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audevant des vagues et je criais de peur ELLE. Oui... sans doute... oui...
et vous n'entendiez pas et je pleurais. -
Silerce. Ils se regardent.
Silence. Douleur.
LUr. Vous avez dt mentir aussi.
wt (lenteur). Je croyais tout savoir. (temps) -
Tout. - . ELLE. Quand?
r;LLr. Oui. LIn. - Quand vous m'avez envoyé le
LUI. - Tout avoir prévu, de tout, de - sur le rendez-vous. (te:mps)
télégramme
de tout -ce qui pourrait survenir entre vous << Viens. > << Viens demain. >> (temps)
'et moi. << Viens parce que je t'4ime. >> (temps)
nrtn (bas, cornrne un écho). Oui. << Viens.
-
Je croyais avoir tout envisagé...
>>
Silence. Il ferme les yeux. ElIe Ie ELLE. Je ne pouvais pas dire autre-
ment. Je -n'ai pas menti.
regarde.
Lt[. Vous auriez pu dire : < Je pars.
ELLE. La dOUleUr, non, Ce n'eSt - pars. > (temps) << Viens
Viens, je puisque
-
jamais possible. je pars, puisque je te quitte, puisque- je
LU[. C'est jamais... on croit la pars. >
- coûrmeça...
connaître soi-même et puis, non... ELLE. Non. Je ne voulais pas dire que
chaque fois elle revient, chaque fois mira- je voulais- vous revoir avant de partir.
culeuse. (temps) Je ne voulais pas dire que jè vous
Silence. quittais, non, je voulais vous voir je crois,
rien d'autre, vous voir. Et puis vous quitter
ELLr.. Chaque fois on ne sait plus ensuite, très vite après, corrlme à I'instant
- fois... devant ce départ par
rien, chaque même où je vous aurais vu.
exemple... on ne sait plus rien.
LUr. Oat. (tempsj Et tu vas partir. Silence.
-
10 11
ti
devait se passer dans le petit matin' julle plaoer, pour vous laisser, pour vous perdre.
avaot le iéveil, je ne sais pas de quell- e Raîdes, ils sont raides, les yeux fer-
nature était ceité mort qui vous frappait' més, récitants imbécîles de leur
(temps) Il me semble qu.911e avait aftaire passion.
à lu'*tt, toujours cette image d'eafance
de vous qui alliez audevant des vagues' LUI (douceur). Regarde-moi... je
(temps) Ei je vous ai regardé... crie...
ELLE. Je crie avec toi.
Silence. Puîs iI parle dans la mêrne -
douleur. Silence. Ils bougent comme dans
Ie sommeil et puis ils ne bougent
LUr. Mais ces quelques secondes... si plus, tls restent figés, Ies yeux non
court -qu'ait été ce temps' si pe-tite, cette visibles fermés ou batssés vers le
rTifiérenie entre hier et aujourd'hui dans sol.
votre sentiment pour moi, si insiguiûante
qu'elle pouvait apparaître, vqp savez bien r-vr (très bas). Tandis que tu pars tu
.i.fU Sâgit de la-fin tout entière... vous le m'aimes toujours -?
-vous Ie savez" ne dites
ào.r.,. Pas le Pas de réponse.
contraire, vous le savsz. (temPs)
ELLE. Je crois que nous nous trom- LUr. Tu pars pour aimer toujours ?
-
Dons encore. Nous nous trornpons toujours' w-rn-(lent). Je pars pour aimer tou-
it"rnpr, dou.ceur) Il ne devait pas s'agir de jours dans cette- douleur adorable de ne
cette diftérence que vous dites entre vous jamais te tenir, de ne jamais pouvoir faire
aimer plus, ou moi:rs, ou plus encore, ou que cet amour nous laisse pour morts.
au coniraire déjà un Peu mo'tns peutétre, Long silence.
non... non... il devait s'agir ds vous ainer
toujours dans cette perspective de-ne plus
I rur. Cet homme ? Il sait quelque Q63
vous aimer, de fake tout pour ne plus vous
-
chose ? Est-ce qu'il sait ?
aimer, pour vous oublier, pour vous rem- L ELLE.
