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Fasc. 1200 : DROIT DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES.

– Introduction générale
Première publication : 26 février 2019
Stéphane Zinty
Maître de Conférences à l’Université Grenoble-Alpes, Membre du Centre de Recherches Juridiques (CRJ-EA 1965)
Points-clés

Support technologique utilisant l’intelligence artificielle et les algorithmes informatiques, les plateformes numériques organisent un véritable écosystème
au profit de leurs utilisateurs (V. n° 1 et 2 ).

L’activité des plateformes s’inscrit dans le cadre d’un marché biface, c’est-à-dire un système favorisant l’interaction entre les deux faces d’un
même marché, entre plusieurs communautés d’utilisateurs qui cherchent à interagir les unes avec les autres. L’opérateur de plateforme en ligne
est, par conséquent, un intermédiaire se distinguant au plan notionnel d’un hébergeur ou d’un éditeur (V. n° 3 et 4 ).

Reposant sur la multitude, les plateformes numériques bouleversent l’activité des acteurs économiques traditionnels par leur capacité à se glisser à leur
place et plus efficacement entre les utilisateurs et les producteurs de biens et de services : c’est l’effet disruptif (V. n° 5 ).

Cette situation provoque une perturbation du paysage juridique, posant la question de l’opportunité de l’élaboration d’un droit propre aux plateformes
numériques. À cet égard, la réponse apportée par le droit positif consiste aujourd’hui à appliquer le droit commun aux opérateurs de
plateforme, sous réserve de l’application d’un droit spécial en certaines matières (V. n° 6 et 7 ).

§ 1 Révolution –
« Le numérique est le fruit et le siège d’innovations considérables, si importantes que le mot de révolution semble plus adapté pour dépeindre la situation » (Ph.
Le Tourneau, Contrats du numérique : Dalloz Référence, 10e éd., 2018/2019, n° 11.31). Ainsi, dans le sillage de la révolution de l’internet amorcée au milieu des
années 1990, les plateformes en ligne sont devenues les figures de proue d’une nouvelle révolution numérique liée aux progrès technologiques de ces 10
dernières années (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation », Avant-propos de J.-M.
Sauvé, p. 33-34). En l’espace d’une dizaine d’années, la majorité de la population mondiale s’est en effet tournée vers les nouveaux services proposés sur l’
internet par des plateformes en ligne créées par des entreprises technologiques qui, pour la plupart, sont nées avec l’ère numérique. Celles-ci ont ainsi connu au
cours de la dernière décennie, une croissance insolente et unique dans l’histoire économique, se hissant, pour les plus grandes d’entre elles, au premier rang des
capitalisations mondiales. Les plus influentes sont nées outre atlantique et se trouvent aujourd’hui communément regroupées sous les acronymes « GAFA »
(Google, Apple, Facebook et Amazon) et « NATU » (Netflix, AirBnB, Tesla et Uber). L’acronyme « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) est également
employé afin de désigner les principales plateformes asiatiques. Le développement de ces géants du numérique est en constante progression. En France comme
ailleurs, il existe aujourd’hui un très grand nombre de plateformes numériques touchant la plupart des secteurs de l’économie, y compris ceux du droit (legalstart.
fr, webclaim.com…). Plusieurs catégories de plateformes peuvent être aujourd’hui dégagées (V. Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 48-49). Les
plateformes de courtage (E-bay, Amazon, Le Bon coin, La Ruche, etc.) mettent en relation des utilisateurs fournisseurs et des consommateurs de biens ou de
services. Les plateformes-activité, quant à elles, rapprochent des consommateurs et des fournisseurs, soit en déterminant une part substantielle des
caractéristiques de la prestation (Uber, Deliveroo), soit en employant effectivement de la main-d’œuvre (Hello Alfred, Shyp). Les plateformes de création de biens
communs (Wikipédia, Ushahidi, OpenstreetMap) sont celles dont l’objet, qui n’est pas économique, consiste à mettre à disposition un bien commun. Les
plateformes de partage de frais (BlaBlaCar ou Heetch), qui ne produisent aucune création de valeur, favorisent la réalisation d’économies. Enfin, les plateformes
d’économie contributive (Wayze, Coyote) mettent à disposition des utilisateurs un service fondé sur les informations que ceux-ci transmettent. L’ampleur du
phénomène est telle que celui-ci a retenu toute l’attention des pouvoirs publics. Le Conseil national du numérique, à la demande des ministres de l’Économie et
des Finances, du redressement productif et du ministre déléguée en charge de l’Innovation, des Petites et moyennes entreprises et de l’Économie numérique, a
rendu un rapport en 2014 contenant en particulier un certain nombre de préconisations afin d’encadrer l’activité des plateformes (CNNum, Rapp. Neutralité des
plateformes, Réunir les conditions d’un environnement numérique ouvert et soutenable, mai 2014). De son côté, le Conseil d’État, après avoir brièvement évoqué
la perspective d’un encadrement de l’économie des plateformes dans son étude annuelle pour l’année 2014, plus généralement consacrée aux défis du
développement du numérique (Conseil d’État, Étude annuelle 2014, Le numérique et les droits fondamentaux, Avant-propos de J.-M. Sauvé, p. 20 et s.), a
réservé son étude annuelle pour l’année 2017 à l’examen de l’économie des plateformes. Il a été ainsi particulièrement souligné la nécessité d’accompagner
cette « ubérisation » de l’économie (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc.). La compréhension de la notion de plateforme en ligne représente le préalable
indispensable afin non seulement d’en mesurer le succès mais aussi et d’en envisager ultérieurement le régime juridique.

