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Ernest Will

La Tour funéraire de la Syrie et les monuments apparentés


In: Syria. Tome 26 fascicule 3-4, 1949. pp. 258-312.

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Will Ernest. La Tour funéraire de la Syrie et les monuments apparentés . In: Syria. Tome 26 fascicule 3-4, 1949. pp. 258-312.

doi : 10.3406/syria.1949.4518

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/syria_0039-7946_1949_num_26_3_4518
LA TOUR FUNERAIRE DE LA SYRIE

ET LES MONUMENTS APPARENTÉS

PAR

ERNEST WILL

(PL XIII -XIV)

La tour apparaît comme une des formes originales de l'architecture


funéraire de la Syrie antique; connue surtout par le grand nombre d'exemples,
parfois bien conservés, de Palmyre, de Doura et d'autres sites du Moyen-
Euphrate, elle ne s'est pas encore vu attribuer une place sûre dans la grande
variété des monuments funéraires de ce pays et son origine reste obscure.
Souvent mentionné, le problème a été rarement abordé pour lui-même, et
il suffit encore de citer les pages que Watzinger a consacrées à la question
dans l'ouvrage de l'expédition allemande sur Palmyre M; seules, les fouilles
américaines à Doura et les recherches entreprises à Halébiyé ont apporté
d'importantes précisions complémentaires (2). Si les solutions proposées
restent peu satisfaisantes et se bornent souvent à des formules aussi rapides
que péremptoires, la cause dernière de ces hésitations doit être attribuée à
une double difficulté. Difficulté,, d'abord, de réunir, dans l'examen des monu
ments apparentés, une documentation à la fois dispersée et insuffisante :
trop nombreux sont les cas où l'on ne dispose que de descriptions sommaires
et d'illustrations médiocres (3); et la solution de la vérification sur place ne
serait même plus possible pour plus d'un édifice aujourd'hui complètement
rasé. Difficulté, ensuite, de la définition du terme de « tour ». Bien des fois,

(x) Wiegand, Palmyra (1932), p. 77 : Zur ici ces lacunes; renonçant à une illustration
Geschichte des Grabturms ; on trouvera là la développée qui, vu le grand nombre de monu-
bibliographie antérieure. ments que nous examinons, aurait posé des
(2) Cf. les études de N. Toll citées ci-des- problèmes complexes, nous nous contentons
sous p. 260, n. 1-2, à propos de Doura et de de la reproduction de quelques monuments
Halébiyé. typiques.
(3) II ne saurait être question de combler
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 259

cette appellation se trouve attribuée à des monuments qui ne sauraient la


justifier que par des proportions plus ou moins élancées. Il n'est pas, de
fait, aisé de définir notre édifice, encore que nous . croyions tous savoir ce
qu'il est. Voici ce que nous proposons, dans l'intention surtout de permettre
le classement indispensable de constructions diverses souvent rapprochées :
« la tour est un édifice de plan rond ou carré, dont la hauteur» comprend la
valeur de plusieurs étages (ou équivaut à plusieurs fois son côté) et dont l'inté
rieur n'offre de place que pour une pièce par étage et peut, d'ailleurs, être
occupé tout entier, ou en partie, par un escalier; elle est soit indépendante,
soit accolée à d'autres constructions qu'elle dépasse par sa taille (remparts,
maisons) > et son emploi répond, en principe, à des exigences de sécurité
(guet, fortification, signalisation), encore que sa hauteur lui confère un aspect
monumental dont on peut songer à tirer parti ».
Il importe ainsi, au préalable, de procéder à une revue des monuments
ordinairement cités dans le débat avant de tirer de leur répartition géogra
phique du de la connaissance de leurs modèles les conclusions utiles pour la
question de l'origine de la tour.

I. — ESSAI DE CLASSIFICATION

A. — La tour funéraire proprement dite.

1° Palmyre et le Moyen-Euphrate. — C'est Palmyre qui, la première, a


révélé aux voyageurs et aux archéologues l'existence d'une tour funéraire
véritable, et les monuments conservés permettent toujours d'y suivre une
évolution qui s'étend sur presque deux siècles (ier siècle avant et Ier siècle
après J.-C). S'il a pu sembler pendant longtemps que les nécropoles de
la ville avaient conservé une forme originale et distincte de celle des sites
voisins de l'Euphrate, on peut considérer comme démontré maintenant qu'il
existe un type unique à l'origine, ici comme là (type A de Palmyre) W.

(*) Pour l'évolution de la tour palmyrénienne et l'établissement des différents types, cf. notre
étude dans Syria, XXVI (1949), p. 87 s.
260 SYRIA

La série plus vaste à laquelle se rattache la tour de Palmyre est représentée


par des monuments relevés en divers points du Moyen-Euphrate et localisés,
à une exception près, dans l'actuelle Syrie. Les groupes les mieux connus sont
celui de Doura, où l'on a reconnu les restes de sept tours (1), et celui de Halêbiyê-
Zénobie, où trois édifices ont été étudiés sur un ensemble d'environ trente
identifiés (2). Plus au sud, sur la rive gauche de l'Euphrate, en face d'Abou
Kemal, à l'endroit dit Baghouz, se dressent les restes d'un autre groupe de
cinq tours dont la publication est annoncée (3); au (delà de la frontière ir
aqienne, à Al-Qaim, il subsiste un monument isolé du même type. Les limites
nord de la zone d'extension de la tour du Moyen-Euphrate sont données
par, celle de Qalaat Djaber (Neshaba), sur le fleuve, un peu à l'ouest de
Soura; enfin, au sud d'Halébiyé, une tour isolée se dresse à Tabous <4>.
La tour primitive (fig. 1) répond, à Palmyre comme sur le Moyen-Euphrate,
à la description suivante : -l'édifice, de plan carré, s'élève sur un socle à degrés
dans lequel sont aménagés, de l'extérieur, un nombre variable de loculi;
une porte établie au-dessus de -ce socle, vers un des angles, donne accès à
un escalier qui monte à l'intérieur, en tournant sur les quatre côtés; aucune
autre installation funéraire n'a pu être relevée ni sous l'édifice, ni à l'intérieur.
Seule, la tour D de Doura et celle d'Erzi-Baghouz ont remplacé les loculi
extérieurs par une chambre à voûte en encorbellement aménagée à l'intérieur
du massif de maçonnerie; mais on ne saurait affirmer qu'il n'y ait pas là déjà
le premier pas d'une évolution qui conduira au type tardif de Halébiyé.
Les différences entre le monument de Palmyre et celui du Moyen-Euphrate
portent sur des détails de technique et de décor. Ainsi, à Palmyre, la construc
tion comprend un noyau de maçonnerie revêtu d'un appareil de pierres de
taille; l'élévation ne présente qu'une paroi nue; du moins, aucun des exemples
du type envisagé, tous d'ailleurs conservés sur une faible hauteur seulement,

l1) N. Toll, Excav. Dura, Rep., IX, 2, Abou Zimbel; pi. LXV, 2 : Abou Gelai = Irzi
p. 140 s., pi. XXIII-XXV et LXII-LXIV. de Miss Bell, Amurath, fig. 47 et 48; pi. LXV,
(2) N. Toll, Semin. Kondakov., IX, 1935, 3 et 4 : Erzi.
p. 11 s. et pi. IV-VI; aussi Sarre-Herzfeld, (4) Al Qaim : Excav. Dura, IX, 2, p. 147;
Reise im Euphrat-Tigrisgebiet, I, p. 166-168; Qalaat Djaber : Bell, Amurath, p. 49, fig. 28;
II, p. 365-373; III, pi.. LXXI-LXXV. Tabous : Sarre-Herzfeld, Reise, I, p. 170,
(3) N. Toll, Semin. Kondakov., IX, 1935, fig. 76.
p. 13 et 15; Excav. Dura, IX, 2, pi. LXV, 1 :
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 261

ne montre trace de décor extérieur. Au contraire, la tour d'Atenatan, qui


porte la date la plus ancienne, mais qui appartient déjà au type B plus évolué,
possède un double bandeau intermédiaire à mi-hauteur; et sur des monu
ments plus perfectionnés encore (n° 71 du type C; nos 13 et 51 du type D)
on voit, au sommet, une corniche à denticules de style gréco-romain; cepen-

Fig. 1. — Tour funéraire de Palmyre (n° 44).

dant, comme ces divers édifices comptent parmi les plus élevés, on peut douter
que cet agencement ait été la règle»

Pour la tour du Moyen-Euphrate, les recherches de N. Toll à Doura,


complétant les relevés faits antérieurement à-Halébiyé (1), ont permis de
restituer son image avec une grande exactitude. Tranchant avec l'austérité
de l'édifice palmyrénien, un décor architectural, modelé dans un revêtement
de plâtre appliqué sur le noyau de maçonnerie, couvre les parois extérieures :

Cf. p. 260, n. 1:4.


Syria. — XXVI. 33
262 SYRIA

dans la partie inférieure, des pilastres d'angle encadrent un certain nombre


de colonnes engagées, isolées ou jumelées, et l'étage supérieur, marqué par
une corniche intermédiaire, est orné de rangées de fausses fenêtres ou de
grandes rainures verticales (en forme de meurtrières ou de lucarnes ?). Le
principe même de ce décor, ainsi que ses éléments, le rattache aux productions
de l'art parthe de la Mésopotamie (1). Mais il n'y a pas lieu de surestimer cette
indication : il ne s'agit que d'un revêtement extérieur auquel ne correspond
rien dans le dispositif interne; apparaissant dans les sites proches des grands
centres mésopotamiens et ignoré à Palmyre plus lointaine déjà, ce décor ne
paraît pas fondamentalement lié à la tour funéraire, et il resterait à examiner,
outre les influences « parthes » manifestes, les rapports possibles avec le décor
architectural appliqué d'autres monuments funéraires de la Syrie occident
ale. Une seconde différence de technique ne révèle guère plus que des tradi
tions locales; à Palmyre, le loculus est de section carrée; sur l'Euphrate, il
se termine par une voûte en échine.
La chronologie repose entièrement sur les données de Palmyre, le seul
endroit où l'on trouve des tours datées par des inscriptions de fondation.
On peut ainsi dire que le type décrit se trouve constitué au milieu du
ier siècle avant Jésus-Christ au plus tard, et les signes de transformation
apparaissent à Palmyre presque aussitôt (typeB, dernier quart du siècle). Il ne
semble pas qu'il en ait été de même sur le Moyen-Euphrate où l'aménagement
intérieur des tours ne connaît une transformation radicale qu'à une date
tardive, à Halébiyé.
Telle qu'on, peut la restituer, la tour du type primitif est un monument
curieux : une faible partie seulement est réservée aux morts (le socle), et
toute la partie haute n'est, à proprement parler, qu'une cage d'escalier.
C'est là que se pose le problème difficile de la signification de cette montée,
problème dans lequel les données matérielles restent déficientes. Dans tout
ce groupe, assez vaste et réparti sur plusieurs sites, pas un seul monument
n'a gardé sa couverture. Dans la tour nord de Halébiyé l'escalier s'arrête à
hauteur du troisième étage, formé par une simple petite pièce rectangulaire,

W Ce décor architectural nous est connu cf. Andrae, Hatra, et Andrae-Lenzen/ Par-
surtout par les sites parthes de la Mésopotamie, therstadt Assur., p. 3 : Parthische Formemvelt.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 263

mais on ne saurait exclure la possibilité qu'il ait monté plus haut; à AlQaim,
au contraire, le noyau central est conservé sur une hauteur notable au-dessus
de l'escalier qui possède pourtant encore quatre volées; partout ailleurs, la
conservation est encore moins satisfaisante (1>. On se trouve ainsi réduit aux
hypothèses. En bonne logique, deux solutions sont possibles : ou bien l'escalier
menait vers une chambre aménagée dans la partie haute, ce qui serait, en
vérité, contraire à l'habitude de rendre les sépultures aussi inaccessibles que
possible. Ou alors, il aboutissait à une plate-forme ou une terrasse au sommet.
On peut envisager dès lors l'hypothèse de cérémonies rituelles célébrées à
cette place, hypothèse, disons-le tout de suite, qu'aucun autre indice ne vient
confirmer (2>. Ou encore, la terrasse n'avait pas de rôle funéraire et faisait
simplement partie de la construction en tant que telle. Il y aura lieu de revenir
sur la question plus loin.
L'histoire ultérieure de cette tour n'intéresse que médiocrement le problème
de son origine. Réduite à ses éléments premiers, elle était une sépulture
dispendieuse et accessible aux plus fortunés seulement. Aussi bien à Doura,
où nulle évolution n'est sensible, on n'a trouvé que les restes d'une demi-
douzaine de tours. A Palmyre, au contraire, on assiste à une transformation
radicale de l'édifice dont les modalités soulignent la complexité du problème,
des influences (3). La multiplication des sépultures est réalisée ici grâce à
l'introduction, à l'intérieur, de la chambre à loculi latéraux qui se répète d'un
étage à l'autre. La forme de cette chambre, avec ses parois brisées et inclinées
vers l'intérieur dans les monuments les plus anciens, rappelle la voûte en
encorbellement dont le souvenir paraît être resté vivace en Mésopotamie
jusqu'à une date tardive, comme le prouve Hatra. Quant au loculus, il ne
saurait guère avoir été emprunté qu'à la Syrie voisine; encore faut-il recon
naître l'élaboration originale réalisée à Palmyre grâce au système de la fente

(*) Ce problème de la couverture reste tout étages en retrait au phare d'Alexandrie et à


aussi énigmatique pour les tours plus évoluées ses dérivés dont il sera question plus bas.
de Palmyre. La corniche intermédiaire signalée (2) L'hypothèse a été avancée par M. Ros-
amorçait sans doute un retrait de la partie tovtzeff, Dura and Us art, p. 56.
haute ; et, de fait, la tour d'Atenatan, ou aussi (3) Nous ne faisons ici que signaler les conclu
celle d'Al Qaim, s'amincissait progressivement sionsde notre étude sur la tour palmyrénienne
vers le haut : cet agencement répond sans doute (cf. p. 259, n. 1); pour le détail, cf. les parties
à des exigences statiques. On retrouvera les consacrées au loculus et à la chambre à loculi.
264 SYRIA

à loculi superposés, fusion probable des deux systèmes de loculi existant


concurremment en Syrie et en Ég\pte.
A une date postérieure (me siècle), Halébiyé procède à une transformation
analogue, mais avec introduction dans la tour de la chambre avec niches à
arcosolia sur les côtés : là encore, le modèle doit être cherché dans la Syrie
occidentale.

Fig. 2. — Tour funéraire de Qanaouat.

2° Le Hauran. — Bien moins connue que la tour funéraire de Palmyre et


du Moyen-Euphrate est celle du Hauran. Cependant les indications qu'on
peut relever dans les récits de nombreux voyageurs ne permettent guère de
doutes sur son existence et fournissent une image suffisamment exacte, malgré
l'extrême rareté des plans et des vues.
A Qanaouat (ancïenne Kanatha), plusieurs explorateurs signalent les
restes d'une quinzaine de tours dans la nécropole bordant la route de Soueida.
L'image de l'une d'entre elles est reproduite par Brûnnow-Domaszewski (1) :

(*) Brunnow-Domaszewski, Provincia Arab les textes plus anciens pour lesquels nous nous
ia, II-I, p. 139; fig. 1034, n° 13, où sont cités contentons de ce renvoi. Cette tour se trouve à
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 265

elle nous apparaît comme un édifice de plan carré, en assises régulières de


pierres de taille; les deux étages conservés à cette époque étaient séparés
par une plate-bande en saillie, alors qu'une sorte de corniche à profil en
biseau marquait le couronnement de l'édifice. Une porte, surmontée d'un
puissant linteau avec petit arc de décharge, donne accès de plain-pied au
rez-de-chaussée, et l'étage
est éclairé par une fenêtre.
Grâce à l'extrême obl
igeance du R. P. A. Beau-
lieu, que nous sommes heu
reux de pouvoir remercier
ici, nous sommes en me
sure de fournir une vue
de ce monument : on voit
qu'aujourd'hui il est réduit
au rez-de-chaussée (fig. 2).
Pour l'installation interne,
les récits des voyageurs
restent confus : pour les
uns, l'arrangement comport
ait des loculi analogues à
ceux de Palmyre; pour les
autres, au contraire, la re
s emblance avec les colum
baria de Rome s'imposait. Fig. 3. — Intérieur de la tour, figure 2.
Voici maintenant une vue
partielle du rez-de-chaussée du même edifice (fig. 3) : la salle est cou
verte d'une belle voûte en pierres de taille bien assemblées et se termine
par un sarcophage sous arcosolium à une de ses extrémités, alors que des
loculi de section carrée ouvrent sur les côtés. Le loculus, comme nous avons
déjà eu l'occasion de l'indiquer dans notre étude antérieure sur la tour funé-

quelque distance de la porte sud-ouest de la la route, cf. le vieux plan de Rey, Voyage dans
ville, cf. plan, p. 108, fig. 1000. Les autres le Haouran, pi. VI, reproduit par Bi ti fr,
monuments funéraires sont plus proches de Princeton Expedition, II, A, pi. XXI, p. 346.
266 SYRIA

raire de Palmyre, était d'un usage courant dans le Hauran où on le rencontre


à la fois dans les tombes souterraines et les tombes aériennes : ainsi les
tombes « nabatéennes » d'Umm-ed-Djemal en fournissent de bons exemples (1);
de forme carrée, ils sont disposés en plusieurs rangées parallèles superposées
(trois ou quatre) et offrent' ainsi une image très semblable à celle de certains
hypogées -alexandrins, où le même dispositif régulier est donné aux loculi
taillés dans le roc. L'arc supportant le plafond, sinon la voûte, se retrouve
dans ces mêmes tombes, et il
est, d'ailleurs, un des principes
de construction de l'architec
ture en pierre du Hauran. La
« tombe des stèles » est essen
tiellement aérienne, mais reste
trop ruinée pour qu'on puisse
se prononcer sur- l'existence
d'un étage. Mais à Qanaouat,
nous avons déjà signalé l'étage
de la tour reproduite ci-contre,
et un autre édifice du même
type, plus proche %de la route,
montre encore à l'heure ac
tuelle, au-dessus d'une corniche
Fig. 4. — Autre tour de Qanaouat. à profil en biseau, l'amorce
d'un premier étage (fig. 4) ; l'on
peut ainsi ajouter quelque crédit au dire des voyageurs qui parlent de deux
ou trois étages; on ne sait rien, au contraire, sur leur installation interne,
ni sur la manière dont on y accédait.
On ne possède d'indications détaillées que pour un . seul autre endroit,
l'actuelle Chaqqa, dans laquelle on retrouve la Soxxat'g de Ptolémée <2). Le
monument le plus connu de ce site est une construction située à quelque dis-