-
Non. (temps_) -
18 19
i
la l6 ELLE- Où est+e ?
/r, rui. Vous le lui dites de même
LUr. -
Sur la plage. (geste)Lù- (temps)
façon 2 -(temPs) -
Lq
Tu as sept ans. (temps) Et puis plus tard.
4 ELLr,. Oui. ELLE. Dans un autrg endroit.
- ^l -
Long silence. lls fennent-Ies yeux
'rvq LUI. Oui, dans un endroit fermé.
s7 io*in" évanouis ensemble' Len- 'rp ELLE.- Une chambre.
teur.
gI rur. - Oui.
-IIs parlent presque à voix basse
comme à lui'
tv (bas). - Dites-le-moi (temPs)
6
6 ft$. - Je t'aime' ?ç de cet instant de leur Passé, de
,T """"
Lur. Encore. cette sieste d'Agatha.
I ELLE.- Je vous aime comme j'ignorais yL ELLE. Nous sommes r"o1s dans la
pouvoir. - villa. -
, ' ttr. A qui avez-vous Parlé ? rur. Oui.
- Ii ne sais Pas à qui je Parle' L>
ELLE. - Où est notre mère ? Où sont
frD
""it. - Silerce-
x\ -
les autres enfants ?
DL Ils dorrrent. C'qst l'heure de la
LUr. Tu es Agatha'
yi Lur.
-
sieste. C'est l'été. C'est ici. Cest cet endroit
lvlt
ELLE. - Oui. ici.
)t)J -
Ils testent les Yeux fennés' Tou- 2t ELLF.. La villa Agatha.
p, lourt Ia clouceur, Ia voix fêlée'
brï 27 rur. - Oui.
'sée
dun émoi insor'ûensble' non -Elle I'arrête tout à couP comme
DS
iouable, non rePrésentable' elle arrêterait un geste.
ans et vous dix-neuf ans, je crois, nous que ces peupliers-là, de la Loire, en ce
avions encore peur d'aller à faventure. moment du début de l'été,, avaient la cou-
r;ut (temps). Nous y allions cepen- leur de mes cheveux quand j'étais une
dant. - petite fille. Vous étiez très beau sans iamais
BLLB. Oui. vouloir le paraître, jamais, et cela donnait
LUr. - Je crois me souvenir. à votre beauté la grâce insaisissable da.-
- I'enfance.rftt je I'ai vue tout à coup
Long silence. tandis que vous parTie2 avec moi. Nous
' ELLE. Dans cet hôtel il y avait aussi avions jusque-là rarement été seuls, Cêtut
un piano -noir. J'ai dit que c'était le piano une des premières fois. Je me suis éloi-
gnée de vous et je vous ai regardé et puis
de la villa Agatha. L hôtel était ouvert, j'ai regardé le tournant du fleuve. Ensuite,
toutes les pories étaient ouvertes, il ny
avait petsonûe, le piano était ouvert' je suis revenue et j'ai vu que vous étiez
,,---*: (temps) Nous avons traversé Ïhôtel et trous encore là et que vous me regatdiez encore
ûous sommes trouvés sur 1a berge du fleuve et j'ai vu que vous pensiez la même chose
et puis ensuite sur le fleuve, il était à me voir que moi de vous avoir vu de la
sorte dans cette solitude, loin de nos petits
imm-ense, immobile et plein d'fles, de peu-
pliers, paJtoût, sur les îles, sur les berges' frères.et sæurs, loin d'elle qui nous avait
eprèi l'hôtel, il y avait un tournant du appris à nous tenir dan.s cette merveilleuse
flàuve et on le perdait de vue. Vous avez uégligence de nous-mêmes. (temps) Nous
dit : << C'est la Loire, elle est si large, n'avons rien dit de ça, nous étions commè
regarde, la mer ne doit pas être loin' > les autres enfants, on ne se disait rien
Vôus avez dit qu'il n'en paraissait rien sauf, depuis quelque temps à cause de cette
mais que c'était un fleuve dangereux, Y9N différence d'âge entre vous et moi, des
avez eiptiqué les trous d'eau et les vertigæ choses coûlme par exemple celles sur le
fleuve.
et les tourbillons qui s'emparaient du corps
des enfants Tété èt tes enfouissaient dans
les sables des fonds. Vous avez dit aussi Temps.
