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tt I h.lgl(G.)\o'(
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MARGUERIÎE DT'RAS

Agat}ra

**

rgs ÉorrroNs DE
i

C'est un salon dans une rnaison


inhabitée. Il y a un divan. Des
fauteuils. Une fenêtre latsse passer
Ia lumière thiver. On entend le
bruit de Ia rner. La lumîère d'hiver
est brumeuse et sombre.
II n'y aura aucun autre écl.airage
que celui-là, il n'y aura que cette
lumière d'hiver.
II y a là un homme et une femme.
lls se taisent. On peut supposer
qu:ils ont beaucoup parlé avant que
nous lesvoltis^.IIs sont très étran-
gers ati f.ait de' notre présence
deiànt eux. Ils sont d.ebout, ados-
sëiaux murs, au,x meubles, cotntne
épuîsés. IIs ne se regardent pas.
Dans le salon iI y a deux sacs de
voyage et deux manteaux mais à
@ 1981 by Iæs Eorrrons lB Mrnurr
des endroits différents. Ils sont
7, rue Bernard-Palissy 75006 Paris donc venus là séparément. Ils ont
- trente ans. On dirait qu'ils se res-
te loi du I 1 rsûs lg5? interdrt lcscoprcs w rcproducdons dcstmiË iunc urilisation
collcrtirc. Toutc rçrÉstntetionourcproducron intégnlcoupmicllcfiireptquclquc semblent.
præéd€ quesir. smlc consntcmmrde I'aurcuou dcs zymrs(ausc. cs rlbcficçr
iomirue wc conrsfeçon *ncrrconês per lcs urkles 42! cr suivenrs du Codc pénd.
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il

La scène cornrnence par un long cette de now quitter, qu'url


silence pendant lequel ils ne bou- jour il-,obligation
nous faudrait choisir uae date, un
gent pa.s. Ils se parleront d.ans une lieu, et s'y arrêter, et ensuife faire de ielle
douceur accablée, profonde. sorte qu'on ne puisse plus empêcher le
voyage, qu'on le mette hors d'atteinte de
s01.
LUr. Vous aviez toujours parTê de ce ELLE. Oui. Je me rappelle aussi, oui,
-
voyage. Toujours. Vous avez toujours dit - dû, de mêmâ décider d'un
qu'on aurait
qu'un jour ou I'autre l'un de nous deux nom, du nom de quelqu'un qui devrait
dewait partir. accompagner le voyage, partir avec vous.
i LU_r. Pour justement qu'il vous empê-
che de -le remettre à plus iard ? plus tard
Temps. ElIe ne répond pas.
Lur. Vous disiez : < Un jour ou I'autre encore ?
- > Rappelez-vous.
il le faudra. ELLE. -_ Peut-être. Oui.
ELLE. Nous avons toujours parlé de
-
partir, toujours il me semble, quand nous Temps.
étions des enfants déjà. Il se trouve que je
ELLE. Q'ss1 uu homme très jeune. Il
suis celle qui le fera.
doit avoir- l'âge que vous aviez jur cette
Lt[. Ow. (temps) Vous en parliez plage. (temps) Vingt-trois ans, je crois
-
comme d'une obligation qui aurait dépendu
me souvenir.
de notre seule volontê,. (temps)
ELLE. Je ne sais plus. Je ne me sou- Pas de réponse. Silence.
-
viens plus bien. regarde par la fenêtre.
ElIe
Lur. Oui...
- ELLE. La mer est comme endormie.
Silence. -
Il n'y a aucun vent. Il n'y a personne. La
LUr. Vous disiez je crois que si loin- plage est lisse coûlme en hivei. (temps) Je
-
taine qu'elle soit il nous faudrait provoquer vous y vois encore. (ternps) Vous allrez

8 9
r

audevant des vagues et je criais de peur ELLE. Oui... sans doute... oui...
et vous n'entendiez pas et je pleurais. -
Silerce. Ils se regardent.
Silence. Douleur.
LUr. Vous avez dt mentir aussi.
wt (lenteur). Je croyais tout savoir. (temps) -
Tout. - . ELLE. Quand?
r;LLr. Oui. LIn. - Quand vous m'avez envoyé le
LUI. - Tout avoir prévu, de tout, de - sur le rendez-vous. (te:mps)
télégramme
de tout -ce qui pourrait survenir entre vous << Viens. > << Viens demain. >> (temps)
'et moi. << Viens parce que je t'4ime. >> (temps)
nrtn (bas, cornrne un écho). Oui. << Viens.
-
Je croyais avoir tout envisagé...
>>

tout... et puis, voyez... Silence. Ils ne se regardent plus.

Silence. Il ferme les yeux. ElIe Ie ELLE. Je ne pouvais pas dire autre-
ment. Je -n'ai pas menti.
regarde.
Lt[. Vous auriez pu dire : < Je pars.
ELLE. La dOUleUr, non, Ce n'eSt - pars. > (temps) << Viens
Viens, je puisque
-
jamais possible. je pars, puisque je te quitte, puisque- je
LU[. C'est jamais... on croit la pars. >
- coûrmeça...
connaître soi-même et puis, non... ELLE. Non. Je ne voulais pas dire que
chaque fois elle revient, chaque fois mira- je voulais- vous revoir avant de partir.
culeuse. (temps) Je ne voulais pas dire que jè vous
Silence. quittais, non, je voulais vous voir je crois,
rien d'autre, vous voir. Et puis vous quitter
ELLr.. Chaque fois on ne sait plus ensuite, très vite après, corrlme à I'instant
- fois... devant ce départ par
rien, chaque même où je vous aurais vu.
exemple... on ne sait plus rien.
LUr. Oat. (tempsj Et tu vas partir. Silence.
-
10 11
ti

