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Châsse et dalmatique

dites « de saint Étienne


de Muret »
Ambazac (87)

A
u XIe siècle la région d’Ambazac est marquée par
l’implantation de l’ordre de Grandmont qui est
organisé autour d’une abbaye dont le rayonnement
artistique et intellectuel nous est parvenu grâce à des
pièces d’orfèvrerie de grande qualité. La règle de vie des
moines de Grandmont avait été édictée par saint Étienne,
un ermite qui s’était retiré dans la forêt de Muret près
d’Ambazac.
Aux XIIe et XIIIe siècles l’abbaye bénéficie du soutien de
l’impératrice Mathilde, mère du futur Henri II, roi d’Angle-
terre. De cette époque datent deux des œuvres les plus
importantes du Limousin médiéval : la châsse et la
dalmatique dites « de saint Étienne de Muret ».

La châsse

Cette châsse est réalisée à la fin du XIIe siècle, entre 1180 et


1200. Elle est mentionnée dans de nombreux inventaires
du trésor de Grandmont aux XVe et XVIe siècles et devait
être placée, à l’origine, sur l’autel
majeur de l’abbaye. D’une hauteur de
63 centimètres pour une largeur de
presque 74 centimètres, ces dimensions
imposantes en font l’une des plus
grandes châsses de cuivre et d’émail
champlevé de cette époque conservée
en Limousin et en France, avec celle
de saint Dulcet à Chamberet et celle
de saint Viance en Corrèze, toutes
deux datées du XIIIe siècle.
Le corps inférieur est de forme rectan-
gulaire et repose sur quatre pieds. Il
est surmonté d’un second étage relié
au précédent par un toit à quatre
Vue de la face principale versants, décoré d’un motif imitant la

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tuile. Le niveau supérieur se termine Pignon droit


par un toit en bâtière, rythmé par
trois baies. L’ensemble est couronné
d’une crête encadrée de deux acrotères
placés aux extrémités et surmontée
d’un oiseau en son milieu. Les pignons
possèdent un décor architecturé
présentant les mêmes divisions, dont
l’un est constitué d’une porte articulée
sur deux gonds.
Elle est composée de plaques de
cuivre sur une âme en bois. L’émail
est employé, sur la façade principale
et sur le revers, pour la ponctuation
décorative des surfaces mais permet
également l’imitation de certains
matériaux, comme les vitraux sur les
baies latérales. Une analyse gemmo-
logique récente a montré qu’une
grande partie des pierres avait été
remplacée au XIXe siècle. Les pièces
anciennes subsistantes sont consti-
tuées de cristal de roche, de terre
cuite, d’intailles de verre, de perles et
d’agates ainsi que de trois améthystes
pâles sur la façade principale.
L’iconologie simple de ce reliquaire Vue de dos
s’appuie sur une structure et un décor
symbolique : la partie inférieure repré- et des architectures célestes sont
sente le lieu de repos des reliques avec très proches.
sur la face antérieure de la châsse, la Les historiens du XIXe et du début du
figuration de la tombe ; la partie supé- XXe siècle avaient identifié cette châsse
rieure représente l’espace céleste, le comme étant celle de saint Macaire.
lieu de séjour de l’âme du saint, marqué Elle contenait en effet, jusqu’en 1790,
par le signe de la croix et complété les reliques de ce saint avant que la
par deux figures d’anges. L’ensemble châsse ne soit transférée à Ambazac
est dominé par l’oiseau représentant et que les reliques soient remplacées
la colombe du Saint-Esprit. par le tibia de saint Étienne. Dès lors,
Une composition identique, caracté- le reliquaire fut considéré par la tra-
ristique de l’iconographie médiévale, dition populaire locale comme étant
se voit dans une miniature du Sacre- la châsse de saint Étienne de Muret.
mentaire de la cathédrale de Limoges, À partir de la fin du XVIIIe siècle la
représentant les Saintes Femmes au châsse d’Ambazac voyage à travers la
Tombeau. Les figurations du tombeau France. Elle est exposée, notamment