(*) Pour ces loculi, Butler, Princeton Ex- négligé par Brûnnow-Domaszewski,' et som
ped., II A, p. 205 s., fig. 185 s. mairement mentionné par C. Butler, Prin
(2) Sur Chaqqa, cf. R. Dussaud, Topograp ceton Exped., II A, p. 360, et Watzinger,
hie, p. 367; le site est malheureusement p. 83.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 267

tance de l'agglomération moderne. Une inscription en plusieurs couplets de


distiques nous apprend qu'elle fut élevée par un certain Bassos (1). L'élévation
extérieure est très semblable à celle que l'on vient d'examiner, soit plan
carré (environ 6 mètres de côté) et plusieurs étages (qui peuvent avoir été
marqués par des corniches intermédiaires); on pénètre à l'intérieur par une
porte et l'on distingue encore les corniches et les consoles qui délimitaient
les étages; on ne retrouve donc plus la voûte de Qanaouat. Bien que des
ossements aient été découverts dans cette partie de l'édifice, il n'est pas ques
tion de loculi, ou de toute autre installation funéraire, et l'on peut croire
que le rez-de-chaussée n'abritait que des sarcophages. Une particularité de
cette construction est l'existence d'un soubassement visible de l'extérieur
grâce à un raccord en biseau avec la partie haute de la tour; on pénétrait
par une entrée particulière dans un hypogée partiellement dégagé et qui •
abritait trois loculi de 1 mètre de côté sur 2 de profondeur.
Une image analogue nous est fournie par d'autres édifices de Chaqqa.
On peut faire des réserves sur la tour se dressant près de la mosquée (2) dont
la destination funéraire n'est pas assurée, malgré l'identité de structure. Mais
à l'endroit dit Ed-Deir (3), deux tours, englobées dans le couvent dont les
restes subsistent encore, semblent plus anciennes que l'œuvre des moines.
En tout cas, l'existence d'une nécropole antique en ce lieu paraît indiquée
par une série d'inscriptions funéraires relevées là-même (4). Dans la plus
grande des tours, qui, a été soumise à des remaniements certains (fig. 5), on
signale un loculus de neuf pieds de long en face de l'entrée, et la découverte
d'ossements humains. La tour du sud, de meilleure construction et plus an
cienne, ne possède plus trace d'installation funéraire. Notons enfin que l'exi
stence d'autres tours funéraires à Chaqqa ressort des inscriptions publiées par
Waddington <5>.
f1) Waddington, n° 2145 a-c ; Kaibel, 452. ou de la tour n° 53 de Palmyre.
Une description détaillée des monuments de ,(2) Burton-Drake, II, p. 355.
Chaqqa est fournie par Burton-Drake, (3) Ibid, et Vogué, Syrie Centrale, pi. 18
Unexplored Syria, II, p. 352 s. et I, p. 161, et 22, p. 58.
où la comparaison avec les tours de Palmyre (4) Cf. les inscriptions Waddington, nos 2141,
est encore faite. L'installation de l'hypogée 2142, 2150, 2152, 2153 a, 2143 (encastrée dans
de la tour de Bassos était sans doute sem- la tour même, mais remploi),
blable à celle de la tombe de Kelesteinos à (5) Waddington, n08 2144, 2148, 2155.
Rimet-el-Luhf, Butler, p. 412, fig. 353-354,
268 SYRIA

Pour le reste du Hauran, l'épigraphie. permet de compléter nos connais


sances. Dans sa dédicace versifiée, Bassos proclame que sa tour servira d'abri
aux colombes; or un certain nombre d'inscriptions funéraires reprennent le
même thème, si bien que le terme de « pigeonnier » pouvait suffire à désigner
une tombe monumentale (1). On obtient ainsi une aire de diffusion bien plus
considérable, s'étendant surtout au nord de Souéida (fig. 12, carte annexe).
Les mêmes inscriptions nous
fournissent des indices chronol
ogiques. La majorité d'entre
- elles appartiennent seulement à
la période chrétienne (ive siècle).
Seule fait exception celle de
Bassos précisément, portant la
date de 71 de l'ère de la ville,
ère dont le point de départ
nous est malheureusement in
connu, niais doit, selon toute
probabilité, être placé encore
au Ier siècle (2). Il semblera, de
toute façon, peu probable que
l'usage de la tour funéraire
ne date que de l'époque chré
tienne.
Fig. 5. — Ed-Deir près de Chaqqa. Ce n'est Sans doute pas
'

l'élévation extérieure d'une


tour dépourvue de décor architectural qui nous fixera sur la date de sa cons
truction; il y a toutes les apparences que la tour à étages séparés par de

f1) Ce sont les textes suivants : 1° Nimre 7° Atil: ibid., p. 648, n° 21.
(Nemara) : Waddington, 2173 a; 2° Nahité: (2) Pour l'ère de Chaqqa, cf. Brunnow-
Waddington, 2142 k de 356 apr. J.-C; Domaszewski, Provincia Arabia, III, p. 303 et
3° Slim (Selaema) : Waddington, 2381; 305; l'auteur n'exclut cependant pas la possi
4° Busr-el-Hariri: Waddington, 2474; 5° es- bilité d'un point de départ postérieur comme
Sanamen: Cabrol-Leclercq, Diet. s. v. colomb pour Chahba-Philippopolis. Ces incertitudes
ier, de 345 apr. J.-C; 6° Kharaba: Dussaûd- ne permettent pas de parler avec Watzinger,
Macleh, Mission Syrie désert., p. 695, n° 164; sans plus, de « spâte Auslâufer » (p. 83).
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 269

simples bandeaux saillants ait été d'un usage courant dans le Hauran tout au
long de la période romaine, tant pour des fins utilitaires que funéraires. Une
des difficultés dans notre documentation actuelle, trop fragmentaire, vient
de cette identité de structure liée à des destinations variées : l'image des
villes du Hauran hérissées de tours ou de ses villas flanquées de tours est
familière (1) ; mais ce fait montre aussi qu'il est difficile de se prononcer sans

Fig. 6. — Monument funéraire de Qanaouat.

plus sur la signification et la date d'un édifice de ce genre. C'est l'installation


interne qui, seule, est décisive, la présence de loculi, en particulier, pouvant
être considérée comme un indice certain d'une date relativement haute.
Notons aussi que les monuments funéraires aériens pouvaient affecter des
formes diverses au Hauran, comme ailleurs, et il est probable que le terme
de tour a été appliqué là aussi à des édifices de types divers. Voici les restes
d'une autre construction de Qanaouat (fig. 6), se trouvant à proximité
des précédentes, mais d'une architecture plus complexe. Le Philippiéion de

(*) Cf. par exemple Butler, Princeton Exped., II A, p. 115, 126, 127, 134, 137, 140, etc., et
Watzinger, p. 82-83.
Syria. — XXVI. 34
270 SYRIA

Chahba (1), de plan carré et orné de pilastres d'angle surmontés d'une cor
niche, possédait un étage auquel on accédait par un escalier encore con
servé, mais appartient peut-être au type du mausolée proprement dit. Il
resterait enfin à examiner le cas des tours rondes signalées en divers en
droits (2) et dont certaines, au moins, étaient de destination funéraire.
En définitive, malgré la diversité des problèmes soulevés par les monuments
funéraires du Hauran et les grandes imprécisions de notre documentation,
on retiendra l'existence en cette région d'une tour funéraire dont l'apparence
externe était très voisine de celle de Palmyre; les sépultures, sous forme de
loculi ou de sarcophages, sont installées dans un hypogée ou dans le rez-de-
chaussée, tandis qu'il n'est pas assuré qu'elles aient occupé, comme à Palmyre,
toute la hauteur de l'édifice.

3° Cilicie Trachée. — C'est dans une région qui ne fait plus partie de la
Syrie, mais qui en reste suffisamment proche pour pouvoir lui être rattachée,
que nous rencontrons le troisième groupe d'édifices, dont la. ressemblance
avec les tours est des plus frappantes.
En Cilicie Trachée, dans le triangle formé par les villes de Séleucie, Dio-
césarée et Elaioussa-Sébastè, un nombre considérable de tombes monumentales
est signalé, dont chaque. fois des tours (3).
L'édifice le plus ancien, si la date proposée s'avère légitime, remonte à
l'époque hellénistique encore (ier siècle av. J.-C), et se dresse dans les environs
de Diocêsarée '4) : sur un socle de deux gradins s'élève une tour, de plan carré
(environ 5 mètres de côté) et de hauteur paraissant notable; le corps de
l'édifice est construit en assises régulières de pierres de taille et possède comme
unique décor des pilastres d'angle doriques avec entablement correspondant;
une pyramide à gradins assez pointue forme. le couronnement. L'intérieur,

0) Provincia Arabia, III, p. 167, n° 14; (3) Keil, Mon. Asiae Min. Ant., III, avec
fig. 1057-1058. carte pi. I; descriptions rapides et illustrations
• (2) Tour ronde de Qanaouat, Provincia insuffisantes.
Arabia, III, p. 143; pour d'autres, Butler, (4) Ibid., pi. 31, fig. 89 et 90; p. 59 et 65
Princeton Exped., II A, p. 345, fig. 313 et (Uzandja Burdj)^Les auteurs pensent que ce
p. 400, fig. 346-350 (tombes) et p. 354, fig. 318 monument pouvait être la sépulture d'un
et p. 437, fig. 384 (pour Butler, des moulins prince-prêtre d'Olba ou d'un descendant des
à vent). Cf. aussi le mausolée rond de Bosra, Séleucides (Philippe).
Provincia Arabia, III, fig. 866-871.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE L'A SYRIE 271

dans lequel on pénètre par une petite ouverture, est constitué par une salle
unique (fig. 7).
De même type et de même décor, cette fois corinthien, sont deux autres
tours .dont l'une se trouve à mi-chemin entre Diocésarée et Séleucie, et l'autre
dans les collines au nord de cette dernière (1). Les différences consistent dans
l'importance plus grande du socle qui forme podium avec moulure terminale
et dans l'existence de fausses-portes.
La deuxième de ces tours montre
à l'intérieur un; dispositif intéres
santd'arcades soutenant la cou
verture; la première paraît datée,
par une inscription, du 11e ou du
ine siècle.
Un'
type plus fruste est repré
senté par une tour bien conservée du
voisinage de Séleucie (2) ; les éléments
de l'élévation sont les mêmes que
précédemment mais, malgré- la pré
sence d'un entablement, les pilastres
d'angle font défaut; la pyramide à
parois droites est couronnée par un
bloc de forme trapézoïdale (reposant
sur le plus petit côté) qui a sans,
doute servi de support soit à. des
statues soit à quelque autre orne- Fig. Tour de Diocésarée.
ment; l'intérieur est constitué par
une petite salle vide qui n'était pas accessible; seule une fausse-porte orne le
côté extérieur nord-ouest.
On fera des réserves pour la dernière tour signalée dans cette région,
celle d' Elaioussa-Sébastè (3). Elle comprend un socle-podium formant terrasse
devant une de ses façades et abritant un caveau. Dans l'étage, qui possède

W Ibid., p. 32, pi. 14, fig. 47 [Ovaçik) et (2) Ibid., p. 28, pi. 13, fig. 42 et p. 29, fig. 42
p. 26, fig. 38, pi. 13 (Dôsene); la pyramide n'est (Dôsene).
pas conservée dans ces deux cas. (3) Ibid., p. 223, pi. 57, fig. 183.
272 SYRIA

encore des pilastres d'angle corinthiens, est installée une chambre unique
couverte d'une voûte en berceau et éclairée par une fenêtre. La couverture
a disparu, de sorte que ce ne sont plus que les proportions élancées qui rat
tachent cet édifice aux précédents; Keil et Wilhelm penchent pour la restitu
tion d'une pyramide, mais rien ne paraît exclure un simple toit à double ver
sant, ni aussi la présence d'un prostyle. Les proportions élancées de cette
construction ne sont, au surplus, pas plus frappantes, et même le sont moins,
que celles de maint temple funéraire de cette région, dont un type original
comporte deux étages marqués en façade par deux colonnades superposées (1>.
A vrai dire, on s'éloigne déjà avec ces monuments ciliciens de la tour
véritable. L'installation interne ne comporte dans aucun cas d'étages, et
l'ensemble se présente comme un simple édicule à chambre unique, couronné
d'une pyramide, et dont seules les proportions élancées permettent le rap
prochement avec les tours. C'est eo qui nous amène à penser que lé décor
architectural, en particulier celui des pilastres d'angle manifestement trop
étirés, peut être considéré comme adventice et surajouté;. on a vu d'ailleurs
qu'il faisait défaut dans un cas. Nous rencontrerons bientôt, dans la Syrie
du Nord, une construction très voisine (B 3), mais dont la hauteur est mieux
appropriée aux dimensions générales de l'édifice, et la véritable question pour
la Cilicie est de savoir quelles considérations ont entraîné l'adoption d'une
apparence turriforme.

B. — Les mausolées de la Syrie occidentale.

1° Les mausolées-tours. — On ne saurait citer, à notre connaissance, de


monuments analogues à ceux qui viennent d'être décrits dans la Syrie occi
dentale. Il arrive, cependant, que l'on accole le terme de « tour » à l'un ou
l'autre des monuments funéraires de cette région. Ceux qui méritent le plus
cette appellation se trouvent sur l'Euphrate encore, mais sur le cours supérieur
du fleuve.

(x) Ibid., pi. XI, 31; XIV, 44 et 43; XVII, 53; XVIII, .',:»; XXXVII, 109; LVII, 181; XII,
34-37.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 273

Les restes de deux édifices de ce genre sont signalés dans le village de


Serrin, à l'est de Membidj-Hiérapolis (1). Le mieux conservé, de plan carré
(4 m. 15 de côté), comprend un socle de belles pierres de taille (environ 6 mètres
de haut), sans ornement, si ce n'est une paire d'avant-trains d'animaux sur
les faces est et ouest. Une ouverture, jadis hermétiquement fermée et diss
imulée, ménagée à un niveau sensible au-dessus du sol, mène dans le caveau;
le premier étage, accessible de même par une petite porte, contient une
chambre voûtée et est revêtu à l'extérieur d'un décor architectural de quatre
colonnes ioniques engagées avec entablement correspondant; la couverture
a complètement disparu. Une inscription syriaque nous apprend que c'était
là la tombe de Manou élevée en 73 après Jésus-Christ.
Très semblable paraît avoir été la tombe d'Amachamèche dont les restes
se dressent encore dans les ruines du couvent Saint- Jacques à Ourfa-Edesse <2).
Il ne subsiste que le rez-de-chaussée orné de pilastres d'angle doriques; une
porte, surmontée d'une arcade et installée au-dessus du niveau du sol, donne
accès à la chambre intérieure ; quelques - assises révèlent l'existence d'un
étage. La date du monument est discutée, oscillant entre le Ier siècle avant
notre ère et le ne après, la date haute paraissant la plus probable.
On propose, en général, de restituer une pyramide au sommet de ces
deux monuments par un rapprochement plus ou moins conscient avec des
édifices que nous examinerons bientôt, et ce couronnement est possible, ou
même probable, mais nullement obligatoire : des mausolées, à deux étages,
de proportions voisines, retrouvés en Afrique du Nord, présentent des
couvertures variées (cf. D 1).
Des monuments de structure analogue,' mais de dimensions plus impos
antes, sont connus plus à l'ouest. Le plus célèbre est sans doute celui qui se
dresse tout seul dans le voisinage d'Hermel, à l'ouest de Baalbek &K C'est

(*) Pognon, Inscr. sém. de Syrie, p. 15, a été proposée par Sachau, Reise in Syrien
pi. I-II; Watzinger, Palmyra, p.- 81-82; und Nordmesopotamien, p. 204; les .autres
Bell, Amuralh, p. 26, fig. 21 et 22; le plan auteurs optent pour une date plus haute,
de la deuxième tour, écroulée, est donné là- (3) Perdrizet, Bull.' corr. hell., 1897, p. 614
même, fig. 20/ • et Syria, 1938, p. 47 s., pi. XI : pour la restau-
(2) Pognon, ibid., p. 103, pi. V; Watzinger, . ration, Syria, 1932, p. 297; enfin Krenckeii
ibid.-; van Berchem-Strzygowski, Amida, Zschietzschmann, Rom. Tempel in Syrien,

p. 268, fig. 212; la date du n* siècle apr. J.-C, p. 161, fig. 231-233.
274 SYRIA

une construction massive en pierres de taille, d'une dizaine de mètres de


côté, comprenant successivement : un soubassement de quatre degrés, un
scole avec pilastres d'angle, un étage avec quatre pilastres sur chaque côté et
une haute pyramide de couronnement, chacune de ces parties étant en retrait
l'une sur l'autre. Lors de réparations effectuées en 1931, on a pu constater
que la construction était pleine du sommet à là base, mais sa forme générale,
ainsi que les frises de chasse et d'armes qui ornent le socle, ne permettent
guère de doute sur son caractère funéraire. Il est probable que la sépulture
se trouve sous cette masse énorme, comme on le voit ailleurs. La date la plus
probable est la fin de l'époque hellénistique W (pi. XIII, 1).
Il n'est pas impossible que ce monument ait été érigé par, ou pour, l'un
des - dynastes ituréens de Chalcis du Liban, tétrarques et grands-prêtres
d'Héliopolis-Baalbek (2). C'est, en tout cas, un membre de la famille rivale
d'Emèse (Horns), Caius Julius Sampsigeramus, qui fit construire un monument
de même type dans sa ville natale, en 78-79 de notre ère (3). L'édifice a com
plètement disparu et son image ne nous est plus conservée que par le crayon
trop peu sûr de Cassas. De dimensions à peu près semblables à celles du
précédent (38 pieds de côté), il comprenait les mêmes éléments : soubasse
ment à gradins, socle à colonnes engagées, une sorte d'attique intermédiaire
avec, décor de guirlandes à bucrânes, un étage à colonnes engagées, la pyra
mide de couronnement. Mais, particularité unique dans cette région, la
construction est faite selon le procédé romain de Y opus reticulatum, et, à la
différence d'Hérmel, l'édifice comprenait une salle voûtée surmontée d'une
pièce à coupole sous la pyramide ; dans les parois étaient installées des niches
de faible profondeur (4).