ELLB. Tout est si obscur, oui je crois a


c'était au printemps. (temps) Une amie
-
que je pars en raison de la force si terrible de notre mère-
de cet amour que nous avons I'un de I'autre.
rur. Oui. avant toi, je ne sais plus.
BLLE. - Je n'ai pas pu éviter ce voyage.
J'ai envie- de vous quitter autant que j'ai Silence long.Ils se regardent encore.
envie de vous voir, je me laisse aller à ces LUI. Ainsi votre corps va être emporté
choses sans les comprendre. loin -de moi, loin des frontières de mon
rut. Oui. corps, il va être introuvable et je vais en
- mourir.
II est d'accord avec elle sur son
incertitude, son désarroi. Pas de réponse.
LUI. Sur le point précis de la date LUr. Il ne sera plus rien.
tu as dû- mentir aussi. ELLB.- Non.
ELLE. Non. Quand je vous ar éctit LUr. - Il ne sera plus ni vivant ni rnort,
-
je ne la connaissais pas encore. Je ne Ia il - moi de cette façon-Ià.
sera à
connais que depuis hier. Je vous ai télégta- ELLE. Oui, il est à vous.
je
phié dès que l'ai sue. -
Silence.
IIs se regardent de nouveau.
{ Lvr (bas).- Tu pars quand, Agatha ?
LUr. C'est ce que vous vouliez me
faire. -
ELLE. Demain. Très tôt. A quatre
du- matin, dans la nuit noire (sou-
ELLE. Oui.
LUr. - Cette souffrance.
heures
rire douloureux)- Vous connaissez ces Br.LE.- Oui.
avions, le soleil se lève après les Açores. Lur. - Agatha, Agatha.
ELLE.-
r,ur. Oui.
ELLE. - Une femme vous y avait Oui.
-
emmené une fois, vous étiez très jeune, Ils ne se regardent plus.
12 13
LUr. Et me le dire ainsi, vous le vou- fort. Je vous regarde. Je vous regarde après
-
liez aussi ? la peur atroce de vous perdre, j'ai douze
w-Æ (viplzrce). Oui. Je tenais à ans, j'ai quinze ans, le bonheur pourrait
-
vous annonçer ce départ comme je le fais être à ce moment-là de vous garder vivant.
eû ce moment, face à vous' à vos Yeux' Je vous parle, je vous demande, je vous
supplie de ne pas recommencer à vous bai-
lls lerment les Yèux- TemPs' gner lorsque la mer est si forte. Alors vous
ELLE. Quel désir de vos Yew(. ouvrez les yeux et vous me regardez eî
Lln. - Ou. (temPs) Mais que seront- souriant et puis vous refermez les yeux. Je
ùs? -
(temps) Que me restera-tjl à voir si
crie qu'il faut me le promettre et vous ne
répondez pas. Alors je me tais. Je vous
vous n'êtes plus là ? Si vous vsus lsnez dans
regarde seulement, je regarde les yeux sous
cette horreur de vous éloigner si loin de
les paupières fermées, je ne sais pas encore
moi ?
ELLE. Ce sera le même ciel. L'Est nommer ce désir que j'ai de les toucher
restera 1à -oir il est. Et la mort. Alors vous aveC mes mains. Je chasse l'image de votre
voyez. Rien n'Y fera. t
corps perdu dans les ténèbres de la mer,
flottant dans les fonds de la mer. Je ne
Touiours évanouis tous les deux vois plus que vos yeux.
face à notts, anéantis. La vîolence
la quitte, elle cède à îa douceur' Long silence.
LUr. Vous savez, je peux pas sup-
ELLE.
-
Je vois que vous avez qrrinze
ans, que vous avez dix-huit ans. (temps)
- de ce départ. ne
porter I'idée
ELLE. Je ne la supporte pas non plus.
Que vous reveîez de nager, que vous sor- (temps) -Nous soûlmes pareils devant ce
tez de la 4er mauvaise, que vous vous
départ. Vous le savez.
allongez toujours près de moi, que vous
ruisselez de feau de la mer' que votre Silence.
cceur bat vite à cause de la nage rapide,
que vous fermez les yeux, qué le soleil est
LUr. Vous aviez toujours dit que ce
-
t4 15
serait pitls tard dans notre vie que ce laquelle vous seriez absent... (ternps) Et
déoart surviendrait. C'est le mot que vous puis une fois il m'est apparu que je pouvais
unË" ici... pendant l'hiver der- le faire... dire ce nom, ce mot... que, si
"-pfoyé...
nier. Vous avez toujours dit ça"' toujours"' lointaine que soit cette date, cette destina-
toujours... vous mentez encore"' vous men- tion, je pouvais néanmoins I'envisager...
--iit".'--
tez. (temPs) I'apercevoir séparément de ma mort.
C'étut dans la chambre ici' II se brise, là, devant nous, il
(peste vers les autres pièces de Ia villa) de-
'" tut. Oui, il Y a un an' Dan-s votre vient mourant. Il parle avec une
- yoix mourante.
.ttamUre ici, oui- Éans cette chambre-là"'
(;r*p;, tun plus bas) celle de la cloison tut (cri bas, plainte). Vous avez pu
Àoooi"... Vous savez, ie ne peux pas'
je ne - ce départ loin
faire cela, envisager cela,
Deux Durs supporter ça..- Cette date"' vous de moi, séparément de votre mort...
i'uoi"i prévriê plus lointaine'"' même cette (temps) Vous avez pu faire ça... Une seule
ioislà... plus tôintaine..- laissez-Ia passer' fois... une seule... vous avez pu...
reveûez vers mor, un autre dépa1i serait
oossible... retatdez-le seulement d'un an'
La voix de la femme se pose ici
I ..
je vous en suPPle.'. comme jumelle de celle de I'hom-
me, fondue à lui.
Silence. Elle se tait, comme éva'
ELLE. __ Ç'ss1 atrtvê en effet. (temps)
nouie, figée.
Ça a duré quelques secondes. Comme je
ELLE. NON. vous le disais... le temps de voir. Le temps
LuI. - Aidez-moi, je vous en supplie' de vous voir mort. De me voir vivante
i""r.- - Tout d'abord je ne I'avais pas près de vous mort.
orévue du tout comme pouvant avoir lieu"'
Silence. Elle cherche quand cela
i.t p..t-is mais t*t !1mgq .l'envisager s'est produit.
*uidt"t dans ïabominable évidence dune
à"tt;tir" môt disant la ville étrangère de ELLE. Je me souviens mal... cela
-
t6 t7
li
ll'I

devait se passer dans le petit matin' julle plaoer, pour vous laisser, pour vous perdre.
avaot le iéveil, je ne sais pas de quell- e Raîdes, ils sont raides, les yeux fer-
nature était ceité mort qui vous frappait' més, récitants imbécîles de leur
(temps) Il me semble qu.911e avait aftaire passion.
à lu'*tt, toujours cette image d'eafance
de vous qui alliez audevant des vagues' LUI (douceur). Regarde-moi... je
(temps) Ei je vous ai regardé... crie...
ELLE. Je crie avec toi.
Silence. Puîs iI parle dans la mêrne -
douleur. Silence. Ils bougent comme dans
Ie sommeil et puis ils ne bougent
LUr. Mais ces quelques secondes... si plus, tls restent figés, Ies yeux non
court -qu'ait été ce temps' si pe-tite, cette visibles fermés ou batssés vers le
rTifiérenie entre hier et aujourd'hui dans sol.
votre sentiment pour moi, si insiguiûante
qu'elle pouvait apparaître, vqp savez bien r-vr (très bas). Tandis que tu pars tu
.i.fU Sâgit de la-fin tout entière... vous le m'aimes toujours -?
-vous Ie savez" ne dites
ào.r.,. Pas le Pas de réponse.
contraire, vous le savsz. (temPs)
ELLE. Je crois que nous nous trom- LUr. Tu pars pour aimer toujours ?
-
Dons encore. Nous nous trornpons toujours' w-rn-(lent). Je pars pour aimer tou-
it"rnpr, dou.ceur) Il ne devait pas s'agir de jours dans cette- douleur adorable de ne
cette diftérence que vous dites entre vous jamais te tenir, de ne jamais pouvoir faire
aimer plus, ou moi:rs, ou plus encore, ou que cet amour nous laisse pour morts.
au coniraire déjà un Peu mo'tns peutétre, Long silence.
non... non... il devait s'agir ds vous ainer
toujours dans cette perspective de-ne plus
I rur. Cet homme ? Il sait quelque Q63
vous aimer, de fake tout pour ne plus vous
-
chose ? Est-ce qu'il sait ?
aimer, pour vous oublier, pour vous rem- L ELLE.
-
Non. (temps_) -

18 19
i

la l6 ELLE- Où est+e ?
/r, rui. Vous le lui dites de même
LUr. -
Sur la plage. (geste)Lù- (temps)
façon 2 -(temPs) -
Lq
Tu as sept ans. (temps) Et puis plus tard.
4 ELLr,. Oui. ELLE. Dans un autrg endroit.
- ^l -
Long silence. lls fennent-Ies yeux
'rvq LUI. Oui, dans un endroit fermé.
s7 io*in" évanouis ensemble' Len- 'rp ELLE.- Une chambre.
teur.
gI rur. - Oui.
-IIs parlent presque à voix basse
comme à lui'
tv (bas). - Dites-le-moi (temPs)
6
6 ft$. - Je t'aime' ?ç de cet instant de leur Passé, de
,T """"
Lur. Encore. cette sieste d'Agatha.
I ELLE.- Je vous aime comme j'ignorais yL ELLE. Nous sommes r"o1s dans la
pouvoir. - villa. -
, ' ttr. A qui avez-vous Parlé ? rur. Oui.
- Ii ne sais Pas à qui je Parle' L>
ELLE. - Où est notre mère ? Où sont
frD
""it. - Silerce-
x\ -
les autres enfants ?
DL Ils dorrrent. C'qst l'heure de la
LUr. Tu es Agatha'
yi Lur.
-
sieste. C'est l'été. C'est ici. Cest cet endroit
lvlt
ELLE. - Oui. ici.
)t)J -
Ils testent les Yeux fennés' Tou- 2t ELLF.. La villa Agatha.
p, lourt Ia clouceur, Ia voix fêlée'
brï 27 rur. - Oui.
'sée
dun émoi insor'ûensble' non -Elle I'arrête tout à couP comme
DS
iouable, non rePrésentable' elle arrêterait un geste.