§ 2 Définition –
Puisant son origine dans le langage informatique, le terme « plateforme » renvoie initialement à un système informatique caractérisé par son processeur, ses
composants matériels et les logiciels qu’il permet d’utiliser. Aujourd’hui, il évoque également un ensemble d’idées et de principes sur lesquels on s’appuie pour
présenter une politique commune (V. J. Sénéchal, L’opérateur de plateforme en ligne, régulateur économique par fourniture de prestations de services
interpersonnelles, un phénomène complexe à saisir selon trois approches de droit économique transversales et complémentaires, in Rôle et responsabilité des
opérateurs de plateforme en ligne : approche(s) transversale(s) ou approches sectorielles : Colloque université Paris I, 24 nov. 2016 : éd. IRJS, 2018, p. 3-4). Sur
la base de cette dimension systémique, la notion de plateforme numérique a vu le jour. Utilisant l’intelligence artificielle et les algorithmes informatiques (sur la
diversité des algorithmes, V. Ph. Le Tourneau, préc., n° 11.13), la plateforme en ligne est un support technologique créé afin de fournir aux utilisateurs un service
donné par voie numérique. Mais il y a plus. Distincte d’un simple portail internet, la plateforme numérique est conçue afin de permettre aux utilisateurs de
disposer d’une individualisation maximale du service proposé (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 37. – V. aussi, Ph. Le Tourneau, ibid.). À vrai dire,
elle organise un véritable écosystème favorisant les interactions. Il s’agit tout d’abord d’interactions entre la plateforme et ses utilisateurs. Grâce à son algorithme
d’analyse des comportements antérieurs, Netflix ne se contente ainsi pas de proposer des films ou des séries mais offre un service personnalisé à ses abonnés,
dont les pages d’accueil vont notamment s’adapter à leurs goûts (L’expérience Netflix, l’aboutissement d’un écosystème maitrisé à la perfection : Lemonde.fr,
9 mars 2018). La plateforme en ligne peut même constituer une structure à partir de laquelle d’autres vont pouvoir construire à leur profit (V. H. Verdier et N.
Colin, L’âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique : Armand Colin, 2e éd., 2015, spéc. p. 152 et s.). Amazon est, à cet égard,
bien plus qu’un site de vente en ligne en permettant non seulement à ses utilisateurs de vendre eux-mêmes des biens par l’intermédiaire de sa plateforme mais
aussi de trouver toute une gamme de produits web leur permettant de conforter ces activités. Ensuite, les interactions entre utilisateurs représentent l’essence
même de la plateforme en ligne. En effet, la grande particularité des plateformes numériques réside dans le fait qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un marché
biface, c’est-à-dire d’un système favorisant l’interaction entre les deux faces d’un même marché, entre plusieurs « communautés d’utilisateurs qui cherchent à
interagir les unes avec les autres » (J. Tirole, Économie du bien commun : PUF, 2016, chap. 14, I, p. 499). La singularité du modèle économique des plateformes
a été parfaitement saisie par le Conseil national du numérique lorsqu’il indique en 2014 que celles-ci représentent des espaces numériques de « mise en contact
entre l’offre et la demande sur un marché spécifique » (CNNum, rapp. préc., p. 8). Si les sites mettant en contact des fournisseurs et des consommateurs de
biens ou de services répondent à cette définition, il en va de même des réseaux sociaux, compte tenu des informations étant directement partagées entre les
personnes inscrites sur ces plateformes en ligne. Dans son étude annuelle pour l’année 2014, le Conseil d’État a ajusté la définition juridique de la plateforme,
celle-ci étant envisagée comme un prestataire pour le partage de « services de référencement ou de classement de contenus, biens ou services édités ou fournis
par des tiers » (CE, Étude annuelle 2014 préc., p. 172). Ces propositions de définitions ont inspiré le législateur. Créé par la loi n° 2015-1785 du 29 décembre
2015 (L. n° 2015-1785, 29 déc. 2015 : JO 30 déc. 2015 ; JCP E 2016, act. 40), l’article 242 bis du CGI définit la plateforme en ligne comme un espace de “mise
en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou
d’un service”. S’inspirant de la définition proposée précédemment par le Conseil d’État, l’article L. 111-7 du Code de la consommation, issu de la loi n° 2016-1321
du 7 octobre 2016 pour une République numérique (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016 : JO 8 oct. 2017, texte n° 1 ; JCP E 2016, act. 789) offre, quant à lui, la
définition à ce jour la plus aboutie de la plateforme numérique : “Est qualifiée d'opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à
titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur : 1° Le classement ou le référencement, au
moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties
en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service”. Cette définition conduit à une
appréhension large de la notion de plateforme numérique, où l’intermédiation occupe une place centrale.

