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170 l'irr I rlu l.ilrrl : rllc iltLrorlrlr.

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ì1 s'agìt dc coltsiclórcr sLrcccssivcnìcn


chacrLnc cle ccs te cltnic-¡ues et cl,ir¡rprcr
tout cle pl-i'ciscl. lcul-s f<ltctìo¡s lirnl
lliucnt r.rotre irppréllc¡siorr tl,nltc <--
Clo t.r-r l'r.t cnt focalisent-eil e.s n otrc a ttc
col'ìtntcltt cllcs sont iì I,originc clc ses
atr scir.r cl'r,rn fìlnr ; comnrent cllcs r.év
colrcì i tion r.rcnt n os ró¿rc1iolts.

Nous vcl'rons ¡ussi c1¡.rns cette troisièt


prc systènrc ltormcl, c1ótcnriné

fillls
¡rirr
signitantc cles tcchniclues qLtc l.ìolrs iì
t-lrontr.eront cluc torLt róalisateur
Le plan :
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style -
clóconv
techniclucs cinérnrtogr.uphiclr-rcs _ s1i¡
rcfulnnrent cic sa fbnic globalc. Nous la mise en scene
e ct ce qrrc uous irrrot.rs ir¡rpclf ìc systùurc
fòrmel if, ìc stylc pcut pennettr. ¿. làirc prrr-
gresscr la chainc causalc, cróer.clcs prrrallòlcs,
ltranil¡ulcl. lcs l.clatiot.rs cn1 rc lc
rócit ct l'histoire ott alilr-lcttter lc llot clcs inlìl nratirns
u¿r.ativcs. Milis ccrtai-
llcs trtilisatitllls cles tcchniqttcs cinónratogrrphiclucs
irltil.cnt lLrssì l,¿rt1cr1j.'
sur cles Quoi c¡tl'il cl.t soit, llotts allons levcnir colrstiuìlrìlcut,
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str'cc problèr'nc clcs rchtio'.s c't.c la lì¡.'c
llllì,[ ïfi]''

l,a nrise en scène est la plus lìnrilièrc clcs tcchrri,.ltrcs ciuónrrtogrtphic¡.res. On


r-rc sc souvicnt ¡r¡s toujours cles rnccolcls ou rles tt-ltluvctneuts tle cattróra, clcs
frrnclus cncìrainés ou clcs hors-cìrrn-r¡r sollofcs, mrtis ttn sc stltLvictrt c'les costtt-
nrcs cl'-4¿rlrltl t'tL tttt[¡ttr/clt'ycttt ott cle la ìumièrc tliste et glrrcéc cltri baigrlc lc
Xur¿rdu cle Chal'lcs lìorstcl' l(aue. Nons irvons Lul vif s<tttvctril'cles rttcs sotr
tres ct plnvicrLses c.rt (]ntul SonttttciL, clc l'antrc hbylinthicltle rìLìx éclailagcs
llr-rolcscctrts clc lìttl'falo lìill thlrs Lt: silt:ttct'dcs agrtt'otrx. Olt sc rappcllc cle
Halpo Marx cscallclant lc wirgon rcnrpli dc cacahtLètcs cl'Eclgat'I(ennecl1, tlans
Sotrlrt'¡y7¡ c(Lttilri (Dttck Sott1,, l,eo McCare¡ 1933), de I(.rlherilrc HcPþ¡¡¡¡1
plovcrcltrrnt Cìary (ìr'ant cn bl'isrnt scs r:lubs clc golf clans /rl¡llst:r'(tiotts ('l'ltc
Plil,rdclphiLt Sttor.,¡r, (ìeot'gcs (lukor, lc)40) ou cìc Michacì J. lìox óchirppatrt attx
brrrtcs c1'r.rn collègc sLrr ull sk¿rtc-boarcl in'rprovisó, clitns llckrtrr vcrs Ic J'tLtLtr.l'tt
pltLpart dcs sctrrvcnirs pr'écis cìuc nous llissc lc cinéttta ¡rroviclttrctrl cl'ef' ts cle
rlise en scònc.
172 Partie 3 - Le slyle Chapitre 4 - Le plan : la mise etr scène 173

1. Qu'est-ce que la mise en scène ? alrtrées 1920,


également enthousiaste, trol¡ait ces tnêmes films aussi artifìciels
médiévales. Se concentrer sur le réalisme d'un film ne pernet
q ¡re des éPoPées
< Mettre en scènc > est d'¿rbord unc pratique théâtrale. Les spécialistcs comPte de la divcrsité et de I'inventivité d'ttue mise en scène
cltr pas dc rendre
cinéma ont étendu l'application de cette explession iru contrôlc, par lc réalisa-
Otrservo rls par exemple
ce photogramme extr¿rit dn
teur d'un film, de ce qui apparaît dans le cadre. Lorigine théâtrale cle la mise
Cnlthtct du docteur Caligari
(4.2).I'tt ligne brisée des
en scène est encore présente dans un certain nonbre cle ses caractéristiques tle correspondent
toitures' f inclinaison cles cheminées
techniques : les décors, l'éclairage, les costumes et le cornpor.tement des figu-
sarls doLlte pas à notre
conception ordinaire cle la réa-
res - à cette différellce que c'est toujours poul une carnéra que se fait la mise
lité d'une ville' Critiquer ce fìlm polrr son manque de
du
cn scène cle cinéma. réalisrne serait toutefois peu pertineut, la stylisation
La l-uise en scètre est généralemer-rt planifiée, naris un réalisatetu pcnt êtr.e décor étant ici employée pour représenter f irnaginaire
olrvert à des événements irnprévus : un acteur pcnt, rru cours d'Lrne scène, d'un fou, suivant des conventions em¡rrnntées à la
rajotlter une ré¡rlique, ou Lln changenent inattendu de la lurnièrc peut accrsi- peinture et au théâtre expressiolìnistes.
tre la puissance c1'un effet. Alors qriil ótait Ce sorrt les fonctiorts de la rnise en scène c1u'il faut étu-
cn trailr cle fihrer une cavalelie trrrver-sant dier, non I'adéquation cle tel ou tel de ses élérnents à Figure 4.2
Molrnrnent Valley pour Lc clnrgc héroitlttc rrotre conception cl-r réalisme. Un film pourra utiliser Des pointes irrégulières et des cheminées
(Slrc Wore s Ycllow Ribltttrr, 1949), John la rnise en scè¡e pour créer uue inpression de réa- penchées créent un toit expresstonniste
lisrre, cl'ar-rtres chercheront des effets très différ'ents r
dons cette scène du cabinet du docteur
Ford profita de la ìuurièrc créée par ulì
caligari'
or¿ìge qui approchait pour donner ¿ì l'exagération comicltte, la terrettr surnaturelle, la be¿ruté
I'action un arrière-plan dramatique (4.1). rirffinée, ct bien d'alttrcs elÌcore. La tâchc de I'analyste
Cet olage rcste ur.t élémcltt constitutif clc la est cl'en obselver le fonctionnement clans le tout du fihn - qr.iest-ce qui
n-lisc en scène, l-nêrne si Forcì ne l'a ni prévu l.ntttive cette nise en scène, cotlnent varie-t-elle et se dévelo¡rpe-t-ellc, cou-
ni contrôlé : cc fnt un évóncrucnt provi- rrent entre-t-elle elr relation avec les fomres narr¿ìtivcs et nou u¿rrratives ?
dcntiel qu'il décicìa cf insérer dans I'his-
toire. lean lìenoir', Robert Altn-ran ct 3. Pouvoir de la rnise en scène
cl'autl'es ré¿rlisatcurs ont, c1e la uêrle façon,
Réc|-rirc le cinérna à nne certaine idée clu ré¿tlist-ne i.rppauvrirait l¿r llise elr
Figure 4.1 laissé leurs actcttrs im¡rroviser pour clue la
scène. Celle-ci a le pouvoir de tlanscertcler lcs conceptions oldin:rires de la
L)n orage au-dessus de MonumentValley dons La charge nise ett scèltc ¿rit uu caractère plus s1-ron-
hérorque. tané ct in-rpróvisiblc. r'éalité, colrì1re llolts l'a moutré l'un cles pretliers maîtres de la tcchniclue
cinématogtaphique, Georges Méliès. La misc eu scène ¡rcrmettait ¿\ Méliès dc
2. Le réalisme créer sur la pellicule tur tloude totalement irr-raginaire .
Caricaturiste et magicien, Méliès a été fasciné, eu 1895, par la préser-rt¿rtion dcs
Avallt cl'an¿tlyser cn détail ce qfest la n-risc en scòne, il nous f¿rut clissipcr un premiers films des frères l.r,rmière. (Por.rr cles élén-reuts supplément¿rires sttr les
préjugé. Le spectateltr qtri ne sc souvient que dc tel ou tel uronent cl'nnc ¡-risc frères Lumière, se reporter au chapitre 5.) Après avoir fabriqué sa propre
en scèlle cst sot-tvent lc urêl¡e qui l'évah,rc i\ partir cle uormes réalistes:le róa- camér¿r à partir d'un plojecteur d'origine anglaise, il commença à filmer lible-
lisme cl'unc. voitnrc., pirl exelnplc, ser¿ì sou adécluation iì l'époque clécritc par ment des scèucs de Lues, des moments cle la vie quoticlienlle. On clit c¡'iun
lc film orì ellc apparitit;l'irréalisne d'r-rn gcste, le fait que < les person¡rcs rJel- jour oir il fìlmait place de I'Opéra ¿ì Paris, son appareil se bloqua alors qu'ttn
lcs nc bougcnt pas cle cctte lr¿utièt.c >. bus passait devant l'objectif ; le temps de faile la réparatiou, le bus était loin et
Iì¿rire clu réalisne urr critèr'e d'év¿rh-ration posc plusieurs problòmes. La notion dc c'est un corbillald qui passait mainten¿rnt devant l'objectif. Lors c1e la projec-
réaiisme vat'ie sr-rivant lcs cultules, lcs époqlLes et mêne cl'un indivicln à un autre. tion, Méliès découvrit cet effet inattendu : nn bus serr-rblait se tr¿tnsforner ius-
linterprétation de Marlon Rrando dans Sr¿r lcs quois (On tlrc WúcrfronL, Elia tantanément eu un fourgon mortuaire. L"anecdote est peut-être rpoct'yphe,
I(irzan, 1954), acclan-rée ¿ru norlent de la sortie du filrn pour so¡ < réalisr¡e >, mais elle résttme bien ce pottvoir nagiclue dc la mise ell scène que venlit de
paraît nirilttcn¿urt tr'ès stylisée. La clitique ar-néric¿rinc cles années l9l0 appréciait clécouvr.ir Méliès. ll allait ensuite cons¿lcrer Llne gr¿ìrlcle partie de sa vie à
le's wt'sfeltls de Williar¡ S. H¿rlt ponr Ìcr-rr réalisnc, mais la critique fi.ançaise .1es I'invention d'uue forme cf illusionnisme cinématogralphique.
174 Partie3-Lestyle Chapil-re 4 Le plan : l¿t nrise en scène 175

< Atr conLs dc la préparati on du,


Chutttt, tliscrttL tlc l.n ltorrrgcoisic,ßuùucl cl.roi_
sit uue loute plantée d'albres pour Ìe pla1l ¡¿,¡l-,ar.ut
qui nì'ontre ,., ¡rarr,,n,ro-
ges cll'allt s¡ttts fill. Ccttc route tl'aversait
étlangcnrcnt ln ..s. c.n-,pag'c et ellc
suggérait pl'faitcme't l'idée qtre ccs geus
vc'aie't ¿. nuil. part ct
n'allaic't rrulle pa't. L'assistant àc nulrull ciit 'c
: i< vous ,re p,,,,.,v., fas utirir.,.
cctte r:oute, elle a ciéjrì été drurs au r.l.loins
clix autr.es fiù,r. , ,, i)jx autres
fìlms ? r, répotrdit Buñuel. u C'cst qu,elle cloit
êtr.e la bonne. ¡ >

lean-Claucìc Carriòr.c

Mais il ne pouvait plus compter sur le h¿rsard


; il alrait cievoir préparer. et llret_
tre en scène des rir"1r1,l]l:, de^s actions pour Fioure 4.5 t
la carréra. S,oipuyu,rt slrr sorl *'
expéricnce théâtrale, Mériès écrifia l'un jes DínsLa sirène, Melies a cree un monde sous-marín en
pr-emiers stucrios de ciréma _ u'
petit hanga' rempli par toute ure rlachinerie plaçant un oquorium entre la camera eL l'actrice,
de trréâtre; Íhuteuirs, trappes, quelques tissus en tond, et des ' chariots pour
it les plans avant le tolrrnage, ainsi qúe lcs Figure 4.6
cléc .3 et 4,4 lrrontrent la ressenblatìce entre
monstres ",
La Lune à un mètre : le télescope, le globe et le tableatt
ses réalisés. Méliès jouait clans ses films, par._ noir sont des éléments plats peints.
foì.s mc telnps. poul. réussir ¿ì créer les effets
magiqucs qu'ìl désirait et les visions f,rntaisìstes
qu'il in-raginait, il lui fallait
contrôler tons les aspects c,le la rrise elr scène.
c'cst seulenent dar.s un studio q'e Méliès pouvait 4. Aspects de la mise en scène
réariser La sirètrc (1904 _
4'5)' Darrs La Intrc à tm ttùtrc
1tÀls;, oùr il joue un astronom., il Qu'est-ce qr,iun réirlisatellr pcllt choisir et contrôlel' à travers la mise en scène ?
d'un ensemble irn¡rressionnant d'accessoircs en tromp.-1.,-il, "st ertouré
clessinés ct Nous pclttvons distinguel qllatre grands domaiues techniques : le clécor, les cos-
clécou¡rés, qui sernblcnt sortis cl'urr
clessin animé (4.6). tsmes et le n-raqtrillage, l'éclairagc, les mouveuents et I'interprétation.
L¿r m¿rison de production c1c
Mériès, ra Star Film, fut à r,.rigi'c cre centaines dc
courts métrages feeriques > ct de < films à trucages > oùr il fallait
< Le décor
contrôler trus
les élérnents apparaissant cr¿rns re c¿rdre
: Méliès, pr.emiel gra¡d maîtrc cre ra
mise ciuétla, les critiques et lc public ont compris que les décors
Dès les débr,rts cltt
ett scère, en déno'trait to'te la richcsse
techr-rìque. ceïagicien ious a laissé
uu rnolde mcrveilleux, irr'éel, totalement y jouaicnt un rôle ¡rlus actif que clans la ph-rpart cles rr-rises en scène théiitrales.
soumis aux caprices cle l,imagination.
Ainsi, André Bazin écrivait :
< Il n'est de théâtre que de l'homme, mais le drame cinématographiqr're peut
se passer cl'acteurs. Une porte qui bat, une feuille clans le vent, les vagltes qtti
lèchent une plirge peltvettt accéder à la puissance dratnatique. Quelques-uns
des chefs-d'æuvre du cinérna n'r,rtilisent l'holrrme qu'accessoirement : colrìme
un colnparse, oLr en contlepoint cle la nature clui constitue le véritable person-
nage central. >

Un décor de cinéma n'est prrs toujours lc simple cadte d'une présence ou


d'une action hutnaine, il peut venir att prenier plan, prarticipet' activement ¿ìLl
dérotrlement d'uu récit. (Voir les images 4.724,4.127,6'II4,6.I24, (t.125,
8. I 35 et 8.136 pour cles exemples de décors saus petsonnages.)
Figure 4.3
Le réalisateur a ¡rlusieurs possibilités pour le choix d'ltn décor. Il peut, selon
Decor de Ceorges Meliès pour lo scène
lo fusee duVoyage dans la Lune, eI...
clu loncement de
r-rneprrrtiqne qui remoute altx clébuts du cinéma, mettÍe en scène d¿rns un lieu
Figure 4.4 préexistant : Louis Lumière tourna L'arrosutr srrosé (1895 - 4.7) clans un jar-
... la scène dans le film. clin et Jean-Luc Godard filn-ra les extérieurs du. Mópris (1963) sr¡r l'île de
176 Partie3-Lestyle 177
Chapitre 4 - Le plarr : la nrise en scèlre

Capri, ¿ìLr large de I'Italie (4.S). A I


Roberto Rossellini tottrna AIle
dans lJerlin cn ruines (a.9). De
e¡r cxtúricurs (orr dit aussi ,,en

Il peut aussi choisir de construire le clé

s conceptior_rs dr_r décor cotrstruit.

la vraisernblance historique ; Erich


la précision dc ses clécors, fi.uit cle
(Grccd,l924 _ 4.lO). Lcs lnttnttcs
tll Figure 4.10
tJ.í?JïT:tå: Des détails comme le papíer tue-mouche qui pend ou les
approche : il s'asissait cre créer .,.," .upr/"',|liåil lurrièr'es, les costuues et les mouvements affiches suffisent à créer le décor d'une taverne dans
1;,I),ili; cles personnages : ces delniers se plie nt Les Rapaces.

pollr Passer cles portes qui ressemblent à


des tt'ous de souris et restent figés devant
iffl des fresques murales allégoriques (4.13).
fi
tli
Le décor pettt subtlerger les Lìctellrs'
corrme clans lcs ailes du ¿idslr de Wim
Wenders (Dcr Hiltrttcl illter Bcrlht,1987 -
4.14), ou il peut être réduit à l'extrêne,
corllme dtns Dractila de Francis Forcl Cop-
pola (Brturt Stoker's Dractiltt, 1992 - 4,15).
lallure générale d'un décor peut avoir ture Figure 4..11
Copie d'une vérttoble salle de rédaction dans
Figure 4,7
Figure 4.9 inflr.rence importatnte sur notre cotnpré-
L'arroseur arrosé. Les hommes du président.
Allemagne année zéro. lrension cl'utre action. Dans Les vantpircs,
scrial policier muet de Louis Feuillade, un
coursier est assassiué alors qdil se rendait
dans nne banque. Une en-rployée de la ban- \
que, Irma Vep, fait paltie du gang qui a
exécuté le crime; alr rtoment où elle dit à
son supérieur que le coursier a disparru, un
im¡rostenr, déguisé avec une barbe et un
chapeau melon, arrive derrière ellx (4.16).
Surpris, l'homme et l¿r femme nous tour-
ncnt le dos lolsqu'il s'approche (4.17i. A
nn monent cle l'histoire clu cinéma fran-
çais oir I'insertion de plans rapprochés était Figure 4.12
Figure 4.8 rare, Feuillade attire l'attention clu specta- Les séquences babyloniennes dlntolérance combinent des
Pour ce plan du Mépris, aucun décor
n'a été construit, mqis re contròre de
teur sur le nouveau venll elf l'inscrivant influences venant de la culture assyrienne, des illustrations
ra position du
personnage et le cadrage en font
une composition prrirqu, obstraite. nettement dans l'encadrement de la porte. des bibles du XtXe siècle et de la danse moderne.
17A Partie 3 - Le style
ChaPitre 4 - Le Plan : la mise en scène 179

t.

.ti

::

Figure 4.13
Figure 4.16
Dqns Ia seconde partie dlvan le Terrible, le décor donne
Dons Les vampires, un cadre est créé ou
l'impression que les personnages s,extirpent d,un espoce
fond par une large porte...
pour entrer dons un outre.

0 ---f

Figure 4."14 Figure 4.17


Dons Les ailes du désir, des graffitis bariolés détournent ... qui met en valeur l'entrée d,un Figure 4.19
Figure 4.18
l'attention de l'homme couché sur le sol. personnage. Le comptoir se rempltt, et l'accent dromatique est mis
Au début de cette scène defampopo, il n'y a que deux
clients au comptoir, qui occupe le centre de l'action. La sur lq cuisine lorsque la veuve se redresse et accepte le

veuve et son cqmionneur se tiennent discrètement à défr de prendre les commondes des clients, Sa robe
gquche du cadre. rouge contribue ò qtttrer l'qttention sur elle.