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lors des Expositions universelles de est constituée d’une soierie bicolore,
1878 et de 1889. Cette renommée bordée à l’encolure d’un fin galon
méritée aboutit au classement au exécuté selon la « technique aux
titre des monuments historiques de cartons », très prisée à l’époque
la châsse lors de la première Commis- médiévale pour le tissage des galons.
sion supérieure des objets mobiliers La contexture du tissu de soie, c’est-
le 20 juin 1891. à-dire ce qui définit sa technique de
En 1907, la châsse est volée par les tissage, est celle d’un samit façonné
frères Thomas, célèbres pour avoir deux lats, technique sophistiquée
dérobé de nombreuses œuvres originaire des pays d’Asie. Elle permet
religieuses à Solignac ou encore à la fabrication de tissus dits façonnés
Laguenne en Corrèze. La châsse est où le décor naît du jeu de l’entre-
retrouvée en 1910 à Londres. croisement des fils présélectionnés,
correspondant aux couleurs jaune et
violette. La doublure, qui n’est pas
La dalmatique d’origine, est en toile écrue.
Le décor se compose de motifs en
Une dalmatique était, dans l’Antiquité, forme de roues violettes contenant
une riche tunique portée par les chacun une aigle héraldique jaune
empereurs et hauts dignitaires avant d’or. Un petit dessin à motif de feuilles
de désigner le vêtement liturgique se répète autour de chacune des
des diacres dans les grandes céré- roues, formant de cette manière un
monies. La littérature religieuse cadre ornemental. Entre les roues sont
attribue une signification symbolique intercalées des rosettes prolongées
à chaque élément : la forme de croix de fleurons. Sur l’envers, la particu-
rappelle celle du calvaire, la largeur larité du samit deux lats étant d’être
des manches est mise en relation réversible, les couleurs sont inversées
avec les largesses de la charité et de et les aigles doivent apparaître en
l’aumône, l’absence de couture peut violet sur fond or.
signifier l’intégrité de la foi…
La légende prétend que ce vêtement
aurait été donné à saint Étienne
de Muret en 1121 par l’impératrice
Mathilde. Cependant, une étude de la
conservatrice américaine Dorothy
Shepherd en 1960 a démontré que le
tissu dont est constitué la dalmatique
ne pouvait être antérieur au XIIIe siècle.
Il semblerait qu'elle ait été conçue
en Espagne dans la seconde moitié
du XIIIe siècle et aurait été offerte à
l’abbaye de Grandmont. Cette hypo-
thèse se confirme également par la
richesse du tissu et le décor ostenta-
toire de la dalmatique qui n’aurait pas
pu être réalisé pour saint Étienne,
célébré pour l’austérité de ses mœurs.
La dalmatique dite de saint Étienne Vue de face

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Châsse et dalmatique dites « de saint Étienne de Muret », ambazc (87)

Comme la châsse, la dalmatique de


saint Étienne est transférée à l’église
d’Ambazac pendant la Révolution.
Elle est également classée au titre
des monuments historiques lors de
la Commission des objets mobiliers
du 20 juin 1891. Bien que son état soit
remarquable, probablement dû au
fait qu’elle fut utilisée jusqu’au milieu
du XVIIIe siècle puis rangée, elle est
une première fois restaurée en 1965.
Mais, exposée depuis 1976 dans un
milieu humide, elle est très endom- Détail du motif
magée et une intervention de conservation-restauration d’aigle
est effectuée au début des années 1990.
Dans le passé, la restauration ou réparation d’objets avait
pour but de les remettre en état et de leur rendre au
mieux leur aspect esthétique. La dalmatique, après avoir
été ravaudée avec des fils de soie, une technique tradi-
tionnelle, a été traitée comme une peinture : les lacunes
ont été masquées par des pièces collées au revers et
peintes selon le motif disparu. Or ces tentatives ont été
un échec à la fois pour le devenir de l’objet car elles
dégradaient la fibre textile mais aussi d’un point de vue
esthétique. À cette vision esthétique de la restauration s’est
alors substitué le concept de conservation-restauration
qui a pour but de ralentir les phénomènes d’altération en
agissant à la fois sur les causes et sur les effets.
Grâce à cette intervention de 1994 la dalmatique a pu être
étudiée et analysée : cette œuvre est aujourd’hui plus
précisément connue, son origine mieux comprise et sa
valeur tant symbolique qu’historique réaffirmée.

En 1976 les deux œuvres sont une première fois mises à


l’abri dans une vitrine disposant d’une alarme. À la fin Sources :
des années 1990, les vitrines des deux trésors sont Dossier de protection
réaménagées : les conditions climatiques et d’éclairage monuments historiques,
CRMH, DRAC du Limousin
sont contrôlées pour éviter de causer des dommages, Collectif, Légende dorée
notamment sur la dalmatique. du Limousin, les saints
M.B. de la Haute-Vienne, pu-
blication de l’Inventaire
Régional, cahiers du pa-
trimoine n°36, Culture et
Patrimoine en Limousin,
1993, pp. 230-233
Collectif, 1945-1995,
objets mobiliers en
Limousin, 50 ans de
travaux, publication de la
DRAC du Limousin,
Champs du Patrimoine,
2000, pp. 173-174

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