§ 3 Intermédiation –
L’intermédiation est l’élément cardinal de la définition des plateformes numériques, celles-ci étant qualifiées d’intermédiaires « d’un genre nouveau » (N. Mathey,
L’ubérisation et le droit des contrats : l’immixtion des plateformes dans la relation contractuelle, in Actes du Colloque Le droit civil à l’ère du numérique, Paris II,
21 avr. 2017 : éd. LexisNexis, n° 2, p. 9). Elle est tout d’abord présente dans le 2° de l’article L. 111-7 du Code de la consommation, qui évoque la “mise en
relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service”.
Face au dédale d’informations circulant sur internet, les plateformes aident ainsi leurs utilisateurs à se mettre en contact avec les partenaires et les produits les
mieux adaptés à leurs demandes, leur faisant ainsi gagner du temps et de l’argent. Ensuite, bien que moins apparente, la notion d’intermédiation est également
présente dans le 1° de l’article L. 111-7 du Code de la consommation, visant le “classement ou le référencement au moyen d’algorithmes informatiques de
contenus, biens ou services proposés ou mis en ligne par des tiers”. La formule comprend tout d’abord la catégorie des infomédiaires, néologisme désignant les
opérateurs offrant un accès organisé aux informations circulant sur internet (J. Sénéchal, La diversité des services fournis par les plateformes en ligne et la
spécificité de leur rémunération un double défi pour le droit des contrats, 1re partie : AJCA 2016, p. 79 et s.). Les moteurs de recherche, listant au profit de leurs
usagers des contenus, biens ou services proposés par des tiers sur internet, sont ici clairement visés, le référencement pouvant s’assimiler à une opération d’
intermédiation comme la jurisprudence l’a déjà admis en droit de la distribution (Cass. com., 28 mai 1991, n° 89-20.575 : JurisData n° 1991-001612. – Cass.
com., 17 mars 2004, n° 01-10.103 : JurisData n° 2004-022973, qualifiant de « courtier » la centrale ayant référencé des fournisseurs et prestataires auprès de
ses adhérents. Sur la nature juridique du référencement, V. Ph. Le Tourneau, préc., n° 43.06). De même, le mot « référencement » a pour objectif d’inclure dans
la notion de plateforme les comparateurs de prix (V. Dossiers législatifs de l’Assemblée nationale, Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République
numérique : Rapp. n° 3902 de L. Belot, 29 juin 2016, obs. ss art. 22). Mais cela n’est pas tout. La référence à des biens ou services “proposés ou mis en ligne par
des tiers”, employée par le 1° de l’article L. 111-7 du Code de la consommation, doit permettre d’englober dans la définition de l’opérateur de plateforme en ligne
les services consistant pour une plateforme à mettre à disposition du public, pour son propre compte, des contenus édités par des tiers. Les services de
téléchargement en ligne (downloading) ou de diffusion en continu (streaming) de produits culturels (Netflix, Napster, Spotify, Deezer, etc.) relèvent ainsi de l’
activité de plateformes numériques, malgré qu’aucun contrat ne soit conclu entre les éditeurs de contenus et les utilisateurs de ces services. Cette situation
souligne qu’une conception étroite de l’intermédiaire, qui ne serait qu’une personne mettant en relation des parties en vue de la conclusion entre elles d’une
convention, doit être rejetée. L’intermédiaire se conçoit plus largement comme celui qui se trouve au milieu d’une relation entre deux extrémités, laquelle n’est
pas nécessairement contractuelle. Cette acception est cependant bornée par le texte de l’article L. 111-7 du Code de la consommation. En effet, malgré l’
ambiguïté de la formule “proposés…par des tiers”, l’article L. 111-7 ne semble pas intégrer dans le giron de la notion de plateformes les sites web marchands qui
vendent à leurs clients des biens acquis auprès de tiers (comp., Autorité de la concurrence, Observations 10 nov. 2015 sur le projet de loi pour une République
numérique, p. 8, pour qui la formule de l’article L. 111-7 pourrait également comprendre les biens « fournis ou produits par des tiers ») car ces biens ne peuvent
plus alors véritablement être « proposés » par ces mêmes tiers. Cette limitation traduit la volonté du législateur de ne pas étendre les obligations des plateformes,
notamment de loyauté, à tous les sites internet quel que soit leur champ d’activité (Dossier législatif de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, préc., Étude d’
impact, p. 86 : « seules les activités consistant à référencer, classer des contenus, des biens ou services proposés ou mis en ligne par des tiers ou de mettre en
relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente, de la fourniture d’un bien ou service, y compris non rémunérées, entrent dans le champs de la
mesure. Cette limitation permet d’éviter d’imposer une obligation d’information à tous les sites Internet quel que soit leur champ d’activité »).