(*) C'est Perdrizet (Syria, 1938)" qui a térieur avec plan du rez-de-chaussée, coupe
émis des - doutes sur la destination funéraire restituée avec plan du premier étage) ; Wat-
du monument. On comparera le mausolée de zinger,- Palmyra, p. 81-82 et Kunsthistor,
Chamratè à Soueida (ci-dessous, C fin) lui Sallskapet. Publikat., .Stockholm, 1923, p. 18,
aussi massif avec sépulture dessous.- fig. 7 : croquis de restitution. Aussi C. Butler,
(2) Sur ces. dynastes, cf.' Schurer, ■ Gesch. Amer. Exped., Architecture and other arts,
jùd. Volkes, I, p. 712 s. et Head, Hist. num. 2, p. 49, qui donne une vue des restes subsistant
p. 783. au début de ce siècle.
(3) Sur cette famille, cf. Pauly-Wissowa, (4) C. Watzinger, dans l'ouvrage signalé à
s. v. Sampsigeramos. Pour le monument, Cassas, la note précédente, a soumis le monument à
pi. 21*- 23 (vue du site,~ restitution de une étude pénétrante, cf. p. 27, sur Yopus
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 275

Enfin, un mausolée somptueux a été élevé au ive siècle à Hass par un


certain Diogène (1). La construction en belles pierres de taille, de 11 mètres
de côté environ, comprenait un étage, inférieur, partiellement taillé dans le roc,
avec une rangée de colonnes entre antes sur un des côtés, et un étage supérieur
à périptère (en réalité : colonnes entre piliers d'angle) ; une pyramide de cou
ronnement peut être restituée avec une certitude presque absolue. Au rez-de-
chaussée on a, à la suite d'un pronaos, une salle avec deux niches à arcosolia
de chaque côté et une autre dans la paroi du fond, et le « naos » supérieur
comprenait une salle 'unique dans laquelle étaient placés des sarcophages.
Il a été possible aussi de retrouver l'image d'un monument analogue pour
la structure, quoique de destination différente, en Phénicie. Nous voulons
parler de la tour de Qalaat Fakra construite en 43 après Jésus-Christ et dédiée
par les habitants du lieu (les Tbr/ayx).<xEioi) à l'empereur Claude (2). Il reste
un étage inférieur imposant avec porte et escalier d'accès; un système de
couloirs et d'escaliers (tournant sur les côtés) aboutit à une petite chambre
intérieure et mène à l'étage supérieur. Des vestiges suffisants permettent
de restituer un étage avec pilastres engagés et, sans doute, une loge ouverte
sur la façade, de même qu'une pyramide de couronnement. Mais la dédicace,
aussi bien que l'accès facile et la proximité d'un important sanctuaire, semblent,
indiquer une destination cultuelle plutôt que funéraire (3).
Pour tout ce groupe de monuments, l'influence du mausolée classique,
tel qu'il a été illustré par le monument éponyme d'Halicarnasse (4) saute

reticulatum et p. 28 s. sur le décor. Les diver Si-Joseph, 1939; p. 124-125.


gences frappantes avec Hermel < s'expliquent (3) Pour les tombeaux d'Adonis invoqués à
.

par la différence de date qui atteint sans doute ce propos, cf. plus «bas B 3 et les indications
un siècle : Caius Julius avait eu le temps de se bibliographiques de R. Vallois, Architecture
romaniser. hellénique à Délos, p. 360, et surtout Ronze-
f1) Vogué, Syrie Centrale, pi. 70-71 et les valle, Mélanges Univ. St-Joseph, XV, p. 161-
corrections proposées par Butler, Architec 190.
ture (Amer. Exped.), p. 160-161 et fïg. 64-68 (4) Pour le Mausolée et son type, on ne dis
(nombre #de colonnes différent-, et accès au pose encore que d'études anciennes, cf. Ebert,
premier étage) ; pour l'inscription, Wadding- Pauly-Wissowa, s. v. Maussolleion, qui repose
ton, 2661,' et Prentice, Amer. Exped., III surtout sur Adler, Zeitschr. f. Bauwesen,
(Inscriptions), p. 155 s., n° 157 s. 1900, p.- 1-20; à ajouter les remarques d'en
(2) Krencker-Zschietzschmanjv, Rom. Tem- semble de Matz, Antike, 1928, p. 266 s. Pour
pet, p. 51, fig. 73, pi. 22-23; pour l'inscription le Mausolée d'Halicarnasse, il convient d'ajout
dédicatoire, cf.' R. Moutehde, Mélanges Univ. er les études deKRisr.HEN, Bonner Jahrb., 128
276 SYRIA

aux yeux; base à degrés, socle, étage à colonnes, pyramide de. couronnement,
on retrouve ici et là les mêmes éléments essentiels. Les particularités locales
ne sauraient faire méconnaître cette filiation évidente, et la célébrité du
monument carien l'exposait sans nul doute à de nombreuses imitations.
Mais il n'y a pas reproduction pure et simple du modèle. D'une part, à l'excep
tion du monument de Hass (et encore les piliers d'angle témoignent de la
persistance de traditions particulières), l'étage ne présente que l'apparence
d'un périptère : les murs sont pleins sur toute leur hauteur et la colonnade
est réduite à un décor de surface; c'est un vêtement emprunté à la Grèce, ou,
pour être tout à fait exact, à la Grèce d'Asie : le rôle de l'Asie Mineure dans
la formation et la diffusion des monuments funéraires de toutes sortes est
connu et ne saurait être surestimé. De plus, et ce point a suggéré le rappro
chement avec les tours, les proportions sont toutes différentes. Dans sa patrie
d'origine, le mausolée garde du temple le plan oblong et reste d'apparence
trapue. En Syrie, on s'en tient au plan carré, et les édifices sont bien plus
élancés, la hauteur comprenant au moins deux fois la mesure du côté {1).

(1923), p. 1 s.; Jahrb., 1925, p. 22 s.; Arch. Rom. Mitt., 1944, p. 173,. pi. 29, restitution
Anz., 1927, p. 1 et Rom. Mitt., 1944, p. 173 rectifiée par Krischen) mesure 17 mètres de
et pi. 30, et de Neugebauer, Jahrbuch, 1943, haut et le mausolée de Mylasa (Noack, Bau-
p. 39 s. La question mériterait d'être reprise kunst, pi. 156) 13 mètres pour 5 m. 50 de côté.
.

en complétant la série : Monument des Nér Ces deux monuments se distinguent cepen
éides, Halicarnasse, « tombe du lion » de dant des précédents par certains traits parti
.

Cnide, Mylasa avec -des mausolées de toute culiers. La tombe au lion comporte la succes
première importance découverts plus récem sionsuivante : base à degrés, socle réduit à
ment, comme le Charmileion de Cos (Schatz- un rang d'orthostates, étage à colonnes enga
mann, Jahrb. 1934, p. 110) et celui de Behlevi gées et entablement doriques, pyramide -à
(Jahreshefte, Beiblatt, XXVIII ■ (1933), p. 28; gradins portant un dé servant de base au lion;
XXIX (1934-1935), p. 108 et XXX .'(1937), on a ainsi un type intermédiaire entre le maus
p. 175, tous les deux attribués au ive siècle. olée et le socle de statue du genre du lion de
(x) Dimensions du Mausolée d'après Pauly- Chéronée ou de celui d'Amphipolis. Mylasa,
Wissowa : plan carré de 29 X 35 mètres et au contraire, offre l'exemple d'une colonnade
hauteur de -45 m. 92 avec un rapport bien périptère sans cella s'élevant sur un socle et
inférieur à 1/2; au contraire, le monument forme le pendant- des mausolées-baldaquins
d'Hermel : 11- mètres de côté contre 26 de de la Syrie du Nord,' cf. B 2. On note une divers
haut; de même Serrin, 4 mètres de côté contre ité analogue dans l'installation intérieure
10 environ de haut. Les autres mausolées cités (présence ou absence d'un caveau) ou dans le
ci-dessus confirment en gros ces données, en choix de la couverture : toit à double versant
particulier Cos et Behlevi. Le monument au .(monument des Néréides, Cos), pyramide
lion de Cnide [Antike, 1928, p. 270, fîg. 2 et (Mausolée, Cnide, Mylasa) ou attique cachant
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 277

Ces divergences semblent montrer que les modèles helléniques n'ont pu él


iminer de façon définitive les traditions locales. Mais que pouvons-nous savoir
de ces dernières ?

2° Les mausolées-baldaquins de la Commagène et de la Syrie du Nord. —


Un des traits caractéristiques des édifices que l'on vient d'étudier est la
pyramide de couronnement. Or cet élément apparaît sur une série d'autres
constructions funéraires syriennes et peut ainsi nous fournir des indices sur
l'histoire des uns et des autres.
Un premier groupe est formé par ce qu'on peut appeler les mausolées-
baldaquins ; ce sont des édifices de dimensions plutôt modestes dont l'élévation
comporte les éléments suivants : socle, étage à baies ouvertes, pyramide de
couronnement; Ce type se trouve pleinement réalisé dans quelques monuments -,
relevés par Cumont en Commagène {1). Le socle prend ici l'importance d'un
étage inférieur aménagé en caveau; il possède une porte et une moulure
terminale; 'les supports de l'étage, réduits à quatre, placés aux angles du carré
du plan, sont constitués par des piliers encadrant des arcades ou (une fois)
réunis par une architrave horizontale ; la pyramide reçoit à l'occasion un
fleuron de couronnement ou présente des flancs incurvés. Ces monuments
appartiennent aux 11e et 111e siècles.
Dans la région montagneuse de la Syrie du Nord, dans le triangle Antioche-
Alep-Lattakieh, des monuments du même type sont signalés (2). Certains

le toit à Behlevi (Jahreshefte, 1937, Beiblalt, Guyer, fig. 6-7, même type; début nie siècle.
p. 189, fîg. 62). La diversité est ancienne et la 3° Assar, Cumont, fig. 78 : quatre baies entre
constante est fournie par l'articulation générale piliers surmontés d'une architrave droite;
de l'élévation; c'est elle aussi qui nous sert Guyer, p. 152, signale le caractère exceptionnel
de base dans notre classification des monu et inexplicable du mur plein percé d'une porte.
ments syriens. (2) Le» premier relevé est dû à Vogué,
W Cumont, Études syriennes (1917), p. 203, Syrie Centrale; on trouvera des compléments
décrit les monuments suivants : 1° Hassan- dans Butler, Architecture (Amer. Exped.)
Oglou, ûg.- 71-72; date proposée ier-ue siècles; et van Berchem-Fatio, Mémoires Inst. du
une étude plus détaillée se trouve dans Guyer, Caire, XXXVII-VIII (1914-1915). Voici - les
A us 5 Jahrtaus. morgenl. Kultur (Festschrift monuments en question : 1° Dana Nord:
Vogué," pi. 93; van Berchem, pi. XLVIII;

Oppenheim, 1933), p. 148, fig." 1-5 : trois baies


cintrées et un côté plein avec porte; couverture Butler, p. 74 : édicule à quatre ' colonnes
plate, mais pyramide probable; date proposée ioniques se dressant sur socle, architrave

ne-me siècles. 2° Alif, Cumont, fig. 74-75; droite, pyramide, hypogée. 2° Djuwanieh :
Syria. — XXVI. 35
278 SYRIA

(Brad, Dana Nord, tombe d'Antiochos à Djuwanieh) (pi. XIII, 2 et pi. XIV, 1)
répondent exactement au type décrit; d'autres, au contraire, dépourvus de
socle, se réduisent à de simples baldaquins servant d'abri à des sarcophages
ou à l'entrée d'un hypogée; les supports sont de différentes sortes : piliers,
piliers à arcades, colonnettes. Le monument le plus original de ce groupe est
sans doute le mausolée de Cyrrhus, de plan hexagonal, aujourd'hui transformé
en wéli musulman. Dans le cas du mausolée-baldaquin véritable, le rôle de
l'étage à baies prête- à discussion : il pouvait abriter des sarcophages, ou
encore simplement des statues, images des défunts.
En tout cas, le type de Pédicule à colonnes ou à piliers, sur socle élevé,
avec du sans pyramide de couronnement, est aussi ancien que le mausolée
proprement dit. Sur un vase apulien du ive siècle, représentant Niobé pleurant
ses enfants, on voit l'héroïne debout sous un baldaquin à colonnettes sup
portant un fronton et reposant sur un socle élevé' décoré d'une rangée de
« dames au rinceau !1) ». Dans l'art funéraire tarentin, dont les rapports avec
l'art ionien du ive siècle ne sont guère douteux, des édifices de ce genre ne
semblent pas avoir été inconnus (2). De place en place, en- Asie Mineure, des
monuments analogues sont signalés. Tel est le cas de l'élégant édicule rond

Butler, p. 109, tombe d'Antiochos de 340, Villes mortes,, avec une carte -de la région,
dans le socle caveau à arcosolia. 3° Brad: p, 13, fig. 1. Le type avec et le type sans socle
Cumont, Études syriennes, *fîg. 76-77; Bell, apparaissent comme nettement distincts; il
.

The desert and the sown, p. 287, fig. ; Antike, y a cependant une parenté évidente dans le
1928, p^ 280; fig. 10: baies cintrées et pyra principe du baldaquin, et Termessos de Pisidie
mide; même type qu'en Commagene- 4° Cyr nous montrera des baldaquins sur socle conçus
rhus : Cumont, fig. 80; dans. le socle, qui a comme abris de • sarcophages. Il y a, comme
l 'importance d'un étage, chambre voûtée, toujours,- interférences entre types divers.
baies cintrées à l'étage; chapiteau corin Pour l'existence de baldaquins simples à une
thien à six faces, couronnant la pyramide; date ancienne, cf. le •monoptère sicyonien de
escalier menant > à l'étage. 5° Dana Sud, Delphes, La Coste-Messelière, Au Musée
tombeau d'Olympiane : Vogué, pi. 78, de Delphes, p. 40, fig. 3 et 4.
quatre colonnes ioniques sans socle, sur hy l1) Collignon, Statues- funéraires, p. 110,
pogée. 6° Kokanaya: Vogué, pi. -97, Butler, fig. 57; Roscher, Myth. Lex., Ill, 1, 407,
p. 109, deux édicules abritant des sarcophages fig. 6; Séchan, Études, p. 83* fig. 24.
avec trois piliers - sur un côté : date 384. (2) Watzinger, Untersuchungen zur unleril.
7° Djuwanieh: a) tombeau "de Kassianos avec Vasenmalerei ; .Pagenstecher, Unterit. Grab-
baies cintrées, de 398 et b) tombeau à toit à denkm. (Kunstgesch. Auslandes, 94) et Klum-
double versant, Butler, p. 109 et 110, fig. 42. BAcny Tarentiner Grabkunst (Tubinger For-
Pour tous ces monuments, cf. aussi Mattern, schungen, 13, 1937).
. LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 279

d'Éphèse à colonnes corinthiennes et pyramide tronconique à fleuron terminal


se dressant sur un socle élevé (1). A Termessos de Pisidie, des baldaquins
prostyles ou amphiprostyles à toit à double versant abritent des sarcophages (2).
Pour la même ville, on peut citer une construction de l'apparence d'un temple
périptère s'élevant sur un socle-podium inaccessible décoré de reliefs : on
rejoint ainsi le mausolée de Mylasa (3). Signalons enfin que des baldaquins de
ce genre n'ont pas toujours servi à des fins funéraires. Du moins, la Phénicie
nous a conservé des exemples adaptés en réceptacles de statues dans divers
sanctuaires : là, l'étage à colonnes possède un pilier, central muni de niches
pour les figures W.
Le mausolée-baldaquin de la Syrie du Nord apparaît ainsi comme une
lignée secondaire se rattachant à celle du mausolée classique, et sa patrie doit
être cherchée dans la même région, sans qu'il soit possible, en face d'une
documentation fragmentaire et de faits sans doute complexes, de déterminer
des lignes d'évolution nettes. Mais ce qui est notable dans le groupe syrien,
c'est la prédominance de la couverture à pyramide, moins régulièrement
employée ailleurs. Cette particularité se retrouve dans la série que nous
abordons maintenant.