I
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'l''i I
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i-.
Figure 4.15
Dans cette scène de Dracula, ò l,exception des bougies,
'd- ,¡

tout autre élément de décor a été qbsorbé dqns


l'obscurité,
Figure 4.20
Eíe o réussi ò prendre toutes les commandes, et est pour cela applaudte. En lui faisqnt tourner le dos ò lq caméra,
Itami met une fois de plus l'occent sur la zone du comptoir et les cltents'
180 Partie3-LestYle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 181

Comme le montre l, o, la couleur peut être un composant


important du décor. des surfaces de la cuisine font iessor_
tir la robe rouge de I n f (Robert Bresson, l9g3), différenis
lieux - la l'école, la prison - sont mis en parallèle par Ia récurrence
'raison,
d'arrière-plans verdâtres, d'accessoires et de costumes d,un bleu froid (a.21_
4.23).La gamme colorée de playtinrc (Jacques Täti, r96g) change
nettement contribuer à nous faire ressentir l'histoire, et tout ce qui ¡e le fait pas n'y a Pas sa
au cours du film: dans sa première partie, les costumes et les décôrs
sont place. La réalité est, en général, trop cornpliquée. Les décors naturels contien-
essentiellement gris, bruns et noirs des couleurs froides, métalliques. plus
- nent trop d'éléments excessifs ou contradictoires et nécessitent toujours une
loin' à partir de la scène du restaurant, le décor affiche des couleurs sirnplification : retirer, ur.rifier les couleurs, etc. IÌ est plus facile d'obtenir la puis-
plus
joyeuses, des rouges, des roses et des verts. ce sance de la simplicité en construisant un décor que dans un lieu qui existe déjà.
>
changement s'accord. a., dèrre_
loppement du récit, où la vitalité et la spontanéité ães personnages Stualt Craig, dilecteur artistique
transfor_
ment un paysage urbain déshumanisé.
Les accessoires - un autre terme qui vient directement du théâtre -
sont des élé-
lln'est pas toujours nécessaire de construire un décor grandeur nature:
pour partie d'un décor est destiné à avoir un
ments du décor. Lorsqu un objet faisant
économiser de I'argent ou réaliser certains trucages, il esipossible de
faire cons- rôle actif dans I'action en cours, on peut le désigner sous le nort d'< accessoire >.
truir aquettes, qui ãutorisenì les mêmes effets que
exemples foisonnent: le presse-papiers transparent qui se brise au début de
les p du décor peuvent être peintes en trompe_
Les

l'cril Citizen Køne,le ballon de la petite fille de M le maudit (M,Frrtz Lang, 1931), le
à des objets réels. De ,ros ;orrrs, les effets
cactus de Ijlnmme cpi tuø Liberty Vctlance (Tlrc Møn \Nho Shot Liberty Volance,
fohn Ford, 1962), le lit d'hôpital de Sarah Connor transformé en dispositif
d'entraînement dans Terminator 2 (Iames Cameron, 1991). Les comédies sont
ID renplies d'accessoires utilisés à des fins humoristiques (4.25).
Au cours d'un récit, un accessoire peut devenir un motif. Le rideau de douche
de Psychose est d'abord un fragment anodin du décor, mais lorsque I'assassin
pénètre dans la salle de bain ce rideau nous empêche de Ie (ou de la) voir. Plus

Figure 4.2'l tigure 4.22


Dons L'argent, la couleur relie la maison, ... l'école..,

Figure 4.24
Figure 4.23
Le Cinquième élément crée une ville-collage en utilisont l'imagerie numérique pour iuxtaposer des
.. . et plus tard la prison.
images provenant de dtverses sources.
la2 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 183

g )
tard, après le meurtre, Norman Bates se
sert du même rideau pour envelopper le
corps de la victime.
!t, Alexander Payne a créé un motif narratif
/rÞ par la répétition d'un type d'accessoire
lrt dans L'arriviste (Election, 1999). Lensei_
t-
gnant frustré et irritable d'un collège com_
mence sa journée en lavant le réfrigérateur
f^ de l'établissement (4.26). peu après, on le
Figure 4.25 voit dans un couloir, près d'une poubelle
Le protogoniste irresponsoble dUn jour sans fin (A (4.27). À un moment clé du récit, ìl décide
Croundog Day, Horold Romis, 1.993) dévore un énorme de dissimuler un vote décisif, qu'il froisse et
petit déjeuner où l'on retrouve les accessoires dominant jette discrètement dans une tigure 4.26
corbeille soupçonneux - qui jouero un rôle important
l'arrière-plan.
(4.28). Payne appelle cela le motif de la b'íns L,aniviste , un professeur est observé por un homme de ménage
dqns sa chute.
poubelle, < le fait de jeter des choses, qui
constitue en fait le climax du film . . Ce motif est installé très tôt >.
Lorsqu'un réalisateur utilise la couleur pour créer des parallèles entre des
élé-
ments du décor, un motif coloré peut être associé à plusieurs accessoires.
Au
début du vent (Finye, souleymane cissé, 19g2),,rn" f.--e porte une cale-
basse orange tandis que le vent bruisse dans les feuillages'(4.29-4.3r).
La
récurrence de la couleur orange crée un regroupement ãe motifs naturels
autour du drame principal. Nous étudierons plus précisément, dans une
autre
partie de ce chapitre, la façon dont des éléments du décor peuvent concourir
à
I'invention de motifs ayant une fonction narratrve.

Les costumes et le maqu¡llage


Figure 4.27
Le même professeur iette un morceau de papier dans une poubelle

pauvreté des sudistes après leur défaite, à l'issue de la Guerre civile.


Les costumes peuvent aussi être stylisés, attir
rs seules
qualités visuelles. Les costume s d'Iyøn le terrib
accordés
les uns aux autres en termes de couleurs, de
mouve_

Figure 4.28
Çíos plon de lq matn du professeur jetant un vote décisif pour les élections du présìdent du conseil étudtant.
144 Partie3-LestYle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 18s

Figure 4.30
Figure 4.29 Plus tord, un grond-père qui réclame vengeonce se
Le ven| débute avec une femme qui porte une calebosse prépore ò pourchasser le persécuteur de son petit-fils en
oronge à travers une forêt. s'habillant en orange et en lançont des incantations
devant un feu.

Figure 4.32
Dons Naissance d'une nalion, Little Sister se rend
compte que sa robe est toujours oussi défraîchie, malgré
Figure 4.31 ses efforts pour lo décorer.
À ta fin, te petit garçon passe une calebasse ò quelqu,un
hors-chomp - peut-être le couple vu plus tôt. *t
Figure 4.35
Dons Huit et demi, ses lunettes de soleil protègent Marcello du reste du monde,

Figure 4.33
La longue troîne sombre du vêtement d,un prêtre Figure 4,34
contrqste ovec la lourde porure du tsar dons lvan le Figure 4.37
Costumes stylisés dons Freak Orlando. Figure 4.36
terrible. porte ... par un chapeou plus
est remplocé
Le chapeou stylé ò lorges bords que
Hildy au début de La dame < masculin ,,
à bords relevés, lorsqu'elle
du vendredi,.. se remet qu travqil,
1A6 Partie 3 Le style Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 147

Howard a dissimulé une caméra vidéo à bord du véhicule. c'est alors le cos-
tume qui fournit à |ack I'indice permettant de devancer Howard.

comme nous I'avons déjà remarqué avec Tampopo et L'ørgent, costumes et


décors sont souvent coordonnés. un réalisateur veut généralement mettre en
valeur les figures humaines; le décor fournira donc un arrière-plan plus ou
moins neutre, sur lequel se détacheront les personnages costumés. La couleur ?
est ici particulièrement importante. Les costumes de Freak oiløndo (4.34)
tranchent nettement sur le fond gris d'un lac artificiel. Dans le combat flnal Figure 4.39
de La nuit de san Lorenzo (La notte di san Lorenzo,vittorio et paolo Täviani, Casanova : subtile grodation chromotique, QVec une
Figure 4.38
1982), les costumes noirs et bleus des paysans et des fascistes sont mis en L'ult¡me embuscqde de La nuit de San Lorenzo. note dramotique en fond de plan,
valeur par la luminosité des champs de blé (4.3g). un réalisateur peut à
l'inverse chercher à confondre les valeurs colorées des décors et des costumes.
un plan de cassttovø (Federico Fellini, r976) organise, entre le vermillon des
I
costumes et la couleur passée des murs, une gradation de rouges rehaussée
par un unique détail blanc (4.39). cette < hémorragie , de la couleur des cos-
BI
tumes dans celle du décor est portée à sa limite dans la scène de la prison de
THX 1138 (Georges Lucas, 1971) où les vêtements comme les lieux sont
dépouillés à I'extrême pour ne plus laisser que du blanc sur du blanc (4.40). Figure 4.40
Costumes et décors se confondent, et les têtes semblent Figure 4.41
Love (wonten in Love,I(en Russel, 1969) fournit un bon exemple de coordina- 'l
olors flotter dans l'espace de THX 1 38. Des couleurs vives dans l'une des premières scènes deLove.
tion entre les costumes, les décors et la progression narrative et thématique
d'un film. Les premières scènes décrivent la vie superficielle des personnages,
issus de la classe moyenne, à I'aide de couleurs primaires saturées et de leurs
complémentaires (4.41). Au rnilieu du film, les personnages découvrent
I'amour alors qu'ils sont à la campagne : les couleurs pastel dominent (4.42).
La dernière partie se déroule près du mont cervin. Les passions se sont cal-
mées et le film a pris des teintes encore plus pâles, allant jusqu'au noir et blanc
pur (4.43).
Figure 4.42 Figure 4.43
Toutes ces remarques sur les costumes s'appliquent aussi à un domaine de la ,,. on passe à des teintes plus douces d'arbres et de ... pour orriver finqlement ò une prédominonce du noir
mise en scène qui leur est étroitement lié, le maquillage. celui-ci était néces- chomps... et du blanc.
saire, à l'origine, pour améliorer la qualité photographique des visages sur des
pellicules alors peu sensibles. Il est toujours employé pour renforcer certains
traits des acteurs, mais ses fonctions se sont diversifiées au cours de I'histoire

Transformer I'apparence des acteurs pour qu'ils ressemblent à des personna- Figure 4.44 Figure 4.45
ges historiques est I'une des fonctions ordinaires du maquillage. Les fonds blancs et nus concentrent l'attention sur les Dans lo premrère partie dlvan le terrible, le maquillage
visages des octeurs dans de nombreux plans de donne forme aux sourcils et creuse les orbites pour
La passion de .leanne d'Arc, qccentuer le regord perçont du tsor.
188 Partie 3 - Le style Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 149

De nos jours, le maquillage tente généralement de passer inaperçu, mais il sert


aussi à accentuer les qualités expressives des visages cles acteurs. La caméra pou_
vant enregistrer des détails cruels qui resteraient peu visibles dans la vie quoti_
dienne, toute marque, ride ou cerne malvenus doivent être cachéì. Le
maquilleur a la capacité de sculpter le visage, de le faire paraître plus fin ou plus
large en appliquant des rougeurs ou des ombres. Les spectateurs s'attendentã ce
que les interprètes feminines poltent du rouge à lèvres et d'autres cosmétiques,
mais les hommes portent aussi souvent du maquill age (4.46, 4.47).
Le jeu des acteurs de cinéma repose beaucoup sur les yeux (cf. < De plus
près >), et les maquilleurs peuvent souvent en accentuer certains aspects. Les
mascaras et crayons pour yeux permettent d'attirer I'attention sur les regards
et d'en appuyer les directions. La plupart des acteurs ont aussi des sourcils
taillés de manière expressive. Allongés, ils élargissent le visage ; plus courts, ils
le rendent plus compact. Des sourcils épilés
suivant une courbe légèrement montante Figure 4'48
ajoutent de la gaieté dans un visage, tandis Dãns Speed, les cils et les sourctls orqués de Sqndra Bullock lui donnent un regord vif et une

que, tombant, ils indiquent une certaine expression alerte.

tristesse. Droit et épais, généralement chez


les hommes, ils renforcent I'impression
d'un regard dur et sérieux - autant de
manières dont le maquillage des yeux peut
contribuer au jeu de I'acteur (4.48, 4.49).
Le succès des films d'horreur et de science-
fiction a conduit ces dernières années au
tigure 4.46
Dons Heat (Michoel Monn, 1995), le moquillage
développement de I'art du maquillage. Le
d'Al Pacino lui orrondit légèrement les sourcils et, à l'aide caoutchouc et differents composés plasti-
de lo lumière, réduit les cernes sous ses yeux, ques permettent de créer bosses, protubé-
rances) organes et peaux artificiels dans des
frlms comme La ntouche (The Fly, David
F --- Cronenberg, 1986- 4.50). Le maquillage
devient alors aussi important que le costume
--' ou le décor pour créer la personnalité d'un
Figure 4.49
protagoniste ou provoquer des péripéties.
-I
Pour la même scène, le dessus des yeux de Keonu Reeves o été souligné, Remarquez aussi la ligne
énergique des sourcils, qui accentue la légère sévérité de son regard.
- f éclairage
--- L effetproduit par une image tient beau-
coup à la façon dont la lumière y est traitée.
Figure 4,47 Au cinéma, l'éclairage n'est pas simplement
A l'inverse, dans Le Parrain lll, réolisé cinq ans plus tôt,
ce qui permet de voir I'action : la distribu-
Pacino a l'oir plus vieux : ses cheveux ont été blqnchis et
le moquilleur, oidé lò encore par la lumière, lui q fait des
tion des zones claires et des zones sombres Figure 4.50
yeux plus enfoncés et cernés, des joues plus creuses et un dans le cadre contribue à la composition de !eff Goldbum méconnaissqble sous le moquillage
menton plus long et plot. chaque plan et attire donc notre attention grotesque qui le tronsforme en Mouche.
190 Partie3-LestYle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 191

actions. Une zone vivement éclairée peut faire


une ombre, dissimuler un détail ou une pré_
de faire apparaître clairement des textures
: la
d'un morceau de bois, le dessin délicat d,une
toile d'araignée, la luisance du verre, le scintillement d'un bijou.
Léclairage donne forme aux objets en créant des zones lumineuses
et des
zones sombres. Le visage de I'homme, en 4.5r, comme les doigts
q.," l'or p"rt -
voir en 4.52, montrent clairement des zones lumineuses. La liminosité
d'une oeut être embelli et dramatisé par une utilisation
surface donne des indications importantes sur sa texture si
; elle est lisse, appropriee de la lumière. n
comme le verre ou le chrome, elle a tendance à produire des miroitements Figure 4.53
des scintillements ; plus rugueuse) comme un revêtement en pierre,
et Nous allons isoler ici les quatre principales caractéristi- Les ombres propres des visages créent une
elle pro- ques d'un éclairage : sa qualité, sa direction' sa source
duit une lumière plus diffuse. compositíon dramatique dons Quand la
et sa couleur. ville dort,
< La lumière est tout. Elle donne l'idéorogie, l'émotion, la couleu¡ la profoncieur,
Ce que nous appelonsla qualité d'un éclairage désigne
le style. Elle peut effacer, raconter, ciécri'e. Avec le bon éclair.age,
le visage re prus
laid, 1'expression la plus stupide peut rayorner de beauté et I'intensité lumineuse. Une lumière < dure > produit des
d,iitelligenJ. ,
Federico Fellini ombres clairement clessinées, des textures et des con-
tours nets - c'est celle du soleil à midi' Une lumière
< douce > crée un effet diffus - c'est celle d'un ciel cou-
vert. Ces catégories doivent bien sirr être nuancées
selon les cas, de nombreux éclairages se trouvant entre
ces extrêmes. On reconnaît généralernent les différen-
personnage fait face à une bougie dans le noir, de lar_ ces (4.54, 4.55).
ges parties du visage et du corps restent sombres :
c,est La directiott de la lumière dans un plan désigne la tra-
jectoire suivie par la lumière depuis sa ou ses sources Figure 4.54
I'ombre propre. Mais cette bougie produit aussi une
Dans ce plan extrait de AparaiiTo (Satyai¡t
ombre sur le mur se trouvant derrière le personnage: jusqu'à l'objet qui la reçoit. < Toute lumière >, a écrit
Ray, 1956), la mère d'Apu et le globe
c'est I'ombre portée, produite par un obstacle entre la von Sternberg, ( connaît un point de plus grande qu'elle tient sont mis en voleur par une
Figure 4.51 intensité et un point vers lequel elle a tendance à venir lumière franche, tandis que...
Dons Forfaiture, Cecil B. DeMille suggère
se perdre totalement... Le voyage des rayons depuis ce
une cellule de prison en projetont une
lumière vive sur le corps et le visage d,un cceur jusqu'aux avant-postes de I'obscurité constitue t-."I\
homme à trovers des borrequx qui restent I'aventure et le drame de la lumière. > Par commodité, \
hors-champ. nous allons distinguer des lumières frontales, latérales'
des lumières venant par-derrière, par-dessous et par-
dessus le sujet.
Une lumière frontale a tendance à éliminer les
ombres. On voit en 4.56 un photogramme de La Chi-
noise (lean-Luc Godard, 1967) oùr un tel éclairage pro-
d'un gang autour du cercle de lumière fourni par une duit comme un aplatissement de I'image. Dans Lø soif
/,¿ {
larnpe à suspension (4.53). Celle-ci éclaire frontale_ du ntal (Touch of Etil, Orson Welles, 1958), à I'inverse, Figure 4.55
ment le personnage qui se trouve au fond, créant ainsi la lumière latérale (ou < cross light>, éclairage croisé) ... dons un autre plan du même film, une
lumière plus douce estompe les contours
une hiérarchisation de la scène. souligne les traits des acteurs (4.57).
et les textures, produit plus de diffusion et
tigure 4.52 La lumière a enfin une grande influence sur notre per_ Le décrochage, parfois appelé contre-jour, est une des contrqstes moins violents entre les
Pickpocket de Robert Bresson. ception des formes : une sphère éclairée frontalement lumière qui vient de derrière le sujet filmé, par le dessus, zones lumineuses et les zones sombres.
792 Partie3-Lestyle
Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 193

Figure 4.56 Figure 4.57


Dans La Chinoise, la lumière frontale
Dans La soif du mal, la lumière latérqle
projette l'ombre de l'actrice juste derrière
crée des ombres propres très nettes sur
elle, où nous ne pouvons pos la voir. le
visage du personnaget tandis que de
grandes ombres portées dominent les
tiroirs à gouche.

le côté, le dessous, ou en pointant directement vers


I'objectif de la caméra. si elle Figure 4'60
n'est pas complétée par une autre source lumi'euse, åile
produit des effets de Dãns Le sixième sens (M. Night Shyomalan, 1 999), une torche éclaire por en dessous le visage du
silhouette (4.58). combinée avec un éclairage frontal, jeune gorçon, augmentant notre porticipation à sq peur alors qu'il sent la présence d'un fontôme.
elle permet de souligner
discrètement les contours d'une figure (a.59).
En 4.60, une lumière venant par le dessous suggère ra présence
d,une torche
hors-champ. ce type d'éclairage est souvent utilisé dans
les fllms d,horreur
pour sa capacité à déformer les traits d'un perso'nage, mais
il peut aussi ser_
vir cl'indication réaliste. comme toujours, u'e technique particulière
peut
servir différentes fonctions selon les contextes.
La lumière zénithale, provenant d'une source placée Figure 4.61
au-dessus du sujet, est illus-
trée en 4.61, oir u'p'ojecteur se trouve presque à la verticale Lumière zénithale dons Shanghai Express (losef von
au-dessus du visage Sternberg, 1 932).

