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Antiquités africaines

Chapiteaux tardifs du limès de Maurétanie Césarienne dans la


région de Tiaret
Pierre Cadenat

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Cadenat Pierre. Chapiteaux tardifs du limès de Maurétanie Césarienne dans la région de Tiaret. In: Antiquités africaines,
14,1979. pp. 247-260;

doi : https://doi.org/10.3406/antaf.1979.1032

https://www.persee.fr/doc/antaf_0066-4871_1979_num_14_1_1032

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Antiquités africaines
1. 14, 1979, p. 247-260

CHAPITEAUX TARDIFS DU LIMES


DE MAURÉTANIE CÉSARIENNE DANS LA RÉGION DE TIARET

par

Pierre CADENAT

Les environs de Tiaret où abondent les gisements préhistoriques parfois de grand intérêt sont bien
moins riches en vestiges des premiers siècles de notre ère. Il n'y a rien de comparable aux ensembles
urbains et aux monuments de la Proconsulaire, de la Numidie ou du littoral de la Maurétanie
Césarienne. Cependant des témoignages, pour la plupart mineurs, de la pénétration de la civilisation romaine,
notamment des chapiteaux, se rencontrent en maints endroits et jusque dans des lieux assez déshérités
des contreforts sud de l'Ouarsenis.
Cette note ne prétend pas recenser tous ces précieux débris architecturaux en presque totalité à
destination religieuse, ni d'en faire une étude exhaustive pour laquelle d'ailleurs je n'ai pas compétence.
Elle n'a d'autre ambition que d'attirer l'attention des spécialistes sur quelques-uns des documents de
l'espèce qu'il m'a été donné de retrouver, d'en conserver le souvenir car, si j'ai pu en préserver quelques-
uns, plusieurs ont été déplacés parmi lesquels certains ont déjà disparu, et d'apporter une modeste
contribution à la connaissance d'un art provincial où volutes et rosaces tiennent une grande place et
qui a fleuri approximativement du IIIe au Ve ou VIe siècle dans une partie du Maghreb éloignée des
grands centres, tardivement soumise à la domination de Rome.

I. Kherba des Aouissat ou des O. Bouziane


(Gsell, Atlas, f. 22, Add., n° 129).
Fig. 1 : chapiteau de colonne de style très justement nommé par R. Thouvenot « corinthien
dégénéré» 1. La corbeille ne comporte qu'une seule rangée de feuilles très stylisées. Les caulicoles, simple
hampe terminée par une volute extérieure à enroulement dirigé vers le bas, soutiennent une abaque de
plan carré sans fleuron. Un motif volute vaguement en forme de vase à pied occupe le champ libre entre
les caulicoles 2. Ce chapiteau dont malheureusement dans mes notes je ne retrouve plus les dimensions,

1 Thouvenot (R.), Chapiteaux romains tardifs de Tingitane et d'Espagne. Publications du Service des Antiquités du
Maroc (P.S.A.M.), fase. 3, 1937, p. 64.
2 Ce motif s'apparente à un vase « dionysiaque à grandes anses terminées en volutes » figuré sur un chapiteau volu-
bilitain ; cf Thouvenot (R.), Maisons de Volubilis, le palais dit de Gordien et la maison à la mosaïque de Vénus. P.S. A. M.,
fase. 12 1958, p. 31, pi. VI, 3-4.
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Fig. 1. — Kherba des Aouissat. Chapiteau « corinthien dégénéré».

mais dont la hauteur n'est pas inférieure à 0,60 m est assez élancé et ne manque pas d'élégance. Il a été
déplacé et dans un dernier temps se trouvait au poste militaire installé dans l'ancienne ferme Arent à
quelques kilomètres de son lieu d'origine.
Dans les ruines, où il a été photographié, aucune portion de fût de dimension correspondante n'a
été repérée. Par contre ont été vus des fragments de minces colonnes octogonales décorées de motifs
plus ou moins géométriques qui pourraient avoir été couronnées de chapiteaux consistant en un simple
tronc de pyramide quadrangulaire sans abaque, sobrement ornés, sur une seule face, d'une rosace à six
branches.
Sur l'un d'eux (fig. 2) mesurant 0,40 χ 0,50 χ 0,35 m, qui avait été transporté à la S. A. S. des Ouled
Lakred, la rosace inscrite dans un cercle de 0,24 m de diamètre est surmontée d'une ligne presque
horizontale avec volute à chaque extrémité 1.