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ELLE. Après, nous avons visité I'hô- ELLE. Oui. Je n'ai plus continué à
tel chacun- dJ notre côté, vous vers les jouer, j'ai- entendu d'abord que vous volrs
chambres je crois, je ne sais plus très bien, étiez arrèté de marcher et puis ensuite
et moi veis les salons, ils étaient en enfi- que vous aviez recommencé à marcher et
lade, après les salles à mangel- Il n"y avait tout à coup j'ai vu que vous étiez 1à, debout
toujouri personne. La seule chose que j'en- conire la porte. Vous ne regardiez comme
tenâais tandis que je marchais c'était votre vous seui vous le faites, comme à travers
pas à l'étage supérieur, dans les chambres' une difficulté à voir, à me voir. Vous avez
iranps) Et puis je suis tombée à nouveau souri. Vous avez dit mon nom deux fois :
iu""-"o fleuie devant le piano noir. fe me << Agatha, Agatha tu exagères... >> Et je
suis assise et j'ai commencé à jouer la vous ai dit : << Toi, joue-la, la valse de
valse de Brahms. Tout à couP j'ai cru Brahms. > Et je suis repartie dans I'hôtel
pouvoir la jouer et puis n9+ qel-a n'a pas désert. (temps) J'ai attendu. Et au bout
^été
possibte. Je me suis arrêtée à la reprise, d'un moment cela s'est produit, vous avez
t"n"", celle que je n ai jary3ts pu joué la valse de Brahms. Vous I'avez joaée
"ooi
passer correcieûleni, vous savez bien" le deux fois de suire et puis ensuite vous avez
àésespoir de notre mère- Après que je me joué d'autres choses, encore et encore, et
suis arrêtée j'ai entendu que vous ne mar- puis encore cette valselà. J'étais dans un -
chiez plus au prgmier êtage- Vo;t5.avi9z grand salon face au fleuve et j'ai entendu
dû écouter. Je n'ai pas recornmence â Jouer' vos doigts faire cette musique que mes
Iai entendu que ïoire pas reprenait' doigts, que moi, jamais ne sauraient faire.
Silence.
Je me voyais dans une glace en traful
d'écouter mon frère jouer pour moi seule
LUI. -_ Vous inventez. (temPs) au monde et je lui ai donné toute la musi-
ELLE. Je ne sais pas. Je ne crois pas' que à jamais et je me suis vue emportée
(temps)- dans le bonheur de iui ressembler tant
' tur.'- Vous en êtiez à la reprise du qu'il en était de nos vies comme coulait
thème. (temPs) ce fleuve ensemble, 1à, dans Ia glace, oui,
28 29
ili
Cétait ça... et puis ensuite utre brûlure du favoir vu. (tentps) La porte de I'hôtel
corps s'est montrée à moi. (temps) J'ai était-elle ouverte sur le fleuve ?
perdu la comaisEancs de vivre pendant ELLr,. Ç'esf ça.n y avait deux portes
quelquas secondes. (temPs) parallèIes- face au fleuve. Entre ces deux
portes il y avait le piano noir. Après il y
avait le fleuve, (temps) Les salons étaient
LUI. Agatha. à gauche des portes, vers 1e tournant du
- fleuve.
" Silence. De même elle réPond, Ies Lur. Là où il se perdait.