de Marlène Dietrich. Von Sternberg a souvent utilisé un tel éclairage qui permet
cle modeler le visage des acteurs. (La lumière du plan extrait de Quand la ville
dort,4.53,est elle aussi zénithale, mais ne cherche pas un effet < glamour >')
Léclairage peut aussi être caractérisé par sa source. Un réalisateur de docu-
mentaire est parfois obligé de tourner en lumière ambiante, celle qui corres-
pond au lieu et au moment du tournage. Dans la plupart des films de fìction'
on installe des sources artificielles supplémentaires pour contrôler au mieux
les qualités photographiques de I'image. Les lampes que I'on voit à l'écran, sur
Figure 4.58 des tables, dans une rue, ne sont pas les principales sources d'éclairage d'une
Figure 4.59
Dons Passion (Jean-Luc Goclord, I 9g2), scène. Ces sources visibles sont généralement placées dans le décor de façon à
Dons Les ailes (Wings, Wiiliom A.
lo lampe et lø fenêtre produisent le
Wellmon, 1929), les corps des acteurs se
indiquer une origine vraisemblable de la lumière, elles justifient les choix du
contre-jour qui foit opporoître la femme
détqchent de l'arrière-plan grôce à une réalisateur et du chef opérateur. La fenêtre du fond et la lampe au premier
comme une silhouette presque
fine délinéation lumineuse. plan à droite, dans la ß,g:ure 4.62 extraite de Miracle en Alctbqmø (The Miracle
entièrement sombre.
Worker,Arthur Penn, 1962) sont censées être les seules sources lumineuses de
194 parrie 3 _ Le style
Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 195

de la gauche ;
elle produit un fort contraste sur le visage de la vieille femme au
plan et un effet plus doux sur celui de I'homme grâce à un appoint
,r.mi".
de la clroite. Cette lumière éclaire aussi le nez et le front de la femme.
ir.nnn,
Le cinéma classique hollywoodien est à l'origine d'une sorte de tradition qui
co'siste à employer au moins trois sources de lumière par plan : lumière prin-
cipale, lumière d'appoint et décrochage. On voit en 4.65 la configuration la
olus élémentaire de ces trois sources pour un sujet unique. Le décrochage
vient de derrière, au-dessus du personnage ; la lumière principale vient légè-
rement de biais, face à lui, et I'appoint, plus éloigné dtt personnage et moins
intense, est placé près de la caméra. Si un autre acteur vient s'ajouter au dis-
positif la lumière principale de l'un est modifiée pour devenir le décrochage
de I'autre, et un appoint est installé des deux côtés de la caméra.
< Lolsque l'on fìlme des glos pians en couleur, il y a tlop d'informations
visuelles en foncl, ce qui a tendance à détoulner l'attentior.r du visage. C'est
poulquoi on garde aussi bien en mémoire les visages des actrices des vieux
fìhns lioir et blanc. Encore maintenant, les cinéphiles se souviennent avec nos-
talgie de Dietrich... Garbo... Lar.nalr... Pourquoi ? En noil et blanc, ces figu-
les donllaient I'impression <l'être éclairées de I'intérieur. Lorsqu'un visage
apparaissait à l'image, surexposé - c'était l'une des techniques du high ke¡ qui
gommait aussi les in.rperfections - c'était comûìe un objet écìatant qui sortait
de l'écran. >
ifÍérentes peuvent être combinées
cle Nestor Almendros, chef-opérateur

Bette Davis joue le personnage le plus important de L'insoumise (lezebel,


William Wyler, l93B) et I'on voit en 4.66 de quelle façon l'éclairage trois
points focalise I'attention sur elle. Un décrochage venant par le haut, à droite,
éclaire ses cheveux et dessine la courbe supérieure de son bras gauche. La
cteur.
lumière principale est à gauche, illuminant fortement son bras droit;
(SergueT Eisenstein,
1935) où le réalisa_ l'appoint vient par le côté droit de la caméra. Cet ensemble crée des ombres
de lumière. La lurnière principale
vient très douces qui n'aplatissent pas le visage de Davis mais le modèlent, lui don-
nent du volume. (Remarquez la très légère ombre de son nez.) Le décrochage
et la lurnière principale servent aussi à éclairer, plus discrètement, la femme
qui se trouve au second plan à droite. D'autres éclairages d'appoir-rt (que l'on
pourra désigner sous le terme générique de < Iumière d'ambiance >) tombent
sur le décor et sur les quelques personnes se trouvant au fond à gauche.
Léclairage trois points est apparu pendant l'âge d'or des studios hollywoo-
diens et il est toujours largement employé, cornme on peut le voir par exem-
ple en 4.67, image extraite de Attrape-rnoi si ttt peux (Cntch M, U You Can,
Steven Spielberg, 2002).

tigure 4.64 Ce système d'éclairage nécessite que les projecteurs soient repositionnés à
Figure 4.63 chaque changement de cadrage. Malgré le cofit que cela représente, il est cou-
Le pré de Béjine.
C.ombinoison d,une forte lumière
principole et rant, dans le cinéma holll"woodien, qdà chaque position de la caméra corres-
d'un foible appoint dans Bodyguard.
ponde un éclairage particulier. Ces variations de sources et de directions de
196 Partie3-LestYle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 197

bock lement à représenter une


très vive - l'éblouissement
près-midi ensoleillé -, c'est
l'éclairage qui s'adapte à la
s situations lumineuses ou
a journée. Observons, par

exeÍìple, deux
photogrammes de Retour vers le fuhr:
(4.68)' le high key corresponcl à une
dans le premier
lumière diurne et au clinquant d'un bar; dans le
second (4.69), extrait d'une scène nocturne, il se
reconnaît à la douceur générale cl'un éclairage peu Figure 4.68
k"y Retour vers le futur ; différence entre le
Figure 4.66
contrasté et à I'aspect nuancé des ombres.
Jour...
Effet du système de l'éclairage trois points ò l'écron, Le low key, à I'inverse, produit cles contrastes impor-
dons L'insoumise. tants et des ombres profondes. La lumière y est souvent
comero dure, les appoints y sont réduits ou éliminés pour créer
f un effet général de chiaroscttro, de clair-obscur, oìr
f image peut contenir à la fois des zones extrêmer-nent
Figure 4.65
Eclairage trois points, l'une des techniques
sombles et des zones extrêmement lumineuses. La
fondamentoles du cinéme hollywoodien. frgrre 4.70 est extraite de Konal (Andrzej Wajda, 1957).
La lumière d'appoint et Ia lumière principale y sont
moins intenses que dans le système du high key; les
ombres qui envahissent le tiers gauche de l'écran restent
clures et opaqlres. En 4.7I - un plan low key de Mauvais
sang-,la lumière principale, violente, vient clu côté gau-
Figure 4.69
Figure 4.67 che. Carax élimine à la fois Ia lumière d'appoint et le ,,. et la nutt.
Dons Attrape-moi si tu peux, le père opathique ne peut décrochage pour cléer des ombres très découpées et Lrn
réprimer un sourire face à la supercherie de son fils, et effet de vide son-rbre autour cles personnages.
l'éclairoge high key vient accentuer le ton enjoué de lo < Lorsque j'ai cot-nrner-rcé à regarder des films dans
scène.
les années 40 et 50, le cinél-na indier-r était complèten-relt sous l'influence de
I'esthétique hollywoodienne, qr.ri insistait beattcottp.r sur la "lumière idéale"
poul le visage, à grar.rds renforts de diffLrseurs et de déclochages. )'ai alols
l'éclairage ne sont pas réalistes, mais elles permettent aux réalisateurs de créer commencé à rejeter ce rnépris complet pour la vérité d'ttne source lumineuse,
des compositions nettes pour chaque plan. et cette utilisation caricatnrale cles décrochages. En utiliser tout le ten-rps,
c'était corrme nettre des épices clans tout ce qtion cuisine. ,
L éclairagetrois points était particulièrement adapté à l'éclairage dit < high Subrata Mitra, chef opérateur
key>, qui caractérise le classicisrne holl¡voodien et d'autres traditions ciné-
Nos exemples indiquent bien que le low key caractérise surtout des scènes à
matographiques. Le high key est un système cl'éclairage où les lumières princi-
I'atmosphère lourde, mystérieuse ; c'était un procédé courant du fllm d'horreur
pales et d'appoints servent à amoindrir les contrastes entre les zones les
dans les années 1930 et du bien nommé fìlm noir dans les années 1940 et 1950.I1a
été remis à la mode dans les années 1980 par des fllms comme Bløde Rutmer
(Ridley Scott, i982) ou Rttsty Jantes (Rtnttble Fish, Francis Ford Coppola, 1983).
Dans le Sud (El S¿¿r, Victor Erice, 1983 - 4.72),le low key produit des effets saisis-
sants de clair-obscur qui décrivent le monde des adultes tel qu un enfant l'imagine.
souvent utilisé pour les comédies, les frlms d'aventure et les drames.
19A Partie 3 - Le stYle
Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 199

féclairage doit être pensé en fonction des déplace_


ments des acteurs. Il y a certains avantages à conserver
une lumière égale en chaque point du décor, même si
le résultat est peu réaliste. À la fin des Nølrs de Cøbiriq.
(Le notti di Cabiria, Federico Fellini, Ig57),I'héroine
s'avance vers nous en diagonale, accompagnée par une
troupe de jeunes musiciens. La Ìumière sur son visage
ne change pas et I'on peut ainsi relever d'infimes chan-
gements d'expression (4.73,4.74). À l'inverse, un per_
Figure 4.70 sonrìage peut s'avancer à travers une combinaison Figure 4.74
fisure 4.73
DonsKanal, l'écloirage low key crée une d'ombres et de lumières. Le combat à l'épée de Rasho- est entourée marche, mais la lumière sur son visage ne chonge
DínsLes nuits de Cabiria, lq protagoniste
Elle
lumière dure sur un côté du visage de lo permettant de remorquer de légers chongements
mon (Akira Kurosawa, 1950) est dramatisé par le con- par un orchestre de ieunes musictens de rue. pas,
femme, et une ombre profonde sur l'autre, dqns son expression.
traste entre la férocité des personnages et l'aspect
champêtre de l'éclairage moucheté qui envahit le sous-
bois (4.75).
Nous avons tendance à croire qu'il n'y aurait que deux couleurs de lumière
pour l'éclairage de cinéma - le blanc de la lumière solaire, la légère teinte
jaune des lampes à incandescence. Les réalisateurs veulent généralement tra-
vailler avec la lumière la plus blanche possible ; en plaçant des filtres devant la
source de lumière, ils ont tout contrôle sur son apparence finale. La teinte de
la lumière peut être justifiée par un élément appartenant à la scène frlmée ; les
chefs opérateurs utilisent souvent des filtres pour r orangées
d'un éclairage à la bougie, comme c'est le cas dans (François Figure 4.75
Tiuffaut, 1978 - 4.76).La lumière colorée peut a : dans la Toches de lumière dans Rashomon.
tigure 4.76
seconde partie d'Ivan le terrible,une lumière bleue non-diégétique est soudain lJn filtre oronge loisse penser que toute la lumière de
projetée sur un acteur pour exprimer sa terreur et ses doute s (4.77 , 4.7g). tJn cette scène de La chambre verle vient des bougies.

tel changement des fonctions stylistiques - la couleur a ici un rôle ordinaire-


ment réservé au jeu de l'acteur - est d'autant plus efficace qu'il est inattendu.

Figure 4.77 Figure 4.78


Dons lvan le terrible, on lit lq peur sur le visoge d'un .. . mqis une lumière bleue vient soudain recouvrir cette
tigure 4,7"1 tigure 4J2
personnqge... expression, jusqu'à ce qu'elle disporaisse.
Dqns Mauvais sang, une seule lumière principale sans L'éclairoge low key dqnsLe Sud suggère lo vision qu,a
oppoint sur le visoge de l'actrice laisse son expression un enfant du monde des adultes, plein de mystères et de
presque invisible. dongers.
2o,0 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 2O1

La plupart des lumières sont conçues au cours du tournage, mais I'imagerie photogramme présenté en 4.81 est extrait des Sepr
numérique permet aussi aux réalisateurs de créer des éclairages virtuels. GrÀce
ls ,Siclútúu no senTurai, Akira Kurosawa,
¿\ 5¡lrrarottrai's
de puissants logiciels 3D, il est possible d'ajouter une lumière générale ou des
1954).Le samouraÏ vient de se battre victorieusement
efFets d'éclairage directionnel, de faire briller des surfaces et de générer des
contre les bandits; seule la pluie semble être en mou-
ombres portées. Dans la réalisation < traditionnelle >, les réalisateurs doivent uti-
vement dans le cadre, mais la posture des deux hom-
liser la lumière pour clarifier et simplifier I'espace, afin de réduire la masse des
mes, fourbus, voúttés, s'appuyant sur leurs lances,
informations visuelles qui se présentent à la caméra. À I'inverse, l'éclairage nullé-
exprime encore la tension consécutive au combat. À
rique se construit petit à petit, à partir d'éléments simples. pour cette raison, il
I'inverse, la violence du mouvement et de l'expression
de James Cagney dans une scène de L'enfer est ìt hü
nécessite beaucoup de temps - un logiciel peut prendre une journée et une nuit
entière pour calculer les ombres portées d'un seul plan. De nouveaux logiciels et (White Heat, Raotl Walsh, 1949) oùr, en prison, il Figure 4.81
des ordinateurs plus puissants viendront sans doute accélérer ces processus. Les qcteurs prennent des poses fatiguées
apprend la mort de sa mère, exprime une sorte de dons Les sept samouraìs.
Nous prêtons généralement peu d'attention à la lumière qui nous entoure et pour fnreur PsYchotique (4.82).
la même raison, la lumière d'une image de cinéma est facilernent perçue comrrìe
Au cinéma, le mouvement et I'expressivité ne sout pas
< allant de soi >. Les caractéristiques visuelles d'une image sont pouitant
essentiel- les propriétés du seul corps humain. Comme nous le
lement déterminées par la qualité de la lumière, sa direction, sa source et sa cou-
verrons au chapitre 10, les techniques de l'animation
leur. Le réalisateur peut manipuler et combiner ces difÉrents facteurs pour
peuvent mettre en mouvement des objets, dessinés ou
façonner de diverses manières l'expérience du spectateur. < Laventure et le drarne
en trois dimensions. C'est par la technique de l'ùnage
de la lumière ) est sans doute l'élément le plus important d'une mise en scène.
par itnage que les monstres et les robots des films cle
science-fìction sont dotés cle gestes et d'expressions : au
Mouvement et interprétation
tournage, les positions successives d'une figurine sont
Le réalisateur a aussi le contrôle d'un certain nombre de figures. Le mot enregistrées - chaque position correspondant à un ou
< frgure ) couvre un vaste champ sémantique : il peut désigner cler"rx photogramrres - pour restituer à la projection un Figure 4.82
nn être
humain ou un animal (Lassie, l'âne Balthazar oLl Donald Duck), un robot mouvement relativement continu. Le massacre commis Dons L'enfer est à lui, Cody larrett (James
(R2D2 et c3Po dans la guerre des étoiles), un objet (4.79),une simple forme Robocop (Paul Cogney) se lève brusquement dans la
(4.80). À travers la mise en scène, ces figures expriment des sentiments et cles
-ug"ou"tt"t"cantyldelaprison'aprèsavoirapprìsla
mort de sa mère'
pensées ou procluisent des effets cinétiques. (rrn -o¿¿ta
"n
taille réelle, non articulé, était utilisé pour les plans
d'ensemble). La même technique sert aussi des esthétiques plus abstraites - voir
,l par exemple la séquence d'animation de pâte à modeler dans Ditnensions de dia-
Iogtrc (Monosti dialogtt,Jan Svankm ajer,1982 - 4.84).
\./.
I

.J I
H
'\' a

^1
Figure 4.79
Dons Le grand saut fhe Hudsucker proxy, Joel et
Ethan Coen, 1993), lorsque le coursier Norville propose
sa nouvelle idée de jouet, les boules qui allaient et
venaient sur le bureou de son potron s,arrêtent Figure 4.80 Figure 4.84
brusquement et inexplicablement. Le filmabstrait Parabola (Mory Ellen Bute, l93Z) Figure 4.83 Une conversation entre deux figures d'argile dégénère et
emploie lq lumière comme un fond pur pour mettre en Un modde réduit utilisé dons Robocop. elles commencent à se réduire en morceaux dans
valeur des formes sculpturales, Dimensions de dialogue.
202 Partie 3 Le style Chapitre 4 - Le plan : la nrise en scène 203

Un réalisateur pcut mettre en scèrìe nne ¿rction sans objets ou personnages en changenents que la notion de réalisne
Ce ¡'est pas senlement à cause de ces
trois dimensions. L'animation par cellulo, par exernple, rrous donne à voir des précaution dans l'analyse ou la critique cltt travail d'un
doit être enployée avec
dessins d'Alaclin ou dc Daffy Duck. Des dinos¿rures et des monstrcs fnbuleux, Un fihn u'aspire pas nécessairenent ar,l réalisne, et il existe autant de
acteut.
créés sous forme de modèles réduits, peltvent être digitalisés et mis en moltve-
ment grâce à l'irnageric numérique (cf. 1.29).

Le jeu et le réel

Expressions et mouvemeuts sont plus souvent considérés cotnme le Íìrit c'est vers elle que I'acteur otieutera son travail. Dans Ie tnogicictr d'Oz,l'irrêa-
cl'actenrs jouant des rôles qr-re celui de formes abstlaites ou de fìgures anirnées. lisme récurrent de I'interprétation est au service de la représentation d'un
Ur-re interprétation est conçLle pour être filmée; elle est constituée d'éléments llonde imaginaire : persotlne ne sait comment Se comporte une < vlaie , sor-
visuels (apparence, gestes, expressions faciales) et sonores (voix, bruits). Elle cièr.e. Le réalisme n'est qlte l'une cles possibilités de l'interprétation. Loutrauce
peut être uniquer-nent visuelle - ce fi.rt le cas pendant toltte la période dr-r film clu jeu procure aux publics des grosses productions - celles qui viennent de
nuet - ou uniqnement sonore : dans Clnhrcs conjugoles (A Lctter to Thrae Holl¡,vood, cl'Inde, de Hong l(ong - une grande part de leur plaisir. Le specta-
I,4/ivcs, Joseph Mankiewicz,1949),le personnage joué par Celeste Holm, Addie te¡r ordinaire n'attend aucun réalisrne du jeu de fim Carrey ou de celui de
Ross, commente en voix off les images mais n'apparaît jamais à l'écran. stars cles arts martiaux conìme Jet Li ou fackie Chan'