1 Lassus (J.), L'archéologie algérienne en 1959. Libyca, Archéologie Epigraphie, (A.E.), t. 8, 1960, 2e sem., p. 6,
pi. I, n° 4.
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Fig. 2 et 3. — Kherba des Aouissat. Chapiteaux à rosaces.


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Sur un deuxième assez mutilé (fig. 3) de dimensions légèrement supérieures (0,57 χ 0,40 χ 0,49 m)
découvert le 5 juillet 1961 et laissé sur place, la rosace en champlevé dans un cercle de 0,25 m de diamètre
est accompagnée de gros points (ou pastilles) entre les branches 1.

II. Columnata
Les ruines de ce centre relativement important du limes, résidence du « praepositus » et d'un « epis-
copus» sont identifiées actuellement avec celles proches de Waldeck-Rousseau — aujourd'hui Sidi-
Hosni — (Atlas, f. 22, Add., n° 127) et non plus avec celles situées à Aïn Toukria (= Bourbaki, Atlas,
f. 23, n° 27).
a) Fig. 4 : chapiteau nettement plus lourd, plus massif que celui décrit au paragraphe précédent,
mesurant 0,85 χ 0,80 m au sommet, 0,63 χ 0,58 m à la base pour une hauteur de 0,56 m. Il appartient
toujours au corinthien dégénéré et porte sur chaque face deux feuilles très stylisées en fort relief. Aux
angles sont trois saillies en encorbellement qui figurent sans doute aussi du feuillage. Trois caulicoles
doublement volutées soutiennent une abaque épaisse de 0, 1 6 m sans aucun ornement. La caulicole centrale
comporte, entre les volutes, un petit motif cordiforme. Par sa forme et son décor il se rapproche de
chapiteaux byzantins étudiés par M. Pinard 2. En 1961 les artilleurs cantonnés à Waldeck-Rousseau
l'avaient placé au bord de la route près de l'entrée sud du village. Depuis il y a de fortes chances qu'il
ait été détruit.
b) Fig. 5 : chapiteau pratiquement sans abaque ayant à peu près les mêmes dimensions que le
précédent (plateau sommital rectangulaire de 0,87 χ 0,62 m) mais moins haut. Il en est une mauvaise imitation
avec stylisation encore plus poussée et comporte aussi trois groupes de volutes en V, mais une seule
esquisse de feuille. Réuni à d'autres vestiges devant les bâtiments de la ferme dite « du Caïd » proche
de la grande et belle station préhistorique, j'ignore le sort qui lui a été réservé.
c) Fig. 6 : chapiteau avec toujours trois paires de volutes à grosse tige en V avec, au bas dans
chaque intervalle, une courte barre courbe représentant sans aucun doute les feuilles de la couronne.
Angles et abaque épaisse sans ornement ; dimensions 0,50 χ 0,40 χ 0,40 m. Laissé sur place près de la
route, dans le champ cultivé où il a été découvert le 2 juillet 1957.
Ces trois chapiteaux dérivent manifestement du type corinthien dont les éléments décoratifs
traditionnels reproduits de façon de plus en plus malhabile, défigurés jusqu'à devenir presque méconnaissables
ont été maladroitement sculptés par des artisans locaux ignorant totalement les canons vitruviens et
s'inspirant de modèles déjà très déformés.
d) Fig. 7 : chapiteau très fruste en tronc de pyramide renversée portant sur la face antérieure (?)
et sous une abaque nue, soulignée sur ce côté seulement, deux hauts chevrons emboîtés simulant
vraisemblablement du feuillage et servant de support à deux belles volutes dont l'enroulement, contrairement
à la règle générale, est tourné vers le haut. Cette disposition assez rare dans l'architecture maghrébine 3,