' yeux fermés. ELLE,- Oui, c'est ce que vous avez
ELLE. Oui. Je me suis aPPelée Pour -
dit : < Regarde le fleuve qui se perd, là,
- fois,
la première et de ce nom. Celle que je il se perq regarde, dans la direction
voyais dans Ia glace je I'ai appelée comme d'Agatha. >
volrs le faisiez, comme vous le faites Silence.
enære, avec cetie insistance sur la dernière
syllabe. Vous disiez : << Agatha, Agatha. > ELLE. :- Après, vous avez cessé de
Je vous aime comme il n'est pas possible jouer. Vous m'avez appelée. Je n'ai pas
daimer. répondu tout de suite. Vous avez encore
appelé, cette fois-là avec une certaine
Silence. Les yeux sont encore fer- frayeur. Puis une troisième fois vous avez
més sur les mots prononcés. crié. Cest alors que je vous ai répondu
. BLLE. Vous ne vous souvenez de rien que j'étais là, que je venais. Je suis verue.
-
de cet après-midi ? J'ai traversé de nouveau les salons, je suis
arrivée à vous, j'ai posé mes mains à côté
Silence. On dirait qu'il cherche à des vôtres sur le clavier. Nous avons
se souvenîr. regardé nos mains, nous les avons mesu-
Lur. Je me souviens de tout ce que rées pour savoir de combien les miennes
-
vous venez de dire. Je ne me souviens pas étaient plus petites. Je t'ai demandé de lui
30 3l
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ri-,-..,...,
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ELLE. Vous venez seul quelquefois une entente parfaite sur ce point aussi,
-
à la villa Agatha. n'est-ce pas ?
LUr. Oui. Comme vous y venez seule LuI. Oui. (sourire) Une entente
-
vous aussi. (temps) notoire, exemplaire.
ELLB. Nous n'avions jamais parlé ELLE. Irrémédiable. (sourire, dou-
-
de ces visites. - ferions-nous sans cette dou-
Ioureux) Que
LUr. J"-ais, non. leur ?... sans cette séparation... cette
- Je le savais à un léger désor-
r,LLE. douleur...
dre laissé- dans la chambre chaque fois
- Que ferions-nous sans air... sans
LUI.
après votre passage. lumière...
Lur. Moi, à cette différence du ELLE. ferions-nous de l'air... de
désordre rangé après le vôtre. - Que
la lumière... sans ce savoir-là, d'y être
ensemble sonmis.
Silence. Yeux fermés. rut (temps). Mon amour. Agatha...
ELLE. Quel vertige laissé par votre ma sæur Agatha... - mon enfant... mon
sommeil. - corps. Agatha.
LUr. Ton odeur Agatha, ce vide. Ils pleurent.
-
Long silence. eLLE. Comment étaient ses yeux ?
LUr. Et vous, que diriez-vous de ce LUr. - Bleus.
manque- à partir de ma part ? ELLE.- Comme les siens à lui...
ELLE. Je le partage avec vous, je ne rur. - Oui.
-
le nomme pas. nrtn- (bonheur). Ah... cette coinci-
LUr. Je vous en prie, aidez-moi. dence... -
ELLE.- Je vous aide. Je pars, je vous LUr. Ce bonheur...
-IIs pleurent.
aide. - Silence. Ils
ferment les
Lur. Il est vrai. yewa Nous entrons encore dans ce
ELLE- (sourire). Nous sommes dans ce qui ne peut se voir.
-
38 39
{i
:
LUr.
