et à double ébrasement qui l’éclairait. Quant à l’abside
centrale surélevée, encore visible, elle aussi, derrière le
buffet de l’orgue, elle prenait jour de la fenêtre sculp
tée qui est au-dessus du portail d’entrée et qui appar
tient, comme tous les éléments sculptés de la façade, au
xi e siècle. De part et d’autre de cette abside, nous avons
également retrouvé deux niches profondes, en plein

identique au-dessus du collatéral nord, dont la voûte lut pour


tant traitée différemment. Pour nous, ces voûtains en quart de
cercle, s’appuyant en manière d’arc-boutant continu sur les murs
de la nef, font surtout figure d’une précaution supplémentaire,
prise, lors du voûtement, pour garantir la fermeté de ces murs
contre la poussée de voûtes qui n’avaient pas été prévues dès
l’origine.
370 ARLES-SUR-TECH

de l’abside principale, en dépit du plancher qui y fut


encastré au xvin e siècle.
Cette fresque, dont nous avons pu dégager quelques
éléments, présente, de chaque côté de la fenêtre — elle-
même peinte intérieurement de rinceaux en noir sur
fond blanc — divers personnages en majeure partie
intacts sous les enduits d’épaisseur variable, parfois
réduits à un simple lait de chaux.
Nous nous sommes surtout attaché à faire apparaître
un grand séraphin aux blanches ailes ocellées, situé à
droite de la fenêtre. Le visage, d’une expression mâle
et noble, est tracé en noir, avec retouches blanches et
rouges sur un fond rose vif, le vêtement est rouge,
d’autres paires d’ailes paraissent se croiser sur le bas du
corps.
En tout, six séraphins sont disposés, par moitié, de
part et d’autre de la fenêtre. Au-dessus, la corniche de
l’abside (un cavet surmonté d’un simple bandeau) est
peinte d’une grecque à peu près semblable à celle de
Saint-Martin de Fenollar. Quant aux peintures qui
couvrent le cul-de-four et dont il subsiste une bonne
moitié, il est encore trop tôt pour en décrire le sujet et il
serait du reste dangereux de vouloir trop en dégager
avant le déplacement de l’orgue, dont le principe sera,
nous l’espérons, facilement admis.
Toutefois, sur la base des éléments dont nous disposons,
il apparaît que, malgré une parenté de style et d’esprit
certaine, nous sommes déjà loin ici du primitivisme et
des tons heurtés qui donnent aux visages de Fenollar
tant de rudesse et de farouche énergie, bien propres à
séduire notre temps. Sans doute la conception reste
forte et, par là, bien catalane, mais, par comparaison
avec les anges de Fenollar, les séraphins d’Arles sont
les témoins d’un art incontestablement plus évolué,
dépouillé et même parvenu, pourrait-on dire, à une
sorte de classicisme. La palette, d’autre part, semble
moins riche : nous n’avons pu noter, pour le moment,
que le noir, le rouge (et le rose), le blanc, l’ocre brun,
l’ocre jaune et le gris et n’avons pas relevé les verts et
les bleus si caractéristiques de Saint-Martin. Mais il y
a peut-être là un autre problème qu’il serait prématuré,
de toute façon, de vouloir traiter aujourd’hui.
Outre leur valeur intrinsèque, qui est; grande, les
fresques d’Arles ont
encore l’intérêt supplémentaire
d apporter un élément
nouveau et sûr à la chronologie
de la peinture
romane catalane.
En effet, l’identification des trois autels de Saint-Mi
chel, Saint-Gabriel et Saint-Tiburce, consacrés nommé
ment pour la première fois en 1157, paraît désormais in
discutable et la position élevée de celui de Saint-Michel

cité le premier, comme le plus important, dans l’acte de
consécration — sur la tribune centrale, si conforme à
la tradition constante du Moyen Age pour les chapelles
dédiées au céleste passeur et peseur des âmes, en est
une confirmation de plus. Si l’on admet, avec nous, que
l’abside centrale de l’orient venait de recevoir sa décora
tion peinte lorsqu’on la consacra solennellement (1),
les fresques de l’église d’Arles, bien datées de l’an 1157,
constitueront un important jalon pour l’établissement
d’une chronologie relative où l’on ne disposait guère

(1) Toutefois, nous n’excluons nullement a priori l’hypothèse


très plausible selon laquelle la chapelle-tribune ou même l’ensemble
du chevet oriental pourraient remonter déjà, en totalité ou en
partie, au xi e siècle. Cette conception eût été, en tout cas, des plus
conformes aux idées de ce temps. Ne dirait-on pas que ces lignes
du moine Garsias, en 1040, pourtant relatives à Cuxa, décrivent
précisément Sainte-Marie d’Arles : « en face de la Reine (du ciel) est
le terrible et divin Michel, comme pour la protéger, (lui qui) désigna
son Fils, né avant les temps, aux fidèles et à tous ceux qui venaient
à sa rencontre, disant : « Vous trouverez l’Enfant enveloppé dans
des langes et placé dans une crèche » (Marca Hispanica, Ap.,
n° CCXXII)?
La question ne pourra être définitivement tranchée qu’après la
disparition de l’orgue et des enduits modernes.
jusqu’ici que d’une seule date, concernant l’ensemble
archaïque de Tahull, daté par une inscription de 1123.