1 La rosace à six pétales est un motif ornemental typiquement berbère très employé dans la région et que l'on retrouve
ailleurs en Oranie, notamment dans l'ouest, cf Marion (J.), L'éperon fortifié de Sidi Medjahed (Oranie). Libyca, A.E.,
t. 7, 1959, p. 39, fig. 17.
2 Pinard (M.), Chapiteaux byzantins de Numidie actuellement au musée de Carthage. Cahiers de Byrsa, t. 1, 1950-51,
p. 234 et pi. I.
3 Des volutes à enroulement dirigé vers le haut mais de taille très modeste et doublant toujours des volutes à
enroulement vers le bas se rencontrent sur des chapiteaux marocains. ThouveNot (R.), Volubilis, la maison au chien. P.S. A.M.,
fase. 7, 1945, p. 112, pi. II, 1-2 et XI, 1 ; O'Farell (J.), Note sur les chapiteaux de Volubilis. Ibid., fase. 6, 1941, p. 99-111,
fig. 2.
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Fig. 4 et 5. — Columnata. Chapiteaux dérivés du corinthien avec éléments décoratifs fortement stylisés.
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Fig. 6. — Columnata. Chapiteau dérivé du corinthien, stylisation accentuée.

Fig. 7. — Columnata. Chapiteau à décor très dépouillé, volutes à enroulement vers le haut.
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mais qui se retrouve dans la région, semble permettre un rapprochement avec un chapiteau « ionisant
de style chrétien» trouvé à Alger l. Il porte encore un même double chevron allongé seul sur la face
opposée, accompagné d'une unique volute enroulée vers le haut sur l'une des faces contiguës, l'autre
restant absolument nue. Les angles largement abattus ont encore des chevrons qui rappellent ici les
saillies étagées des chapiteaux a et b ci-dessus (fig. 4 et 5). Dimensions : sommet subcarré de 0,50 χ 0,55 m,
la base ne mesurant plus que 0,25 m de côté ; hauteur 0,40 m. Il gisait et doit toujours se trouver dans le
lit encaissé du petit ruisseau descendant de l'Ain Zeflah où il a été photographié le 14 novembre 1956.
é) Fig. 8 : chapiteau haut de 0,45 m à base arrondie sur laquelle des motifs en faible saillie paraissent
une réminiscence de la corbeille corinthienne. Au-dessus, sur la face principale un oiseau sculpté en
relief plat occupe toute la surface libre. Le bec assez long, les hautes pattes, la queue large font penser
à un échassier, peut-être une grue(??). Une face latérale s'orne également d'un oiseau qui ressemble
plutôt à une colombe. L'abaque de plan sensiblement carré (0,45 à 0,50 m de côté), épaisse de 0,12 m
est agrémentée d'un dessin géométrique consistant en deux lignes brisées qui s'entrecroisent pour former
des losanges meublés chacun d'un cercle ; points à l'extérieur. Ce chapiteau a été envoyé au musée d'Oran
le 4 octobre 1957.
/) Fig. 9 : ce dernier chapiteau de Columnata grossièrement taillé en tronc de pyramide mesure
0,60 χ 0,49 m pour 0,45 m de haut. Il porte sur sa seule face décorée et en fort relief un chrisme à arêtes

Fig. 8. — Columnata. Chapiteau typique du style « berbéro-chrétien » conservant quelques réminiscences de


thien.

1 Leglay (M.), A la recherche d'Icosium. Antiquités africaines, t. 2, 1968, p. 50 et fig. 35.


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Fig. 9. — Columnata. Chapiteau chrétien avec chrisme simple de type archaïque.

vives inscrit dans un cercle torsadé, sorte de couronne, de 0,30 m de diamètre. Sur le tailloir épais de
0,10 m est maladroitement gravé un patronyme : Q VINTASI 1. J'ai également pu le faire transporter
au musée d'Oran en même temps que le précédent.