-
bleue, une robe de plage, vous I'aviez ietée
- Érmour meure.
arrive qu'un
i
par terre au bas du lit. IIs se rapprochent un peu. Restent
1l
ELLB. Attendez... ie crois... oui, bleu rapprochés tnais hors de toute
I
-
nuit... C'était une robe de notre mère... atteînte réciproque. Elle ne répond
ancienne... à rayures blanches... elle me la pas.
prêtait quelquefois. (tem.ps) Vous vous sou-
vètez de cette couleur... de ce bleu. LUr. Si vous I'aimez... même pour
LUI. Oui, de la tache bleue sur le un temps- très court, quelques semaines,
-
sol à partir de quoi j'ai deviné le blanc quelques nuits, à Ia place de m'aimer tou-
du corps nu. 'jours même durant quelquas nuits... dites-
le-moi. (temps)
Ils se taisent longternPs. Et Puis BLLE. Je I'aime.
ils bougent. Reprise des forces -
visibles, abandonnées rnomentané- Silence. Lui se tient les yeux fer-
ment. La parole est Ià de nouveau. més. ElIe, détournée de lui.
LUr. Je vais crier. Je crie.
LUr.
-
Cet homme que vous venez de
prendre et que vous aimez, beaucoup de
-
ELLE. Crtez.
gens m'en ont parlé.
-
Tous les paliers du désir sont là,
ELLE. Que dit-on ? parlés, dans une douceur égale.
t-vt -
(rire). :
On dit << Votre sæur
-
fait scandale et se montre avec lui. Elle LUI. Je vais mourir.
- Mourez-
I'embrasse et lui parle de très près. On les r.LLE.
voit sur les routes, dans les motels, les . Lur. - Oui.
théâtres, dans les bars de Paris la nuit...
-
>>
Temps. De la musique, peutâtre,
Silence. lls se regardent. Les rires cette vqlse -4ç_ E_fahm7- au sortir de
l'enfance.
ont cessé.
40 4l
{l
-
redoutée, plus redoutable, plus effrayante,
Les yeux fermés. Silence. Elle est
conxme inquiète tout à coup.
plus inconnue, maudite, insensée, intolé-
I
rable, au plus près de llntolérable, au plus ELLE. Je vous parle. (temps) Je vous
I
.a- -
T
folie. (temps) Il fait effectivement un temps LUr. Vous avez dix-huit ans depuis
d'une extrême bonté, compte tenu de fhi- - jours.
quelques
ver qui va venir et de notre alnour qui va
vers le voyage d'une douleur telle qu'il Temps. IIs sont détournés l,un de
va en être comme d'en mourir. fautre, ils ne soutiennent plus la
ELLr,. Ç'ss1 cela mêmp dont il est réciprociré de leur regard.
question, -il me semble.
LUr. Tout à coup,
Silence. Ils ferment les yeux. ura,sæur- est grande. Ma cette nouvelle :
sæur Agatha a
dix-huit ans.
LUr. Je le crois.
ELLE.- Depuis que nous sommes adve- Silence.
il -
nus vous et moi dans ceite famille-là, de
ceite femme-là... inconnaissable... incon- LUr. Notre mère me I'annonce, elle
nue... m'écrit -: << Tu devrais venir la voir, elle
LUr. Notre amour... est belle tout à coup à ne pas en croird ses
-
ELLE. Notre amour... yeux et on dirait qu'elle ne le sait pas. On
LUr. -Depuis avant elle et encore avant dirait, tu vois, quT y a en elle un
-
et encore et encore avant... retard à vouloir le savoir. Comme"oàmeelle
ELLE. Oui. s'écariait de nous, parfois, lorsqu'elle était
- petite, tu ie souviens, elle le fât mainte-
Traversée de l'histoire. IIs vont e! nant d'elle-même. >>
vîennent, repartent, r evienn ent vers
elle. Silence. Silence. Ils sont toujours détournés
lun de I'autre. Touiours cette dou-
LUr. La mer est tiède. Très calme.
-
Des enfants se baignent devant la villa.
ceur.
ELLE. Oui. Des enfants se couchent ELLE. Vous êtes fiaacé à une jeune
-
dans les franges des vagues, ils laissent la fille des -Charentes. Vous avez vingt-trois
mer les recouvrir, ils rient, ils crient. ans. Vous finissez l'université. Voui habi_
44 45
Ti
I
Silence. Lenteur- été-1à, - en Dordogne
sont chez nos grands-
p.arents. (temps) Notre mère était malade...