/+t LuI. -- Agatha, ie te vois' el ELLE. Arrêtez-vous.


rur. - Oui.
t4 ELLE. Oui-
- yeux fermés)' Je te vois' Tu
wr (Ies L, -Silence. Ils attendent que Pdsse
l5 -
es Lute p.iit*. Dabord' E't puis ensuite
tu
I'instant.
es gtande.
2T
20
bas)' C'est têtê maîs touiours il y a cette douceur
I;LLE (towiours anormale entre les ama.nts.
- -;ï.
dAgatha.
Le nôire, oui, fété-' Cest le LUr. Vous savez, ce dest pas possi-
mjid je- sois de la villa et je regarde je -
ble, ne supporte pas ce départ.
i;-;d"Ë. ie cherche ma sæluqueParmi les BLLB. Je le sais. (temps) Vous ne
Si loin
;"i:-Ë iuigneots'soit soit la pouvez pas- accepter ce dêpart. De la même
il;;.i-i"i" q:Jen" elle' ià reconnais façon je ne I'accepterais pas de vous.
touiours ma sæur-(temps) Je ne peux pas Jamais. En aucun cas. (temps) Et nous
;;âre dtte à quoi ie la reconnais tant' allons le faire. (temps) Nous allons pour-
tout de
iîi*-^l Ouana l. oé la vois pasutre tant nous faire cela, nous séparer de nos
peur
i"it" j;ui peur. (ternps.) C.est p** d'Aga-
vies.
ia-mô* a-ta sienne qui--sst dt lu Silence.
;ha';Ëllt de la mer, ?elle .t91,-"o-q1-::- rut (violence). La question ne s'est
tit**-"ot dans la met' (temp-s) .Elie aussl'
vagues et -
jamais posée ainsi pour moi. Je n'ai jamais
des
À;;rh;, elle va au-devant balises autori- imaginé parti de vous. Je ne peux pas, vous
;if- ;É" loin, au-delà des la
Iî.l,-Ài-â"rà de tout,--*i oT ne ""tt gT' comprenez, je ne peu( pas sans vos yeux
enfermés dans ces frontières-ci. Sans votre
oo ctie, on iui fait sigYte d9 revertu'
"t
ti"*irl Agatha ne revieni que lorsque -ie ccrps ici. Sans cette chose... vous savez...
de revenir vérs mol Elle cette légère perte de présence qui vous
ï;"ffi ;tg!; de moi' jl T atteint lorsque d'autres vous fegardent et
iËi"t l JiË s'ultooge près reYlens que je suis 1à panni eux... vous savez bien...
ia gronde pas, je ne lui pg+t q?tr ieFl'le
cette ombre sur le sourire qui vous fait si
i""?*"ot'de'ia peur d'Ag?fta' j'ï me désirable et dont je suis seul à savoir ce
â,;-ilà; ce-qtr:il^Y a' Je di* -qo"
gll* me demande "l de qu'elle est.
;;. que c'esi toot'
i"i Ë*oo*er. Je ne réPonds Pas' Silence.
Lur. Ce départ, je ne peux pas... je
On dirait que la raison revient'
-
23
22
q
t

peux dans cette sorte de salon face à la plage,


ne peux pas..' vous comprenez, Ie ne
pas.
une sorte d'antichambre, de vestibule... je
ne sais pas comment dire. Après, ce piano
Silence. Puis ils se déplscent' tou' a étê vendu et la cloison a éré abattue
iours entre les ProPos'
et Puis ils pour agrandir une charnbre... C'était après
'se le long des murs' des
Placent votre départ, mais vous savez ces choses,
*ribl"r, et ils rbstent là oit ils
imrno-
vous devez vous souvenir de tout ça.
sont placés et alors, une fois {temps) Et puis ensuiie, longtemps après
biles, ils se Parlent' ces premières années, cela s'est trouvé atl-
Lur. Dites-moi eacore davantage' leurs, en quelque sorte cela s'est déplacê
-
e"i*. Sur guoi voulez-vous savoirdu? ailleurs, dans une autre chambre face à un
tùt. - Cette lromenade au bord autre fleuve. Ce n'était pas ce fleuve colo-
-
fleuve. En France. nial de notre enfance, non, c'était après...
Pourquoi- (temps) Oui,.. je crois que nous avions
ELLE.
Lur. - Pour essayer de voir ce que voils fait un pique-nique, toute la famille ensem-
-- vu.
avez - ble, notre père vivait encore, c'était vers
i""t. - Vous ne pouvez pas' (ternps) ce fleuve que je vous disais n'est-ce pas,
c'était en France, ce n'était pas loin de la
Vous ne Pourrez jamais'
villa Agatha. Et après le pique-nique nous
Silence. ElIe se souvient à mesure' soûlmes partis vous et moi cornrne nous
EIIe Parle avec lenteur' souvent le faisions déjà, nous sommes partis
elle s'arrête et puis elle recommence nous sofllmes allés au fleuve justement,
à se souvenir' pour voir, et puis nous avons trouvé cet
ELLE. C'êtait il y a longtemps main- hôtel. (temps) C'était une longue maison
-
tenant, vous viviez encore avec nous' nous
grise sur la berge du fleuve. Vous avez dit
pen- qu'il s'agissait d'un château transformé en
é4"* ensemble dans la villa Agatha une maison de rendez-vous. Nous avons
dant ces années-là durant les vacances'
pénêtré dans I'hôtel. J'avais vers quinze
ltî*pll n y avait ce piano noir qui était
24 25
il
'1
I

ans et vous dix-neuf ans, je crois, nous que ces peupliers-là, de la Loire, en ce
avions encore peur d'aller à faventure. moment du début de l'été,, avaient la cou-
r;ut (temps). Nous y allions cepen- leur de mes cheveux quand j'étais une
dant. - petite fille. Vous étiez très beau sans iamais
BLLB. Oui. vouloir le paraître, jamais, et cela donnait
LUr. - Je crois me souvenir. à votre beauté la grâce insaisissable da.-
- I'enfance.rftt je I'ai vue tout à coup
Long silence. tandis que vous parTie2 avec moi. Nous
' ELLE. Dans cet hôtel il y avait aussi avions jusque-là rarement été seuls, Cêtut
un piano -noir. J'ai dit que c'était le piano une des premières fois. Je me suis éloi-
gnée de vous et je vous ai regardé et puis
de la villa Agatha. L hôtel était ouvert, j'ai regardé le tournant du fleuve. Ensuite,
toutes les pories étaient ouvertes, il ny
avait petsonûe, le piano était ouvert' je suis revenue et j'ai vu que vous étiez
,,---*: (temps) Nous avons traversé Ïhôtel et trous encore là et que vous me regatdiez encore
ûous sommes trouvés sur 1a berge du fleuve et j'ai vu que vous pensiez la même chose
et puis ensuite sur le fleuve, il était à me voir que moi de vous avoir vu de la
sorte dans cette solitude, loin de nos petits
imm-ense, immobile et plein d'fles, de peu-
pliers, paJtoût, sur les îles, sur les berges' frères.et sæurs, loin d'elle qui nous avait
eprèi l'hôtel, il y avait un tournant du appris à nous tenir dan.s cette merveilleuse
flàuve et on le perdait de vue. Vous avez uégligence de nous-mêmes. (temps) Nous
dit : << C'est la Loire, elle est si large, n'avons rien dit de ça, nous étions commè
regarde, la mer ne doit pas être loin' > les autres enfants, on ne se disait rien
Vôus avez dit qu'il n'en paraissait rien sauf, depuis quelque temps à cause de cette
mais que c'était un fleuve dangereux, Y9N différence d'âge entre vous et moi, des
avez eiptiqué les trous d'eau et les vertigæ choses coûlme par exemple celles sur le
fleuve.
et les tourbillons qui s'emparaient du corps
des enfants Tété èt tes enfouissaient dans
les sables des fonds. Vous avez dit aussi Temps.

26 27
ELLE. Après, nous avons visité I'hô- ELLE. Oui. Je n'ai plus continué à
tel chacun- dJ notre côté, vous vers les jouer, j'ai- entendu d'abord que vous volrs
chambres je crois, je ne sais plus très bien, étiez arrèté de marcher et puis ensuite
et moi veis les salons, ils étaient en enfi- que vous aviez recommencé à marcher et
lade, après les salles à mangel- Il n"y avait tout à coup j'ai vu que vous étiez 1à, debout
toujouri personne. La seule chose que j'en- conire la porte. Vous ne regardiez comme
tenâais tandis que je marchais c'était votre vous seui vous le faites, comme à travers
pas à l'étage supérieur, dans les chambres' une difficulté à voir, à me voir. Vous avez
iranps) Et puis je suis tombée à nouveau souri. Vous avez dit mon nom deux fois :
iu""-"o fleuie devant le piano noir. fe me << Agatha, Agatha tu exagères... >> Et je
suis assise et j'ai commencé à jouer la vous ai dit : << Toi, joue-la, la valse de
valse de Brahms. Tout à couP j'ai cru Brahms. > Et je suis repartie dans I'hôtel
pouvoir la jouer et puis n9+ qel-a n'a pas désert. (temps) J'ai attendu. Et au bout
^été
possibte. Je me suis arrêtée à la reprise, d'un moment cela s'est produit, vous avez
t"n"", celle que je n ai jary3ts pu joué la valse de Brahms. Vous I'avez joaée
"ooi
passer correcieûleni, vous savez bien" le deux fois de suire et puis ensuite vous avez
àésespoir de notre mère- Après que je me joué d'autres choses, encore et encore, et
suis arrêtée j'ai entendu que vous ne mar- puis encore cette valselà. J'étais dans un -
chiez plus au prgmier êtage- Vo;t5.avi9z grand salon face au fleuve et j'ai entendu
dû écouter. Je n'ai pas recornmence â Jouer' vos doigts faire cette musique que mes
Iai entendu que ïoire pas reprenait' doigts, que moi, jamais ne sauraient faire.
Silence.
Je me voyais dans une glace en traful
d'écouter mon frère jouer pour moi seule
LUI. -_ Vous inventez. (temPs) au monde et je lui ai donné toute la musi-
ELLE. Je ne sais pas. Je ne crois pas' que à jamais et je me suis vue emportée
(temps)- dans le bonheur de iui ressembler tant
' tur.'- Vous en êtiez à la reprise du qu'il en était de nos vies comme coulait
thème. (temPs) ce fleuve ensemble, 1à, dans Ia glace, oui,