III. Ouekki
(Atlas, f. 22, n° 119).

a) Fig. 10 : découvert le 28 juin 1957 dans les jardins derrière les bâtiments de la ferme, ce chapiteau
haut de 0,33 m mesure au sommet 0,48 χ 0,37 m. Une face porte une rosace à six branches évidées et
reliées au sommet, inscrite dans un cercle de 0,15 m de diamètre. Sur une face contigue assez usée on
distingue encore, dans un cercle de 0,17 m, un chrisme accosté de l'alpha et de l'omega. L'abaque de
8/9 centimètres d'épaisseur est décorée de deux groupes de volutes contrariées avec points et trait oblique
de séparation. Les angles abattus allègent l'ensemble et lui donnent un peu de sveltesse. Il se trouverait
encore à Tiaret où il avait été amené en vue de son transport au musée d'Oran. Au dernier moment,
faute de moyens, ce projet n'a pu être réalisé.

1 11 s'agit vraisemblablement d'un saint local. Une inscription de Henchir Begueur, région de Tebessa, (C.I.L., Vili,
17508) nomme aussi un saint QVINTASIVS qui est sans doute un homonyme. Cadenat (P.), Vestiges paléo-chrétiens dans
la région de Tiaret. Libyca, A.E., t. 5, 1957, p. 94-95, fig. 6.
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Fig. 10. — Ouekki. Chapiteau « berbéro-chrétien ».

Fig. 11. — Ouekki. Chapiteau avec schématisation maximale des éléments traditionnels du décor corinthien.
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b) Dans le mur d'un gourbi se trouvait, remployé à l'envers, un chapiteau sans abaque distincte
dont la face apparente présentait un décor en partie effacé rappelant très vaguement les éléments
caractéristiques du corinthien : c'est-à-dire un triangle isocèle de 0,26x0,15 m figurant le feuillage flanqué
de doubles volutes portées par une simple hampe verticale (fig. 11). C'est un bon exemple de stylisation
et de déformation maximales du décor.
Ce document et d'autres dont une inscription, emmenés à Keria (carte 1/50 000, f. 187, Waldeck-
Rousseau, χ = 384,2— y = 256,2) par les militaires changeant de poste * ont été par la suite (1961)
détruits sur l'ordre d'un nouveau commandant d'unité peu féru d'archéologie ! Dans les ruines avaient
également été retrouvées une base (fig. 12) et une portion longue de 0,80 m de fût de colonne cylindrique
lisse ayant 0,30 m de diamètre.

IV. Rouaiha
Le site que Gsell a ignoré ne figure pas sur l'Atlas. Découvert le 31 mai 1961 2 il se trouve sur la
carte au 1/50 000, f. 187, Waldeck-Rousseau en χ = 384,1 -y = 252,4.
Fig. 13 : grossier chapiteau rectangulaire de 0,80 χ 0,43 m (0,50 χ 0,40 m à la base) pour une hauteur
de 0,50 m simplement décoré sur sa face antérieure et sous une abaque nue épaisse de 0,19 m d'un
chandelier à sept branches de 0,32x0,18 m. Ce motif qui confère au document un intérêt exceptionnel n'avait,
semble-t-il, été relevé jusqu'à présent que sur quelques petits objets mobiliers : disques de lampes de
Carthage 3, d'Hippone ; du Maroc (Volubilis, Mogador) ou encore de Graviscae et de Sicile 4 ; cachet pour
marquer des amphores conservé au musée de Madrid 5.
A ces divers échantillons de chapiteaux suffisants pour donner une bonne idée de la sculpture locale
au Bas-Empire on pourrait ajouter car ils appartiennent à la même famille :
— des chapiteaux d'Ain Sarb 6;
— le chapiteau presque identique à celui d'Ouekki (§ b, fig. 11) autrefois et depuis fort longtemps
conservé à Tiaret, quartier de la Redoute, dans la cour des bâtiments du Génie. Son origine exacte de
même que celle de la portion de colonne torsadée qui lui servait de support sont inconnues mais
certainement régionales ;
— les débris, ornés aussi de volutes, qui se trouvaient encore en 1961 près des bâtiments de la Grande
Zaouia de Sidi Adda (Atlas, f. 22, n° 103).