I
LUI. Cet étêrlà je viens Pour voir
I
-
Agatha. Je vous vois. (tentps) Je reste un
sl vous vous souveîea,.. une dépression
inattendue... et elle avait demandé à être
peu plus qu'il n était Prévu.
seule avec vous et notre père, cet êtê-là.
Silence. (temps, ton suppliant) Aidez-moi. (temps)
C'est un été admirable. (temps)
ELLE. On entend le bruit de la mer,
calme et -lent. Je me repose dans I'après-
LuI.
C'est un - jour d été à Agatha.
ELLE. Une sieste au mois de juillet. midi. Depuis deux ans il en esr ainsi. Le
Le parc -est de I'autre côté de la maison, docteur parle de fatigue due aux études,
vous vous souvenez ? (temps) < I1 faut
de I'autre côté de la rner.
qu'elle se repose. >)
Lr[. Nos parents sont allongés sous
rur. -_ Oui.
-
la tonnelle. Je les vois de la fenêtre de ELLE, Je dors près de vous. (temps)
ma chambre. Ils dorment à I'ombre de la - sont séparées
Nos chambres par une cloi-
villa. son sonore. (temps) Vous le savez. (temps)
Silence. LUr. Je ne le savais pas avant cet
ELLE. Nos chambres donnent sur ce
été-là. -
parc. - Ils ferment les yeux. Equivalence
totale entre I'acte le parlê.
Silence. .et texte
Lui. Rien n'est à craindre. Aucun LUr. Je rentre dans la chambre hallu-
regard. -
Aucune indiscrétion. Rien ne peut - (temps) Je
cinatoire. crois qu'elle dort.
troubler la paix de la chaleur. (temps) (temps)
ELLB. Rien. ELLE. Elle ne dort pas.
- -
46 47
"t"_.
T
.l-- ,.
T
la jouissance donnée par vous, et j'enten- du.fleuve je sais mal ce qui est arrivé de
dais aussi de ces choses qu'on se dit dans mor.
ce cas, ces injures et ces cris et il arrivait
que j'aie pew. (temps long) Je ne savais Silence.
pas que vous ignoriez fexistence de cette
LUI. Vous savez, votre cri je l'avais
cloison sonore. (temps) compris,- ce n'est pas la àpeine de mêntir.
LUr. Votre chambre était si caÛne
-
toujours, je l'ai ignoré très longtemps...
ELLE. C'étatt un cri, vraiment ?
LUr. - Oui. Abominable. C,était abo_
jusqu'à cette fois... cette fois-là... vous
minable-mais je I'ai ignoré jusqu'à ce matin_
i sayez, Iorsque quelqu'un est venu vous Ià sur la plage, avani la siéstjd'Agatha.
I prendre de même et que vous avez crié de
! jouir et de peur de la même façon. Silence. IIs s'éloignent l,un de
Sil.ence long. IIs bougent sans par-
l'autre.
{
'i
l
ler puis de nouveau s'immobilisent ELLE (bas). _ Je me souviens mieux
q et pdrlent. Ils ne parlent îantais du regard de mon frère sur le coms nu
dans le mouvement. que de ce qui avait eu lieu la veille,^ cette
: mort que vous dites, qui laissait pour morte
LUr. C'était un ami de moi. (temps)
i
-
La jouissance était grande. .votre
sæur Agatha.
ELLE. I1 me semble me souvenir Ils se détournent l,un de I'autre.
-
qu'elle Ïétait, oui. (temps)
Elle redevient comme enfanttne.
t-vt (violence contenue). Elle vous
-
laissait pour morte, n'est-ce pas ? (pas de ELLE. Je ne savais pas la différence
réponse) Elle devait laisser pour morte ma - entre le regard de mon frère
qu'il y avait
sæur Agatha ? sur mon corps nu et le regard d'un autre
ELLE. Je crois. Pour un instant, morte homme sur ce corps. Je nà savais rien de
-
peut-être... (temps). Mais avant ce matin-là cela, de_mon frère, de ces choses interdites,
sur la plage... après cet après-midi-là près ni combien elles étaient adorables, vous
50 51
L*,"
r
i
I
voyez, ni combien elles étaient à ce point avez eu des enfants, un mariage heureux
'I
contenues dans mon corps. dit-on.
