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Le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels

– l’ICCROM – avait lancé en 1986 la phase pilote d’un programme baptisé Prévention dans
les musées africains. Alain Godonou a coordonné le PRÉMA, destiné à sauver les
collections en passe de disparaître, entre 1990 et 2000. Dix ans pendant lesquels il a
contribué à établir « un réseau de professionnels africains capables d’assurer la
conservation des collections des musées africains au sud du Sahara et de prendre en
charge la formation de leurs collègues ». Aujourd’hui directeur de l’École du Patrimoine
africain, l’ÉPA (1), il esquisse pour Africultures un premier bilan du travail accompli dans
les musées africains.

Lorsque vous avez suivi le cours du PrÉma, en 1986, quel était le contexte global des
musées africains ?
Le contexte global des années 1980 était marqué par deux données fondamentales : la montée des
prix des œuvres africaines sur le marché de l’art et le constat fait par les institutions professionnelles
– et en particulier par l’ICCROM -, des multiples dangers qui menaçaient les collections conservées
dans les musées nationaux africains. Très peu de professionnels étaient formés aux questions de
conservation ; à peine un ou deux dans l’ensemble des musées au sud du Sahara ! Bref, la faiblesse
des institutions muséales africaines s’est révélée au moment même où celles-ci devaient être
présentes et vigilantes. Par ailleurs, le musée était une institution publique gérée directement par
les services du patrimoine des États africains.
Du milieu des années 1980 à nos jours, il s’est écoulé vingt ans. Quelle est la nouvelle
« topographie » des musées en Afrique -en termes de personnels, de types de musées, de
financements, de publics…
Même avec des hauts et des bas, il y a eu beaucoup d’ambitions pour les musées. Le monde des
musées s’est diversifié, avec de plus en plus de musées privés ou communautaires qui jusqu’alors
étaient très rares. Il y a eu quelques projets de grands musées publics conduits à leurs termes,
comme le Musée national du Burkina ou encore le Musée de plein air de Parakou, au Bénin, qui est
aussi une belle réalisation du point de vue conceptuel. D’importants chantiers de réhabilitation ou
de rénovation de musées ont également été réalisés au Bénin, au Gabon, au Kenya, au Mali, au
Sénégal, en Zambie, etc. Du côté des musées privés ou communautaires, on peut citer le Musée de
la Femme de Gorée, qui a lancé un mouvement pour la création de ce type de musée, qu’on ne
trouve d’ailleurs qu’en Afrique. Le Tanje village Museum en Gambie, parfaitement intégré au
développement local, est selon moi un bon prototype d’écomusée comme il s’en développe depuis
quelques années. Au Cameroun, les musées de chefferies commencent à se professionnaliser –
comme ceux de Bandjoun – grâce notamment à l’appui d’une ONG italienne, le COE ou Centre
d’orientation éducative, qu’il faut signaler pour la qualité de l’intervention et de l’accompagnement.
Au Mali, à côté du Musée national qui monte régulièrement en puissance à tous points de vue, on
assiste au développement d’un réseau de musées communautaires, connus sous le nom de
« Banques culturelles », dont l’une des principales ambitions est de tarir progressivement le flux du
trafic illicite en encourageant les paysans à mettre en dépôt les objets qu’ils détiennent contre un
prêt de type microcrédit.
Et au Bénin ?
Dans ce pays où je vis et travaille, il y a eu ces vingt dernières années une politique publique de
réhabilitation systématique des anciens palais royaux avec l’intention d’y installer des musées : cela
a donné des résultats intéressants, en termes de réhabilitation du patrimoine architectural, sur toute
l’étendue du territoire et en particulier dans des localités comme Kétou, Kinkinhoué, Nikki, Savalou ;
mais du point de vue de la conception et de l’animation « musée », les attentes restent à combler.
J’aimerais signaler également au Bénin deux actions qui pour moi signalent des évolutions majeures
: la création du Jardin des plantes et de la nature, le JPN, à Porto-Novo, et l’ouverture du Musée de
la Fondation Zinsou à Cotonou. Le JPN, conçu à partir du reste de l’ancien jardin botanique de
Porto-Novo, qui lui-même avait été implanté dans ce qu’il reste d’une ancienne forêt sacrée, est
aujourd’hui ouvert au public comme un lieu de détente et surtout d’éducation à l’environnement
africain. Quant à la Fondation Zinsou, elle s’est positionnée comme un acteur majeur de l’art
contemporain africain. Elle organise des expositions et des activités d’animation de qualité optimum.
Mais une faiblesse des musées africains qu’on ne peut passer sous silence est celle de leur
fréquentation : à peine quelques milliers de visiteurs dans la plupart des cas, à l’exception notable
du Musée de plein air du Niger, à Niamey, et du Musée national du Kenya, ainsi que des nouveaux
musées de mémoire en Afrique du Sud. Ces exceptions se comprennent : à Niamey, c’est plutôt la
dimension zoo qui attire, au Kenya paléontologie et histoire naturelle font salles combles ; quant à
l’Afrique du Sud, ce sont les centres d’interprétation autour de la vie et de l’œuvre de Nelson
Mandela qui suscitent le plus d’intérêt auprès du public.
Existe-t-il un véritable monde des musées en Afrique ? Rencontre-t-on une conscience
commune parmi ses acteurs ?
C’est oui ! Il y a un monde des musées en Afrique. Il faut rendre hommage à une organisation
comme le West African Museums project, le WAMP, qui le premier a commencé à réunir les