28 29
ili

Cétait ça... et puis ensuite utre brûlure du favoir vu. (tentps) La porte de I'hôtel
corps s'est montrée à moi. (temps) J'ai était-elle ouverte sur le fleuve ?
perdu la comaisEancs de vivre pendant ELLr,. Ç'esf ça.n y avait deux portes
quelquas secondes. (temPs) parallèIes- face au fleuve. Entre ces deux
portes il y avait le piano noir. Après il y
avait le fleuve, (temps) Les salons étaient
LUI. Agatha. à gauche des portes, vers 1e tournant du
- fleuve.
" Silence. De même elle réPond, Ies Lur. Là où il se perdait.
' yeux fermés. ELLE,- Oui, c'est ce que vous avez
ELLE. Oui. Je me suis aPPelée Pour -
dit : < Regarde le fleuve qui se perd, là,
- fois,
la première et de ce nom. Celle que je il se perq regarde, dans la direction
voyais dans Ia glace je I'ai appelée comme d'Agatha. >
volrs le faisiez, comme vous le faites Silence.
enære, avec cetie insistance sur la dernière
syllabe. Vous disiez : << Agatha, Agatha. > ELLE. :- Après, vous avez cessé de
Je vous aime comme il n'est pas possible jouer. Vous m'avez appelée. Je n'ai pas
daimer. répondu tout de suite. Vous avez encore
appelé, cette fois-là avec une certaine
Silence. Les yeux sont encore fer- frayeur. Puis une troisième fois vous avez
més sur les mots prononcés. crié. Cest alors que je vous ai répondu
. BLLE. Vous ne vous souvenez de rien que j'étais là, que je venais. Je suis verue.
-
de cet après-midi ? J'ai traversé de nouveau les salons, je suis
arrivée à vous, j'ai posé mes mains à côté
Silence. On dirait qu'il cherche à des vôtres sur le clavier. Nous avons
se souvenîr. regardé nos mains, nous les avons mesu-
Lur. Je me souviens de tout ce que rées pour savoir de combien les miennes
-
vous venez de dire. Je ne me souviens pas étaient plus petites. Je t'ai demandé de lui

30 3l

.À*__
.i

Moi non plus, après, je ne sais plus rien,


dire à elle, notre mère, que je voulais après ces parolæ dites par elle, tout s'éva-
abandonner le piano. Tu as accepté. nouit.
Silence. Silence très long. De la musique.
ELLE. Cest alors qu'elle a dû arriver Le temps d'éloigner ce qui vient
- du parc de I'hôtel. Nous nous
par la porte tl'être dit, cet épisode. Maîs tou-
soulmes aperçus tout à coup qdelle était iours, encore, aucun mouvernent
des amants.
là, qu'elle nous regardait. Elle a souri,
elle aussi, elle a dit qu'elle était inquiète, LUr. Dites-moi
que nous étions partis depuis une heure ELLE.- Encore. davantage encore.
déjà. Nous nous sommes étonnés, une rur. - Oui.
heure déjà ? Oui. On I'a découverte ainsi ELLE.- De quoi cette fois ?
nous regardant tous les deux dans la Lur. - De ce départ.
lumière du fleuve. (temps) Je sais moins ELLE. - Vous, vous ne seriez jamais
ce qui est arrivé après ce regard de notre - jamais. Nous sorlmes diffê
parti. Vous,
mère. (temps) rents sans doute. pss différences se sont
LUI. Je me souviens. Je lui ai dit : introduites dans cette ressemblance si frap-
-
< Agatha ne veut pas continuer à étudier pante (sourire) dont tout le monde parle
le piano. > Je lui ai dit qu'elle devait encore.
accepter cette décision d'Agatha. Que moi
je jouerai à la place d'elle, d'Agatha, Sourires. Connîvence. Maîs encore
durant toute ma vie. Elle a regardé ses aucun mouvelnent.
enfants longtemps avec cette même dou- ELLE. p'nuflss que nous qui connaî-
ceur que prend votre regard parfois. Nous - histoire pourraient dire :
traient cette
avons tenu tête à ce regard. Et puis elle < C'est cette impossibilité dans laquelle il
a dit que oui, qu'elle acceptait, que Agatha se tetrait, lui, de partir d'elle, qui a fait
était libérée de cette obligation d'appren- qu'elle, elle ait pu envisager de partir de
dre le piano, que c'en était fini. (temps)
33
32
lui. > Ils diraient : << Il était l'aîné des ELLE.
-
Oui, c'est ça, oui je crois...
enfants, son aîné à elle de cinq ans, Aga- Lut. Je crois aussi, je ne sais plus très
tha étalt la deuxième, rappelez-vous, il -
bien, je ne suis plus sûr de rien...
avait donc cette habitude de décider pour ELLE. Elle disait : << Ils ont la même
les plus jeunes, il n aurait pas Py prévoir -
fragilité, des yeux, de la peau, la même
qu'etle p-artirait de lui sans qu'elle le lui blancheur. >>

laisse au moias à deviner. > Long silence.


La parodie est dépassée- Ils ne bou' BLLE. Toi, tu ne serais jamais parti,..
Sent touîou.rs pas mais ils revien-" -
je le savais... jamais... tu ne m'aurais jamais
nent lentement à une sorte d'éYeil, quittée.
au bonheur de Parler de cet amour' wt (bas). Jamais. Je n'aurais jamais
LUr. D'autres auraient demandé : -
pu. Je ne pourrai jamais.
-
< Sans qu'elle le lui laisse au moins à ELLE. Nous en serions restés 1à où
deviner même dans ce cas d'un amour
- à nous rencontrer dans la
nous so[lmes,
coupable ? > (temqs) villa Agatha.
Bir,n. Oui. D'autres encore auraient LUI. Oui. Nous en serions restés dans
- - devant la mer.
cet endroit
-rur : Oui, même dans
répondu <<
cet
ce cas' )>
amour crimi-
(reprend). De Silence. Lenteur accrue.
nel. -
ELLE. Oui. BLLB. Il m'est venu à I'idée que quel-
- que chose- d'autre devait pouvoir se pro-
Le désir quî submerge à I'énoncé
duire entre vous et moi. Comme un deve-
de ce mot. nir nouveau de lhistoire.
LUr. Ton corps Agatha... ton corps... Lur. De partir ?
blanc. - ELLB.- Non. (temps)
BLLB. Mon co{ps. Lur. - Le changement ne serait donc
LUr. - Blanc, oui... blanc... pas de -partir ?
-
34 35

ri-,-..,...,
{'