§ 4 Distinction –
L’appréhension de la notion de plateforme numérique ne peut se contenter des développements qui précèdent. Aussi, est-il nécessaire de distinguer la notion de
plateforme numérique des notions voisines que sont celles d’hébergeur et d’éditeur en ligne. Transposant tardivement la directive européenne 2000/31/CE
« commerce électronique » du 8 juin 2000, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la « confiance dans l’économie numérique » (« LCEN » : JO 22 juin 2004,
p. 11168 ; JCP G 2004, act. 349, obs. E. Derieux) a défini les hébergeurs en ligne comme “les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre
gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de
messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services” (LCEN, art. 6, I, 2). N’ayant pas la maîtrise des données diffusées, l’hébergeur n’est qu’
un intermédiaire technique qui bénéficie d’un régime de responsabilité allégée : lorsque les données stockées sont illicites, il ne peut ainsi voir sa responsabilité
civile ou pénale engagée s’il n’a pas eu connaissance du caractère illicite de ces données ou s’il a agi promptement dès le moment où il en a eu connaissance (
LCEN, art. 6, I, 2 et 3). Au contraire, l’éditeur d’un site, allusivement défini par l’ article 6, III de la loi du 21 juin 2004 , encourt une responsabilité pleine et entière
en cas de contenus illicites car il est en principe à l’origine de la diffusion de ceux-ci (V. B. May, Responsabilité des acteurs du web 2.0 : l’histoire sans fin : JCP E
2008, 1540). Quelles relations entretient, dès lors, la notion de plateforme avec celles d’hébergeur et d’éditeur ? Il est patent que la plateforme en ligne ne saurait
être assimilée à un hébergeur ou un éditeur car l’intermédiation sur laquelle elle repose lui assure une véritable autonomie notionnelle. Cependant, une
plateforme numérique peut parfaitement être qualifiée, selon le cas, d’hébergeur ou d’éditeur, soulignant les liens existants entre ces notions. La plupart des
plateformes en ligne auront au surplus la qualité d’hébergeur en ce qu’elles stockent des contenus. Les sites de Google, Facebook, Netflix ou AirBnB sont ainsi
non seulement des plateformes mais aussi des hébergeurs puisqu’ils abritent des contenus à la disposition du public, au sens de l’article 6, I, 2 de la loi n° 2004-
575 du 21 juin 2004. Cependant, toutes les plateformes ne sont pas des éditeurs, la qualification étant réservée à celles ayant un rôle actif dans la diffusion des
contenus. La célèbre plateforme de vente aux enchères en ligne, Ebay, en est un parfait exemple. En conflit avec plusieurs propriétaires de marques de luxe qui
lui reprochaient son inaction face à la vente en ligne de produits contrefaits, Ebay a vu sa responsabilité engagée dans plusieurs affaires tant par la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE, 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal c/ Ebay : JurisData n° 2011-021879 ; Europe 2011, comm. 320, obs. L. Idot) que par la
chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-10.505 : JurisData n° 2012-009758. – Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-10.507 :
JurisData n° 2012-009759. – Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-10.508 : JurisData n° 2012-009435 ; D. 2012, p. 1261, obs. C. Manara ; D. 2012, p. 2331, obs.
L. d'Avout ; D. 2012, p. 2343, obs. P. Tréfigny ; Comm. com. électr. 2012, comm. 74, obs. Ch. Caron) sur la base de la reconnaissance d’un statut d’éditeur de
contenus. Son rôle actif dans la diffusion des contenus illicites a été déduit non pas du simple stockage d’offres de vente illicites mais de l’existence d’actions
associées : optimisation des ventes, aide dans la description des objets, mise en place d’un service d’assistance aux vendeurs, envoi de messages spontanés
aux acheteurs pour les inciter à acquérir des objets… Au-delà, cette illustration laisse entrevoir les grandes lignes d’une catégorisation des plateformes
numériques. À côté des « plateformes techniques », dont le rôle est passif car limité à l’hébergement de contenus et l’aide technique à la formalisation de l’
opération, deux autres catégories se profilent en fonction du degré de contrôle de l’opération sous-jacente. Les « plateformes accompagnatrices », comme l’est
Ebay, sont celles qui, sans s’immiscer dans les relations entre les usagers, facilitent activement les opérations recherchées. Les « plateformes directrices »,
comme l’est Uber, ont quant à elles la maîtrise des opérations en en déterminant les caractéristiques essentielles, catégorie d’ores et déjà reconnue par le
législateur en droit du travail (C. trav., art. L. 7342-1 ; V. n° 7).