3° Les naiskoi funéraires à pyramide de la Syrie occidentale. — Renan


,

a décrit un édifice dont il étudia les restes dans le sanctuaire de Machnaqa,


sur la route de Byblos aux sources de l'Adonis (5). Vu de l'extérieur, il présente
une grande analogie avec les mausolées-baldaquins déjà décrits. Sur un

(>) Jahreshefte, XXVI, 1930, Beiblatt, 45, engagées, fournissant ainsi un curieux exemple
fig. 21-23, ne siècle apr. J.-C On rapprochera de la fusion entre temple et baldaquin.
aussi, à Éphèse, 1' « octogone » (Beiblatt, XXX, (4) Krencker-Zschietzschmann, Rom. Tem-
p. 41, fig. -20) : socle carré abritant un caveau - pel: 1° Hossn-Sfire, p. 20, fig. 35-37. 2° Au
et supportant un temple périptère octogonal même endroit : p. 28, fig. 46-51, pi. 20, édicule
(cella- massive avec fausse-porte, pyramide à du premier temple de Kyria. 3° Hossn Niha,
gradins de couronnement, (ieT" siècle av.- p. 136, fig. 189, pi. 60. Il faut ajouter un
Ier siècle apr. J.-C). On note ici, comme à monument de Qalaat.Fakra restitué sur le
Termessos, une plus grande richesse des types. terrain, et l'on comparera les mausolées-bal
'2) Heberdey-Wilhelm, Jahreshefte, III, daquins de Tripolitaine avec pilier central.
p. 177 s. et fig. 61 s. (5) Renan, Mission, p. 285-288, pi. 35, avec
(3) Ibid., fig. 52-55. TCe temple funéraire se restitution de Thobois; le monument a subi
présente comme un pseudo-périptère dont on des dégradations importantes depuis. Pour les
aurait supprimé les murs entre les colonnes tombeaux d'Adonis, cf. p. 275, n. 3.
280 SYRIA

socle-podium de plan carré se dresse un étage de quatre colonnes sur le côté,


supportant une pyramide élancée comme couverture; mais cette fois, l'édi

,
ficene se réduit pas à un simple dais sur supports isolés, mais est formé par
une petite cella à colonnade périptère. Le monument a les titres les plus
sérieux, parmi tous ceux qu'on mentionne dans ce débat, à représenter un
de ces « tombeaux d'Adonis », dont nous parlent les textes; en tout cas,
c'est avec Qalaat Fakra, une construction qui a servi à des fins rituelles,
tout en se rattachant pour la structure' à la série des monuments funér
aires.
La petite cella de Machnaqa se retrouve dans une série de naiskoi, ou
chapelles funéraires, à pyramides,, conservés en différentes localités de la
Syrie du Nord, là-même où nous avons rencontré les mausolées-baldaquins (1).
L'édifice est des plus simples : une petite cella carrée à salle unique et porte
d'accès abrite la sépulture; une pyramide particulièrement haute et creuse
forme la couverture. Les plus beaux exemples possèdent un décor extérieur
d'un ou deux corps de moulures transversaux analogues à la corniche termi
nale: ils délimitent un ou deux étages en réduction parfois ornés de pilastres
d'angle. On ne saurait dire s'il faut reconnaître là une imitation des grands
mausolées déjà étudiés, ou simplement un parti décoratif (2) (pi. XIV, 2).
Dans quelques cas, un porche de quatre colonnes marque la façade.
Ces édifices sont tous tardifs et ne semblent pas remonter au delà du
ive siècle de notre ère. Il serait téméraire pourtant de croire que ce type est
une création de la période chrétienne seulement. Le monument de Machnaqa

(M Ce sont, avec référence aux ouvrages déjà de rattacher à ce groupe le monument de


cités : 1° Dana Sud: de Vogué, pi. 77; van Deir Solaib, près de Haraa; Mélanges Univ.
Berchem, pi. XLIII; Butler, p. 245. 2° el St-Joseph, 1939, p. 15, fîg. 3, pi. XI, 2 et 3
Bara I : van Berchem, pi. XXX, 1 et Butler, (avec arcosolia). Cf. aussi pour lesn08 l-'t,
p. 159. 3° el Bara II: de. Vogué, pi. 74, Mattern, Villes mortes, pi. I, 1 et XI, 1-3.
van Berchem, pi. XXX, 2; Butler, p. 243, Nous remercions M. 'G. Tchalenko de la libé
avec trois corniches moulurées successives. ralité avec laquelle il a mis à notre disposition
,

4° el Bara III, de Vogué, pi. 75, 76; van certains de ses clichés se rapportant à cette
Berchem, pi. XXXI; Butler, p. 243, avec région (ci-dessous, fig. 10-11 et pi. XIV).
moulures ornées de rinceaux et pilastres-nains (2) Cf. à Pétra les exemples d'étages inter
aux angles. 5° Hass: de Vogué, pi. 74, avec médiaires avec pilastres-nains : Brunnow-
porche. 6° Rbe'ah: Butler, p. 111. 7° Taltita: Domaszewski, Prov. Arabia, I, p. 154, fig. 169-
Butler, p. 111. Il convient sans doute aussi 170 et 172-173.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 281

nous a fait entrevoir son existence bien antérieurement, et d'autres nous


fournissent la preuve de son origine ancienne. Voici d'abord un des édifices
les plus curieux d'Amrith, le Bordj-el-Bezzak (1> : c'est le même dé cubique
à moulure terminale surmonté d'une pyramide; le dispositif interne présente
l'anomalie de l'installation de deux étages, dont celui du. bas est bien moins
développé que celui du haut. La date du monument, comme celle de tous les
autres d'Amrith, est discutée, mais on en rapproche d'ordinaire le « tombeau
de la fille du pharaon » de Siloam, près de Jérusalem (2), monolithe taillé en
caveau et remontant au vie siècle avant notre ère sans doute. Il convient aussi
de rapprocher la tombe de Zacharie
dans la vallée du Cédron <3), monol
ithe plein qui possède cette fois un
décor extérieur de pilastres et de co
lonnes engagées. A Malûl enfin, près
de Nazareth, s'élève une construc
tion du même type comprenant un
caveau voûté avec loculi latéraux (4>.
Malgré les divergences, le prototype
commun est indéniable, et l'on n'hé
sitera pas à accepter la filiation
avec des monuments égyptiens dont Fig. 8. — Tombes égyptiennes.
l'image, en tous points semblable,
nous est conservée sur des reliefs de tombes thébaines ou sur > une stèle
peinte de Boulacq t5) (fig. 8).
Il y a ainsi toutes les chances que le naiskos à pyramide soit la tombe
monumentale la plus ancienne de la Syrie, et ce serait aussi le type le plus
durable si, comme on peut l'admettre, le mausolée à coupolej dans lequel la

(*) Renan, Mission, pi. 7, 14-16, p. 80, et (4) Survey Western Palestine, I, p. 322.
van Berchem-Fatio, pi. LXXVI et LXXV; (5) On examinera la série des documents
Perrot-Chipiez, III, p. 24, fig. 6 et p. 145, présentés par Perrot-Chipiez, . I, p. 250,
fig. 87. fig. 161 (pyramide d'Abydos); p. 305 s. et
(2) De Saulcy, Voy. Mer Morte, pi. XLII; fig. 187 s. (reliefs thébains); p. 301, fig. 190
Perrot-Chipiez, IV, p. 350, fig. 184. Wat- (tombeau d'Apis) et p. 307, fig. 194 (stèle
zinger, Denkm. Palâstinas, II, p. 71-72. peinte de Boulacq). Notre figure 8 = Perrot-
(3) Cf. plus' bas C2, avec notes. Chipiez, fig. 188 et 189.
282 SYRIA

coupole prend la place de la pyramide, a pris sa succession (1). Réduit à ses


éléments premiers, l'édifice est des plus simples, comprenant un étage réservé
à la sépulture et une pyramide de couronnement, marque distinctive de la
tombe. Le caractère traditionnel de cette partie a dû contribuer au succès que
connut le mausolée dans les mêmes régions : on pouvait se contenter d'inter
calerl'étage à colonnes (2).

C. — Les mausolées-stèles de Phénicie et de Palestine.

C'est une valeur symbolique et monumentale, analogue à celle de la pyra


mide, qui unit entre eux un certain nombre de monuments, dont elle constitue
la seule raison d'être. S'il arrive que, sous l'influence des séries précédentes,
l'un ou l'autre abrite une sépulture, la règle générale est qu'ils se dressent
sur ou à côté de tombes. Assez exactement localisés au sud des groupes décrits,
ils sont volontiers monolithes et présentent une grande variété de formes et
de décors, leur unité n'étant faite que par leur fonction.

1° Les monuments d'Amrith. — Le site de l'antique Marathus est toujours


signalé par trois monuments formés de grands blocs et d'apparence monol
ithique, les « meghazil » des gens du pays. C'est Renan qui les étudia le pre
mier et découvrit qu'ils marquaient l'emplacement d'hypogées au-dessus
desquels ils se dressent (3>.

(x) Pour ces monuments, cf. Creswell, de Chamratè à Souéida). La forme à parois
Early muslim architecture, I, p. 304 avec une droites, dont on ne niera pas les affinités avec
liste. Creswell montre que ce type, qui s'est l'Egypte, a manifestement la préférence dans
perpétué pendant des siècles sous la forme cette région. D'ailleurs, le caractère funéraire
des wélis musulmans, peut se réclamer de est assuré dans les deux cas, et, à l'époque où
modèles fort anciens, comme le prouvent les nous sommes, on ne devait plus faire de diffé
bas-reliefs assyriens. rence entre les deux types.
<2) Pagenstecher, discutant le problème de (3) Renan, Mission, p. 70, pi. VII. Monu
la pyramide [Nekropolis, p. 10 s.) tend à ment C : Renan, pi. 17; Perrot-Chipiez,
dissocier la .pyramide à parois droites et le III, p. 154, fig. 98;- van Berchem-Fatio,
type à gradins ; ce dernier ne serait pas égypt pi. LXXV; monument A : Renan, pi. 11
ien, mais « oriental ». De fait, il apparaît et 12; van Berchem, pi. LXXIV; monu
surtout sur les mausolées de l'Asie Mineure ment B : Renan, pi. 11-13; Perrot-Chipiez.
déjà signalés : Halicarnasse, Cnide, Mylasa; III, p. 152-153.
mais il est rare en Syrie (surtout le mausolée
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 283

L'un d'entre eux, le monument C, rappelle d'assez près les mausolées


de la Syrie du Nord. Ayant mesuré jadis, plus de 5 mètres de haut pour un
côté de 2 m. 36, il comprend une partie inférieure, socle à deux gradins, dé
cubique avec moulure terminale, qui est la réplique du Bordj-el-Bezzaq et
de ses semblables, mais la partie supérieure, groupant un deuxième dé su
rmonté d'une pyramide, rapproche l'ensemble plutôt des mausolées proprement
dits (B 1).
Les deux autres monuments se signalent par i'étrangeté de leur forme et
de leur décor, qui laisse les commentateurs perplexes. L'un, le monument A,
comprend un socle en forme de dé cubique, compris entre deux plates-bandes
de forte saillie; au-dessus, repose un corps cylindrique coiffé d'un pyramidion
à cinq faces. Dans l'autre, le monument B, les formes rondes prédominent
davantage encore : sur un degré carré est placé un socle cylindrique, orné
d'avant-corps de lions, placés aux quatre angles du degré précédent, un
corps cylindrique avec moulure classique a la base, une moulure intermédiaire
et une autre terminale de décor oriental (rangée de merlons et denticules),
une coupole de couronnement. Le caractère unique de cet ensemble a permis
les rapprochements les plus divers, jusque avec les stupas de l'Inde (1) (fig. 9).
Renan signale des fragments qui lui ont paru appartenir à un quatrième
monument, sans parler d'une découverte du même genre dans la voisine
Tortose. La chronologie est des plus flottantes, oscillant entre le vie siècle
avant et le.ne siècle après Jésus-Christ. Cependant les dates proposées par
C. Watzinger paraissent encore les plus raisonnables : fin de la période hellé
nistique et début de la* période romaine. De fait, les hypogées correspondant
aux monuments appartiennent tous au type le . plus évolué avec escalier
d'accès et galerie à loculi latéraux. Seul le quatrième (« tombe de la femme
enceinte »), près duquel furent découverts les fragments, possède encore un
puits d'accès (2>.

f1) Vallois, Architecture hellénique à Délos, des monuments de Jérusalem, date acceptée
p. 355 et p. 336, n. 4. A. Foucher, l'Art par Vallois, Arch, hell., p. 311, n. 2 et Puch-
gréco-bouddhique, I, p. 45 s. G. Combaz, Mél. stein, Arch. Anz., 1910, p. 43. La date du
chinois et bouddhiques (Institut belge), I, 1933, vie siècle pour le monument à coupole est pro-
p. 167-168. posée par Contenau, Manuel, III, p. 1465
(2) Watzinger, Palmyra, p. 79 et Denkm. . et Civilis. phénic, p. 255 et 276. On trouvera
Palast., II, 17 et 71, les croit contemporains des renseignements intéressants sur les hypo-
284 SYRIA

2° Jérusalem. — Deux monolithes encore, quoique d'un décor tout difîé-

Fig. 9. — Les monuments d'Amrith.

rent, sont connus à Jérusalem, se dressant toujours, l'un à côté de l'autre,

gées et leur contenu dans Renan, Mission, latérales dans lesquelles sont placés des sarco
p. 75. Ibid., p. 77, il est question de la rareté phages selon un dispositif courant dans les
des sarcophages, mais il n'est pas fait mention nécropoles romaines d'Alexandrie (Schreiber,
de l'hypogée représenté sur la planche XIII Exped. Sieglin, I, pi. VIII et IX, Scavo B),
au-dessous du monument à coupole B; cet l'hypogée de B comprend, de fait, des loculi
hypogée est formé par un couloir avec niches latéraux.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 285

dans la vallée du Cédron (1). Le tombeau (V Absalom ne saurait se comparer,


pour l'extravagance de son ornementation, qu'aux façades rupestres de Pétra.
Il comprend sur un socle de deux degrés un rez-de-chaussée de plan carré, à
pilastres d'angle et colonnes ioniques engagées, portant, en plus d'une frise
dorique, une gorge égyptienne; la partie haute est faite de l'étagement d'un
dé cubique, d'un corps cylindrique, d'une couverture conique coiffée d'un
fleuron terminal. A côté de ce luxe de décor, le tombeau de Zacharie paraît
beaucoup plus austère : il reproduit, comme on l'a déjà signalé, et comme
c'est le cas de la tombe de Malûl, le naiskos à pyramide de la Syrie du Nord.
On s'est contenté de revêtir le dé cubique d'une architecture de pilastres et
de colonnes engagées supportant un entablement et une gorge égyptienne.
De plus, l'intérieur, cette fois, est aménagé en caveau. Les deux monuments
sont assignés à la « période des rois ».

3° Pétra. — La même fantaisie décorative qu'à Amrith ou à Jérusalem


se retrouve aux fameuses façades rupestres de Pêtra. Nous n'entendons
cependant pas rechercher, après bien d'autres,. le modèle premier : maison,
tour ou autel même (2). Tentative assez vaine, croyons-nous, le principe
même du décor taillé dans le roc procurant des libertés qu'aucun architecte
ne put jamais se permettre.
Mais Pétra mérite d'être citée dans l'examen du groupe* envisagé ici;
car, à côté des façades, il existe des monuments complètement dégagés, ou
sur trois de leurs côtés au moins. Leur petit nombre — on n'en compte qu'une
vingtaine — les a fait passer inaperçus à côté de la grande masse des autres.
La plupart sont constitués par un grand bloc massif de plan carré, bien que

f1) Tombeau d^Absalom: de Saulcy, Voy. (Jacob et Josaphat), comme on le constatera


Mer Morte, pi. XXXVII et XLI; Cassas, encore à Pétra.
pi. 29 et 33; Perrot-Chipiez, IV, p. 279; (2) Brûnnow-Domaszewski, Provincia Ara-'
Macalister, A century excav., p. 198 (détail) ; bia, I, p. 137 ss. ; Puchstein, Arch. Anz.,
Heisenberg, Grabeskirche, fig. 13; Wat- 1910, p. 1 ss.; Dalman, Neue Forsch., p. 18 ss.;
zinger, Denkm.. Palàst., II, p. 72, fig. 5, A. Kennedy, Petra and its remains, p. 35 ss.;
pi. XI, fig. 32; Slousch, Jewish Pal. Explor. Wulzinger, Pelra (Wiss. Ver. Denkmalsch.,
Soc. Proceed., I, 1925,' p. 25 ss., fig. 9. Tombeau 3, 1921), p. 12 ss. Une thèse audacieuse a été
de Zacharie : Cassas, pi. 32; de Saulcy, avancée récemment par R. Vallois, Archit
pi. XI; Watzinger, II, pi. XI, fig. 33; Gress- ecture hellénique àDélos, p. 315 ss.; selon
mann, Altor. Bilder, fig. 240. Les deux monu l'auteur, le type à escaliers reproduirait les
ments se dressent devant des tombes rupestres cellae-autels de la Perside.
Syria. — XXVI. 36
286 SYRIA

certains contiennent un caveau à l'intérieur, ou peut-être même au sommet,


à la manière du tombeau de Zacharie. Dans leur grande majorité, ils appar
tiennent au type à double rangée de merlons, sauf deux d'entre eux, dont
l'un ajoute à ce décor des pilastres d'angle et une gorge égyptienne, et dont
l'autre, fâcheusement ruiné, possédait peut-être un décor de colonnes enga
gées (1). Se dressant à proximité de tombeaux taillés dans le roc, ils consti
tuent les pendants exacts des monuments précédents; on peut dire : même
structure, même variété de décor, même fonction. La chronologie reste vague,
mais le terme d'hellénistique conviendra encore le mieux; on sait, au reste,
que les types de Pétra sont tous constitués dès le début de notre ère (2).-

On voit maintenant qu'on peut rattacher à ce groupe de monolithes d'autres


monuments construits en pierres de taille, mais massifs et pleins. Tel est le
cas du mausolée d'Hermel (B 1); mais un autre monument est plus révélateur
encore. C'est la tombe de Chamratè à Soueida dans le Hauran, qui date du
Ier siècle avant Jésus-Christ (S). Il y avait là, car il ne reste plus pierre sur
pierre, une sorte de mausolée tronqué : sur une base à degrés s'élevait un
étage unique à colonnes engagées, supportant une pyramide à gradins.
La sépulture se trouvait au-dessous de cette énorme masse de pierre (11 mètres
de côté pour 12 environ de haut). L'inscription dédicatoire nous révèle la signi
fication que les constructeurs pouvaient attacher à leur œuvre; dans le. texte
grec, c'est le mot orh"/:n qui est employé, en sémitique « nefesh » (4). Nul doute
que ce ne soient les mêmes termes qui conviennent à l'ensemble du groupe;
on a là, en vérité, une série de stèles colossales, dans lesquelles seule la concep
tionde la pierre dressée est importante pour leur rôle funéraire. C'est ce
qui explique l'indifférence du décor ou, si l'on veut, sa variété : les formes

l1) Cf. les différents types de ces monuments bia, III, p. 98, fig. 993-995; de .Vogué, p. 29-
dans Brûnnow-Domaszewski, p. 144, fig. 133- 31, pi. I. Butler, Architecture [Amer. Exped.),
139, aussi Dalman, Petra, p. 47, et Kennedy p. 324 et fig. ;• Antike, 1928, p. 270, pi. XXV.
p. 41 (block-monuments). Les. deux exceptions Date : Ier siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C.
sont le n° 70 de Brunnow-Domaszewski Pour la fosse sous le monument, J. Mascle,
(fig. 145) et le n° 9, fig. 142. Djebel' Druze, III, p. 39.
(2) Cf. les remarques de Puchstein, Arch. (4) Inscriptions : Waddington, 2320- et
Anz., 1910, p. 40 ss. CIS, II, 162.
(31 Brûnnow-Domaszewski, Provincia Ara-
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 287

adoptées, mausolée, naiskos, pilier carré, ou même architectures fantaisistes,


ne sont qu'un vêtement extérieur et le reflet des influences diverses qui
s'exercèrent à tour de rôle, ou simultanément, dans cette région.