Le cloître. — Le cloître, œuvre principale de l’abbé


Raimond deç Bach (1261-1303), est entièrement cons
truit en marbre blanc de Ceret, les colonnettes mises
à part, qui sont en « pierre de Gérone » et représentent
une des premières importations en Roussillon de ce
matériau, dans lequel seront taillées, aux xiv e et
xv e siècles, la plupart de nos croix de cimetière.
Il offre un exemple unique en Roussillon et en Cata
logne de cloître gothique de type « languedocien », carac
térisé par le maintien des colonnes doubles de section
circulaire, tandis que tous les cloîtres catalans contem
porains adoptent la colonne simple, le plus souvent
de plan quadrilobé (1). Il est possible que l’influence
de Moissac ne soit pas étrangère au choix de ce parti,
par ailleurs dans la tradition des cloîtres romans de la
seconde moitié du xn e siècle. Toutefois, il convient
d’observer que le premier cloître bien daté du type dit
catalan, celui de Saint-François de Palma de Majorque,
ne fut pas commencé avant 1286, au lieu que celui
d’Arles peut fort bien être antérieur de vingt à vingt-cinq
ans à cette date.
Les arcs en tiers-point, soulignés par une moulure
torique à listel, les chapiteaux à tailloir lisse, ornés de
fleurons au pur dessin, les fines colonnettes aux heureuses
proportions donnent à la claire-voie d’Arles une élégance
à la fois sobre et gracieuse. Des arcs-boutants de marbre,
appuyés sur des consoles sculptées, la maintiennent aux
quatre angles et la toiture est, comme toujours dans ce
type de cloître, un simple appentis.
Des quatre murs qui enferment le cloître, un seul,

(1) Voir Pierre Lavedan, U architecture gothique religieuse en


Catalogne, Valence et Baléares, Paris, 1935, p. 209-221.
celui de l’ouest, — et encore dans sa moitié septentrionale
(appareil de galets disposés en épis)
— paraît contem
porain de l’œuvre. Celui du nord, appareillé en matériaux
frustes, plus gros et disposés en assises plus ou moins
horizontales, doit remonter aux tout premiers temps

P. Ponsich phot.
GALERIE NORD DU CLOÎTRE

du monastère. Sa grande épaisseur, anormale pour sou


l
actuelle fonction (l m 90 à m 60), ses meurtrières primi
tives à parements faits de deux pierres posées de champ,
nous inclinent à y voir un vestige de l’enceinte des
ix e -x e siècles. Il pourrait en être de même de la mu
raille de l’est, percée d’une porte en plein cintre, aujour
d’hui murée et très surélevée par rapport au sol actuel,
dont les petits claveaux étroits, les blocs en délit aux
piédroits, l’emploi du calcaire coquillier pour les pare
ments, dénotent tout au moins le commencement du
xi e siècle. Celle du sud ne paraît pas non plus excéder
ce dernier siècle : l’appareil de galets en épis, que nous
datons du xm e siècle, la surmonte d’ailleurs, ainsi que
la précédente, à partir de 1 mètre environ au-dessous
de la toiture du cloître.
Contre le mur nord du cloître est fixée une ancienne
table d’autel en marbre blanc, malheureusement très
usée pour avoir longtemps servi de seuil : elle appartient
à la série des tables d’autel dites « du midi de la France »,
naguère étudiées par M. Paul Deschamps, caractérisées
par leur bordure de lobes semi-circulaires sculptés en
creux — ce sont ici de véritables cercles — et doit remon
ter au moins au xi e siècle.
Salle capitulaire et palais abbatial. — A l’extrémité
septentrionale de la galerie de l’est, s’ouvre la salle
capitulaire, œuvre du xiv e siècle, offrant une élégante
façade de marbre blanc ajourée de deux fenêtres à
meneau et arcs trilobés, encadrant le portail en tiers-
point.
Le palais abbatial, à l’est du cloître, a été trahi par
de malheureuses « restaurations » modernes. Sa façade
principale, du côté du levant, présentait une petite
fenêtre romane à arcature géminée et quatre baies à
triple arcature retombant sur deux colonnettes à chapi
teaux sculptés, surmontées d’une archivolte rectangu
laire, d’un type qui devient courant en Roussillon au
xiv e siècle. L’étage, appareillé en galets disposés en épis,
correspond seul à l’œuvre de Raimond deç Bach.

Les chapelles latérales.


— La chapelle Saint-Benoît
est la première chapelle latérale à l’ouest du bas-côté
méridional. Sa voûte présente une croisée d’ogives re
posant sur des culots oblongs, dont les deux premiers
sont ornés d’un écusson à trois chevrons. Seraient-ce
les armoiries de Raimond deç Bach? Notons cependant
que les ogives offrent un profil en méplat et cavets
séparés par des arêtes vives, dont nous ne connaissons pas
d’autre exemple antérieurement au xv e siècle, profil
qui contraste du reste avec celui des arcs du cloître ou
des nervures des autres chapelles.
Les deux chapelles voisines, respectivement consacrées
à saint Antoine et à saint Joseph (anciennement saints
Côme et Damien), ont des croisées d’ogives de profil
polygonal et doivent remonter à la fin du xm e siècle ou
au commencement du xiv e . La chapelle Saint-Antoine
est peut-être aussi l’œuvre de Raimond deç Bach, car
sa clef de voûte est sculptée d’un écusson à trois chevrons,
cette fois surmonté de la mitre et de la crosse abbatiales,
celle-ci tournée à senestre.
Ces trois chapelles en arc brisé, éclairées chacune

par un œil-de-bœuf, sont adossées au mur nord du cloître,


dont nous avons signalé le caractère primitif. Dans ce
mur sont encastrées au moins deux inscriptions tumu-
laires d’abbés, dont l’une, celle de l’abbé Arnulfe (958-
963...), ne peut être postérieure au xi e siècle d’après
ses caractères épigraphiques (1).