ELLE. Oui. (temps) On dit : de même
Silence. Lenteur extrême. Immobi- que vous.- (temps)
lité.
I
I
LUr. Oui.
ELLE.-
I
52 53
1..
Silence. vous aviez cné. (temps,l Je me souviens
vous avoir parlé d'un premier désir de vous
LUL La veille, vous me I'aviez de-
donner la mort. (temps) Vous n'avez pas
mandée,- vous m'aviez dtt que votre montre
I
I
était arrêtée et je vous avais donné I'heure,
après le dîner, dans le corridor sur lequel Silence.
I
l donnait nos chambres, vous vous souve- Lul. Nous avions une heure d'avance
)
nez? J'avais mal vu sans doute. -
sur le monde. Une heure seulement. (temps)
ELLE. Sans doute. Et cela a suffi. (temps) Je vous ai parlé de
I
t,
't
ELLE. Je vous en supplie. aussi bien qu'un amour ne meure pas et
LUr. -
Non. (temps) qu'il faille I'anéantir.
ELLE. - Vous avez raison. Ne parlez ELLE (reprend)- Qu'il faille faire
-
plus. (temps) Dites quelque chose simple- comme si c'était possible.
ment. Dites, je vous en supplie. rur. Oui.
LUr. Ow. (temps) Ecoutez, je dis ça. -
-
Je dis : < On nous a mariés dans les années Silence.
d'après. Tout a été recouvert. >
ELLr'. Sur la plage, je vous ai de-
Temps long. Allusion à ce qui s'est mandé : -<< Qu'esi-ce qui arrive ? Dis-le-
passé entre Agatha et son frère moi... > (temps)
pendant Ia siesle d'Agatha, Lur. Oui... vous aviez
- de ces peurs... latoujours
craintes...
de ces
nuit surtout...
ELLB. Dites-moi aussi, je ne sais des peurs de vous ne saviez quoi. Vous
-
plus... dites-le-moi, je n'ai jamais su... aviez cinq ans, sept ans, douze ans, on
(îl
tvr cherche). Non... je ne crois vous retrouvait en larmes dans le corri-
pas... non, je n'ai pas- de souvenir de... dor, perdue, tremblante... (temps) J'ai dû
non... je n'ai de souvenir que de vous avoir répondre ce jour-là corlme toujours... quT
vue, pas d'autre chose, d'aucune autre ne fallait pas s'inquiéter, qu'il fallait se
chose que de vous avoir... vue. Regardée. laisser fatre, s'abandonner, je ne sais plus,
(temps) dormir...
LUr. Regardée jusqu à découvrir la ELLE. Non. (temps) Cc jour-là, tu
-
phénoménale identité de votre perfection... as dit que- tu ne savais plus rien avant, tu
que je suis votre frère et que nous nous as dit aujourd'hui. < Avant aujourd'hui. >>
aimons.
Silence.
Silence.
tut (récite). ... << Je ne sais plus rien
r,ur. écoutez... il arrive - >> (temps)
avant aujourd'hui.
-Ecoutez-moi,
56 57
eLLE (lenteur). Oui. J'ai demandé de ELLE. Oui. Je pars pour vous fuir et
-
quoi tu ne savais plus rien. - veniez me rejoindre là même,
afin que vous
LUr. J'ai dit : < De tout. De toi. dans la fuite de vous, alors je partirai tou-
-
>>
i
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a
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;
I
I
BLLE. Bleus, très bleus. Très clairs. BLLE (de même). Oui...
-
J'embrasse le bleu sous les yeux fermés. LUr. -
Comme cassées...