§ 5 Disruption –
« À l’avenir, la valeur ajoutée se situera essentiellement dans le traitement des données ». Cette phrase de Jean Tirole (J. Tirole, préc., chap. 15, II, p. 533) met
en évidence la matière première des plateformes en ligne : les données numériques. En effet, l’intermédiation est fondamentalement une opération de traitement
de l’information dont dispose l’opérateur, lui permettant d’identifier les correspondances possibles entre producteurs et consommateurs. L’opérateur d’
intermédiation doit ainsi connaître au mieux les acteurs en présence afin de mettre en œuvre une mise en relation pertinente et efficace. C’est le big data, c’est-à-
dire l’ensemble des données numériques exploitables accumulées sur l’internet, auxquelles les opérateurs classiques n’ont pas accès, qui permet aux
plateformes en ligne de proposer au public des services d’intermédiation personnalisés et de prospérer (CNNum, rapp. préc., p. 13). C’est que l’utilisation de ces
données, combinée à celle de la gigantesque toile d’araignée qu’est l’internet, leur permet ainsi de profiter d’un effet de réseau redoutable : plus la plateforme
dispose de données numériques, plus elle peut disposer d’utilisateurs ; plus elle dispose d’utilisateurs, plus elle peut disposer de services tiers ; plus elle dispose
de services tiers, plus elle peut disposer d’utilisateurs. Les plateformes mettent par conséquent en scène la multitude (H. Verdier et N. Colin, L’âge de la
multitude, préc., spéc. p. 159 et s.), en permettant une démultiplication sans coût supplémentaire du nombre de producteurs d’informations, de biens ou de
services différent et/ou du nombre de consommateurs qui peuvent interagir ensemble sur des marchés bifaces (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 37).
Elles sont ainsi plus compétitives car la multitude sur laquelle elles reposent les enrichisse en faisant constamment évoluer leurs contenus. Elles bouleversent par
conséquent profondément l’activité des acteurs économiques traditionnels car elles ont la capacité de se glisser à leur place et plus efficacement entre les
utilisateurs et les producteurs de biens et de services : c’est l’effet disruptif. En effet, alors même que leurs activités reposent sur l’intermédiation, les plateformes
en ligne génèrent un processus de désintermédiation par leur substitution aux nombreux intermédiaires de l’économie traditionnelle, dont elles finissent par capter
une part des profits. Elles offrent ainsi à leurs utilisateurs un accès direct à un marché immense. En aplanissant le marché, les plateformes participent d’une
« horizontalisation » de la société selon un mode opératoire qui diffère profondément du modèle d’organisation pyramidale des échanges ayant fondé la richesse
des grandes multinationales de biens ou de services dans les secteurs économiques traditionnels depuis le début du XIXe siècle (Conseil d’État, Étude annuelle
2017, préc., p. 53). Alors que ces dernières pénètrent les territoires par le haut et doivent préalablement se mettre en conformité avec un cadre légal et
réglementaire souvent contraignant, le cas échéant en négociant avec les autorités compétentes, les plateformes en ligne pénètrent les territoires par le bas, en
touchant à distance et directement les citoyens qui adoptent leurs services sans restriction. Il en résulte que les contradictions pouvant apparaître entre les
autorités et les plateformes se posent a posteriori, une fois que les plateformes ont déjà une présence importante sur le territoire et peuvent se prévaloir d’une
adhésion, voire du plébiscite d’une part non négligeable de la population. Il peut dès lors paraître politiquement et économiquement risqué de s’opposer
frontalement aux activités établies des plateformes en ligne sur le territoire concerné. Cet effet disruptif des plateformes se nourrit indéniablement des spécificités
de l’internet. Lieu étrange où « le centre en est partout et la circonférence nulle part » (M. Vivant, Internet, Répertoire de droit international : Dalloz, 2017, n° 2), l’
internet est un ensemble de réseaux sans gouvernance et sans frontière (M. Vivant, préc., n° 2-3) permettant ainsi aux plateformes de toucher librement et
efficacement une immensité d’utilisateurs. Cela ne signifie pas pour autant qu’il échappe au droit. Dans un monde où les principaux acteurs du numérique sont
étrangers, le droit international privé, notamment le règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)
et le règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire (Bruxelles I), joue un rôle essentiel afin de déterminer la loi applicable à l’
internationalité des relations entre les plateformes en ligne et leurs usagers. Qu’elle résulte ou non des principes du droit international privé, l’application du droit
interne se heurte cependant souvent à l’effet disruptif des plateformes, posant alors la question d’une adaptation du droit.
§ 6 Régulation –
À vrai dire, l’idée d’un encadrement de l’activité des plateformes en ligne fait aujourd’hui consensus en raison des bouleversements que celles-ci induisent (V. les
rapports du Conseil national du numérique et du Conseil d’État, préc. n° 1. – Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc.). Les perturbations du paysage juridique
sont nombreuses et pluridisciplinaires. Au titre des principales difficultés pouvant de présenter, il convient tout d’abord d’évoquer le cas du droit de la
concurrence, lequel est tout particulièrement concerné. En effet, compte tenu de l’effet de réseau sur lequel elles s’appuient, les plateformes numériques ont une
tendance naturelle à la concentration et à la domination sur leurs marchés respectifs (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 72), pouvant ainsi conduire à
des pratiques restrictives de concurrence. Ce sont les marchés bifaces (sur ce point, V. préc. n° 2) qui sont en premier lieu visés dans la mesure où ceux-ci
conduisent fréquemment les plateformes à pratiquer des prix très faibles d’un côté du marché pour attirer des utilisateurs et des prix très élevés de l’autre côté (V.
J. Tirole, préc., chap. 14, II, p. 505). Si les utilisateurs de Google bénéficient gratuitement de nombreux services extrêmement utiles (moteur de recherche, e-mails
, plans des villes, etc.), les annonceurs, de l’autre côté du marché, payent des sommes très élevées afin de pouvoir présenter leurs offres au moyen de cette
plateforme. La difficulté provient alors de ce qu’un prix faible ou nul pratiqué d’un côté du marché peut être considéré comme un prix prédateur, destiné à affaiblir
la concurrence, tandis qu’un prix très élevé de l’autre côté du marché peut caractériser une pratique de prix excessifs. Ces pratiques pouvant être sanctionnées
sur le terrain de l’abus de position dominante, c’est le modèle économique de certaines plateformes qui pourrait ainsi être remise en cause, sauf à considérer que
le droit de la concurrence doit être adapté à la spécificité des marchés bifaces (en ce sens, J. Tirole, préc., chap. 14, IV, p. 516-517). En second lieu, les
plateformes interviennent de façon croissante au sein des industries traditionnelles (hôtellerie, restauration, automobile, etc.) et pourraient être tentées de s’
appuyer sur leur position d’intermédiaire pour contrôler la relation entre les différentes faces du marché. Ainsi, l’une d’entre elles, mettant en relations des
personnes dans le milieu de l’hôtellerie et ayant investi au sein de certains hôtels, pourrait-elle orienter son activité d’intermédiation afin de préserver et favoriser
ses investissements. Pareilles pratiques peuvent alors s’avérer également restrictives de concurrence et appellent une régulation.