(1) Ces deux épitaphes — l’autre est celle de l’abbé Bernard de


Montesquiu (1214-1220) — sont visibles aujourd’hui au fond d’un
placard, à gauche du rétable de Saint-Joseph. Ces marbres, selon
le témoignage du P. Llot, qui les retrouva et les fit nettoyer, sont
à leur place primitive et ferment les ossuaires des deux abbés.
L’abbé Arnulfe, comme le rappelle son épitaphe, est celui qui dota
le monastère des reliques des saints Abdon et Sennen, toujours
vénérées à Arles, où elles furent à l’origine du miracle de « la Sainte-
Tombe ». Celle-ci est un sarcophage en marbre du iv e siècle, orné
du. chrisme constantinien, qui aurait contenu quelque temps les
reliques des deux martyrs. Déposée à l’entrée de l’église, à gauche
du parvis, on y puise depuis lors, indéfiniment, une eau pure et
incorruptible, qui est distribuée encore aujourd’hui à tous ceux
qui en font la demande. Au-dessus du sarcophage, un grand gisant,
dont la tête est encadrée de deux anges et surmontée d’une main
bénissante brochant sur une croix pattée, est encastré verticale
ment dans le mur méridional de l’ancien nartliex. Une inscription
Le long du bas-côté nord, deux grands arcs en plein
cintre ont été percés pour donner accès à deux grandes
chapelles, voûtées d’ogives de profil torique à deux lis
tels. Ce travail, qui pourrait dater de la fin du xiv e siècle
ou du début du siècle suivant, amena la suppression des
doubleaux du bas-côté nord et de leurs dosserets.
Derrière le rétable moderne de la chapelle de l’ouest
(Notre-Dame du Rosaire) existe dans l’épaisseur du
mur une grande tombe-arcade, appareillée en marbre
blanc, surmontant un caveau qui a été visiblement violé,
mais contient encore des ossements ; nous n’avons vu
aucune inscription qui permette d’identifier ce probable
tombeau d’abbé.
Au-dessus de l’arcade, une grande fenêtre en arc brisé
gardait naguère encore son vitrail ancien, dont seule
subsiste aujourd’hui la partie garnissant les lobes et
écoinçons du sommet, décorée de motifs floraux stylisés.
La seconde chapelle est dédiée aux saints Abdon et
Sennen, patrons toujours vénérés de la ville d’Arles.
La grande fenêtre en arc brisé qui l’éclairait a été murée
lors de la mise en place d’un très beau rétable sculpté
et doré, daté de 1647.
Citons également pour mémoire les rétables, bien infé
rieurs, de Saint-Benoît (xvn e siècle), Saint-Antoine, Saint-
Pierre, Saint-Joseph et celui du Christ (xvm e siècle).

Armoires peintes et reliquaires. — Au xiv e siècle


doivent remonter deux armoires, fermées chacune par
deux vantaux de fer, qui furent pratiquées sur la face
ouest des deux piliers de la nef les plus proches du chœur.

témoigne que c’est là le tombeau de Guillem-Gaucelme, seigneur


de Tallet, mort en 1211, qui, ajoute la tradition populaire, aurait
été guéri d’un cancer de la face par l’eau miraculeuse de la Sainte-
Tombe. Cette sculpture, de facture romane archaïsante, s’appa
rente de très près à quelques autres, dans le cloître d’Elne et à
Saint-Jean-lc-Vieux, toutes datables des prémières années du
xm c siècle.
Ayant en la curiosité d’ouvrir ces armoires situées à
environ 3 mètres de hauteur, nous avons eu la surprise
de constater qu’elles conservaient, presque intact, un
intéressant décor peint. IJ s’agit ici simplement d’une
décoration à la détrempe, de facture plutôt sommaire
et naïve, fort suggestive cependant par la curieuse
juxtaposition de motifs romans de haute époque — que
l’artiste avait sans doute alors sous les yeux et n’avait
qu’à recopier — et de thèmes bien gothiques, note
« moderne » qui donne la date de l’œuvre. A ce seul titre,

cet ensemble, par ailleurs purement décoratif, nous


paraît digne d’être publié un jour. Nous croyons que
ces armoires, encore munies de leurs fortes serrures
anciennes, servaient à la fois à enfermer des reliques
hors de la portée des voleurs et à les exposer aux yeux
de tous à l’occasion de certaines cérémonies.
Les fameuses reliques des saints Abdon et Sennen y
furent peut-être exposées avant l’édification de l’actuelle
chapelle. Les bustes-reliquaires de ces deux saints, en
argent doré, furent successivement confectionnés en
1425 et 1440 par l’orfèvre perpignanais Miquel Ale-
rigues, aux frais de la « confrérie des saints martyrs
Abdon et Sennen » ; sauvés durant la Révolution par
la piété d’un habitant d’Arles, ils sont aujourd’hui les
plus remarquables objets mobiliers de l’église d’Arles.
L’ÉGLISE DE PRATS-DE-MOLLO