Fig. 10. — Tombe de Reginus à Katura.

Ce sont les conclusions mêmes auxquelles était arrivé G. Dalman dans


ses recherches sur l'art de Pétra (1). Toute espèce de monument funéraire,
dit-il, depuis la pierre brute jusqu'à l'édifice construit avec art, peut être
désigné par le terme de « nefesh », et la conception elle-même est ancienne chez

Dalman, Petra, p. 77, et y eue Forsch., p. 53 ss.


288 SYRIA

les Sémites qui distinguent le tombeau, maison du mort, du monument


destiné à perpétuer son souvenir; c'est ce dernier rôle que nous étions prêts à
reconnaître à la pyramide dans la Syrie du Nord. Bien entendu, ici comme là,
des stèles plus proches dans leur forme de la
pierre dressée subsistent. Dalman lui-même
prétend interpréter comme telles ce qu'il
appelle les « Spitzpfeiler », si fréquents à
Petra, soit exécutés au complet, soit repré
sentés en relief, selon une alternance coutu-
mière dans ce site; et cette explication
paraît bien s'imposer, quand on voit une
rangée de piliers de ce genre se dresser au-
dessus de l'entrée d'une tombe rupestre (1).
C'est une image semblable que devaient
présenter les sépultures célèbres dont les
textes nous ont conservé le souvenir, tel le
tombeau d'Hélène et d'Izatès d'Adiabène
près de Jérusalem, dont on a voulu recon
naître les restes dans le « tombeau des rois »;
tel encore le monument élevé, à Modein, par
Simon le Maccabée à ses frères, monument
couronné de sept piliers (2). Dans tous ces
cas, la distinction entre sépulture et monu
ment, ou « nefesh », est encore nettement
maintenue par des peuples plus proches
Fig. il.— Pilier de Tib. ci; Sosandros. peut-être de leurs traditions de nomades.
Il n'est pas impossible, cependant, de trou
ver des survivances de cet usage en Syrie du Nord sous une forme
plus hellénisée, bien entendu. C'est l'explication qui nous paraît revenir
à la série des monuments distyles (colonnes ou piliers) surmontant des

l1) Brunnow-Domaszewski, p. 171, fig. 98, (2) Monument d'Hélène : Josèphe, Ant.
et Kennedy, fig. 86 : le « tombeau aux obé Jud., XX, 95; Bell. Jud., V, 55, 119, 147;
lisques » surmontant le « tombeau à- façade Paus., VIII, 16, 5. Modeïn : Josèphe, Ant.
grecque ». Jud., XIII, 6, 5, et aussi I Macc, 13, 25-30.
LA TOUR FUxNÉRAIRE DE LA SYRIE- 289

tombes W; dans un cas, on n'a qu'un pilier carré unique ayant porté au
sommet l'image en relief des défunts, comme on voit à Pétra des piliers ornés
de têtes ou de bustes (fig. 10 et 11). C'est comme si, dans tous ces cas, le
monument était l'image même du mort {2).

D. — Mausolées de l'Afrique du Nord.

La région qui offre les monuments les plus .voisins de ceux de la Syrie
est l'Afrique du Nord romaine; nous ne pouvons faire état ici, avec la docu
mentation dont nous disposons, que de ceux de l'Algérie et de la Tripolitaine.

1° Algérie. — St. Gsell, dans son relevé des monuments de l'Algérie {3),

>
distingue d'abord les mausolées simples, c'est-à-dire ceux qui ne comprennent
qu'un étage unique. L'édifice, de, plan carré, comprend une pièce unique,
accessible par une porte; le décor est, de même, modeste : des pilastres d'angle,
à l'occasion, et une moulure terminale. La couverture, qui a disparu dans

C1) Ce sont les monuments suivants : 1° Ser~ Aram.-neuhebr.' Handwôrterb. s. v.; pour le
meda : de Vogué, pi. 93; Butler, p. 59-60; sud-arabique, Gesenius, Diet., s. v. (aussi
deux colonnes corinthiennes, de 132. 2° Katura, sens de « cadavre »). Mais on n'a pas essayé,
de Vogué, pi. 94; Butler, p. 61 : tombe de à notre connaissance, d'expliquer le passage
Reginus de 195. 3° Katura, de Vogué, pi. 94; du sens primitif : « souffle, âme », à la signif
Butler, p. 73; tombe d'Isidoros de 222, ication dérivée. Pour les nefesh, cf. aussi
deux piliers. 4° Benabel, Butler, p. 62, restes Ronzevalle, Mèl. Univ. St-Jos., IV, p, 159.
d'une colonne. 5° Bashmishli, Butler, p. 62, Il convient, pour la distinction entre monu
restes probables. 6° Kefr Rumâ, Butler, p. 63, ment et tombe, de rappeler l'histoire de la
restes probables. 7° Bechindélaya, de Vogué, mort d'Absalom (2, Sam., 18, 17-18); le prince
pi. 92, pilier unique de Tib. Cl. Sosandros est enterré dans une fosse près du lieu de sa
avec portrait en relief des défunts au sommet mort; mais, ajoute le texte, il avait, de son
sur trois des faces (134 apr. J.-C). M. G. Tcha- vivant, érigé une colonne dans la Vallée des
lenko, qui a examiné ces monuments de près, rois pour assurer la perpétuité de son souvenir
assure qu'ils ne portaient pas de statues. La [yad = main, dans le texte). Pour toute cette
question de leurs rapports avec les monuments question, je dois des remerciements à M. l'abbé
distyles grecs, bien connus à Delphes par J. Starcky qui m'a assisté de son savoir.
exemple, reste ouverte. (3) St. Gsell, Monuments de V Algérie, II,
(2) Le sens de « monument funéraire » pour p. 55 ss. Mausolées simples à pyramides :
nefesh (nafsa) • est chose connue depuis long les n08 2, 3, 33, 38, 57, 58 (Tipasa de Mauré-
temps, cf. pour le syriaque, Brun,- Diet, tanie) et 44 (?).
syriaco-latin, s. v.; pour l'araméen, Dalman,
290 SYRIA

bon nombre de cas, peut être constituée par une pyramide : on a alors le
correspondant exact, des naiskoi à pyramide de la Syrie du Nord (B 2) ; dans
un exemple, un monument de Tipasa de Maurétanie,- qui semble remonter
au Ier siècle encore, le cube était surmonté d'une pyramide octogonale. Mais
ce n'est pas là une règle générale; dans le cas, par exemple, où la pièce est
couverte par de grandes dalles posées horizontalement, on peut restituer un
toit à double versant, attesté d'ailleurs deux fois; de même, la pyramide ne
paraît pas convenir aux voûtes assez fréquentes W.
La même rareté de la pyramide se constate pour les mausolées à étages,
qui sont les plus nombreux (un cas sûr seulement) (2). Il convient sans nul
doute de rapprocher ce groupe des mausolées proprement dits de la Syrie (B 2) ;
mais on aura en vue surtout des monuments comme ceux de Serrin ou d'Edesse,
car l'Algérie ne nous a pas légué de constructions de l'importance de celles
de Hermel, Homs ou Hass. De plus, il faut bien reconnaître l'originalité des
mausolées algériens. L'étage, au lieu d'être fermé sur tout le tour, présente
une large ouverture sur un des côtés, soit avec simple cadre mouluré, soit
avec des colonnes prostyles (deux devant les antes, ou quatre). Dans cette
loge, on ne peut guère placer que l'image des morts. La dérivation du mausolée
peut cependant être considérée comme certaine; mais, au lieu d'un temple
périptère, c'est un petit naos prostyle qui s'élève sur le socle-podium; d'ailleurs
le plan oblong du temple n'est pas rare dans cette série (3). Ajoutons que le
des"
mausolée de Cyrrhus a pendants précis dans deux monuments, l'un de
plan hexagonal, l'autre de plan octogonal <4). Enfin les rapports avec la
Phénicie paraissent tout à fait étroits pour un autre type, celui qui correspond
aux mausolées-stèles (G). On a quelques exemples très proches du monument G
d'Amrith; le mieux conservé est celui de Flavius , de l'époque de Septime-Sévère,
à Lambèse (2 m. 40 de côté pour 7 mètres de haut). Mais, à la différence de

I1) Mausolées simples à couverture hori- (3) Temples : ibid., les n08 14, 23, 29, 37,
zontale : ibid, les n08 22, 24, 25; à voûte : 48, 49.
les n08 6, 20, 34, 36, 45, 53; avec pignon (toit (4) Ibid, n08 63-65. S. Guyer (cf. p. 277, n. 1) a
à double versant), les n08 19 et 47. noté que le monument algérien n° 63 était
(2) Mausolées à étage avec loges : ibid, les fermé sur trois de ses côtés et a rapproché les
n08 5, 7, 8, 21, 28, 16, 17, 30, 31, 32, 46, 52, mausolées d'Alif et de Hassan-oglou avec leur
55, 61 et 62; seul exemple sûr avec pyramide; mur de fond percé d'une porte.
n° 52; peut-être : n08 41 et 56.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 291

la Syrie, ce sont toujours des constructions en pierre de taille et non point


des monolithes (1).

2° Tripolitaine. — Toute une série de monuments funéraires sont signalés


en Tripolitaine, dans la région désertique au sud de Homs (autour de Béni
Ulid).
On a quelques exemples de mausolées à étage avec loges comme en Algérie,
et peut-être les restes d'un mausolée simple {2). Plus fréquents sont cependant
les baldaquins dont il subsiste une quinzaine dans les nécropoles de Ghirza (3).
Ce sont des édifices tardifs avec socle élevé, étage à trois colonnes reliées
par des arcades et avec attique décoré de reliefs. Le couronnement reste
douteux; dans un cas, on a une sima avec décor à double volute.
Mais le monument le plus original de la région reste la stèle dont le schéma
se répète : soubassement, socle élevé à moulure terminale, un étage et
une pyramide de couronnement (4). Ces constructions ont comme caractère
particulier d'être toutes très grêles et élancées (pour l'une on signale 12 mètres
de hauteur), se dressant comme des aiguilles ou des obélisques. Pour le reste,
le décor, conféré en principe à l'étage, est très varié : colonnes engagées ou
même colonnes véritables, arcades, fausses portes, ou tout simplement l'appar
eil nu. On peut reconnaître là une inspiration analogue à celle des piliers
en pointe de Pétra, à moins de chercher aussi des monuments apparentés
en Europe même (5).

(*) Ce sont les « cippes » de St. Gsell, (*) Afr. IL, VI, p. 66 ss., fig. 14 : Ghirza,
nos 1, 12, 15 et 27 (Lambèse). avec arcades sur pilastres d'angle; fig. 15-16
(2) On ne dispose, pour ces monuments, Ouadi Merdoum; fig. 17 : Ouadi Messegui,
que d'une documentation médiocre, des rap avec neuf colonnes sur trois rangs; fig. 26-27 :
ports sommaires dépourvus de plans, de me Oum-el-Ahmed, avec fausses portes; fig. 29 :
sures et de description détaillée parus dans Bir Gebira, sans décor; peut-être Ouadi Sof-
Africa Italiana, quoique avec une abondante fegin, Afr. IL, V, p. 173, fig. 1.
illustration. Mausolées à loge : Ouadi Migdal, (5) On comparera des monuments comme le
Afr. IL, VI, fig. 20, p. 70, et Henchir Suffit, mausolée des Julii à Saint-Bémy, ou les mau-
Afr. IL, II, p. 106, fîg. 39-40. Mausolée solées-piliers~de la Belgique et de la Germanie
simple (?) : Gasr Benêt, Afr. IL, VI, fig. 23, romaines : F. Drexel, Rom. MitL, 1920,
p. 72. p. 27 ss.; H. Kahler, Bonner Jahrb., 139
(3) Afr. IL, VI, p. 63 ss. (1935), fig. 4-12; (1934), p. 145 ss.; B. Vallois, Arch, hellén.
une particularité de ces monuments est le à Délos, p. 336 et n. 1. On ajoutera un exemple
pilier central; un des monuments de Ghirza de mausolée à étage avec loge sur le continent
(fig. 1-3) est un temple périptère. européen, le tombeau de Théron à Agrigente :
292 SYRIA

Tous ces exemples sont de l'époque romaine; mais des filiations hellé
nistiques directes ne sont pas exclues, comme le prouve le grand mausolée
punique de Dougga en Tunisie (1), adaptation barbare des grandes créations
grecques. Ainsi apparaît toute la complexité du problème des influences,
encore qu'on puisse être sûr de l'importation de tous ces types en Afrique.
Les solutions sont sans doute multiples : le mausolée à étage peut se rattacher
à des modèles directs de l'Asie Mineure; pour les stèles, on sera prêt à recon
naître une étonnante communauté de conceptions et d'usages avec la Syrie,
communauté qui peut trouver, son explication dans les traditions de peuples
nomades apparentés. Quant au mausolée à pyramide, on ne sait s'il faut
regarder directement vers la Syrie ou vers un modèle commun. égyptien.
Quoi qu'il en soit — et nous n'avons pas l'intention d'approfondir ce pro
blème qui demanderait une étude particulière — ce sont là les correspondants
les plus étroits des monuments syriens que nous rencontrerons; du côté de
l'Occident, en Europe, la diversité des édifices, ainsi que la complexité des
données, est bien plus grande.