Mais cela n’est pas tout. « Grâce au numérique, le secteur non-marchand fait irruption dans l’économie, jusqu’à la submerger » (H. Verdier et N. Colin, L’âge de
la multitude, préc., p. 106), perturbant d’autres matières que le droit de la concurrence. En effet, la distinction entre professionnel et non professionnel, dont
dépend traditionnellement l’application des règles du droit commercial et du droit de la consommation, semble difficilement compatible avec l’activité des
plateformes, fondée sur la transformation en producteurs occasionnels de biens ou de services de très nombreux acteurs n’exerçant pas l’activité considérée à
titre professionnel (V. Ph. Le Tourneau, préc., n° 11.15, observant que « chaque individu peut se transformer en producteur !). Ainsi en est-il de l’utilisation de la
plateforme d’AirBnB où la multitude d’utilisateurs occasionnels entre alors frontalement en concurrence avec les professionnels de l’hôtellerie, sans être pour
autant soumise aux règles professionnelles applicables au secteur d’activité concerné. Comment l’usager souhaitant utiliser les services proposés à travers cette
plateforme peut-il alors connaître le statut exact de son interlocuteur avant de s’engager ? Comment peut-il précisément appréhender le droit ayant vocation à
régir la relation contractuelle qu’il s’apprête ainsi à nouer ? Par conséquent, les nouveaux modes d’échanges économiques offerts par l’intermédiaire des
opérateurs de plateformes en ligne rendent incertaine l’application du droit de la consommation au profit des usagers des services proposés (N. Mathey, art.
préc., n° 10, p. 11), si bien que la distinction entre le professionnel et le consommateur semble se diluer dans l’univers des plateformes numériques. Face à cette
situation, la question de l’ajustement des règles existantes se pose, voire celle de la substitution d’autres concepts mieux adaptés au développement de l’
économie des plateformes (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 78). Cependant, une telle perspective pose en réalité davantage de questions qu’elle ne
semble pouvoir en résoudre. L’usager non professionnel proposant ses services à d’autres au moyen d’une plateforme en ligne doit-il être strictement soumis aux
mêmes règles applicables aux professionnels du secteur d’activité, en particulier aux règles du droit commercial, du droit de la consommation et du droit fiscal,
alors qu’il peut être culturellement et économiquement plus faible ? La question du degré d’obligation pertinent se pose alors avec acuité. En outre, l’usager
concerné doit-il en même temps être considéré comme un consommateur vis-à-vis de la plateforme numérique et bénéficier ainsi de la protection du droit de la
consommation ?

Au-delà des propos qui précèdent, le droit du travail est également profondément perturbé par l’activité des plateformes numériques, lesquelles tendent à brouiller
la caractérisation de la relation de travail entre employeurs et salariés. L’encadrement par Uber de la relation nouée entre des chauffeurs autoentrepreneurs ou
occasionnels et des utilisateurs, s’agissant notamment des tarifs pratiqués, ne révèle-t-il pas l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et ces
travailleurs ? L’enjeu d’une telle caractérisation est important puisque celle-ci conditionne l’application des règles relatives au statut de salarié. Si la protection des
prestataires des plateformes ainsi que des concurrents de celles-ci constitue un objectif louable, le modèle économique des plateformes peut se trouver en même
temps menacé par l’établissement d’une relation de travail. L’émergence d’un « exosalariat » propre à certaines plateformes (G. Loiseau, Plateformes
numériques ayant recours à des autoentrepreneurs : le risque de « désalarialisation : Comm. com. électr. 2018, comm. 35) appelle inéluctablement des réponses
de la part du droit.

Au rang des perturbations, comment ne pas évoquer, par ailleurs, les difficultés actuelles du droit fiscal français reposant sur la règle de la territorialité, face aux
revenus générés par les activités des grandes plateformes numériques étrangères dans l’espace numérique national ? Le territoire français ne correspondant pas
à l’espace numérique français, ces géants de l’internet voient leurs revenus échapper en grande partie à l’impôt, leur procurant en conséquence un avantage
concurrentiel significatif par rapport aux entreprises françaises (V. Renoux et S. Bernard, Quelle imposition des revenus de l’économie numérique : Dr. fisc. 2017,
n° 39, 477 ). En la matière, une régulation de l’économie des plateformes peut sembler opportune, nécessitant une adaptation de la règle juridique de la
territorialité de l’impôt.

Enfin, parmi les principales difficultés juridiques posées par l’activité des plateformes en ligne, se trouve celle d’une régulation de l’utilisation des données
numériques. Celles-ci regroupent tant les données personnelles communiquées directement par les utilisateurs des plateformes en ligne, et plus généralement
par les usagers des sites internet, que les traces d’usage, c’est-à-dire les traces que chacun laisse lorsqu’il utilise l’internet. En effet, les plateformes, dont les
géants sont des entreprises étrangères, disposent d’une quantité d’informations toujours plus considérable sur les activités humaines et les données qu’elles
récoltent les mettent en capacité de développer une connaissance en temps réel de toutes les interactions entre les acteurs à travers le monde. Elles accumulent
ainsi des informations sur les activités et la population des territoires, parfois plus étoffées que celles dont peuvent disposer les pouvoirs publics. Au-delà des
difficultés politiques inhérentes à cette situation, un problème majeur concerne la confidentialité et l’appropriation des données numériques. La confidentialité des
données personnelles traitées par les opérateurs de plateformes en ligne présente un enjeu majeur. Comment assurer le respect des données personnelles des
clients des opérateurs de plateformes en ligne ? Plus avant, le propos se prolonge nécessairement sur le terrain de l’appropriation de ces données.
Appartiennent-elles à l’utilisateur ou bien à la plateforme ? Tel est le problème de la portabilité des données, à l’intérieur d’un système où celles-ci se situent au
cœur du modèle économique des plateformes numériques. Là encore, le besoin d’encadrement est évident. Si l’utilisateur peut légitimement prétendre à l’
appropriation des données le concernant, les plateformes ne manqueront pas d’afficher des prétentions identiques, en arguant du fait qu’elles investissent dans le
traitement de ces données concourant ainsi à la création de la valeur qu’elles représentent (J. Tirole, préc., chap. 15, II, p. 535-536, citant l’exemple de Booking.
com qui investit massivement afin d’éviter les manipulations dans les notations des hôtels référencés) ou bien que leur appropriation trouve une contrepartie dans
la gratuité de certains services procurés aux usagers. Un dernier aspect du problème relatif aux données numériques concerne les traces d’usage. Distinctes des
données personnelles des utilisateurs des plateformes, ces données sont une véritable mine d’or pour les plateformes en ligne en ce qu’elles participent de l’effet
de réseau dont celles-ci bénéficient. Regroupées, traitées et combinées dans des bases de données, elles peuvent révéler des informations significatives
permettant de profiler les personnes afin d’effectuer un ciblage commercial, très utile au marketing du web. Au plan juridique, ces traces numériques posent de
nombreuses questions, en particulier celles de leur nature, de leur appropriation ainsi que, plus généralement, de leur régime.