par M. Marcel DURLIAT

Une église dédiée aux saintes andalouses Juste et Ruf-


fme et consacrée le 7 des calendes de juillet 982 par Ilde-
sind, évêque d’Elne, en présence du comte de Cerdagne
et de Besalu, Oliba, de sa femme et de ses fils, fut l’origine
de la paroisse de Prats-de-Mollo, alors appelée simple
ment villa, Pratis.
L’accroissement de la population rendit nécessaire la
construction d’une nouvelle église, consacrée le 23 avril
1245 par Bernard de Berga, évêque d’Elne. C’était un
édifice à trois nefs divisées en trois travées par quatre
piliers. Le clocher, qui date de cette époque, est encore
construit dans la tradition romane, mais il est dépourvu
du décor spécifique des tours romanes : les bandes plates
et les arcatures. Le premier étage est éclairé par des fe
nêtres isolées dont l’arc est en plein cintre, le deuxième
étage, par deux fenêtres semblables, sur chaque face ;
au troisième étage, les fenêtres, toujours groupées par
deux, sont géminées. Le dernier étage fut élevé au
xiv e siècle, lorsque la tour, incorporée aux remparts de
la ville, acquit une valeur militaire. La pyramide du cou
ronnement ne date que de 1634.
On ouvrit sur les collatéraux de l’église des chapelles
successives : les deux chapelles méridionales sont les plus
anciennes ; celle de sainte Catherine, la première à par
tir de l’est, était éclairée par une fenêtre dont l’arc tri
lobé peut remonter à la fin du xm e siècle ou au xiv e siècle.
La chapelle de saint Corne et de saint Damien, première
chapelle du collatéral nord à partir de l’ouest, ne date
que de 1600 : elle fut édifiée par l’architecte Michel Ar-
tigues, aux frais de Côme Serramijana, riche négociant
de Prats-de-Mollo.
Au xvn e siècle, l’église romane, à son tour, apparut
trop petite pour les douze cents fidèles, d’autant plus que

P. Jauzac phot.
CHEVET ET CLOCHER

les habitants désiraient posséder un de ces larges vais


seaux fort appréciés de toute la Catalogne depuis l’époque
gothique. En 1648, les consuls et les conseillers de la ville
décidèrent de modifier l’église paroissiale et de supprimer
les grands piliers qui empêchaient de voir le maître-autel
et d’entendre la messe au tiers des paroissiens.
Le nouvel édifice, dont le plan fut dressé par Antoine
Doldon, architecte de Perpignan, et dont l’exécution fut
confiée à Guillaume Para, père et fils, maîtres maçons de
Prats-de-Mollo, conservait les murs goutterots du
xm e siècle, mais les surélevait pour recevoir la nouvelle
couverture. Selon la coutume du pays, tous les habitants
apportèrent leur contribution personnelle à l’œuvre.
La première pierre
futposée le 23 avril
1649 et, à la fin de
1650, la façade était
bâtie. Malheureuse
ment, la voûte, in
suffisamment étu
diée, s’écroula dès
1663. La même an
née, la communauté
des habitants char
gea le maître d’œu
vre Jacques Marial
ou Marsal de la re
faire. 11 s’agissait
d’un architecte de
grand renom, qui
travaillera, dans le
diocèse d’Elne, aux
églises de Collioure,
de Maureillas et du
Jésus de Perpignan ;
Arch. Mon. hist.
PLAN en Ampurdan,
. aux
églises de la Selva,
de Cadaquès et de Navata. En 1676, il fut chargé d’une
expertise en vue de terminer le chevet gothique de la ca
thédrale d’Elne, demeuré inachevé depuis le xv e siècle.
L’architecte construisit à Prats-de-Mollo une voûte go
thique dont les robustes doubleaux et les ogives viennent
se perdre dans les murs au-dessus de minces tablettes. La
clé des ogives est volumineuse et pendante. Des nervures
de même tracé et de même profil, prenant appui de la
même manière sur les murs, furent aussi construites dans
l’église de Rivesaltes à partir de décembre 1664. Le style
gothique connaissait, d’ailleurs, dans tout le Roussillon,
une popularité qui subsistera encore au xvm e siècle et
que le style classique ne pourra jamais détruire.

P. Jauzac phot.
INTÉRIEUR

On refit aussi dans le même style les voûtes des an


ciennes chapelles, après les avoir surélevées, et l’on agran
dit la nef par l’adjonction de deux nouvelles chapelles,
celle du Rosaire au midi, construite en 1673, et celle du
Saint-Sacrement au nord, édifiée en 1675.
Le dernier doubleau de la nef, avant le chœur, ayant
été achevé en 1678, on construisit, en l’espace de trois
ans, un nouveau chevet polygonal. La bénédiction soleil-
nelle du décembre 1681 marqua la fin de cette cam
7

pagne de travaux ; il restait à terminer la tribune, alors


en construction, et à meubler le nouveau sanctuaire.