E. — - L'Egypte.

L'Egypte pose un problème particulier. Très liée anciennement déjà à


la Syrie voisine, fameuse par ses tombes monumentales de haute époque,
elle n'a pas conservé de constructions analogues pour la période hellénistique

degrés, socle avec moulure terminale, étage à On peut penser au rôle d'intermédiaire entre
colonnes ioniques aux angles et fausses portes l'Asie Mineure et l'Afrique joué par l'Italie
sur trois côtés et large ouverture sur le qua du Sud précisément : de petits édicules in
trième; selon Serradifalco, Antich. di Sici- antis avec colonnes prostyles sont attestés ' à
lia, III, 23 (cf. Adler, Zeitsch. f. Bauwesen, Tarente, cf. les ouvrages cités p. 278, n. 2.
1900, pi. IV, 1), il y avait comme couronne (l) Les illustrations de Perrot-Chipiez, III,
ment une pyramide à gradins portant une p. 376, fig. 265, sont insuffisantes depuis la
statue; pour l'état actuel, cf. Enc. Ital., s. v. restauration de Poinssot, cf. Lapeyre-Pelle-
Agrigento, pi. CLXI et Antike, 1928, p. 277, grin, Carthage Punique, p. 215 et pi. XVI
fig. 7 : ne siècle av. J.-C. L' « oratoire de Pha- (p. 209), et V. Ehrenberg, Karthago (Mor-
laris » au même endroit (Enc. Ital., l. l., p. 981, genland, 14), pi. IV c; cf. Gsell, Hist. anc.
fig. et Not. Scav., 1926, p. 106, pi. IV) comprend • Afr. du Nord, IV, p. 194; date : ne siècle av.
un podium et un étage avec pilastres d'angle J.-C.
ainsi qu'une large ouverture sur un des côtés.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 293

et romaine. Les abords de l'Alexandrie antique sont creusés d'hypogées,


parfois grands comme des villes; mais au-dessus du sol, il ne reste rien.
Néanmoins, l'existence de « tours funéraires » dans la vallée du Nil est
souvent considérée comme un fait établi. En fait, si l'on remonte aux sources,
on trouve à l'origine de cette conviction une démonstration de Th. Schreiber.
L'explorateur de la nécropole de Kom-ech-Chogafa pensait que les hypogées
de l'époque alexandrine étaient surmontés d'une superstructure et il s'appuyait
sur des vestiges signalés dans des rapports de fouille plus anciens. En réalité,
ces vestiges se rapportent tous à des temples ou à des chapelles funéraires,
et l'on aurait, en dernière analyse, un dispositif très semblable à celui du
« tombeau d'Apis » publié par Mariette (1). Mais l'auteur se juge autorisé, en
se référant aux paysages nilotiques des peintures pompéiennes ou de certaines
mosaïques, à postuler l'existence d'autres formes de superstructures, comme
des tours ou des chapelles-autels; et de citer pour les premières une peinture
de Naples montrant une tour dans un enclos (2>. De fait, si nous examinons
les peintures et les mosaïques en question, nous obtenons une image curieuse
de l'Egypte alexandrine dont le ^paysage apparaît tout hérissé de tours aux
formes variées. Qu'il y ait là un détail typique amplifié et répété à plaisir
par les artistes, on ne saurait en douter; mais quelle part de réalité contiennent
ces représentations ? Dans une étude récente, et qui nous paraît concluante,
P. Grimai a établi l'importance de la tour « profane », élément normal des
grands domaines agricoles dans le monde antique (3), et bon nombre des
exemples apparaissant sur les peintures ou mosaïques s'expliquent de cette
manière.
W. Weber déjà (4) avait marqué de fortes réserves au sujet des tours

(*) Exped. Sieglin, I, p. 80 et 119, n. 7 avec fig. 126). La thèse de Schreiber est acceptée
les vestiges cités : cinq exemples, tous des cha sans discussion et amplifiée par Rostovtzeff
pelles ou des temples, sauf le n° 3, dont il ne (Hellenist.-rôm. Architekturlandschaft, Rom.
reste qu'un pavé. Cf. aussi, p. 173. Pour le Mill., 1911, p. 62 et 80 s.) qui se sert aussi
tombeau d'Apis, Perrot-Chipiez, I, p. 301, du terme, d'une imprécision commode, de
fig. 190 : petit édicule à pilastres d'angle et « tour sacrée » ; de même par Grimal, p. 42,
escalier d'accès surmontant un caveau souter avec de fortes réserves cette fois.
rain. (3) Grimal, Mél. Ec. Rome, 1939, p. 28 s.
(2) Exped. Sieglin, I, p. 174; pour les autels, (4) W. Weber, Aeg. griech. Terrakotten,
p. 242, fig. 181; la peinture de Naples, p. 17, p. 252, 253, n. 16, qui rejette de même la
fig. 11 (Weber, Aeg.-griech. Terrakotten, p. 254, signification funéraire des « Lichthàuschen »,
Syria. — XXVI. 37
294 . SYRIA

« sacrées »; il avoue avoir vainement cherché parmi les treize tours de


mosaïque de Palestrine une seule, dont on pût affirmer le caractère non utili
taire ou non défensif et demande par quoi celle de la peinture de Naples se
signale comme funéraire; on ne saurait le dire, en effet. Lesmodèles de tours
en terre cuite retrouvés répondaient manifestement souvent à des construc
tions en briques, matière peu appropriée à des monuments funéraires prévus
pour une durée éternelle (1). Et ainsi les données , susceptibles de prouver
l'existence des tours funéraires de Th. Schreiber restent médiocres.
Et d'ailleurs, au cas où leur usage serait prouvé en Egypte, leur rôle pour
l'explication des tours du Hauran-ou du Moyen-Euphrate resterait problé
matique; on ne saurait guère se passer d'un intermédiaire à chercher en
Syrie occidentale et dont nous n'avons pas retrouvé trace. Si une telle filiation
pouvait être établie, la question de l'origine de la tour de Palmyre ou de
Doura serait tranchée du fait même ; mais on se montrera peu enclin à asseoir
une thèse sur des données aussi flottantes (2).

F. — La Mésopotamie.

Le cas de la Mésopotamie est d'autant plus important que le groupe


de tours funéraires les plus considérables, celui de Palmyre et des sites voisins,
se trouve localisé à proximité immédiate ou sur le cours même de l'Euphrate,
à mi-chemin entre deux grands centres hellénistiques : Antioche et Séleucie
du Tigre.
Mais les données sont pratiquement aussi décevantes que pour l'Egypte.
On ne s'est pas fait faute, à l'occasion, d'invoquer les « tours » de Haïra. Mais
l'auteur même des fouilles de ce site, W. Andrae, rejette catégoriquement
cette appellation, au profit de celle de « tombeau-maison W ». De fait, on a

p. 250 et 252, n. 3. Cf. Watzinger, Palmyra, invoquer les reliefs thébains, cf. Perrot-
p. 81, n. 4, et Pagenstecher, Nekropolis, p. 17. Chipiez, I, p. 301, fig. 189, mais nous reste-
f1) Weber, l. l., pi.' 41 et n° 467, aussi Arch. rions démunis de toute espèce de renseigne-
Anz., 1935, 714, fig. 5; il s'agit, dans les deux ments sur l'organisation d'un édifice de ce
cas, de « tours-habitations ». genre.
(2) Pour l'existence de tours funéraires en (3) Andrae, Hatra, II, p. 75 s.; pour le
Egypte, à haute époque, on pourrait encore plan, p. 104 : avec pilastres d'angle et co-
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 295

là des constructions de plan carré ou rectangulaire, comprenant deux étages


intérieurs . subdivisés en plusieurs pièces reliées-par des couloirs. A l'exté
rieur, elles présentent un appareil de pierres de taille le plus souvent nu,
mais parfois orné de pilastres d'angle, ou même de colonnes engagées; ce
décor architectural ne comprend jamais qu'un étage; quant à la couverture,
elle n'est jamais conservée. Si des détails de structure se retrouvent à
Palmyre, l'ensemble reste fondamentalement différent (1). Pour le reste, en-
dehors de quelques vestiges dans la ville parthe d'Assur (2), nous ne possédons
aucun indice matériel.
Ce que nous savons des usages funéraires de la Mésopotamie et de ses
habitants n'est pas plus favorable à l'existence de « tours ». Ce sont les hypogées
ou les tombes à fosse qu'on retrouve dans les différents champs de fouille
des cités antiques, et si des changements ont pu être introduits par des
.

envahisseurs d'époques plus récentes, les hypothèses restent limitées. Il n'est


guère besoin de faire' remarquer que les Parthes, par exemple, n'ont pu
apporter de tombe monumentale de leurs steppes ancestrales; leur rôle ne
saurait être que celui de débiteurs, qui se sont servis soit sur place, soit dans
l'Iran voisin. Quant aux Macédoniens, depuis les découvertes de Pydna,
Pella, Palatitsa, d'Alexandrie même, on sait quel est leur mode de sépul
ture nationale : la chambre souterraine avec escalier d'accès et tumulus
au-dessus du sol (3); on n'a pas encore fait remarquer que ce type semble
s'être conservé dans la nécropole de Doura (4). Pour le reste, ils n'ont pu jouer
encore que le rôle d'intermédiaires, aptes à diffuser des modèles grecs, comme
le mausolée par exemple; mais, en ce cas, comment distinguer le rôle d'Antioche
de celui de Séleucie ? Le fait est que la Syrie est parsemée de monuments
funéraires, de toute espèce, et qu'on n'en connaît guère en Mésopotamie.
Sans doute, les conditions matérielles n'ont pas été indifférentes dans cette

lonnes : les tombeaux P3 et Yl; avec simples à ceux de Hatra,


pilastres d'angles, les nos J2, J7, P5, Y2-4 (3) Adriani, Annuaire du Musée gréco-
et Y 11. romain, II, 1935, p. 75 et 76, n. 5.
(:) Pour ces détails, cf. notre étude sur la (4) N. Toll, Excav. Dura, IX, 2, les nos 3,
tour palmyrénienne, parties consacrées aux 4, 11, 16, 18, 24, 33, 35, 37, 44, hypogées avec
loculi et à la chambre à loculi. simple tumulus; les nos 6, 7, 28, 36, 55, tumulus
(2) Andrae-Lenzen, Partherstadt Assur., avec muret,
p. 98 s. et pi. 51-53, 'avec des types semblables
296, SYRIA

circonstance; la plaine de l'Euphrate et du Tigre inférieure est le pays de la


construction en briques, et ces dernières ne sauraient rivaliser de durée avec
la pierre.

.
Il convient ainsi de ne point négliger la moindre des données. On ne
sait trop comment apprécier les indications de certains auteurs (1). Selon
Ammien Marcellin (XXIV, 2, 6) et Zosime (XII, 8, 1, 3), l'armée de Julien
dans sa campagne contre les Perses, en 360, rencontra une série de tours en
Mésopotamie; l'une d'entre elles, se dressant près de l'aboutissement du
Canal royal est désignée par le terme de «phare ». S'agit-il d'un signal véritable,
ou d'un édifice de l'apparence d'un phare, c'est-à-dire avec des étages en
retrait les uns sur les autres (2) ?
On ne le sait. Mais comment ne pas se souvenir en l'occurrence que la
Mésopotamie est le pays de la « tour de Babel ? » On sait que l'usage de la
ziggourat n'avait pas disparu avec la conquête macédonienne. Alexandre
lui-même avait projeté la réparation de celle de Babylone et les rois séleucides
ont mis ses desseins à exécution. On pourra, dès lors, se demander si cette
construction particulière au pays des Deux Fleuves, et si caractéristique, n'a
pas exercé d'influence sur les monuments de contrées tout à fait voisines.
Or il est impossible de ne pas être arrêté par l'appellation donnée par les
auteurs grecs à cet édifice : rzyoç Br'^ov, « tombeau de Bel (3) ». On n'a pas
manqué, en s'appuyant sur certaines données archéologiques et sur des
témoignages épigraphiques, d'avancer la théorie que la ziggourat comportait
primitivement une tombe princière à son sommet, ou était le tombeau même
du dieu (4). Mais si la discussion n'est sans doute pas close, la formule « haut-

I1) Cf. Survey of Persian art I, p. 567. De la tour de Babel au temple.


(2) Sur le type du phare dans l'antiquité, (4) Théorie soutenue surtout par W. Andrae,
Thiersch, Pharos. Golteshaus und Urform, p. 1 s., à propos de
(3) Sur la ziggourat en général, Meissner, la ziggourat ronde d'el-Hibba; des sépultures
Babylonien und Assyrien, I, p. 310 s. et sont signalées au pied de celle de Nippour
fig. 117-120; E. Unger, Reallexikon der Vor- (cL Fisher, Nippur, p. 17 et Hilprecht,
gesch., s. v. Tempelturm, pi. 57 et 57 a; Dom- Explor. in. bibl. lands, p. 455). Pour le terme
bart, Klio, XXI, 1927, p. 137 s. avec bibliogr.; de gigûnû désignant tout ou partie de l'édifice,
sur celui de Babylone, E. Unger, Babylon, cf. Dhorme, Religion de Babylonie et d'Assyrie
p. 165 s., p. 191 s., pi. 19-22; dans les deux [Mana, 1, II), p. 177 s. et notes p. 194;
derniers on trouvera les références aux textes l'auteur partage la théorie de la sépulture pri
grecs. R: P. Vincent, Rev, Bibl., 1946, 492 : mitive, mais adopte le terme de « haut-
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 297

lieu artificiel » paraît convenir le mieux pour la période historique au cours


de laquelle le caractère funéraire de l'édifice n'est pas attesté (1). "Au surplus,
quelle qu'ait été la signification primitive du monument, il est clair qu'il
n'a pas sa contre-partie dans l'architecture funéraire de la Mésopotamie, et
la seule tombe dont la construction présente des rapports certains avec la
ziggourafse trouve en Iran : c'est celle de, Cyrus a Pasargade (2). Elle se pré-
■ sente comme un sarcophage en forme de maison placé au sommet d'un socle
à sept degrés; mais comment déterminer les influences complexes qui ont
déterminé le choix de ce type (3) ?
Avouons d'ailleurs que la tombe de Cyrus offre peu de ressemblances
avec une tour, même si les Grecs l'appellent -lpyoz',et il en va de même
pour son modèle présumé avec ses terrasses étagées et son apparence de
montagne monumentale; mais connaissons-nous tous les types de la zig-
gourat ?

lieu artificiel » pour les périodes postérieures. primitif; pour Matz, Antike, 1928, p. 272, au
I1) Cf. la dernière discussion du R. P. Vin contraire, ce sont les raisons religieuses qui
cent, Rev. bibl., 1946, p. 433 s.; la ziggourat dominent avec le désir d'exalter le mort;
serait, « tout bonnement une réduction sym cf. aussi J. Tritsch, Journ. hell. Stud., 1943,
bolique de la Terre », et c'est « une montagne p. 113 s. Il est clair que le socle était un agen
symbolique »; les témoignages sur le carac cement destiné à isoler le mort, soit pour le
tèrefunéraire du monument sont considérés mettre à l'abri des entreprises des vivants,
comme tardifs par l'auteur. soit pour mettre ces derniers à l'abri; ultérieu
(2) E. Unger, Reallex. Vorgesch. s. v. Tem- rement, l'idée de l'héroïsation a pu exercer
pelturm, p. 255, § 8; Herzfeld, Iran in the son influence. Voici donc encore un type de
anc. East, p. 215, pi. XLIV, fig. 325; pour le monument dont l'origine peut se placer en
monument, Survey of Persian art, IV, pi. 80 Asie Mineure; mais il s'est répandu dans les
et Sarre, Kunst des alten Persien, pi. 2; pays voisins. En effet, la tombe sur socle, plus
Sarre-Herzfeld, Iran. Felsreliefs, pi. XXIX. exactement le sarcophage sur socle, n'est pas
Strabon, XV, 3, 7 (731). dit, en parlant du inconnu en Syrie. La plus ' fameuse est le
monument, 7r5pYOV où jiéyav. Qabr Hiram près de Tyr (Syria, 1922, p. 126,
(3) II est pratiquement impossible de décider pi. XXIII, 1 et Gressmann, Altor. Bilder,
si cette forme du socle à degrés a été choisie fig. 239); cf. aussi la tombe de Mérom en
par désir d'assimiler le mort à un dieu, ou s'il Galilée (Gressmann, ibid., fig. 236; Dalman,
•n'y a qu'une forme de tombe monumentale. Zeitschr. d. deutsch. Palâstinaver., 1906, p. 195) ;
Le problème se pose de façon générale à propos ou les exemples de la Syrie du Nord : Butler,
de l'origine de la tombe sur socle. Œlmann, Architecture (Amer. Exped.), p. 107 (Djuwa-
.

Arch. Am., 1930, p. .240, rattache les tombes nieh, Taltîtâ; Kafr Mares, Khirbet Faris);
lyciennes de ce type à une forme de « grenier t> p. 299 (Zebed). Cilicie, MAMA, III, fig. 180.
298 SYRIA

G. — L'Iran.

On ne se meut pas sur un terrain beaucoup plus solide en abordant la


dernière région qui reste à examiner : l'Iran possède des monuments dont,
l'évidence n'est pas incontestée, ni d'ailleurs, en dépit de longues discussions,
indiscutable.
Deux monuments visibles encore sur les sites de Persépolis et de Pasargade
sont ordinairement désignés par le terme de « tours » : la « Qaba de Zoroastre »
et la « Prison de Salomon (1) »; identiques en tous points, à part leur conser
vation fort inégale, ils se trahissent par leur bel appareil et leur mode de
liaisonnage comme des restes de la grande époque de l'art perse. Des pilastres
renforcent les angles, et trois rangées de fenêtres interrompent le reste de la
paroi extérieure dont la surface est constellée de petits rectangles creux
disposés en quinconce; sur un des côtés, au niveau de la première rangée de
fenêtres, ouvre une porte à laquelle menait jadis un escalier. Une corniche à
denticules forme le couronnement et le toit est pratiquement plat. L'intérieur
ne comprend qu'une pièce unique de 3 m. 77 de côté sans ouverture autre que
la porte, les fenêtres de l'extérieur n'étant que décoratives.
La vieille thèse de Dieulafôy, qui prétendait reconnaître dans ces édifices
des tombes royales,, a trouvé depuis un défenseur acharné dans la personne
d'E. Herzfeld. L'agencement de la porte, avec ses glissières paraissant prévues
pour une fermeture unique et définitive, le local fermé et' obscur forment la
base d'une argumentation, à laquelle on ajoute des précisions, comme le nom
même des personnages inhumés W. Mais on a soutenu avec autant de vigueur,
et plus fréquemment, l'identification avec des temples du feu, et il faut avouer
que l'escalier d'accès, le même caractère fermé de la salle intérieure, rinsufïi-

(x) Pour la Qaba i Zardusht; Dieulafôy, Pasargade, Sarre-Herzfeld, l. L, pi. XXVII;