§ 7 Vers un droit des plateformes numériques –


Avec la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, le droit français s’est doté d’un corps de règles significatif face à l’activité
numérique, qui ne permet cependant pas de répondre pleinement aux difficultés posées aujourd’hui par les plateformes en ligne. Devant cette situation, la
création de toutes pièces d’un droit dérogatoire pour les plateformes en ligne ne constitue pas l’option aujourd’hui privilégiée, laquelle réside davantage dans l’
adaptation au cas par cas du droit existant (Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 9). Le droit commun a par conséquent vocation à régir l’activité des
plateformes dans la mesure où aucun texte particulier ne l’exclut (rappr., N. Mathey, art. préc., n° 2, p. 9, privilégiant une approche où « le droit commun peut
servir d’outil d’analyse des phénomènes nouveaux »). Le droit des contrats doit ainsi encadrer les relations que la plateforme entretient avec ses utilisateurs. Si
celle-ci est qualifiée de commerçante, elle doit respecter les règles du droit commercial, de même qu’elle devra s’abstenir de tout abus de concurrence. Les
règles issues du droit de la consommation sont alors applicables aux rapports qu’elle noue avec ses utilisateurs consommateurs. Le droit social régit également
les relations qu’elle peut avoir avec ses salariés, ce qui peut être le cas vis-à-vis de ses propres utilisateurs professionnels lorsque ceux-ci sont placés sous son
autorité en raison d’un lien de subordination. Par ailleurs, la plateforme ne doit pas pouvoir échapper à l’application des règles fiscales, par souci d’équité vis-à-vis
des autres acteurs économiques exerçant les mêmes opérations selon d’autres modalités (en ce sens, Conseil d’État, Étude annuelle 2017, préc., p. 19 et 146,
qui préconise néanmoins une adaptation du droit positif en la matière). Enfin, outre la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, l’activité des plateformes doit également
respecter le règlement n° 2016/679 en date du 26 avril 2016 ( règl. (UE) n° 2016/679, 27 avr. 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE , dit « règlement général sur la
protection des données » ou « RGPD » : JOUE 4 mai 2016, p. 1 à 88), applicable au sein des états membres depuis le 25 mai 2018, ainsi que la loi n° 2018-493
du 20 juin 2018 (L. n° 2018-493, 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles : JCP A 2018, 2199), ayant développé la protection des données
personnelles.

Cependant, l’adaptation du droit est en même temps une nécessité devant permettre la réglementation de certains aspects de l’activité des plateformes qui ne
peuvent être atteints par la loi commune. Ainsi s’expliquent les principaux choix opérés par le législateur depuis quelques années face au développement de l’
économie des plateformes. Adaptant le Code du travail en la matière, la loi dite « loi Travail » n° 2016-1088 du 8 août 2016 (L. n° 2016-1088, 8 août 2016,
relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : JO 9 août 2016, texte n° 3 . – V. not. sur cette loi, JCP
E 2016, 1470. – C. trav, art. L. 7342-1 et s.), précisée par le décret n° 2017-774 du 4 mai 2017 (D. n° 2017-774, 4 mai 2017 : JCP S 2017, act. 153), a tout d’
abord jeté les bases d’un droit professionnel des travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs
plateformes de mise en relation par voie électronique. Afin d’éviter des distorsions de concurrence trop importantes avec les autres professionnels, le législateur y
consacre une responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’
échange ou du partage d’un bien ou d’un service. La seconde intervention significative du législateur s’est manifestée à travers la loi « pour une République
numérique » n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016), précisée par les décrets n° 2017-1434 (D. n° 2017-1434, 29 sept. 2017 relatif aux
obligations d'information des opérateurs de plateformes numériques : JO 5 oct. 2017, texte n° 22 ; JCP E 2017, act. 727), n° 2017-1435 (D. n° 2017-1435,
29 sept. 2017 relatif à la fixation d'un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plateformes en ligne élaborent et diffusent des bonnes pratiques pour
renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs : JO 5 oct. 2017, texte n° 23 ; JCP G 2017, 1087 ; JCP E 2017,
act. 727 ; CDE 2017, act. 2) et n° 2017-1436 (D. n° 2017-1436, 29 sept. 2017 relatif aux obligations d'information relatives aux avis en ligne de consommateurs :
JO 5 oct. 2017, texte n° 24 ; JCP G 2017, 1087 ; JCP E 2017, act. 727 ; CDE 2017, act. 2) du 29 septembre 2017. Dans le prolongement de la loi n° 2015-990
du 6 août 2015 pour le croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (L. n° 2015-990, 6 août 2015 : JO 7 août 2015 ; JCP E 2015, 1405, M.-E.
Pancrazi), le principe de loyauté des plateformes y est notamment affirmé, à travers une série de mesures destinées à assurer une information spécifique des
consommateurs (C. consom., art. L. 111-7 à L. 111-7-2). Une autre intervention législative a pris les traits de la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016, relative à
la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public de personnes (L. n° 2016-1920, 29 déc. 2016 : JO 30 déc. 2016,
texte n° 4 ; D. 2017, p. 314, note Ph. Delebecque. – C. trans., art. L. 3142-3). Il y est prescrit la responsabilité de plein droit des centrales de réservation vis-à-vis
des clients pour la bonne exécution des obligations du contrat de transport, que celui-ci ait été conclu à distance ou non. Enfin, l’article 87 de la loi de finance
n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 (L. fin. n° 2015-1785, 29 déc. 2015, de finances pour 2016 : JO 30 déc. 2015 ; JCP E 2016, act. 40) ainsi que le décret
n° 2017-126 du 2 février 2017 (D. n° 2017-126, 2 févr. 2017 relatif à l'obligation d'information en matière fiscale et de prélèvements sociaux des utilisateurs de
plates-formes de mise en relation par voie électronique : JO 3 févr. 2017, texte n° 11 ; JCP E 2017, act. 126) ont organisé une obligation d’information des
utilisateurs à la charge des plateformes mettant en relation des personnes en vue de la vente, la fourniture, l’échange ou le partage d’un bien ou d’un service (
CGI, art. L. 242 bis ). Les utilisateurs concernés doivent être en particulier informés de leurs obligations fiscales et sociales. Ces obligations ont été précisées et
renforcées par l’article 10 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (L. n° 2018-898, 23 oct. 2018 : JO 24 oct. 2018, texte n° 1 ),
ayant mis à la charge des plateformes des obligations déclaratives sur les revenus des utilisateurs. Enfin, peut-on indiquer que la loi n° 2018-1202 du
22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information (L. n° 2018-1202, 22 déc. 2018 : JO 23 déc. 2018, texte n° 2 ) prévoit certaines
obligations en la matière à la charge des plateformes définies par l’article L. 111-7 du Code de la consommation. Il est ainsi notamment prévu une modification du
Code électoral afin de créer une obligation de transparence des opérateurs de plateformes afin de lutter contre les fake news lors des grandes élections
nationales (création des articles L. 163-1 et 163-2 du Code électoral). Par ailleurs, d’autres adaptations sont à prévoir à l’avenir. À cet égard, convient-il de
mentionner le projet de règlement européen sur la promotion de l’équité et de la transparence pour les utilisateurs de services d’intermédiation en ligne, rendu
public par la Commission le 26 avril 2018 (V. A.-S. Choné-Grimaldi, Proposition de règlement sur les plateformes en ligne : LEDICO, juill. 2018, p. 4), et dont l’
objectif est de rééquilibrer les relations entre les plateformes numériques et les professionnels ayant recours aux services de ces intermédiaires pour vendre des
biens ou des services.