Le mobilier. — L’église de Prats-de-Mollo possède une


très riche collection de retables en bois sculpté, dorés et
peints, qui datent à peu près tous de la fin du xvn e siècle
et du début du xvm e siècle.
Le retable du maître-autel fut béni le 14 mars 1693,
mais ne fut doré que de 1743 à 1748. Entre temps, on
avait construit l’autel et ses gradins, qui vinrent dissi
muler une partie des anciennes sculptures avant que
celles-ci n’eussent reçu leur dorure.
Le décor comprend, au-dessus d’un soubassement et
d’une prédelle, trois étages superposés de panneaux
sculptés et de grandes niches.
Les trois panneaux qui sont du côté de l’évangile repré
sentent tour à tour :
1° Un miracle que, selon des traditions pieuses, des
saintes auraient accompli dans une hôtellerie de Prats-
de-Mollo. Le cabaretier, peu délicat, leur ayant vendu
un vin étendu d’eau, elles le passèrent au crible : le vin
resta dans le crible et l’eau tomba sur le sol.
2° Au-dessus, le supplice d’une sainte attachée presque
nue sur un chevalet, tandis qu’un bourreau lui laboure
les flancs avec un peigne de fer.
3° A l’étage supérieur, le corps inanimé de sainte Juste
est jeté dans un puits par les bourreaux.
Du côté de l’épître, les trois panneaux symétriques
représentent :
1° Les saintes devant Diogénien, gouverneur de l’An
dalousie, représenté couronné et assis sur un trône.
2° Le supplice de l’autre sainte, scène identique à celle
qui lui fait pendant.
3° Sainte Ruffine est en prière, agenouillée sur un bû
cher ardent auquel un bourreau vient ajouter un fagot,
scène qui, d’après M. André Lubac, ne serait pas conforme
à l’hagiographie traditionnelle des saintes.

Les statues placées dans les niches ou sous les dais


sculptés sont plus récentes. Ayant été détruites par la
Révolution de 1789, elles furent remplacées au début du
xix e siècle. Sculptées par Chevanet, de Perpignan, elles
furent dorées par Puigmall, doreur de Raget (Espagne).
Enfin, surmontant le tout, un septième panneau sculpté
représente le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean.
L ensemble est d’une grande richesse ; on appréciera
le luxe des colonnes salomoniques, la qualité des rinceaux,
la variété des corniches, même si l’on critique l’exubé
rance de cet art baroque, le foisonnement des colonnes,
la pléthore de statues et la lourdeur des baldaquins, même
si l’on relève certaines insuffisances dans la composition
des scènes ou la sculpture de leurs personnages.
Le retable de saint Michel orne la chapelle que les tisse
rands de Prats firent construire en 1701 et dont l’arceau
était autrefois surmonté des attributs professionnels de
cette corporation. Le retable fut construit en 1705 et doré
après 1723. Le 2 décembre de cette année, un marché fut
conclu à cet effet entre les administrateurs de la confrérie
et le peintre Joseph Gasch. Les scènes représentées sont
toujours celles que la Légende dorée avait popularisées
dès le Moyen Age : miracle du mont Gargano, apparition
de saint Michel à l’évêque de Siponto, office divin célé
bré par l’évêque dans la grotte mystérieuse, salut de la
femme enceinte au milieu des flots dans la baie du Mont-
Saint-Michel et, enfin, lutte contre les démons. Le dais
de la niche centrale, où l’on voit l’archange luttant contre
Satan, sert de support à la statue de l’ange Raphaël qui
conduit le jeune Tobie par la main.
Le retable du Rosaire est de bonne qualité. L’ordon
nance des divers registres rappelle celle du maître-autel,

P. Jauzac phot.
RETABLE DU ROSAIRE

mais il ne subsiste qu’un seul dais à balustrade, au-dessus


de la statue centrale de la Vierge. Le sculpteur fut vrai
semblablement celui du maître-autel, comme on peut
s’en rendre compte en observant la similitude des scènes
de la Passion sur la prédelle, dans les deux cas.
Les différents mystères se suivent de gauche à droite
et de bas en haut. Ce sont : l’Annonciation, la Visitation,
la Présentation au Temple, Jésus parmi les docteurs, la
Piésurrection, l’Ascension, la Pentecôte, l’Assomption, le
Couronnement de Marie dans le Ciel. Le retable semble
avoir été sculpté en 1706, doré en 1742, repeint en 1892.
Le retable de saint Joseph (dernière chapelle du côté
de l’épître) fut sculpté en 1709. Les statues dans les niches
du premier registre sont modernes ; le saint Joseph de la
niche supérieure est ancien, mais il ne se trouve pas à son
emplacement d’origine. Les deux panneaux latéraux de
ce registre, représentant le mariage de la Vierge et la
Fuite en Égypte, appartiennent bien, par contre, à
l’œuvre primitive.
Le retable du Saint-Sacrement (première chapelle, côté
de l’évangile) fut sculpté en 1717 et doré deux ans plus
tard. L’essentiel est constitué par un fort beau tabernacle
dont les panneaux s’ouvrent lorsqu’on veut exposer le
Saint-Sacrement. Des rideaux sont sculptés sur les pan
neaux latéraux. La Cène est représentée au sommet.
D’autres retables vinrent, dans le courant du xvn e siècle,
compléter cet ensemble. Celui de saint François-Xavier,
dans la chapelle du Saint-Sacrement, consiste essentiel
lement en une toile assez médiocre représentant la pré
dication du saint. En dessous, dans un médaillon, se
trouve une petite statuette du saint sur son lit de mort.
A l’intérieur de la chapelle du Rosaire, le petit retable
de saint Pierre et saint Paul fait pendant au précédent ;
il comprend deux niches, celle du bas réservée à ces deux
saints, celle du haut, plus petite, étant occupée par les
statues de saint Antoine et de saint François-Xavier.
Il existe, au-dessous de l’orgue, un autel de saint An
toine de Padoue avec une grande toile qui est un ex-voto.
Le dernier retable, celui de sainte Catherine (seconde
chapelle méridionale), lut sculpté dans la seconde moitié
du xvm e siècle et peint en 1789. La grande statue de la
sainte occupe une niche centrale. Sur la prédelle, scènes
du martyre de la sainte.