ELLE. Non. Vous êtes dq mauvaise


- toujours à un moment ou à
foi comme rJur. Cest à sa mort que nous sorn-
un autre. Vous savez que le départ ne -
mes venus ici pour la dernière fois. Il y a
sera rien dautre qu'un déplacement de la huit mois.
villa Agatha de fautre côté de la mer ou ELLE. Oui. (temps) Elle voulait mou-
aillsuls. Non, le changement ne serait pas rir là. -
de partir. Je voudrais pouvoir vous dire
Silence.
ce qu il serait, je ne sais pas.
l-:ut (douceur, prudence). p'fu1yea- _
- ELLE. Çsmment entrez_vous dans la
ter ? (temps) villa Agatha ?
nLLr,. Quoi ? LUr. De nuit. Avec les clefs données
LIJI._-Comme une peUr... ? par elle.-
ELLr,. Oui. La peur. ELLr,. Celles laissées par elle ?
Ltlr. -De Ia mer. Des dieux. LUr. - Non. Celles domées par elle la
ELLE.- Oui, la peur. (temps) veille de- sa mort. A moi, le frère d'Agatha.
LUr. -
Quel serait alors le changement ?
ELLE.- De rester cependant dans cet Silence. IIs se regardent.
âmour. -
ELLE. Elle ne disait rien à I'un de
Silence. Tottjours ce même émoi, ce qu'elle-disait à l'autre, jamais.
ce trouble qui leur est commun. Jamais. Et elle parlait du passé
t-ut (regard sur Ia villa). On I'a ache- comme s'ii s'était toujours agi d'un évé-
tée I'année de ta naissance.-Elle s'appelait nement à venir, à attendre, encore incer-
Agatha, la villa Agatha. (temps) On t'a tatn. (tempsJ Elle disait : << lJn jour ou
donné son nom. I'autre Agatha va abandonner la musique >,
et cela après lui avoir pelmis de I'aban-
Silence. donner un cerlain jour, sur la Loire.
Long silence.
36
37

.{..
Iii
li
ii
ri
ELLE. Vous venez seul quelquefois une entente parfaite sur ce point aussi,
-
à la villa Agatha. n'est-ce pas ?
LUr. Oui. Comme vous y venez seule LuI. Oui. (sourire) Une entente
-
vous aussi. (temps) notoire, exemplaire.
ELLB. Nous n'avions jamais parlé ELLE. Irrémédiable. (sourire, dou-
-
de ces visites. - ferions-nous sans cette dou-
Ioureux) Que
LUr. J"-ais, non. leur ?... sans cette séparation... cette
- Je le savais à un léger désor-
r,LLE. douleur...
dre laissé- dans la chambre chaque fois
- Que ferions-nous sans air... sans
LUI.
après votre passage. lumière...
Lur. Moi, à cette différence du ELLE. ferions-nous de l'air... de
désordre rangé après le vôtre. - Que
la lumière... sans ce savoir-là, d'y être
ensemble sonmis.
Silence. Yeux fermés. rut (temps). Mon amour. Agatha...
ELLE. Quel vertige laissé par votre ma sæur Agatha... - mon enfant... mon
sommeil. - corps. Agatha.
LUr. Ton odeur Agatha, ce vide. Ils pleurent.
-
Long silence. eLLE. Comment étaient ses yeux ?
LUr. Et vous, que diriez-vous de ce LUr. - Bleus.
manque- à partir de ma part ? ELLE.- Comme les siens à lui...
ELLE. Je le partage avec vous, je ne rur. - Oui.
-
le nomme pas. nrtn- (bonheur). Ah... cette coinci-
LUr. Je vous en prie, aidez-moi. dence... -
ELLE.- Je vous aide. Je pars, je vous LUr. Ce bonheur...
-IIs pleurent.
aide. - Silence. Ils
ferment les
Lur. Il est vrai. yewa Nous entrons encore dans ce
ELLE- (sourire). Nous sommes dans ce qui ne peut se voir.
-
38 39
{i

Vous pofiiez ce jour-Ià une robe LUr. Ecoutez-moi... écoutez-moi... il


I

:
LUr.
-
bleue, une robe de plage, vous I'aviez ietée
- Érmour meure.
arrive qu'un
i
par terre au bas du lit. IIs se rapprochent un peu. Restent
1l
ELLB. Attendez... ie crois... oui, bleu rapprochés tnais hors de toute
I
-
nuit... C'était une robe de notre mère... atteînte réciproque. Elle ne répond
ancienne... à rayures blanches... elle me la pas.
prêtait quelquefois. (tem.ps) Vous vous sou-
vètez de cette couleur... de ce bleu. LUr. Si vous I'aimez... même pour
LUI. Oui, de la tache bleue sur le un temps- très court, quelques semaines,
-
sol à partir de quoi j'ai deviné le blanc quelques nuits, à Ia place de m'aimer tou-
du corps nu. 'jours même durant quelquas nuits... dites-
le-moi. (temps)
Ils se taisent longternPs. Et Puis BLLE. Je I'aime.
ils bougent. Reprise des forces -
visibles, abandonnées rnomentané- Silence. Lui se tient les yeux fer-
ment. La parole est Ià de nouveau. més. ElIe, détournée de lui.
LUr. Je vais crier. Je crie.
LUr.
-
Cet homme que vous venez de
prendre et que vous aimez, beaucoup de
-
ELLE. Crtez.
gens m'en ont parlé.
-
Tous les paliers du désir sont là,
ELLE. Que dit-on ? parlés, dans une douceur égale.
t-vt -
(rire). :
On dit << Votre sæur
-
fait scandale et se montre avec lui. Elle LUI. Je vais mourir.
- Mourez-
I'embrasse et lui parle de très près. On les r.LLE.
voit sur les routes, dans les motels, les . Lur. - Oui.
théâtres, dans les bars de Paris la nuit...
-
>>
Temps. De la musique, peutâtre,
Silence. lls se regardent. Les rires cette vqlse -4ç_ E_fahm7- au sortir de
l'enfance.
ont cessé.

40 4l
{l

ELLE. Je ne savais plus rien d'aimer ELLr* La vôtre et la mienne indis-


- séparation. (temps) Il me
depuis notre tinctes. -
redonne à vous.
Ils bougent tout à coup. Puis îls
Silence. Un calrne touiours ef- s'immobilisent. Puis il y a un long
lrayant. silence avant la parole. Elle regarde
par la fenêtre, la plage, Ia mer.
Lul. Voici revenue l'épaisseur obs-
- de nous, le calme de cette
çure autour ELLE (presque désînvolte) C'est
inierdiciion qui est notre toi. (temps) Ainsi curieux, ce temps qu'il fait tout à coup...
vous êtes venue pout m'avertir de ces déci- cette tiédeur... tout à coup... il ferait pres-
sions que vous avez prises loin de moi que beau... presque chaud (temps) coûtme
pour faire cette interdiction plus interdite un retour de l'êté...
encore.
II est immobile. De nouveau absent.
ELLE. Oui. Plus dangereuse, plus
ri

-
redoutée, plus redoutable, plus effrayante,
Les yeux fermés. Silence. Elle est
conxme inquiète tout à coup.
plus inconnue, maudite, insensée, intolé-
I
rable, au plus près de llntolérable, au plus ELLE. Je vous parle. (temps) Je vous
I

près de cet amour. (temps) parlais. -


LUI. Je vois. Je suis fou de voir.
(temps) - Sîlence.
ELLE. Etes-vous sûr ? LUr. Je vous entends. (temps) Vous
LUr. - Je ne suis sûr que d'aimer. étiez en- eftet innocente, encore si jeune,
-
ELLE. V6us n'êtes sûr de rien d'au- ne sachant rien de la portée de votre dou-
tre. - ceur, de la puissance incommensurable de
LUI. De rien d'autre. votre corps. (temps) Vous étiez belle, on
-
ELLE. Votre réponse est celle que le disait et vous lisiez Balzac. Vous étiez
-
j'aurais pu faire, vous ne ffoyez pas ? la spiendeur de la plage et vous saviez aussi
LUr- Vous voulez dire : laquelle ? peu de cette splendeur qu'un enfant de sa
-
42 43

.a- -
T

folie. (temps) Il fait effectivement un temps LUr. Vous avez dix-huit ans depuis
d'une extrême bonté, compte tenu de fhi- - jours.
quelques
ver qui va venir et de notre alnour qui va
vers le voyage d'une douleur telle qu'il Temps. IIs sont détournés l,un de
va en être comme d'en mourir. fautre, ils ne soutiennent plus la
ELLr,. Ç'ss1 cela mêmp dont il est réciprociré de leur regard.
question, -il me semble.
LUr. Tout à coup,
Silence. Ils ferment les yeux. ura,sæur- est grande. Ma cette nouvelle :
sæur Agatha a
dix-huit ans.
LUr. Je le crois.
ELLE.- Depuis que nous sommes adve- Silence.
il -
nus vous et moi dans ceite famille-là, de
ceite femme-là... inconnaissable... incon- LUr. Notre mère me I'annonce, elle
nue... m'écrit -: << Tu devrais venir la voir, elle
LUr. Notre amour... est belle tout à coup à ne pas en croird ses
-
ELLE. Notre amour... yeux et on dirait qu'elle ne le sait pas. On
LUr. -Depuis avant elle et encore avant dirait, tu vois, quT y a en elle un
-
et encore et encore avant... retard à vouloir le savoir. Comme"oàmeelle
ELLE. Oui. s'écariait de nous, parfois, lorsqu'elle était
- petite, tu ie souviens, elle le fât mainte-
Traversée de l'histoire. IIs vont e! nant d'elle-même. >>
vîennent, repartent, r evienn ent vers
elle. Silence. Silence. Ils sont toujours détournés
lun de I'autre. Touiours cette dou-
LUr. La mer est tiède. Très calme.
-
Des enfants se baignent devant la villa.
ceur.
ELLE. Oui. Des enfants se couchent ELLE. Vous êtes fiaacé à une jeune
-
dans les franges des vagues, ils laissent la fille des -Charentes. Vous avez vingt-trois
mer les recouvrir, ils rient, ils crient. ans. Vous finissez l'université. Voui habi_