Lintcrpr'étartion est sollvent jugée suivant des critères réalistes. Les conceptious E¡ regardaut un fìlm de fiction, llous savons plus ot-t t¡oius que l'interpréta-
du r'éalisme de l'interprétation ont changé alt cours de l'histoire du cinéma : les tion, telle que llolrs la voyons à l'écran, est le fruit du métier et des décisions
perfornances de Russell Crowe et Renee Zellweger dans Cilulcrella Matr (Ron prises par l'acteur (voir < De ph-rs près r). En disant d'un acteur qu'il u fait
Howard, 2005), ou celles cle Heath Ledger et lake Gyllenhaal dans IJrokcbnclc dans la démesnre , ou qr.iil est, diseut les Anglo-Sirxolls) ( bigger thotr life r,
Mouttttitt (Ang Lee, 2005) nous sen-rblent correspondre, aujourd'hui, aux com- nous recolllìaissons irnplicitement le métier, l'art cle cet ¿rcteur et sou caractèr'e
poltements ordinaires de nos conterxporains. Dans les années 1950, le style de iltentionnel. Il est généralement uécessaire, pour analyser un film, de dépas-
l'Actors Studio, celui de Marlon Brando dans Sr¿r lcs quitis os (Ju trünwoy sel les préjr"rgés sur le r'é¿rlisme de l'ir-rterprétation et d'en cxaminer précisé-
ttotttttté désh' (A Strcctcar Natncd Desirc, Elia I(azan, 7L)52), était lui ¿russi consi- ment les fonctions.
dér'é comme très ré¿rliste. C)n peut continuer d'apprécier le travail de Braudo,
mais il paraît rlaintenant tont ¿ì la fois réfléchi, appuyé et assez peu réaliste. On
pourrait dire la même chose des actcurs, ¿ìmatellrs et professionnels, du
néoréalisme de l'après-guerre : ces films furent acclamés, à l'époque, comne des
peintures quasi documentaires de la vie italienne, mais la plupart d'entre cnx On pourrait penser que la première tâche de l'acteur est de dire ses répliques d'une manière con-
paraissent aujourd'hui montrer des interprrétations très lisses qui auraient con- vaincante et inspirée. Si la voix et la diction sont sans aucun doute très importantes au cinéma, en
venu all cinéma hollpvoodien. Et nons devenons déjà sensibles au travail for- termes de mise en scène, l'acteurfait aussi toujours partie de l'ensemble visuel du film. llarrive très
souvent que des scènes ne soient que peu ou pas du tout dialoguées, mais à chaque moment de
mel de qr.relques grancles performances soi-clisant naturalistes des années 1970,
sa présence à l'écran, l'acteur doit être dans le personnage. C'est visuellement que l'acteur et le
parr exemple celle de Robert de Niro dans'lnxi driyer (Martin Scorsese, 1976). réalisateur donnent forme à l'interprétation.
On ne peut pas savoir comment les interprétations de The Ittsidcr (Michael
De tout temps, les acteurs utilisent leur visage. Cela était plus évident avant l'avènement du cinéma
Mann, 1999, avec Al Pacino et Russell Crowe) ot ht tlrc Bcdroottt (Todd Fielcl, sonore, et les théoriciens de l'époque du muet ne tarissaient pas d'éloges pour le jeu facial subtil
2001, avec Sissy Sptrcek et Nick Stahl) seront reçLles dans quelques clécennies. de Charlie Chaplin, Greta Garbo ou Lilian Cish. Certaines expressions fondamentales comme celles
< J'ai du mal tì sr.rpportcr bcauconp de fìL¡s hollywoodicr.rs palce clriils suppo-
de la joie, de la peur ou de la colère, étant comprises facilement par toutes les cultures, il n'est pas
surprenant que le cinéma muet ait pu devenir populaire dans le monde entier. Aujourd'hui, les
serlt souveut cluc la significatiol'r on l'émotion est corrplise dans les quclques
films de fiction commerciaux utilisant beaucoup de gros plans, les visages des acteurs sont souvent
centirlètres carrés clu visirgc 11'un acteLll:, et je nc vois pas clu tout les choscs de
très proches et les interprètes doivent contrôler avec précision leurs expressions.
cette façon.ll y it unc furce dans le frrit de letcnir des inforrnatior-rs, dc lcs révé-
lel gladuellen.rcrrt. 11 faut laisser le public découvrir les choses clans lc crdle, en Les parties les plus expressives du visage sont les sourcils, la bouche et les yeux. lls contribuent en-
leur tetll-rs, à lcul llirnière. r semble à signaler de quelle manière un personnage réagit à une situation dramatique.DansJerry
Moguire (Cameron Crowe, 1996), une comptable, Dorothy Boyd, rencontre par hasard Jerry dans
Alison Maclean, cinóastc
un aéroport. Elle a un faible pour lui, en partie parce qu'elle est admirative du courageux rapport
2O4 Partie 3 - Le style Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 205

de mission qu'il a rédigé pour la société où ils travaillent tous les deux. Alors qu'il revient un peu exprimant sa noble souffrance (4.88). Peu d'acteurs auraient
sur ce mémo, elle le cite de mémoire, avec empressement ; le regard droit et le franc sourire de de postures stylisées, mais le public des premiers temps du cinéma
Renee Zellwegger laissent comprendre qu'elle prend tout cela plus au sérieux que Jerry (4.85), im- expressives, à la manière de mouvements de danse. Menichelli joue
pression confirmée lorsque celui émet un vague He he... et l'observe avec scepticisme, son sou- reste de la scène plus calmement, tout en se servant toujours d'attitudes expressives (4.89,4.9O).
" " le
rire figé marquant plus une politesse de convention qu'une véritable fierté (4.86). Cette rencontre
Les gestes de Chaplin et Menichelli montrent aussi
que les mains sont des outils importants pour
introduit à l'une des prémisses du film : les impulsions idéalistes de Jerry devront être continuelle-
ment soutenues, parce qu'il peut à tout moment redevenir un o requin en costume >. l,actãur de cinéma. Les mains sont au corps ce que les yeux sont au visage : elles concentrent l'at-
tention et évoquent les pensées et sentiments du personnage. L'actrice Maureen O'Hara disait
d,Henry Fonda : " ll n'avait qu'à remuer le petit doigt pour voler une scène à n'importe qui. " On
peut en voir un bon exemple dans le thriller crépusculaire Point limite (Fail Safe, Sidney Lumet,
'1964).Henry Fonda joue le président des États-Unis, qui apprend qu'un avion de guerre américain
a été accidentellement envoyé pour bombarder l'Union Soviétique. Fonda se tient droit près d'un
téléphone alors qu'on lui donne des nouvelles alarmantes sur la progression de l'avion ; il raccro-
che de la main gauche (4.91-4.94). En gardant le plan fixe et dépouillé, Sidney Lumet donne aux
doigts de Fonda le rôle principal, leur laissant exprimer la prudence du président mais suggérant
aussi la tension générée par cette crise.

l
lr
Figure 4.85 Figure 4.86
Ouverte et sincère, Dorothy rend hommoge ou ropport
idéoliste de Jerry Moguire.
Celui-ci sourit poliment, mois son regord de côté et le
mouvement de ses sourcils loissent penser qu'il est un \ 4ç
peu effroyé por tont de sérieux.

Les yeux ont une place particulière dans ce film. Dans toutes les scènes, les informations narratives
les plus importantes sont transmises par les directions de regard, l'utilisation des paupières, la for-
me des sourcils. L'un des moments les plus émouvants du cinéma de Charlie Chaplin est celui où,
dans Les lumières de lq ville (City Lights, 1931),lajeune vendeuse de fleurs aveugle vient de retrou- Figure 4.88
Dans La trigresse royale, lo moin droite de Menichelli
ver la vue et comprend soudain que c'est lui, son bienfaiteur. Chaplin prend une fleur entre ses
dents, pour que nous ne voyions pas la forme de sa bouche ; il faut alors lire son désir dans Figure 4.87 ogrippe ses cheveux, comme s¡ elle se tirait la tête en
ses
sourcils et dans son regard sombre et profond (4.87). Dons le climox des Lumières de la ville, Choplin, arrière dons un moment d'ogonie. Mois son corps
qu'il touche
en dissimulont so bouche ovec lo fleur co n se N e si multo né me nt u n e ottitu d e p rov oco nte,
Dans la vie normale, nous ne dévisageons pas continuellement les gens avec lesquels nous parlons. neveusement, force le spectoteur à voir l'espo¡r tendu vers l'ovant et se tenont fermement, ls moin
Pendant une moitié du temps, nous détournons le regard pour rassembler nos pensées - et nous qu'exprime le hout de son visoge. gouche posée sur la hanche.
clignons des yeux 10 à 12 fois par minute. Mais les acteurs doivent apprendre à se regarder direc-
tement, yeux dans les yeux et avec peu de cl¡gnements. Si un acteur quitte son partenaire du re-
gard au cours d'une scène de conversation, cela suggère une réaction à ce qui est en train de se
passer (surprise, inquiétude). Les acteurs qui jouent des personnages forts ou énergiques travaillent
souvent sur la fixité du regard. Anthony Hopkins disait ainsi à propos de son interprétation d'Han-
nibal Lecterdans Le silence des ogneaux: o Si vous ne clignez pas des yeux, le public reste
hypnotisé (voir 10.1, 10.3). Dans la scène de lerry Moguire évoquée plus haut, les protagonistes
"
se regardent fixement. Lorsque .lerry ferme les yeux en réaction aux éloges de Dorothy, cela signale
sa nervosité quant aux conséquences de la rédaction de son rapport.

Les acteurs agissent aussi avec leur corps. Les manières dont un personnage marche, se tient de-
bout ou s'asso¡t, transmettent beaucoup sur sa personnalité et son attitude. Aux XVllle et XlX" siè-
cles, le moT. ottitude était utilisé pour désigner la manière dont quelqu'un se tenait. Le
leu théâtral Figure 4.89 Figure 4.90
a fourni au cinéma primitif un répertoire de postures qui permettaient d'exprimer l'état d'esprit tout en s'éloignont
Menichelli commence à ovoir honte et elle se retire Elle reste tournée vers la cheminée
d'un personnage. Dans un film italien de 191 6, La tigresse royole (Tigre Reale, Çiovanni Pastrone), encore, devenue mointenont une figure pothétique.
olors vers lo cheminée, tournont le dos et se voûtont
la diva Pina Menichelli joue une comtesse au passé obscur. Dans une scène, elle fait un aveu en
d'une monière qui suggère le remords.
206 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan r la mise en scène 2O7

-- dals le moncle réel. Quoi qu'il en soit, les interprétations de Martin et Carrey
soltt en total accord avec Ie contexte de ces comédies fantastiques.
Urr jeu plus retenu et plus superficiellement réaliste n'aurait pas convenu au
contexte dn genre, du récit et de la mise en scène de All of Me er The Tnnnan
- Show, Cela suppose qu'urìe interprétation, réaliste ou pas, doit être considérée
suivant les fonctions qu'elle remplit dans le contexte génétal du film.
On peut aborder les styles cl'interprétation selon deux grands principes : un jeu
sera plus ou moins individualisé et plus ou moins stylisé. Ces deux critères ser-
:,,
vent souvent, de façon implicite, à juger du < réalisme > d'une interprétation, en
se demandant si elle contribue à créer un personnage autonome et si elle n'est
Figure 4.91
Figure 4.92 pas trop exagérée ou, au contraire, contenue. Le portrait que fait Marlon
Dons Point limite, le président se tient droit près du Brando de l)on Vito Corleone dans Le Parraitt (Tlrc Godfather, Francis Ford
Le président se fige puis se frotte les doigts
téléphone olors qu'on lui donne des nouvelles Coppola, 1972) esr par exemple fortement individualisé. Brando confère att
olormontes sur la progression de l'ovion ; il raccroche pensivement...
Parrain une psychologie complexe, une voix et une silhouette propres, ainsi
de la moin gouche.
qu'une série de gestes et cl'expressions faciales qui le différencient de I'image éta-
blie du patron de gang. Du point de vue de la stylisation, Brando tient Don Vito
-- dans un entre-cìeux; son interprétation n'est ni trop plate, ni tlop flarnboyante ;
il n'est pas in-rpassible, mais ne s'empare pas non plus cle la scène.
Cet entre-deux, souvent identifié à I'interprétation réaliste, n'est pas le seul
choix possible. Sur l'échelle des individualisations, les films peuvent créer des
types plLrs vastes, plus anonymes. Le récit hollywooclien classique était basé
sur une collection de stéréotypes idéologiquement coclifiés : le flic irlanclais
affecté à une surveillance, le domestique noir, le prêteur sur gages juif, la ser-
veuse ou la < giil > toujours amusantes. Les acteurs étaient sélectionnés et diri-
gés pour se conformer à ces stéréotypes, dont les plus talentueux parvenaient

Figure 4.93
Figure 4.94 parfois à renouveler les conventions. Ph.rsieurs réalisateurs soviétiques cies
,,, avqnt de taper un numéro sur l'intercom ovec lo ll qttend, et pendont un court instont les doigts de so années 1920 employèrent un procédé identique, le typage, suivant lequel les
moin droite. morn gouche s'ogitent ovec inquiétude. actelrrs clevaient représenter les différents archétypes d'une classe sociale ou
d'un mouvement historique (4.95, 4.96).

Le jeu : fonctíons et motivotion

Les chroniqueurs d'Holll"wood furent surpris, en 1985, lorsque Steve Martin


n'obtint pas d'Oscar porlr son interprétation dans All of Me (Carl Reiner,
1984). Dans ce film, Martin joue un homme dont le corps est soudainement
possédé, dans sa moitié droite, par l'âme d'une femme qui vient de mourir.
Pour représenter ce corps divisé, l'acteur change brusquement de voix, invente
des pantomimes acrobatiques. En 1999,il y eut une cléception équivalente lors-
que Jim Carrey ne fut pas nominé aux Oscar pour The Trunutn Sfuoø de Peter I
Weir, une comédie sur un homme qui ne sait pas que sa vie entière est diffusée Figure 4,95 tigure 4.96
à la télévision sous la forme d'une sitcom. Il n'y a bien strr aucun < réalisme > Au début de La grève, le capitaliste en haut-de-forme ...qui sera, ou cours du film, opposée aux ouvriers
possible pour ces rôles, les situations qu'elles décrivent ne pouvant pas exister ressemble ò une caricature de dessin animé,.. courageux et résolus,
20.4 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 2O9

L interprétation peut donc être plus or,r


moins typée, mais aussi plus ou moins sty-
lisée. Une longue tradition du jeu cinéma-
tographique vise la ressemblance à ce que
I'on estime être un cornportement réaliste.
Cette impression de réalisme peut être pro-
duite en donnant aux acteurs de petites
actions à exécuter lorsqu'ils disent leurs
r'épliques. Les gestes et les mouvements fré-
quents des acteurs ajoutent de la vraisem- Figure 4.100
Fiqure 4.99
blance à I'hunour des films de Woody scène de Le bras levé etla tête dramatiquement ietée en
LÅ sourires et gestes exagerés de cette
pègre sont omusants parce que nous arrière de Nikolai Tcherkassov conviennent bien
Allen (4.97). Des émotions plus intenses et Haute
Figure 4,97 que chacune des deux femmes essoye de au grand style dlvan le terrible.
plus explicites dominent Winchester 73 savons
Vrqisemblance de l'interprétation : Honnah (Mio décourager l'autre'
(Anthorry Mann, 1950), dans lequel James
Farow), sa sæur Holly (Dione West) et leur amie April
(Corrie Fishe) mettent lq table en parlont des invités Stewart joue un homlne conduit par un
dons Hannah et ses sceurs (Woody Allen, 1 986). désir de vengeance. Sa douceur apparente
explose parfois en brusques colères qui
révèlent sa névrose (4.98).
Les déterminations psychologiques ont moins
d'importance dans un film comme Haute pègre (Trou-
ble ht Parsdlse, Ernst Lubitsch, 1932), une comédie de Le jeu dons le contexte des outres techniques
mæurs sophistiquée où des personnages stéréotypés En observant Ia fonction de I'interprétation, nous pouvons aussl lnterroger sa
sont placés dans des situations comiques. En 4.99, relation aux autres techniques cinématographiques. Iìacteur, par exemple, est à
deux rivales font semblant d'être amies ; le comique l'évidence presque toujours un élément visuel du film, mais certains accentuent
naît cle I'exagération des sourires et des gestes, parfaite- ce caractère. Conrad Veidt, au cours de son interprétation da¡sée de Cesare,
le
ment accordée an genre, au récit et au style global du sonnambule dt
Cabinet du doctetLr Coligari, se confond presque avec les gra-
film. pl-rismes du décor. son corps est comme les arbres: même inclinaison, mêmes

res bonnes monières


pas
La comédie n'est un pré-
t p"r";;';;;;v¿;;'"
stvlisation'
texte.à la est exa-
colère montian cerbé - la musique, - pour
qu'il est au bord de la psychose. créer un portrait clémesuré du personnage principal.
Les gestes larges et heurtés cle Nikolai Tcherkassov
s'accordent parfaitement aux autres éléments formels æ
du film et contribuent à son unité (4.100).
Un film peut combiner différents degrés de stylisation : dans Arnadeus (Milos
Forman, 1984), les gloussements grotesques de Tom Hulce s'opposent à
I'interprétation suave de Murray Abraham pour accentuer le contraste entre le
gai et insupportable génie du jeune Mozart et la musique policée, ennuyeuse,
du vieux Salieri.
t
Figure 4.101 Figure 4.102
Jouant l'héroinedAu hasard Balthazar (Robert Bresson, .., puis regorde vers le bas, en dissimulant touiours ses
La stylisation des principaux rôles d'Iyan le terrible ou d'Antqdeus procède par
t 966), Anne Wiazemski iette un regard sans expression pensées, avqnt de monter.
extraversion et exagération. Mais la stylisation peut aussi résulter d'une
vers son prétendant, qui veut la foire monter dans sa
grande économie des effets. Les films de Robert Bresson sont, à ce titre, vo¡ture.. .
21l) Partie 3 Le style
Chapitre 4 - Le plarr : la mise elr scène 211

désarticulatiotls figurant les br¿rnches


et les feuillc" scnsible' Il y a, cntre ces deux extrêmes'
(4.103). Le caractère grapliique visrgc cir'vietrt
de cette scène ss¡,
colllre on le vena plus loin cn esqurssant uDe garr'ìnre de valiatiorrs possibles'
dcs styles, caractéristique cle I' exp ressiorÌnisme
histoir.c ,,iìti ',,',.
r Volts potLvez cletnludet' à tttt tlt-tt's rlueltltte cllose
B-*
allcrn an cl.
cr)llll1lc, disorls : u l)ebout l r, et l'ottt's se met
Dans À bont de stnrlJla, lean-Luc Godard juxtapose
le clebout. M¡is votts ne Pollvez pas cletnatlclet' ì uu
irlt
visage de Jean Seberg et trne toile dc
Renoir (4.104 or.¡'s : ( Prends ttlt air surplis' > .Alors il se tient
Elle est impassible, restant dans le cadre
et tourna trt cÌcboLrt, ct il fìrut lc surpt'etldlc. ]e petlx etrtrccho-
simplernent la tête. Son interprétation quel cleux casseLoles, ott stlt'tir utre pottle cl'tttre
est, clatrs tont le
filn-r, platc ct rnexpressivc c'cst sorr crge et ìa sccotler pour tltiellc glousse, et I'otrrs se
; visnge el son allure
Figure 4.103 générale q tu sont app ropriés pour lc clenr¡nclertt ri Qtiest-cc que c'cst qLre ça ? I ct voilà'
rôle, celui cl,une Figure 4.105
Dans Le cabinet du docteur Caligari, te Alrréricaine ¿rssez rnystér'ieuse qui reste j'ittrlli eettc cxPl es)i(rlì"
inaccessible à Dans ce long plan de La stratégie de
corps de Cesere foit écho aux troncs son petrt ami pari slell. -lirccl Lr es Alrualtcl
] eir n l'araignée, lo manière très ratde dont
d'arbre inclinés, ses bros et ses mains l'actríce ttent son ombrelle est l'un des
Une interprétation est aussi tr¿rnsformée
reprenant leurs bronches et leurs feuilles par le mon- Fonclatnentalement, une scène Pellt se concentrer soit principoux aspects de son
tage Par-ce qu'un fihn est très r¿rrernent
seule unité dc temps, le trav¿ril de I'acteur
tourné ell Lltìe sul lcs expressions faci¿rlcs d'un acteur soit sut' les interprétation .. .

norcelé. Cela est souvent un avantage pour


c1c cinéma est t.ìlouvemcnts de sou corps. La première possibilité
le réalisa_ p¿ìsse ell général par 1'er-nploi du gros plun, mêrne
si un
tenr. S'il existe plusicurs p rlses pour
nn mêrle plan, lc gros plalì peLlt ¿ìLtssi ¿ìvoir Pollr sujet une autrc P¿ìrtie
montellr a Ie choix du meilleur geste et
de la n-l eilleurc ã,r ..,tpt que le visage. [.es gestes de l'acteur clevien-
expressicln et, cle plan aì plan, recrée
nne in terprétation l.rent le centre de l'interprétation lorsqriil est éloigné de
composite théoriquernent meillcure
clue n'ir.nportc la c¿rrnéra ou lot'sque soll visage est occulté.
quelle interprétation continue. L ajout
de sons ou la Ce clue noLrs voyolìs de l'ir-rterprétation c1'un iìctellr c1e
cornbinaisorr avec d'autres plans arnéliorcllt
encttrc cinérla est donc déterrniné ¿ì Ia fois par la misc en scène
cette création de l,interprétation. Le
réalisateur pelrt
Figure 4.104 denander ¿ì un actenr cle sirnplernent cle l'¿rction et par lir ciist¿rncc de l¿r calréra. l)alls Lo slrs-
é carquiller les
tégic dc I'oraignóc (I'ø strotcgitt dcl rugtrc, Bernarclo LJer-
Jean Seberg dons À bout de souffle une yeux et regarder fixernent hors-champ
; si le plan sui-
interprétation tnexpresstve/ ou
vant montrc une marn tcnant un pistolet, toh-rcci, 1970), dc notrbreux plerus tnontrent les dellx
le spectateLu
énigmatique ?
pensera sans dotr te que l'acteur expriuzrit pcrsollnages pliucipar.x depuis ull point de vlte éloigné,
de la frayeur
dc tclle nanière que toute leur intelprétation tient en Figure 4.106
Les techniques dc prises de vue créeltt
tions de jeu particulières. La comparaiso aussi cles situa_ une clém¿rrche associéc ¿ì des clétails cotllnìe le port très . .. tandis que dans une scène de
ll avec le théâtre fait souvent clire qtÌe raicle du parapluie de I'héroïne (4.105). Dans les scènes conversation nous pouvotts votr les
l'¿rcteur de cinénra, parce qr.r'ìl petr
t i'lr'e [rrocfie de la canéra, adoptc un clialoguées, nous voyons leurs visages (4'106). mouvements de ses yeux et de ses lèvres
plus modéré, nlors que c'est ell
plutôt un constant mélange de retenue et
J

d'emphase qu'il doit pratlqLler. Ces facteurs techniclues sont particttlièrenent impor-
lants lorsc¡ue les interprètes ne sont pas des acteurs, ni
de théâtre qu,on peut l,être d,un actcur rnêrre des êtles hltm¡-rins. Des aninaux peLlvelìt don-
ner Lure borrne interprétation grâce au cadrage et au
:j i;ä;,f fiä"'i:ï;:: :rT;: tnontage. La pcur appat'ente de lones¡ le chat d'Alietts
qu'' (James Canerott, 1986), vicnt d'une ¿rccentuation de
ne nol,s arrparaîtra jamais 0"0".ü:i:;iì,iililåïi::::î;ilxii'¿îï::$: son feulemelrt et c1e son mouvement c1e recul au
très près, la caméra en révèle r., ir.,oru"-cnts
les plus infinres. Lactcur doit lnoyen de la lumière, dtt cadre, dr,t montage et du
en fonction de .sa distancc à la caméra
: loin d,elle, nrixage sonore (4.107). Ce type de n-ranipr'rlation est
re plus amples, son jeu, passer par
Ll¡ plus grancì cncore plus présentc clans les films d'animation' D¿rns
prclchc, la moindre contraction cl,un
musclc du Féticha tnoscottc (Ladislas Starewicz, 1934), les visages Figure 4.'107
ct les gcstes d'un dórnon et cl'ltl.l voleur ell convL'rsiìtiolì Un chat ,< jouant, dons Aliens.
212 Partie 3 Le style Chapitre 4 - Le plan : la nrise elr scène 213

,,
ont des changenents subtils entièrernent crees) mais dans n'importe quel plan, ils s'entre¡rê-
,..ieux iuralysL,f lerlrs apports,
par image, à partir cle poupécs (4.r0g). 'l''ìage
iå,ìì. itr se
clé!,loient à l'écran dans l'espace et dans le tetnps, pour lemplir plu-
Ccxlme les ¿rutres éléments composant un filn, I'inter._
sieurs foncticlt-ls'
prétation offre un champ infini de possibilités et rre
peut être évaluée selon des critères généraux ignorarrt
le contextc concret de la forme du film.