L’orglie. -— L’orgue primitif fut démonté, comme les


autels, au moment de la reconstruction de l’édifice et res
tauré, ainsi qu’en fait foi une mention du livre des comptes
de 1654. Les volets en sont conservés dans la chapelle de
la Pietal.
La charge de construire un nouvel instrument et son
buffet fut confiée au Frère Pasquel Cervello, religieux
jacobin conventuel de Perpignan, et à Salvador Quinta,
arquitecta domicilié à Massanet de Cabrenys (en Cata
logne), suivant un projet établi en collaboration par l’abbé
Jean-Pierre Faura, organiste de la ville d’Arles, et le
Frère Pasqual. Les deux hommes ne travaillant pas à
frais commun, on précisa la tâche de chacun par contrat
en date du 20 avril 1723.
Au Frère Pasqual, pour 200 pistoles d’or de 12 livres
chacune, fut confiée la « factorie des orgues » — l’acte
distingue, en effet, le grand orgue et le positif (cadiretta).
A Salvador Quinta, pour 90 pistoles, la charge de « tra
vailler tout le hois qu’il sera nécessaire d’employer à la
facture du dit orgue, depuis le sommet jusqu’au bas, plus
les polseras, les 4 soufflets, les 2 bourdons, tant de l’orgue
que du positif, les pédales avec les 8 flûtes, les 4 som
miers, 2 cornets, 2 claviers et demi, le grand porte-vent
du grand sommier... ».
La communauté séculière de Prats mit à la disposition
de Frère Pasqual — qui commencerait son travail dès
qu’il aurait achevé l’orgue d’Ille-sur-Têt, soit dans un
délai évalué à un an et demi -—- tous les matériaux néces
saires et un charpentier pour lui « aplenir » et mettre en
état d’œuvre l’étain qui devrait être employé à la fac-
tone. Frère Pasqual disposait, en outre, d’une maison
contiguë à l’hôtel des pauvres, de deux lits et de tout le
petit ustensile nécessaire, ainsi que de vingt charges de
bois et six de charbon. Mention est faite des montures
qui porteraient Frère Pasqual par les mauvais chemins
muletiers de l’époque, quand il aurait à monter ou à des
cendre à la ville d’ille ou à celle de Perpignan pendant
le travail. Quinta disposait, de même, d’une maison et
du bois nécessaire.
Le travail fut achevé
en 1727 et il était entièrement
payé en 1731. L’ orgue fut restauré au milieu du
xvm e siècle. Une importante restauration est actuelle
ment effectuée par le Service des. Monuments historiques
pour porter remède aux gros dégâts provoqués par la
foudre.

La chapelle de la Pietat. Elle fut construite en 1427,



en l’honneur de la Passion, à l’ouest et au nord de l’église.
La voûte ne date que du xvi e siècle et le retable du
xvm e siècle. La chapelle était séparée de l’église par une
partie du cimetière et précédée d’un porche dont les ar
cades ont été murées. Lorsque la nef actuelle de l’église
fut édifiée, au xvn e siècle, on condamna le portail de la
chapelle et l’on créa un nouvel accès en ouvrant une porte
dans le mur du fond de l’église.

Bibliographie. — Abbé Joseph Gibrat, Monographie


de la paroisse de Prats-de-Mollo, Céret, 1924. — Charles
Guiu, La naissance et la survie des orgues de Prats-de-
Mollo. — André Lubac, Le culte de sainte .Juste et de
sainte Ruffine à Prats-de-Mollo, dans Archivo Hispalense,
n° 33, janvier-mars 1949, reproduit dans Madeloc, oc
tobre 1949.
L’ÉGLISE DE COUSTOUGES