Il est aujourd’hui certain que le législateur a les yeux rivés sur les plateformes numériques et que rien ne peut les en détourner. S’il n’est pas question d’élaborer
globalement un droit sur mesure pour les plateformes, force est de constater qu’un processus d’adaptation du droit positif s’est néanmoins enclenché et que l’on
se dirige vers un droit des plateformes en ligne (G. Loiseau, Vers un droit des plateformes numériques : Comm. com. électr. 2016, comm. 51), composé du droit
commun leur étant applicable ainsi que des dispositions spéciales ayant vu le jour. L’étude de ce droit des plateformes nécessite en premier lieu d’aborder l’
ensemble des dispositions communes à ces dernières, c’est à dire le droit commun des plateformes numériques. Cependant, des dispositions propres à certaines
catégories de plateformes ont progressivement vu le jour, nécessitant d’examiner le droit spécial des plateformes numériques. L’exposé du droit commun et du
droit spécial des plateformes s’inscrit dans le cadre de fascicules distincts.

Bibliographie
Ouvrages généraux et revues
A.-S. Choné-Grimaldi
Proposition de règlement sur les plateformes en ligne : L’essentiel Droit de la distribution et de la concurrence (LEDICO), juill. 2018, p. 4

Conseil d’État
Le numérique et les droits fondamentaux : Étude annuelle, 2014
Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation » : Étude annuelle, 2017

Conseil national du numérique


Neutralité des plateformes, Réunir les conditions d’un environnement numérique ouvert et soutenable : mai 2014

Ph. Le Tourneau
Contrats du numérique, Informatiques et électroniques : Dalloz Référence, 10e éd., 2018/2019

G. Loiseau
Plateformes numériques ayant recours à des autoentrepreneurs : le risque de désalarialisation : Comm. com. électr. 2018, comm. 35

N. Mathey
L’ubérisation et le droit des contrats : l’immixtion des plateformes dans la relation contractuelle, in Le droit civil à l’ère du numérique, Actes du Colloque du Master
2 de Droit privé général et du Laboratoire de droit civil, Paris II, 21 avr. 2017

B. May
Responsabilité des acteurs du web 2.0 : l’histoire sans fin : JCP E 2008, 1540

V. Renoux et S. Bernard
Quelle imposition des revenus de l’économie numérique : Dr. fisc. 2017, n° 39, 477

J. Sénéchal
La diversité des services fournis par les plateformes en ligne et la spécificité de leur rémunération, un double défi pour le droit des contrats : 1re partie : AJCA
2016, p. 79 et s
L’opérateur de plateforme en ligne, régulateur économique par fourniture de prestations de services interpersonnelles, un phénomène complexe à saisir selon
trois approches de droit économique transversales et complémentaires, in Rôle et responsabilité des opérateurs de plateforme en ligne : approche(s) transversale
(s) ou approches sectorielles, Colloque université Paris I du 24 novembre 2016 : Institut de recherche juridique de la Sorbonne (IRJS), 2018, p. 3 et s

J. Tirole
Économie du bien commun : PUF, 2016

H. Verdier et N. Colin
L’âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique : Armand Colin, 2e éd., 2015

M. Vivant
Internet : Répertoire Dalloz de droit international, 2017

© LexisNexis SA

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