5. La mise en scène dans l'espace


Figure 4.108
et dans le temps
Des poupees representant le diable et
- -'"'un Sandlo
,\ |
et Clar-rdia sont à la recherche
voleurdansFétiche mascotrå.-" d'Anna, .¡ui a
mystélieuscnent disparu. Ils sont, r.espectivement, sc)n
ama't et so' a'rie, mais au cours clc leur recherche ils se
sont progressivetlent éloignés de leur but, et ont entamé une relation arìolr-
reuse. Dans la ville de Noto, ils se tiennent snr le toit d'une église, près
des clo- res clans de vastes Paysages r,trb¿rins ou côtiers. Mais même Ià, par la mise en
ches, et Sandro dit legrettcr d'avoir
abanclonné l'architecture. Clauclia nous gardons à l'csprit leur relation intime.
scène,
l'ettcourage ¿ì revenil à sou art lorsque soudainement, il lzr demancle e¡ rlariage.
Elle est étonnée et confttse. Sandro vicnt vers elle, alors qu'elle tollrne le Consiclér'ons le premier photogramme collme une itnage à deux dimensions'
clos plus
au spectirteur. Seule I'expression dc Sar-rdro est d'abord visible lorsqu'il réagit Sandro et Claudia se détachent sur le fond clu ciel pâle et de Ia balustrade

sa plainte : < Pottrquoi les choses ne peuvent-elles être pfurs sirnplel ? , so¡rbre. Leurs silhouettes sont plutôt constituées de courbes - celles des têtes
(4.109). Claudia cntortilìe ses br¿rs atrtour cle la corcle
rcliée ¿rux clochÀ, et sc et cies épaules - qui contlastent avec la r'égr-rlarité géométrique clu garde-fou.
détournc de lui tout eu teuaut la corde et en agitant uue main. On corlprc¡<l La l¡mière frappe le visage et le costume de S¿rndro par la droite et le dét¿rche
llainten¿rnt qdclle est ébranlée. Sandro, mal iì I'aise, se détonrne à son tor-Lr linsi c1u fonci. Sa chevelure ntlire est positionnée de tnanière à ce que sa tête
alors qu'elle dit ave c inquiétude : < J'airlerais y voir clair. > (4. r r0) l'cssorte contre le ciel. Claudia, bloncle, contlaste moilìs vivement avec le ciel
Altssi court soit-il, ce clialogue extr¿rit de L'Ayvcttltira cle Michelangelo Anto- et la balustrade, mais sa veste à pois crée un n-rotif clistinct. Enfin, le plan équi-

nioni (1960) r-nontre de quelle nanière les outils de la nise en icène le libre les deux silhouettes, Sandro clans la moitié gauche du caclre, Claudia à
décor' les costutncs, la lumière, I'expression et le llouvenent cles figurcs
- clroite.
petlvent sc conbiner avec élégance. Nous les avons évoqués séparément pour
-
Il est diffrcile cle penser à un plan Lrniqlrcl-ìlent selon clenx clinensi<urs. Itrs-
tinctivement, rrolls le voyons colrìnre la clescription d'un espace à I'intérieur
cluquel il est possible de se déplacer. Claudia setnble plus proche c1e u<ltts
parce que son corps cache cles élémcnts qui sc trollvellt plus loin, r¡n indice
spatial foncl¿rmental qui se llomme le rccouvrutrctú oLtle clrcvnuclrcttrcnt.Flle

quasi-totalité cle la ville . Se crée ainsi l'impression cie clifférents plans spatiaux,
cle diflércntes n cottches , cl'espace plus ou moins proches dc nous' Des élé-
Figure 4.109 ments c1e la mise en scène collllle les costulres, le décor, la lumière et les posi-
Figure 4.110
Un exemple froppant de frontolité dons L,Avventura ... les personnaqes [ournent le tions dcs figures procluisent ce sentiment d'une ar'ène tl'iclimensionnelle oùr se
dos ò la caméra
l'un oprès l'autre.., clóroule l'¿rctiolt.
214 Partie3-Lestyle Chapitre 4 Le plan : la mise en scène 215

qlre sandro la demande en lrariage, et la corde est tendne entre ellx (4.109). ,-
Comment va-t-elle répondre ?

Antonioni conmence par donner à claudia quelque chose à faire. Elle


enroule la colde autour de son bras puis la fait glisser derrière elle. cela pour-
rait être r-rn indice signifiant qu'elle est sensible à la proposition c1e sandro. En
temps, elle hésite -_ dès qdil la presse, elle se détourne (4.110).
'ême
Nous savons que les visages permettent d'accéder aux pensées et aux érlo-
tions des personnages. Avec un autre réalisateur, Claudia anrait peut-être fait 'ti
Figure 4.111
personnoges principaux dans ce plon de Tootsie.
attentes narratives dirigent notre regard vers les
face à la caméra a' monent cle la clemande cle sandro, de manière à ce que
nous puissions voir immédiatement sa réaction. À l'inverse, A¡tonioni laisse
flotter un instant une certaine incertitude. Il a caché la réaction cle Claudia,
llespace
puis la laisse se retourner vers nolls. pour' être súrr, alors, que nous la regar-
dons ellc et rìorì Sandro, il fait se mettre de dos l'horrme lorsqu'elle s'agite et L'espoce de l'écron
parle (u J'air-nerais yvoir clair >). Notre attention est rivée à elle. bien cles aspects, l'image de cinéma ressemble à un tableau - elle présente
P¿rr
-rrès
vite, Sandro se tounìe à son tour vers la caméra pour que nous puissions une composition plate cle couleurs et de formes. Avant mêrne de commencer
découvrir sa réactiolr - rlais l'angoisse cle Clauclia rìous a frappé. Sa relatio¡ à lir.e I'image comme un espace triclirnensionnel, la mise en scène offre de
contr¿rdictoire à Sandro, faitc d'attirance (elle passe solls la corde) et d'incerti- nombreux indices à notre attention, Pollr nous guider et mettre eu avaut cer-
tude (ellc se détourne) a été présentéc concrètement. tains éléments du cadre.
Prenons par exemple quelque chose d'aussi
élémentaire que l'équilibrage de la compo-
sition d'un prlan. Les réalisateurs essaient
souvent de distribuer dans I'ensemble clu
cadre plusieurs zones intéressantes' e11 col-l-
4'
siclér'ant qu'un splectateur se concentre ph'ts
e1
sur la moitié supérieure du cadre (sans
doute parce que c'est là que se trouvent,
dans la majorité des plans, les visages des
personnages). Le caclre cinématographique Figure 4.112
valeur la composition
étant un rectangle horizontal, il s'agit aussi Une palette limitée met en
symétrique de ce plan de La vie sur un fil.
d'éqr-rilibrer ses n-roitiés clroite et gauche. La
symétrie bilatérale est le cas extlême de cet
écluilibrage. On peut en voir un exemple lors de la scène cle bataille de La vie
xtr un fil (Biart zott Ltianchang, Chen Kaige, 1 991 - 4'll2) .
< Le public ¡c va regarclel clue ce qui prédon-rine clar-rs le caclre, il faut prcndr:e
dont un réalisateur peut guider llotre attention vers ce qu'il faut voir. pour e¡ chalge son attention et la diligcr. C'est comlne cn tlagie : cluelle cst la scule
tenter de saisir tous les choix offerts par. la mise en scène, nous allons évoquer chose i¡rpoltrnte ? Facilitcz-ler-rr la clécor.rverte dc cettc chosc, et vous aulez
plus en détail ses possibilités spatiales et temporelles. fait votre travail. >

David Marnet
216 Partie 3 - Le style
scène 217
Chapitre 4 - Le plan : la mise en

turo que lìous avons décrit précédemment.

Léquilibrage du plar-r est la norme, nais un cléséquilibre clans la compositiorì


peut aussi produire des effets très forts. Un plan du Voleur dc bicyclcttc (Latlri
di lticiclctte, vittorio de sica, 1948) met I'accent sur le nouvel ernploi clu père
en colÌcentrant Ia plus grande partie cle la composition dans la n-roitié clroite
t
Fioure 4'115
Cítte composition
du Voleur de bicyclette
Figure 4.1 16
Dans ce plan du Cri, au lieu d'équilibrer la

insiste sur le nouveau


trovail du père en massant répartition du couple dons le cadre, celui-ci est
du cadre; le fils, à gauche, sen-rble d'autant plus vulnélable que sa silhouette plupart des figures ò drotte du codre centré sur l'homme, S'il n'y avoit pas d'arbre, le
b
plan serait toujours plus chargé sur sa droite,
ne contre-balance pas la composition (4.115). on trouve un exemple plus
mais la verticole surprenante du tronc alourdtt
radical d¿rns rc cri (Il grido, Michelangelo Antonioni , 1957 4.116) ot pl.,tot
- , encore plus ce côt,é.
que d'éqr.rilibrer la composition avec les corps de I'homme et cle la femme, lc
réalisateur choisit de placer l'horlmc au centre du caclre et de charger la moi-
tié droite cle la composition avec Lrn tronc d'arbre. on pourra aussi interpré-
ter cette conposition comme une manière de créer un fort désir cle voir le
vistrge de la femme.

Parfois ull réalisateur laissera ses plans légèrement c1éséquilibrés, cle manière iì
créer le pressentirlent que quelque chose va changer c1e position clans le
cadre' Le cinéma des ¿rnuées 1910 en offre des exerlplcs fascinants. Tiès s9¡-
vel-ìt une portc placée au fond du clécor perrnettait au réalisateur cle rnontrer
Figure 4,117 Figure 4.118
I'arrivée d'url nouveall persorìnage, rlais les figures du premier plan clevaient
Très tòt dans l'histoire du cinéma, les r'éalisateurs Elle se regarde dans un miroir, le codre est
alors être repositionnées pour qne I'entrée soit clirirement visible. Il en résul- ont employé des compositions déséquilrbrées pour clairement décentré,
tait un subtil déséquilibrage et rééquilibrage de la conposition (4.117-4.120). préparer le spectateur a un nouveau
Au chapitre 6, nous verrons cie quelle ln¿rnière le montage peut équilibrcr développement naratif , Dans La mort du cygne,
la jeune bollerine reçoit une tiare d'un admtrateur.
deux plar-rs aux cornpositions déséquilibrées.

Figure 4.119 Figure 4.120


Figure 4.113 Figure 4.114 Lorsqu'elle boisse son bras droit, la porte du ll vient à l'avant-plan et équrlibre la
MarsAttacks ! (Tim Burton, 1 996) : un seul personnage ... et deux personnoges équilibrés dans le cadre fond s'ouvre et son père apparaît. composttion.
centré, . ,
2ta Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 219

Le réalisateur peut guider notre attention en


employant une autre stratégie éprouvée, le principe du
contraste. Nos yeux sont attirés par les changements et
les différences. Dans la plupart des films en noir et
I
blanc, les costumes clairs ou les visages fortement
éclairés ressortent, tandis que les zones plus sombres
ont tendance à s'enfoncer (4.121). Si différentes plages
lumineuses rivalisent dans la composition, nous
aurons tendance à aller de I'une à I'autre. Des formes Figure 4,125
Figure 4'121 sombres peuvent devenir saillantes si elles s'inscrivent Dons Aliens, les couleurs chaudes comme le iaune
Fiqure 4.124 n'appororssent que rarement.
nd lumineux et sont nettement clessinées, Mãurtre dans un jardin anglais emploie une
palette
es cheveux de Sandro dans la scène de t¡mitée de verts, noirs et blancs.

ravLLe plus haut (4.109). Le même principe


e pour la couleur. On observe des effets de ce Casanova de Fellini, évoqué plus haut
(4.39). Meurtre dans un jardin anglais
type dans Les alouettes sur le fil (Skivártci na niti, Jiri (The Draughtsntan Contract,Peler Greenaway, 1982) développe une palette de
Meuzel, 1969), où les vêtements clairs des personnages ressortent sur les gris .oul.rrrc froides (4.124). La monochromie est une réduction extrême de la
terreux et les noirs de I'entrepôt d'un ferrailleur (4.122). Un autre principe gamme colorée employée dans une image : le réalisateur choisit de ne tra-
efficace est que lorsque les intensités lumineuses sont équivalentes, 1., .o.,- iailler qu'avec une seule couleur, en faisant varier sa pureté et sa luminosité'
leurs chaudes, celles appartenant à la garnme des rouges, oranges et jaunes, Nous avons déjà vu un exemple de monochromie avec
attirent plus l'attention que les couleurs froides, les violets et les verts. Le le blanc-sur-blanc de THX 1138 (4'40). En monochro-
décor et les costumes des personnages de Yol (Yilmaz Güney, 1982) ont des mie, la moindre tâche de couleur contrastant avec celle
teintes chaudes, mais la veste rose du personnage agenouillé en fait le premier qui domine le reste de I'image attirera immédiatement
objet du regard (4.123). l'attention du spectateur. Par rapport aux tons métalli-
Les contrastes chromatiques n'ont pas besoin d'être massifs, l'æil étant sensi- ques dominant A,liens, même un jaune terne - celui
ble aux petites différences. Le réalisateur concevra parfois la couleur de son d'un engin de chargement monté sur des échasses -
film en fonction de ce que les peintres appellent une < palette restreinte > : un suffit à mettre en relief un accessoire important pour la
nombre réduit de couleurs faisant partie de la même gamme) comme dans le suite du récit (4.125).
Le cinéma possède une possibilité que la peinture n'a
pas. Notre tendance naturelle à remarquer les différen-
Figure 4,12ó
ces visuelles se démultiplie lorsque l'image comprend Watching for the Queen
du mouvement. Dans la scène de llAvventura, la rota'
J
tion de Ia tête de Claudia devient un événement majeur,
mais nous sommes aussi sensibles à des mouvements
bien plus discrets. Dans la première image, totalement
fixe, de Watchhtg for the Queen de David Rimnter, nous
prêtons attention aux mouvements des rayures et de la
poussière sur la pellicule, que nous ignorons habituelle-
ment (4.126). Il y a aussi de nombreux éléments qui
Figure 4.122 pourraient attirer notre attention dans f image présentée
Dqns ce plon de Les alouettes sur le fil, le décor d,une en 4.127 - extraite de Récit d'un propriétaire (Nagaya
décharge offre des gris et des noirs terreux contre
Figure 4.123 shinshiroku,Yasujiro Ozu,1947) - mais c'est une feuille tigure 4.127
lesquels les vêtements plus clairs des personnoges se
Les couleurs chaudes guident le regord dansyol. de journal agitée par le vent qui, dans ce cadre par Pettts mouvements dans Récit d'un
détachent nettement. proprlétaire.
ailleurs totalement immobile, attire soudain notre æil.
22O Partie 3 - Le style Chapitre 4 - Le plan : la tnise en scètre 221

Lorsquc ¡llusieurs élémcnts en ulouvenìent apparais_ profoncleur permettant cle


I sent, comt-ne, par cxelnple, cl¿rns urre scène de bal, métrie : elles n'ont pas
"j notre attcntion vargaboude, s'attache :\ des signaux dìf_ rien de con11ll et n'ont pas
cl
ferents olt alrx éléments narr¿rtifs les plus saillants. I_e rlouvements qtti, eu les uontrant sous cles angles
cle
Lincoln qrLi apparaît en fond de plan, en 4.128, extrait
différents, suggér'eraient leurs volumes.
de Vcrs sn dcstittéc (Yunry Mr. Lincoht, John Forcl,
*- 1939), est presqlle immobile par rapport ¿rux d¿rnsetrrs
la profondeur de l'espace représetrté est str¡tifiée err
différents plans où prennent place les pelsotln:rges et
du premiel plan. Mais, persollnage principal, il est ar,r
les objets. On distingue généralement, du plus proche
ccntre d'un cadre oir les antres ne font que passer
Figure 4.128 a¡ pllls lointain, le premier plan (ou, de façon noins Figure 4.129
rapiderlent : le spectatellr peut détailler scs gestes et
Mise en voleur d'une figure se tenant à précise, l'avant-plan), le second plan et l'arrière-plan. Les ombres et les formes donnent
l'orrière-plan dons Vers sa destinée. ses cxpressions, aussi réduits soient-ils conparés i\
I'action énergique du prernier plan. Seul r¡n écran parfaitement vide est composé cl'un seul l'impression du volu¡ne dans la passion

pian. Toute forme, fírt-elle abstr¿rite, qui apparait sur


de Jeanne d'Arc,

L'espoce de Ia scène cette sttrf¿rce la transforme en arlière-plan. Notts ¡ler-


Regarder ttn plan de cinéma comrÌle une image iì deux dime¡sio¡s nous aicìe cevons les quatre fot'mes en S de la figure 4. 130 comme
iì appréciel le talent des réalis¿rtcurs, nais dcm¿rnclc un cert¿rin effort. Il est inscrites par-dessus le foncl plus clair, alors qu'elles
plus facilc de voir ilnnódiaternent les contours et lcs masses qui se présente¡t sol-ìt strictement sur la même sllrface. Lespace est ici
sltr l'écrau coltìme appartenant lì un espace tridilnensionnel, scmblable à cornposé de der"rx plans, conme dans Lrne peil-ìtlÌre
ceìui c'lans lequel nous vivons. Les élénents de I'inage qui produiserrt ccttc abstraite, et c'est le recottvreuellt oLl chcvouclrctttuú de
it-trpressior-r sont appelés dcs ittdiccs dc l'un cle ces plans par l'autre qui; comue dans l¿r scène
ltroJorrduu-. d,e L'AvvcttttLru, constittte une indication de çrrof'on- ." :'i
Les indices dc profoncleur llolls permettent de comprcndre que l¿r rencontre
cletrr. Les fornes en S semblent occulter une partie du , .t rt ,
dc Sandro et Claudia a lieu dans Lrn cspace réaliste, contenant dcs ¡ivcaux dif-
u fond > et être arinsi plus proches dc uous. En 4'115,
les silhouettes <les persorìnages recolrvrerìt cellcs cles ';:::::r:i,?,"n ptate donsBesone, Du'
éclrclles, et nous cornprenons donc qr-iils stlut ph.ls Care(NårmanMcLoren, 1949).
proches de nons. En 4.116, le trottc de I'albre recoltvl'e
presqlle totalernent la sill-ror"rettc de la femtne.
Lc recouvrement peut permettre de cléfinir Lln très grancl nombre de plans
sinples nrollvellrents ou fnçolr de se tronver dans l'espace cle la scène, s,il
dans la profondeut. En 4.56, r.rne imagc exttaite de Lo Clùrclsc où I'on distin-
s'agit d'objets.
gue trois plans : les pages décor.rpées dans des magaziues cle mode forment ttn
Les indices de profondeur laissent sllpposer qn'nn espacc est ¿\ Ltfois ttoltnú-
arlièle-phn particllen-rent caché pirr le visage de la fetnrne, lui-rnême dissi-
ttcttx et composé de différents plarrs. Lorsque nons parlons du volúme cl'un mulé dans le bas ¡rar sa m¿rin. l)ans lc systèn-re cle l'éclairage tlois points, la
objet, nous désignons son occup¿ìtion concrète d'un espace à trois climen- technique dite clu décrochage renforce les effets de recoltvremeut des plaus
sions. Le volumc est suggéré, dans un fihl, par des fclrmes, cles ombres ct cles par Lute accentltation des contours des personnages ou des objets (rcvoir les
Irrouvcrnents. Nous lle pcrcevons ¡ras les visages des figr-rres 4.104 ef 4.129
figures 4.59,4.64 et 4.66).
(cette dernièrc, extraite de Lo
ltttssiort dc Jcaturc r/ Arc) comme cellx cle pou- Le même effet per.rt être obtenu alt lnoyen de la coulcur'. Les cottleurs froides
pécs ¡rlates découpées dans du ¡rapicr' : la forme des têtes, des épaules, évo-
ou pâles ayant tendance à reculer, les cor,tleurs chaucles à avatttcer, les premiè-
quent des corps pleir-rs, les onbres donnent vie à des courbes qui rnoc1èlcnt les
res sont souvent en-rployées pour les erllière-plans, les clécors, et les seconcies
traits des acteurs. Nous supposolls qlle I'actrice dc Ia figure 4.104 peut tourner
pclur les costllmes ou tout ce qui doit venir au plemier plan. On en clonne
la tête, et clue tìolls verrons alors un profil.
encore un exemple avec les conleurs chaudes de la robe cle l'héroïne de Satnlti-
Certaines compositions des films abstraits n'évoquent allcun volnrne, not¿rm- zntrgo (SarahMaldoror, 1972),qui se détachent sur un foncl pâle (4.131) mais
tnent ¡rarce qu'elles rlettcnt en (Euvre des forrnes qui r-re s'apparentent iì il faut aussi rcvoir les planches 4.29,4.34 et 4.125.
alrclln objet corrnu du spectateur. Ainsi les formes présentées en 4.130 ne
222 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 223