44 45
Ti

tez seul. Vous ne venez plus que quelques Silence.


i jours pendant l'été à la villa Agatha.
LUI. Nos jeunes frères et sæurs, cet
1

I
Silence. Lenteur- été-1à, - en Dordogne
sont chez nos grands-
p.arents. (temps) Notre mère était malade...
I
LUI. Cet étêrlà je viens Pour voir
I

-
Agatha. Je vous vois. (tentps) Je reste un
sl vous vous souveîea,.. une dépression
inattendue... et elle avait demandé à être
peu plus qu'il n était Prévu.
seule avec vous et notre père, cet êtê-là.
Silence. (temps, ton suppliant) Aidez-moi. (temps)
C'est un été admirable. (temps)
ELLE. On entend le bruit de la mer,
calme et -lent. Je me repose dans I'après-
LuI.
C'est un - jour d été à Agatha.
ELLE. Une sieste au mois de juillet. midi. Depuis deux ans il en esr ainsi. Le
Le parc -est de I'autre côté de la maison, docteur parle de fatigue due aux études,
vous vous souvenez ? (temps) < I1 faut
de I'autre côté de la rner.
qu'elle se repose. >)
Lr[. Nos parents sont allongés sous
rur. -_ Oui.
-
la tonnelle. Je les vois de la fenêtre de ELLE, Je dors près de vous. (temps)
ma chambre. Ils dorment à I'ombre de la - sont séparées
Nos chambres par une cloi-
villa. son sonore. (temps) Vous le savez. (temps)
Silence. LUr. Je ne le savais pas avant cet
ELLE. Nos chambres donnent sur ce
été-là. -
parc. - Ils ferment les yeux. Equivalence
totale entre I'acte le parlê.
Silence. .et texte
Lui. Rien n'est à craindre. Aucun LUr. Je rentre dans la chambre hallu-
regard. -
Aucune indiscrétion. Rien ne peut - (temps) Je
cinatoire. crois qu'elle dort.
troubler la paix de la chaleur. (temps) (temps)
ELLB. Rien. ELLE. Elle ne dort pas.
- -
46 47

"t"_.
T

LUr. Je la regarde. Le sait-elle ? ELLE. Encore. Je vous en supplie,


ELLE. - Elle le sait. parlez-moi- d'elle. (temps)
- F.lle ne sait pas qui c'esi, peut-
être ? - LUI- - Le bruit de Ia mer entre dnns la
chambrg sombre et lent. ftà*pliS* votre
ELLr,. Si, elle connaissait le son de c_orps Ie dessin photographié'du
-
votre pas. Elle savait qui avançait dans la soleil.
Les seins iont blancs ,* le sexe
chambre. î"*pll "t
1y u le dessin du maiilot Aentanif tumps)
Silence. LIndécence de son corps a la m"qniÀcence
LUr. Le corps de ma s€eur est là, dans , de Dieu. On dirait quê te bruit 6la mer
J
Iombre- de la chambre. (temps) Ie ne !e recouwe de la dsriceur a'uue noot" pro_
fonde. (temps)
I
savais pas la difiérence qu'il y avait entre
vous êtes
ne lio, ,i"o qo"
"9i, que
^Je Ià faite,
le corps de ma sæur et celui d'une autre :ecr, _gue la nuit de
Iaquelle vous êtes extraiÉ 'ot-
ri femme. (temps) Les yeux sont fermés. de
:i (temps) Elle sait cependant que je viens.
fam.our. ""U,
ELLB. Oui. Silence. Ils s,éloignent l,un de l,au_
Il
r,f -
' Silence. tre. Se taisent. puis parlent encore.
it
1i
' Rôles inversés.
wrn (les yeuxfermés). encore. Je Ie regarde longtemps. Le sait_
(temps) -Parlez elle ?
Lui. Oul (temps) La différence ELLE. Elle le découvre.
- connaissance que je croyais
dans cette
est
-
Silence.
avoir d'elle et la découverte de f ignorance
de celle+i. Dans fimmsa5ilé de cette diffé- ELLE. Je vous entendais parfois à
rence entre la connaître et I'ignorer. travers la-cloison sonore... il arrivait que
nous
Sîlence. Lenteur. Tous les deux, -soyons seuls dans la villa Vôus
rameniez des jeunes filles et i'entendais
yeux fermés, retrouvent l'incompa- conlme vous disiez les aimer et j'entendais
rable enfance. aussi parfois coinme elles pleurâi*oi O*,
48
49

.l-- ,.
T

la jouissance donnée par vous, et j'enten- du.fleuve je sais mal ce qui est arrivé de
dais aussi de ces choses qu'on se dit dans mor.
ce cas, ces injures et ces cris et il arrivait
que j'aie pew. (temps long) Je ne savais Silence.
pas que vous ignoriez fexistence de cette
LUI. Vous savez, votre cri je l'avais
cloison sonore. (temps) compris,- ce n'est pas la àpeine de mêntir.
LUr. Votre chambre était si caÛne
-
toujours, je l'ai ignoré très longtemps...
ELLE. C'étatt un cri, vraiment ?
LUr. - Oui. Abominable. C,était abo_
jusqu'à cette fois... cette fois-là... vous
minable-mais je I'ai ignoré jusqu'à ce matin_
i sayez, Iorsque quelqu'un est venu vous Ià sur la plage, avani la siéstjd'Agatha.
I prendre de même et que vous avez crié de
! jouir et de peur de la même façon. Silence. IIs s'éloignent l,un de
Sil.ence long. IIs bougent sans par-
l'autre.
{
'i
l
ler puis de nouveau s'immobilisent ELLE (bas). _ Je me souviens mieux
q et pdrlent. Ils ne parlent îantais du regard de mon frère sur le coms nu
dans le mouvement. que de ce qui avait eu lieu la veille,^ cette
: mort que vous dites, qui laissait pour morte
LUr. C'était un ami de moi. (temps)
i
-
La jouissance était grande. .votre
sæur Agatha.
ELLE. I1 me semble me souvenir Ils se détournent l,un de I'autre.
-
qu'elle Ïétait, oui. (temps)
Elle redevient comme enfanttne.
t-vt (violence contenue). Elle vous
-
laissait pour morte, n'est-ce pas ? (pas de ELLE. Je ne savais pas la différence
réponse) Elle devait laisser pour morte ma - entre le regard de mon frère
qu'il y avait
sæur Agatha ? sur mon corps nu et le regard d'un autre
ELLE. Je crois. Pour un instant, morte homme sur ce corps. Je nà savais rien de
-
peut-être... (temps). Mais avant ce matin-là cela, de_mon frère, de ces choses interdites,
sur la plage... après cet après-midi-là près ni combien elles étaient adorables, vous

50 51

L*,"
r
i
I

voyez, ni combien elles étaient à ce point avez eu des enfants, un mariage heureux
'I
contenues dans mon corps. dit-on.
ELLE. Oui. (temps) On dit : de même
Silence. Lenteur extrême. Immobi- que vous.- (temps)
lité.
I
I
LUr. Oui.
ELLE.-
I

ELLE (suppliante, très bas). Guidez- Nous n'avons jamais divorcé,


I
moi vers le corps blanc. (temps)- LI]I. - Nous nous sommes donné cette
i
I
LUr. Les yeux sont invisibles. Le fidélité. -Je vous l'ai donnée. Vous me I'avez
I
-
corps est enfermé tout entier sous les pau- donnée en retour. Jusqu'à ce jour.
I
pières. (temps) Vous êtes ma sæur. Le ELLE. Où tout recommence.
LUI. - Oui, aucun autre amour.
I
co{ps est immobile. Le cæur se voit sous
!
I
J
la peau. -
ELLE. Vous touchez le corps. (temps) 'IlLedisparaît.
thème de la douleur était revenu.