Art perse, I, pi. VI, VIII, XI, p. 14; Sarhe- Survey, IV, pi. 79 B et C; Ghirshman, I. L,
Herzfeld, Iran. Felsrel., pi. I, p. 3 s., pi. XIV, 2; Dieulafôy, pi. V.
fig. 1-3; Sarre, Kunst des alien Persien, pi. 31, (2) Cf. les ouvrages de Herzfeld cités note
p. 15; Herzfeld, Iran in the anc. East, pi. XLI, précédente, et de même, Ane. hist. Iran,
p. 213, %. 323; Survey of Persian art, IV, p. 35 s.; aussi Bissing, ' Studien Kunst des
pi. 79 A, p. 311; Ghirshman, Syria, 1944- Ostens... Strzygowski, p, 41, n. 10.
1945, p. 178, pi. XIV, 2. Pour le Zendan de
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 299

santé clarté du dispositif de la porte, constituent de solides arguments, auxquels


on ajoute le témoignage des monnaies de Perside (1) représentant des tours-autels.
deux*
Nous ajouterons remarques .pour les rapports possibles avec les
tours funéraires, l'une tirée de l'Histoire de la sépulture perse, l'autre reposant
sur les arguments mêmes de Herzfeld. D'abord, si ces monuments étaient
bien des tombes, il n'en resterait pas moins que. leur usage s'est borné à
une période extrêmement brève et bien éloignée des monuments que nous
étudions (vie siècle). De plus, Herzfeld a soutenu plus d'une fois que ces édi
fices étaient en réalité des maisons, ou plus exactement la réplique des maisons
en bois et en argile de la Médie ancienne (2). Il faut reconnaître que l'emploi
de pierres de deux couleurs, les pilastres d'angle, le profil des cadres des
portes et des fenêtres rendent cette démonstration vraisemblable; mais, en
ce cas, ne convient-il pas plutôt de parler de « tombeau-maison », et non de
« tour funéraire » ?
Un autre monument, la tour de Nourabad, signalée depuis longtemps, mais
publiée récemment seulement par R. Ghirshman, ajoute à la complexité de
la question (3). Il s'agit bien d'une tour cette fois, s'élevant sur un socle de
trois degrés dont l'un taillé en biseau et sans aucun décor extérieur. Une
porte à mi-hauteur donne accès à un escalier qui monte en tournant sur les
côtés jusqu'à une plate-forme supérieure disposée en gradins. Il n'y a pas
trace de sépulture, ni d'ailleurs de place dans l'édifice même, et l'agencement
de la plate-forme, malheureusement peu clair dans la publication (4), semble
bien révéler une fonction particulière, qu'on , cherchera volontiers dans le
culte du feu de la Perse antique.

l1) Sarre dans Sarre-Herzfeld, I. L, p. 4, de Mil-i-Azdahan (tour du diable) : Andrae


n. 1 et Klio, 1903, p. 349; Ghirshman, Syria, Stolze, Persepolis, pi. 147; Sarre-Herzfeld,
1944-1945, p. 178-179 avec remarques sur la Iran.. Felsreliefs, p. 5; Survey, I, p. 568;-
porte; aussi R. Vallois, Architecture hell Herzfeld, Zeitschr. d. morg. Ges., 1926, p. 258
énique à Délos, p. 317 avec discussion de la (le prend pour un monument commémoratif) ;
question de la « tour-autel » ou de la « cella- maintenant : Ghirshman, Syria, 1944-45,
autel ». Pour les fouilles américaines, cf. Ghir- p. 175, pi. XII-XIII.
siiman, pi. XIV, 2 et p. 178 : l'édifice comport (4) II manque un relevé de la plate-forme;
ait un escalier d'accès. ce point est essentiel et susceptible d'écarter
(2) Herzfeld, Iran in the anc. East, p. 213, la solution « tour de guet » discutée par Ghir
fïg. 308 et 324 ou Anc. hist. Iran, p. 35. shman; les « pièces » citées à ce propos ne sont
'3) C'est le monument connu sous le nom que les paliers d'escalier.
300 SYRIA

Et l'on se souvient à ce moment d'un autre monument, fameux encore


dans l' Iran. islamisé : la tour de Firuzabad (Ghour) (1). D'après les dernières
constatations d'E. Herzfeld cet édifice abritait aussi à l'intérieur un escalier
tournant qui menait à une plate-forme supérieure ; les auteurs arabes savent
encore que ce « manar » portait le feu des Zoroastriens (2). Dès lors on recon
naîtra dans cette tour, aussi bien que dans celle de Nourabad, une sorte
d'autel du feu exhaussé, la véritable tour-autel, d'un rôle analogue à celui
des cahar-tak-signaux relevés en grand nombre par Godard et remplaçant
les autels isolés des grands centres achéménides (3).
Très différentes de conception, au contraire, sont les « tours » de Naqsh-
i-Rustam et de Pasargade, dépourvues d'escalier interne et de terrasse; et
si le rôle cultuel de ces dernières peut être considéré comme assuré, on ne
saurait les interpréter. que comme des « abris du feu » monumentaux, dans
la salle complètement fermée desquels l'élément sacré échappait à toute
souillure (4).
Cependant le rôle, ainsi reconnu, de ces divers monuments dans le culte
du feu ne leur enlève pas tout intérêt pour notre étude. On ne manquera pas
d'être frappé, en particulier, par les ressemblances de structure entre la
tour de Nourabad et le type A de Palmyre; on a le même principe de l'escalier
tournant, et la construction n'est pas sans analogie, si bien qu'on pourrait
la considérer comme un indice pour la date hellénistique de Nourabad (5).
On peut ainsi être tenté de retrouver dans les tours iraniennes des exemples
du type de tour si curieux que nous rencontrons sur le Moyen-Euphrate et
l'hypothèse d'un intermédiaire ou d'un modèle commun mésopotamien ne

f1) Dieulafov, Art perse, IV, pi. XIX-XX, accepter l'identité de destination de ces deux
p. 79, fig.. 58; Survey, I, p. 566; Herzfeld, espèces de tours affirmée par Ghirshman,
Zeitschr. d. morg. Ges., 1926, p. 254; Godard, Syria, 1944-1945, p. 181-182 : on ne voit pas
l. l. n. suiv. p. 20, fig. 6-7. la place de l'abri du feu à Nourabad.
(2) Godard, Athar-e-Iran, III, 1938, p. 20; (5) Firuzabad remonte au début de la
Survey, I, p. 566, et n. 3; Thiersch, Pharos, période sassanide; et c'est la même date que
p. 97 et 172. Herzfeld propose pour Nourabad, au contraire
(3) Godard, L L, p. 27 pour les cahar-tak de Ghirshman, qui pense au me-iie siècles
signaux. av. J.-C. (détails techniques : absence de
(4) Godard, p. 10 s., 17-18, -sur les diffé queues d'aronde, emploi du mortier, appareil
rents types de temples du feu, et Vallois, régulier à l'extérieur).
Archit. hell. Délos, p. 328 s. On ne saurait
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LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 301

présenterait guère de difficultés (1). On hésitera cependant à invoquer la


ziggourat, en dépit de ses rampes tournantes, depuis qu'on a montré que
celles de la tour de Firuzabad, au lieu de monter à ciel ouvert, étaient cachées
par un mur enveloppant {2>.
Mais il n'est pas impossible que des tours du feu se soient élevées en
Mésopotamie même, et l'on se souviendra du « phare » signalé par les textes
historiques déjà cités. Au cas où cet édifice aurait compris des étages en
retrait, on pourra encore songer à certaines tours de Palmyre (nos 13, 51, 7J)
qui présentaient un dispositif analogue; et même^ là encore, des pendants
iraniens ne sont pas exclus; du moins un plat fameux de Leningrad, d'époque
sassanide, montre une construction de ce type avec glacis à la base, et deux
étages, l'un en retrait sur l'autre (3>.
Ainsi l'idée d'ensevelir les morts dans, ou sous, une- tour n'est pas venue
en Syrie de la Mésopotamie ou de l'Iran, et l'on peut envisager seulement la
possibilité de rapports entre la structure des tours de ces deux régions et
celles de Palmyre ou du Moyen-Euphrate.

II. — L'ORIGINE DE LA TOUR FUNÉRAIRE

Le relevé des monuments qu'on vient de parcourir, leur classification,


l'étude enfin des données de régions comme la Mésopotamie, l'Iran ou l'Egypte,
fournissent les éléments nécessaires à. la solution du problème de l'origine de
la tour proprement dite, grâce aux précisions obtenues sur la provenance
des différents types et sur les croyances et les coutumes funéraires en Syrie.
Cette large revue permet en tout cas de discuter rapidement les thèses
proposées jusqu'ici (4). La simple confrontation des faits avec les théories

f1) Bien entendu, la prudence est requise s'étaient écroulés.


dans ce domaine; la tour de Qalaat Fakra au (3) Survey of Persian art, I, p. 733 et pi. 233 b,
Liban (cf. B 1) possède le même escalier tour- et p. 531, fig. 149; Sarre, Kunstdes alten
nant au rez-de-chaussée. Persien, pi. 105, p. 64.
(2)_Le rapport étroit avec la ziggourat était- (4) On les trouvera exposées par Watzinger
soutenu par Dieulafoy (cf. p. 300, n. 1) qui dans Palmyra, p. 77 s. auquel nous référons
n'avait pas remarqué que les murs extérieurs par la suite.
Syria. — XXVI. 38
302 SYRIA

suffît à ruiner ces dernières. Watzinger déjà avait fait justice de l'hypothèse
avancée par E. Herzfeld (1) qui prétendait retrouver, dans l'emploi de la tour
funéraire, une coutume des Arabes nomades, coutume conservée pour cette
raison dans les cités limitrophes du, désert syrien, dans la région où le nomade
passe à l'état sédentaire, comme à Palmyre, Edesse, Emèse, Hatra : il n'y a
précisément dans ce groupe de tours véritables qu'à Palmyre, les monuments
de Hatra d'un côté, ceux d'Emèse et d'Edesse de l'autre, ne présentant aucune
parenté entre eux.
Mais Wàtzingër lui-même ne s'est pas engagé sur un terrain plus solide.
Pour lui, le prototype des édifices palmyréniens doit être cherché dans les
tours perses de Pasargade et de Naqsh-i-Rustam (2). On a vu ce qu'il fallait
en penser. Il y a toutes les chances que ces prétendues tours n'aient pas été
des tombes; d'ailleurs, Peussent-elles été, il n'en resterait pas moins que leur
usage s'est trouvé strictement limité dans le temps et fut abandonné par les
Perses dès la fin du vie siècle. Il serait vraiment extraordinaire qu'il ait été
réservé précisément à ce type de monument funéraire de se développer, à
l'abri de la conquête perse, pour connaître une fortune inattendue — à la
fin de l'époque hellénistique — dans ce « poste avancé de la civilisation perse »
qu*est Palmyre; et s'il fallait, dans cette formule, remplacer « perse » par
« parthe », la thèse de Watzinger ne soulèverait pas moins de difficultés. Enfin
nous nous contenterons de mentionner l'avis de ceux qui, par des voies
obscures, prétendent rattacher les tours -funéraires aux hilani hittites (3).
En réalité, toutes ces thèses supposent un point de vue plus général qu'il
n'est pas sans intérêt d'examiner. Leurs auteurs, frappés par la rareté de
la tour funéraire véritable, cherchent à la rattacher à un genre de construc
tion plus connu et ils pensent découvrir ce dernier dans la tour-habitation
(« Wohnturm », « Turmhaus »); sur quoi, ils invoquent une théorie générale
selon laquelle la « maison des morts » serait faite, dans l'antiquité, à l'image
de la « maison des vivants ». Il est cependant peu probable que cette théorie,
pour séduisante qu'elle paraisse au premier abord, "puisse résister à l'examen
des faits; il ne nous semble pas, en particulier, que les différents types de

i1) E. Herzfeld, Reisen im Euphrat-Tigris- (2) Watzinger, p. 83-84.


gebiet, II, p. 367; cf. Watzinger, p. 82, (3) Watzinger, p. 82 et 84.
avec autres références bibliographiques.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 303

.
mausolées que nous avons signalés en Syrie correspondent à autant de types
d'habitations. Ni le mausolée d'Halicarnasse par ailleurs, ni les mausolées
des empereurs romains ne reproduisent une demeure habitable pour quel
.
qu'un d'autre que des morts. En réalité, les nécessités propres à l'inhumation,
les conceptions religieuses, la tradition et les influences étrangères jouent un
rôle capital dans la genèse ou l'adoption des types, qui possèdent leur carac
tèrepropre, et qui peuvent rarement être confondus avec les « maisons des
vivants (1) ».
Il se trouve, de plus, que les modèles invoqués ne sont pas de véritables
« tours-habitations ». Herzfeld se réfère, en fait, aux hautes maisons à étages
dont nous voyons encore l'image dans les villes de l'Arabie du sud; Wat-
zinger, de son côté,, ne se cache pas que les tours perses qu'il propose comme
modèles sont la réplique de maisons du même type, quoique nées dans une
région plus septentrionale. Est-il sûr cependant que la hauteur et l'étroitesse
relative de ces édifices soient suffisantes à fonder leur assimilation à des
tours ? Il n'est encore venu à l'idée de personne, à notre connaissance, de
tenter un rapprochement analogue pour les maisons médiévales de l'Europe,
également hautes et étroites.
Mais si Watzinger n'a pas osé s'appuyer sur des « tours-habitations »
véritables, c'est que sa documentation était insuffisante. Actuellement les
recherches de P. Grimai nous permettent une vue plus précise de la question (2).
On peut considérer comme établi que le monde méditerranéen antique a
connu, à des degrés divers, ce genre de construction, souvent rattachée à
un corps de bâtiment, mais aussi isolée, bien répandue dans les campagnes
surtout. Des modèles de maisons en terre cuite trouvées en Egypte nous
donnent une bonne image de certaines d'entre elles. Mais la Syrie, tout comme
l'Egypte, la Grèce ou l'Asie Mineure, et peut-être plus que ces régions, a connu
l'emploi de ces édifices. Les nombreuses tours des sites de basse époque de

M On lira, au contraire, les remarques judi- stèles, mais a le tort de rattacher à la même
cieuses de Matz, Antike, 1928, p. 266 s. évolution les monuments d'origine grecque ou
(Hellenistische und rômische Grabbauten) qui anatolienne, comme le mausolée proprement
évite les idées systématiques : il est clair que dit.
le mausolée imite un temple et non une mai- (2) P. Grimal, Mél. Ec. Rome, p. 28 s. et
son d'habitation. Pfuhl, Jahrbuch, 1905, R. Vallois, Arch, hellén. Délos, p. 214-216.
p. 73-75, a bien vu les rapports entre tours et Cf. plus haut pour l'Egypte, I, E.
304 SYRIA

la Syrie du Nord et du Hauran ne sont pas des points de départ, mais des
maillons d'une longue chaîne, et des monuments comme la tour de Serd-
jibleh, encore parfaitement conservée (1), nous en ont gardé une image à peu
près parfaite.
Or nous avons nous-même signalé l'identité de structure entre la tour
funéraire du Hauran et ses pendants profanes; faudra-t-il dès lors reprendre
la théorie générale déjà combattue, en s'abstenant simplement de chercher
les modèles au loin alors qu'ils existent tout près ? On verra plus loin ce qu'il
y a lieu de retenir de la constatation mentionnée; en tout cas, on ne saurait,
maintenir le même point de vue pour Palmyre. Watzinger â été induit en
erreur dans toute cette. question parce qu'il s'est mépris sur le rôle du type
*
primitif A et qu'il avait les yeux fixés sur la tour à chambres successives à
loculi. De fait, le modèle primitif qui n'abrite à l'intérieur qu'un escalier ne
ressemble en rien à une habitation, et elle ne sert de demeure ni aux vivants
ni aux morts. Et ainsi on se voit obligé de reprendre la question à la base.
L'élimination des thèses sur l'origine arabe , ou perse n'a pas vraiment
de quoi nous surprendre : on a constaté l'absence de tours, et même la rareté
de monuments funéraires d'autres types, dans les régions voisines de la Syrie.
Inversement, on se persuade vite de .l'insignifiance relative des hypogées dans
cette contrée (à l'exception de régions comme la Phénicie où- d'anciennes
traditions sont vivaces), si on jette un coup d'oeil comparatif sur les nécro
poles d'Alexandrie en particulier. La Syrie est, à l'heure actuelle encore,
constellée des vestiges de mausolées de types divers de la période hellénis
tique et romaine, comme nul autre pays voisin : comment ne pas rattacher à
cet ensemble les tours funéraires du Hauran, de Palmyre et du Moyen-
Euphrate, de la Cilicie enfin ? On constate, en fait, l'action de tendances
analogues dans une même région allant du Taurus à la Mer Morte et de la
Méditerranée à l'Euphrate : tendances favorables à l'érection de monuments
se dressant au-dessus du sol.
La chronologie n'est pas en opposition avec cette manière de .voir. La

t1) Watzinger, p. 83. Pour la tour de , tours-habitations était prouvé, on. reviendrait
Serdjibleh, ■Butler, Princeton, Exped., II, B, encore à une origine syrienne, ou égyptienne
p. 230, fig. 232 et Amer. Exped. Architecture, à la rigueur. '
.