Figure 4.133
Librouillard augmente l'effet de distance entre les
Figure 4.131 Figure 4.132 orbres de l'avont-plon et ceux de l'arrière-plon dons Figure 4.134
Dons Sambizan ga, les couleurs chaudes et presque Les couleurs vives accentuent l'impression de grande cette tmoge du Mur. Dans La charge de la brigade légère (Charge of the
saturées de lo robe de l'héroine la font ressortir profondeur dons One Froggy Evening.
Light Brigade, Michael Curtiz, 1936) un effet de
distinctement sur le fond pâle.
perspective atmosphérique est créé artifictellement par
la combinaison d'une lumière diffuse au fond et d'un
Les films d'animation emploient en général des couleurs plus vives, plus satu-
manque de netteté générale de l'image.
rées que les autres types de films, et peuvent par conséquent produire des
effets de profondeur plus forts. La grenouille de One Froggy Evening (Chuck
fones, 1955) (4.132), avec sa peau d'un vert brillant et son parapluie jaune,
jure sur le rouge sombre du rideau et le beige de la scène.
Des contrastes de couleurs atténués peuvent suffire à créer un effet de profon-
deur. Dans L'argent (4.21-4.23), Robert Bresson utilise une gamme réduite de
couleurs froides et un éclairage relativement uniforme, mais la composition
met toujours en valeur plusieurs plans par de légers chevauchements de mas-
ses sombres, brunes et bleutées. Ce sont de légères différences dans les nuan-
ces de rouge qui étagent les plans de I'image extraite de Casanovø (4.39), et tigure 4.135
I'impression de profondeur est produite, dans celle que nous empruntons à lndices de profondeur dans Chronique d'Anna
Magdalena Bach.
Mettrtre dans un jardin anglais (4.124), par la succession des verticales noires
et la gradation des verts en bandes horizontales de valeurs égales. La stratifica-
tion de la scène est ici clairement produite par les couleurs. Le photogramme présenté en 4.135, extrait de Chroniqtte d'Arun Magdalenø
Le mouvement, au cinéma, fournit I'une des plus irnportantes indications de Bach (Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1967) montre un effet de profon-
la profondeur : il suggère à la fois les volumes et la succession des plans deur produit par plusieurs facteurs : chevauchement, ombres portées et dimi-
(4.128). La perspective atmosphérique est une autre façon d'indiquer une nution progressive de la taille des figures. Plus une figure est petite, plus nous
profondeur, par atténuation progressive des plans les plus lointains. Notre la croyons lointaine et plus I'espace nous paraît profond.
appareil de vision interprète généralement les contours et les matières les plus On a avec cette même photographie un exemple spectaculaire de perspective
nets, les couleurs les plus pures comme appartenant au premier plan. Dans Iinéoire. Nous revenons sur les relations perspectives au chapitre suivant,
des vues de paysage, I'aspect flou et grisé des plans lointains peut être dû à de parce qu'elles résultent autant des caractéristiques de I'objectif de la caméra
véritables effets atmosphériques, comme dans Le mur (Duvar,Yilrr'az Güney, que de la mise en scène. Remarquons seulement pour le moment qu'une forte
1983) (4.133). Même lorsque cet effet est minime, notre vision assigne les impression de profondeur est produite par la convergence, à I'infini, de lignes
contrastes forts au premier plan, comme dans I'exemple emprunté à Satnbi- supposées être parallèles. La figure4.135 illustre une perspective linéaire
zanga (4.13I). La manipulation conjointe de l'éclairage et clu point sert sou- décentrée (le point de convergence n'est pas le centre géométrique du cadre) ;
vent à estomper les arrière-plans (4.134). la figure 4.124 donne un exemple de perspective linéaire centrée.
224 Partie3-Lestyle Chapitre 4 Le plan : la r¡ise en scène 225

Dans la plupart des exernples qlle nous avons déjà donnés, la mise en scène ne parties de l'image. Cette interactiotr est Itr
entre différentes
sert pas seulement à focaliser notle attention sur des élérnents du premier
plan mais ph"rtôt à créer une relation dynamique entre le prernier ¡rlan et le
uartictrlièrenetlt
'lvrllr,,t
claire dans cleux plans de lotn' de colèrc
r/ag' Car'l Thcodol' Dreyer' 1943).
tsnt
fond. En 4.56, par exemple, Godard maintient l'attention sur l'ensemble de la Ittrf,
cornposition en utilisant des arrière-plans saillants : nous balayor-rs rapide- Dans le pretnier
plan, Atlne, l'héroïne, se tient deltout
tlt¡Íï
devant une cloison ajourée (4.138). Elle ne parle ptrs,
ment dn regard toutes les images se trouvant derrière le visage de l'actrice.
nais son statut de persorlrlage principal en fait déjà le
Le plan extrait de La clùrclse montre une composition peu profonde; clans centre de notre attcntion. Le décor, l'éclairage, le cos-
de telles images, la mise en scène donne l'impression d'un espace relativement t¡nlc et l'expressiotl de son visage coufirmeut nos
plat, oùr les plans les ph-rs plus proches et les plus éloignés ne sont presque pas attentes. Le décor produit un rnotif de lignes horizonta-
séparés. Dans la tenclance opposée, la composition ptofonde, ulle distance Figure 4.138
les et verticales que viennent irlterrompre les cottrbes
irnportante semble séparer les plans - c'est ce que nontrait notre exerlple Jour de colère : concentration sur une
délicates de son visage et de ses épaules. La lumière seule figure.
précéclent de clu'ortitluc d'Atnm Magdolun Boch (4.135). un réalisateur. divise le caclre en Lrne zone claire, à clroite, et une zone
créera souvent des compositions profondes par la jr-rxtaposition d'un avant- sorxbre à gauche, dont Anne est le point de reucontle ;
¡rlan de taille inportante et d'un ¿rrriòle- so¡ visage est modelé par la h"rn-rière plincipale, relativement dure, venant de l¿r

plar.r distant (4.136). droite, ainsi que par une faible lunière zénithale tombant slrr ses cheveux et
La < profondeur > ou le u per-r de profon- une légère lumière cl'appoint. Son costurne répète cette distinction franche
deur > de l'espace créé par ture mise en entre zone claire et zone sombre - le col blanc qui ponctue la robe noire, le
scène sont relatifs. La plupart des composi- liser'é blanc de la coiffe - Lrolrr, une fois c1e plus, souligner Ie visage.

tions présentent une profondeur trtoyerìt-ìe, lirnage produit un faiblc effet de profondeur. C)n clistingue ru1 arrière-plan et
qui se situe entre les extrêmes que llolls url prernier plan très proches. Larrière-plan, dominé par la géométrie rigicle
venolls d'évoquer. Une composition pourra c1e la grille, fait du visage attristé du pcrsonnage l'élément le plus expressif du

manipuler les indices c1e profor-rdeur polrr caclre, attirant irnmédiatement notre ¿rttention. Cette rnêrle grille divise le
faile paraître ul.ì espace plus étr-oit ou plus cadre horizontalernent en deux palties égales ; celle du bas est marquée par la
plofor-rd qr"iil n'est réellement - créant ainsi verticale sotnbre de lir robe, celle du haut par la présence du visage, légère-
Figure 4.136 une illusion d'optique (4.137). ment décentré iì gauche mais tourné vers la droite de façon à compenser le
Plusieurs scènes de Cendres et diamants opposent des À ce point de notre étude, volrs ¿ìurcz peut- vicie. (Imaginez le déséqr.rilibre de la composition si elle regaldait vers la
avant-plans très rapprochés et des arrière-plans lotntains
être envie de revoir des plans montrés ¡rlus caméra et que la même portion d'espace était laissée vide ¿ì droite.) L équilibre
h¿rnt claus lc chapitre. Vous rerlarqllerez recherché par la composition contribue donc à mettre en valeur I'expression
qlre ces images enploient les indic¿rtions de du personnarge. On voit que, sans allcltn n-ìoLlvement, Dreyer a établi un sys-
B I LIETS
tèrne de relations entre les lignes et les formes, l'ornbre
¡r rofonclenr - chcv¿ruch clìrelìt, mouvcm ent,
ombre portée, perspective atrlosphérique, et la lumière, le premier plan et I'arrière-plan.

dimirrution de la taille et perspective Dans le second exclttple, toujours ernprunté ìt lour de


linéaire - pour créer des relations précises colère,notre attention est soumise à un rlouvement cle
entre le premier plan et l'arrière-plar-r. va-et-vient (4.139). C'est à tlouve¿ìu le récit qui nous
Le fait qlre nous soyorls sensibles aux diffé- guicle dans notre appréhension de I'image, les person-
uages et la charrette étaut cles élénrents narratifì essen-
rences visuellcs perr-net aux réalisateurs cle
TAPI¿ diriger notre erppréhension d'une nise en tiels. Le son nolls aide, puisque Martin est à ce
scène. Toutes les inclications créant l'espace motnent er-r train d'expliquer à quoi sert la chatrette.
Figure 4.137 Mais la mise en scène joue aussi un rôle. La clifférence
Dans cette image de Boy meets girl (Leos Carax, l9B4),
de l'histoire interagissent, tlavaillent enserrì-
cle taille des figures et les ombres portées permettent
le personnage au premier plan participe ò la fois de ble à I'accentuation de certains élétnents du Figure 4.139
l'espace peu profond défini par le mur du métro et de lo récit, iì la focalisation de notre attention et à d'ótablir que le couple se trouve au plemier plan et la Jour de colère : division de l'attention
charrette, à l'arrièr'c. l"esptrce est, par rapport à l'image entre l'avant-plan et l'arrière-plon.
profondeur cré,le par le trompe-l'æil derrière lui, l'organisation cle relations dynamiques
226 Partie 3 - Le style Chapitre 4 Le plan : la mise en scène 227

I analysée précédemment, rel i.rtivement profoncl ( mêrle Le temPs


il si l'avar-rt-plan n'est pas aussi cxagérément proche que
{'i il
lt
celtri dc Cuulrcs ct diottttutts en 4.136). Les figures sont Le cinéma est ar-ttant Lln art c1u tem¡rs que cle I'espatcc. II ne faut douc pas être
stirpris cle const¿rter c1u'un grand nollbre de nos excmples de com¡rositiot-ts
F nettencnt dessinées, sonbres sur le foud essentielle-
nent cl¿rir du décor. De rranière peu conrante au spatizrles bi- et tridimensionnelles se déploient altssi dans le temps. Par la mise
cn scène, le ré¿rlisateur conttôle nolt selllelnent ce que l-ìolrs voyons, nais à
$l cinéna, les silhor-rettes se troLrvcnt dans la moitié infé-
quel mornent nolls le voyous, et poltr combien cle temps. Dans la scène entre
l¡ rieure du cadre, ce qlri donne nne importance inhabi-
Sanclro et Clar-rclia sur le toit de l'église dans L'At,vctttrtr¡le déroulement tem-
tuelle à cette ¡rartie de I'imirge et permet d'équilibrel le
f' porel des tnolrvcrnents des persounages la manière dont Sandro se détotlrne
piìssage cle la charrette par la présence du couple, sui-
Figure 4.140 lorsque Claudia vient nous faire f¡rce - contribue ¿ì la révélation nette et soll-
vant un axe vcrtical. Notre regarcl se porte successive-
Ce seul plan de Fin d'autom ne met en daine dc I'angoisse de la jeune femme.
ment en haut et en bas, sur ces deux éléments.
æuvre plusieurs indices de profondeur.
Le réalisateur travaille la direction et ìa vitesse des mouvemeuts à I'intérieur
Des procédés identiques sorÌt parrfois mis en æuvre
ciu plan. Dans la fìgure4.143, extraite de Iecnurc Dicltnatt,23 quoi du Cottt-
clans des films en conleurs. Un plan de Fh d'múotttttc
(Akibiyori, Yasujiro Ozu, 1960) (4.140) ¿rttire I'atten- tilcrcc, 1080 Bruxelle s (Chantal Akerman, 1975),le personnage ne fait qu'éplu-
I cher dcs porunes dc terre. Ce frlm féministe déclit avec une miuntie de détails
¡ tion dr.r spectatellr sllr une femrne, ilu centre du cadre
le quotidien routinier d'une femme att foyer, en Belgique. La compositicln de
I et au pren-rier plan. Les indices clc plofondenr sont
ce plan est fortement centrée sur feanne, ct
nombrenx. Le chevauchenent permet de situer les
aLlcLIl molrvemcllt ne noLts distrait des
dcnx personnages dans denx ¿rvant-plar-rs différents qui
gestes réguliers et efficaces ¿ìvec lesqucls elle
colrvrent partiellen'rcnt nne série cle plans plus distants.
prépale le repas. Le même rythrnc est
Un effet dc pcrspective atmosphériqr"re est produit par
rlaintenu tì travers tout le film, si bien que
le flou des quelques feuilles que l'on a¡rerçoit à gauchc. J
lorsqu'elle corìnrence à cl-rangel scs l-rabitu-
Figure 4.141 Un r-r-ronvcment de tête dc la mariée soulignc la pro-
cles, nous sommes prêts à remarquer la Ët
Les rayures des cheminées d'usines fondeur de I'espace qfelle occupe. Lcs objets dimi-
moindre v¿rriante oLr errellr qdelle fait sous
i
établ¡ssent l'un des motifs chromatiques nlrent de taille avec la perspective. Le costume
de Fin d'automne. la pression de l'émotion.
lurlineux dc la mariée, constitné de tissus rolrges,
irrgentés et clor:és, fait ressortir la figure sur La fìgure4.144 présente un plan beau-
le fond pâle et froid ; cle plus, ccs couleurs coup plus dynamique, extrait de 12'ruc
font revenil un motif, lc rouge et l'argent (4Zul Strccf, Rr.rsby Berkeley, 1933), oir
Figure 4.143
dcs chelninées, présent dans le tout plc- l'on tronve de fortes oppositions de mou- Mouvements lents et calmes dons Jeanne Dielman
mier plan du filnr (4.141). verìrents. Llanneau central e t I'anneau
extérieur forrrés ¡rar lcs d¿rnsenls tour-
Dlns tor-rs les cas évoqnés, la cor-r-rposition
nent dans Lu-ì ser-ìs contlairc à celui de I'anncau dtt
c1e l'inage ct les indices cìc profondenr
milier-r et les d¿urser.rrs imprincut un nonvenent de
col-rccntrcnt I'attention clu spectaterlr sllr
va-et-vicnt ¿ì cies bancles brillantes dc tissus, por-tr
dcs éléments narr¿rtifs. Ça n'est pas tolt-
créer une comp.rosition en partie abstlaite qui reste
jotrrs le cirs : d¿rns Lottcclot dtt Lttc (Robert
néannoins facile à appr'éhendcr à cause cle la clarté
I3resson, 1L)74), une palctte lirnitée ¿ì cles
Figure 4."142
géo n-rétrique cles rro uvcnìe rìts co u cctr tr iqr.res.
teintes sombres ct métalliqr-res valorise des
Lancelot du Lac (Robert Bresson, 1 974) : lors d'une couletrrs plus chaudes (4.Ia2). Cette utili- Les danseurs de 42. nrc sollt parlàitement synchrones.
scène où des chevaliers en conversation sont réunis ou
sation de la couleur clcvient I'un des motifs À l'inversc, la figure 4.145 prósente un plan de Play-
centre du cadre, sur deux ovant-plans différents, une
stylistiques du film. firrc (lacques ?rti, 1967) oùr tons les mottvements ont
couverture violette pendant au flanc d'un cheval qui
passe attire notre regard, nous distroyant de l'action en
des vitesses différentes, leuls propres caractéristiques Figure 4.144
visuelles, leurs prclpres esp¿ìces et trajectoires. Clettc Rythme synchrontsé dans 42e rue.
224 Partie3-Lestyle Chapitre 4 - Le plan r la mise en scène 229

démultiplication des mouvements corres-


pond à la tendance du cinéma de Tati à
composer dans le cadre des séries de gags
¡
qui attirent tous en même temps notre
I attention.
Nous balayons du regard le cadre d'une
image cinématographique, à la recherche
I d'informations. Ce parcours visuel prend Figure 4.147
Íigure 4."146
du temps ; seul un plan très court nous plan extroit des Rois du désert le chef Elgin
Dãns ce
Confirmqnt ce que vient de dire Elgin, l'officier supérieur
polrsse à essayer d'embrasser I'image en un entre pour dire aux soldqts en troin de faire lo fête que entre brusquement.
Figure 4.145
seul regard. Nous avons en général une leur sup,érieur va arrtver. Normolement, lorsqu'un
Mouvements oux rythmes différents dans un plon bien
première impression d'ensemble qui crée \ersonnoge regarde vers t
rempli de Playtime, '
légèrement decentre vers
certaines attentes formelles, confirmées ou
posittonné ò gauche, lais
modifiées par la circulation du regard dans la t,
derrière luí l'entrée de
le cadre. nous nous attendons ò ce que quelque chose se posse icr.