1 Fait déjà signalé dans un de mes derniers rapports d'activité repris par Lassus (J.), L'archéologie algérienne en 1959.
Libyca, A.E., t. 8, 1960, 2e sem., p. 8.
2 Cadinat (P.), Rouaiha site berbéro-romain inédit dans la commune de Kéria (Tiaret, Algérie). Ant. afr., t. 12, 1978,
p. 241-252.
3 Deneauve (J.), Lampes de Carthage. C.N.R.S., Paris, 1969, nos 997, 1105 à 1107, 1113 à 1118. Id., Un dépotoir
paléo-chrétien sur la colline de Byrsa à Carthage. Ant. afr., t. 8, 1974, p. 148, n° 34, fig. 12. Une autre lampe provenant de
Carthage est conservée au musée d'Oran {Catalogue, Pars I, Oran, 1932, n° 366).
4 Marec (E.), Monuments chrétiens d'Hippone. A. M. G., Paris, 1958, p. 237. Ponsich (M.), Les lampes romaines
en terre cuite de la Maurétanie Tingitane. P.S. A. M., fase. 15, 1961, p. 107, n° 367. Jodin (Α.), Les établissements du roi Juba II
aux ¡les Purpuraires (Mogador). Tanger, 1967, p. 166, n° 18. Hanoune (R.), Lampes de Graviscae. M.E.F.R.A., t. 82, 1970,
1, p. 237-252. Putorti (N.), Lucerne cristiane nel museo civico di Reggio Calabria. Nuevo Bolettino di Archeologia Cristiana,
1921, p. 70-82.
5 Thouvenot (R.), Chrétiens et Juifs de Grenade au IVe siècle αρ. J.-C. Hespéris, t. 30, 1943, p. 203.
6 Cadenat (P.), Vestiges paléo-chrétiens dans la région de Tiaret. Libyca, A.E., t. 5, 1958, p. 87. Observons que le
chapiteau décrit dans Cadenat (P.), La villa berbéro-romaine d'Aïn-Sarb. Ant. afr., t. 8, 1974, p. 73-87 avec, en complément
p. 88, Picard (G.-Ch.), Note sur Vordre éolisant d'Aïn-Sarb, n'appartient pas à cette série, procède d'un autre style et est
beaucoup plus ancien.
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Fig. 12. — Ouekki. Base de colonne.

Fig. 13. — Rouaiha. Chapiteau «judeo-berbère» décoré du chandelier à sept branches.


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Si l'on voulait étendre la recherche il faudrait également faire état des chapiteaux provenant des
environs de Liebert, d'abord rassemblés au mess de la 4e Compagnie nomade 1 et qu'un officier du Génie
a fait ensuite — fin 1961 ou début 1962 — transporter à Tiaret dans les locaux affectés à ce service, et aussi
de ceux, inédits je crois en photographie, d'un travail plus soigné, d'Ain Kebaba ou d'Aïn Tissemssil (Atlas,
f. 23, nos 15 et 16) qui étaient conservés près de Vialar dans le parc de la ferme Forzy. On remarquera
sur deux d'entre eux des volutes à enroulement vers le haut (fig. 14, 15 et 16).
Pour la plupart de ces chapiteaux je ne saurais dire s'ils couronnaient des piliers, des pilastres, des
colonnes libres ou engagées ; une portion de fût ou une base pouvant être mises en relation avec ces
chapiteaux a rarement été retrouvé.
Tous sans exception ont été taillés sur place dans le grès helvétien du pays qui ne se prête pas à de
délicates ciselures. Ils sont bien loin de présenter la luxuriance des détails des chapiteaux classiques. Les
formes sont généralement lourdes, les motifs décoratifs simplifiés.
Pour ceux, les plus nombreux, qui rappellent parfois de fort loin l'ordre corinthien, mais en dérivent
incontestablement 2, le feuillage très appauvri dans lequel on a bien souvent de la peine à reconnaître
l'acanthe originelle, se réduit à des protubérances lisses avec retombée sommitale en crochet qui a d'ailleurs
tendance à s'effacer et à se transformer en simple triangle plat sur les exemplaires les plus frustes. Les cau-
licoles sont de simples hampes raides et sans grâce. L'abaque ne porte jamais de fleuron et ses côtés
n'accusent aucune concavité. Le décor parvient à un point de schématisation que ne semblent pas avoir atteint
leurs homologues d'Algérie 3 ou du Maroc 4 ni même, bien que plus récents, certains chapiteaux
hammadites de la Q'ala dont l'ornementation assez fouillée procède toujours du corinthien 5. De plus
il n'y a jamais d'annelet, de tore, dans le bas de la corbeille sauf, toutefois, sur un des spécimens de Liebert.
Dans une deuxième série qui regrouperait les chapiteaux à symbole ou emblème chrétien (chrisme,
oiseau) l'abaque est souvent décorée et les réminiscences du corinthien s'estompent jusqu'à disparaître
complètement au profit d'un décor plus varié et, en partie au moins, géométrique de pure tradition berbère
(fig. 8 et 10). Ici encore on peut faire un rapprochement avec certains chapiteaux de Numidie étudiés par
M. Pinard 6 combinant une corbeille encore nettement corinthienne bien que dégénérée avec un tailloir
orné dans le style berbérisant.
Tous sont très représentatifs d'un art provincial rustique mais vigoureux et non dénué de saveur qui
se ressent de la rudesse des populations. Celles-ci à l'imitation des grands centres ont construit des demeures,
élevé des bâtiments civils mais surtout des édifices religieux — églises ou humbles chapelles — avec le
souci évident de les embellir, de les décorer de leur mieux.