I
-
Vous vous allongezle long de lui. (temps)
I LUr. Je vous avais vue le matin sur
Nous nous taisons.
la plage.- J'ai rejoint ma sæur comme cha_
,!
ri
LUI. Les seins, je crois, sont à la por-
tée des-mains, des baisers de la bouche.
:1

ri que jggr je Ie faisais. Nous avons nagé


r;
t;
t{
ensemble. Et puis nous nous sommes alloi_
I Silence. gés sur Ie sable. tr faisait beau. Du soleil,
ll
ti LU[. Nos parents se réveillent. Je ne un vent clarr. (temps)Et tout à coup vous
-
sais plus votre nom. avez dit : << Comment se fait_il ? les^autres
;i
I ne sont pas encore là... > Nous avons
i;I
Long silence. Ton différent. regardê vers la villa aux escaliers blancs,
LUr. On vous amariée deux ans après. tout paraissait normal. Et puis j'ai w I'hor_
Tout a -été recouvert. (temps) Je vous aime Ioge de Ia pergola, j,ai vti qué nous nous
comme au premier instant de notre amour, enons trompés d'heure, que nous étions
cet après-midi-là, dans la villa atlantique. ,arrivés
sur la plage une heùre plus tôt qu'à
(temps) Je vous aime. (temps long) Yous I'accoutr mée.

52 53

1..
Silence. vous aviez cné. (temps,l Je me souviens
vous avoir parlé d'un premier désir de vous
LUL La veille, vous me I'aviez de-
donner la mort. (temps) Vous n'avez pas
mandée,- vous m'aviez dtt que votre montre
I

I répondu. C'était sur la plage.


i

I
était arrêtée et je vous avais donné I'heure,
après le dîner, dans le corridor sur lequel Silence.
I
l donnait nos chambres, vous vous souve- Lul. Nous avions une heure d'avance
)
nez? J'avais mal vu sans doute. -
sur le monde. Une heure seulement. (temps)
ELLE. Sans doute. Et cela a suffi. (temps) Je vous ai parlé de
I

LUr. - La lumière du corridor da ce qui était arrivé la veille. (temps) Je vous


- bonne.
jamais été ai dit qu'il y avait sur votre 6ai'tlot blanc
ELLE. Non. Toujours négligée Par une légère tache de sang. Nous nous som-
a
I -
notre mère. mes regardés.
I
I
1
I
Silence. Silence. Il reprend.
'l
!r
ELLE. Ensuite vous n'aviez pas cor-
- (temps) LUr. J'ai dit votre nom d'enfant.
{ rigé I'erreur. (temps) Vous avez pleurê. (temps) Vous
I Lur. C'est-àdire, je m'en suis aperçu,
I
m'avez demandé de vous pardonner.
rl
I
-
vous deviez déjà dorrnir.
;l
ELLr,. Et puis ensuite vous avez Silence.
'l
-
oublié. Le matin venu, vous avez oublié. LUr. Après, je ne me souviens plus
que de -ce regard qui creusait notre corps
tl
ll (temps)
Lg1. Oui, c'est ça. tout entier d'une blessure si grande, plus
- grande que lui, brûlante.
Silence. Lenteur.
Silence.
LUr. C'étut le lendemain de ce jour-
-
1à, vous savez, de ce soir-là, lorsque cet w;-n (suppliante). Encore. Parlez.
ami était venu pour vous prendre et que LUr. Non. Je me- tais.
-
54 55

t,
't
ELLE. Je vous en supplie. aussi bien qu'un amour ne meure pas et
LUr. -
Non. (temps) qu'il faille I'anéantir.
ELLE. - Vous avez raison. Ne parlez ELLE (reprend)- Qu'il faille faire
-
plus. (temps) Dites quelque chose simple- comme si c'était possible.
ment. Dites, je vous en supplie. rur. Oui.
LUr. Ow. (temps) Ecoutez, je dis ça. -
-
Je dis : < On nous a mariés dans les années Silence.
d'après. Tout a été recouvert. >
ELLr'. Sur la plage, je vous ai de-
Temps long. Allusion à ce qui s'est mandé : -<< Qu'esi-ce qui arrive ? Dis-le-
passé entre Agatha et son frère moi... > (temps)
pendant Ia siesle d'Agatha, Lur. Oui... vous aviez
- de ces peurs... latoujours
craintes...
de ces
nuit surtout...
ELLB. Dites-moi aussi, je ne sais des peurs de vous ne saviez quoi. Vous
-
plus... dites-le-moi, je n'ai jamais su... aviez cinq ans, sept ans, douze ans, on
(îl
tvr cherche). Non... je ne crois vous retrouvait en larmes dans le corri-
pas... non, je n'ai pas- de souvenir de... dor, perdue, tremblante... (temps) J'ai dû
non... je n'ai de souvenir que de vous avoir répondre ce jour-là corlme toujours... quT
vue, pas d'autre chose, d'aucune autre ne fallait pas s'inquiéter, qu'il fallait se
chose que de vous avoir... vue. Regardée. laisser fatre, s'abandonner, je ne sais plus,
(temps) dormir...
LUr. Regardée jusqu à découvrir la ELLE. Non. (temps) Cc jour-là, tu
-
phénoménale identité de votre perfection... as dit que- tu ne savais plus rien avant, tu
que je suis votre frère et que nous nous as dit aujourd'hui. < Avant aujourd'hui. >>

aimons.
Silence.
Silence.
tut (récite). ... << Je ne sais plus rien
r,ur. écoutez... il arrive - >> (temps)
avant aujourd'hui.
-Ecoutez-moi,
56 57
eLLE (lenteur). Oui. J'ai demandé de ELLE. Oui. Je pars pour vous fuir et
-
quoi tu ne savais plus rien. - veniez me rejoindre là même,
afin que vous
LUr. J'ai dit : < De tout. De toi. dans la fuite de vous, alors je partirai tou-
-
>>

ELLE. Oui, C'est ça. jours de là où vous serez. (temps) Nous


- ,n'avons pas d'autre choix que celui-là.
Long silence. Ils marchent. Ils {ar- "--
rêtent. Et puis ils parlent encore. II s'allonge sur Ie divan dg.ns une
. pose équtvoque et décente mais qui
ELLr,. Et des escaliers blancs de la
- sont
villa Agatha descendus nos jeunes
pourrait évoquer la présence de son
frères et sæurs et nos parents. Tout a été
corps à. elle près du sien. Alors
eIIe se détourne de lui.:Ils sont d'ail-
recouvert pour la première fois. '{eurs presque toujours détournés
Ils marchent. Puis iI s'aruêtent. Et \l'un de (autre quand ils se parlent,
ils parlent. bomme s'ils étàient dans limpossi-
- Lur. Où allez-vous partir ? bîlité de se regarder sans courir le
ELLE. - Loin de vous. C'est le mot. yisque irrémédiable de devenir des
-
Avec lui loin de vous.
iamants. Ils sont restês lun lautre
LUI. Je viendrai. idans lenfance même de leur arnour.
ELLE.- Oui. ELLE (bas). Il a votre âge,
LUr. - Et de là vous vous en irez -
encore ?-
Silence.
ELLE. Oui. ELLB (bas). Le corps pourrait être
LuI. - Et je viendrai encore. beau, je -
ne sais pas très bien. Comme le
ELLE. - Oui. vôtre il me semble, encore maladroit,
- comme non encore dêILé, vous voyez,
Silence.
coûrme encore faible on dirait, et devoir
Lur. Et encore de là vous vous en encore gtandir, encore devenir. (temps)
bez? - LUt. Les yeux ?
-
58 59