Les yeux de mon frère n'ont jamais été -
w:-n (de mêrne). Oui...
touchés par moi. (temps) Il dit : < Regarde LUr. -
Cette valse de Brahms...
autour de nous ce pays si vaste... jusqu'aux -
nrtn (de même). Oui...
confins des océans, fermg les yeux et LUr. -
... elle n'a jamais su la jouer tout
regarde ia terre... > (ternps) Et alors je entière...-
vois votre visage d'enfaot qui la cherche m;-n (de même). Jamais...
Ies yeux mi+los sow le soleï. Lur. -
Et notre mère se plaignait...
wn - (de même). Oui...
Silence. -
LUr_.-- < Cette petite fille qui ne veut pas
ELIE (lent). Tu disais : << Regarde, travailler... avec ces mains qu'elle a, qui
^
Agatha, regarde-derrière tes yeux. ,, ô'étaii ne veut rien savoir du piano... >
toujours Ia plage... Tu posais tes mains Silence.
sur mes yeux et tu appuyais fort. Et je
yoyais... Et je te disais ce que je voyais... ^ LUr (murrnuré). Jusqu'à ce jour du
le rouge... les incendies... et la iruit... fleuve. -
J'avais peur... ei tu me demandais de te ELLE. Quand elle lui a donné la
dire encore et je te disais voir aussi tes -
musique_à jamais et qu'elle a été emportée
mains à travers le rouge de leur sang... dans le bonheur comme coulait le âeuve.
(temps) Tes mains. Si belles. Si longues, rur (mttrmuré). Oul
coûlme brisées, cassées... posées sur le Silence.
-
sable près de moi. (temps)
LuI. Les mains d'Agatha... tellement LUr. Et elle qui ne comprenait pas.
-
ressemblantes... (!emps)-< Mes deux premiers énfants, mes
nvt-n (murmuré). Oui... deux aînés avaient les mêmes mains,-à s,y
Lrn. - Comme brisées de
Si longues. tromper, faites pour la musique, mais lâ
même... - petite, elle, elle ne voulait pas. u
60 6t
I
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.T
I r.
I
Silerrce. ËLLE. Oui.
f,ur. - Cet été étaitd aussi beau que
ELLE. Je voulais vous dire, elle a
- de sa mort. Elle a dit ce jour- nous le -disons ?
parlé le jour ELLE. Oui, c'étart un été admirable.
là : << Mon enfant, ne te sépare jamais de - en est plus fort
Le souvenir que nous qui
lui, ce frère que je te donne. >> (temps) Elle le portons... que vous, que vous et moi
a dit aussi : << tJn jour il te faudra le lui ensemble devant lui... c'était un été plus
dire comme je te le dis maintenant, qu'il fort que nous, plus fort que notre foice,
ne faut pas qu'il se sépare d'Agatha. >>
que nous, plus bleu que toi, plus avant que
Silence. notre beauté, que mon co{ps, plus doux
il que cette peau sur Ia mienne sous le soleil,
li ELLE. Elle a dit encore : << Vous que cette bouche que je ne connais pas.
rl
-
avez la chance de vivre un amour inalté-
I
rable et vous a\rez un jour celle d'en Silence. Les yeux sont fermés. Ils
ii mourir. >> sont dans une raideur effrayante.
I
Silence. Lenteur.
L
LUr. Vous partez demain à I'aube.
ELLE. - Oui.
LUr. - Potrr toujours, n'estæe pas ?
.ELLE. - Oui. Jusqu'à votre arrivée dans
-
les frontières du nouveau continent où rien
n'arrivera plus encore une fois que cet
amour.
Ils se détournent lun de I'auffe.
LUr. Agatha.
-
IIs sont détournés. Les yeux fermés,
66
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70
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CET OIJV8AGE A ÉTÉ ACHEXTÉ DfMPRIMER
TROIS NOIEMBRÊ MIL NEUF CÊNT QUIITRE'VINGT'
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