par M. Marcel DURLIAT

L’église de Coustouges jouit d’une grande notoriété, née


de l’intérêt et de la surprise. Brutails s’est étonné de trou
ver dans une église paroissiale perdue dans la montagne
des procédés de construction et de décor extraordinaires
pour le Roussillon et difficilement explicables, et il a pro
clamé que tout est étrange en elle, jusqu’à son existence
même. De Noëll, qui fut son historien habile et conscien
cieux, a démontré la perfection de son architecture avec
un grand luxe de considérations techniques, mais il n’a
pas su résister à la tentation de chercher dans de savantes
combinaisons géométriques des intentions symboliques
impossibles à prouver. Les deux archéologues s’accor
daient par ailleurs à considérer l’édifice comme une œuvre
d’une seule venue et bien datée par un acte de consécra
tion de 1142. Une meilleure observation du bâtiment
prouvera, cependant, que cette harmonieuse unité n’était
peut-être qu’une séduisante vue de l’esprit, cependant
que la référence à d’autres églises voisines du Roussillon
ou de l’Ampurdan retirera à l’église de Coustouges un peu
de son mystère et permettra de la mieux situer dans l’art
roman catalan. La base de notre étude n’en demeurera
pas moins la notice de M. de Noëll, excellente dans ses
descriptions.
Le village de Coustouges est situé à l’extrémité du val
lon de Saint-Laurent-de-Cerdans, sur un col conduisant
en Espagne et très anciennement fréquenté. Sa paroisse
fut donnée à l’abbaye d’Arles par le comte de Besalu en
988 et elle demeura sous la juridiction de cette abbaye
jusqu’à la Révolution. L’église dédiée à la Vierge fut con
sacrée le 6 des calendes de décembre 1142 par Udalgar,
évêque d’Elne, et sous l’abbatiat de Raymond I er d’Arles.

* *
L’édifice se compose de deux parties de hauteurs iné
gales : la nef et le chœur. La nef, couverte d’un berceau
brisé, est divisée en trois travées égales par deux arcs-
doubleaux retombant sur des pilastres accolés aux murs
latéraux. Les murailles en belles pierres de taille grani
tiques sont flanquées de contreforts entre lesquels
s ouvrent d’étroites fenêtres à double ébrasement et à
linteau monolithe. Les contreforts se terminent par un
pan coupé sous une corniche constituée par un cordon
de dents d’engrenage.
Trois arcades inégales donnent accès au chœur : celle
du centre, en arc brisé, se prolonge dans une partie droite
par un berceau qui se raccorde lui-même au cul-de-four
de l’abside. Les deux petites arcades en plein cintre qui
flanquent la précédente ouvrent sur deux compartiments
latéraux très étroits dont l’espace est pris en partie aux
dépens de l’épaisseur des murs latéraux. Ces chapelles
latérales sont couvertes de voûtes d’arêtes sous lesquelles
deux boudins se croisent en diagonale de la même ma
nière qu’à la tribune de Serrabone, mais, alors que dans
ce prieuré les nervures ne jouent qu’un rôle purement
décoratif, celles de Coustouges constituent de véritables
croisées d’ogives. Elles reposent sur des consoles encas
trées dans les murs et sur deux grosses colonnes par l’in
termédiaire de chapiteaux trapus en granit, composés de
deux rangées de feuilles retroussées sous les volutes. La
poussée des voûtes du côté de la nef est contre-butée par
des trompes coniques.
Les fenêtres des chapelles latérales ont un linteau mo
nolithe moins haut que celles de la nef, cependant que
la fenêtre absidale est décorée de deux colonnettes qui
supportent une archivolte, par l’intermédiaire de chapi-

P. Jauzac phot.
VUE INTÉRIEURE

teaux sur lesquels sont sculptées des feuilles également


recourbées en volutes. La corniche de l’abside est compo
sée d’un cordon de dents-de-scie surmonté d’une tablette
biseautée et elle est supportée par une rangée de petites
arcades monolithes reposant sur des modifions taillés en
biseau et parfois ornés de sculptures. A l’intérieur, une
espèce de corniche règne également à la naissance du ber
ceau central du chœur : elle se compose d’une tablette