p. 253/ fîg. 101. Si le rapport direct avec les


'
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 305

tour de Palmyre apparaît au ier siècle avant notre ère et connaît son apogée
au Ier après; celle de Cilicie remonte sans doute aussi haut; quant au Hauran
nous sommes contraints à plus de prudence. Les autres monuments funé
raires de la Syrie sont en majorité de la période romaine, quoique remontant
à des modèles bien antérieurs, hellénistiques en général; mais on se souvient
du grand nombre de ceux qui se placent aux premiers siècles avant et après
notre ère. Or, il est impossible de ne pas mettre ce fait en relation avec la
conquête romaine, la création de la province syrienne et la reprise de la
marche en avant de la civilisation hellénique freinée jusque-là, sinon contre
balancée, par les influences locales, ou étrangères, tout au long de la décadence
de la maison des Séleucides ; une même vague porte maintenant la civilisation
gréco-romaine à travers la Syrie jusque sur les bords de l'Euphrate.
Mais examinons de plus près ce qui se passe en Syrie occidentale. On aura
noté, dans notre classification, l'établissement de grandes zones : la Syrie
du nord d'un côté, la Phénicie-Palestine de l'autre. Dans la première, c'est
le règne du mausolée proprement dit : nul doute que la diffusion de ce type
ne s'explique par la proximité du pays d'origine du monument et par
l'hellénisation plus profonde de la région voisine d'Antioche, la capitale
séleucide. On peut sans doute faire des réflexions analogues sur les balda
quins ou les chapelles à pyramides, sortes de mausolées en réduction adaptant
un type indigène; et l'on s'accordera aussi à reconnaître le caractère
hellénisé des monuments distyles de la même région. Plus au sud, au contraire,
dès que l'on pénètre en Phénicie et en Palestine, on constate la prédomi
nancede ce que nous avons appelé le mausolée-stèle; Mais la diffusion de
ce type correspond à un éloignement plus grand par rapport à Antioche, et
l'on dira qu'à l'indépendance politique plus ou moins grande de ces régions
sous la domination des Séleucides a répondu une indépendance culturelle
plus prononcée (fig. 12).
On voit les conclusions qu'on peut tirer de cette constatation. Le seul lien
véritable qui unit les différentes contrées où l'on rencontre la tour funéraire
proprement dite, Palmyre et Moyen-Euphrate, Hauran iet Cilicie Trachée,
c'est leur situation excentrique : ce sont des régions reculées en marge des
contrées de population dense et de civilisation avancée. Or la tour est de
toute évidence une construction fruste : celle de Palmyre, en particulier, ne
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Fig. 12.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 307

saurait échapper à cette définition; elle nous apparaît ainsi comme le produit
« provincial » de la tendance générale définie plus haut. Mais ce caractère pro
vincial ne doit pas cacher qu'elle reste le pendant des mausolées de la Syrie
occidentale, qu'elle n'est, en définitive, qu'une variante d'un type général.
Nous avons pris suffisamment soin, dans l'établissement de notre clas
sification, de signaler les différences qui séparent les divers types, pour nous
permettre maintenant d'attirer l'attention sur ce qui peut les rapprocher.
Le mausolée de la Syrie occidentale est un édifice auquel on cherche à conférer
un caractère monumental par des proportions élancées susceptibles d'accuser
sa hauteur; c'est la même intention qui se fait sentir dans la forme allongée
des pyramides des naiskoi. Or il est évident que la tour, même si nous igno
rons quel fut son couronnement, frappe par des caractères analogues : la
hauteur précisément.
Mais on peut relever, de plus, les liens qui, dans les conceptions funéraires,
unissent- Palmyre à la Syrie occidentale. On se souvient que nous avons été
amenés à reconnaître dans les mausolées-stèles de Phénicie et de Palestine
des « nefesh », d'après les indications des textes mêmes. On possède heureuse
ment un bon lot d'inscriptions de fondation de tours palmyréniennes {1). La
rédaction grecque révèle une grande uniformité : la tour est désignée géné
ralement par le terme -de umpstov = monument. Or ce terme est réservé
à l'édifice proprement dit, comme on l'apprend par les textes (tours n° 66 a,
68, 155) où il se trouve opposé à <jt:y;azloi/, désignant l'hypogée. Par ailleurs,
il convient de donner au mot « monument » son sens plein ; car une distinction
est établie, ici ou là, avec la sépulture, véritable (rrrp?, raçîwv), si bien qu'on
lit pour le n° 169 : zb uvrjpsîw tiç xiwtov rzfù- 'i/r.iift. Mais la rédaction
palmyrénienne, moins susceptible d'être entachée d'influences occident
ales, est plus • significative. Elle n'est pas, de manière générale, une
majorité"
traduction littérale du texte grec, etle terme qui est employé dans la

(1) Watzinger, p. 77, où l'on trouvera les et VIII, 64. Dans un cas, la tour de Jamblique,
références bibliographiques aux numéros des CIS, II, 4123, le palmyrénien traduit [ZV7)[XsTov
tours. Pour d'autres emplois du mot « nefesh » ' par le terme sémitique correspondant DKRN'.
en palmyrénien : des stèles d'ordinaire, cf. CIS, Les deux textes essentiels sont Inv., IV, 19,
II, 3905, 3907, 3909, 4210 et Cantineau, et Inv., IV, 7 a.
Inv. VIII, 6 et 37 (deux textes énigmatiques)
308 SYRIA

des cas est tout simplement celui de « tombeau » (QBR). On ne saurait s'en
étonner, puisque aussi bien la tour du type évolué, à laquelle toutes ces inscrip
tionsse rapportent, est réellement un tombeau. On sera ainsi d'autant
plus frappé de rencontrer deux fois le terme de « nefesh » (nos 34 et 66 a).
Un peu surprenant pour la tour à chambres à loculi successives, le terme trouve
sa pleine justification avec le type A primitif : là, la tour n'est pas véritabl
ement la sépulture; elle se dresse au*dessus des tombes aménagées dans son
socle et accessibles de l'extérieur, à la manière des mausolées-stèles qui nous
ont révélé l'emploi du mot. La tour primitive est ainsi un monument dans
le sens plein du terme, choisie pour son aspect et destinée à cette fonction
seulement.
Nous n'avons plus le moyen de faire la même démonstration pour la
tour du Hauran, et elle est bien moins nécessaire du moment que Palmyre
se trouve être plus excentrique et que la conception du « nefesh » est bien
attestée dans le Hauran précisément, encore que les inscriptions signalées ne
puissent que rarement être rattachées à des monuments connus W. Au surplus,
les dédicaces des « pigeonniers » étant de l'époque chrétienne en général, il
n'y a pas lieu d'attendre de précisions sur ce sujet, bien que certaines dis
tinguent, comme à Palmyre, entre la sépulture (ruajSoç) et la tour (zlipyoç)
élevée au-dessus (tr.îpSîv, y.o6imzfjt). Quant à la .Cilicie, on est dépourvu
d'indications plus détaillées; signalons simplement que l'une des tours porte
au sommet de la pyramide une pierre prévue comme support de statue : on
a donc le correspondant des mausolées de Cnide ou de Mylasa (2), à part l'orga
nisation de l'élévation extérieure, par où le monument cilicien avec son aspect
fruste se révèle bien comme « provincial ».
La conclusion paraît inévitable : la tour funéraire se rattache aux maus
olées de la Syrie occidentale dont elle reprend les proportions et assume
les fonctions.

f1) Cf. pour le Hauran les exemples suivants en grec gttjXt)) et les nos 39 et 40, aussi le
de « nefesh », où l'inscription est gravée sur un n° 105 (grec : (jivr^eïov) ; peut-être : Qanaouat,
« linteau » ou une pierre pouvant avoir appar- CIS, II, 169; Capitolias (ibid., 194); Umm-er-
tenu à une tour ou un monument du genre de Resas (ibid., 195). Pour les « pigeonniers »,
celui de Chamratè : Umm-ed-Jemal, CIS, II, cf. ci-dessus, p. 268, n. 1.
192; Princeton Exped., IV A, n° 41 (bilingue, (2) Cf. ci-dessus, p. 276, n. 1 et p. 275, n. 4.
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 309

II nous est apparu qu'un des traits saillants du « nefesh » est l'indifférence
de la forme qu'il reçoit. C'est bien encore ce qu'on constate pour la tour :
elle n'est pas un monument funéraire dans le principe et n'a pour elle que
son aspect haut et imposant. Mais dès lors une question supplémentaire se
pose : quelle est l'histoire de ces tours antérieurement à leur utilisation funér
aire, et comment le rapprochement avec des tombes a-t-il pu se faire ?
Nous pouvons résoudre le problème pour le Hauran, du moins dans les
grandes lignes, grâce aux inscriptions suffisamment explicites qui nous sont
conservées. On se souvient, en effet, que dans cette région la tour funéraire
portait le nom de « pigeonnier ». Et les dédicaces de Bassus, Majorinus et
autres M précisent bien que l'édifice couvrait la tombe du défunt et donnait
abri au sommet « aux colombes ailées ». Il n'y a pas lieu d'hésiter : ces cons
tructions funéraires étaient aménagées en véritables pigeonniers. C'est beau
coup, mais pas assez pour satisfaire notre curiosité. Cependant, la rédaction
sèche et prosaïque de certains textes (2), où il n'est fait que mention de l'érec
tiond'un pigeonnier, paraît exclure la possibilité que les compositions en vers,
plus développées, ne soient que le reflet de l'inspiration heureuse d'un auteur
d'épigrammes : une allusion poétique de cet ordre n'a guère pu s'établir comme
appellation d'un usage courant. Il y a donc autre chose à l'origine de
nos textes, que le choix occasionnel par. des colombes d'un monument élevé
et peu fréquenté comme demeure.
On pourrait être tenté de se référer à des conceptions religieuses et de se
souvenir que la colombe était l'oiseau sacré de certaines divinités, comme
l'Astarté sémitique,' ou son équivalent hellénisé, Aphrodite. Les fouilles > de
Beisan en Palestine nous ont livré le modèle en terre-cuite d'une sorte de
pigeonnier rond avec des oiseaux représentés au sommet, et des objets ana
logues ont été mis aux jours en divers endroits de l'île de Chypre. On a dûment
parlé à ce propos de la « maîtresse des âmes et de la déesse aux colombes (3) ».

f1) Cf. p. 268, n. 1, les n08 3, 4 et 7. des « spate Auslàufer » de celles de Palmyre.
(2) Cf. ibid., les n08 2, 5 et 6 où il n'est ques- (3) Gressmann, Alior. Bilder, fig. 673 et 523
tion que du rzzpiazepsbiv. Nous ne voyons (Idalion) et 524 (Larnaka) et Vallois, Arch.
évidemment aucune raison de considérer avec hellên. Délos, p. 353 avec bibliogr. n. 3.
Watzinger (p. 83) les tours du Hauran comme
Syria. — XXVI. 39
310 SYRIA

Bien entendu, les chrétiens qui érigèrent la majorité des tours du Hauran
avaient toutes les raisons d'oublier ces connexions et ne sauraient en avoir
parlé, à moins qu'ils n'aient découvert un sens symbolique nouveau à la
présence de ces oiseaux.
Ce qui nous paraît infiniment probable, en tout cas, c'est que les cam
pagnes hauranaises étaient parsemées de tours -habitations du genre de
celles dont nous avons déjà parlé, demeures possibles du patron, ou des
ouvriers et des gardiens, pendant la bonne saison et au moment de la récolte,
remise pour les outils, colombier permanent enfin. L'habitude d'enterrer les
morts en dehors des remparts des villes, l'usage possible d'établir les sépultures
dans les propriétés même a pu provoquer le rapprochement décisif : ainsi le
pigeonnier, de purement utilitaire et profane qu'il était à l'origine, s'est
transformé en tour funéraire. Cette évolution a pu être favorisée par
l'usage, bien attesté sur les bords de la Méditerranée, des « jardins funéraires » :
un texte de Dama dans le Hauran associe précisément le « monument » à
une cour comprenant une citerne et un figuier (1).
Que des rapprochements de ce genre aient pu se faire, il n'est ni absurde
ni téméraire de le supposer. D'autres monuments ont été exposés à une
rencontre analogue, bien qu'il ne semble pas qu'on soit jamais passé aux
conclusions dernières. Une inscription archaïque d'une tour ronde, s'élevant
sur la baie de Potamia à Thasos <2), nous apprend que l'édifice avait été
érigé à la fois pour la sauvegarde des navires et des matelots (entendons
comme phare) et comme tombe d'un certain Akératos. Une épigramme de
Kaibel (3) raconte que le gardien d'une tour, sans doute de fortification ou
de guet, continuait à monter sa garde, enterré au pied de l'édifice. A l'entrée
du Pirée, des noyés étaient inhumés à la base de deux colonnes qui servaient
de signaux de feu à la navigation; et il n'est pas impossible, malgré tout,
que les tombes signalées à côté du phare d'Abousir doivent leur emplacement
à un rapprochement analogue (4>. Il est indéniable, dans tous ces cas, que la

I1) P. Grimal, les Jardins romains, p. 63, (2) Baker-Penoyre, Journ. hell, stud., 1909,
p. 342, n. 36 et1 Pauly-Wissowa, s. v. Cepo- p. 96 et 250. Pour le personnage, cL Launey,
taphium (Samter).' Inscription de Dama : Bull. corr. hell., 1934, p. 180.
Waddington, 2452 : ib [iv^a xal rrçv aùXrjv (3) Kaibel, 111.
xal t6v !v6vtoc Xaxxov xal auxcova êipû-reuacv. (4) Thiersch, Pharos, p. 19 (cf. Bull. corr.
Cf. aussi 2322 de Soueida. hell., 1887, p. 131) et n. 1 et p. 26 pour le phare
LA TOUR FUNÉRAIRE DE LA SYRIE 311

forme du monument a incité aux choix de remplacement de la sépulture,


quoique nous ne puissions pas affirmer que le phare ait %fini par se transformer
en monument funéraire.
Nous ajouterons cependant un autre témoignage caractéristique de la
valeur monumentale qu'on attachait à la tour. A Jérusalem, Hérode le
Grand inséra dans les remparts de la ville trois tours colossales (1) comme
\).vrt\).zïa.) en souvenir de personnes qui lui avaient été chères — ce sont encore
autant de « nefesh » — la tour Phasaelis, en l'honneur de son frère, la tour
de Mariamne, en l'honneur de son épouse, et la tour Hippicos, en l'honneur
d'un ami; les défunts ne sont ensevelis ni dans, ni près de ces constructions
dans ces trois cas, et les tours, véritables tours-maisons, comprenaient des
appartements somptueux et d'autres installations complexes décrites en
détail par Josèphe; l'allure de la première la faisait comparer au Phare
d'Alexandrie. Voilà une série d'indications qui nous paraissent venir à l'appui
de notre interprétation des~ pigeonniers du Hauran.
Pour Palmyre, nous sommes hélas, moins bien pourvus, et les seules
indications que nous possédions sont la structure même de la tour, son décor
et son emplacement. Encore ces détails restent-ils incomplets. On a vu que
la partie supérieure de l'édifice n'est jamais conservée; c'est elle pourtant
qui était la justification de l'escalier qui monte à l'intérieur. Que faisait-on
sur la plate-forme de la construction profane que nous supposons comme
modèle (2) ? On a rencontré le même escalier tournant dans certaines tours
du feu de l'Iran et nous avons été amenés à penser que l'édifice en tant que
tel pouvait se rattacher à un type de tour de modèle mésopotamien ou iranien.
Mais on hésitera à suggérer un rapport dans les conceptions religieuses, lés
croyances si particulières des Perses se prêtant mal à une fusion avec celles
de leurs voisins, et on ne possède, en tout cas, aucun indice d'une influence

d'Abousir. F. Robert, Thymèlë, p. 200, a Us art, p. 56. Nous ignorons, en réalité, quels'
réuni les indications que l'on possède sur les étaient les rites funéraires pratiqués dans la
tombeaux-phares dans l'antiquité. cité. Si le culte des morts comportait des céré-
f1) Étude d'ensemble par le R. P. Abel, monies périodiques, l'escalier de la tour A
Rev. Bibl., 1946, p. 56 : Les tombeaux des pouvait servir à cette occasion, soit pour des
Hérodes. rites, soit simplement pour permettre l'accès
(2) La célébration de cérémonies rituelles de la plate-forme aux membres de la famille,
a été suggérée par Rostovtzeff, Dura and
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de ce genre à Palmyre. Mais les tours de Firuzabad et de Nourabad elles-


mêmes avec leur feu au sommet, visible de loin, pouvaient être construites à
l'imitation de phares purs et simples. Si les étages en retrait, que l'on constate
à certains édifices palmyréniens, étaient un procédé et primitif et indépendant
de nécessités statiques, on aurait un autre point de contact avec le type
du phare précisément. Que de tels transferts de forme d'une fonction à une
autre aient pu se faire, Thiersch a essayé de le montrer pour le phare même,
qui aurait servi de prototype au minaret; cette appellation, dérivée de
« manar » = lieu du feu, n'en a-t-elle pas gardé le souvenir (1) ?
A ces considérations s'ajoute le. fait déjà signalé qu'à Palmyre les tours
les plus anciennes se dressent au sommet des collines, sur des pitons bien isolés,
le plus loin de la ville. C'est bien l'emplacement qu'on choisirait pour un
édifice destiné à être vu de loin, signal accueillant pour les caravanes peut-
être, indice précieux à la manière des rijm actuels. Ou alors destiné à permettre
de voir au loin ? Auquel cas, on aurait le souvenir de tours de guet érigées
pour la surveillance du désert et de ses habitants toujours turbulents (2). On
ne saurait se montrer plus affirmatif et l'on se contentera de faire remarquer
que les choses semblent bien s'être passées comme au Hauran.
Ainsi nous est apparue toute la complexité du problème soulevé. On ne
saurait cependant, nous semble-t-il, guère douter des rapports qui unissent la
tour funéraire aux autres monuments de la Syrie, ni méconnaître ses antécé
dentsprofanes. Solution régionale réalisant avec des moyens locaux l'adapta
tion de modèles étrangers, la tour peut passer pour un des monuments les plus
originaux d'un site comme Palmyre.

Beyrouth, 1948. . Ernest Will.

f1) Thiersch, Pharos, p. 99 et 172 s. L'au- toyens de marque et les polyandres des guer-
teur invoque d'ailleurs à ce propos les tours riers morts pour la patrie, de telle manière que
de Palmyre. la ville devienne plus forte et que ceux qui ont
(2) Philon, Traité de fortification, IX, 2, honoré leur pays par leur vertu ou par leur
recommandait les tombeaux en forme de tour mort y soient ensevelis honorablement. » Cette
de manière qu'ils pussent servir à la défense recommandation est sans doute, comme sou

dela cité : « On doit construire autant que pos- vent, le reflet d'un usage connu,
sible en forme de tour les tombeaux des ci-

Voir, page suivante, rectificatif à la numérotation des figures de notre article


paru dans Syria, 1949 (p. 87 s.).

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