1 Lassus (J.), L'archéologie algérienne en 1959. Libyca, A.E., t. 8, 1960, 2e sem., p. 14 (rapport P. Salama).
2 Leschi (L.), La basilique chrétienne en Algérie. Atti del IVo Congresso internazionale di archeologia cristiana, Rome,
1938. Artide repris dans Etudes d'Epigraphie, d'Archéologie et d'Histoire africaines. A.M. G., Paris, 1957, p. 85-99 (p. 92
et fig. 1 à 4, p. 97).
3 Marec (E.), Monuments chrétiens d'Hippone, op. cit., p. 173 et 237-238. Leglay (M.), A la recherche d'Icosium.
Ant. afr., t. 2, 1968, p. 42, fig. 29. Baradez (J.), Nouvelles fouilles à Tipasa. Libyca, A.E., t. 9, 1961, Ier sem., p. 169, pi.
XI, n° 3. Christern (J.), Basilika und Memorie der heiligen Salsa in Tipasa. Bul. d'archéologie algérienne, t. 3, 1968, p. 221,
fig. 30 et 244, fig. 52.
4 Thouvenot (R.), P.S.A.M., fase. 3, 1937, p. 63-83; fase. 7, 1945, p. 112, 124 et 143; fase. 8, 1948, p. 96 et 137;
fase. 12, 1958, p. 13, 17, 30-31. O'Farell (J.), ibid., fase. 6, 1941, p. 99-111. Etienne (R.), ibid., fase. 10, 1954, p. 46-47,
74, 119 et 144. Boube (J.), Bul. d'archéologie marocaine, t. 7, p. 329 et pi. XIX, nos 3-4. Leschi (L.), voir ci-avant note 2.
5 Bourouiba (R.), La salle d'honneur du palais ouest du Manar. Bul. d'archéol. algér., t. 5, 1971-1974, p. 247-260
(p. 250-254).
6 Op. cit., Cahiers de Byrsa, 1951.
Fig. 14, 15 et 16. — Chapiteaux divers d'Ain Kebaba (ou d'Ain Tissemssil) combinant toujours les mêmes motifs
ornementaux : volutes ou spirales et rosace.
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Ces pauvres vestiges témoignent malgré leur facture souvent grossière et un matériau sans noblesse,
les uns d'une certaine recherche esthétique, les autres d'une piété naïve mais sans doute sincère. Aucun
n'est négligeable et ne peut laisser indifferent.
Cependant les chapiteaux ne représentent qu'une partie des vestiges architecturaux recueillis sur les
sites antiques proches du limes. Des consoles, des pierres à destination imprécise, des sarcophages ou
ossuaires portant des décors de même style ont également été trouvés dans les ruines.
Certains ont déjà été publiés, d'autres sont inédits. Ils feront l'objet d'une note complémentaire pour
donner une vue plus étendue et plus précise de cet art à dominante berbéro-chrétienne que les habitants
de la région ont particulièrement prisé à une époque antérieure à l'Islam.

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