P. Jauzac phot.
CHAPELLE M ÉlUDJONALE

supportée par une ligne de corbeaux entre lesquels est


creusée une moulure en dents-de-scie.
Le clocher se dresse en saillie sur la façade méridionale,
à la jonction de la nef et du chœur. Il est bâti en pierres
de taille de dimensions inférieures à celles de l’église, sauf
à la base. Les premières fenêtres sont en plein cintre et
sans ébrasement, celles de l’étage supérieur, géminées ; les
deux arcs plein cintre retombent ici sur deux colonnes
placées dans le milieu de la baie, l’une derrière l’autre.
Le couronnement comporte les mêmes arcades décoratives
qu’à l’abside, sous le cordon de dents-de-scie, puis un
parapet crénelé. Le clocher avait, en effet, une destina
tion militaire : Jacques III de Majorque en nommait le
châtelain le 24 septembre 1339. Le rez-de-chaussée, très
exigu, est couvert d’une voûte en plein cintre percée
d’une trappe par laquelle on accède aux étages supérieurs
à l’aide d’une échelle ; il est éclairé par une longue et
étroite meurtrière ouvrant au sud. Le premier étage cons
titue un réduit de défense d’où les défenseurs pouvaient
gagner les toits de l’église ; l’étage supérieur, destiné aux
cloches, est, par contre, couvert d’un berceau brisé.
Le portail occidental, que nous étudierons ultérieure
ment, s’ouvre sous un porche qui prolonge la nef, mais
qui est une construction postérieure. La preuve en est
fournie par un changement d’appareil et par l’absence de
liaison entre la façade occidentale de l’église et les murs
du porche. Par ailleurs, le soubassement mouluré des
murs de la nef ne suit pas les murs du porche, mais repa
raît à l’intérieur jusqu’aux ébrasements du portail.
Certaines remarques conduisent à distinguer deux cam
pagnes dans la construction de l’église elle-même. Il est
visible, par la différence des appareils, que le clocher a été
élevé en deux fois et que le rez-de-chaussée est contem
porain de la nef. Il est non moins visible que la chapelle
méridionale s’appuie sur le clocher sans que ses murs té
moignent de la moindre liaison avec lui. On aperçoit au
tour de l’abside quatre petits contreforts arasés au ni
veau du soubassement et qui étaient vraisemblablement
destinés à servir de base à des piliers ou à des pilastres.
Enfin, l’appareil de l’abside et des deux chapelles est
généralement différent de celui de la nef : les pierres de
taille sont de dimensions inférieures et l’on constate l’em
ploi de dalles minces de travertin simultanément à celui
des pierres granitiques.
La voûte, d’ailleurs, n’est pas la couverture d’origine.
Mérimée l’avait déjà constaté dans ses Notes d’un voyage
dans le midi de la France et il supposait que, jusqu’à la
fin du xn e siècle, la nef n’avait été couverte que d’une
charpente. Il est difficile d’admettre cette proposition,
car les épaisses murailles, flanquées de contreforts,
semblent bien avoir été conçues pour supporter une
voûte. Mais non pour la voûte actuelle, de toute manière,
qui est postérieure au porche ou au plus contemporaine.
Elle présente, en effet, dans les deux parties de l’édifice,
les mêmes procédés de construction qui visent à la rendre
la plus légère possible, afin d’en atténuer la poussée : de
puis les naissances jusqu’à une hauteur d’environ deux
mètres, l’appareil est en granit et il fait suite, en quelque
sorte, au revêtement des murs. A partir de cet endroit,
les assises sont moins épaisses et sont composées de vous-
soirs en grès rouge et en travertin. La reprise correspon
dant à la création de cette voûte est parfaitement visible
sur les murs extérieurs de la nef, qui furent alors suréle
vés de quelques assises ; le cordon de dents-de-scie qui
orne la partie supérieure des murs date donc de cette
reprise.
Comment se présentait l’église de Coustouges avant
cette seconde campagne de travaux? Son plan avait,
extérieurement, le même dessin qu’aujourd’hui. Il nous
est, en effet, donné par le soubassement mouluré qui
fait tout le tour de l’édifice, en présentant sur la façade
septentrionale des ressauts qui rachètent les déclivités du
sol. Les deux chapelles latérales existaient-elles déjà? On
ne saurait ni l’affirmer ni le nier, mais l’absence des petits
ressauts qui marquent d’ordina-ire l’entrée de l’abside
dans un édifice roman peut servir de présomption pour
]e remaniement.
qui surmonte la baie. Primitivement, la chapelle Saint-
Pierre de Riuferrer avait une voûte sur doubleaux vrai
semblablement en plein cintre et appareillée comme le
cul-de-four de l’abside, mais on dut lui substituer égale-
side et dans les murs latéraux, des enfoncements ou cha
pelles qui se font face. Ces chapelles, entaillées d’équerre
ou en courbe, forment l’ébauche d’un transept. A Mont-
ferrer, elles sont en saillie sur les murs latéraux ; à Cous-
touges, elles sont simplement creusées à l’intérieur.
De toute manière, on dut, à une époque postérieure à
1142, refaire tout l’ensemble des voûtes de Coustouges et
l’on s’ingénia à en assurer la stabilité d’une manière plus
heureuse qu’auparavant. C’est à cette préoccupation que
répond le choix de l’arc brisé pour le vaisseau de la nef,
à cause des avantages statiques qu’il représente sur le
berceau plein cintre. C’est au même souci que répond
l’utilisation, pour les chapelles latérales, des voûtes
d’ogives, dont les mérites étaient certainement appréciés
de l’architecte, ainsi que la construction des trompes co
niques pour épauler la résistance des colonnes.
A la suite de ces analyses, nous arrivons à la conclu
sion que toute la nouveauté de l’église de Coustouges ré
side dans l’emploi des voûtes d’ogives pour couvrir des
chapelles dont la présence à cet endroit de l’église était
depuis longtemps habituelle dans la contrée, ainsi que
dans l’utilisation de certains procédés — les trompes
coniques — pour renforcer la stabilité de cet élément
architectural nouveau. Peut-être doit-on supposer pour
la reconstruction des voûtes la venue d’un maître d’œuvre
et d’artisans étrangers. Doit-on également attribuer à
ces mêmes hommes les sculptures du portail, ou tout au
moins peut-on imaginer transformation de celui-ci à
l’époque où l’on modifiait le chevet et les parties hautes
de l’église? Bien qu’apparemment le portail s’adapte
parfaitement à la structure de l’édifice, puisque son socle
prolonge le socle mouluré de la façade occidentale et qu’il
a conservé la contre-porte qui semble dater des travaux
de 1142, nous serons conduit à envisager cette hypothèse,
car le mur occidental de l’église semble appartenir pour

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