La façon dont notre æil balaye la surface d'une image est fortement influencée
par la présence cle mouvements. Dans une composition statique, par exemple
celle du premier plan de Jour de colère évoqtté plus haut (4.138), notre atten-
Figure 4.148
tion peut rester concentrée sur un seul élément (ici, le visage du personnage).
L'offtcter s'ovance, ce qui est toujours une manière puissante
À I'inverse, une composition en mouvement rend plus sensible le déroule- d'attirer l'qttention du spectateur, ll vient ogress:ement
ment du temps, en faisant circuler notre regard entre les différentes parties de jusqu'au gros plon, foisant éclqter le différend en
I'image suivant les vitesses, les directions et les rythmes des éléments qui la demondant où les hommes ont obtenu de l'qlcool.
composent. Dans I'autre plan extrait de Jour de colère (4.139),Anne et Martin
nous tournent le dos (ce qui réduit la visibilité de leurs expressions et de leurs
gestes) et se tiennent debout, immobiles. Le seul mouvement dans le cadre est
celui de la charrette, qui attire immédiatement notre attention. Mais lorsque pement clramatique de la scène. Par ailleurs, tout
Martin se met à parler et se retourne, nous revenons au couple, pr,ris à nou- lnouvement de I'arrière vers I'avant est un moyen fort
veau à la charrette en une sorte de va-et-vient dynamique de l'attention. pour capter I'attention. Dans de tels moments, la mise
Ce processus de balayage de I'image ne consiste pas seulement à parcourir sa en scène prépare à ce qui va se passer, le style nous
surface d'un côté à I'autre; il y
a aussi une façon de < regarder en implique dans les enchaînements d'actions.
profondeur >. Dans une composition profonde, le premier plan est souvent Les exemples extraits de La mort du cygne et des Rols
en attente des conséquences ou de la suite d'une action qui a lieu en fond. du désert illustrent aussi le pouvoir de Ia frontalité.
< Composer en profondeur n'est pas seulement une question de richesse Expliquant un plan de cinq minutes de son film
visuelle ), remarquait le réalisateur anglais Alexander Mackendrick. < cela a Mademe porte la culotte (Adam's Rib, 1949), George
Figure 4.149
de I'importance pour le récit et le rythme d'une scène. À I'intérieur du même Cukor faisait remarquer de quelle manière l'avocate
Dons Madame porte la culotte, /o
cadre, le réalisateur peut organiser I'action de telle façon que l'on voit se pré- était positionnée, pour concentrer toute I'attention des
femme qui a tiré sur son mqri est mise en
parer ce qui va se passer à I'arrière-plan de ce qui est en train de se passer. > spectateurs sur sa cliente débitant les raisons pour les- voleur par l'éclairage trois points, ainsi
IJexemple présenté en 4.177-4.120 (La mort du cygne) illustre la remarque de quelles elle a tiré sur son nrrari (4.149). I(atherine que par sa gestuelle anímée et sa posrtron

Mackendrick. Le même principe est employé dans rss rois du désert (Three Hepburn < tournait le dos à la caméra presque tout le frontsle. ll est intéressant de remørquer
temps, mais cela avait une signification: elle indiquait que le centre du csdre est occupé par une
Kings, David Russell, 1999 - 4.146-4.148). Au début du plan, le cadre est désé- infirmière, que Cukor lorsse floue et
quilibré, et le fait qu'il comprend une porte en fond nous prépare au dévelop- au public qu'il devait regarder Iudie Holliday. On a fait
statique pour qu'elle ne distrott pos le
tout cela sans un raccord >. spectateur du jeu de Judy Hollidoy.
23O Partie 3 - Le style
Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 231

Le spectateur s'attend généralement à ce que le visage


d'un personnage fournisse plus d'informations narra-
tives que son dos. Il ne s'attardera donc généralement
pas sur les silhouettes de dos, pour privilégier immé-
diatement les frgures disposées frontalement. Une prise
de vue distante peut aussi se servir de la frontalité.
Dans Ia cité des douleurs (Beiqing Chengshi, Hou Hsiao
Hsien, 1989), une mise en scène profonde place en son
histoire qui se développera plus tard entre eux.
centre une Japonaise venue en visite dans un hôpital,
Figure 4.150 un éclat de tissu clair attirant l'attention sur elle, tandis Ilest enfrn possible d'obtenir de forts effets en refusant la frontalité' en gar-
utres personnages nous tournent le dos dant le spectateur dans I'attente de ce que le visage d'un personnage pourra
es longs plans avec peu de changements dans révéler.Ainsi, au moment le plus dramatique de L'élégie d'Osaka (Naniwa ere-
ments des figures sont caractéristiques du jü,Kenji Mizoguchi, 1936), certains des indicateurs habituels de I'emphase
ou Hsiao Hsien ; l'effet discret, délicat, de ãramatique sont inversés (4.157, 4.158). Nous sommes en plan large plutôt
cette scène repose sur notre perception des visages des qu'en gros plan, et I'héroTne de dos se dirige vers le fond du plan en traversant
personnages clans leurs relations avec les corps cles autres figurants et avec á", ,o.r.t d'obscurité. Ayako est en train d'avouer à son fiancé qu'elle a étéla
l'ensemble du décor. maîtresse d'un autre homme. Son éloignement communique un puissant
La frontalité peut varier dans le temps pour guider notre attention vers diffé- sentiment de honte et comme son ami, nous devons juger de sa sincérité à
rentes parties du plan. Nous avons déjà évoqué une alternance de frontalités
dans L'Avverúura (4.109,4.110). Lorsque des acteurs dialoguent, le réalisateur
peut utiliser la frontalité pour souligner un moment précis du jeu, puis don-
ner à un autre interprète Ia prédominance (4.151, 4.152). Ces techniques nous
rappellent ce que la mise en scène de cinéma doit au théâtre.
Un instant très court, un flctsh > de frontalité peut avoir un effet très puis-
<<

sant. Dans la scène d'ouverture de La fireur de viyre (Rebel Without a Cause,


Nicholas Ray, 1955), trois adolescents sont emmenés dans un poste de police
Figure 4.153 Figure 4.154
Mtse en scène dans le cadre ollong,é de La fureur Jim s'ovance, attirant notre attention et déclenchant
de vivre, l' attente d' un écha nge.

Figure 4.155 Figure 4.156


Figure 4.151 Figure 4.152
Durant une conversation entre trois tl offre à Plqto sa veste. Par son action placée au centre ludy se tourne brusquement, et lo frontalité de son
...mais lorsque le producteur se retourne, se
du cadre et ò cause de sa chemise blqnche vtvement vrsage signale l'intérêt qu'elle porte ò Jim.
personnages des Ensorcelés (Ihe Bad and the posttion centrqle et frontqle en foit le
éclaìrée, íl est le prrncipal acteur de la scène, La présence
Beautiful, Vincente Minnelli, 1952), nous nous personnage le plus important.
de ludy, reléguée au second plan derrière la vitre du
concentrons d'abord sur l'exécutìf du studio, ò
droite, qui est le seul ò être de foce...
bureau, est seulement soulignée par son manteau
rouge.
232 Partie 3 Le style Clra¡ritre 4 Le plan : la rnise en scène 2?3

partir cle sa postut'e et de sa voix. Dans cet exerlple D¿rns le restc


clu fìhn, Willie évoluc à I'intérieur et à I'extér'icur dc la ville. Le
conìrre dans cl'autres de ce cherpitre, plusieurs techni- i.urde son iurivee, il se balade ct sc trouve pris clans une sér'ie cle situations
ques de mise en scènc s'accordent par instzrnts por-rr. 'c..'riqucs. f .rr nt¡it, il clort clirns lr mrisort,.les Canfield cl lt'lcnr-lcrnaitl, ttrle
lrous erÌg¿ìgcr plus profondénent dans I'actiou. coLtfsc-pollrsuite s'engage, qtti passc par la calìlpiìgtìe et revient à Ia mêrne
rnaisgr-t 1-rottr la r'ésolutiott de la qucrcllc. Laction repose donc de façon
6, Fonctions narrat¡ves de la mise ir.rrpgrtante sur des changemeuts de décors décrivant les cleux grauds voyagcs
cle Willie eutrc le Norcl et le Sucl, enfant et adultc, ainsi que ses détours pollr
en scène : Les lois de l'hospitqlíté
échapper à ses euuenis. La narratiou est peu restreinte uue fois que Willie
Lcs lois rlc l'lnspitalitó (1923), comlrìc la plr"rpart cles fihrs al.rive clans le Sr-rcl, se concelltrant sur lui ttu les nembres de la farnille Can-
Figure 4.157
Au ¡noment drarnatrque le plus fort de de Br,rstcr T(caton, illustre la façon dont la mise en scòue fìelcl. Nous elt savotls plus sut' eltx qlle Willie - ttotls les vctyctus souYent en
L'élégie d'Osaka, Kenji Mizoguchi foit se cclntribne ¿ì nne économic dc la progression nan'ativc cl trlin de s'¿ìpprochcr des endroits oùr il se cttchc, pnr exemple.
retourner la protagoniste et l'éloigne dans crée des ensembles strnctnrés de motifs. Lc film étant rerlplit une fonction n¿rrrr.rtive particr-rlière. Lir < propliété > des
la profondeur..,
Chaquc décor
une coméclie, la rrise en scène procluit ¿russi des gargs. lcs
Mcl(a¡ que Willie irnagine comlììe une grancle rÌl¿-tison, se révèle êtle une
lois dc l'lnspitalitó rnofire ckrnc que la rnise en scènc, atr
c¿rbure en t'ttiue. E,llc s'oppose à l¿r maison des Clanfrelcl, vaste demettre de
mêmc titr:e que les ¿rntres tcchniques et éléments consti- un pirlais. En termes fonction narrative, la maison
pÌanteurs ressenblant aì cle
tn¿rnt r-rn film, a toujours phrsienrs fonctions.
clcs Canfrelcl prencl une irlportancc décisive lorsc¡ue le père interdit ¿\ ses
Considérons pirr exemplc la relation entre les cìécors du cnf¿rrts cle tuer Willie parce qlle < Notrc codc dc l'honueur nous interdit de le
filn-r et son récit. Les décols penìlettent tout d'abord clc tuer tiurt qdil est notrc hôte >. (Dès qr,re Willie entcnd cela, il décicle c1e ne
drvisel Lcs lois dc l'lrcspitolif¿r en cliffércntcs scènes et clc plus quittcr la maison.) La maison cle ses ennellis devient donc, ironiclue-
les cornptrcr. Le fihn débute par un prologue mol-ìtr¿ìnt r.¡ent, le scul lieu sûr de tonte l¿r ville, ct dc ncll-nbreuses scènes sont consacrécs
comrìlent la qr,rerelle entre les Mcl(ay et les Canfield a eu ¿ìux efforts cles fils Canfielcl pour I'attirer dehors. À la fin clu film, un autre
por"rr conséqnence la nort du jeune Canfielcl ct cclle clu clécor prcncl r,Lne graude itl¡rortance : les prés, les motrtagnes, lcs bords d'ttrte
Figure 4.158 rr"rirri Mcl(ay. Nous voyous les MclQry vivre cl¿rns une liviòre, lcs tolrents et les chutes, tout ce qui cornpose le paysage ¿ì travers
.., elle traversedes zones d'obscurité, et cabane; l'avcnir clu ph-rs jeune cntiurt de la f.rrnille, lequcl les C¿rnficìcl poursuivent Willie. Cette poursr,rite et l'ensemble c1e la que-
notre curiosité quant o son étctt Willie, est incertain. Sa mère s'cst enfr-rie avec lui clc Ìcur rellc prennent fin clans la maison, oir il est accueilli en t¿rnt quc uari de la fìlle
émotionnel grandit. nr.tison dr"r Sucl pour allcr vel's le Norcl (action qr.ri notLs Canfìeld. Le développemcnt clu récit est clair, de la fusilladc initialc clans l¿r
est essentiellcnelÌt racontée p¿ìr Lllt intertitre). rnirison dcs Mcl(a¡ qui clétmit le foyel de Willic, ¿ì l¿r scène fluale où il devient
Le récit élude plusienrs annécs pollr entamer l'action principale avec Willic, l.nembre d'unc nouvclle famille, dans la naison des Canficlcl. Tous les décols
clevcun adulte et vivant rr¿rinten¿rnt à New York. En contraste avcc le prologr-Lc, sont ainsi justifiés ¡rar la chirinc callsale) par les parallèles, les oppositions et le
dc uombrenx gags cclnceLnenI l¿r vie cl¿rns la métropole alnéricaine au début ciu dévcloppernent général dr-r récit.
XIX' siècle. Nous nous denandons conrnterìt un lien v¿r être établi cntre ce La mêrne motiv¿rtion narr¿rtivc caractérise I'emploi des costurrcs. Willic est
clécor et les scènes se déroulant dans le Sucl ct bientöt, Willie apprcnd qu'il a
habillé corrlne un jeune citadin Lur pelr dancly, tandis que la noblesse sudistc
hérité cle la maisort de ses pruents, qui se tl'oltve dans cette partie dr,r pays. Suit de l'ainé dcs Canfield est signilìée par son costune blanc cle plrrnter,tr. Les
ttue série de courtes scènes amusirntes, oùr il prend un vieux train pour rctolrr- accessoires prennent beanconp d'inrportance : la valise et le pirrapluie dc
uer à sa maison n¿rt¿rle. I(e¡ton a utilisé, pour Ia ré¿rlis¿rtion de ces scènes, clcs Willie le cirrnpent clans son rôle de visitcur cle passagc, les pistolets omni¡rré-
il a tiré des effets coniqncs sul'pretìants ert moclifr¿rnt de dif-
clécors récls clont
sents cles Calrficld nous rtrppellent qu'ils ne veulent pas oublier le clifférencl
férentes manièrcs le tracé cle la voic fèrr'ée - r-rolls y rcviendrons plus loin. familial. Un changement de costnme - un déguise1.ìlent féminin - pernet à
< l,'rrspcct Ìe plus frirpprnt cìes filnrs clc l(catol, c'est l'érron.r.tc somlnc dc pr-o- Willie cle fuir la rrlaison des planteurs. La fin de la cluclcllc est marquée par
blònrcs génér'éc par chatlue gag. Il faut ¡rlus qu'r,rn sirrple c1ósir clc failc lirc les l'abandon collectif des alnes.
gcns, iì dc tels nivc¡rux cle r'é¡lisrrtion. P¿rs éton¡anI c¡re lorsc¡r'il ét¡it enfiìnt,
Kcaton vouìait clcve nil ingénier-rr. r, Comnre le clécor, Ia lumièrc joue clans Lcs lois ilc l'hospitulll.i1 un rôle à la fois
I(evin Rl'ownlorv, historicn du cinént¡ local ct global. Le film f¿rit altelner systématiquement des scènes noctLrrnes,
234 Partie 3 - Le style Chapitre 4 - Le plan : la mise en scène 235

sombres, et des scènes diurnes, lumineuses : la


fusillade du prologue a lieu la nuit ; le voyage de Willie
vers le Sud et sa balade dans la ville, le jour ; la nuit, il
va dîner chez les Canfreld or) il reste dormir ; le lende-
main, il est pourchassé par toute la famille; le film
s'achève de nuit avec le mariage de Willie. Le film est
éclairé dans sa majeure partie suivant la méthode des
trois points, sauf le prologue, dominé par une dure
lumière latérale (4.159,4.160). Plus tard, l'obscurité
Figure 4..159 oùr se joue le meurtre est ponctuée de flashes lumineux
Figure 4.161 Figure 4.162
Lorsque l'oîné des McKay éteint lo lompe créés par les coups de pistolets et le feu de cheminée.
Dans le même codre, nous voyons ò la fois la Les fils Confield, au premier plan, préporent
avec son chopeau, on posse d'un Cet éclairage sporadique nous dissirnule une partie de
cause (l'insouciance du chemtnot, presque l'ossassinqt de Willie mais celui-ci, ou fond,
éclairage trois points qux effets
I'action et contribue clonc au suspeltse; les coups de þurné vers le spectateur) et l'effet (les wagons surprend leur conversotton.
relotivement doux...
feux sont perçus cotrrme des éclats de lurnière, et nous décrochés qui s' élorgnent).
n'en découvrons les effets - la mort des adversaires -
qu'au flash suivant.
Le comportement des personnages est réglé par une
forte économie narrative: chaque mouvement, chaque
expression a pour fonction d'alimenter et faire progres-
ser Ia chaîne causale. La façon dont Canfreld savoure
son sirop en le buvant à petites gorgées manifeste ses
Figure 4.163
mæurs sudistes, comme sa haute idée de I'hospitalité
Willie marche sans crointe au fond de l'image alors
qui lui interdit cle tuer un invité à l'intérieur de sa mai-
que l'un des fils est embusqu,é au premier plan,
son. Tous les gestes de Willie expriment son manque
Figure 4.160
,,, ò lo violence d'une lumière principole d'assurance ou son ingéniosité'
venant de côté, correspondant ò lø Le positionnement des personnages et des décors dans
présence, hors-champ, d'une cheminée. la profondeur obéit, lui aussi, à une forte concision, par
leurs affaires. Au retour, il passe à nouveau devant le couple, toujours en train
laquelle deux actions simultanées sont souvent présen-
de se battre, et les évite soigneusement - ce qui n'empêche pas la femme de lui
tées dans la même image. Le cheminot conduit sa locomotive, et ses wagons Ie
lancer un coup cle pied. Cette simple répétition concourt à la cohérence narra-
clépassent sur une voie parallèle (a.161). Dans d'autres plans, l'ignorance ou la
tive du film mais a aussi une fonction thématique, sorte de plaisanterie sur les
connaissance qu'a Willie d'une situation est rrontrée grâce à la combinaison de
contradictions de la notion d'hospitalité.
différents plans en profondeur (4.162,4.163). Cette exploitation de la profon-
deur permet de resserrer, sur un mode narratif omniscient, la construction du Il y a d'autres motifs récurrents. Le premier chapeau de Willie est trop haut
récit. F,n 4.162, nous apprenons en même temps que Willie le projet des Can- pour être porté clans un compartiment. (Il l'échangera) Llne fois écrasé, contre
freld et nous nous attendons à ce qu'il fuie leur maison. En 4.163, nous savons I'habituel chapeau plat de Keaton.) Son deuxième chapeau sert à amuser les
qu'il est en danger mais il ne le sait pas, différence qui produit le suspense. Canfield, lorsqu'il demande à leur chien de le lui rapporter. Leau est aussi un
Tous ces procédés d'économie narrative contribuent beaucoup à I'unité du film, motif important du film ; sous forme de pluie, elle nous dissimule les meur-
mais d'autres éléments de la mise en scène fonctionnent comme motifs singu- tres du prologue et sauve Willie en I'empêchant de quitter la maison après
liers. Il y a, tout d'abord, la dispute répétée entre un homme et une femme dîner (< Sortir par une nuit pareille, ce serait la mort de n'importe qui I >) ;
anonymes : en allant pour la première fois voir sa < propriété >, Willie passe à elle apparaît sous la forme d'une rivière dans la poursuite finale, et sous la
côté d'un couple en train de se battre, l'homme étranglant la femme. Il inter- forme d'une chute, peu après I'arrivée de Willie dans le Sud (a.16a). Cette
vient, tnais se fait rosser par la femme qui estime qu'il n'avait pas à se mêler de chute protège Willie en le cachant (4.165, 4.166) et, plus tard, Ie mettra en
danger, ainsi que la fille Canfield (4.172).
236 Partie 3 - Le style Chapitre 4 - Le plan : la llise en scène 237