i
I
a
i
;
I
I
BLLE. Bleus, très bleus. Très clairs. BLLE (de même). Oui...
-
J'embrasse le bleu sous les yeux fermés. LUr. -
Comme cassées...
Les yeux de mon frère n'ont jamais été -
w:-n (de mêrne). Oui...
touchés par moi. (temps) Il dit : < Regarde LUr. -
Cette valse de Brahms...
autour de nous ce pays si vaste... jusqu'aux -
nrtn (de même). Oui...
confins des océans, fermg les yeux et LUr. -
... elle n'a jamais su la jouer tout
regarde ia terre... > (ternps) Et alors je entière...-
vois votre visage d'enfaot qui la cherche m;-n (de même). Jamais...
Ies yeux mi+los sow le soleï. Lur. -
Et notre mère se plaignait...
wn - (de même). Oui...
Silence. -
LUr_.-- < Cette petite fille qui ne veut pas
ELIE (lent). Tu disais : << Regarde, travailler... avec ces mains qu'elle a, qui
^
Agatha, regarde-derrière tes yeux. ,, ô'étaii ne veut rien savoir du piano... >
toujours Ia plage... Tu posais tes mains Silence.
sur mes yeux et tu appuyais fort. Et je
yoyais... Et je te disais ce que je voyais... ^ LUr (murrnuré). Jusqu'à ce jour du
le rouge... les incendies... et la iruit... fleuve. -
J'avais peur... ei tu me demandais de te ELLE. Quand elle lui a donné la
dire encore et je te disais voir aussi tes -
musique_à jamais et qu'elle a été emportée
mains à travers le rouge de leur sang... dans le bonheur comme coulait le âeuve.
(temps) Tes mains. Si belles. Si longues, rur (mttrmuré). Oul
coûlme brisées, cassées... posées sur le Silence.
-
sable près de moi. (temps)
LuI. Les mains d'Agatha... tellement LUr. Et elle qui ne comprenait pas.
-
ressemblantes... (!emps)-< Mes deux premiers énfants, mes
nvt-n (murmuré). Oui... deux aînés avaient les mêmes mains,-à s,y
Lrn. - Comme brisées de
Si longues. tromper, faites pour la musique, mais lâ
même... - petite, elle, elle ne voulait pas. u

60 6t
I

nLLr,. < C'êtait la deuxièmg la pre- iI ne sait rien de ma vie, il


-
mière petite fille, celle qui venait après lui, mariage.
ne sait que mon
le deuxième enfant... elle étatt pares-
seuse... ELLB. Que c'était le nom que me don-
>>

Lur. < Je n'aurais pas dit ça, j'aurais


- -
nait un amant du nom de Ulrich Heimer.
dit que c'était coûlme si elle s'en était C'est un homme qui n est pas sans avoir
remise à.son frère qui,lui, jouait très bien... lu, mais pas jusqueJà, jusqu'à ces lectures-
comme si ce n'avait pas été Ia peine pour là.
elle, vous voyez... de jouer... de viwe... du r.vr (reprend). Que vous diriez : illi-
moment qu'il le faisait, lui, si merveilleuse- mitées ? -
ment, elle disait : rien que cette façon de ELLE. On pounait dire aussi : per-
poser ls5 6ains sur le clavier et d'attendre... sonnelles. -
la respiration s'arrête... elle disait que ce Lur. De vous et moi.
n'était pas la peine... puisque lui... le fai- ELLE. - Oui, de vous et moi ensemble.
sait. > -
(temps) Vous disiez en manière de jeu :
, < Ces histoires nous les avons écrites. >>
Silence long. (temps) C'était dans le jardin de Ia maison
coloniale, pendant ces deux années au
Lur. Le corps, disiez-vous... Gabon je crois, lorsque notre père avait
r,LLE. -Votre taille. (ternps) C'est un emmené sa femme et ses enfants. gétait le
-
homme d'une grande douceur. (temps long) long de I'autre fleuvg pendant la sieste.
Le nom que je crie est Ie mien.
Lrn. Agatha. Ilse relève. IIs se regardent. Ils ne
ELLE. -
Agatha. (temps) se parlent pas. Pttis ils détournent
Lr[. -
Il ne s'étonne pas. leur regard. Et ils se parlent. Alors,
ELLE. -
Je lui ai dit : ce n'est pas non seul le texte bouge, avance.
-
nom. Ie lui ai dit m'appeler d'un autre LUr. Je ne sais plus notre âge à ce
prénom, de celui de Diotima. Vous savez, -
moment-là-

62 63
.T

ELLE. cord... Vous disiez : << Agatha est celle qui


- JeVous avez dix-sept ans
LUr. ne sais plus. aurait osé aftronter la mort. >
- BLLE. Vous, vous disiez qu'elle, Aga-
Temps. -
tha, ne pouvait pas mourir, qu'e[e, Jile
ELLE, Rappelez-vous, on lit que c'est affrontait la mort sans danger de mourir.
-
l'été en Europe, que les amants sont dans LUr. Je disais de même que lui était
un pnrc, ils sont étendus, immobiles, loin mortel. -
I'un de I'autre de très près, ils sont enfermés nwn (en écho). Lui, oui.
dans ce parc clos de murs durant tout
- mourir d'être privé
Lrrr. -_ Qu'il pouvait
l'été, ils se cachent de ioul:e la ville, on lit d'elle, qu'il n'était pas à l'abri de ces acci-
qu'ils sont ainsi étendus, immobiles, jusqu à dents là. (temps long) Notre mère écoutait.
perdre la conscience de leur séparation, et ELLE (de même). mère écoutait,
que le moindre mouvement de I'un est un oui. -Notre
révei] intolérable pour I'autre. Que lors- Lur. Nous ne le savions pas... elle
quïs parlent ils ne parlent que de leur - elle écoutait
écoutait.-. nos conversations
amour- sur Agatha.
rl.-re (de mênte). Oui.
Temps. LUr. - de même par la
Elle entendait
suite ce - vouvoiement soudain entre ses
ELLE. Rappelez-vous, dans cette cha- çnfants.
leur face- au fleuve, on lisait que c'était ,/' eu-e. Nous avions décidé de uous
dans une lumière d'hiver que baignaient les vouvoyer -après ce jour ae iuruet, rappelez-
amants pendant ce crépuscule lorsque la vous... ce même soir.
tentation était si forte qu'ils pleuraient sans Lur. En manière de jeu, disions-nous,
le ressentir. - s'en amusaient... sauf
et les gens elle peut-
Silence long. être, cette mère charmante maintenant
morte... cette femme... notre amour.
LUr. Oui. Nous n'étions pas d'ac- ELLE. Notre amour... notre mère.
- -
64 65

I r.
I
Silerrce. ËLLE. Oui.
f,ur. - Cet été étaitd aussi beau que
ELLE. Je voulais vous dire, elle a
- de sa mort. Elle a dit ce jour- nous le -disons ?
parlé le jour ELLE. Oui, c'étart un été admirable.
là : << Mon enfant, ne te sépare jamais de - en est plus fort
Le souvenir que nous qui
lui, ce frère que je te donne. >> (temps) Elle le portons... que vous, que vous et moi
a dit aussi : << tJn jour il te faudra le lui ensemble devant lui... c'était un été plus
dire comme je te le dis maintenant, qu'il fort que nous, plus fort que notre foice,
ne faut pas qu'il se sépare d'Agatha. >>
que nous, plus bleu que toi, plus avant que
Silence. notre beauté, que mon co{ps, plus doux
il que cette peau sur Ia mienne sous le soleil,
li ELLE. Elle a dit encore : << Vous que cette bouche que je ne connais pas.
rl
-
avez la chance de vivre un amour inalté-
I
rable et vous a\rez un jour celle d'en Silence. Les yeux sont fermés. Ils
ii mourir. >> sont dans une raideur effrayante.
I

Silence. Lenteur.
L
LUr. Vous partez demain à I'aube.
ELLE. - Oui.
LUr. - Potrr toujours, n'estæe pas ?
.ELLE. - Oui. Jusqu'à votre arrivée dans
-
les frontières du nouveau continent où rien
n'arrivera plus encore une fois que cet
amour.
Ils se détournent lun de I'auffe.
LUr. Agatha.
-
IIs sont détournés. Les yeux fermés,

66
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r-A,
rrrÉarns Itr : LÀ BÈTE DANS LA JIINGLE, d'après Henry James,
adaptation d.e James Lord et Margaerite Duras - lrs
pApLRs D'A*ERN, d'après Henry fanes, adaptation de
Matguerite Daras el Robert Artelme - I-{DANSE DEMoRT,'
d'après Atgust Stindberg, adaptntion de Margaerite
Duras Q9&4. Gallirnard.
rAÀitANr (1984, Editions de Minuit).
LA DouLEUR ( 1985, P.O.L).

70

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LÊ VINGT
CET OIJV8AGE A ÉTÉ ACHEXTÉ DfMPRIMER
TROIS NOIEMBRÊ MIL NEUF CÊNT QUIITRE'VINGT'
SEPT DANS T Fq ÀTELIERS DE NOXMANDIE
IMPRES-

soN s. 61Ûm ÂrENçoN (oB!'d ET INSCRITDANS


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DepOt lêgd : novembre 19E7


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