professionnels des musées en Afrique à travers des séminaires ; puis il y a eu les rencontres
organisées dans le cadre des programmes comme Africom (2) et PRÉMA. D’ailleurs aujourd’hui, il y
a toujours trois grands cadres de rencontres issus des mutations de ces trois projets. Celui
du,WAMP est devenu programme ; Africom est une ONG internationale, une sorte d’ICOM-Afrique
qui vient de rassembler plus de deux cent professionnels africains pour son congrès au Cap. Quant à
l’ÉPA, ou au Centre for Heritage Development in Africa, le CHDA, elles sont les héritières du
programme PRÉMA de l’ICCROM ; il y a aussi l’African Swedish Museum Network, le SAMP, un
programme très important, appuyé par la coopération suédoise, qui a mis en réseau un certain
nombre de musées africains, jumelés avec des musées suédois.
L’Afrique est un continent et les situations des pays sont contrastées. Mais existe-t-il des
différences d’approche dans les politiques muséales et les pratiques des publics selon que
le pays est francophone, anglophone, lusophone ou hispanophone ? Cette distinction est-
elle artificielle ?
Je connais moins la situation des pays d’Afrique du Nord et beaucoup mieux celle des pays au sud du
Sahara, notamment des pays francophones. Je constate effectivement des différences qui relèvent
probablement de l’héritage colonial. Au niveau par exemple de la taille des équipes muséales : dans
les pays francophones, une équipe de dix personnes est déjà une belle équipe ; alors que dans les
pays anglophones, il n’est pas rare de voir des équipes de cinquante, voire de plusieurs centaines de
personnes. L’équivalent du Musée national du Kenya – le NMK, avec plusieurs départements et des
centaines de personnes – n’existe pas dans les pays francophones. Il y a aussi une plus grande
diversité de musées dans les pays anglophones où les approches « histoire naturelle » ou
« archéologie » sont courantes.
Les musées de type ethnographique, anthropologique ou de civilisation, comme on dit depuis
quelques années, sont plus présents et plus « forts » dans les pays francophones. Il y a aussi des
différences régionales : les musées sont par exemple plus présents et plus visibles en Afrique de
l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Il y a aussi la spécificité du Cameroun, où la vie muséale repose
presqu’exclusivement sur les musées des chefferies ; dans ce pays, les musées publics – y compris le
Musée national – n’ont jamais véritablement émergé.
Quand aux pays lusophones, on peut facilement noter – dans l’intention conceptuelle – une certaine
prégnance des luttes de libération nationale que ces pays ont connues ; le musée des Forces armées
angolaises, à Luanda, est exclusivement consacré à ce thème. Ce musée est d’ailleurs très
intéressant par l’évolution à laquelle il est soumis : jusqu’à un passé récent, n’y était présenté que le
point de vue du MPLA ; mais après la guerre civile, s’est posée la question de la place des autres
mouvements politico-militaires, notamment celles de l’Unita et du FNLA (3). À Sao Tomé,
l’exposition permanente du Musée national présente des témoignages très forts des répressions
portugaises ; elle présente aussi une collection d’art religieux catholique du XVIIe siècle, unique en
Afrique pour cette époque. La situation de la Guinée Équatoriale, seul pays hispanophone de
l’Afrique, est préoccupante : un embryon de musée qui ne s’est jamais développé. À peine peut-on
compter trois personnes affectées à ce musée en léthargie ; la situation ne s’arrange pas avec le
boom du pétrole qui semble avoir effacé les préoccupations du patrimoine des agendas des
décideurs.
En tant que directeur d’une fondation qui, parmi ses activités, forme des professionnels de
musées, comment voyez-vous à moyen terme l’avenir des musées et plus largement des
politiques muséales sur le continent ?
À mon avis, il y a un impératif aujourd’hui sur le continent : celui de renforcer les capacités -comme
on dit dans le jargon du développement. Ici, cela a un sens immédiat : nous avons des structures
fragiles, qui manquent de personnes qualifiées, de ressources, et vivant dans des environnements
institutionnels souvent instables ou désuets. Si nous relevons le défi d’une formation professionnelle
qualitative et d’un accompagnement éclairé des décideurs, le gros potentiel d’investigation et de
créativité des musées africains éclatera. Sinon, il faudra encore beaucoup d’engagement militant :
c’est d’ailleurs la dynamique de l’ÉPA.

1. L’École du Patrimoine africain (ÉPA) a été créée grâce à une première convention signée entre l’ICCROM et
l’Université nationale du Bénin en 1998. Une seconde, signée avec les Musées nationaux du Kenya en 2000 a ensuite
permis de créer sur le même modèle pour l’Afrique anglophone le Centre for Heritage Development in Africa (CHDA) à
Mombasa.
2. Le Conseil International des Musées africains (Africom) est une organisation non gouvernementale (ONG) autonome et
panafricaine créee en octobre 1999 à Lusaka (Zambie) et dont le siège est à Nairobi. Le coup d’envoi de cette initiative a
été donné lors des Rencontres « Quels musées pour l’Afrique ? Patrimoine en devenir », organisées en 1991 à Lomé
(Togo) par l’ICOM, le Conseil international des musées, dont le siège est accueilli par l’Unesco (Paris).
3. MPLA : Mouvement populaire de libération de l’Angola. Unita : Union nationale pour l’indépendance totale de
l’Angola. FNLA : Front national de Libération de l’Angola.///Article N° : 6669

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