Deux motif's précis, appartenant ;tux décors, reufor-


cent puissamment I'unité du récit. Une brodcrie
accrochée à nn mur de la maison cles Cauficld, sut'
laquelle est écrit : < Aime ton prochain >, relie le
début et la fìn du film. Dans le prologue, cette brtt-
clerie incite l'aîné de la famille à essayer de mettre un
terme à la querellc et à la fiu, alors qu'il enrage à la
pensée que Willie épouse sa fille, il se résout en la
lìsant à oublier les anuées de luttes. Ce detnier chan-
Figure 4.164 gemellt cl'attitude est rendu vr¿risemblable par la tigure 4.167 Figure 4.168
lJn barrage a explosé, l'eau tombe du haut première apparition du motif. Le tun¡tel découpé suivant la forme du train, Le père de Keaton, loe, emploie ici son célèbre
d'une falaise et crée une cascade. coup de pied comique.
Des râteliers d'arnes revienuent dans plusieurs scè-
nes du filn. l)ans le prologue, chacuu des protago-
nistes v¿r prendre son pistolct au-dessus c1e la
molrrelÌt à regalder à droite et à gauche, la main en visière pour se protéger du
cheminéc. Plus ttud, lorsclue Willie arrive en ville, ìes
soleil, avant de réaliser oir il est. Plus tard, il descend à toute allure la rivière,
Canfìeld se précipiteut pour charger leltrs ¡rrtnes.
jaillissant de I'eau colnme un poisson et glissant sur les rochers.
Dans l'une cles séquences finales, ils reviennent chez
eux sans avoir tronvé Willie et I'un des frls reln¿trqlre Lutilisation de la profondeur est, avec la gestuelle des cornédietrs, I'aspect le
clue le râtelier a été vidé : c'est Willie qui a pris tous plus brillamment comique du fìlm. La plupart cles plans que nous avons cléjà
les pistolets et, par précaution, les a gardés sttr ltti, évoqués ont un caractère comique, comlrìe celui où le cheminot ignore totale-
collìmc il le rnontrera dans le dernier plarn aru ment la séparation des wagons et de la locomotive (4.161) et celui oùr un fìls
moment oir les Canfreld accepteltt le mariage. On a Canfield aux intentions meurtrières attend Willie au premiel plan (4.163).
Figure 4,165 donc ici la répétition, la variation et le développe- Le gag qui sr"rit la démolition du barrage utilise la profondeur de façon plus
La nouvelle cascade commence ò cacher ment de quelqr"res motifs créés par la nise en scène . surprenante. Pendant que les fils Canfield recherchent Willie dans toute la
Willie qui est en trqin de pêcher...
Les qtralités des lols dc I'lrcspitølifé ne tiennent pas ville, celui-ci est train de pêcher, assis sur une saillie rocheuse. Leau qui jaillit
seulenent à la concision des lieus cntre le systèrne tout à coup dr"r barrage et tombe clu haut de la falaise l'enveloppe cornplète-
narratif et les procéclés cle misc en scène. C'est aussi nent (4.165). À cet inst¿rnt précis,les Canfield envahissent le premier plan en
une cornédie, et des plus drôles : la tlise en scène est arrivant de chaque côté clu cadre (4.166) sans voir Willie, caché derrière le
au service de gags, la plupart des éléments partici- lideau aquatique qui forme un fond neutre poul leurs deux silhouettes. Leur
pant de l'économie uarr¿rtive produiscnt cles effets ilruption sottd¿rine est parfaiten-rent inattendue, ricn ne norls ayirnt indiqué
comlques. qu'ils étaient si proches des lieux. La surprise est ici un factenr essentiel du
corniqne.
f,'amr,rsement vient cles décors - la propriété déla-
brée des McI(a¡ le Broadway de 1830, le tuunel Les gags, s'ils sont essentiellement petçus de façon ponctuelle, sont aussi
exactenent découpé à la forme clu train (4.167) - rigoureusemelìt structurés que les autres motifs clu film. Le voyage fournit
cornme des costumes - Willie, cléguisé en fetnmc, est ttne structure narrative qui permet de développer ulle série de gags suivant
Figure 4.166
le principe folmel du thème et des vari¿rtions. Dnrant le voyirge vers le Sud,
...'et lorsque les Canfield arrivent au premrer trahi par ttn trolt à I'arrière cle sa jupe et plus tard, il
plan, il est invisible, habille un cheval avec les mêmes vêtements pour plusieurs gags ont pour origine une mêrne idée : des gens croisent le train;
clistraire les Canfield. Le comique naît surtout clu certains le regardent passer, un clochard nonte sur les bielles, un vieil homme
rtrrrritttrlrlrttttttt¡tlltltllll
jette des pierres sur la locomotive. Dans une courte série cle gags, c'est la voie
comportement des personnages. Un coup de pied du cheninot va trop haut
et fait basculer Ie chapeau du chef c1e train (4.168). L aîné cles Canfield aiguise elle-mêrne qui fournit le < thème >, les variations se déclinant sous la forme
ragelrsemelìt son conteau à viande à quelques centimètrcs de la tête de Willie. d'une portion de voie cabossée, cl'nne autre bloquée par u1t âne, cl'unc autre
Celui-ci, dans une autre scène, coule à pic au fclnd cl'une livière et restc là r¡ll pleinc de conrbes et cle virages et, enfin, cle l'¿rbsence totale de voic.
234 Partie 3 Le style Chapitre 4 - Le plan : la nrise en scene 239

La série la plus complexe met erì (rllvre le motif cln < poisso' au bout cle
l¿r
ligne ,. Peu après son arrivée, willie va pêcrrer et remonìe un mi¡usc¡le pois_
son avant qu'un autre, énonne, le tire d¿ins I'c¿rn (4.169). plus tarcl, après
quelques mésaventures, il se retlollve lié par une corde à l'un des fils canfielcl. ll faut aborder une mise en scène de façon systématique pour pouvoir l'étudier : observer les dé-
cors, les costumes, l'éclairage et le jeu des acteurs, en essayant pour commencer de suivre l'évolu-
cette < corde ornbilicale > est I'occasi'' de nonbreLlx gags ; carfielcl va tion d'un seul de ces éléments sur l'intégralité du film.
notamlnent êtrc pr'jeté dans I'eau co'nìe willie pr.écédenment.
ll s'agit ensuite de considérer l'organisation des différents éléments de la mise en scène. Comment
Le plan le plus drôle du filn est peut-être cehri oùr, alr ,r-tomcrìt de la chutc clu fonctionnent-ils ? Comment créent-ils des motifs qui se développent à travers le film ? Puis remar-
fils canfield (4.170), willie corn¡rrcnd qr-iil va lui aussi être précipité en bas quer comment la mise en scène, organisée dans l'espace et dans le temps, attire et dirige l'atten-
(4.17I). Après s'être libéré de son cnneni, Willie conservc la àor.l.l att¿rchée tion du spectateur, crée des effets de surprise ou de suspense.
¿ì
la taille. Dans le climerx, elle lui permet cle rester snspcnclu ¿ì nn trol-rc au-cìes- ll faut enfin essayer de mettre en relation le système de la mise en scène avec la forme générale du

sus clcs chutes colrlne un poisson au bont d'une ligne (4.172).Ici encole, film, en oubliant tout préjugé sur le réalisme au profit d'une ouverture aux multiples possibilités
on de la mise en scène. C'est à cette condition que l'on pourra en déterminer les différentes fonctions.
const¿ìte qr-r'un élérnent rernplit plusier-rrs fonctions. Le dispositif du <
¡roisso'
¿ru bout de la ligne > fait av¿rncer le récit, dcvient un motif unifiant
le film et
¡rrend place clans une série structurée de gags mettant en jcu willic au bout cle
sa corde. Lcs lois dc I'lrcspitaliØ dcvient ainsi nn cxemple le'nirrqnable
grirtion de la mise en scèue à la forr-ne tì¿trratlve.
cl'inté- ÞOUì {LL{I ÞLUI LOIll
Sur le réalisme et la mise en scène
De nombreux théoriciens ont vu dans le cinéma le moyen d'expression réaliste par excellence.
Pour Siegfried Kracauer, André Bazin ou V. F. Perkins, la puissance du cinéma vient de sa capacité
à présenter une réalité reconnaissable. lls ont souvent jugé de l'authenticité des costumes et des
décors, du " naturalisme " de l'interprétation et de la lumière. " La première fonction du décor ",
a écrit V. F. Perkins, * c'est de fournir à l'action un environnement vraisemblable " (Film as film,
Baltimore, Penguin, 1972, p.94). André Bazin louait le néoréalisme italien des années 1940 pour
u sa fidélité au quotidien dans le scénario, la vérité des rôles confiés aux acteurs >.

Bien qu'une mise en scène soit toujours le résultat d'une série de choix, la théorie réaliste met en
avant des réalisateurs dont la mise en scène a l'apparence de la réalité. Selon Kracauer, même cer-
tains numéros de comédies musicales peuvent paraître improvisés (voir le chapitre 4 deTheory of
film) el Bazin voit dans un conte cinématographique comme Le ballon rouge (A. Lamorisse, 1953)
Figure 4.169 Figure 4.170 un film réaliste parce que l'imaginaire [y a] sur l'écran la densité spatiale du réel (Qu'est-ce que
" "
Le motif commence lorsque Willte to¡nbe dans Attoché ò Willie, l'un des Canfield tombe de la le cinéma ?, p. 56).
l'eau. falaise. . ,
Pour ces théoriciens, un réalisateur a la tâche de représenter une réalité historique, sociale ou es-
thétique à travers une mise en scène. La controverse réaliste ne sera pas discutée dans le cadre de
ce livre ; pour q uelq ues arg u ments qu i s'y opposent, voir Noël Burch, U ne praxis du cinéma eT Ser-
guei Eisensteifl, * Un point de jonction imprévu dans Le film : so forme/son sens, pp. 23-32.
",
lmages de synthèse et m¡se en scène
L'animation numérique ou 3D nécessite généralement un petit nombre de logiciels largement uti-
lisés, comme le programme Maya pour créer des mouvements, et le programme Renderman pour
l'ajout de textures. Les animateurs développent eux-mêmes de nouveaux logiciels pour répondre
à leurs besoins et pouvoir produire des effets comme ceux liés à la représentation du feu, de l'eau
ou des feuilles qui bougent dans les arbres. Les figures peuvent être créées en scannant toutes les
surfaces d'un modèle réduit (comme le dinosaure en 1 .29) ou en utilisant des dispositifs de capture
Figure de mouvement ou < motion capture (" mocap >) : les acteurs ou les animaux sont filmés dans des
4.17"1 Figure 4."172 "
costumes de couleur neutre recouverts de points, lesquels deviennent les seuls éléments visibles
, ..et Willie s'agrippe ò la roche pour ne pas être Willie se balance comme un poisson au bout par la caméra, Les points sont reliés entre eux par des lignes pour générer une image mobile qui
précipité à son tour. d'une ligne.
24O l,¿rt-ic 3 te style: Clra¡ritr e 4 '- Le ¡tl;rrl : la trlise etr scèlte 241

aura l'aspect d'un maillage ou d'une figure en fil de fer ,, auquel l'ordinateur ajoute progressi- La couleur
"
vement des couches de détails pour élaborer une figure animée tridimensionnelle et texturéã. Des
fonds peuvent aussi être créés numériquement, en utilisant des logiciels de,, matte painting >, potn ouleur était un aspect important de la mise en
des éléments précis sur les techniques de création par. motion capture ,, il est put" inté- développer au cours d'un film. Rouben Mamou-
ressant de se plonger dans le manuel du logiciel Maya (Maya 4.5, éd, Creative Studio, "r"rn-pl"
2003). ne émotion particulière, voulait qu'un réalisateur
ême film Dreyer partagea¡t cette opinion : il
Pour les longs métrages, l'animation 3D est devenue envisageable grâce à la technique du digital '.
compositing,littéralement la composition numérique ,, employée par exemple danslTerminator 2l aniser les combinaisons de couleurs en une sorte
" uvement constant des personnages et des objets
pour la création du cyborg T-1000. Une grille géométrique peinte sur le corps de l'acteur .n rou-
vement a permis, une fois numérisée (transformée en informations binaires manipulables par un or- sements rythmiques et créent sans cesse de nou-
effets, quand elles se heurtent à d'autres couleurs ou se fondent en elles "
dinateur), d'en modifier les mouvements et les postures image par image. Depuis veaux et surprenants
fTerminator 21, la et film colorié p. 90).
sophistication des logiciels a rendu possible la création d'< acteurs > à partir de mojèles numéñsés (u Film en couleur ",
habituelle des couleurs. Dans ' ce que
et animés. L'exemple le plus connu reste celui du troupeau de dinosaures (des gallimimus) dans/u- àour Stan Brakhage, le cinéma doit briser notre perception
il y a des tonalités autres, totalement subjectives :
rassic Park. Sur ces deux films, on pourra se reporter aux articles de
Jody Duncan mentionnés dans i,ãn uoit les yeux iãrmés , (u closed-eye visions "),
la bibliographie de ce chapitre. lmages de synthèse et techniques de ( compos¡ting > ont par exem- u à la lumièie de toutes ces expériences, j'affirme être capable de transformer les formes lumineu-
ple été utilisées dans Matilx (Andy et Larry Wachowski, 1999). Le rendu des personnages humains i"i qri ," trouvent dans une pièce plongée dans la pénombre en des images de lumières, d'arcs-
ou à caractère humain dépend beaucoup de la représentation des peaux, dont il s'agitãe retrouver .n-.i.f, et ce, sans l'utilisation cl'un quelconque i ttirail créé par la science " (Métaphores et visron,
la couleur.
les qualités lumineuses ; voir les variations autour de cette recherche menée avec les n. 32), Serqueì Eisenstein est le réalisateur qui a produit la réflexion la plus complète sur
[ersonnages de couleur du cinéma dont les références sont don-
Jar Jar dans Lo menace fantòme, et Collum dans Le Seigneur des anneoux. pour plus de détails ,ut. to6 än pâurru-pur exemple lire son texte < De la ',
ces exemples, les lecteurs qui maîtrisent l'anglais pourront se reporter à la revue américaine Cinefex, nées dans la bibliographie de ce chapitre.
dont quelques articles et documents visuels sont aussi disponibles en ligne (www.cinefex.com).
Ce mélange entre actions réelles et images numériques devrait être à l'origine de nouvelles possi- Composition de l'image et regard du spectateur
bilités f ilmiques. Le désir de Méliès - étonner et fasciner le public par la magie cle la mise .n ,ièn. du peintre : il doit être
continue de porter ses fruits.
- Le plan cinématographique est, en un certain sens, identique à la toile
. rempli et le spectateur
,, conduit à y remarquer des éléments particuliers. Les principes de com-
de l'image filmique doivent beaucoup à ceux développés dans les autres arts visuels. Pour
position
La profondeur une introduction aux problèmes de la composition on se reportera aux ouvrages de Rudolf Arn-
heim mentionnés dans la bibliographie de ce chapitre.
Les historiens de l'art ont longuement étudié les effets de profondeur dans les images à deux di- plus grande
Selon André Bazin, les plans où la mise en scène exploite la profondeur offrent une
mensiotrs. On répertorie en général cinq grands procédés techniques de représentaiion de la pro- que ceux qui sont * aplatis > par une certaine utilisation de la lu-
liberté au regard du spectateur
fondeur, qLle nous avons tous évoqués dans ce chapitre: la perspective linéaire, le travail des
mière ou des décors (idée qu'il expose principalement dans son livre sur Orson Welles). Noël
ombres, la séparation des plans se succédant dans la profondeur, la perspective atmosphérique et
Burch, dans Une praxis du cinéma, fait une proposition inverse : u Tous les éléments composant
ulre
l'effet perspectif obtenu par des contrastes de couleurs. , recherches en psychologie de la perception
image filmique donnée sont d'importance égale. Les
Le travail sur la planéité et la profondeur, sur les qualités spatiales de l'image de cinéma remonte
semllent cependant montrer que le regard. lorsqu'il parcourt une ìmage, est sensible à des indi-
aux premiers films, mais son approche critique date seulement des années .l 940, lorsqu,André Ba-
cations particulières:au cinémã, les inãications visuelles statiques qui montrent " où et quand
il
zin remarqua que certains réalisateurs créaient, par leur rnise en scène, une profondeur inhabituel- ou de
faut regärder , sont renforcées ou amoindries par les mouvements des figures par ceux la
le dans le plan. ll constata ce travail chez F.W. Murnau (dans Nosferotu et L'ourore), Orson Welles
caméra-, par la bande son, le montage et l'organìsation générale de la forme filmique'
(dans Citizen lhne er Lo splendeur des Amberson), William Wyler (dans La vipère ei:t Les plus belles
onnées de notre vle) et .lean Renoir (dans presque tous ses films des années 1930). Aulourd,hui,
nous aiouterions Kenji Mizoguchi (pour L'élégie d'Osako, Les sæurs de Gion et d'autres æuvres) et
Serguei Eisenstein (pour lo ligne générole, lvan le terrible et l'un de ses films inachevés, te prá de
Béiine) Bazin a fait avancer de façon importante notre compréhension de la mise en scène'en fai-
sant de la profondeur et de la planéité des catégories analytiques (voir . L'évolution du langage }OIltJI DVD
cinématographique dans Qu'est-ce que le cinémo.). Serguer'Eisenstein, que l'on oppose tor"uu"nt
",
à Bazin, s'est aussi intéressé aux problèmes de profoncleur dans ses cours des années I 930 trans- Les bonus des DVD comprennent souvent des galeries de photos montrant les dessins préparatoi-
crits parVladimir Nijny dans Leçonsde mise en scène. Eisenstein demanda à ses élèves de mettre en respour les décors, les costumes, ou la création des maquillages. L'édition de Pulp Fiction contient
scène ttn meurtre en tln seul plan et sans mouvement de caméra, ce qui provoqua une utilisation par exemple de nombreux brefs documentaires sur la création du film. Le décor du vaisseau spatial
surprenante de la profondeur et de mouvements énergiques dirigés vers le spectateur. On trouvera d'Alien, inhabituellement vaste, labyrinthique et refermé sur lui-même, et d'autres décors du
un commentaire de ces cours dans le livre de David Bordwell, The cinema of Eisenstein. même film sont détaillés dans certaines parties des bonus de l'édition DVD. Un supplément de
Speed évoque les 12 bus qui apparaissent à différentes étapes de l'action du film, ainsi que la ma-
nière dont le décor des autoroutes fut utilisé.
242 l'¡r tit: .ri - Lc :;t1,1¡

l-a lurnière est généralement peu évoquée. Une belle exception est le docurrentairepaintingwit1t
Light, sur l'extraordinaire travail en cor¡leur du chef opérateur Jacl< Cardifl', que l'on trouvera dans
l'édition DVD du Norcisserloirde Michael Powell et Emeric Pressburger. tJne évocation brève mais
instructive des éclairages de Collaterolde Michael Mann peut aussi ètre vue sur la version . éditio¡
spéciale > du DVD du film. L'édition collector de Ioy Sforyde John Lasseter contient une section
" "
,r Ombres et lumières ,' qui détaille la manière dont l'animation numérique simule diverses qualités
d'éclairages.
Certairres éditions DVD montrent les auditions d'acteurs - c'est le cas pour celle d'American Craffiti
de Ceorge Lucas et surtout celle du Porroin de Francis Ford Coppola, où l'on peut découvrir des
essais d'Al Pacino. Toujours sur le DVD de Colloterol, on porrrra voir une intéressante sectio¡ con-
sacrée au travail de -folr Cruise et.lamie Fox, et la relation des acteurs aux cascades de Speedso¡t
évoqr-rées dans l'édition de ce film. L'entraînement des acteurs qui ont joué les Oompa-Loompas
de Charlie et la chocolctterie (f im Burton) est évoqué dans le chapitre Devenir un Oompa-Loompa de
Le plan :
ses bonus, tandis qu'un documentaire de Babette Mangolte, Les moddes de Pickpocket, contient
des entretiens avec les trois acteurs principaux du film de Robert Bresson, évoquant ses rnéthodes,
sur sa récente édition DVD (Ml(2).
la pr¡se de vue
L'édition de Doncer in tl'¡e Dark de Lars von Trier contient un bonus consacré au travail de choré-
graphie mené par Vincent Paterson, quijette un regard inhabituel sur cette étape très particulière
de la nrise en scène (on appréciera mieux cettc section en ayant préalablementvu toui le l'ilm, o¡
au troins ses momenls rnusicaux : ., cvalda ,, (chap. 9) et,. I l-lave seen lt All , (chap. 13)).

l,c l'ó¡lisateur mct cr.r scòne rn'r óvéncnrcnt potrr clt-iil soit fiìmé. Utre clcscriltticllr
c'lu citrérla conllrc l'noyctì cl'cxptcssiotr trc pcttt lotrtclbis ¡rtrs s'at'rÓtct'rì cc clLri
cst pl.rcó clcvlrlrt ltr calìérlr: un 111111¡ lr'cxistc cluc lorsclttc cìcs fìll'lnes tt'lius[-r¡l'cn-
tcs et opar¡rt's solrt inscliLes sur'la ¡rcllictrlc. l,c r'é¡lis¿ttcttt'cotltrôlc cc clttc trotts
¡Ppcllcrorrs lcs clr.Lalitós e:inómatogrrplriqucs clu plan, il nc tìécicic Pits scttlculetrt
(ìcs qr-rr-
clc cc clrLi cloit ctrc lìlnró mais ¡ussi clc la lÌrçon clont cclr cìoitctl'c fìhlró.
litús iurpliqucnt tlois grar.ìds l'ritr¿llòtrcs, (lLrc n()Lrs allous óvtltlttcl' cl¿ttls ,.r'
chrpitlc: (l) la photographic; (2) lc cilcìragc; (3) la clrrréc tltt pLlrr.

1. lJimage photographique
l.ir p¡i5ç cle vnc erL, sclon nn tcrrnc cléstrct, la citrétlatoer:aphie (littól'alctrent,
,< ócritttlc clu t.r-touvetnç1l¡ >r) dópcncl pottt't-ttrc gt'atrclc l-riìl't cle la photographic

(< óclitulc cle 1a lumièrc,,). Un l'óalisatctLr PcLlI sc Pilsscl' dc crnróra eI

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